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LE PURGATOIRE 

Successivement, nous traiterons de son existence, de sa nature, de son effet sur les âmes.

 

QUESTION 15 : Le purgatoire

Article l : Existe-t-il un purgatoire après cette vie ?

Article 2 : Y a t-il six degrés du purgatoire ?

Article 3 : La vie terrestre est-elle le premier purgatoire ?

Article 4 : Existe-t-il dans la mort un purgatoire des âmes errantes?

Article 5 : Les purgatoires qui suivent cette vie ont-il un lieu ?

Article 6 : Certaines âmes peuvent-elles être purifiées en se réincarnant dans un corps ?

QUESTION 16 : Les trois purgatoires qui suivent la Parousie du Christ

Article 1 : La peine principale des trois purgatoires de lumière est-elle la séparation d’avec Dieu ?

Article 2 : Le feu des purgatoires de lumière est-il le désir de Dieu ?

Article 3 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles rongées par le ver du remords ?

Article 4 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles tourmentées par les démons ?

Article 5 : Le feu de ces purgatoires est-il le même que celui de l’enfer ?

Article 6 : Les souffrances de ces purgatoires surpassent-elles toutes celles d’ici-bas ?

Article 7 : La peine du purgatoire est-elle voulue par Dieu ?

Article 8 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles saintes ?

Article 9 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles soumises à la volonté de Dieu ?

Article 10 : Les souffrances des âmes de ces purgatoires sont-elles voulues par elles ?

Article 11 : les âmes de ces purgatoires peuvent-elles pécher ?

Article 12 : Les âmes de ces trois purgatoires peuvent-elles mériter ?

Article 13 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles dans la joie et dans la paix ?

Article 14 : Les âmes du purgatoire peuvent-elles les prier pour nous ?

QUESTION 17 : Les effets des trois purgatoires qui suivent la parousie du Christ

Article 1 : Le péché véniel comme péché véniel est-il expié par souffrances du purgatoire ?

Article 2 : Les flammes du purgatoire libèrent-elles de la peine due au péché ?

Article 3 : Les âmes du purgatoire sont-elles délivrées plus vite les unes que les autres ?

QUESTION 15 : Le purgatoire[1] 

A propos du purgatoire, nous nous demanderons :      

Article l : Existe-t-il un purgatoire après cette vie ?

Article 2 : Y a t-il six degrés du purgatoire ?

Article 3 : La vie terrestre est-elle le premier purgatoire ?

Article 4 : Existe-t-il dans la mort un purgatoire des âmes errantes?

Article 5 : Les purgatoires qui suivent cette vie ont-il un lieu ?

Article 6 : Certaines âmes peuvent-elles être purifiées en se réincarnant dans un corps ?

 

Article l : Existe-t-il un purgatoire après cette vie ?[2]

 

Objection 1 : La notion de purgatoire n’a été définie par l’Église qu’au XVe siècle. Il semble que les Pères n’y ont pas cru avant. Elle ne saurait donc être un dogme de foi mais seulement un ajout à la foi.  

Objection 2 : L’Apocalypse semble le nier[3] : «heureux les morts qui meurent dans le Seigneur! Dès maintenant, dit l’Esprit, qu’ils se reposent de leurs travaux. » Ceux qui meurent dans le Seigneur n’ont donc pas à subir un travail de purification après cette vie; pas davantage ceux qui ne meurent pas dans le Seigneur, puisqu’il n’y a pas, pour eux, de purification possible.  

Objection 3 : Le rapport est le même entre la charité et la récompense éternelle, le péché mortel et le supplice éternel. Or ceux qui meurent en état de péché mortel vont immédiatement au supplice éternel. Donc ceux qui meurent en état de grâce vont tout droit au ciel.  

Objection 4 : Dieu qui est souverainement miséricordieux, est plus prompt à récompenser le bien qu’à punir le mal. Or de même que ceux qui sont en état de grâce peuvent avoir commis certains péchés qui ne méritent pas la peine éternelle, de même ceux qui sont en état de péché mortel peuvent avoir fait quelque bien qui ne mérite pas la récompense éternelle. Dès lors, puisque ce bien n’est pas récompensé dans l’autre vie, ces péchés ne doivent pas être punis non plus (Selon Alexandre de Halès).  

 

Cependant : Le pape Clément VI écrit[4] : «Nous croyons que c’est au purgatoire que descendent les âmes de ceux qui meurent en état de grâce et qui n’ont pas encore satisfait pour leur péché par une entière pénitence. De même, nous croyons qu’elles y sont tourmentées par un feu pour un temps et que, dès leur purification, avant même le jour du jugement, elles parviennent à la véritable et éternelle béatitude qui consiste à voir Dieu face à face et à l’aimer. »

 

Conclusion : L’existence du purgatoire est un article de foi qui trouve son fondement dans l’Ecriture Sainte d’une manière explicite. Il est écrit au livre des Macchabées[5] : «C’est une sainte et salutaire pensée que de prier pour les défunts, afin qu’ils soient délivres de leurs péchés. » Or ceux qui sont au paradis n’ont pas besoin de prières puisqu’ils ne manquent de rien; ceux qui sont en enfer n’en ont que faire, puisqu’ils ne veulent être délivrés de leurs péchés. Il y a donc dans l’autre monde des âmes qui peuvent parvenir à la gloire par une purification. C’est ce que veut dire saint Paul dans l’épître aux Corinthiens[6] : «Quant à l’homme qui aura bâti sa maison avec du bois, du foin, de la paille, il sera sauvé, mais comme à travers un feu. »

Mais on peut établir d’une manière théologique la nécessité du purgatoire pour certaines âmes. Le fondement de toute théologie catholique est le suivant : « L’entrée dans la vision de Dieu se fait à travers le consentement mutuel, comme dans le mariage,entre Dieu et de la créature élevée par la grâce. Mais la créature doit être adaptée à la nature de son époux, à savoir tout humble et tout amour.  » Au moment de la mort, face à la Parousie de l’image de Dieu que constitue le Christ glorieux accompagné des saints et des anges, la contrition peut être parfaite et supprimer tout péché mortel ; l’amour de charité s’enflamme alors tout entier au point que l’âme aime Dieu de toute sa force. L’âme reçoit alors le pardon de toutes ses fautes et est établie par la grâce en état de sanctification. Cependant, il peut subsister certains restes du péché dans l’âme et ils sont de deux sortes :

1) Un manque d’humilité : il s’agit d’un attachement habituel de l’âme à elle-même qui l’empêche de se donner pleinement et totalement à l’amour de Dieu. Ce vice de l’âme fait subsister des péchés véniels actuels qui rendent imparfaits l’acte de la charité. A cause de ces restes des péchés passés, l’âme est comme entachée. Il lui est donc impossible d’être immédiatement introduite dans la lumière de Dieu, non à cause d’un défaut de cette lumière mais à cause de la tâche elle-même qui empêche la lumière de pénétrer. Il est donc nécessaire que le reste du péché soit détruit par une purification.

2) Une dette de pénitence : En outre, il peut subsister des péchés passés et lavés par la contrition une obligation à la peine. Chaque péché réalise en effet un désordre dans le monde qui peut être rétabli d’une manière juste par la pénitence. Ainsi, celui qui vole son prochain est tenu de restituer s’il veut rétablir pleinement le droit. De même, la justice divine peut exiger de l’âme la satisfaction de la peine non accomplie sur cette terre, dans l’autre vie. C’est ce que dit saint Luc[7] : «hâte-toi de te réconcilier avec ton adversaire tant que tu es en chemin avec lui (…) Je te le dis, tu ne sortiras pas de prison que tu n’aies rendu même jusqu’au dernier sou. » C’est principalement par ce texte que l’Église admet la nécessité de réparer, même au purgatoire, pour les désordres issus de nos péchés. Nous verrons cependant que «l’indulgence» de Dieu qui peut nous en dispenser.

De ces deux considérations, il ressort la nécessite d’un purgatoire après cette vie pour les âmes chez qui il subsiste la moindre imperfection. L’essence divine est d’une si grande et incompréhensible pureté qu’elle ne saurait être vue par une âme imparfaitement purifiée. Vatican Il rappelle sobrement la doctrine des autres Conciles dans le chapitre sur le caractère eschatologique de l’Église[8] : «Ainsi donc, en attendant que le Seigneur soit venu dans sa majesté, accompagné de tous les anges, et que, la mort détruite, tout lui ait été soumis, les uns parmi ses disciples continuent sur terre leur pèlerinage; d’autres, ayant achevé leur vie, se purifient encore; d’autres enfin sont mis dans la gloire contemplant dans la pleine lumière, tel qu’il est le Dieu en trois Personnes. »

 

Solution 1 : Au XVe siècle, l’Eglise n’a pas inventé le purgatoire mais elle en a proclamé, au plan de son Magistère romain, la définition solennelle. L’opposition de Luther à cette doctrine vient moins de la proclamation tardive par l’Eglise de cette foi explicitement contenue dans l’Ecriture, que de la conception du salut qui domine dans les confessions réformées. En effet, ils ne voient pas l’entrée dans la vie de Dieu comme un consentement libre et mutuel. Pour eux, même élevée par la grâce, la liberté humaine est définitivement détruite quand il s’agit de ces sujets. L’homme est élevé à la Vision béatifique non comme une épouse libre mais comme un enfant confiant et incapable d’une autre coopération que cette confiance passive. En conséquence, admettre une purification de la liberté avant comme après la mort leur est insupportable. La se trouve la racine de toute différence entre Réforme et foi catholique ou orthodoxe.  

Solution 2 : Dans le purgatoire qui subsiste après la Parousie du Christ, les âmes sont saintes. En pleine liberté, le choix de Dieu qu’elles ont fait est définitif. Elles savent, de science certaine, qu’elles verront Dieu dès que leur humilité aura été perfectionnée et leur dette payée. En ce sens, elles sont dans le repos, la joie et la paix.  

Solution 3 : Le mal n’est pas semblable au bien. Il n’existe pas de mal sans quelque bien. En enfer, les damnés, malgré la parfaite lucidité de leur rejet de Dieu, restent des créatures spirituelles dont la nature est bonne. Au contraire, le bien parfait exigé par la Vision de Dieu ne supporte aucun reste d’impureté. C’est pourquoi, même fixée dans l’amour de Dieu, une âme sainte peut rester imparfaitement bonne et à purifier.  

Solution 4 : Pour entrer auprès de Dieu, pour vivre du bonheur infini qui consiste à le comprendre et à l’aimer face à face, il est absolument nécessaire de devenir semblable à lui, à savoir tout humble et tout donné à l’amour. Ici se trouve la clef de tout. “ Nul ne peut voir Dieu sans mourir à lui-même[9] ”, enseigne l’Ancien Testament. A cause de la pureté et de la délicatesse de Dieu, n’importe quel amour, n’importe quelle humilité ne suffit pas mais seulement un amour total, dépouillé de toute recherche intéressée. Le moindre orgueil, le moindre égoïsme, et l’entrée face à Dieu devient impossible, comparable à un viol alors qu’elle devrait être un mariage. Il ne s’agit pas d’une condition liée à une convenance de la part de Dieu mais d’une nécessité de nature. Toute la vie de Jésus en est la révélation. L’image de l’amour nécessaire est visible à travers la vie de Jésus. Ceux qui l’ont mis à mort et qui se moquent de lui, il les aime au point qu’il les accueille à l’heure de leur mort et leur propose, sous condition de repentir et de conversion totale, la vie éternelle.

Concrètement, personne ne peut entrer dans la vie éternelle. Les conditions exigées sont impossibles à l’homme. Il est impossible de devenir humble et aimant à ce niveau là. Il suffit de considérer avec réalisme la petitesse de notre condition humaine. Mais, explique Jésus après une question de ses disciples sur ce thème[10], ce n’est pas impossible à Dieu, d’où le purgatoire.

Pour résumer, il peut être plus simple de comprendre les choses ainsi : Parce que Dieu est infinie délicatesse de l’humilité et de l’amour, nul ne peut le voir et être heureux de son bonheur que s’il l’épouse. C’est un mariage d’amour où il est exigé de la fiancée (nous-mêmes) d’être comme Dieu[11] : tout humble et tout amour[12]. Sans ces qualités du cœur, nul ne peut épouser Dieu car nul ne peut alors comprendre quoique ce soit de Dieu.  

 

Article 2 : Y a t-il six degrés du purgatoire ?[13] 

"L'Humanité" http://www.matta-art.com/

Objection 1 : Cela ne semble pas possible. Si l’on distingue six degrés du purgatoire, c’est qu’il peut y avoir perfectionnement de la charité. Or Martin Luther montre que la charité ne peut croître.  

Objection 2 : L’existence d’un purgatoire appelé shéol ou limbes situé après la mort et où le désir de Dieu pourrait augmenter est contraire à la foi puisque aussitôt après la mort, les âmes reçoivent leur récompense ou châtiment selon leur mérite ou démérite.  

Objection 3 : Dès l’entrée dans le purgatoire, l’âme possède une charité parfaite, selon sainte Catherine de Gênes. Aucun purgatoire ne semble donc nécessaire après l’apparition du Christ.  

Objection 4 : Si l’on admet trois degrés de purification après la Parousie du Christ, pourquoi ne pas admettre de nombreux autres degrés intermédiaires par lesquels l’âme passe avant de contempler Dieu face à face.  

Objection 5 : Dès cette terre, certains hommes sont préoccupés uniquement par la recherche de Dieu et «désirent mourir pour être avec le Christ» comme saint Paul. Il semble qu’il soit inutile qu’ils passent par les degrés du purgatoire qui suivent la mort.

 

Cependant : Dans tout mouvement, il y a un début, un progrès et une fin. Or la purification de l’âme est un mouvement qui aboutit au détachement total de soi. Donc on doit admettre qu’il peut y avoir plusieurs étapes dans cette purification. C’est ce que confirme sainte Catherine de Gênes[14] : «la joie des âmes augmente en proportion qu’elles s’approchent de Dieu, qu’elles s’occupent uniquement de lui. »

 

Conclusion : Si l’on considère l’homme dans la totalité de son histoire, c’est-à-dire depuis sa conception par ses parents jusqu’à son entrée dans la vision de Dieu, deux types de croissances peuvent être discernés : 1- une croissance humaine et naturelle. 2- une croissance surnaturelle liée à la grâce. Au terme, il convient que toute créature humaine soit capable 1- de poser un acte de choix libre et conscient, volontaire et libre ; 2- de refuser Dieu où au contraire de l’aimer sans aucune trace d’un quelconque amour désordonné de soi (voir question 7).

En scrutant la tradition la plus lointaine de l’Église, on arrive à discerner l’existence de six demeures du purgatoire. Il s’agit de six étapes successives. L’homme n’est pas obligé de passer par toutes. L’essentiel est, qu’au terme, l’amitié (Agapé) pour Dieu et le prochain soit devenue tout humble.

Les deux premiers purgatoires sont caractérisés par le fait que le Ciel et ses habitants se cachent. Ce sont les purgatoires du « silence de Dieu »[15], les purgatoires de l’ombre.

1. La première demeure est la vie terrestre. Elle est l’un des plus terribles purgatoires en ce sens que l’homme n’est pas sûr autrement que par un acte de foi du projet de Dieu. Il est laissé dans l’absence d’évidence. Il est possible à certains de comprendre avec leur raison que Dieu existe et que l’âme survit après la mort pour un jugement. Mais l’homme est laissé dans l’ignorance totale de la nature de ce jugement… sauf s’il accepte de croire : «Heureux celui qui croit sans avoir vu »[16]. Cette première étape est très efficace pour disposer le cœur de l’homme, à travers une succession de bonheur fragile et d’abandons, vers une soif de plus en plus intense d’un salut : « Y a t il quelqu’un là-haut, qui entend nos prières?[17]»

2. La deuxième est le domaine des âmes errantes. C’est un lieu que la Bible appelle « le territoire des ombres [18]» ou ailleurs le « shéol [19]». Elle commence avec l’arrêt du cœur et se termine lorsque le Christ et les saints paraissent. La prolongation d’une errance dans le shéol n’est nécessaire qu’aux âmes extrêmement rustres ou coupables d’un grand crime, quoique non obstinées dans le mal, et pour qui un délai d’errance et de solitude aura l’effet positif de développer un minimum de sensibilité à l’amour. L’homme constate que la mort ne conduit pas au néant. En ce sens, il n’a plus peur. Mais, s’il se prolonge, c temps de shéol peut constituer pour certains hommes particuliers une grande souffrance et purification en vue du salut parce qu’il erre sans but dans une solitude qui paraît ne jamais devoir s’arrêter. Il est inquiet et tremble à l’idée que Dieu ou les dieux sont des forces hostiles dont il ignore la nature.

Les quatre derniers purgatoires (à partir de l’apparition du Messie glorieux), sont caractérisés par le fait qu’une connaissance totale de la Révélation est donnée. Ce sont les purgatoires de lumière.

3. Le premier est vécu à travers l’apparition glorieuse du Christ accompagné des saints et des anges (voir question 8). Il s’agit bien du « troisième ciel » où fut ravi saint Paul et qu’il décrit en II Corinthiens 12, 2. Cette Parousie se produit dans le passage du shéol (dans la mort) la plupart du temps sans délai. La puissance de sa vision provoque un tremblement dans l’âme, plus puissant que tout. A la lumière de la pureté de l’humilité et de l’amour du Messie, l’âme est choquée de ses propres ténèbres. L’effet en est la violente purification du reste de ses illusions « Dies irae ». Dieu apparaît à tout homme sous les voiles de son humanité (étape 3) avant de se donner sous la forme de sa divinité (7). Personne n’échappe à cette étape qui permet un choix libre.

4-5-6. Pour ceux qui choisissent le projet de Dieu et en qui demeurent quelques restes du péché, s’ouvrent alors les trois purgatoires mystiques décrits par sainte Catherine de Gênes[20]. Les âmes, toutes amoureuses de Dieu, passent de la volonté d’être un jour dignes de lui à la certitude qu’elles ne le seront jamais. Elles deviennent vraies, c’est-à-dire humbles. L’amour égoïste de soi ne subsiste dans cet état qu’à travers des restes qui sont comme des tendances vicieuses de la volonté encore attachée à elle-même. Celui donc qui, dans le purgatoire, désire se purifier des restes du péché en étant principalement préoccupé par la lutte contre la tâche qu’ils laissent en lui, peut être considéré comme un débutant dans la purification et c’est le premier degré du purgatoire mystique. Celui dont la préoccupation principale est d’établir de plus en plus la totalité des tendances de sa volonté dans l’unique désir de Dieu, c’est-à-dire de progresser dans la purification de son âme est dans le deuxième degré du purgatoire mystique, c’est-à-dire le degré des progressants. Enfin, celui qui ne se préoccupe plus du tout de la pureté de son âme mais ne désire qu’une chose, à savoir l’union à Dieu, appartient au troisième degré du purgatoire mystique qui est celui des parfaits et qui peut être appelé le parvis immédiat du Ciel. Elle peut donc être immédiatement introduite dans la gloire de la vision béatifique.  

 

 

 

 

 

 

 

7- Vision béatifique

 

 

 

 

 

6- « Seigneur, je ne suis pas digne… »

 

 

 

 

 

 

5- Usure de l’attente

 

 

 

 

 

 

4- Volonté d’être digne de la Vie

 

 

 

 

 

 

3- Apparition du Christ

 

 

 

 

 

 

2- Limbes

 

 

 

 

 

 

1- Vie terrestre

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette théologie frappa les Pères de l’Église au point qu’ils virent les étapes successives qui conduisent à l’amitié parfaite pour Dieu sous l’image de l’échelle de Jacob. Le livre de la Genèse raconte que le petit-fils d’Abraham, Jacob eut un songe[21] : «Voilà qu’une échelle était dressée sur la terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient! Voilà que Yahvé se tenait devant lui et dit : «Je suis Yahvé, le Dieu d’Abraham ton ancêtre et le Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donne à toi et à ta descendance. » Il s’agissait là, selon eux, de la vie humaine dans sa progression, pas après pas, vers la vision de Dieu.

 

Solution 1 : Luther nie la possibilité même de la charité, c’est-à-dire d’un amour d’amitié réciproque et libre entre Dieu et l’âme. Sa théologie constitue une perte par rapport à l’Evangile mais non une perte totale car il admet un amour passif d’abandon et de confiance. Les degrés du purgatoire ne se prennent pas tous de l’augmentation de la charité[22]. Avant l’apparition du Christ glorieux, de désir de Dieu peut augmenter, donc la charité dès que cet amour est proposé explicitement. Au moment de son apparition, l’amour s’embrase tout entier. L’âme aime de tout son cœur. Après l’apparition du Christ, la charité brûle avec la même force l’âme au début et à la fin de la purification. Les trois purgatoires décrits par sainte Catherine de Gênes ne concernent donc pas la charité mais l’humilité et les restes du péché. Au commencement de ce purgatoire mystique lorsque la présence glorieuse du Christ s’efface, l’âme prie en disant : «Je t’aime et je deviendrais un jour digne de ton amour.  » Son amour est total mais il lui manque de cette humilité qui est adaptée à l’essence même de Dieu. Au terme du purgatoire, laminée par l’attente, l’âme dit : «Je ne suis pas digne de te recevoir. Mais dis seulement une parole et je serai guéri.  » Sans qu’elle l’ait provoqué elle-même, par la seule vertu du feu de l’absence, son amour est devenu humble.  

Solution 2 : Le shéol ne se situe pas après la mort. Il est le passage même de la mort, c’est-à-dire qu’il n’est ni tout à fait ce monde ni encore l’autre monde. Le Christ glorieux descend visiter l’âme dans ce passage de telle façon qu’à l’entrée dans l’autre monde, c’est-à-dire après la mort (au sens théologique), l’âme est pour l’éternité en état de mérite et de démérite. Le fait que cette étape puisse se prolonger pour certains ne constitue donc pas une opposition au dogme, sauf si l’on se donne une autre définition de la mort (question 8, article 4).  

Solution 3 : Après la venue du Christ glorieux, que la charité soit parfaite, cela signifie que l’âme est définitivement établie dans l’amour de Dieu au point qu’elle ne peut et ne veut se tourner vers une autre fin que celle de la charité. Mais cela ne signifie pas qu’il ne demeure aucun reste de l’attachement à soi aussi bien dans les tendances de la volonté que dans les préoccupations de l’intelligence. Or celui qui commence à se détacher du péché véniel est dans une autre disposition intérieure que celui qui progresse ou que celui qui arrive au terme. Il y a donc trois degrés dans le purgatoire mystique, après la Parousie du Christ.  

Solution 4 : Toutes les distinctions intermédiaires que l’on peut saisir dans la purification de l’âme se trouvent comprises dans l’un ou l’autre des degrés dont on a parlé; de même que toute division pratiquée dans ce qui est continu est située, selon le philosophe dans ces trois termes : le début, le milieu, la fin.  

Solution 5 : Ceux qui, dès cette vie terrestre, ont déjà purifié leur âme de tout attachement à eux-mêmes ne passent pas dans ou après la mort par le feu du purgatoire. Mais, au cours de l’histoire humaine, en dehors du Verbe incarné, il ne s’est trouvé qu’un seul humain pour vivre une telle perfection, à savoir la Vierge Marie. Pour elle, l’apparition du Messie glorieux n’a en aucune façon constitué une révélation de sa misère. Elle se savait si misérable, que la Parousie de son Fils ne fit que confirmer les paroles de l’ange à l’annonciation : « Tu es pleine de grâce ». Pour tous les autres hommes, même les plus grands saints, un purgatoire au moins est vécu après celui de cette terre. Il s’agit du « jour du Seigneur » selon l’Ecriture [23] : «En ce jour-là - oracle de Yahvé - le coeur manquera au roi, il manquera aux chefs; les prêtres seront frappés de stupeur et les prophètes d'effroi. Et je dis : "Ah! Seigneur Yahvé, tu as vraiment trompé ce peuple et Jérusalem quand tu disais : Vous aurez la paix alors que l'épée nous a frappés à mort! " »

Une autre exception peut être discernée : c’est le cas des petits enfants ou des malades mentaux parvenus innocents dans la mort (Question 18). Mais leur cas n’est pas comparable puisqu’ils n’ont pas été confrontés à la lutte de la chair pendant la vie terrestre.

Ceux qui sont dans l’état de progressants dans la charité n’ont pas besoin de passer par le purgatoire des débutants car il y a continuité spirituelle entre le purgatoire de cette terre et celui de l’au-delà.

 

Article 3 : La vie terrestre est-elle le premier purgatoire ? 

Objection 1 : Il semble qu’il ne convienne pas de parler ainsi de la terre. Loin d’être un purgatoire, elle ressemble plutôt à l’épreuve d’une tentation puisque bien des hommes, confrontés aux injustices, loin de se tourner vers Dieu, le rejettent.  

Objection 2 : La terre est un scandale selon saint Paul, et un scandale lié à la croix[24], c’est-à-dire à la souffrance, d’autant plus incompréhensible qu’elle frappe coupables et innocents ensembles. Elle n’est donc pas un purgatoire mais un scandale.  

Objection 3 : Il semble que les épreuves de la terre, loin d'être purificatrices, sont plutôt la punition du péché selon le Lévitique 26, 19 : « Je continuerai à vous châtier au septuple pour vos péchés. Je briserai votre orgueilleuse puissance, je vous ferai un ciel de fer et une terre d'airain.  »

 

Cependant : L’apocalypse 7, 13 affirme à propos des élus : « Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils et d'où viennent-ils? Ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve : ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau.  » La grande épreuve est la vie terrestre. Avec la grâce du Christ, elle a le pouvoir de blanchir les âmes. Donc elle est un purgatoire.

 

Conclusion : Personne ne peut entrer dans la vie éternelle qu’à deux conditions : l’humilité et l’amour de charité. Il est impossible à l’homme de devenir par lui-même tout humble et tout amour, dans la mesure voulue par Dieu et révélée par la vie de Jésus. Mais, explique Jésus après une question de ses disciples sur ce thème, ce n’est pas impossible à Dieu[25]. C’est pourquoi, à travers une série d’étapes, Dieu va conduire les hommes de bonne volonté à une conformité au Christ.

La première étape consiste à faire passer l’homme par la vie terrestre. Cette vie est, on le constate, marquée par la souffrance puisqu’elle est fragile, dépendante des aléas du hasard et qu’elle s’achève par la mort. De toutes ces épreuves, sauf orgueil indéracinable, il ressort pour l’homme au minimum de l’humiliation, encore mieux le désir d’un salut et parfois, chez certains, de l’amour pour le prochain. Tout cela constitue une purification de l’orgueil et l’égoïsme et une disposition au salut par la charité lorsqu’il est proposé.

 

Solution 1 : Rejeter Dieu parce qu’il paraît injuste ou indifférent, loin d’être une preuve de damnation est plutôt un signe de disposition au salut selon Matthieu 5, 6 : « Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés.  » En effet, à l’heure de la mort, dès que ces révoltés seront confrontés à la révélation des vrais motifs de ces injustices provisoires, ils aimeront Dieu.  

Solution 2 : Dès qu’on applique au concret du destin de chacun, la souffrance de la terre devient insupportable au point que saint Paul parlait du « scandale de la croix » et que sainte Thérèse d’Avila disait : «Pas étonnant que Dieu ait si peu d’amis». Pourtant, même la question de la mort des enfants perd sa dimension incompréhensible si on la regarde du point de vue de la vie éternelle : Juste au moment de leur mort, le Ciel tout entier vient les chercher. Ils voient Jésus, accompagné des anges et des saints, de leurs proches déjà décédés. C’est un accueil d’une beauté et d’une tendresse inouïe. Ils comprennent son projet, la raison de leur mort et la raison de son silence. Un tel amour enflamme leur cœur. Autant ils avaient subi l’abandon, autant ils se sont jettent avec force dans les bras de Dieu. Leur amour est devenu intense comme celui de nul autre car leur humilité et leur désir, provoqués par leur souffrance, s’étaient considérablement creusés.  

Solution 3 : Pour l’homme tant qu’il vit ici-bas, la purification par la croix est interprétée comme un châtiment, de la même façon qu’un enfant fessé par son père n’y voit pas d’amour. Ce n’est que plus tard, devenu adulte, qu’il comprend que la punition était une pédagogie.

 

Article 4 : Existe-t-il dans la mort un purgatoire des âmes errantes? 

Objection 1 : Il semble qu’il ne convienne pas de parler d’un tel purgatoire. Les morts, nous l’avons montré (Question 8, article 6), sont libérés du corps charnel. Ils le sont aussi du foyer du péché. Ils ne peuvent donc être attachés par faiblesse au péché. Ils ne peuvent l’être que librement et en toute lucidité ce qui constitue un blasphème contre l’Esprit, impardonnable et voué à l’enfer éternel. Il est donc inutile que le Christ retarde sa Parousie qui de toute façon sera repoussée.  

Objection 2 : Saint Jean écrit dans la première épître[26] : «Si nous confessons nos péchés, lui, fidèle et juste pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité. » Or une telle purification a lieu dès cette terre ou dans la mort face à la Parousie du Christ glorieux. Il semble donc qu’un tel purgatoire ne puisse exister.  

Objection 3 : Même si l’on admet d’un tel purgatoire, ce ne peut être que d’une manière métaphorique. On ne voit pas en effet où il pourrait être situé si tant est qu’on puisse parler d’une localisation pour l’âme d’un mort qui est un pur esprit. Mais ce ne peut être une localisation telle qu’on en parle pour les hommes de la terre. C’est pourtant de cette manière là que parlent ceux qui décrivent des apparitions de fantômes et de revenants. Tout cela ne relève-t-il pas davantage des comptes et légendes que de la réalité ? 

Objection 4 : Il n’y a pas de trace de ce purgatoire dans les textes officiels de l’Eglise.  

Objection 5 : L’âme qui reste liée au corps de telle manière qu’elle puisse voir ce qui se passe dans le monde d’ici-bas n’est pas vraiment passée par la mort qui est la séparation totale d’avec ce monde et l’entrée dans l’autre monde. Elle n’est donc pas au purgatoire.

 

Cependant : Saint Bernard raconte[27] : «Saint Malachie vit un jour sa sœur qui avait trépassé depuis quelques temps. Elle faisait son purgatoire au cimetière : à cause de ses vanités, des soins qu’elle avait eus de sa chevelure et de son corps, elle avait été condamnée à habiter la propre fosse où elle avait été ensevelie et à assister à la dissolution de son cadavre. Le saint offrit pour elle le sacrifice de la messe durant trente jours. Ce terme expiré, il revit à nouveau sa sœur. Cette fois elle avait été condamnée à achever son purgatoire à la porte de l’Église, sans doute à cause de ses irrévérences pour le lieu saint, peut être parce qu’elle avait détourné les fidèles de l’attention des Mystères Sacrés. » De multiples autres témoignages d’apparitions et de révélations faites aux saints[28] confirment ce genre de récit. Donc certaines âmes font leur purgatoire sur terre.

 

Conclusion : Au sujet du shéol ou du limbe des âmes errantes, l’Ecriture sainte donne une série de textes dont le sens littéral semble parler d’un territoire des ombres errantes et sans joies : « l'homme insensé ignore qu'il y a là des Ombres et que ses invités sont aux vallées du shéol.  »[29] Mais le Magistère de l’Eglise laisse sur ce point les théologiens sans repères dogmatiques. De même, la raison ne peut conclure d’une manière définitive. Cependant, il est possible d’avancer certains arguments en s’appuyant sur des révélations privées qui paraissent dignes de crédibilité et une longue tradition des saints et des théologiens dans l’Église.

Il peut être sage que, par exception, Dieu condamne certaines âmes à souffrir le purgatoire sur les lieux de leur vie terrestre. On peut voir à cela deux raisons :

A) le bien de l’âme elle-même qui, étant sur les lieux où elle a péché sans pouvoir se livrer au péché, touche du doigt d’une certaine façon la vanité du péché. Il peut y avoir dans cette expérience un progrès spirituel plus rapide, adapté au salut de certains hommes très matérialistes et encore rustres, peu disposés à accueillir l’apparition lumineuse de l’ange de Dieu ou du Christ. Une telle errance semble constituer une prolongation de la vie terrestre, et à travers une longue expérience de misère et d’ennui, elle fait naître une plus grande sensibilité au spirituel. Ce purgatoire devait être très fréquent dans les temps anciens, à l’époque frustre des générations antiques, selon l’Ecriture [30] : «Ce sont les héros du temps jadis, ces hommes fameux. Yahvé voyait que la méchanceté de l'homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée.  » De nos jours, la sensibilité et la culture s’étant affinées, il semble être moins universellement nécessaire. Cela explique des récits tels que ceux rapportés par saint Bernard.

B) La deuxième raison est l’instruction des vivants lorsque, par exception, les âmes en peine de ce purgatoire manifestent leur présence. A la vue de leurs souffrances, les vivants sont amenés à convertir leurs mœurs pour éviter à leur tour de subir cette errance qui suit la mort. En outre, les vivants sont ainsi conduits à offrir leurs prières comme adoucissement aux peines des morts.

 

Solution 1 : Dans le passage de la mort, le mourant n’est pas nécessairement confronté d’un seul coup à toutes les étapes qui le conduiront au choix. 1- En même temps que le corps meurt, le foyer de péché est enlevé. Tout péché mortel lié à l’entraînement de la chair disparaît donc comme l’affirme l’objection. 2- Mais ce n’est que dans un second temps que le Christ paraît et que sa gloire libère l’âme de toute ignorance. Ainsi, lorsque le Christ retarde son apparition, c’est qu’il veut maintenir l’âme, pour son salut, dans une ignorance provisoire. Dans cette circonstance, le péché mortel contre le Fils, à savoir le péché mortel d’ignorance reste possible. Sans finalité, l’âme erre donc entre deux mondes à la recherche d’un but. Privée pour un temps de toute grâce, elle se tourne vers les créatures avec angoisse, ne parvenant plus à en obtenir de satisfaction. Le chapitre 17 du livre de la Sagesse décrit le tourment qui en sort : « Pour eux, impuissants durant cette nuit des profondeurs de l'Hadès, ils étaient tantôt poursuivis par des spectres monstrueux, tantôt paralysés par la défaillance de leur âme; car une peur subite et inattendue les envahissait. Celui qui tombait là, quel qu'il fût, se trouvait emprisonné dans cette geôle sans verrous.  » Comme un feu, l’effet de cette errance affine l’âme et la dispose à recevoir en temps voulu la Parousie du Christ et à se tourner vers son salut.

Ce retard dans la Parousie ne vient pas premièrement du Christ mais du mourant lui-même. Que ce soit un milicien criminel ou un moine infidèle, il se peut qu’une âme maintienne après la mort un tel attachement à la terre qu’elle est psychologiquement et provisoirement incapable de considérer l’apparition du Christ. C’est l’âme elle-même qui reste comme «accrochée » au lieu où elle a vécu, incapable malgré la disparition de la chair, de s’en détacher. Il s’agit donc d’une âme pathologiquement attachée à quelque chose de terrestre au point qu’elle est incapable de considérer la Lumière du Christ au moment de son apparition, malgré sa beauté. Cette âme est certes en état de mort spirituelle, sans être pourtant coupable d’un blasphème explicite contre l’Esprit. Elle peut donc être sauvée. Pour que la parousie du Christ puisse produire son effet, à savoir le choix lucide entre le Ciel ou l’enfer, il est nécessaire que la gangue qui l’enferme soit quelque peu et progressivement dégrossie.

L’attente du shéol produit un premier effet de purification vis-à-vis de cette dépendance aux plaisirs, vanités et richesses. Dieu la laisse donc, le temps qui est nécessaire et dans ce but purificateur, jusqu’à ce qu’elles soient psychologiquement disposées à comprendre la lumière du Sauveur.

Ne pouvant être vues par les hommes vivants (sauf cas exceptionnel) et étant séparées de l’au-delà, leur solitude est totale. Si cette solitude dure plusieurs années, plusieurs siècles, elle finit par produire un retournement. La vanité des choses auxquelles elles sont attachées finit par s’imposer. Ils comprennent que l’unique bien est l’Amour ou au contraire l’égoïsme.  

Solution 2 : Dieu patiente, tant que nous sommes sur terre, selon saint Pierre [31] : « Le Seigneur ne retarde pas l'accomplissement de ce qu'il a promis, comme certains l'accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir. Il viendra, le Jour du Seigneur, comme un voleur; en ce jour, les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, la terre avec les oeuvres qu'elle renferme sera consumée.  » Pour la même raison, pour le salut de quelques-uns, rien n’empêche que cette patience de Dieu se prolonge dans la mort, le Christ retardant de quelques jours ou quelques années son apparition, laissant l’âme découvrir la stupidité de son attachement aux vanités de cette terre.  

Solution 3 : Un revenant n’est autre qu’une âme soumise à une forme de purgatoire sur le lieu même où elle a péché. La possibilité d’une telle errance s’explique facilement si l’on considère ce que nous avons montré sur la survivance dans les morts d’une vie non seulement spirituelle mais d’un corps psychique. Des traités pluriséculaires, écrits dans les traditions philosophiques égyptiennes (le ka et le ba[32]), chinoises, hindoues et tibétaines (corps astral), animistes (esprits) en parlent. C’est d’ailleurs là qu’on trouve les plus profondes explications philosophiques du phénomène. Selon ces traditions, on peut discerner dans l’être humain trois degrés de vie auxquels correspondent trois corps parfaitement adaptés l’un à l’autre pour former une seule personne : le corps physique, le corps psychique et l’esprit.

Dans l’hindouisme, le corps physique est le siège d’un autre corps, appelé le corps astral. Le corps astral est, avec le corps physique, le siège des facultés psychiques comme les sensations, les passions, l’imagination et la mémoire. siège d’opérations comme la vue, l’imagination. Mais, selon cette tradition, la survie de ce dernier est indépendante de la mort du premier. Si l’on tue le corps physique, son double subsiste. Cette propriété explique l’expérience de la décorporation, aussi bien chez l’homme que chez l’animal.  

Solution 4 : L’Eglise catholique possède une procédure spécifique face aux phénomènes de revenants. L’enquête est première. Toutes les histoires de fantômes ne doivent pas être prises à la lettre. Une imagination effrayée peut inventer bien des fantasmes. Si le cas est avéré, la deuxième étape est la parole d’explication et la prière. Les vivants, s’ils se rendent compte de leur présence, ont le pouvoir de les aider en priant pour elles et en leur expliquant leur erreur et le chemin qui leur est ouvert vers l’autre monde. Pour cela, Dieu permet parfois que les âmes de ce purgatoire apparaissent ou se fassent entendre des vivants. Il leur est difficile de le faire par elles-mêmes car le corps psychique qu’elles gardent est peu adapté à ce genre de contact. C’est pourquoi ceux qui parlent des phénomènes des revenants décrivent parfois la vision d’un corps vaporeux, fait d’énergie physique. Il faut en tout cas tenir que la subsistance de ce lien avec la matière est naturel, comme nous l’avons dit précédemment, même si sa manifestation aux vivants n’est pas aisée pour l’âme faite pour se rendre visible à travers son corps charnel.

La plupart du temps, l’apparition est produite à travers une aide de Dieu et de ses anges. Le phénomène des revenants, quand il se produit, ne doit pas effrayer. Qu’on se rappelle la réaction des disciples de Jésus quand ils le virent s’approcher d’eux en marchant sur les eaux[33] : «Ils crurent que c’était un fantôme, et poussèrent des cris. ” Face au phénomène, la réponse doit être non la peur mais la miséricorde, la prière qui, offerts pour elles, ont une efficacité étonnante. L’âme en peine est bouleversée, comme le serait le plus solitaire des prisonniers, qui, pour la première fois, recevrait une lettre. Ce geste est efficace, tant l’âme a besoin de présence affective. Elle peut, devant un geste d’attention, comprendre en un instant la grandeur de l’amour. Elle appelle le Sauveur qui l’ouvre à la possibilité du choix. Elle passe alors dans un autre purgatoire où la souffrance n’est plus causée par l’absence des plaisirs, mais par l’absence de Dieu.  

Solution 5 : On peut répondre à cette objection en disant que les apparitions de revenants sont dues à des âmes qui sont dans la mort au sens théologique. Elle est un passage qui peut durer plusieurs jours, voire des années après la mort au sens clinique du corps charnel, selon des récits dignes de crédibilité. La partie psychique de son être subsistant, ces morts errent sur la terre sans avoir vécu la Parousie du Christ, des saints et des anges. Elles sont donc entre deux mondes et cet état n’est pas normal. Leur nature aspire au contact avec les vivants des deux mondes et souffre de la solitude.

 

Article 5 : Les purgatoires de l’au-delà ont-il un lieu ?[34] 

Objection 1 : Il semble qu’il ne convienne pas de parler d’un lieu pour le purgatoire. Les âmes sont en effet séparées du corps et ne peuvent être localisées puisqu’elles ne sont pas de nature matérielle. Le purgatoire est donc plutôt un état intérieur de l’âme qu’un lieu.  

Objection 2 : Même si l’on admet un lieu pour le purgatoire, ce ne peut être que d’une manière métaphorique, à la manière dont on parle d’un lieu pour les purs esprits. Mais ce ne peut être d’une localisation telle qu’on en parle pour les hommes de la terre. C’est pourtant de cette manière là que parlent ceux qui décrivent des apparitions de fantômes et de revenants.  

Objection 3 : L’âme qui reste liée au corps de telle manière qu’elle peut voir ce qui se passe dans le monde d’ici-bas n’est pas vraiment passée par la mort qui est la séparation totale d’avec le corps. Elle n’est donc pas au purgatoire qui suit le jugement dernier et la mort. Donc on ne peut s’appuyer sur les témoignages des N. D. E. pour conclure sur la question de la localisation des demeures du purgatoire.

 

Cependant : Les expériences de mort approchée montrent que les âmes ont un rapport avec le lieu.

 

Conclusion : La localisation physique est une conséquence de ce que nous avons dit de la nature des morts. Puisqu’ils conservent un corps psychique véritablement fait de matière, ils en possèdent les propriétés à savoir une localisation. Le lieu des deux premiers purgatoires est la terre comme nous venons de le dire. Pour les quatre autres, le contenu de la révélation ne donne pas de précisions décisives. Selon l’opinion commune des anciens théologiens, c’est un lieu séparé des âmes de l’enfer, et des âmes du paradis. D’autres théologiens anciens prétendaient au contraire que, selon la loi commune, le purgatoire est situé au-dessous de nous et correspond ainsi à l’état de ces âmes qui sont à mi-chemin entre le ciel et la terre. Cette opinion est évidemment liée à une cosmologie que la science actuelle rend caduque. Elle est sans doute liée à des visions de type métaphoriques, visant à faire comprendre des réalités autrement plus profondes car spirituelles. Il vaut mieux dire que nous ne savons pas où se trouve le purgatoire.

De même, la raison ne peut conclure d’une manière définitive. L’étude des Near death Experience semble indiquer l’existence d’une porte entre ce monde et l’autre, que beaucoup décrivent comme un tunnel. Elle s’ouvre à l’arrêt du cœur ou dans d’autres circonstances rares mais ne semble pas éloignée. Il semble que l’autre monde et ses demeures est plutôt un monde parallèle et invisible qu’un univers situé à l’autre extrémité de l’univers.

 

Solution 1 : On peut regarder le purgatoire selon deux approches : 1) Si l’on considère le purgatoire sous son aspect formel qui est un cheminement purificateur de l’âme, alors le purgatoire n’est pas un lieu. Il est plutôt un état de l’âme, de la même façon que l’enfer est d’abord l’état de celui qui se sépare de l’amour de la charité à cause de son orgueil. 2) Si l’on considère le purgatoire sous l’aspect plus matériel de l’état corporel de celui qui subit la purification, il faut se souvenir que l’âme séparée de la chair garde un corps psychique siège de ses facultés sensibles[35]. Elle est donc localisée par elle-même et non seulement d’une manière métaphorique comme on le dit pour les anges quand ils appliquent leur intelligence et leur action à un corps déterminé. En ce sens, les âmes sont véritablement dans un lieu.  

Solution 2 : La nature du corps psychique est peu connue. Les témoignages le présentent comme un double du corps physique fait d’une matière non palpable. Son rapport avec le lieu semble identique à celui du corps physique. Il occupe un espace déterminé. Mais son rapport au mouvement local est différent. Privé de masse et d’inertie, il se déplace de manière véloce et n’est pas arrêté par les murs.  

Solution 3 : Nous concédons le caractère hypothétique de ces recherches, en insistant sur la valeur philosophique des témoignages, au moins pour ce qui concerne l’objectivité de la première phase de décorporation.

 

Article 6 : Certaines âmes peuvent-elles être purifiées en se réincarnant dans un corps ?[36] 

Objection 1 : Cela semble prouvé par le témoignage de certains enfants qui parlent une langue étrangère sans l’avoir apprise et qui se souviennent de lieux sans y être allés. On voit mal comment cela serait possible s’ils n’avaient connu ces choses dans une vie antérieure.  

Objection 2 : La réincarnation semble convenir au moins pour les enfants morts sans baptême. La bonté de Dieu qui appelle tout homme à la vie éternelle ne peut tolérer pour eux qu’ils demeurent éternellement handicapés dans leur capacité d’aimer, à cause d’un échec de leur vie terrestre. Le moyen de la réincarnation qui leur donne une chance de passer à nouveau par le pèlerinage terrestre semble donc adapté.  

Objection 3 : Dans l’Ecriture Sainte, la réincarnation est possible pour certains saints qui, de cette manière, peuvent revenir sur terre et prêcher à nouveau. C’est ce que semble dire Jésus à propos de Jean-Baptiste[37] : «Or Je vous le dis, Elie est déjà venu en Jean-Baptiste. » Si cela est possible pour les saints qui n’en ont pas besoin, cela le semble a fortiori pour ceux qui ont à se purifier.  

Objection 4 : La damnation éternelle où l’âme se plonge à cause de la perversité de sa volonté est le mal absolu que Dieu ne peut vouloir puisqu’il a créé tout esprit en vue de la béatitude. Il est donc concevable qu’il donne à ces âmes la possibilité de revenir sur leur choix par le moyen d’une réincarnation qui tire un trait sur la vie passée et sa méchanceté. Il semble donc que les damnés se réincarnent.  

Objection 5 : Le purgatoire est finalisé par la purification des peines du péché et par le paiement de la dette due par le péché. Or la réincarnation semble pouvoir réaliser ces deux buts puisque, d’après ceux qui y croient, le méchant paye ses dettes en se réincarnant dans un corps handicapé ou malade. Il semble donc que la réincarnation peut être une forme de purgatoire.  

Objection 6 : A la fin du monde, Dieu ressuscitera nos corps et les transformera pour la vie éternelle. Or il n’est pas plus difficile pour sa puissance de ressusciter un corps que de donner à une âme un corps différent. Cela semble sage de sa part puisqu’il permet ainsi le salut de l’âme. Donc la réincarnation peut être un moyen de purification en vue de la gloire.

 

Cependant : Les saints Conciles de l’Église ont formellement condamné la doctrine de la réincarnation et de la transmigration des âmes qui était enseignée par Origène[38] puis ils ont continuellement renouvelé leur rejet jusqu’à aujourd’hui[39]. Donc la réincarnation n’existe pas.

 

Conclusion : La réincarnation n’existe pas. C’est un article de foi qu’il faut tenir sous peine de sortir de la révélation apportée par notre Seigneur. Mais c’est une vérité qu’on peut établir aussi par la raison naturelle. Comme nous l’avons montré dans la première partie, l’âme ne se comporte pas à l’égard du corps comme un moteur à l’égard d’un mobile. C’était l’opinion de Platon et c’est la raison pour laquelle il croyait qu’une âme pouvait indifféremment migrer d’un corps à un autre. Or nous avons montré que l’âme n’est pas seulement cause efficiente du mouvement corporel. Elle est aussi forme du corps c’est-à-dire qu’elle donne au corps d’être ce qu’il est. L’âme est donc indissociablement adaptée à tel corps, d’une manière analogue à la forme d’une oeuvre d’art qui est avec la matière une seule réalité. Ce n’est que par une distinction de la raison que l’homme est capable d’opposer dans une oeuvre d’art sa forme et sa matière qui, en fait, forment indissociablement une seule réalité.

De tout cela, on doit conclure que l’âme est adaptée par nature à son corps et à nul autre. Elle est incapable par ses propres forces de devenir substance et forme d’un autre corps. Seul un miracle divin qui changerait la nature de l’âme pour en faire le principe d’un autre corps pourrait réaliser cela. Mais alors, ce ne serait pas la même âme. Ce ne serait donc pas la même personne, ce qui s’oppose au fondement même de notre connaissance de Dieu qui veut créer des personnes établies pour l’éternité. On peut établir par des arguments théologiques qu’un tel miracle ne convient pas à la Sagesse de Dieu. En effet, comme on l’a vu, le projet de Dieu sur l’homme est de créer en lui une personne individuelle de nature raisonnable pour l’unir au bonheur de sa vie trinitaire. Il ne l’élève pas à sa gloire par mode d’obligation mais comme il convient à une nature personnelle, c’est-à-dire à travers l’acceptation consciente et volontaire du libre arbitre. Et la condition primordiale à un tel projet, c’est que Dieu respecte parfaitement la liberté humaine. Dans ce but, il commence par la former et c’est la finalité de la vie terrestre qui fait de l’enfant un être responsable et capable de choix. En second lieu, il propose au choix de l’homme la finalité surnaturelle et c’est le but de la révélation et de la prédication de l’Evangile qui est accordée à tout homme durant sa vie terrestre ou à son terme.

Il est essentiel à cette conduite divine que la personne humaine conserve au moment de son choix et après ce choix ce qui fait d’elle une personne morale, c’est-à-dire les connaissances et les intentions profondes de son intelligence et de sa volonté.

Or la réincarnation, telle qu’elle est comprise et enseignée, est absolument contradictoire avec cela puisque ceux qui se réincarnent perdent non seulement tout souvenir de ce qu’ils ont été, de leurs choix passés, mais aussi changent de personnalité en recevant un corps et une sensibilité nouvelle. Il y aurait dans ce cas, non respect de la part de Dieu de la personne de l’homme, ce qui est contradictoire avec sa sagesse et avec sa bonté. Il est donc aberrant pour un chrétien de croire que sa personne et la personne de ceux qui l’entourent puisse être le fruit d’une quelconque réincarnation.

De même, concernant le purgatoire, il est contradictoire avec la sagesse de Dieu qu’il puisse se faire sur la terre après une réincarnation. La raison première en est l’absence de tout souvenir d’une quelconque vie antérieure. Nul ne peut être puni pour ce qu’il n’a pas le souvenir d’avoir commis car l’oubli supprime la responsabilité de la faute. [40]

 

Solution 1 : Le fait que des jeunes enfants aient des souvenirs qui semblent appartenir à une autre personne ne prouve pas nécessairement la réincarnation car de tels phénomènes peuvent trouver d’autres explications. On constate en effet dans la nature des phénomènes analogues qui ont une cause différente : on peut par exemple, en hypnotisant quelqu’un, introduire dans sa mémoire des souvenirs qu’il croira être siens à son réveil. De même, les enfants qui par nature sont influençables peuvent recevoir inconsciemment au moment de leur naissance ou plus tard des influences extérieures. Cela peut être provoqué par l’action d’un homme qui est en train de mourir et qui, étant dans un état de détresse, émet avec force des ondes cérébrales qui peuvent être captées par celui qui y est sensible. C’est ainsi qu’on raconte que certaines mères ont l’intuition de la mort de leur enfant au moment où elle se produit et bien qu’elles soient très éloignées de lui. Rien n’empêche que, par le même processus, des souvenirs portés par le cerveau d’un autre soient communiqués à l’enfant. Le phénomène peut aussi trouver une explication dans l’action des bons anges qui protègent la survie de religions anciennes ou encore des esprits angéliques mauvais qui espèrent de cette manière détourner l’homme de sa foi au Jugement dernier.  

Solution 2 : Les enfants reçoivent la vision de Dieu à la mesure de tout leur amour pour Dieu. Il sont donc dans la béatitude. Rien ne leur manque. Il leur est inutile de se réincarner. Ils ne regrettent jamais leur mort précoce. Ce sont plutôt les adultes, au moment où ils les rejoignent au ciel, qui sont plein de confusion s’ils ont provoqué un avortement volontaire.  

Solution 3 : Lorsque le Seigneur dit que Jean-Baptiste est cet Elie qui devait revenir, il n’entend pas enseigner la réincarnation de l’âme du prophète Elie dans le corps de Jean-Baptiste. Il veut signifier que Jean-Baptiste est le prophète annoncé dans l’Ecriture et qui devait revenir avec la force et la spiritualité d’Elie. Et c’est bien ainsi que cela s’est passé : de même qu’Elie fut intransigeant par rapport à la pureté de la foi du peuple d’Israël, au point de faire mettre à mort les prophètes des idoles, de même Jean-Baptiste fut intransigeant concernant la morale au point d’en perdre la vie après avoir reproché à Hérode son mariage avec une femme déjà engagée. Jean-Baptiste prêcha aussi la conversion au bord du Jourdain, renouant avec la spiritualité d’Elie qui convertit le peuple en le privant de pluie pendant trois ans. Ainsi, on peut dire en vérité que Jean-Baptiste a vécu de la spiritualité d’Elie à un point tel qu’on aurait dit qu’Elie était revenu sur terre. Mais ce retour n’est une réincarnation qu’au sens métaphorique.  

Solution 4 : C’est d’une manière absolument libre que les âmes des damnés se séparent de Dieu pour l’éternité. Il est vrai que Dieu ne veut absolument pas ce mal pour elles mais il le permet à cause de son respect pour la liberté de l’homme qui est une créature spirituelle. Dieu ne peut renier son oeuvre car il se renierait lui-même. Il ne peut donc s’opposer à la liberté de celui qui le rejette car ce serait s’opposer à son projet de faire de l’homme une créature douée de liberté. C’est pourquoi il n’est pas pensable qu’il impose aux damnés contre leur choix une réincarnation qui effacerait les orientations profondes et définitives de leur personne.  

Solution 5 : Jésus nie explicitement dans l’évangile la théorie d’une réincarnation qui servirait à payer les dettes du péché accumule dans sa vie terrestre : aux disciples qui lui demandent pourquoi l’aveugle est né avec un tel handicap et si cela vient de lui, il répond[41] : «ni lui ni ses parents n’ont péché, mais c’est pour que la gloire se révèle en lui (qu’il est handicapé). » Et la raison de l’impossibilité d’une telle manière de s’acquitter de ses dettes vient de ce que nul ne peut payer que pour ce qu’il sait avoir commis. C’est pourquoi celui qui ignore complètement pourquoi il est accusé ne peut être condamné. Il est donc essentiel que le purgatoire soit vécu par l’âme en pleine connaissance de cause ce qui n’est pas le cas sur la terre dans l’hypothèse où la réincarnation servirait à cela. C’est pourquoi le purgatoire a lieu après la mort.  

Solution 6 : C’est un plus grand miracle pour Dieu que d’unir une âme à un corps pour lequel elle n’est pas faite que de l’unir à son propre corps par la résurrection. En effet, dans le premier cas, il faut non seulement qu’un corps soit façonné mais en plus il faut changer la nature de l’âme pour qu’elle soit adaptée à ce nouveau corps dont elle devient la forme. Or changer la nature de l’âme, c’est changer l’être tout entier puisque l’âme est ce par quoi l’homme existe. Dans le cas où Dieu réaliserait un tel miracle, ce ne serait pas le même homme qui se réincarnerait puisque ce ne serait pas la même âme. Cela s’oppose d’une manière contradictoire au fait que Dieu a fait de l’homme une personne individuelle et non une simple énergie impersonnelle capable de migrer de corps en corps. [42]

 

QUESTION 16 : Les trois purgatoires qui suivent la Parousie du Christ 

A ce sujet, quatorze questions :

Article 1 : La peine principale des trois purgatoires de lumière est-elle la séparation d’avec Dieu ?

Article 2 : Le feu des purgatoires de lumière est-il le désir de Dieu ?

Article 3 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles rongées par le ver du remords ?

Article 4 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles tourmentées par les démons ?

Article 5 : Le feu de ces purgatoires est-il le même que celui de l’enfer ?

Article 6 : Les souffrances de ces purgatoires surpassent-elles toutes celles d’ici-bas ?

Article 7 : La peine du purgatoire est-elle voulue par Dieu ?

Article 8 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles saintes ?

Article 9 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles soumises à la volonté de Dieu ?

Article 10 : Les souffrances des âmes de ces purgatoires sont-elles voulues par elles ?

Article 11 : les âmes de ces purgatoires peuvent-elles pécher ?

Article 12 : Les âmes de ces trois purgatoires peuvent-elles mériter ?

Article 13 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles dans la joie et dans la paix ?

Article 14 : Les âmes du purgatoire peuvent-elles les prier pour nous ?

 

Article 1 : La peine principale des trois purgatoires de lumière est-elle la séparation d’avec Dieu ?

 

Objection 1 : On parle ici des trois purgatoires qui suivent l’apparition du Christ. Nous avons montré que la peine de l’enfer était la séparation d’avec Dieu. Elle ne peut donc être celle du purgatoire sans quoi le purgatoire et l’enfer seraient une seule et même chose.  

Objection 2 : Dans l’Ecriture, la peine principale du purgatoire est désignée sous le terme de «feu». Ce n’est donc pas la séparation d’avec Dieu.  

Objection 3 : Durant notre vie terrestre, nous nous séparés de Dieu. Cela ne constitue pourtant pas pour nous une peine plus terrible que celles que nous devons subir par la maladie, la souffrance et la mort. Il en est de même au purgatoire qui n’est que l’achèvement de la purification commencée en cette terre.

 

Cependant : Sainte Catherine de Gènes écrit[43] : «L’âme qui est au purgatoire aime Dieu au point que cela lui est un tourment insupportable que d’être obligée de se séparer de lui un moment. »

 

Conclusion : La peine principale du purgatoire est la séparation d’avec Dieu. Pour le comprendre, il faut savoir que l’âme humaine possède par nature un instinct divin qui la fait se porter vers Dieu comme vers la source unique de tous ses désirs. Mais le péché originel et l’accumulation des péchés actuels a fini par effacer l’acte de cette inclination au point que l’homme, sur cette terre, éprouve à peine le désir de Dieu et se complet souvent dans les biens créés. Après la mort, l’âme libérée du poids psychologique des conséquences du péché originel retrouve l’acte de cet instinct divin dont l’exercice se trouve démultiplié par la participation des grâces infusées par Dieu. Ces grâces consistent principalement dans la découverte actuelle de l’amour de Dieu, de sa miséricorde à l’égard d’une créature aussi imparfaite et du soin qu’il apporte à l’élever jusqu’à lui. L’âme se porte donc vers Dieu comme vers sa fin dernière avec une charité incomparable dans son exercice à celle de la terre. En conséquence, la séparation provisoire d’avec Dieu devient une peine qui est à la mesure de la charité qui porte l’âme à Dieu. Cette peine est proprement celle du purgatoire. Vitalini Sandro écrit[44] : «L’homme se découvre isolé, incapable de communiquer aux autres. Tandis qu’il coïncide avec son propre moi, il comprend que la seule valeur qui a existé est celle de son don. La personne compare son amour à l’Amour, son être à l’Être. Au désir d’une communion plénière avec l’Amour se joint l’effroi jaillissant de la perception de sa propre indignité. L’amour qui est Dieu est un feu dévorant; sa présence enchante et épouvante à la fois, si l’on se réfère aux théophanies de l’Ecriture : la vision de Moïse et d’Elie, la Transfiguration, les visions de l’Apocalypse. »

           

Solution 1 : «L’Église, dans la fidélité au Nouveau Testament et à la Tradition croit à la félicité des justes qui seront un jour avec le Christ. Elle crut qu’une peine attend pour toujours le pécheur qui sera privé de la vue de Dieu et à la répercussion de cette peine dans tout son être. Elle croit enfin pour les élus à une éventuelle purification préalable à la vision de Dieu, tout à fait étrangère cependant à la peine des damnés. C’est ce que l’Église entend lorsqu’elle parle d’enfer et de purgatoire. [45]» La séparation d’avec Dieu est voulue par les âmes de l’enfer à cause de leur perversité qui les porte à haïr Dieu. Les âmes du purgatoire au contraire se séparent de Dieu à cause de leur très grand amour pour lui et de leur désir de devenir parfaites épouses pour lui, selon l’apocalypse[46] «son épouse pour lui s’est faite belle». C’est pourquoi la séparation est éternelle pour les damnés mais temporaire au purgatoire.  

Solution 2 : Le feu du purgatoire n’est autre que le désir ardent que l’âme a de voir Dieu. Il est donc un effet de l’intense charité qui ne peut supporter d’être séparée de Dieu.  

Solution 3 : L’exercice de la charité ne peut être parfait sur la terre à cause des conséquences du péché, qu’il soit originel ou actuel, qui obscurcissent dans l’âme l’instinct de Dieu. C’est pourquoi nous ne souffrons pas trop de son absence. Cependant, une telle souffrance peut exister consciemment chez ceux que la grâce a suffisamment purifiés comme on le voit chez certains saints. C’est pourquoi le Cantique des Cantiques chante[47] : «J’ai cherché celui que mon cœur aime, Je l’ai cherche mais ne l’ai pas trouvé. Si vous trouvez mon bien-aimé, dites-lui que je suis malade d’amour. » Chez les autres, elle existe réellement et se manifeste sous la forme de certaines angoisses profondes.

 

Article 2 : Le feu des purgatoires de lumière est-il le désir de Dieu ? 

Objection 1 : Il ne semble pas que le feu du purgatoire soit le désir de Dieu mais un véritable feu matériel. Saint Paul affirme en effet[48] : «qu’elles seront sauvées mais comme à travers un feu ». De même, il dit que c’est le feu qui éprouvera la qualité de l’œuvre de chacun. Ce feu semble donc être une réalité qui purifie l’âme de l’extérieur et non de l’intérieur.  

Objection 2 : Saint Grégoire écrit : «Ainsi que dans le même feu l’or brille et la paille fume, ainsi par le même feu le pécheur est brûlé en l’élu purifié. » Il semble donc que le feu de l’enfer est le même feu que celui du purgatoire. Or le feu de l’enfer n’est pas sans rapport avec la matière, comme nous l’avons vu. Donc le feu du purgatoire est autre chose que le désir de Dieu.

 

Cependant : Sainte Catherine de Gènes note : «L’ardent désir de Dieu est ressenti comme une peine qui est proprement celle du purgatoire. » Or ce qui est ardent est comme un feu. Donc le désir de Dieu est le feu du purgatoire.

 

Conclusion : Comme nous l’avons montré précédemment, la peine principale du purgatoire est la séparation d’avec Dieu. Mais il s’agit d’une séparation douloureuse puisque l’âme aime Dieu. Celui qui aime ne peut consentir sans tristesse à se séparer du bien aimé. Or l’âme est libérée du poids des conséquences du péché originel et divinement justifiée par la grâce à une charité envers Dieu dont l’exercice est parfait puisqu’il n’est pas empêché par aucun obstacle venant du corps. La tristesse d’être séparé de Dieu est donc à la mesure de cette charité et le désir de le posséder peut être comparé à un feu tant son ardeur est intense. C’est en ce sens qu’on peut dire que, au sens littéral, le feu du purgatoire signifie le désir de Dieu.

«On a imaginé le purgatoire comme un châtiment infligé par Dieu au fils désobéissant. Mais la souffrance dans cette rencontre ne vient pas de Celui qui est Amour, mais de celui qui se voit avoir négligé l’empressement paternel. La souffrance de l’enfant prodigue aurait été bien moins grande si le père lui avait inflige quelques tortures externes. Sa souffrance au contraire s’accroît dl l’infini parce qu’il voit que son père l’a toujours aimé et continue de l’aimer d’une façon indéfectible. Le désir de conversion est alors total, mais la souffrance nous apparaît aussi extrême. Loin d’imaginer un Dieu qui se refuserait d’accueillir la personne avec ses limites, il faut dire que c’est cette même personne qui se trouve effrayée par son indignité. »[49]

 

Solution 1 : En un second sens, on peut cependant dire que le feu du purgatoire est une réalité matérielle dans la mesure où une âme séparée du corps peut avoir quelque rapport avec la matière. Comme nous l’avons vu concernant le feu de l’enfer, un feu matériel ne peut directement brûler une âme séparée. Mais, puisque les morts gardent perpétuellement leur psychisme, c’est-à-dire leur sensibilité, à travers un corps invisible qui est de nature matérielle, il peuvent être blessés par une véritable souffrance sensible. L’intelligence de l’absence de Dieu se répercute dans la douleur des passions de la sensibilité. On peut dire alors que l’âme est prisonnière des flammes puisqu’elle vit d’une véritable et douloureuse passion sensible. Elle accepte d’être prisonnière de cette séparation. Sa peine n’est donc pas totalement étrangère à la notion de feu. Une telle interprétation n’est pas contradictoire avec celle donnée plus haut à condition que l’on maintienne que la peine principale dont souffre l’âme n’est pas cette sensation mais sa cause, c’est-à-dire la séparation d’avec Dieu et le désir brûlant de le voir.  

Solution 2 : Pris en un sens spirituel, le feu du purgatoire ou celui de l’enfer est le même puisqu’il a son origine première dans un désir naturel de la béatitude qui n’est pas satisfait puisque la source de la béatitude éternelle Dieu, n’est pas présente. Mais ce feu est différent si l’on considère sa cause et son effet : l’absence de Dieu est causée chez les damnés par un refus volontaire et conscient de l’ordre de sa sagesse que ne peut accepter l’orgueil; chez les élus du purgatoire, par une charité qui ne peut consentir à voir Dieu avant d’être totalement purifiée des restes du péché. En conséquence, l’effet du feu chez les damnés est une souffrance qui les fait blasphémer sans cesse Dieu; chez les élus, il conduit à la sanctification parfaite de l’âme.

Pris en un sens matériel, le feu de l’enfer et du purgatoire n’est que l’instrument de Dieu qui par sa contradiction avec la volonté punit ou purifie les âmes selon leurs dispositions intérieures. En ce sens, on peut dire à la suite des Pères que le feu de l’enfer et celui du purgatoire sont une seule réalité.

 

Article 3 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles rongées par le ver du remords ? 

Objection 1 : Les âmes du purgatoire regrettent leurs péchés et ce sont les restes de ces péchés qui les maintiennent séparées de Dieu, donc elles éprouvent du remords.  

Objection 2 : Le remords est l’acte par lequel une âme regrette une faute morale. Or les âmes du purgatoire sont en état de péché véniel. Elles éprouvent donc le remords pour ces péchés.  

Cependant : le ver rongeur des damnés aboutit à la ruine. Au contraire, les âmes du purgatoire s’élèvent vers la purification. Elles ne peuvent donc pas être rongées par le remords.

 

Conclusion : La notion de remords possède deux sens :

1) Il est le regret qui suit la conscience d’avoir mal agi. Il est donc naturel chez toute âme qui pèche. L’âme a été en effet créée par Dieu droite. Elle possède par nature une orientation vers le bien à laquelle s’oppose le péché. C’est pourquoi les âmes de l’enfer qui sont irrémédiablement fixées dans le péché sont rongées par le remords puisque l’orientation de leur volonté perverse s’oppose à l’ordre de leur nature et cette souffrance augmente en elles la haine de Dieu qui leur parait être la cause de leurs tourments. Les âmes du purgatoire, quant à elles, ne sont aucunement en état de péché mortel. Elles ont entièrement été pardonnées à la suite d’une contrition parfaite qui précède la mort. Elles ne peuvent donc éprouver de remords actuel puisque leur âme est totalement orientée dans la recherche du bien véritable. Elles ont entièrement effacé leurs fautes par la contrition. Elles ont pleine conscience des restes de péché qui demeurent en elles. Elles savent avoir en elles quelque chose qui déplait à Dieu et elles regrettent d’avoir offensé volontairement sa bonté. C’est donc la charité qui est cause en elles d’un état permanent de contrition dont la chaleur achève de purifier leur âme du péché véniel. Cette contrition n’est donc pas comparable au ver du remords des damnés qui reste stérile et les fait se replier sur leur malheur. Elle est plutôt comparable à la chaleur du feu qui purifie l’âme comme l’or qui est passe au creuset. De même en effet que la chaleur est un effet du feu, de même la contrition est un effet de la charité.

2) Le remords peut venir du regret de s’être fait punir à la suite d’un péché. Il règne largement en enfer. De même, selon cette acception du terme, il ne règne pas de remords au purgatoire puisque, de volonté droite, par amour de Dieu et en vue de devenir digne de la voir, elles ont voulu elles-mêmes la peine du purgatoire.

 

Solution 1 : Le regret des âmes du purgatoire pour leur péché n’est pas la simple douleur naturelle éprouvée par une âme corrompue. Elle est une douleur voulue et consentie à cause du très grand amour qu’elles éprouvent pour Dieu. Elle est une perpétuelle confession de leurs fautes au Dieu qu’elles attendent, et une joie à satisfaire par la douleur pour ces offenses.  

Solution 2 : Le péché véniel n’est pas une orientation de la volonté vers une fin mauvaise mais simplement un lien qui empêche l’orientation vers le vrai bien de s’exercer avec facilité et aisance. Il ne s’oppose pas directement à l’ordre naturel vers le bien que Dieu infuse à l’âme à sa création. Il ne peut donc être source d’un véritable remords mais simplement d’un certain état de regret.

 

Article 4 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles tourmentées par les démons ?[50] 

Objection 1 : D’après le Maître des Sentences, «les âmes ont pour bourreaux dans l’autre monde ceux-là mêmes qui ont été ici-bas leurs mauvais conseillers», c’est-à-dire les démons qui poussent au péché véniel qu’on expie en purgatoire, aussi bien qu’au péché mortel.  

Objection 2 : Les justes sont purifiés de leurs péchés non seulement dans l’autre monde, mais dès cette vie. Or, ici-bas, les démons sont les instruments de cette purification, comme nous le voyons par l’exemple de Job; Ils font donc de même en purgatoire.

 

Cependant : Il serait injuste que celui qui a triomphé d’un ennemi lui soit soumis après sa victoire. Mais les âmes du purgatoire ont quitté cette vie en état de grâce, après avoir triomphé du démon. Celui-ci a donc perdu tout pouvoir sur elles.

 

Conclusion : L’éternel châtiment des damnés sera le feu allumé par leur propre perversité si contradictoire à la nature bonne de leur âme. Les démons n’auront qu’un rôle accidentel en ce sens que leur présence orgueilleuse sera source de déplaisir pour tous les damnés. De même, au purgattoire, jusque-là, c’est l’absence du Dieu désiré et elle seule, qui purifie les élus. Elle ne requiert pour cela le ministère des démons qui ont été vaincus par eux. Par contre, il est possible que les bons anges soient chargés d’appliquer certaines dispositions particulière de cette purification, en vue d’hâter le travail de la grâce. Ce sera par exemple leur rôle que de rendre visible à l’âme en peine les mérites et indulgences offerts par ceux qui prient pour elle depuis la terre.

Mais, en ce monde, qui est un lieu de combat, les hommes sont frappés par les mauvais anges, leurs ennemis, comme nous le voyons par l’exemple de Job, et par les bons anges, comme Denys l’affirme en propres termes, et comme nous le voyons en la personne de Jacob, dont l’ange toucha et démit la hanche, au cours de la lutte qu’il soutint avec lui

 

Solutions : Elles viennent d’être données.

 

Article 5 : Le feu de ces purgatoires est-il le même que celui de l’enfer ? 

Objection 1 : Sainte Catherine de Gènes écrit[51] : «Le feu du purgatoire est différent du feu de l’enfer car, dans le purgatoire la volonté demeure toujours bonne et soumise à Dieu; Au lieu que dans l’enfer les damnés étant toujours plongés dans le péché et n’étant plus capables que Dieu verse en eux les influences de sa bonté, ils demeurent dans le désespoir et dans une volonté mauvaise qui sera éternellement opposée à celle de Dieu. »  

Objection 2 : La peine des damnés est éternelle puisqu’ils «iront au feu éternel»[52]; le feu du purgatoire ne dure qu’un temps. Ce n’est donc pas le même feu.  

Objection 3 : Même conclusion négative, du fait que le supplice de l’enfer reçoit différents noms dans l’Ecriture par exemple[53] : «le feu, le soufre, le vent des tempêtes etc.  », tandis que celui du purgatoire, c’est uniquement le feu.

 

Objection 4 : Selon certains auteurs, le feu de l’enfer est la haine lancinante que les âmes éprouvent pour la Justice de Dieu qui s’oppose à leur liberté; le feu du purgatoire est au contraire le désir de Dieu issu de la ferveur de la charité. Donc le feu de l’enfer et celui du purgatoire ne sont pas les mêmes.

 

Cependant : Saint Grégoire écrit[54] : «Ainsi que dans le même feu l’or brille et la paille fume, ainsi par le même feu le pécheur est brûle et l’élu purifie. »

 

Conclusion : Comme nous l’avons vu, le feu de l’enfer et celui du purgatoire peuvent être entendus selon deux acceptions. En un premier sens, qui est le principal, il s’agit d’un feu spirituel et intérieur provoqué par la séparation d’avec Dieu. La raison en est que toute âme après la mort, par la libération du corps et la rencontre avec Jésus, voit s’actuer le désir naturel de Dieu qui est en elle et qui avait été étouffé par le poids de la chair et le péché. La séparation d’avec Dieu contrarie donc cet instinct naturel de la béatitude. Cependant, elle n’est pas voulue de la même façon par les damnés et par les âmes saintes du purgatoire. Dans le premier cas, elle trouve son origine dans un amour déréglé de soi qui est établi en absolu et qui les conduit à préférer se séparer de Dieu plutôt que de se repentir. Dans le second cas, elle est voulue relativement à un obstacle temporaire qui doit être purifie dans l’âme. Ainsi, la séparation des damnés est causée par l’orgueil, celle des âmes du purgatoire par la charité. [55]

De tout cela, on doit conclure que le feu a la même origine en enfer et au purgatoire mais n’agit pas de la même façon sur les âmes selon les paroles de saint Grégoire : «par le même feu le pécheur est brûlé et l’élu purifié. »

Si l’on considère le feu du purgatoire de la même manière que certains théologiens à savoir comme feu sensible, on est amené à la même conclusion. La séparation de Dieu provoque dans la sensibilité une absence de paix, des passions douloureuses. Elles sont toutefois très différentes en enfer où sont surtout haine, fuite, tristesse, désespoir, crainte, et au purgatoire où elles s’appellent amour, désir, tristesse, espoir, audace.

 

Solution 1 : Sainte Catherine de Gènes regarde le feu dans sa cause prise du côté de la volonté de l’homme et non dans sa nature qui est un désir naturel de Dieu.  

Solution 2 : Le feu du purgatoire est éternel quant à sa substance puisqu’il dure autant que la personne dont la vie n’a pas de fin. Mais l’action purificatrice qu’il opère ne dure qu’un temps, jusqu’à ce que Dieu paraisse.  

Solution 3 : Les peines de l’enfer n’ont aucune finalité. Elles sont un simple effet d’une âme séparée de sa fin. On leur donne les noms de toutes les choses qui nous font souffrir. Celles du purgatoire ont pour but principal d’effacer les restes du péché : on leur donne le seul nom de feu, parce que le feu purifie et consume.  

Solution 4 : Les damnés ne haïssent pas Dieu en lui-même mais à cause d’un effet de sa providence qui nuit à leur volonté orgueilleuse. En détournant leur volonté du Bien Incréé, les damnés ont laissé pour toujours insatisfait leur désir naturel du bonheur que seul Dieu aurait pu combler. Ils en subissent les conséquences dans leur nature par le feu. Cette insatisfaction perpétuelle de leur âme provoque en eux la haine, de même qu’elle provoque le désir brûlant de la charité chez les élus. La haine et le désir sont donc des effets du feu. Cependant, si l’on insiste pour dire que ces états de l’âme sont le feu de l’enfer et du purgatoire alors on doit admettre que ces feux sont différents, selon l’autorité de sainte Catherine de Gènes.

 

Article 6 : Les souffrances de ces purgatoires surpassent-elles toutes celles d’ici-bas ?[56] 

Objection 1 : Plus un être est passif, plus la souffrance est vive, s’il a le sentiment de son mal. Or, le corps est plus passif que l’âme séparée : le feu lui est plus contraire et agit sur lui plus fortement; ses souffrances doivent donc aussi être plus grandes.  

Objection 2 : Les souffrances du purgatoire ont pour objet direct les péchés véniels qui sont les péchés les plus légers et doivent donc subir la peine la plus légère, s’il est vrai que le nombre des coups doit être proportionné à la faute.  

Objection 3 : La dette, qui résulte de la faute, ne peut s’intensifier qu’avec elle. Mais une faute pardonnée ne peut plus augmenter. Donc, celui qui a reçu le pardon d’un péché mortel, pour lequel il n’a pas pleinement satisfait, ne voit pas sa dette augmenter à la mort Or, en cette vie il n’était pas passible de la peine la plus grave. Donc, la peine qu’il subira dans l’autre vie ne sera pas supérieure à toutes les peines que l’on peut endurer ici-bas.

 

Cependant : 1. « Le feu du purgatoire, dit saint Augustin, fait plus souffrir que tout ce que nous pouvons éprouver, voir ou imaginer en ce monde. »

2. C’est quand la souffrance atteint l’être tout entier qu’elle est la plus grande. Or, l’âme séparée étant simple, est atteinte dans sa totalité; il n’en va pas de même pour l’homme tant qu’il est uni à sa chair révoltée. Donc la souffrance de l’âme séparée est supérieure ainsi à toute souffrance du corps.

 

Conclusion : Il y a deux peines en purgatoire : la peine du dam, l’ajournement de la vue de Dieu; La peine du sens, la souffrance qui en découle dans l’esprit comme dans la sensibilité. Le moindre degré de l’une comme de l’autre surpasse la peine la plus grande que l’on puisse endurer ici-bas. Plus une chose est désirée, plus son absence cruelle. Or, au sortir de ce monde, le souverain bien excite dans les âmes justes le désir le plus intense, parce que le poids du corps ne l’étouffe plus et qu’elle a vu l’espace de l’heure de la mort la Lumière.

D’autre part, ce désir serait déjà réalisé, si rien n’était venu y faire obstacle. L’ajournement leur cause donc la plus grande des souffrances. De même, comme ce n’est pas la blessure mais le sentiment que l’on en a qui cause la souffrance, celle-ci est en proportion de la sensibilité : c’est pour cette raison que les parties du corps les plus sensibles éprouvent les souffrances les plus vives.

Or, toute la sensibilité du corps vient de l’âme. Il s’ensuit que, si l’âme est atteinte directement en elle-même, c’est alors qu’elle souffre le plus. On a établi plus haut qu’elle peut, étant unie à son psychisme, souffrir d’un feu dans la sensibilité. Il faut donc conclure que les souffrances du purgatoire, la peine du sens aussi bien que la peine du dam surpassent toutes celles de cette vie. Certains auteurs en donnent pour raison que l’âme est seule à éprouver la souffrance tout entière, puisqu’elle est séparée du corps. Mais cette raison ne vaut rien, car alors les damnés souffriraient moins après la résurrection, ce qui est faux.

 

Solution 1 : L’âme est moins passive que le corps, mais elle a un sentiment plus vif de ce qui la fait pâtir, et c’est cela surtout qui cause la souffrance.  

Objection 2 et 3 : L’acuité des peines du purgatoire vient moins de la quantité du péché qui est puni que de la condition de celui qui est puni : ce qui fait que la punition du même péché est plus sévère dans l’autre vie; de même que le condamné dont la sensibilité est plus grande souffre plus qu’un autre, sans cependant recevoir plus de coups, et cependant, sans manquer à la justice, le juge infligera à tous deux le même nombre de coups pour les mêmes fautes. [57]

Article 7 : La peine du purgatoire est-elle voulue par Dieu ? 

Objection 1 : La peine est un mal. Dieu qui est la bonté même ne saurait vouloir un mal pour sa créature. Donc la peine du purgatoire n’est pas voulue par Dieu.  

Objection 2 : La peine du purgatoire a deux finalités : purifier l’âme des restes du péché et satisfaire par une pénitence pour les péchés passés. On voit mal pourquoi Dieu exige une telle satisfaction qui relève plus d’une stricte justice vindicative que de sa bonté.

 

Cependant : Sainte Catherine de Gènes écrit[58] : «les peines du purgatoire sont reçues par l’âme comme un témoignage de la bonté de Dieu sur elle. » Or la volonté des âmes du purgatoire est sainte et ne saurait qu’être conforme à la volonté de Dieu. Donc les peines du purgatoire sont voulues par Dieu.

 

Conclusion : La volonté première de Dieu sur l’homme, celle qui l’a poussé à le créer, à l’élever à la grâce, à le rétablir dans cette grâce après le péché en s’incarnant, c’est la communication de sa bonté. Une telle communication se réalise et s’achève par la vision de son essence. On peut donc dire que Dieu ne veut pas, d’une manière absolue, tout mal qui s’oppose directement à son projet, à savoir le péché contre l’Esprit Saint par lequel l’homme ou l’ange méprisent l’amour de Dieu pour l’éternité. Si donc certains hommes se damnent à cause de leur orgueil, Dieu ne peut vouloir directement et par soi leur damnation. Il la permet à cause de son respect de la liberté de la créature spirituelle qui constitue, même chez les damnés, une manifestation de sa gloire. On peut même dire, que relativement à cette gloire, Dieu veut que le méchant soit damné. Par contre le mal de la peine qui, chez les élus, constitue un moyen de purification, d’illumination et de sanctification peut être voulu par Dieu pour le bien de l’âme elle-même, en tant qu’il la prépare à la communication de la vie éternelle. Relativement à cette finalité, le mal de peine constitue même un bien puisqu’il en est le moyen préparatoire à la gloire. C’est pourquoi le prophète Osée peut écrire au nom de Dieu[59] : «Je la rendrai pareille au désert, je la réduirai en terre aride, Je la ferai mourir de soif…pour qu’elle écarte de sa face ses prostitutions…puis je la fiancerai à moi pour toujours. »

 

Solution 1 : Dieu veut la peine du purgatoire, non en elle-même, mais relativement au bien de l’âme. De même, une mère veut parfois une peine pour son enfant, non à cause de la peine elle-même, mais à cause du bien que constitue l’éducation de l’enfant.  

Solution 2 : Tout péché produit dans l’ordre de la création un désordre dont les conséquences dérèglent les rapports de l’âme avec le corps, les rapports des hommes entre eux et de l’homme avec Dieu. Il doit être réparé par quelque chose qui rétablisse de quelque manière l’ordre. Il convient que l’excès d’amour de soi soit compensé par l’excès d’amour pour Dieu. C’est ce que peut réaliser la peine satisfactoire du purgatoire offerte par charité. Mais une telle peine peut être accomplie par d’autres que l’âme, à cause de la charité qui unit les fidèles entre eux. Nous le verrons dans la question consacrée aux suffrages pour les défunts.

 

Article 8 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles saintes ? 

Objection 1 : Les âmes du purgatoire sont séparées de Dieu. Or nul ne peut l’être sans s’être d’abord détourné de lui selon cette parole d’Isaïe[60] : «Malheur! ils ont abandonné le Seigneur, ils se sont détournés de lui. » Or celui qui se détourne de Dieu ne peut être saint.  

Objection 2 : A cause du péché véniel qui demeure en elles, les âmes du purgatoire ne sont pas entièrement soumises à Dieu. Elles ne peuvent donc être qualifiées de saintes puisqu’elles restent en quelque manière attachées à elles-mêmes. Celui qui est saint, au contraire est totalement séparé de lui-même pour Dieu et ses frères.

 

Cependant : Sainte Catherine de Gènes écrit[61] : «la disposition des âmes du pur6atoire leur vient de la grâce dont elles sont pleines. » Donc elles sont saintes.

 

Conclusion : Comme nous l’avons vu plus haut, les âmes du purgatoire sont provisoirement séparées de Dieu à cause d’un reste du péché qui doit être purifié et à cause d’une peine qui reste à accomplir. Mais, soit avant la mort soit au moment de la mort, elles se sont repenties par une contrition parfaite de leur péchés mortels. Elles ont reçu de Dieu la grâce du pardon et de la sanctification. A cause de leur état de séparation d’avec le corps, les âmes du purgatoire voient s’épanouir en elles en plénitude les dons de la vie surnaturelle, dans la mesure tout de même où cela est conciliable avec le fait qu’elles sont séparées de Dieu. Ainsi, les effets de ces dons en tant qu’ils sont source de plaisir n’existent pas, mais seulement en tant qu’ils sont source de désir brûlant.

1) Elles ont la foi et une foi parfaite quant à ses deux objets puisque l’exercice de cette vertu a été purifié et illumine par la révélation du Verbe fait chair au moment de la mort. Elles ont connaissance de Dieu par la foi, sans erreur possible sur ce qu’il est et ce qu’il propose; elles croient en tant que c’est Dieu qui s’est révélé et non à cause d’une parole humaine.

2) Elles espèrent avec certitude être sauvées, sans aucune inquiétude à cause de la promesse du Seigneur faire lors du jugement dernier et de leur absolue confiance en la fidélité au Seigneur

3) Elles aiment Dieu plus qu’elles-mêmes et pour lui-même par la vertu de la charité et elles aiment le prochain à cause de Dieu. L’exercice de cette charité est propre à leur état d’âme séparée de la chair puisqu’elles peuvent perpétuellement maintenir en acte leur attention fixée en Dieu, par une prière continuelle qui ne peut exister sur terre à cause des multiples occupations auxquelles nous sommes tenus et à cause des exigences du corps. D’autre part, la ferveur de cette prière est incomparable à celle de la terre, non parce que la charité est plus grande mais parce qu’aucun obstacle ne peut en appesantir l’exercice.

4) Les dons du Saint Esprit qui disposent l’âme à être mue directement et avec facilité par les influx divins sont présents

Cependant, à cause des restes du péché, l’âme oppose une certaine résistance à leur parfait exercice. Elle a tendance à ne pas suivre immuablement l’instinct divin mais à se fier davantage à sa propre raison. Et c’est par rapport à cet exercice parfait de la charité réalisé par les sept dons du Saint Esprit qu’il est nécessaire que soit réalisée une purification. Mais une telle imperfection ne s’oppose pas à la sainteté de l’âme puisqu’on la voit chez les saints. Elle s’oppose à la sainteté parfaite qui est nécessaire[62] pour être introduit dans la gloire où Dieu prend entièrement possession de l’âme.

 

Solution 1 : Les âmes du purgatoire ne sont pas entièrement séparées de Dieu puisqu’elles lui sont unies par la charité et les dons du Saint Esprit. Elles sont seulement séparées provisoirement de la vision de son essence et de la possession de sa présence. De même qu’on ne peut pas dire qu’un ami est séparé de celui qu’il aime parce qu’ils sont provisoirement situés dans deux lieux différents, de même on ne peut pas dire que les âmes du purgatoire sont totalement séparées de Dieu. L’objection ne s’applique pas à ces âmes mais seulement aux damnés.  

Solution 2 : Un objet est qualifié de saint lorsqu’il est député par une consécration au service exclusif de Dieu. Cependant, il n’a pas besoin pour rester saint d’être actuellement et à chaque instant en acte de service de Dieu. De même un homme sur la terre est qualifié de saint parce que son intention est habituellement fixée sur Dieu, au point qu’il ne fera jamais rien d’explicitement contraire à cette intention. Mais il n’a pas besoin d’être à chaque instant dans la pensée de Dieu. Il lui suffit de l’être habituellement. La sainteté des âmes du purgatoire est plus parfaite que celle des hommes sur la terre puisqu’elles ne peuvent plus pécher et peuvent à chaque instant demeurer dans la pensée de Dieu. Le fait qu’il leur demeure quelque purification à apporter du côté de leur âme s’oppose seulement à la sainteté absolue de la gloire et non à la sainteté en soi.

 

Article 9 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles soumises à la volonté de Dieu ? 

Objection 1 : Comme on vient de le montrer, les âmes du purgatoire résistent à l’impulsion des dons du Saint-Esprit, à cause des restes du péché qui les inclinent davantage faire confiance à leur propre raison qu’aux impulsions divines. Elles ne sont donc pas soumises à la volonté de Dieu.  

Objection 2 : Les âmes du purgatoire ne veulent pas de la souffrance du feu puisqu’elles demandent à en être délivrées. Or Dieu veut pour elles cette peine comme nous l’avons montré. Elles ne sont donc pas soumises à la volonté de Dieu.

 

Cependant : Nul ne peut être saint si sa volonté n’est soumise à celle de Dieu.

 

Conclusion : Être soumis à la volonté de Dieu peut signifier deux choses :

1) vouloir ce que Dieu veut d’une manière habituelle, c’est-à-dire être prêt par l’intention à ne rien vouloir ni ne rien faire en dehors de ce que Dieu demande. Les âmes du purgatoire, sous ce rapport sont soumises à la volonté de Dieu puisqu’elles ont la charité qui est le résumé de tous les commandements de Dieu selon saint Mathieu[63].

2) Réaliser cette volonté de Dieu jusqu’à devenir pour Dieu un instrument docile de sa volonté, parfaitement apte à être mu par ses impulsions. Une telle soumission n’appartient pas aux âmes du purgatoire à cause des restes du péché qui les attache encore à elles-mêmes. Mais cette seconde soumission est acquise à travers les purifications du feu.

 

Solution 1 : Ce qui est essentiel à la soumission d’un serviteur, c’est que sa volonté soit disposée à se modeler sur la volonté de son maître. La rapidité avec laquelle il exécute l’ordre reçu n’est que la perfection secondaire de la soumission.  

Solution 2 : Les âmes du purgatoire ne veulent pas des souffrances en tant qu’elles sont des maux; mais elles les veulent relativement au bien qui se réalise par elles. En ce sens, elles sont parfaitement en conformité avec la volonté de Dieu qui ne veut le mal de peine qu’à cause d’un bien qui lui est attaché. Et leur volonté est à ce point conforme à celle de Dieu qu’elles désirent elles-mêmes se plonger dans la solitude du purgatoire en même temps que Dieu le fait lui-même.

 

Article 10 : Les souffrances des âmes de ces purgatoires sont-elles voulues par elles ?[64] 

Objection 1 : Les âmes du purgatoire ont une volonté droite. Or, la rectitude de la volonté consiste dans sa conformité à la volonté divine. Dès lors, puisque Dieu veut qu’elles soient punies, elles le veulent donc pareillement.  

Objection 2 : Tout homme sage veut le moyen nécessaire de parvenir à la fin qu’il veut. Or, les âmes du purgatoire savent que leurs souffrances sont le chemin de la gloire; Elles veulent donc souffrir.

 

Cependant : On ne demande pas à être délivré d’une peine que l’on subit volontairement. Or, les âmes du purgatoire demandent leur délivrance, comme saint Grégoire en cite de nombreux exemples. Leurs souffrances ne sont donc pas volontaires.

 

Conclusion : Une chose peut être dite volontaire de deux manières. -1° D’une volonté absolue; ainsi, aucune peine n’est volontaire, puisqu’il est de sa raison même qu’elle soit contraire à la volonté. -2° D’une volonté conditionnelle, ainsi une brûlure est volontaire en vue d’une plaie à guérir. Ici deux cas se présentent. Dans le premier, la peine fait acquérir un bien, et, à cause de cela, la volonté la recherche, comme dans la satisfaction; ou encore, l’accepte volontiers et ne voudrait pas en être privée, comme dans le martyre. Dans le second, la peine ne mérite pas un bien, mais elle est le moyen d’y parvenir : ainsi en est-il de la mort. Cette peine, la volonté ne la recherche pas, elle voudrait en être délivrée, mais elle la supporte, et, pour autant, cette souffrance est dite volontaire. C’est en ce sens que les souffrances du purgatoire sont volontaires.

Certains auteurs prétendent qu’elles ne le sont en aucune façon; car, disent-ils, les âmes du purgatoire sont tellement absorbées par elles qu’elles ignorent qu’il s’agit d’une purification et se croient damnées. Cette opinion est erronée; car si ces âmes ne savaient pas qu’elles dussent être délivrées, elles ne solliciteraient pas nos suffrages, comme il leur arrive souvent de le faire.

 

Solution 1 : Elles viennent d’être données.

 

Article 11 : les âmes des purgatoires de lumière peuvent-elles pécher ? 

Objection l : les âmes du purgatoire peuvent au moins commettre des péchés véniels puisqu’elles doivent s’en purifier.  

Objection 2 : Au purgatoire, les âmes ne sont pas en présence de l’essence divine. Elles ne sont donc pas comme les âmes du paradis qui ne peuvent se détourner de Dieu à cause du fait qu’il est l’essence même de la bonté. Au contraire, les âmes du purgatoire sont dans l’obscurité d’une prison et elles sont soumises aux pires des tourments. Elles peuvent, à cause de ces tourments qui s’opposent à leur volonté, se détourner de Dieu qui en est la cause. Elles peuvent donc pécher.

 

Objection 3 : C’est une condition de la liberté de pouvoir se détourner d’un bien pour en poursuivre un autre. Or les âmes du purgatoire gardent leur libre arbitre. Elles peuvent donc se séparer de Dieu.

 

Cependant : Sainte Catherine de Gènes écrit[65] : «les âmes du purgatoire ne peuvent plus pécher. » De même Léon X condamne formellement la proposition suivante[66] : «les âmes du purgatoire ne cessent de pécher aussi longtemps qu’elles cherchent le repos et ont horreur de peine. »

 

Conclusion : Que les âmes du purgatoire ne puissent plus pécher, c’est à cause de l’état de leur nature qui est séparée de la fragilité des conséquences du péché originel et de la perfection du choix de l’heure de leur mort, comme nous l’avons vu. Que l’homme puisse tant qu’il est sur la terre se convertir sans cesse vers des biens opposés, cela tient à la condition de son intelligence qui, étant liée à une sensibilité blessée, ne saisit qu’avec peine et par étape la bonté des réalités; cela tient aussi à la condition de la volonté qui peut se porter vers un bien relatif en se laissant entraîner par les désirs du corps et cela malgré l’intelligence qui peut savoir qu’il y a là un péché. On le voit chez les alcooliques qui boivent bien qu’ils sachent que l’alcool est un mal pour eux. Mais une fois libérée de ces peines dûes au péché originel, une fois restaurée dans la plènitude de ses moyens, toute ignorance de l’intelligence et toute faiblesse de la sensibilité disparaît. Aussi, celui qui se porte une fois vers la fin éternelle ne peut s’en détourner car c’est en pleine possession de lui qu’il a choisi ce bien pour sa fin ultime.

 

Solution 1 : les âmes du purgatoire ne commettent aucun péché véniel volontaire puisqu’elles haïssent ces péchés qui sont pour elles la cause de leur séparation provisoire du Dieu qu’elles aiment. Mais elles commettent des péchés véniels involontaires à cause des restes du péché passé qui maintiennent leur volonté vicieusement et involontairement attachée à elle-même. Ainsi, elles aiment mal. Elles n’aiment pas de manière humble et n’arrivent pas à dire «Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et je serais guéri ». Le temps seul peut, dans l’attente laminante de la venue de Jésus, les délivrer de ce défaut.  

Solution 2 : Les tourments du purgatoire sont eux-mêmes voulus et choisis par l’âme en tant qu’elle sait qu’ils la conduiront à l’union à Dieu. Ils ne peuvent donc en aucune manière la détourner de Dieu.  

Solution 3 : La liberté est une propriété de l’esprit quand il se porte vers un bien en pleine connaissance et sans que sa volonté y soit poussée de l’extérieur. C’est de cette façon là que l’âme du purgatoire reste immuablement fixée en Dieu, de même que l’âme du damné reste fixée en elle-même. Que nos intentions de la terre puissent se porter successivement sur diverses fins contradictoires, cela tient aux limites de la liberté conditionnée par l’erreur, le poids du corps, du monde et l’influence du démon.

 

Article 12 : Les âmes de ces trois purgatoires peuvent-elles mériter ? 

Objection 1 : Cela semble possible : le mérite se prend de l’augmentation de la charité. Or l’âme, après la mort, peut aimer davantage Dieu puisqu’elle progresse jusqu’à la disparition des péchés véniels. Donc la charité peut augmenter au purgatoire.  

Objection 2 : Les âmes du purgatoire souffrent et offrent à Dieu leur souffrance. Un tel acte est difficile et mérite donc une récompense supplémentaire comme une augmentation de la charité.  

Objection 3 : Les âmes du purgatoire passent leur temps à lutter contre les restes du péché qu’elles discernent en elles. Tout combat mené par amour pour Dieu mérite de sa part une récompense, c’est-à-dire une augmentation de la charité. Donc les âmes du purgatoire peuvent mériter.

 

Cependant : Jésus dit dans la parabole des talents[67] : «Après un long temps, le maître de ces serviteurs arrive et il règle ses comptes avec eux. » Or, avant l’arrivée du maître, les serviteurs faisaient fructifier leur talents. Il en est de même pour le mérite. Après la venue du Seigneur, il n’est plus temps de les augmenter mais seulement d’en recevoir la récompense.

 

Conclusion : Comme on l’a vu dans la deuxième partie, le mérite est proportionnel à la charité puisque Dieu veut qu’une âme reçoive la proportion de gloire qui dépend de l’amour qu’elle a pour lui. Ainsi, plus la charité augmente dans une âme, plus elle reçoit de Dieu une claire vison de son essence.

Tant qu’il est sur la terre, un homme peut progresser dans la charité comme on le voit chez les païens de bonne volonté dont l’intention est de plus en plus désireuse d’aimer (il s’agit d’une disposition à entrer dans la charité quand elle leur sera proposée) ou chez les chrétiens qui aiment de plus en plus Dieu et le prochain. Cette augmentation se réalise en eux essentiellement par le fait que la vertu de charité prend de plus en plus possession de son sujet qui est la volonté et non parce que cette vertu elle-même s’augmente par addition. Une telle augmentation est d’abord réalisée par Dieu lui-même qui est l’auteur de l’infusion dans l’âme de cette vertu surnaturelle. Du côte de l’homme sur la terre, il peut y avoir disposition à l’accroissement de la charité en tant que, par un acte de charité, l’homme se rend plus prompt à agir de nouveau sous l’inspiration de cette vertu; puis la facilité de renouveler cet acte venant à s’accentuer, l’homme voit la vertu théologale prendre davantage possession de ces actes et lui permettre de s’élancer vers un acte d’amour plus fervent. Cet acte plus fervent mérite à la mort un don de gloire plus grand puisque chacun méritera d’être comblé en proportion de sa charité.

Après la mort, l’homme n’est plus en état de progresser dans la charité et cela pour deux raisons :

1) Principalement à cause de son état nouveau. Le temps de la faiblesse de la chair et de l’ignorance de l’intelligence se terminent. L’apparition glorieuse du Messie fait que l’âme se porte vers sa fin tout entière et d’un seul coup, de toute la capacité dont elle est capable. Elle aime donc Dieu avec toute la potentialité de la vertu de charité préparée à titre de disposition durant sa vie terrestre et souvent reçue à ce moment. Elle se porte vers Dieu de toutes ses forces car il n’y a de mesure à cet acte que la dimension de sa capacité à désirer.

2) A cause de la volonté de Dieu qui a fixé que l’homme entrerait en possession de sa fin au terme de la vie terrestre. C’est pourquoi il appartient à la charité de la terre, celle qui est en état de voie vers l’obtention de la béatitude finale de mériter; quant à la charité du terme de la vie, il lui appartient d’entrer en possession de cette fin aussi elle ne mérite plus mais reçoit sa récompense.

 

Solution 1 : le purgatoire ne permet pas à l’âme d’augmenter sa charité en ce sens qu’elle aimerait davantage Dieu au terme de la purification qu’au début. En effet, dès l’entrée dans la mort, l’âme aime Dieu selon la mesure parfaite de la charité atteinte durant sa vie terrestre (Parousie incluse). La purification détruit certains obstacles qui rendent peu aisé l’exercice de cette charité. Ces obstacles sont les restes du péché déjà pardonné dont nous avons dit plus haut.  

Solution 2 : Le fait que les âmes du purgatoire offrent leurs souffrances à Dieu ne prouve pas qu’elles peuvent augmenter la charité en elles mais seulement qu’elles aiment Dieu plus qu’elles-mêmes. Sur la terre, une telle offrande leur vaudrait de la part de Dieu une augmentation de la charité car les âmes sont en état de voie. A cause de la nuit où vit l’intelligence, du silence de Dieu et de la présence d’un corps mortel, il est possible à l’homme d’aimer plus que de raison, d’aimer jusqu’à donner sa vie et au delà de la compréhension. Ce n’est pas le cas des âmes du purgatoire qui ont vu la lumière et aiment de toute la mesure de ce qu’elles en ont compris et désiré. Leur charité est ordonnée à recevoir immédiatement la gloire finale.  

Solution 3 : Il existe sur la terre deux manières de travailler à la purification de son âme :

1) une manière active lorsque l’on prend soi-même l’initiative de l’ascèse à travers des actes et des exercices volontaires. Ainsi, l’homme qui s’astreint à la prière, à la pénitence et à l’attention active à son prochain à cause de l’amour qu’il a pour Dieu se dispose activement à la croissance de la charité.

2) une manière passive : l’Esprit Saint prend lui-même l’initiative de nous purifier à travers les multiples épreuves de notre vie. C’est uniquement de cette manière que l’âme du purgatoire est purifiée. En effet, nous avons montré que pour ce qui est de son activité propre, rien ne peut plus progresser en elle : elle aime Dieu de toute la force de sa charité, à chaque instant et dès le premier moment de son entrée au purgatoire. L’âme ne peut donc rien de plus que ce qu’elle a déjà pour hâter sa purification. Celle-ci se réalise sans qu’elle n’y puisse rien, par l’action de cette charité qui, dans la durée, s’insinue petit à petit et transforme l’intelligence et la volonté. Il s’agit d’une purification passive.

 

Article 13 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles dans la joie et dans la paix ? 

Objection 1 : Nous avons montré que les âmes du purgatoire sont dans une affliction extrême. Elle ne peuvent donc être en même temps dans la joie, car la joie et la douleur sont opposées l’une à l’autre.  

Objection 2 : La souffrance des âmes du purgatoire dépasse ce qui existe sur terre. Or il peut exister sur terre des souffrances sans aucun mélange de joie et de paix comme on le voit chez les désespérés. Donc l’âme du purgatoire ne peut être dans la joie et la paix.  

Objection 3 : Aristote dit que la tristesse violente empêche non seulement la délectation qui lui est directement opposée, mais encore n’importe quelle délectation; et réciproquement la joie par rapport à la tristesse. Or la douleur des âmes du purgatoire est la plus aiguë de toutes. Elles ne peuvent donc être en même temps dans la joie.

 

Cependant : Sainte Catherine de Gènes écrit : «les âmes du purgatoire ont un plaisir et une satisfaction qui se mêle parmi leur souffrance. »

 

Conclusion : C’est par une même cause que les âmes du purgatoire sont dans la souffrance et la joie. La cause en est la charité parfaite qui se trouve en elles : En tant que leur volonté est conforme à celle de Dieu, elle est dans la joie; en tant qu’il reste en elles un reste du péché, elles souffrent.

Le lien de la charité qui les unit à Dieu est source en elles de paix car leurs affections sont unies dans la recherche d’un seul bien. Elle est aussi source de joie puisqu’elles sont déjà unies à lui dans l’espérance. Ainsi, se trouvant exemptes de tout péché et unies à Dieu par la conformité de leur volonté à la sienne, elles le contemplent de loin, selon le degré de connaissance qui leur est donné et elles comprennent de quelle importance est la pleine et parfaite jouissance qui leur a été promise et qui leur sera donnée au jour de leur entrée dans la gloire. Cette certitude de voir un jour l’essence divine les plonge dans une stabilité totale et supprime toute inquiétude par rapport à leur salut.

C’est aussi le lien de la charité qui est source en elles de souffrance mais pour un autre motif, c’est-à-dire en tant que leur union définitive à Dieu n’est pas encore réalisée.

 

Solution 1 : La joie et la paix ne sont pas directement contraires chez les âmes du purgatoire à la souffrance car l’une et l’autre n’ont pas le même motif. Rien n’empêche en effet que les contraires existent dans un même être quand ils ne portent pas sur un même objet. Ainsi la joie et la paix existent en tant que l’âme est déjà selon l’intention unie à Dieu par la charité, et la douleur en tant qu’elle en est de fait séparée pour un temps.  

Solution 2 : la souffrance des désespérés telle qu’on la voit est plus forte que celle des âmes du purgatoire, car il y a plus de souffrance dans le fait de ne plus avoir de finalité que dans celui d’en avoir une et d’en être séparé pour un temps. C’est pourquoi la souffrance des désespérés est comparable à celle des âmes de l’enfer davantage qu’à celle des âmes du purgatoire.  

Solution 3 : Aristote regarde la tristesse en tant qu’elle est une passion de la sensibilité. Une passion trop forte peut supprimer tout autre acte de l’âme car elle attire à elle toutes les énergies vitales. Au purgatoire, les passions n’existent pas de manière incontrôlée comme sur terre puisque l’âme a été délivrée du foyer du péché. La douleur du purgatoire est donc un acte de la volonté qui est séparée de son bien. Rien n’empêche qu’elle s’accompagne de la joie et de la paix à condition que ce soit sous un autre rapport saisi par l’intelligence.

 

Article 14 : Les âmes du purgatoire peuvent-elles les prier pour nous ? 

Objection 1 : Cela ne semble pas possible. Nous avons montré que les âmes de l’au-delà, avant leur entrée dans le ciel, sont incapables par nature de voir ce que nous faisons sur la terre[68]. Elles ne peuvent donc connaître nos désirs et nos soucis. En conséquence, elles ne peuvent prier pour nous.  

Objection 2 : Selon l’opinion commune, la souffrance des âmes du purgatoire est la plus intense qu’on puisse imaginer à cause de leur intense désir de voir Dieu que frustre leur isolement absolu. Or l’expérience montre que celui qui souffre trop est incapable de s’occuper d’autre chose que sa souffrance. Donc les ânes du purgatoire sont dans l’incapacité de prier pour nous.

 

Cependant : Les âmes du purgatoire sont emplies de charité. Or l’un des exercices essentiel de la charité fraternelle consiste à prier pour ceux qui en ont besoin. Donc les âmes du purgatoire peuvent prier pour nous. Nous en avons un exemple dans l’histoire de l’homme riche rapportée par Jésus[69] : dans le lieu de torture où il séjourne, il supplie Abraham pour ses frères.

 

Conclusion : Saint Alphonse de Ligori résout ainsi cette question[70] : «On discute s’il est expédient de se recommander aux âmes du purgatoire. D’aucuns soutiennent que les âmes en expiation ne peuvent prier pour nous. Ils y sont amenés par l’autorité de saint Thomas qui enseigne que ces âmes, étant là pour se purifier au sein des peines nous sont inférieures et, pourtant, ne sont pas en situation de prier, mais plutôt de bénéficier de nos prières. Mais de nombreux autres docteurs, comme saint Bellarmin, Silvius, le cardinal Gotti, Lessius, Medina affirment avec beaucoup plus de probabilité : on doit le croire pieusement, Dieu leur manifeste nos prières afin que ces saintes âmes intercèdent pour nous et qu’ainsi entre elles et nous soit conservé ce bel échange de charité; Elles prient pour nous et nous prions pour elles. »

 

Solution 1 : Il est vrai qu’ordinairement, les âmes du purgatoire ignorent nos prières. C’est pourquoi l’Église n’a pas coutume de les invoquer et d’implorer leur intercession. Mais on croit pieusement, comme nous avons dit, que Dieu leur manifeste nos prières. Et alors elles, toutes remplies de charité, ne négligent certainement pas de prier pour nous. Sainte Catherine de Bologne désirait-elle quelque grâce, elle recourait aux âmes du purgatoire et, vite, se voyait exaucée. Et même elle attestait que beaucoup de grâces obtenues par l’intercession des saints, elles les avaient ensuite reçues par l’intermédiaire des âmes du purgatoire.  

Solution 2 : Aux dires de Sylvius et de Gotti, l’allégation de saint Thomas d’après laquelle les âmes en expiation ne sont pas en état de prier, ne fait pas obstacle au fait qu’elles prient réellement pour nous. Car autre chose est de ne pas se trouver en état de prier et autre chose de ne pas pouvoir prier. C’est vrai, ces âmes saintes ne sont pas en état de prier parce que, comme le dit saint Thomas, se trouvant là pour souffrir, elles nous sont inférieures, ayant plutôt besoin de nos prières. Néanmoins, en une telle situation, elles peuvent bien prier, étant des âmes amies de Dieu. Si un père, malgré son tendre amour pour son fils, le tenait en prison, en punition d’être tombé en quelque faute, le fils alors, ne serait certes pas en situation de prier. Mais pourquoi serait-il incapable de prier pour les autres, avec l’espoir d’obtenir ce qu’il demande, sachant l’affection que lui porte son père ? Les âmes du purgatoire étant ainsi très aimées de Dieu et confirmées en grâce, il n’existe aucun empêchement leur interdisant de prier pour nous[71].  

 

QUESTION 17 : Les effets des trois purgatoires qui suivent la parousie du Christ 

A propos des effets du purgatoire, trois questions sont posées:

Article 1 : Le péché véniel comme péché véniel est-il expié par souffrances du purgatoire ?

Article 2 : Les flammes du purgatoire libèrent-elles de la peine due au péché ?

Article 3 : Les âmes du purgatoire sont-elles délivrées plus vite les unes que les autres ?

 

Article 1 : Le péché véniel comme péché véniel est-il expié par souffrances du purgatoire ? 

Objection 1 : La Glose semble le nier : «Ce qui n’a pas été amendé en cette vie, c’est en vain qu’on en demande le pardon après la mort. »  

Objection 2 : Tomber dans le péché et en être délivré sont corrélatifs. Or, l’âme, après la mort, ne peut plus commettre de péché véniel. Elle ne peut donc pas davantage en être absoute.  

Objection 3 : Saint Grégoire dit que l’âme sera, au jugement, telle qu’elle est sortie du corps, car l’arbre demeure où il est tombé. Si donc elle avait le péché véniel, au sortir de ce monde, elle l’aura encore au jugement, et le purgatoire ne l’aura point expié.  

Objection 4 : Le péché actuel n’est effacé que par la contrition. Mais, après cette vie, il n’y a plus de contrition, qui est un acte méritoire, puisque alors on ne peut plus ni mériter ni démériter, selon le principe posé par saint Damascène : «La mort est pour les hommes ce que fut la chute pour les anges. » 

Objection 5 : La cause du péché véniel, c’est le foyer de convoitise; aussi, dans l’état primitif, Adam n’aurait pu pécher véniellement. Mais la convoitise, dont le foyer, justement appelé «la loi de la chair », est détruit par la mort, n’existe plus dans l’âme séparée. Le péché véniel n’y peut donc plus être, ni non plus être expié par le feu du purgatoire.  

Objection 6 : D’après le Père Marie-Eugène de l’enfant-Jésus, le purgatoire est source de deux effets : -1) une purification morale qui amène la personne à se refuser à toute infidélité volontaire, vénielle ou mortelle -2) un retournement psychologique qui adapte les facultés aux emprises de plus en plus aisées de la charité. Or ces deux effets ne concordent pas avec ceux énoncés dans la réponse.

 

Cependant : L’autorité de l’Église enseigne à travers le pape Innocent IV[72] : «Les orthodoxes grecs eux-mêmes croient et affirment en toute vérité et certitude que les âmes de ceux qui meurent après avoir reçu la pénitence, mais sans l’avoir accomplie ou qui meurent exempts de péchés mortels, mais avec des péchés véniels et minimes, sont purifiées après la mort et peuvent être aidées par les prières de l’Église. » Donc les péchés véniels sont remis au purgatoire.

 

Conclusion : Certains auteurs ont prétendu que, dans l’autre monde aucun péché, comme péché, n’était remis. Nous avons montré que cette opinion ne peut convenir selon la lettre des Ecritures[73] : «Tout péché et blasphème sera remis aux hommes (. . . ) dans ce monde et dans l’autre sauf le blasphème contre le Saint Esprit. » Elle ne convient pas non plus selon son esprit : il serait aberrant d’affirmer que celui qui s’endort le soir en ayant omis de demander pardon pour un péché serait damné sans rémission possible s’il venait à mourir dans son sommeil. Dieu nous a manifesté suffisamment à la croix que son amour n’est pas un piège.

Nous avons montré d’autre part qu’il est impossible qu’après la mort, lorsque le pécheur repentant s’est tourné vers Dieu, il subsiste en lui un seul péché véniel volontaire. Le péché mortel a, quant à lui, disparu complètement. C’est la conséquence première de toute conversion à la charité. L’âme est en effet toute tournée vers Dieu et rien, aussi bien dans ses intentions que dans ses actes intérieurs n’est fait en dehors de Dieu. Cette vie spirituelle s’accomplit d’une manière nouvelle car, avec la dissolution du corps, le foyer du péché conséquence du péché originel, a disparu. Il ne reste donc plus dans l’âme que des vestiges de son ancienne vie de péché, à savoir des orientations vicieuses de la volonté qui, ayant cherché pendant trop longtemps son propre bien, a du mal à se livrer entièrement et simplement à l’amour de Dieu et du prochain. Ces habitus vicieux de la volonté n’affectent pas ses intentions mais seulement la qualité de l’exercice de ses actes. Il s’agit d’un désordre involontaire dans l’âme. Celle-ci voudrait bien aimer d’une façon totalement spontanée mais elle n’y peut rien changer. Seul le temps du purgatoire pourra, lentement et dans le Saint Esprit, réaliser cette oeuvre divine. Il s’agit donc d’un péché véniel passif et non volontaire. C’est lui qui, comme tel, est détruit par les souffrances du purgatoire.

Dans le purgatoire, une autre purification doit être réalisée avec celle de la volonté : l’intelligence aussi, marqué par la vie le péché, peut avoir du mal à comprendre d’une manière pratique les exigences d’une vie tout orientée dans le sens de la charité. Nous avons montré que, dans le moment de la mort, l’intelligence perçoit dans l’apparition glorieuse du Christ, tout ce qui lui est nécessaire pour l’orientation définitive qu’elle aura à effectuer vers le Bien ou vers le mal. Cette connaissance est spéculative au sens littéral du mot (speculum) puisqu’elle est vue comme dans un miroir dans le Christ. Il se peut cependant qu’elle n’ait pas converti entièrement l’intelligence pratique. Celle-ci, peu familiarisée avec les exigences d’un amour absolu, peut avoir des difficultés à en percevoir toutes les implications délicates. Seul l’apprentissage réalisé dans le temps du purgatoire, peut arriver à la faire progresser de demeures en demeures, jusqu’à la rendre totalement et aisément obéissante à Dieu. [74]

 

Solution 1 : Cette glose est à prendre avec prudence. Elle tend à montrer qu’en enfer les âmes demandent pardon à Dieu mais que celui-ci se montre sourd à leurs appels. Nous avons montré qu’aucune âme ne demande jamais pardon à Dieu en enfer. Si, par hypothèse impossible, cela se produisait, Dieu comblerait aussitôt cette âme de la grâce de son amitié. Tout le mystère de la croix signifie et révèle cette disposition de Dieu qui pardonne tout péché dès qu’il est regretté.  

Solution 2 : Il faut distinguer le péché véniel actif qui est volontaire (comme lorsque par exemple, voulant aimer Dieu et le prier, on se complait malgré tout dans des distractions à l’oraison) du péché véniel passif qui n’est pas volontaire mais peut-être constitué par n’importe quelle imperfection des actes moraux. Si le foyer du péché disparaît avec la mort, les habitus vicieux de l’intelligence et de la volonté peuvent demeurer, même après la conversion.  

Solution 3 : Après la mort et la manifestation du Christ, l’âme demeure pour toujours semblable quant à l’orientation de son intention comme nous l’avons suffisamment montré. La disparition des péchés véniels ne change pas l’état de l’âme, car ils n’enlèvent ni ne diminuent la charité qui est la mesure de sa valeur surnaturelle. Donc, qu’ils soient remis ou non, l’âme demeure la même.  

Solution 4 : Après la mort, l’âme ne peut plus mériter quant à la récompense, essentielle. Mais tant que l’homme n’est pas au terme, il peut mériter par rapport à quelque chose d’accidentel; c’est ainsi que, au purgatoire, il peut y avoir des actes qui méritent la rémission du péché véniel.  

Solution 5 : Le péché véniel a son principe dans le foyer de convoitise mais il a sa consommation dans l’esprit. Il peut donc y demeurer, même après que le foyer a été détruit.  

Solution 6 : Il s’agit ici des effets de la purification telle qu’elle est accomplie ici sur la terre dans les sommets de la vie mystique (sixième demeure). En effet, arrivé à ce degré d’union à Dieu, le chrétien n’éprouve plus d’attraits pour le péché. Sa volonté est tournée tout entière vers l’unique recherche de l’amour de charité. C’est le premier effet cité par le père Marie-Eugène de l’Enfant Jésus. Quant au retournement psychologique, il correspond à une modification de l’action de Dieu qui, compte tenu des purifications précédentes, peut s’exercer selon un mode nouveau : Dieu, dans cet état, commence à infuser ses lumières à l’esprit directement sans passer par les sens qui, habituellement nourrissent l’intelligence par l’apport des images.

A l’heure de la mort et lorsque l’âme se tourne vers le bien, ces deux purifications sont réalisées instantanément : 1) La conversion radicale qui accompagne la vision de la gloire du Christ et de ses saints ne permet plus de croissance de l’amour tant l’esprit se trouve aspiré selon toutes les forces dont il est capable et d’un seul coup vers les biens éternels. C’est pourquoi il ne peut plus exister de péché volontaire ni véniel ni mortel au purgatoire. 2) Quant au retournement psychologique, il accompagne avec nécessité la mort du corps puisque l’âme se trouvant séparée de son corps ne peut plus exercer ses activités spirituelles avec l’aide des images qui ont disparues. Nous avons montré que l’intelligence s’exerce alors selon le mode des anges. La seule purification possible ne concerne donc pas la croissance de l’amour mais seulement la simplification de son élan.

 

Article 2 : Les flammes du purgatoire libèrent-elles de la peine due au péché ?[75] 

Objection 1 : On purifie ce qui est souillé. Mais peine n’est pas synonyme de souillure. Elle ne saurait donc être effacée par le purgatoire.  

Objection 2 : Le contraire n’est purifié que par son contraire. Comment la peine du purgatoire pourrait-elle donc purifier de la peine due au péché ? 

Objection 3 : A propos du feu dont parle saint Paul, et qui consume le bois, le foin, le chaume, symboles des péchés véniels, la Glose dit : «Ce feu est celui de l’épreuve et de la tribulation, dont il est écrit : La fournaise éprouve les vases du potier. » L’expiation consiste donc dans les peines de la vie, surtout dans la mort, la plus grande de toutes, et non dans le feu du purgatoire.  

Objection 4 : Le fait de subir la peine due à son péché ne semble pas obligatoire, à cause de la miséricorde de Dieu qui peut la remettre en regard des souffrances du Christ qui ont amplement satisfait pour le péché du monde entier. Donc les flammes du purgatoire ne sont pas nécessaires pour délivrer de la peine due au péché.

 

Cependant : Matthieu 5, 25 : « Hâte-toi de t'accorder avec ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que l'adversaire ne te livre au juge, et le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison. En vérité, je te le dis: tu ne sortiras pas de là, que tu n'aies rendu jusqu'au dernier sou.  » 

 

Conclusion : Avoir fait le mal, s’être comporté égoïstement, avoir nui à Dieu et au prochain, tels sont les motifs essentiels de la contrition qui règne en purgatoire concernant la considération de la vie passée. Mais il existe une circonstance particulière de la souffrance, pour celui qui s’est converti au vrai Dieu. Il s’agit de l’orgueil. Il augmente la durée et la souffrance de cette purification. Lorsqu’un grand pécheur qui s’imaginait parfait devant Dieu et les autres durant sa vie terrestre, découvre le véritable état de son âme dans la lumière de la Parousie du Christ, il n’en reste pas moins structurellement porté à la fierté. Malgré sa conversion à l’humilité et à l’amour, il a tendance, dans la nouvelle disposition qui motive son zèle pour Dieu, à s’imposer avec rigueur un purgatoire douloureux. Il s’applique à lui-même la dureté qu’il appliquait aux autres selon cette parole de Jésus[76] : « Ne jugez pas, afin de n'être pas jugés; car, du jugement dont vous jugez on vous jugera, et de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous. Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'oeil de ton frère? Et la poutre qui est dans ton oeil à toi, tu ne la remarques pas! »

C’est pourquoi, parmi tous les purgatoires, le plus rigoureux n’est pas celui des luxurieux mais celui des hommes qui ont manqué de miséricorde envers le prochain. Le payement de la dette de peine pour le péché se fait pour ces hommes jusqu’au dernier denier, non à cause d’une rigueur divine, mais à cause de la rigueur que s’applique le pécheur lui-même. Il ne comprend qu’avec difficulté que la miséricorde le concerne aussi. Il trouve juste de s’appliquer à lui-même la dureté qu’il appliquait aux autres jusqu’au jour où, usé d’attendre, il appelle sur lui-même les indulgences du Messie.

 

Solution 1 : La dette du péché ne comporte pas de souillure par elle-même, mais par le péché qui en est la cause.  

Solution 2 : La peine n’est pas contraire à la peine comme telle, mais comme dette, car, on reste débiteur tant qu’on n’a pas subi la peine dont on est redevable.  

Solution 3 : Les mêmes expressions scripturaires peuvent renfermer plusieurs sens. Le «feu » dont il s’agit ici peut désigner les souffrances de ce monde ou celles de l’autre monde, qui, les unes et les autres, purifient du péché véniel, tandis que la mort, comme simple phénomène naturel, si elle n’est pas offerte comme une pénitence, peut tout de même par le tremblement qu’elle inspire, conduire à plus d’humilité et disposer l’âme au salut.  

Solution 4 : La peine due au péché peut être remise par Dieu après la mort en ce sens que le défunt n’est pas obligé de l’accomplir lui-même. Mais il est nécessaire qu’elle le soit par un autre qui lui est uni dans la charité et qui peut par ses sacrifices rétablir l’ordre qui a été brisé. Cet autre peut être le Christ lui-même à cause des mérites de sa croix ou les vivants par l’offrande de prières, d’aumônes ou de sacrifices. Le fait que Dieu ne néglige pas cette dette tient à sa droiture qui ne néglige rien de la vérité. [77]

Article 3 : Les âmes du purgatoire sont-elles délivrées plus vite les unes que les autres ? 

Objection l : Plus grave est la faute et grande la dette, plus la peine infligée en purgatoire est sévère. Et cette proportion exige que pour une faute plus légère l’âme reçoive une peine moins sévère. Il semble que, dans ce cas, l’âme subira moins intensément la douleur due au feu. Et c’est cette différence d’intensité dans la souffrance qui explique la diversité proportionnelle des peines du purgatoire. Donc les âmes du purgatoire n’en sont pas délivrées plus tôt les unes que les autres.  

Objection 2 : Au ciel et en enfer, tous les mérites et tous les démérites ne sont pas égaux; cependant la durée est la même. Il doit donc en être ainsi au purgatoire.  

Objection 3 : Au purgatoire, il n’y aura plus de temps puisque le corps aura disparu. Parler d’une durée de la purification parait donc illusoire. Alexandre VI a condamné la proposition selon laquelle le purgatoire ne pouvait durer plus de dix ans[78]. Nous connaissons la relativité de la durée temporelle. Nous ne pouvons pas répondre par nos catégories spatio-temporelles qui sont purement humaines. L’acte de la mort échappe à toutes nos mesures ainsi que l’acte de purgation.  

«L’homme n’a pas seulement un temps physique, mais aussi un temps anthropologique. Nous référant à Augustin, appelons «temps mémoire» ce «temps humain ». Ajoutons que ce temps-mémoire est caractérisé par la relation de l’homme au monde corporel, sans être complètement lié à ce monde et sans non plus qu’on puisse totalement l’en détacher. Ce qui veut dire que lorsque l’homme sort du monde biologique, le temps-mémoire se dissocie du temps physique et subsiste comme temps-mémoire pur, sans pour autant devenir «éternité ». Là se trouve la raison du caractère définitif de ce qui s’est accompli en cette vie et de la possibilité d’une purification comme d’un ultime destin à courir dans une nouvelle relation à la matière. C’est la seule explication qui permette de considérer la résurrection comme une possibilité nouvelle offerte à l’homme, voire comme une nécessité à laquelle il lui faut s’attendre. »[79]

 

Cependant : Saint Paul compare les péchés véniels «au bois, au foin et au chaume. » Or il est évident que le premier met plus longtemps à se consumer. Donc il y a des péchés véniels qui seront punis plus longtemps que d’autres en purgatoire.

 

Conclusion : Pour comprendre la durée du purgatoire, trois choses sont à considérer :

1) la nature du péché véniel qui reste à purifier; 2) l’intensité du feu qui purifie. 3) La dette des péchés passés de la vie terrestre.

1- Pour le premier point, il faut dire ceci : certains péchés véniels sont plus adhérents, selon que l’âme s’y porte avec plus de penchant et s’y attache avec plus de force. Or ce qui imprègne plus profondément exige aussi plus d’efforts pour être enlevé. C’est pourquoi certaines âmes du purgatoire exigent de passer par une plus profonde purification, dans la mesure où le péché véniel a pénétré davantage dans leurs affections.

2- Pour le deuxième point, il faut dire ce qui suit : l’intensité du feu qui purifie se mesure à l’intensité de la charité qui porte l’âme à souffrir de l’absence provisoire de Dieu. Il est donc évident que l’âme qui aura reçu de Dieu en cette vie la charité à un degré de participation plus excellent souffrira davantage de l’absence de Dieu et sera donc plus rapidement purifiée par le feu de ses restes d’attachement à elle-même.

3- Pour le troisième point, il faut dire ce qui suit : L’homme qui fut miséricordieux sur la terre a tendance à demander miséricorde pour ces dettes et à l’obtenir des mérites de Jésus-Christ et des saints. Au contraire, celui qui sur terre s’est montré dur avec les autres à tendance à s’appliquer, dans le zèle nouveau de sa conversion,  la même rigueur qu’il appliquait aux autres. Sa purification est donc plus longue parce que sa charité met plus de temps à devenir miséricordieuse.

De tout cela on doit conclure qu’il est impossible de calculer la durée du purgatoire. Trop de critères sont en jeu. «On voit que dans ce contexte, tout le calcul fait sur une réduction de la durée n’a aucun sens. La conversion est une réalité intérieure à la personne, et par conséquent, rien d’extérieur à elle ne peut changer à sa situation. »[80]

La seule chose certaine est qu’au terme, la charité de tout homme est devenue douce et humble, à l’image de celle du Christ.

Quelques règles simples peuvent pourtant être établies. 1- Le purgatoire de ceux qui péchèrent par orgueil et dureté est plus long que celui de tout autre péché. C’est pourquoi Jésus fut dur avec les pharisiens et miséricordieux avec les prostituées. L’homme qui sur la terre fut pécheur mais humble, c’est-à-dire confessant de ses péchés passe certes par le purgatoire mais celui-ci est rapide, à l’image de celui du bon larron. 2- A degré égal de purification, les âmes qui aimeront davantage Dieu souffriront d’un purgatoire plus court mais plus douloureux que celles qui l’aiment moins. 3- De même, à degré égal de charité, les âmes qui seront davantage attachées par les restes du péché souffriront plus longtemps que celles qui le sont moins.

 

Solution 1 : La grandeur de la peine correspond proprement à la grandeur de la faute mais sa durée correspond à la profondeur de la pénétration de celle-ci dans l’âme. De même qu’il est plus facile de brûler du foin que du bois, de même il est plus facile de purifier un léger attachement à soi. La durée de la peine correspond aussi à l’intensité du feu appliqué à l’âme, car un feu plus brûlant détruit plus vite les impuretés qu’un feu de faible chaleur.  

Solution 2 : Le péché mortel qui mérite l’enfer et la charité qui mérite le ciel sont, après la mort, enracinés dans l’âme à jamais. C’est donc pour tous les damnés et tous les élus la même durée sans fin. Mais il en va autrement du péché véniel qui est nettoyé en purgatoire d’une façon temporaire.  

Solution 3 : Il n’y aura plus de temps au purgatoire en ce sens qu’il ne sera plus mesuré par le mouvement régulier des corps célestes. Mais il demeurera un temps intérieur, mesuré de la durée des opérations vitales. La durée intérieure existe déjà sur terre, comme on le voit chez ceux qui s’ennuient et qui considèrent quelques minutes comme si c’était des heures. De même, au purgatoire, le temps paraîtra plus long à ceux qui désireront davantage Dieu puisque leur désir de le voir les tourmentera davantage. Et comme dans l’au-delà, la durée intérieure est ce qui est essentiel, on doit dire que le temps extérieur de leur peine leur sera indifférent; pour un péché égal, que le purgatoire ait un temps terrestre qui dure quelques minutes ou des années, il leur paraîtra avoir duré intérieurement très longtemps, selon la mesure de ce qu’ils devaient souffrir. Un texte de l’Evangile de saint Luc peut commenter la situation de la personne qui se retrouve seule face à l’amour essentiel qui l’a passionnément recherchée[81] : «Comme il était encore loin de son père il l’aperçut et fut pris de pitié*. Il courut se jeter à son cou et le couvrit de baiser » (* littéralement : pris aux entrailles).


NOTES

[1]La Tradition chrétienne parle encore du feu du purgatoire, de l’endroit où il serait situé, et de la durée des peines que les âmes justes y endurent. Rien cependant n’a été défini par l’Église à propos de ces divers points. Bien plus, on peut affirmer que ces termes, selon le sentiment commun des théologiens, ne doivent pas être entendus ici comme désignant ce qui y correspond dans notre expérience humaine actuelle. Le concile de Trente, d’ailleurs, a condamné avec une particulière rigueur toute curiosité indiscrète concernant ces questions difficiles. La prudence demande donc qu’en matières on n’accepte qu’avec réserves des récits ou des spéculations où l’imagination aurait plus de part que la raison, et qui, peut - être, seraient inspirés par des préoccupations peu conformes à l’esprit chrétien.

L’intention de l’Église cependant n’est pas d’interdire aux théologiens de scruter par la raison certains aspects de ce point de notre foi. C’est ce que nous voudrions faire dans cette note à propos de la durée des peines du purgatoire, et de son rapport aux suffrages offerts par les fidèles pour le soulagement des âmes qui y souffrent. RATZINGER J, La mort et l’au-delà, p. 228.

Voir dans la Somme de Théologie : Satisfaction. En quoi consiste la satisfaction. sup. q. 12. - De sa possibilité. sup. q. 13. - De sa qualité. sup. q. 14. - Des choses par lesquelles on satisfait. sup. q. 15 - Des suffrages. Des suffrages des morts. sup. q. 74. purgatoire. Les âmes des fidèles qui n’ont pas été purifiées ici - bas sont purifiées par le feu du purgatoire. sup. q. 69, 2. c. et 7. c. et q. 100. 1, c et ad 2. - Si le feu du purgatoire est localement séparé de celui de l’enfer. sup. q. 100. 5. La moindre peine du feu du purgatoire surpasse toutes les peines de cette vie. Sup. q. 100, 5. o. - Les âmes supportent les peines du feu du purgatoire d’une volonté conditionnelle selon qu’elles n’arriveront pas à la béatitude sans passer par ces souffrances. sup. q. - 100. 4. o; - La justice divine purifie les âmes des fidèles par le seul feu du purgatoire sans le ministère des démons.

[2] Les traits essentiels de la doctrine catholique du purgatoire ont été définitivement fixés par le Magistère ecclésiastique à l’occasion des controverses avec les Arméniens et les Grecs schismatiques au XIVe et au XVe siècle, et par la condamnation des erreurs de Luther en 1520. Ils se ramènent aux deux points suivants repris par le concile de Trente :

I) L’âme du juste, à sa séparation d’avec le corps au moment de la mort doit subir une peine qui la purifie des suites de ses fautes, Denzinger 840);

2) Les suffrages des fidèles peuvent être appliqués à ces âmes pour les aider dans cette purification (Denzinger 983. )

A propos des longues controverses sur l’existence du purgatoire, on peut consulter :

1. A. Michel, purgatoire, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. 13, col. 1247.

2. Denzinger Bannw, Enchiridion, n. 456. - G. Dumeige, La foi catholique, n. 957.

3. Contre errores Graecorum, II, 29; Opera, éd. Vivès, t. XXIX, 372.

4. H. Jedin, Brève histoire des Conciles 1960, p. 179.

5. Denzinger Bannw, Enchiridion, n. 464. - G. Dumeige, op. cit, p. 35. - Voir les remarques d’A. Michel, purgatoire, D. T. C. , t. 13, col. 1249 - 1250.

6. Denzinger Bannw, Enchiridion, n. 534 - 535. - A. Michel, loc. cit, col. 1250.

7. J. Gill, Le Concile de Florence, trad. Jossua, 1964. - H. Jedin, Brève histoire des conciles, 1960, p. 114 - 116.

. M. Jugie, purgatoire dans l’Église gréco - russe, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. XIII, col. 1326 - 1352.

Le dogme du purgatoire et la théologie le concernant est l’aboutissement d’une longue réflexion théologique commencée avec le livre des martyres d’Israël. A ce sujet, on peut consulter : II Macchabées 12, 43 - 46.             

. Tertullien, De corona, 3, 4; De monogamia, 10, 4; De anima, LI, 6 (Corp. Script. Lat, II, 1043, 1243) 857. )

. Passio saint Perp, VII - VIII; r. L, 3, 34 - 36 ou mieux « Texts and studies », I, 2, p. 72.

. Cyprien, Ep, I, 2; LX, 5, éd. Bayart, I, p. 3, p. 293.

. Ambroise, De obitu Théodosi, 37; Ep, 39, 4; De Excessu fratris, II, 2 (P L, 16, 1397; 1099, 1315. ) - Grégoire de Nazianze, Orat, 7, 17; p. G, 35, 776.

. Jean Chrysostome, In Act. Apost, hom. 21, I, 4; r. G, 60, 169; In Ep. ad Philip, 3, 4; p. G, 62, 203.

. Epiphane, Haeres, 75; p. G, 42, 513 B.

. Augustin, Serm. 172, 2; p. L, 38, 936; Enchiridion, go; p. L, 40, 283; De cura gerenda pro mortuis, 3 - 6; p. L, 40, 593 - 596; Confess, 9, 35; p. L, 32, 777 - 778

Grégoire le Grand, Dialogues, 45; p. L, 37, 421. - Cf. Beringer, Les Indulgences, I, 1925, p. 547.

. Isidore de Séville, De eccl. officiis, I, 18, II; p. L, 33, 757 A.

Didascalie, fragm. de Vérone, dans Cabrol et Leclerc, Monumenta ecclesiae liturgica, t. I, 2e partie, p. 238.

. Institutions apostoliques, 8, 42 (éd. Funk, I, 552 - 554. )

. Sacramentaire de Sérapion, apud Funk, Didascalia et Const. Apost, II, 246. - Cf. A. Michel, purgatoire, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. 13, 1209.

. Références dans A. Michel, purgatoire, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. 13, 1207 - 1210; 1348 - 1352, 84;

. Hefele - Leclercq, histoire des conciles, t. II, p. 455 (Vaison, Can. 2), p. 466 (Arles, II, can. 12), 1135 (Orléans, II, can. 15); t. 3, p. 180 (Braga, can. 16), p. 219 (Auxerre, can. 17. )

. E. Mangenot, Feu du jugement, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. 5, 2239.

. Joël, 2, 3; Isaïe, 34, 9 - 10;66, 15 - 16; Michée, I, 4; Ps. 97, 3, etc.

. Matthieu 3, 7 - 12.

. Origène, In Num, hom. 25, 6; p. G, 12, 770; In Luc, hom. 14, hom. 72iIV; p. G, 13, 1836, 1861 - 1865 (saint C, XXIX, p. 486; LXXXVII, p. 225, 327. )

. Basile, In Ps, 7, 2; p. G, 29, 232 A; De Spiritu sancto, 15, 36; p. G, 32, 132 C - Grégoire de Nazianze, Orat, 7, 21; p. G, 35, 781. - Grégoire de Nysse, Adv. eos qui differunt Bapt, p. G, 46, 428 AB.

. Jean Chrysostome, In Ep. ad Philip, hom. 3, 4; p. G, 62, 203 - 204.

 Cyrille de Jérusalem, Catech. 15, 21; p. G, 33, 900.

. Catech. myst, 5, I0; p. G, 33, 1116 - 1117.

. Théodoret, In I Corinthiens, 3, 15; p. G, 82; 249 - 252. - Cf. La dissertation de Garnier,  p. G, 84, 445 - 447.

. Cyrille d’Alexandrie, Iri goan, 15, 2; p. G, 74, 352 D,  354 A

. Eusthate, trad. latine dans Migne, Théol. cursus completus, 18, 461 - 514. - Texte grec dispersé dans Allatius, De utriusque Ecclesiae perpettua consensio, 1655, p. 319 - 580.

. Jean Damascène, De fide orthodoxa, 4, 27; p. G, 95, 1216 - 1228.

. De iis qui infide dormiendnt, p. G, 95, 248 - 277. - La Foi Catholique, Vol. 261, la légende sur la libération de Trajan.

. Cyprien, Epist, Lumen Vitae, 20, 3 (éd. Bayart, II, p. 144. )

. Jérôme, In Joel, II, I; p. L, 25, 965.

. Ambrosiaster, In I Corinthiens, 3, 13 - 15; p. L, 17, 211.

. Cf. saint Ambroise, In Ps, 36, 26; p. L, 14, 980.

. saint Hilaire, In Ps, 62, 7;11t Ps, 118, 12, 14; III Ps, 120, 16; p. L, 9, 404, 583, 660.

. Augustin, Senn. 172, 2; p. L, 38, 936 - 937; De cura gerende pro mortuis, 3; p. L, 40, 593; De Civ. Dei, 21, 24; p. L. ¢, 736

. In Ps, 80, 21; p. L, 37, 1044 - 1045.

• In Ps, 37, 3; p. L, 36, 397; Enchiridion, 69; p. L, 40, 265,

. De Civitate Dei, 26, p. L, 41, 743 - 746.

. Césaire d’Arles, Serm. 179, I; 206, 3, éd. Morin, Corpus Script. Lat, CIV, 724, 827 (Voir aussi dans les sermons pseudo aug, p. L, 39, 1946 - 1948, 2212. ) - p. Jay, Le purgatoire dans la prédication de saint Césaire, Rech. De théol. anc. et méd. », 1957, P - 9 - 14.

. Grégoire le Grand, Dial, 4, 29; p. L, 77, 365 - 366.

. Dial, 4, 25; p. L, 77, 357

 Julien de Tolède, Prognostica, II, 19 - 23, p. L, 96, 483 - 486.

 - Isidore de Séville, De ordine creaturarum, 14, p. L, 83, 947 - 950.

CONGAR - Y M J. » Le purgatoire», Le mystère de la mort et de sa célébration, (édit SM : Roguet), Paris, Cerf, 1951, pp : 279 - 3361; «Se purifier pour Voir Dieu», La Vie Spirituelle 108 n° 491 (1963. )

MICHEL A. » purgatoire», DICTIONNAIRE DE THÉOLOGIE CATHOLIQUE 13. 1163 - 1326.

Sainte THERESE DE JESUS, Œuvres complètes. Texte français par Marcelle Auclair, Paris, Desclée de Brouwer, I 964.

Sainte THERESE DE L’ENFANT JESUS, Manuscrits autobiographiques, Carmel de Lisieux, 1957.

Père Marie Eugène de l’Enfant Jésus, «Je veux voir Dieu », carmel, 1957;

saint JEAN DE LA CROIX, Œuvres complètes, Nativité de la Vierge, O. C. D. Edition établie par le p. Lucien - Mane de Saint - Joseph~ O. C. D, Paris, Desclée de Brouwer, 1959.

Poèmes mvstiques. Texte espagnol et version française. de Benoît Lavaud. Neuchatel, 1942.

«purgatoire», DBS 9. 555 - 565

Daniélou, (J. ) Origène, Paris, 1948.

[3] Apocalypse 14, 13.

[4] Lettre à Mekhitar d’Arménie, 29 septembre 1351 (DS 854), Voir aussi DS 1304, DS 1820.

Concile de Trente, Session 25, D. B, Enchiridion, 983, Trad. A. Michel, purgatoire, Dictionnaire de Théologie Catholique 1278 - 1279.

[5] 2 Macchabées. 12, 46.

[6] 1 Corinthiens 3, 15.

[7] Luc 12, 59.

[8] Lumen Gentium, 49.

[9] 1 Rois 19, 13.

[10] Matthieu 19, 25 : «Entendant cela, les disciples restèrent tout interdits : Qui donc peut être sauvé? Disaient - ils. Fixant son regard, Jésus leur dit : «Pour les hommes c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible. »

[11] Autant que faire se peut pour une créature limitée

[12] Ce que l’Écriture appelle « le baptême d’eau et d’esprit ». Jean 3, 5 Jésus répondit : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.  » De même, l’eau et le sang qui sortit du côté du Christ symbolisaient ces deux qualités. Il s’agit donc d’un mystère central de la Révélation.

[13] Voir principalement le célèbre Traité du purgatoire de sainte Catherine de Gênes. A propos des trois degrés du purgatoire, dont on peut aussi en extraire la doctrine des traités de théologie mystique (Voir par exemple la structure générale du Château intérieur de sainte Thérèse d’Avila.

[14] Traité du purgatoire.

[15] Voir Apocalypse 8, 1 : «Il se fit un silence dans le ciel, environ une demi - heure. », c’est-à-dire le temps d’une vie terrestre.

[16] Jean 20, 29. Parfois, en vue de l’humiliation et de l’humilité, la possibilité de croire lui est refusée par Dieu. La foi étant un don de Dieu, Dieu peut, provisoirement, ne pas en proposer la possibilité à un homme en vue d’une plus grande préparation de son esprit à cette proposition à l’heure de la mort.

[17] Extrait de Starmania, Michel Berger. Cette sagesse de Dieu sur les hommes de bonne volonté n’a pas disparu aujourd’hui. Il existe des justes au sens biblique du terme, des hommes droits qui n’ont pas reçu la grâce de la foi.

[18] Job 26, 5 : «Les Ombres tremblent sous terre, les eaux et leurs habitants sont dans l’effroi. »

[19] Voir par exemple Genèse 42, 38 : «S’il lui arrivait malheur dans le voyage que vous allez entreprendre, vous feriez descendre dans l’affliction mes cheveux blancs au shéol. »

[20] … qui est une sainte canonisée. Elle a en outre été reconnue par l’Église comme une réelle autorité théologique concernant le purgatoire d’un degré bien sûr inférieur à celui de l’Écriture Sainte ou du Magistère de l’Église (voir en fin d’ouvrage).

[21] Genèse 28, 11.

[22] Mgr d’Hulst, dans ses Lettres de direction, (1906, p. 154 - 156), décrit de la façon suivante les trois degrés du purgatoire. Nous ne pouvons malheureusement souscrire à ce texte puisqu’il y voit l’augmentation de l’amour. Il s’agit plutôt d’une description de la manière dont pourrait s’effectuer une purification active ici - bas :  «Je voudrais vous dire comment j’ai vu cette année le purgatoire. Au sortir de cette vie, beaucoup d’âmes, sauvées par miséricorde, sont par rapport au ciel de véritables étrangères, elles n’en savent pas la langue, elles ne sont pas vêtues comme il faut pour y entrer; elles ne sauraient pas y trouver leur place. Alors, la miséricorde les envoie se purifier. Cette purification a trois phases. La première, c’est l’humiliation. Dieu leur envoie sa lumière et elles se voient telles qu’elles sont; la confusion qui naît de là est une agonie comparable à celle de Jésus au jardin, quand il s’est vu couvert des péchés du monde. Sur la terre, ces pauvres âmes buvaient le péché comme de l’eau; maintenant elles en ont horreur et s’en voient chargées. Ce tourment dure longtemps à moins qu’il ne soit abrégé par les prières et les sacrifices qui montent de la terre. Quand ces âmes ont acquis, à leurs dépens, la vraie notion et la haine du péché, Dieu, par une seconde illumination, se montre à elles de loin dans sa beauté, et enflamme des désirs qu’elles ne se connaissaient pas. Alors elles se souviennent du temps où Dieu était tout près, où il frappait à leur porte, et où elles ne l’ouvraient pas, aimant mieux un plaisir, un hochet, un écu. Maintenant elles brûlent du désir d’aller à Lui, et c’est Lui qui s’éloigne. Ces désirs sont un supplice, mais un supplice qui purifie et prépare à l’amour. Quand la seconde oeuvre est faite, l’amour entre en scène, il pénètre ces âmes et les fait fondre sous son feu. Alors, elles se souviennent de leurs mépris, (les rebuts qu’elles lui ont infligés) et la contrition parfaite, celle des grands pénitents, celle dont elles étaient incapables à l’heure du pardon reçu ici - bas, cette contrition d’amour les envahit, les purifie et les introduit au ciel. Voilà le purgatoire avec ses trois heures d’agonie. Qui nous empêche de l’anticiper, de commencer par l’humiliation, de continuer par le désir; de finir par l’amour ? »

[23] Jérémie 4, 10. Presque la totalité des textes de l’Ecriture, ancien et nouveau Testament, qui parlent de « ce jour-là » ou du « jour du Seigneur » expriment sous forme métaphorique la Parousie du Christ et ses effets.

[24] Galates 5, 11.

[25] Luc 18, 26.

[26] 1 jean 1, 9.

[27] Vie de saint Malachie. Afin d’illustrer ce phénomène, voici quelques récits rapportés par des saints : parmi toutes les révélations que cite saint Grégoire le Grand dans ses dialogues, nous choisirons celles dont l’authenticité est à l’abri de toute contradiction. «Un pèlerin du territoire de Rodez, revenant de Jérusalem, est - il dit dans les annales de Cîteaux, fut obligé par la tempête de relâcher sur une île voisine de la Sicile. Il y visita un saint ermite qui s’informa de ce qui touchait à la religion dans son pays de France, et lui demanda en outre s’il connaissait le monastère de Cluny et l’abbé Odilon. Le pèlerin répondit qu’il les connaissait, et ajouta qu’il lui saurait gré de lui dire quel intérêt le portait à lui adresser cette question. L’ermite reprit : il y a ici tout près un cratère dont nous apercevons les cimes; A certaines époques il vomit avec fracas des tourbillons de fumée et de feu. J’ai vu des démons emporter les âmes des pécheurs, et les précipiter dans ce gouffre affreux, afin de les tourmenter pour un temps. Or, il m’arrive, à certains jours, d’entendre les mauvais esprits s’entretenir mutuellement et se plaindre de ce que quelques - unes de ces âmes leur échappent; ils murmurent contre les personnes de piété qui par leurs prières et leurs sacrifices, hâtent la délivrance de ces âmes. Odilon et ses religieux sont les hommes qui paraissent leur inspirer plus d’effroi. C’est pourquoi, quand vous serez de retour dans votre pays, je vous prie, au nom de Dieu, d’exhorter les moines et l’abbé de Cluny à redoubler leurs prières et leurs aumônes pour le soulagement de ces pauvres âmes. Le pèlerin à son retour s’acquitta de la commission. Le saint abbé Odilon considéra et pesa mûrement toutes choses; Il eut recours aux lumières de Dieu et ordonna que dans tous les monastères de son ordre, on fit chaque année, le deuxième jour de novembre, la commémoration de tous les fidèles trépassés. Telle fut l’origine de la fête des morts. »

[28] Quelques témoignages actuels : Clémence Ledoux, fondatrice de la Fraternité de Marie - Reine Immaculée et ses visions lors d’une visite du château de Versailles.

[29] Proverbes 9, 17. De nombreux textes de l’Ancien testament à propos du shéol pourraient être interprétés dans le sens de Job 26, 20 : «Les Ombres tremblent sous terre, les eaux et leurs habitants sont dans l'effroi. Devant lui, le Shéol est à nu, la Perdition à découvert. »

[30] Genèse 6, 5.

[31] 2 Pierre 3, 9.

[32] Dans l’Egypte pharaonique, on parle du corps physique, du Ka (le double) et du Ba représenté sous la forme d’un oiseau portant la tête du mort (l’esprit). Le grand et ultime voyage commence par la sé­paration du Ka spirituel du corps matériel. Le Ka est le corps double du défunt, qui sort de son cadavre. Avec lui, le Ba, âme de l’homme, est détaché de la vie terrestre et tourne déso­rienté autour du cadavre. La compatissante Isis (épouse aimante du dieu de la mort Osiris) l’ac­cueille sous ses grandes ailes affectueuses et le confie au savant dieu Anubis (représenté avec une tête de chacal) afin qu’il le réconforte et lui serve de guide et de soutien jusqu’au jugement divin. Sous forme imagée, il s’agit de la même réalité.

[33] Marc 6, 49.

[34] A propos des spéculations sur le lieu du purgatoire, on peut consulter saint Thomas, Suppl, q. 69, art. 7) et la question ajoutée sur le purgatoire, q. I, art. 2.

Cf. v g. Hugues de Saint - Victor, Summa de Sacramentis II, 16, 2; p. L, 176, 586 - 587.

Saint Thomas, Supplément Question 69, article 7, et la question ajoutée sur le purgatoire, q. I, art. 2

. Cf. - Ia, q. 8, art. 2, ad I, etc. ; Ibidem, 3, p. 241 - 243; Summa Théol, Ia Pars, q. 32, art. I, ad 2. - Cf. In libros de Caelo et mundo, lib. I, leçon 3. Opera, éd. Vives, t. 23, p. 10; Ia p. , q. 102, art. 2, ad 4; Ia p. , q. 115, art. 4; IIIa p. , q. 57, art. 4; Ia p. q. 66, art. 3; Suppl, q. 69 cependant IIIa p. , q. 52 sur la descente du Christ aux enfers.

p. de Vregille, Galilée, (Dict. apol. de la Foi catholique) ), t. 4, col. 1 57.

M. Le Bachelet, Bellarmin, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. II, col. 573.

Controverses, Opera éd. Vivès, t. 3, p. 109 - 119.

Voir l’excellent manuel allemand de Pohlle, souvent réédité : «Que le purgatoire se trouve au centre de la terre, cela est aussi difficile à prouver que de dire où se trouvent le ciel et l’Enfer », Dogmatik, 3, p. 679 - 692.

P Duhem, Le système du monde, «Histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic », t. I, 1913, p. 13 - 15.

Basile, Hom. in Hexameron, I, 4;p. G, 29, 12. - p. Duhem, op. cit, II, 396.

. Augustin, De Genesi ad litteram, II, I - 9; p. L, 34, 263 - 267.

. Augustin, Confessions, 5, 3; p. L, 32~ 707 - 708. - Augustin, De Civitate Dei, 5, 2; p. L, 41, 142 - 143.

Ambroise, In Hexameron, II, 12; p. L, 14.

. Maïmonide, Le guide des égarés, trad. Munk, t. I, p. 354 - 358; t. II, p. 183 - 195. - p. Duhem, op. cit, II, p. 141 - 146.

. X. - M. Le Bachelet, Bellarmin, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. II, col. 573.

. Controverses, Opera, éd. Vivès, t. III, p. 109 - 119. - Cf. t. I, p. 416; t. 5, p. 454 – 455.

. Anton. Rusca, De inferno et statu daemonum, Milan, 1621.

[35] Voir Question 8, article 2.

[36] A propos de la querelle origéniste sur la préexistence des âmes, on peut consulter :

F. Prat, Origène, le théologien et l’exégète, 1907, p. XL - LXI. - G. Fritz, Origénisme, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. 11, 1565 - 1588.

J. Farges, Les idées morales et religieuses de Méthode d’Olympe, 1939. - E. AknarBa, Mérhode, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. 10, 1610.

«LA FOI CATHOLIQUE», avallera, Saint Jérôme, sa vie et son œuvre, t. I, 19Z2, p. 193 - 227.

Denzinger B, Enchiridion, n. 203 - 211. - G. Fritz, Origénisme, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. 71, 1581 - 1583.

Ge Fritz, loc. cit, col. 1587. - A. d’Alès, Origénisme, D. A. «LA FOI CATHOLIQUE», t. 3, 1239 - 1240.

Communio 1990/ SCHÖNBORN C. , p. 36 - 65.

[37] Matthieu 17, 12.

[38] Origène semble bien avoir accepté l’idée d’une succession indéfinie des mondes. L’univers serait alors un chantier d’âmes, mais où l’on reprendrait sans cesse des constructions jamais achevées. G. Bardy [Origène, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. 11, 1549 - 1550] suit ici la reconstruction de Denis, qui cherche à concilier la succession indéfinie des mondes avec l’idée de finalité.

[39] L’allusion à l’unicité de la vie terrestre a été introduite dans Lumen Gentium 48 à la demande de nombreux évêques brésiliens pour s’opposer à l’idée de réincarnation

[40] Ici aussi vaut le principe selon lequel l’amour franchit le seuil de la mort. Le sensus fidei a vécu dès le début dans la certitude que nous pouvons aider de notre prière nos frères et sœurs trépassés, même lorsque leur «unique vie terrestre » est terminée car la communauté de l’amour ne cesse pas, allusion au caractère unique de notre vie terrestre.

[41] Jean 9, 3.

[42] «Il nous faut jeter, ne serait-ce qu’un rapide coup d’œil, sur les motifs historiques des stratégies actuelles de l’espérance. Car l’attente d’un monde tout à fait juste n’est pas le fruit d’une pensée technologique, mais elle a ses racines dans la mentalité judéo-chrétienne L’idée d’un cycle éternel ou d’une libération par l’entrée au nirvana a armé d’autres cultures contre le désespoir que devrait déclencher à toutes les époques le simple présent avec son cortège de souffrances et d’injustices. L’idée d’un salut définitif à venir n’est sans doute pas exclusive au monde judéo - chrétien, mais c’est clans ce milieu qu’elle a été formulée avec le plus de vigueur et d’insistance Le poids des inclinations terrestres héritées de l’Ancien Testament a entraîné la chrétienté primitive à compléter l’espérance transcendante du royaume de Dieu par l’idée d’un règne millénaire du Christ sur terre avec les premiers ressuscités » RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 218

[43] Traité du purgatoire III.

[44] Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg, Suisse, 1980, p. 34 - 35.

[45] Sacré Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre sur quelques notions d’eschatologie, 17 mai 1979.

[46] Apocalypse 19, 7.

[47] Cantique des cantiques 5, 6 - 7.

[48] 1 Corinthiens 3, 15.

[49] Vitalini Sandro, Traité de l’au-delà, Université de Fribourg - Suisse, 1980, p. 35.

[50] Cet article est de saint Thomas d’Aquin, Supplément Question 70 ter, article 5.

[51] Sainte Catherine de Gènes, Traité du purgatoire, chapitre III.

[52] Matthieu 25, 46.

[53] Psaume 10, 7.

[54] Dialogue livre 4, 43.

[55] Seule sa grâce peut nous purifier, à présent dans la mort et au - delà même de la mort, si en cette vie nous acceptons au moins de ne pas nous fermer à sa pitié. Morts dans le Seigneur, les défunts sont en sa main, et là, au terme de leur route terrestre, ils connaissent sa joie, sa vie pour nous mystérieuse. Le Seigneur parfait son œuvre et marque de l’empreinte définitive de sa beauté l’ouvrage de ses mains.

Proposition de foi des évêques français, 1978, DOCUMENTATION CATHOLIQUE, n°1073.

[56] Saint Thomas d’Aquin, Supplément Question 70, article 3.

[57] Le cardinal Joseph Ratzinger écrit : La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 226 : «Ainsi, dans l’histoire des saints, surtout de ces derniers siècles, chez Jean de la Croix, dans la spiritualité du Carmel et avant tout chez Thérèse de Lisieux, le mot «enfer »a pris une signification toute nouvelle et une toute nouvelle forme. Pour eux, l’enfer est moins une menace qu’ils brandissent contre les autres, qu’un appel à souffrir dans la nuit obscure de la foi la communion avec le Christ en tant que communion aux ténèbres de sa descente dans la nuit; à approcher la lumière du Seigneur parce qu’ils partagent ses ténèbres et servent le salut du monde en oubliant leur propre salut au profit des autres. Dans une telle spiritualité, rien n’est édulcoré de la terrible réalité de l’enfer; il est si réel qu’il pénètre dans leur propre existence. Une espérance ne peut lui être opposée que si l’on partage la souffrance et la nuit de Celui qui est venu transformer toute notre nuit par ses souffrances. L’espérance ne naît pas de la froide logique d’un système, de l’appauvrissement de l’homme, mais du sacrifice de l’innocent et de l’affrontement de la réalité au côté de Jésus - Christ. Une telle espérance ne devient pas affirmation arbitraire; elle remet sa supplique dans les mains du Seigneur et l’y abandonne. Le dogme trouve sa vraie dimension; l’idée de la miséricorde qui, sous une forme ou sous une autre, l’a accompagné tout au long de l’histoire ne devient pas théorie, mais prière d’une foi qui souffre et qui espère.  »

[58] Traité du purgatoire, chapitre VIII.

[59] Osée II.

[60] Isaïe 1, 4.

[61] Traité du purgatoire VIII.

[62] Voir Question 7 article 9.

[63] Matthieu 22, 40.

[64] Voir saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément, question 70, article 4.

[65] Sainte Catherine de Gènes, Traité du purgatoire, III.

[66] Bulle «Exurge domine », 5 juin 1520.

[67] Matthieu 25.

[68] Voir ce traité, question 9, article 7.

[69] Luc 16, 27.

[70] Saint Alphonse de Ligori : le grand moyen de la prière.

[71] Ibidem.

[72] Lettre à l’évêque de Tusculum, 6 mars 1254, p. 509.

[73] Matthieu 12, 32.

[74] L’interprétation chrétienne du purgatoire s’est donc clarifiée à nos yeux en ce qu’elle a d’essentiel. Ce n’est pas une sorte de camp de concentration dans l’au-delà (comme chez Tertullien), où l’homme devrait subir des châtiments qui lui seraient imposés d’une manière plus ou moins positiviste. C’est plutôt le processus interne et nécessaire de transformation de l’homme, par lequel ce dernier devient capable du Christ, capable de Dieu et par suite capable de s’unir à toute la communio sanctorum. Celui - là seul, qui considère l’homme de faon en quelque manière réaliste, comprendra la nécessité de cette opération qui, loin de substituer les œuvres à la grâce, assure au contraire la totale victoire de cette dernière. L’assentiment capital de la foi sauve, mais cette décision essentielle est chez la plupart d’entre nous recouverte très réellement de beaucoup de foin, de bois et de paille. Ce n’est qu`à grand peine qu’elle perce le treillis de l’égoïsme dont l’homme n’a pu se débarrasser. Il bénéficie de la miséricorde, mais il doit être transformé. La rencontre avec le Seigneur constitue cette transformation, ce feu qui, en brûlant, le métamorphose en cet être sans scorie qui peut devenir le vaisseau d’une joie éternelle. Une telle conception ne serait en opposition avec la doctrine de la grâce que si la pénitence était opposée à la grâce, alors qu’elle en est la forme : possibilité offerte qui naît de cette grâce. Ce qui est important dans l’équivalence faite par Cyprien et Clément entre le purgatoire et la pénitence ecclésiale, c’est que la doctrine chrétienne du purgatoire, qui tient sa dimension propre de la christologie, a son fondement dans la grâce christologique de la pénitence et qu’elle est une conséquence intrinsèquement nécessaire de l’idée de pénitence, c’est - à - dire de cette idée que le pardon dispose à la conversion.

RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 239.

[75] Voir chez saint Thomas d’Aquin, Supplément Question 70 ter, article 7.

[76] Matthieu 7, 1.

[77] Le cardinal Ratzinger écrit à propos de la dette de peine : «Mais, une fois de plus, se pose ici une question d’importance. Comme nous l’avons vu, la prière pour les défunts, sous ses multiples formes, appartient aux tous premiers temps de la tradition judéo - chrétienne. Or cette prière ne présuppose - t - elle pas que le purgatoire est une sorte de châtiment externe dont on serait exempté en empruntant la voie de la grâce ou que d’autres pourraient subir par une sorte de substitution spirituelle ? Quelqu’un peut il donc entrer autrement dans le processus hautement personnel de rencontre avec le Christ, de transformation de son moi par le feu de son approche ? N’est-ce pas un événement propre à tel homme, qui ne laisse place à aucune substitution, à aucun remplacement ? Toute la spiritualité des «pauvres âmes »ne repose - t - elle pas sur le fait que la souffrance de ces âmes est traitée à la manière d’un "avoir", tandis que, d’après ce qu’on vient de dire, il s’agit de leur «être », de quelque chose d’irremplaçable ? Il faut à cela objecter que l’être de l’homme n’est pas, lui non plus, une monade close, mais, par l’amour et par la haine, il est relié aux autres en qui il est présent. L’être personnel est présent dans les autres comme faute et comme grâce. L’homme n’est jamais uniquement lui - même ou plus exactement il est lui - même dans les autres, avec les autres, par les autres. Que les autres le maudissent ou le bénissent, qu’ils lui pardonnent et transforment sa faute par amour, c’est une part de son propre destin. Que les saints «jugent», cela veut dire que rencontrer le Christ, c’est être mis en présence de tout son corps, de ma faute contre les membres souffrants de ce corps et de son amour pardonnant qui émane du Christ. » L’intercession des saints auprès du juge n’est pas [. . ] une prière purement externe, dont la portée reste douteuse selon l’insondable volonté du juge; Elle est avant tout un poids interne qui, placé sur le plateau de la balance, peut la faire pencher. » Cette intercession est le seul aspect fondamental de leur «jugement »; c’est même justement par leur jugement et leur prière salvatrice qu’ils ont place dans la doctrine du purgatoire et dans la vie chrétienne correspondante. » J’espère en toi pour moi, RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 240.

[78] D. S. 2063.

[79] RATZINCER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 190.

[80] Vitalini sandro, Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg, Suisse, 1980, p. 38.

[81] Luc 15, 20.

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