la Rédemption considéréE dans le RETOUR DU CHRIST GLORIEUX

 

LIVRES III ET IV DE L'OPUSCULE 61

 

L'HUMANITÉ DE JESUS-CHRIST

 

ATTRIBUE A SAINT THOMAS D'AQUIN

APOCRYPHE DE BONNE QUALITE

 

 

Traduction R. P. Géry Delalleau, Editions Maison de la bonne Presse, Paris, 1898

LIVRE III: Du mystère de la Rédemption considéré dans le deuxième avènement. 2

CHAPITRE I: COMMENT ET POURQUOI SE FAIT LE SECOND AVÈNEMENT DE JÉSUS-CHRIST.. 2

CHAPITRE II: L’ÂME RENDUE AGRÉABLE A DIEU PAR LE SECOND AVÈNEMENT.. 3

CHAPITRE III: L’AME CONSOLÉE PAR LE SECOND AVÈNEMENT DU SAUVEUR PRÉPARATION A RECEVOIR CETTE CONSOLATION.. 5

CHAPITRE IV: SIGNES DE LA PRÉSENCE DU VERBE CONSOLATEUR.. 6

CHAPITRE V: L’AME ILLUMINÉE PAR LE SECOND AVÈNEMENT.. 7

CHAPITRE VI: AVÈNEMENT DE LA TRINITÉ DANS L’AME. 8

LIVRE IV: Du mystère de la Rédemption considéré dans le troisième avènement. 10

CHAPITRE I: L’ÉCLAT DU TROISIÈME AVÈNEMENT.. 10

CHAPITRE II: DE LA SOLENNITÉ DU TROISIÈME AVÈNEMENT.. 12

CHAPITRE III: DE LA PUISSANCE DU CHRIST EN SON DERNIER AVÈNEMENT.. 13

CHAPITRE IV: POURQUOI LE TEMPS DU JUGEMENT NOUS EST CACHÉ. 14

CHAPITRE V: L’ANTÉCHRIST.. 15

CHAPITRE VI: DES SIGNES QUI PARAITRONT SUR LA TERRE ET DANS LE CIEL.. 17

CHAPITRE VII: DE LA CONFLAGRATION FINALE. 19

CHAPITRE VIII: DE LA RÉSURRECTION DES MORTS.. 20

CHAPITRE IX: NÉCESSITÉ DU JUGEMENT UNIVERSEL.. 22

CHAPITRE X: DE L’ÉQUITÉ DU SOUVERAIN JUGE. 23

CHAPITRE XI: DIGNITÉ DE CEUX QUI JUGERONT AVEC JÉSUS-CHRIST.. 24

CHAPITRE XII: DES DIFFÉRENCES DE CEUX QUI SERONT JUGÉS.. 25

CHAPITRE XIII: DE LA RÉNOVATION DU MONDE. 26

 

 

LIVRE III: Du mystère de la Rédemption considéré dans le deuxième avènement.

 

CHAPITRE I: COMMENT ET POURQUOI SE FAIT LE SECOND AVÈNEMENT DE JÉSUS-CHRIST

 

 

Nous avons parlé du premier avènement de Jésus-Christ dans la chair, et de tous les mystères qu’il y accomplit, depuis l’instant de sa conception jusqu’à son ascension dans le ciel. Par ces mystères, il a posé la cause de notre rédemption; mais là ne se borne pas son action. Outre ce premier avènement par lequel il s’est rendu visible sur la terre, il y en a un second tout spirituel, par lequel il descend au fond de nos âmes, en attendant le troisième dans lequel il viendra juger tous les hommes. Nous considérerons dans le livre suivant ce qui touche au second avènement du Sauveur.

I. — Le second avènement du Sauveur se fait dans notre âme par la grâce sanctifiante. Dieu est présent à toutes choses par sa présence générale, comme une cause est présente à tous les effets qui participent à sa perfection. Et l’on a coutume de dire qu’il est présent ainsi par son essence, par sa puissance et par sa présence. Par son essence d’abord, parce qu’il est en toute chose comme une cause est unie à ses effets dans le moment où elle leur donne l’être; c’est ainsi que l’âme est présente au corps qu’elle anime, et tout entière dans chacune de ses parties. Par sa puissance, parce que tout est soumis à son empire; c’est ainsi qu’un roi est présent par ses lois et son gouvernement à toutes les parties de son royaume. Par sa présence, parce que tout est à nu et à découvert devant ses yeux; c’est ainsi que le maître d’une maison est présent à tous les objets qui sont dans sa maison, parce qu’il peut facilement tout voir et tout atteindre.

Si Dieu est ainsi présent partout, il ne faut pas s’imaginer que par un avènement quelconque, il vienne là où il n’était pas auparavant. Le second avènement ne peut avoir d’autre effet pour lui que d’être présent à un nouveau titre là où il était déjà auparavant. Et cette nouvelle présence dont la créature intelligente est seule capable est comme la présence de l’objet connu dans l’intelligence qui le connaît, et de l’objet aimé dans la volonté qui l’aime. Mais il ne faut pas entendre ceci de la connaissance et de l’amour naturel que nous pouvons avoir par les seules forces que Dieu a mises dans notre âme en la créant. Dieu étant présent dans les êtres en tant qu’il est cause, une nouvelle présence suppose une nouvelle action distincte de l’action créatrice et conservatrice; et c’est l’action par laquelle il se fait connaître et aimer de la créature intelligente, non plus tel qu’il se montre dans le miroir des créatures, mais tel qu’il est en lui-même, objet de la béatitude. Or, connaître et aimer Dieu comme objet de la béatitude est l’effet de la grâce sanctifiante. L’avènement de Jésus Christ dans notre âme se fait donc par la grâce sanctifiante.

II. — Le Sage, exprimant à Dieu son désir de voir ce second avènement, marque en même temps les effets qu’il produit." Envoyez-moi la sagesse, dit-il, du ciel votre sanctuaire et du trône de votre grandeur, afin qu’elle soit avec moi, et qu’elle travaille avec moi, et que je sache ce qui est agréable à vos yeux." (Sagesse IX, 10). Tout ce qui est dit dans l’Écriture de la Sagesse de Dieu doit s’entendre du Christ, qui est notre paix, qui a réuni en un ce qui était divisé, qui est la puissance et la sagesse de Dieu, l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature. Les paroles citées signifient donc: "Envoyez-moi le Christ, la puissance et la sagesse de Dieu, afin qu’il soit avec moi par la vertu de la grâce qui rend agréable à Dieu; qu’il travaille avec moi par l’amour, fruit de la grâce qui élève, afin que je sache ce qui vous plaît par le resplendissement de la grâce qui illumine. Et ainsi le Sage marque trois effets du second avènement: rendre l’être même de l’âme agréable à Dieu par la grâce sanctifiante; consoler l’âme en l’aidant à surmonter les difficultés du service de Dieu; enfin éclairer l’intelligence par la lumière divine.

 

CHAPITRE II: L’ÂME RENDUE AGRÉABLE A DIEU PAR LE SECOND AVÈNEMENT

 

Le premier effet du second avènement est de rendre notre âme agréable à Dieu. C’est dans ce but que nous demandons â la sagesse divine d’être avec nous. En effet, dit saint Paul, " Dieu nous a rendus agréables à ses yeux en son Fils bien aimé." (Eph., I, 6). Il opère cet effet en nous sans nous-mêmes. Aussi l’Apôtre dit-il encore " C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis." (I Cor., XV, 10). Il a raison de tout attribuer à la grâce, car les premiers dons de Dieu sont accordés par une grâce purement gratuite, que rien ne précède en nous, si ce n’est l mal. Mais cette grâce une fois donnée, le bien et le mérite commenceront en nous.

L’avènement de Jésus-Christ par la grâce est très secret et inaccessible à la raison humaine. Et saint Paul s’écrie à bon droit " O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses jugements sont impénétrables et ses voies incompréhensible!" (Rom., XI, 23). Pour comprendre comment la grâce est secrète et cachée, il faut la considérer par rapport aux trois moyens de connaître: la science rationnelle, la conjecture et la révélation.

I. — Il y a des choses que nous connaissons par la science rationnelle, qui se déduit des principes propres de l’objet. C’est ainsi que nous obtenons la certitude des conclusions démontrées par des principes universels et évidents par eux-mêmes. Il est impossible de connaître les conclusions de cette manière, si l’on ignore leurs principes. Or, le principe de la grâce est Dieu; et, pour connaître la grâce par la raison, il faudrait voir Dieu habitant par elle dans notre âme. Mais Dieu nous est inconnu en lui-même, à cause de son excellence, selon ces paroles de Job: "Dieu est grand, il surpasse notre science." (Job, XXXVI, 26). Aussi la présence ou l’absence de la grâce dans notre âme ne peut être connue avec la certitude de la science, comme Job le dit encore: "Si Dieu vient à moi, je ne le verrai point; et s’il s’en va, je ne m’en apercevrai point." (Job, IX, 11).

Il ne faut pas nous plaindre de cette ignorance, car elle est un bienfait pour nous. En effet, elle nous tient dans l’humilité par la crainte du jugement futur." Bienheureux, dit Salomon, l’homme qui est toujours dans la crainte " du châtiment futur; " mais celui qui a le coeur dur ", c’est-à-dire qui n’est pas touché par la crainte de ce châtiment, " tombera dans le mal." (Prov., XXVIII, 14). Et comme l’humilité est une vertu très précieuse, il est souvent utile que nous ignorions la présence de la grâce en nous. Dieu a voulu, dit saint Grégoire, que nous fussions incertains du bien qui est en nous, afin de nous assurer une seule grâce, celle de l’humilité. Cette ignorance nous empêche aussi de Vivre dans une sécurité présomptueuse qui serait notre perte, comme saint Paul le dit des hommes des derniers temps: "Lorsqu’ils diront: nous voici en paix et en sécurité, ils se trouveront surpris tout à coup d’une ruine imprévue." (I Thess., V, 3). Car la crainte, dit saint Jérôme, est la gardienne des vertus, la sécurité est le précurseur de la chute. Enfin l’incertitude sur l’état de notre âme nous rend plus vigilants et nous fait former plus de bons désirs dans l’attente de la grâce." Heureux celui qui m’écoute, dit la Sagesse, qui veille tous les jours à l’entrée de ma maison, et se tient en observation à ma porte." (Prov., VIII, 34). Nous devons toujours, dit saint Bernard, tenir nos regards suspendus au ciel et notre coeur ouvert pour recevoir les flots de la bénédiction de Dieu.

II. — Une seconde manière de connaître est de former des conjectures d’après, certains signes probables. Nous pouvons ainsi concevoir la confiance et l’espérance que Dieu habite en nous par la grâce, et dire avec Judith: "Ouvrez les portes, parce que Dieu est avec nous, et qu’il a signalé sa puissance dans Israël." (Jud., XIII, 13).

Or, trois signes nous permettent de conjecturer avec fondement que la grâce de Dieu est en nous.

Le premier est le témoignage de notre conscience; " car, dit saint Paul, le sujet de notre gloire, est le témoignage que noua rend notre conscience de nous être conduits en ce monde dans la simplicité de notre coeur et la sincérité de Dieu; non avec la sagesse de la chair, mais par la grâce de Dieu. (II Cor., I, 13). Rien de plus éclatant que cette lumière, dit saint Bernard, rien de plus glorieux que ce témoignage, quand la vérité brille dans l’âme, que l’âme se voit elle-même dans cette vérité, et qu’elle s’y voit pudique, respectueuse, craintive, prudente, sans aucun remords qui vienne ternir la gloire de sa bonne conscience, ‘sans aucune souillure qui la fasse rougir en la présence de la vérité. Oui, voilà ce qui plaît aux yeux de Dieu plus que tout autre bien qui peut se trouver dans l’âme.

Un second signe de la présence de la grâce est d’entendre la parole de Dieu, non par pure curiosité, mais avec un sincère désir de la mettre en pratique." Celui qui est de Dieu, dit en effet Notre Seigneur, écoute les paroles de Dieu." (Jean, VIII, 47). La parole de Dieu, dit saint Grégoire, nous ordonne de désirer la patrie céleste où habite la vérité, de fuir la gloire du monde, de ne point désirer le bien d’autrui, et de donner le nôtre avec joie. Que chacun réfléchisse dans son coeur et voie si cette parole de Dieu est écoutée et prévaut en lui; il reconnaîtra à cette marque qu’il est vraiment de Dieu.

Un troisième signe est une suavité intime que la sagesse divine produit en nous, ce qui est l’avant-goût de la béatitude future." Goûtez et voyez, dit le Psalmiste, que le Seigneur est doux à notre âme par sa grâce." (Ps. XXXIII, 9). Puisqu’il est nécessaire, dit saint Augustin, que tant que nous sommes dans ce corps nous soyons loin du Seigneur, tâchons du moins de goûter combien le Seigneur est doux, lui qui nous a donné le gage de son Esprit, dans lequel nous sentons tressaillir la douceur; désirons de voir la source même où, dans une sobre ivresse, nous trouverons la purification de notre âme, et laissons-nous arroser comme un arbre planté près du courant des eaux abondantes. Et ailleurs, le même saint adresse à Dieu cette prière: Jésus-Christ vous supplie, Seigneur, de me faire goûter par l’amour le bien que je goûte déjà par la foi; que je ressente dans mon coeur ce que j’atteins par mon intelligence. Je vous devrai alors plus que tout ce que je suis; mais je n’ai pas pour m’acquitter envers vous plus que mon être tout entier, et cet être même, je ne saurais par moi-même vous le livrer tout entier; attirez-moi en votre amour, attirez â vous tout ce que je suis.

III. La troisième manière de connaître, c’est de recevoir notre connaissance par une révélation divine. Dieu a ainsi révélé à quelques saints qu’il habitait dans leur âme par la grâce. On peut interpréter en ce sens la promesse que Notre Seigneur fait à ses apôtres: "Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle. Quand tous vos travaux seront ter minés, explique la Glose, vous règnerez avec moi." (Matth., XVIII, 20). Saint Paul signale le même privilège accordé quelquefois par Dieu à ses enfants: "L’esprit de Dieu rend témoignage à notre esprit ", c’est-à-dire nous fait connaître avec assurance, " que nous sommes enfants de Dieu."(Rom., VIII, 16).

Trois motifs peuvent porter Dieu à favoriser de cette révélation quelques âmes d’élite. Quand il destine une âme à beaucoup travailler ou à beaucoup souffrir pour lui, il lui enlève quelque fois toute inquiétude sur son salut, afin qu’elle aille au labeur ou à la lutte avec toute la plénitude de sa force et de son cou rage. Ainsi le Seigneur disait à Jérémie: "Ne crains pas en présence de tes ennemis, car je suis avec toi pour te délivrer." (Jér., I, 8). Et David, fort de la même assurance, s’adresse au Seigneur " Quand même je marcherais au milieu des ombres de la mort, je ne craindrais aucun mal, puisque vous êtes avec moi." (Ps., XXII, 4). Comme s’il disait: Vous êtes dans mon coeur maintenant par la foi, afin que, quand l’ombre de la mort aura passé, je sois avec vous par la claire vision de votre gloire.

A l’exemption de toute crainte, Dieu veut ajouter quelquefois une autre force pour le bien, la joie de la sécurité dès cette vie: "Une âme tranquille, dit le Sage, est un festin continuel." (Prov., XV, 15). Et encore: "Va, et mange ton pain dans l’allégresse et bois ton vin dans la joie, car tes oeuvres sont agréables à Dieu." (Ecclésiastique XX, 7). Enfin, Dieu veut par l’assurance du salut, fortifier la patience des siens et leur faire regarder la mort comme un bien désirable. Car l’homme qui " ignore s’il est digne d’amour ou de haine, " comme dit Salomon. (Ecclésiastique IX, 1). "Redoute la mort." Au contraire, celui qui est rassuré de ce côté, ne ressent à la pensée de la mort que d’ardents désirs; tel était saint Paul, qui souhaitait de se dissoudre pour être avec Jésus-Christ."(Phil., 1, 23). O vie pleine de sécurité, s’écrie saint Bernard, quand on attend la mort sans crainte, qu’on la souhaite même avec douceur, et qu’on l’accueille avec dévotion!

 

CHAPITRE III: L’AME CONSOLÉE PAR LE SECOND AVÈNEMENT DU SAUVEUR PRÉPARATION A RECEVOIR CETTE CONSOLATION

 

Nous demandons à Dieu avec Salomon que sa sagesse ou son Verbe soit avec nous pour nous rendre agréables à Dieu: nous lui demandons ensuite qu’elle travaille avec nous, dans l’état de la vie présente, afin de soutenir notre cou rage par ses divines consolations. Le sage avait éprouvé cette consolation, quand il s’écriait: "O Seigneur, combien votre Esprit est bienfaisant et suave à tout ceux en qui il habite." (Sagesse XII, 1). Et saint Augustin, s’adressant au même Esprit, lui dit: "Qui me donnera de vous recevoir dans mon coeur, de m’enivrer de vous, d’oublier tout mal, et de vous embrasser comme mon unique bien? " Or, trois choses nous disposent à recevoir cette consolation du second avènement: le mépris des plaisirs terrestres, la méditation de la bonté de Dieu, les fervents désirs de la charité.

I. — Le mépris des plaisirs de la terre." N’ayez de goût que pour lés choses d’en haut, dit saint Paul." (Col., III, 2). Car vous ne pouvez goûter tout ensemble les joies du ciel et celles de la terre. C’est une erreur complète, dit saint Bernard, de penser que l’on puisse unir les douceurs célestes avec la poussière d’ici-bas, le baume divin avec ce poison, les dons du Saint Esprit avec les séductions du monde. Espérez-vous donc posséder dans votre coeur cet Esprit qui ne supporte aucun mélange, sans avoir renoncé à toutes les consolations de la chair? Sans doute, quand vous ne ferez qu’entrer dans cette voie du renoncement, la tristesse remplira votre coeur: mais, si vous persévérez, votre tristesse se tournera en joie. Alors, en effet, vos affections seront purifiées, votre volonté sera une volonté nouvelle, et vous embrasserez avec beaucoup de douceur et d’avidité tout ce qui vous paraissait auparavant difficile et même impossible.

II. — La méditation de la bonté divine." Je me suis souvenu de Dieu, et je me suis réjoui, dit le Psalmiste." (Ps. LXXVI, 4). Dieu, explique saint Bernard, ne refusera pas ses consolations à l’âme qui se souvient de lui, en attendant qu’il lui accorde l’entier rassasiement dans sa possession. Mais la méditation qui console le plus est celle de la bonté de Dieu manifestée dans le mystère de Jésus-Christ homme. C’est la remarque de la Glose, commentant ces paroles du Psalmiste: "Je me souviendrai de vos merveilles depuis le commencement."(Ps. LXXVI, 12). David, dit la Glose, veut parler de tous les bienfaits que Dieu nous a accordés depuis l’origine du monde, comme des préparations et des figures de Jésus-Christ; par exemple, quand il créa Adam à son image; quand il agréa le sacrifice d’Abel; quand il sauva les animaux dans l’arche de Noé, pour figurer mystique ment le refuge de salut offert à tous les hommes dans le sein de l’Eglise; quand il ordonna à Abraham d’offrir Isaac en sacrifice, pour être l’image de l’incarnation et de la Passion de son Fils Jésus-Christ; enfin, quand Notre Seigneur lui-même parut sur la terre. Voilà les souvenirs qui font la joie des âmes saintes.

III. — Les fervents désirs de la charité. Ecoutons les belles réflexions de saint Bernard sur ces paroles du Psaume: "Le feu marchera devant la face du Seigneur, et il consumera ses ennemis tout autour de lui." (Ps. XCVI, 3). Il faut, en effet, dit le grand Docteur, que la flamme des saints désirs précède la face du Seigneur dans toutes les âmes où il doit venir, afin d’y consumer toute la rouille des vices et de préparer un séjour au Seigneur. Quand l’âme se sent embrasée de ce feu, c’est signe que le Seigneur est proche. Ce feu est l’esprit même de Dieu, qui désire rendre entièrement belle l’âme qu’il voit marcher courageusement dans les voies spirituelles, renoncer aux soucis et aux désirs de la chair et tout enflammée de son amour. Quand Dieu voit cette âme soupirer souvent, prier sans cesse et se consumer par l’ardeur même de ses désirs, le désiré la prend en pitié et vient par fois lui-même à sa rencontre. S’il y a donc un homme de désirs assez pressants pour vouloir se consumer, afin d’être avec le Christ, que ses soupirs soient puis sa soif ardente, sa méditation assidue, et sans aucun doute il recevra la visite de Dieu. Car le désir de son coeur lui sera accordé, en partie seulement toutefois, tandis qu’il est encore pèlerin dans le corps, c’est-à-dire pour un temps et un temps bien court. Car, après que le Bien-Aimé a été cherché dans les veilles et les supplications, avec beaucoup de travail et des torrents de larmes; au moment où l’on croit le tenir, soudain il s’échappe, et on ne le reverra plus sans l’avoir cherché de nouveau avec toute l’ardeur des saints désirs. Ainsi, tant que nous sommes dans ce corps, il peut nous être donné de tressaillir fréquemment au passage de l’Epoux, mais non de jouir de lui à volonté; et si sa visite nous réjouit, les interruptions de sa présence sont un sujet de peine. Encore n’est-ce point à toutes les âmes justes qu’il fera la grâce de les visiter ainsi en passant; mais seulement â celle qui se montre véritablement son épouse par des désirs ardents, par une dévotion fervente, par une tendre affection, car elle seule mérite que Verbe, pour venir à elle, se revête de sa beauté et prenne la orme de l’Epoux.

 

CHAPITRE IV: SIGNES DE LA PRÉSENCE DU VERBE CONSOLATEUR

 

Sachant quelles dispositions l’âme doit apporter pour recevoir le Verbe divin en elle, il faut examiner encore quels sont les signes de son avènement et aussi de son départ. C’est encore saint Bernard qui nous en instruira. J'avouerai, dit-il, pour parler comme un insensé qui se vante, que le Verbe est venu à moi plusieurs fois. Souvent il entra en moi, et je ne m’apercevais pas de son entrée. D’autres fois, je me suis souvenu qu’il était passé par mon âme, ou bien j’ai pu connaître sa présence au moment où il était en moi; mais jamais je n’ai pu sentir ni son entrée ni sa sortie.

Il y a trois choses à remarquer dans ces paroles de saint Ber nard: Il lui a été donné quelquefois de pressentir la venue de Dieu dans son âme; Quelquefois il a senti sa présence: Quelquefois il s’est souvenu que Dieu lui avait été présent. Et le saint Docteur nous donne, d’après son expérience, la description de ces trois états.

I. Il explique d’abord comment il a pressenti sa venue: Quand Dieu daigne par lui-même visiter l’âme qui le cherche et qui emploie à le chercher tout son désir et tout son amour, le signe de cette venue est ce feu qui marche devant sa face et dont David nous parle après l’avoir éprouvé. C’est ce feu dont nous a parlé saint Bernard, qui purifie toutes les affections de l’âme.

II. — Comment il a connu sa présence, le Saint le décrit en ces termes: Vous me demanderez peut-être comment j’ai pu con naître sa présence, puisque ses voies sont tout à fait impénétrables.

Sachez que le Verbe est une parole vivante et efficace; dès qu’il entre en moi, il réveille mon âme endormie, il l’émeut et l’attendrit, il blesse mon coeur, qui était auparavant dur comme un coeur de pierre; il arrache et détruit dans ce coeur tout ce qui n’est pas sain, puis il plante et édifie, il arrose ce qui est aride, illumine ce qui est ténébreux, ouvre ce qui est fermé, échauffe ce qui est froid, redresse ce qui est tortueux et aplanit les chemins raboteux; mon âme alors bénit le Seigneur, et tout ce qui est en moi loue son saint Nom. Ainsi quand le Verbe, époux de mon âme, vient à moi, je reconnais sa présence aux palpitations de mon coeur; je sens sa puissance par l’horreur que j’éprouve pour le vice et pour tous les plaisirs sensibles; j’admire la profondeur de sa sagesse par la connaissance qu’il me donne de moi-même, et la claire vue de ce qu’il y a de plus secret en moi; j’éprouve sa bonté et sa mansuétude par un peu d’amendement dans mes moeurs; par la réformation et le renouvellement de l’esprit de mon âme, c’est-à-dire de l’homme intérieur qui est en moi, je perçois quelques traits de sa beauté dont cette âme renouvelée porte le reflet; enfin, tout l’ensemble de ces effets merveilleux me jette dans l’admiration de la multitude de sa grandeur.

III. — S Bernard dit en troisième lieu qu’il s’est souvenu quelquefois de la présence de Dieu comme d’une chose passée et qui n’est plus. Et il s’en explique en ces termes: Tous ces biens que je viens d’énumérer, sitôt que le Verbe se retire, commencent à languir et laissent mon âme froide et abattue, comme si on retirait tout coup le feu de dessous une chaudière bouillante. Cette froideur est pour moi le signe que le Verbe s’est éloigné. Chaque fois qu’il m’échappe ainsi, je me mets de nouveau à sa poursuite, et je ne cesse de le poursuivre dans sa fuite, et de l’appeler à grands cris, c’est-à-dire avec d’ardents désirs, afin qu’il revienne, et me rende la joie de son salut, et me rende le bien de sa présence. Et, je vous l’avoue, rien ne me plaît alors tant que je ne suis pas rentré en possession du seul bien qui me plaît.

 

CHAPITRE V: L’AME ILLUMINÉE PAR LE SECOND AVÈNEMENT

 

Le troisième effet du second avènement est marqué par ces paroles du Sage: "Afin que je sache ce qui est agréable à vos yeux." Cette science est causée en nous par l’éclat de la présence du Verbe, car " il est la splendeur de la lumière éternelle et le miroir sans tache de la majesté de Dieu." (Sagesse VII, 26).

Or, trois choses nous disposent à cette illumination intérieure de l’âme: le renoncement à tout plaisir transitoire, l’accès à la source même de la lumière; la dilatation intérieure de l’âme.

I. — Le renoncement à tout plaisir transitoire. Car le Prophète dit: "A qui le Seigneur enseignera t-il la science? A qui donnera t-il l’intelligence de sa parole? Aux enfants déjà sevrés et arrachés de la mamelle." (Isaïe XXVIII, 9). Le lait dont il faut être sevré, les mamelles dont il faut être arraché ce sont les consolations et les joies terrestres. Sur ces paroles de saint Jean: "Le monde ne l’a point connu ", ain’t Jean Chrysostome dit: L’Evangile entend par le monde les hommes attachés au monde seul et qui n’ont de goût que pour les choses du monde. Or, ce souci du monde trouble l’âme, et l’amour des biens présents la dissout.

II. — Une seconde disposition à recevoir la lumière divine est de nous approcher de la source d’où elle émane. Le Psalmiste dit en effet: "Approchez-vous de lui et vous serez illuminés." (Ps, XXXIII, 6). Sur quoi saint Augustin fait cette remarque: Notre âme est placée et comme suspendue entre Dieu et les créatures; elle peut se mouvoir d’un côté ou de l’autre. Si elle se porte à Dieu, elle s’éclaire, s’améliore et se perfectionne; si elle se tourne vers les créatures, elle s’obscurcit, se diminue et périt.

III. — La troisième disposition est la dilatation intérieure de l’âme, qui s’obtient par l’effort personnel de l’homme." Elargissez votre bouche ", c’est-à-dire votre coeur, dit le Psalmiste, " et je la remplirai du pain de vie, du pain de l’intelligence." (Ps. LXXX, II). Ce qui fait dire à saint Augustin De même que Dieu, par la libéralité qui lui est naturelle, remplit de bien toutes les créatures en proportion de leur capacité, ainsi par Jésus-Christ, qui est la vertu et la sagesse de Dieu, nous arrivent tous les biens que nous sommes capables de recevoir, car il donne à notre âme l’être nouveau de la grâce, il lui donne la joie et la consolation dans ses travaux, et il illumine son intelligence.

 

CHAPITRE VI: AVÈNEMENT DE LA TRINITÉ DANS L’AME

 

I. — Ce n’est pas seulement le Fils mais encore le Père et le Saint Esprit qui viennent dans notre âme et habitent en nous par la grâce. Le Sauveur dit en effet: "Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons en lui, et nous ferons en lui notre demeure." (Jean, x 23). Et chacune des trois personnes divines produit en nous par sa visite des effets qui lui sont propres.

Le Père, en venant en nous, nous fortifie par sa puissance " Il soutient ceux qui sont las, il remplit de force et de vigueur ceux qui étaient tombés dans la défaillance, afin qu’ils soient fermes dans la foi et courageux dans les oeuvres." (Isaïe XL, 29). C’est cette force que saint Paul sentait en lui-même, quand il s’enhardissait jusqu’à dire: "Je puis tout en celui qui me fortifie." (Phil., IV, 13).

Le Fils, en venant en nous, nous éclaire par sa sagesse, parce " qu’il est la lumière véritable, et qu’il illumine tout homme qui vient en ce monde ". (Jean, 1, 9). Et personne ne saurait être éclairé sans lui. De là vient que le Sage demande son avènement pour être éclairé, selon les paroles que nous avons déjà citées: "Envoyez votre sagesse du trône de votre grandeur afin que je sache ce qui est agréable à vos yeux."

L’Esprit Saint, en venant à nous par sa bonté, nous enflamme de son amour. On peut appliquer à cette venue les paroles de Jérémie: "Dieu a envoyé d’en haut un feu dans mes os, et m’a instruit." (Lam., I, 13). Ce feu n’est autre que l’Esprit Saint nous inspirant la crainte filiale. Et l’Église chante dans ses prières Venez, Esprit Saint, remplissez les coeurs de vos fidèles, et allumez en eux le feu de votre amour.

Si nous réfléchissons sur ces effets, nous verrons que l’avènement de la Sainte Trinité dans notre âme répare tous les ravages que le péché y avait faits. Car notre force pour le bien, ébranlée par le péché, est raffermie par la puissance du Père; notre intelligence, obscurcie par le péché est éclairée par la sagesse du Fils; notre volonté, glacée et engourdie par le péché, est réchauffée et enflammée par la clémence très débonnaire de l’Esprit Saint. Telles sont les oeuvres de grâce, les oeuvres réparatrices, que produit en nous l’opération de la Très Sainte Trinité.

IL — C’est bien le cas de nous écrier avec le Prophète-Roi " Vos oeuvres sont admirables, ô mon Dieu, et mon âme qui s’applique à les connaître, en est toute pénétrée." (Ps. CXXXVIII, 14). Pour bien comprendre combien sont admirables les oeuvres de Dieu dans notre âme, considérons plus à fond les effets de chacune des trois personnes divines.

La puissance du Père a ceci d’étonnant qu’elle nous fortifie en nous affaiblissant, et nous affaiblit en nous fortifiant; car l’action même qui fortifie l’esprit affaiblit la chair. C’est ce qui est indiqué dans ces paroles d’Isaïe: "Ceux qui espèrent dans le Seigneur verront leur force se changer en une force nouvelle; " car ils seront forts pour Dieu et faibles pour le monde, et l’infirmité de la mort corporelle les introduira dans l’immortalité." Ils prendront des ailes comme celles de l’aigle ", afin de voler à Dieu; " ils courront, et ne se fatigueront pas ", car tout est facile à celui qui aime; "ils marcheront de progrès en progrès et ne se lasseront pas." (Isaïe XL, 31). Et saint Paul dit plus clairement encore: "Quand je suis faible (extérieurement), c’est alors que je suis fort, " et que je remporte des victoires." (II Cor., XII, 10).

La sagesse du Fils n’est pas moins admirable dans ses effets; car elle éclaire ceux qui ne voient pas et aveugle ceux qui voient. C’est Notre Seigneur lui-même qui nous l’assure: "Je suis venu en ce monde pour le jugement, afin que ceux qui ne voyaient point voient (il parle des aveugles par humilité qui croient ne point voir les secrets de Dieu), et que ceux qui voient soient aveuglés (il parle de ces sages superbes qui s’imaginent ne rien ignorer)." (Jean, IX, 39). — Saint Grégoire expliquant ces paroles de Job: "Dieu est grand, et il surpasse notre science " (Job, 36-26), confesse que tout ce que nous savons de l’éclat de la grandeur de Dieu est très au-dessous de lui, et plus nous présumons comprendre sa puissance, plus nous sommes éloignés de le connaître selon la vérité; mais nous commençons à savoir quelque chose de Dieu, à le connaître en partie selon la condition de notre vie présente, quand nous reconnaissons n’avoir de lui aucune connaissance digne de lui.

La bonté du Saint Esprit opère aussi en nous d’une manière très merveilleuse, qui arrache au Sage ce cri d’admiration: "O Seigneur, que votre Esprit est bon, et qu’il est doux dans toute sa conduite, mais surtout dans le soin qu’il prend de nous!" (Sagesse XII, 1). Sa grande bonté se montre quand il allume son amour dans notre coeur; car l’amour dont nous aimons Dieu est une participation de l’amour qui est en Dieu et qui est la source de tout bien; c’est pourquoi, en nous donnant son amour, Dieu se communique à nous, autant qu’il lui est possible de se communiquer. La grande suavité de l’Esprit Saint se révèle dans la joie intime que nous éprouvons en goûtant sa douceur." Le Seigneur est doux pour tous, dit le Psalmiste;" (Ps. CXLIV, 9,); mais surtout pour ceux à qui il est donné de le goûter. Notre seul consolateur, dit saint Bernard, est Dieu, et la charité de Dieu qui habite en nous. Mais quoique ce Dieu ne manque jamais aux justes pour les faire mériter, sou vent il les prive de ses consolations; la présence de ses consolations est plus agréable, mais leur soustraction est plus utile. Nous le possédons alors dans notre âme, mais il se cache, quand la suavité que nous portons en nous ne monte pas jusqu’à notre coeur pour l’émouvoir. Mais, comme le peuple d’Israël, la première fois que la manne tomba dans son camp, s’écria Manha?, c’est-à-dire, qu’est-ce que cela? ainsi l’âme dévote, quand elle vient à goûter au plus intime d’elle-même la suavité de la bonté divine, est aussi remplie d’étonnement, car jamais elle n’avait éprouvé rien de semblable dans les gloses de la terre. Songez, en effet, ajouterons-nous avec saint Anselme, quelle est l’excellence de ce bien qui renferme en lui la douceur de tous les biens, qui ne ressemble en rien à tout ce que nous avons éprouvé dans les créatures, mais diffère de toute joie créée comme le Créateur diffère de la créature.

Aussi cette douceur de l’Esprit de Dieu ne peut-elle être exprimée par la parole. Ce n’est pas une langue humaine qui peut la faire comprendre, mais la grâce seule de Dieu." Au vainqueur, dit Dieu dans l’Apocalypse, je donnerai une manne cachée." (Apoc., II, 17). Cette manne est appelée cachée, parce qu’aucun discours ne peut l’expliquer. Si donc, dit saint Bernard, vous êtes curieux de savoir ce que c’est que de jouir du Verbe, préparez non pas vos oreilles, mais votre coeur, car ce n’est pas le langage qui enseigne ici, mais la grâce.

Non seulement cette douceur spirituelle surpasse notre langage, mais elle excède encore notre entendement et tous nos désirs, ce qui est plus que de surpasser simplement notre langage; car il y a beaucoup de choses que nous connaissons et comprenons, sans cependant pouvoir les rendre par l’expression. Or, la douceur de la bonté divine est telle, que non seulement nous ne pouvons le dire, mais que notre esprit est impuissant à la concevoir. Le Psalmiste exprime ainsi cette bienheureuse impuissance: "Je me suis souvenu de et j’y ai trouvé ma joie; et je me suis exercé dans cette méditation, et mon esprit est tombé dans la défaillance." (Ps. LXXVI, 4).

Ainsi se trouve expliquée la parole du Prophète: "Vos oeuvres sont admirables, ô mon Dieu, et mon âme en est toute pénétrée." Pénétrée d’admiration pour la puissance du Père, pour la sagesse du Fils, pour la suavité de l’Esprit Saint en voyant combien elle est impuissante à comprendre la grandeur de cette puissance, la profondeur de cette sagesse, et l’abondance de ce torrent de suavité.  

 

LIVRE IV: Du mystère de la Rédemption considéré dans le troisième avènement.

 

CHAPITRE I: L’ÉCLAT DU TROISIÈME AVÈNEMENT

 

Dans son premier avènement, le Sauveur nous a rachetés du péché et de la mort; dans le second, il nous applique les effets de sa rédemption et vient lui-même en nous travailler avec nous à notre salut; dans le troisième avènement qui aura lieu à la fin du monde, il consommera l’oeuvre de sa rédemption, en jugeant tous les hommes et en rendant à chacun selon ses oeuvres. C’est de ce troisième, avènement qu’il nous reste à parler pour achever ce que nous avons à dire du mystère de la rédemption.

Notre Seigneur, en saint Luc, trace en peu de mots le tableau de son troisième avènement: "Alors, dit-il, ils verront le Fils de l’homme venir sur une nuée, avec une grande puissance et une grande majesté." (Lue, XXI, 27). Le Sauveur indique dans ces paroles trois caractères de sa venue pour le jugement. Il viendra avec éclat, tous le verront; il viendra avec la pompe de la domination, sur une nuée; il viendra enfin armé de toute sa puissance.

Considérons d’abord l’éclat de son avènement.

I. — " Alors ils verront le Fils de l’homme." Sur la terre, tout homme ne voit pas le Christ. Il reste caché à nos yeux maintenant, afin d’éprouver notre foi; mais au jour du jugement, quand il siégera sur le trône de sa majesté, tous le verront, les élus et les réprouvés. Il apparaîtra aux justes pour les récompenser; il apparaîtra aux méchants pour confondre leur incrédulité et les livrer aux gémissements éternels.

L’Évangile, en annonçant ce troisième avènement, ne dit pas: Ils verront Jésus-Christ, ou ils verront le Fils de Dieu, mais, ils verront le Fils de l’homme; car c’est dans la forme de l’humanité qu’il apparaîtra aux regards de tous, puisque c’est comme homme qu’il jugera, ainsi qu’il nous l’apprend lui-même en saint Jean Dieu le Père " lui a donné la puissance de juger, parce qu’il est le Fils de l’homme." (Jean, V, 27). Et si cette puissance lui est donnée, ce ne peut être que comme homme, car selon sa nature divine, il avait toujours eu la puissance de juger.

Il convenait que le Christ fût établi juge selon son humanité. Le jugement, en effet, est un acte d’autorité et de domination. Si nous n’étions jugés que sur l’usage des biens accordés par la création, Dieu seul aurait le pouvoir de nous juger, car seul il a le pouvoir de créer: "Le Seigneur seul est Dieu, c’est lui qui nous a faits, et nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes." (Ps. XCIX, 3). Mais nous serons jugés principalement sur l’usage des biens acquis par la rédemption, car le jugement a pour but de décerner à ceux qui la méritent la récompense de la vie éternelle, et ce que nous avons reçu dans notre création ne suffirait pas pour nous y faire parvenir, à cause du péché qui est venu défigurer l’ouvrage de Dieu; nous ne pouvons arriver à cette récompense que grâce à la rédemption opérée par la sainte humanité de Jésus-Christ, et qui lui donne sur nous autorité et puissance. C’est en vertu de cette autorité " qu’il a été constitué par Dieu juge des vivants et des morts;" (Act., X, 42)., pour admettre dans la gloire ceux qui ont profité du bienfait de sa rédemption et en exclure ceux qui l’ont rejeté.

Une autre raison, c’est que Jésus-Christ a été jugé comme homme. On peut lui appliquer ces paroles du livre de Job: "Votre cause a été jugée comme celle d’un impie, mais vous gagnerez votre cause et l’on vous rendra justice." (Job, XXXVI, 17). il faut que l’honneur de Jésus-Christ, victime d’un jugement si injuste, soit publiquement réparé, et, à cet effet, comme le dit saint Augustin, c’est la forme de l’homme qui se montrera pour le jugement; l’homme a été jugé et l’homme jugera. Celui qui s’est tenu debout devant un juge sera assis sur le tribunal; et l’accusé condamné à tort condamnera lui-même les vrais coupables. Enfin, c’est encore saint Augustin qui le remarque, il est juste

que les prévenus puissent voir leur juge. Or, les bons et les méchants doivent être jugés. Jésus-Christ, dans le jugement, se montre dans sa forme humaine aux méchants aussi bien qu’aux bons, réservant aux bons seulement la vision de sa divinité, selon ce qui est écrit: "Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu." (Matth., V, 8).

II. — La puissance judiciaire de Jésus-Christ appartient, comme sa résurrection, à l’état de la gloire où il doit être exalté, selon la parole de saint Paul. C’est pourquoi son humanité viendra juger, non pas dans l’infirmité de la chair où il mérita, mais dans la gloire qui récompense ce mérite. Le Christ est le médiateur entre Dieu et le s hommes, et il remplit cette médiation par deux ordres d’actions: premièrement, en satisfaisant pour les hommes et en interpellant son Père pour eux; secondement, en communiquant aux hommes les biens de son Père, Et ces deux actions lui conviennent en raison de sa communication avec les deux termes qu’il doit unir. En tant qu’il communique avec les hommes, il les représente auprès de son Père, et c’est ainsi que, dans son premier avènement, il apparaît dans l’infirmité de la chair, afin de satisfaire pour nous auprès de son Père. Mais il nous fait part des biens de Dieu en tant qu’il communique avec son Père; et comme dans le jugement il doit exercer vis-à-vis des hommes la justice de son Père, il faudra qu’il paraisse dans la gloire qu’il reçoit de son union avec son Père.

C’est pourquoi saint Luc dit qu’il viendra avec une grande puissance et une grande majesté; environné de beaucoup de gloire, dit Origène, afin que tous le contemplent dans sa gloire. Mais si tous le contempleront, ce ne sera pas avec les mêmes sentiments. Pour les justes qui l’ont aimé de tout leur coeur, cette vue sera une joie qu’Isaïe leur promet en ces termes " lis verront le Roi dans le charme de sa beauté." (Isaïe XXXIII, 17). Les impies, au contraire, le verront avec confusion et douleur; car plus le juge apparaît puissant et glorieux, plus le coupable qu’il va condamner conçoit de tristesse et de crainte. Isaïe, parlant du jugement de Dieu, dit " Que les peuples jaloux (de moi et de ceux qui sont avec moi) voient et soient couverts de confusion, et que le feu (de la jalousie ou bien de l’enfer) dévore vos ennemis." (Isaïe XXVI, II). Ainsi, dit saint Grégoire, le Dieu tout-puissant, quand il viendra pour juger, apparaîtra gracieux pour les justes, mais terrible pour les impies.

III. — Dans ce corps glorieux avec lequel Jésus-Christ apparaîtra, saint Jean Chrysostome dit que l’on verra les cicatrices de sa Passion; mais il n’y aura dans ces cicatrices aucun reste d’infirmités, ni aucune imperfection; elles seront, au contraire, les preuves de la souveraine puissance par laquelle Jésus-Christ a triomphé de ses ennemis en souffrant et en mourant. Notre Seigneur nous apprend aussi en saint Matthieu (XXIV, 30) que le signe du Fils de l’homme, c’est-à-dire la croix, se montrera dans le ciel. Ces monuments de la Passion combleront de joie les justes qui seront pénétrés de reconnaissance, en voyant à quel prix le Christ les a délivrés; mais ils rempliront les méchants de cruels remords et d’une profonde tristesse, en leur montrant quel bien fait ils auront méprisé. Alors, en effet, comme dit le prophète " Ils verront clair en celui qu’ils ont transpercé." (Zach., XII, 10; Jean, XIX, 37). Et l’Apocalypse " Le voici qui vient sur les nuées, et tout oeil le verra, et ceux qui l’ont percé de coups le verront aussi; et toutes les tribus de la terre se lamenteront sur lui." (Apoc., I, 7). La croix apparaîtra avec un si grand éclat, dit saint Jean Chrysostome, que ceux qui la verront et qui verront le Christ portant dans son corps les marques de sa Passion, n’auront pas besoin d’accusateurs et se condamneront eux-mêmes.

Ainsi donc, ajoute le même Saint, tous les hommes verront le Fils de l’homme dans sa forme humaine glorifiée, portant dans son corps les marques de sa Passion si puissante, précédée de l’image de la croix victorieuse, pour donner la joie aux bons, la tristesse aux méchants, et aussi pour faire éclater davantage par l’aspect des insignes de la Passion et de la croix la gloire du salut des bons, et la justice de la damnation des réprouvés.

 

CHAPITRE II: DE LA SOLENNITÉ DU TROISIÈME AVÈNEMENT

 

La solennité du troisième avènement nous est insinuée par l’Évangile, quand il dit que le Christ viendra sur une nuée. Et nous pouvons considérer à ce sujet: l’élévation du tribunal de ce souverain Juge; la convenance du lieu où il apparaîtra; l’attitude différente des bons et des méchants.

I. Élévation du tribunal du souverain Juge. — Le Fils de l’homme viendra sur les nuées du ciel, comme Dieu et Seigneur, dit saint Jean Chrysostome, non pas en secret, mais dans une gloire et un éclat digne de Dieu. Dans son premier avènement, il vint comme serviteur; dans son dernier, il viendra comme Seigneur et comme juge; c’est pourquoi il était con que, dans le premier, il descendît jusque sur la terre; mais, dans le dernier, il doit descendre sur les nuées, afin de montrer claire ment à tous, " qu’il a été établi par Dieu Juge des vivants et des morts ", comme il est dit au livre des Actes. (X, 42).

Les nuées sur lesquelles le Christ descendra ne seront point formées par les vapeurs de la terre, car le mouvement du ciel ayant cessé, il n’y aura plus aucune altération ici-bas. Elles seront composées par la puissance de Dieu, afin que l’avènement du Christ pour le jugement soit semblable à son élévation au ciel dans son ascension. Car les Actes disent, que comme il est monté, il descendra. (Act., XI). Ainsi partout, dit la Glose, nous voyons la créature obéir au Créateur; les astres signalent sa naissance et compatissent à ses douleurs; une nuée le reçoit dans son sein au jour de l’ascension, une nuée le portera quand il viendra pour le jugement.

II. Convenance du lieu où le Christ apparaîtra. — On croit probablement que le Christ viendra juger les hommes aux environs de la montagne des Oliviers et dans la vallée de Josaphat qui s’étend au pied de cette montagne. Cette opinion est fondée sur le texte suivant du prophète Joël: "Je rassemblerai toutes les nations, et je les amènerai dans la vallée de Josaphat, et j’entrerai en compte avec elles." (Joël, III, 2).

Ce lieu convient particulièrement, afin de montrer que celui qui revient est bien le même qui est monté; pour faire éclater le triomphe du Sauveur en établissant le tribunal du jugement près du lieu où il a été injustement jugé et condamné. Le nom: des lieux lui-même fait ressortir la convenance du choix que Dieu en a fait. Le mont des Oliviers signifie la miséricorde figurée par l’huile; le nom de Josaphat veut dire jugement et marque la justice. Puisque donc au dernier jour il sera traité de la miséricorde et de la justice, savoir de la miséricorde qui nous a été faite et de la justice qui exigera ses droits, c’est bien justement que la montagne des Oliviers est assignée pour le jugement. Mais le Christ ne posera point les pieds sur terre, mais il siégera au haut des airs, au-dessus du sommet de la montagne des Oliviers, d’où il s’est élevé.

III. Attitude des bons et des méchants. — Alors se fera la séparation des bons et des méchants. Les bons qui sont restés fidèlement attachés à Jésus-Christ, " seront, comme le dit saint Paul, ravis dans la nuée à la rencontre de Jésus-Christ." (I Thess., XV, x6). Ils seront ainsi conformes à leur Sauveur, non seulement en recevant le reflet de sa gloire, mais encore en étant avec lui dans le même lieu, selon ce qui est écrit: "Là où est le corps, là se rassembleront les aigles." (Matth., XXIV, 28). Les aigles sont les saints; le cadavre est ce qui reste après la mort. Le Sauveur se donne ici-bas le nom de cadavre, en souvenir de sa Passion par laquelle il a mérité sa puissance judiciaire, et les hommes qui se sont conformés à sa Passion seront admis à la société de sa gloire, selon la parole de l’Apôtre: "Si nous mourons avec lui, nous vivrons avec lui; si nous souffrons comme lui, nous règnerons en sa compagnie." (II Tim., II, II-12).

Au contraire, les impies qui ne sont pas attachés à Jésus-Christ resteront tristement sur cette terre qu’ils ont tant aimée, selon cette menace de Jérémie: "Seigneur, tous ceux qui vous abandonnent seront confondus; ceux qui s’éloignent de vous seront inscrits sur la terre, parce qu’ils ont abandonné la veine des eaux vives, le Seigneur." (Jér., XVII, 13). Ils seront confondus en se voyant éternellement séparés de Dieu. Leurs noms seront écrits sur la terre avec ceux qui n’aiment que la terre, car ils seront effacés du livre de vie. Hélas! dit saint Grégoire, c’est pour le réprouvé que les voies seront étroites alors! Au-dessus de sa tête le Juge irrité; sous ses pieds les horreurs du chaos; à sa droite, ses péchés qui l’accusent; à sa gauche, une troupe innombrable de démons qui l’attendent pour le tramer au supplice; au dedans, sa conscience qui le ronge; au dehors, le monde brûlant déjà dans les flammes de l’enfer. Pauvre pécheur, ainsi cerné de toutes parts, où fuira t-il? Se cacher n’est pas possible, se montrer n’est pas tolérable.

 

CHAPITRE III: DE LA PUISSANCE DU CHRIST EN SON DERNIER AVÈNEMENT

 

I. — Le Juge viendra, dit l’Évangile, avec une grande puissance et une grande majesté. Les méchants verront venir avec une grande puissance et une grande majesté celui qu’ils ont refusé d’écouter quand il se pré sentait dans l’appareil de l’humilité et de la douceur, et sa puissance s’appesantira d’autant plus impitoyablement sur eux, qu’ils auront refusé avec plus d’obstination de s’incliner sous elle.

Si grande sera la puissance de Jésus-Christ quand il viendra, que "les vertus des cieux seront ébranlées." (Matth., XXIV, 29). Les vertus des cieux, dit saint Grégoire, sont les Anges, les Dominations, les Puissances et les Principautés, qui, lors de l’avènement du Juge suprême, apparaîtront visiblement à tous les yeux. C’est en leur présence que leur Sauveur exigera en toute rigueur les dettes que notre Créateur invisible dissimule maintenant avec patience. Quand un roi de la terre, dit saint Jean Chrysostome, ayant déclaré la guerre à ses ennemis, ordonne une levée de troupes parmi son peuple, tous ses officiers sont en mouvement, les armées s’ébranlent, la ville entière est dans l’agitation. Quand le Roi du ciel se lèvera pour juger les vivants et les morts, les puissances angéliques seront bien plus émues encore, ministres terribles, qui marcheront devant un maître plus terrible encore.

II. — La puissance du Christ, quand il viendra pour juger, sera irrésistible, incompréhensible, éternelle. Elle sera irrésistible. Il n’y aura, dit saint Chrysostome, aucune force qui résiste; il ne restera ni possibilité de fuir, ni moyen de faire pénitence, ni temps pour satisfaire. Au milieu de cette universelle angoisse, on ne pourra plus que gémir et se lamenter inutilement. La puissance du Juge sera incompréhensible. Saint Augustin, expliquant ces paroles de l’Evangile " Dès que Jésus leur eut dit C’est moi, ils tombèrent à la renverse " (Jean, XVIII, 6)., s’exprime ainsi: Un seul IT sans l’emploi d’aucune arme, par la seule force de la divinité cachée, frappe, repousse et jette à la renverse une troupe enflammée par la haine et redoutablement armée. Que fera t-il donc quand il viendra pour juger, celui qui déploie cette puissance au moment d’être condamné? Que fera t-il, entrant dans son royaume, celui qui a pu cela en marchant à la mort? Sans doute, nulle parole ne saurait expliquer, nul esprit concevoir une telle puissance. Cette puissance sera éternelle dans ses effets." Je regardais la vision, dit Daniel, et je vis venir sur les nuées du ciel quelqu’un semblable au Fils de l’homme." Et il ajoute un peu plus loin: "Sa puissance est une puissance éternelle qui ne lui sera pas enlevée et son royaume ne sera pas détruit." (Dan., vu, 13-14). Combien donc devons-nous craindre une puissance si redoutable." Craignez, dit Notre Seigneur lui-même, celui qui, après vous avoir fait mourir, a le pouvoir de vous précipiter dans la géhenne." (Luc., XII, 5).

III. — Si la puissance du souverain Juge est si grande que nul n’y saurait résister, elle est remise en bonnes mains, car sa sagesse est ineffable et sa justice incorruptible. Au jour du juge ment, dit saint Bernard, un coeur pur vaudra mieux qu’un adroit langage; une bonne conscience sera préférable à de grands trésors; car le Juge ne pourra être trompé par des paroles, ni fléchi par des présents. Trois choses sont requises pour un juge ment parfait le zèle de la justice pour présider à l’instruction de la cause, la lumière de la sagesse pour proférer la sentence, l’énergie de la puissance pour exécuter l’arrêt prononcé. Et ces trois choses se rencontrent très excellemment en Jésus-Christ, car sa justice est incorruptible, sa sagesse ineffable, sa puissance invincible, comme l’Ecriture et les saints nous l’attestent en beaucoup d’endroits.

 

CHAPITRE IV: POURQUOI LE TEMPS DU JUGEMENT NOUS EST CACHÉ

 

Le temps marqué pour le dernier avènement du Sauveur est ignoré de tous les hommes, suivant cette parole de saint Marc " Ce jour ou cette heure-là, nul ne les connaît, ni les anges qui sont dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul." (Marc, XIII, 32). Remarquons à propos de ce texte, que quand l’Ecriture dit que Dieu sait une chose, elle entend qu’il en communique la connaissance. Par exemple, quand le Seigneur dit à Abraham: Je sais maintenant que tu crains Dieu. (Gen., XXII, 12). cela veut dire: Je te fais connaître que tu me crains comme tu le dois. De même, quand l’Evangile dit que le Fils ignore le jour de son avènement, cela signifie qu’il ne nous en donne pas la connaissance. Aussi quand les disciples l’interrogeaient sur ce jour, il leur répondit: "Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a préparés dans sa puissance." (Act., 1, 7). Et le motif pour lequel le Fils de Dieu a voulu nous cacher le jour de son avènement est notre utilité même, car il nous est avantageux d’ignorer l’heure de la venue du Juge, afin que nous vivions toujours comme si nous devions être jugés le lendemain. C’est le sens de ce conseil du Sauveur " Soyez sur vos gardes, veillez et priez, car vous ne savez quand ce temps viendra." (Marc., XIII, 33). Le divin Maître nous marque ici trois préparations que nous devons apporter au jour du juge ment, et qui sont exigées par son incertitude même: être sur nos gardes, veiller et prier.

I. — Nous devons d’abord nous tenir sur nos gardes avec beaucoup d’attention et penser mûrement à l’avènement du souverain Juge, car c’est le jour suprême, le jour terrible qui doit sans cesse se dresser devant nos yeux." Plaise à Dieu, dit Moise, de leur donner la sagesse et l’intelligence et de leur faire prévoir la fin." (Deut., XXXII, 29). Nous aurions cette sagesse et cette intelligence, si nous pouvions dire avec saint Jérôme: "Soit que je mange, soit que je boive, soit que j’écrive, quelque autre chose que je fasse, sans cesse j’entends retentir à mes oreilles ce cri: Levez-vous, morts, venez au jugement."

II. En second lieu, nous devons veiller. Cette vigilance consiste à nous appliquer instamment aux bonnes oeuvres, afin d’être trouvés prêts: Veiller, dit saint Grégoire, c’est tenir les yeux ouverts pour observer l’apparition de la lumière véritable; veiller, c’est conformer ses oeuvres à sa foi; veiller, c’est repousser les ténèbres de la chair et toute négligence. Veillons ainsi, parce que nous ne savons à quelle heure le Seigneur viendra, soit pour le jugement particulier, à la mort de chaque homme; soit pour le jugement universel à la fin des temps." Et ce que je dis à vous, répète le Sauveur, je le dis à tous: Veillez." (Marc, XIII, 37). Sur quoi saint Augustin fait cette remarque: Le jour du jugement viendra pour chacun de nous quand viendra notre jour à chacun, car tels nous sortirons de ce monde, tels nous comparaîtrons au jugement dernier. Voilà pourquoi tout chrétien doit veiller, afin que l’avènement du Seigneur ne le surprenne pas sans préparation. Car nous serons surpris sans préparation par le jugement final, si le jour de notre mort on ne nous trouve pas préparés.

III. — Enfin, à cette vigilance nous devons unir la prière, comme Notre Seigneur le répète avec insistance en saint Luc " Veillez donc, et priez en tout temps, afin que vous méritiez d’éviter tous ces maux futurs, et de comparaître avec confiance devant le Fils de l’homme." (Luc, XXI, 36). Le Sauveur assigne dans ces paroles un double but à nos prières, éviter les maux futurs et acquérir les biens futurs. Il faut prier d’abord pour éviter les maux futurs." Priez, dit ailleurs le Sauveur, pour que votre fuite n’arrive point le jour du sabbat " (Marc., XIII, 18), c’est-à-dire pour que vous n’ayez pas à essayer d’échapper à la justice divine, dans un temps où cela n’est plus ni permis ni possible. Spirituellement, ce sabbat peut encore s’entendre de la cessation des actes vertueux, et Notre Seigneur voudrait dire Priez, afin que votre foi et votre charité pour Dieu ne se refroidissent pas, et que vous ne soyez pas trouvés oisifs dans le service de Dieu. Il faut aussi prier pour acquérir les biens futurs et " pouvoir comparaître avec confiance devant le Fils de l’homme". C’est le comble de la béatitude d’être en sécurité en la présence de son Juge, et c’est la gloire des anges, dit Théodoret, de se tenir debout devant la face du Fils de l’homme, notre Dieu, et de le contempler sans cesse.

 

CHAPITRE V: L’ANTÉCHRIST

 

Si le jour du jugement dernier nous est inconnu maintenant, il nous sera cependant annoncé un peu à l’avance par des signes précurseurs. Le premier de ces signes sera la venue de l’Antéchrist faisant la guerre à la vérité.

I. — Saint Paul, dans sa seconde épître aux Thessaloniciens, nous annonce ainsi la venue de l’Antéchrist: "Ne vous troublez pas en croyant que le jour du Seigneur est près d’arriver. Il faut qu’au s’accomplisse la grande apostasie, et que paraisse l’homme de péché, le fils de perdition, l’adversaire qui s’élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu ou qui est adoré, et ira jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour Dieu. (II Thess., II, 2-4). La Glose expose ainsi ce passage: Le Seigneur ne paraîtra as pour le jugement, avant que les peuples ne se soient séparés de l’empire romain; ou bien, avant que les Églises particulières n’aient secoué le joug spirituel de l’obéissance due à l’Eglise romaine; ou bien encore, avant que les hommes n’aient apostasié la foi.

Il faut aussi d’abord qu’ait été exalté l’homme de péché, c’est-à-dire l’esclave et l’instigateur de tous les péchés, justement appelé l’Antéchrist, le fils de la perdition ou du démon, qui combattra le Christ dans ses membres et engagera cette bataille, en se déclarant supérieur à tout ce qui est appelé Dieu selon la vérité, ou qui est adoré comme Dieu par erreur, ainsi que les dieux des gentils. Il s’assiéra dans le temple de Dieu, détruit par les Romains, mais reconstruit par les Juifs à la fin des temps.

L’Antéchrist naîtra à Babylone et descendra de la tribu de Dan, selon la prédiction de Jacob mourant: "Que Dan soit comme un serpent dans le chemin et comme un céraste dans le sentier, mordant le pied du cheval, afin que le cavalier tombe à la renverse." (Gen., XLIX, 17). Il viendra à Jérusalem, se fera circoncire et dira aux Juifs: "Je suis le Christ qui vous a été promis." Alors tous les juifs accourront près de lui, ils rebâtiront le temple détruit autrefois par les Romains, et c’est dans ce temple que l’antéchrist élèvera son trône comme s’il était Dieu. Car de même que dans le Christ se trouve toute sainteté, parce qu’en lui habite la plénitude de la divinité; ainsi dans l’Antéchrist habitera toute la plénitude de la malice et de l’iniquité, parce qu’il portera en lui le chef de tous les maux, le démon, qui règne sur tous les fils de l’orgueil.

II. — L’Antéchrist subjuguera le genre humain pour en faire son peuple par trois moyens.

D’abord par l’opération de faux miracles." Il s’élèvera de faux Christs et de faux prophètes ", dit Notre Seigneur, c’est-à-dire, comme l’explique saint Jean Chrysostome, un Antéchrist et ses ministres, " et ils feront de grands signes et de grands prodiges, jusqu’à séduire, s’il était possible, les élus eux-mêmes." (Matth., XXIV, 24).Et l’Apocalypse dit de même de la bête qui n’est autre que l’Antéchrist: "Elle fit de grands prodiges, jusqu’à faire descendre le feu du ciel devant les hommes." (Apoc., XIII, 13). Sans doute, il voudra imiter par là la descente du Saint Esprit sur les apôtres en forme de langues de feu. Saint Paul énonce la même prédiction: "Son avènement, dit-il, se fera par la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges trompeurs." (Il Thess., II, 9,) Ces prodiges ne seront pas des réalités, mais des illusions de la magie pour décevoir l’imagination des hommes; comme Simon le Magicien fascina les regards du bourreau qui, pensant le tuer, ne fit que trancher la tête à un bélier qu’il substitua en sa place.

Un second moyen employé par l’antéchrist sera la profusion de grandes largesses." Il leur donnera pouvoir sur beaucoup de richesses, dit Daniel, et il partagera la terre gratuitement." (Dan., XI, 39). C’est-à-dire, l’Antéchrist fera de grands présents à ceux qu’il aura séduits, et il divisera la terre aux soldats de son armée. Ceux qu’il ne pourra dompter par la terreur, il les subjuguera par l’avarice.

Enfin, un troisième moyen de réduire les hommes sous son pouvoir, ce sont les tourments qu’il leur infligera. Car, Notre Seigneur nous en prévient, " l’affliction de ce temps-là sera si grande, qu’il n’y en a point eu de pareille depuis le commencement du monde jusqu’à présent, et qu’il n’y en aura jamais. Et si ces jours n’avaient été abrégés, nul homme n’aurait été sauvé: mais ils seront abrégés à cause des élus, " (Matth., XXIV, 21-22). Ces jours de tribulation seront, en effet, réduits à trois ans et demi, comme on le conclut de ces paroles de Daniel." L’ange jura par celui qui vit éternellement que la durée sera d’un temps, deux temps, et la moitié d’un temps." (Dan., XII, 7). Par un temps, il faut entendre un an. Telle sera donc la durée de la désolation causée par l’Antéchrist.

III. — Les hommes ne seront pas abandonnés sans secours aux entreprises de l’Antéchrist; mais en ces jours-là viendront Énoch et Elie, prêchant la pénitence par leurs paroles et par leurs exemples, et rendant, témoignage à la foi du Sauveur." Je vous enverrai le prophète Elie, dit Malachie, avant qu’arrive le jour du Seigneur, qui sera grand et terrible." (Mai., IV, 5). Nous lisons aussi dans l’Apocalypse: "Je donnerai (l’esprit de prophétie) à mes deux témoins (Enoch et Eue); et ils prophétiseront mille deux cent soixante jours, couverts de sacs (c’est-à-dire donnant l’exemple de la pénitence)." (Apoc., X ,3). Enfin l’Antéchrist les mettra à mort au milieu des places de Jérusalem.

Mais Notre Seigneur Jésus-Christ, intervenant à son tour, exterminera l’Antéchrist " par un souffle de sa bouche, comme l’assure saint Paul (II Thess., II, 8); c’est-à-dire, par la vertu de l’Esprit Saint qui procède de lui, et par l’éclat de sa présence tout à coup manifestée à son ennemi. Et, suivant les saints Docteurs, l’Antéchrist sera ainsi mis à mort sur la montagne des Oliviers, pendant qu’il siègera sur son trône, dans sa tente, au lieu même d’où le Seigneur s’éleva vers les cieux. Après sa mort, le Christ ne viendra pas aussitôt, mais il sera accordé quarante-cinq jours aux élus pour faire pénitence. C’est du moins ce qu’on peut conjecturer d’après le prophète Daniel; car au chapitre XII (z I-12), après avoir dit qu’il s’écoulera mille deux cent quatre-vingt-dix jours depuis le commencement de l’abomination de la désolation, il ajoute: "Bienheureux celui qui attend, et qui parvient jusqu’à mille deux cent trente-cinq jours; " sans doute parce que les quarante-cinq jours qui restent seront des jours destinés à faire pénitence et à assurer son salut. Mais, au bout de combien de temps viendra le Sauveur, c’est ce que nous ignorons complètement.

 

CHAPITRE VI: DES SIGNES QUI PARAITRONT SUR LA TERRE ET DANS LE CIEL

 

(Voir Suppl., p. 73).

Le second signe précurseur de l’avènement du Christ, ce sont des prodiges effrayants qui éclateront sur la terre et dans le ciel.

I. — Notre Seigneur dit en saint Mathieu: "Vous entendrez le bruit des combats et des menaces de guerre Car les nations se lèveront contre les nations, et les royaumes contre les royaumes, et il y aura des pestes; des famines et des tremblements de terre en diverses régions. Ce sera là le commencement des douleurs." (Matth., XXIV, 6-8). Et en saint Luc: "Il y aura des signes dans le soleil, et dans la lune et dans les étoiles, et sur la terre les peuples seront dans l’angoisse à cause du bruit confus de la mer et des flots. Les hommes sècheront de crainte dans l’attente de ce qui doit arriver à l’univers entier." (Luc, XXI, 25-26). C’est après avoir parlé de ces prodiges que le Sauveur annonce son dernier avènement, et, sans aucun doute, l’apparition du souverain Juge, venant dans sa gloire pour exercer sa justice avec éclat, sera précédée de signes qui préparent les hommes à le respecter et à courber la tête devant lui!

Mais il n’est pas facile de connaître avec précision quels sont ces signes; car, comme saint Augustin le fait remarquer, ceux qui sont prédits dans l’Evangile ne se rapportent pas seulement à l’époque du avènement de Notre Seigneur, mais aussi à la destruction de Jérusalem et à l’avènement par lequel le Christ visite continuellement son Eglise. Si même on voulait tout examiner attentivement, peut-être ne trouverait-on aucun de ces signes qui se rapportent exclusivement à la fin des temps. Ainsi, les combats, les terreurs provenant des troubles des éléments, ont existé depuis le commencement du monde. On peut croire cependant que, dans les derniers temps, ils apparaîtront plus formidables; mais, à quel degré de gravité et d’effroi faut-il qu’ils arrivent, pour être l’annonce de la fin des temps, on ne saurait le dire.

C’est pourquoi, malgré ces signes, le jour de l’avènement du Seigneur pourra encore rester inconnu, selon ces paroles de saint Paul: "Le jour du Seigneur viendra comme un voleur de nuit, tandis que les hommes diront: "Nous sommes dans la paix et la sécurité, la mort tombera sur eux à l’improviste." (I Thess., V, 2-3). Il n’est pas défendu de croire néanmoins que ces signes feront connaître à tous le jour même du jugement, et l’incertitude du temps du dernier avènement se rapporterait alors à l’époque où ils commenceront à se produire. Les impies, voyant l’Antéchrist mort, et le monde continuer sa marche comme auparavant, vivront dans une fausse sécurité jusqu’au jour où éclateront les signes avant-coureurs qui peuvent être compris eux-mêmes dans la désignation du temps du jugement.

II. — Le Sauveur décrit ainsi les signes qui paraîtront dans le ciel: "Le soleil s’obscurcira, la lune refusera sa lumière, et les étoiles tomberont du ciel, c’est-à-dire, selon Raban Maur, qu’elles perdront leur éclat." (Matth., XXIV, 29). Rien n’empêche de prendre ces expressions à la lettre et de croire que réellement, à l’approche du jugement, le soleil, la lune et les autres astres perdront momentanément leur lumière, comme il est arrivé pour le soleil au jour de la Passion. C’est le sens de ces paroles de Joël: "L’éclat du soleil sera changé en ténèbres et la lune deviendra couleur de sang, avant l’arrivée du jour du Seigneur, qui sera grand et terrible." (Joël, II, 31). La puissance divine produira sans doute ces effets, d’abord pour annoncer le prochain avènement du Seigneur, et ensuite pour jeter les hommes dans une salutaire terreur qui les dispose à recevoir avec respect le Juge souverain et à reconnaître son autorité sur eux.

Mais les astres ne seront privés de leur lumière que pour un peu de temps. Dès l’arrivée du Juge et après le jugement, le monde entier sera renouvelé et perfectionné; les astres retrouveront donc leur éclat, et même un éclat plus grand, selon ces paroles d’Isaïe: "La lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus vive, comme la lumière de sept jours à la fois." (Isaïe XXX, 26).

III. Le Sauveur ajoute que " les vertus des cieux seront ébranlées." (Matth., XXIV, 29). En effet, comme dit Job, " les colonnes du ciel tremblent et craignent un signe de Dieu". (Job, XXVI, xi). Ces vertus ou ces colonnes des cieux sont les anges, et on peut entendre ce terme soit d’un seul ordre angélique, savoir le second de la deuxième hiérarchie, selon saint Denis, ou selon saint Grégoire, le premier de la dernière hiérarchie; soit de tout l’ensemble des esprits célestes. Si on le prend en ce dernier sens, les vertus des cieux seront ébranlées, c’est-à-dire frappées d’admiration à la vue des prodiges nouveaux qui s’accompliront dans le monde. Si on entend le nom de vertus d’un seul ordre angélique, leur ébranlement peut s’interpréter de deux façons. Selon saint Grégoire, à l’ordre des vertus est attribuée l’opération des miracles, et il s’ébranlera alors tout entier, parce que jamais on n’aura vu un plus grand nombre de prodiges s’opérer à la fois. Selon saint Denis, le ministère des vertus s’étend sur les causes universelles, et ainsi les corps célestes sont leur propre sphère d’action, parce que ces corps sont cause de tous les mouvements de la nature inférieure. Le nom même des vertus des cieux qui leur est donné permet de leur attribuer ce pouvoir. Et ces vertus seront ébranlées ou relevées de leur service à la fin des temps, parce que le mouvement des cieux étant arrêté, elles n’auront plus à continuer leur ministère, de même que les anges députés à la garde des hommes n’auront plus lieu non plus d’exercer cette charge.

 

CHAPITRE VII: DE LA CONFLAGRATION FINALE

 

Le troisième signe qui précèdera le dernier avènement du Christ, est un feu qui brûlera avec une violence extrême. Le Psalmiste en parle en ces termes: "Le feu marchera devant lui, et il consumera au loin tous ses ennemis." (Ps. XCVI, 3). Ce feu produira quatre effets: il purifiera la terre; il sera le purgatoire des justes; il tourmentera les méchants: il réduira en cendres le cor de tous les hommes.

I. — Le feu purifiera la terre. Il ne la détruira pas. Saint Paul nous dit que " la figure de ce monde passe." (I Cor., VII, 31). Il dit la figure, c’est-à-dire l’arrange ment et la beauté, non la substance, car la substance de ce monde ne périra pas dans les feux de la dernière conflagration; mais les éléments subsisteront avec leur propre nature et leurs propres qualités. Saint Paul dit encore que le souverain Juge exercera sa justice " par la flamme d’un feu qui châtiera ceux qui ne connaissent pas Dieu." (II Thess., 1, 8). Il viendra dans le monde, dit la Glose, un feu qui précédera le Christ, et occupera tout l’espace occupé autrefois par les eaux du déluge. Ce feu dévorera la terre et tout ce qu’il y a en elle de grossier et d’impur.

Cette purification du monde est nécessaire, car le monde est fait pour l’usage de l’homme et doit, par suite, se conformer à sa destinée. Quand donc l’homme sera glorifié dans son corps, il faudra que tous les autres corps soient aussi élevés à un état plus parfait, afin de faire pour l’homme un séjour plus convenable et un spectacle plus délicieux. Or, il y a dans le monde deux imperfections qui ne peuvent s’harmoniser avec l’état de gloire de l’homme: la souillure du péché et une certaine impureté qui résulte du mélange des éléments. Le feu détruira ce mélange par l’énergie de sa nature qui divise les corps mixtes et ne s’associe avec aucun autre élément. Le feu est, aussi, propre à purifier, car sa sphère est très élevée et éloignée du lieu que nous habitons, et nous n’en faisons pas autant d’usage que de la terre, de l’eau et de l’air: il est donc moins souillé par le péché des hommes; et, de plus, il a beaucoup d’efficacité pour séparer et consumer toute souillure. Et quoique les choses purement corporelles ne puissent être à proprement parler infectées par la souillure du péché, cependant le péché laisse en elles une certaine indignité qui les rend impropres à être dédiées aux usages spirituels; c’est pourquoi les lieux qui ont été le théâtre d’un crime ne sont pas jugés propres au culte divin avant d’avoir été purifiés par quelque cérémonie expiatoire. De même les péchés commis sur la terre la rendent-ils impropre à recevoir la perfection de gloire que le Christ veut lui conférer dans son der nier avènement, afin que les sens du corps glorifié des saints contemplent Dieu dans le monde avec plus de délices et de joie. La purification par le feu la rendra propre à la gloire qui l’attend.

II. — Le feu sera le purgatoire des justes. En même temps qu’il sera un feu vengeur pour les méchants, comme nous le disait plus haut saint Paul, il sera un feu purificateur pour les élus de Notre Seigneur Jésus-Christ. Par suite, les saints dans les quels ils ne restera plus aucune souillure à ôter n’en ressentiront aucune douleur, comme les trois enfants n’ont pas souffert du feu de la fournaise. Leurs corps cependant ne resteront pas intacts comme le sont restés les corps de ces trois enfants, et comme la puissance divine pourrait le faire aussi pour eux; mais lé feu détruira leur corps sans leur faire éprouver de souffrance. C’est la pensée de saint Augustin: La conflagration du monde, dit-il, sera pour les saints ce qu’a été la fournaise pour les trois enfants. Elle purifiera ceux en qui il restera quelque chose à expier, et elle ne causera aux autres aucune peine.

Mais comment ceux qui seront trouvés vivants au Jour pourront-ils si rapidement faire leur purgatoire? Ou peut en assigner trois raisons: La première est qu’il leur restera fort peu de chose à expier, éprouvés déjà comme ils le seront par toutes les terreurs et les persécutions précédentes. La seconde est qu’ils pourront accepter la peine du feu par une volonté méritoire, puisqu’ils seront encore en cette vie. Une peine volontairement acceptée pendant cette vie est beaucoup plus efficace pour l’expiation que celle infligée après la mort, comme on le voit, par les martyrs. Car saint Augustin nous assure que s’il reste au martyr quelque chose à expier, tout est remis par la mort qu’il endure, quoique son supplice soit fort court en comparaison des peines du Purgatoire. Enfin, ce feu du dernier jour peut, par la puissance divine, retrouver en intensité ce qu’il perd en durée.

III. — Le feu tourmentera les méchants." Il marchera devant le Seigneurs et consumera au loin ses ennemis ", comme dit le Psalmiste cité plus haut." Le feu s’enflammera en sa présence dit encore David." (Ps. XLIX, 3). Ce feu, dit la Glose sera un feu matériel, qui dévastera la face du monde, châtiera les méchants et purifiera les bons. Que le châtiment fasse donc trembler ceux que la récompense n’attire pas!

IV. — Ce feu, d’après les saints Docteurs, réduira en cendre le corps de tous les hommes, tant des élus que des réprouvés car c’est une loi universelle, depuis le péché de notre premier père, que nous devons mourir et être réduits en poussière." Tu es poussières, dit le Seigneur, et tu retourneras en poussière." (Gen., III, 19). De plus, saint Paul nous dit que Jésus-Christ " reformera notre corps." (Philip., III, 25). Mais pour que notre corps soit reformé, il faut qu’il perde d’abord sa forme et soit réduit en ses éléments.

Remarquons que ces quatre effets du feu précéderont le jugement. Mais il est un effet qui demeurera aussi après le jugement; le feu continuera d’être la sépulture et le tourment des impies. C’est ainsi qu’il " sera l’épreuve des oeuvres de chacun." (I Cor., III, 13). Lés divers offices qu’il remplira ont donné lieu de distinguer deux feux dans la conflagration finale, l’un qui précède le jugement et dispose à la résurrection glorieuse, l’autre qui poursuit les impies éternellement.

 

CHAPITRE VIII: DE LA RÉSURRECTION DES MORTS

 

Quand tous les signes précurseurs auront été accomplis, le Juge apparaîtra enfin, et aussitôt après son avènement, les morts ressusciteront, comme saint Paul le témoigne: "Le Seigneur lui-même descendra du ciel comme un maître qui commande, à la voix de l’archange, au son de la trompette de Dieu, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers." (I Thess., IV, 15). C de ces paroles mérite d’être méditée.

I. — D’abord le Seigneur apparaîtra comme un maître qui commande, in jussu. Croyez, dit saint Jean Damascène, que la résurrection future s’accomplira par la volonté, par la puissance et sur un signe de Dieu. La volonté de Dieu commandera, sa puissance exécutera; et cette exécution sera si aisée à Dieu, que l’Apôtre dit qu’elle ne lui coûtera qu’un simple signe, comme nous disons qu’il nous suffit d’un signe pour accomplir une chose très facile. Ce signe de Dieu n’est autre chose que la manifestation de sa volonté dont nous allons parler, et à qui toute la nature obéira lors de la résurrection des morts.

II. — Le souverain maître pour commander se servira de la voix de l’archange, afin de suivre l’ordre établi par la sagesse divine, et d’après lequel, comme dit saint Augustin, les corps inférieurs et grossiers sont mus par les corps plus puissants et plus subtils, et tout l’ordre corporel reçoit la motion de Dieu par l’intermédiaire des esprits doués de vie et de raison. — Saint Grégoire signale aussi la même loi. D’après cela, toutes les fois que Dieu exerce une action sur les corps, il se sert du ministère des anges. Or, l’acte de ressusciter les morts s’exerce bien sur les corps, car il faut recueillir leur poussière, la préparer et reconstituer la figure corporelle: et voilà le travail qui sera attribué aux anges. Mais l’âme créée par Dieu seul ne peut être réunie au corps que par Dieu seul, sans qu’aucune créature puisse prêter ici son service. La glorification du corps sera aussi l’oeuvre exclusive de Dieu aussi bien que celle de l’âme.

D’après certains interprètes, le ministère des anges dont Dieu se servira serait ce que saint Paul appelle la voix de l’archange, parce qu’un archange en sera principalement chargé. Savoir, saint Michel, qui est le prince de l’Eglise, comme il le fut de la Synagogue, selon le prophète Daniel qui, s’adressant aux Juifs, l’appelle " votre prince." (Dan., X, 21). Cependant, Michel ne sera pas seul à remplir cet office; tous les anges y seront employés. D’abord les anges des ordres plus élevés que le sien, car il sera mû et dirigé par les vertus et les hiérarchies supérieures. Ensuite, les anges qui sont au-dessous de lui; car Michel exercera un ministère général, mais eux coopéreront à ce ministère relativement aux individus, chaque ange gardien rassemblant les cendres des hommes dont il aura eu la charge dans le temps. Si donc c’est le ministère qui est appelé une voix, on peut dire également que c’est la voix du seul archange Michel, ou la voix d’un grand nombre d’anges, comme parle en effet Notre Seigneur: "Il enverra ses anges avec une trompette et une grande voix." (Matth., XXIV, 31). Et cette voix sera si forte et si éclatante, que les morts l’entendront en tous les lieux du monde, et qu’elle rassemblera les élus des quatre vents du ciel, c’est-à-dire des quatre points cardinaux, de l’Orient, de l’Occident, de l’Aquilon et du Midi.

III. —Le Juge, ajoute l’Apôtre, descendra du ciel au son de la trompette de Dieu. Il ne s’agit pas ici sans doute d’une trompette matérielle; mais, par cette image, l’Apôtre veut marquer la solennité de l’avènement du Christ, car il viendra avec un grand éclat. C’est la pensée de saint Grégoire: Sonner de la trompette, dit-il, ce n’est pas autre chose que d’annoncer au monde l’arrivée du Fils de Dieu pour exercer son jugement. Cette image de la trompette signifie encore l’efficacité de l’appel que le Juge adressera à tous les morts." II donnera à sa voix un son de puissance, dit le Psalmiste." (Ps. LXVII, 34). Lui qui autrefois restait sans voix, muet comme un agneau devant celui qui le tond, prendra alors une voix si forte qu’elle aura la vertu de ressusciter les morts. Et, suivant cette explication, la trompette du jugement serait la voix du Christ commandant avec son autorité souveraine. Enfin l’image de la trompette est ici employée par la comparaison avec les usages qu’on faisait de la trompette dans l’Ancien Testament. Le son de la trompette convoquait les assemblées, appelait au combat et annonçait les fêtes publiques. Or, les hommes ressuscités seront convoqués à la grande assemblée du jugement, ils seront appelés au combat que le globe de la terre livrera aux insensés, et ils seront invités aux solennelles réjouissances de l’éternité.

IV. Quand donc le Christ sera ainsi descendu comme un maître qui commande, et avec toute cette solennité marquée par la voix de l’Archange et par la trompette de Dieu, alors les morts ressusciteront et sortiront de leurs tombeaux, en commençant, nous dit l’Apôtre, par ceux qui sont dans le Christ, c’est-à-dire par les justes. Saint Paul ajoute: "Ensuite nous qui vivons." (Jésus-Christ Thess., IV, 16). Cela ne veut pas dire, comme plusieurs l’ont cru, que les hommes qui seront trouvés vivants en ce temps-là ne mourront pas. C’est la loi universelle que tous les hommes meurent; mais leur mort et leur résurrection se passera en un seul instant, et leur âme, retirée de leur corps par le sommeil de la mort, leur sera rendue aussitôt. Alors le froment sera vanné par les anges dans l’aire de Dieu, et le bon grain sera séparé de la paille, car les bons, dit l’Apôtre, seront emportés au-devant du Christ, sur les nuées du ciel au plus haut des airs, et les méchants resteront sur la terre.

Nous ne pouvons savoir avec certitude l’heure précise où s’accomplira la résurrection générale; mais plusieurs pensent que ce sera probablement au point du jour, le soleil étant à son lever et la lune à son coucher. Car c’est, croit-on, dans cette situation que le soleil et la lune ont été créés au commencement. Dieu les laisserait ainsi achever leur cercle complet, et revenir au même point. On dit aussi que le Christ ressuscita à cette même heure.

 

CHAPITRE IX: NÉCESSITÉ DU JUGEMENT UNIVERSEL

 

Tous les morts étant sortis de leurs tombeaux et revenus à la vie, le Christ leur rendra à chacun selon les mérites de leurs oeuvres.

I. — Durant la vie présente, Dieu patiente et attend, et sa justice n’apparaît pas parce que nous ne voyons pas les hommes traités selon leurs oeuvres. Mais l’Écriture nous avertit solennellement que cette patience de Dieu aura un terme et que la justice fera valoir tous ses droits " Vous rendrez à chacun selon ses oeuvres, dit le Psalmiste." (Ps. LXI, 13). Et saint Paul: "Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, et y apporter chacun ", comme des moissonneurs, " le fruit du travail que nous aurons accompli dans notre corps, soit bon, soit mauvais." (II Cor., V, 10). Car c’est ici-bas que nous amassons toutes les œuvres méritoires ou déméritoires qui seront pour nous après la vie la cause de notre élévation ou de notre misère; et la rétribution des récompenses ou des peines, suivant les mérites, se fera par le jugement.

II. — A l’instant de la mort de chaque homme, il y aura un juge ment particulier qui fixera son sort. Mais, outre ce jugement particulier, il y en aura un autre général à la fin des temps. Car il y a dans l’homme deux aspects à considérer. Il est une personne individuelle et il est un membre de la société du genre humain.

A sa mort, il est jugé comme individu, à la fin des temps, il le sera comme membre du genre humain. Quand sa vie est terminée, tout n’est pas dit pour lui, car cette vie a des effets qui lui sur vivent parmi les hommes, et il faut attendre ces effets pour porter un jugement complet sur la valeur de ses oeuvres. L’exacte appréciation de notre vie dépend donc d’une certaine façon de l’avenir.

III. — Pour nous en rendre compte, il faut considérer d’abord que ceux qui ne sont plus se survivent dans la mémoire des hommes, et souvent les hommes en portent un jugement faux, soit en bonne, soit en mauvaise part. Ils se survivent encore dans leurs enfants, qui sont quelque chose de l’être de leur père, selon cette parole de 1’Ecriture " Son père est mort, et c’est comme s’il n’était point mort, car il a laissé après lui quelqu’un de semblable à lui." (Ecclésiastique XXX, 4). Et pourtant il y a beaucoup de bons qui laissent des fils mauvais, ou au con traire. L’homme laisse encore après lui des effets de ses oeuvres, ainsi, par exemple, Anus et les autres hérétiques n’ont pas seulement séduit leurs contemporains, mais leur erreur se propage et fait des victimes jusqu’à la fin des temps. Au contraire, la prédication apostolique sera jusqu’à la fin l’édification de la foi. De plus, dans le jugement particulier, justice a été faite à l’âme; mais souvent le corps des méchants repose honoré dans des tombeaux fastueux; et, au contraire, le corps des justes quelquefois n’a même pas eu de sépulture, et il est si complètement détruit qu’il n’en reste plus aucune trace, ni aucun souvenir. Enfin, on ne voit pas assez maintenant la valeur véritable des biens en qui l’homme a placé ses affections; on ne comprend pas autant qu’il faut la vanité des choses temporelles qui passent si vite et le prix des choses qui demeurent toujours. Sur tous ces points, il y a une appréciation vraie et complète qui ne saurait être faite que par Dieu, et nous ne pouvons porter un jugement parfait et manifeste pour tous tant que dure la vie présente. Il faut donc qu’il y ait au dernier jour un jugement définitif qui mette parfaitement à découvert et expose aux regards de tous la vie de chaque homme, et tout ce qui se rapporte à elle d’une manière quelconque.

 

CHAPITRE X: DE L’ÉQUITÉ DU SOUVERAIN JUGE

 

Pour nous rendre bien compte du jugement dernier, il faut y considérer trois choses: l’équité du Juge; la dignité de ceux qui jugeront avec lui; les différences de ceux qui seront jugés. Et d’abord l’équité du Juge.

I. — Dans ce jugement futur, le Christ " jugera les peuples dans l’équité, dit le Psalmiste." (Ps. LXVI, 5). Notre Seigneur, en annonçant le jugement, nous montre en détail cette équité s’exerçant en acte." Quand le Fils de l’homme viendra dans sa majesté, et tous les anges avec lui, alors il siègera sur le trône de sa majesté." Et alors commencera l’exercice de sa justice, d’abord par la séparation des bons et des mauvais: "Toutes les nations seront rassemblées devant lui, et il partagera les hommes entre eux, comme un pasteur sépare les brebis d’avec les boucs, et il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche." Par les brebis, Notre Seigneur entend les bons et par les boucs les méchants. Après cette séparation, le Juge fera le relevé des mérites de chacun et discutera la sentence à porter. Il dira aux bons: "J'ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez accueilli; j’étais nu, et vous m’avez vêtu j’étais prisonnier, et vous m’avez visité." Et les justes lui répondront: "Seigneur, quand donc vous avons-nous donné manger ou à boire? Quand vous avons-nous donné l’hospitalité ou vous avons-nous vêtu? Quand vous avons-nous visité dans la maladie ou dans la prison? " Et le Roi leur dira: "En vérité, je vous le dis, quand vous avez fait tout cela pour le moindre de mes frères, c’est pour moi que vous l’avez fait." Ensuite, il dira à ceux qui seront à gauche: "J'ai eu faim, et vous m’avez refusé à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez refusé à boire; j’étais étranger, et vous ne m’avez pas recueilli; nu, et vous ne m’avez pas vêtu; malade, prisonnier, et vous ne m’avez pas visité." Et eux aussi répondront: "Quand donc, Seigneur, avons-nous refusé de vous servir dans toutes ces nécessités? " Et il leur dira: "Toutes les fois que vous avez négligé de le faire à un de ces petits, c’est à moi que vous ne l’avez point fait." Les mérites étant ainsi discutés, le Juge portera la sentence qui convié à chacun. Il dira aux justes: "Venez, les bénis de mon Père, et possédez le royaume qui vous a été pré paré depuis la création du monde." Et aux réprouvés: "Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et pour ses anges." (Matth., XXV, 31-45).

II. — Toute l’instruction de ce jugement, l’accusation des méchants; l’approbation des bons, la sentence relativement aux uns et aux autres, ne se fera point par des paroles, mais par une manifestation de pensées intimes. Car si les actions de chacun devaient être racontées par des paroles, de longs siècles n’y suffiraient pas. Si le livre dont il est parlé dans l’Apocalypse (XX, 12), dit saint Augustin, et qui renferme l’écriture d’après laquelle nous serons tous jugés, devait être entendu dans un sens matériel, qui pourrait imaginer sa grandeur et son étendue? Com bien de temps ne faudrait-il pas pour lire un écrit où seraient relatées toutes les actions de tous les hommes? Et il ne faudrait pas moins de temps pour les raconter par la parole que pour les lire dans un livre. Il est donc bien probable que l’instruction du jugement se fera mentalement et non point par des discours.

Ainsi, par un effet de la puissance divine, chacun verra tout à coup se représenter devant ses yeux tous les biens et tous les maux pour lesquels il devra être récompensé ou puni, et sa conscience sera comme un dossier complet renfermant toute la procédure de son jugement. Et non seulement chacun lira dans sa propre conscience, mais chaque âme sera ouverte aux regards de tous." Le Seigneur viendra, dit saint Paul, et il éclairera le secret de toutes les ténèbres ", c’est-à-dire qu’il manifestera tous les péchés; " et il fera connaître les conseils de tous les coeurs ", c’est-à-dire que toutes les actions et toutes les pensées, bonnes ou mauvaises, seront alors révélées et découvertes à tous." (I Cor., IV, 5). " J'ai vu, dit aussi l’Apocalypse, les morts grands et petits debout devant le trône, et les livres furent ouverts ", savoir le livre de toutes les consciences qui seront alors connues de tous." (Apoc., XX, 12). Non seulement les, péchés des méchants seront mis à découvert, mais aussi sans doute ceux des justes effacés par la pénitence; car autrement on ne pourrait pas connaître le mérite de leur pénitence, ce qui serait au détriment de la gloire des saints et de la louange de la miséricorde divine qui les a pardonnés.

 

CHAPITRE XI: DIGNITÉ DE CEUX QUI JUGERONT AVEC JÉSUS-CHRIST

 

Notre Seigneur ne sera pas seul sur le tribunal, mais il aura des assesseurs qui jugeront avec lui." Le Seigneur, dit Isaïe, viendra au jugement accompagné des anciens de son peuple." (Isaïe III, 14). Et le Sauveur dit à ses apôtres: "Vous serez assis sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël." (Matth., XIX, 28).

I. — Il est souvent parlé dans l’Écriture de ceux qui jugeront avec le Christ, mais ce jugement doit être entendu en plusieurs sens. II y en a qui sont dits juges seulement par la comparaison de leur vie avec celle des autres. C’est ainsi que la vie des meilleurs accusera ‘les moins bons, et la vie des moins méchants, accusera les plus méchants comme nous le lisons dans l’Evangile " Les Ninivites se lèveront au jugement contre cette génération, et la condamneront parce qu’ils ont fait pénitence à la prédication de Jonas." (Matth., XII, 41). D’autres jugeront par simple approbation. Ce sera le cas de tous les justes, dont il est dit " qu’ils jugeront les nations." (Sagesse III, 8). Ces deux manières de juger ne supposent aucune autorité spéciale. Mais il y aura quelques saints qui jugeront avec autorité: ce sont les parfaits, qui, comme le dit Richard de Saint-Victor, assidus à la contemplation de divines, lisent chaque jour dans le livre de la sagesse et inscrivent dans leur coeur tout ce qui leur a été donné de comprendre de la lumière de la vérité. Leur coeur est ainsi devenu comme un code, où sont contenus les préceptes de la justice d’après lesquels les hommes seront jugés. Mais cela ne dit encore qu’une aptitude à juger. Le jugement proprement dit procède du juge aux autres hommes et suppose une sentence portée sur quelqu’un. Mais cette sentence peut être proférée à différents titres. D’abord en vertu d’une autorité propre et indépendante; ainsi juge le souverain qui est maître et seigneur vis-à-vis de ceux qui dépendent de son empire, et ce droit de judicature sur tous les hommes n’appartient qu’à Dieu seul. On peut aussi proférer une sentence d’une manière dépendante, en portant à la connaissance des autres, c’est-à-dire en publiant l’arrêt porté par une autorité-Y supérieure. C’est de cette manière que les parfaits jugeront, car ils feront connaître aux autres les décisions de la justice divine, et leur montreront ce qui est équitablement dû au mérite de leurs actions. Juger n’est autre chose alors que de manifester ce qui est juste. C’est l’explication de Richard de Saint Victor: Les juges, dit-il, ouvrent devant les yeux des prévenus le livre de leurs décrets, quand ils laissent les inférieurs regarder et pénétrer dans le fond de leur coeur, et y voir leur pensée sur l’arrêt à prononcer.

II. — Ce droit si glorieux de juger avec Jésus-Christ est attribué principalement à la pauvreté volontaire, qui a tout abandonné pour suivre le Christ. C’est le Sauveur même qui nous l’enseigne. Saint Pierre lui disait: "Voici que nous avons tout abandonné pour vous suivre; qu’y aura t-il donc pour nous? " Et Jésus répondit: "En vérité je vous le dis, vous qui m’avez suivi, au jour de la résurrection, quand le Fils de l’homme sera assis sur le trône de sa majesté, vous siégerez vous-mêmes sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël." (Matth., XIX, 27-28). Saint Grégoire s’explique ainsi sur ce pas sage: Tous ceux qui, touchés de l’amour divin, auront abandonné ici-bas tout ce qu’ils possèdent, seront sans aucun doute élevés jusqu’à la dignité de la puissance judiciaire. Celui qui, dans lu prévision du jugement, s’astreint ici-bas aux rigueurs de la pauvreté volontaire, viendra alors juger avec le Juge. La raison en est que les pauvres volontaires se sont attachés à Dieu seul, et ainsi le souci des choses temporelles n’encombre pas leur âme, mais la laisse toute disposée à recevoir la sagesse; les désirs terrestres ne les détournent pas du zèle de la justice; enfin l’abaissement volontaire oit la pauvreté les a réduits leur mérite l’exaltation en honneur et en puissance. C’est pourquoi ils sont jugés capables et dignes entre tous de posséder la puissance judiciaire.

 

CHAPITRE XII: DES DIFFÉRENCES DE CEUX QUI SERONT JUGÉS

 

Saint Grégoire divise en quatre classes les hommes qui se présenteront au tribunal de Dieu pour être jugés. Il y en a, dit-il, qui seront jugés et qui périront; d’autres qui périront sans être jugés; d’autres qui seront jugés et régneront, et d’autres enfin qui règneront sans être jugés. Pour comprendre ces paroles, il faut distinguer trois actes dans la procédure du jugement: la présentation du prévenu devant son Juge, l’examen de ses mérites, le prononcé de la sentence.

I. — Et d’abord, tous les hommes, bons et mauvais depuis le premier jusqu’au dernier, seront présentés au dernier jugement: "Il faut que tous, dit saint Paul, nous comparaissions devant le tribunal de Jésus-Christ." (II Cor., V, 10). Nul n’est exclu de cette universalité, pas même les enfants morts soit sans le Baptême, soit après le Baptême. Car la puissance judiciaire a été conférée à Jésus-Christ en récompense des humiliations de sa Passion. Or, Notre Seigneur, dans sa Passion, a répandu son sang pour tous les hommes et mérité suffisamment pour le salut de tous, quoique tous ne reçoivent pas le fruit de ces mérites à cause de quelque empêchement de leur part. C’est pourquoi il convient que tous sans exception soient présents au jugement, afin de contempler l’exaltation de la nature humaine du Sauveur qui a été humiliée pour tous.

II. — En ce qui concerne l’examen des mérites, tous les hommes ne seront pas jugés, ni parmi les bons, ni parmi les méchants. Car il n’y a lieu à examen et à discussion dans le jugement que là où le bien est mêlé avec le mal. Quand il n’y a que du bien sans mélange de mal, ou du mal sans mélange de bien, il n’y a pas de discussion à faire.

Or, parmi les bons, il y en a qui ont totalement renoncé aux biens temporels pour ne s’occuper que de Dieu seul et des choses de Dieu. Et comme le péché consiste à mépriser le bien immuable pour s’attacher aux biens passagers, il n’y a pas dans ces âmes bienheureuses un notable mélange de bien et de mal; non pas qu’elles soient exemptes de tout péché, car c’est pour elles qu’il est écrit: "Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous." (I Jean, I, 8). Mais parce que ces fautes sont légères et qu’elles sont comme consumées par la ferveur de la charité, elles sont comptées presque comme rien, et ainsi ces justes se présenteront devant le Juge comme des amis déjà connus qu’il n’est pas nécessaire de faire passer par l’examen et la discussion. Mais ceux qui vivent de la vie du monde, occupés des choses terrestres, et en usant, non pas sans doute contre Dieu, mais pourtant avec quelque désordre dans les affections, mêlent au bien de la foi et de la charité une portion assez notable de mal pour qu’on ne voie pas au premier abord si c’est le bien ou le mal qui l’emporte. Il faut donc que le bien et le mal qui est en eux soit soumis à un examen attentif,

De même aussi parmi les méchants, il y en a qui seront examinés et d’autres qui ne le seront pas. Saint Paul dit que le premier pas pour aller vers Dieu est la foi: "Pour s’approcher de Dieu, dit-il, II faut croire." (Hebr., XI, 6). Les infidèles donc, ne possédant pas ce fondement de foi, ne peuvent avoir aucune bonne oeuvre à présenter, parce que si le principe manque, il faut que tout le reste manque.

Il n’y aura donc lieu pour eux à aucune discussion. Mais les pécheurs en qui est demeuré le fondement de la foi ont au moins en leur faveur l’acte louable de la foi. Cet acte, sans doute, n’est pas méritoire sans la charité, mais pourtant, de sa nature, il tend à nous rendre capables de mériter; et c’est pourquoi il donnera lieu à la discussion. Ainsi les fidèles qui du moins ont été du nombre des citoyens de la cité de Dieu seront jugés comme des citoyens qu’un prince ne condamne pas à mort sans un débat contradictoire. Les infidèles seront exterminés sans discussion, comme des ennemis.

III. — Quant à la sentence, elle sera proférée sur tous sans exception; car c’est cette sentence qui introduira les justes dans la gloire, et livrera les méchants à la peine qui leur sera due Car en ce jugement, comme dit saint Paul, " chacun apportera le fruit du travail qu’il aura accompli dans son corps, soit bon, soit mauvais. (II Cor., V, 10).

 

CHAPITRE XIII: DE LA RÉNOVATION DU MONDE

 

Lorsque tout sera achevé pour l’homme, que les méchants seront à jamais séparés des justes, et que le sort de tous sera fixé pour l’éternité, alors la puissance divine renouvellera aussi le monde. L’Écriture Sainte nous l’affirme en plusieurs endroits: "Voici, dit le Seigneur dans Isaïe, que je crée des cieux nouveaux et une terre nouvelle, et les anciens tomberont dans l’oubli." (Isaïe LXV, 17). Saint Jean dit de même dans l’Apocalypse: "Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle; car le premier ciel et la première terre ont passé, et la mer n’est plus." (Apoc., XXI, 1).

Pourquoi cette rénovation? c’est que tous les corps ont été créés pour l’usage de l’homme, et par conséquent lui sont subordonnés et destinés à son service. Dans le temps présent, ces corps nous rendent un double service: ils soutiennent notre vie corporelle et nous conduisent à la connaissance de Dieu, parce que, comme le dit saint Paul, nous contemplons dans le miroir des créatures les invisibles secrets de Dieu.

L’homme glorifié n’aura plus aucun besoin du premier service que les créatures rendent à notre vie corporelle, car son corps sera devenu incorruptible et n’éprouvera plus ni la faim, ni la soif, ni aucune des défaillances qui rendent leur usage nécessaire.

Il n’y aura donc lieu pour eux à aucune discussion. Mais les pécheurs en qui est demeuré le fondement de la foi ont au moins en leur faveur l’acte louable de la foi. Cet acte, sans doute, n’est pas méritoire sans la charité, mais pourtant, de sa nature, il tend à nous rendre capables de mériter; et c’est pourquoi il donnera lieu à la discussion. Ainsi les fidèles qui du moins ont été du nombre des citoyens de la cité de Dieu seront jugés comme des citoyens qu’un prince ne condamne pas à mort sans un débat contradictoire. Les infidèles seront exterminés sans discussion, comme des ennemis.

La puissance divine soutiendra ainsi le corps par la perfection de l’âme qu’il glorifiera par son opération immédiate.

Quant au second service des créatures, qui est de nous conduire à la connaissance de Dieu, les bienheureux n’en auront plus besoin, non plus en ce qui concerne la connaissance intellective, car l’intelligence des saints verra immédiatement l’essence divine. Mais comme l’oeil de la chair ne peut atteindre à cette vision, Dieu, pour lui donner tout le bonheur dont il est capable, lui accordera tout ce qu’il peut recevoir de la vision divine, c’est-à-dire la contemplation du reflet de la divinité dans ses effets corporels, et une sorte de manifestation sensible de la majesté de Dieu. Le miroir le plus éclatant sera la chair sacrée de Notre Seigneur Jésus-Christ, ensuite les corps des bienheureux, et enfin toutes les autres créatures corporelles, Mais, pour procurer aux sens glorifiés une jouissance digne d’eux, il faudra que ces corps inférieurs reçoivent une participation de la bonté divine plus grande qu’aujourd’hui, non pour changer leur nature, mais pour leur donner une certaine perfection de gloire. Et, par suite, en même temps que l’homme sera glorifié, le monde sera renouvelé.

FIN DU SOIXANTE-UNIEME OPUSCULE SUR L'HUMANITÉ DE JESUS-CHRIST, PAR SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE L'ÉGLISE