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PREMIÈRE PARTIE: LA VISION BÉATIFIQUE

QUESTION 1: Les convenances de la vision béatifique_ 3

Article 1: Dieu appelle-t-il l’homme à la vision béatifique? 3

Article 2: La vision béatifique est-elle nécessaire à la béatitude parfaite de l’homme? 5

Article 3: Dans l’hypothèse où Dieu n’est pas propose la Vision Béatifique, l’homme aurait-il été heureux dans l’au-delà?  6

Article 4: Le motif ultime de la création de l’homme est-il l’entrée dans la vision béatifique? 8

Article 5: Le motif ultime de la création des anges est-il la vision béatifique? 9

Article 6: Dans l’hypothèse où Adam et Ève n’auraient pas péché, seraient-ils entrés dans la vision béatifique?  10

Article 7: Le motif ultime du retard entre le péché originel et l’incarnation du Verbe est-il de conduire le plus grand nombre à la Vision béatifique? 12

Article 8: Le motif ultime de l’incarnation et de la Rédemption opérée par le Verbe est-il de nous introduire à nouveau dans la promesse de la vision béatifique? 15

Article 9: Convenait-il que la vision béatifique nous soit donnée qu’après une vie terrestre? 18

QUESTION 1 bis: LE DESIR NATUREL DE VOIR DIEU_ 21

Article 1: L’homme possède-t-il un inconscient spirituel porté vers un bonheur sans limite (la béatitude)? 21

Article 2: Ce désir est-il un acte, ou bien une puissance, ou bien, sous différents aspects, l'un et l'autre? 22

Article 3: Ce désir a-t-il pour objet Dieu vu par son essence, ou bien Dieu en tant qu'accessible à la raison, ou bien Dieu sous la raison commune de béatitude? 22

Article 4: A-t-il pour sujet l’intellect, ou bien la volonté, ou bien, sous des aspects différents, l’une et l’autre puissance?  23

Article 5: Ce désir est-il connaissable par la raison seule, ou bien par la révélation proprement dite, ou bien à partir des effets de la révélation dans l'histoire, la prédication évangélique par exemple? 23

Article 6: En quel sens l'actuation de ce désir naturel est-elle surnaturelle? 24

Article 7: Dieu aurait-il pu ne pas accomplir ce désir, et laisser la nature humaine dans l’état de pure nature? 24

QUESTION 2: la nature de la vision béatifique_ 25

Article 1: La vision béatifique consiste t-elle à voir l’essence divine? 25

Article 2: La Vision béatifique consiste-t-elle à voir Dieu par l’intermédiaire de l’humanité du Verbe? 28

Article 3: Comment la vision béatifique peut-elle être réalisée? 30

Article 4: Dans la vision béatifique, l’homme comprend-il l’essence divine tel que Dieu la comprend? 34

Article 5: Par la vision béatifique, l’homme devient-il Dieu? 35

QUESTION 3: La cause de la vision béatifique_ 36

Article 1: l’intelligence humaine peut-elle arriver à voir Dieu par ses propres forces? 36

Article 2: L’homme acquiert-il la béatitude par l’action d’une créature supérieure? 38

Article 3: Est-ce Dieu qui réalise en nous la manifestation de son essence? 39

QUESTION 4: Le siège de la vision béatifique_ 40

Article 1: Le siège de la vision béatifique est-il la volonté? 40

Article 2: Les saints, après la résurrection, verront-ils Dieu avec les yeux du corps? 42

QUESTION 5: Les effets de la vision béatifique_ 45

Article 1: Les vertus morales demeurent-elles dans la vision béatifique? 45

Article 2: Les vertus intellectuelles demeurent-elles après cette vie? 46

Article 3: La foi demeure-t-elle après cette vie? 48

Article 4: L’espérance demeure-t-elle après cette vie? 50

Article 5: Demeure-t-il quelque chose de la foi ou de l’espérance? 51

Article 6: La charité demeure-t-elle après cette vie? 53

Article 7: Les dons du Saint-Esprit demeurent-ils dans la patrie? 53

Article 8: Les récompenses attribuées aux huit béatitudes seront-elles données dans la vision béatifique? 55

Article 9: Les fruits du Saint Esprit seront-ils des effets de la vision béatifique? 56

Article 10: Quel est le principal dans la béatitude: la délectation ou la vision? 58

Article 11: Les saints en voyant Dieu voient-ils tout ce que Dieu voit? 59

Article 12: La vision béatifique est-elle éternelle? 63

QUESTION 6: Les conditions de la vision béatifique en ce qui concerne l’âme humaine_ 65

Article 1: La lumière de gloire est-elle nécessaire pour voir Dieu? 65

Article 2: la lumière de gloire est-elle créée? 66

Article 3: La lumière de gloire est-elle un intermédiaire entre Dieu et l’intelligence? 67

Article 4: La lumière de gloire est-elle la même chose que la grâce habituelle? 68

QUESTION 7: Les conditions spirituelles requises pour être digne d’être élevé par Dieu à la vision béatifique  69

Article 1: L’entrée dans la gloire requiert-elle l’exercice du libre-arbitre? 70

Article 2: La bonne volonté est-elle requise pour entrer dans la gloire? 71

Article 3: Certaines actions humaines bonnes sont-elles nécessaires pour que l’homme obtienne de Dieu la béatitude?  72

Article 4: L’humilité est-elle requise pour obtenir la vision béatifique? 74

Article 5: Une humilité totale (kénose) est-elle nécessaire pour entrer dans la vision béatifique? 76

Article 6: La souffrance est-elle nécessaire pour entrer dans la vision de Dieu? 78

Article 7: Peut-on sans la grâce mériter la vie éternelle? 81

Article 8: La foi est-elle nécessaire à l’entrée dans la vision béatifique? 82

Article 9: Croire explicitement au mystère du Christ et de la Trinité, est-ce de nécessité de salut pour tous? 84

Article 10: L’espérance est-elle nécessaire pour entrer dans la vision béatifique? 85

Article 11: La charité est-elle nécessaire pour entrer dans la vision béatifique? 87

Article 12: Une charité parfaite est-elle requise pour entrer dans la vision béatifique? 88

Article 13: Le baptême est-il nécessaire à l’entrée dans la gloire? 90

Article 14: La vision béatifique sera-t-elle donnée à chaque homme en proportion de sa charité? 91

 

 

PREMIÈRE PARTIE: LA VISION BÉATIFIQUE

 

Nous sommes arrivés à traiter de la fin dernière de la vie humaine, celle des bienfaits que le sauveur nous a préparés. Et le bienfait principal, c’est la vision béatifique où Dieu se montrera à nous "face à face" Il s’agit de la fin de la vie immortelle, selon cette parole de saint Augustin: "Te posséder toi, ô mon Dieu, c’est être riche de tous les biens" [1]. Nous traiterons ensuite de la résurrection qui réalise jusque dans notre corps les promesses du sauveur.

 

Ce traité se divise en quatre parties:

La vision béatifique en elle-même.

Les moyens ultimes par lesquels Dieu nous conduit à la vision béatifique, au moment de notre mort, après notre mort et à la fin du monde.

La résurrection qui est la rémunération due à notre corps qui a participé à nos actes durant la vie terrestre.

Ce qui suit la résurrection, à savoir le monde nouveau, lieu du jugement général et éternel de tous sur tout.

 

Dans la première partie, nous aurons à considérer:

 

La convenance de la vision béatifique.

La nature de la vision béatifique.

Sa cause.

Son siège en nous.

Ses effets et sa durée.

Les conditions requises par l’âme pour qu’elle soit capable de la vision béatifique.

Les conditions spirituelles requises pour être digne d’être élevé par Dieu à la vision béatifique.

Dans cette première partie, je me suis efforcé de dévoiler la lumière qui permet de comprendre théologiquement absolument tout l’univers créé. Dieu a tout fait à cause d’un projet unique de son cœur: il veut communiquer (1) son bonheur infini à des créatures spirituelles (2) Il veut se montrer face à face, gratuitement, à ceux qui l’aiment (3) Or, la Vision béatifique (4), c’est le bonheur absolu, à savoir la béatitude (5).

 

Celui qui saisit le sens de ce projet de Dieu peut comprendre dans un regard simple toute la théologie chrétienne car il a saisi la source et le but de tout ce qui est.

 

 

(1) Questions 1 et 3, (2) Question 4; (3) Question 7; (4) Question 5

(5) "La croyance au Ciel, épurée mais réelle, est nécessaire pour que la terre demeure habitable et pour que l’homme soit délivre de son angoisse devant la mort. Le Ciel fait reconnaître la terre comme l’espace où se joue la comédie divino-humaine, constamment élevée au-dessus d’elle-même par un incessant jeu d’amour". [2]

 

QUESTION 1: Les convenances de la vision béatifique

 

 

Pour envisager les convenances du mystère de la vision béatifique nous nous poserons sept questions:

 

Dieu appelle-t-il l’homme à la vision béatifique?

La vision béatifique est-elle nécessaire à la béatitude parfaite de l’homme?

Dans l’hypothèse où Dieu n’aurait pas proposé la vision béatifique, l’homme aurait-il été heureux dans l’au-delà?

Le motif ultime de la création de l’homme est-il l’entrée dans la vision béatifique?

Le motif ultime de la création on de l’ange est-il l’entrée dans la vision béatifique?

Dans l’hypothèse où Adam Ève n’auraient pas péché, seraient-ils entrés dans la vision béatifique?

Le motif ultime de l’Incarnation et de la Rédemption opérée par le Verbe est-il de nous introduire à nouveau dans l’espérance de la vision béatifique?

Convenait-il que la vision béatifique ne nous soit donnée qu’après une vie terrestre?

 

 

Article 1: Dieu appelle-t-il l’homme à la vision béatifique?

 

Objection 1:

La béatitude éternelle de l’homme ne semble pas pouvoir consister dans la vision de l’essence divine car selon la parole de Denis: "le suprême effort de l’intelligence consiste à s’unir à Dieu comme à un être pleinement inconnu" Ainsi, la dernière perfection de l’intelligence ou béatitude ne consiste pas à voir l’essence divine. [3]

Objection 2:

Dieu ne peut proposer à l’homme une chose qui est impossible. Or la vision béatifique, qui consiste à voir Dieu tel qu’il est, est impossible à l’homme, selon cette parole de l’Écriture: "Nul ne peut voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre" [4]. Il semble donc que Dieu n’appelle pas l’homme à la vision de son essence.

Objection 3:

De même, l’homme ne doit pas désirer des réalités qui ne sont pas à sa portée: "oui, Dieu est si grand qu’il dépasse notre science" reconnaît le livre de Job[5]. La vision de l’essence de Dieu dépasse l’homme. L’homme ne peut donc la désirer sans courir le risque de tomber dans le péché de présomption.

 

Cependant:

Saint Paul dit aux corinthiens: "maintenant, nous voyons dans un miroir, d’une manière mystérieuse, mais alors nous verrons face à face" 1 Ce qui se voit face à face se voit dans son essence. Les saints dans la patrie verront Dieu dans son essence.

En outre, saint jean dit: "quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, car nous le verrons tel qu’il est" [6]. Nous le verrons donc dans son essence.

 

Conclusion:

C’est une donnée de la foi que la fin ultime de la vie humaine consiste en la vision de Dieu. C’est en ce sens que s’exprime le pape Benoît XII, à travers une parole solennelle et définitive "les âmes saintes aussitôt après la mort et la purification pour sceller qui en ont besoin, avant même la résurrection dans leur corps et le jugement général, entrent au Ciel, au royaume des cieux et au paradis céleste avec le Christ et les anges saints. Elles voient l’essence divine d’une vision intuitive et même face à face, sans la médiation d’aucune créature qui serait un objet de vision. La divine essence se manifeste plutôt à eux à nu, clairement et à découvert et, par cette vision, elles jouissent de cette même essence. Par cette vision et cette jouissance, les âmes sont vraiment bienheureuses et possèdent la vie et le repos éternels" [7]

 

Solution 1:

Le texte de Denis qu’on nous cite concerne la connaissance de Dieu qu’ont en cette vie ceux qui tendent à la béatitude

Solution 2:

Ce qui est impossible à l’homme n’est pas irréalisable si l’on considère la puissance de Dieu. Seules les choses contradictoires en soi échappent à la puissance de Dieu. Dieu ne peut faire par exemple que ce cercle soit en même temps carré. La vision béatifique n’entre pas dans ce genre d’impossibilité. Elle est seulement impossible relativement à a puissance naturelle de l’homme. Rien n’empêche donc que Dieu, par sa gloire, surélève les facultés de l’homme.

Solution 3:

L’homme ne peut désirer une chose qui le dépasse sauf si Dieu lui en donne l’ordre. C’est pourquoi les saints n’encouraient pas le péché de présomption quand leur désir commun attendait de Dieu la vision de son essence, selon l’exode: "Montre-moi ta gloire" [8] et le psalmiste: "montre ta face et nous serons sauvés" [9]. Bien au contraire, c’est à cause de leur très grand amour de Dieu qu’ils s’exprimaient ainsi.

 

Article 2: La vision béatifique est-elle nécessaire à la béatitude parfaite de l’homme?

 

Objection 1:

La vision de l’essence divine dépasse les capacités naturelles de l’homme. Elle dépasse donc aussi son désir naturel. Il semble donc que ces désirs naturels de bonheur peuvent être satisfaits par des biens inférieurs comme une certaine contemplation de Dieu à travers ses oeuvres, une harmonie avec les créatures spirituelles et avec l’univers.

Objection 2:

Ensuite, la perfection d’une nature supérieure est elle-même supérieure. Or la vision de l’essence divine est la perfection propre de la nature divine. Elle dépasse les aspirations de la nature humaine qui est faite pour contempler Dieu de loin. On doit donc dire que la destinée de l’homme est dans une fin moins haute[10].

 

Cependant:

La dernière et parfaite béatitude de l’homme ne peut consister qu’en la vision de l’essence divine. La raison en est que l’homme ne saurait être parfaitement heureux tant qu’il lui reste quelque chose à désirer et à poursuivre. Or, si l’homme ne voit pas l’essence divine, il ne connaît pas la Réalité qui donne raison à tout ce qu’il est et à tout ce qui s’entoure. Il reste donc en son intelligence un manque et son bonheur ne peut être plénier.

 

Conclusion:

La dernière et parfaite béatitude de l’homme ne peut être effective que si les facultés vitales qui sont en lui se reposent parfaitement dans leur objet. La perfection d’une faculté doit être appréciée d’après la nature de son objet. Or l’objet de l’intelligence est la quiddité des choses, autrement dit leur essence, ce qu’elles sont. D’où il résulte que la perfection atteinte par l’intelligence procède de la connaissance qu’elle a de l’essence des réalités. Si donc une intelligence connaît dans son essence un certain effet, mais de telle sorte que par cet effet elle ne puisse parvenir à la connaissance de la cause dans son essence même à savoir dans ce qu’elle est, on ne peut dire que cette intelligence atteigne purement et simplement la cause bien que, par l’effet envisagé, elle sache de cette cause qu’elle est. Voilà pourquoi, en raison de sa nature même, l’homme désire non seulement connaître l’existence d’une cause mais aussi la nature de cette cause, ce qu’elle est. Et c’est là un désir d’admiration ou d’étonnement qui provoque la recherche, comme il est dit au début de la Métaphysique d’Aristote. Par exemple, quelqu’un, voyant une éclipse de soleil, comprend qu’elle doit avoir une cause, et comme il l’ignore, il s’étonne, admire, et sous l’empire de ces sentiments, il cherche et son investigation n’aura de cesse qu’il ne soit parvenu à connaître l’essence même de cette cause.

De la même manière, l’intelligence humaine, quand elle connaît dans son essence un effet qu’elle sait créé par Dieu mais qu’elle ne connaît rien de ce Dieu sinon son existence, ne peut prétendre connaître en plénitude la Cause Première. Il lui reste un désir naturel de chercher à connaître cette cause. Elle n’est donc pas encore parfaitement heureuse. En conséquence, dans la parfaite béatitude, il faut que l’intelligence atteigne à l’essence même de la Cause Première. C’est ainsi qu’elle obtiendra sa perfection absolue par son union à Dieu comme à son objet puisqu’en cet objet seul consiste la béatitude de l’homme ainsi que nous l’avons dit[11].

On peut, donner une autre raison commune aux philosophes et aux théologiens: connaître intellectuellement étant par dessus tout l’opération propre de l’homme et de toute créature spirituelle. Il faut que sa béatitude consiste en la forme la plus parfaite de cette opération. La perfection de celui qui connaît en tant que tel, est l’intelligible lui-même: si dans l’opération la plus parfaite de l’intelligence l’homme ne parvenait pas à voir l’essence divine mais un autre objet, on devrait dire que l’homme est béatifié par autre chose que Dieu et puisque l’ultime perfection de chaque chose consiste dans la conjonction avec son principe, il s’en suivrait que le principe effectif du bonheur de l’homme serait autre chose que Dieu, ce qui nous semble absurde. C’est pourquoi, selon nous, on doit dire qu’il est nécessaire que l’essence divine soit vu pour qu’une béatitude parfaite existe.

Solution 1:

la réalisation de la vision de l’essence divine dépasse les capacités naturelles de l’intelligence humaine. Il existe par contre un désir naturel de connaître l’essence de Dieu, en tant qu’elle est cause de tout le monde créé et qu’elle seule peut nous en donner la parfaite intelligibilité.

Solution 2:

En ce qui concerne les degrés qu’on signale entre les natures il faut observer ceci: le mot fin se prend en deux sens:

a)      Il signifie la chose même qui est désirée et, en ce cas, la fin est la même pour la nature inférieure, votre pour tous les êtres, puisque toute chose existe pour Dieu.

b)      La fin se prend aussi pour l’entrée dans la possession de la chose, et alors la fin est différente pour la nature supérieure et pour la nature inférieure, à cause du rapport diffèrent qu’elles entretiennent avec cette chose. Ainsi, Dieu a une plus haute béatitude du fait qu’il enveloppe complètement par son intelligence sa propre essence, que l’homme ou que l’ange qui voient cette essence mais ne l’épuisent pas dans toute son intelligibilité.

 

 

Article 3: Dans l’hypothèse où Dieu n’est pas propose la Vision Béatifique, l’homme aurait-il été heureux dans l’au-delà?

 

Objection 1:

il semble que l’homme n’aurait pas été heureux. Saint Augustin affirme dans ses confessions: "Posséder toutes choses sans t’avoir, toi, ô mon Dieu, c’est être démuni de tout"

Objection 2:

être séparé de Dieu dans l’au-delà, sans espoir de le voir un jour, c’est ainsi que l’on définit l’enfer. Or il n’y a pas de bonheur en enfer. L’homme, s’il n’a pas après la mort la Vision Béatifique ne peut donc aucunement être heureux.

Objection 3:

Cette question paraît insensée. Au paradis terrestre, Dieu avait comblé Adam et Ève de la plus haute béatitude possible, exception faite bien sûr de celle que donne la vision béatifique. En conséquence, un au-delà sans vision béatifique n’eut été qu’une prolongation éternelle du jardin d’Eden.

 

Cependant:

Même sur cette terre, l’homme peut atteindre à un certain degré de bonheur. Il peut y avoir un bonheur naturel fondé sur l’amitié et une certaine contemplation de Dieu comme en parle Aristote dans l’éthique à Nicomaque. Il peut aussi y avoir un bonheur surnaturel fondé sur la grâce donnée par Dieu "je les comblerai de joie dans ma maison de prière" dit le Seigneur[12].

 

Conclusion:

La béatitude plénière, telle que nous l’avons décrite dans l’article précédant, consiste en la disparition de tous les désirs, aussi bien pour l’esprit que pour le corps de l’homme. Elle ne peut donc se réaliser que par la possession de tous les biens et surtout de celui qui les contient tous: Dieu lui-même. Mais rien n’empêche qu’il existe des degrés de béatitude qui, s’ils ne sont pas pléniers, peuvent néanmoins être de véritables bonheurs. Ainsi, Adam et Ève jouissaient dans le paradis terrestre de la béatitude la plus parfaite possible, bien qu’il leur manquât la vision béatifique. C’est vers un tel bonheur retrouvé qu’aspirent les adeptes de l’Islam.

Si Dieu n’avait pas proposé à l’homme la vision béatifique, il lui aurait préparé dans l’au-delà un bonheur à sa mesure mais il ne lui aurait pas donné le bonheur absolu qui ne peut être obtenu qu’à travers la vision, la possession et la jouissance de Dieu. En conséquence, sans ce pour quoi il est créé, l’homme aurait pu être heureux mais imparfaitement. [13]

 

Solution 1:

L’homme n’a pas besoin de la vision béatifique pour posséder, d’une certaine manière, Dieu. Il peut s’unir à lui dans l’obscurité de la foi à travers un amour de charité. Les dons du Saint Esprit et principalement le don de sagesse peuvent donner à l’homme dès cette terre une connaissance amoureuse de l’essence de Dieu. Cette connaissance, bien qu’obscure, donne une certaine béatitude.

Solution 2:

L’enfer ne consiste pas dans n’importe quelle séparation de Dieu. Il s’agit d’une séparation volontaire que l’âme damnée provoque par son trop grand amour d’elle[14].

Solution 3:

Saint Thomas a évoqué explicitement l’hypothèse de la nature pure: un homme dans l’état de nature pure n’aurait pas, après sa mort, la vision divine. Mais ce ne serait pas une sanction: autre chose est de n’avoir pas un droit, ce qui n’est qu’un manque, non une peine; autre chose d’être privé d’un droit, ce qui est une peine.

Selon lui, les enfants dans les limbes sont privés de la grâce adamique. En ce sens, l’absence des dons surnaturels a un caractère pénal. Mais saint Thomas déclare qu’en fait "ces enfants n’ont jamais été proportionnés à la vie éternelle: elle ne leur était due ni en raison des principes de la nature dont elle excède toutes les ressources, ni en raison d’un acte personnel qui aurait pu les proportionner à un si grand bien. Aussi ne souffriront-ils absolument pas de la privation de la vision divine: au contraire, ils se réjouiront de tout ce qu’ils participeront de la bonté divine dans les biens naturels". Cependant, selon saint Thomas, l’intelligence humaine ouverte à l’infini, désire connaître pleinement non seulement les créatures, mais Celui qui les a causées". C’est pourquoi, pour atteindre la béatitude parfaite, il est requis que l’intelligence atteigne l’essence même de la cause première". Il semble s’inspirer de ce texte lorsqu’il écrit, à propos des enfants dans les limbes: "Tout ce firmament ouvert au-dessus d’eux et propre à les ravir, pourra bien éveiller en eux quelque indéfinissable et exaltante nostalgie, mais non pas une souffrance". Nostalgie, non souffrance. Mais qu’est-ce qu’une nostalgie sinon une forme douce de souffrance? Même si l’amour naturel envers Dieu les faisait consentir à leur état de bonheur imparfait, cette souffrance subsisterait. Nous pouvons conclure que le thème d’une béatitude naturelle est contradictoire. En conclusion, nous pouvons dire que si le Seigneur n’avait pas proposé la vision de son essence, nous n’aurions jamais été pleinement heureux dans l’autre monde. Nous sommes faits pour voir Dieu. Loin de lui, nous brûlons. Nous montrerons ailleurs que l’hypothèse des limbes éternelles, d’origine augustinienne, est intenable face à la foi catholique.

 

 

Article 4: Le motif ultime de la création de l’homme est-il l’entrée dans la vision béatifique?

 

Objection 1:

il ne semble pas que ce soit le motif de la création de l’homme. On voit mal les raisons pour lesquelles dans ce cas, Dieu aurait imposé à l’homme l’épreuve d’une vie terrestre. Il aurait, semble-t-il, donné directement à l’homme ce pourquoi il était fait.

Objection 2:

L’expérience montre que l’homme est fait, par tout son être, pour vivre dans la société des autres hommes, pour vivre des amitiés et communiquer la vie à d’autres êtres semblables à lui. Ainsi, dans la Genèse, Dieu commande de dominer l’univers, de donner des noms aux animaux et il ne lui propose pas d’autres buts que ceux-là. Dieu n’a donc pas créé l’homme pour la vision béatifique.

Objection 3:

Dans le paradis terrestre, l’homme vivait de la présence de Dieu d’une manière surnaturelle. Dieu s’entretenait familièrement avec lui et "tout cela était bon" (Genèse I, 31° dit la Bible. Il semble que ce bonheur eût suffis pour l’éternité.

 

Cependant:

Saint Paul affirme: "Tout a été créé par lui et pour lui" [15]. Or l’homme, par son esprit, peut connaître et aimer. Son esprit trouve sa pleine réalisation dans la connaissance plénière de Dieu et dans l’amour de charité. C’est pourquoi Jésus prie le Père: "Je veux que ceux que tu m’as donné soient avec moi, pour qu’ils voient cette gloire que tu m’as donnée" [16]. Dieu a créé l’homme en vue de lui communiquer sa propre béatitude, par la vision de son essence.

 

Conclusion:

Pour le comprendre, il faut se souvenir que Dieu est par essence, la bonté[17]. Non seulement il possède toutes les perfections, dans tous les ordres, mais il trouve en lui-même sa propre finalité et sa béatitude plénière. Or la bonté a pour tendance de se communiquer. Ainsi celui qui découvre une chose bonne désire en faire partager la découverte aux autres. De même Dieu, dans sa totale liberté, veut en créant des êtres spirituels à son image, leur communiquer sa vie et sa béatitude. Or nul ne peut vivre de la béatitude d’un autre s’il n’en connaît l’objet. Il est donc nécessaire que l’homme, pour vivre de la bonté même de Dieu, connaisse son essence qui est cette bonté même. De tout cela, on peut conclure que Dieu a créé l’homme pour lui donner la vision béatifique. C’est librement que Dieu se communique à l’homme jusque dans la vision de son essence et non par nécessité de nature. Rappelons Dieu se suffit entièrement à lui-même, dans le bonheur plénier de sa vie trinitaire. Il n’a nul besoin d’autre chose que lui. S’il crée et communique à des créatures son bonheur, c’est donc par un don absolument gratuit de sa bonté.

 

Solution 1:

La vision béatifique est un bien spirituel qui présuppose une certaine amitié avec Dieu. Comme le secret qui noue l’amitié, il est indispensable qu’une confiance mutuelle s’instaure. C’est pourquoi Jésus disait aux Juifs: "quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en enfant n’y entrera pas"[18]. De même qu’on ne peut imposer une amitié, de même Dieu ne peut imposer la vision béatifique et l’amour qu’elle présuppose. L’homme doit être apte à en faire le choix. La vision béatifique ne pouvait donc être donnée à l’homme dès le premier instant de sa création.

Quant à la nécessite de la vie terrestre, elle s’impose à l’homme à cause de sa nature sensible. À la différence de l’ange qui est un pur esprit, parfait dès l’instant de sa création, l’homme devient capable de choix en développant son intelligence par étapes, en s’élevant du sensible à l’intelligible. Adam et Ève échappent bien sûr à cette loi puisqu’ils ont été créés avec les capacités adultes du choix. Cependant, même s’ils n’avaient pas péché, ils auraient mis au monde des enfants soumis à la nécessité d’avancer "en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes[19].

Solution 2:

Les activités humaines comme le travail, la vie politique et l’amitié sont elles-mêmes ordonnées par Dieu au développement des virtualités présentes en germe dans la nature de l’homme. Elles ne sont donc pas, dans le plan de Dieu, des fins en soi.

Solution 3:

Adam et Ève ne seraient pas restés éternellement dans le paradis terrestre même s’ils n’avaient pas péché. Ils ne seraient pas morts mais Dieu, au moment choisi par lui, les aurait enlevés dans la vision de son essence. Il serait venu les chercher corps et âme, d’une manière semblable à celle de la Vierge Marie lors de sa dormition et de son assomption. De même que la Vierge Marie, qui était exempte du péché originel n’a pas connu la mort et la corruption, de même Adam et Ève auraient été introduits directement dans la vision béatifique.

 

 

Article 5: Le motif ultime de la création des anges est-il la vision béatifique?

 

Objection 1:

Il ne semble pas. La bible dit à propos des anges "Dieu donnera ordre à ses anges et sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre" [20]. Les anges ont donc été créés pour être les serviteurs des hommes.

Objection 2:

Nous avons montré que Dieu a tout créé pour lui[21]. Mais les réalités créées ne sont pas toutes ordonnées à la vision béatifique. Les plantes et les animaux par exemple en sont incapables. Le but premier de la création des anges semble donc être le même que pour toutes, choses à savoir la gloire de Dieu qui se manifeste par la beauté de ses oeuvres.

 

 

Cependant:

Jésus affirme en saint Matthieu[22]: "Je vous le dis, leurs anges aux Cieux voient constamment la face de mon Père qui est aux Cieux" Donc les anges ont été créés eux aussi pour la vision béatifique. C’est pourquoi l’égalité avec les anges est promise aux saints.

 

Conclusion:

Dieu, dans la gratuité de sa bonté, a créé les êtres spirituels en vue de se communiquer à eux. Dans l’hypothèse où il existe, outre les hommes et les anges, d’autres espèces de créatures dotées d’un esprit dans l’univers, Dieu ne pourrait les avoir créés pour une finalité ultime autre. La nature même de l’esprit permet de le comprendre. L’intelligence est faite pour connaître tout ce qui est, à commencer par la cause première de tout. La volonté tend à s’unir au bien absolu, source de tous les biens. Les anges, cependant, parviennent d’une manière différente à la vision béatifique. N’étant pas lié à un corps, ils n’ont pas besoin de l’apprentissage des choses sensibles pour atteindre sa perfection naturelle. Ils sont créés parfaits et leur intelligence contient dès le premier instant tout ce qui leur est nécessaire pour leur vie. Comme les hommes, la vision béatifique ne leur est pas imposée mais proposée par Dieu comme une fin surnaturelle à laquelle il les appelle. Les anges ont donc été créés dans la foi en cette parole de Dieu les appelant à la contemplation de son essence. Ils ont reçu la grâce qui leur permettait de se tourner vers cette fin surnaturelle. Ceux parmi eux qui ont posé un acte de charité à l’égard de Dieu furent introduits immédiatement dans sa béatitude. Quant à ceux qui refusèrent Dieu, ils furent immédiatement plongés dans la solitude de l’enfer. Cette absence de délai et de réflexion sur un tel choix est possible à cause de la perfection totale et immédiate de leur jugement. Le mode parfaitement spirituel de leur nature le permettait sans aucune erreur possible donc sans aucun changement de choix.[23]

 

Solution 1:

La mission des anges par rapport aux hommes ne constitue pas le motif de leur création. Il s’agit d’un ministère qui leur fut confié par surcroît. La nécessité n’en est pas chez les anges qui trouvent leur pleine béatitude dans la vision de Dieu mais chez les hommes qui, par la faiblesse de leur nature, ont besoin d’être protégés et conduits. Cette mission leur fut cependant présentée avant leur choix. Elle constitua pour certain un motif de révolte parce qu’ils discernèrent en l’homme et surtout en la femme une créature mieux bâtie qu’eux pour l’humilité (kénose) et l’amour.

Solution 2:

Il est vrai que la création entière, par son harmonie, manifeste les perfections de Créateur. Elle est un reflet de sa gloire et c’est en se sens que s’exprime le livre de Judith: "que la création entière te serve" [24]. La parfaite harmonie des hiérarchies angéliques manifeste avec le plus d’éclat la gloire de Dieu. Mais cet ordre et cette harmonie eux-mêmes ne constituent pas la finalité ultime du projet de Dieu[25]. Saint Paul, dans l’épître aux Romains[26] l’exprime ainsi: "la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu", c’est-à-dire à l’entrée dans la vision béatifique des êtres spirituels qui aiment Dieu.

 

 

Article 6: Dans l’hypothèse où Adam et Ève n’auraient pas péché, seraient-ils entrés dans la vision béatifique?

 

Objection 1:

Il semble que si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils ne seraient pas entrés dans la vision béatifique. La liturgie de Pâques chante en effet: "Bienheureuse faute qui nous valut un tel Sauveur". Elle veut exprimer par là que Jésus par son Incarnation est venu nous apporter un bien supérieur à celui d’Adam et Ève. Ce bien ne peut être que l’espérance du Royaume de Dieu réalisée dans la vision de son essence.

Objection 2:

Adam et Ève avaient reçu le don de l’immortalité. C’est en effet par leur péché que la mort est entrée dans le monde, selon la parole de saint Paul[27]. Il semble donc qu’ils seraient restés à jamais dans le paradis terrestre. Comme l’immortalité de leur corps le leur permettait.

Objection 3:

Dans le livre de la genèse, Dieu ne donne pas à l’homme la promesse de la vision béatifique. Au contraire, après l’avoir créé, il se repose de toutes ses oeuvres. Il semble donc que, si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils seraient restés dans le jardin préparé pour eux en Éden.

 

Cependant:

Si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils auraient tout de même engendré des fils et des filles en grand nombre. La terre n’aurait bientôt pas suffis pour contenir et pour nourrir l’humanité. Elle n’était donc qu’un séjour temporaire pour l’homme[28].

 

Conclusion:

Si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils ne seraient pas restés pour toujours dans le paradis terrestre mais auraient été introduits dans la vision béatifique. La raison en est qu’ils furent créés par Dieu dans ce but, comme nous l’avons montré précédemment. Mais le mode de leur vie terrestre eut été différent. Ils auraient vécu sur terre un temps, mettant en pratique les commandements donnés par Dieu. Ils auraient résisté à la tentation du démon victorieusement, manifestant ainsi leur totale soumission à la volonté de Dieu. Ils auraient gardé intact le don originel qui les unissait d’une manière familière à leur Créateur et les conséquences qui en découlaient dans leur âme, dans leur corps et sur la nature entière[29]. Ils auraient mis au monde des enfants auxquels ils auraient transmis la grâce originelle et ses effets. Ceux-ci auraient à leur tour subi la tentation de l’orgueil suggérée par le serpent et auraient choisi librement de rester unis à Dieu ou au contraire de s’en détourner.

Pour comprendre la manière dont Adam Et Ève et leur descendance auraient été introduits dans la vision béatifique, nous avons un modèle dans la nouvelle Ève, la Vierge Marie. Comme Ève, la Vierge Marie fut conçue d’une manière immaculée mais elle sut conserver durant toute sa vie terrestre ce don de Dieu. Ayant remporté un triomphe total sur le péché et ses suites, elle a obtenu, comme le couronnement suprême de ses privilèges, d’être préservée de la corruption du tombeau et, comme son Fils, après avoir vaincu la mort, d’être élevée en corps et en âme à la gloire du plus haut des Cieux. [30] Sa vie se termina donc par la glorification de son corps virginal, sitôt qu’elle fut parvenue à cette béatitude qui est réalisée par la vision de Dieu face à face. Elle est devenue spirituelle tant dans son corps que dans son âme[31].

Au sujet de la mort de la Vierge Marie, deux opinions existent: certains prétendent que la Vierge est morte vraiment, à cause de son trop grand désir de Dieu qui arracha son âme dans une dernière extase. Selon cette tradition plutôt latine, elle aurait mise au tombeau d’où son corps aurait ressuscité trois jours plus tard, à l’image de son Fils. Selon une autre opinion davantage orthodoxe, la Vierge immaculée, n’ayant pas le péché originel, ne connut pas la mort, c’est-à-dire la séparation de son âme et de son corps. Elle ne vécut qu’une mort apparente car son âme était déjà intentionnellement auprès de Dieu avant son assomption, ce qui la faisait apparaître comme morte. C’est en ce sens qu’on parle du mystère de la "dormition" de Marie et non de sa mort. Une telle tradition sur sommeil-mystérieux de Marie est plus conforme aux prérogatives de son Immaculée Conception.

La glorification de la Vierge n’en reste pas moins le modèle de ce qui se serait passé pour Adam et Ève si le péché originel ne les avait pas soumis à l’obligation de mourir.

 

Solution 1:

Quand la liturgie chante: "bienheureuse faute qui nous valut un tel Sauveur", elle ne prétend pas affirmer que Dieu a voulu introduire l’homme dans la vision béatifique grâce à son péché originel et qu’il n’en avait l’intention auparavant. Elle veut simplement montrer que si la faute originelle n’avait pas existé, Dieu ne se serait pas incarné en Jésus Christ. La Rédemption qui est la finalité de l’incarnation n’aurait pas été nécessaire[32].

Elle veut aussi sous-entendre que sans ce péché, l’homme et la femme auraient été introduits dans la vision sans qu’aucune souffrance physique ou psychologique ne soit possible de manière directe et immanente aux dérèglements de la nature humaine. Ces souffrances ne sont subies durant la vie terrestre que parce que la grâce originelle d’harmonie de l’homme avec sa propre nature et l’univers a été enlevée. Ces "croix" ont la particularité de pouvoir creuser dans le cœur de l’homme une découverte unique de sa petitesse. Leur effet est au terme d’une vie terrestre une humilité (kénose) et un désir du salut sans commune mesure avec celle de l’innocence originelle. La gloire qui en résulte après cette vie en est considérablement augmentée puisque Dieu ne se donne qu’à la mesure du désir de sa créature.

Solution 2:

L’immortalité d’Adam et Ève dans le paradis terrestre n’était que la figure de l’immortalité que Dieu avait préparée pour eux dans la gloire de sa vision. Mais s’ils n’avaient pas péché, la glorification de leur corps se serait faite sans la rupture de la mort à laquelle nous sommes aujourd’hui soumis et qui conduira Dieu à ressusciter notre chair à la fin des temps pour nous rendre la plénitude de notre nature humaine.

Solution 3:

Dieu est dit se reposer le septième jour en ce sens qu’il a cesse de produire de nouvelles créatures. Ultérieurement, en effet, il ne fit rien qui n’ait d’une manière quelconque préexisté dans les premières oeuvres[33]. La glorification d’Adam et Ève préexistait dans leur âme par la communication de la grâce habituelle qui n’attendait que son plein épanouissement dans la lumière de gloire.

 

 

Article 7: Le motif ultime du retard entre le péché originel et l’incarnation du Verbe est-il de conduire le plus grand nombre à la Vision béatifique?

 

Objection 1:

Cela paraît bien improbable: le retard dans la révélation n’a suscité que du mal selon le livre de la Genèse au point que Dieu dut prendre la décision d’éliminer les hommes de la surface de la terre[34]. Le péché s’était en effet considérablement multiplié au point qu’on peut douter du salut des hommes de cette époque.

Objection 2:

Loin de Dieu, les hommes oublièrent vite l’Évangile connu par Ève et Adam. Ils inventèrent toutes sortes de théories idolâtriques pour résoudre les énigmes de l’univers. Or l’Écriture est très sévère vis-à-vis de l’idolâtrie dont saint Paul dit quelle n’obtiendra pas le Royaume de Dieu. Il aurait donc mieux valu que Dieu vienne parler lui-même à l’homme juste après le péché originel.

Objection 3:

À travers tout l’ancien Testament, depuis Noé à Abraham, Moïse aux prophètes, on voit se développer une connaissance de Dieu toujours partielle et surtout superficielle puisque le Mystère de sa charité et de la charité que nous pouvons lui rendre en retour est caché. Souvent, Dieu est davantage connu comme un juge intransigeant que comme un véritable ami[35]. Mais le Royaume de la Vision béatifique n’est ouvert, nous le verrons[36] qu’à ceux qui l’aiment de charité. Donc le retard de l’incarnation est un grand malheur, source de la damnation de peuples entiers.

 

Cependant:

L’Écriture nous dit à propos de Dieu: "Tu sauves, Seigneur, l’homme et les bêtes" Le Seigneur, pour montrer l’incommensurable Sagesse qui règle ses actions, dit à Job: "As-tu, une fois dans ta vie, assigné à l’aurore son poste?" [37]. C’est donc que le retard dans l’Incarnation du Verbe fut utile au salut des hommes.

 

Conclusion:

Nous le verrons[38], l’entrée dans la Vision béatifique est comparable point par point à un mariage d’amour entre deux époux qui se donnent pour l’éternité. Pour se réaliser, ce mariage implique du côté de Dieu et de l’homme des conditions permettant un choix mutuel finalisé exclusivement par la personne du conjoint. Ce choix doit être pur c’est-à-dire dépouillé de tout motif autre que le bien de l’autre. Tout reste d’égoïsme et de sa première conséquence qui n’est autre que l’orgueil et l’exaltation de sa volonté propre en face de celle de l’autre rend impossible l’union béatifique des époux célestes. Cette condition est incontournable au point que le moindre orgueil et la moindre trace d’égoïsme rendent Dieu incompréhensible au présomptueux qui espèrerait le voir dans cet état.

Du côté de Dieu, ces conditions sont toujours réalisées car Dieu, dans sa simplicité, est amour. Mais du côté de l’homme, il en est tout autrement: Les premiers, Adam et Ève brisèrent leurs fiançailles avec Dieu, préférant à l’amour une indépendance fondée sur l’orgueil. Ils ne se rendaient pas compte des conséquences de leurs actes puisque, étant faits pour voir Dieu dans l’autre monde, ils se disposaient à se fixer dans le malheur de l’égoïsme éternel. Cependant, à la différence de l’ange, leur acte n’était pas définitivement lucide. Ils pouvaient donc être sauvés, avant de s’enferrer définitivement dans un orgueil impénitent. Or, la première disposition d’un amour rejeté ne consiste pas à se révéler à nouveau aussitôt. On le voit dans les couples humains. Le conjoint rejeté par son époux adonné à un autre amour, aurait beau supplier, s’humilier dans l’attente immédiate d’un retour de son conjoint, il n’obtiendrait que du mépris. Mieux vaut au contraire s’effacer et laisser l’autre vivre sa vie comme il s’entend, en espérant que la vie nouvelle dans l’infidélité sera meilleur avocat au retour. Dieu n’agit pas différemment avec nous. L’histoire de l’humanité et notre histoire témoignent de sa sagesse.

 

Dans un premier temps, il laissa l’humanité vivre jusqu’au bout de la liberté choisie par Adam et Ève. Il s’effaça et l’homme put expérimenter le malheur d’une vie terrestre sans espérance après la mort. C’est ce que nous dit Dieu en Osée[39] à propos de son épouse infidèle: "Je la conduirai au désert". Dans un deuxième temps Dieu révéla une partie de son mystère, à commencer par son existence unique et sa justice. Mais il ne révéla pas la profondeur de son amour, laissant le peuple peu nombreux qui le découvrait dans la peur de son Nom. Ainsi, au mont Sinaï, il menaça de mort celui qui, parmi le peuple, s’aventurerait à l’escalader[40]. De toute cette terreur et de l’absence de connaissance de Dieu à cette époque, il sortit beaucoup de bien pour le salut des hommes. Confrontés à l’angoisse d’une vie éprouvante et d’une mort inconnue, ils étaient disposés par ces humiliations à devenir humbles et à renoncer à l’orgueil de "leur nuque raide". L’humilité ainsi acquise dans la peur ne les sauvait pas mais les disposait à accueillir le salut proposé par l’envoyé de Dieu à l’heure de la mort.

Mais Dieu ne fit pas que préparer son salut futur par l’humilité. Il le fit aussi désirer par l’espérance. Que ce soit à travers la Révélation explicite faite aux Hébreux d’un Sauveur à venir ou celle moins explicite qui circulait dans toutes les religions, philosophies et même idolâtries du monde, il conduisait les hommes à espérer l’existence de Dieu et d’un salut futur. Cette espérance est qualifiée par le Concile Vatican II de semence du Saint Esprit. À cause d’elle, les religions dans leur ensemble ne sauvent pas mais disposent le cœur de l’homme à embrasser le salut lorsqu’il est proposé. Ainsi, comme nous le verrons[41], lorsque les hommes découvrent l’amour dont ils sont aimés par Dieu, que ce soit durant leur vie ou, pour la plupart, à l’heure de la mort, ils sont disposés par leur vie et le dépouillement de leur mort en train de s’accomplir à écouter l’Évangile.

 

Solution l:

Les souffrances de toute sorte, loin de conduire à la damnation, disposent plutôt le cœur de l’homme à l’humilité (après le péché originel). Voilà pourquoi Dieu décida de donner à l’homme la grâce qui était la cause de l’harmonie parfaite de son corps, de sa psychologie et de son esprit. Blessé dans son être, l’homme connut la souffrance physique et les pulsions de sa sensibilité. Dieu préférait le voir entrer estropié et malade dans son Royaume après la mort, plutôt que de le voir aller tout entier et en bonne santé dans l’enfer. La souffrance apparut donc dans le monde, une souffrance non seulement spirituelle (le désir de Dieu, du bonheur), mais aussi psychologique (la peur, le désespoir, l’angoisse) et physique. Ces deux dernières souffrances, tellement palpables et déchirantes, firent découvrir à beaucoup combien était réelle et misérable leur condition de créatures sans Dieu Et l’orgueil en fut diminué, dès le départ, en Adam et Ève: ils découvrirent qu’ils pouvaient être impudiques, lâches, menteurs, non seulement par choix, mais entraînés var des instincts sommeillants au fond de leur sensibilité. Leurs enfants après eux purent vivre de cette et dérisoire liberté promise par Satan, dérisoire liberté dont Freud, d’une manière exagérée, a montré les limites: liberté conditionnée, parfois déterminée par les instincts du corps, les mouvements de l’entourage social; liberté manipulée, affirme l’Église, par le rôle occulte des démons va vainqueurs et triomphants qui, le jour de la chute d’Adam et Ève, reçurent un pouvoir direct sur leur corps et leur psychisme. Il en résulta beaucoup de mal, jusqu’a aujourd’hui. Il s’agit heureusement d’un mal davantage provoqué par la faiblesse des passions et par la bêtise que par une réelle méchanceté. Peu d’hommes sont capables d’être ici-bas réellement coupable du blasphème contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire du choix parfaitement lucide et volontaire de l’égoïsme, tant la nature humaine est fragilisée. Le premier, Caïn, fils d’Adam, tua son frère Abel par jalousie, plongeant par la même occasion sa mère dans le chagrin "Tu enfanteras dans la douleur ", avait prédit Dieu. Puis l’humanité se pervertit de plus en plus malgré des cycles et des renouveaux partiels de civilisation. La préhistoire aurait beaucoup à dire en ce domaine.

 

Pendant des milliers d’années, Dieu laissa Adam et Ève, puis leurs enfants, manger jusqu’au bout les fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Dieu les laissa se diriger seuls. Il ne parlait plus. Il était comme absent de la terre. Quand un homme le cherchait, il lui répondait dans son silence qui est lumière. Il acceptait de venir habiter son cœur, mais d’une manière très différente de celle du jardin d’Éden. En effet, à ceux qui le cherchaient, Dieu ne se faisait plus aussi présent. Mais, très peu d’hommes eurent foi en lui. La bible en cite quelques-uns: Énoch, Noé. La plupart des autres, la grande masse des autres perdirent jusqu’au sens de Dieu. Confrontés à la souffrance de cette vie, ils se façonnèrent des images de Dieu, aussi fausses que désespérantes. Elles furent multiples: Certains l’imaginaient comme un Dieu cruel ou encore comme des dieux multiples et assoiffés de gloire. D’autres adorèrent Lucifer et ses démons. D’autres prétendirent que Dieu était l’univers ou encore cette statue façonnée de leurs mains ou le soleil. D’autres affirmèrent qu’il n’y avait pas de Dieu. Il se firent alors eux-mêmes leur propre dieu. Comment en vouloir à ces hommes désespérément à la recherche de solutions à leur vie dirigée vers la mort, et confrontés au silence de Dieu. La clef de la connaissance véritable, celle qui mène à la vie éternelle, était perdue, et Dieu se taisait[42]. Les hommes vécurent de ces dieux froids ou féroces. Le silence de Dieu durant ces nombreux siècles était aussi réel que terrible. Il n’y avait pas de prophètes pour parler de lui, et très peu d’hommes osaient découvrir sa présence tant on l’imaginait faussement absent ou méchant Les seules actions de Dieu que décrit la Bible, dans cette première phase de l’humanité, sont le déluge qui tua la plus grande partie des habitants de la terre, puis la destruction de la tour de Babel. En effet, lorsqu’il voyait les hommes sombrer dans le péché d’orgueil, malgré tous ces malheurs qui sans cesse les humiliaient, lorsqu’il discernait l’apparition de cette racine qui conduit en enfer, Dieu agissait. En livrant les corps à la mort, il sauvait leur âme. À Babel, où les hommes réussissaient enfin à bâtir une humanité puissante et harmonieuse (fondée sur la puissance et non sur l’amour), Dieu agit. Voyant qu’ils s’enorgueillissaient de leur oeuvre et pensaient, ainsi, devenir comme des dieux, il divisa leur cœur et leur langage. Ils ne s’entendirent plus entre eux, se firent la guerre et leur oeuvre fut ruinée. En livrant l’homme à la souffrance, à la mort, en se taisant durant des siècles, en n’agissant que pour détruire les oeuvres dont l’homme était fier, que voulait Dieu? Il voulait sauver ses enfants. Et, réellement, il les sauva en masse. Lorsque, broyés par la souffrance, leur âme quittait leur corps, elle avait été humiliée, et humiliée, elle était bien souvent devenue humble (kénose)

Solution 2:

Saint Jean Chrysostome répond à cette objection: "Donnez-moi deux attelages pour une course de chars. Que les chevaux du premier s’appellent vérité et orgueil, ceux du second hérésie et humilité. Et bien vous verrez le second attelage remporter la victoire, non à cause de l’erreur mais à cause de la de l’humilité". Il en est ainsi pour les noces de la Vision béatifique. La vérité étant de toute façon prêchée à tout homme au cours de sa vie, c’est bien sur son humilité que pourra se fonder son choix ou son refus de l’amour.

Solution 3:

Et cela répond à la troisième objection: Dieu pourrait par sa puissance faire que l’Évangile ait été proposé à toutes les nations de la terre au point que l’Église soit aujourd’hui la seule communauté religieuse vivante. Il aurait pu aussi s’incarner plus tôt mais, pour que l’humilité demeure attachée à la vérité et qu’ainsi, la vérité serve l’amour, il préfère retarder ce moment. Il est clair qu’il n’existe pas d’Église à la fois puissante politiquement et humble. Or cet orgueil est, en face de l’entrée dans la vie éternelle, un mal plus grand que l’ignorance de la vérité sur Dieu, vérité qui de toute façon est prêchée tôt ou tard.

 

Article 8: Le motif ultime de l’incarnation et de la Rédemption opérée par le Verbe est-il de nous introduire à nouveau dans la promesse de la vision béatifique?

 

Objection 1:

Il ne semble pas. Il a été montré que le motif principal de l’incarnation était de nous délivrer au péché qu’il soit originel ou actuel[43].

Objection 2:

Le Verbe s’est fait chair pour nous manifester le Père. C’est en se sens que saint Paul appelle le Christ l’image du Dieu invisible[44]. Saint Jean dit que Jésus est la manifestation de l’amour du Père[45]. Le motif premier de l’incarnation et de la crucifixion est donc de nous donner une connaissance vraie de Dieu, à savoir de rendre notre foi plus certaine et plus profonde.

Objection 3:

Saint Augustin écrit[46] "Rien n’était aussi nécessaire, pour accroître notre espérance que de nous montrer à quel point Dieu nous aimait". Il semble que le motif premier de l’incarnation et de la Rédemption soit de rendre à l’humanité son espérance.

Objection 4:

Le motif premier de l’incarnation et de la Rédemption semble être de nous donner un modèle sur lequel nous pouvons calquer notre vie car, comme écrit saint Augustin[47]: "Nous ne pouvions suivre l’homme que nous avions sous les yeux et il fallait imiter Dieu qui pour nous était invisible: afin donc de donner à l’homme un exemplaire, et un exemplaire visible, Dieu s’est fait homme"

Objection 5:

Le but ultime de la création et de la Rédemption semble être de nous réconcilier avec Dieu, de nous réintroduire dans l’amour qui nous unit à lui". Qu’a voulu Dieu, en venant à nous, sinon nous montrer son amour" dit saint Augustin[48].

 

Cependant:

Jésus dit: "la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul véritable Dieu". Or il n’y a pas de véritable[49] connaissance de Dieu si ce n’est celle de la vision de son essence. Jésus est donc venu en premier Dieu pour nous introduire dans la vision béatifique.

Le Cardinal Gouyon écrit: "Si le Fils de Dieu s’est fait homme, c’est pour nous proposer cette expérience, c’est pour nous faire connaître cette vie. Toute la prédication de sa vie terrestre, tout l’effort de l’Esprit Saint à travers l’histoire de l’Église qui est insérée dans la trame de l’histoire du monde, vise à cette connaissance et à cette expérience. L’Église -dit le Concile dans la Consti­tution qui lui est consacrée- à laquelle nous sommes tous appelés dans le Christ et dans laquelle nous acquérons la sainteté par la grâce de Dieu, n’aura sa consommation que dans la gloire céleste, lorsque viendra le temps où toutes choses seront renouvelées [50]et que, avec le genre humain, tout l’univers lui-même, inti­mement uni avec l’homme et atteignant par lui sa destinée, trouvera dans le Christ sa défini­tive perfection" [51] [52].

 

Conclusion:

Dans la nature, la causalité finale se comporte avec ordre. Ainsi, si l’on peut attribuer à une chose une finalité mais que cette finalité elle-même est ordonnée à une autre, on peut dire qu’en dernier lieu, cette chose a pour fin ce qui est le plus ultime dans l’ordre des fins. Ainsi, un homme utilise une scie dans le but de couper du bois. Mais si ce bois est lui-même ordonne au chauffage de sa maison, on dira que cet homme scie du bois pour se chauffer.

Il en est ainsi dans l’ordre de l’incarnation et de la Rédemption opérée par le Christ. Après le péché originel, l’homme s’est retrouvé dans une situation telle qu’il était soumis à l’empire du démon qui était devenu le prince de ce monde. De même l’homme était dans la servitude du péché de la gangue duquel il lui était impossible de se sortir par lui-même. En conséquence, la connaissance de Dieu était obscurcie et l’espérance de son salut avait quasiment disparu. De même, il était impossible à l’homme d’aimer Dieu avec cette amitié que confère la vertu de charité.

Le Verbe s’est fait chair, en vue de rétablir en l’homme l’image de Dieu détruite par le péché originel. Pour réaliser une telle oeuvre de Rédemption il faut

en premier lieu détruire l’obstacle qui l’empêche, à savoir le règne du démon et l’empire du péché. C’est donc là le motif fondamental de ce mystère puisqu’il détruit l’obstacle fondamental.

En second lieu, il fallait redonner à l’homme une connaissance du vrai Dieu[53]. Selon l’ordre de perfection, la libération du péché et du démon était ordonnée comme à sa fin à une connaissance plus parfaite du vrai Dieu, grâce à la suppression de la pesanteur intellectuelle à laquelle conduit le péché, donc à la pureté de la foi. C’est en ce sens que l’on peut dire, avec l’objection 2, que l’incarnation et la Rédemption sont ordonnées à la foi.

Mais la foi elle-même trouvait un certain achèvement dans l’espérance des biens promis par la bonté de ce Dieu qui se révélait en Jésus car il est plus grand d’espérer la présence de Dieu et sa grâce que de simplement le connaître. Et cela répond à la troisième difficulté.

L’espérance elle-même trouvait son achèvement dans l’amour de charité dont l’homme était à nouveau capable grâce à la Rédemption opérée par Jésus. On peut donc dire en ce sens que le motif de la venue du Christ est de nous réintroduire dans la communion avec Dieu, selon l’objection 5.

C’est pour mieux vivre de cette communion instaurée par le Christ qu’il nous laisse un modèle de la manière dont il veut que nous nous comportions, selon la quatrième difficulté car la vie vertueuse à laquelle Jésus appelle le chrétien n’a pas de sens si elle n’est mise au service de l’amour de charité selon cette parole: "Les deux commandements de la charité résument la loi et les prophètes".

Quant à la charité, elle trouve son plein achèvement dans la vision béatifique. La charité se comporte en effet comme une amitié. Or un ami ne peut se contenter d’une lointaine union affective avec son ami. Il désire une pleine union effective qui ne peut se réaliser que dans une parfaite communauté de vie impliquant une connaissance profonde de son ami et une identité de volonté. Si la charité peut réaliser déjà sur cette terre une certaine identité de la volonté de l’homme avec celle de Dieu, seule la vision béatifique peut le faire pleinement. Il est en effet impossible d’être parfaitement en union avec la volonté de Dieu qui est son essence même, si l’on ne connaît cette essence. Ainsi, la charité telle qu’elle est vécue sur terre est ordonnée à la vision béatifique qui en est la réalisation plénière.

C’est donc bien pour cette finalité ultime qu’est la vision de l’essence divine, que le Messie s’est incarné et nous a sauvé.

Pour mieux comprendre l’édifice surnaturel de la sanctification, on peut prendre l’analogie de l’union conjugale. Le but ultime en est l’union intime à travers l’amour effectif d’une vie commune source de vie. Mais, pour réaliser cette grande œuvre, plusieurs conditions sont requises. 1° Si le prétendant est en prison, il faut d’abord qu’il en sorte (L’emprise du démon); 2° Il faut qu’il connaisse l’existence de l’autre et quelque chose de lui, ce qui correspond à l’enseignement du Christ et au contenu de la foi; 2° Il faut ensuite avoir un certain espoir de ce futur mariage ce qui est impossible si la personne refuse ou est déjà engagée. 4° Il faut surtout aimer cette personne. Qui peut prétendre au mariage d’une personne qu’il n’aime pas? Cet amour doit devenir réciproque et s’achever dans une volonté commune de s’engager.

Solutions: et cela répond aux objections.

Une remarque doit cependant être ajoutée: certains théologiens enseignent, à la suite de l’école franciscaine inaugurée par saint Bonaventure que le Verbe se serait fait chair même s’il n’y avait pas eu le péché originel. Ils estiment, considérant l’amour infini de Dieu, qu’une telle grâce n’aurait pas pu nous être refusée. Saint Paul semble aller dans ce sens: "Dieu nous a élus dans le Christ dès avant la fondation du monde". [54] Cette opinion n’est pas inconciliable avec la foi, bien au contraire. Il faut cependant chercher quel aurait été en Dieu le motif de cette incarnation. Cela n’aurait pas été pour une Rédemption des hommes pécheurs, ceux-ci étant restés par hypothèse unis à la grâce de Dieu; cela n’aurait pas eu comme finalité d’augmenter leur vie contemplative, celle-ci étant à l’origine la plus tendre et la plus profonde qu’on puisse imaginer sur la terre; cela n’aurait pas été utile pour entrer dans la vision béatifique, Dieu se laissant voir ici directement, sans la médiation d’aucune créature, fusse sa nature humaine. Saint Bonaventure le reconnaît: le Verbe, dans cette hypothèse, se serait incarné non pour sauver l’homme de la mort éternelle mais pour donner un certain achèvement à la beauté de l’univers, Dieu s’unissant à sa créature non seulement dans la vision bienheureuse des élus mais aussi dans l’union hypostatique avec sa nature humaine. Il est difficile de conclure définitivement sur la vérité de cette opinion, saint Paul enseignant bien souvent ailleurs que le Verbe s’est fait chair "pour nous sauver de nos péchés" [55]. En tout état de cause, il est évident que, s’il n’y avait pas eu le péché, le Christ ne serait pas mort sur une croix.

 

 

Article 9: Convenait-il que la vision béatifique nous soit donnée qu’après une vie terrestre?

 

Objection 1:

On voit mal la nécessité d’une vie terrestre précédant l’entrée dans la vision béatifique. En effet, la vision béatifique est donnée à l’intelligence qui est une faculté spirituelle de l’âme. Or, dans la vie terrestre, l’esprit est appesanti par le corps qui est, selon Platon, comme le tombeau de l’âme. Il semble donc que le corps est inutile à l’homme et il aurait été préférable que Dieu propose la vision béatifique sans passer par la vie terrestre.

Objection 2:

Même dans l’état parfait que connurent Adam et Ève à l’origine, le corps et la vie terrestre qu’il implique constituaient un obstacle. Leur intelligence en était obscurcie. La preuve en est que le serpent n’eut pas de mal à les séduire et à les entraîner au péché.

Objection 3:

Après le péché originel, l’inutilité de la vie terrestre pour conduire l’homme à Dieu apparaît en pleine lumière: l’esprit est à ce point aveuglé par l’ignorance que bien des hommes soupçonnent même pas l’existence du Créateur. De même le poids de la chair est tel que, comme le disait le philosophe Aristote "la plupart demeurent dans le sensible" s’élevant à peine au-dessus de la vie animale. Il semble donc que la vie terrestre ne prépare en rien l’entrée dans le Ciel mais l’occulte au contraire.

Objection 4:

Le monde d’ici-bas donne à l’homme une existence précaire. Il peut disparaître à tout moment et la vie est un perpétuel combat. Il existe de multiples maux dont l’origine est parfois la nature tels la mort, les tremblements de terre, les malades, parfois l’homme lui-même comme la guerre, le péché. Un tel monde a plutôt tendance à révéler un Dieu cruel qu’un Dieu d’amour. Il semble donc que la vie terrestre, loin de conduire à Dieu, en éloigne.

 

Cependant:

La bible dit "Dieu planta un jardin en Éden, à l’Orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé" [56]. C’est donc le Créateur lui-même qui a placé l’homme sur la terre et cela ne peut être que bon.

 

Conclusion:

Pour répondre à cette question, il faut se souvenir que lorsque Dieu a créé l’homme, il lui a fait don d’un état de perfection qui a disparu avec le péché originel. Dans cet état primitif, il n’existait aucun mal aussi bien dans l’âme humaine que dans la nature. C’est pourquoi la Bible parle d’un paradis situé en Éden. Or, dans cet état de perfection primitif, il convenait que l’homme passe par une vie terrestre avant d’être introduit dans l’ultime béatitude préparée pour lui, la vision béatifique.

La raison en est dans la nature même de l’homme. À la différence de l’ange, il est un esprit naturellement uni à la matière. Or toute perfection, y compris la vision béatifique, est reçue dans son sujet conformément à la nature de ce sujet. Le propre de la nature angélique, c’est d’acquérir sa perfection naturelle non pas progressivement, mais par elle-même dès qu’elle existe, ainsi que nous l’avons montré[57]. De même donc que, du seul fait de sa nature, l’ange reçoit dès le premier instant de sa création toutes les perfections qui lui sont naturelles, comme la science de lui-même et des autres anges, de même dans l’ordre de la vie surnaturelle, l’ange est introduit dans la vision béatifique dès qu’il s’y dispose par un seul acte de charité.

Or l’homme n’est pas, comme l’ange, destiné selon sa nature, à acquérir sa perfection immédiatement. Il y parvient progressivement et ce qui est psychique en lui précède ce qui est spirituel. Ainsi, c’est par de longs efforts et après beaucoup de temps que l’enfant entre dans la perfection de l’âge adulte. De même, dans l’ordre de la vie surnaturelle, il convient qu’un plus long espace de temps que pour l’ange précède l’entrée dans la béatitude divine. Ce temps permet une croissance en perfection naturelle (physique, psychique et spirituelle) puis un choix définitif à l’heure où la vérité est totalement manifestée. C’est pour cette raison qu’Adam et Ève ont été placés par Dieu sur la terre au jour de leur création.

Après le péché originel, l’homme s’est trouvé dans un état de nature corrompu. Or, même dans cet état, il convenait qu’il passe par une vie terrestre avant d’entrer dans la gloire. Étant soumis à la misère d’une existence précaire, s’achevant dans la mort, étant constamment dépendant des conséquences du péché originel, l’homme découvrait sa petitesse. Il lui était alors difficile de sombrer dans l’orgueil qui est un péché contradictoire avec l’entrée dans la vision béatifique, comme nous le verrons. De même, il aspirait à la venue d’un Sauveur qui le délivrerait de tous les esclavages. De cette manière, à travers les misères de la vie terrestre, Dieu disposait les hommes en vue du bonheur éternel qu’il voulait leur proposer. Il leur apprenait l’humilité qui est une disposition nécessaire à l’entrée dans la gloire, selon cette parole: "Dieu résiste aux orgueilleux, mais il donne sa grâce aux humbles" [58].

 

De même, après la venue du Christ qui rétablit l’amour de Dieu sur la terre, il convenait que l’homme passe par la vie terrestre avant d’entrer dans la gloire. Jésus, s’il a rétabli la grâce et la vie surnaturelle, n’a pas supprimé les conséquences du péché originel comme la souffrance, la mort et la faiblesse. Là encore, la vie terrestre dispose l’homme à entrer dans la vision béatifique. Non seulement elle maintient l’homme dans l’humilité de sa condition précaire mais elle lui donne la possibilité d’aller plus loin dans les exigences de la charité à travers la souffrance elle-même. Ainsi, Jésus disait: "chargez-vous de mon joug et venez à ma suite" [59], c’est-à-dire: Aimez Dieu et votre prochain à travers votre temps de souffrance.

Solution 1:

Le corps appesantit la vie intellectuelle. En effet, l’intelligence humaine doit abstraire à partir des données des sensations le contenu intelligible qui s’y trouve. Au contraire, l’intelligence angélique qui atteint d’une manière directe et intuitive des réalités est bien supérieure à celle des hommes. Mais il n’en est pas de même dans le domaine de l’amour. L’homme, grâce à sa sensibilité peut dépasser les anges dans l’ordre de l’amour. L’ange aime en effet d’une manière entièrement volontaire et se porte tout entier dès la première fois vers l’objet de son amour, sans qu’aucun progrès ne soit possible et selon le degré de perfection de sa nature. Il n’aime donc qu’autant qu’il comprend qu’il faut aimer. L’homme au contraire peut s’il le veut progresser sans cesse dans l’amour. Il lui est possible d’aimer jusqu’à l’absurde, ce qui est la mesure de Dieu: Aimer ses ennemis, aimer, jusqu’à la mort, aimer jusqu’à accepter volontairement d’être anathème pour le salut de ses frères[60]. "Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis" [61]. En ce sens, il dépasse en perfection la nature angélique et peut être considère comme le chef-d’œuvre de Dieu.

Solution 2:

Adam et Ève, dans l’état de perfection qui était le leur avant le péché, ne pouvaient en aucune façon être trompés par le démon puisque leur intelligence était protégée de l’erreur. Ils avaient reçu de Dieu suffisamment de connaissances pour empêcher toute ignorance dans les domaines importants de leur vie. Leur péché fut donc leur entière responsabilité. Ils s’enorgueillirent de la beauté qu’ils découvraient en eux et décidèrent d’être eux-mêmes les maîtres du bien et du mal. Quant au démon, son rôle fut simplement de présenter extérieurement les avantages d’un tel orgueil. Adam et Ève, malgré la science qu’ils avaient reçue de Dieu à propos des conséquences d’un tel péché, décidèrent d’ignorer cet avertissement. Leur ignorance fut donc volontaire.

Solution 3:

La fragilité dans laquelle les hommes furent plongés après le péché originel est, en ce qui concerne l’entrée dans la vision béatifique, un mal moins grave que l’orgueil. Si Adam et Ève avaient gardé après leur péché la pleine maîtrise de leur nature, il est certain qu’ils se seraient complus dans leur orgueil et se seraient séparés définitivement de Dieu. Au, contraire, la misère où ils furent plongés, si elle ne les rapprocha pas entièrement de leur Créateur, leur fit comprendre que, sans lui, l’homme n’est et ne peut rien faire (dans le domaine du salut).

Solution 4:

Le mal qui règne dans le monde provoque chez beaucoup le rejet et la haine de Dieu. Mais, en définitive, l’homme rejette alors ce qu’il ne connaît pas car il ne peut comprendre que c’est en vue d’un bien éternel que Dieu impose à l’homme des maux temporels. L’homme agit un peu comme le petit enfant, qui recevant de sa mère une punition qui lui parait injustifiée, n’en découvre que plus tard le bien-fondé. De même les hommes, en découvrant au moment de leur mort la vraie raison du gouvernement divin sur eux, n’en éprouveront plus de scandale, sauf si l’orgueil est reste en eux. Telle est la finalité de la souffrance. Telle est la raison ultime de toutes les peines que subissent les hommes en ce monde. Le peuple juif en est témoin: les justes massacrés à Auschwitz ont vérifié l`affirmation suivante: Celui qui persévère dans l’amour qui est la voie de l’espérance et de la crainte recevra affermissement et secours du Seigneur pour -au-delà des possibilités humaines-parvenir à l’amour absolu qui offre la vie pour l’amour de Dieu comme Abraham sacrifiant Isaac. Ainsi ont-ils aussi vérifié le suprême distique en lequel Bahya résume chacun des Portiques de son introduction au devoir des cœurs[62]: "Alors, du Dieu vivant, tu verras le visage unissant dans l’amour ton âme au Rocher". [63]

 

 

QUESTION 1 bis: LE DESIR NATUREL DE VOIR DIEU

 

Article 1: L’homme possède-t-il un inconscient spirituel porté vers un bonheur sans limite (la béatitude)?

Si on suit Aristote, un bonheur humain est possible. Selon lui, il se réalise à travers la possession de deux biens: l’amitié et une contemplation naturelle de l’Etre premier.

Ce bonheur raisonnable suffit-il pour combler les aspirations de l’homme? Qohélet constate que non (Ecclésiaste 1, 12): "Moi, Qohélet, j'ai été roi d'Israël à Jérusalem. J'ai mis tout mon coeur à rechercher et à explorer par la sagesse tout ce qui se fait sous le ciel. C'est une mauvaise besogne que Dieu a donnée aux enfants des hommes pour qu'ils s'y emploient. J'ai regardé toutes les oeuvres qui se font sous le soleil: Eh bien, tout est vanité et poursuite de vent!" L’expérience montre qu’un désir irréaliste mais très réel demeure en celui qui est comblé de tout. Le philosophe Feuerbach décrit ces désirs qui dépassent le raisonnable:

L’homme est touché dans son être même: il ne veux ne pas mourir, il désire vivre éternellement.

Le bonheur auquel il aspire doit être toujours nouveau, libéré du poids du quotidien.

Son intelligence voudrait maîtriser la totalité du réel.

Son affectivité aspire à l’amour romantique d’un être complémentaire qui se s’use jamais, dont le premier désir résiste au temps.

Son désir de puissance illimité qui fait souvent de l’homme un prédateur insatiable.

Son psychisme rêve de plaisir, de beauté, de paix et d’activité à la fois.

Cela s’étend jusqu’au corps qu’il voudrait lumineux, jeune, impassible, léger, obéissant, délivré des limites et des murs.

Ces désirs sont connus des théologiens. Ils appellent béatitude un état où tout désir est comblé. La béatitude se distingue du bonheur qui n’en est qu’une approche mesurée.

Au plan psychiatrique, ce désir est dangereux car utopique. Il conduit les gens raisonnablement heureux au malheur et les angoissés au suicide. L’éducation s’efforce soit de le réprimer dans l’inconscient soit de le canaliser vers des activités constructives comme l’amour, l’art, la contemplation du vrai. Il ressort alors, tôt ou tard, sous la forme d’une angoisse, c’est-à-dire un mal-être dont le sujet ignore l’origine. C’est l’une des pierre d’achoppement du monde moderne.

Au plan politique, ce désir non canalisé est source des messianismes temporels. Les politiques s’efforcent de combler leur concitoyens de tous les biens pour instaurer par la matière, la béatitude ici-bas. Or la consommation de drogue, le suicide, la violence autodestructrice augmentent sans qu’ils en trouvent la raison.

Au plan religieux, ce désir constitue la raison mêmes de toutes les religions qui proposent, d’une manière ou d’une autre la béatitude pour l’au-delà.

 

Article 2: Ce désir est-il un acte, ou bien une puissance, ou bien, sous différents aspects, l'un et l'autre?

Ce désir apparaît à la connaissance par diverses activités qu’il produit comme le mal-être et son effet, la recherche perpétuelle de "toujours plus". Il y a donc bien une actuation. S’il est un acte, c’est qu’il existe une puissance tapie quelque part dans l’homme.

On peut se représenter cela métaphoriquement comme un "creux", une béance dans le désir agissant comme un inconscient douloureux. Si ce vide n'est pas empli, l'esprit souffre sans savoir pourquoi. On peut représenter cela à la manière de ce vase dont parlait Agnès, la soeur de sainte Thérèse, dans l'histoire d'une âme.

Au plan scientifique, il s’agit d’une puissance.

 

Article 3: Ce désir a-t-il pour objet Dieu vu par son essence, ou bien Dieu en tant qu'accessible à la raison, ou bien Dieu sous la raison commune de béatitude?

Ne peut-on pas dire que la psychanalyse de Freud a cherché l’objet de ce désir? Il parle d’une recherche inconsciente lié à une libido (désir fondamental du plaisir). L’expérience montre que sa recherche reste superficielle. Certes, le plaisir est important car présent en extension dans chacune des velléités du bonheur infini. Mais il n’est qu’un aspect de ce qui est constaté.

Au plan philosophique, on peut dire que l’objet de ce désir n’est pas un simple bonheur (une vie raisonnablement agencée dans l’épanouissement modéré de l’esprit). Il a pour objet la béatitude, c’est-à-dire un bonheur complet, irraisonnable, de tout l’être (esprit, sensibilité et corps) où le désir s’arrête tant il est comblé d’actuations toujours renouvelées.

Toujours au plan philosophique, on doit donc en déduire que la contemplation naturelle de Dieu à travers ses œuvres ne comble pas la totalité de ce désir. Dieu y est connu comme l’inconnu. Il y est aimé comme le Créateur des choses ce qui est loin de correspondre aux velléités d’amour et d’union décrites par Feuerbach plus haut. Ce désir ne peut donc avoir pour objet Dieu en tant qu'accessible à la raison, même si celui qui contemple Dieu ainsi trouve un certain soulagement à son désir.

 

Cependant, Au plan théologique: quand la révélation passe par là, elle permet de comprendre par l’espérance des biens promis la profondeur du désir en question. On s’aperçoit que la bonne Nouvelle promet point par point, sans rien omettre, tout ce qui est désiré de manière velléitaire par le non-croyant.

L’éternité de l’être: "De mort, il n’y en aura plus".

Le bonheur: " On ne se souviendra plus du passé. J’essuierai toutes les larmes de leurs yeux."

Son intelligence verra Dieu, la Lumière, face à face.

Son affectivité: Sainte Thérèse de Lisieux la décrit dans un poème: "J'ai besoin d'un coeur brûlant de tendresse, restant mon appui sans aucun retour, aimant tout en moi, même ma faiblesse... Ne me quittant pas, la nuit et le jour. Je n'ai pu trouver nulle créature qui m'aimât toujours, sans jamais mourir. Il me faut un Dieu prenant ma nature, devenant mon frère et pouvant souffrir !"

Son désir de puissance: car Dieu mettra sa Toute-puissance à la disposition des humbles.

Son psychisme qui verra de ses yeux un monde nouveau préparé pour l’éternité.

Son corps qui sera ressuscité glorieux.

 

Conclusion:

Ainsi, ce que la révélation montre, c’est que ce désir a pour objet non seulement la béatitude de la partie supérieure de l’être, mais celle de tout l’être dans son extension. Il s’agit à la fois, et dans l’ordre d’importance de 1- Dieu vu dans son essence, aimé et possédé comme un époux (donc de la béatitude essentielle, celle de l’esprit), mais aussi 2- de la glorification de la sensibilité avec le mode de lumière et de beauté qu’elle implique et 3- de la résurrection dans la gloire de la chair, avec le monde physique qu’elle implique.

Bref, c’est l’épanouissement total de tout l’être, jusqu’à ce que l’imaginaire, dans sa folie, ne peut concevoir, qui semble l’objet réel de cet inconscient spirituel.

 

Article 4: A-t-il pour sujet l’intellect, ou bien la volonté, ou bien, sous des aspects différents, l’une et l’autre puissance?

Ce désir n’a pas pour siège l’esprit mais l’essence de l’âme humaine. En effet, il étend son feu dans tout l’être: La substance (dans sa recherche d’immortalité); l’intellect (dans sa recherche du Vrai); la volonté en tant qu’appétit (sous la raison générale de Bien); Mais aussi la volonté dans son rapport aux moyens (dans sa recherche de toute puissance); le composé d’esprit et de psychisme (dans sa recherche du Beau); la sensibilité (dans sa recherche du plaisir sensible); le corps (dans son aspiration à l’incorruptibilité). Il me semble donc que cet appétit dépasse l’une ou l’autre faculté de l’esprit.

C’est ce que semble rappeler la phrase de saint Paul (Romains 8, 19): "Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu: si elle fut assujettie à la vanité, -- non qu'elle l'eût voulu, mais à cause de celui qui l'y a soumise, -- c'est avec l'espérance d'être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement."

Bref, il me semble que la puissance qui est à la source de ce désir n’a pas pour sujet l’esprit dans l’une ou l’autre de ses facultés, mais la racine de notre être (l’âme) puisque seule une cause plus radicale que celle d’une faculté peut avoir un tel effet universel dans l’être. Ce serait une marque entitative, une orientation crée dans l’âme par Dieu au moment où il la crée?

 

On objecte que Dieu ne peut avoir mis une telle marque dans la nature humaine. S’il l’avait mise, c’est qu’il aurait créé l’homme pour la Vision béatifique et la glorification de ses facultés. Or, le don de la Vision est gratuit

Comme Alain, je pense qu’il n’y a pas de contradiction entre gratuité du don et présence de cette marque entitative. Un simple exemple permet de le comprendre. L’entrée dans la vision béatifique fonctionne comme le mariage d’amour. Les époux se donnent gratuitement. Cette gratuité n’empêche pas que, dès leur conception, ils ont reçu dans leur être une orientation innée pour l’amour de l’autre sexe.

 

Article 5: Ce désir est-il connaissable par la raison seule, ou bien par la révélation proprement dite, ou bien à partir des effets de la révélation dans l'histoire, la prédication évangélique par exemple?

Ce que j’ai dit répond à cette question: Dans la réalité, les effets de ce désir sont souvent anarchiques puisqu’ils ne sont pas ordonnés par leur vrai cause. Du coup, au plan d’une raison athée, le chercheur a beaucoup de mal en en découvrir l’unité. Sans son principe d’intelligibilité, ce désir apparaît non structuré, sans signification. Il peut être décrit par la raison seule comme le prouve Feuerbach. Dans ce cas, il apparaît comme une velléité que l’individu doit réprimer et canaliser car ennemie du bonheur puisque inaccessible. Par contre, au plan sociologique, il apparaît comme le moteur de l’humanité qui la pousse à aller toujours plus loin dans tous les domaines (conquêtes géographiques, scientifiques, intellectuelles, croissance matérielle etc.). L’humanité ne supporte pas de frontière.

Au plan d’une philosophie réaliste, ouverte à la contemplation d’un Etre premier, je me demande si quelqu’un de très perspicace ne pourrait pas en déduire une certain soupçon sur le monde de l’au-delà en posant le principe suivant: Dieu, qui a créé l’âme humaine, y aurait-il mis de tels désirs sans raison?...

Par la révélation, ce désir prend tout son sens, de même qu’une puissance devient connue par son acte: Comme dit saint Augustin: "Avant de te connaître je t’aimais", ce qui montre que cet appétit fondamental de l’âme s’exerce sans objet conscient avant que le don de la foi ne vienne rendre explicite son objet.

Ce n’est que dans la Vision béatifique que la profondeur de ce désir sera connu dans son acte, donc en plénitude. Sa partie suprême, celle qui concerne l’esprit et la Vision de Dieu, apparaîtra alors non comme un désir infini puisqu’elle trouve son siège dans une âme finie. Elle apparaîtra comme le désir d’un être infini. Cet être (Dieu) la dépassera toujours et ce désir, pourtant comblé, ne pourra en maîtriser la démesure de la Trinité. Sa partie seconde (la glorification de la sensibilité et du corps), loin d’être une velléité, deviendra la plus réaliste des réalités.

 

Article 6: En quel sens l'actuation de ce désir naturel est-elle surnaturelle?

 

Ce désir entre en acte dès que la vie spirituelle émerge, c’est-à-dire dans l’enfance.

De manière naturelle, ce désir s’actue de manière anarchique comme tout appétit séparé de son objet. Livré à lui-même, sans être canalisé, il est source des plus profondes maladies psychiques.

Mais, comme un torrent, il peut être en partie canalisé dans les digues naturelles de la recherche de biens terrestre. 1- La recherche de l’amitié et de d’une contemplation de l’Etre premier donne un certain bonheur, selon Aristote. Celui qui n’a pas la chance ou l’éducation pour entrer dans ces deux finalités risque bien d’expérimenter ce qu’est la convoitise: à la recherche du bonheur, on emplie sa vie de toujours plus de plaisirs, de richesses, de gloires, sans jamais être rassasié, sans autre objet précis que la recherche d’un bonheur toujours plus grand. C’est ce qui explique que le cœur de l’homme, même lorsqu’il est objectivement comblé de tous les biens terrestres, est sans repos.

De manière surnaturelle, ce désir prend son sens. La foi en révèle la vraie nature; la charité en fait toucher déjà l’objet; l’espérance révèle que seule la Vision béatifique le comblera et qu’en attendant, il faut vivre assoiffé sur terre. Ce dernier point est important au plan spirituel pour ceux qui se contenteraient de la vie chrétienne d’ici-bas: la vie terrestre reste une vallée de larme; la vie de la grâce et l’eucharistie ne peuvent combler qu’en partie ce désir; seule la Vision béatifique et la glorification le pourra.

 

Article 7: Dieu aurait-il pu ne pas accomplir ce désir, et laisser la nature humaine dans l’état de pure nature?

On en revient ici à l’hypothèse des limbes des enfants morts sans baptême.

J’essaye de m’imaginer cet état. L’hypothèse de saint Thomas montre que dans les limbes, les enfants vivront ressuscités pour l’éternité d’un bonheur naturel et sans souffrir de ne pas voir Dieu. L’esprit de ces enfants s’exercera puisqu’il vivra d’une contemplation philosophique de Dieu, à travers ses effets selon les trois modes qu’il décrit [par mode de causalité: "Dieu existe puisque ces réalités sont sorties du néant"; par mode de négation: "Dieu est infini, à l’inverse de ces créatures finies"; par mode d’éminence "Dieu est infiniment intelligent, bien plus que moi"].

Ces enfants ne seront donc plus des enfants. Ce sont des adultes qui penseront et aimeront. Leur corps sera ressuscité. Leur psychisme sera dans sa plénitude. Ils pourront voir de leur yeux les merveilles inouïes du monde nouveau. Ils passeront leur éternité, séparés du monde des élus, avec leurs compagnons de limbes, à visiter ces merveilles. Ca doit être fabuleux, une véritable aventure…

La question que je me pose est celle-ci: comment imaginer que l’inconscient spirituel que les six articles précédent ont décrit puisse alors s’éteindre? Cela me paraît très contradictoire avec l’expérience de la nature humaine. Saint Augustin dit dans ses confessions (je site approximativement): "Posséder toutes les merveilles du monde, sans te posséder toi, la Source de tous les bien, c’est être indigent." J’avoue que ces observations de l’âme humaine me laissent dubitatives sur la possibilité d’une éternité vraiment heureuse, sans désir, sans la Vision de Dieu. Mais Bouddha le montre, le désir, c’est cause de la souffrance.

 

 

QUESTION 2: la nature de la vision béatifique

 

 

A propos de la nature de la vision béatifique, cinq questions se posent:

 

Consiste t-elle à voir[64] l’essence de Dieu?

Par l’intermédiaire de l’humanité du Christ?

Comment une telle vision peut-elle se réaliser?

Consiste-t-elle à comprendre l’essence divine tel que Dieu la comprend?

Dans la vision béatifique, l’homme devient-il Dieu?

 

 

Article 1: La vision béatifique consiste t-elle à voir l’essence divine?

 

Objection 1:

Il ne semble pas. Saint Jean dit "Personne n’a jamais vu Dieu" [65] et saint Jean Chrysostome affirme[66] que "même les essences célestes (les chérubins et les séraphins eux-mêmes) ne pourront jamais le voir tel qu’il est" Aux hommes est promise seulement l’égalité avec les anges: En saint Matthieu[67] "ils seront comme des anges de Dieu dans le Ciel ""Donc les Saints eux-mêmes dans la patrie céleste ne verront pas Dieu dans son essence.

Objection 2:

Denys[68] montre que le moyen le plus parfait pour notre intelligence d’être unie à Dieu, c’est d’adhérer à lui comme à l’inconnu. Or une chose qui est vue en son essence n’est pas inconnue. Nous ne verrons pas Dieu dans son essence[69].

Objection 3:

Ce qui est vu à travers un intermédiaire n’est pas vu dans son essence. Dieu, dans la patrie, sera vu par l’intermédiaire de la lumière de gloire, comme dit le psalmiste "Dans ta lumière nous verrons la lumière" [70]. Il ne sera donc pas vu dans son essence.

Objection 4:

Dans la patrie, Dieu sera vu face à face, selon saint Paul aux Corinthiens[71]. Quand nous voyons un homme face à face, nous le voyons dans sa représentation imprimée en nous. Dieu, dans la patrie, sera donc vu dans une représentation de lui, non en son essence.

Objection 5:

Tout ce qui est vu dans son essence, est connu selon ce qu’il est. Mais notre intelligence ne peut pas savoir de Dieu ce qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est pas, comme disent Denys et saint Jean Damascène. Notre intelligence ne pourra donc pas voir Dieu dans son essence.

 

Cependant:

Benoît XII, pape, écrit: "Les âmes saintes voient l’essence divine d’une vision intuitive et même face à face sans aucune médiation" [72]

 

Conclusion:

Pour comprendre la nature de la vision béatifique, il faut voir qu’il peut exister plusieurs manières de contempler Dieu.

La première peut être obtenue par les simples forces de l’intelligence humaine. Il s’agit d’une contemplation naturelle. Dans un premier temps, l’intelligence découvre la nécessité de l’existence d’un Être Premier. Par mode de causalité, c’est-à-dire en s’appuyant sur le fait que tout effet à une cause, elle aboutit à poser l’existence d’une cause Première qui n’a pas de cause. Dans un second temps, elle peut arriver à manifester la manière d’être de cet Être Premier: elle nie en lui toutes les potentialités que l’on constate dans les réalités de ce monde. Dieu ne peut qu’être simple, parfait, bon, indépendant du lieu, du temps, du mouvement. Il s’agit d’une contemplation par mode négatif. Elle manifeste enfin que l’Être Premier, Dieu, doit posséder éminemment les perfections des réalités de ce monde: Dieu ne peut qu’être éminemment bon, amour, intelligence, puissance, vie et être. Il s’agit d’une contemplation par mode d’éminence. Une telle contemplation philosophique atteint Dieu non en ce qu’il est mais à travers ses effets c’est-à-dire à travers sa création.

 

Un second mode de contemplation s’appuie sur les données révélées par la foi. Dieu en effet a révélé par touches successives au cours de l’histoire des aspects de son mystère. Ainsi, il dit à Moise son nom "Je SUIS celui qui est"; En Jésus, il révèle le secret de sa vie trinitaire. L’intelligence humaine en s’appuyant sur ces données révélées, peut aboutir à une nouvelle contemplation de Dieu. L’intelligence essaie de percer les mystères révélés en les éclairant par des analogies propres et métaphoriques prises dans le monde d’ici-bas. Il s’agit d’une contemplation théologique.

 

Un troisième mode de contemplation peut être obtenu dès cette terre mais nécessite le secours d’un don surajouté qu’on appelle la grâce sanctifiante[73]. L’Esprit Saint vient habiter dans l’âme et lui révèle intimement par l’action des 7 dons fondés sur la charité des aspects de son Mystère divin. Ainsi le psaume[74] chante "Goûtez et voyez comme le Seigneur est bon". Il s’agit d’une contemplation mystique. Là encore, Dieu est vu par l’intermédiaire d’images ou de concepts. Il n’est donc pas vu face à face dans son essence. On distingue plusieurs degrés de contemplation mystique en fonction des degrés d’intelligence infusés par l’Esprit Saint.

 

La vision béatifique, quant à elle, ne peut être comparée à aucune de ces trois sagesses[75]. Comme dit saint Paul "l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, le cœur de l’homme n’a pas soupçonné ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment" [76]. La vision béatifique consiste en la vision de Dieu dans son essence, sans aucun intermédiaire créé.

 

Solution 1:

Le texte cité peut être interprété de 3 manières, comme le dit saint Augustin dans le livre de la vision de Dieu. Ou bien il exclut la vision corporelle par laquelle personne n’a vu ni ne verra l’essence divine; ou bien il exclut la vision intellectuelle de Dieu dans son essence pour ceux qui vivent dans cette chair mortelle; ou bien il exclut la vision de compréhension[77] par une intelligence créée. Et c’est ainsi que l’entend saint Jean Chrysostome. Il ajoute donc "l’évangéliste parle ici de la connaissance qui serait la contemplation tout à fait sûre et la compréhension telle que le Père l’a du Fils "C’est bien aussi la pensée de l’évangéliste qui continue: "Le Fils unique qui est dans le sein du Père, nous l’a fait connaître", voulant nous prouver d’une manière exhaustive que le Fils est Dieu.

Solution 2:

Denys parle ici de la connaissance par laquelle sur terre nous connaissons Dieu à travers une forme créée par notre intelligence. Mais comme dit saint Augustin "Dieu échappe à toute forme de notre esprit" parce que, quelle que soit la forme conçue par notre esprit, elle n’atteint pas la notion de l’essence divine. C’est pourquoi il ne peut être rejoint par notre intelligence. Mais nous le connaissons très parfaitement dans notre condition de voyageurs si nous savons qu’il est au-dessus de tout ce que notre intelligence peut concevoir: et ainsi nous lui sommes unis comme à quelqu’un d’ignoré. Au contraire, dans la patrie, nous le verrons par cette forme qu’est son essence, et nous lui serons unis comme à quelqu’un de connu.

Solution 3:

La lumière de gloire n’est pas un intermédiaire dans lequel Dieu serait vu. Elle est plutôt une grâce donnée par Dieu qui élève la puissance de notre intelligence afin de la rendre capable d’être unie à la substance incréée. Elle ne se met pas entre le connaissant et le connu mais elle est ce qui donne à celui qui connaît la puissance de connaître.

Solution 4:

On dit des créatures corporelles qu’elles sont vues sans intermédiaire quand ce qui en elles peut être uni au sens de la vue lui est uni en fait. Mais elles ne peuvent pas être unies au sens de la vue dans leur essence à cause de leur matérialité. Elles sont donc vues sans intermédiaire quand leur image est unie à la vue. Mais Dieu est par essence capable d’être uni à l’intelligence. Il ne serait donc pas immédiatement si son essence n’était pas unie à l’intelligence. Et cette vision qui s’opère d’une manière immédiate, s’appelle la vision de la face.

En outre, l’image de la chose corporelle est reçue dans le sens de la vue telle qu’elle est en réalité, quoique non selon la même manière d’être. Elle conduit donc directement à cette chose. Aucune représentation ne peut conduire notre esprit de cette manière jusqu’à Dieu.

Solution 5:

Ces citations et toutes celles qui leur sont semblables doivent s’entendre de la connaissance que nous avons de Dieu sur terre, pour les raisons dites plus haut.

 

 

Article 2: La Vision béatifique consiste-t-elle à voir Dieu par l’intermédiaire de l’humanité du Verbe?

 

Objection 1:

L’Écriture Sainte l’affirme en de nombreux passages: "Nul ne vient au Père que par moi. Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père". [78] À Philippe qui lui a demandé de voir le père, Jésus répond: "Comment peux-tu dire: montre nous le Père! Qui m’a vu a vu le Père. Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi?" [79]

Objection 2:

L’Évangile de saint Jean rapporte la parole suivante du Seigneur[80]: "Le Père aime le Fils et a tout remis dans sa main. Qui croit au Fils a la vie éternelle; Qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie". De ce texte il ressort que la médiation du Christ est indispensable pour obtenir la vie éternelle qui n’est autre que la vision béatifique.

Objection 3:

Affirmer que la vision béatifique se réalisera directement sans la médiation de l’humanité créée du Verbe c’est, semble-t-il, ne pas tenir compte de la dignité et de la primauté du christ "par qui et pour qui tout a été créé au Ciel et sur la terre" [81]. Cela réduit l’humanité du Verbe à l’inutilité dans l’au-delà.

 

Cependant:

Le pape Benoît XII a défini solennellement la foi catholique comme suit:[82] "Les bienheureux voient l’essence divine d’une vision intuitive et même face à face, sans la médiation d’aucune créature qui serait objet de vision" Or, selon que l’on considère sa nature humaine, le Christ est une créature. Il ne peut donc sous ce rapport-là être un intermédiaire de vision intellectuelle de l’essence divine. En conséquence, la vision béatifique ne peut consister à voir Dieu à travers l’humanité du Verbe.

 

Conclusion:

Considérée en elle-même, la nature humaine du Verbe éternel est une créature et, par conséquent, est soumise aux contingences essentielles de tout ce qui est créé. Malgré sa perfection suprême et les prérogatives dont elle est revêtue dans la gloire, elle ne devient pas la nature divine. Ainsi, dans la personne du Verbe incarné, les deux natures sont unies pour former un seul être, mais sans mélange ni confusion. En conséquence, lorsque l’intelligence contemple le Mystère de Dieu en fixant son jugement sur l’humanité sainte du Christ, ce qui spécifie son acte, c’est une nature créée. Appuyée sur cet objet de connaissance, elle peut alors par l’analogie de la foi que la grâce de Dieu illumine contempler comme dans un miroir, l’essence divine. Une telle contemplation est notre lot d’ici-bas. Lorsqu’elle est produite principalement par l’effort de notre intelligence, on l’appelle la sagesse théologique; Lorsqu’elle est produite avant tout par la motion divine à travers les dons du Saint Esprit, on l’appelle la Sagesse mystique. Elle peut atteindre des degrés sublimes dans l’intelligence du mystère à cause de la qualité des grâces de lumière communiquées par Dieu, que de la lumière sensible donnée par la méditation de la vie de Jésus. Le sommet de ce genre de contemplation est certainement celle qui fut offerte à saint Jean sur l’île de Patmos[83]. En voyant dans une extase le corps glorifié du Christ, il comprit comme saint Paul "des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de redire" [84]. Pourtant, malgré le caractère élevé de cette grâce qui le laissa comme mort, il ne peut s’agir de la vision béatifique. Ce qui est contemplé directement est une nature créée, et par elle indirectement comme dans l’éclat d’une image, l’Incréé. Or voir le créé, aussi sublime soit-il, reste infiniment distant de la vision de l’Incréé. De tout cela il ressort que l’acte contemplatif dans lequel consiste la vision béatifique ne peut avoir l’humanité sainte du Christ comme intermédiaire de vision.

 

Solution 1:

Tous les textes semblables à celui-ci, si on les interprète en considérant qu’ils se réfèrent au Christ selon son humanité concernent la manière dont nous devons remonter au Père durant notre vie ici-bas. En effet, depuis le péché originel, la nature humaine est ainsi blessée qu’il nous est impossible de progresser durablement dans la vie surnaturelle sans nous appuyer sur la médiation du Christ dans son humanité. Sainte Thérèse montre très bien cette nécessité dans les sept demeures de son château intérieur. Ainsi, celui qui s’essaye à contempler une personne divine en se séparant totalement de la contemplation sensible de Jésus ne peut que sombrer tôt où tard dans un vide spirituel et, par suite, dans la divagation de sa pensée. Au contraire, en revenant sans cesse à l’Image que Dieu nous a donnés de lui-même, nous trouvons la voie qui conduit à la vérité et à la vie. Dans la vision béatifique, l’humanité du Verbe n’est plus nécessaire si l’on considère ce point précis. En effet, la Trinité réalise elle-même et sans intermédiaire la manifestation de son essence. Ainsi, dans l’au-delà, loin de nous manifester les personnes divines, l’humanité sainte du Verbe nous sera plutôt rendue manifeste par la vision directe que nous aurons de ces personnes puisque ce qui est moins lumineux est rendu visible par ce qui l’est plus.

Cependant, ces textes de saint Jean peuvent trouver une autre interprétation si on les considère comme se référant au Christ en tant qu’il est Dieu, c’est-à-dire au Verbe éternel. Pris en ce sens, ce texte peut être appliqué par mode d’appropriation à la vision béatifique. En effet, il s’agit d’un acte de contemplation dont le siège, nous le verrons, est spécifiquement l’intelligence, même si elle s’origine dans l’amour de charité et s’achève en lui. Or on attribue habituellement au Verbe tout ce qui a rapport en Dieu avec l’intelligence puisqu’il procède du Père en tant qu’il se connaît lui-même. En ce sens, nous connaîtrons le Père par le Verbe.

Solution 2:

Nous avons montré que ce texte comme les précédents se réfère au temps du pèlerinage vers la vision béatifique. Mais lorsque viendra le temps de la vision de Dieu, il en sera tout autrement selon saint Paul:[85] "Puis ce sera la fin; alors le Christ remettra la royauté à Dieu le Père après avoir détruit toute Principauté, Domination, Puissance. Car il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds (...).; Alors le Fils se soumettra à celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous". Et ce mystère de l’effacement de l’humanité du Verbe ne signifie pas qu’elle n’aura plus de place dans l’au-delà mais seulement qu’elle ne sera plus la voie qui conduit à la vision de Dieu, le temps de la voie étant terminé. Le Verbe incarné sera alors visible pour nous directement en tant qu’il est la seconde personne de la Trinité et sera l’objet de notre béatitude essentielle conjointement au Père et à l’Esprit Saint. C’est ce que veut signifier métaphoriquement ce passage de l’apocalypse[86]: "La ville peut se passer de l’éclat du soleil et de celui de la lune, car la gloire de Dieu l’a illuminée" L’humanité du Verbe sera présente et vue par nous mais ne constituera pas la raison première de notre béatitude. Elle sera pour nous un bonheur de surcroît, en ce sens qu’en la voyant de nos yeux de chair selon la parole de Job[87], elle sera source d’une extension nouvelle de joie jusque dans notre sensibilité. C’est ce que signifie la suite du texte de l’apocalypse: "L’Agneau lui tiendra lieu de flambeau", c’est-à-dire d’illumination surajoutée.

Solution 3:

Pour l’éternité, l’humanité du Verbe gardera le rang de premier:

Au plan de son être en premier lieu, elle est et restera la nature humaine de Dieu.

Au plan des grâces dont elle est revêtue, elle surpassera pour toujours toutes les autres créatures, brillant dans le Ciel d’un éclat qui attirera tous les regards. Le corps glorieux du Christ sera le centre du monde matériel refaçonné à la fin; son âme ravira par sa grâce tous les regards.

Le Christ dans son humanité gardera pour toujours la primauté de la reconnaissance des élus car chaque homme sauvé saura qu’il n’a pu parvenir à un tel bonheur que par sa médiation "la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus-Christ".[88]

Cependant, le Christ quant à son humanité ne sera plus l’objet premier de la contemplation des élus puisque le Christ selon sa divinité sera vu sans intermédiaire comme nous l’avons montré. Un tel effacement ne nuira pas à la dignité du Christ puisque sa personne restera le centre de toute vie surnaturelle, conjointement au Père et au Saint Esprit, à cause cependant de sa nature divine.

 

Article 3: Comment la vision béatifique peut-elle être réalisée?[89]

 

Objection 1:

Il ne semble pas que la vision béatifique soit réalisée par l’union directe de l’essence divine à l’intelligence. En effet, puisque l’être intelligible perfectionne l’intelligence, il doit y avoir proportion entre l’intelligible et l’intelligence, comme entre le visible et la vue. Or il ne peut y avoir de proportion entre notre intelligence et l’intelligence divine, puisqu’elles sont infiniment distantes. L’essence divine ne peut donc être unie à notre intelligence comme son objet[90].

Objection 2:

Dieu est plus distant de notre intelligence que l’intelligible créé est distant du sens. La vision de la créature spirituelle ne peut d’aucune manière être atteinte par le sens. Dieu ne peut donc d’aucune manière s’unir à notre intelligence pour qu’elle le voit dans son essence.

Objection 3:

Selon Denys, "Dieu, l’Être, est quelqu’un d’invisible à cause de son excessive clarté" [91]. Cette clarté qui est trop vive pour l’intelligence de l’homme sur la terre, l’est aussi pour son intelligence dans la patrie. Elle sera donc invisible dans la patrie comme pour l’homme en marche sur terre parce qu’elle lui sera disproportionnée.

Objection 4:

Tout infini comme tel, est inconnu. Dieu est infini de toutes manières et donc tout à fait inconnu et inconnaissable par une intelligence finie.

 

Cependant:

Le pape Benoît XII écrit: "La divine essence se manifeste immédiatement à nu, clairement et à découvert à l’intelligence à travers une vision intuitive" [92].

 

Conclusion[93]: Il nous reste donc à rechercher comment Dieu peut rendre visible son essence à l’intelligence humaine. Certains affirmèrent, comme Alpharabe et Avempace, que par le fait même que notre intelligence connaît n’importe quel objet intelligible, elle parvient à voir l’essence d’une substance séparée. Pour le montrer, ils procèdent de deux manières. La première: de même que la nature de l’espèce ne varie pas dans les divers individus, sauf en tant qu’elle est unie aux principes d’individuation, de même, la forme intelligible connue ne varie pas selon qu’elle est connue par tel ou tel, sauf en tant qu’elle est unie à diverses formes imaginatives. C’est pourquoi quand l’intelligence sépare par l’abstraction la forme intelligible des formes imaginatives, il reste la quiddité intellectuelle, qui est une et identique dans les diverses intelligences qui la connaissent. Et cela c’est la quiddité de la substance séparée. C’est pourquoi, quand notre intelligence parvient à la totale abstraction de la quiddité intelligible de n’importe quoi, elle connaît par là la quiddité de la substance séparée, qui est semblable à elle-même.

 

La seconde manière de démonstration: notre intelligence est faite pour abstraire la quiddité de tous les êtres intelligibles qui en ont une. Si donc la quiddité qu’elle abstrait de tel être individué ayant une quiddité, est une quiddité qui n’a pas elle-même de quiddité, en la connaissant, elle connaît la quiddité d’une substance séparée, qui est ainsi disposée, puisque les substances séparées sont des quiddités subsistantes, qui n’ont pas de quiddité; car la quiddité de ce qui est simple est le simple lui-même, comme dit Avicenne. Mais si la quiddité abstraite de tel être sensible individué est une quiddité qui possède sa quiddité, alors l’intelligence est apte à abstraire cette quiddité. Ainsi, puisqu’on ne peut pas remonter à l’infini, on doit arriver à une quiddité qui n’a pas elle-même de quiddité, c’est-à-dire une quiddité séparée.

 

Mais cette argumentation ne semble pas suffisante. D’abord parce que la quiddité de la substance matérielle, que l’intelligence abstrait, n’est pas de la même nature que les quiddités de substances séparées: donc, du fait que notre intelligence abstrait les quiddités des choses matérielles et les connaît, il ne suit pas qu’elle connaisse la quiddité de la substance séparée, et surtout l’essence divine, qui est tout à fait d’une autre nature que toute quiddité créée. Ensuite, parce que même en supposant qu’elle soit de la même nature cependant en connaissant la quiddité d’une chose composée, on ne connaîtrait pas celle de la substance séparée, sauf selon son genre le plus éloigné, qui est la substance. Mais cette connaissance est imparfaite tant qu’on ne parvient pas aux caractères propres de la chose. En effet, celui qui connaît l’homme seulement en tant qu’il est animal ne le connaît que relativement et en puissance. Et il le connaît bien moins encore s’il ne connaît que la nature de la substance en lui-même. C’est pourquoi, connaître ainsi Dieu ou les substances séparées, ce n’est point voir l’essence divine ou la quiddité de la substance séparée: c’est seulement connaître par les effets produits et comme dans un miroir.

 

C’est pourquoi Avicenne, dans ses Métaphysiques, expose un autre moyen de connaître les substances séparées: celles-ci seraient connues par nous à travers les intentions de leurs quiddités, qui seraient des similitudes d’elles-mêmes, non pas abstraites d’elles-mêmes, puisqu’elles sont immatérielles, mais imprimées par elles dans nos âmes. Mais ce nouveau mode de connaître ne nous paraît pas non plus suffisant pour la vision divine que nous recherchons. Il est en effet évident que "tout ce qui est reçu en quelque chose est en elle selon la manière d’être de cette chose qui reçoit". La similitude de la divine essence imprimée dans notre intelligence serait donc en elle selon le mode de notre esprit. Mais le mode de notre esprit est déficient en regard de la parfaite réception de la similitude divine. Cette déficience à l’égard de la parfaite similitude peut se produire avec autant de manières qu’il y a de manières d’être dissemblables.

 

D’une manière, la similitude est déficiente quand la forme est participée dans la même espèce, mais non d’une manière aussi parfaite: comme si quelqu’un est seulement un peu blanc, tandis que l’autre l’est bien plus. D’une autre manière, la similitude est encore plus déficiente quand les deux êtres n’appartiennent pas à la même espèce, mais seulement au même genre: comme seraient semblables celui qui a une couleur citron ou jaunâtre et celui qui a la couleur blanche. D’une autre manière encore il y a davantage déficience de similitude quand deux êtres n’appartiennent pas au même genre, mais sont seulement analogues ou proportionnés: comme Si on parle de similitude entre la blancheur et l’homme parce que tous deux sont des êtres. Et de cette manière, toute similitude entre une créature et la divine essence est tout à fait déficiente. Pour que la vue connaisse la blancheur, il faut que la représentation de la blancheur soit reçue en elle selon sa raison d’espèce, bien que non selon le même mode d’être, car être une forme reçue dans un sens ou bien être une chose existant en dehors de l’âme, ce sont deux modes d’être fort différents. Si l’œil recevait la forme couleur citron, on ne dirait pas qu’il voit la blancheur. De même pour que l’intelligence connaisse une quiddité, il faut qu’elle reçoive une similitude selon la raison d’espèce, bien que peut-être les deux n’aient pas le même mode d’être: en effet la forme qui se trouve dans l’intelligence ou le sens n’est pas principe de connaissance selon le mode d’être possédé par l’un et l’autre, mais selon la raison par laquelle elle communique avec la chose extérieure. Il est ainsi évident que Dieu ne peut être connu, de telle sorte que son essence serait vue immédiatement, par aucune similitude reçue dans un esprit créé. C’est pourquoi certains qui pensaient que l’essence divine pouvait être vue seulement de cette manière, dirent que cette essence même ne sera pas vue, mais seulement une sorte d’éclair, comme un rayon d’elle-même. Cette manière de connaître ne suffit donc pas à atteindre la vision divine, que nous cherchons à expliquer.

 

Nous devons donc considérer une autre manière que certains philosophes, Alexandre et Averroès, ont proposée: en toute connaissance, il doit y avoir quelque forme par laquelle la chose est connue ou est vue. La forme par laquelle l’intelligence est perfectionnée pour voir les substances séparées ne serait pas la quiddité que l’intelligence abstrait des choses composées, comme le prétendait la première opinion. Ce ne serait pas non plus une impression produite dans notre esprit par la substance séparée, comme disait la seconde opinion: ce serait la substance, séparée elle-même qui s’unirait à notre intelligence comme une forme, de telle sorte qu’elle serait à la fois ce qui est connu, et ce par quoi on le connaît. Quoi qu’il en Soit des autres substances séparées, nous devons accepter cette manière de connaître quand il s’agit de la vision de Dieu en son essence; car toute autre forme qui informerait notre intelligence ne pourrait pas la conduire à l’essence divine.

 

Nous ne devons pas entendre cela en ce sens que l’essence divine serait la vraie forme de notre intelligence ou que par l’union entre elle et notre intelligence serait formée quelque chose d’un absolument comme dans les choses naturelles résultant de l’union de la forme et de la matière; mais en ce sens que le rapport entre l’essence divine et notre intelligence est comparable au rapport entre la forme et la matière. Chaque fois en effet que deux choses dont l’une est plus parfaite que l’autre sont reçues dans le même réceptacle, le rapport de l’une à l’autre est analogue au rapport de la forme à la matière: ainsi la lumière et la couleur sont reçues dans le diaphane, et la lumière est par rapport à la couleur comme la forme par rapport à la matière. De même, quand l’âme reçoit la lumière intellective et l’essence divine elle-même, qui l’habite, bien que ce ne soit point de la même manière, l’essence divine est par rapport à l’intelligence comme la forme par rapport à la matière. Et l’on peut prouver de la façon suivante que cela suffit pour que l’intelligence puisse voir l’essence divine elle-même à travers cette même essence divine: de même que par l’union de la forme naturelle, de laquelle une chose reçoit l’être, et de la matière, il se forme un seul être unique, ainsi par l’union de la forme par laquelle l’intelligence connaît, et de l’intelligence elle-même, il se forme un seul être dans celui qui connaît.

 

Dans les choses naturelles, une chose subsistante en soi ne peut pas devenir la forme d’une matière, si cette chose possède déjà de la matière qui fait partie d’elle, car une matière ne peut pas devenir la forme de quelque chose. Mais si cette chose subsistante en elle-même est seulement une forme, rien n’empêche qu’elle devienne la forme de quelque matière et qu’elle devienne ce par quoi existe un composé: comme cela se produit pour l’âme humaine. Dans l’intelligence, nous devrons considérer l’intelligence elle-même étant en puissance comme une sorte de matière tandis que l’espèce intelligible est la forme. Quand l’intelligence connaît en acte, elle est comme un composé des deux. Donc, s’il y a une chose subsistante par elle-même qui n’a pas en soi autre chose que d’être intelligible en elle-même, cette chose pourra par elle-même être la forme par laquelle l’intelligence connaît. Une chose est intelligible en tant qu’elle est en acte, non en tant qu’elle est en puissance. Nous en voyons un signe dans ce fait que la forme intelligible doit être abstraite de la matière et de toutes ses propriétés. C’est pourquoi, puisque l’essence divine est acte pur, elle pourra être la forme par laquelle l’intelligence connaît: telle sera la vision béatifiante. Aussi Aristote dit-il que l’union entre l’âme et le corps est "un exemple de l’union bienheureuse par laquelle l’esprit est uni à Dieu"

 

Solution 1:

Il ne peut y avoir de proportion entre le fini et l’infini, puisque l’infini dépasse le fini d’une manière absolument indéterminée. Mais il peut y avoir entre eux une certaine proportion dans le sens d’une similitude de leurs proportions: car de même que le fini est égal à tel autre fini, ainsi l’infini est égal à l’infini. Pour qu’une chose soit totalement connue, il faut parfois qu’il y ait une proportion entre le connaissant et le connu, puisque la puissance du connaissant doit égaler la possibilité d’être connu de la chose connue: cette égalité constitue une certaine proportion. Mais parfois la cognoscibilité de la chose dépasse la puissance de celui qui connaît: comme quand nous connaissons Dieu ou au contraire quand Dieu connaît les créatures. Et alors il ne doit pas y avoir une proportion entre le connaissant et le connu mais seulement une certaine proportionnalité: c’est-à-dire que celui qui connaît soit par rapport à ce qui doit être connu comme le connaissable par rapport à ce qui est connu. Et cette proportionnalité suffit pour que l’infini soit connu par le fini, et vice versa. On pourrait dire aussi que la proportion, selon la signification propre de ce mot, indique un rapport de quantité à quantité, selon un certain dépassement déterminé ou bien une égalité. Mais on peut l’étendre pour signifier toute relation d’une chose avec une autre. C’est ainsi que nous disons que la matière doit être proportionnée à la forme. De cette manière, rien n’empêche que notre intelligence, bien que finie, soit proportionnée à la vision de l’essence infinie, non cependant en la saisissant totalement, à cause de son immensité.

Solution 2:

Il y a deux sortes de similitudes ou de distances entre les choses. La première est considérée selon leurs natures: et ainsi Dieu est plus distant de l’intelligence créée que l’être intelligible créé est distant du sens. La seconde est considérée selon la proportionnalité: ici, c’est le contraire, car le sens n’est pas proportionné pour connaître quelque chose d’immatériel comme l’intelligence l’est pour connaître n’importe quel être immatériel. Cette seconde similitude est requise pour connaître, non la première: car il est évident que l’intelligence qui connaît une pierre ne lui est point semblable en son état naturel, de même que l’œil voit du miel rougeâtre et du fiel rougeâtre, bien qu’il ne saisisse pas la douceur du miel. La rougeur du fiel se compare mieux avec le miel en tant que visible, que la douceur du miel avec le miel en tant que visible.

Solution 3:

La clarté de Dieu, bien qu’elle dépasse toutes les formes par lesquelles notre esprit est informé ici-bas, ne dépasse pas l’essence divine elle-même, qui sera comme la forme de notre esprit dans la patrie. C’est pourquoi, bien qu’elle soit maintenant invisible, elle ne le sera plus alors.

Solution 4:

L’infini considéré au sens privatif (ou indéfini) est inconnaissable, en tant que tel, puisqu’il est privé de ce complément de détermination d’où vient la connaissance d’une chose. Il se réduit à la manière d’être de la matière qui serait privée de toute détermination, comme dit Aristote dans les Physiques. Mais l’infini pris dans le sens seulement négatif signifie l’absence de matière qui le limite. Tel est l’infini de Dieu, infini déterminé et connaissable.

 

Article 4: Dans la vision béatifique, l’homme comprend-il l’essence divine tel que Dieu la comprend?[94]

 

Objection 1:

Cela semble nécessaire. Tout ce qui existe d’une manière et est vu d’une autre manière, n’est pas vu tel qu’il est. Ainsi, si Dieu est vu par les saints d’une autre manière que ce qu’il est vraiment, on ne pourra pas parler d’une véritable vision de l’essence divine. Il ne sera pas vu par eux selon ce qu’il est.

Objection 2:

La compréhension est nécessaire à la vision béatifique. En effet, comprendre signifie seulement posséder un objet dans sa connaissance.

 

Cependant:

Dieu est infini et il dépasse les capacités de l’intelligence humaine. Il est donc impossible à l’homme de voir Dieu tel qu’il se voit lui-même.

 

Conclusion:

De même que Dieu dépasse par son essence infinie toutes les choses existantes qui ont une essence limitée, de même la connaissance qu’il a de lui-même est au dessus de toute connaissance. Le rapport de notre connaissance avec notre essence créée est comme le rapport de la connaissance divine avec son essence infinie. Dans toute connaissance, il y a trois choses à considérer: Ce qui est connu; ce par quoi nous connaissons; celui qui connaît 1° Dans la vision béatifique, l’homme verra la même chose que Dieu à considérer ce qui est connu puisque c’est Dieu lui-même qui sera vu, comme nous l’avons montré. 2° De même, considérer ce par quoi il est vu, nous serons semblables à Dieu car nous le verrons dans son essence comme il se voit dans son essence. 3° Mais du côté du connaissant, il y a une différence: celle qui existe entre l’intelligence divine et la nôtre. L’intensité de la connaissance dans celui qui connaît dépend de la puissance de celui-ci: celui qui a une vue plus forte voit plus nettement. En conclusion, on doit dire que l’homme verra réellement Dieu dans son essence mais selon la possibilité limitée de son intelligence créée; Nous montrerons que cette potentialité sera mesurée en chacun par l’intensité du désir de sa charité et non selon la puissance naturelle de l’intelligence elle-même, d’où le scandale des anges déchus dont l’intelligence est incomparablement plus vigoureuse de celle des hommes. L’homme ne comprendra donc pas Dieu tel qu’il se comprend[95].

 

Solution 1:

Dans la patrie, Dieu sera vu par les saints tel qu’il est, si nous parlons de celui-là même qui est vu; les saints le verront de la manière qu’il est lui-même. Mais si nous parlons de celui qui le connaît, alors il ne sera pas vu tel qu’il est parce que l’esprit créé n’aura pas une capacité suffisante pour le voir, en comparaison de la possibilité que l’essence divine possède en elle-même d’être connue. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus explique ce fait par une analogie: l’essence divine est comme un vin précieux. De même que le vin peut remplir en plénitude un petit verre et un grand verre, mais seulement selon la capacité de chacun, de même la vision béatifique sera donnée à chacun selon le degré de son désir de Dieu. Mais c’est le même vin qui remplit les deux verres, de même que c’est la même essence de Dieu.

Solution 2:

Le mot compréhension peut être entendu de deux manières. Il peut signifier une inclusion de ce qui est compris dans celui qui le comprend, et dans ce cas ce qui est compris par un être fini est fini, de telle sorte que Dieu, en ce sens, ne peut être compris par l’intellect d’aucune créature. En second lieu, comprendre peut signifier simplement tenir dans ses prises l’objet qui désormais est possédé et rendu présent. Ainsi un homme qui en poursuit un autre est dit l’appréhender quand une fois il le tient, et c’est ce genre de compréhension qui est requis pour la béatitude.

 

Article 5: Par la vision béatifique, l’homme devient-il Dieu?

 

Objection 1:

"Dans les choses séparées de la matière, dit Aristote l’intelligence et son objet ne sont qu’un" [96]. Mais Dieu est absolument séparé de toute matière. Si donc l’intelligence créée voit Dieu dans son essence, c’est qu’elle devient cette essence même de Dieu.

Objection 2:

Le Christ est non seulement l’image de Dieu mais aussi la préfiguration de ce que nous serons dans l’au-delà. Or l’humanité du Christ n’est pas seulement unie à Dieu par une amitié. Elle est unie dans sa substance au point de former avec Dieu une seule personne. Il semble donc que lorsque les effets de la Rédemption seront donnés en plénitude, les hommes deviendront Dieu de la même manière que Jésus est Dieu.

 

Cependant:

Si dans la vision béatifique, l’homme devenait Dieu, il serait détruit dans son être substantiel. Ce qui s’oppose à l’Écriture qui parle des saints comme d’êtres différents de Dieu: "les serviteurs de Dieu règneront pour les siècles des siècles".[97]

 

Conclusion:

Dans la vision que l’homme aura de Dieu, l’essence divine sera elle-même la forme par laquelle l’intelligence humaine connaîtra. Il n’est pas nécessaire qu’elle devienne une seule chose avec l’essence divine son être, mais seulement que l’une et l’autre deviennent une seule chose dans l’acte de connaître. C’est cette unité réalisée par la connaissance que veut exprimer saint Jean lorsqu’il dit[98] "Nous serons semblables à lui car nous le verrons tel qu’il est" Dans la vision béatifique, l’âme deviendra déiforme car elle vivra de la vie même de Dieu. Son opération sera simple, parfaite, bonne à l’image de la simplicité, perfection et bonté de sa Cause. De même, la Trinité des personnes divines imprimera son caractère à l’opération contemplative de l’esprit humain. Mais cette transformation n’ira pas jusqu’à atteindre la substance, c’est-à-dire à faire de l’homme Dieu lui-même.

Solution 1 La substance séparée de la matière se connaît et connaît les autres choses: et dans les deux cas, nous pouvons constater la vérité du texte cité. En effet, puisque l’essence même de la substance séparée est intelligible par elle-même et est en acte en tant que séparée de la matière, il est évident que quand la substance séparée se connaît elle-même, le connaissant et le connu sont tout à fait la même chose. Car elle ne se connaît pas elle-même à travers quelque intention abstraite d’elle-même, comme nous connaissons les choses matérielles. Telle semble être la pensée d’Aristote.

Mais en tant que la substance séparée connaît d’autres choses, ce qui est connu en acte devient une même chose avec ce qui connaît en acte, en tant que la forme du connu devient forme de l’intelligence, comme le prouve Avicenne. Car l’essence de l’intelligence demeure une sous de multiples formes, en tant qu’elle connaît plusieurs choses successivement, comme la matière première demeure unique sous diverses formes. C’est pourquoi le commentateur compare l’intellect possible dans ce cas à la matière première. Et ainsi, il n’en suit nullement que notre intelligence devienne l’essence divine elle-même, mais qu’elle est comparée à lui comme à sa perfection et à sa forme.

Solution 2:

Il y a une grande différence entre le Christ qui est Fils de Dieu par nature et nous qui le sommes par adoption. Ainsi le Christ n’est pas une personne humaine mais il est la deuxième personne de la Trinité unie substantiellement à une nature humaine. Au contraire les hommes sont à par entière et substantiellement des créatures. L’individuation de leur être est une des perfections données par Dieu. Leur fusion en Dieu serait une perte de cette perfection.

 

QUESTION 3: La cause de la vision béatifique

 

A ce sujet, 3 questions se posent:

L’homme peut-il par ses propres forces arriver à voir Dieu?

L’homme acquiert-il la vision béatifique par l’action d’une créature supérieure?

Est ce Dieu qui réalise en l’homme la manifestation de son essence?

 

Article 1: l’intelligence humaine peut-elle arriver à voir Dieu par ses propres forces?

 

Objection 1:

La nature ne fait pas défaut dans les choses nécessaires, comme il est dit dans le livre de l’âme. Or rien n’est plus nécessaire à l’homme que ce par quoi il obtient sa fin dernière. Donc cela ne fait pas défaut la nature humaine, et par conséquent l’homme peut acquérir la vision béatifique par ses forces naturelles.

Objection 2:

Au surplus, l’homme étant supérieur aux créatures privées de raison doit pouvoir mieux qu’elles se suffire à lui-même. Or ces créatures peuvent parvenir à leurs fins par leurs forces naturelles, donc l’homme, à plus forte raison, peut de la même manière acquérir la vision béatifique.

Objection 3:

En outre, la vision béatifique est une opération parfaite. Or il appartient à la même cause de commencer et de parfaire. Donc puisque l’opération imparfaite qui est au point de départ de l’activité humaine est soumise au pouvoir naturel de l’homme, par quoi il est maître de ses actes. Il semble que par le même pouvoir naturel l’homme puisse parvenir à l’opération parfaite qui est la vision de l’essence divine.

 

Cependant:

C’est par son intelligence et sa volonté que l’homme est naturellement le principe de ses actes. Or la dernière béatitude promise aux saints dépasse l’intelligence et la volonté de l’homme, ce qui fait dire à l’apôtre[99]: "l’œil de l’homme n’a point vu, son oreille n’a point entendu et jamais n’est monté jusqu’à son cœur ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment" Donc l’homme, par ses forces naturelles, ne peut acquérir la béatitude.

 

Conclusion:

Voir Dieu dans son essence dépasse non seulement la nature de l’homme mais celle de toute créature comme nous l’avons montré. En effet, la connaissance naturelle de chaque créature est conforme à la modalité de sa substance, ce qui a fait dire de l’intelligence dans le livre des causes, qu’" elle connaît ce qui est au dessus d’elle et ce qui est au dessous d’elle selon le mode de sa substance" Mais toute connaissance réduite au mode de la substance créée est en défaut quant à la vision de la divine essence, puisque celle-ci dépasse infiniment toute substance créée. Donc l’homme ni aucune créature ne peut voir Dieu par ses seules forces naturelles.

 

Solution 1:

De même que la nature ne fait pas défaut à l’homme quant au nécessaire, bien qu’elle ne l’ait pas pourvu d’armes et de vêtements comme elle l’a fait pour les autres animaux, puisque, en revanche, elle lui a donné une raison et des mains qui lui permettent d’acquérir ces choses: de même la nature ne fait pas défaut à l’homme dans les choses nécessaires en ne lui donnant pas le moyen d’acquérir par lui-même la béatitude, car cela était impossible; mais elle lui a donné le libre arbitre, par lequel il peut se tourner vers Dieu qui, lui, le fera heureux, et le Philosophe nous dit: "Ce que nous pouvons par nos amis, c’est par nous-mêmes, en quelque sorte, que nous le pouvons".

Solution 2:

La supériorité de l’homme sur les créatures sans raison n’est pas compromise de ce fait; car une nature qui peut acquérir le bien parfait, quoique ayant besoin pour cela d’un secours extérieur, est d’une condition supérieure à celle de la nature qui ne peut pas acquérir ce bien parfait, mais qui en acquiert un imparfait, n’ayant besoin pour cela d’aucun secours étranger. Ainsi raisonne le Philosophe. Par exemple, celui-là est dans de meilleures dispositions par rapport à la santé qui peut obtenir une santé parfaite, bien que ce soit par le secours de l’art, que celui qui peut obtenir sans ce secours une santé imparfaite. Voilà pourquoi la créature raisonnable, pouvant conquérir le bien parfait de la béatitude, tout en ayant besoin pour cela du secours divin, est supérieure à la créature privée de raison, qui n’est pas capable d’un tel bien, mais peut acquérir un bien imparfait par les seules forces de sa nature.

Solution 3:

On veut que le bien imparfait et le bien parfait qui est la béatitude procèdent de la même cause. Mais l’imparfait et le parfait ne procèdent du même pouvoir que s’ils sont de même espèce; cela ne s’impose plus quand ils sont d’espèce différente. En effet, tout ce qui peut disposer une matière n’est pas apte à procurer l’ultime perfection du travail. Or l’action imparfaite qui est au pouvoir naturel de l’homme n’est pas de la même espèce que l’opération parfaite en laquelle consiste la béatitude, puisque c’est l’objet qui détermine l’espèce de l’opération. Cet argument n’a donc pas la de valeur.

 

 

Article 2: L’homme acquiert-il la béatitude par l’action d’une créature supérieure?[100]

 

Objection 1:

Il semble que l’homme puisse être rendu heureux par l’action d’une créature supérieure, à savoir l’ange. En effet, il existe deux sortes d’ordre dans les choses: un ordre qui relie entre elles les diverses parties de l’univers, et un ordre qui rattache par un juste rapport tout l’univers à un bien qui lui est extérieur. Le premier de ces ordres dépend du second comme de sa fin, ainsi que le dit Aristote dans la Métaphysique, de la même manière que l’ordre des éléments d’une armée a pour fin le rapport de l’armée elle-même à l’égard du chef. Or l’ordre des parties de l’univers s’obtient par l’action des créatures supérieures à l’égard des créatures inférieures comme nous l’avons dit dans la Première Partie et la béatitude consiste dans le juste rapport de l’homme au bien qui est extérieur à l’univers, à savoir Dieu. Donc c’est par l’action d’une créature supérieure, l’ange, que l’homme atteint à sa béatitude.

Objection 2:

En outre, ce qui est tel en puissance peut être amené à l’acte par ce qui est lui-même tel en acte et par exemple ce qui est chaud en puissance devient chaud en acte par l’action de ce qui est lui-même chaud en acte. Or l’homme a la béatitude en puissance: donc il peut être rendu heureux en acte par l’ange qui est lui-même actuellement heureux.

Objection 3:

Au surplus, la béatitude consiste, nous l’avons dit, dans une opération de l’intellect. Or nous avons dit également, dans la Première Partie, que l’ange peut éclairer l’intellect de l’homme: donc l’ange peut rendre l’homme heureux.

 

Cependant:

On lit dans le psaume 83: "C’est Dieu qui donne la grâce et la gloire".

 

Conclusion:

Toute créature, du fait qu’elle a une vertu et une action finie, est soumise aux lois de la nature, et ce qui est au-dessus de la nature ne peut donc pas être réalisé par la vertu d’une créature quelconque. Si donc quelque chose doit être réalisé qui dépasse la nature, cela est fait par Dieu sans intermédiaire, comme par exemple la résurrection d’un mort, le retour d’un aveugle à la vue, et autres faits du même genre. Or nous avons montré que la béatitude est un bien supérieur à toute nature créée. II est donc impossible que la béatitude soit procurée à l’homme par l’action d’une créature. C’est par l’action de Dieu seul que l’homme est rendu heureux, à parler de la béatitude parfaite. S’agit-il de la béatitude imparfaite, il en est d’elle comme de la vertu, dans l’exercice de laquelle cette béatitude consiste.

 

Solution 1:

La considération de l’ordre du monde ne peut que confirmer notre conclusion car ce qui arrive le plus souvent, quand des puissances actives sont ordonnées entre elles, c’est qu’il appartienne à la puissance la plus élevée de conduire l’objet commun à sa dernière fin, alors que les puissances inférieures aident à ce résultat en créant les dispositions favorables. Ainsi l’art de la navigation, qui préside à l’art des constructions navales a la charge d’utiliser le navire qui n’a été construit qu’à cet effet. Ainsi, dans l’ordre universel, l’homme est aidé par les anges à atteindre sa fin dernière quant à certaines conditions qui l’y préparent mais la fin dernière elle-même est obtenue par l’action du premier agent, qui est Dieu.

Solution 2:

En ce qui concerne la communication de l’acte par un agent en acte, on n’a pas suffisamment précisé. Quand une forme existe en acte dans un sujet selon son être parfait et naturel, cette forme peut être un principe d’action à l’égard d’un autre sujet: ainsi un corps chaud échauffe grâce à sa chaleur Mais si la forme n’existe dans le sujet qu’imparfaitement et non pas selon son être naturel, elle ne peut être un principe de communication au profit d’un autre. Ainsi la représentation de la couleur, dans l’œil, n’a pas le pouvoir de blanchir. Au surplus, il n’est pas vrai que tout ce qui est clair ou chaud puisse éclairer ou échauffer autre chose de cette façon. En effet l’éclairement ou l’échauffement se perpétueraient à l’infini. Or la lumière de gloire, par laquelle on voit Dieu, est bien en Dieu d’une manière parfaite et selon son être naturel; mais dans une créature, elle n’existe qu’imparfaitement, par ressemblance ou participation. De là vient qu’une créature heureuse ne peut pas communiquer sa béatitude à une autre.

Solution 3:

Enfin il est très vrai que l’ange, du sein de la béatitude, peut éclairer l’intellect de l’homme et aussi celui d’un ange inférieur en ce qui concerne certains aspects des œuvres divines; mais non pas quant à la vision de la divine essence, comme nous l’avons montré dans la Première Partie. Pour cette vision, tous sont immédiatement illuminés par Dieu.

 

Article 3: Est-ce Dieu qui réalise en nous la manifestation de son essence?[101]

 

Objection 1:

Il est dit en saint Jean[102]: "La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ". Or ce nom de Jésus Christ ne désigne pas seulement la nature qui s’est unie la nature humaine, mais encore cette nature humaine créée par Dieu. Donc la gloire céleste qui est une grâce divine peut être donnée par une créature.

Objection 2:

Denys dans sa hiérarchie céleste, affirme que les anges purifient, illuminent et perfectionnent les anges inférieurs et aussi les hommes. Mais la vision béatifique est le don par excellence par lequel la créature raisonnable peut être purifiée, illuminée et perfectionnée. Donc Dieu n’est pas le seul à donner la gloire de la vision béatifique.

 

Cependant:

il est dit dans le psaume[103]: "C’est le Seigneur qui vous donnera la grâce et la gloire".

 

Conclusion:

Aucun agent ne peut produire un résultat qui sorte des limites de son espèce, car il faut toujours que la cause soit supérieure à l’effet. Or le don de la gloire surpasse la puissance de toute nature créée puisque la gloire est la participation à la nature divine, laquelle surpasse toute nature. C’est pourquoi aucune créature ne saurait être cause de la vision béatifique en une autre créature. Dieu seul peut déifier des êtres en leur communiquant son essence; de même que seul le feu peut mettre un corps en état de combustion.

 

Solution 1:

L’humanité du Christ est, selon l’expression de saint Jean Damascène, "une sorte d’instrument de sa divinité" [104]. Or ce n’est pas par son propre pouvoir que l’instrument réalise l’action de l’agent principal, c’est par la vertu de cet agent. Ce n’est donc pas par sa propre puissance que l’humanité du Christ introduira l’homme dans la vision béatifique, mais par la vertu même de la divinité à laquelle elle est jointe et qui donne aux oeuvres de l’humanité du Christ leur valeur de salut.

Solution 2:

Si l’ange purifie, illumine et perfectionne un autre ange et même l’homme, c’est en l’instruisant d’une certaine manière, mais non en lui communiquant la vision de l’essence divine. Aussi bien Denys lui-même dit-il que "cette purification, cette illumination et ce perfectionnement ne sont pas autre chose qu’une réception de la science divine".

 

QUESTION 4: Le siège de la vision béatifique

 

A propos de ce sujet, deux questions se posent:

Le siège de la vision béatifique est-il la volonté?

Les saints après la résurrection, verront-ils Dieu avec les yeux du corps?

 

Article 1: Le siège de la vision béatifique est-il la volonté?[105]

 

Objection 1:

II semble que la béatitude consiste en un acte de la volonté. En effet, saint Augustin écrit: "La béatitude de l’homme consiste dans la paix", selon ces mots du psaume: "II a fait de tes frontières un séjour de paix "Or la paix s’établit dans la volonté.

Objection 2:

La béatitude est aussi un souverain bien. Or le bien est du ressort de la volonté.

Objection 3:

N’est-ce pas du reste au premier moteur que doit correspondre l’ultime fin, de même que la victoire, fin dernière de toute l’armée, est la fin du chef qui meut l’armée tout entière? Or le premier moteur de toute opération est en nous la volonté car c’est elle qui actionne nos autres facultés ainsi que nous le dirons par la suite. Donc la béatitude appartient à la volonté.

Objection 4:

Au surplus, supposé que la béatitude soit une opération, ce doit être l’opération humaine la plus noble. Or l’amour de Dieu, qui est un acte de la volonté, est plus noble que la connaissance, opération intellectuelle. C’est ce que proclame l’Apôtre dans sa première épître aux Corinthiens.

Objection 5:

Enfin, nous trouvons dans saint Augustin ces paroles: "Celui-là est heureux qui a tout ce qu’il veut et ne veut rien de mal "Et peu après: "Celui-là est proche d’être heureux qui veut selon le bien tout ce qu’il veut; car ce sont des biens qui rendent heureux, et de ces biens un tel homme a déjà une part, qui est sa propre bonne volonté" C’est donc que la béatitude consiste en un acte de volonté.

 

Cependant, le Seigneur dit: "La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, seul vrai Dieu" Or la vie éternelle est notre dernière fin, comme nous l’avons dit. Donc la béatitude de l’homme consiste dans la connaissance de Dieu, qui est un acte intellectuel.

 

Conclusion:

Ainsi que nous l’avons dit plus haut, deux choses sont requises pour la béatitude: l’une qui est son essence même, l’autre qui est en quelque sorte son propre accident, à savoir la délectation qui s’y ajoute. Je dis donc qu’en ce qui concerne l’essence même de la béatitude, il est impossible qu’elle consiste en un acte de volonté. Il est clair en effet, d’après ce qui précède, que la béatitude est l’entrée en possession de notre fin dernière. Or l’entrée en possession de la fin ne consiste pas dans un acte de volonté. Car la volonté se porte vers la fin soit absente, alors qu’elle la désire, soit présente, lorsque s’y reposant, elle en jouit. Or il est évident que le désir de la fin n’en est pas l’acquisition, mais un mouvement vers elle. La jouissance, à son tour, vient à la volonté de ce que la fin lui est présente, et on ne peut dire, à l’inverse, que quelque chose soit rendu présent du fait que la volonté en jouit. Il faut donc qu’il y ait quelque chose d’autre, en dehors de l’acte de la volonté, par quoi la fin même soit rendue présente à celui qui veut.

Cela apparaît clairement quand on l’applique à des fins sensibles Si l’on pouvait acquérir de l’argent par un acte de volonté, l’avare serait en possession de cet argent dès le moment où il le désire. Mais au départ l’argent lui manque, il l’acquiert en y portant la main ou par quelque autre geste, et désormais il se délecte en l’argent possède. Ainsi en est-il en ce qui concerne notre fin intelligible. Au départ, nous voulons obtenir cette fin intelligible; nous l’obtenons du fait qu’elle nous devient présente par un acte intellectuel, et dès lors notre volonté, mise en état de jouissance se repose dans son union avec la fin cette fois possédée.

Ainsi, l’essence de la béatitude consiste en un acte intellectuel; mais à la volonté appartient la délectation afférente à la béatitude, ce qui fait que saint Augustin définit la béatitude "la joie de la vérité", parce que la joie est la consommation de la béatitude.

 

Solution 1:

Assurément la paix a rapport à la fin dernière de l’homme; mais elle n’en est pas l’essence; elle n’est à son égard qu’un antécédent et une conséquence. Un antécédent en ce que par elle, tout élément perturbateur et tout obstacle sont écartés du chemin de la béatitude. Une conséquence, parce que désormais l’homme en possession de sa dernière fin demeure apaisé, son désir ayant trouvé le repos.

Solution 2:

On argue de l’objet de la volonté. Mais le premier objet de la volonté n’est pas son acte à elle comme le premier objet de la vue n’est pas la vision mais le visible. Ainsi, de cela même que la béatitude concerne la volonté comme son premier objet, il résulte qu’elle ne se confond pas avec son acte même.

Solution 3:

II est très vrai que la fin dernière doit correspondre au premier principe, et si la fin est appréhendée d’abord par l’intelligence, le mouvement vers la fin s’inaugure en effet dans la volonté. Mais c’est précisément pour cela que nous attribuons à la volonté ce qui résulte en dernier de l’acquisition de la fin, à savoir la délectation ou la jouissance.

Solution 4:

On plaide pour le primat de la volonté, et assurément l’amour surpasse la connaissance là où il s’agit d’imprimer le mouvement. Mais la connaissance précède l’amour quant au fait d’atteindre; car ainsi que l’observe saint Augustin, on n’aime que ce qui est déjà connu. Pour cette raison, nous atteignons d’abord notre fin intelligible par une action de l’intellect, de même que c’est par les sens que nous atteignons d’abord une fin de l’ordre sensible.

Solution 5:

Ce que dit le texte invoqué dans la dernière objection ne nous contredit pas. Celui qui a tout ce qu’il veut est heureux du fait même qu’il a ce qu’il veut; Mais s’il l’a, c’est par tout autre chose qu’un acte de volonté. Quant à ne vouloir rien de mal, c’est là une prédisposition nécessaire à la béatitude même. Enfin la bonne volonté est placée par saint Augustin au rang des biens qui nous rendent heureux, en ce sens qu’elle est une sorte d’inclination vers ces biens. C’est ainsi que le mouvement rentre dans le genre auquel appartient son terme et l’altération dans le genre de la qualité qui en sera le résultat.

 

Article 2: Les saints, après la résurrection, verront-ils Dieu avec les yeux du corps?[106]

 

Objection 1:

Il semble que oui. L’œil glorifié aura une puissance plus grande que celle de tout œil non glorifié. Or le bienheureux Job a vu Dieu de ses yeux: "Je t’ai entendu par mon oreille, et maintenant mon œil te voit". À bien plus forte raison l’œil glorifié pourra-t-il voir Dieu en son essence.

Objection 2:

Job dit: "Dans ma chair, je verrai Dieu mon Sauveur". Dans la patrie, on verra donc Dieu, des yeux du corps.

Objection 3:

Parlant de la vue qu’auront les yeux glorifiés, saint Augustin s’exprime ainsi: "Leurs yeux posséderont une force toute-puissante, non pour qu’ils voient d’un regard plus perçant comme celui qu’on attribue aux serpents ou aux aigles: quelle que soit la pénétration de vision de ces animaux, ils ne peuvent voir rien d’autre que les corps. Mais les yeux glorifiés verront même les choses incorporelles". Toute puissance capable de voir les choses incorporelles peut être élevée jusqu’à la vision de Dieu. Les yeux glorifiés pourront donc le voir.

Objection 4:

La différence entre les choses corporelles et les incorporelles est la même qu’entre celles-ci et les premières. Or l’œil incorporel peut voir les choses corporelles. Donc l’œil corporel peut voir les choses incorporelles: donc, même conclusion que plus haut.

Objection 5:

saint Grégoire dit: "L’homme qui, s’il avait observé les préceptes, serait devenu spirituel jusqu’en sa chair, est devenu, par le péché, charnel jusqu’en son esprit" "Mais de ce fait, "il ne pense plus qu’aux choses qui parviennent à l’esprit par les images des corps "Quand sa chair sera devenue spirituelle (ce qui est promis aux saints après leur résurrection), il pourra voir dans sa chair même les choses spirituelles. Donc, aussi Dieu.

Objection 6:

L’homme ne peut recevoir que de Dieu sa béatitude. Il la recevra non seulement dans son âme, mais aussi dans son corps. Il verra donc Dieu; non seulement par l’intelligence mais aussi par sa chair.

Objection 7:

Comme Dieu est présent par son essence dans l’intelligence, ainsi il sera présent dans le sens, car "il sera toutes choses en tous "comme dit saint Paul aux Corinthiens. Mais l’intelligence le voit parce que son essence lui est une. Il pourra donc être vu aussi par le sens.

 

Cependant:

saint Ambroise dit, au sujet de saint Luc: "Dieu ne peut être cherché par les yeux du corps, il ne sera pas cerné par la vue ni touché par le tact". Dieu ne sera donc vu en aucune manière par un sens corporel. En outre, saint Jérôme dit à propos d’Isaïe, "J’ai vu le siège du Seigneur ": "Les yeux de chair ne peuvent apercevoir ni la divinité du Père, ni celle du Fils, ni celle de l’Esprit Saint, mais seuls la voient les yeux de l’esprit, dont il est dit: Bienheureux ceux qui ont le cœur pur" De plus, saint Jérôme dit ailleurs: "Une chose incorporelle n’est pas visible pour des yeux corporels". Or Dieu est le plus incorporel de tous les êtres. Donc, etc. De plus, saint Augustin dit: "Personne n’a jamais vu Dieu tel qu’il est, soit en cette vie, soit en la vie des anges, à la manière dont sont visibles les choses qui sont vues par la vision corporelle". Mais la vie des anges est la vie bienheureuse dans laquelle les ressuscités vivront. Donc, etc. De plus "on dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu, en tant qu’il peut voir Dieu", comme dit saint Augustin. Mais l’homme est à l’image de Dieu par son esprit, non par sa chair. C’est donc par l’esprit et non par la chair qu’il verra Dieu.

 

Conclusion:

Il y a deux manières de percevoir quelque chose par le sens corporel: par soi ou par accident. Par soi: nous percevons ce qui peut produire par soi une impression sur le sens corporel. Une chose peut produire cette impression ou bien sur le sens en tant que sens ou sur tel sens en tant qu’il est tel sens. Ce qui agit sur le sens de cette dernière façon est le sensible propre de tel sens, par exemple la couleur pour la vue, le son pour l’ouie. Puisque le sens en tant que tel se sert d’un organe corporel, une chose ne peut être perçue par lui que corporellement, car tout ce qui est reçu en quelque chose l’est à la manière de ce qui le reçoit. C’est pourquoi toutes les choses sensibles impressionnent le sens en tant que sens, selon qu’elles possèdent une dimension. Dès lors, la dimension et toutes ses conséquences, comme le mouvement, le repos, le nombre, etc., sont appelées des sensibles communs par soi. Ce qui n’impressionne pas le sens, ni en tant que sens, ni en tant qu’il est tel sens, peut pourtant être connu, par accident: parce qu’il est uni aux choses qui impressionnent le sens par elles-mêmes. C’est ainsi que Socrate, et le fils de Diares, et son ami, et d’autres réalités de ce genre, qui sont connues par soi universellement par l’intelligence, peuvent être connues dans le concret par la puissance cogitative de l’homme ou par l’estimative des autres animaux. Nous disons que le sens extérieur perçoit ces choses, par accident seulement, quand à partir de ce qu’il connaît par soi, la puissance cognitive (à qui il appartient de connaître par soi cet objet connu), le perçoit aussitôt, sans doute et sans déduction: De même que nous voyons que quelqu’un vit s’il parle. Quand il n’en est pas ainsi, on ne dit pas que le sens connaît, même par accident.

Je dis donc que Dieu ne peut en aucune manière être vu du regard corporel, ni être perçu par quelque sens, comme une chose visible par soi, ni ici-bas, ni dans la patrie; car si on enlève au sens ce qui lui convient en tant que sens, il cesse d’être un sens. De même, si on enlève à la vue ce qui lui convient en tant que telle, il n’y a plus de vue. Le sens en tant que tel perçoit la dimension et la vue en tant que telle perçoit la couleur. Il est donc impossible que la vue perçoive quelque chose qui n’est pas coloré, ni étendu, à moins de parler de sensation d’une manière équivoque. Puisque la vue et le sens seront dans le corps glorieux spécifiquement les mêmes qu’ici-bas, il n’est pas possible qu’ils voient l’essence divine comme une chose visible par soi. La vue le percevra seulement comme une chose visible par accident, d’une part en considérant la gloire de Dieu dans les corps, surtout glorifiés, et principalement dans le corps du Christ; et d’autre part parce que l’intelligence verra Dieu si clairement, que la vue le percevra dans les choses corporelles, de même que si quelqu’un parle on perçoit qu’il vit. Assurément notre intelligence ne verra pas Dieu dans les créatures, mais elle le verra à travers les créatures vues corporellement. C’est de cette manière de voir Dieu corporellement que saint Augustin parle quand il dit: "Il est tout à fait croyable que nous verrons les réalités corporelles du monde, du nouveau Ciel et de la nouvelle terre de telle sorte que nous apercevrons dans une éblouissante clarté Dieu présent en toutes choses et gouvernant tous les êtres même corporels. Cela se fera, non pas comme maintenant nous découvrons les choses invisibles de Dieu à travers celles qu’il a créées, mais de la manière dont, quand nous voyons les hommes, nous ne croyons pas, mais nous voyons qu’ils vivent".

 

Solution 1:

Job se réfère à l’œil spirituel; c’est pourquoi saint Paul dit: que "seront éclairés les yeux de notre cœur".

Solution 2:

Ce mot de Job peut prophétiser plusieurs choses. S’il parle de la vision béatifique, cette citation doit être comprise non en ce sens que nous verrons Dieu par nos yeux de chair, mais en ce sens que, étant dans la chair, nous verrons Dieu. S’il parle de la vision de la gloire de Dieu qui accompagne l’heure de la mort, il se réfère alors à une réalité sensible (apparition de l’envoyé de Dieu) manifestant de manière puissante l’essence encore cachée de Dieu. En ce sens, il s’agit d’une vision de l’œil physique, comme nous le montrerons. [107]

Solution 3:

Dans ce passage, saint Augustin est à la recherche du sens de ces paroles, et parle conditionnellement. Cela ressort de ce qu’il dit plus haut: "ils seront d’une toute autre puissance Si par les yeux ils voient la nature incorporelle". Il ajoute: "C’est pourquoi cette puissance". Et il conclut en accord avec ce que nous avons vu plus haut. Toute connaissance se réalise par une abstraction de la matière. C’est pourquoi, plus la forme corporelle est abstraite de la matière, plus elle est principe de connaissance. La forme qui existe dans la matière n’est aucunement principe de connaissance; elle l’est de quelque manière dans le sens, en tant que séparée de la matière, et mieux encore dans notre intelligence. C’est pourquoi l’œil spirituel, libéré de l’empêchement matériel de la connaissance, peut voir une chose corporelle. Il n’en découle pas que l’œil corporel, dépourvu de la puissance de connaître à cause de sa participation à la matière, puisse connaître parfaitement les choses connaissables incorporelles.

Solution 5:

Bien que l’esprit devenu charnel ne puisse connaître que ce qu’il reçoit des sens, cependant, il le connaît immatériellement. Tout ce que la vue saisit, elle le voit corporellement. Elle ne peut donc pas connaître les choses qui ne peuvent être saisies corporellement.

Solution 6:

La béatitude est la perfection de l’homme en tant qu’homme. Il n’est pas homme par son corps, mais plutôt par son âme. Les corps ne sont de l’essence de l’homme qu’en tant qu’ils sont perfectionnés par l’âme. C’est pourquoi la béatitude de l’homme ne consiste principalement que dans un acte de l’âme, et c’est d’elle qu’elle dérive dans le corps par une sorte de débordement, comme nous l’avons vu. Il y aura cependant une certaine béatitude de notre corps en tant qu’il verra Dieu dans les créatures sensibles, et surtout dans le corps du Christ.

Solution 7:

L’intelligence perçoit les choses spirituelles, qui échappent à la vue du corps. C’est pourquoi l’intelligence pourra connaître l’essence divine qui lui sera unie; mais non l’œil corporel.

 

QUESTION 5: Les effets de la vision béatifique[108]

 

A propos de ce problème, douze questions se posent:

Les vertus morales demeurent-elles dans la vision béatifique?

Les vertus intellectuelles demeurent-elles dans la vision béatifique?

La foi reste-t-elle après cette vie?

L’espérance reste-t-elle après la mort et dans l’état de gloire?

Reste-t-il dans la gloire quelque chose de la foi ou de l’espérance?

La charité reste-t-elle dans la gloire après cette vie?

Les dons du Saint Esprit restent-t-ils dans la patrie?

Les récompenses attribuées aux huit béatitudes seront-elles données dans la vision béatifique?

Les fruits du Saint Esprit seront-ils des effets de la vision béatifique?

10° L’élément principal de la béatitude est-il la vision de Dieu ou la délectation qui en résulte?

11° Les saints en voyant Dieu, voient-ils tout ce que Dieu voit?

12° La vision béatifique est-elle éternelle?

 

Article 1: Les vertus morales demeurent-elles dans la vision béatifique?

 

Objections 1: Selon toute apparence, non. Car dans l’état de la gloire future les hommes seront semblables aux anges, comme il est dit en saint Matthieu[109]. Mais il est ridicule de supposer chez les anges des vertus morales. Il n’y en aura donc pas non plus chez les hommes après cette vie.

Objection 2:

Les vertus morales perfectionnent l’homme dans la vie active. Mais la vie active ne demeures après cette vie "Les oeuvres de la vie active, dit saint. Grégoire, passent avec le corps". Donc les vertus morales ne demeurent pas après la vie présente.

Objection 3:

La tempérance et la force qui sont des vertus morales appartiennent aux fonctions non spirituelles de l’âme, dit le Philosophe. Or ces fonctions disparaissent avec le corps, puisqu’elles sont actes d’organes corporels. Il semble donc vertus morales ne demeurent pas après cette vie.

 

Cependant:

Il est écrit dans la Sagesse [110]que "la justice est perpétuelle immortelle".

 

Conclusion:

Selon saint. Augustin, Cicéron a estimé que les quatre vertus cardinales n’existent plus après cette vie, mais que dans l’autre vie les hommes "sont heureux uniquement par la connaissance de cette nature en laquelle on ne peut rien trouver qui soit meilleur et plus aimable", sous-entendu "que cette nature même qui a créé toutes les natures", comme saint Augustin le dit en cet endroit. Mais lui-même après cela définit que ces quatre vertus existent encore dans la vie future, cependant sous un autre mode.

Pour y voir clair, il faut savoir que dans ces vertus il y a quelque chose de formel, et quelque chose qui tient lieu de matière. Leur côté matériel, c’est le penchant des appétits vers les passions ou vers les opérations, selon une certaine mesure. Mais puisque cette mesure est déterminée par la raison, il s’ensuit que, dans toutes les vertus, le formel est l’ordre même de la raison. Ainsi donc, il faut affirmer que ces vertus morales ne demeurent pas dans la vie future quant à ce qu’elles ont de matériel. Car les convoitises et les plaisirs relatifs à la nourriture et aux activités sexuelles n’auront pas place dans la vie future; ni non plus les craintes et les audaces relatives aux périls de mort; ni non plus les distributions et les échanges appelés par la pratique de la vie présente. Mais quant à ce qu’elles ont de formel, ces vertus subsisteront après cette vie chez les bienheureux à leur plus haut degré de perfection; c’est-à-dire que la raison de chacun sera dans la plus grande rectitude selon son état, et que l’appétit sera mû entièrement selon l’ordre de la raison pour tout ce qui ressortit à cet état. D’où, ces réflexions de saint Augustin dans le même passage: "La prudence sera là sans aucun péril d’erreur; la force, sans l’ennui des maux à supporter; la tempérance sans l’opposition des mauvais désirs. La prudence sera de ne préférer ni égaler à Dieu aucun bien; la force, d’être attaché à lui avec la plus grande fermeté; la tempérance, de se délecter sans aucune défaillance coupable. Quant à la justice, il est encore plus évident que l’acte qu’elle aura là-haut ce sera d’être soumis à Dieu, parce que même en cette vie il appartient à la justice qu’on soit soumis à son supérieur.

Solutions 1: Le Philosophe parle là de nos vertus morales en ce qu’elles ont de matériel; ainsi, à propos de la justice, il pense aux "échanges, ventes et achats "; à propos de la force, aux "choses qui font peur et aux périls"; à propos de la tempérance, aux "convoitises dépravées".

Solutions 2: Il faut en dire autant pour la seconde objection. Les choses de la vie active sont pour les vertus comme le côté matériel.

Solutions 3: Nous aurons deux états après cette vie: l’un avant la résurrection, quand les âmes seront séparées de leurs corps; l’autre après la résurrec­tion, quand les âmes seront de nouveau unies à leurs corps. En cet état de résurrection, il y aura des puissances non rationnelles dans les organes du corps comme il y en a maintenant. De sorte qu’il pourra y avoir de la force dans l’irascible, et de la tempérance dans le concupiscible, en tant que l’une et l’autre puissance seront parfaitement disposées à obéir à la raison. Mais dans l’état précédant la résurrection, dans l’hypothèse ou les facultés de la vie sensible n subsisteront pas, les fonctions non rationnelles ne seront pas dans l’âme d’une manière actuelle, elles n’y seront que par leur racine dans l’essence de l’âme elle-même. Aussi les vertus de cette sorte n’existeront pas non plus d’une manière actuelle, si ce n’est en leur racine, c’est-à-dire dans la raison et dans la volonté où il y a, avons-nous dit, des germes de ces vertus. Toutefois, la justice qui réside dans la volonté subsistera même d’une manière actuelle; c’est pourquoi on a dit d’elle spécialement qu’elle est "perpétuelle et immortelle ", tant en raison du sujet, puisque la volonté est une faculté qui ne peut périr, qu’à cause aussi de la similitude de l’acte qui est le même, comme nous venons de le dire, en cette vie et en l’autre.

 

Article 2: Les vertus intellectuelles demeurent-elles après cette vie?

Objection s 1: Il semble que non. L’Apôtre écrit en effet que "la science sera détruite", et la raison en est que nous avons là une "connaissance partielle" [111]. Mais, si la connaissance de science est partielle, c’est-à-dire imparfaite, il en est de même des autres vertus intellec­tuelles, aussi longtemps que dure cette vie. Toutes ces vertus cesseront donc après cette vie.

Objections 2: Le Philosophe dit que la science, puisqu’elle est un habitus, est une qualité difficilement changeante; en effet, elle ne se perd pas facile­ment, si ce n’est par quelque forte modification organique ou par maladie. Mais il n’y a pas de modification du corps humain aussi grande que celle qui se fait par la mort. Ni la science ni les autres vertus intellectuelles ne demeurent donc après cette vie.

Objections 3: Les vertus intellectuelles perfectionnent l’intelligence pour le bon accomplissement de son acte propre. Mais cet acte, semble-t-il, n’existe plus après cette vie du fait que "l’âme n’a plus aucune pensée sans image", d’après Aristote; or les images ne subsistent pas après cette vie puisqu’elles n’existent que dans des organes corporels. Les vertus intellectuelles ne subsistent donc pas non plus après cette vie.

 

Cependant:

La connaissance de l’uni­versel et du nécessaire est plus ferme que celle du particulier et du contingent. Mais il demeure en l’homme après cette vie une connais­sance de choses particulières contingentes, par exemple de ce qu’il a fait et souffert, selon cette parole de saint Luc[112]: "Souviens-toi que tu as reçu des biens pendant ta vie et que Lazare a reçu des maux". Donc la connais­sance de l’universel et du nécessaire, objet de la science et des autres vertus intellectuelles, demeure bien davantage.

 

Conclusion:

Ainsi que nous l’avons dit dans la première Partie, certains ont soutenu que les espèces intelligibles ne sont pas en perma­nence dans l’intellect passif si ce n’est lorsqu’il fait acte d’intelligence; en dehors de la pensée actuelle, il n’y aurait pas la moindre conservation d’espèces, si ce n’est dans les facultés sensibles qui sont les actes d’organes corporels, c’est-à-dire dans l’imagination et dans la mémoire. Or ce sont là des facultés qui disparaissent avec le corps. Aussi, dans cette position, la science ne restera d’aucune manière après cette vie, une fois le corps détruit; ni non plus aucune autre vertu intellectuelle.

Mais cette opinion contredit la pensée d’Aris­tote qui affirme au livre III du traité De l’âme que "l’intellect passif est en acte du fait qu’il devient chaque chose en la connaissant, alors qu’il n’est cependant qu’en puissance à y penser d’une manière actuelle "Cette opinion contredit aussi la raison, car les espèces intelligibles sont reçues dans l’intellect passif de façon immuable selon le mode du récepteur. C’est pourquoi cet intellect est appelé "le lieu des espèces", étant pour ainsi dire le conservatoire des espèces intelligibles.

Toutefois, il est bien vrai, comme nous l’avons dit dans la première Partie, que l’homme en cette vie pense à condition de regarder les images pour y appliquer les espèces intelligibles. Or les images sont détruites avec le corps. Donc, quant à ces images qui sont pour ainsi dire le matériel des vertus intellectuelles, on peut dire que ces vertus sont détruites avec le corps. Mais quant aux espèces intelligibles qui résident dans l’intellect passif les vertus intellectuelles demeurent; or de telles espèces sont comme le formel de ces vertus. Aussi celles-ci demeurent-elles après cette vie par leur côté formel, mais non par leur côté matériel, comme nous l’avons dit à propos des vertus morales.

Solutions 1: La parole de l’Apôtre doit s’enten­dre de ce qu’il y a de matériel dans la science, et aussi du mode de penser. Le fait est qu’une fois le corps détruit les images ne subsisteront pas, et que l’usage de la science ne se fera plus par recours aux images.

Solutions 2: Par la maladie l’habitus de science est dé­truit dans ce qu’il a de matériel, c’est-à-dire dans les images, mais non dans les espèces intelligibles, qui ont leur siège dans l’intellect passif.

Solutions 3: L’âme séparée possède après la mort, comme nous l’avons dit dans la première Partie, une autre manière de penser que par recours aux images. Et ainsi la science demeure, non pas cependant selon la même manière d’opérer, comme nous l’avons aussi remarqué pour les vertus morales.

 

Article 3: La foi demeure-t-elle après cette vie?

Objection s 1: Il semble que la foi demeure après cette vie, car elle est plus noble que la science, et nous venons de voir que celle-ci demeure. Donc la foi aussi.

Objections 2: "Personne, dit l’Apôtre[113], ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, qui est le Christ Jésus, c’est-à-dire la foi au Christ Jésus". Mais, le fondement enlevé, il ne reste rien de ce qui est bâti dessus. Donc, si la foi ne demeurait pas après cette vie, aucune autre vertu ne demeurerait.

Objections 3: Connaissance de foi et connaissance de gloire diffèrent comme le parfait et l’imparfait. Mais une connaissance imparfaite peut coexister avec une connaissance parfaite; ainsi, chez l’ange, il peut y avoir la connaissance du soir en même temps que celle du matin; et un homme peut avoir sur la même conclusion une science par syllogisme démonstratif et une opinion par syllo­gisme dialectique. Donc la foi aussi peut exister après cette vie en même temps que la connaissance de gloire.

 

Cependant:

l’Apôtre dit[114]: "Tant que nous sommes dans notre corps, nous sommes en exil loin du Seigneur, car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision". Mais ceux qui sont dans la gloire ne sont plus en exil loin du Seigneur, ils lui sont présents. C’est donc que la foi ne demeure pas après cette vie quand on est dans la gloire.

 

Conclusion:

Ce qui fait l’essentiel et la cause propre d’une opposition, c’est que les opposés s’excluent l’un l’autre au point qu’il y ait toujours entre eux l’opposition entre affirmation et négation. Or, en certains cas, l’opposition se rencontre bien selon des formes contraires, comme le blanc et le noir dans les couleurs. Mais, en d’autres cas, elle se fait selon des degrés de parfait et d’imparfait; c’est ainsi que dans les changements par altération, le plus et le moins sont pris comme des contraires, par exemple quand une chose passe du moins chaud au plus chaud, selon Aristote, Et parce que le parfait et l’imparfait s’opposent, il est impossible qu’il y ait en même temps dans le même sujet perfection et imperfection.

Il faut néanmoins remarquer que parfois l’im­perfection est essentielle à une chose et fait partie de l’espèce même, comme le manque de raison fait partie de la notion spécifique du cheval ou du bœuf. Et, comme une réalité ne peut jamais être transférée d’une espèce à une autre tout en restant numériquement la seule et même réalité, il s’ensuit que si l’on enlève à une chose cette imperfection qui lui est essentielle, on change l’espèce: un bœuf, par exemple ou un cheval, ne serait plus ni bœuf ni cheval s’il devenait un être raisonnable. Parfois en revanche l’imperfec­tion n’appartient pas à la raison spécifique, mais elle est un accident déterminé, chez un individu, par quelque chose d’étranger à l’espèce; c’est ainsi qu’il arrive à un homme d’être privé de la raison en tant que le sommeil, l’ivresse ou un autre accident semblable l’empêche d’exercer sa raison. Mais il est clair que si l’on éloigne une telle imperfection, la substance de la chose n’en demeure pas moins.

Or, il est évident que l’imperfection de la connaissance est essentielle à la foi. Elle est dans sa définition: la foi est "la substance des choses à espérer, la conviction de ce qui ne se voit pas ", selon l’épître aux Hébreux[115]; et saint Augustin affirme: "Qu’est-ce que la foi? C’est croire à ce que tu ne vois pas". Mais qu’une connaissance existe ainsi sans l’apparition ni la vision de l’objet, c’est pour elle une imperfection. Et ainsi l’imper­fection de la connaissance est essentielle à la foi. D’où il est manifeste que la foi ne peut devenir une connaissance parfaite tout en restant numéri­quement identique.

Mais il faut aller plus loin, pour savoir si elle peut exister en même temps qu’une connaissance parfaite. Il faut donc remarquer que la connais­sance peut être imparfaite de trois manières: du côté de l’objet à connaître, du côté du moyen de connaître, du côté du sujet. Du côté de l’objet à connaître, la connaissance du matin et celle du soir chez les anges diffèrent comme le parfait et l’imparfait, car la connaissance du matin regarde les choses en tant qu’elles ont leur existence dans le Verbe, celle du soir les regarde selon qu’elles ont l’existence dans leur propre nature, ce qui est imparfait en comparaison de la première existence.

 

Du côté du moyen, ce qui diffère comme le parfait et l’imparfait, c’est la connaissance qu’on a d’une conclusion par un moyen démonstratif, et celle qu’on a par un moyen probable. Du côté du sujet enfin, ce qui diffère comme parfait et imparfait, c’est l’opinion, la foi, la science. Car il est essentiel à l’opinion de prendre un parti avec la crainte que le parti opposé ne soit vrai; aussi n’a-t-elle pas d’adhésion ferme. Au contraire, il est essentiel à la science d’avoir une ferme adhésion avec la vision intellectuelle, car elle a une certitude qui découle de l’intelligence des principes. Quant à la foi, elle tient le milieu; en ce qu’elle a une ferme adhésion, elle dépasse l’opinion; mais en ce qu’elle n’a pas la vision, elle est au-dessous de la science.

Évidemment, le parfait et l’imparfait ne peuvent exister en même temps sous un même aspect. Mais les choses qui diffèrent selon le parfait et l’imparfait sur un certain point, peuvent exister ensemble identiquement sur un autre point. Ainsi donc, une connaissance parfaite et une connais­sance imparfaite du côté de l’objet ne peuvent aucunement avoir en commun le même objet. Elles peuvent cependant avoir en commun le même moyen terme et le même sujet. Rien n’empêche en effet qu’un homme ait en même temps et du même coup, par un seul et même moyen terme, la connaissance de deux objets dont l’un est parfait et l’autre imparfait, comme la santé et la maladie, le bien et le mal. Pareillement, il est impossible aussi qu’une connaissance parfaite et une connais­sance imparfaite du côté du moyen terme se rejoignent dans un seul moyen. Mais rien n’empê­che qu’elles se rejoignent dans un seul objet et dans un seul sujet; car le même homme peut connaître une même conclusion par un moyen terme probable, et par un moyen terme démons­tratif. Enfin, il est pareillement impossible qu’une connaissance parfaite et une connaissance imparfaite, du côté du sujet, existent ensemble dans le même sujet. Or, la foi implique dans sa raison même cette imperfection subjective: que le croyant ne voit pas ce qu’il croit; La béatitude au contraire a dans sa notion même cette perfection, que le bienheureux voit ce qui le béatifie. Aussi est-il évidemment impossible que la foi demeure en même temps que la béatitude dans le même sujet.

Solutions 1: La foi est plus noble que la science du côté de l’objet, perce que celui-ci est la vérité première. Mais la science a un mode de connaître plus parfait, qui ne s’oppose pas à la perfection de la béatitude, c’est-à-dire à la vision, comme s’y oppose le mode de la foi.

Solutions 2: La foi est un fondement quant à ce qu’elle possède de connaissance. C’est pourquoi, quand il y aura une connaissance plus parfaite, il y aura un fondement plus parfait.

Solutions 3: La solution ressort ici de ce que nous venons de dire.

 

 

Article 4: L’espérance demeure-t-elle après cette vie?

 

Objection 1:

Il semble bien. Car l’espérance perfectionne l’appétit humain plus noblement que ne le font les vertus morales. Mais les vertus morales demeurent après cette vie, comme le montre saint Augustin. Donc l’espérance à plus forte raison.

Objection 2:

La crainte s’oppose à l’espérance. Mais la crainte subsiste après cette vie: chez les bien­heureux, la crainte filiale qui demeure à jamais; chez les damnés, la crainte des châtiments. Donc l’espérance, à titre égal, peut demeurer.

Objection 3:

Comme l’espérance a pour objet un bien à venir, de même le désir. Mais il y a chez les bienheureux un désir des biens à venir, et quant à la gloire du corps à laquelle, dit saint Augustin, aspirent les âmes des bienheureux, et même quant à la gloire de l’âme selon cette parole de l’Ecclésiastique[116]: "Ceux qui me mangent auront encore faim et ceux qui me boivent auront encore soif", et le mot de saint Pierre sur "celui en qui les anges désirent plonger leur regard" [117]. Il semble donc que l’espérance puisse exister après cette vie chez les bienheureux.

 

Cependant:

l’Apôtre écrit[118]: "Voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer". Mais les bienheureux voient ce qui fait l’objet de leur espérance, c’est-à-dire Dieu. Donc ils n’espè­rent plus.

 

Conclusion:

Ainsi que nous venons de le dire pour la foi, quand une chose implique par définition une imperfection du sujet, elle ne peut rester dans un sujet qui possède parfaitement la perfection opposée. Ainsi, il est évident que le mouvement implique de soi une imperfection du sujet, puisqu’on le définit "l’acte d’un être en puissance en tant que tel "Aussi, quand cette puissance est réduite en acte, le mouvement cesse lorsqu’une chose est déjà devenue blanche, elle n’a pas à blanchir encore. Or l’espérance implique un mouvement vers ce qu’on n’a pas, comme on peut le voir par tout ce que nous avons dit plus haut sur la passion d’espérance. C’est pourquoi quand on sera en possession de ce qu’on espère, c’est-à-dire lorsqu’on jouira de Dieu, il ne pourra plus y avoir d’espérance.

 

Solution 1:

L’espérance est plus noble que les vertus morales quant à l’objet qui est Dieu. Mais les actes des vertus morales, sauf peut-être par ce côté matériel qui ne subsiste pas dans l’autre vie, ne s’opposent pas à la perfection de la béatitude comme fait l’acte de l’espérance. En effet la vertu morale perfectionne l’appétit non pas seulement en vue de ce qu’on n’a pas encore, mais aussi par rapport à ce qu’on a présentement en sa possession.

Solution 2: Comme nous le dirons plus loin, il y a deux craintes, la crainte servile et la crainte filiale. La crainte servile est la peur du châtiment, qui ne pourra plus exister dans la gloire puisqu’il ne restera aucune possibilité de subir une peine. Quant à la crainte filiale, elle a deux actes révérer Dieu, et quant à cet acte elle demeure; puis, craindre d’être séparé de lui, et quant à cet acte elle ne demeure pas. En effet, être séparé de Dieu, c’est un mal; or aucun mal ne sera plus à craindre là-haut, selon la parole des Proverbes[119] "On jouira abondamment, la crainte du mal ayant disparu". Pour ce qui est de l’opposition entre la crainte et l’espérance, elle se fonde, avons-nous dits, sur l’opposition entre le bien et le mal: aussi la crainte qui restera dans la gloire n’est-elle pas en opposition avec l’espérance.

Chez les damnés, au contraire, la crainte du châtiment peut exister plus que chez les bien­heureux l’espérance de la gloire. C’est que chez les damnés les peines se présenteront les unes après les autres, et ainsi elles auront toujours l’aspect d’une chose à venir, qui est l’objet formel de la crainte. Mais la gloire des saints ne se réalise pas d’une manière successive: elle participe de l’éternité, où il n’y a ni passé ni futur mais uniquement le présent. Et pourtant, même chez les damnés la crainte à proprement parler n’existe pas. Car elle n’est jamais, avons-nous dit, sans quelque espoir d’évasion; or cet espoir chez les damnés n’existera aucunement. Par conséquent la crainte non plus, si ce n’est dans le sens tout à fait général où l’on donne le nom de crainte à n’importe quelle attente d’un mal à venir.

Solution 3:

Quant à la gloire de l’âme, il ne peut y avoir, pour la raison que nous venons de dire, un véritable désir chez les bienheureux sous l’aspect où le désir regarde le futur. On dit que la faim et la soif existent là-haut, pour écarter l’idée qu’on s’ennuierait. C’est pour la même raison qu’on dit que le désir existe chez les anges. Mais par rapport à la gloire du corps, dans les âmes des saints il peut bien y avoir un désir, mais non une espérance à proprement perler; ni au sens précis où elle est vertu théologale, car alors son objet est Dieu et non un bien créé; ni au sens où elle est prise en général. Perce que l’objet de l’espé­rance est quelque chose d’ardu, avons-nous dit. Or, aussitôt que nous possédons la cause inélucta­ble d’un bien, il ne se présente plus à nous sous un aspect ardu. Ainsi, lorsque quelqu’un a de l’argent, et qu’il y a des choses qu’il peut acheter tout de suite, on ne dit pas à proprement parler qu’il espère les avoir. Et pareillement, ceux qui possèdent la gloire de l’âme, on ne dit pas à proprement parler qu’ils espèrent la gloire du corps; on dit seulement qu’ils la désirent.

 

Article 5: Demeure-t-il quelque chose de la foi ou de l’espérance?

 

Objection 1:

Il semble qu’il en demeure quelque chose dans la gloire. En effet, écartez ce qui est propre, il demeure ce qui est commun. On lit ainsi au livre Des Causes: "Une fois écarté l’être raisonnable, il reste le vivant; et une fois écarté le vivant, il reste l’être". Mais la foi a quelque chose de commun avec la béatitude, à savoir la connaissance même; elle a d’autre part quelque chose qui lui est propre, à savoir l’énigme: elle est en effet une "connaissance en énigme "Donc, une fois écarté le caractère énigmatique de la foi, il reste encore la connaissance même de la foi.

Objection 2:

La foi est dans l’âme une lumière spirituelle, selon l’Apôtre[120]: "Que les yeux de votre cœur soient illuminés pour la connaissance de Dieu". Mais cette lumière est imparfaite par rapport à la lumière de gloire dont il est dit dans le Psaume[121]: "Dans ta lumière nous verrons la lumière". Or une lumière imparfaite demeure même quand survient la lumière parfaite: un cierge ne s’éteint pas quand survient la clarté du soleil. Il semble donc que la lumière de foi demeure avec la lumière de gloire.

Objection 3:

On n’enlève pas sa substance à un habitus du fait qu’on lui ôte sa matière; on peut garder l’habitus de la libéralité même après qu’on a perdu son argent, mais on ne peut plus en avoir l’acte. Or la foi a pour objet la vérité première non vue. Une fois cette matière enlevée par le fait même de la vision de la vérité première, il peut donc y avoir encore l’habitus même de la foi.

 

Cependant:

La foi est un habitus simple. Or une chose simple ou disparaît tout entière ou demeure tout entière. Donc, puisque la foi ne peut pas demeurer entièrement mais, comme nous l’avons dit est vidée de ce qui la définit, il semble qu’elle soit totalement enlevée.

 

Conclusion:

Pour certains, l’espérance disparaît tout à fait, tandis que la foi disparaît en partie, c’est-à-dire quant à l’énigme, et demeure en partie, c’est-à-dire quant à la substance de la connais­sance. Si l’on entend par là qu’elle reste, non dans une identité numérique mais dans une identité générique, c’est tout à fait vrai, car la foi s’accorde avec la vision de la patrie dans un genre, celui de la connaissance. L’espérance, au contraire, ne s’accorde pas avec la béatitude dans un genre; en effet, l’espérance est comparée à la jouissance de la béatitude, comme le mouvement est comparé au repos que l’on goûte en arrivant au terme.

Mais si l’on veut dire que la connaissance qu’on a dans la foi reste numériquement la même dans la patrie, c’est tout à fait impossible. Car lorsqu’on enlève la différence constitutive d’une espèce, la substance du genre ne reste plus numériquement la même; ainsi, quand vous ôtez ce qui fait la blancheur, la substance de la couleur ne demeure pas numériquement la même, de sorte qu’une couleur numériquement la même serait tantôt le blanc et tantôt le noir. Le genre, en effet, ne se compare pas à la différence spécifique comme la matière à la forme, au point que la substance du genre puisse rester identique numériquement, même après qu’on a changé la différence, comme la substance de la matière demeure identique numériquement, même quand la forme a changé. Le genre et la différence ne sont pas des parties de l’espèce; autrement, on n’en ferait pas des prédicats de l’espèce. Mais, de même que l’espèce signifie le tout, c’est-à-dire le composé de matière et de forme dans les réalités matérielles, de même la différence représente le tout, et pareillement le genre; mais le genre désigne le tout par ce qui en est pour ainsi dire la matière, tandis que la différence le désigne par ce qui en est pour ainsi dire la forme; Mais l’espèce le désigne par l’un et l’autre côté. Ainsi, dans l’homme, la nature sensible se présente matériellement par rapport à la nature intellectuelle; On appelle animal ce qui a la nature sensible; raisonnable, ce qui a la nature intellectuelle; homme enfin, ce qui est en posses­sion des deux. C’est bien le même tout qui est signifié par ces trois choses, mais non du même point de vue.

De toute évidence par conséquent, puisque la différence ne fait que préciser le genre, si l’on écarte la différence, la substance du genre ne peut rester la même, car ce n’est pas la même animalité qui demeure si c’est une autre sorte d’âme qui constitue l’animal. Par conséquent il n’est pas possible qu’une connaissance qui a existé d’abord sous forme d’énigme, devienne ensuite une vision à découvert en demeurant numériquement la même. Ainsi est-il évident que rien de ce qui est dans la foi ne demeure dans la patrie, identique numériquement ou spécifiquement; ce n’est iden­tique que génériquement.

 

Solution 1:

Otez le raisonnable, le vivant ne demeure plus le même numériquement, mais par le genre, nous venons de le montrer.

Solution 2:

L’imperfection de la lumière d’un cierge ne s’oppose pas à la perfection de la lumière solaire, parce qu’il ne s’agit pas du même sujet. Mais l’imperfection de la foi et la perfection de la gloire s’opposent entre elles et regardent le même sujet. Elles ne peuvent donc exister ensemble, pas plus que dans l’air la clarté ne peut coexister avec l’obscurité.

Solution 3:

Celui qui perd de l’argent ne perd pas la possibilité d’en avoir, et c’est pourquoi il peut très bien garder l’habitus de la libéralité. Mais dans l’état de gloire non seulement on perd en acte l’objet de foi, c’est-à-dire ce qu’on ne voit pas; mais on perd jusqu’à la possibilité de le recouvrer, étant donné la stabilité de la béatitude. Aussi un tel habitus demeurerait pour rien.

 

Article 6: La charité demeure-t-elle après cette vie?

Objection s 1: Il ne semble pas. Car, dit l’Apôtre[122], "quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel (c’est-à-dire imparfait) disparaî­tra". Mais la charité de l’homme voyageur est imparfaite. Donc elle disparaîtra lorsque adviendra la perfection de la gloire.

Objections 2: Habitus et actes se distinguent d’après les objets. Mais l’objet de l’amour est le bien appréhendé. Comme on appréhende tout autre­ment dans la vie présente et dans la vie future, il semble donc que la charité ne doive pas rester la même des deux côtés.

Objection 3:

Dans les choses qui sont d’une même essence, l’imparfait peut s’élever au niveau de la perfection par un accroissement continu. Mais la charité dans l’état de voyage, quelle que soit sa croissance, ne peut jamais parvenir à égaler la charité dans la patrie. Il semble donc que la charité du voyage ne demeure pas dans la patrie.

 

Cependant:

l’Apôtre assure[123]: "La charité ne disparaîtra jamais".

 

Conclusion:

Quand l’imperfection d’une chose, avons-nous dit, n’appartient pas à la définition de son espèce, rien n’empêche qu’en demeurant identique numériquement, ce qui fut d’abord imparfait ne devienne ensuite parfait, comme l’homme se perfectionne par croissance, et la blancheur par intensification. Or la charité est un amour. Il n’est aucune imperfection qui soit essentielle à l’amour; il peut avoir pour objet aussi bien ce qu’on possède que ce qu’on ne possède pas, ce qu’on voit que ce qu’on ne voit pas. Aussi la charité ne disparaît pas par la perfection même de la gloire, mais elle reste numériquement la même.

 

Solution 1:

L’imperfection de la charité lui advient par accident; l’imperfection n’est pas essentielle à l’amour. Or, quand on ôte ce qui est accidentel, il reste néanmoins la substance de la réalité. Dès lors l’imperfection de la charité est supprimée, la charité elle-même ne l’est pas.

Solution 2:

La charité n’a pas pour objet la connaissance même; dans ce cas en effet, elle ne serait pas la même dans le voyage et dans la patrie. Mais elle a pour objet la réalité connue qui, elle, reste identique, à savoir Dieu même.

Solution 3:

Si la charité du voyage ne peut parvenir par accroissement à égaler celle de la patrie, cela tient à une différence du côté de la cause; la vision est en effet une cause de l’amour, dit Aristote. Or Dieu est d’autant plus parfaitement aimé qu’il est plus parfaitement connu.

 

Article 7: Les dons du Saint-Esprit demeurent-ils dans la patrie?[124]

 

Objection 1:

Il semble bien que non. Car saint Grégoire affirme: "Par les sept dons, le Saint-Esprit forme notre esprit à résister à chacune des tentations de la vie". Mais dans la patrie il n’y aura plus de ces épreuves, selon la parole d’Isaïe[125]: "On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma sainte montagne". Les dons du Saint-Esprit n’existeront donc plus dans la patrie.

Objections 2: Ces dons sont, avons-nous dit, des habitus. Or c’est bien inutilement qu’il y aurait des ha­bitus s’il ne peut plus y avoir d’actes. Mais les actes de certains dons ne peuvent avoir lieu dans la patrie. Saint Grégoire dit en effet "L’in­telligence fait pénétrer ce qu’on connaît, le conseil empêche la précipitation, la force empê­che de craindre l’adversité, la piété emplit le fond du cœur d’œuvres de miséricorde". Or tout cela ne convient pas à l’état de la patrie. Donc ces dons n’existeront plus dans l’état de gloire.

Objections 3:   Parmi les dons, les uns, comme la sagesse et l’intelligence, perfectionnent l’homme dans la vie contemplative; les autres, comme la piété et la force, le perfectionnent dans la vie active. Mais, dit saint Grégoire: "La vie active se termine avec la vie présente". Donc dans l’état de gloire il n’y aura pas tous les dons du Saint-Esprit.

 

Cependant:

saint Ambroise écrit dans son livre sur le Saint-Esprit: "La cité de Dieu, la Jérusalem céleste, n’est pas arrosée par le cours d’un fleuve terrestre; mais le Saint-Esprit qui découle de la fontaine de vie, dont une petite gorgée nous contente, semble jaillir avec plus d’abondance dans les esprits célestes, bouillonnant à plein dans le canal des sept vertus qui émanent de lui".

 

Conclusion:

Nous pouvons parler des dons de deux manières. 1° En les considérant dans leur essence même. À ce point de vue, ils existeront dans la patrie à leur degré le plus parfait, comme le fait voir l’autorité de saint Ambroise qu’on vient de citer. La raison en est que les dons du Saint-Esprit perfectionnent l’âme humaine pour lui faire suivre la motion du Saint-Esprit; ce qui aura lieu surtout dans la patrie quand Dieu sera "tout en tous" comme dit l’Apôtre [126]et que l’homme sera totalement soumis à Dieu. 2° On peut aussi considérer les dons quant à la matière sur laquelle ils s’exercent. À cet égard, ils ont à s’exercer présentement dans une matière qui aura disparu dans l’état de gloire. Et à ce point de vue ils ne demeureront pas dans la patrie, ainsi que nous l’avons dit auparavant à propos des vertus cardinales.

 

Solution 1:

saint Grégoire parle là des dons selon qu’ils conviennent à l’état présent; c’est bien par eux en effet que nous sommes protégés contre les tentations des maux de cette vie. Mais dans l’état de gloire, tous les maux ayant cessé, les dons du Saint-Esprit serviront encore à nous parfaire dans le bien.

Solution 2:

saint Grégoire met en chacun des dons quelque chose qui passe avec l’état présent, et quelque chose qui demeure dans la vie future. Il dit en effet que "la sagesse rassasie l’âme par l’espérance et la certitude des biens éternels" De ces deux choses, l’espérance passe, mais la certitude de­meure. - De l’intelligence il dit "qu’elle pénètre l’enseignement entendu, et par là même en éclaire les ténèbres en nous rassasiant le cœur". De ces deux choses, l’enseignement entendu passe, puis­que "l’homme n’aura plus à enseigner son frère" comme il est écrit en Jérémie[127] mais l’illumination de l’esprit demeurera. - Du conseil, il dit qu’il "empêche la précipitation ", ce qui est nécessaire dans la vie présente, et en outre, qu’il "remplit l’âme de raison", ce qui est nécessaire même dans la vie future. - De la force il dit qu’elle "ne craint pas l’adversité", ce qui est nécessaire à présent, et en outre, qu’elle "nourrit la confiance ", ce qui demeure même à l’avenir. - Pour la science il est vrai qu’il mentionne une seule chose, qu’elle "surmonte le jeûne de l’ignorance", ce qui appartient à l’état présent. Mais ce qu’il ajoute: "dans le ventre de l’esprit", peut au figuré s’entendre d’une plénitude de connaissance, ce qui demeure même dans l’état futur. - Pour la piété il dit qu’elle "remplit les entrailles du cœur d’œuvres de miséricorde". C’est là une chose qui littéralement n’appartient qu’à l’état présent. Mais ce sentiment profond à l’égard du prochain, que désigne le mot "entrailles", appartient aussi à l’état futur, où la piété ne se répandra plus en oeuvres de miséricorde mais en gratitude réciproque. – À propos de la crainte, il dit qu’elle "abaisse l’esprit pour l’empêcher de s’enorgueillir du présent", ce qui est bien pour le présent; il dit aussi qu’" au sujet des réalités futures, elle le réconforte en le nourrissant d’espérance. C’est encore pour maintenant, quant à l’espérance; mais ce peut être aussi pour l’état à venir, quant au réconfort que procurent ces réalités espérées ici-bas et obtenues là-haut".

Solution 3:

Cette raison est valable si l’on regarde la matière des dons. Car les oeuvres de la vie active ne seront plus la matière des dons. Mais tous exerceront leurs actes sur les choses de cette vie contemplative qu’est la vie bienheu­reuse.

 

Article 8: Les récompenses attribuées aux huit béatitudes seront-elles données dans la vision béatifique?[128]

 

Objection 1:

Il semble que ces récompenses dont l’énumération est la suivante: la possession du royaume de Dieu, de la terre, la consolation, le rassasiement de tout désir de justice, l’obtention de la miséricorde, la vision de Dieu, le nom de fils de Dieu, peuvent être dors et déjà obtenues dès cette terre chez les saints, comme nous l’avons montré précédemment. Il est donc inutile qu’elles soient à nouveau après la mort.

Objection 2:

Il semble que la possession de la terre est une récompense du monde d’ici-bas. Or, dans la vision béatifique, nul n’emporte avec lui ses possessions terrestres.

 

Cependant:

Le livre de l’apocalypse écrit: "Il essuiera toutes larmes de leurs yeux: de mort, il n’y en aura plus, de pleur, de cri, de peine, il n’y en aura plus car l’ancien monde s’en est allé". Les récompenses promises pour les béatitudes sont donc de l’au delà.

 

Conclusion:

Durant notre vie terrestre, les récompenses promises dans les béatitudes sont déjà présentes en germe chez les saints, à la manière d’un commencement. En premier lieu, ils possèdent déjà la grâce qui est la cause par mode de mérite de la béatitude future qui sera réalisée en eux. En second lieu, leur espérance leur fait déjà goûter les biens de la vie future. Ils possèdent en quelque sorte les moyens qui les mènent à la fin espérée et sont donc sous ce rapport déjà en possession de la fin.

Cependant, les promesses des béatitudes ne trouveront leur pleine réalisation que lors de l’entrée dans la vision de Dieu qui sera la cause dans l’âme et dans le corps.

 

Solution 1:

Il est certain que ces récompenses là seront parfaitement consommées dans la vie future. Mais en attendant, même en cette vie, elles sont en quelque sorte commencées. Car le royaume de Dieu peut s’entendre au dire de saint Augustin, du commencement de la parfaite sagesse, selon lequel chez les parfaits l’esprit commence à régner. Mais, dans la vie future, le royaume de Dieu sera possède en plénitude à cause de la possession par l’âme de l’essence même de Dieu; Consolés, les bienheureux le seront par l’inhabitation totale du Saint Esprit, c’est à dire du Consolateur, dans leur âme; Rassasiés, Ils le seront par l’assouvissement en Dieu de tous leurs désirs, car Dieu est le bien par essence;ils seront aussi rassasiés de justice car ils verront directement dans l’essence divine la parfaite harmonie qui commande la distribution des peines et des récompenses; Ils obtiendront la miséricorde de Dieu non seulement comme sur terre dans l’obscurité de la foi mais face à face; Ils y seront purifiés par l’entière conformité de leur volonté avec la volonté de Dieu qui est la règle de toute pureté.

Solution 2:

La possession de la terre doit s’entendre en premier dans un sens spirituel. Il est en effet évident que, même sur la terre, la possession des richesses n’est pas forcement un signe de la bénédiction de Dieu. Les méchants coulent très souvent leurs jours dans le bien-être, selon la parole de Job[129]. La possession de la terre doit donc s’entendre en premier lieu de la possession des récompenses spirituelles que les bons reçoivent dès cette vie selon saint Marc[130]: "vous recevrez le centuple même dans ce siècle" De même, les méchants, s’ils possèdent parfois en ce monde les richesses matérielles, ne possèdent jamais les richesses spirituelles, selon saint Augustin[131] "tu as ordonné, Seigneur, et il en est ainsi, qu’une âme en désordre soit à elle-même sa peine"

Dans la vision béatifique, les bienheureux posséderont terre en plénitude à la fois si on s’entend au sens spirituel avant la résurrection et au sens matériel après la résurrection de leur corps, puisque Dieu donnera aux hommes un univers renouvelé[132].

 

Article 9: Les fruits du Saint Esprit seront-ils des effets de la vision béatifique?

 

Objection 1:

Les fruits du Saint Esprit énumérés par l’apôtre[133] charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi, chasteté auxquels on peut rajouter la modestie et la mansuétude ne semblent pas être des effets de la vision béatifique puisqu’ils peuvent exister sans elle comme on le voit chez les saints.

Objection 2:

On voit mal à quoi pourrait servir la chasteté, du moins avant la résurrection des corps puisqu’elle n’aura pas de corps à réfréner dans ses penchants.

Objection 3:

De même, la serviabilité est un effet de la charité sur la terre. Les âmes au Ciel n’en auront nullement besoin puisqu’elles n’auront aucun service à rendre.

 

Cependant:

Le livre de l’apocalypse écrit "Je vis le fleuve de vie qui jaillissait du trône de Dieu et de l’agneau. Au milieu de la place, de part et d’autre du fleuve, il y a des arbres de vie qui fructifient douze fois”. [134] Les arbres de vie symbolisent les fruits du Saint Esprit. Ils sont donc bien un effet de la vision béati­fique symbolisé par le fleuve de vie.

 

Conclusion:

Comme nous l’avons montré, les fruits du Saint Esprit ne sont pas autre chose que l’effet de la charité. En un premier sens, les fruits peuvent être des actes car la charité pousse l’homme à agir. Selon cette acception, les fruits du Saint Esprit demeurent après l’entrée dans la vision béatifique de la même façon que nous l’avons décrit pour les dons du Saint Esprit. En un second sens, les fruits peuvent désigner les récompenses des actes car tout acte porte des fruits soit à l’extérieur, soit à l’intérieur de celui qui agit.

Saint Paul, dans le texte cité, entend par fruit du Saint Esprit cette délectation ultime et intérieure que l’homme goûte en agissant dans la charité. En ce sens, il est évident que, dans la vision béatifique, l’homme recueillera en plénitude les fruits du Saint Esprit à cause du rejaillissement dans son âme de sa vie d’amour réciproque avec Dieu.

Le premier fruit sera la charité. Il ne s’agit pas de la charité en tant que vertu qui est à la base de toute entrée dans la vision béatifique. Il s’agit de la charité en tant qu’elle sera rendue brûlante par la vision de l’essence de Dieu. La connaissance du bien, en effet, rend l’amour de ce bien parfait.

Le second fruit sera la joie[135] et elle sera plénitude. Celui qui aime se réjouit quand il est uni à ce qu’il aime. Or l’âme sera unie d’une manière totale à Dieu par la vision, d’où sa béatitude.

Le troisième fruit sera une paix totale et absolue. Une paix intérieure d’abord puisque tous les désirs et toutes les affections de l’âme seront unis par le repos dans le Dieu unique; Une paix avec tous les partici­pants de la vision divine en second lieu puisque chacun aimera le prochain comme Dieu lui-même l’aime et aura une volonté conforme à la sienne. Il y aura donc parfaite identité des vouloirs.

Quant aux autres fruits, ils seront de la même façon conséquences de la charité parfaite qui régnera dans le monde nouveau.

Solution 1. Chez les Saints, les fruits du Saint Esprit existent d’une manière limitée par l’exercice de la charité sur la terre. Dans la vision béatifique, la charité s’exerce dans la plénitude de ses potentialités sans aucun des obstacles liés à notre condition passagère. Elle portera donc des fruits en plénitude.

Solution 2:

La chasteté comme fruit du Saint Esprit est une aisance intérieure qui ordonne les plaisirs vers la plus grande gloire de Dieu. Mais les plaisirs ne sont pas seulement ceux du corps. Ils sont aussi ceux de l’esprit. Dans la vie future, la chasteté ne s’exercera plus par rapport aux plaisirs relatifs à la nourriture et aux choses sexuelles puisque de tels plaisirs n’existeront plus à la manière d’ici-bas. Mais elle restera dans ce qu’elle a de formel c’est-à-dire qu’elle ordonnera toutes les affections de l’homme et les plaisirs ineffables de la béatitude dans la louange de Dieu.

Solution 3:

Les âmes du Ciel peuvent exercer leur serviabilité pour ceux qui en ont besoin, tant sur la terre qu’au purgatoire. Elles le font principalement par leurs prières. À la fin du monde, lorsqu’il ne restera personne à aider, la serviabilité restera un état permanent du monde des esprits, c’est-à-dire une disposition intérieure qui rendra chacun attentif aux autres.

 

Article 10: Quel est le principal dans la béatitude: la délectation ou la vision?[136]

 

Objection 1:

Il semble que, dans la béatitude, la délectation soit plus primordiale que la vision. Car, au dire d’Aristote, "la délectation est la perfection de l’activité". Or ce qui perfectionne est supérieur à ce qui est perfectionné. Donc la délectation est plus importante que l’activité de la vision.

Objection 2:     Ce qui rend une chose désirable est supérieur à cette chose. Or les opérations sont désirées à cause des délectations qu’elles procurent; c’est pourquoi la nature, lorsqu’il s’agit d’opérations nécessaires à la conservation de l’individu et de l’espèce, y a attaché la délectation, afin que ces activités ne soient pas négligées par les êtres animés.

Objection 3:

La vision correspond à la foi, et la délectation ou fruition à la charité. Or la charité est supérieure à la foi, dit l’Apôtre[137]. Donc la délectation ou fruition est supérieure à la vision.

 

Cependant:

La cause est supérieure à l’effet. Mais la vision est la cause de la délectation; donc la vision est supérieure à la délectation.

 

Conclusion:

Cette question a été soulevée par Aristote au livre X de son Ethique, et il l’a laissée pendante. Mais si l’on y regarde de près, on reconnaîtra nécessairement que l’activité de l’in­tellect, la vision, prévaut sur la délectation. En effet, la délectation consiste en un certain repos de la volonté. Or, si la volonté se repose en quelque chose, c’est uniquement parce qu’elle trouve un bien dans l’objet de son repos. Donc, si la volonté trouve son repos dans une activité, c’est à cause de la bonté de celle-ci. Et il ne faut pas dire que la volonté cherche le bien en vue du repos; car alors l’acte même de la volonté serait sa fin, ce que nous avons déclaré impossible; mais la volonté cherche à se reposer dans cette activité parce que celle-ci est son bien. Il est évident que le bien le plus primordial est ici l’opération dans laquelle la volonté se repose, plutôt que le repos de la volonté dans ce bien.

 

Solution 1:

Selon Aristote au même endroit, la délectation parfait l’opération vitale à la manière dont la grâce parfait la jeunesse, grâce qui est un effet de la jeunesse elle-même. Il en découle que la délectation est une certaine perfection accompagnant la vision, et non une perfection qui rende la vision parfaite dans son espèce.

Solution 2:

La perception sensible n’atteint pas à la raison générale du bien, mais à un bien particulier qui se présente comme délectable. C’est pourquoi, en ce qui regarde l’appétit sensible des animaux, les activités sont recherchées en vue de la délectation. L’intellect, au contraire, saisit la raison universelle du bien, dont la possession engendre la délectation. Pour cette raison, il se propose le bien à titre premier, plutôt que la jouissance. De là vient aussi que l’intellect divin, en instituant la nature, a attaché les délectations aux activités dans l’intérêt de celles-ci. Or il ne convient pas de porter sur les choses une appréciation décisive au niveau de l’appétit sensible, mais au niveau de l’appétit intellectuel.

Solution 3:

La charité ne recherche pas le bien aimé en vue de la délectation. C’est par voie de consé­quence qu’elle se délecte dans la possession du bien qu’elle aime. Et ainsi ce n’est pas la délectation qui correspond à la charité comme étant sa fin, mais plutôt la vision, par laquelle d’abord cette fin lui est rendue présente. [138]

 

Article 11: Les saints en voyant Dieu voient-ils tout ce que Dieu voit?[139]

 

Objection 1:

Il semble que les saints qui voient Dieu en son essence voient toutes les choses que Dieu connaît en lui-même, car, comme dit Isidore: "Les anges voient toutes choses dans le Verbe de Dieu, avant qu’elles s’accomplissent" Les saints seront égaux aux anges de Dieu, selon saint Matthieu. En voyant Dieu, ils verront donc toutes choses.

Objection 2:

saint Grégoire dit: "Puisque là-haut ils verront tous Dieu en une même clarté, que pourraient-ils ignorer en connaissant celui qui sait toutes choses?" S’il parle des bienheureux qui voient Dieu par essence. Ceux qui le voient de cette manière connaissent donc toutes choses.

Objection 3:

Comme dit Aristote: "L’intelligence qui connaît les plus grandes choses peut plus encore connaître les plus petites". Mais le plus élevé des intelligibles est Dieu. La puissance de l’intelligence est donc très augmentée en le connaissant. En le voyant elle voit donc toutes choses.

Objection 4:

L’intelligence n’est empêchée de connaître quelque chose que parce que celle-ci la dépasse. Mais aucune créature ne peut dépasser l’intelligence qui voit Dieu. En effet, saint Grégoire dit: "Toute créature devient minime pour l’âme qui voit le créateur". Ceux qui voient Dieu en son essence connaissent donc toutes choses.

Objection 5:

Toute puissance passive qui ne passe pas à l’acte est imparfaite. L’intellect possible de l’âme humaine est une puissance passive ordonnée à tout connaître, puisque "l’intellect possible est ce par quoi nous devenons toutes choses ", comme dit saint Grégoire. Si donc dans la béatitude il ne connaissait pas toutes choses, il demeurerait imparfait, ce qui est absurde.

Objection 6:

Tout homme qui voit un miroir voit tout ce que ce miroir reflète. Or toutes choses sont comme reflétées dans le Verbe de Dieu, qui est la raison et l’image de tout. Les saints qui voient le Verbe par essence, voient donc toutes les créatures.

Objection 7:

Les Proverbes disent: "Les justes obtiendront l’objet de leur désir". Les saints désirent connaître toutes choses. puisque "tous les hommes, par nature, désirent connaître", et que la nature n’est point supprimée par la gloire. Dieu leur donnera donc de tout connaître.

Objection 8:

L’ignorance est une sorte de châtiment de la vie présente. Or tout châtiment sera supprimé pour les saints, dans la gloire. Donc aussi toute ignorance: ils connaîtront donc toutes choses.

Objection 9:

La béatitude des saints est d’abord dans l’âme, puis dans le corps. Les corps des saints seront transformés dans la gloire pour être assimilés au corps du Christ selon saint Paul aux Éphésiens. Les âmes seront donc perfectionnées aussi par la similitude de l’âme du Christ. Celle-ci voit toutes choses dans le Verbe. Toutes les âmes des saints verront donc toutes choses dans le Verbe.

Objection 10:

L’intelligence comme le sens connaît tout ce dont elle reçoit en elle la similitude. Or l’essence divine représente toutes choses plus exactement que toute autre similitude des autres choses. Puisque, dans la vision bienheureuse, l’essence divine devient comme la forme de notre intelligence, il semble que les saints verront tout en Dieu.

Objection 11:

Aristote dit que: "si l’intellect agent devenait la forme de notre intellect possible. Nous connaîtrions toutes choses". Mais la divine essence contient la représentation de toutes choses plus clairement que l’intellect agent. L’intelligence, en voyant Dieu en son essence, connaît donc toutes choses.

Objection 12:

Les anges inférieurs, qui ne connaissent pas toutes choses, sont illuminés au sujet de ce qu’ils ignorent, par les anges supérieurs. Mais après le jour du jugement un ange n’en éclairera plus un autre, car alors toute prééminence cessera, comme dit la Glose au sujet de l’Epître de saint Paul aux Corinthiens. Les anges inférieurs connaîtront alors toutes choses, et pour le même motif, tous les saints qui verront Dieu en son essence.

 

Cependant:

Comme dit Denys, "les anges supérieurs libèrent les inférieurs de leur ignorance "Or les anges inférieurs volent l’essence divine; un ange qui voit cette essence peut donc quand même ignorer certaines choses. Et l’âme ne voit pas Dieu plus parfaitement qu’un ange, il n’est donc point nécessaire que les âmes qui voient Dieu connaissent toutes choses.

En outre, le Christ seul possède l’esprit sans mesure, comme dit saint Jean. C’est en tant que tel qu’il connaît toutes choses dans le Verbe. C’est pourquoi. Nous voyons dans le même passage, que "le Père a mis toutes choses dans sa main". Nul autre que le Christ n’a donc le pouvoir de connaître toutes choses dans le Verbe.

De plus, plus un principe est connu parfaitement, plus on connaît à travers lui ses nombreux effets. Mais certains de ceux qui verront Dieu dans son essence le connaîtront plus parfaitement, lui qui est le principe de toutes choses. Certains connaîtront donc plus de choses que d’autres. Et tous ne sauront pas tout.

 

Conclusion:

Dieu en connaissant son essence, connaît tout ce qui est, sera, a été. Et ce mode de connaissance est appelé connaissance de vision, parce qu’elle est semblable à la vision corporelle qui connaît toutes les choses présentes. En voyant son essence, Dieu connaît en outre tout ce qu’il est capable de faire, bien qu’il ne l’ait jamais réalisé et ne le réalisera pas. Sinon il ne connaîtrait point parfaitement sa puissance, car on ne connaît pas sa puissance si on en ignore les objets. C’est ce qu’on appelle connaître de science ou connaissance de simple intelligence.

Il est impossible qu’une intelligence créée, en voyant l’essence divine connaisse toutes les choses que Dieu peut faire. Plus un principe est connu parfaitement, plus on connaît de choses à travers lui, de même que dans un principe de démonstration, celui qui possède un esprit plus perspicace découvre plus de conclusions que celui qui a un esprit plus lent. Puisque le degré de la perfection divine correspond à ce dont elle est capable. Si une intelligence voyait dans l’essence divine tout ce que Dieu est capable de faire, elle serait d’un degré de perfection égal, dans son acte de connaissance, à la perfection de la puissance divine réalisant ses effets: elle engloberait donc la puissance divine, ce qui est impossible pour tout esprit créé. Par contre, les choses que Dieu connaît par science de vision peuvent être connues dans le Verbe par un esprit créé, c’est-à-dire l’âme du Christ. Au sujet de ceux qui, en dehors du Christ, voient l’essence divine, il y a deux opinions différentes: Les uns disent que tous ceux qui voient Dieu en son essence voient tout ce que Dieu voit par science de vision. Mais cela est en désaccord avec les affirmations des saints, qui disent que les anges ignorent certaines choses, bien qu’il soit de foi qu’ils voient tous Dieu en son essence. Les autres disent que les autres que le Christ, bien qu’ils voient Dieu en son essence, ne voient pas tout ce que Dieu voit, parce qu’ils ne saisissent pas la plénitude de l’essence divine. Il n’est pas nécessaire que celui qui connaît une cause en connaisse tous les effets, s’il connaît intégralement la cause. Or cela n’est pas possible pour un esprit créé. C’est pourquoi chacun de ceux qui voient Dieu en son essence voit d’autant plus de choses en elle, qu’il la pénètre plus clairement: certains pourront donc en éclairer d’autres. De cette manière, la science des anges et des saintes âmes peut croître jusqu’au jour du jugement, comme les éléments qui appartiennent à la récompense accidentelle. Mais ensuite cette science ne croîtra plus, car ce sera le dernier état des choses, et dans cet état il est possible que tous connaissent tout ce que Dieu connaît par sa science de vision.

 

Solution 1:

Ce que dit Isidore: "Les anges savent dans le Verbe toutes choses avant qu’elles s’accomplissent", ne peut se rapporter à ce que Dieu sait de science de simple intelligence puisque ces choses ne se produiront jamais. Elles ne peuvent être rapportées qu’à ce que Dieu connaît par science de vision. De ces choses, il ne dit pas que tous les anges les connaissent toutes, mais peut-être quelques-unes. Et ceux-là même qui les connaissent ne le font pas parfaitement. Dans une même chose on peut en effet considérer de multiples raisons intelligibles, comme diverses propriétés, et relations avec les autres choses: il est possible que tandis que deux personnes connaissent la même chose, l’une perçoive plus de raisons que l’autre et puisse les communiquer à l’autre. C’est pourquoi Denys dit que "les anges inférieurs reçoivent des anges supérieurs les raisons intelligibles des choses. Les anges qui connaissent toutes les créatures ne perçoivent pas nécessairement tout ce qui est intelligible en elles.

Solution 2:

De cette citation de saint Grégoire, il ressort que dans la vision béatifique nous est donné le pouvoir de tout connaître, puisque l’intermédiaire de notre connaissance sera alors l’essence divine elle-même, essence par laquelle Dieu connaît tout. Mais le fait que tout ne sera pas compris est à mettre au compte des limites de notre intelligence créée, qui ne peut comprendre l’essence divine.

Solution 3:

L’intelligence créée ne voit pas l’essence divine selon le mode d’être de cette essence mais selon son mode propre, qui est limité. Il n’est donc pas exigé que sa pénétration de connaissance en cette vision soit étendue infiniment jusqu’à la connaissance de toutes choses.

Solution 4:

Le défaut de connaissance ne provient pas seulement d’un excès ou d’un défaut de ce qui est connaissable, mais aussi de ce que la raison connaissable n’est pas unie entièrement à l’intelligence: de même que la vue parfois ne voit pas une pierre, parce que l’image de cette pierre ne l’atteint pas. Bien que l’esprit qui voit Dieu soit uni à son essence divine, qui est le principe de toutes choses, il ne lui est pas uni en tant qu’elle est la raison (ou source intelligible) de toutes les choses, mais en tant qu’elle est la raison de quelques choses: et chacun pénètre d’autant plus l’essence divine qu’il y voit la raison de plus de choses.

Solution 5:

Quand une puissance passive peut être perfectionnée par plusieurs perfections ordonnées l’une à l’autre, si elle est perfectionnée par la plus élevée de ces perfections, on ne dit pas qu’elle est imparfaite parce quelques dispositions précédentes lui manquent. Toute connaissance qui perfectionne l’intelligence créée est ordonnée, comme à sa fin, à la connaissance de Dieu. Donc, en voyant Dieu en son essence même si on ne voyait rien d’autre, l’intelligence serait parfaite. Et elle n’est pas plus parfaite parce qu’elle connaît en même temps quelque autre chose, à moins que cela augmente sa connaissance de Dieu. C’est pourquoi saint Augustin dit: "Malheureux l’homme qui connaît toutes les choses créées et t’ignore. Bienheureux celui qui te connaît, même s’il ignore le reste. Celui qui te connaît, et aussi d’autres choses, n’en est pas plus heureux: il n’est bienheureux qu’à cause de toi seul".

Solution 6:

Ce miroir est doué de volonté, et de même qu’il se montre à qui il veut, ainsi il manifeste en lui-même ce qu’il veut. Ce n’est point comme le miroir matériel qui n’a pas le pouvoir de se faire voir ou non. On pourrait dire aussi que dans le miroir matériel les choses reflétées, comme le miroir lui-même, apparaissent sous leur propre forme. Bien que ce miroir apparaisse grâce à la forme qu’il reçoit de la réalité, tandis que la pierre réfléchie par lui, n’est vue que par sa propre forme qui est réfléchie par autre chose qu’elle-même. Par la même raison on connaît l’un et l’autre. Au contraire, dans le miroir incréé, on voit quelque chose par la forme du miroir lui-même, comme un effet est vu à travers la connaissance de sa cause, et vice versa. Il n’est donc pas nécessaire que qui voit le miroir éternel voie tout ce qui s’y trouve contenu. En effet, quelqu’un qui voit une cause ne voit pas nécessairement tous ses effets, à moins qu’il n’ait une connaissance exhaustive de cette cause.

Solution 7:

Le désir qu’ont les saints de tout connaître est assouvi seulement par la vue de Dieu, de même que leur désir de posséder tous les biens sera satisfait par la possession de Dieu. De même que Dieu, bonté parfaite, comble tout amour de bien, et que sa possession procure de quelque manière tous les biens, de même sa vue donne une satisfaction totale à l’intelligence. Comme dit saint Jean: "Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit".

Solution 8:

L’ignorance proprement dite marque une privation de quelque chose: comme telle, elle est une peine; elle est alors la privation de la connaissance de choses qui devraient être connues ou qu’il est nécessaire de connaître. Dans la patrie céleste, les saints ne seront privés d’aucune connaissance de ce genre. Mais parfois, on prend le mot ignorance pour signifier n’importe quelle absence d’une connaissance. En ce sens, les anges et les saints ignoreront certaines choses dans la patrie. C’est pourquoi Denys dit que "les anges sont libérés de l’ignorance". Ainsi comprise, l’ignorance n’est pas un châtiment, mais seulement une déficience. Et il n’est point nécessaire que toute déficience de ce genre disparaisse dans la gloire: dans le même sens, on pourrait dire que c’était un défaut pour le Pape Lin de ne point parvenir à la gloire de saint Pierre.

Solution 9:

Notre corps sera conforme à celui du Christ dans la gloire en similitude mais non en égalité: il sera lumineux comme le corps du Christ, mais non également. De même notre âme possédera la gloire à la ressemblance de l’âme du Christ, mais non également. Elle possédera donc la science comme l’âme du Christ, mais non autant. Elle ne saura pas toutes choses comme l’âme du Christ.

Solution 10:

Bien que l’essence divine soit le principe de toutes les choses connaissables, ce n’est pas en tant que principe de toutes choses qu’elle sera unie à l’intelligence créée. L’argument proposé ne vaut donc pas.

Solution 11:

L’intellect agent est la forme proportionnée à l’intellect possible, de même que la puissance de la matière est proportionnée à la puissance naturelle: de telle sorte que tout ce qui est dans la puissance passive de la matière ou de l’intellect possible, se trouve dans la puissance active de l’intellect agent ou de l’agent naturel. C’est pourquoi, si l’intellect agent devient la forme de l’intellect possible, celui-ci doit connaître tout ce à quoi s’étend la puissance de l’intellect agent. Mais l’essence divine n’est pas une forme qui serait proportionnée de cette manière à notre intelligence. La comparaison ne vaut donc pas.

Solution 12:

Rien n’empêche de dire qu’après le jour du jugement, quand la gloire des hommes et des anges sera totalement achevée, tous les bienheureux sauront tout ce que Dieu connaît de science de vision, bien que tous ne voient pas toutes choses dans l’essence divine. Mais l’âme du Christ verra alors pleinement toutes choses, comme elle le voit déjà maintenant. Les autres âmes verront alors plus ou moins de choses, selon le degré de clarté de leur connaissance de Dieu: c’est ainsi que l’âme du Christ illuminera les autres âmes au sujet de ce qu’elle voit mieux qu’elles dans le Verbe. C’est pourquoi l’apocalypse dit que "la clarté de Dieu illuminera la cité de Jérusalem, et sa source de lumière est l’Agneau". De même les supérieurs illumineront les inférieurs, non par une nouvelle illumination qui augmenterait la science des inférieurs, mais par une sorte de prolongation d’illumination: comme si on imagine que le soleil au repos illumine l’air. C’est pourquoi Daniel dit que "ceux qui enseignent à beaucoup la justice, brilleront comme les étoiles pour l’éternité". La prééminence des divers ordres cessera seulement quant aux choses qu’ils exercent actuellement à notre égard par leurs ministères subordonnés l’un à l’autre, comme cela ressort de la Glose de ce texte.    

 

Article 12: La vision béatifique est-elle éternelle?

 

Objection 1:

Il semble que la vision béatifique peut se perdre: elle est une certaine perfection; Or toute perfection inhére à son sujet selon le mode de ce sujet, et puisque l’homme est de nature changeante, il semble que la béatitude ne soit participée par lui que selon le mode du changement, de telle sorte qu’il puisse la perdre.

Objection 2:

La vision béatifique est une opération de l’intelligence et l’intelligence dépend de la volonté. Or la volonté s’applique aux contraires; donc elle peut se désister de l’opération béatifiante et ainsi l’homme cessera de voir Dieu.

Objection 3:

Au surplus, lorsqu’il y a commencement, il y a fin. Or la vision que l’homme a de Dieu a un commencement, puisque l’homme ne l’a pas toujours vu: il semble donc qu’elle doive avoir une fin.

 

Cependant:

L’évangéliste[140] dit des justes "qu’ils iront dans la vie éternelle", vie qui n’est autre, comme nous l’avons dit, que la béatitude des saints. Or ce qui est éternel ne fait jamais défaut: donc la vision de Dieu ne peut jamais être perdue.

 

Conclusion:

Origène pensait, entraîné par l’opinion de certains platoniciens, que l’homme peut tomber dans le malheur après avoir acquis la dernière béatitude. Mais cela apparaît manifestement faux de deux façons. Tout d’abord si l’on considère ce qu’est la vision béatifique. Nous avons montré que le royaume de Dieu consiste dans la vision de l’essence divine. Or il est impossible que celui qui voit l’essence divine veuille ne plus la voir; Car tout bien que l’on possède et dont on veut se défaire ou se présente comme insuffisant, et l’on cherche à sa place un objet qui puisse suffire ou se trouve conjoint à quelque déplaisir et c’est à cause de cela qu’on le prend en dégoût. Mais la vision de l’essence divine remplit l’âme de tous les biens en l’unissant à la source de toute bonté, ce qui fait dire au psalmiste XVI, 15: "Je serai rassasié lorsque m’apparaîtra ta gloire" De même la vision de l’essence divine n’entraîne aucun déplaisir car de la contemplation de la Sagesse il est dit encore[141]: "sa société n’a pas d’amertume et son commerce n’a pas d’ennui". On voit donc clairement par là que les Bienheureux ne peuvent de leur propre volonté renoncer à la béatitude.

Dieu, de son côté ne peut la leur ravir; car le retrait de la vision béatifique étant une peine, il ne peut être infligé par Dieu juste juge que pour une faute; mais celui qui voit l’essence de Dieu ne peut pas commettre de faute, puisque cette vision entraîne nécessairement la rectitude de la volonté, comme nous l’avons fait voir.

Enfin, nul autre agent n’est capable de soustraire à l’homme un tel bien; car l’âme unie à Dieu se trouve élevée au-dessus de toute créature, et par suite aucun agent ne peut l’arracher à une pareille union. Il parait donc de toute manière insoutenable que par je ne sais quelles vicissitudes des temps l’homme passe de la béatitude à la misère et réciproquement. Ces sortes de vicissitudes n’appartiennent qu’à ce qui est soumis au temps et au mouvement.

Cependant, l’éternité peut être regardée selon un autre sens. Au sens strict, il s’agit d’une notion que la théologie attribue seulement à Dieu. Boèce en donne la définition suivante: l’éternité est la possession à la fois immédiate, totale et parfaite de la vie qui ne finira jamais[142]. Nous n’avons pas de termes qui puissent nous aider à comprendre cette notion, même si nous admettons, par révélation et par raisonnement, que la communion et l’amitié avec Dieu ne peuvent être qu’éternelles. L’analogie de l’instant, qui est d’autant plus intense qu’il est rempli et comblé, peut nous en approcher. L’éternité est moins une durée qu’une profondeur, coextension de la conscience à la réalité. L’éternel en effet embrasse la totalité de l’être, et notre conscience, en coïncidant d’une certaine manière avec la totalité de l’être, pourra entrer dans l’éternité.

 

Solution 1:

La vision de Dieu est une certaine perfection, comme on le dit; mais c’est une perfection consommée, qui exclut tout défaut dans celui qui la possède aussi elle est acquise par l’élu hors de toute mutabilité, grâce à la vertu divine qui élève l’homme à la participation de son éternité, au-dessus de toute vicissitude.

Solution 2:

On observe que la volonté peut se décider en des sens contraires, et c’est vrai en ce qui concerne nos décisions en vue de notre fin; mais quant à la fin dernière elle-même, la volonté s’y dirige d’un mouvement de nécessité naturelle, et ce qui le prouve, c’est que l’homme ne peut manquer de désirer être heureux.

Solution 3:

Le fait que la vision béatifique a un commencement ne prouve pas non plus qu’elle ait une fin. Car si elle a un commencement, c’est en raison de la condition de l’homme qui la participe, et si elle ne doit pas avoir de fin, la raison en est dans la condition du bien dont la participation rend heureux. Ainsi, c’est pour une cause que la béatitude a un commencement et pour une autre qu’elle n’a pas de fin.

 

QUESTION 6: Les conditions de la vision béatifique en ce qui concerne l’âme humaine

 

A propos de ce sujet, cinq questions se posent:

La lumière de gloire[143] est-elle nécessaire pour voir Dieu?

La lumière de gloire est-elle une réalité créée?

La lumière de gloire est-elle un intermédiaire entre Dieu et l’âme?

La lumière de gloire est-elle la même chose que la grâce habituelle?

La lumière de gloire a-t-elle son siège dans l’intelligence?   

 

Article 1: La lumière de gloire est-elle nécessaire pour voir Dieu?

 

Objection 1:

Il ne semble pas. Comme nous l’avons montré, Dieu se comporte dans la vision béatifique comme le concept pour l’intelligence. Il informe donc directement l’intelligence sans qu’aucune autre lumière ait besoin d’être surajoutée.

Objection 2:

Dieu est lumière. Il est donc par lui-même éminemment intelligible. Il n’a donc pas besoin d’être rendu intelligible par autre chose que lui-même.

 

Cependant:

Le concile de Vienne (1312° note: "L’âme a besoin d’une lumière de gloire qui l’élève pour voir Dieu et jouir de lui dans la béatitude" [144].

 

Conclusion:

Dans toute connaissance, on peut distinguer deux termes: ce qui connaît et ce qui est connu. Pour que la connaissance soit possible, il doit y avoir une proportion entre l’objet connu et ce qui connaît. Ainsi l’œil ne peut voir une lumière trop vive car elle dépasse en proportion ses capacités. Or Dieu est pour l’intelligence humaine dans le même rapport que la lumière trop vive pour l’œil. Pour qu’il puisse être vu dans son essence, il faut donc que l’intelligence soit adaptée à sa lumière. Elle doit être élevée au-dessus d’elle-même et c’est le rôle de la lumière de gloire. C’est pourquoi l’Écriture Sainte affirme:[145] "par ta lumière nous voyons la Lumière" Par la lumière de gloire qui surélève la capacité de l’intelligence, nous voyons la lumière éternelle qui est l’essence divine.

 

Solution 1:

Dieu informe directement l’intelligence. Mais l’intelligence a besoin d’être préparée pour recevoir une telle connaissance qui la dépasse, comme nous l’avons montré. La lumière de gloire ne constitue pas un intermédiaire entre l’intelligence et l’essence de Dieu mais une disposition préalable de l’intelligence.

Solution 2:

La lumière de gloire n’est pas nécessaire pour rendre Dieu intelligible en lui-même mais pour le rendre intelligible par rapport à nous.            

 

Article 2: la lumière de gloire est-elle créée?

 

Objection 1:

Dieu vivifie l’âme, comme l’âme vivifie le corps "il est lui-même ta vie" dit le Deutéronome[146]. Mais c’est sans intermédiaire que l’âme vivifie le corps. De même par conséquent, rien ne s’interpose entre Dieu et l’âme dans la vision béatifique et la lumière de gloire n’est autre que l’Esprit Saint lui-même. [147]

Objection 2:

L’apocalypse de saint Jean écrit à propos de la lumière de gloire: "La ville peut se passer de l’éclat du soleil et de la lune car la gloire de Dieu l’a illuminée" [148]. Par la lumière du soleil, on entend la connaissance donnée par l’humanité du Christ; Par la lumière de la lune, on entend la médiation de la Vierge Marie et des saints par qui nous est donné le Sauveur, de même que la lune reflète la lumière du soleil. Dans la gloire, nous serons donc éclairés par Dieu lui-même et par une lumière créée.

 

Cependant:

Le prophète Baruch [149]écrit: "Dieu guidera Israël dans la joie, à la lumière de sa gloire, avec la miséricorde et la justice qui viennent de lui" Or ce qui vient de Dieu est un effet de Dieu en l’homme et non Dieu lui-même. C’est donc une créature.

 

Conclusion:

Appliqué à Dieu, le mot lumière peut signifier deux choses. En un premier sens, il peut désigner l’essence même de Dieu, en tant qu’elle est éminemment intelligible. C’est pourquoi saint Jean écrit "Dieu est lumière" [150]. Pris en ce sens, la lumière est une réalité incréée car elle est Dieu lui-même. En second sens, la lumière peut designer toutes les grâces données à l’homme qui illuminent son esprit: "La parole de Dieu est limpide, lumière pour les yeux" [151]. En ce sens, les grâces données par Dieu peuvent être appelées lumières et ce sont des réalités créées. Telle est la lumière de gloire qui surélève la capacité de l’âme pour la rendre capable de voir Dieu face à face. Elle est une qualité de l’âme par laquelle Dieu pourvoit à la nécessité de sa créature qu’il veut gratifier de la vision surnaturelle de son essence. La lumière de gloire est une disposition active appropriée à cet acte contemplatif. Par elle, la vision devient en un certain sens connaturelle à l’intelligence dont l’acte devient aisé, sans éblouissement.

Solution 1 Dieu est la vie de l’âme en tant que cause efficiente Première et extérieure alors que l’âme est cause de la vie du corps en tant que cause efficiente interne et cause formelle. Or il est vrai qu’entre la forme et la matière, il n’y a pas de place pour un intermédiaire parce que c’est par elle-même que la forme affecte la matière. Mais l’agent, lui, n’informe pas le sujet par sa propre substance, il ne le fait que par une forme qu’il cause dans cette matière. Donc la lumière de gloire est une forme surnaturelle mise en nous par Dieu, mais elle est distincte de Dieu.

Solution 2:

Ce texte signifie que dans la gloire, nous ne verrons pas Dieu comme dans un miroir. La contemplation terrestre ne peut se faire que par l’intermédiaire d’une image de Dieu. Jésus est par excellence l’image de Dieu. La Vierge Marie et les saints sont, chacun à leur manière, images de Jésus qu’ils ont imité par toute leur vie. C’est pourquoi l’apocalypse les compare à la lumière de la lune. Mais, dans la gloire, Dieu sera vu dans son essence, directement et non à travers la vision d’une créature. La lumière de gloire est nécessaire pour permettre cette vision directe comme nous le montrerons dans l’article suivant. Quant à la communion des saints, sa lumière ne sera pas étouffée par celle de Dieu mais elle constituera un surcroît de rayonnements diversifiés, de la même manière que la lumière se diversifie et prend mille teintes en passant dans un prisme.

 

Article 3: La lumière de gloire est-elle un intermédiaire entre Dieu et l’intelligence?

 

Objection 1:

Il semble que la lumière de gloire est intermédiaire entre Dieu et l’intelligence. On l’a vu, l’intelligence est avec Dieu dans le même rapport que l’œil avec une lumière trop vive. Or l’œil, pour voir une telle lumière a besoin d’un intermédiaire qui tempère l’éclat de la lumière.

Objection 2:[152] Quand une intelligence connaît en acte quelque chose, il faut toujours qu’elle soit informée par la représentation en elle de cette chose, représentation imprimée en elle, qui est le principe de l’opération qui s’achève dans l’objet, comme la chaleur est le principe de l’échauffement. Si donc notre intelligence connaît Dieu, cela doit se faire grâce à une similitude de lui qui informe notre intelligence. Ce ne peut être l’essence divine elle-même puisque l’être de la forme et de ce qu’elle informe est unique: or l’essence divine diffère de notre intelligence selon son essence et selon son être. Ce ne peut être que cette lumière de gloire qui est créée par Dieu et imprimée dans notre esprit. Donc la lumière de gloire est intermédiaire entre Dieu et l’intelligence.

 

Cependant Denys écrit: "Si quelqu’un voit quelque chose qui vient de Dieu, c’est qu’il ne voit pas Dieu même dans son essence" [153]. Donc la lumière créée ne peut être un intermédiaire entre l’essence divine et l’intelligence.

 

Conclusion:[154] Dans la vision corporelle et dans la vision intellectuelle, on peut considérer trois sortes d’intermédiaires. 1° D’abord, l’intermédiaire grâce auquel on voit: celui-la perfectionne la vue pour toute vision en général, sans la déterminer à tel objet spécial; telle est la lumière corporelle pour la vue corporelle, et la lumière de l’intellect agent pour l’intellect possible, en tant qu’intermédiaire. 2° Puis il y a l’intermédiaire par lequel on voit: et c’est la forme visible, par laquelle chacune des deux puissances visuelles est déterminée à tel objet spécial; ainsi la forme de la pierre fait voir la pierre. 3° Enfin, il y a l’intermédiaire dans lequel on voit: c’est ce par la vue de quoi le regard est conduit à voir autre chose: en regardant un miroir nous sommes conduits à y voir ce qu’il réfléchit, et en voyant une image nous sommes conduits à ce qu’elle représente; de même l’intelligence, par sa connaissance de l’effet, est conduite à sa cause inversement. Dans la vision béatifique, Il n’y aura pas ce troisième intermédiaire, c’est-à-dire que Dieu serait connu par les images d’autre chose comme ici-bas: c’est pourquoi on dit que nous voyons maintenant dans un miroir. Il n’y a pas non plus le second intermédiaire parce que l’essence divine sera elle-même ce par quoi notre intelligence verra Dieu. Nous aurons seulement le premier intermédiaire, qui élèvera notre intelligence pour qu’elle puisse être unie à la substance incréée, comme nous l’avons dit. Mais cet intermédiaire ne permet pas de dire que la vision sera médiate: puisqu’il ne se place pas entre le connaissant et la chose connue, mais il est ce qui donne à celui qui connaît la puissance de connaître.

 

Solution 1:

La lumière de gloire agira en rendant notre intelligence "capable de voir la lumière trop vive" et non en cachant cette lumière sous les voiles d’une créature.

Solution 2:

Nous avons montré que c’est l’essence divine qui informe directement l’intelligence béatifiée à la manière du concept pour toute autre connaissance. La lumière de gloire ne peut en aucune manière être un intermédiaire selon le troisième mode car alors Dieu ne serait pas vu face à face.

 

Article 4: La lumière de gloire est-elle la même chose que la grâce habituelle?

 

Objection 1:

Cela n’est pas possible. La lumière de gloire surélève l’intelligence pour la rendre capable de saisir l’es­sence divine. Elle a donc son siège dans l’intelligence. La grâce habituelle au contraire surélève l’âme toute entière pour la rendre capable d’une vie surnaturelle. C’est pourquoi on l’appelle un habitus entitatif car elle a son siège dans l’âme elle-même d’où elle rejaillit sur les puissances.

Objection 2:

La grâce habituelle surélève l’âme et la rend capa­ble de recevoir la foi, l’espérance, la charité et tous les autres dons infusés par Dieu dans l’ordre de la vie surnaturelle. Or, dans la patrie, la foi est remplacée par la vision, la charité est achevée dans l’union et l’espérance disparaît pour laisser place à la possession de Dieu. Il faut donc quelque chose de plus grand que la grâce habituelle car l’effet reçu est plus grand.

 

Cependant:

par la grâce habituelle, l’âme est rendue capable de recevoir la vie surnaturelle imparfaite d’ici-bas. Par la lumière de gloire, l’âme est rendue capable de recevoir la vie surnaturelle parfaite du Ciel. Or l’imparfait et le parfait sont dans le même genre. Donc la grâce habituelle et la lumière de gloire sont la même chose.

 

Conclusion:

Entre l’état de la grâce et celui de la gloire, il y a continuité selon l’ordre de la puissance à l’acte. L’édifice spirituel tout entier tel qu’il est ici-bas trouve sa pleine et totale réalisation dans la gloire. Mais l’état de gloire trouve son fondement dans la vision directe de l’essence Incréée, qui vient remplacer la connaissance partielle donnée par la foi. Son premier effet est de faire disparaître toute espérance car on n’espère plus ce qu’on sait posséder en plénitude. Quant à la charité elle s’épanouit dans l’union effective qui est source de joie[155]. Après la résurrection, cette gloire s’étendra jusque dans la sensibilité et dans le corps physique. C’est donc l’être tout entier qui est glorifié. Or la lumière de gloire est nécessaire pour "élever l’âme et lui permettre de voir Dieu et de jouir de lui dans la béatitude", selon les paroles du Concile de Vienne[156], de même que la grâce habituelle surélève l’âme dès cette terre pour lui permettre de recevoir la foi, l’espérance et la charité. La grâce habituelle et la lumière de gloire ont donc le même objet qui est l’élévation de l’âme au-dessus de sa nature en vue de recevoir une participation à la vie divine. Elles sont donc une seule et même chose mais la seconde réalise parfaitement ce que l’autre ne fait que commencer.

 

Solution 1:

On nomme souvent une réalité par ce qu’il y a de plus important en elle. Or ce qu’il y a de principal dans la gloire, c’est la vision de l’essence divine qui trouve son siège dans l’intelligence. C’est par appropriation qu’on appelle la grâce habituelle de la gloire une lumière. On exprime ainsi son rôle premier et principal, qui est de rendre l’intelligence apte à voir Dieu. Mais le rôle de la lumière de gloire ne s’arrête pas là. La volonté aussi se trouve surélevée et rendue capable de jouir de la béatitude divine. De plus, après la résurrection, c’est le corps entier qui sera glorifie et élevé au-dessus de son état actuel. La lumière de gloire agit donc sur plusieurs facultés humaines. Étant donné qu’elle est antérieure aux puissances de l’âme, il faut que son sujet soit antérieur aux puissances, c’est-à-dire l’essence de l’âme. Dans la gloire, la grâce habituelle appelée lumière de gloire agit sur l’essence de l’âme d’où son action découle sur les puissances à commencer par l’intelligence.

Solution 2:

Il n’est pas besoin de poser une différence substantielle entre la grâce habituelle d’ici-bas et la lumière de gloire parce que l’une a un effet moindre que l’autre. La grâce habituelle infusée par Dieu dans notre âme dès cette terre ne peut agir selon toutes ses potentialités non parce qu’elle serait imparfaite (car les oeuvres de Dieu sont toujours parfaites) mais à cause de l’état de voyageur dans lequel est plongée notre nature humaine. Dès que cet état disparaît, au moment où Dieu nous plonge dans l’éternité de sa vision, la grâce habituelle surélève l’âme avec toute la puissance de sa potentialité, inondant notre intelligence de la lumière de gloire qui émane d’elle à travers notre âme.

 

QUESTION 7: Les conditions spirituelles requises pour être digne d’être élevé par Dieu à la vision béatifique

 

Nous abordons enfin la question des conditions demandées par Dieu à l’homme pour qu’il se donne à sa vision. Douze points nous paraissent importants à traiter, de manière à ne laisser subsister aucune ambiguïté. Pour voir Dieu, est-il nécessaire et suffisant préalablement:

d’être doté de libre arbitre?

de bonne volonté?

de faire certaines actions humaines?

d’être humble?

d’être dans un état de kénose?

La souffrance est-elle nécessaire pour entrer dans la gloire?

d’avoir la grâce?

la foi?

de croire explicitement le mystère du Christ et de la Trinité?

10° d’avoir l’espérance théologale?

11° la charité?

12° une charité parfaite?

13° d’avoir reçu le baptême?

14° La vision béatifique sera-t-elle donnée en proportion de la charité?

 

Article 1: L’entrée dans la gloire requiert-elle l’exercice du libre-arbitre?[157]

 

Objection 1:

Les enfants baptisés entrent dans la gloire sans l’exercice de leur libre arbitre, comme on le dit des Saints Innocents massacrés par Hérode. Il semble donc que Dieu peut communiquer sa gloire sans l’exercice du libre arbitre soit exigé.

Objection 2:

C’est la même cause qui produit la glorification de l’âme et la conserve. Saint Augustin dit, en effet, dans son commentaire de la Genèse, que "l’homme doit se convertir à Dieu de telle sorte qu’il soit justifié par lui sans cesse". Mais la conservation de la vision de Dieu s’opère sans le concours du libre arbitre. Donc l’entrée dans la vision peut être accordée elle aussi sans l’intervention du libre arbitre.

 

Cependant:

Nous lisons dans saint Jean: "Quiconque a entendu l’enseignement du Père et s’y est instruit vient à moi" [158]. Mais on ne s’instruit pas sans que le libre arbitre entre en action. Celui qui s’instruit acquiesce à l’enseignement du maître. Donc personne n’entre dans la vision de Dieu sans l’exercice de son libre arbitre. D’autre part, le Christ compare lui-même la gloire à des noces. Or nul ne se marie validement sans échanger son consentement. La lucidité et la liberté de ce consentement constitue canoniquement la condition première de la validité du sacrement du mariage.

 

Conclusion:

Notre réponse est oui, sans aucun doute. L’entrée dans la gloire provient de l’action de Dieu qui introduit l’âme dans son intimité car, selon saint Jean, c’est Dieu lui-même qui donne la grâce et la gloire. Or Dieu meut tous les êtres selon la nature particulière de chacun d’eux. Dans le monde physique, à titre d’exemple, nous voyons qu’il meut différemment les corps lourds et les corps légers parce que leur nature n’est pas la même. Pareillement, il dirige les hommes vers la gloire de sa vision suivant la condition de la nature humaine. Mais le propre de l’homme, c’est d’être doué de libre arbitre. D’où, quand il s’agit d’une nature qui a l’usage du libre arbitre, l’impulsion que Dieu lui donne pour l’amener à la justification de la grâce et à l’entrée dans la gloire qu’elle mérite, ne va pas sans le libre arbitre. Dieu communique la vision de son essence de telle sorte qu’il meut en même temps le libre arbitre à désirer ce don. Saint Jean[159] décrit le cheminement de la vie spirituelle comme un acte humain libre: "Quiconque a entendu l’enseignement du Père et s’y est instruit vient à moi".

 

Solution 1:

O n pourrait objecter à cela le cas des petits enfants morts baptisés et que la tradition chrétienne dans son ensemble considère comme sauvés. Tel est le cas des saints innocents massacrés par Hérode. Il semble donc que Dieu peut communiquer sa gloire sans que l’exercice du libre arbitre soit exigé. Cependant, même les petits enfants morts avant d’avoir exercé leur libre arbitre n’entrent pas dans la vision de l’essence divine sans que leur libre arbitre ne s’exerce. La raison en est que l’entrée dans cette vision présuppose un acte de charité qui ne peut exister sans liberté. Il est donc nécessaire que Dieu supplée à l’incapacité naturelle de l’enfant. Pour cela, il infuse dans son intelligence les conditions qui sont nécessaires à l’exercice plénier du libre arbitre, d’une façon différente quoique qu’analogue par certains aspects  qu’il le fit pour les anges à l’instant de leur création. Nous traiterons de leur cas plus tard à la lumière de l’apparition glorieuse du Christ et des saints à l’heure de la mort.[160]

Solution 2:

Dans le don de la gloire, il y a une transformation de l’âme, c’est pourquoi un mouvement venant de l’âme humaine est requis afin que cette âme soit mue selon sa nature. La conservation de cette vision béatifique, au contraire, se fait sans transformation. Dès lors, un mouvement de la part de l’âme ne s’impose pas, la seule continuation de l’influx divin suffit.

 

Article 2: La bonne volonté est-elle requise pour entrer dans la gloire?[161]

 

Objection 1:

Nous avons dit que la béatitude consiste essentiellement dans une opération de l’intellect. Or la perfection de l’intellect n’exige pas la rectitude de la volonté. Celle-ci fait appeler les hommes purs; or Augustin, dans ses Rétractations, écrit: "Je n’approuve pas ce que j’ai dit dans une prière: O Dieu qui n’avez voulu faire connaître la vérité qu’aux âmes pures. On peut en effet répondre que beaucoup, parmi ceux qui ne sont pas purs, connaissent pourtant beaucoup de vérités". Donc la droiture de la volonté n’est pas requise pour la béatitude.

Objection 2:

En outre, ce qui précède ne dépend pas de ce qui suit. Or l’opération de l’intellect précède celle de la volonté: donc la béatitude, opération parfaite de l’intellect, ne dépend pas de la rectitude de la volonté.

Objection 3:

Au surplus, ce qui se rapporte à une chose comme à sa fin n’est plus nécessaire après l’obtention de cette fin: ainsi le navire une fois qu’on est au port. Mais la rectitude de la volonté, qui est le fait de la vertu, se rapporte à la béatitude comme à sa fin: donc, la béatitude obtenue, la rectitude de la volonté n’est plus nécessaire.

 

Cependant:

On lit dans l’Écriture: "Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ceux-là verront Dieu"[162]; "Conservez la paix avec tous, et la sainteté, sans laquelle personne ne verra le Seigneur".

 

Conclusion:

Saint Thomas d’Aquin se pose explicitement cette question. Il explique que la droiture de la volonté est requise à titre d’antécédent et par concomitance.

A titre d’antécédent, car ce qui rend droite la volonté, c’est son juste rapport avec la fin dernière. Ainsi, rien ne peut atteindre une fin quelconque sans être dans un juste rapport avec elle. Cette droiture est également requise par concomitance. Comme la béatitude consiste dans la vision de Dieu et que Dieu est l’essence même du bien, il est évident que la volonté de celui qui voit Dieu par essence aime tout ce qu’elle aime par référence au bien général qu’elle connaît. Or c’est cela même qui rend une volonté droite.

On le voit, saint Thomas d’Aquin entend par volonté droite cette forme parfaite de droiture que donne l’orientation explicite vers la vision de Dieu.

Cependant, et d’une manière plus actuelle, se pose la question de cette autre forme de droiture, simplement humaine, que l’on constate chez tout homme fidèle à ce que lui dicte sa conscience du bien et du mal. Cette bonne volonté-là est-elle nécessaire? Par exemple, l’homme qui avec une conscience droite vit dans la recherche immédiate des plaisirs parce qu’il est sincèrement persuadé que la vie terrestre se termine dans le néant, peut-il accéder au salut?[163] Il faut remarquer que la conscience de cet homme n’est droite qu’en rapport avec son intelligence préalablement déviée du vrai. Si cette intelligence n’est pas elle-même déviée par une recherche égoïste présupposée, comme on le voit chez un homme qui choisit d’être athée pour pouvoir jouir de sa liberté, alors il est certain que lorsque l’intelligence sera remise dans la vérité, la volonté elle-même gardera sa droiture et se tournera vers Dieu. La personne reconnaîtra simplement son erreur et saura en tirer les conséquences par une sincère conversion. Dieu qui lit dans les âmes connaît la droiture de cette volonté. Mais il sait aussi qu’une vie menée par athéisme dans l’égoïsme produit elle-même des fruits d’égoïsme. Pour éviter que par l’entraînement de l’habitude, l’homme ne se complaise totalement dans ce danger, Dieu a façonné la nature humaine de telle façon qu’elle produise des fruits amers, selon le livre de la Sagesse: "Mais Dieu a mis un piège devant les pas de l’Impie".

En conséquence, on doit dire que la droiture de la volonté est certainement nécessaire pour entrer dans la gloire à titre de disposition car l’homme qui agit ainsi ne peut agir autrement lorsqu’il se trouve confronté au bien par essence qu’est Dieu. Sa fidélité à la recherche d’un bien participé le dispose favorablement à reconnaître et rechercher le bien absolu lorsqu’il le connaît. Cependant, cette bonne volonté nécessaire ne peut être suffisante puisqu’elle ne proportionne pas directement l’homme dans une recherche du bien absolu qui est Dieu.

 

Solution 1:

Ce que dit saint Augustin ne peut infirmer notre conclusion, car il parle en ce passage de la connaissance d’une vérité qui n’est pas en même temps l’essence de la bonté.

Solution 2:

On dit avec raison que tout acte de volonté procède de quelque acte d’intelligence; mais il ne s’ensuit point que tel acte de volonté ne précède pas tel acte d’intelligence. C’est ainsi que la volonté tend vers cet acte dernier de l’intelligence qui est la béatitude même. D’où il suit que la rectitude de la volonté est préexigée à la béatitude comme à la flèche une trajectoire correcte pour que le but soit frappé.

Solution 3:

On prétend que la fin obtenue, cette condition n’est plus nécessaire. Mais tout ce qui a rapport à une fin ne cesse pas d’exister en présence de cette fin; cela seulement disparaît qui a un caractère d’inachèvement et d’imperfection comme le mouvement. C’est pourquoi, tout ce qui ne sert qu’au mouvement n’a plus de raison d’être une fois qu’on est arrivé au terme (la foi par exemple, remplacée par la vision); mais un juste rapport à l’égard de ce terme est toujours nécessaire.

 

Article 3: Certaines actions humaines bonnes sont-elles nécessaires pour que l’homme obtienne de Dieu la béatitude?[164]

 

Objection 1:

D’après Luther, la foi seule, même si elle reste passive, sauve. C’est donc qu’aucune œuvre bonne n’est nécessaire pour entrer dans la gloire.

Objection 2:

Il semble superflu que des actions humaines interviennent comme condition pour que la béatitude soit conférée à l’homme par Dieu. En effet, Dieu étant un agent d’une puissance infinie, il n’a pas besoin, pour son action, d’une matière préalable ou de dispositions de cette matière; il peut tout produire à la fois. Or, puisque les œuvres de l’homme ne sont pas requises pour la béatitude au titre de causes efficientes, ainsi que nous l’avons montré, elles n’y peuvent intervenir qu’à titre de dispositions. Donc Dieu, qui n’a pas besoin de dispositions pour agir, doit conférer la béatitude sans œuvres préalables.

Objection 3:

Au surplus, Dieu produit immédiatement la béatitude comme il a institué immédiatement la nature. Or dans la première institution de la nature, Dieu a produit les créatures sans aucune disposition antérieure, sans aucune action d’un agent créé, mais a posé aussitôt chaque être parfait dans son espèce. II semble donc que de la même manière Dieu confère à l’homme la béatitude sans aucune opération préalable.

Objection 4:

N’est-ce pas ce qu’affirme l’Apôtre quand il parle de la béatitude de l’homme[165] "à qui Dieu impute la justice indépendamment des œuvres"?

 

Cependant:

on lit dans saint Jean: "Bienheureux serez-vous si, sachant ces choses, vous les faites" [166]. C’est donc par l’action que nous parvenons à la béatitude.

 

Conclusion:

Nous avons dit déjà que la droiture de la volonté est nécessaire à la béatitude, n’étant autre chose qu’une juste disposition de la volonté dirigée vers la fin dernière, disposition qui n’est pas moins nécessaire à cette fin que la bonne disposition de la matière à la réception de la forme. À vrai dire, il n’est pas prouvé par là qu’une certaine activité de l’homme doive précéder sa béatitude; Car Dieu pourrait créer du même coup une volonté orientée vers sa fin et en possession de cette fin, comme il dispose parfois la matière en même temps qu’il lui donne sa forme. Mais l’ordre de la divine sagesse exige qu’il n’en soit pas ainsi. En effet, comme il est dit au Livre du Ciel[167], "parmi les êtres qui sont aptes à posséder le bien parfait, il en est qui l’ont sans aucun mouvement, d’autres d’un seul mouvement, d’autres au moyen de plusieurs", et posséder le bien parfait sans aucun mouvement appartient à celui qui le possède par nature. Or posséder la béatitude naturellement est le fait de Dieu seul. À lui seul donc il appartient de n’y être pas conduit par quelque opération antérieure. Au contraire, la béatitude excédant toute nature créée, il n’est aucune pure créature qui puisse convenablement recevoir la béatitude sans un mouvement d’activité par lequel elle y tend. Seulement, l’ange étant par sa nature supérieur à l’homme, il a, selon l’ordre de la sagesse divine acquis le bien suprême par un seul mouvement d’activité méritoire, comme on l’a exposé dans la Première Partie. Les hommes l’obtiennent par de multiples mouvements d’activité de charité qu’on appelle leurs mérites. Aussi, aux yeux du Philosophe lui-même, la béatitude est-elle la récompense des actes vertueux.

 

Solution 1:

De manière concrète, l’entrée dans la béatitude et son acte lui-même ne se fait donc pas de manière passive, comme le pensait Luther pour qui la liberté humaine avait été totalement détruite par le péché originel. Au contraire, lorsque Dieu prend l’initiative de proposer son amour et sa lumière à sa créature, il lui demande de se tourner à son tour vers lui librement, telle une épouse. Il y a donc dans l’acte de la grâce et de la gloire une donation active et réciproque. Dieu prend l’initiative de donner la foi et de proposer l’amour. Mais c’est à l’homme de répondre par l’amour à l’amour. À l’actif de Luther, on peut dire qu’il refusait comme nécessité au salut certaines œuvres extérieures de piété, comme des prières récitées et d’autres pratiques dévotes. S’il ne s’agit que de ces œuvres-là, il est évident qu’elles ne sont pas nécessaires au salut. Elles constituent des aides adaptées à la sensibilité de certains.

Solution 2:

On invoque à tort la toute puissance de Dieu pour suppléer à nos actes; car si l’action de l’homme est pré-exigée à l’acquisition de la béatitude, ce n’est point que le pouvoir béatifiant manque à Dieu, c’est pour que l’ordre soit observé dans les choses.

Solution 3:

Certes Dieu a produit les premières créatures de chaque espèce aussitôt parfaites, c’est-à-dire qu’il a posé les premiers individus des espèces, par où la nature spécifique passerait à leurs descendants. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il ne prépare pas l’émergence des espèces nouvelles par une disposition dans les espèces précédentes. Tout indique qu’il le fait comme par exemple le fait que dans les vivants supérieurs, on retrouve tout ou partie du chiffre biologique des espèces inférieures.

Dieu agit comme[168] "un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux".

Et de même, lorsque Dieu donne la vision de son essence, il la donne parfaitement dès le départ ce qui ne veut pas dire que certains actes humains n’y ont pas disposé. Il existe une seule exception, c’est celle de l’humanité du Christ mais son cas est irréductible à celui des autres hommes car le Christ est la personne du Verbe, c’est-à-dire Dieu. C’est pourquoi son âme, dès le premier instant de sa conception et sans aucune œuvre méritoire antérieure, a été bienheureuse. Mais cela n’appartient qu’à lui seul. Chez les enfants même, quand on les baptise, les mérites du Christ concourent à l’octroi de la grâce sanctifiante, mais s’ils meurent, ils n’entre pas dans la Vision sans un acte humain de coopération comme nous le verrons.

Solution 4:

Quant aux paroles de saint Paul, l’Apôtre y évoque la béatitude de l’espérance, qui est communiquée au chrétien par la grâce qui le justifie. Que si cette grâce n’est pas donnée en raison des œuvres qui précèdent, c’est qu’elle n’a pas le caractère d’un terme de mouvement, comme la béatitude, mais est plutôt le principe du mouvement par lequel on tend vers cette béatitude.

 

Article 4: L’humilité est-elle requise pour obtenir la vision béatifique?[169]

 

Objection 1:

Il ne semble pas. L’humilité nous enseigne à ne pas désirer ce qui nous dépasse. Or la vision béatifique dépasse grandement notre capacité humaine. L’humilité risque donc de nous pousser à nous détourner de l’espérance de la vision béatifique. Elle doit donc être rejetée.

Objection 2:

L’humilité met l’homme devant la grandeur de Dieu et lui manifeste au contraire sa petitesse. Si donc l’humilité est nécessaire au salut, ceux qui ne connaissent pas Dieu ne peuvent avoir cette vertu. Ils ne peuvent donc être sauvés.

Objection 3:

Ce n’est pas l’humilité qui est demandée à la créature pour entrer dans la vision béatifique mais quelque chose de plus absolu. En effet, la révélation semble indiquer l’existence, dans la vie trinitaire du Dieu tout-puissant, une forme d’effacement total des trois personnes, l’une devant l’autre. Sans cesse, le Père, le Fils et le Saint Esprit se donnent à l’autre. Chacune des personnes de la Trinité met l’autre en avant, s’efface devant la contemplation et l’amour de sa grandeur. Dieu est ainsi et nul ne peut le changer. Révélée par le Verbe fait chair, cette propriété intérieure de Dieu est appelée "kénose". Ce n’est donc pas de l’humilité mais une forme d’anéantissement personnel qui est exigé pour être conforme à Dieu et pour entrer dans sa communion.

 

Cependant:

Dans les Écritures saintes, le Seigneur ne cesse de rappeler l’importance que revêt à ses yeux la vertu d’humilité: il nous enseigne à l’imiter sur cette voie. "Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur"[170]. Il proclame "heureux ceux qui ont une âme de pauvre car le Royaume de Dieu est à eux"[171]. Saint Pierre confirme ces paroles: "Revêtez-vous d’humilité dans vos rapports mutuels car Dieu résiste aux orgueilleux"[172]. On pourrait multiplier les citations et toutes aboutissent à cette conclusion: nul n’entre dans la gloire s’il n’est humble.

 

Conclusion:

Il reste à savoir quel genre d’humilité est nécessaire et suffisante. L’humilité est une disposition intérieure dont le caractère est de situer l’homme à sa place devant l’autre quel qu’il soit. Elle est une attitude liée à la vérité qui amène à se situer exactement dans l’axe de ce que nous sommes, ni trop haut (ce serait l’orgueil), ni trop bas (le complexe d’infériorité est la caricature de l’humilité). Cette vertu peut naître de multiples manières, non seulement chez le chrétien mais dans tout homme doté d’une volonté droite. Ainsi, dans son regard sur l’immensité de l’univers, la complexité et l’ordre de la matière, le scientifique peut acquérir une véritable humilité qui se transforme en admiration étonnée devant ce qui le dépasse; mais c’est aussi l’humilité qui lui fait découvrir que son propre être vaut plus que l’univers entier. De même, le philosophe confronté à l’être dont il perçoit quelques aspects de la vérité mais dont il discerne aussi l’infinie supériorité sur sa pauvre connaissance, peut devenir un homme humble; encore faut-il qu’il soit un vrai philosophe, c’est-à-dire un homme soumis au réel.

Autre niveau d’humilité: chaque homme confronté à son frère peut découvrir à la fois sa propre grandeur et l’absolu dépassement du mystère de l’autre. Lorsque apparaît l’amitié, l’homme est appelé à découvrir une forme d’humilité qui n’est plus spéculative mais pratique. En effet, l’amitié n’est possible que dans un don mutuel auquel s’oppose radicalement toute volonté de dominer l’autre. L’orgueil est une faute mortelle à l’amitié puisqu’il s’attaque directement à cette forme de dépendance qui fonde l’amour de l’autre. De même, dans la contemplation philosophique qui aboutit à la découverte de Dieu comme Créateur et grand horloger de l’univers, il peut apparaître une nouvelle forme d’humilité contemplative et pratique -l’acte d’adoration- sans commune mesure avec les formes jusqu’ici décrites. Mais lorsque l’homme découvre que le Dieu infini et tout-puissant dont il sait dans son humilité n’être qu’une créature limitée, propose son amitié à travers le cœur à cœur de l’oraison et, pour après cette vie, la vision de son être, il est évident qu’il peut apparaître une nouvelle humilité contemplative et pratique, analogue à celle qu’on voit naître dans l’amitié humaine, mais infiniment plus profonde tant est infiniment supérieure la grandeur du Dieu qui se donne ainsi.

 

De toutes ces considérations, on peut conclure que toute forme d’humilité est une disposition à l’entrée dans la gloire, non qu’elle la mérite directement puisque seul l’amour réciproque de charité mérite un tel mariage, mais parce qu’elle écarte un obstacle mortel à l’amour spirituel: l’orgueil et, à sa source, l’amour égoïste de soi. C’est pourquoi le Christ recommande particulièrement à ses disciples cette forme d’humilité suprême qui vient avec la charité. C’est pourquoi aussi tout ce qui dans le monde provoque dans les hommes, chrétiens ou non, un progrès de l’humilité dans ses autres formes est voulu par Dieu: Les diverses religions parce qu’elles adorent "un Autre plus grand que l’homme" [173], les sciences soumises à la recherche du vrai, les amitiés respectueuses de l’autre, les souffrances qui montrent à l’homme sa vraie dimension et même la mort physique qui, depuis le péché originel est un puissant vecteur de petitesse.

 

Solution 1:

Prétendre à quelque chose de grand en comptant sur ses propres forces est contraire à l’humilité mais il en va tout autrement si l’on compte sur le secours de Dieu qui exalte dans la mesure où l’on s’abaisse devant lui. Autre chose, dit saint Augustin, est s’élever vers Dieu, et autre chose s’élever contre Dieu"[174].

Solution 2:

L’humilité trouve sa perfection dans la comparaison que peut faire l’homme entre sa nature limitée et la grandeur de Dieu. Ce rapport avec Dieu n’est pas essentiel à l’existence de cette vertu, au moins dans son existence partielle. Elle peut s’appuyer sur la simple connaissance de notre faiblesse, sans référence à autre chose qu’à l’univers, nous-même et aux autres. Elle peut donc exister même chez les païens comme directrice et modératrice de certains actes de la volonté. Elle peut donc constituer même chez ceux qui ne connaissent pas Dieu une disposition à la communication future de la grâce puis de la gloire, disposition qui a Dieu lui-même comme cause première ainsi que cela a été dit[175]. Cette réalité est d’ailleurs essentielle pour comprendre la manière dont Dieu procède pour disposer efficacement au salut les athées, les pécheurs, les païens ou les infidèles. La vie terrestre est ainsi faite qu’il est difficile d’en sortir sans avoir appris par quelque voie, un commencement d’humilité sur lequel viendra se greffer la charité.

Solution 3:

La vertu d’humilité, quoique nécessaire, n’est pas suffisante. Comme le montrera l’article suivant, il existe une nécessité d’anihilation de soi -de kénose- à la fois dans la nature divine, et par conséquent, dans la créature qui s’unit à elle.

Article 5: Une humilité totale (kénose)[176] est-elle nécessaire pour entrer dans la vision béatifique?

 

Objection 1:

Il ne semble pas. Dieu a créé l’homme pour qu’il agisse selon sa nature, c’est-à-dire comme une personne libre. Un anéantissement intérieur du moi (kénose) serait donc contraire à la nature humaine et constituerait une demande non conforme à la sagesse de Dieu.

Objection 2:

Si Dieu lui-même s’abaisse au dessous de sa condition et s’il exige de l’homme le même genre d’abaissement, c’est que Dieu commande autre chose que la vertu d’humilité, qui est, au sens biblique le fait d’être soi-même. Or, commander un acte contraire à une vertu, c’est commander un vice.

 

Cependant:

"Mais, dit Dieu, tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre." Exode 33, 20.

"En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit". Jean 12, 24.

 

Conclusion:

 La nécessité de cette "kénose" de tout ce qui s’approche de la Vision de Dieu vient de la nature propre de la vie trinitaire. Sans cesse, le Père, le Fils et le Saint Esprit se donnent à l’autre. Chacune des personnes de la Trinité met l’autre en avant, s’efface devant la contemplation et l’amour de sa grandeur. Cette vie trinitaire, ce don mutuel total, rayonne au point de constituer l’Être même de Dieu. Dieu est ainsi et nul ne peut le changer.

 

Certains théologiens, tout en admettant le mystère de cette kénose interne à la Trinité, nient que Dieu puisse être, en conséquence, dans une attitude d’anéantissement de lui-même devant les créatures, lui qui est le Tout-puissant. Mais la Révélation évangélique montre qu’il ont tort plus encore qu’ils ne le pensent. Dieu s’abaisse jusqu’à "la folie" selon l’expression de saint Paul[177] et nul concept tiré des analogies naturelles ne peut exprimer cette réalité. Au plan philosophique, le terme d’humilité ne peut convenir. Elle est en effet une certaine vérité qui fait que chacun se situe à sa juste place. Selon cette définition, Dieu étant l’infinie perfection de toutes les vertus, il est humble lorsqu’il dit: "Les hommes sont néant devant moi puisque leur être trouve sa cause en moi." La théologie des musulmans est, à cet égard, très juste et précise. Pourtant l’Évangile propose une révélation complémentaire: Dieu, tout en reconnaissant sa supériorité de nature, considère la personne de l’homme comme plus grande que sa propre personne au point de s’abaisser non seulement à devenir homme mais à perdre apparence humaine… Ce n’est plus de l’humilité, c’est de la "kénose" et, selon saint Paul, la folie de la croix. Un texte le confirme, dans l’évangile de Jean[178]: "Je suis le maître et le Seigneur", dit Jésus à Pierre, manifestant de l’humilité. "Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous." Ce jour-là, au grand scandale de Pierre, Jésus révéla aux hommes l’autre mystère du cœur de Dieu, outre son amour, sa "kénose". "Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix !"[179]

Il est certain que cette Révélation nouvelle ne concerne pas seulement l’humanité du Christ mais sa divinité selon Jésus: "Qui m’a vu a vu le Père." En conséquence, Dieu étant ce qu’il est, ce n’est pas une simple humilité qui est nécessaire à l’ange ou à l’homme pour entrer dans la Vision de Dieu mais une forme absolue de kénose, d’anéantissement de soi-même. Cette exigence, impossible à acquérir de la part de l’homme selon ses propres forces, est possible à Dieu à travers les purgatoires successifs, comme nous le verrons.

 

Solution 1:

Puisque la vision béatifique est le don ultime d’un amour réciproque et choisi, elle présuppose de la part de Dieu comme de l’homme un abaissement réciproque seuls capables de fonder cet amour. De la part de Dieu puisqu’il s’abaisse en s’unissant dans l’amour à un être de nature inférieure; de la part de l’homme puisqu’il doit voir un être dont la profonde petitesse ne peut être saisie que par une vertu ressemblante. En effet, puisque Dieu est par nature "kénose", il va de soi qu’un ange ou un homme non conformés intérieurement à cette kénose ne peuvent rien saisir de l’essence de Dieu.

Solution 2:

Humilité et kénose peuvent coexister sans contrariété et conjointement car leur raison formelle n’est pas identique. Ainsi, Dieu est humble en tant qu’il est et se proclame infini et tout-puissant devant l’homme; il est "kénose" en tant qu’il considère l’homme comme plus important que lui-même.

A l’argument Cependant: il faut répondre qu’il existe une possibilité de contresens dans cette parole de Dieu: "Nul ne peut voir Dieu et vivre". Sous le terme vivre, il faut entendre ici le refus possible de cette kénose intérieure et spirituelle dont nous parlons. En ce sens, en enfer, les damnés "vivent". Au contraire, dans la Vision béatifique, les saints sont "morts à eux-mêmes".

 

 

Article 6: La souffrance est-elle nécessaire pour entrer dans la vision de Dieu?

 

Objection 1:

"Par la croix, le salut est entré dans le monde", chante-t-on le vendredi Saint. La croix, c’est-à-dire la souffrance, est nécessaire pour entrer dans la gloire.

Objection 2:

La moindre humilité et le moindre amour de charité méritent la vie éternelle puisque Dieu ne se refuse jamais à celui qui l’aime. Or l’humilité et l’amour peuvent exister sans l’expérience de la souffrance.

Objection 3:

La souffrance est un mal. Nul ne peut la désirer sans être présomptueux. Lui donner une valeur quelconque, même éducative, n’est-ce pas en faire un bien et faire tomber les croyants dans un risque de déviation morbide?

 

Cependant:

Adam et Ève, qui avaient été placés sur terre pour la durée d’une vie sans souffrance, avaient reçu la promesse de la vision béatifique. Donc la souffrance n’est pas nécessaire à l’entrée au paradis.

 

Conclusion:

Peu de religions donnent une explication de la souffrance. L’islam appelle à la confiance et promet l’explication pour l’au-delà. L’hindouisme et le bouddhisme donnent une véritable explication, mais de type philosophique et panthéiste. Quant au catholicisme et à l’orthodoxie, à la différence des Églises protestantes, ils proposent au niveau de leurs saints ou de son Magistère une théologie unifiée. Elle est une conséquence ultime du fondement de la foi. La théologie catholique est une "science" en ce sens qu’elle est logique. Elle tire de quelques principes simples la totalité de sa compréhension. Pour comprendre (ce qui ne signifie pas tout comprendre), il suffit donc de saisir ces principes. Autre chose est de croire à ces principes.

La Bonne Nouvelle est, par son contenu, le principe de toute la théologie chrétienne. "Dieu propose à l’homme la vision de son Être éternel. Il ne peut se donner qu’à ceux qui l’aiment car, par essence, deux qualités du cœur résument sa vie: l’abaissement de soi et l’amour. Sans cesse, le Père exalte le Fils parce qu’il l’aime. Cet abaissement et cet amour sont infinis dans toutes les directions des relations trinitaires".mmm

Pour s’unir à Dieu, il y a donc des conditions. On ne peut voir Dieu face à face que si on l’épouse librement, comme dans un mariage d’amour. Et, pour l’épouser, il faut devenir semblable à lui. Nul ne peut voir Dieu s’il ne devient, comme Dieu, mais à son niveau de créature, tout abaissement et tout amour. "Nul ne peut voir Dieu sans mourir à soi-même". Il ne s’agit pas de n’importe quel abaissement, ni de n’importe quel amour. La moindre trace d’orgueil ou d’égoïsme rend impossible car contradictoire le mariage avec Dieu. Dans ces conditions, il est impossible d’entrer dans la Vision. Elle serait vide de toute compréhension.

Concrètement, il est possible d’atteindre la kénose sans la souffrance. Une méditation profonde et fréquente sur ce qu’est l’homme peut rendre un individu dans sa vraie dimension. Il est aussi possible, à cause conséquences du péché originel (le foyer du péché), de découvrir sa propre misère: "Le juste pèche sept fois par jour" [180]. Mais la souffrance, lorsqu’elle vient arracher à l’homme un bien où il repose sa volonté, possède un pouvoir unique, celui de faire découvrir de manière expérimentale et totale son propre néant. La vieillesse, la maladie et la mort, en particulier, ont ce pouvoir unique puisqu’elles viennent briser l’unité de l’être, mais aussi la perte de ce qui détermine la volonté selon cette parole de Jésus [181]: "Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur".

En conséquence, on doit dire que la souffrance n’est pas nécessaire de manière absolue pour entrer dans la gloire. Mais, en tant qu’elle est capable de faire toucher de manière très profonde à l’homme sa petitesse, elle a le pouvoir de produire de manière unique cette disposition à la kénose qui s’appelle l’humilité.

 

Solution 1:

Ce n’est pas la souffrance qui nous vaut la rédemption, mais l’abaissement de soi et la charité qui sont la synthèse de toutes les vertus. La souffrance n’a de valeur dans la rédemption qu’en fonction de la kénose et de l’amour qu’elle produit. Elle a donc une grande valeur parce qu’elle a, la plupart du temps, le pouvoir de produire (même avant l’arrivée de la grâce sanctifiante) une humilité sans commune mesure avec toutes les autres formes d’humilité. Ce pouvoir de la souffrance est démontré dans l’épître aux Hébreux, même chez le Christ dont l’humilité et l’amour étaient déjà parfaits[182]: "Tout Fils qu’il était, le Christ apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance; après avoir été rendu parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel".

Solution 2:

Nous le verrons[183], la mesure de l’union à Dieu dans la vision béatifique est l’intensité du désir de Dieu. Ce désir est directement le fruit de la charité et indirectement celui de l’humilité, puisque c’est dans l’humilité que l’amour peut naître sans obstacles. Mais il est impossible sans la souffrance de devenir tout humble (kénose) et tout amour, dans la mesure voulue par Dieu. Cette mesure est décrite dans les évangiles à travers la vie et les actes de Jésus. Qui peut se targuer d’être humble (kénose) et aimant au point d’être capable de donner sa vie pour autrui, surtout s’il s’agit d’un ennemi? Ceux qui ont mis à mort le Christ et qui se moquent de lui, il les aime au point qu’il les accueille à l’heure de leur mort et leur propose la vie éternelle.

Pour approfondir l’humilité de l’homme, la méthode de Dieu consiste à le faire passer par la vie terrestre, puis, si nécessaire, par les cinq autres purgatoires de l’autre monde[184]. Cette vie est, on le constate, obligatoirement marquée par la souffrance puisqu’elle est fragile, dépendante des aléas du hasard et qu’elle s’achève par la mort. De plus, l’existence de Dieu et d’une survie après la mort peuvent y être mises en doute. Le silence de Dieu et du Ciel est une des épreuves les plus étonnantes de la terre. Beaucoup d’ailleurs en concluent non sans un certain bon sens: "Dieu ne peut exister et être amour. Le monde ne serait pas ainsi".

Pourtant, si l’on étudie avec attention les écrits de la plupart des théologiens canonisés par l’Église, la vie terrestre et ses souffrances s’expliquent justement par le mystère de la Trinité.

L’humanité entière peut être comparée au Golgotha, c’est-à-dire à la colline du calvaire où fut crucifié Jésus avec deux bandits. Une partie de nous (la partie orgueilleuse et égoïste) est représentée par le mauvais larron. Il blasphème et insulte pour sa souffrance. Il meurt comme les autres et, en mourant, il touche du doigt la misère de ce qu’il et vraiment. Cette humiliation a des chances de créer en lui un peu d’humilité, ce qui est déjà un premier pas vers le salut, tel que nous l’avons exposé plus haut. Le bon larron représente ce qui est droit en nous. En effet, il est déjà juste: "Je paye pour ce que j’ai fait. C’est justice". Dans sa souffrance, il se tourne vers Dieu et appelle un salut, malgré son péché. Il est humble. Il désire la vie. Il l’aura certainement juste après sa mort, lui promet Jésus. Quant à Jésus, il représente les saints, c’est-à-dire ceux qui savent qu’il n’y a qu’un seul commandement: "aimer Dieu et le prochain" et qui s’efforcent d’en vivre. Eux s’efforcent de faire de leur vie un acte d’offrande pour cet amour.

Solution 3:

La souffrance est un mal mais son effet peut être un bien, affirme Jean-Paul II[185]. La souffrance, même quand elle n’est pas acceptée, a pour le moins comme effet l’humiliation de l’orgueil. Elle peut creuser le cœur dans le sens de l’humilité (kénose) (je ne suis rien) et du désir (désespéré parfois) d’un amour qui sauve. Cette analyse permet de comprendre beaucoup d’enseignements de Jésus:

“ Les prostitués et les pécheurs devancent les prêtres dans le Royaume de Dieu [186]”. C’est ainsi car les prostituées, humiliées dans leur féminité par la vie et par leurs clients, sont plus disposées à développer l’humilité (kénose) qu’un prêtre reconnu universellement comme un homme bien[187].

"Beaucoup de premiers seront derniers, et de derniers seront premiers[188]"pour la même raison. Il est difficile, quand on reçoit la gloire ici-bas, de comprendre qu’on n’est pas grand chose.

“ Il est plus difficile à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu qu’à un chameau de passer dans le trou d’une aiguille ”[189]. Aux yeux de Jésus, un riche se comprend comme un riche au point de vue du cœur. La richesse matérielle, le pouvoir, dans la mesure où ils rendent arrogants, sont un danger pour la vie éternelle. En fin de compte, un enfant mort abandonné est mieux disposé à l’humilité (kénose) qu’un riche homme d’affaire[190].

 

A l’objection citée en "cependant", il faut répondre: Trois niveaux d’humilité peuvent être distingués: 1° "L’humilité en parole". Elle est présente chez celui qui, sans en vivre, a intellectuellement compris qu’il faut être humble (kénose) pour être sauvé. Il s’agit d’une humilité théorique mais non d’une humilité vécue. Elle est par exemple le lot des enseignants de la parole de Dieu.

"L’humilité en pensée". Elle est présente chez celui qui a intellectuellement compris qu’il n’était rien. Elle peut être acquise à travers une vie de méditation scientifique, philosophique ou religieuse. Elle ne nécessite pas d’avoir souffert.

"L’humilité (kénose) en acte". Elle est le fait de celui qui n’est plus rien, en acte. Cette humilité ne peut être, semble-t-il, acquise sans la souffrance, même pour la personne du Christ ou pour la Vierge Immaculée, selon la parole de l’Epître aux Hébreux 5, 8. Seule la deuxième forme d’humilité est nécessaire pour voir Dieu. Mais la troisième est tellement plus profonde que l’Église chante dans sa liturgie de la semaine Sainte à propos de la faute d’Adam et Ève: "Bienheureuse faute qui nous valut un tel salut".

 

Article 7: Peut-on sans la grâce mériter la vie éternelle?[191]

 

Objection 1:

L’homme mérite devant Dieu, ainsi que nous l’avons dit, le bien pour lequel Dieu l’a fait. Mais par sa nature l’homme est tourné vers la béatitude comme vers sa fin. C’est pourquoi, même naturellement, il désire être bienheureux. Donc par ses moyens naturels et sans la grâce il peut mériter la béatitude qui est la vie éternelle.

Objection 2:

Moins une œuvre est due, plus elle est méritoire. Or une bonne action accomplie par celui qui a été moins favorisé est moins due. S’il en est ainsi, celui qui ne possède que les biens naturels ayant été moins favorisé de Dieu que celui qui a reçu en plus les dons gratuits, ses oeuvres seront, semble-t-il, plus méritoires devant Dieu. Si donc celui qui possède la grâce peut d’une certaine façon mériter la vie éternelle, à bien plus forte raison, celui qui ne la possède pas.

Objection 3:

La miséricorde et la libéralité de Dieu dépassent infiniment la miséricorde et la libéralité humaines. Or un homme peut mériter aux yeux d’un autre même quand il n’a jamais eu auparavant ses bonnes grâces. II semble donc qu’à bien plus forte raison on puisse sans la grâce mériter devant Dieu la vie éternelle.

 

Cependant:

l’Apôtre dit dans l’épître aux Romains[192]: "La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle".

 

Conclusion:[193] L’homme sans la grâce, nous l’avons déjà noté, peut être considéré dans deux états différents: l’état de nature intègre qui fut celui d’Adam avant sa faute et l’état de nature corrompue qui est le nôtre avant la restauration par la grâce. Si nous parlons de l’homme dans le premier de ces états, la raison qui fait qu’il ne peut mériter la vie éternelle, lorsqu’il est réduit à ses ressources naturelles et sans la grâce, c’est que le mérite de l’homme dépend de l’ordre préalablement établi par Dieu. Et d’après cet ordre établi par Dieu, l’acte d’un être ne tend jamais vers un objet sans proportion avec la force active qui est le principe de cet acte. C’est une loi de la divine Providence que rien n’agisse au delà de son pouvoir. Or la vie éternelle est un bien sans proportion avec la portée de la nature créée; puisque même elle dépasse sa pensée et son désir selon la parole de la première épître aux Corinthiens: "Ni l’œil de l’homme n’a vu, ni son oreille n’a entendu, ni il n’est entré dans son cœur". De là vient qu’aucune nature créée n’est le principe suffisant d’un acte qui mérite la vie éternelle, à moins qu’un don surnaturel ne lui soit ajouté; et ce don nous l’appelons la grâce. Si maintenant c’est l’homme soumis au joug du péché que nous considérons, à cette raison que nous venons de donner s’en ajoute une seconde: l’obstacle du péché. En effet, le péché est une offense faite à Dieu, laquelle nous exclut de la vie éternelle, comme il ressort de notre exposé à ce sujet. Dès lors. Nul homme en état de péché ne peut mériter la vie éternelle à moins qu’il ne soit réconcilié avec Dieu et que son péché ne soit effacé; or c’est la grâce qui produit ce résultat. Ce qui est dû en effet, au pécheur ce n’est pas la vie mais la mort, comme l’enseigne l’épître aux Romains[194]: "Le salaire du péché, c’est la mort".

 

Solution 1:

Sans doute Dieu a donné pour fin à la nature humaine la vie éternelle. Il existe un désir naturel de voir Dieu puisque l’intelligence se porte naturellement vers ce qu’elle sait être cause de tout. Cependant, se désir naturel tend vers l’inaccessible car la Cause en question est sans commune mesure avec la nature limitées de l’esprit créé. Pour l’obtenir, ce désir naturel doit donc être surélevé, non pas par ses propres forces, mais avec le secours de la grâce. Et c’est de cette façon que son acte peut mériter la vie éternelle.

Solution 2:

L’homme sans la grâce ne peut produire une œuvre égale à celle qui procède de la grâce, parce que plus le principe de l’action est parfait, plus l’action elle-même est parfaite. Or l’argument proposé n’aurait été admissible, que si nous nous étions trouvés en présence d’œuvres égales de part et d’autre.

Solution 3:

Si nous considérons l’objection à la lumière de la première raison invoquée dans notre conclusion, aucune assimilation n’est possible entre Dieu et l’homme. Car l’homme tient de Dieu tout le pouvoir qu’il a de faire du bien; tandis qu’il ne tient en rien ce pouvoir d’un autre homme. C’est pourquoi l’homme ne peut avoir quelque mérite auprès de Dieu qu’en vertu d’un don de Dieu; l’Apôtre nous le fait entendre expressément par ces mots: "Qui donc a donné quelque chose à Dieu le premier pour attendre de Dieu une rétribution?" Au contraire, nous pouvons acquérir quelque mérite auprès d’un de nos semblables avant d’en avoir rien reçu, et cela, au moyen de ce que nous avons reçu de Dieu. Si, par contre, nous considérons l’objection à la lumière de la seconde raison invoquée, celle qui vient de l’obstacle du péché, cette fois la situation est la même qu’il s’agisse de l’homme ou de Dieu; car on ne peut pas non plus mériter auprès d’un homme qu’on a offensé, à moins d’avoir satisfait et de s’être réconcilié avec lui.

 

Article 8: La foi est-elle nécessaire à l’entrée dans la vision béatifique?[195]

 

Objection 1:

Pour son salut et pour sa perfection un être peut toujours se contenter, semble t-il, de ce qui convient selon sa nature. Mais ce qui est de foi dépasse la raison naturelle de l’homme: c’est ce qui ne se voit pas. Pour être sauvé, il ne semble pas être nécessaire de croire.

Objection 2:

Le salut de l’homme réside en Dieu: "le salut des vôtres vient du Seigneur" dit le psalmiste. [196] Mais "ce qu’il y a d’invisible en Dieu, depuis la création du monde, se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres" comme le dit l’apôtre[197]. Ce qui se découvre à la pensée, on n’a pas à le croire. Il n’est donc pas nécessaire au salut que l’on croie des choses.

Objection 3:

Nul n’est tenu à ce qui n’est pas en son pouvoir. Mais croire n’est pas au pouvoir de l’homme puisque la foi est un don de Dieu. Bien souvent, ce don est fait par l’intermédiaire d’instruments humains comme les apôtres "Mais comment croiront-ils s’ils n’ont pas entendu prêcher" dit l’apôtre[198]? Ainsi, la foi ne peut être nécessaire au salut sans quoi des millions d’hommes seraient damnés sans responsabilité de leur part n’ayant pas eu la chance d’être visités par des missionnaires. C’est d’ailleurs une position de Calvin rejetée par l’Église: Dieu ne prédestine personne à l’enfer.

 

Cependant:

"Celui qui s’approche de Dieu doit croire" [199]. "Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. Celui qui ne croira pas sera condamné". [200]

 

Conclusion:

Comme nous l’avons montré, le libre arbitre est requis comme une disposition du côté de l’homme à l’entrée dans la vision de Dieu. Dieu ne se donne qu’à celui qui l’aime et le désire. Mais il ne peut y avoir véritablement libre arbitre si l’on ne connaît pas d’une certaine manière ce vers quoi l’on est conduit. Ainsi, l’âme ne peut d’aucune manière disposer son libre arbitre vers la communication de la béatitude éternelle si elle n’en connaît pas l’existence. Dieu seul peut en révéler la possibilité. C’est pourquoi il est requis que l’homme réponde par la foi à une telle révélation. La foi est requise aussi à l’homme en tant qu’elle implique de sa part une certaine confiance en Dieu car nul ne croit en la parole d’un autre s’il n’a pas confiance en cet autre. De même nul ne peut être établi dans la vision de Dieu s’il n’a pas une totale confiance en celui qui l’appelle à son admirable lumière. Mais nous verrons plus amplement cela dans l’article consacré à la nécessite de la charité.

 

Solution 1:

Parce que notre salut éternel est d’ordre surnaturel, il est nécessaire qu’il nous soit proposé par une connaissance d’origine surnaturelle. D’où la nécessité de la foi.

Solution 2:

Les attributs invisibles de Dieu, la foi les perçoit d’une façon plus élevée et en plus grand nombre que ne fait la raison naturelle lorsqu’elle remonte des créatures à Dieu. D’où cette parole de l’ecclésiastique[201] "On t’a montré beaucoup plus de choses que l’intelligence humaine n’en peut comprendre". La connaissance obtenue par la raison naturelle sur Dieu ne peut suffire pour rendre l’homme capable de se disposer librement à entrer dans la vision de son essence. Elle peut constituer une disposition à la foi. Mais seule une révélation venant de Dieu, à laquelle l’homme adhère, peut lui donner connaissance de la nature, de la possibilité et des moyens du salut.

La nature de cette disposition est plus aisée à comprendre par l’analogie du mariage. Savoir qu’il existe des jeunes filles à marier correspond à la connaissance extérieure de la philosophie. Savoir que telle jeune fille est digne d’être aimée, voici le contenu de la foi. Avoir confiance qu’on l’aimera un jour, voici la foi elle-même. L’aimer dans un amour réciproque, voici l’analogie de la charité.

Solution 3:

Tout homme peut être amené à croire avec le secours de la grâce. Et ce secours vient toujours selon cette parole de l’Écriture: "Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu"[202]. Les lointains de la terre symbolisent les hommes qui ne connaissent pas Dieu. Si Dieu donne à certains la possibilité d’avoir la foi dès cette terre grâce à la prédication de ses apôtres, c’est à cause de sa très grande miséricorde. Quant aux autres, Dieu leur propose son salut à l’heure de leur mort, comme aux ouvriers de la onzième heure. Mais l’essentiel dans tout cela, c’est qu’il dispose chacun en enseignant l’humilité (kénose) et le désir, à entrer librement dans la révélation de la charité, à son heure.

 

Article 9: Croire explicitement au mystère du Christ et de la Trinité, est-ce de nécessité de salut pour tous?

 

Objection 1:

L’apôtre dit seulement[203] "il faut croire, quand on s’approche de Dieu, qu’il existe et que pour ceux qui le cherchent, il est rémunérateur" Mais on peut croire cela sans la foi en la Rédemption ou à la Trinité. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir explicitement la foi en ces deux mystères pour entrer dans la gloire.

Objection 2:

Nous sommes tenus de croire explicitement en Dieu qui est l’objet de la béatitude. Mais ce qui fait la possibilité de la béatitude, c’est la souveraine bonté de Dieu. Or elle peut se concevoir, en lui-même sans la distinction des personnes. Il n’est donc pas nécessaire de croire explicitement en la Trinité et au Christ.

Objection 3:

Très peu d’hommes même parmi les chrétiens, soupçonnent l’intensité du mystère présent sous les mots de Trinité et de Sauveur. On ne peut donc dire qu’ils connaissent explicitement par la foi ces réalités. On voit mal comment tant de gens pourraient être écartés du salut à cause d’une ignorance.

 

Cependant:

saint Athanase affirme dans son symbole[204]: "Quiconque veut être sauvé doit, avant tout, tenir la foi catholique: (...). Nous vénérons un Dieu dans la Trinité et la TRinité dans l’unité(...). Mais il est nécessaire au salut éternel de croire fidèlement aussi à l’incarnation de Jésus Christ (...)".

 

Conclusion:

La vie béatifique à laquelle l’homme est appelé pour l’éternité à pour objet la contemplation du Mystère insondable de la Trinité. D’autre part, c’est par Jésus-Christ, le seul médiateur qui soit entre Dieu et l’homme, qu’est donné ce salut. Il est donc impensable qu’un homme entre en possession de Dieu par Jésus-Christ s’il ne connaît ni Dieu ni Jésus-Christ.

On peut expliquer comme suit ces affirmations: Ce qui appartient proprement et par soi à l’objet de foi, et par excellence à cette foi qui précède l’entrée dans la vision béatifique, c’est la nature de la béatitude proposée et ce par quoi on obtient la béatitude. Or, pour les humains, le chemin qui mène à la béatitude, c’est le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption du Christ[205]. Il est dit en effet au livre des Actes 4, 12: "Il n’y a pas d’autre nom qui ait été donné aux hommes, par lequel nous devrions être sauvés". Jésus-Christ est d’autre part l’image de Dieu, adaptée parfaitement au mode de la connaissance humaine. Il révèle aux hommes par ce qu’il est le mystère de la vie trinitaire qui est l’objet de la vision béatifique.

Cette connaissance est donc nécessaire. Elle n’a pas besoin d’être parfaite et totale sans quoi, puisque Jésus est Dieu, on devrait dire que l’homme doit d’abord avoir vu l’essence de Dieu pour choisir de la voir pour l’éternité. Cependant, cette connaissance doit être suffisamment lumineuse et profonde pour permettre un choix parfaitement libre et définitif. La foi d’ici-bas a rarement cette qualité même chez les saints. Mais, au moment de la mort, elle est purifiée, illuminée et perfectionnée par le ministère de Jésus-Christ et des anges.

 

Solution 1:

Croire explicitement ces deux choses mentionnées par l’apôtre, cela a été nécessaire en tout temps et pour tous. Comme nous le verrons, la possibilité de croire est offerte à tout homme durant sa vie terrestre, même si cela ne paraît pas expérimentalement évident.

Solution 2:

La souveraine bonté de Dieu, dans la mesure où présentement nous la comprenons par ses effets, peut se concevoir en dehors de la Trinité des personnes. Mais en tant qu’elle est comprise en elle-même, elle ne peut se concevoir en dehors de la Trinité des personnes. Or c’est là l’objet de la vision béatifique. Donc ce mystère ne peut être ignoré de l’homme s’il est amené à le choisir ou à le refuser un jour. D’autre part, puisque ce sont les missions du Fils et du Saint Esprit qui nous conduisent à ce salut, et que les moyens doivent nous être connus, nous aboutissons à la même conclusion.

Solution 3:

L’objection considère la foi telle qu’elle est ici sur terre. Mais au moment de la mort, elle est rendue parfaitement claire par le ministère de Jésus Christ et des anges. Quant aux païens qui n’ont jamais eu la possibilité de connaître l’existence des mystères du salut parce qu’ils n’en ont pas reçu la prédication, ceux-ci leur seront révélés, à tous sans exception, à l’instant de la mort, selon cette parole de l’Écriture: "Il s’en alla même prêcher aux esprits en prison" [206]. Cela ne veut pas dire que tous croiront car Dieu n’oblige personne à répondre par une foi confiante à la prédication, comme nous le verrons plus loin[207].

 

Article 10: L’espérance est-elle nécessaire pour entrer dans la vision béatifique?[208]

 

Objection 1:

La béatitude éternelle dépasse toute aspiration de l’âme. L’apôtre dit en effet "qu’elle n’a pas été révélée à un cœur d’homme"[209]. Nul n’est donc tenu d’espérer la béatitude pour y être introduit.

Objection 2:

Nous avons montré que l’humilité (kénose) était nécessaire pour entrer dans la gloire. Or l’espérance de la vision s’oppose à l’humilité puisque l’homme désire un bien qui le transcende, Donc l’espérance de la vision béatifique n’est pas nécessaire pour y entrer.

Objection 3:

Celui qui n’espère pas voir Dieu ne pèche pas. Cela peut venir d’une ignorance s’il ne connaît pas l’existence de la béatitude. Or l’ignorance n’est pas coupable; Cela peut venir aussi du sentiment de la grandeur de Dieu ou de l’horreur de ses péchés personnels ce qui est un signe de grande pauvreté d’âme. Donc l’espérance n’est pas nécessaire pour entrer dans la gloire.

 

Cependant:

L’espérance a pour objet la béatitude éternelle. Or nul ne peut recevoir librement ce qu’il n’espère pas donc l’espérance est nécessaire pour être introduit par Dieu dans la vision béatifique.

 

Conclusion:

L’homme est tenu d’avoir une espérance théologale parfaite pour être introduit dans la vision béatifique. En premier lieu, cette espérance doit porter explicitement sur la vie éternelle c’est-à-dire sur la vision et la jouissance de Dieu. La raison en est que le moyen doit être proportionné à la fin. Or la fin de l’espérance c’est la possession de Dieu. Nul ne peut être introduit dans la vision béatifique s’il ne l’espère car Dieu ne s’impose pas à la liberté de sa créature, comme nous l’avons montré.

En outre, il est nécessaire que la certitude de l’espérance s’appuie tout entière sur le secours divin. Dieu est en effet un bien supérieur que nul ne peut atteindre par ses propres forces. Espérer cela autrement serait de la présomption.

L’espérance parfaite ne peut exister sans une foi parfaite sur laquelle elle s’appuie car la foi propose à l’espérance ses deux objets qui sont la béatitude éternelle et le secours divin par lequel nous l’obtenons. [210]

 

Solution 1:

En effet, la béatitude éternelle n’est pas révélée d’une façon parfaite au cœur de l’homme, de telle manière que l’homme puisse en connaître avant d’y être introduit, toute la nature et la qualité. Mais, selon sa raison commune, celle du bien parfait, l’homme peut en avoir une certaine connaissance. Et c’est sous cet aspect que le mouvement de l’espérance s’élève vers elle. D’où est-ce par métaphore que l’épître aux Hébreux[211] dit que l’espérance pénètre "jusque de l’autre côté du voile", l’objet de notre espérance nous étant encore pour l’instant voilé.

Solution 2:

L’espérance théologale désire obtenir un bien supérieur non en s’appuyant sur ses propres forces, mais sur celles de celui qui peut le lui donner. Au contraire, l’orgueil qui s’oppose à l’humilité cherche à obtenir la vision de Dieu sans l’aide de Dieu car il est meilleur d’avoir un bien par soi-même que de le tenir d’un autre, selon saint Grégoire. Donc l’espérance ne s’oppose pas à l’humilité. C’est la présomption qui s’oppose à l’humilité.

Solution 3:

Dans l’instant qui précède l’entrée dans la vision de Dieu, l’ignorance n’existe plus comme nous le montrerons plus loin[212] car le Sauveur révèle à l’âme tout ce qu’il lui faut pour se porter librement vers sa fin. Si une telle ignorance subsiste dans l’âme, elle ne peut être que coupable et volontaire. Elle peut être causée par un péché contre le Saint Esprit par exemple un refus de croire malgré l’évidence. De même, dans cet état particulier qui précède la gloire, si la peur de Dieu ou l’horreur de ses péchés subsistent jusqu’à conduire au refus d’espérer le salut, ce ne peut être par humilité. Car l’humble soumet sa volonté à celle de Dieu quand elle lui est suffisamment manifestée. Or Dieu donne à l’âme la possibilité de connaître la grandeur de sa tendresse qui supprime toute peur et de son pardon qui efface tout péché. Il y a donc nécessairement une racine d’orgueil dans un tel désespoir qui constitue alors aussi un blasphème volontaire contre le Saint Esprit. [213]

 

Article 11: La charité est-elle nécessaire pour entrer dans la vision béatifique?[214]

 

Objection 1:

Il semble que la charité ne soit pas nécessairement requise pour entrer dans la vision béatifique. Dieu ne demande pas à l’homme ce qui dépasse ses forces. Or la charité est une amitié surnaturelle pour Dieu. Elle dépasse donc les forces de l’homme,

Objection 2:

Avant la venue de Jésus, Dieu conclut avec les hommes diverses alliances dans lesquelles il promettait de leur donner un jour une terre où couleraient le lait et le miel[215], ce qui symbolise sa gloire. Or Dieu demandait simplement aux hommes l’obéissance à sa volonté comme nous le montre le Pentateuque. Donc la charité n’est pas nécessaire pour entrer dans la vision béatifique.

Objection 3:

Que penser enfin des hommes qui, même après la venue du Christ, refusent d’aimer Dieu comme un ami, c’est à dire par amour de charité, à cause de leur sens de la grandeur du Créateur devant qui l’homme ne peut que plier le genou.

 

Cependant:

Jésus dit[216]: "si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous ferons chez lui notre demeure" Donc la charité est nécessaire pour être introduit en Dieu.

 

Conclusion:

Nul ne peut être introduit dans la vision béatifique s’il n’aime Dieu. Il faut en effet considérer que la vie éternelle consiste dans la jouissance de Dieu. Or le mouvement de l’âme humaine vers la jouissance du bien divin, c’est l’acte propre de la charité et c’est par lui que tous les actes des autres vertus se rapportent. À cette fin puisque la charité commande les autres vertus. Aussi est-ce premièrement à la charité qu’il appartient de recevoir la vie éternelle car Dieu ne donne la jouissance de sa présence dans l’âme que par amour libre et gratuit pour sa créature qu’oit répondre en retour par l’amour. Les autres choses que nous avons décrites n’ont de valeur aux yeux de Dieu que parce que leurs actes conduisent à l’amour de charité. L’assemblage des vertus peut se comparer à un édifice. L’humilité est première et fondement de cet édifice en ce sens qu’elle enlève les obstacles qui peuvent s’opposer à sa construction et en particulier l’orgueil. Elle rend l’homme docile à l’action de Dieu. La foi est le commencement du bâtit car elle révèle à l’homme l’existence de la fin suprême; l’espérance vient ensuite car elle fait que l’âme désir avancer dans sa quête. La grâce habituelle peut alors intervenir comme finition du temple puisqu’elle rend possible la charité par laquelle Dieu vient l’habiter, invisiblement dès ici-bas, visiblement au Ciel.; la charité en est le sommet car elle nous fait aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme de toute nos forces et parce qu’elle nous fait aimer le prochain à cause de Dieu comme nous nous aimons nous même. Étant un amour de Dieu, elle nous mérite de sa part la vie éternelle car Dieu, dans sa justice, donne à celui qui l’aime ce qu’il a promis. "Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous ferons chez lui notre demeure".[217]

 

Solution 1:

Dieu donne à l’homme à un moment ou à un autre la possibilité de le connaître de telle façon qu’il puisse l’espérer et 1’aimer. La charité surnaturelle n’est pas hors de portée de l’homme s’il s’appuie sur la grâce que Dieu ne lui refuse pas. Et cette vertu est nécessaire car Dieu est amour et ne se donne qu’à ceux qui l’aiment.

Solution 2:

Avant la venue du Christ, quand la possibilité d’aimer Dieu par la charité n’avait pas encore été rendue à l’homme à cause du péché originel qui le séparait de Dieu, les hommes n’entraient pas dans la vision de l’essence divine. Il leur fallut attendre la mort du Sauveur qui, en s’offrant comme victime pour les péchés, prit sur lui les fautes de chacun. Auparavant, ils attendaient dans les enfers et le Christ vint lui-même les délivrer selon cette parole de saint Pierre[218] "Il s’en alla même prêcher aux esprits en prison". Quant au fait que le Christ vint si tard, il s’explique par la dureté du cœur de l’homme que Dieu dut relever par étapes, se révélant à lui d’abord comme l’ami et même l’époux.

Solution 3:

Les musulmans, les Juifs et les fidèles des religions qui par humilité refusent d’aimer Dieu dans l’amitié de la charité n’en sont pas moins disposés par leur religion aux sentiments intérieurs qui écartent l’obstacle de l’orgueil droiture de leur volonté les dispose directement à accepter la prédication que le Sauveur leur adresse au moment de leur mort par la vision de son humanité Sainte. Rien n’empêche donc qu’ils soient sauvés. Ils y sont au contraire disposés par leur religion. Nul ne peut être damné que s’il refuse explicitement cette charité lorsqu’elle est proposée de manière évidente. Il s’agit alors d’un blasphème contre l’Esprit Saint.

 

Article 12: Une charité parfaite est-elle requise pour entrer dans la vision béatifique?

 

Objection 1:

Cela ne semble pas possible. Aimer Dieu parfaitement, c’est l’aimer tel qu’il s’aime lui-même. Or personne ne peut aimer Dieu comme il s’aime. Donc une charité parfaite n’est pas requise.

Objection 2:

L’homme ne peut être continuellement tourné vers Dieu, ce qu’exigerait pourtant une charité parfaite. Or Dieu ne peut exiger ce qui dépasse les forces de l’homme. Donc une charité parfaite n’est pas requise.

Objection 3:

Le moindre acte de charité trouve son origine en Dieu qui en rend l’homme capable par sa grâce. Or la moindre grâce de Dieu est capable de nous mériter la béatitude. Donc une charité parfaite n’est pas requise pour être sauvé.

Objection 4:

Après la mort, nul ne peut augmenter sa charité pour Dieu puisque nul ne peut mériter. Or beaucoup meurent avec une charité imparfaite. Faut-il donc admettre qu’ils seront séparés de Dieu? Cela n’est pas possible. Donc la charité parfaite n’est pas requise pour entrer dans la vision béatifique.

 

Cependant:

Jésus dit "celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi".[219] Il dit aussi: "qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera".[220] Or aimer Dieu plus que ses proches plus que sa propre vie c’est la charité parfaite selon ce que dit saint Augustin: la charité atteint sa perfection quand elle dit: "je désire mourir et être avec le Christ".[221] Donc une charité parfaite est requise pour entrer dans la vision béatifique.

 

Conclusion:

Il est nécessaire que l’homme aime Dieu plus que tout pour entrer dans la vision béatifique. La raison en est que Dieu est par essence la source de toute bonté. Il est plus aimable que tout bien participé. Il faut donc que le cœur de l’homme soit disposé de telle façon qu’il désire voir Dieu plus que tout autre chose. Un tel désir est seul proportionner à la réception du Bien parfait. Il est un acte de la charité parfaite[222].

 

Solution 1:

Par charité parfaite, nous n’entendons pas un amour qui aimerait Dieu tel qu’il s’aime. Aucune créature n’en est capable car Dieu est aimable autant qu’il est bon. Il est donc infiniment aimable puisque sa bonté est infinie. Or aucune créature ne peut aimer Dieu infiniment puisque toute vertu créée est limitée.

Solution 2:

Il n’est pas nécessaire que l’homme aime Dieu de telle façon qu’il se porte continuellement vers lui de toute sa force. Une telle perfection de la charité est celle qui règnera dans l’autre monde lorsque l’homme aura été délivré du mode provisoire du fonctionnement de la chair. Il est seulement exigé que l’homme donne habituellement tout son cœur à Dieu, de ne rien penser et de ne rien vouloir qui soit contraire à la divine dilection. Dans l’instant qui précède l’entrée dans la gloire, cela se réalise concrètement par le fait que l’âme vaque tout entière à Dieu et aux choses divines, en laissant tout le reste. Une telle charité est vécue dans certains cas dès ici-bas par ceux qui sont consacrés à Dieu dans la vie contemplative. En ce sens, ils sont témoins de ce que vivent toutes les âmes avant leur entrée dans la vision de Dieu.

Solution 3:

Le moindre acte de charité mérite à l’homme de recevoir la gloire de la vision divine. Cependant, tant que cet acte est mélangé par des restes de péché, c’est-à-dire par des affections qui sont autres que celle qui se porte vers Dieu et vers les biens divins, il ne peut conduire immédiatement à la vision de Dieu. Il demande donc à être purifié d’où l’existence après la mort d’un feu purificateur comme nous le verrons ultérieurement.

Solution 4:

La charité, si on la considère en elle-même, est toujours parfaite puisqu’elle est infusée par Dieu qui ne saurait faire oeuvre imparfaite. Mais, relativement à celui qui possède la charité, elle peut être imparfaite en ce sens qu’elle trouve dans la volonté un obstacle à son parfait exercice. C’est cet obstacle qui est supprimé par le purgatoire, sans que la charité ait besoin d’être augmentée en elle-même[223].

 

Article 13: Le baptême est-il nécessaire à l’entrée dans la gloire?

 

Objection l: Le baptême est nécessaire selon les paroles du Seigneur: "Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé; celui qui ne croira pas, sera condamné".[224] L’autorité de cette Parole ne saurait être mise en doute.

Objection 2:

Il semble que l’homme doit non seulement recevoir le baptême pour être sauvé mais aussi le sacrement de l’Eucharistie selon la parole de Jésus: "Je suis le pain vivant descendu du Ciel; Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra à jamais".[225] Si donc l’Eucharistie est nécessaire au salut, a fortiori, le sacrement du baptême qui y introduit est indispensable.

 

Cependant:

Jésus dit au bandit crucifié à sa droite: "Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le paradis"[226]. Or cet homme n’avait pas été baptisé, ni par le baptême d’eau, ni par celui du martyre puisqu’il n’est pas mort pour le Christ. Donc il est possible d’être sauvé sans recevoir le sacrement de baptême.

 

Conclusion:

Le baptême est un sacrement puisqu’il réalise efficacement dans l’âme de celui qui le reçoit ce qu’il signifie. Il est possible de distinguer en lui au delà du signe sensible qui est l’eau versée accompagnée de la parole dite, une réalité efficacement reçue par le baptisé. Cette réalité n’est autre que le pardon de tous les péchés commis antérieurement, et la réception de la grâce comme d’une vie nouvelle. Ces deux effets du baptême sont signifiés par l’eau qui lave et fait naître la vie. Ainsi, si l’on considère le baptême en tant qu’il donne le pardon et la grâce, alors sa réception est indispensable au salut. Nous avons montré en effet que nul ne peut rentrer au Ciel si ses péchés ne lui sont pardonnés et s’il n’a reçu la grâce. [227]

Cependant, cette grâce du baptême peut être reçue par l’homme de plusieurs manières: Bien des humains la reçoivent avant même d’avoir été baptisés sacramentellement. Ainsi, ceux qui tournent leur âme vers Dieu par une sincère conversion reçoivent dès cet instant de sa part les effets du baptême. Sachant cela, l’Église n’hésite pas à différer chez les catéchumènes la réception du baptême plusieurs années après qu’ils l’aient demandé. Elle sait qu’elle ne met pas en danger leur salut. De même, les enfants morts sans baptême sont considérés comme sauvés à cause de la prière de leurs parents pour eux ou des parents adoptifs du Ciel.

En conséquence, on doit dire que la grâce du baptême est nécessaire au salut d’une manière absolue. Quant au sacrement du baptême, il n’est pas nécessaire en soi mais relativement à cet effet dont il est la cause la plus habituelle.    

Solution 1:

Les paroles du Seigneur doivent s’entendre en premier lieu de l’effet du baptême qui est la conversion du cœur vers la vie de la grâce. Cependant, en un second sens, on doit les interpréter par une nécessité de recevoir le sacrement de baptême. En effet, celui qui est véritablement introduit par l’Esprit Saint dans la vie de la grâce ne peut que désirer la réception de ce bain d’eau instauré par le Christ. S’il refuse obstinément, c’est que sa conversion n’est pas totale. En ce sens là, on doit dire que le baptême sacramentel est nécessaire au salut.

Solution 2:

Comme nous l’avons montré, l’homme ne peut entrer dans la gloire s’il n’a pas une foi ferme et profonde en Dieu, une espérance infaillible et une charité brûlante. Or c’est le rôle du sacrement de confirmation de rendre la foi et l’espérance adultes; De même, l’eucharistie enflamme la charité puisque, en communiant, l’homme s’unit amoureusement à Dieu en même temps qu’à son prochain. Il réalise sensiblement dans sa vie les deux commandements donnés par le Seigneur. Cependant, ces effets de la grâce peuvent naître dans l’homme par d’autres moyens, comme on le voit chez certains saints qui furent longtemps privés par la persécution de la réception des sacrements. Bien des hommes ne reçoivent ces grâces qu’au moment de leur mort. Nous le montrerons ultérieurement.

 

En ce qui concerne l’argument en sens contraire, on doit répondre ceci: le bandit crucifié à la droite de Jésus fut réellement baptisé, non d’un baptême d’eau certes mais du baptême de l’Esprit Saint. En effet, il confessa sa foi au Seigneur et une telle profession ne peut venir "de la chair mais seulement du Saint-Esprit"[228], comme le dit le Seigneur à saint Pierre. On peut même affirmer que le bandit fut baptisé d’un baptême de sang puisqu’il estima juste devant le Seigneur les souffrances qu’il endurait pour son péché. Il est donc évident que cet homme était rempli de la grâce que confère habituellement le baptême d’eau.

D’autres théologiens pensent que ce bandit ne reçut pas sur sa croix la grâce sanctifiante dans ce qui la spécifie, à savoir cette amitié cœur à cœur avec Dieu, mais seulement l’humilité et l’espérance qui en étaient les dispositions. Dans cette hypothèse, il reçut la grâce du baptême un peu plus tard, c’est-à-dire juste à l’heure de sa mort, par la Révélation de l’Évangile du Royaume de Dieu. C’est ce qui se produisait habituellement pour tous les hommes de l’Ancienne Alliance.

 

Article 14: La vision béatifique sera-t-elle donnée à chaque homme en proportion de sa charité?

 

Objection l:

On ne peut affirmer qu’un homme pourra voir Dieu plus qu’un autre. Dieu ne se prête pas au plus et au moins. Il est simple. Celui qui le voit le voit donc tout entier ou alors il ne le voit pas dans son essence.

Objection 2:

Cela ne se peut pas. Nous avons montré[229] que la vision béatifique est une opération dont le siège est l’intelligence. Elle consiste en un acte de contemplation. La charité quant à elle est un amour de la volonté. L’expérience montre que l’intelligence d’un homme n’a pas de rapports proportionnels avec sa bonté.

Objection 3:

Dans l’autre monde, nous serons semblables aux anges, selon l’affirmation de Jésus[230]. Or les anges reçoivent la vision béatifique en proportion de leur capacité naturelle. C’est ce qu’affirme Denys.

 

Cependant:

Saint Jean de la Croix affirme que "nous serons jugés sur l’amour". Par le mot amour, il n’entend pas n’importe qu’elle dilection mais bien la charité.

 

Conclusion:

La vision béatifique sera donnée à l’homme en proportion du degré de sa charité au moment de sa mort. C’est une vérité de foi qui ressort avec évidence des enseignements de Jésus et que les saints n’ont cessé d’enseigner. Ils manifestent la nécessité de se préparer dès cette terre à la réception de la gloire. La notion de mérite ne signifie pas autre chose: Dieu sera vu par nous en proportion de ce que désirera notre charité. La nécessité en tient à la nature même de Dieu qui est infiniment lumineux et qui éclaire l’intelligence dans la proportion même de son désir de le connaître, un peu comme un petit et un grand vase sont qualifiés de totalement plein sans pourtant contenir la même quantité d’eau. Il faut maintenant essayer de découvrir l’origine de ce lien de proportionnalité entre la charité et la vision de Dieu. Certains théologiens ont affirmé qu’il n’était autre qu’une règle établie souverainement par l’auspice de Dieu, celui-ci se montrant volontairement à sa créature d’une manière plus ou moins profonde, cachant une partie de son mystère à celui qui l’aime moins. Mais cette raison ne convient pas car Dieu est simple et se livre simplement et totalement à celui qui l’aime: "Il fait briller son soleil sur les bons comme sur les moins bons". [231] Il faut donc chercher la cause de cette différence ailleurs, dans la créature. Parmi les opérations intellectuelles, il en est certaines qui se réalisent sans lien direct avec l’affectivité. Le savant qui cherche à découvrir une loi physique ne la découvrira qu’à force de sagacité intellectuelle et sa qualité morale n’interfèrera pas avec sa recherche. C’est ainsi que fonctionnent les sciences dont l’objet consiste dans des réalités inférieures à l’homme. Mais il existe d’autres types de connaissance humaine qui ne trouvent pas toute la profondeur de leur objet sans l’intervention de l’affectivité. Elles atteignent pourtant leur objet d’une manière vraie. C’est d’elles dont parle le philosophe Aristote quand il dit qu’il vaut mieux connaître les réalités inférieures et aimer les réalités supérieures. Parmi ces réalités supérieures, on peut citer la personne humaine, l’ange et Dieu. Il est évident par exemple que l’ami connaît mieux que tout autre son ami. Il pénètre par son amitié des réalités de son âme que nulle science ne peut atteindre. De même, dans l’ordre de la grâce celui qui aime Dieu le connaît plus profondément que celui qui n’en a que la science. C’est que la réalité 1a plus profonde en Dieu (celle qui a suscité son acte créateur et l’incarnation du Verbe) est l’amour. Cette réalité est davantage accessible la connaissance issue de l’amour qu’à la connaissance rationnelle qui, quant à elle, atteint d’une manière plus connaturelle ce qui est lié à la toute puissance de Dieu, par réflexion sur la création. Dans l’ordre de la gloire qui vient accomplir la vie de la grâce par la vision de Dieu, il en est de même: plus un homme aime Dieu, plus son intelligence se trouve favorablement disposée à son mystère. Orientée par la charité, elle se trouve en connaturalité avec le tréfonds de Dieu qui consiste aussi dans l’amour. Lorsqu’elle entre dans la vision, elle se trouve donc capable de comprendre davantage le mystère que ne le peut celui qui aime moins.  

En conclusion le chrétien doit tenir solidement deux points essentiels à propos du sens de cette vie et de son rapport à l’au-delà: il doit croire d’une part à la continuité fondamentale qui existe, par la vertu de l’Esprit Saint, entre la vie présente dans le Christ et la vie future. En effet, la charité est la loi du Royaume de Dieu et c’est la mesure de notre charité ici-bas qui sera celle de notre participation à la gloire du Ciel; mais, d’autre part, le chrétien doit discerner la rupture radicale entre le présent et l’avenir du fait que, au régime de la foi, se substitue celui de la pleine lumière: nous serons avec le Christ et nous "verrons Dieu"[232] promesse et mystère inouïs en quoi consiste essentiellement notre espérance. Si l’imagination ne peut y arriver, le cœur y va d’instinct et fond.    

 

Solution 1:

Ce n’est pas du côté de Dieu qu’il faut rechercher la cause des différences de vision chez les saints. Dieu en ce qui le concerne se livre tout entier et sans mesure à sa créature. C’est du côté de l’homme que réside du plus et du moins. Chacun au Ciel aimera Dieu de toute la force de son cœur mais tous n’auront pas la même capacité à aimer. Or c’est cette capacité à aimer, que l’homme est appelé à développer durant sa vie terrestre, qui détermine le degré de vision en chacun.

Solution 2:

Dans l’exercice de l’amour spirituel, les deux facultés de l’esprit n’agissent pas l’une sans l’autre. Il existe un double rapport entre elles: en premier lieu, l’intelligence donne à la volonté son objet car nul ne peut aimer ce qu’il ne connaît en aucun cas. En second lieu, l’amour en grandissant aiguise l’intelligence en lui donnant à la fois le désir et la pénétration nécessaires pour connaître plus profondément le bien aimé. Il en est ainsi aussi bien dans l’ordre de l’amour humain que de l’amour divin, car la grâce et la gloire suivent la nature qu’elles surélèvent. Ainsi, dans l’autre monde, celui qui aimera davantage Dieu lui sera davantage semblable et, en conséquence, le comprendra davantage.

Solution 3:

Les anges sont de purs esprits. Leur nature est ainsi faite qu’ils se portent vers leur fin tout entier et d’un seul coup. Après leur création, lorsque les anges eurent à choisir entre la voie qui mène au paradis et celle qui mène à l’enfer, ils s’y portèrent chacun selon leur choix et définitivement. En effet, lorsque leur fut adressée la révélation divine concernant la gloire, chacun la comprit en proportion de la puissance naturelle de son intelligence; aidé par la grâce de Dieu, chacun choisit ou au contraire refusa cette voie avec une détermination volontaire proportionnelle à ce qu’il avait comprit; chacun reçut alors ce qu’il méritait en proportion de la force de ce choix qui n’est autre, pour les bons anges, que la charité. Voila pourquoi Denys peut affirmer qu’en définitive les anges voient Dieu en proportion de leurs capacités naturelles.

Mais il en est tout autrement pour l’homme: de part son corps et sa sensibilité, il ne peut comme l’ange aimer Dieu d’un seul coup et de toute l’intensité dont il est capable. L’expérience montre qu’il apprend à aimer par étape et d’une manière faillible. Par contre, à la différence de l’ange, l’homme peut aimer sans limite naturelle, c’est-à-dire au delà de ce qu’il comprend de Dieu ou de son prochain. Il peut se déposséder de lui-même jusqu’à renoncer à sa vie. Une telle charité peut lui mériter une gloire supérieure à celle des chérubins.  

 


 

 

 

1 Voir Juste Ciel!, en Concilium 143, 1979, 13-24, 24.

[3] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 3, art. 8 objection 1.

[4] Exode 33, 20.

[5] Job 34, 26.

[6] 1 Jean 3, 2.

[7] Constitution «Benedictus Deus » (29 janvier 1336) «LA FOI CATHOLIQUE », page 511.

Le discours après la Cène nous éclaire sur la nature de cette vie. « La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent toi. Le seul véritable Dieu et ton envoyé, Jésus-Christ ». (Jean 17, 3). Qu’ils te connaissent. Le sens biblique de ~ connaître «est beaucoup plus fort que celui du langage courant. II ne s’agit plus d’une simple connaissance intellectuelle, il s’agit d’une connaissance par expérience de vie et de vie commune.

[8] Livre de l’exode 34, 18

[9] Psaume 79 verset 20.

[10] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae q. 3 article 8.

[11] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Q3 article 8.

[12] Isaïe, chapitre 56, verset 7

[13] Urs von Balthazar montre que la personne humaine n’a de sens au plan théologique que par sa mission qui n’est pas naturelle mais surnaturelle, marqué par ce qui l’oriente vers la vision de Dieu. Dramatique, 2, 2. C’est l’objet de la totalité de ce livre.

[14] Voir notre traité, Question 11.

[15] Colossiens I, 16.

[16] Jean 17, 24.

[17] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia q. 8, Article 3.

[18] Luc 18, 17.

[19] Luc 2, 52.

[20] Psaume 91, 11, 12. Ia q 44 article 4.

[21]Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia pars q 62 article 5.

[22] Matthieu 18, 10.

[23] Voir aussi CH. JOURNET « L’aventure des anges », p. 127 NOVA ET VETERA s 58 / 2.

[24] Judith 16, 14.

[25] La théologie du Père Teillard de Chardin veut expliquer le sens de la création par l’ordre et l’harmonie évolutifs qui y règnent et qui trouvent leur achèvement dans l’homme devenu Dieu, le Verbe Incarné. Le principe d’une telle théologie, si on la regarde d’une manière abstraite des éléments scientifiques discutables qu’elle assume, est valable mais insuffisant. L’ordre de la création trouve sa pleine justification dans la tension vers l’amour et la contemplation de Dieu.

[26] Romains 8, 19.

[27] Romains 5, 12.

[28] Cet argument est de saint Thomas lui-même.

[29] Voir la pars Question 90 à 102: les origines de l’homme.

I Constitution apostolique «Munificentis Deus », Pie XII, 1950. 1. Voir aussi «Mortalité ou immortalité du premier homme créé par Dieu? » Nouvelle Revue Théologique 1 p. 1043ss.

[31] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa Question l00 article 2, Respondeo.

[32] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa pars Question 1 article 3.

[33] Voir «L’oeuvre des six jours », Ia pars Question 73 art 2.

[34] Genèse 6 et 7.

[35] Voir par exemple Josué 7.

[36] Voir ce traité, Question 7.

[37] Job 38, 12.

[38] article 7

[39] Osée 2, 16.

[40] Exode 19, 21.

[41] Voir ce traité, Question 8.

[42] Gérard CHOLVY: Du Dieu terrible au Dieu d’amour: une évolution de la mentalité religieuse, Communio, tome XI 3-mai-juin l986.

[43] Traité du Verbe incarné, Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa pars Question 1 article 4.

[44] Épître aux Colossiens I, 15.

[45] 1 Jean 3, 1.

[46] Traité de la Trinité chapitre 13.

[47] Sermons sur 12 nativité du Seigneur n 371.

[48] Rudiments de Catéchisme, Chap. 4.

[49] Véritable, c’est-à-dire pleinement conforme à son objet.

[50] Actes 3, 1

[51] Concile Vatican II, Lumen Gentium, 485.

[52] QUEL AVENIR POUR L’HOMME? Lettre pastorale du cardinal Gouyon à l’occasion de la Toussaint.

[53] Saint Jean 14, 9.

[54] Éphésiens I, 4.

[55] Éphésiens I, 7. et, dans la liturgie de Pâques: «bienheureuse faute qui nous valut un tel Sauveur ».

[56] Genèse. 2, 8.

[57] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Traité des Anges, Ia Question s 54 et 55.

[58] Jacques 4, 6.

[59] Matthieu 11, 29.

[60] saint Paul.

[61] Jean 15, 13.

[62] Paris, 1972.

[63] Voir aussi de MADELEINE DELBREL • Dieu est mort Vive la mort, p. 226.

[64] Vision? Amour? union amoureuse dans la vision? Il sera donné ultérieurement explication à notre utilisation du «vision » plutôt celui d’amour. (Question 5, article 10). A propos du terme «Vision », certains lecteurs pourraient être provisoirement choqués en pensant que le paradis consiste à «aimer » Dieu plutôt qu’à le voir. Nous verrons que cette remarque est sans fondement (Question 5, article 105. Balthasar résout cette controverse ainsi: «En fait, la béatitude éternelle ne peut consister que dans la vision aimante de l’amour, car qu’y aurait il d’autre à Voir en Dieu, et comment l’amour pourrait-il être contemplé autrement que dans la communion d’amour? » (L’amour seul est digne de foi », Aubier-fontaigne 1966, p. 178).

[65] Jean I, 18.

[66] Homélie 14 sur saint Jean.

[67] Matthieu 22 30.

[68] Théologie Mystique, Chap. 1.

[69] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Voir Supplément de la Somme, Question 92, article 1.

[70] Psaume 35, 10.

[71] 1 Corinthiens 13, 12.

[72] Constitution dogmatique «Benedictus Deus », La foi Catholique, G. Dumeige, p. 511.

[73] La contemplation philosophique ou théologique peut au contraire subsister sans la présence de cette grâce d’amour comme on le voit chez certains savants spéculatifs mais éloignés de l’oraison.

[74] Psaume 34, 89.

[75] La contemplation mystique est pourtant déjà une grâce entièrement surnaturelle. Comparée à la vision béatifique elle est comme une pâle lueur dans la nuit, sans commune mesure avec l’éclat du plein soleil.

[76] 1 Corinthiens 2, 9.

[77] Voir l’article 5.

[78] Jean 14, 6.

[79] Jean 14, 8.

[80] Jean 3, 35.

[81] Colossiens I, 16.

[82] Constitution dogmatique «Benedictus Deus », La foi Catholique, G. Dumeige, p. 511.

[83] Apocalypse 4. ou, d’après saint Thomas, celle qu’eût saint Paul sur le chemin de Damas. Il vit des choses qu’il n’est pas donné à l’homme de connaître.

[84] 2 Corinthiens 12, 4.

[85] 1 Corinthiens 15, 24-28.

[86] Apocalypse 12, 23.

[87] Job 19, 26.

[88] Jean I, 17.

[89] Voir l’essence de Dieu, face à face: voici un abîme qui n’a pas manqué d’enflammer la conscience des grands théologiens chrétiens. Le Fini peut-il Voir l’infini? Ce même paradoxe se reflète, au cours de l’histoire de la théologie, dans les positions contraires de Grégoire Palamas et du Pape Benoît XII. D’un côté, chez Palamas, la distinction entre l’essence (ousia) divine, inconnaissable en soi, et ses rayonnements incréés (energiai) apportera une solution au problème. Il écrira que «l’illumination ainsi que la grâce divine et déifiante ne sont pas l’essence, mais seulement l’énergie de Dieu » et que «Dieu n’est pas appelé lumière d’après son essence, mais d’après son énergie » Palanas s’appuie sur une longue préhistoire, qui débute avec la violente réaction des Cappadociens et de Jean Chrysost. contre le rationalisme vulgaire d’Eunome, affirmant que nous connaissons Dieu aussi bien qu’il se connaît lui-même, et se poursuit dans les formules de la théologie négative de Diadoque de Photicé, Denys et Maxime le Confesseur. De l’autre côté, il y a, à la suite aussi d’une longue préhistoire (d’Origène à Jean XXII en passant par saint Bernard) du rejet de l’idée de la vision béatifique avant la résurrection à la fin de monde, la position affinée par la définition de Benoît XII (DS 1000) d’après laquelle, depuis l’Ascension du Christ, les âmes des justes (une fois accomplie la purification éventuellement nécessaire) «voient l’essence (essentia) divine dans une vision intuitive et face à face.

[90] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément, Question 92, article 1.

[91] Epitre à Dorothée.

[92] Constitution dogmatique «Benedictus Deus », La foi Catholique, G. Dumeige, p. 511.

[93] Cette conclusion est reprise en grande partie de la question 92, article 1.

[94] On peut consulter avec fruit pour cette question Balthasar H. U., La dramatique divine IV «le dénouement » Culture et Vérité, Namur, 1993p. 389 à 428. « Il ne suffit donc pas de décrire la vie de grâce sous forme de «présence » et «habitation » particulière des Personnes du Fils et de l’Esprit envoyés par le Père dans les âmes des justes; cette habitation a pour but de faire participer l’homme aux relations des Personnes et l’on sait que celles-ci n’existent qu’en tant que relations subsistantes ».

CHEVALIER I., Saint Augustin et la pensée grecque. Les relations trinitaires, Fribourg, 1940.

RUELLO F «Une source probable de la théologie trinitaire de saint Thomas » RSR 43 (1955), 104-128.

[95] «Il ne s’agit pas d’une plénitude arrêtée, mais d’une plénitude qui progresse à l’infini dans l’inépuisable merveille de l’Être qui est Dieu et qui se révèle dans toute créature devenue transparente au Créateur. Comme celui qui a acquis l’habitus d’une science déterminée peut toujours élargir les horizons de son savoir grâce à cet habitus, ainsi la Lumière de la gloire, nous permettant de connaître comme Dieu connaît, nous ouvre progressivement à l’infini. Si déjà la connaissance des créatures se révèle dès maintenant inépuisable, tels les mystères du monde infra-atomique ou de l’espace incommensurable, combien plus la vision plénière des créatures dans le Créateur sera nouvelle et surprenante dans toute l’éternité ». Vitalini sandro, Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg, Suisse, 1980, p. 50.

[96] Aristote, De Anima, 3.

[97] Apocalypse 22 5.

[98] 1 Jean 3, 2.

[99] 1Corinthiens 2, 9.

[100] Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 5 article 6.

[101] Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 5 article 7.

[102] Jean I, 17.

[103] Psaume 83, 12.

[104] De la foi orthodoxe, livre 3, chapitre 19.

[105] Article de saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 3 article 4.

[106] Article de saint Thomas, supplément, Question 92, article 2, avec quelques ajouts.

[107] Notre traité, Question 8, l’heure de la mort.

[108] Pour que ce traité soit complet et parfaitement structuré, nous reproduisons, parfois in extenso, des questions et des articles que saint Thomas a pu traité de manière mature avant sa mort. Ici, il s’agit de la question 67 de la Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae.

[109] Matthieu 22, 30.

[110] Sagesse 1, 15.

[111] 1 Corinthiens 13, 8. 9.

[112] Luc 16, 25.

[113] 1 Corinthiens 3, 11.

[114] 2 Corinthiens 5, 6.

[115] Hébreux 11, 1.

[116] Ecclésiastique 24, 21.

[117] 1 Pierre 1, 12.

[118] Romains 8, 24.

[119] Proverbes 1, 33 Vg.

[120] Éphésiens 1, 18.

[121] Psaume 36, 10.

[122] 1 Corinthiens 13, 10.

[123] 1 Corinthiens 13, 8.

[124] Article de saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 68, article 6.

[125] Isaïe 11, 9.

[126] 1 Corinthiens 15, 28.

[127] Jérémie 31, 34.

[128] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa Question 69 article 2.

[129] Apocalypse 12, 3

[130] Marc 10, 30.

[131] Confession 12,

[132] Voir Question 50.

[133] Saint Paul aux Galates 5, 22.

[134] Apocalypse 22, 1 et 2.

[135] Non seulement l’homme aspire au bonheur infini, mais encore il communie actuellement à une joie qui s’accroît indéfi­niment en proportion de son amour. La joie est une valeur qui dépasse les limites de la matière, de l’espace et du temps. Le chrétien est justement appelé à se rendre compte de ce jail­lissement qui est déjà annonce de la vie éternelle. “Le chrétien devra fouiller tout son être et ses expériences accumulées pour y trouver la présence du Ciel. ce doit être là l’exercice principal de toute vie spirituelle. ” Ladislas BOROS, le paradoxe Chrétien, O. C. p. 148.

[136] Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 4, article 2.

[137] 1 Corinthiens 13, 13.

[138] Voir à ce sujet, BALTZASAR H. U., «L’amour seul est digne de foi », Aubier-Montaigne 1966, p. 178: «Ainsi s’apaise tout simplement la controverse autour de la question suivante: la béatitude consiste-t-elle dans la vision ou dans l’amour. En fait, elle ne peut consister que dans la «vision » aimante de l’amour, car qu’y aurait-il d’autre à Voir en Dieu, et comment l’amour pourrait il être contemplé autrement que dans la communion d’amour? »

[139] Saint Paul dira que cette participation à la vie divine est purement et simplement le «mystère » C’est une «sagesse cachée » «qu’aucun des princes de ce monde n’a connue ». elle est «ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme) mais que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment », c’est-à-dire le don de cet Esprit «qui scrute tout jusqu’aux profondeurs divines », parce qu’il «vient de Dieu » Et la prédication de Paul est elle-même, en que telle «un langage enseigné par l’Esprit, exprimant en termes d’esprit des réalités d’esprit ». Balthasar H. U., La dramatique divine 4, p. 387.

[140] Matthieu 25, 46.

[141] Sagesse 8, 16.

[142] interminabilis vitae tota et simul et perfecta possessio, De consolatione philosophiae, 5, 6.

[143] A propos de la lumière de gloire, consulter Balthasar H. U., La dramatique divine, 4, «le dénouement », Culture et Vérité, Namur 1993, p. 361:

«Mais, cette transparence divine étant celle de l’Être infini qui se trouve être aussi une liberté infinie, on ne saurait la conceVoir autrement que comme l’ouverture d’espaces sans limites. Parler ici de «visio Dei », alors que Dieu n’est jamais un objet saisissable en sa plénitude, c’est, en toute hypothèse, une description insuffisante et unilatérale. Si l’on veut garder cette catégorie de «vision », on doit alors parler dialectiquement de présence suprême de ce qui dépasse toute compréhension. On conclura donc que, même si Dieu se donne à contempler par sa propre species dans le «lumen gioriae » en tant que «medium deducens », il ne peut, même au Ciel, être contemplé pleinement et en saisie totale, c’est-à-dire comprehensive. Les Pères grecs insistaient volontiers sur cette impossibilité de connaître l’essence divine même au Ciel, et la position de Scot Érigène, selon laquelle Dieu ne peut être vu qu’à travers des théophanies est une exception dans la scolastique qui, depuis Augustin, admettait une vision immédiate et totale. C’est saint Albert le Grand qui trouva, dans une «géniale interprétation », la synthèse de l’Orient et de l’Occident en faisant de la théophanie grecque la lumière de foi entendue dans le sens d’un «medium confortans videntem »

[144] Voir aussi: «Dieu lui-même sera notre joie. Dans sa lumière inaccessible, il nous donnera accès à la vue de sa gloire. Alors, nous boirons la Vie à sa source même, dans la Trinité, auprès du Père, par le Fils, dans l’Esprit-Saint ». Proposition de foi des évêques de France, 1978, Documentation Catholique n° 1073.

[145] Psaume 35, 10.

[146] Deutéronome 30, 20

[147] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 110, article 1 objection 2.

[148] Apocalypse 12, 23.

[149] Baruch 5, 9

[150] 1 Jean I, 5.

[151] Psaume 19, 9.

[152] Saint Thomas, Somme théologique, Supplément Question 92 article 1 objection 8.

[153] Théologie Mystique, I.

[154] Saint Thomas, Somme théologique, Supplément Question 92 article 1 objection 15.

[155]… et non seulement une union affective et lointaine comme ici-bas.

[156] Concile de Vienne Constitution « Ad nostri qui » du 06/05/1312.

[157] Voir IaIIae, Question 113, a. 3.

[158] Jean 6, 45.

[159] Jean 6, 45.

[160] Voir la question 18 qui leur est entièrement consacrée.

[161] Voir dans la Somme théologique Ia IIae, Question 4, article 4.

[162] Matthieu 5, 8.

[163] Voir dans le livre de la Sagesse au chapitre 2.

[164] Saint Thomas, Somme théologique, IaIIae, Question 5, a. 7.

[165] Romains 4, 6.

[166] Jean 13, 7.

[167] De Caelo 12, 3 (292 a22).

[168] Matthieu 13, 52.

[169] Voir aussi dans la Somme de Théologie, humilité, IIa IIae, Question 161, 1.

[170] Matthieu 11, 29.

[171] Matthieu 5, 3.

[172] l Pierre 5, 5.

[173] Concile Vatican II, les religions non-chrétiennes.

[174] Livre de la pénitence.

[175] Voir dans la Somme de Théologie, humilité, IIaIIae, Question 161, 1.

[176] Tout au long de ce traité, il faudra distinguer l’humilité-vérité sur soi-même et les autres, de l’humilité-anéantissement de soi, kénose.

[177] 1 Corinthiens 1, 25.

[178] Jean 13, 15.

[179] Philippiens 2, 6.

[180] Proverbe 24, 16.

[181] Matthieu 6, 21.

[182] Hébreux 5, 8.

[183] Dernier article de cette question.

[184] Le purgatoire des âmes errantes (rarement), le purgatoire du jour du Seigneur (la Parousie du Christ), les trois purgatoires mystiques décrits par sainte catherine de Gênes. Tous sont marqués par une propriété commune: la souffrance.

[185] Méditation sur la souffrance, 11 février 1984. Seul le pape Jean-Paul II, suite aux souffrances terribles après l’attentat de 1981, s’estima en droit d’en parler.

[186] Matthieu 21, 31.

[187] Cela ne veut pas dire qu’il faut devenir prostituée !

[188] Matthieu 19, 30.

[189] Matthieu 19, 24.

[190] Au XIXème siècle, au nom de cette théologie, certains patrons se servaient de ce genre de propos pour justifier la mise en esclavage des ouvriers. On voit à quel point le message évangélique porte en lui du scandale pour la sagesse naturelle de chacun.

[191] Voir dans la Somme de Théologie, humilité, IIaIIae, Question 114, 2.

[192] Romains 4, 23.

[193] Tel est l’intitulé de saint Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique pour cette question très discutée dans l’histoire de l’Église. Sa réponse est non, l’argumentation étant appuyée sur un texte de l’épître aux Romains 6, 23: «La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle ». La réponse ne fait que développer cet enseignement: Pour obtenir un bien, il faut être proportionné à ce bien. Or le bien de la vie éternelle étant surnaturel, seule une grâce d’ordre surnaturel peut la mériter. Ceci est valable pour toute créature spirituelle, ange ou homme, d’une nécessité de nature. Saint Thomas d’Aquin précise dans d’autres parties de sa Somme (Ia IIae Question 109ss) ce qu’il entend par grâce surnaturelle: il s’agit selon lui de la grâce sanctifiante qui surélève l’âme pour la rendre capable des actes de foi, d’espérance et de charité.

[194] Romains. 6, 23.

[195] Nous parlons ici de la foi dans un sens précis: en tant que connaissance intellectuelle des révélations divines et non en tant que qu’adhésion du cœur envers le Sauveur (confiance). Nous traitons de la foi en ce second sens, davantage lié à l’amour quoique différent de la charité, à l’article 9. La «confiance » est présupposée à la charité » Voir dans la Somme de Théologie Ia IIae, Question 2, article 3, 7 et 8. Foi. De l`objet de la foi. IIa IIae. q. 1.-De la foi considérée par rapport à son acte intérieur IIa IIae. q. 2.-Par rapport à son acte extérieur. IIa IIae. Question 5.-Par rapport à son habitude. IIa IIae q. 5-Par rapport à ceux qui possèdent cette habitude IIa IIae Question 5.-Par rapport à la cause de l’habitude IIa IIae Question 6-Par rapport à ses effets IIa IIae Question 7.

KUNG (H)., La Justification. La doctrine ale Karl Barth. Réflexion catholique, Paris, 1965 (titre original: Rechtfertigung. Die Lehre Karl Barths und eine katholische Besinnung, Einsiedeln, 1957).

[196] Psaume XXXVI, 39.

[197] Romains 1, 20.

[198] Romains 10, 14 et 15.

[199] Hébreux 11, 6.

[200] Marc 14, 16.

[201] Ecclésiastique 3, 25.

[202] Psaume 98, 3b.

[203] Hébreux 11, 6.

[204] Voir «La foi Catholique », G. Dumeige, pages 9 et 10; Il est aisé de deviner où peut conduire une interprétation rigide d’un tel texte qui fait pourtant partie du Magistère de l’Église par reconnaissance unanime des Pères. Faut-il admettre la damnation de tous les incroyants et de tous les mal-croyants? Avant de se pencher sur ce problème, il convient de montrer pourquoi une telle foi explicite est, de fait, nécessaire au salut.

[205] «Je suis le chemin, la vérité, la vie », Jean 14, 6.

[206] 1 Pierre 3, 19.

[207] Le péché contre l’Esprit Saint: le refus de croire malgré l’évidence.

[208] Bibliographie pour cet article: Somme de Théologie, Crainte. De la crainte considérée en elle-même: Ia IIae Question 41. L’objet de la crainte: Ia IIae Question 42 De sa cause: Ia IIae Question 45; De ses effets. Ia IIae Question 44; Du don de crainte qui répond a l’espérance. IIa IIae Question 19; Du vice de la crainte IIa IIae L’espérance: De l’espérance considérée en elle-même: IIa IIae Question 17; Du sujet de l’espérance: IIa IIae Question 18; De l’espérance et du désespoir considérés comme des passions de l’irascible: Ia IIae Question 40; Toutes les formes de l’espérance chrétienne sont longuement étudiées et non seulement comme ici, l’espérance théologale informe.

BALTHASAR H. U. La dramatique divine 4, le dénouement, Culture et Vérité 1993, p. 122-159.

[209] 1 Corinthiens 2, 9.

[210] Le caractère proprement théologal de l’espérance apparaît pleinement à la considération de sa dimension subjective. On doit parler de la folie de l’espérance, au sens où Paul parle de la folie du message (cf. I Corinthiens I, 22). Car espérer, au sens chrétien, c’est attendre Dieu de Dieu. Celui qui espère, espère pour soi la béatitude parce qu’il s’appuie sur l’aide de Dieu. Car ce qui permet la folle audace de l’espérance: compter participer à la fruition de Dieu lui-même, c’est la certitude de l’appui de Dieu Tout-Puissant. Georges COTTIER, o. p. Communio, ni. 9, 4, juillet-août 198, page 4: «J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir.

[211] Hébreux 6, 19;

[212] Voir dans ce traité la Question 8.

[213] Voir la question 11 a. 5 du présent traité.

[214] Voir à cet égard le livre très important de Hans Urs von Balthasar: «L’amour seul est digne de foi », Aubier-Montaigne 1966, en particulier le chap. 7: l’amour comme justification. Tout l’esprit de notre propre étude se trouve résumé dans ce livre.

Bibliographie: relire à ce sujet l’entretien avec Nicodème N. R. T, 195fi n°4, p. 13ss.

Voir dans la Somme de Théologie:

Charité. IIa IIae Question 25 à 51.

Grâce. Ia IIe Question 109 ss.

La justification. Ia IIae Question 114-115.

Dans la revue Communio:

JUSTIFICATION. Articles: André Manaranche «Justilication divine et justice politique » (III 2 p 13-30). Carlo Cattarra, Distinguer pour justifier). (VI 2 p. 26-34); Georges Chantereine: La femme privée do l’Esprit: un aspect de la ponsée de Luther (VII 4 p. 45-46). Passages: 1, 5, p. 19; 1, 6, p. 20; 3, 2 p. 29; 3, 3 p. 43, 44-46; 3, 4 p. 13; 5, 3 p. 27; 9, 2 p. 105-108; 10, 2 p. 23-24.

[215] Exode 3, 8;

[216] Jean 14, 23.

[217] Jean 14, 23.

[218] 1 Pierre 3, 19.

[219] Matthieu 10, 35.

[220] Luc 9, 24.

[221] Philémon I, 21.

[222] Balthasar écrit: «Nous oublions trop facilement qu’une Personne divine, même dans son incarnation et les vicissitudes de son humanité, est pure relation, et que la béatitude de Dieu consiste à être don de soi » (La dramatique divine 4, le dénouement, Culture et Vérité 1994, p. 233). Nous rappelant cela, nous comprenons pourquoi une charité parfaite est requise pour Voir Dieu.

[223] Voir, dans ce traité, les questions sur le purgatoire.

[224] Marc 15, 16.

[225] Jean 7, 51.

[226] Luc 22, 43.

[227] Voir l’article de Charles Journet «Hors l’Église, pas de salut » Nova et Vetera, 1949/1, p. 63. On y trouvera une bibliographie

Voir aussi «Lettre du Saint Office à Mgr Cushing, Archevêque de Boston, 8 août 1949: Hors l’Église, pas de salut »

Dans la Somme théologique, le baptême:

Du baptême du Christ, Du sacrement de Baptême, Supplément-

Sacrements. En quoi consistent les Sacrements, Supplément, De leur nécessité-De leur effet principal-De leur caractère.

[228] Matthieu 14, 17.

[229] Question 4.

[230] Luc 20, 36.

[231] Matthieu 5, 45.

[232] cf. I Jean 3, 2.

 

 

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