03 février 2008
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THÉOLOGIE CATHOLIQUE
LE RETOUR DU CHRIST EN GLOIRE
un événement vécu à l’heure de la mort
comme à la fin du monde
THÈSE
(Date de
soutenance non fixée)
Suivie du
TRAITÉ DES FINS DERNIÈRES
Présentée par Arnaud DUMOUCH
1° La thèse elle-même qui vise à établir la
nécessité de la parousie du Christ glorieux à l’heure de la mort, avant
l’entrée dans l’autre monde.
2° Le traité des fins dernières qui en
ressort, et qui manifeste autours de cette clef de voute, la cohérence de la
foi et des dogmes de l’Eglise.
LE RETOUR DU CHRIST EN GLOIRE, un événement vécu à l’heure de
la mort comme à la fin du monde
I - GENÈSE :
le drame d’une une humanité sans finalité
II - QUESTION
POSEE, A DE LA THESE : le salut des païens.
PROLÉGOMÈNES : Sur quoi se fonde la salut ?
1-1- EXPOSÉ
DU CONTENU DOCTRINAL
1-2-
DIFFICULTÉ DE CETTE POSITION : Le salut de ceux qui meurent sans la charité
2-1- EXPOSÉ :
La foi au sens de Luther est autre que la charité thomiste
2-2-
DIFFICULTÉ : Le salut de ceux qui meurent sans la foi
3- LE SALUT
PAR LA BONNE VOLONTÉ
3-1- PÉLAGE :
Le salut par la vertu acquise
3-2-
L’HUMANISME LIBÉRAL : Quand la fraternité humaine est identifiée à la charité
théologale
A. LE RETOUR DU CHRIST A L’HEURE DE LA MORT. APPROCHE
THEOLOGIQUE
I-1- LE
FONDEMENT D’UNE DÉMONSTRATION THÉOLOGIQUE
I-1-1-
Approche démonstrative théologique et certitude de la vérité
I-1-3-
L’origine de la foi et de sa certitude
I-1-4-
Comment retrouver la Parole de Dieu ?
I-1-6-
Réponse à ceux qui critiquent notre méthodologie théologique
I-2- LA FOI
DE L’ÉGLISE CONCERNANT LE SALUT
I-2-1-
PREMIER DOGME : la charité seule ouvre le Ciel
I-2-2-
DEUXIÈME DOGME : Dieu propose à tous le salut
I-3- THÈSE :
L’HEURE DE LA MORT ET LE RETOUR DU CHRIST EN GLOIRE
I-3-2
Établissement de l’hypothèse
DEUXIÈME PARTIE : SIGNES A L’APPUI DE CETTE HYPOTHESE
II-1-
FONDEMENTS SCRIPTURAIRES
II-1-1-
L’annonce de la venur du Christ dans sa gloire : Mt 26, 63
II-1-2- La
conversion de Paul, une N.D.E. ?
II-1-3- Le
genre littéraire apocalyptique 2 Théssaloniciens 1, 6
II-1-7- Actes
1, 6-11 : L’ascension du Christ
II-1-8- Actes
7, 54-59 : La mort d’Etienne
II-I-9 Actes
20, 9-12 : La résurrection d’un enfant mort
II-1-10-
L’Ecriture et la mort comme une durée ?
II-1-12- Dans
les évangiles apocryphes (par Manuel Sanchez, 2005)
II-1-13- La
venue du Christ à l’heure de la mort dans la liturgie catholique des morts
II-1-14-
Apocalypse 1, 18 : Le Credo et
la descente de Jésus aux enfers.
I-2- SOURCES
CHEZ LES SAINTS ET LES THÉOLOGIENS
II-2-1
Fondements chez les saints :
- Une NDE
chez saint Paul (vers 35 ap JC)
- Témoignages
de Sainte Perpétue sur une NDE (III° siècle)
- Saint
Antoine le grand (vers 300-350)
- Saint
Augustin, Docteur de l’Eglise (354-430) et la survie de la vie psychique à la
mort
- Le
Témoignage de saint Saulve sur une NDE (vers 573)
- Saint
Grégoire, pape et Docteur de l’Eglise (540-604).
- Bède le
vénérable, Docteur de l’Eglise (632-635).
- Saint
Bernard, Docteur de l’Eglise catholique, (1090-1153)
- Saint
Thomas d’Aquin, Docteur commun de l’Eglise catholique, (1225-1274)
- Sainte
Brigitte de Suède et le salut d’une âme dans la mort (1303-1373)
- Sainte
Thérèse d’Avila (1515-1582).
- Saint
Vincent Ferrier (+ 1419) et saint Louis Marie Grignon de Montfort (1673-1716)
- Saint
Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716)
- Sainte
Thérèse de l’Enfant-Jésus, Docteur de l’Eglise (1873-1897)
- Sainte
Faustine (1905-1938).
- Marthe
Robin (décédée en 1983)
II-2-2-
Intuition des théologiens
- Mgr.
d’Hulst (fin du XIX° siècle).
-
François-Xavier Durwell (écrits 1990)
- Jean Daujat
(écrit vers 1990)
- Pape Benoît
XVI, décembre 2007 encyclique « Spe Salvi. »
- Karl-Gustav
Jung (psychanalyste, milieu du XX° siècle)
II-3- SOURCES
DANS DANS LES AUTRES RELIGIONS
II-4-1-
Importance pour notre hypothèse d’un fondement empirique
II-4-2-
Lecture critique de « La vie après la vie »
Saint Thomas
d’Aquin : Sa mort prématurée
Plan du
traité des fins dernières
PREMIÈRE PARTIE : LA VISION BÉATIFIQUE
QUESTION 1 :
Les convenances de la vision béatifique
Article 1 :
Dieu appelle-t-il l’homme à la vision béatifique ?
Article 2 :
La vision béatifique est-elle nécessaire à la béatitude parfaite de l’homme ?
Article 4 :
Le motif ultime de la création de l’homme est-il l’entrée dans la vision
béatifique ?
Article 5 :
Le motif ultime de la création des anges est-il la vision béatifique ?
Article 9 :
Convenait-il que la vision béatifique nous soit donnée qu’après une vie
terrestre ?
QUESTION 1
bis : LE DESIR NATUREL DE VOIR DIEU
Article 6 :
En quel sens l'actuation de ce désir naturel est-elle surnaturelle ?
QUESTION 2 :
la nature de la vision béatifique
Article 1 :
La vision béatifique consiste-t-elle à voir l’essence divine ?
Article 3 :
Comment la vision béatifique peut-elle être réalisée ?
Article 5 :
Par la vision béatifique, l’homme devient-il Dieu ?
QUESTION 3 :
La cause de la vision béatifique
Article 1 :
l’intelligence humaine peut-elle arriver à voir Dieu par ses propres forces ?
Article 2 :
L’homme acquiert-il la béatitude par l’action d’une créature supérieure ?
Article 3 :
Est-ce Dieu qui réalise en nous la manifestation de son essence ?
QUESTION 4 :
Le siège de la vision béatifique
Article 1 :
Le siège de la vision béatifique est-il la volonté ?
Article 2 :
Les saints, après la résurrection, verront-ils Dieu avec les yeux du corps ?
QUESTION 5 :
Les effets de la vision béatifique
Article 1 :
Les vertus morales demeurent-elles dans la vision béatifique ?
Article 2 :
Les vertus intellectuelles demeurent-elles après cette vie ?
Article 3 :
La foi demeure-t-elle après cette vie ?
Article 4 :
L’espérance demeure-t-elle après cette vie ?
Article 5 :
Demeure-t-il quelque chose de la foi ou de l’espérance ?
Article 6 :
La charité demeure-t-elle après cette vie ?
Article 7 :
Les dons du Saint-Esprit demeurent-ils dans la patrie ?
Article 9 :
Les fruits du Saint Esprit seront-ils des effets de la vision béatifique ?
Article 10 :
Quel est le principal dans la béatitude : la délectation ou la vision ?
Article 11 :
Les saints en voyant Dieu voient-ils tout ce que Dieu voit ?
Article 12 :
La vision béatifique est-elle éternelle ?
QUESTION 6 :
Les conditions de la vision béatifique en ce qui concerne l’âme humaine
Article 1 :
La lumière de gloire est-elle nécessaire pour voir Dieu ?
Article 2 :
la lumière de gloire est-elle créée ?
Article 3 :
La lumière de gloire est-elle un intermédiaire entre Dieu et l’intelligence ?
Article 4 :
La lumière de gloire est-elle la même chose que la grâce habituelle ?
Article 1 :
L’entrée dans la gloire requiert-elle l’exercice du libre-arbitre ?
Article 2 :
La bonne volonté est-elle requise pour entrer dans la gloire ?
Article 4 :
L’humilité est-elle requise pour obtenir la vision béatifique ?
Article 5 :
Une humilité totale (kénose) est-elle nécessaire pour entrer dans la vision
béatifique ?
Article 6 :
La souffrance est-elle nécessaire pour entrer dans la vision de Dieu ?
Article 7 :
Peut-on sans la grâce mériter la vie éternelle ?
Article 8 :
La foi est-elle nécessaire à l’entrée dans la vision béatifique ?
Article 10 :
L’espérance est-elle nécessaire pour entrer dans la vision béatifique ?
Article 11 :
La charité est-elle nécessaire pour entrer dans la vision béatifique ?
Article 12 :
Une charité parfaite est-elle requise pour entrer dans la vision béatifique ?
Article 13 :
Le baptême est-il nécessaire à l’entrée dans la gloire ?
Article 14 :
La vision béatifique sera-t-elle donnée à chaque homme en proportion de sa
charité ?
DEUXIÈME PARTIE : CE QUI PRÉCÈDE LA RÉSURRECTION
Article 1 :
L’âme humaine survit-elle à la mort du corps ?
Article 2 :
Après la mort, l’homme conserve-t-il une vie sensible ?
Article 3 :
La mort est-elle naturelle ?
Article 4 :
La mort est-elle instantanée ?
Article 6 :
Dans le moment de la mort, l’homme est-il délivré de la faiblesse du corps ?
Article 7 :
L’homme voit-il Dieu dans son essence au moment de la mort ?
Article 8 :
L’homme voit-il de manière sensible l’humanité sainte de Jésus au moment de la
mort ?
Article 9 :
L’homme peut-il voir des personnes décédées avant-elle ?
Article 10 :
L’homme voit-il le démon à l’heure de la mort ?
Article 11 :
L’homme peut-il voir des personnes encore vivantes sur terre ?
Article 12 :
L’homme voit-il défiler sa vie, le bien et le mal commis ?
Article 13 :
Peut-il y avoir repentir dans le moment de la mort ?
Article 15 :
Le jugement dernier a-t-il lieu au moment de la mort ?
QUESTION 9 :
La condition des âmes séparées du corps
Article l :
Les puissances sensibles demeurent-elles dans l’âme séparée ?
Article 2 :
Les actes des puissances sensibles demeurent-ils dans l’âme séparée ?
Article 3 :
Les souvenirs de la vie terrestre passée demeurent-ils ?
Article 4 :
Comment s’exerce l’acte de l’intelligence dans l’âme séparée ?
Article 5 :
Comment s’exerce l’acte de la volonté dans l’âme séparée ?
Article 6 :
L’âme séparée peut-elle entrer en contact avec une autre âme séparée ou avec un
ange ?
Article 7 :
L’âme séparée voit-elle les hommes qui sont sur la terre ?
Article 8 :
Les âmes séparées peuvent-elles apparaître aux hommes ?
QUESTION 10 :
Le jugement dernier de l’individu
Article 1 : Y
a-t-il un jugement individuel qui suit immédiatement la mort ?
Article 2 :
L’âme arrive-t-elle au jugement dernier en état de mérite ou de démérite ?
Article 3 :
Toutes les âmes passent-elles en jugement ?
Article 4 :
Est-ce l’âme qui se juge elle-même ?
Article 5 :
Est-ce Jésus sous la forme de son humanité qui juge l’âme ?
QUESTION 11 :
La cause de la réprobation prise du côté de l’homme
Article 1 :
N’importe quel péché mortel demeurant après la mort conduit-il à la réprobation
?
Article 3 :
Le refus de croire à la vérité reconnue peut-il conduire à la damnation ?
Article 4 :
La présomption peut-elle conduire à la damnation ?
Article 5 :
La désespérance peut-elle conduire à la damnation éternelle ?
Article 6 :
L’envie des grâces du prochain conduit-elle à la damnation ?
Article 7 :
L’obstination conduit-elle à la damnation éternelle ?
Article 8 :
L’impénitence finale conduit-elle à la damnation éternelle ?
QUESTION 12 :
L’enfer et sa peine
Article l :
La peine principale de l’enfer est-elle la séparation d’avec Dieu ?
Article 2 :
Outre la séparation d’avec Dieu, y a t-il un feu en enfer ?
Article 3 :
Existe-t-il en enfer un feu matériel ?
Article 4 :
Les damnés souffrent-ils du ver rongeur du remords ?
Article 5 :
Les damnés pleurent-ils et grincent-ils des dents ?
Article 6 :
Les âmes de l’enfer sont-elles plongées dans les ténèbres extérieures ?
Article 7 :
Outre les peines précitées, existe-t-il en enfer d’autres peines ?
Article 8 :
Les démons exécuteront-ils la sentence du juge à l’égard des damnés ?
QUESTION 13 :
La volonté et l’intelligence des damnés
Article l :
Les damnés veulent-ils aller en enfer ?
Article 2 : Y
a-t-il des hommes en enfer ?
Article 3 :
Tout vouloir des damnés est-il mauvais ?
Article 4 : Les
damnés se repentent-ils du mal qu’ils ont accompli ?
Article 6 :
Les damnés voudraient-ils, d’une volonté droite et délibérée, ne pas exister ?
Article 6 :
Les damnés voudraient-ils la damnation des non damnés ?
Article 7 :
Les damnés haïront-ils Dieu ?
Article 8 :
Les damnés déméritent-ils encore ?
Article 10 :
Les damnés penseront-ils parfois à Dieu ?
Article 11 :
Les damnés voient-ils la gloire des bienheureux ?
QUESTION 14 :
La miséricorde de Dieu à l’égard des damnés
Article 1 :
L’enfer est-il éternel ?
Article 3 :
La miséricorde divine supporte-t-elle que les hommes soient punis éternellement
?
Article 4 :
La miséricorde divine mettra-t-elle fin au châtiment des chrétiens damnés ?
Article l :
Existe-t-il un purgatoire après cette vie ?
Article 2 : Y
a t-il six degrés du purgatoire ?
Article 3 :
La vie terrestre est-elle le premier purgatoire ?
Article 4 :
Les purgatoires de l’au-delà ont-il un lieu ?
Article 5 :
Certaines âmes peuvent-elles être purifiées en se réincarnant dans un corps ?
QUESTION 16 :
Le shéol, purgatoire qui précède la parousie du Christ
Article 1 :
Existe-t-il un purgatoire dans le passage qu’est la mort ?
Article
2 : La peine de ce purgatoire est-elle voulue par Dieu ?
Article
3 : La peine principale du shéol est-elle la solitude de l’errance ?
Article
4 : Les âmes de ce purgatoire sont-elles tourmentées par les démons ?
Article
5 : Ce purgatoire est-il plus douloureux que la vie d’ici-bas ?
Article
6 : Les âmes de ces purgatoires sont-elles saintes ?
Article
7 : Les âmes du shéol peuvent-elles se damner ou au contraire peuvent-elles
mériter ?
Article
8 : Les âmes du shéol peuvent-elles prier pour nous ?
Article
9 : Est-ce dans ce purgatoire que le Christ glorieux paraît dans sa
gloire ?
QUESTION 17 :
Les trois purgatoires qui suivent la parousie du Christ
Article 2 :
Le feu des purgatoires de lumière est-il le désir de Dieu ?
Article 3 :
Les âmes de ces purgatoires sont-elles rongées par le ver du remords ?
Article 4 :
Les âmes de ces purgatoires sont-elles tourmentées par les démons ?
Article 5 :
Le feu de ces purgatoires est-il le même que celui de l’enfer ?
Article 6 :
Les souffrances de ces purgatoires surpassent-elles toutes celles d’ici-bas ?
Article 7 :
La peine du purgatoire est-elle voulue par Dieu ?
Article 8 :
Les âmes de ces purgatoires sont-elles saintes ?
Article 9 :
Les âmes de ces purgatoires sont-elles soumises à la volonté de Dieu ?
Article 10 :
Les souffrances des âmes de ces purgatoires sont-elles voulues par elles ?
Article 11 :
les âmes des purgatoires de lumière peuvent-elles pécher ?
Article 12 :
Les âmes de ces trois purgatoires peuvent-elles mériter ?
Article 13 :
Les âmes de ces purgatoires sont-elles dans la joie et dans la paix ?
Article 14 :
Les âmes du purgatoire peuvent-elles les prier pour nous ?
QUESTION 18 :
Les effets des trois purgatoires qui suivent la parousie du Christ
Article 1 :
Le péché véniel comme péché véniel est-il expié par souffrances du purgatoire ?
Article
3 : Les flammes du purgatoire libèrent-elles de la pénitence due au péché
?
Article 4 :
Les âmes du purgatoire sont-elles délivrées plus vite les unes que les autres ?
QUESTION 19 :
La condition des âmes en état de péché originel
Article 2 :
Dieu donne-t-il aux innocents la capacité de poser un acte libre ?
Article 3 :
Dieu propose-t-il aux innocents sa grâce et sa gloire ?
Article 4 :
Certains enfants choisissent-ils l’enfer ou sont-ils tous sauvés ?
Article 5 :
L’avortement volontaire est-il source de graves inconvénients pour l’enfant ?
QUESTION 20 :
Le salut des païens, des suicidés
Article 1 :
Ceux qui meurent païens ou infidèles sont-ils sauvés ?
Article 2 :
Ceux qui se sont suicidés seront-ils sauvés ?
QUESTION 21 :
Les suffrages pour les défunts
Article 1 :
Les suffrages d’un fidèle peuvent-ils être utiles à un autre ?
Article 2 :
Les morts peuvent-ils être aidés par les œuvres des vivants ?
Article 3 :
Les suffrages des pécheurs sont-ils utiles aux défunts ?
Article 4 :
Les suffrages des vivants pour les défunts sont-ils utiles à leurs auteurs ?
Article 5 :
Les suffrages sont-ils utiles aux damnés ?
Article 6 :
Faut-il prier pour les défunts spécialement à l’heure de leur mort ?
Article 7 :
Les suffrages sont-ils utiles aux âmes des purgatoire de lumière ?
Article 8 :
Les suffrages sont-ils utiles aux enfants morts sans baptême ?
Article 9 :
Les suffrages sont-ils utiles de quelque manière aux bienheureux ?
Article 11 :
Les indulgences accordées par l’Église sont-elles utiles aux défunts ?
Article 12 :
Les cérémonies des obsèques sont-elles utiles aux défunts ?
QUESTION 22 :
Les diverses manières de nommer le paradis
Article l :
Le paradis céleste est-il la même chose que le paradis terrestre d’Adam et Ève
?
Article 2 :
Le paradis est-il le Royaume des Cieux ?
Article 3 :
le paradis est-il la terre promise aux Hébreux ?
Article 4 :
Le paradis est-il la Jérusalem céleste ?
Article 5 :
Le paradis céleste est-il le festin des noces de l’Agneau ?
Article 6 :
Serons-nous prêtres ?
QUESTION 23 :
La condition des âmes glorifiées par rapport à elles-mêmes
Article 1 :
La connaissance et l’amour naturels demeurent-ils dans les âmes glorifiées ?
Article 2 :
L’âme bienheureuse peut-elle pécher ?
Article 3 :
Les âmes bienheureuses peuvent-elles progresser en béatitude ?
Article 4 :
Le corps physique est-il requis pour la béatitude de l’homme ?
Article 5 :
Les âmes glorifiées souffrent-elles de l’absence du corps physique ?
Article 6 :
Les degrés de béatitude doivent-ils être appelés demeures ?
Article 7 :
Les diverses demeures se distinguent-elles selon les degrés de charité ?
QUESTION 24 :
Les dots des bienheureux
Article 1 :
Doit-on attribuer des dots aux hommes bienheureux ?
Article 2 :
La dot est-elle la même chose que la béatitude ?
Article 3 :
Convient-il au Christ d’avoir des dots ?
Article 4 :
Les anges ont-ils des dots ?
Article 5 :
Convient-il d’attribuer à l’âme trois dots ?
Article 2 :
L’auréole digère-t-elle du fruit ?
Article 3 :
Le fruit est-il réservé à la vertu de continence ?
Article 4 :
Convient-il d’assigner trois couronnes aux trois parties de la partie de la
continence ?
Article 5 :
Une auréole est-elle due à la virginité ?
Article 6 :
Une auréole est-elle due aux martyrs ?
Article 7 :
Les docteurs ont-ils droit à une auréole ?
Article 8 :
Une auréole est-elle due au Christ ?
Article 9 :
Une auréole est-elle due aux anges ?
Article 11 :
L’auréole des vierges est-elle supérieure aux autres ?
Article 12 :
Un bienheureux possède-t-il plus qu’un autre une auréole ?
QUESTION 26 :
La condition des âmes glorifiées par rapport aux autres
Article 2 :
Les âmes glorifiées peuvent-elles communiquer entre elles ?
Article 3 :
Les âmes glorifiées voient-elles les hommes qui sont sur la terre ?
Article 4 :
Les saints connaissent-ils les prières que nous leur adressons ?
Article 5 :
Devons-nous demander aux saints de prier pour nous ?
Article 6 :
Les prières des saints en notre faveur sont-elles toujours exaucées ?
Article 8 :
Les saints dans le Ciel verront-ils les souffrances des damnés ?
Article 9 :
Les bienheureux ont-ils de la compassion pour les souffrances des damnés ?
Article 10 :
Les bienheureux se réjouiront-ils des peines des impies ?
DEUXIÈME SECTION : LE DESTIN GÉNÉRAL DE L’HUMANITÉ
QUESTION 27 :
Le retour du Christ
Article 1 :
Le Christ doit-il revenir dans sa gloire à la fin du monde ?
Article 3 :
Pourquoi Dieu permettra-t-il ce mal avant la venue du Christ ?
Article 4 :
Le Christ reviendra-t-il comme un voleur alors que le monde sera en paix ?
Article 5 :
La date du retour du Christ est-elle inconnue ?
QUESTION 28 :
Les signes précurseurs de la fin du monde
Article 1 : Y
aura-t-il des signes précurseurs de l’avènement du souverain Juge ?
Article 2 :
Ces signes seront-ils donnés à tous les hommes ou seulement aux croyants ?
Article 3 :
Quels sont ces signes ?
Article 4 :
Peut-on discerner un ordre chronologique dans l’apparition de ces signes ?
QUESTION 29 :
Les signes matériels de la fin du monde
Article l : Y
aura-t-il des signes dans le soleil, la lune et les étoiles ?
Article 3 : Y
aura-t-il des guerres et de fausses paix ?
Article 4 : Y
aura-t-il des faux prophètes ?
Article 5 : Y
aura-t-il une grande apostasie ?
Article 6 :
Le monde sombrera-t-il dans le péché ?
QUESTION 30 :
Les signes de la fin du monde dans les autres religions
Article 1 :
Les diverses religions sont-elles bonnes ?
Article 2 :
Les diverses religions viennent-elles de Dieu ?
Article 3 : À
la fin du monde, y aura-t-il d’autres religions que celle du Christ ?
Article 4 : Y
aura-t-il des signes dans les diverses religions ?
Article 5 :
L’islam vient-il de Dieu ?
Article 6 : Y
aura-t-il des signes concernant l’islam ?
Article 7 :
Fallait-il que le judaïsme subsiste après la venue au Christ ?
Article 8 : À
la fin du monde, y aura-t-il des signes concernant le judaïsme ?
Article 9 :
Peut-on savoir de quelle manière Israël se convertira au Christ ?
QUESTION 31 :
Les signes du retour du Christ concernant l’Église
Article 1 : Y
aura-t-il des martyrs ?
Article 2 :
L’évangile doit-il être prêché à toutes les nations ?
Article 3 :
L’Église doit-elle subir un martyre vers la fin du monde ?
Article 4 :
Peut-on savoir comment se produira ce martyre ?
Article 5 :
L’heure de l’Église sera-t-elle annoncée par la papauté ?
Article 6 :
Sera-t-elle annoncée par la liturgie ?
Article 7 : Y
aura-t-il des signes dans les comportements des prêtres et des évêques ?
Article 8 :
L’Abomination de la désolation doit-elle s’installer dans le siège Apostolique
?
Article 9 :
Le Christ, lorsqu’il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?
QUESTION 32 :
Les signes donnés par la Vierge Marie
Article 1 :
La Vierge doit-elle avoir un rôle, particulier à la fin du monde ?
Article 2 :
La Vierge apparaîtra-t-elle aux hommes ?
Article 3 : Y
aura-t-il des apparitions d’anges ?
Article 4 :
Deux témoins doivent-ils venir vers la fin du monde ?
Article 1 :
Pourquoi Dieu permettra-il ce mal avant la venue du Christ ?
Article 2 :
Qu’est ce que l’esprit de l’Antéchrist dont parle saint Jean ?
Article 3 :
L’Antéchrist sera t-il un homme ou un démon fait homme ?
Article 4 :
Qu’est-ce que 666, le chiffre de la Bête ?
Article 5 :
Peut-on savoir quelle sera l’idéologie de L’Antéchrist ?
Article 6 :
Peut-on savoir quelle sera l’œuvre de l’Antéchrist ?
QUESTION 34 :
Le signe du fils de l’Homme
Article 1 :
Le signe du fils de l’homme est-il le signe de la croix ?
Article 2 :
Le signe du fils de l’homme est-il le signe de Jonas ?
Article 3 :
La croix apparaîtra-t-elle réellement dans le ciel à la fin du monde ?
Article 4 :
Les hommes seront-ils terrorisés par l’apparition du signe du fils de l’homme ?
Article 1 :
Dieu mettra-t-il fin au monde tel qu’il est ici-bas ?
Article 2 :
La fin des temps se distingue-t-elle de la fin du monde ?
Article 3 :
Peut-on distinguer sept temps dans l’histoire de l’humanité ?
Article 4 :
Connaît-on la date de la fin du monde ?
Article 5 :
Peut-on dire au moins que nous sommes dans les derniers temps ?
Article 6 :
La fin du monde consiste-t-elle dans le retour glorieux du christ ?
Article 7 :
Tous les hommes mourront-ils ?
Article 8 :
Cette fin sera-t-elle une destruction ou une transfiguration dans un autre
monde ?
TROISIEME PARTIE : LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR
QUESTION 36 :
La résurrection des corps physiques
Article 1 : La
résurrection des corps doit-elle avoir lieu ?
Article 2 :
Tous les hommes ressusciteront-ils ?
Article 3 :
La résurrection est-elle naturelle ?
QUESTION 37 :
La cause de la résurrection
Article 1 :
La résurrection du Christ est-elle la cause de la nôtre ?
Article 2 :
La voix de la trompette sera-t-elle la cause de notre résurrection ?
Article 3 :
Les anges coopéreront-ils à la résurrection ?
QUESTION 38 :
Le temps et le mode de la résurrection
Article 2 :
Doit-elle avoir lieu immédiatement après le retour du Christ ?
Article 3 :
La résurrection sera-t-elle instantanée ?
QUESTION 39 :
Le point de départ de la résurrection
Article 1 :
Certains hommes n’auront-ils pas à ressusciter parce qu’ils ne mourront pas ?
QUESTION 40 :
L’état des ressuscités et d’abord leur identité
Article 1 :
L’âme reprendra t-elle le même corps ?
Article 3 :
L’homme ressuscité sera-t-il le même homme ?
QUESTION 41 :
L’intégrité du corps des ressuscités
Article 1 :
Tous les membres du corps humain ressusciteront-ils ?
Article 2 :
Tout ce qui, dans le corps de l’homme fut vraiment humain ressuscitera-t-il ?
QUESTION 42 :
La qualité du corps des ressuscités
Article 1 :
Les hommes ressuscités seront-ils immortels ?
Article 2 :
Les ressuscités auront-ils besoin de se nourrir ?
Article 3 :
Le corps des ressuscités sera t-il sexué ?
Article 4 :
Les ressuscités exerceront-il des relations sexuelles ?
Article 5 :
Les ressuscités auront-ils l’âge parfait ?
QUESTION 43 :
L’état corporel des élus comparé à celui des damnés
Article
unique : L’état du corps des élus diffère-t-il de celui des damnés ?
QUESTION 44 :
Quelques considérations sur le corps des élus
Article 1 : Y
aura-t-il de nouvelles sensations ?
Article 3 :
La subtilité permet-elle à deux corps glorieux peuvent-ils occuper le même lieu
?
Article 4 :
La subtilité rend-elle impalpable le corps glorieux ?
Article 5 :
Le corps des élus est-il doué d’agilité ?
Article 6 :
Les élus feront-ils usage de leur agilité ?
Article 7 :
Leur mouvement sera-t-il instantané ?
Article 8 :
La clarté sera-t-elle une prérogative du corps des élus ?
Article 9 :
Le corps aussi a-t-il droit à une auréole ?
Article 10 :
La clarté du corps glorieux peut-elle être vue par un oeil non glorifié ?
Article 11 :
Le corps glorieux est-il nécessairement vu par un oeil non glorifié ?
QUESTION 45 :
L’état corporel des damnés
Article 1 :
Les damnés ressusciteront-ils avec leurs difformités corporelles ?
Article 2 :
Le corps des damnés sera-t-il incorruptible ?
Article 3 :
Le corps des damnés sera-t-il impassible ?
LA
TRANSFORMATION DE L’UNIVERS
QUESTION 46 :
La conflagration du monde
Article 1 :
Le monde doit-il être purifié ?
Article 2 :
Cette purification se fera-t-elle par le feu ?
Article 3 :
Ce feu purifiera-t-il les cieux supérieurs ?
Article 4 :
Tous les éléments terrestres doivent-ils être purifiés par le feu ?
Article 5 :
La dernière conflagration du monde précèdera-t-elle la résurrection des corps ?
Article 6 :
La dernière conflagration suivra-t-elle le jugement ?
Article 7 :
Le feu produira-t-il sur les hommes les effets indiqués par le Maître des
Sentences ?
Article 8 :
Ce feu engloutira-t-il les réprouvés ?
QUESTION 47 :
Le monde nouveau
Article 1 :
La béatitude des élus exige-t-elle quelques biens extérieurs ?
Article 2 :
Une société d’amis est-elle nécessaire à la béatitude ?
Article 3 :
Le monde sera t-il renouvelé ?
Article 4 :
La clarté des corps célestes sera-t-elle augmentée en cette rénovation ?
Article 5 :
Les éléments opaques du monde seront-ils renouvelés par la réception d’une
clarté ?
Article 6 : Y
aura-t-il des plantes et des animaux dans le monde nouveau ?
Article 7 :
Les œuvres artistiques précédemment détruites reparaîtront-elles dans le
monde nouveau ?
QUATRIÈME PARTIE : CE QUI SUIT LA RÉSURRECTION
QUESTION 48 :
Le jugement général de l’humanité
Article 1 :
Le jugement général aura-t-il lieu ?
Article 2 :
Ce jugement aura-t-il lieu oralement ?
Article 3 :
Le jugement aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat ?
Article 1 :
Chaque homme connaîtra-t-il après sa résurrection, les péchés qu’il a commis ?
Article 2 :
Chacun pourra-t-il lire dans la conscience d’autrui tout ce qu’elle renferme ?
QUESTION 50 :
Juges et jugés au jugement général
Article 1 : Y
aura-t-il des hommes qui jugeront avec le Christ ?
Article 2 :
Le pouvoir judiciaire appartient-il à la pauvreté volontaire ?
Article 3 :
Les anges doivent-ils juger ?
Article 4 :
Tous les hommes comparaîtront-ils en jugement ?
Article 5 :
Les bons seront-ils jugés en ce dernier jugement ?
Article 6 :
Les méchants seront-ils jugés ?
Article 7 :
Les anges seront-ils jugés lors du jugement dernier ?
QUESTION 51 :
La forme sous laquelle le juge viendra
Article 1 :
Le Christ nous jugera-t-il sous la forme de son humanité ?
Article 2 :
Le Christ au jugement apparaîtra-t-il sous la forme de son humanité glorieuse ?
Article 3 :
La divinité peut-elle être vue sans jouissance par les méchants ?
QUESTION 52 :
L’état du monde après le jugement
Article 1 :
Après le jugement général doit-on compter deux demeures des hommes et pas une
de plus ?
Article 3 :
La béatitude des saints sera-t-elle plus grande après le jugement qu’auparavant
?
Article 5 :
Le monde demeurera t-il ainsi éternellement ?
INDEX DES PRINCIPAUX LIEUX THÉOLOGIQUES
Le parcours universitaire que j’ai suivi
m’a conduit à m’intéresser successivement à la biologie, à la philosophie et à
la théologie catholique. Ces trois voies m’ont amené à m’interroger sur la
raison des choses, sur l’homme dans son être et sa finalité. La question de la
finalité, particulièrement, a retenu mon attention selon ces approches
distinctes et complémentaires qui constituent trois « sciences », trois savoirs
non opposables : finalité de la vie, de l’homme, au plan humains et chrétiens.
A travers ces diverses recherches, il m’est apparu que cette question était de
la plus haute importance puisqu’elle donne son sens ultime au réel dans son
ensemble. Quelques exemples peuvent illustrer cette découverte : à quoi
sert en définitive à un homme une connaissance parfaite de sa structure
biologique si, dans le même temps, sa « théologie » lui enseigne que l’aventure
de la vie est vouée un jour ou l’autre au néant. Dans sa vie pratique, ne
sera-t-il pas conduit à agir de façon à profiter dans l’urgence d’une liberté
appelée à se dissoudre tôt ou tard ? Comme dit saint Paul[1],
« Mangeons et buvons car demain nous
mourrons. » De même, en biologie, l’organe ne se comprend pas de manière
ultime dans son mode de fonctionnement mais dans sa finalité.
La question de la finalité de ce qui
existe est une question ultime. Or, l’Occident, par sa conduite pratique,
semble lui apporter la réponse suivante : ce monde est sans finalité et l’homme,
terme d’une chaîne de hasards, doit se hâter de vivre avant de retourner au
chaos. Mon activité professionnelle liée à l’enseignement de la philosophie et
de la théologie me confronte quotidiennement à la jeune génération dont le
comportement apparaît de plus en plus concrètement marqué par cette conception
sans espérance. Un film récent intitulé le cercle des poètes disparus a
marqué la jeunesse d’une manière prophétique en lui révélant une sagesse de vie
qui lui correspond : « Carpe Diem,
profite du jour selon toutes les richesses de ton humanité avant que vienne le
soir. »[2]
Mais l’absence quasi universelle de finalité ultime capable de rendre raison de
la présence sur terre ne s’accompagne pas toujours d’une recherche aussi
positive que celle proposée dans ce film. Le fait d’épanouir ses talents en se
servant de la pensée de la mort comme d’un rappel de l’urgence n’est pas donné
à tous. Nous pourrions aller jusqu’à dire que le suicide, tel qu’il est
présenté à la fin du film et qui devient de plus en plus le fléau majeur de nos
sociétés post-chrétiennes, est le cri primal de l’absurdité des espoirs humains
lorsqu’ils ne se fondent pas sur une espérance au-delà de la mort.
Que nos sociétés modernes manquent de
finalité ultime est chose peu surprenante mais force est de constater que les
chrétiens eux-mêmes connaissent une anémie[3]
de la vertu d’espérance. Trop souvent, le christianisme a été réduit à un de
ses effets les plus marquants : la construction ici-bas d’un monde équitable.
La responsabilité première de cette déviation est à rechercher dans le travers
libéral d’un clergé qui n’ose plus parler en chaire de la Vie spirituelle.
Beaucoup de raisons peuvent expliquer ce silence : soucis de s’adapter à un
public déjà laïcisé, absence de certitude sur la nature de l’au-delà... Quelles
que soient les raisons évoquées, force est de constater que l’absence de
prédication des fins dernières[4]
laisse un vide dont la nature a horreur, qu’elle emplit de formes d’espérances
néo-chrétiennes et étrangères à la foi. Ainsi voit-on apparaître chez les
chrétiens eux-mêmes de nouvelles espérances. La plus connue actuellement
(Nouvel Age) s’appuie sur la réincarnation mais n’est pas la première
tentative. Elle est précédée par toutes les formes de messianismes temporels dont
la liste ne cesse de s’allonger : idéologie marxiste baptisée en vue d’un
paradis sur terre, humanismes millénaristes, syncrétismes hindouistes... Il
existe même des sectes dont le fond de commerce est le don d’une espérance
historiquement datée : elles annoncent le retour du Christ avec force de dates.
Elles prophétisent le malheur pour ceux qui n’adhéreront à temps pas à l’arche
de Noé qu’elles s’estiment être. Leurs adeptes sont nombreux et leur adhésion
totale.
La gène d’une partie du clergé face à la
prédication des fins dernières est compréhensible pour d’autres raisons,
d’ordre théologique. Historiquement, depuis un demi-siècle, la doctrine des
fins dernières est en crise. L’interprétation des dogmes et de l’Écriture par
la théologie scolastique est devenue insupportable. Il convient de se souvenir
que la théologie traditionnelle enseignait, jusque dans les années 50, la
séparation éternelle de Dieu des enfants morts sans baptême, la damnation des païens.
Il ne s’agissait pas de conclusions liées à un sectarisme catholique mais, aux
yeux de la plupart des théologiens, de saint Augustin et saint Thomas d’Aquin
en particulier, d’une conséquence nécessaire de la foi. Il semblait en effet
impossible de conclure autrement puisque la foi catholique pose comme une
certitude que nul n’entre au Ciel s’il meurt sans la grâce sanctifiante,
fondement ontologique de la vertu de charité. Or un païen ne peut vivre de la
charité puisque, selon saint Paul[5],
il n’a pas reçu la prédication de l’Évangile. A la suite du long travail de
réflexion entrepris depuis le Concile Vatican II, il est devenu évident qu’un
enfer éternel et largement ouvert aux innocents par la justice du Créateur ne
concorde pas avec Jésus tel qu’il se révèle.
Se pose alors le problème de savoir comment on peut concevoir le salut des
non-chrétiens qui sont sans rapport humain avec ce Verbe fait chair, les textes
conciliaires s'en tenant quant à eux à un vague “par des voies connues de Lui
[Dieu]”, comme la Déclaration Gaudium et Spes le rappelle (§ 21).
Celle-ci “n'entend pas offrir des solutions” (§ 3) mais “indiquer certains
problèmes fondamentaux qui restent ouverts à d'ultérieurs approfondissements. »
Tout
le début du § 3 vaut d'être retranscrit : “De la pratique et de la théorisation
du dialogue entre la foi chrétienne et les autres traditions religieuses,
naissent de nouvelles questions ; il faut les affronter en parcourant de nouvelles pistes d'investigation, en avançant des
propositions et en suggérant des comportements, qui doivent être soumis à un
discernement attentif. La présente Déclaration intervient dans cette recherche
pour rappeler aux Evêques, aux théologiens et à tous les fidèles catholiques
certains contenus doctrinaux essentiels, qui puissent aider la réflexion
théologique à découvrir peu à peu des
solutions conformes aux données de la foi et aptes à répondre aux défis de
la culture contemporaine. »
C'est ce que Un théologien ne dit jamais
qu'il ne sait pas ; Augustin fait
figure d'exception préhistorique lorsqu'il écrit de la raison de la ddd :
“Est-ce pour le salut de tous ceux qu’il a trouvés, ou de quelques-uns
seulement qu’il a jugés digne de ce bienfait ? Je me le demande encore... ce
que je n’ai pu trouver encore, c’est quel bien il a pu apporter, en descendant
dans les enfers, à ceux qui étaient dans le sein d’Abraham et qu’il n’avait
jamais privé de la vision béatifique de sa divinité”[6].
A fortiori, il est exceptionnel de lire
sous une plume théologienne que, dans le futur, un théologien pourrait trouver
une réponse à telle question qui paraît aujourd'hui une énigme. L'attitude
habituelle consiste à inventer des formules subtiles qui donnent l'illusion
d'une explication mais qui, en réalité, renferment une contradiction indépassable.
Les textes conciliaires furent plus sages qui qualifient la manière dont Dieu
sauve en dehors des sacrements de l'Eglise, de modo Deo cognito ou de viis
sibi notis (G.S.
n° 22,5 et A.M. n° 7[7]).
Ce devait sans doute être une manière de prévenir les discussions stériles et
les dérapages sur un tel sujet ; c'est le contraire qui s'est passé, comme on
l'a vu plus haut. De plus, ces formules du type “par des voies connues de Dieu [seul]” laissaient entendre qu'il est
impossible de comprendre le modus salutis
de la plupart des hommes, voire que Dieu nous le dissimulerait délibérément. La
juste compréhension de ces deux passages conciliaires découlent d'un document
largement postérieur – mais il n'est jamais trop tard – : Dominus Iesus. Cette déclaration constitue pour les
théologiens une invitation à chercher et à trouver, et il est exceptionnel
qu'un document romain invite à parcourir de nouvelles pistes d’investigation...
La présente Déclaration intervient dans cette recherche pour rappeler... certains
contenus doctrinaux essentiels, qui puissent aider la réflexion théologique à découvrir peu à peu des solutions
conformes aux données de la foi et aptes à répondre aux défis de la culture
contemporaine” (n° 3 §1).
A la lumière de Dominus Iesus, les deux passages conciliaires relatifs au
salut des non chrétiens doivent désormais être lus comme signifiant : « d'une
manière dont nous sommes actuellement pas en mesure de rendre compte »,
c'est-à-dire dans une perspective invitant à trouver une solution qui existe nécessairement :
« Lorsque viendra l'Esprit de vérité,
il vous fera accéder à la vérité tout entière. » (Jn 16,13)
L’abandon de la réponse scolastique à la
question du,salut des païens laissait un vide. Il convenait donc d’établir une
autre théologie capable de remplacer ce qui était périmé dans l’ancienne. Mu
par le soucis de concorder au plus près avec l’esprit des évangiles, une partie
du clergé catholique se mit à enseigner une thèse diamétralement opposée : la
bonne volonté suffit au salut car Dieu est amour. On a reproché avec raison
à cette conception trop simple d’être marquée par le laïcisme ambiant. Une
théologie qui enseigne une ouverture large et inconditionnelle du paradis à
tous les hommes de bonne volonté et sans autre condition affadit tellement le
sel de l’Évangile qu’il ne reste bientôt plus de la charité théologale qu’une
forme élevée de philanthropie[8].
L’Évangile entre en contradiction avec cette thèse par la bouche de Jésus
lui-même : « Les païens eux-mêmes en font
autant »[9].
D’autres essais ont été tentés. Mais, et nous serons amenés à l’étudier dans
nos prolégomènes, l’étude des systèmes théologiques qui s’efforcent d’expliquer
le salut ou la damnation des hommes et en particulier des païens, ne nous a pas
permis de trouver une solution qui satisfasse avec harmonie à tous les
enseignements évangéliques. Sur un point ou sur un autre, elles rencontrent la
contradiction. Il convient en effet, pour être en phase avec les enseignements
de Jésus de soutenir à la fois la bonté d’une volonté humaine droite[10],
la nécessité absolue pour le salut d’une
naissance d’en haut[11]
qui est plus que la simple bonne volonté, la possibilité pour les païens d’être
sauvés malgré leur mort séparée de la grâce sanctifiante. La difficulté du
débat a été ressentie par la majorité du clergé qui s’est en conséquence
efforcé de ne parler qu’en termes vagues de la manière dont Dieu sauve à
l’heure de la mort. Les conséquences pratiques d’une telle lacune de la
prédication ne cessent de se manifester. Nous l’avons déjà dit.
Quelles qu’elles soient, les théologies du
salut peuvent être classées en trois catégories : celles qui réservent l’entrée
dans la Vie éternelle à la seule charité (Agape
au sens de saint Thomas d’Aquin : amitié d’égalité avec Dieu[12]),
celles qui la réservent aux seuls croyants (adhésion confiante à la parole de
Dieu[13])
et celles, enfin, qui la réservent à tous les hommes de bonne volonté[14]
(ceux qui écoutent la voix de leur conscience, et compte sur une qualification
humaine de leur personne.) Nous préciserons au cours de notre étude ce que nous
entendons sous cette distinction[15].
Les deux premiers systèmes frappent par leur élitisme. Ils sont logiquement
conduits à admettre la damnation de beaucoup car la charité et la foi
théologales sont rares. Aristote l’affirmait déjà : la plupart vivent dans le
sensible[16] à
l’exclusion du spirituel. Quant au troisième système, il conduit à mettre en
doute la nécessité du Christ lui-même.
Comment échapper au dilemme d’une
eschatologie élitiste ou laxiste ? Comment est-il possible de répondre du salut
des hommes selon un regard pleinement évangélique ?
Il nous est alors apparu que la tension de
ce problème ne pouvait être desserrée que de la manière suivante : les païens
ne vont pas en enfer bien qu’ils paraissent mourir sans la charité parce que
tout homme, chrétien ou non, reçoit la possibilité d’aimer Dieu à l’heure de
la mort. Par « heure de la mort », nous entendons, et c’est important, la
durée qui précède la séparation de l’esprit et du corps. Nous essayerons d’établir
que l’amour de Dieu (Agapè) est
proposé à l’homme par une prédication sensible de l’Évangile opérée par
la venue glorieuse du Christ accompagnée des saints et des anges. Il nous est
apparu que les textes concernant la parousie devaient être appliqués non
seulement au domaine de la fin du monde mais aussi à celui de l’heure de la
mort.
L’objet de notre hypothèse consiste
précisément en ceci : démontrer, autant que faire se peut par une méthode
théologique, que le Christ glorieux apparaît à tout homme à l’heure de sa mort.
Nous espérons qu’à la lecture de ce travail, le théologien sera convaincu qu’il
s’agit plus que d’une simple opinion.
PROLÉGOMÈNES
:
Dans une approche théologique (s’appuyant
sur l’histoire de la théologie mais non exclusivement historique), nous
exposerons les plus caractéristiques parmi les conceptions du salut.
L’utilisation diachronique de l’histoire nous permettra de mettre en valeur
l’axe de la recherche : la question du salut des non-chrétiens n’est pas résolue.
Afin de mieux aiguiser le champ de ces recherches, nous ne nous arrêterons pas
aux conceptions marginales ou périmées. Nous montrerons comment la question de
l’enfer ne trouve jamais une solution satisfaisante. Le dilemme entre l’amour
de Dieu qui veut proposer à tous les hommes son salut et le mystère de la
damnation éternelle suscite nombre de théories mais aucune ne satisfait
pleinement l’esprit.
Trois grandes tentatives d’explication
retiendront notre attention :
Le salut par la charité (saint
Augustin, saint Thomas d’Aquin, Concile de Trente.)
Nous entendons par charité sa définition
thomiste : un amour d’amitié envers
Dieu parce qu’il est Dieu et envers son prochain par amour de Dieu.
Existentiellement, le premier exercice de la charité est manifeste dans le cœur
à cœur d’un dialogue avec Dieu (la prière.)
Le salut par la foi (thèse
principalement soutenue par les Réformés, Luther, Calvin, mais aussi par
l’Islam bien que le rôle des œuvres y est différent.)
Nous entendons la foi au sens de Luther :
une confiance absolue en Dieu qui nous sauve gratuitement, quelles que soient
les œuvres. Il est intéressant de remarquer que la foi confiante peut exister
sans la charité, de même qu’un serviteur peut avoir parfaitement confiance en
son maître et l’aimer profondément sans oser l’aimer comme un ami. L’amitié
implique en effet d’être l’égal de son ami. Il existe donc une distinction, qui
n’a pas échappé à Luther, entre foi et charité.
Le salut par la bonne volonté
(Modernes.)
Par bonne volonté, nous entendons tout
type de comportement en harmonie avec la conscience morale naturelle et subjective de chacun, cette conscience naturelle
n’ayant pas nécessairement de rapport explicite avec l’existence de Dieu. Selon
cette théologie, tout homme agissant en rectitude avec ce qu’il dénomme le bien
et le mal mérite d’entrer dans la gloire à cause même de sa rectitude morale et
sans autre condition.
Nous avons choisi d’exposer les grandes
conceptions du salut et de l’heure de la mort sous ces trois rubriques. Nous
établirons ultérieurement qu’elles constituent une bonne division car assez
complète des théologies du salut. Elles nous paraissent donner une vision
synthétique digne de prolégomènes. En effet, l’objet de ce prologue n’est pas
directement notre hypothèse mais plutôt la manifestation de son importance.
Nous aurions pu exposer à la suite une série d’auteurs ayant traité de l’heure
de la mort et du salut. Cela eût été à la fois moins adapté à notre but et
moins clair au plan théologique. Le rapport entre salut, grâce et nature est,
nous le verrons, au cœur de notre hypothèse. Il convient de le manifester sans
attendre.
PREMIÈRE PARTIE : Approche démonstrative théologique
Elle constitue la partie la plus
importante de notre recherche car c’est sur elle et non sur la suite des
arguments simplement probables que
nous fondons notre certitude. Nous procéderons à une approche démonstrative théologique
concernant la nécessité du retour du Christ à l’heure de la mort (cette « heure
de la mort » n’étant pas celle qui suit la séparation de l’âme et du corps mais
celle qui la précède.)
Par approche
démonstrative théologique, nous entendons un raisonnement certain. En
science ou en philosophie, nous nous serions appuyés en premier lieu sur
l’expérience du réel, puis sur des raisonnements de l’intelligence.
L’utilisation d’un exemple peut rendre plus clair notre assertion. Ainsi, on a
pu démontrer l’existence de la planète Pluton en observant la déviation d’une
autre planète (fondement expérimental) puis en calculant la place théorique de
la cause déviante (raisonnement impliquant ici une induction -s’il y a effet,
il y a cause-, un jugement d’existence sur cette cause et un calcul de son
emplacement). L’observation au télescope n’est venue qu’après.
Une approche démonstrative théologique est
analogue à ceci près qu’elle s’appuie sur la foi. Elle ne s’appuie pas en
premier lieu sur l’expérience mais sur la certitude de la vérité de la Parole
de Dieu qui se révèle et ne peut mentir. « L'annonce
eschatologique chrétienne puise sa force dans le Dieu vivant et n'est
compréhensible que dans la foi. Si nous croyons en Dieu et au lien vital qui
nous relie à lui, nous avons l'assurance la plus totale que notre vie
personnelle, que notre moi, se poursuivra en lui. Un christianisme purement
horizontal n’est plus un christianisme. »[17]
La réponse de l’homme à cette révélation est la foi. Or la certitude de la foi,
si elle s’appuie sur Dieu qui ne ment pas, passe par des instruments humains
qui peuvent être source d’ambiguïtés et d’erreurs. En ce qui concerne
l’Écriture Sainte, l’exégèse historique et critique est un outil qui peut aider
à approcher une certitude de type théologique. Cependant, au-delà de son rôle
instrumental (instrumental car la foi a besoin d’une certitude autre que la
démarche historique et critique), le lieu théologique de la certitude se
trouve, au moins dans une perspective catholique, dans la conjonction entre
trois voies de connaissance : Les deux plus importantes sont 1) le sens
littéral de l’Écriture et 2) sa confirmation par la Tradition des saints.
Lorsque, confirmant ces deux voies, 3) le Magistère de l’Église s’est prononcé
à travers une définition solennelle, nous touchons à l’absolue certitude de la foi. Quand l’Écriture Sainte, la
Tradition et le Magistère solennel s’unissent pour affirmer la vérité d’une
proposition de foi, il est alors possible pour le théologien de s’appuyer avec
une certitude quasi « native », comme en direct, sur la Parole de Dieu qui ne
ment pas. Nous estimons que cette conjonction, qui n’est pas si fréquente en
théologie, constitue un fondement aussi certain que celui de l’expérimentation
pour le scientifique. En ce sens, une fois le fondement établi, si notre
raisonnement par induction ou déduction est valide, il nous parait possible de
parler d’approche démonstrative
théologique. Saint Thomas d’Aquin utilisa souvent cette méthode. Dans la
grande majorité des cas, l’histoire des dogmes qui ont suivi sa mort montre
qu’il avait choisi la bonne voie. Pourtant, il s’est parfois trompé. A cet
égard, son raisonnement sur le péché originel en Marie est significatif de la
limite des raisonnements de type « théologie scientifique » face au mystère de
l’amour de Dieu. » Puisque tout homme est
sauvé par le Christ, disait saint Thomas d’Aquin, si Marie est immaculée dans sa conception, c’est qu’elle échappe à
cette règle. Donc Marie est née avec la tâche originelle »[18].
Il s’est trompé. Son erreur n’est pas dogmatique (tout homme est sauvé par le
Christ) mais dans le raisonnement logique qui suit le dogme et qui oublie une
possibilité : qui peut empêcher Dieu de sauver par anticipation ?
Dans le projet qui est le nôtre, nous
avons conscience de ce risque d’erreur : notre méthode démonstrative s’appuie
sur la Parole de Dieu solennellement confirmée avec le souci d’établir avec
précision ce qui, dans cette Parole, a été défini de manière sûre et précise
par le Magistère. Dans cette première approche, il est relativement aisé de ne
pas se tromper et de ne pas confondre un dogme certain avec une opinion
débattue. Certes, une nouvelle génération de théologiens discute de la
nécessité de soumettre les dogmes solennellement définis à une exégèse
historique et critique. Quitte à paraître un peu marginal aujourd’hui, nous
estimons que ce n’est pas nécessaire pour ceux que nous utiliserons. Les textes
dogmatiques du Magistère, jusqu’au
Concile Vatican II inclus, ne sont en général situés historiquement que par
rapport au contexte qui a conduit l’Église à les rédiger. Mais leur contenu est
présenté avec une précision quasi juridique qui évite les contresens. D’autres
théologiens estiment qu’on ne peut plus, à l’heure actuelle, s’appuyer sur les
dogmes en théologie. Nous les laissons à leur responsabilité. Pour notre part,
nous préférons donner à ces repères la place importante que leur laisse Lumen Gentium : n’étant jamais allé
vérifier ce qui se passe dans l’autre monde, il nous paraît pratique et sensé
de nous appuyer fermement sur ce que l’Esprit Saint en a dit. Puisque le
Magistère a reçu de Dieu le ministère de confirmer aux croyants que c’est bien
l’Esprit qui a parlé et ce qu’il a voulu dire, il serait bien dommage de se
passer de cette aide précieuse.
Ce n’est que dans un deuxième temps que le
risque d’erreur apparaît. Appuyé sur la foi et sur l’esprit qui infuse cette
foi (nous entendons par-là l’amour, Agapè),
le théologien est conduit à raisonner. Ce raisonnement reste humain, à la
mesure des pensées limitées de l’homme, conditionné par l’analogie de la foi.
Est-ce à dire que le théologien ne peut que conjecturer la vérité de sa
découverte ? En science positive, il existe un critère qui permet de présumer
de la validité d’une théorie : C’est la prédictibilité. Une hypothèse
qui permet d’établir d’autres conclusions elles-mêmes vérifiables, est fort
probablement vraie. Ainsi, la théorie de la relativité généralisée découverte
par Einstein à partir de calculs mathématiques théoriques permit de prévoir des
applications concrètes qui se révélèrent par la suite vérifiées. En théologie,
dans le domaine des fins dernières, nous ne pourrons malheureusement vérifier
le réel qu’en passant par la mort. Cependant, en deçà de cette expérience, il
existe une série de données enseignées avec certitude par l’Écriture et
confirmées par le Magistère (possibilité de l’enfer éternel, sous réserve de
blasphème contre le Saint Esprit, purgatoire pour les saints après la mort,
possibilité du salut des païens selon des voies connues de Dieu (GS 22) etc.)
Or notre hypothèse permet de rendre raison de manière limpide, simple et pacifiante de ces dogmes difficiles[19].
L’intelligence et la foi ne peut qu’être frappée par l’harmonie totale[20]
du traité des fins dernières si on lui ajoute l’hypothèse dont nous parlons :
une parousie glorieuse du Christ pour tout homme à la fin de la vie terrestre.
Abordons maintenant de manière résumée la
démarche démonstrative qui sera la nôtre. Voici, en premier lieu, le fondement
dogmatique sur lequel nous choisissons de nous appuyer parce que,
objectivement, nous ne pouvons pas faire autrement comme croyant[21] :
1- La charité
seule introduite dans la vision de Dieu ;
2- Dieu propose à tous cette charité afin que tous puissent être sauvés ;
3- Il la propose avant la mort, c’est-à-dire durant notre vie terrestre, alors que
notre âme est unie à notre corps ;
4- AUSSITÔT
après la mort, sans délai, l’âme qui n’est pas en état de charité est en
état de damnation éternelle.
Nous présenterons dans un premier temps la
certitude de ces quatre points. Par
certitude, nous entendons qu’ils réunissent tous les critères permettant
d’affirmer qu’ils sont Parole de Dieu et non une simple opinion théologique
(concordance entre sens littéral de l’Écriture, Tradition, Magistère.) Dans un
second temps, nous expliciterons leur signification
dans la rigueur d’un langage théologique dépouillé. Nous isolerons avec
précision, à la base des conceptions citées en prolégomènes, ce qui constitue
le domaine de la foi et ce qui est interprétation de la foi. Cette démarche
devra être effectuée avec une grande rigueur, en confrontant l’ensemble des
textes du Magistère et en tenant compte de leur degré d’autorité. C’est en
effet très souvent à cause d’un manque de précision dans ce travail, provoqué
la plupart du temps par une théorie théologique présupposée et a priori, que le reste des recherches
prend une option déviante. Or c’est principalement sur la base de ce travail
d’isolement que veut se fonder la scientificité théologique du reste de notre
recherche.
Appuyé sur ces bases, nous établirons
notre hypothèse. La mineure de notre approche démonstrative ne sera pas un
article de foi mais une constatation d’ordre expérimental :
« Des
millions d’hommes de jadis et d’aujourd’hui meurent sans avoir seulement
soupçonné l’existence d’un Dieu d’amour. Ils meurent donc sans la charité
(comment aimer Dieu sans le connaître), alors que l’Évangile nous dit que Dieu
veut proposer le salut à tout homme. Sont-ils donc damnés pour l’éternité tel
que semble l’affirmer le quatrième article cité ? »
Oui, répondaient saint Augustin et saint
Thomas d’Aquin à leur cœur défendant. Non, dirons-nous, d’où notre hypothèse.
Sont-ils sauvés par la seule force de leur volonté droite, sans l’amour de
charité ? Oui, répondent beaucoup de théologiens contemporains. Non,
affirmerons-nous, d’où encore une fois la nécessité de notre hypothèse : « Le retour du Christ en gloire est un
événement qui concerne non seulement la fin du monde mais aussi l’heure de la
mort individuelle. »
Nous manifesterons la nécessité d’un choix
libre et définitif, condition nécessaire à l’entrée dans la Vision éternelle de
Dieu ou dans le refus éternel de cette vision. Nous distinguerons notre propos
de celui de Ladislas BOROS sur l’option finale[22]
qu’il situe après la mort[23].
Arrivé à ce point de l’exposition résumée
de notre hypothèse, une objection peut être formulée : est-il légitime de
raisonner en s’appuyant sur une majeure dogmatique et une mineure expérimentale
? Il semble illégitime de mélanger les genres.
Cette objection n’est pas nouvelle : elle
fut adressée à saint Thomas d’Aquin qui fut même un temps condamné par ses
paires théologiens pour avoir introduit en théologie des données philosophiques
d’Aristote. Ce grand théologien se serait sans doute justifié ainsi : Dieu est
l’auteur de tout le réel. Il est à la fois le Créateur des anges que nulle
philosophie expérimentale ne peut connaître, et des plantes qu’on peut examiner
au microscope. Ainsi, quel que soit le mode par lequel l’homme parvient à la
connaissance du réel, que ce soit par les seules forces de son intelligence ou
en s’appuyant sur la révélation, il ne peut y avoir contradiction. Le réel ne
se contredit jamais. S’il y a contradiction, ce peut être parce que l’homme
appelle « foi » ce qui n’est qu’opinion théologique ou qu’il appelle « science
» ce qui n’est qu’erreur philosophique. Il est donc possible pour le théologien
de mélanger les genres, d’appeler son expérience au service de sa foi. Saint
François de Sales l’enseigne : « La foi
et la raison doivent marcher ensemble comme deux affectionnées. » Non
seulement cette attitude est possible mais elle est nécessaire pour le service
de la « science des sciences » qu’est la théologie. Mais cette synthèse
harmonieuse est difficile. On a rarement égalé en ce domaine le « Docteur
commun. »
DEUXIÈME PARTIE : Témoignages à l’appui.
Dans un domaine aussi pratique que celui
que nous abordons, la puissance d’un raisonnement ne saurait suffire. Il paraît
nécessaire qu’une certaine base traditionnelle étaye le propos. Lorsqu’une
thèse est totalement étrangère à l’Écriture Sainte ou à la Tradition de
l’Église, ne risque-t-elle d’être considérée comme une opinion marginale ?
C’est pourquoi, dans cette deuxième partie, nous rechercherons ce qui dans
l’Ecriture Sainte, dans l’expérience ou les écrits des saints, des théologiens,
correspond à notre hypothèse.
L’Écriture Sainte en parle-t-elle
explicitement ou implicitement ? Là encore notre recherche sera très pauvre :
aucun texte explicite n’existe mais seulement plusieurs textes du discours
eschatologique où Jésus semble unir l’annonce de la fin du monde, l’annonce de
la mort individuelle ou de la ruine du temple de Jérusalem. Ces textes ne
peuvent constituer une preuve car, comme le dit saint Thomas d’Aquin, « seul le sens littéral et explicite a valeur
de fondement de foi »[24].
La Tradition de l’Eglise, représentée en
particulier par les saints canonisés ou les théologiens reconnus en
parle-t-elle explicitement ou implicitement ? Nous ne nous appuierons pas
excessivement sur ces témoignages. En effet, les saints et les théologiens se
contredisent trop souvent entre eux pour constituer une preuve. Ils constituent
simplement un signe manifestant que notre hypothèse, quoique nouvelle, n’est
pas radicalement étrangère à l’Église.
Enfin, toujours dans un souci
d’élargissement des bases de la thèse, il nous faudra rechercher hors du
domaine de l’Eglise : Que disent les autres religions ? Existe-t-il des
témoignages paranormaux de l’approche de la mort ? Que penser des récits
nombreux de ceux qui ont approché la mort et vécu à cette occasion une
expérience de lumière ? Depuis quelques années, grâce surtout aux études du
Docteur en Psychiatrie Raymond Moody, ce genre de témoignages s’est imposé à la
connaissance du public au point de devenir l’un des sujets paranormaux les plus
en vogue. Les opinions des scientifiques et des théologiens divergent : effet
subjectif du cerveau en détresse ? Réelle expérience mystique[25] ?
Cet aspect de notre étude nous parait particulièrement important. S’il peut
exister une approche de type expérimental de l’heure de la mort et des
événements qui se produisent, si des témoins nombreux et critiquables se
révèlent dignes de crédibilité au terme d’une enquête policière sur leur
témoignage, alors la recherche philosophique vient croiser ma recherche
théologique. Les points d’intersection entre ces domaines de connaissance sont
rares et intéressants.
TROISIÈME PARTIE : Où se construit l’harmonie d’un traité
théologique.
Notre hypothèse ouvre la voie à la
rédaction d’un traité des fins dernières, à la fois harmonieux avec lui-même et
avec l’ensemble de l’enseignement évangélique (l’amour de Dieu, la possibilité
réelle d’un enfer éternel, le blasphème contre l’Esprit de ceux qui se damnent,
le silence de Dieu, la souffrance, le purgatoire, la persistance des autres religions
après la venue du Christ, le développement permis par Dieu des athéismes etc.)
C’est par cette ouverture que nous conclurons la rédaction de notre hypothèse.
La question de la mort, en particulier, sera l’objet de notre attention ; De
cette manière, si nous n’avons su convaincre entièrement le lecteur de la
nécessité de l’hypothèse que nous défendons, nous espérons cependant en avoir
manifesté la très grande probabilité. Lorsqu’un traité s’harmonise avec la foi
en un Dieu d’amour et de lumière au point de constituer un appel à la
contemplation, lorsqu’il donne de plus une explication évangélique à des
énigmes jusque là sans réponses c’est qu’il ne manque pas d’intérêt.
Le
dilemme suivant est-il réellement insoluble ?
« Ou le christianisme est nécessaire pour le salut, et vous êtes obligé
de damner tous les millions d’hommes qui sont venus au monde sans le Christ ;
ou bien vous direz qu’ils peuvent être sauvés, mais alors le christianisme
n’est pas nécessaire au salut et toutes les religions païennes valaient autant!
»[27]
Au cours de notre introduction, nous avons suggéré
les difficultés des grandes théologies chrétiennes sur la question du salut des
non-chrétiens. Nous voudrions montrer comment de grandes traditions
chrétiennes, dans la mesure où elles gardent la conviction que le salut éternel
consiste dans la Vision face à face de la Trinité (nous ne voulons pas aborder
les messianismes temporels, notre sujet étant axé sur une question d’ordre spirituel),
ont imaginé le chemin nécessaire pour y accéder. Nous voudrions surtout
manifester les limites ou même les contradictions de ces systèmes pour la
question du salut de ceux du dehors. Cette partie préparatoire vise à établir
d’une manière critique la nécessité de continuer la recherche en ce domaine,
car l’Évangile du Christ ne peut se contenter d’à-peu-près pour des questions
aussi essentielles.
Appuyés
sur la révélation contenue dans l’Écriture Sainte, parfois aussi sur la
tradition des anciens, des théologiens se sont efforcés de discerner les
conditions spirituelles voulues par Dieu pour que l’homme puisse être introduit
dans son Mystère. Ce domaine de réflexion est l’un des plus fondamentaux de la
théologie. Le débat sur la place de la grâce et de la nature est central. Il
est aussi l’un des plus débattus depuis le début de l’Église au point qu’il est
impossible d’en faire l’exposé complet.
Mais,
au-delà des foisonnements des systèmes théologiques en ce domaine, il est
possible de discerner trois grandes orientations. Ces courants sont
discernables dès le début de l’Église et réapparaissent périodiquement jusqu’à
notre époque dans les débats théologiques.
Le
courant le plus traditionnel dans les Églises chrétiennes, issu de la majorité
des Pères de l’Église, systématisé dans l’Église latine par saint Augustin,
rationalisé par saint Thomas d’Aquin, canonisé par le Concile de Trente,
consiste à montrer que le salut ne peut être obtenu qu’en raison de l’amour
surnaturel appelé par saint Paul la charité[28]. La charité est un amour d’amitié où Dieu
et l’homme se donnent réciproquement. Elle est l’acte surnaturel par excellence
puisque l’homme doit être élevé au niveau de la surnature de Dieu, Dieu
s’abaissant au niveau de l’homme. L’amitié, disait Aristote, ne peut exister
entre un supérieur et un inférieur mais entre deux égaux, d’où cet équilibrage
réalisé par la grâce pour que puisse exister la charité.
Pour
d’autres, à la suite de Luther et des réformés, l’homme est certain de recevoir
la gloire dans l’autre monde s’il constate qu’il éprouve pour Dieu une foi confiante[29]. La foi confiante est la seule attitude
religieuse dont est capable un homme qui connaît par Révélation l’existence de
Dieu et son amour. Pour Luther et ses disciples, l’homme est définitivement
incapable de tout acte bon personnel depuis le péché originel[30]. Lorsqu’un homme découvre par un don de
la grâce qu’il a été créé par un Dieu personnel et sauvé par l’incarnation et
la passion de son Fils, il peut l’adorer puis se tourner vers lui et lui
remettre sa confiance. Il agit passivement, tel un enfant. Il remet à Dieu sa
confiance et sa reconnaissance pour le salut qu’il sait avoir reçu sans aucun
acte de sa part, avant ou après. Cette attitude est louée par l’Écriture : « L’homme doit croire que Dieu existe et se
fait rémunérateur de ceux qui le cherchent[31]. » Cette foi n’implique pas la charité au
sens catholique du terme. L’amour qu’elle contient n’est pas une amitié d’égal
à égal, mais une attitude confiante de d’enfant sauvé à son Père miséricordieux[32]. Si la confiance est nécessaire pour
qu’existe l’amitié, la confiance ne conduit pas toujours à l’amitié. Jésus
établit cette distinction : « Je ne vous
appelle plus serviteurs mais amis »[33]. Pourtant, un serviteur peut avoir
confiance en son maître. La Doctrine luthérienne pense qu’il est possible à
l’homme de dépasser le statut du serviteur[34]. Mais ils bloquent la relation à Dieu à
celle que peut avoir un enfant dénué de liberté envers son Père qu’il aime. Les
catholiques parlent donc de la foi qui sauve en l’identifiant à la charité. Les
réformés l’identifient à la confiance de l’enfant. La distinction
foi—charité-active d’avec la foi—confiance-passive nous paraît tout à fait
justifiée puisqu’elle est reconnue explicitement par les protagonistes de
l’époque de la Réforme, du côté de Luther[35] et du Concile de Trente[36]. Il est vrai que la problématique
actuelle entre réformés et catholiques s’est déplacée. Le sens des mots a
changé de part et d’autre. Mais la problématique du passé intéresse notre
recherche.
Enfin,
une troisième orientation considère le salut acquis pour tout homme de bonne volonté. La notion de bonne
volonté a pris plusieurs sens au cours des crises de l’histoire. Les deux plus
connus sont chez Pélage une volonté conquérante de la vertu ou, comme
l’enseigne une grande part des théologiens contemporains[37], une bonne volonté fragile et
conditionnée par les faiblesses humaines. La bonne volonté est le fait de tout
homme droit qui écoute sa conscience. L’athée lui-même peut agir en homme
droit. La conscience morale n’est pas l’apanage de l’homme religieux. Elle peut
s’établir dans les amitiés humaines. La bonne volonté ne nécessite ni la foi ni
la charité. Elle est l’acte d’un homme droit, s’appuyant sur ses capacités
intellectuelles et spirituelles naturelles. L’Évangile reconnaît la valeur
d’actes humains bons et différents des actes spécifiquement chrétiens : « Les païens eux-mêmes en font autant. » [38]. Quant à cette distinction charité-foi
d’une part, bonne volonté d’autre part, elle reprend la confrontation ancienne
comme l’Église et toujours actuelle entre nature et grâce. Au cours de
l’histoire, cette distinction s’est déclinée de manière diverse mais elle est
toujours apparue profondément encrée dans le judéo-christianisme.
Dans
le cadre de cette première approche, nous avons esquissé cette distinction
traditionnelle et thomiste[39] entre charité, foi confiante et bonne
volonté[40]. Elle apparaîtra dans toute sa clarté et
jusque dans ses conséquences à la fin de nos prolégomènes.
Il
est aisé de se rendre compte que la division des théologies du salut selon la
valeur rédemptrice attribuée à ces trois attitudes est valide car exhaustive :
elle englobe tout acte humain volontaire ; Elle s’étend même plus loin que le
domaine des théologies chrétiennes et peut rendre compte de toutes les
religions et Sagesses. La théologie islamique du salut, par exemple, se
distingue de la conception catholique par son rejet de la charité, l’idée même
de cette vertu théologale lui paraissant constituer un crime de lèse-majesté
contre Dieu : qui est l’homme pour prétendre à une amitié d’égalité avec le
Tout-Puissant ? Pour le musulman, le salut est une question de foi confiante en Dieu, considéré comme
le Créateur miséricordieux et transcendant, à travers une attitude religieuse
de soumission et comportement humainement droit envers l’autre. Le bouddhisme,
quant à lui, même s’il n’attend pas un salut personnel à travers la rencontre
avec Dieu, passe par une conquête constante et volontaire de la part de l’homme
: la volonté droite, naturelle, de
l’homme joue un rôle primordial. Dans notre terminologie, nous devrions dire
que le bouddhiste échappe aux réincarnations par un travail d’ascèse qui rend
sa volonté droite et harmonieuse à l’univers. Dans sa conscience, s’il se fond
dans l’extinction de toutes les passions de souffrance, s’il entre en vibration
paisible avec ce qu’il est (le grand Tout, l’univers), alors il est de bonne
volonté. Nous pourrions multiplier les exemples. Nous pourrions manifester aussi
que toute attitude humaine morale peut être classée sous un de ces trois
niveaux éthiques qui sont :
1)
Les éthiques humaines, naturelles,
fondées sur les rapports existentiels de l’homme avec les autres hommes et avec
l’univers ;
2) Les éthiques religieuses fondées sur le
rapport de l’homme avec son Créateur (monothéisme) ou ses dieux (polythéisme.)
Il importe peu dans ce domaine de savoir si l’homme à découvert sa religion par
lui-même ou par un don gracieux de la Révélation, l’essentiel étant l’apparition
d’une réponse religieuse passive de confiance et d’amour révérenciel du
Tout-Autre transcendant (ce que nous avons appelé la foi confiante) ;
3)
Il existe enfin une éthique surnaturelle
spécifiée par la charité, amour du Tout-Autre se faisant proche comme un ami,
et qui exige une surélévation au-dessus de la condition de créature. Cet amour
là est aussi différent du précédent que peut l’être l’amour d’un enfant et
l’amour d’une épouse.
Que
nul ne puisse entrer dans la gloire sans aimer Dieu pour lui-même à travers cet
amour particulier appelé charité et que saint Thomas d’Aquin décrit comme une
amitié[41], voici la conception la plus ancienne et
la plus traditionnelle de la théologie chrétienne, (orthodoxe, catholique). En
Occident, elle fut magistralement enseignée par saint Augustin et, à sa suite,
par la scolastique dans son ensemble. Elle s’identifie avec la théologie
catholique avec, à son terme, les écrits de H.U. von Balthasar[42].
Pour
cette étude, nous nous sommes inspirées des auteurs suivants : saint Augustin,
saint Thomas d’Aquin, sainte Thérèse d’Avila, Mgr Glorieux, Ladislas Boros,
Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Charles Journet, H. U von Balthasar[43]. Cette liste est étrange par son
caractère méta-historique. C’est que, au plan des conceptions théologiques en
ce domaine, Balthasar est plus proche de saint Augustin que son contemporain
Pélage. Ils n’ont en commun ni l’époque, ni le genre littéraire. Mais tous se
rejoignent pour placer les deux commandements de la charité au principe (comme
source de toute intelligibilité) de leur enseignement moral et mystique. Le
fait de les confronter ainsi, sans prendre garde à la chronologie, peut
paraître illégitime en ce siècle où la méthodologie exige que tout soit situé
historiquement. Il est cependant certains domaines où le temps interfère peu :
la modalité du langage employé diffère mais la doctrine sous-jacente est
fondamentalement la même. De par leur interprétation de l’Écriture en cette
matière, ces divers auteurs sont au-delà du temps.
Ces
penseurs s’unissent dans la reconnaissance unanime que la révélation
judéo-chrétienne est identifiée à celle de l’amour (Agapè) de Dieu pour les hommes conjointement à celle de la
possibilité pour l’homme d’aimer (Agapen)
Dieu en retours comme on aime un ami.
La
source de cette étonnante relation au Créateur leur semble venir de la nature
même de Dieu : l’amour de charité tel qu’il est vécu en Dieu et proposé à
l’homme dépasse tout ce qui peut être imaginé puisqu’il s’identifie à la nature
infinie de Dieu et ne trouve qu’une manifestation limitée donc nécessairement
inadéquate dans la passion du Christ. Cette charité éternelle et incréée est
source des actions extérieures de Dieu (création, sanctification.) Le premier
acte extra-trinitaire, selon un ordre génétique, dans lequel transparaît
l’amour de Dieu, est la création. Dieu qui est parfait ne crée pas pour
s’accomplir à la manière de l’homme mais dans une gratuité absolue qui n’a
d’autre raison que le don de lui-même.
La
finalité de ce premier acte est dans un second, premier selon l’ordre de
perfection, réservé aux seules créatures spirituelles. Dieu veut se donner dans
une vie de charité réciproque semblable, autant que faire se peut pour des
natures créées, à la charité trinitaire. L’union offerte trouve son modèle dans
l’union éternelle et non créée des personnes de la Trinité entre elles. Pour
une créature, il ne peut exister d’union plus proche de ce modèle que celle de
la vision béatifique. Mais cette vision ne peut être obtenue par autre chose
qu’un amour de qualité analogiquement semblable à l’amour intratrinitaire.
Selon ces auteurs, nul n’entre dans la gloire sans aimer Dieu d’une amitié
intime, à la manière dont les Personnes s’aiment entre elles. Tel est donc le
projet ultime qui explique de la part de Dieu la création gratuite de tout
esprit, ange ou homme.
Mais
pour que puisse exister un tel amour d’amitié, dont la propriété première est
d’être, à l’image des amitiés humaines les plus nobles, totalement libre de la
part de la créature, certaines conditions sont présupposées : là où se trouve
un esprit créé, Dieu se révèle en vue de s’unir amoureusement avec cet esprit.
En effet, pour que l’amitié puisse naître, il est nécessaire en premier lieu
que l’existence de l’ami et la possibilité de l’aimer de cette manière soient
connues. A cette révélation de Dieu, toujours première et don de sa grâce, la
créature répond par la foi au sens de connaissance de ce que Dieu révèle.
Appuyée sur la confiance dans la vérité de cette révélation, si la créature y
consent dans sa liberté, cette foi peut alors s’épanouir dans une autre foi
(appelée par saint Thomas d’Aquin la foi confiante) et qui n’est autre
qu’un premier amour reconnaissant. Cette confiance peut se concrétiser dans
l’expérience en la créature d’une présence d’habitation affective. Dieu est là,
tout proche, à l’intersection entre la conscience et la foi. En dernier lieu,
cette confiance peut elle-même s’épanouir en amitié. Si la créature a l’audace
de s’adresser à son Dieu comme à son ami, d’égal à égal dans un amour de
réciprocité fondé sur l’édifice précédant, il entre dans la vie de la grâce
sanctifiante. Cela se concrétise selon les mystiques dans une vie d’oraison du
cœur. « Je l’avise et il m’avise », disait un paroissien du Curé d’Ars.
Saint
Thomas d’Aquin[44], conscient de la valeur surnaturelle de
la charité, montre que son existence même présuppose une surélévation de l’âme
au-dessus de ses possibilités naturelles. C’est le rôle, selon lui, de la grâce
sanctifiante qui transforme et surélève en rendant possible une vie avec la
surnature de Dieu. L’existence de la grâce sanctifiante a été posée en premier
par saint Augustin dans sa controverse avec Pélage pour expliquer la possibilité
d’un rapport d’égalité entre deux natures infiniment éloignées l’une de
l’autre. Dès qu’il y a état de grâce, il y a habitation des personnes divines
et dès qu’il y a habitation, celle-ci produit elle-même dans l’esprit ce qui la
rend possible, à savoir la grâce sanctifiante. La grâce vient dans l’essence de
l’âme puis répand dans les vertus théologales déjà existantes, surélevant la
foi jusqu’ici source de confiance en un Dieu proche mais inaccessible en une
foi amoureuse d’un Dieu « amant de l’âme. » De même, l’espérance est vivifiée
dans la volonté, la charité lui donnant un réalisme qui ressemble à une
nouvelle naissance. Nicodème, ce fils éminent de la sagesse d’Israël, possédait
les vertus théologales de foi et d’espérance mais était considéré par Jésus
comme non encore né tant qu’elles n’étaient pas transfigurées par la
charité.
La
justification est un terme
théologique dont l’origine évangélique[45] a reçu l’interprétation suivante en
théologie scolastique : l’acte par lequel Dieu « transfère » dans l’état de
grâce celui qui vivait loin de sa présence d’habitation. Par la charité,
l’homme passe de l’état de non-justice par rapport à Dieu à l’état de justice
ou de sainteté. La justification est un acte de la volonté libre de Dieu, qui
répond à la réponse audacieuse de l’homme selon l’adage de saint Augustin : « Dieu qui t’a créé sans toi ne te justifiera
pas sans toi. » L’homme étant un être libre, Dieu le meut en actionnant son
libre arbitre, et d’un libre oui à un autre, il le conduit, si l’homme ne refuse
pas ces motions, jusqu’au oui de la justification où fond en lui la grâce
décisive, celle qui rend possible l’exercice d’une charité réciproque.
La
grâce de Dieu vient toujours prévenir l’homme et elle le pousse pas à pas vers
la justification. Les voies peuvent être diverses mais commencent toujours par
une certaine prise de conscience de Dieu. En ce sens, la foi (entendue ici
comme une simple connaissance) est la racine de la justification. Puis vient
l’espérance en Dieu, espérance dans sa Parole qui ne peut manquer de tenir les
promesses crues par la foi. Unies entre elles, la foi-connaissance et
l’espérance forment une attitude théologale que des spirituels comme Luther
appellent « Foi. » Il s’agit de la foi
confiante dont nous avons exposé précédemment l’existence et qui a pris
depuis la Réforme une grande importance. Il est clair que l’utilisation par
l’Écriture Sainte du mot foi en des sens très différents ne rend pas facile la
tâche du théologien. Pour les auteurs cités dans cette section, si les voies de
la justification sont préparées par l’espérance en la miséricorde mais la grâce
ultime, la seule grâce qui en définitive compte et est vie, consiste dans
l’expérience mystique d’une amitié avec la Trinité rendue possible par la charité. La justification est donc
spécifiée pour ces auteurs par le premier acte d’amour d’amitié envers Dieu.
Cet acte, quel que soit son peu d’intensité, implique une union d’égalité et de
réciprocité. L’amour existait avant mais, n’ayant pas eu l’audace de se séparer
de la distance respectueuse de la créature, puis de l’enfant devant la
transcendance du Créateur et du Père, il ne pouvait être qualifié de charité.
Il demeurait une forme religieuse de l’amour (aimer Dieu en tant que Créateur)
ou un exercice théologal de la foi et non une amitié réciproque (vertu
théologale de charité). On le voit, aux yeux de ces auteurs, la spécifité des
religions catholiques et orthodoxes est à la fois une notion enfantine (car
l’audace d’un tel amour mérite l’inconscience de l’enfant) et impliquant une
maturité d’adulte (car l’amitié ne peut être vécue de manière vraie que par une
personne morte aux autres motifs d’affection : plaisir et utilité.) L’amitié
est chose très rare et pure. La charité étant une amitié théologale, l’Eglise a
toujours affirmé qu’il était impossible à un homme de savoir s’il aimait Dieu
de cette manière[46]. La charité ne cesse de s’affiner au
cours d’une vie, à mesure qu’elle est détachée de ce qui la pollue et la rend
moins noble. Il faut du temps pour passer d’un amour intéressé (même
inconsciemment) à l’amour d’amitié total, où seul l’autre compte. Cette
évolution fut magistralement décrite par les Docteurs mystiques Thérèse d’Avila
et Jean de la Croix.
Par
rapport au sujet qui nous intéresse, la doctrine du mérite est éclairante[47]. Elle enseigne que la grâce sanctifiante
mise en l’homme par Dieu mérite à ses yeux selon
la justice qu’il a lui-même établi d’être récompensée au terme de la vie
terrestre par l’obtention de la vision béatifique. L’union affective rendue
possible par la grâce sanctifiante et la charité s’ouvre avec certitude à
l’union effective de la gloire[48]. Ainsi, la charité telle qu’elle est
vécue dans une vie terrestre n’est qu’une ébauche de la réciprocité que Dieu
s’engage à donner à ceux qui l’aiment. « Nous serons des dieux car nous le
verrons face à face », dit saint Jean[49]. Pour les auteurs de cette doctrine, le
rapport charité-vision béatifique est nécessaire, sans qu’il puisse exister
d’exception : nul ne peut entrer dans la vision sans la charité. Pour eux,
l’analogie la plus éclairante est celle des noces : nul ne peut prétendre
épouser une femme s’il n’existe pas de manière réciproque, un amour d’amitié
qui les pousse à échanger leur consentement. De même, nul ne peut s’unir à Dieu
dans la vision béatifique (les noces de l’agneau) sans la charité réciproque.
Jusqu’ici,
la doctrine sur le mérite et la justification par la charité est limpide et
laisse le goût de la Bonne Nouvelle. Mais dès qu’il s’agit de se pencher sur le
« comment » concret, sur la manière dont Dieu communique la possibilité du
salut aux hommes, les choses se compliquent. Si l’on considère l’entrée dans la
vision béatifique comme le terme de l’histoire des hommes et des nations et si
l’on garde avec la tradition catholique l’analogie des noces humaines pour
éclairer de manière adéquate ce mystère, d’où la nécessité de la charité au
centre de la vie chrétienne, on se trouve confronté au problème suivant : il
est de notoriété que peu d’hommes se dirigent dans la vie mus par la charité au
sens le plus théologique que peut prendre cette notion : amour surnaturel d’amitié pour Dieu et pour son prochain à cause de
Dieu.[50] La plupart meurent sans vivre de la
charité. Si l’on reprend les mots mêmes de l’évangile de saint Jean[51], « Ils
ne sont pas nés d’en haut. » En d’autres termes, dira saint Thomas d’Aquin,
ils sont spirituellement morts.[52] Ainsi, lorsque le Pape Benoît XII définit
solennellement que « selon la disposition
générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel
descendent aussitôt après leur mort en enfer »[53], faut-il en déduire avec saint Augustin,
saint Thomas d’Aquin et la scolastique jusqu’au Concile Vatican II la damnation
éternelle des païens, des enfants morts avec la marque du péché originel, des
chrétiens morts sans avoir eu le temps de se repentir d’une faute en
contradiction avec la charité ?
Tout
repose en fait sur l’interprétation de l’expression péché mortel. Pour saint Thomas d’Aquin, le péché mortel est une
notion analogique très large puisqu’il intègre des péchés non volontaires
(péché originel chez l’enfant, l’ignorance non coupable chez les païens), et
des péchés volontaires (de faiblesse ou de méchanceté chez les chrétiens). Au
sens le plus analogique de sa théologie issue de ses grands prédécesseurs, tout
homme qui ne vit pas de la charité est dans un état de péché mortel[54]. Cela lui vaudra, s’il meurt, d’être
séparé de Dieu pour l’éternité. Selon lui en effet, tout homme qui ne vit pas
de la grâce sanctifiante, pour quelque raison que ce soit, libre ou non,
est en état de mort spirituelle. La notion de « péché mortel », cet acte et cet
état spirituel qui selon le pape Benoît XII, conduit en enfer, est donc très
large[55]. Elle peut être le fait des petits
enfants comme des faibles. Pour s’en convaincre, il peut être intéressant de
lire l’article de sa Somme Théologique intitulé : « Le péché de faiblesse peut-il être un péché mortel ? » Cette
conclusion semble même portée par les textes évangéliques : en Jean 3, 5,
Nicodème, homme de bonne volonté, mu par la foi et l’espérance d’Israël, n’en
doit pas moins naître selon l’esprit pour entrer dans le Royaume de Dieu.
Saint
Thomas d’Aquin n’est pas à blâmer d’avoir ouvert largement les portes de
l’enfer. Comme saint Augustin, il s’est montré fidèle à la doctrine de sa foi
et a manifesté avec soumission les conséquences des données suivantes : la
charité seule ouvre le Ciel, et cette charité doit être acquise tant que dure
la vie terrestre. La vie est le temps du mérite et la durée de ce temps est
limitée. Il y aura un terme et déjà dans les desseins de Dieu ce terme est
prévu et fixé pour chaque homme. Chacun, étant donné la nature humaine avec ses
faiblesses, ses alternatives de bons désirs ou de lâches retours, peut donner
son concours à la grâce de Dieu. La grâce divine excitera, soutiendra,
reprendra par ses sollicitations multiples et diversifiées presque à l’infini,
s’adaptant à la prédestination de chacun. Cependant, force nous est de le
constater, la grâce décisive qui justifie n’est pas proposée à tous, parce que
le missionnaire n’a pas prêché, parce que la mort est venue trop tôt, parce que
l’Église n’était pas icône de l’Évangile ou parce que Dieu s’est tu (voir le
septième sceau de l’Apocalypse de saint Jean.) Lorsque le jour du Seigneur
arrive comme un voleur, peu de lampes sont allumées, la plupart du temps parce
que l’homme n’avait pas entendu dire qu’il existait une lampe. Pourtant, une
fois le terme atteint et le temps de l’épreuve terminé, le « status viae » fait place au « status termini. » Il ne peut être
question d’existences nouvelles, de métempsycoses, de réincarnations où de
nouveau l’épreuve serait tentée sur de nouvelles bases ou en des conditions
différentes. L’âme sera conduite à son sort éternel en fonction de l’emploi
qu’elle a fait du temps qui lui fut laissé. L’Évangile est formel à cet égard :
le riche est jeté au feu malgré son regret[56] ; Lazare est appelé dans le sein
d’Abraham. Il n’est pas jusqu’au degré de ce bonheur qui ne soit fixé par
l’usage que dans son pèlerinage terrestre l’homme aura fait de sa liberté et de
sa correspondance à la grâce.
Saint
Thomas d’Aquin enseigne un autre point qui selon lui, à cause de la netteté de
l’enseignement de l’Église à cet égard, ne peut faire de doute, à savoir que le
terme assigné à l’état d’épreuve n’est autre que la mort. Le temps des œuvres
méritoires est égal à la durée de la vie. Après la mort, aucun recours n’est
plus possible mais le sort de l’homme se trouve alors définitivement fixé pour
l’éternité. Toutes ces formules sont équivalentes et elles expriment un état de
fait : « Dieu a lié le sort de l’homme à
l’heure de sa mort.[57] »
Le
problème grave qui se pose alors est de savoir pourquoi certains hommes sont
morts sans la charité sans qu’il y ait faute de leur part. Plusieurs solutions
ont été avancées.
Certains[58] ont pensé résoudre le problème de la
manière suivante : « Tout homme de bonne volonté meurt avec la grâce de Dieu,
même si cette grâce ne transparaît pas. Le Royaume de Dieu ne se laisse pas
voir de l’extérieur. Ils sont donc sauvés. » Selon eux, Dieu ne se tait donc
jamais mais c’est l’homme qui ne sait discerner la grâce sanctifiante là où
elle est, à savoir dans tout acte humainement bon. Le Cardinal Journet soutient
cette position en introduisant la possibilité d’une charité implicite.
Mais
nous ne pouvons suivre cette position, au moins dans la perspective de ce
paragraphe : nous ne parlons pas ici du salut obtenu par n’importe quelle grâce
surnaturelle mais selon les expressions scolastiques consacrées, par la grâce sanctifiante librement et consciemment exercée en charité (sauf pour les petits enfants,
précisera-t-on, où la charité peut exister sans exercice.) Les grâces peuvent
être multiples dans le chemin qui mène l’homme à la charité (pré-attraction,
grâces actuelles, présence d’un prédicateur de l’Évangile, foi, espérance etc.)
Il ne s’agit pas ici de ces grâces préparatoires mais de la seule charité. Or
une telle vie spirituelle ne peut en aucun cas être totalement vécue dans
l’inconscient pour un adulte. Il en est de même pour l’amitié entre deux
personnes humaines : il est aussi irréaliste de parler d’amitié entre deux
personnes qui ne se connaissent d’aucune manière que de parler de charité pour
une personne qui n’a pas la foi.
D’autres
solutions plus bibliques ont été proposées : pour saint Thomas d’Aquin, le
silence de Dieu qui ne communique pas sa grâce sanctifiante à de nombreux
hommes est un mystère dont il ne trouve pas d’explication autre que
celle de l’Écriture : « Il endurcit qui il
veut et il propose son salut à qui il veut »[59]. Avec sa foi d’un réalisme terrible,
constatant d’expérience que des millions meurent sans la charité, il admet leur
damnation éternelle comme un acte où s’exprime la justice divine. La définition
de l’état de mort spirituelle est large puisqu’elle s’étend à tout homme dont
la fin ultime est en dehors (à noter en
dehors pas nécessairement en
contradiction) de la charité.[60] Saint Thomas d’Aquin, nous le verrons,
nuance parfois cette idée vertigineuse en imaginant pour les païens de bonne
volonté la possibilité d’une révélation directe du Christ avant la mort,
proposant la possibilité d’adhérer au salut par la charité, sans l’intervention
du missionnaire dont parle saint Paul dans l’épître aux Romains[61]. Il écrit : « A un homme qui, sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison naturelle
pour chercher le bien et éviter le mal, on doit tenir pour très certain que
Dieu révélerait par une inspiration intérieure les choses qu’il est nécessaire
de croire ou lui enverrait quelque prédicateur de la foi, comme Pierre à
Corneille. » S’il avait pu terminer la Somme Théologique, sa pensée
sur les fins dernières n’eût sans doute cependant pas essentiellement différé
de celle de saint Augustin, du moins si l’on en juge par ses derniers écrits.
La grâce particulière dont il parle dans ce texte très court est selon lui
exceptionnelle et privée. Parler autrement l’aurait conduit à une conséquence
inacceptable à ses yeux. N’aurait-il pas réduit l’Église hiérarchique tel que
Jésus l’a voulue à une servante inutile, Jésus pouvant se substituer à elle à
l’heure de la mort.
La
théologie catholique issue de saint Augustin et saint Thomas d’Aquin a été
marquée au cours des siècles suivants d’une certaine gêne : Comment harmoniser
l’amour d’un Dieu qui donne sa vie sur la croix et la théorie d’une justice qui
damne des innocents, enfants ou païens ? La contradiction, flagrante de nos
jours, sera pourtant pendant des siècles refoulée dans l’inconscient collectif
des chrétiens, la fidélité aux dogmes ne paraissant pas pouvoir s’accommoder
d’une autre solution que celle-ci. Cette doctrine aura aussi des conséquences
positives pour l’Église : Portés par leur inquiétude pour le salut des païens,
des générations de missionnaires ont donné leur vie pour annoncer le salut de
Dieu.
Cependant, au cours des temps et surtout à
l’époque contemporaine, on voit cette doctrine structurée dans sa logique
éclater ici et là, souvent sans même que les auteurs s’en aperçoivent. Dans son
ouvrage de vulgarisation théologique intitulé « Entretiens sur la grâce
»[62],
le Cardinal Journet commence par énoncer en chapitres précis la pensée thomiste
sur le salut réservé à la seule grâce sanctifiante, fondement de la vertu de
charité.
Puis, tout naturellement, sa pensée le
conduit à se pencher sur le cas de ceux qui meurent sans la charité. Selon lui,
avant que la venue du Christ ne soit manifeste à la conscience d’un homme
religieux tel qu’un juif qui en a pourtant reçu la foi et l’espérance, l’homme
se trouve dans « l’état de l’attente du Christ. » Les hommes sont sauvés par
lui, sans avoir encore vu sa venue, s’ils « croient » profondément par un
assentiment de foi théologale que Dieu est et qu’il est secourable. Dans la foi
que Dieu est, est contenue de manière implicite la foi en la Trinité. Dans la
foi en un Dieu secourable, est pré-contenue la foi en l’Incarnation
rédemptrice. Le cardinal Journet fonde sa thèse sur l’épître aux Hébreux[63] :
« Sans la foi, il est impossible de
plaire à Dieu. Car celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et
qu’il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent. » Il admet donc
ici, pour certains hommes morts sans la charité, l’exception d’un salut par la
foi confiante.
Il ira même plus loin : son réalisme
philosophique et théologique lui faisant reconnaître qu’il existe des êtres qui
n’ont même pas à l’heure de la mort la possibilité de faire un acte de foi en
l’existence de Dieu, il admettra la possibilité d’une justification « par la
bonne volonté » des actes, rejoignant ainsi tout un courant moderne[64].
Sa pensée, d’inspiration thomiste, peut se résumer ainsi : l’enfant né dans une
tribu sauvage où l’Évangile ne sera jamais prêché, n’en développe pas moins une
conscience morale. Il posera un premier acte libre, conscient et moral par
lequel il se tournera vers le bien ou vers le mal. L’essentiel n’est pas
l’objectivité de ce bien ou de ce mal mais plutôt qu’il soit bien ou mal selon
ce qu’est la conscience de l’enfant. Dans la mesure où il choisit le bien, il
est secrètement investi de la grâce de Dieu. Le cardinal Journet conclut alors :
« A cet instant, cet enfant est justifié
et purifié du péché originel. »
Il parle aussi d’une notion qu’il qualifie
de « charité implicite. » Selon lui, tout homme qui aime de manière altruiste
son prochain, même si cet homme est païen ou athée, aime sans le savoir le Dieu
qui est la plénitude de la bonté. Implicitement, cet homme vit d’une charité
qui n’est pas explicitement une amitié pour le Dieu de Jésus Christ. L’évangile
de saint Mathieu semble conforter cette thèse[65] :
« Alors le Roi dira à ceux de droite : Venez, les bénis de mon Père, recevez
en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car
j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à
boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu,
malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. Alors les
justes lui répondront : Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et
de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir, nu et
de te vêtir, malade ou prisonnier et de venir te voir ? Et le Roi leur fera
cette réponse : En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à
l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. » Selon
le Cardinal Journet, l’homme de bonne volonté, à cause du caractère implicite
mais réel de sa charité, est introduit dans le salut et il mérite après sa
mort, l’entrée dans la vision béatifique.
Que penser de cette théologie ? Tout se
résume dans le fait de savoir s’il peut exister une charité implicite. Pour y
répondre de manière moins théorique, l’analogie de la foi est éclairante. La
charité est une amitié entre Dieu et la personne. Elle fonctionne au plan
surnaturel comme au plan humain l’amour d’amitié le plus fort entre deux
personnes. Existe-t-il une amitié implicite ? Tel homme, parce qu’il est
de bonne volonté, honnête et disposé à la fidélité, aime-t-il d’un amour
implicite Juliette qui est là ? Est-il possible de les unir dans le
mariage, sans autres conditions ? Posée ainsi, la question revêt un caractère
cocasse. Au plan humain, on doit y répondre de la manière suivante : non, cet
homme ne peut être marié à Juliette. Une seule chose est certaine. Parce que
Juliette est, elle aussi, honnête et de bonne volonté, quelque chose peut les
disposer à s’aimer un jour, à condition 1) qu’ils se rencontrent, 2) qu’ils se
plaisent, 3) etc. La théologie officielle définie par l’Eglise au Concile de
Trente ne parle pas autrement de la charité vis-à-vis de Dieu. Pour elle, il ne
peut exister de charité implicite, mis seulement toute une série de
dispositions qui, si les personne se rencontrent, aboutiront certainement à la
charité. Ainsi, pour parler avec précision, la grâce surnaturelle qui anime
l’homme dont parle le cardinal Journet n’est pas la grâce sanctifiante agissant
par la charité (voir précédemment) mais seulement cette attraction mystérieuse
qui attire tout homme, sans même qu’il en ait conscience, vers Dieu. Il s’agit
d’une grâce actuelle que saint Thomas d’Aquin distingue formellement[66]
de la grâce sanctifiante. Il l’appelle la « prémotion divine. »
Existe-t-il donc, pour le cardinal
Journet, un salut fondé sur la seule valeur d’actes de volonté naturelle ?
N’est-ce pas en contradiction flagrante avec premiers chapitres de son ouvrage
? Faisons-lui cependant justice : interrogé, il aurait certainement précisé sa
pensée trop visiblement contradictoire avec les pages sur la nature de la
justification par la seule charité, en disant, avec le Concile de Vatican II
que les hommes ne sont pas justifiés au sens fort par leur seule bonne volonté
ou foi mais « disposés à l’être par cette
bonté de leurs actes, dès que le salut de la charité leur sera prêché. » La
pensée du cardinal Journet nous paraît significative de la gêne des théologiens
catholiques quand ils essayent de faire se rejoindre leurs convictions
dogmatiques et leur expérience à propos du salut par la charité : ou bien la
charité théologale est nécessaire durant la vie terrestre pour être sauvé et
l’on doit admettre la damnation de foules immenses ou bien elle n’est pas
nécessaire et les dogmes de l’Église catholique sont constamment nuancés,
interprétés, déviés de leur sens pourtant précis et sans équivoque. Le dilemme
posé par J.J. Rousseau précédemment ne s’en trouve pas résolu.
Des théologiens catholiques se sont efforcés,
tout en gardant la plénitude des dogmes, de trouver d’autres solutions au
problème de la damnation des païens. Au XXème siècle, on peut citer
la tentative subtile de Mgr Glorieux[67].
Évêque dont l’orthodoxie et l’écoute du Magistère de l’Église ne peuvent être
mis en doute, il s’est efforcé de résoudre la question du salut de ceux qui
paraissent mourir sans la charité. Il émet une hypothèse qui peut être résumée
de la manière suivante[68] :
Mgr Glorieux suppose que, si saint Thomas
avait pu terminer sa Somme, il aurait adopté sa thèse. Il se situe donc
résolument dans la ligne du Docteur Commun. Son intention consiste à aborder, à
l'école de saint Thomas, la question des fins dernières. A son école,
c'est-à-dire en s’inspirant de ses enseignements et des principes qu'il a
posés, puisque lui-même n'en a point traité ex
professo, et n'a soulevé nulle part de façon explicite ces questions de
l'impénitence finale et des grâces dernières[69].
1- Il compare le sort de l’ange et celui
de l’homme chez saint Thomas : l’ange ne se damne qu’à cause d’une obstination
définitive, parce que libre et lucide, dans le péché. « C'est pourquoi l'ange s'étant délibérément prononcé au moment de son
péché contre le souverain bien qu’était Dieu et s'étant érigé lui-même en fin
dernière, il se trouve de par sa nature même dans l'impossibilité de voir autre
chose, de vouloir autre chose, de s'arracher à son moi pour se retourner vers
Dieu. » [70]
Or le choix de l’ange et celui de l’homme sont identiques pour saint Thomas. De
part et d'autre, l’esprit s'immobilise dans la décision prise et devient
incapable de revenir sur elle. Et ceci, d'ailleurs, pour des motifs semblables
; car l'explication fournie plus haut de l'endurcissement du démon, s'applique
de point en point à l'âme du damné ; si bien que nulle raison n'existe qui
puisse la faire revenir sur son choix. » Volontairement
coupable, nécessairement impénitent, il sera l'éternel ennemi, l’éternel damné.
Entre les deux cas : la mort chez l'homme, la chute chez l'ange, la parité
semble absolue pour saint Thomas[71].
»
2- Or cette obstination parfaite ne peut
exister sur terre pour l’homme à cause du corps (passions, raisonnements
fragiles.) La doctrine de la parité entre l’ange et l’homme pour la damnation
pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. L’homme, à cause de sa faiblesse
n’est pas capable d’une telle obstination satanique, au moins durant sa vie
terrestre.
« Et
pourtant s'en tenir à cette affirmation nous semble trop sommaire. C'est passer
à côté de la difficulté et négliger le véritable problème que pose justement le
texte du Damascène et son exploitation par saint Thomas. Ce qui à première vue
semblerait être la raison décisive du rapprochement entre l'ange et l'homme et
de l'identité dans l'explication de leur éternel malheur à tous deux, n'est-il
pas précisément ce qui différencie leurs cas du tout au tout, et ce qui, pour
être dans la logique des principes posés par saint Thomas, devrait nous faire
reprendre tout le problème pour l'examiner à nouveau de très près ? »
Pour que l'obstination de l'âme s'explique
de la même façon et pour que soit exact ce parallélisme étroit sur lequel
insiste saint Thomas entre le damné et le démon, il faudrait que chez elle,
comme chez l'ange, ne se trouvent, naturellement ni surnaturellement, de causes
susceptibles de la faire revenir sur sa décision ; Qu’aucun élément nouveau
n'intervienne après l'élection dernière à laquelle elle s'est portée, capable
de modifier sa façon de voir et de l'amener à réviser son choix.
3- S’il en est ainsi, Mgr Glorieux se voit
obliger de poser l’hypothèse d’une lucidité parfaite donnée par Dieu à l’homme.
Cet état ne peut exister, selon lui, tant que l’homme est lié à son corps. Le
poids de la nature corporelle emprisonne par trop l’intelligence et le choix
pour qu’il ait cette propriété de lucidité parfaite. Il ne peut donc exister
que par la séparation de l’âme et du corps.
« Qu'on
veuille bien l'observer, le raisonnement de saint Thomas n'a de rigueur et de
valeur que si l'on suppose ce jugement porte par l'âme quand déjà elle se
trouve établie dans un état pareil à celui de l'ange, quand elle est substance
spirituelle séparée. »
Entre l'âme unie au corps et l’âme
séparée, il y a un abîme, tant pour le mode que pour l'objet de sa
connaissance. A partir du moment où elle est séparée du corps, sa connaissance
n'est plus comme auparavant acquise en partant des sens. Elle participe au mode
de connaissance de l'ange. Et même si elle doit être vouée à l'enfer, l’âme
reçoit de Dieu tout le bagage d'espèces infuses qui lui sont dues
naturellement. Entre l'âme unie au corps et l'âme séparée, n'y a-t-il pourtant
pas de disparité complète. Dans les deux états, la personne demeure
substantiellement elle-même. Son mode d’exercice spirituel a cependant été
bouleversé, lui permettant une activité de qualité angélique. Le passage d'un
état où les appétits étaient multiples, où le poids du corps était lourd et
aggravait l'esprit subtil, où les passions pouvaient sans cause apparente
arrêter ou brouiller les jugements de l'âme, où les décisions dernières étaient
prises sous cette multiplicité d'appétits, de tendances et d'influences
extérieures, le passage de cet état à un autre où l'âme deviendrait
participante de la simplicité d'appétition qui est propre à l'ange est en effet
très différent au plan psychologique :
« Qu'on
le veuille ou non, le fait même de la mort introduit nécessairement dans
l'expérience psychologique de l'âme une révolution totale, inévitable puisque
commandée par la nature même des choses ; un bouleversement capital, capable et
au-delà d'amener une révision complète des jugements précédents. »
Si on n’admet pas cette hypothèse, on est
obliger de reconnaître que c’est Dieu lui-même qui est positivement responsable
de la damnation d’une âme qu’il fixe dans le choix fragile mais définitif de
son dernier instant. Cette thèse ancienne paraît à Mgr Glorieux par trop
opposée à la révélation du Dieu de Jésus-Christ.
« Si
dans ces conditions on prétendait maintenir malgré tout son incapacité à se
déjuger, à réviser ses décisions antérieures, celle-ci ne pourrait en toute
vérité être attribuée qu'à Dieu qui en déciderait ainsi, et qui lui
interdirait, malgré les éléments nouveaux d'appréciation dont elle disposerait,
de revenir sur ce qu'elle a fait. »
Selon l’auteur, cette hypothèse est
thomiste par essence. Encore qu'il ne le dise pas explicitement, et qu'il ne se
prononce pas là-dessus, toute la logique du raisonnement de saint Thomas
suppose que le choix décisif de l'âme se fait quand s'inaugure pour elle son
état d'âme séparée
4- Il émet une objection de la foi à cette
hypothèse : le « status viae », celui
de l’apprentissage et du mérite, est fini à la mort. Or cette doctrine est un
dogme de la foi. N'est-ce pas en effet rompre en vision avec toute la
tradition, avec l'enseignement courant que traduit précisément ce langage, que
de rejeter non plus au dernier moment de la vie mais au premier moment de
l'après-vie, comme cette thèse semble bien l'exiger, l’acte qui prononcera du
sort éternel de l'homme ? N'est-ce pas, par le fait, prolonger indûment (ne
serait-ce peut être que d'un instant, mais illégitime déjà) le « status viae » et placer la détermination
dernière et le véritable dénouement du drame du salut personnel quand déjà le «
status termini » est commencé ?
5- En s’appuyant sur une méthode thomiste,
il trouve une réponse à cette objection. Il arrive à résoudre cette objection
en se servant de l’analyse thomiste du mouvement et en l’appliquant au sens du
mot mort. Il montre que plusieurs significations se cachent sous ce mot :
a- Le processus d’agonie qui prépare la
séparation de l’âme et du corps ;
b- L’acte même de cette séparation qui lui
semble nécessairement instantané ;
c- Ce qui suit cette séparation.
On reconnaît là la classique analyse
thomiste du mouvement : avant, pendant, après. La pointe de sa recherche se
trouve dans un travail philosophique puis théologique sur l’instant de la
séparation. Il croit pouvoir lire dans saint Thomas d’Aquin que rien ne
s’oppose à ce qu’un mouvement, pourtant instantané, puisse être en même temps
le lieu d’une extrême activité. On le voit selon lui dans des exemples tels que
la création, la mutation. Appliquée à l’instant de la mort, cette considération
peut se ramener à quatre points :
a- La mort implique séparation de l’âme
d’avec le corps qu’elle informait précédemment ; Il n’y a donc pas de mort tant
que l’âme demeure unie au corps, si peu que ce soit, puisque union et
séparation, être uni et ne pas être uni, sont opposés contradictoirement.
b- Cette séparation est instantanée ; Et
par le fait même, se séparer et être séparé, se confondent.
c- En l’instant où se réalise cette
séparation, rien ne s’oppose à ce que puisse s’exercer une riche activité
d’ordre spirituel de connaissance, d’appétition, de libre adhésion.
d- Si enfin, à cet instant précis de la
séparation, de la mort, l’âme exerce une activité, celle-ci revêtira les
caractères des opérations propres aux intelligences séparées.
Pour Mgr Glorieux, ces quatre points
paraissent aptes à être soutenus en philosophie, sans que la révélation
chrétienne soit nécessaire.[72]
Dans un second temps, il émet l’hypothèse
que cet instant de la mort, celui qu’il vient de décrire comme siège d’une
activité spirituelle de type angélique (propre aux intelligences séparées),
fait encore partie de la vie terrestre, c’est-à-dire de l’état d’union entre
l’âme et le corps (hypothèse difficile s’il en est puisqu’il admet dans le même
temps que l’âme exerce alors son activité spirituelle de la même manière que le
décrit saint Thomas d’Aquin pour les esprits sans corps.
6- A partir de cette hypothèse qui sera
ensuite élaborée de manière impressionnante par Ladislas Boros[73],
P. Glorieux peut justifier avec force des domaines mystérieux de la théologie.
« Il reste néanmoins que, transposé dans ces conditions que nous ne pouvons
que malaisément entrevoir, le geste décisif de l'homme s'ouvre à d'étranges
perspectives. La mort, même celle du pécheur, n'est plus le coupe-gorge ou
l'embuscade que, dans certaines façons de présenter l'impénitence finale, Dieu
semble lui dresser (...) Elle apparaît comme plus digne de l'homme et plus
digne de Dieu. »
Il y voit aussi l’explication dernière au
mystère de l’éternité de l’enfer, le damné s’étant obstiné jusque dans les
grâces de l’instant de la mort, donc en pleine lucidité spirituelle à la
manière des démons. Il y voit la solution au problème du salut des païens à qui
la miséricorde divine peut être appliquée de manière ultime, à travers une
révélation spirituelle et intuitive de l’Évangile.
« L’âme
pourra d'autant moins reprocher à son Dieu sa damnation qu'à ce moment-là, pour
la dernière fois il est vrai, la grâce lui sera offerte. Et là encore, toutes
sortes de perspectives s'offrent à la spéculation théologique ; car c'est là
que vient se placer précisément le problème des grâces dernières. Dans ce
combat dernier où se joue le sort de l'âme, un élément prépondérant peut intervenir
: la grâce. »
Selon lui, non seulement les lumières
nouvelles qui devraient être naturellement données même à l'âme destinée à
l'enfer, puisque ce mode de connaissance lui devient connaturel ; Non seulement
la libération soudaine de l'âme soustraite aux chaînes de son corps, de ses
sens et de ses passions ; toutes choses inséparables de cet état nouveau et qui
demeureront quelle que soit l'issue du débat ; mais auprès d'elles les
ressources infiniment variées et riches de la grâce actuelle ; Les lumières qui
peuvent être données à l'intelligence et aller jusqu'à l'éblouissement ; Les
attraits qui peuvent être déposés dans la volonté et l'emporter sans peine sur
toutes les résistances invétérées. Ainsi, si l'homme se damne, sa réprobation
n'est en aucune façon imputable à Dieu, car même alors le secours véritablement
suffisant lui aura été présenté.
Il réfute à l’avance une accusation qu’il
prévoit : son hypothèse ne rend-elle pas le salut par trop facile ? « Ce n'est point
d'ailleurs décréter par avance le salut de tous les pécheurs et fermer l'enfer
devant eux, que de reporter (comme la thèse de saint Thomas semble nous y
engager) le choix dernier de l'âme dans les conditions que l'on a dites. L'ange
a pu pécher, lui qui pourtant avait la lumière autrement vive que notre pauvre
âme humaine. Et l'homme se trouve moins assuré encore que l'ange de son salut.
II serait inexact, croyons-nous, de vouloir utiliser cette thèse au profit de
l'opinion ultra-miséricordieuse. »
Mgr Glorieux reste volontairement en
retrait de certaines conclusions qu’il voit se profiler derrière sa thèse. La
question des grâces de l’heure de la mort intéresse notre propre recherche. Il
ne se prononce pas.
« Nous
n'avons point voulu aborder précédemment ce problème très contesté de
révélations dernières faites par Dieu à toutes les âmes au moment de la mort.
Ni le dogme de la grâce suffisante, ni celui de la miséricorde divine ne
requièrent cela pour ceux qui ont connu la vraie foi et auxquelles suffisent
les grâces de rappel, de lumière ou de force sans que s'y joigne une révélation
divine. Mais ne pourrait-on pas le supposer, du moins avec une certaine
vraisemblance, pour les âmes qui ont besoin non seulement de grâces actuelles
pour se sauver, mais de foi, et donc de révélation. »
De même, son hypothèse ne lui paraît pas
porter en elle une solution définitive à la question du salut des enfants. Il reste
très prudent, comme en retrait. Pourquoi ne se permet-il pas d’aller plus loin
? Selon lui, ces divers problèmes peuvent s'expliquer l'un par l'autre. Mais
ils ne s'impliquent pas nécessairement l'un l'autre. Sans doute les
explications seraient-elles facilitées par la thèse qu’il expose. Ce n'est pas
là cependant un argument suffisant à ses yeux pour les ériger en certitudes.
Mais la thèse elle-même ne dépend pas de ces applications lointaines plus ou
moins assurées. Plus modeste dans ses prétentions, elle a voulu uniquement
s'autoriser des principes posés par saint Thomas dans l'explication qu'il
fournit de l'obstination des démons et, partant, de la justice de Dieu dans le
châtiment qu'il leur inflige. Nous montrerons plus loin que notre propre recherche
aborde de façon tout autre cette question.
« Nous
n’irons pas jusqu’à dire qu'il en pourrait être ainsi même pour les enfants,
car il ne faut point compromettre de bonnes causes par d'imprudentes
hypothèses. Pourtant on ne peut oublier que, même pour les enfants morts avant
le développement de leur raison, l’état d'âmes séparées dans lequel les plonge
la mort, implique également aussi bien que pour les adultes, et aussi
connaturellement, l’infusion d'espèces intelligibles qui leur permettent de ne pas
demeurer éternellement dans la torpeur ou l'hébétude, mais d'avoir une vie et
une activité semblable à celles des anges. Mais on reste là dans le domaine
naturel ; une révélation nous transporterait dans le domaine surnaturel pour
lequel on ne peut rien affirmer, si Dieu lui-même n'a rien certifié. »
Le problème de Mgr Glorieux, s’il ne
l’avoue pas, semble être le suivant : Pour ce qui concerne les enfants morts
sans baptême, la grâce de Dieu leur serait proposée après la réception
d’espèces intelligibles qui les rendraient capables de juger. Or cela se
passerait nécessairement après leur mort. Il y a ici pour le coup
contradiction flagrante avec le dogme de la foi. Les artifices de la
dialectique n’y peuvent rien changer, à moins d’admettre que, dans l’instant de
la mort, les enfants soient rendus à la fois mûrs au plan naturels et saints au
plan de la grâce.
Dors et déjà, on peut émettre à la thèse
de Mgr Glorieux les deux réserves suivantes :
1) N’est-il pas limite en théologie, en
utilisant un artifice logique thomiste, d’arriver à conclure que l’état d’une
âme séparée fait partie intégrante de la vie terrestre ? Nous verrons
ultérieurement que c’est sur ce point là que notre propre recherche se sépare
de celle de cet auteur.
2) Plus grave encore, il affirme que
l’homme devient enfin lui-même quand son âme, enfermée dans le tombeau du
corps, en a été totalement séparée. Cette thèse de type platonicienne, est en
contradiction avec la foi en la résurrection de la chair. Elle identifie trop
l’homme à l’ange et néglige l’immense richesse qu’est pour l’homme le fait de
posséder un psychisme et un corps physique. Nous montrerons ultérieurement à
quel point il est important de respecter l’homme dans la plénitude de sa nature
et de ne pas confondre le poids du corps comme conséquence provisoire du péché
originel, avec la nature du corps. Notre thèse rendra sa place au corps.
Ladislas Boros n’a pas les exigences
d’orthodoxie de Mgr Glorieux. Il connaît sa thèse mais il s’en sépare et assume
plènement ce que l’évêque n’approchait que du bout des lèvres : l’inutilité du
corps, la disparition définitive de la chair pour la réalisation du choix
éternel. Il élabore de manière impressionnante les conséquences théologiques de
ce présupposé platonicien[74].
1-
La mort n’existe plus. Ladislas
Boros se sépare résolument de la problématique thomiste et dogmatique de Mgr
Glorieux. Il s’appuie sur une conception résolument platonicienne de l’homme
pour réinterpréter les dogmes catholiques, depuis celui de la résurrection à
celui du purgatoire et du jugement dernier. Ainsi, il commence sa recherche en
se démarquant par rapport à la conception thomiste de la mort. Habituellement
la mort de l'homme est conçue comme la « séparation de l'âme et du corps. » Mais
est-il encore possible d'admettre une telle séparation ? A Jérusalem, devant le
Sanhédrin, saint Paul prononça cette parole si importante pour notre
interprétation de la mort : « C'est pour
notre espérance, la résurrection des morts, que je suis mis en jugement »[75].
Au centre de la prédication chrétienne se place cette affirmation : dans la
Résurrection du Christ la mort a été vaincue. Depuis lors, ce qui se passe
à la mort de l'homme n'est plus une limite absolue de la vie. Il n’y a plus de
mort donc, conséquemment, la résurrection est l’heure de la mort. Boros résume
sa recherche de la manière suivante : « Nous
pourrions formuler brièvement notre opinion -déjà soutenue ailleurs- dans les
termes suivants : à ta mort s’ouvre la possibilité de la première décision
pleinement personnelle de l’homme. La mort est ainsi le lieu de la prise de
conscience de l'homme, de la rencontre de Dieu et de la décision sur le destin
éternel. »
Pour mesurer toute la portée de cette
hypothèse, il présente d'abord les raisons qui l’amènent à considérer la mort
de l'homme avec tant d'espérance. Son hypothèse implique que c'est seulement au
moment de la mort que l'homme peut déposer l'aliénation de son existence ;
c'est seulement à la mort qu'il est suffisamment en possession de son être pour
rencontrer totalement Dieu -dans le Christ- et se décider définitivement par
rapport à lui. « Tels sont les principes dont nous partons pour repenser la
théologie de la mort. »
2-
Lié à son corps, l’homme est dépossédé de lui-même. Avant
la mort, l’homme est comme étranger à lui-même, à ses aspirations et à leurs
réalisations. Les plus belles expériences de Dieu que nous faisons dans notre
existence restent toujours à la surface. Notre relation avec Dieu est irréelle,
incertaine et sans consistance : ce ne sont que des passages fugitifs. Une
étrange incapacité règne à l'intérieur de nous-mêmes : l'incapacité de voir et
de faire l'unique nécessaire. L'homme est incapable de jouir de la plénitude de
son désir. Dans la connaissance, l'homme saisit par anticipation l’absolu mais
ne peut en approcher. Connaître signifie que l'esprit reçoit en lui-même une
vérité qu’il peut saisir. L'amour humain dépasse toute réalisation. Dans l'amour
deux personnes réalisent une unité d'être lorsqu'elles prononcent avec vérité
le mot « nous. » Mais l’homme est condamné par sa condition à ne faire
qu’approcher la réalisation d’un tel amour. Comment un monde transfiguré
peut-il s'élever de cette vie déchirée ?
3-
Libéré du corps, l’homme devient pleinement lui-même. Pour
la première fois, son intelligence s’exerce dans sa pleine dimension : fait
pour la connaissance et l’amour infinis. A la mort, dans la perte totale de
l'extériorité, surgit l'intériorité totale. Ainsi, dans la mort seulement,
l'homme devient parfaitement lui-même, une personne définitive. « Considérons dans son ensemble l'analyse que
nous avons amorcée du désir, de la connaissance et de l'amour humains. Au
centre de tous ces actes de l'existence il y a une rencontre claire, franche et
pleinement personnelle avec le Christ, avec l'Inconditionnel devenu contingent,
comme le point Oméga, la condition de possibilité de l'humanisation totale.
C'est seulement à l'instant où cela se réalise avec une totalité existentielle
que l'homme naît vraiment. »
Nous voyons que son esquisse de la
structure de l'existence humaine implique déjà une affirmation importante sur
la mort, et cela dans le sens de l'hypothèse, formulée au début, de la décision
finale au moment de la mort. A la mort seulement l'homme devient totalement une
personne ; à la mort seulement il peut obtenir définitivement son salut en
produisant librement son être propre en face du Christ. Si on prolonge les
lignes de cette dialectique, si on en tire l'ultime conséquence, on obtient
l'image suivante de la mort : à la mort, dans la perte totale de l'extériorité,
surgit l'intériorité totale. Ainsi, dans la mort seulement, l'homme devient
parfaitement lui-même, une personne définitive, un centre d'être totalement
autonome. A la mort il devient définitivement « adulte » ; libre, éclairé,
affranchi, capable de prononcer une décision définitive. Dans cette décision se
produit la rencontre la plus nette de sa vie avec le Christ.
3-
Conséquence de son hypothèse sur la mort :
Dans cette perspective, il peut réinterpréter la théologie des fins dernières.
La résurrection signifie une totalité existentielle, une immédiateté de corps
et d'âme par rapport à l'univers, à l’heure de la mort.
«
Le mot « résurrection » est ici comme un symbole désignant l'interprétation de
ce qui ne peut être interprété, l'explication de ce qui ne peut être expliqué.
La résurrection signifie une totalité existentielle, une immédiateté de corps
et d'âme par rapport à l'univers. La nature corporelle se développe en une
personne. L'homme pose dans sa décision finale sa propre éternité.
L'immortalité devient l'événement concernant la personnalité totale de l'homme
comme unité de corps et d'âme et donc aussi comme résurrection. Dans cette
perspective il n'y a plus de différence entre l'immortalité et la
résurrection. »
En voici la conséquence. Boros peut donner
un sens renouvelé aux propositions de la foi. En voici quelques exemples.
L'événement de la résurrection doit être universel. Boros écrit, dans sa
perspective de l’option finale à l’heure de la mort : « L'univers se concentre dans l’homme. Nous sommes enfants de la terre,
d'une terre qui n'est pas seulement l’espace de notre développement indépendant
et autonome, mais qui appartient à la constitution de notre être. Si notre âme
acquiert l'immortalité, celle-ci doit s'appeler résurrection ; si la
résurrection s'applique à notre corps, elle doit en même temps signifier la
transfiguration de l'univers. »
Le
jugement dernier : L'univers doit être jugé : « Le monde n'est juste que si le bien est en
même temps bon et l'être lumineux. Ce monde n'existe pas encore. Il est
redressé par nous, par notre décision personnelle prise au moment de la mort. »
Dans l'Evangile de saint Mathieu[76]
est gardée cette parole de Jésus : les justes (et aussi les injustes) demandent
au Christ : « Seigneur, quand avons-nous
fait cela ? » Quand t'avons-nous vu avoir faim ou avoir soif, être nu,
malade, étranger, en prison ? L’homme a accompli les plus grands actes de la
vie sans s’en être rendu compte. Si on n'affaiblit pas ces paroles du Christ,
Boros pense qu’on peut esquisser, à partir de l'image du jugement présentée par
le Christ, une théologie de la rencontre du Christ.
Le
purgatoire : Le jugement est en même temps le
processus de purification « On peut, dans
cette hypothèse, concevoir le « purgatoire » comme la qualité et l'intensité de
l’option pour Dieu réalisée dans la mort. L'amour de Dieu baigne l'existence en
un seul instant. L'être humain doit alors s'élancer vers Dieu de toutes ses
forces. Les êtres humains traverseraient donc, suivant cette hypothèse, un
processus personnel de purification, différent pour chacun, en un seul instant,
à la mort. » A la mort se produit la même décision : c'est l'effondrement
de tout ce que l'homme a accumulé en lui d'aliénation existentielle. L'homme
est placé en face de ce qu'il est réellement, de ce qui dans son être a une
consistance éternelle, son succès est anéanti, sa puissance dissipée, sa
richesse évanouie. Il n'a plus d'appuis extérieurs. C'est dans ce retour de
l'homme à l'essentiel de ses sentiments que consiste simplement le purgatoire. C'est la rencontre de
l’homme avec son être, la condensation de toute l'existence, un processus
instantané par lequel on devient soi-même dans l'abîme de la mort. Mais comme
l'homme ne peut être ainsi « lui-même » totalement sans ressentir en même temps
dans son propre devenir d'homme la réalité de l'homme qu'il a été, la rencontre
de l'homme avec lui-même monte au niveau d'une rencontre avec Dieu par
l'intermédiaire du Christ.
L’enfer
: Dieu ne damne personne de lui-même
L'enfer n'est pas quelque chose qui nous
arrive. Ce n'est pas quelque chose que Dieu nous impose pour nous punir après
coup de nos mauvaises actions. Il n'y a rien de grand, de majestueux, de
brûlant, d'étouffant dans l'enfer. C'est simplement l'homme même, qui
s'identifie totalement avec ce qu'il est lui-même, avec ce qu'il peut
atteindre, réaliser par lui-même. C'est le mode d'existence d'un homme qui
trouve sa satisfaction en lui-même, pendant toute une éternité.
Le
retour du Christ prend une autre lumière. Le Christ est
encore et toujours en devenir. Telle est la réinterprétation de Boros à propos
du retour du Christ : « Le Christ
apparaît à la plénitude de son âge cosmique quand tous les hommes qui doivent
constituer sa « plénitude » (plérôme) l'ont rencontré à l’heure de la mort dans
l'amour qui produit l'unité d'être. »
La
descente du Christ aux enfers.
Le Christ a pénétré dans la profondeur du monde. Il est descendu dans la couche
profonde de la réalité, où tout s’unit par les principes. Il faut voir ici
selon l’auteur une profondeur de la terre qui est le lieu où s'intériorise tout
l'être du monde, non seulement l'organisation cosmique, mais aussi les
relations historiques, personnelles et existentielles. » En pénétrant par sa mort -comme prolongement de la descente de
l'Incarnation- dans la profondeur du monde, dans le « cœur de la terre » (comme
le rapporte saint Mathieu), le Christ s'est rendu présent à toute l'humanité
pré chrétienne. Le monde n'est plus le même qu'avant, en tout ce qui est « profond,
« réfléchi et essentiel », vit le Christ lui-même. »
Le
sens de la vie réside dans la préparation de la mort : «
L'homme doit s'efforcer d'atteindre
durant sa vie cette fermeté résolue de l'existence qui lui rendra possible de
prendre à la mort la décision que réclame son être. L'idée d'une possibilité
d'option ultime ne diminue aucunement notre vigilance. L'obligation qui résulte
de la situation clairement envisagée dans laquelle on « va à la rencontre de la
mort comme décision finale « est plus profonde et plus « exigeante » qu'une
simple morale de commandements dans notre existence. L'obligation résulte de la
constitution fondamentale de l'existence même. »
Le sens de la vie consiste dans ta
pratique de ta vertu. La « vertu » est l'accomplissement de la capacité d'être
de l'homme comme orientation permanente vers l'essentiel : c'est l'essence de
l'homme réalisée par l'effort personnel et vécue comme témoignage. Elle est le «
courant des profondeurs » du destin réalisé.
Le cardinal Ratzinger présente et critique cette thèse à
travers ce qu’il en connaît par son principal défenseur, Ladislas Boros[77] qui en est le théoricien principal. Il le
cite : « La mort offre à l’homme la
possibilité de son premier acte totalement personnel, elle est donc le lieu
existentiellement privilégié de la prise de conscience, de la liberté, de la
rencontre avec Dieu et de la décision sur sa destinée éternelle. »
Ratzinger s’efforce de comprendre les raisons qui ont poussé Boros à établir
une telle doctrine qui lui paraît exagérée. Il croit pouvoir les trouver dans
la distance réelle entre une vie terrestre courte et marquée des nombreux
conditionnements de la liberté, et d’autre part un choix éternel et définitif
qui se fonde sur elle. En conséquence, il paraît nécessaire d’admettre que Dieu
qui est juste laisse à l’homme un moment de liberté de type
angélique. Mais ici justement se manifeste selon Ratzinger la faiblesse de
la thèse de Boros : elle voudrait finalement faire de l’homme un ange et, sans
le dire, elle tient pour irrecevable la spécificité de la condition humaine.
Cette critique, à quoi on devrait ajouter le défaut d’indices empiriques et de
tradition théologique convaincante, ne répond évidemment pas à la grave
question que sous-entendent ces réflexions. Pour un jugement dont l’enjeu est
éternel, ne faut-il pas exiger en fait une autre liberté ? Ratzinger le
reconnaît et il mérite d’être cité : « Il
faut admettre que la conception traditionnelle a sur ce point une réflexion
beaucoup trop limitée. La vérité de l’homme qui devient définitive dans le
jugement, est cette vérité qui a été la direction fondamentale de son existence
dans l’ensemble de sa vie et de sa conduite. Mais, dans la somme des décisions
qui font une vie entière, quelle est la direction suprême de l’homme ? »[78]
La
critique la plus grave qu’on peut appliquer, semble-t-il à Mgr Glorieux et à L.
Boros est la réduction platonicienne qu’ils font du corps à un tombeau
provisoire de l’âme. De fait, bien qu’ils s’efforcent de s’en défendre à
travers des artifices théologiques, leur système de pensée en arrive à conclure
que l’homme n’est vraiment lui-même, ressuscité selon Boros, qu’après la
rupture avec le corps.
Pour terminer notre panorama des
tentatives théologiques, parmi les théologiens qui admettent que le salut n’est
ouvert qu’à la charité surnaturelle, certains parmi les disciples de Boros,
simplifiant sa pensée, admettent la possibilité d’une justification après la
mort. Ils sont peu nombreux et très largement critiqués par ceux qui
reconnaissent à la nature humaine, corps et âme, une valeur substantielle
voulue par Dieu. Cependant, leur tentative platonicienne manifeste une fois de
plus le trouble de la confrontation entre cette charité si nécessaire, la
faiblesse des choix humains terrestres et la certitude que Dieu veut sauver
tous les hommes. La théologie des fins dernières dans sa version catholique en
est rendue là.
Le salut par la charité ne fut pas
universellement enseigné par tous les chrétiens. Nous avons montré d’autre part
comment l’amour de Dieu révélé à la croix fut source pour les théologiens
catholiques jusqu’à aujourd’hui de questions insolubles à propos du « comment »
concret de l’arrivée de ce salut pour tous les hommes avant que l’heure de la
mort ne les fige à tout jamais loin de Dieu. Historiquement, la doctrine
catholique a toujours enseigné le salut par la charité. Elle ne s’est jamais
contredite sur ce point, au moins dans la succession de ses papes et de ses
docteurs reconnus. Dans la pratique, la réalité est moins simple. Les périodes
de décadence spirituelle sont fréquentes. L’une des grandes tentations de
l’Église latine, présente à travers toute son histoire, consiste en une
tendance à donner une place quasi absolue au mode sacramentel de la prière
(sacrements et sacramentaux) et des œuvres extérieures pour le salut. Que
n’a-t-on entendu, jusqu’à une période récente, sur la damnation de celui qui
n’a pas le temps de se confesser à un prêtre. Au début du XVIème
siècle, la prédication du clergé n’exaltait pas seulement les sacrements mais
aussi des sacramentaux comme les prières indulgenciées. Confronté à une Église
vivant trop souvent la charité comme un commerce de mérites accumulés et
d’indulgences dispensant de la souffrance expiatoire du purgatoire, la conscience
de certains fidèles s’émût. C’est l’époque de Luther et de son fils spirituel
Calvin.
Pour notre recherche, l’apparition d’un
deuxième grand pôle de la théologie du salut dans l’Église est de grande
importance. Nous allons montrer que pour Luther et toute la Réforme, dans la
lignée de la religion d’Abraham, c’est la foi et la foi seule qui justifie et mérite l’entrée dans la gloire. Or
cette foi est distincte de la charité.
La conception du christianisme en est bouleversée. On le sait, dans toute forme
de pensée, une légère différence dans le principe fondateur se répercute avec
force dans les applications existentielles.
Pour développer sans la déformer la pensée
de ces deux réformateurs de la théologie, nous nous sommes référés à certains
de leurs écrits personnels (voir la bibliographie générale), à Melanchthon,
l’auteur de la confession d’Augsbourg. Nous avons aussi été aidés et confirmés
par le Père Frost, représentant catholique auprès du Conseil Oecuménique des
Églises (Genève).
-
Luther, sa vie, sa réflexion
Luther est avant tout un homme
profondément religieux. Malgré les erreurs et les faiblesses dont sa vie est
semée, celle-ci a été tout entière dominée par les grandes questions qui
préoccupent le chrétien voulant vivre de sa foi. C’est tout lui-même, dans
toute la profondeur de sa vie intérieure que Luther a engagé au service d’une œuvre
religieuse. Né en 1483 en Saxe, ce moine augustin semble avoir été travaillé
très tôt par de graves crises de conscience que son directeur ne pourra
adoucir. La confrontation journalière entre son état de pécheur et la haute
conscience qu’il a de la grandeur de la justice de Dieu le mine. Il vit de
longues périodes d’introspection dépressive et la question de son propre salut,
du salut des pécheurs ne trouve pas de réponse dans ce qui lui paraît être la
théologie catholique. Comment être certain du salut ?
A cette époque, le Dominicain Tetzel avait
entrepris de persuader les fidèles que le salut s’opère aisément par les œuvres.
II proposait « les passeports pour
franchir l'océan en furie, et arriver tout droit au paradis. » Il utilisait
volontiers le dicton à la mode : « Sitôt
l'argent tinte dans la cassette, sitôt l’âme en faveur de qui l'on donne saute
hors du purgatoire. Martin Luther, lui, éprouvait dans son cœur et dans sa
chair « qu'il faut entrer au ciel par
beaucoup de tribulations. » Il se dressa donc contre ceux qui, à ses yeux,
incitaient les malheureux chrétiens à se reposer sur la sécurité d'une fausse
paix. Il le fit au nom de ce qu'il appelait « la découverte de la miséricorde » dont il avait reçu la grâce alors
qu'il professait l'Épître aux Romains entre 1514 et 1517 : « Tandis que dans ma méditation, j’examinais
l’enchaînement de ces mots du verset 17 du ch. 1 : « la justice de Dieu se
révèle dans l'Évangile, comme il est écrit : le juste vit par la foi », j'ai
commencé à comprendre que la justice de Dieu signifie celle par laquelle le
juste vit par le don de Dieu, c'est-à-dire par la foi. Le sens de la phrase est
donc celui-ci : l’Évangile nous révèle la justice de Dieu, mais la justice
passive par laquelle, au moyen de la foi, nous justifie Dieu, plein de
miséricorde... aussitôt, je me sentis renaître, et il me sembla être entré par
les portes grandes ouvertes, au paradis même. » Voici que la prédication
des Indulgences lui donnait l'occasion de crier sa découverte. Se doutait-il
qu'en prenant ces positions, il allait déclencher une crise telle que jamais le
christianisme n'en avait traversée de si grave ? Certainement non. Mais à ce
cri, l’Allemagne inquiète et frémissante allait répondre et ce drame d’âme
déclencherait une révolution.
-
La foi qui sauve selon Luther
Selon Luther, la foi a une définition bien
précise qu’il distingue de l’amour. Cette distinction, reconnue par les auteurs
de l’époque tant luthériens que catholiques, nous semble constituer l’axe qui
permet de distinguer les deux Églises. Dans le Credo qu’il laisse Melanchthon rédiger et qu’il prend le temps de
corriger, mot à mot, pour laisser aux juges catholiques un exposé sûr de ce
qu’il prêche, il définit la foi de la manière suivante[79] :
« On instruit également (les gens) de ce
qu’il n'est pas question ici de cette foi qu’ont même les diables et les impies
qui, eux aussi, croient les récits historiques[80] relatant que le Christ a souffert et
qu'il est ressuscité des morts. Celui qui sait que, grâce au Christ, il a un
Dieu qui fait miséricorde, connaît Dieu et l'invoque ; L'Écriture parle de la
foi selon que nous l’avons fait connaître à présent ; Dans Hébreux[81], elle enseigne, au sujet de la foi, que
croire, ce n'est pas seulement avoir connaissance des faits historiques, mais
avoir une ferme confiance en Dieu, avoir la ferme assurance de recevoir ce
qu’il promet. Et Augustin nous rappelle aussi que dans l'Écriture nous devons
comprendre le mot « foi » de telle sorte, qu’il veut dire la ferme confiance en
Dieu, la ferme assurance qu’il nous fait miséricorde, et non la simple
connaissance des faits historiques, tels que les diables, eux aussi, les
connaissent.[82] »
A la suite de saint Thomas d’Aquin[83],
Luther distingue dans l’Ecriture plusieurs sens du mot « foi. » Il en existe
dans l’Ecriture au moins six. « L’acte d’une puissance ou d’un habitus dépend
toujours de l’adaptation de la puissance ou de l’habitus à son objet. Or
l’objet de la foi peut se présenter de trois façons. Croire appartient à l’intelligence en tant qu’elle est
portée par la volonté à donner son adhésion ; aussi l’objet de foi
peut-il se prendre soit du côté de l’intelligence elle-même, soit du côté de la
volonté qui la meut. Si on le prend du côté de l’intelligence, on peut voir
dans l’objet de foi deux choses, selon ce que nous avons dit plus haut. (1) De ces deux choses, l’une
est objet matériel de la foi, et à ce point de vue l’acte de la foi consiste à «
croire à Dieu » (Credere Deum) puisque rien ne nous est proposé à croire,
avons-nous dit, si ce n’est dans la
mesure où cela concerne Dieu. »
L’Ecriture
sainte exprime ce premier sens quand l’épïtre aux Hébreux dit[84] : « L’homme qui s’approche de Dieu doit
croire que Dieu existe et qu’il se fait rémunérateur et
qu'il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent. »
(2) « L’autre est la raison formelle de l’objet
; c’est comme le moyen à cause de quoi l’on adhère effectivement à telle et
telle chose parmi les réalités à croire et à cet égard l’acte de la foi
consiste à « croire Dieu » (Credere Deo) car, avons-nous dit, l’objet formel de
foi c’est la vérité première, et c’est à elle que l’on s’attache pour adhérer
par elle à ce qu’on croit.
L’Ecriture
sainte exprime ce deuxième sens dans l’épître de Jacques[85] : « Toi,
tu crois qu'il y a un seul Dieu ? Tu fais bien. Les démons le croient aussi, et
ils tremblent. » Les démons croient car
leur intelligence est suffisamment perspicace pour savoir que ce qu’il dit ne
peut être que vrai.Mais leur foi n’implique aucun amour.
(3) Enfin, si l’on regarde l’objet de foi de la
troisième manière, en tant que l’intelligence est mue par la volonté, alors
c’est « croire en Dieu » (Credere in Deum), qui est l’acte de la foi ; car la
vérité première se réfère au vouloir en tant qu’elle s’offre comme une fin. » L’Ecriture sainte exprime ce troisième sens
dans de nombreux textes[86] : « Abram
crut en Yahvé, qui le lui compta comme justice »
Selon Luther, la foi qui sauve est
cette foi là. Dans la Confession d’Augsbourg, Melanchthon situe d’ailleurs
l’amour en rapport avec les œuvres, c’est-à-dire en second lieu. Il ne nie pas l’importance des œuvres mais
manifeste que seule la foi qui les fonde justifie. L’amour lui paraît être une
conséquence naturelle de la reconnaissance de celui qui se sait sauvé.
(4)
Si l’on suit l’Ecriture, il existe un quatrième sens du mot « foi », identifiable
à la charité. Saint Thomas d’Aquin l’appelle « la foi formée »[87]
et cite saint Jacques[88] :
« Veux-tu savoir, homme insensé, que la foi sans les œuvres est stérile ? » Pour
lui, celui qui a confiance en Dieu peut, en outre entrer avec lui dans une
autre dimension. S’il se met à vivre dans l’intimité de Dieu d’un amour
réciproque et agissant, d’une amitié adulte, alors sa foi devient agissante au
sens profond du terme, elle devient vivante et elle fait entrer dans le salut.
Luther s’oppose explicitement à cette conception. Il ne définit jamais l’amour
à la manière de l’Église catholique, à savoir comme une amitié qui élève
l’homme dans un rapport de tendresse d’égalité avec Dieu. Sans doute doit-on
trouver ici l’explication de l’absence de vie religieuse contemplative dans la
Réforme. Elle n’a jamais été comprise par Luther, son noviciat augustinien ne
lui ayant appris à la vivre que sous le mode d’une pratique extérieure. « En second lieu, on enseigne qu'on a le
devoir et que la nécessité impose de faire des œuvres bonnes, non pour y mettre
sa confiance, afin de mériter la grâce, mais pour l'amour de Dieu et pour sa
louange. C'est toujours la foi seule qui saisit la grâce et la rémission des
péchés. »
(5) Il existe deux autres sens du mot foi, prise cette
foi du côté des effets. Il peut s’agir du fruit du Saint Esprit[89] : « Mais le fruit de l'Esprit est charité,
joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, foi dans les autres, douceur,
maîtrise de soi : contre de telles choses il n'y a pas de loi. »
Celui qui vit dans l’a charité developpe en lui, comme un fruit surnuméraire,
ces qualités intérieures.
(6)
Enfin, un sixième sens relève du
charisme. La foi charismatique est visible chez celui qui rayonne
extérieurement la confiance en Dieu. Saint Paul en parle[90] : « A chacun la manifestation de l'Esprit est
donnée en vue du bien commun. A l'un, c'est un discours de sagesse qui est
donné par l'Esprit ; à tel autre un discours de science, selon le même Esprit ;
à un autre la foi, dans le même Esprit. »
On le voit, la
complexité de la notion de foi implique une extrême précision théologique.
-
La justification par la foi seule
C’est au niveau proprement théologique de
la parole de Dieu que Luther trouve la réponse qui le libère. Il découvre le
sens véritable de la justice de Dieu dans le texte clef de l’épître aux Romains
: « Car en lui (l’Évangile), la justice
de Dieu se révèle de la foi à la foi comme il est écrit : Le juste vivra par la
foi. » [91].
Ce texte fait le lien explicite entre justice de Dieu et foi. C’est par la foi
et non plus par la loi que, dans la nouvelle Alliance de l’Évangile, la justice
de Dieu se révèle. Par la foi, Luther entend une confiance abandonnée passivement en Dieu qui sauve, ni plus ni
moins. Il le reconnaîtra lui-même face aux critiques catholiques. Elle n’est
pas la charité qui agit dans des œuvres au service de Dieu (réciprocité d’amour
d’amitié) ou du prochain (action). Elle est cette confiance reçue passivement
de Dieu par l’homme blessé et incapable d’agir (le péché originel le rend tel.[92])
Pour comprendre la différence entre la
charité catholique et la foi réformée, il est intéressant de comparer les
interprétations de Luther et de saint Thomas d’Aquin dans leur commentaire
respectif de Romains[93] :
pour Luther, l’expression paulinienne « de
la foi à la foi » manifeste la nécessité et la suffisance de la confiance
en Dieu pour obtenir le salut. Pour saint Thomas d’Aquin, le passage de la foi à la foi signifie le passage
par étape comme dans l’architecture d’une cathédrale. On commence par une foi
fondation qui est la simple « connaissance de l’existence de Dieu et de
son salut. » L’édifice prend forme dans une foi « confiance en Dieu. » Mais son
achèvement, sa flèche qui touche le ciel est dans une troisième espèce de la
foi, la foi vive « Agapé, amour
d’amitié. » Saint Thomas d’Aquin, à travers ses écrits multiples et d’une
manière scientifique dans La Somme
Théologique, distingue ces différents sens du mot foi. Dans le traité de la
Foi[94],
il l’analyse selon son premier sens : « adhésion
de l’intelligence à la vérité révélée en tant qu’elle se révèle. » Selon
lui, cette foi là est présente jusqu’en enfer où les démons croient, bien
qu’ils tremblent[95].
Dans le traité de la charité, il manifeste que par le péché mortel un homme
peut perdre l’amour d’amitié avec Dieu (la foi vive, Agapé), tout en gardant une foi informe (la foi morte). Cette foi
morte est plus que la simple connaissance de Dieu. Elle peut impliquer la
confiance en Dieu et même un certain amour : l’homme garde, malgré le péché
qu’il ne reproche qu’à lui-même, sa confiance en Dieu mais la conscience de son
action mauvaise lui interdit l’exercice d’un amour d’amitié réciproque avec
Dieu tant qu’il ne se l’est pas réconcilié par une sincère confession,
contrition et pénitence. Tant qu’il ne l’a pas fait, son amour n’ose plus
s’appeler amitié réciproque. Dieu est aimé de plus loin, comme Créateur ou
comme Sauveur, mais plus comme l’ami et, d’une certaine manière, l’égal. La
foi-confiance est certes présente dans l’amitié mais elle ne nécessite pas
l’amitié : elle peut être le fait du serviteur
pour son maître, du militaire pour le capitaine qu’il admire.
La pensée de Luther, surtout dans ce
qu’elle comporte d’original, se présente comme une suite de l’intuition
fondatrice qui est sienne concernant le rôle suffisant de la foi-confiance pour
le salut. On le voit, c’est bien sa propre expérience de désert spirituel qui
est source de la force qu’il imprime à sa découverte. La foi est le salut en ce
sens qu’elle manifeste la présence, à l’état de germe dans l’homme, d’une œuvre
salvifique initiée par Dieu et qu’il épanouira avec certitude en gloire dans
l’autre monde. L’homme est certain de la chose suivante : ce que Dieu a
commencé et que l’homme a reçu passivement, sans que ses œuvres ou sa liberté
intervienne, mais par un don gratuit, Dieu l’achèvera dans l’autre monde. En ce
sens, s’il a la foi, l’homme est absolument certain de son salut. Luther trouve
donc le moyen de libérer le croyant de toute angoisse vis à vis de son destin
éternel puisqu’il lui assure, par la même qu’il a confiance en Dieu, au delà de
son irrémédiable état de pécheur, qu’il sera sauvé par le seul fait de l’action
commencée par Dieu.
Fondé sur l’Écriture, Luther est illuminé
par l’intuition que seule la foi justifie. Il ne s’agit nullement d’opposer la
foi aux œuvres, comme le fera une certaine scolastique protestante ultérieure,
mais de souligner la nouveauté radicale, par rapport à la loi de l’Ancien
Testament ou à l’activisme dévot de certains catholiques, de l’attitude de foi
demandée au chrétien en réponse à l’initiative de salut révélée en
Jésus-Christ. C’est ainsi que l’insistance de Luther sur la justification par
la foi seule est liée chez lui à cette autre intuition, centrale elle aussi,
que le salut est offert en Jésus-Christ de manière totalement gratuite.
A cause de sa nature originellement
scrupuleuse, Luther aura tendance à trouver dans son intuition un remède
d’ordre psychologique à l’angoisse du salut. Souvent, sous le couvert de
formules théologiques tirées de la Bible, il montre que parce qu’il discerne en
lui l’existence de cette foi au salut apporté par le Christ, l’homme peut en
retirer la certitude, psychologiquement sentie, d’être sauvé. C’est d’ailleurs
au yeux du réformateur la seule vertu qui compte dans ce domaine du salut puisque
l’homme, radicalement vicié par les conséquences du péché originel, n’a aucun
rôle actif dans sa propre justification. Il reçoit entièrement le salut de
Dieu, sans aucune initiative vers la grâce offerte. Affirmer autre chose serait
nier la souveraineté de Dieu et la gratuité totale du salut qui seule convient
dans les rapports entre l’homme et Dieu.
-
Les œuvres ne sauvent pas, la charité non plus
Puisque par la foi le Saint Esprit nous est donné, le cœur,
à son tour, devient disposé à faire des œuvres bonnes. Car, avant d'avoir reçu
le Saint Esprit, il est trop faible ; de plus, il est au pouvoir du diable qui
pousse la misérable nature humaine à commettre de nombreux péchés. Nous le
voyons chez les philosophes qui se sont avisés de mener une vie honnête et
irréprochable, mais qui, malgré cela, n'y sont pas parvenus et sont tombés dans
nombre de péchés grossiers et manifestes. II en va de même pour l'homme qui,
étant en dehors de la vraie foi, est privé du Saint-Esprit et n’a, pour se
diriger, que ses propres forces humaines.
C'est pourquoi il n'y a pas lieu de
reprocher à cette doctrine de la foi de proscrire les bonnes œuvres ; tout au
contraire, il faut la louer de ce qu'elle enseigne à faire des œuvres bonnes et
de ce qu'elle nous en offre le moyen. Car, en dehors de la foi et hors du
Christ, la nature et le pouvoir de l'homme sont beaucoup trop faibles pour
qu'il puisse faire des bonnes œuvres, invoquer Dieu, être patient dans la
souffrance, aimer son prochain, exercer avec soin les fonctions de sa charge,
être obéissant, fuir les mauvais désirs, etc. Ces grandes et véritables œuvres
ne peuvent être accomplies sans l'aide du Christ, comme il le déclare lui-même
dans Jean[96] :
« Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » Et l'Église chante : « Sine tuo numine (Sans ta divine
puissance), nihil est in homine, (rien dans l'homme), nihil est innoscium, (rien n'est
innocent) » (Liturgie de la messe de la Pentecôte : Veni sancte spiritus et emitte caelitus.)
La théologie réformée, dont nous avons
manifesté l’originalité propre, apporte-t-elle une solution satisfaisante à la
question du salut des incroyants ? Tel est, rappelons le, l’axe de nos
prolégomènes puisqu’il s’agit de manifester l’impasse où se trouve selon nous
toute théologie chrétienne en ce domaine, face à l’Évangile, quelle que soit sa
logique.
Marqué par sa propre expérience de
pécheur, Luther croit en la corruption totale de la nature humaine. Il n’y a
donc de mouvement que de Dieu vers l’homme et le mouvement inverse est
impossible. Le salut se reçoit passivement et la foi est la preuve que l’on est
sauvé. Cette doctrine, belle dans sa simplicité, semble pouvoir définitivement
rassurer le croyant pécheur sur son salut. Cependant, que devient-elle
lorsqu’on l’applique aux incroyants pour comprendre la manière dont Dieu les
sauve ?
Logique avec lui-même, Luther développera
dans ses œuvres tardives, notamment dans son commentaire de l’épître aux
Galates publié en 1534[97],
une doctrine de la justification prise du côté de Dieu : il impute de
l’extérieur sa justice aux hommes et ceux-ci n’en sont que les réceptacles
passifs. Il attaquera aussi la doctrine catholique de la charité dont il niera
toute possibilité d’exercice à la manière d’une amitié réciproque et co-active
(les œuvres).
Luther ne développera pas de doctrine
cohérente avec ses principes concernant la question du sort des incroyants.
C’est à son fils spirituel Calvin que l’on doit une telle recherche.
Calvin est de vingt-cinq ans le cadet de
Luther. Il ne fait pas œuvre de réformateur mais de penseur. Sa vocation
consiste, il le dit lui-même, à mettre au service de la Réforme son
intelligence. L’intérêt de son œuvre consiste dans son aspect systématique. Il
pousse jusqu’à leurs ultimes conclusions les principes que Luther ne fait
qu’exposer dans leur beauté native. L’esprit de système le domine au point
qu’il ne sera pas suivi par tous les réformés. Pourtant, ses conclusions sont
filles de Luther. Réfléchissant au mystère de Dieu qui donne sa grâce à ceux
qu’il appelle, Luther pose au centre de sa théologie le principe suivant : Dieu
est souverain, Créateur et régisseur de toutes choses. Ceci s’exprime dans la
devise qu’aiment les calvinistes : « Soli
gloria Deo. » Que soient attribuées à Dieu toute initiative et toute vertu,
afin qu’il soit affirmé et confessé maître et souverain de toute chose. La
souveraineté absolue de Dieu est même le critère interne, le principe au sens
aristotélicien de la dogmatique calviniste.
Puisque Dieu est souverain, déterminant
toutes choses, sa volonté toute juste est pour l’homme une règle décisive. « Nous ne sommes point nôtre, nous appartenons
au Seigneur. » Telle est la première entrée à l’obéissance de la foi.
Fondé sur ce principe, la question de l’existence
d’incroyants trouve aussitôt sa solution pour Calvin : s’ils n’ont pas la foi
et donc s'ils ne sont pas justifiés, c’est que Dieu dans sa sagesse l’a voulu
ainsi. Et puisque la foi est un don de Dieu que nul homme, tant à cause de sa
nature corrompue que de la valeur surnaturelle de ce don ne peut obtenir par
lui-même, c’est donc que Dieu a voulu dans sa sagesse que certains meurent sans
la justice de la foi. Ils sont damnés pour l’éternité non par leur faute mais
par un acte de prédestination souverain, de même que ceux qui sont sauvés ne le
sont pas par leurs mérites mais par un acte souverain de prédestination. On le
voit, cette position découle tout droit, avec cette logique raide et linéaire
dont nous avons parlé, du point de vue de la souveraineté absolue de Dieu, qui
détermine tout et n’est déterminée par rien. Aussi arrive-t-il à poser une
double prédestination, l’une à la vie, l’autre à la mort : « Les uns sont prédestinés à Salut, les autres
à damnation. » [98]
Calvin n’a ici qu’un refuge : la volonté de Dieu qui est pure, juste et bonne
par elle-même.
Pensant à l’élection des croyants, dont il
était, Calvin voyait dans sa doctrine un motif de joie et d’assurance. Mais ses
disciples se sont révoltés souvent devant cette prédestination directe et
positive de certains à la mort. La critique adressée à Calvin atteint aussi
Luther. La doctrine du salut par la foi ne résout en rien la question du salut
des incroyants pour qui cependant le Christ est mort. Elle oblige effectivement
à conclure avec Calvin que si Dieu ne donne pas la foi à certains, c’est que,
mystérieusement, il y trouve un motif de sagesse. Pourtant, elle laisse le
théologien réformé devant le même scandale que le théologien catholique qui
réfléchit au salut par la charité. Elle ne fait qu’élargir le domaine du salut
aux autres religions qui vivent de cette foi théologale, principalement les
juifs et les musulmans. Certains protestants ne reconnaîtront même pas à ces
hommes la qualité de croyants au sens de Luther puisqu’ils n’ont pas explicitement
Jésus-Christ au centre de leur démarche religieuse. Ainsi, le scandale du
septième sceau de l’Apocalypse reste entier. Il s’agit du scandale du silence
de Dieu qui de fait, ne se révèle qu’à ceux qu’il choisit.
De nos jours, la théologie réformée reste
confrontée, tout comme celle des catholiques, à la question de l’enfer pour
ceux qui meurent en dehors de la justification de Dieu. Elle multiplie les
solutions depuis le plus rigide sectarisme calviniste au libéralisme le plus
ouvert. C’est dans la Réforme que se manifeste pour la première fois dès le XIXème
siècle la vision de l’universalité du salut pour tous les hommes de bonne
volonté. L’humanisme identifié au christianisme se développera dans le
luthéranisme avant de se répandre dans des courants de la théologie catholique.
Le Concile Vatican II saura tirer de ce courant ce qui est bon et qui sera
résumé en une phrase : « Tout acte bon
dispose(dispose seulement mais pas davantage) au salut dans lequel l’homme est
introduit par la charité. »[99] Il
nous faut maintenant analyser cette position, de plus en plus répandue de nos
jours et que nous avons nommée humanisme
chrétien.
Introduction : mmm
Nous laissons de côté toutes les
conceptions du salut qui se sont trompées sur la nature de ce salut. Le
messianisme temporel n’est pas un phénomène moderne puisque déjà les juifs
furent tentés de faire de Jésus un roi terrestre d’Israël. Mais notre étude
n’est pas directement concernée par des pensées comme celle de la théologie de
la libération, le marxisme chrétien ou le millénarisme, toutes conceptions qui
attendent un salut terrestre d’une
action terrestre bonne. Nous voudrions étudier celles qui espèrent la vision
béatifique par le mérite d’une action terrestre
(naturelle et non théologale) bonne.
Deux courants nous ont particulièrement
intéréssé, à cause de leur impact historique ou contemporain. Le premier exalte
une perfection acquise à force d’ascèse. Nous avons choisi de présenter la
pensée de Pélage, plutôt que tout autre parmi les puritanismes car il est
significatif d’un courant se caractérisant par l’exaltation de la perfection
vertueuse.
Nous avons choisi de développer aussi
cette forme d’humanisme moderne, identifié au christianisme par une part
importante de l’Eglise catholique ou des courants réformés. Il exalte la valeur
d’attitudes humainement bonnes comme l’humilité, l’attention aux autres. Sa
valeur suprême est une bonne volonté se traduisant par un réel amour humain
pour son prochain.
Mais que ce soit perfection ou humanisme,
ces deux courants se rejoignent dans leur sens d’un salut par une attitude naturelle.
Né dans les années 350, le moine Pélage
était doté à son époque d’une réputation d’ascète. Il est contemporain de saint
Jérôme et de saint Augustin. Sa doctrine est digne d’intérêt pour le sujet qui
nous occupe car elle contient une conception du salut liée à l’activité d’une
volonté droite et conquérante. Notre source principale est sa Lettre à
Démétriade où il expose à travers un enseignement ascétique assez
classique, l’essentiel de sa pensée. Cette doctrine exprime une confiance
optimiste dans le bonum naturae, dans
les forces et les possibilités de la nature, qui est l’œuvre de Dieu. Contre
tout fatalisme, contre tout déterminisme, d’où qu’ils viennent, elle exalte la
liberté de l’homme. Dieu a donné à l’homme la possibilité foncière de choisir
librement entre le bien et le mal. La bonté foncière de la nature se manifeste
dans les vertus des païens et des philosophes. Il y a donc une sainteté
naturelle qui devient, aux yeux de Pélage, la seule sainteté réelle. L’exemple
des saints antérieurs à la Loi montre ce que nous pouvons faire[100]. «
Si les hommes tels qu’ils ont été créés
par Dieu, peuvent ainsi faire le bien, même sans Dieu, vois tout ce que peuvent
faire les chrétiens, eux dont la nature et la vie ont été instruites par le
Christ et qui sont aidés par le secours de la grâce divine. » (Lettre 2)
Ces mots expriment au mieux la pensée de Pélage sur la grâce. Elle est une
éducation, un enseignement et un secours pour faire mieux que les autres. Mais
elle n’est en aucun cas une surélévation de la nature en vue d’une vie
surnaturelle. La grâce du Christ est nécessaire pour que nous puissions
accomplir plus facilement ce qui nous est commandé par Dieu. Elle consiste dans
l’effet pédagogique de l’enseignement et l’exemple du Christ : Pélage insiste
volontiers sur l’imitation du Christ. Mais il est frappant de voir comment son
commentaire de Philémon[101]
fausse habilement la pensée de l’apôtre : « C’est
Dieu qui fait en nous le vouloir et le faire. Il fait en nous le vouloir par la
persuasion et par la promesse des récompenses ; il fait en nous le faire en
disant : celui qui persévérera jusqu’au bout sera sauvé. »
Dans la logique de Pélage, on pourra dire
que l’homme « mérite » par la force de ses actes de vertu l’entrée dans le
salut de Dieu. Cela aboutira à un culte de la perfection morale, assez
semblable extérieurement à celle qui fut cultivée par le Jansénisme, cette
doctrine sur la grâce étant pourtant opposée radicalement aux conceptions
pélagiennes.
Dans la perspective ici étudiée, la
manière concrète pour l’homme d’être justifié n’a rien à voir avec un don
gratuit de Dieu mais dépend entièrement de la force morale de chacun. Une fois
juste devant Dieu par la force de sa conduite vertueuse, l’homme est assuré de
recevoir en récompense de ses luttes la vie éternelle et la gloire de l’autre
monde. Ainsi, le salut appartient aux forts et seuls les forts s’en emparent,
non par aide de Dieu mais par conquête personnelle. Bien évidemment, Pélage ne
se souciera guère du sort des païens ou plutôt, devrions nous dire, des faibles
qu’ils soient chrétiens ou non. Le fait qu’il ne se pose pas la question de
leur salut et qu’il les pense simplement voués à l’enfer éternel par punition
de Dieu est significatif : son système de pensée n’est pas centré sur la
charité ni même sur l’amour humain mais sur des valeurs plus viriles à ses
yeux. Ce système de pensée est bien évidemment un contresens évangélique. Il
permet cependant d’éclairer notre recherche en dévoilant par mode d’analogie
celui que nous allons présenter maintenant. En effet, à notre époque, les
tentatives pour expliquer la manière dont l’homme incroyant mais de bonne
volonté est justifié se multiplient. Elles s’expliquent par la multiplication
du nombre des athées autours d’une Église davantage consciente des qualités de
cœur des non-chrétiens.
La tentative la plus importante car la
plus enseignée et la plus semblable au christianisme est celle de « l’humanisme.
» Nous avons choisi de nommer ainsi un courant à multiples facettes qui
s’impose de plus en plus aux grandes Églises chrétiennes contemporaines comme
étant l’essence de l’Évangile de Jésus-Christ[102].
La dénomination est ambiguë. Nous n’entendons pas sous ce mot les nombreux
courants de la Renaissance qui ont abouti à redonner sa place à l’homme dans
une théologie chrétienne excessivement théocentrique[103].
Cette perspective constituait un rééquilibrage des deux commandements de
l’amour, pour que l’amour ne l’homme ne soit pas effacé par l’amour de Dieu.
Dans le cas qui nous occupe, le commandement de l’amour du prochain devient
mesure de tout, le commandement de l’amour de Dieu ne trouvant pas d’autre
manifestation que dans l’action au service de l’homme. A la différence du
pélagianisme, cette conception du christianisme ne prétend pas fonder le salut
sur la vertu individuelle, sur la capacité à dominer son propre être, mais sur
la bonne volonté d’un cœur humain attentif à l’autre. Théorisée, elle va
jusqu’à identifier charité et amour humain authentique. Cette théologie n’est
pas facile à identifier car il existe effectivement une grande ressemblance
phénoménologique entre les diverses espèces de l’amour « honnête », qu’il soit
naturel ou non. Rien ne ressemble plus à un amour authentique qu’un autre amour
authentique (tourné vers l’autre.) Seule une analyse de théologie morale peut
découvrir une différence entre charité et amitié naturelle, à partir en
particulier, de l’étude des finalités.
Parce qu’il est difficile à distinguer, ce
courant de pensée se répand partout, y compris chez d’authentiques thomistes. A
cet égard, l’exemple du Père Guy Vandevelde est remarquable : formé à
l’Université Grégorienne, ce prêtre séculier enseigne la théologie dogmatique.
Docteur en théologie, il a soutenu sa thèse intitulée « expression de la
cohérence du mystère du salut » à Rome en 1993. Sa thèse n’aborde pas
exclusivement la question du salut des païens mais porte un regard d’ensemble
sur l’harmonie de la révélation. Dans cette perspective, au cours de la
troisième partie, il s’efforce de rendre compte du salut des païens[104].
Il élabore donc une hypothèse justifiant leurs mérites pour la vie éternelle :
dans l’amour d’autrui, dit-il, il n’y a jamais que de l’humain seulement. Il y
a toujours une part de grâce parce que celui qui imite Dieu qui est Amour, même
du dehors, ne peut le faire sans être rapproché de lui. Il reconnaît cependant
que cette grâce n’est pas la plénitude de la grâce sanctifiante telle que
décrite précédemment et qui donne part à la vie intime de Dieu. Son analyse,
portée par une formation thomiste, en arrive à distinguer l’amour du frère
motivé par la reconnaissance en lui de l’image de l’homme, de l’amour du frère
motivé par l’Image de l’Homme Nouveau, c’est-à-dire du Christ. Cependant, (et
là se trouve l’argument qui le pousse à en arriver à l’identification de la
charité dans tout amour humain), celui qui aime d’amitié cherche à promouvoir
l’image de l’homme et cela ne peut venir que de l’image de l’Homme Nouveau qui
est en lui. Ainsi, en aidant celui qui souffre, tout homme aide réellement le
Christ qui souffre. Il vit de la charité fraternelle. Citons le père Vandevelde
: « C’est pourquoi il faut affirmer que
tout comportement habituel envers les autres, individus ou groupes, constitué
par le respect de la dignité de l’autre selon ce que l’on sait de vrai, par la
volonté de promouvoir dans le bien que l’on voudrait pour soi, en marchant dans
l’oubli de soi qui va jusqu’au pardon (grâce de la « proximité » ou passion et
résurrection du Christ dans la vie de l’homme) est pour un homme la grâce de la
charité qui l’unit au Père et au Fils
dans l’Esprit, en l’associant à la foi de l’Église. »[105]
Cette tentative s’appuie sur la foi de
l’Église catholique dans l’existence d’une grâce surnaturelle à l’intérieur de
tout acte humain. Elle est critiquable par l’identification qu’elle implique en
définitive entre cette grâce là (qui est, au sens thomiste une grâce actuelle, c’est-à-dire une attraction de Dieu donnée à toute créature
spirituelle) et la grâce sanctifiante qui est de toute autre nature et
est seule apte à expliquer la vertu de charité. Le Père Vandevelde se défend de
faire cette confusion aussi il contourne la difficulté en établissant une
théorie de l’Assomption par le Christ homme des actes bons faits à ses frères
hommes. L’Évangile semble suggérer cette solution : « En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait du bien à
l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » [106]
D’une manière pratique et bien au delà des
laborieuses théorisations, l’humanisme tend s’imposer comme l’unique Évangile
chez les chrétiens eux-mêmes. Le commandement de l’amour du prochain est exalté
tant par la prédication que par le mode de l’action catholique. La vie
contemplative, de moins en moins comprise, est dévaluée au profit de l’action
sociale ou humanitaire. La valeur suprême de l’Évangile se trouve dans l’amour
d’autrui (aimé pour lui-même, que la lumière du Christ intervienne ou non.)
Les conséquences de cette pensée se font sentir dans l’attitude
des chrétiens. Plus profondément qu’on le croit, l’Église est actuellement
divisée en deux courants difficiles à réconcilier et qui se qualifient l’un
l’autre d’intégrisme et de progressisme. Sans doute les divisions sont-elles
moins médiatiques qu’à l’époque des combats liturgiques de l’Église de France
et de Mgr Lefebvre. Mais elles sont en revanches beaucoup plus profondes car elles
ne touchent plus l’expression de la foi, mais la foi elle-même et ce de manière
radicale.
Aux yeux du courant humaniste libéral, tel
que nous l’entendons ici, l’attitude qui spécifie le chrétien est à prendre
dans son amour respectueux d’autrui. Une autre vertu est une certaine humilité
à reconnaître sa propre faiblesse accompagné d’une étrange tolérance pour le
péché. « Si ton péché te conduit au bonheur, est-il un péché aux yeux de
Dieu ? La gloire de Dieu n’est-elle pas l’homme heureux ? » Le mot le plus
employé pour caractériser le comportement issu de cet amour est celui de tolérance. Il n’y a pas d’attitude plus chrétienne que celle qui consiste à
tolérer autrui dans ses idées et son comportement (dans la mesure ce
comportement et ces idées sont elles-mêmes tolérantes envers autrui.) Or, dans
un monde sécularisé, la valeur suprême qu’il convient de respecter chez
l’autre, parce qu’elle définit sa qualité de personne humaine, consiste dans sa
liberté. En raison de sa liberté, l’homme peut rechercher de manière pleinement
humaine, affirmera-t-on, son bonheur personnel. C’est pourquoi toute attitude
qui s’opposerait d’une manière ou d’une autre à la liberté inaliénable de
chacun dans sa recherche du bonheur est qualifiée d’anti- humaine et, par
conséquent, d’anti-chrétienne. Il est à noter que le premier ennemi, pour les
tenants de cette conception humaniste et libérale du christianisme, est l’autre
christianisme, celui des dogmes et de la morale imposée comme une règle venant
d’en haut. Il est légitime de s’en prendre à l’enseignement des papes tel qu’il
est caricaturé, déformé par la Presse. Il est vrai que si le Magistère
enseignait réellement qu’il vaut mieux communiquer le Sida à son prochain que
d’utiliser le préservatif, il serait criminel. Mais cherche-t-on à connaître en
vérité la pensée du Magistère de Pierre à cet égard ? Fidélité et liberté sont
souvent antagonistes. Il existe en effet, sous forme de non-dits, un
antagonisme entre cette forme de christianisme sécularisé et le christianisme
le mieux compris : aimer Dieu et son prochain jusqu’à donner sa vie, jusqu’à
renoncer à sa liberté comme le font certains contemplatifs, n’est-ce pas une
pratique radicalement opposée à celle qui consiste à exalter la liberté
individuelle comme valeur suprême, digne d’être aimée en soi et tolérée en
l’autre ?
En adhérant à cette thèse, le théologien
semble enfin trouver la solution à la question du salut des infidèles : tout
homme est sauvé et entrera dans la vision béatifique dans la mesure où il est
de bonne volonté. Il n’y a pas à rechercher dans cette bonne volonté un critère
de vérité autre que l’adhésion sincère à ce que la conscience morale présente
comme bon. Mieux que ne le fait Pélage, cette solution humaine est apaisante
pour l’intelligence car elle n’exalte pas la force mais la qualité du cœur.
Elle possède même un certain fondement évangélique, davantage que la théorie de
Pélage qui se trouve symbolisée par l’attitude pharisienne[107] :
« Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand nous est-il arrivé de te
voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de
t’accueillir, nu et de te vêtir, malade ou prisonnier et de venir te voir ? Et
le Roi leur fera cette réponse : En vérité je vous le dis, dans la mesure où
vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous
l’avez fait. »
Cependant, si on l’analyse de plus près,
on s’aperçoit qu’elle soulève d’autres questions théologiques plus graves :
elle relativise le Christ. Elle en fait un élément second et dispensable. Que
devient en effet la spécificité évangélique soulignée par Jésus : « Quel gré vous en sera-t-on de cette action ?
Les païens n’en font-ils pas autant ? »[108]
Qu’en est-il de l’analogie des noces prise par Jésus pour illustrer l’entrée
dans le Royaume de Dieu par la grâce et la gloire ? En effet, si pour entrer au
Ciel, il suffit d’avoir été humainement bon sur la terre sans qu’un désir de
Dieu se soit manifesté, c’est donc que le « mariage » de l’entrée dans la
Vision se fait par surprise et non par choix mutuel d’amour... On pourrait
multiplier la liste des difficultés que pose cette thèse qui, en un mot, réduit
le Christ à l’homme.
Le Père Vandevelde ne peut être accusé de
réduire le christianisme à l’humanisme. Mon but, en le citant, était le même
qui me fit citer précédemment les tentatives du cardinal Journet : La question
du salut des païens reste ouverte et les théologiens qui s’expriment, même
s’ils s’efforcent en conscience de trouver une solution conforme avec tout ce
qu’ils croient être l’Évangile, sont condamnés à entrer en contradiction avec
leur foi s’ils ne veulent pas poser la damnation éternelle de millions
d’innocents. Tout ceci manifeste une fois de plus la nécessité de la recherche
théologique renouvelée pour rendre raison, en harmonie avec la foi, (toute la
foi !) de l’évidence chrétienne du fait que tout homme de bonne volonté
sera un jour introduit par Dieu dans la Vision. Il convient cependant que cette
solution garde entière la saveur de l’Évangile.
Nous constatons ainsi que chacune des
nombreuses systématisations du problème du salut, lorsqu’elle est confrontée à
la question concrète de la place de ceux parmi les hommes qui ne répondraient
pas aux conditions requises pour être sauvé, s’est efforcée de se prononcer sur
leur sort après la mort. Diverses solutions ont été proposées jusqu’à
aujourd’hui. Les passer toutes en revue serait un travail démesuré. Cependant,
nous constatons que la question de la damnation éternelle est une pierre
d’achoppement sur laquelle les plus belles théologies viennent tourner et
retourner. La théologie scolastique, en admettant comme le centre de la foi que
Dieu ne communique la béatitude éternelle qu’à celui qui l’aime de charité, a
été conduite à des contradictions non encore résolues comme, chez un saint
Thomas d’Aquin, à l’harmonisation fragile entre l’amour infini du Christ mort
pour tous et la doctrine des limbes des petits enfants morts sans baptême, de
l’enfer pour les païens ou ceux qui meurent sans avoir entendu la prédication
de la foi qui leur aurait permis d’aimer. Chez d’autres thomistes,
contemporains cette fois, l’idée de cet enfer largement ouvert ne passe pas.
Pour arriver à conserver l’idée du salut par la charité sans damner une masse
de pauvres gens qui l’ignorent, on invente des concepts douteux de « charité
implicite », comme si l’amitié pouvait être implicite. On ne discerne pas que
ce qu’on appelle charité implicite est un amour humain explicite, si bien que
la contradiction avec les prémices du raisonnement n’est pas perçue.
La position de Luther aboutit quant à elle
à celle de Calvin car une foi donnée sans coopération de l’homme qui la reçoit
conduit logiquement à l’idée d’un Dieu qui damne qui il veut dans sa
souveraineté éternelle. Cette position est difficilement conciliable avec
l’amour crucifié, mais qu’importe une telle évidence au théoricien perdu dans
sa logique.
Quant à ceux qui ouvrent le salut à toute
bonne volonté, ils résolvent la question de l’enfer et semblent régler celle de
l’amour universel de Dieu. Mais ils ne résolvent plus la question de l’utilité
du christianisme.
En présentant de manière synthétique
quelques théologies du salut, nous espérions manifester le goût d’inachevé qu’elles
laissent toutes : toutes présentent un goût de vérité et en même temps un
arrière goût d’insatisfaction. Une analogie peut éclairer ce fait : elles
ressemblent à la tentative d’une marieuse voulant créer les conditions d’un
mariage d’amour. Puisque l’entrée dans la gloire ressemble à un mariage, cette
analogie semble convenir. La marieuse fait un premier essai, rêve pour les
futurs époux (Dieu et l’âme, dirait saint Bernard) d’un amour réciproque et
oblatif mais ne sait pas comment obtenir qu’ils se rencontrent avant le jour
des noces (ainsi en est-il pour les païens avant leur mort dans la théologie
traditionnelle.) Elle tente donc un second essai, obtient que les époux se
rencontrent et croit pouvoir les marier pour toujours alors qu’elle sait que la
fiancée n’éprouve pour son fiancé que de la confiance (tel est Luther et sa foi
imputée) ; quant à sa troisième tentative, elle est encore plus décevante
puisque cette fois, notre entremetteuse amène à Dieu (l’époux) toutes les
filles de la terre, toutes fort braves et gentilles (la bonne volonté), mais
toutes fort étrangères puisque incapables d’amour du fait qu’elles n’ont jamais
entendu dire qu’il allait être question d’un mariage d’amour. Telle est la
théologie qui prétend introduire tout homme de bonne volonté dans la vision de
Dieu sans présupposer la charité. Quant à Pélage, il est encore davantage en
dehors du problème puisque l’épouse qu’il propose s’avère invivable, centrée
qu’elle est sur la recherche de sa propre perfection.
Cette analogie des noces éternelles
éclaire de manière satisfaisante la gêne où se débat toute théologie face au
mystère du salut. Lorsque nous aborderons la question de la foi solennellement
enseignée par l’Église catholique en ce domaine, nous verrons que cette
analogie du « mariage d’amour » n’est pas une pieuse image mais un véritable
sacrement du Royaume de Dieu. La question ne se pose ni en terme de confiance
affectueuse ou de bonne volonté générale qu’elle soit vertueuse ou pauvre, mais
d’amour exclusif et passionné envers un Dieu auquel il s’agit de s’unir pour
l’éternité, en lui offrant par concomitance sa confiance, sa vertu et sa bonne
volonté. Ainsi, si la racine de la vérité est plutôt chez saint Augustin et
saint Thomas d’Aquin, comment faire porter à cette racine tout ce qu’elle
promet en fruits d’espérance ? Comment s’y prend d’une manière très concrète le
Dieu qui veut sauver tous les hommes pour que tous arrivent dans l’autre monde
en aimant ou en refusant d’aimer et ce en pleine lucidité, volonté et liberté,
comme il convient au jour où l’on se marie pour l’éternité ?
Nous parlions dans notre introduction d’approche démonstrative théologique.
Cette expression, peu utilisée, mérite quelque précision. Tout d’abord, il
n’est licite de parler d’approche démonstrative que lorsque, à partir d’un
raisonnement, on aboutit à une conclusion nécessaire.
Dans le domaine mathématique, la réalité du point de départ importe peu.
Quelles que soient les prémices, cette discipline étant abstraite du réel, la
validité logique du raisonnement suffit à établir une démonstration. Il n’en
est pas de même dans le domaine du réel. Il n’est pas négligeable dans ce
domaine de vérifier si le point de départ est vrai, autrement dit s’il est en
conformité avec la réalité.
Or, selon saint Thomas d’Aquin, il existe
deux sciences qui se partagent l’étude du réel[109].
La
science philosophique, qui ne considère la
réalité dans son ensemble que dans la mesure où l’intelligence humaine, par ses
propres moyens, peut l’atteindre. Dans ce domaine, s’il est nécessaire de
démontrer l’existence d’une réalité, d’une cause ou d’une loi quelconque dont
on n’a pas l’expérience, la certitude de la vérité du point de départ est
essentielle. Elle est acquise par divers moyens tels l’expérience,
l’expérimentation. Cette solidité du point de départ est fondamentale pour la
solidité du reste de l’édifice, d’où le soin que prennent les scientifiques à
établir les prémices expérimentales.
La seconde science du réel, la science théologique, ne considère
quant à elle la réalité que selon qu’une Autorité supérieure et digne de
confiance, Dieu lui-même, la révèle pour le salut des hommes. Ainsi, en
théologie, le fondement sur lequel doit s’appuyer tout raisonnement
démonstratif ne se trouve pas dans un fait d’expérience mais dans une « parole
de Dieu. » Il s’agit à la fois d’une parole
au sens d’un concept intelligible et d’une
parole au sens d’une promesse sur l’honneur de ne pas mentir. Une approche
démonstrative théologique n’aura donc de valeur, à l’instar d’une démonstration
philosophique ou scientifique, que si :
1- Son fondement est une vérité certaine,
donc si l’on est sûr que la proposition de départ est réellement une Parole de
Dieu et non une opinion théologique trop valorisée.
2- Le raisonnement qui la constitue est
valide, conforme non seulement à la logique rationnelle mais surtout à la « logique
de ce qu’est Dieu. »
Comment être certain de la vérité révélée
d’une proposition théologique ? Cette recherche, le lecteur l’aura compris, est
fondamentale à notre thèse. Si nous avions voulu établir, parmi d’autres
hypothèses, celle du retour du Christ à l’heure de la mort pour expliquer le
salut des païens, nous n’aurions pas parlé d'approche démonstrative théologique
mais d’hypothèse théologique. Notre intention est tout autre. Aussi,
connaissant les controverses actuelles de la théologie fondamentale à propos du
domaine de la certitude de la foi, il nous parait utile de préciser sur quelle
base nous nous appuyons. Nous laissons le lecteur juge de nos choix.
Pendant les sessions de préparation au
Doctorat, deux théologiens de haut niveau, auteurs de livres faisant autorité,
se sont exprimés sur la notion de certitude d’une vérité théologique. Le Père
Joseph Moingt, s.j. fut on ne peut plus clair à propos de la certitude venant
du Magistère solennel en matière de foi. « Qui
d’entre vous, disait-il aux doctorants, peut
encore de nos jours donner une quelconque valeur aux documents des papes ?[110].
» Pour lui, la seule certitude en théologie venait non de l’autorité d’une
parole mais des méthodes rationnelles de l’exégèse confrontées à l’écrit. Or ce
genre de certitude, historico-critique, ne peut que provoquer une moue pour
tout esprit moderne habitué à chercher la vérité de l’être des choses. Ce genre
de certitudes est faible car l’écrit est dépendant de trop de facteurs humains.
La théologie ne serait donc pas autre chose qu’une science humaine ? Interrogé
à la session suivante par mes soins sur le point particulier du Magistère solennel
de l’Église en matière de foi, le Père Gislain Lafont o.s.b, prieur de l’abbaye
de la Pierre-Qui-Vire, répondait[111] :
« Les documents du Magistère ont une
valeur probable. » Précisant sa pensée un peu plus tard, il ajoutait : « 92 à 94% sont vrais, mais que faire des 6 à
8% restant ? » Pas une fois dans son propos n’intervint la distinction
simple et classique entre les documents doctrinaux, pastoraux ou sacerdotaux du
Magistère, ni celle des degrés d’autorité des documents doctrinaux. Il en
ressortait de ce fait une grande confusion dans ce domaine et une certitude :
rien n’est certain dans la Révélation, tout est recherche et opinions.
Evidemment, dans cette perspective, parler d’approche démonstrative théologique
est hors de propos. On est loin de la pensée de saint Thomas d’Aquin, qui
écrivait au XIIIème siècle : « La
certitude en théologie vient de Dieu qui se révèle et ne peut mentir. » On
le voit, la question de la Théologie fondamentale est loin de faire l’unanimité
chez les théologiens. Il nous paraît donc nécessaire, avant d’établir notre
hypothèse, de manifester clairement quelle est la nôtre. Nous ne cachons pas
que nous ferons un choix, peu commun aujourd’hui chez nos pairs.
Notre théologie fondamentale n’est pas
choisie a priori. Non seulement elle
est celle de l’Eglise catholique à travers son magistère[113],
mais elle est réfléchie et simplement logique avec ce qu’est une révélation.
D’où vient en effet, le contenu de la
théologie chrétienne ? Vient-elle d’un homme ou de Dieu ? Il s’agit d’une
parole émanant de la Trinité éternelle. Dieu lui-même prend l’initiative de
parler à l’homme pour lui annoncer sa prédestination à la vision béatifique. Le
contenu de cette Parole n’est donc pas autre chose, en définitive, que
l’essence Infinie de Dieu. Elle ne sera saisie face à face, ad modum recipientis, qu’après la
glorification de l’homme.
Pour se révéler, Dieu adapte évidemment son langage
à ceux à qui il s’adresse. L’homme sur terre ne peut comprendre l’Infini qu’à
travers une image créée et adaptée à sa capacité[114]. Cette
Image n’est autre que Jésus Christ, à travers sa vie, sa mort, sa résurrection
et son enseignement oral. Or, il est intéressant de remarquer qu’entre la
créature Jésus, vrai homme (Verbe de Dieu) et sa divinité de vrai Dieu qu’il
révèle (Verbe de Dieu), la distance est infinie. Si Jésus aime humainement pour
révéler l’Amour trinitaire, sa révélation n’est pas adéquate au Révélé. Est-ce
à dire que son action est vaine, aléatoire et qu’il ne peut y avoir de
véritable théologie ici-bas ? Dieu n’agit pas en vain. C’est donc qu’il peut
exister, par l’analogie, un discours vrai sur Dieu. Le discours sur l’analogie
de la foi est fondé en ce lieu théologique.
Mais la distance entre la Trinité infinie
et la connaissance humaine ne s’arrête pas ici. Jésus s’est exprimé oralement.
Il a parlé à l’homme pour lui dire à travers des mots, la Trinité
éternelle et l’Evangile. D’où viennent ses paroles articulées ? D’abord, il a
pensé humainement ce qu’il a dit. Or, entre sa pensée humaine et la pensée
Trinitaire, la distance est infinie.
Ensuite, il a exprimé extérieurement sa
pensée. Or, entre la pensée humaine et son expression à travers un langage
articulé, il existe encore une distance supplémentaire. Tous les poètes en ont
l’expérience.
Jésus n’a rien écrit. L’Ecriture Sainte
est le fait de ses disciples directs ou indirects. Ainsi, avant qu’apparaissent
les écrits, sa Parole avait été reçue dans le cœur de certains croyants. Ils
n’y comprirent rien au début, rapportent les évangiles. « L’Esprit Saint n’avait pas été donné »[115].
Le récit des pèlerins d’Emmaüs ou celui de la Pentecôte est à cet égard
significatif. L’Esprit Saint a un certain rôle à jouer en théologie...Mais ici
intervient un autre intermédiaire entre l’Ecriture et la Trinité éternelle : la
Tradition des Saints. Cet intermédiaire est plus important, semble-t-il,
que l’Ecriture elle-même puisqu’il la crée, il en est à la source.
Les écrivains sacrés ont vécu l’Evangile.
Portés par l’Esprit, ils en ont compris des bribes, chacun à leur niveau. Puis
ils ont pensé ces bribes (nouvelle distance entre vie et pensée.) Enfin, ils
ont écrit avec leurs propres mots (distance entre la pensée et le mot.) Ces
écrits nous sont parvenus, séparés de leur auteur et de son histoire (nouvelle
distance.)
Pour résumer notre propos, il est possible
de réaliser le schéma suivant :
L’origine de la Parole de Dieu, l’importance de trois sources
I-
L’ESPRIT SAINT :
I-
1- TRINITÉ INFINIE
distance infinie entre divinité et
humanité du Christ, analogie de la foi.
I- 2- VERBE FAIT CHAIR, JESUS-HOMME
distance
entre sa vie mystique et la pensée en concepts humains de cette vie
I- 3- CONCEPTS HUMAINS DE JESUS
distance
immense entre concepts et mots
I- 4- ENSEIGNEMENT ORAL DE JESUS
distance immense entre Jésus et les saints
II- LA TRADITION :
II- 1- PAROLE RECUE CHEZ LES SAINTS
(intervention de l’Esprit Saint)
distance immense entre vie mystique des
saints et leur pensée en concepts humains de cette vie
II- 2- PENSEE DES SAINTS
III- L’ECRITURE SAINTE :
III- 1- ECRITURE DES TEXTES
distance
immense entre écrits et pensée
III- 2- MORT DES ECRIVAINS
Distance
entre l’écrit mort et son auteur humain historiquement situé.
Difficulté
pour le lecteur moderne et importance de l’exégèse historique et critique.
On le voit, à
travers ces étapes, il s’établit une distance de plus en plus lointaine entre
l’écrit mort, figé, son auteur humain disparu et son auteur principal : la
Trinité éternelle.
Conscient de cette distance infinie entre
la Trinité et son expression, certains pasteurs Réformés ont parfois nié la
possibilité de tout langage théologique vrai, conforme à ce qu’il doit
exprimer. Cette position est exagérée. Elle ne tient pas compte de la capacité
de l’intelligence humaine à approcher
le réel avec vérité. Il ne s’agit pas pour la théologie de prétendre embrasser l’essence de Dieu selon ce
qu’elle est, mais de l’approcher par analogie. L’intelligence ne peut d’ailleurs
jamais agir autrement, même pour le réel créé objet de la philosophie puisque
la réalité est toujours plus que ce qu’on en a compris. Mais comment un
chrétien peut-il, au XXème siècle, approcher au plus près ce qui est
révélé par Dieu, à savoir Dieu lui-même, sachant que sa découverte ne sera
qu’analogique.
Fondé sur ce que nous venons de manifester
concernant l’origine de la Parole de Dieu, il paraît évident que l’ordre vital
est le suivant : plus le chrétien est à proximité de la Source (Dieu), plus il
peut et doit s’appuyer sur cette source. L’ordre est donc :
1- L’Esprit Saint ;
2- Jésus vrai homme, approché de manière
vivante (prière du cœur, liturgie) ;
3- La Tradition vivante des saints, son
interprétation de l’Ecriture ;
4- L’Ecriture en tant que texte séparé de
sa source.
Cet ordre, idéal en sa conception
théorique, est malheureusement moins évident dans sa réalisation concrète. Il
présente des incertitudes.
1- Comment distinguer une inspiration de
l’Esprit Saint d’une inspiration psychologique, poétique ou angélique ? S’il
était si aisé de distinguer les esprits avec certitude, saint Paul aurait-il eu
besoin de mettre en garde contre les faux esprits ? Pour le chrétien priant, il
ne peut être question de nier l’existence d’un sensus fidei proportionnel à la qualité de son humilité et de sa
foi. Mais il est difficile de fonder une théologie définitivement vraie sur ce
seul fondement. Le monde des Églises Pentecôtistes et sa division le manifeste.
2- Comment être sûr que le Jésus imaginé
par chacun correspond au Jésus réel ? Là encore se mêle un fatras de
constructions et de projections psychologiques. Le Jésus de saint Jérôme est
plus intransigeant que le Jésus de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus...
3- Les saints et les grands théologiens
disent tout et l’inverse de tout. Les Pères de l’Église sont à cet égard
intéressants à lire. Comment distinguer la vraie Tradition de ce qu’elle
charrie avec elle ?
4- L’Ecriture Sainte est immense et
souvent contradictoire. L’exégèse du sens littéral humain (ce que l’auteur
humain a voulu dire) ne cesse d’élaborer des conclusions aussitôt périmées par
de plus récentes recherches. Il lui manque un outil fondamental : les auteurs
humains sont morts et inaccessibles. Elle en est donc réduite, dans le
meilleurs des cas, à des conjectures probables. Elle est une science bien
pauvre en certitude. Quant à l’exégèse du sens divin de l’Écriture, elle est
aussi très complexe. Tous les artifices de la parole humaine ont été employés
par Dieu pour se révéler, depuis la métaphore en passant par le conte... Si
l’on ajoute à cela que Dieu n’a rien dicté mot à mot de sa parole, au moins
dans les traditions monothéistes non musulmanes, mais qu’il s’est contenté
d’inspirer un auteur qui a retranscrit avec ses propres mots, protégé cependant
de l’erreur par une grâce spéciale, la vérité révélée, on voit mal comment
tirer avec certitude le vrai du faux de l’Écriture. Difficile en conséquence
pour le lecteur solitaire de la Bible, de reconnaître une métaphore d’une
analogie propre. Les témoins de Jéhovah, dans leur controverse avec les
catholiques, ne font souvent qu’appeler métaphore ce que nous appelons sens
littéral.
La seule autorité qui de manière absolue
est certaine en matière de Révélation, c’est la parole de Dieu éternelle,
incréée. Mais, étant inaccessible tant que l’homme n’est pas introduit dans la
vision béatifique, cette parole a du s’incarner pour lui parvenir en mots
humains. Traduire des vérités infinies par l’analogie de vérités limitées est
difficile. Pourtant, grâce précisément à l’analogie, Dieu s’est révélé à
l’homme.
Heureusement, un moyen utile et pratique a
été prévu par Dieu dès l’époque lointaine de la révélation faite à Moïse : il
s’agit d’un charisme particulier, donné à un ou plusieurs hommes marqués du
sceau de l’autorité, pour confirmer leurs frères dans leurs interprétations
laborieuses de l’Écriture Sainte. Dans l’évangile de saint Jean[116],
Jésus l’attribue au peuple juif, par opposition au peuple samaritain : « Nous, nous adorons ce que nous connaissons
car le salut vient des juifs. » De même, ce charisme est donné à l’Église
catholique, à travers la personne fragile mais protégée en ce domaine, des
papes. L’Écriture Sainte, sans erreur en elle-même, est difficile à interpréter
dans la plénitude de sa vérité. L’exégèse y travaille ; La prière des croyants,
support de la Tradition est sûre en elle-même mais mélangée à tout un ajout imaginaire
difficile à séparer du bon grain.
C’est pourquoi, 1) lorsque l’Écriture Sainte
enseigne une vérité selon son sens littéral,
2) lorsque la Tradition des saints canonisés affirme
la même chose et
3) que le charisme particulier du Magistère vient
confirmer solennellement la vérité de cette proposition, nous estimons
être en présence d’une vérité théologique sûre, capable de fonder une approche
démonstrative théologique.
Notre choix méthodologique se résume, au
moins en ce qui concerne notre point de départ, à cet a priori : nous estimons pouvoir adhérer par la foi (la méthode de
l’analogie étant présupposée), à toute proposition confirmée de manière
solennelle par le Magistère. Les documents du Magistère étant la plupart du
temps rédigés selon un code de mots définis avec une précision juridique, leur
interprétation en est comme nous le verrons grandement facilitée (l’analogie de
la foi restant présupposée.) Nous avons pu l’expérimenter tout au long de notre
recherche, l’Église, en précisant les critères d’infaillibilité, ne cherche pas
à enfermer l’intelligence du théologien ou du croyant dans une discipline
contraignante, mais veut l’aider à entrer plus résolument dans le mystère de
l’amour. Ainsi, il nous parait évident que l’infaillibilité ne s’est pas
rajoutée tout à trac aux prérogatives des papes un beau jour de juillet 1870.
Elle fait partie intégrante du mystère de la rédemption et de sa logique
sacrée. C’est pourquoi le charisme de l‘infaillibilité n’est pas attaché à un
homme et à sa sainteté mais à une fonction qui participe du mystère de
l’Église.
Afin de manifester avec précision ce que
nous appelons le fondement d’une approche démonstrative théologique, il nous
paraît utile de préciser sur quels critères nous baserons la qualité de notre
assentiment à tel ou tel document magistériel. Rappelons que nous appelons Magistère ce qui a pour objet la morale
et les mœurs, la vérité et le bien de l’homme en vue de son salut. Car « l’objet de la foi, c’est le salut des âmes
»[117].
Il ne s’agit ici ni des documents pastoraux, ni des décisions en matière de
gestion des cultes.
Le Concile Vatican II présente dans la
constitution dogmatique sur l’Église une doctrine équilibrée concernant les
degrés d’autorité des documents du Magistère[118].
Pour discerner la foi de l’Église concernant le salut des hommes, nous nous
référerons à ces pages. L’assentiment religieux demandé par le Concile aux
fidèles peut revêtir des degrés divers de certitude dans la foi. En matière
doctrinale, autre est un document qui tranche définitivement une question, d’un
autre qui se contente d’émettre une opinion. Entre ces deux extrêmes, le
Concile avertit qu’un discernement est nécessaire pour chaque document en
fonction de sa présentation. C’est donc qu’une réelle souplesse est de mise. Il
nous paraît utile de distinguer trois degrés d’infaillibilité.[119]
Lorsqu’un Pape ou un Concile uni au Pape
définit en matière de foi une vérité qui n’est contenue dans l’Écriture Sainte
ou dans la tradition que d’une manière implicite,
donc non explicite. Nous possédons, semble-t-il, deux exemples et deux exemples
seulement de l’exercice de cette autorité doctrinale étonnante de l’Église
inspirée et portée par l’Esprit Saint. Il s’agit des dogmes de l’Immaculée
Conception et de l’Assomption de Marie. Il est clair que l’Écriture ne nous
parle de ces mystères qu’à travers des métaphores lointaines et que la
Tradition n’en a découvert la réalité que sur le tard. Nous n’utiliserons pas
dans le cadre de notre étude de documents de cette teneur.
Lorsqu’un Pape ou un Concile uni au Pape
définit avec son autorité apostolique une vérité de foi ou de morale qui est
déjà « explicitement » contenue dans l’Écriture Sainte.
« Cette
infaillibilité, dont le divin Rédempteur a voulu pourvoir son Église pour
définir la doctrine concernant la foi et les mœurs, s'étend aussi loin que le
dépôt lui-même de la Révélation divine à conserver saintement et à exposer
fidèlement. De cette infaillibilité, le Pontife romain, chef du collège des
évêques, jouit du fait même de sa charge quand, en tant que pasteur et docteur
suprême de tous les fidèles, et chargé de confirmer ses frères dans la foi[120], il proclame, par un acte définitif, un
point de doctrine touchant la foi et les mœurs. C'est pourquoi les définitions
qu'il prononce sont dites, à juste titre, irréformables par elles-mêmes et non
en vertu du consentement de l‘Église, étant prononcées sous l'assistance du
Saint-Esprit à lui promise en la personne de saint Pierre, n'ayant pas besoin,
par conséquent, d'une approbation d'autrui, de même qu'elles ne peuvent
comporter d'appel à un autre tribunal. En effet, le Pontife romain ne prononce
pas une sentence en tant que personne privée, mais il expose et défend la
doctrine de la foi catholique, en tant qu'il est, à l'égard de l’Église
universelle, le maître suprême en qui réside, à titre singulier, le charisme
d'infaillibilité qui est celui de’Église elle-même. L'infaillibilité promise à
l’Église réside aussi dans le corps des évêques quand il exerce son magistère
suprême en union avec le successeur de Pierre. A ces définitions, l'assentiment
de’Église ne peut jamais faire défaut, étant donné l'action du même
Esprit-Saint qui conserve et fait progresser le troupeau entier du Christ dans
l'unité de la foi. »[121]
L’exemple le plus typique que nous aurons
sans cesse à utiliser, est la définition dogmatique du Pape Benoît XII en
matière d’eschatologie[122].
Son caractère solennel et définitivement sûr ne laisse aucun doute : « Par la présente constitution, qui restera à
jamais en vigueur, et de notre autorité apostolique, nous définissons que...
» D’autre part, la précision du langage théologique utilisé lui confère une
haute valeur doctrinale. Nous ne considérons pas comme extraordinaire mais
simplement solennelle l’autorité de la constitution « Benedictus Deus » puisque tout son contenu est explicitement
enseigné par l’Écriture.
C’est sur ce genre de document que nous
fonderons notre recherche, dans l’assurance qu’en conservant dans son intégrité
tout ce qui a été ainsi défini, nous faisons œuvre de théologien catholique. En
effet, la valeur de certitude de tels dogmes vient de Dieu lui-même et de sa
promesse vis à vis de la vérité du Magistère de l’Église.
L’utilisation de l’Autorité présente l’inconvénient suivant : elle peut être
ressentie par le lecteur comme excessive ou servile. Nous prions le lecteur de
nous en excuser à l’avance. Notre intention est ailleurs : nous voulons nous
servir du dogme non comme d’une prison mais comme d’un guide vers la vérité.
Telle qu’elle est définie par le Concile,
elle est le fait du successeur de Pierre ainsi de toute l’Église lorsqu’elle
est unie au pape et en premier lieu des évêques. Elle s’étend aux saints, aux
théologiens dans la mesure où ils enseignent des vérités contenues dans
l’Écriture Sainte et dans la Tradition, même si elles n’ont pas fait l’objet
d’une définition solennelle de la part du Magistère. « Quoique les évêques, pris un à un, écrit le Concile, ne jouissent pas de la prérogative de
l'infaillibilité, cependant, lorsque, même dispersés à travers le monde, mais
gardant entre eux et avec le successeur de Pierre le lien de la communion, ils
s'accordent pour enseigner authentiquement qu'une doctrine concernant la foi et
les mœurs s'impose de manière absolue, alors, c'est la doctrine du Christ
qu'infailliblement ils expriment. La chose est encore plus manifeste quand,
dans le Concile oecuménique qui les rassemble, ils font, pour l'ensemble de
l'Église, en matière de foi et de mœurs, acte de docteurs et de juges, aux
définitions desquels il faut adhérer dans l'obéissance et la foi. »
Cependant, lorsque le Magistère du pape et
des évêques enseigne depuis toujours de manière habituelle une doctrine, elle
peut être considérée comme infaillible. En novembre 1995, le pape Jean-Paul II
fut conduit à s’appuyer sur une telle infaillibilité pour rappeler qu’il serait
à jamais impossible à l’Église, à cause d’une volonté implicite de Jésus, de
communiquer le sacerdoce ministériel aux femmes. Cependant, en s’exprimant
ainsi, il nous semble que le pape fit passer une doctrine habituellement
reconnue comme vraie à un niveau d’infaillibilité solennellement établi.
Jean-Paul II, dans son discours à la
Congrégation de la Doctrine de la Foi[123]
éclaire ce troisième niveau en expliquant que l’autorité ne doit pas être
perçue sous le seul angle de « l’infaillibilité. » En effet, si les conditions
d’actualisation de l’infaillibilité sont clairement définies et établies dans
l’Église, cette situation ne doit pas fournir le prétexte de ne consentir
qu'aux définitions pour lesquelles le Pape engage son infaillibilité de manière
extraordinaire ou solennelle. Il ne s'agit pas, dit explicitement Jean-Paul II,
de « n'adhérer de façon irrévocable,
qu’aux seuls enseignements et décisions doctrinales du magistère, quand
celui-ci s'exprime en un jugement solennel pour un acte définitif ; et, pour
les autres cas, de n'y adhérer qu'en fonction des matières concernées et des
motivations. »
Dans le cas général, tout en accordant une
confiance totale aux évêques et aux saints, aux encycliques papales, nous ne
fonderons pas la recherche de cette première partie sur ces écrits ou ces
dires. En effet, nous recherchons une certitude absolue comme fondement à notre
recherche. Or, le discernement de la vérité de ces documents est moins aisé à
établir. Il s’y mélange opinions et extrapolations à partir des dogmes ou de
l’Écriture qui n’engagent que leurs auteurs. Cependant, lorsque dans la
deuxième partie nous chercherons à confirmer par mode de signe notre recherche,
nous utiliserons largement toute une documentation de cet ordre. En effet, dans
un premier temps, afin de fonder de manière scientifique notre parcours
théologique, nous allons nous efforcer de dégager ce qui est d’une manière sûre
la foi de l’Église. Nous nous attacherons donc en premier lieu à ce qui, dans
l’Écriture Sainte, a fait l’objet de la part du Magistère d’une définition
interprétative solennelle. Nous dégagerons à partir de là quelques vérités
fondamentales à notre recherche qui nous permettront d’établir solidement et de
manière théologique notre hypothèse concernant le retour du Christ en gloire à
l’heure de la mort[124].
L’opposition à Rome n’est pas un phénomène
nouveau. La France est dans ce domaine l’un des champions. Historiquement, la
gifle envoyée par ambassade au pape par le roi de France Philippe IV le bel
marque le début d’une histoire orageuse. Tant que ces luttes se situent au plan
temporel, au plan des luttes de pouvoir et de juridiction humaine, elle est
normale et saine. La « clérocratie » n’est pas chrétienne. Mais, la papauté est
de nos jours contestée jusque dans son domaine réservé, celui de son charisme
magistériel. Les universités catholiques dans leur ensemble sont tentées par
une attitude « d’opposition larvée ou
publique au Magistère doctrinal, qui tend à instituer un contre-magistère, en
proposant aux croyants des positions doctrinales et des modalités de
comportement alternatives »[125]. «
Or, poursuit Jean-Paul II, la théologie ne peut jamais se réduire à la
réflexion privée d’un théologien. Le milieu vital du théologien, c’est
l’Église, et la théologie, pour rester fidèle à son identité, ne peut faire
moins que de participer intimement au tissu de la vie de l’Église dans sa
doctrine, dans sa sainteté, dans sa prière. » Autrement dit, « le théologien a besoin de la parole vivante
et clarifiante du Magistère. » Sans cela, explique Jean-Paul II, c’est
l’édifice même de l’Église qui s’écroule car
« l’Église se fonde essentiellement sur une adhésion partagée à la parole de
Dieu et sur la certitude qui en découle de vivre dans la vérité. » L’enjeu
n’est donc pas mince.
« Nous
devons prendre acte aujourd'hui, ajoute-t-il, d'une incompréhension répandue sur le sens et le rôle du magistère de
l’Église » constate le Saint-Père. « Une situation qui est à la base de
critiques et de contestations vis-à-vis des enseignements. Ces critiques et ces
contestations ne sont pas peu diffusées dans les milieux théologiques et
ecclésiastiques à propos des plus récents documents du magistère pontifical.
» II établit alors la liste des textes en cause : « Veritatis Splendor », « Evangelium Vitae », la Lettre apostolique «
Ordinatio Sacerdotalis » sur
l'impossibilité de conférer l'ordination sacerdotale aux femmes, et la Lettre
de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la question de la communion
eucharistique des divorcés remariés.
Tous ces textes concernent effectivement
l'ensemble de l’enseignement moral du pape Jean-Paul II. Comment, dès lors,
sortir de l'impasse ? Un effort peut être réalisé sur le vocabulaire pour mieux
rejoindre « L’homme contemporain », en particulier « par un style plus incisif
et efficace », mais l'essentiel, pour le Pape, est ailleurs : « II n'est pas possible, dit-il, de laisser de côté l'un des aspects
décisifs, à la base du malaise de plusieurs secteurs du monde ecclésiastique :
la façon dont l'autorité est perçue. » Jean-Paul II insiste : « L'autorité ne s'applique pas seulement quand
intervient le charisme de l'infaillibilité. » Son exercice est « plus vaste. » II s'applique « comme une tutelle du dépôt
révélé de la Foi. » Le Saint-Père prévient : « L'autorité sur la détermination des contenus à croire et à enseigner
est une chose à laquelle on ne peut renoncer » même s'il est évident que
des « hiérarchies » existent dans
l'enseignement de l'Église. L'essentiel, dans ce cas, est une « urgence » : il s'agit de retrouver le
concept authentique d'autorité, non seulement sous son aspect juridique formel,
mais, plus profondément, « comme une
instance de garantie, de gardien et de guide de la communauté chrétienne, dans
la fidélité et la continuité à la Tradition afin de permettre aux croyants le
contact avec la prédication des apôtres, et avec la source de la réalité
chrétienne elle-même. »
Enfin, et à propos de son enseignement en
matière morale, Jean-Paul II ajoute : « J'ai
voulu reproposer la doctrine constante de la Foi de l'Église, comme un acte
confirmé de vérité, clairement attesté dans l'Ecriture. la Tradition
apostolique et l’enseignement des pasteurs. De telles déclarations, en vertu de
l’autorité transmise par le successeur de Pierre de confirmer ses frères,
expriment la certitude commune, présente dans la vie et l’enseignement de
l’Église. »
Déjà, en 1979, la Congrégation de la
Doctrine de la foi rappelait les exigences du théologien catholique en matière
de recherche :
« Après
avoir rappelé ces données, qu’il soit permis maintenant d’évoquer les aspects
principaux de la responsabilité pastorale telle qu'elle doit se traduire dans
les circonstances actuelles et à la lumière de la prudence chrétienne.
Les
difficultés inhérentes à ces problèmes créent de graves devoirs aux
théologiens, dont la mission est indispensable. Aussi ont-ils droit à nos
encouragements et à la marge de liberté qu'exigent légitimement leurs méthodes.
De notre part, cependant, il est nécessaire de rappeler aux chrétiens sans nous
lasser les enseignements de l'Église qui constituent la base aussi bien de la
vie chrétienne que de la recherche des experts. Il faut aussi arriver à faire
partager aux théologiens nos soucis pastoraux pour que leurs initiatives de
recherches ne soient pas témérairement répandues parmi les fidèles dont la foi
est mise en péril aujourd'hui plus que jamais.
Le
dernier Synode a manifesté l'attention que l'Episcopat porte au contenu
essentiel de la catéchèse, en vue du bien des fidèles. Il est nécessaire que
tous ceux qui sont chargés de le transmettre en possèdent une idée très claire.
»[126]
On le voit, cet esprit d’attention et
d’écoute de l’Église qui préside à cette recherche n’est pas illégitime ni
marginale.
Procédons à
notre démarche de démonstration théologique en commençant par la proposition
majeure, le fondement dans le réel. Il s’agira ici de dogmatique.
Quatre dogmes complémentaires vont être établis. A titre de proposition
mineure, nous établirons une constatation expérimentale[127], elle aussi fondée dans le réel mais de manière
philosophique.
Objection à propos de la majeure :
Pourquoi, pourrait-on objecter à ma méthode, ne pas commencer par étudier les
Écritures pour établir les vérités évangéliques ? Pourquoi s’appuyer sur le
Magistère ?
La raison en est simple : pour gagner en
certitude scientifique. Je ne veux pas dire par là, comme d’aucuns ont reproché
à l’Église catholique de le faire, qu’il y aurait moins de vérité dans
l’Écriture que dans le Magistère. Je veux dire que la vérité de l’Écriture,
étant présentée sous la forme d’un texte vaste et de genres littéraires
multiples, ne laisse pas facilement apparaître son unité de doctrine. C’est
pourquoi, par l’utilisation directe du Magistère qui vient confirmer à la fois
l’Écriture et la Tradition, tout un travail exégétique m’est évité et la même
vérité est atteinte. Elle est de plus présentée sous l’analogie de concepts
philosophiques rigoureux. Elle est donc doté d’une très grande précision. Cette
méthode, difficile à comprendre dans la perspective actuelle d’une redécouverte
du texte biblique, a été trop utilisée par le passé. Cela ne veut pas dire
quelle est devenue illégitime. Il convient de l’employer à bon escient. Nous
verrons par la suite qu’elle se justifie parfaitement pour nous, l’Écriture ne
parlant jamais de manière claire au sens littéral, du retour du Christ à
l’heure de la mort.
Les positions multiples que nous avons
évoquées en prolégomènes se réfèrent à diverses conceptions de la justice qui
mérite la vision de Dieu. Pour saint Augustin et saint Thomas d’Aquin,
conjointement à la théologie scolaire traditionnelle, c’est la charité fondée
sur la foi et l’espérance qui seule rend digne d’entrer dans la gloire. Les
théologies des auteurs catholiques se déclinent, avec des nuances, autour de ce
principe. Mais quelle est, au delà de cette diversité, la foi de l’Église ?
Trouve-t-on dans le Magistère solennel, une explication sûre de ce qu’affirme
l’Écriture de l’entrée dans le salut ? Bonne volonté, foi, espérance ou charité
sont-ils requis ?
« La vie éternelle, c’est te connaître, toi
le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus le Christ »[128].
Face à la crise de la Réforme, l’Église
catholique fut conduite durant le Concile de Trente à se prononcer
définitivement sur l’origine de la justification[129].
Il en sortit un texte dont la précision de type scolastique éclaire d’une
lumière sans ambiguïté ce problème. Nous commenterons les chapitres 4 à 7 de la
6ème session (13 janvier 1347) intitulée : « esquisse d’une
description de la justification de l’impie. » Nous nous référons à la
traduction du Père Dumeige[130].
Au début du chapitre 4, le Concile
explique son intention : donner une explication nette de la nature de la
justification. L’Écriture Sainte montre que nul
ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit
Saint[131].
Que signifie ce bain de régénération sans lequel l’homme reste séparé de Dieu,
éloigné de l’adoption filiale qu’il propose ?
A partir du chapitre 5, le Concile
entreprend une analyse théologique du processus vital qu’est la justification.
La méthode est visiblement inspirée du thomisme puisqu’elle procède en premier
lieu selon un ordre « génétique »classique à saint Thomas d’Aquin (ce qui
précède la justification, ce qu’elle est et ce qui la suit), avant de reprendre
l’analyse selon un l’ordre de « perfection »des cinq causalités (chap. 7.)
Le chapitre 6 décrit ce qui précède la
justification et la prépare. Puisqu’il s’agit de l’entrée dans une vie
absolument surnaturelle pour l’homme, elle ne peut se préparer que par une
initiative d’origine divine. La première grâce est donc adressée à l’homme sans
aucun mérite de sa part, sans même qu’il soit encore capable de soupçonner ce
qui est préparé en lui. L’effet de cette première grâce est une certaine
attraction à se détourner du péché. Ainsi Dieu touche le cœur de l’homme par
l’illumination du Saint Esprit, mais l’homme lui-même n’est pas inactif en
recevant cette inspiration qu’il peut librement rejeter. Le Concile d’Orange
avait déjà décrit cette première grâce comme une « affection pieuse »[132].
Psychologiquement, son effet est d’attirer par mode de nostalgie l’homme vers
un au-delà de lui-même, dont il soupçonne ou espère plus ou moins consciemment
l’existence sans en connaître la nature. Par contrecoup, cette attraction
provoque une tristesse devant son propre péché. Mais tout cela n’est pas saisi
comme venant de Dieu et de l’attirance de sa Nature faite pour combler le cœur
de l’homme. Saint Augustin décrit dans ses confessions, 1 ce qu’il
comprit être d’origine divine après sa conversion : « Avant de te connaître, je t’aimais et mon cœur ne trouvait pas de repos
avant de se reposer en toi. » Par l’effet de cette grâce, la liberté de
l’homme est appelée mais elle ne sait encore où se tourner pour donner réponse.
Dans le meilleur des cas, la nostalgie de Dieu peut conduire, tant que l’homme
ne sait pas qu’elle vient de Dieu, à une recherche du sens de la vie, à une
conversion vers une meilleure conduite humaine envers son prochain, à des œuvres
artistiques sacrées car tournées vers « autre chose. » Dans la mesure où une
culture religieuse forte subsiste autour de la personne, l’attraction divine
pousse l’homme à chercher sa réponse dans une recherche de Dieu à travers le
conseil des croyants.
Le chapitre 6 de la Constitution étudie
les conditions d’une préparation plus proche à l’entrée dans la justice. Il est
important de noter qu’il ne s’agit encore que d’une préparation et rien
dans ce chapitre ne parle de l’entrée dans la justice elle-même. Il s’appuie
sur le réalisme de saint Paul[133] :
« Comment invoquer Dieu sans d’abord
croire en lui ? Et comment croire en lui sans d’abord l’entendre ? Et comment
entendre sans prédicateur ? Et comment prêcher sans d’abord être envoyé ?
(...)La foi naît de la prédication. » Ainsi, il est évident pour le Concile
que l’attraction divine ne restera qu’une angoisse d’un au-delà sans objet si
un prédicateur, homme, ange ou Dieu, ne vient expliquer à l’intelligence de
l’homme ce qu’elle signifie. L’homme étant un être doué de liberté, il ne peut
choisir sans connaître ce qu’il a à choisir. Ainsi, le premier pas vers la
justification est la foi prise dans
le sens non de la confiance en Dieu mais de l’arrivée à la connaissance de l’homme de l’existence d’un Dieu Créateur animé
d’un projet positif sur l’homme créé. Savoir que Dieu veut justifier l’homme
impie par sa grâce, « au moyen de la
Rédemption qui est opérée par le Christ Jésus »[134]
est le fondement sans quoi aucun chemin vers la justification ne peut être
envisageable. L’effet de ce savoir est en premier lieu de manifester à l’homme
qu’il est pécheur (au sens théologique du terme, c’est-à-dire séparé de Dieu.)
S’il considère la miséricorde de Dieu, il découvre l’espérance. Si la
prédication est portée à insister sur la rigueur de la justice de Dieu, cette
espérance théologale peut être teintée de crainte. L’espérance et la crainte
provoquent un ébranlement positif vers le rejet des mauvaises actions et
l’amendement du mode de vie. L’homme se propose, enseigne le Concile, « de commencer une vie nouvelle, d’observer
les commandements divins et de recevoir le baptême. » « Il commence à aimer Dieu comme la source de
toute justice. »
Arrivé ici dans notre analyse, une
question se pose : le Concile de Trente nous donne la description d’un homme
vivant de la foi dans le Christ Sauveur, de l’espérance dans la miséricorde de
Dieu, du rejet de ses péchés et qui « aime » Dieu comme la source de toute
justice, tout en affirmant que cet homme n’est pas justifié et seulement en
voie de justification. Au début du chapitre 7, il dit : « Cela constitue une disposition ou préparation qui sera suivie de la
justification elle-même qui n’est pas simple rémission des péchés mais aussi
sanctification et rénovation de l’homme intérieur par la réception volontaire
de la grâce et des dons. »
Quelles sont donc la foi, l’espérance et
l’amour qui ne justifient pas ? N’y a-t-il pas contradiction avec
l’enseignement évangélique ? En fait, il n’y a aucune contradiction. Encore
faut-il être attentif à la nature de l’amour dont parle le Concile : Dieu n’est
pas aimé en tant qu’il est ami, d’égal à égal et réciproquement, mais en tant
qu’il est source transcendante de toute justice. Autre est l’amour d’amitié et
l’amour qui unit un inférieur au maître qu’il admire. Cette distinction peut
être repérée à travers l’Évangile dans son ensemble et dans les enseignements
unanimes des Conciles : « Je ne vous
appelle plus serviteurs mais amis », dit Jésus à ses disciples[135].
De même, lorsque le juste Nicodème vient le trouver au jardin des oliviers[136],
bien que cet homme soit le portrait de ce que réalise de mieux la foi d’Israël
en foi, espérance, conduite droite et amour de Dieu, Jésus lui dit : « A moins de renaître d’en haut, nul ne peut
voir le Royaume de Dieu. » Dans la logique de ces enseignements, le Concile
Vatican II réaffirme que les traditions religieuses juives et musulmanes
disposent au salut (mais ne donnent pas le salut) donné par Dieu dans la
charité.[137]
En conséquence, on doit interpréter le désir de la réception du baptême dont
parle le Concile de Trente comme le désir du baptême de l’eau, c’est-à-dire du
repentir des péchés que prêchait Jean le baptiste avant la venue du Christ. Il
ne s’agit pas encore du baptême de l’Esprit Saint, objet du chapitre 7 de la
constitution. Le chapitre 7 définit ce qu’est la justification elle-même : « Bien que personne ne puisse être juste que
par la communication des mérites de la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ,
cette communication s’accomplit dans la justification de l’impie, quand, par le
mérite de cette Passion très Sainte, LA CHARITÉ de DIEU est répandue par le
Saint Esprit dans les cœurs de ceux qui sont justifiés[138] et y demeure inhérente. Ainsi, dans la
justification même, avec la rémission des péchés, l’homme reçoit-il à la fois,
par Jésus-Christ en qui il est inséré, tous les dons infus : la foi,
l’espérance et la charité. » Le
Concile précise que si la charité ne se joint pas à la foi et l’espérance, la
foi n’unit pas parfaitement au Christ et ne rend pas l’homme vivant de la
nouvelle vie d’union. Cette foi est une foi morte selon Jacques[139].
Ainsi, il semble que l’on peut distinguer dans les Écritures une foi théologale
qui ne justifie pas mais dispose par la confiance en Dieu qu’elle suscite à la
justice et une foi vive, qui opère par la charité et constitue aux yeux de Dieu
la justice[140].
Par charité, le Concile entend cette forme d’amitié surnaturelle que saint
Thomas d’Aquin a magistralement définie dans sa Somme de théologie[141].
Ce texte est d’une grande précision. Il ne laisse subsister aucun doute sur le
fait que l’entrée dans la vie de Dieu, grâce sanctifiante, ne se fait qu’à
travers un don mutuel de charité. Le Concile précise que cette grâce seule
mérite la gloire de la vie éternelle. Il s’agit d’un mystère d’épousailles
impliquant nécessairement une réciprocité de choix amoureux.
Ceci étant posé, la place des autres
qualités humaines et surnaturelles apparaît : La bonne volonté, l’attraction
divine, les actes humains bons, la foi et même l’espérance sont comme les
fondements sur lesquels peut et doit s’épanouir la charité. Ils sont des
DISPOSITIONS[142]
à la justification mais ils ne constituent en aucun cas la justice que
recherche Dieu. Ainsi, il est certain que nul n’entre dans la vision de Dieu
s’il n’aime pas Dieu EXPLICITEMENT de cet amour d’amitié, de la même façon que
nul ne peut prétendre à un mariage sacramentel valide (selon les conditions
précises qu’on peut trouver dans le code de droit canonique) si son sentiment
est seulement celui de la confiance (qui correspond à la foi au sens
luthérien.) Il lui est en outre demandé un amour d’amitié désireux de vivre en
commun dans l’acceptation des fruits de l’amour.
Dans la troisième partie de notre étude[143],
nous développerons avec ampleur ce fondement de notre hypothèse. Nous
présenterons d’une manière vitale l’organisme spirituel qui fonde la charité et
ouvre les portes du Ciel.
Cependant, nous pouvons dès maintenant
tirer quelques conclusions qui nous seront utiles pour discerner la vérité des
systèmes théologiques à propos du salut.
« Si quelqu'un dit
que l'homme peut être justifié devant Dieu par ses œuvres, réalisées soit par
les forces de sa nature soit par l'enseignement de la Loi, sans la grâce divine
qui vient par Jésus-Christ, anathema sit. » [144]
Cette position trouve souvent une
justification théologique dans la reconnaissance universelle de l’Église pour
la présence de la grâce au cœur des actes bons. Cependant, le texte cité du
Concile de Trente ne laisse aucun doute sur la nature de cette grâce. Elle
n’est pas celle qui ouvre au salut mais seulement celle qui dispose, qui
prépare au salut, puisqu’il est évident qu’un homme de bonne volonté est
disposé à accueillir la charité le jour où elle lui est proposée.
L’erreur de ceux qui rendent immédiatement
« méritoires » (au sens scolastique du mot) les actes humains est à rechercher
dans un manque de connaissance de la notion de grâce. Elle est une notion
analogique. Elle implique de multiples significations et les réalités qu’elle
exprime ont un certain rapport entre elles, tout en étant très différentes[145].
Bien des conflits intellectuels pourraient être évités si, au delà du mot employé,
on prenait le temps de discerner les multiples sens possibles. Ainsi, lorsqu’on
entend par grâce « un don gratuit fait à la créature », on trouve (alors qu’il
ne s’agit que d’un des trois sens possibles du mot) une multitude de réalités. «
Tout est grâce », affirme-t-on. De fait, le don de l’existence, de la vie, du
mouvement sont déjà des grâces de Dieu. Tout homme quel qu’il soit les a reçues
de Dieu en tant qu’il est Créateur (l’être), Père (la vie), et Moteur premier
(le mouvement.) Dans ce sens, les animaux eux-mêmes peuvent être regardés comme
comblés de grâce. Maître Eckart n’hésitait pas à écrire que les fleurs sont
remplies de la grâce de Dieu. Une telle affirmation lui valut (avec d’autres)
une enquête doctrinale. Il ne faisait pourtant qu’utiliser une vérité déjà
enseignée par saint Thomas d’Aquin : « Dire
qu’un homme a la grâce de Dieu, c’est dire qu’il a en lui un effet produit
gratuitement par la volonté de Dieu. Or cette aide s’exerce doublement : par un
amour général qui fait que Dieu aime tout ce qui existe et donne aux êtres
créés leur être naturel ; Mais il est un autre amour, spécial celui-là, en
vertu duquel Dieu attire la créature spirituelle vers la vie surnaturelle. »[146]
La vie surnaturelle n’est certes pas objet
d’expérience philosophique. Elle n’est pas seulement objet de foi mais une
réalité que l’homme peut expérimenter intérieurement. Par vie surnaturelle, on
entend une série d’activités qui dépassent totalement les possibilités de la
nature humaine. Pour la spécifier en un seul mot quand il s’agit d’ici-bas, on
peut dire qu’elle consiste dans la charité. La charité est une amitié avec
Dieu. Comme les amitiés terrestres, elle peut atteindre divers degrés en nous.
Cependant, à son sommet, elle devient comparable aux épousailles les plus
tendres entre Dieu et l’homme. Elle est surnaturelle car elle implique des
conditions qui dépassent la nature humaine : l’homme et Dieu doivent devenir en
un certain sens égaux car l’amitié n’existe qu’entre deux semblables. Il faut
donc que Dieu s’abaisse et qu’il surélève l’homme. Les vertus théologales
réalisent cette surélévation dans l’esprit. Mais, d’une façon plus radicale, il
faut admettre que c’est le fond même de l’homme qui doit être disposé et élevé
(toujours à cause de la grandeur surnaturelle qu’implique la moindre amitié
cœur à cœur avec Dieu.) C’est ainsi que la théologie occidentale a été amenée
par induction (de l’effet qui est charité, elle est remontée à la
cause qui est la grâce) à poser une grâce particulière dont la fonction est
de surélever l’âme elle-même (le principe de vie.) Saint Thomas d’Aquin
l’appelle la grâce habituelle[147]
car elle est donnée à l’homme comme un avoir dont il peut user à volonté ou
encore grâce sanctifiante car c’est elle et elle seule qui sauve. En
effet, elle rend ontologiquement possible la charité et la charité seule plaît
à Dieu au point de le faire « fondre » devant nous, au point de nous mériter[148]
la vision béatifique après cette vie.
Mais, pour que cette charité soit
possible, cet « habitus » passif ne suffit pas. Chacun de nous sait que, dans
l’amour humain, il ne suffit pas de pouvoir aimer pour aimer. Encore faut-il
tomber amoureux, c’est-à-dire être attiré par le bien-aimé. Il en va de même
dans la vie surnaturelle. Saint Thomas d’Aquin appelle cette attraction que
Dieu exerce sur nous pour nous conduire à la charité « une grâce actuelle. »
Elle est vraiment une grâce de la vie surnaturelle et non une simple grâce
donnée par Dieu en tant qu’il étend sa providence sur toute créature. En effet,
par elle, Dieu nous attire à lui avant même que nous le connaissions, pour nous
unir à lui. Il existe donc en théologie catholique deux grandes acceptions de
la grâce surnaturelle :
- La grâce habituelle qui surélève les
facultés de l’âme et rend possible la charité, donc la justice et le mérite de
la gloire ;
- La grâce actuelle qui aimante l’esprit
vers Dieu.
Là se situe le contresens de ceux qui
pensent que tout acte humain bon mérite de soi la vie éternelle : ils y
discernent une grâce surnaturelle et ils ne se trompent pas. Cependant, le mot
grâce est ici employé par l’Église dans un sens analogique : Elle entend par là
une forme de l’attraction de Dieu. Dans tout acte humain bon, Dieu non
seulement agit comme Moteur premier (Auxilium)
mais en plus il attire invisiblement l’homme vers sa vocation qui est celle de
la vision béatifique. Cependant, cette attraction n’est pas réservée aux hommes
de bonne volonté mais à toute créature spirituelle. Certains théologiens vont
jusqu’à affirmer que les démons en enfer restent attirés par cette grâce de
Dieu, d’où le feu qui règne en eux[149].
Nous pensons quant à nous que l’orientation naturelle de l’esprit vers la
Vision pour laquelle il est fait suffit à expliquer ce feu, sans que Dieu ait à
surajouter son attraction extérieure.
Il est par contre certain que les actes
humains dans leur ensemble sont marqués ici-bas par la grâce actuelle de Dieu
qui attire à lui tous les hommes, y compris les pécheurs. Est-ce à dire qu’un
homme humainement juste est aussi divinement juste ? Autrement dit, en langage
d’École, les actes bons humainement méritent-ils de soi la vie éternelle ? Si
l’on se réfère à Trente et à toute la tradition du Magistère, la réponse est
non. Par contre, on peut affirmer avec Vatican II à propos des religions
non-chrétiennes, que ces actes bons disposent au salut. Il est évident qu’un
homme droit fait sienne la Bonne Nouvelle lorsqu’elle lui est suffisamment
prêchée. Il convient d’être très précis en ce domaine : un homme de bonne
volonté, un juste au plan humain ne mérite pas la vision béatifique parce qu’il
ne la désire pas explicitement dans l’amour de charité. De même, un homme
juste et de bonne volonté ne serait pas digne d’épouser, quelles que soient ses
qualités, telle jeune fille particulière tant que, étant aimé par elle, il ne
l’aime pas, elle et elle seule, explicitement d’amour.
Nous rejetons donc toute conception de l’entrée dans la
vision béatifique fondée sur le seul mérite des actes humains bons. Nous
acceptons la richesse de ces actes humains et les considérons comme des
dispositions importantes au salut.
« Si quelqu'un dit
que la foi qui justifie n'est autre chose que la confiance en la miséricorde
divine qui remet les péchés à cause du Christ ou que cette confiance seule est
ce qui nous justifie, anathema sit. »[150]
Le Concile de Trente, dans sa polémique
avec la Réforme, précise de la manière suivante le rôle de la confiance en Dieu
dans la justification dont nous parlons ici, c’est-à-dire celle qui mérite la
vision béatifique[151] :
« Quand donc l’apôtre dit que l’homme est
justifié « par la foi » et « gratuitement »[152], ces mots sont à prendre dans le sens que
l’Église catholique a toujours et unanimement exprimé, à savoir que nous sommes
dits justifiés par la foi parce que « la foi est le commencement du salut de
l’homme », le fondement et la racine de toute justification, « sans laquelle il
est impossible de plaire à Dieu »[153]et « de parvenir à partager le sort de ses
enfants. »
L’ambiguïté des débats entre catholiques
et réformés repose souvent sur l’utilisation des mots. Saint Thomas d’Aquin
remarque que le mot foi reçoit de
l’Écriture de nombreux sens différents. Il peut signifier dans certains cas une
simple connaissance intellectuelle de la révélation ou ailleurs une confiance
de serviteur, un amour de charité, un charisme ou un fruit du Saint Esprit. Or,
Luther lui-même le reconnaît, il entend par foi
cette confiance absolue en Dieu. Cette foi est présente dans la charité
mais peut aussi exister sans elle. On n’a pas confiance uniquement dans ses
amis intimes. Cette foi confiante
n’est pas le fait des seuls chrétiens. Elle existe déjà chez les croyants juifs
ou musulmans, parfois aussi dans des religions d’autres origines « Entendant
cela, Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : « En vérité,
je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël.[154]
»
La Tradition de l’Église enseigne unanimement que cette attitude intérieure,
lorsqu’elle existe sans la charité, dispose au salut, à la justice et à la
gloire, mais n’est pas le salut lui-même : la foi est un réceptacle immédiat à
la naissance de la charité sur laquelle celle-ci peut venir se greffer le jour
où elle est révélée et reçue par l’homme.
L’analogie que nous avons suggérée
plusieurs fois et qui compare l’amour divin à des épousailles humaines éclaire
encore une fois la vérité de ce mystère : la foi ne suffit pas à rendre juste
devant Dieu (de cette justice parfaite qui mérite la vision béatifique) de la
même manière que la confiance ne suffit pas à fonder un mariage humain.
Certains théologiens, en vue d’une
recherche oecuménique, ont manifesté la présence dans la foi confiante de
Luther d’un amour. Il leur paraît artificiel de vouloir séparer les positions
du luthéranisme orthodoxe de celles du catholicisme puisqu’elles semblent, au
delà des mots employés, signifier les mêmes réalités. Qu’on se réfère à notre
étude précédente et l’on verra que pour Luther et le Concile de Trente, la
distinction est réelle. C’est que, encore une fois, il convient de ne pas jouer
sur l’ambiguïté analogique du mot amour. L’amour qui sort naturellement de la
foi et de l’espérance en un Dieu transcendant et Tout-puissant est un amour de respect
et d’admiration soumise, comme celui d’un inférieur envers un supérieur. Il
n’est pas comparable à l’union de secrets et de confidences que suscite l’amour
d’amitié. L’Ancienne Alliance dans son sommet visait à préparer de tels hommes
de foi. Elle devait préparer le plus grand des hommes, Jean-Baptiste[155]
qui pourtant resta le plus petit dans le Royaume de Dieu tant qu’il ne fut pas
introduit dans le cœur à cœur que donne la charité. Luther prépare, dans la
mesure où l’on suit à la lettre sa doctrine, des hommes de l’Ancienne Alliance
mais non de la Nouvelle.
Nous rejetons donc toute conception de l’entrée dans la
vision béatifique fondée sur la seule foi confiante en Dieu, lorsque cette foi
existe sans la charité. Nous reconnaissons la grandeur surnaturelle de cette
foi et la considérons comme la disposition la plus immédiate à la réception du
salut par la charité.
Afin de rendre plus complet le regard synthétique
que nous voulons donner sur les conceptions du salut, il nous paraît bon de
citer rapidement cette conception très proche, et sans doute même identique à
la précédente. A propos d’une question sur la mise à l’écart d’Israël, la
théologienne Marie-Thérèse Huguet écrit dans la revue Nova et Vetera[156]
que c’est par l’espérance en la
réalisation de la promesse de Dieu que les fils d’Israël du passé, alors même
qu’ils ne connaissaient pas encore le Christ, étaient justifiés ; Elle s’appuie
sur une citation de l’épître aux Galates[157].
A fortiori, les Israélites
d’aujourd’hui lui paraissent justifiés par l’espérance en Dieu qui tient ses
promesses lorsqu’on les voit, poussés par leur histoire dramatique, attendre la
consolation d’Israël. Elle cite la ferveur des hassidim et l’admirable
profession de foi d’Elie Wiesel : « Au
jour du jugement, il ne sera demandé au juif qu’une seule chose : As-tu espéré
dans la Rédemption ? »
Sans entrer dans une polémique qui est
certainement hors de la pensée de l’auteur, nous pensons que la précision du
langage théologique est importante : plutôt que de dire que les juifs sont
justifiés par leur espérance théologale en la Rédemption future, nous préférons
dire qu’ils sont « disposés » à être justifiés, du moins si l’on entend par
justice celle qui nous occupe actuellement et qui seule ouvre le Ciel. C’est
donc que l’espérance elle-même est autre chose que l’entrée en possession de ce
qu’on espère, de même que l’espoir humain d’approcher un jour un roi est autre
chose que le fait d’en devenir l’épouse aimée. Il est indispensable pour les
théologiens d’avoir un langage très précis en ce qui concerne ces matières,
sous peine de réduire l’Évangile à une nouvelle forme, sans radicale nouveauté,
des Alliances anciennes.
Cette position théologique n’est pas une
simple nuance. Elle permet de dire deux choses : 1) Il est certain que ceux qui
espèrent seront sauvés et vivront de la charité dès qu’elle leur sera proposée,
à l’image du bon larron crucifié : « Et il disait : « Jésus, souviens-toi de
moi, lorsque tu viendras avec ton royaume. Et Jésus lui dit : En vérité,
je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis.[158]
» 2)
La spécificité de l’Evangile de Jésus, c’est la charité théologale. Elle est le
salut.
L’espérance théologale la plus profonde ne sauve que si
elle devient le fondement d’une charité théologale. Mais nous reconnaissons la
valeur de l’espérance comme une disposition immédiate à l’accueil de ce salut
dès qu’il est proposé.
Cette conclusion s’impose à nous. Elle
constitue le premier point de l’approche démonstrative théologique que nous
entreprenons. Nous suivons donc sur ce point saint Augustin et saint Thomas
d’Aquin ainsi que la théologie scolastique. Avec eux, nous affirmons que :
Nul homme n’entre dans la vision de Dieu s’il n’est pas
rené de l’eau de la pénitence et de l’Esprit de la charité.
Mais nous constatons que la vérité de
cette thèse a conduit saint Augustin et saint Thomas d’Aquin a des conclusions
sur le salut des païens, des pécheurs et des enfants morts sans baptême sur
lesquelles il faut maintenant s’interroger.
Concile de Quierzy, canon n°3[159]
« Dieu tout-puissant
veut que « tous les hommes » sans exception « soient sauvés »[160],
bien que tous ne soient pas sauvés. Que certains se sauvent, c'est le don de
celui qui sauve ; que certains se perdent, c'est le salaire de ceux qui se
perdent. »
Concile de Quierzy, canon n°4[161]
magistralement définie dans sa Somme de
théol"
« De même qu'il n'y a
eu ou qu'il n'y aura aucun homme dont la nature n'ait été assumée dans le
Christ Jésus notre Seigneur, de même il n'y a, il n’y a eu et il n'y aura aucun
homme pour qui il n'ait pas souffert, bien que tous pourtant ne soient pas
rachetés par sa Passion. Que tous ne soient pas rachetés par le mystère de sa
Passion, ne concerne ni la grandeur ni l'abondance du rachat, mais la partie des
infidèles et de ceux qui ne croient pas de cette foi qui « agit par la
charité [162]«
car la coupe du salut de l'humanité, faite de notre faiblesse et de la
puissance divine, contient ce qui est utile à tous ; mais si l’on n'y boit pas,
on n'est pas guéri. »
La vérité de cette proposition n’aurait
pas besoin d’autre démonstration que l’Évangile. Elle est l’Évangile. Celui qui
médite sur la croix de Jésus, voit à travers l’acte rédempteur du Dieu fait
homme l’évidence de cette proposition.
Cependant, afin de garder à notre
recherche son caractère d’approche démonstrative théologique, il nous paraît
bon d’étayer notre affirmation par quelque confirmation solennelle du Magistère
de l’Église.
Auparavant, voici quelques textes de
l’Écriture Sainte :
« Alors
toute chair verra le salut de Dieu »[163].
Telle est la parole prophétique qu’utilise le rédacteur du troisième évangile
pour manifester la nature de la mission de Jean-Baptiste, le précurseur. Saint
Paul écrit d’autre part, pour signifier que tous les hommes paraîtront au
tribunal de Dieu[164] :
« Par ma vie, dit le Seigneur, tout genou
devant moi fléchira et toute langue rendra gloire à Dieu. » C’est donc,
commente-t-il, que chacun de nous rendra compte à Dieu pour lui-même. Ailleurs,
il s’exprime avec précision à propos de la manière dont Dieu agit :[165] «
Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à
Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et
parviennent à la connaissance de la vérité. Car Dieu est unique, unique aussi
le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même s’est
livré en rançon pour tous. Tel est le témoignage rendu aux temps marqués. »
L’Église, confrontée aux thèses de Calvin,
s’est prononcée solennellement pour réaffirmer cette vérité. Le canon 17 du
décret sur la justification, condamne la thèse des prédestinés au mal[166] «
Si quelqu’un dit que la grâce de la
justification n’est accordée qu’aux prédestinés à la vie et que tous les autres
appelés, tout en étant appelés, ne reçoivent pas cette grâce, parce que
prédestinés au mal par la puissance divine, qu’il soit anathème. »
Déjà par le passé, devant des
interprétations durcies des thèses de saint Augustin sur la prédestination
éternelle confondue avec la prédestination dans le temps en fonction des
mérites et de la liberté de chacun, l’Église avait rappelé la vérité de
l’Évangile[167] :
« Dieu tout-puissant veut que « tous les
hommes »sans exception « soient sauvés »[168], bien que tous ne soient pas sauvés. Que
certains se sauvent, c’est le don de celui qui sauve ; que certains se perdent,
c’est le salaire de ceux qui se perdent.
»
Nous n’entrerons pas ici dans l’analyse
des subtilités théologiques qui entrent dès que l’on veut confronter la Science
éternelle de Dieu sur la damnation de certains et la liberté humaine qui fait
qu’eux seuls se séparent de Dieu. L’essentiel pour le sujet qui nous occupe,
est contenu dans la conclusion suivante : « Dieu veut que tout homme soit
sauvé. Il donne donc à Tout homme les moyens d’être sauvé. » Libre à lui, dans
un second temps, de refuser ce salut.
Le canon 17 du décret sur la justification[169],
condamne la thèse des prédestinés au mal : « Si quelqu'un dit que la grâce de la justification n'est accordée qu'aux
prédestinés à la vie et que tous les autres appelés, tout en étant appelés, ne
reçoivent pas cette grâce, parce que prédestinés au mal par la puissance
divine, qu'il soit anathème. »
Fondé sur une telle foi, nous rejetons
avec certitude la théorie calviniste sur la prédestination divine de certains à
la damnation éternelle. Cette thèse est en contradiction manifeste avec
l’Évangile. De même, il nous paraît impossible de sauver certaines conclusions
augustiniennes et thomistes à propos du sort des hommes qui meurent, sans faute
de leur part, sans la grâce de Dieu (donc, nous l’avons précisé précédemment,
sans la charité.) La théorie des limbes éternelles pour les enfants
morts sans baptême ne peut qu’entrer en contradiction directe avec ce dogme de
la foi. Elle consiste en effet à affirmer que ces innocents, parce qu’ils n’ont
pas reçu le baptême d’eau, sont exclus par Dieu de la proposition du salut.
Imaginer un état de damnation éternelle où l’on ne souffre pas car on n’a pas
fait le mal est visiblement, compte tenu du dogme ici rappelé, en opposition
avec la foi. De même, certaines thèses allant dans le sens d’une damnation
éternelle des païens, des pécheurs graves (exception faite, nous le verrons, du
seul blasphème contre le Saint Esprit), nous paraissent exagérées. Un païen
n’est tel que parce qu’il n’a pas reçu avec clarté la proposition de
l’Évangile. Saint Thomas d’Aquin dépasse heureusement par la souplesse
contemplative de sa pensée, ce que la rigidité de la logique pourrait suggérer
: ne sachant pas par quel moyen Dieu pourrait sauver les païens dont il
constatait avec évidence la mort éloignée de la charité, et étant mal à l’aise
devant la certitude de certains quant à leur rejet éternel, il écrit :[170]
« A un homme qui, sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison naturelle
pour chercher le bien et éviter le mal, on doit tenir pour très certain que
Dieu révélerait par une inspiration intérieure les choses qu’il est nécessaire
de croire ou lui enverrait quelque prédicateur de la foi, comme Pierre à
Corneille. »
Ce texte est le plus ancien mais aussi le
plus court allant dans le sens de notre thèse. Saint Thomas d’Aquin n’a pas eu
l’audace d’aller plus loin et d’en faire un principe de sa théologie du salut.
Il n’a pas pu, dans son réalisme expérimental, s’imaginer l’universalité de
cette parousie du Christ dans l’heure de la mort. Nous savons pourtant de
source contemporaine qu’il a vécu cette parousie. Lorsque le Christ lui est
apparu, dans les derniers mois de sa vie, il fut saisi par sa gloire au point
de vouloir brûler sa Somme de Théologie. Il n’écrivit jamais plus rien. Dans
une chrétienté comme celle de son époque, il n’a pas été suffisamment confronté
au drame de l’incroyance pour réfléchir au cas de ceux qui vivent dans le péché
parce qu’après la mort « c’est le néant. » De même, la psychologie moderne
manifestera avec force les limites de notre liberté terrestre. Le salut, même
prêché avec force, peut être rejeté ou oublié sans que la responsabilité soit telle
qu’elle puisse mériter la damnation éternelle. Dieu qui connaît la nature
humaine et prend en pitié le petit troupeau des hommes sans berger, ne veut-il
pas sauver tous les hommes ? Qu’un enfant soit loin de lui pour l’éternité
parce que personne n’a pensé à l’aimer en le baptisant, voici une théorie
contradictoire avec la fameuse parole de Jésus concernant le pardon de tous les
péchés [171]que
le Pape Innocent IV commente ainsi à l’évêque du Tusculum[172] :
« Enfin, puisque la Vérité affirme dans
l’Évangile que « si quelqu’un a blasphémé contre l’Esprit Saint, il ne lui sera
pas pardonné ni dans ce monde à venir »[173], ce qui nous fait comprendre que
certaines fautes sont déliées dans le siècle présent, mais d’autres dans le
siècle futur ; Puisque l’Apôtre dit que « le feu éprouvera la qualité de
l’œuvre de chacun »et que « celui dont l’œuvre est consumée en subira la perte
; pour lui, il sera sauvé, mais comme à travers le feu »[174]
Dieu qui veut que tout homme soit sauvé, propose à la
connaissance et au choix de tous sans exception son salut de telle
manière que nul ne puisse le rejeter que librement.
Le problème qui apparaît maintenant est
celui de la manière dont Dieu procède au salut de ceux qui meurent sans
connaître l’Évangile. Comment, quand et par qui leur est-il prêché ? Saint
Thomas d’Aquin nous ouvre la porte par le texte cité plus haut. Mais avant
d’aller plus loin dans cette recherche, il convient de jeter quelques balisent
supplémentaires de la foi de l’Église. Nous dégagerons ainsi notre chemin des
voies sans issues.
L’absence de délai entre la séparation de
l’âme et du corps et le jugement particulier par lequel Dieu donne à l’âme ce
qu’elle mérite est une vérité de foi qui ne laisse au théologien aucune autre
alternative. Nous le devons à une définition solennelle du Pape Benoît XII, à
la suite de sa controverse avec son prédécesseur Jean XXII[175].
En 1331, Jean XXII avait affirmé dans ses
sermons et ce à titre de recherche personnelle que les âmes des élus ne
jouiraient de la vision béatifique qu’après le Jugement dernier et la
résurrection de la chair, et qu’en attendant elles ne possédaient qu’une
béatitude incomplète (celle des limbes, du « sein d’Abraham. ») En 1332, il prêcha une opinion analogue sur la
peine des damnés. Ces prédications n’étaient pas des définitions solennelles.
Elles n’exprimaient que l’opinion privée du Pape. Néanmoins elles provoquèrent
aussitôt de vives contradictions, notamment de la part des dominicains de
l’Université de Paris et des franciscains schismatiques d’Allemagne. Jean XXII
renonça à son opinion personnelle en faveur de la doctrine traditionnelle de l’Église,
qu’il entendit proposer par un décret solennel. Mais c’est seulement son
successeur Benoît XII, auteur, alors qu’il était cardinal, d’un De statu animarum sanctarum ante generale
judictium, qui put, après une minutieuse enquête, réaliser ce projet par
sa constitution Benedictus Deus,
document « ex cathedra. »
Nous citons les extraits de ce document
qui intéressent notre propos, en priant le lecteur de bien vouloir pardonner la
longueur de la citation :[176]
« Par la présente constitution, qui restera à jamais en vigueur, et de
notre autorité apostolique, Nous définissons que, d’après la disposition
générale de Dieu, les âmes de tous les saints qui ont quitté ce monde avant la
Passion de notre Seigneur Jésus-Christ : que celles des saints Apôtres, martyrs,
confesseurs, vierges et autres fidèles morts après avoir reçu le saint baptême
du Christ, en qui il n’y a rien eu à purifier lorsqu’ils sont morts ou en qui
il n’y aura rien à purifier lorsqu’ils mourront dans la suite ou encore, s’il y
a eu ou qu’il a quelque chose à purifier, lorsque, après leur mort, elles
auront achevé de le faire ; que, de même, les âmes des enfants régénérés par ce
même baptême du Christ ou encore à baptiser, une fois qu’ils l’auront été,
s’ils viennent à mourir avant d’user de leur libre-arbitre, (que toutes les
âmes de ces enfants), aussitôt après leur mort et la purification dont
nous avons parlé pour celles qui en auraient besoin, avant même la résurrection
dans leur corps et le Jugement général, et cela depuis l’Ascension du Seigneur
et Sauveur Jésus-Christ au Ciel, ont été, sont et seront au Ciel, au Royaume
des cieux et au paradis céleste avec le Christ, admises dans la société des
saints anges.
En outre, nous définissons que, selon la disposition
générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel
descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées
de peines infernales. »
La précision du langage scolastique de ce
texte et la solennité de sa présentation ne laisse aucun doute sur la vérité de
ce qu’il définit. Nous le faisons donc nôtre et admettons qu’il n’existe aucun
délai entre la séparation de l’âme et du corps (la mort au sens théologique du
terme) et l’acquisition de son orientation éternelle. Nous savons par ailleurs
que cette orientation consiste en enfer par un rejet de Dieu motivé par un
blasphème contre le Saint Esprit (Voir le texte du Pape Innocent IV à l’évêque
de Tusculum cité précédemment), c’est-à-dire par un de ces péchés absolument
libres, car lucides et volontaires contre l’amour. De même, nous avons montré
que le mérite du paradis est dû à la charité surnaturelle dans son exercice
réciproque et libre. Il apparaît donc déjà à notre regard la conclusion
suivante : tout homme arrive après la mort en état de mérite ou de démérite
libre par rapport à la vision béatifique de telle façon qu’aussitôt après la
mort, il peut être jugé pour son éternité.
A l’époque de saint Thomas d’Aquin où de
saint Augustin, si ce dogme n’avait pas encore été solennellement confirmé par
Pierre, il n’en était pas moins connu. Il est aisé de comprendre maintenant
pourquoi ils en arrivèrent à conclure, souvent à leur cœur défendant mais par
fidélité à leur foi, à la damnation éternelle de millions de païens et de
nouveau-nés. Si toute personne humaine qui meurt sans la charité est aussitôt conduite en enfer éternel, il
n’y a plus d’espoir à avoir pour les incroyants et les enfants non baptisés.
L’absence de délai, l’impossibilité apparente d’une ultime prédication à
l’heure de la mort (l’inconscience de l’agonisant étant apparemment
expérimentalement prouvée), il fallait bien se résoudre à cette conclusion. Par
cette thèse, nous essayons de prouver qu’un acte de la pièce a été oublié, qui
rend tout limpide et simple. Mais nous ne pouvons manquer d’admirer, tout en
rejetant leur thèse, la foi de saint Augustin et saint Thomas d’Aquin qui les
amène à adhérer à un mystère que leur charité ne comprend pas.
Grâce à cette définition du Pape Benoît
XII, nous pouvons exclure de notre panorama d’hypothèses théologique la thèse
de Ladislas Boros[177]
et celle de Mgr Glorieux[178].
Boros part de la constatation des limites de la liberté humaine qui est ici-bas
conditionnée par toutes sortes d’influences étrangères. Il analyse les causes
de cette faiblesse et conclut par la dénonciation du corps biologique. Pour
lui, une vie terrestre ainsi fragilisée ne saurait à elle seule déterminer le
destin éternel d’un homme. A cause de la justice de Dieu, il se voit contraint
de poser un temps intermédiaire « après la mort », lorsque l’âme enfin libérée
du corps, est en mesure de juger intuitivement et sans erreur du bien et du
mal, peut choisir son orientation éternelle. Boros lui-même résume sa position :
« Dans la mort (c’es-à-dire après la
mort) s’ouvre la possibilité du premier acte personnel de l’homme ; il est
ainsi le lieu privilégié de la prise de conscience, de la liberté, de la
rencontre avec Dieu et de la décision du destin éternel. » Cette position
présente une recherche intéressante mais elle est concrètement inconciliable
avec la définition solennelle de Benoît XII. Le temps intermédiaire que pose
Boros entre la séparation de l’âme et du corps et le jugement dernier n’existe
pas aux yeux de la foi catholique. Mais sa position présente un autre
inconvénient : le rôle de la vie terrestre et l’unité substantielle de l’homme,
âme et corps, deviennent incompréhensibles. Si le corps est le tombeau de l’âme
au point que l’âme n’est elle-même que séparée, on en arrive à un dualisme de
type platonicien qui pose plus de problèmes à la foi qu’il n’en résout. La
Sagesse de Dieu qui a créé l’homme âme, esprit, psychisme et corps devient
obscure.
De même, la définition de Benoît XII
permet de repousser toute hypothèse théologique qui suggérerait la possibilité
d’un choix après la mort. Plus subtile que la position de L.Boros, celle de
H.U. von Balthasar n’en reste pas moins difficile à mettre en accord avec la constitution
Benedictus Deus : Dans sa Dramatique
Divine[179],
il écrit qu’au jugement, le bien d’une vie humaine n’est pas opposé
quantitativement au mal. Par ailleurs, selon lui, la liberté humaine ne fait
pas une sélection ponctuelle entre des biens finis, mais elle transcende la
finitude et décide à partir d’une autonomie absolue, qui la dépasse elle-même.
C’est pourquoi la décision humaine, « le choix fondamental », doit être évaluée
qualitativement ; « Ce choix
fondamental... ne se fait cependant pas in abstracto, mais dans les différentes
situations de vie qui se succèdent, dans une série d’actes et d’attitudes, qui
ont tous une pente vers la mort et qui nous révèlent aussi sans cesse la
finitude de l’espace assigné à la liberté de choix. Il est difficile d’éclaircir
la relation avec le choix fondamental, qui ne se laisse pas décomposer d’après
les différentes situations ; il y va sans aucun doute, primordialement de la
sentence objective (c’est-à-dire le jugement de Dieu), d’une part, de son
Incarnation nécessaire dans les décisions toujours exigées par les
situations... Et comme il ne s’agit pas d’une estimation quantitative, mais de
la qualité du choix fondamental..., se pose la question de savoir si un choix
fondamental négatif, même s’il s’agît du dernier dans le temps d’une vie, a pu
s’exprimer sans restriction dans toutes les situations d’une vie... Ici le juge
cherchera « si, dans la vie de celui qu’il a à juger quelque chose peut se
laisser trouver qui a été saisi, peut se laisser saisir de son amour vivifiant,
une possibilité au moins potentielle de foi, si donc dans l’homme qu’il a à
juger, quelque chose est capable d’amour! D’un petit grain d’amour en réponse à
tout l’amour qui lui est offert par Dieu. »
Les citations de ce texte sont tirées du
commentaire de la première lettre de saint Jean par Adrienne von Speyr, alors
que la note en bas de la page fait référence à Mechtilde von Magdebourg. La
mystique du Moyen-Age y décrit comment le Père céleste s’approche d’une âme
chargée de péchés et lui dit : « Ai-je
seulement trouvé quelque chose de bien en toi ?. »
Outre le fait que l’âme connaît après la mort un moment d’incertitude où
le choix est comme suspendu, cette conception présente encore la difficulté de
faire porter le jugement sur des actes bons mais des actes bons au plan naturel. Or nous avons montré
précédemment[180]
que ces actes ne pouvaient constituer qu’une disposition à la seule réalité qui
compte en définitive pour entrer dans la gloire : la charité théologale.
Devra-t-on alors admettre que, après
la mort et le jugement miséricordieux de Jésus : « Ai-je seulement trouvé quelque chose de bien en toi ? », l'âme se
tourne dans sa reconnaissance vers lui dans un premier acte de charité
explicite et méritoire ? On se heurte alors de nouveau à la constitution de
Benoît XII, qu’il est difficile de ne pas admettre comme l’annonce solennelle
et infaillible d’un dogme.[181]
Bien d’autres théologiens, poussés par
leur foi en la bonté de Dieu et recherchant le comment concret du salut des
pécheurs, se refusant à admettre avec saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin la
« massa damnata », ont recherché la
possibilité d’une option « dans la mort.
» Dans la mort est une expression imprécise qui signifie la plupart du temps « après la mort. » C’est qu’en effet, l’expérience
démontrait qu’ » avant la mort
», la charité n’était pas révélée à tous. D’autre part, la mort elle-même était
un moment de faiblesse inconsciente qui semblait ne laisser aucune place à un
événement lucide. La théologie des fins dernières s’est donc retrouvée dans une
tension inconciliable de la foi et de la charité. La théorie scolastique,
concluant logiquement à la damnation éternelle des hommes morts sans la
charité, quelle que soit leur responsabilité, était devenue insupportable à
l’amour et aux textes du Concile Vatican II démontrant la valeur dispositive de
tout acte bon, de toute religion empreinte « de semences du Saint Esprit. » Si l’on ajoute à cela le quatrième
point de foi que nous allons maintenant étudier, on comprend la détresse du
traité des fins dernières.
Aussitôt après la séparation de l’âme et du corps,
l’âme est définitivement orientée selon sa charité ou son refus de la charité
vers le Ciel ou l’enfer, et cela sans
délai.
C’est une
doctrine très ancienne, qui fut cependant exprimée avec une force dogmatique
particulière durant le Concile Vatican II : “Puisque
le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est
réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à
tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère
pascal” (Gaudium et Spes n° 22, 5, trad. officielle). Ce texte ne fait
que reprendre des dogmes solennels plus anciens : « Dieu qui veut que tout
homme soit sauvé... propose à tous son salut... ce qui ne signifie pas que tous
l'acceptent..."
Voici quelques textes du Magistère plus anciens.
Il en existe bien d'autres dans le Dentzinger :
Dentzinger 340 : « Mais maintenant, en
raison de l'autorité des saints témoignages qui se trouvent en abondance dans
le domaine des saintes Ecritures et qui sont dévoilés de par la doctrine des
anciens, je confesse volontiers que le Christ est également venu sauver non
seulement ceux qui croient, mais ceux qui sont perdus, car ils sont perdus
contre sa volonté. Et il ne convient pas que la richesse de la bonté infinie et
les bienfaits divins soient limités seulement à ceux-là qui manifestement sont
sauvés. (pape Simplicius, 3 mars 468, Concile d'Arles)
Dentzinger 623 : « Dieu veut que tous
les hommes sans exception soient sauvés" (pape Léon IV, 10 avril 847,
Concile de Pavie)
Dentzinger 780 : On ne peut admettre en
effet que tous les petits enfants, dont tant meurent chaque jour, périssent
sans que le Dieu de miséricorde, qui veut que personne ne périsse, leur ait
procuré à eux aussi un moyen de salut. (Pape Grégoire IX, Décrétales, I,
III, tit. 42, c. 3).
Ce dogme n’est que la conséquence des
précédents : Si Dieu propose à tous le salut, à travers la « prédication » de
l’Évangile[182],
puisque ce salut consiste en une charité choisie (Trente), puisque d’autre part
aussitôt après la mort (Benoît XII), l’âme reçoit ce qu’elle mérite, c’est donc
que l’Évangile lui est prêché AVANT LA MORT.
Dans les évangiles, nous ne disposons
malheureusement à l’appui de cette vérité que de textes de type apocalyptique.
La difficulté de ces textes est qu’ils englobent en un seul regard des réalités
diverses comme la ruine du temple de Jérusalem, la mort individuelle, la fin
des sociétés, la fin du monde. Il semble que dans le regard de Jésus, ces
réalités diverses méritaient d’être ainsi réunies à cause du rapport de signification
qu’elles avaient les unes avec les autres. Parmi les textes de ce genre, on
peut citer Mathieu[183] :
« Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera
proclamée dans le monde entier en témoignage à la face de toutes les nations.
Et alors viendra la fin. » Appliqué à la mort individuelle, il pourrait
être ainsi traduit : l’Évangile sera prêché à tout homme puis viendra sa mort.
On pourrait citer aussi Mathieu[184]
dont nous verrons ensuite en quel sens une des interprétations possibles
signifie les événements de la mort individuelle, terme des souffrances de
l’agonie. « Aussitôt après la tribulation de ces jours-là, le soleil
s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du
ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées. Et alors apparaîtra dans le
ciel le signe du Fils de l’homme ; et alors toutes les races de la terre se
frapperont la poitrine ; et l’on verra le Fils de l’homme venant sur les nuées
du ciel avec puissance et grande gloire. Et il enverra ses anges avec une
trompette sonore, pour rassembler ses élus des quatre vents, des extrémités des
cieux à leurs extrémités. »
Cependant, il faut reconnaître que ces
deux textes ne constituent qu’un signe et non une preuve de la prédication
universelle à chaque homme individuellement, avant sa mort, de la Bonne
Nouvelle du salut. La constitution de Benoît XII, éclairée par les autres
points de la foi que nous avons développés, permet cependant de conclure, avec
une certitude que donne la confiance en l’amour de Dieu (qui ne saurait permettre
qu’un homme soit damné sans liberté) et en la vérité de Dieu (qui ne saurait
permettre que le Magistère de l'Église se soit trompé aussi gravement sur « l’aussitôt après la mort »), à la
proposition suivante :
Tout homme reçoit
durant sa vie terrestre la proposition explicite du salut.
Si notre confiance en Dieu adhère à cette
vérité, elle le fait avec grande difficulté à cause de l’énorme contradiction
que semble apporter notre expérience. Le Christ lui-même manifeste que c’est
une contre vérité, au moins pour les hommes qui vécurent avant sa venue : « En vérité je vous le dis, il en est beaucoup
qui auraient voulu voir un seul des jours que vous voyez et ne l’ont pas vu. » [185]Pourtant,
cette foi est essentielle à garder si l’on veut comprendre le sérieux de la vie
terrestre et la grandeur de notre nature humaine corps et âme. Il n’est pas
naturel, en effet, à notre nature d’être en état d’âme séparée de notre corps.
Nous ne sommes pas une âme tombée dans un corps dont elle doit se libérer pour
être elle-même, mais un être corps, psychisme, esprit et âme. Ainsi, quoiqu’en
suggère la pensée de Boros, il n’est pas naturel à notre esprit de connaître à
la manière des anges, c’est-à-dire par mode d’intuitions directes. Pour nous,
l’intelligible parvient à la connaissance grâce à la médiation des sens. De
même, il n’est pas naturel à notre volonté de se porter vers un bien d’un seul
acte définitif. Elle doit auparavant analyser une par une les raisons de la
bonté de l’objet, les comparer afin de s’y porter. Quoiqu’en dise Boros, cet
acte n’est pas par nature handicapé. La fragilité de nos choix terrestres ne
vient pas de ce mode de fonctionnement mais des tromperies de notre imaginaire
débridé depuis le péché originel. Sans le « fomes
peccati » au cœur de leur nature, Adam et Ève étaient capables de choix
absolument responsables. De même, quoiqu’en dise Luther, le foyer du péché n’a
pas détruit complètement notre capacité de choix. Cette capacité est certes
conditionnée, marquée par des influences inconscientes (Freud, Jung), mais elle
reste la plupart du temps réelle et même éducable. L’homme qui développe des
vertus intérieures dispose favorablement par la même occasion sa capacité de
choix et « règne sur les astres »
(Aristote.) La Bible témoigne de cette nature humaine bonne, quoique blessée : «
L’homme fort qui dompte son âme vaut
mieux que celui qui prend des villes »[186].
Ainsi, lorsque Boros affirme que l’homme n’est lui-même que délivré de ce corps
de mort, il exagère et sort de la foi chrétienne en la bonté de la nature
humaine corps et âme. Pourtant, sa position marque avec vérité l’incroyable
lourdeur de notre nature humaine soumise aux lois d’une « chair qui convoite contre l’esprit »[187].
Il manifeste la faiblesse de notre état blessé qui ne saurait permettre un
choix aussi vertical que celui qui engage une éternité. A réfléchir sur la
précarité de nos décisions et l’éternité de leurs sanctions, le croyant ne sent
guère, il est vrai, surgir d’objection quand il s’agit d’une issue heureuse et
du bonheur des élus. Mais s’il commence à songer à l’éternité de l’enfer, un
légitime vertige et un scandale peuvent le saisir. Ce vertige ne semble pas
affecter saint Thomas d’Aquin qui justifie rationnellement la réalité de ce
mystère[188] :
« Celui qui dans sa propre éternité pèche
contre Dieu, sera puni dans l’éternité de Dieu. Et l’homme pèche dans sa propre
éternité non seulement par la continuation d’un même acte tout au long de sa
vie ; mais du seul fait qu’il constitue sa fin dans le péché, sa volonté est de
pécher éternellement. »
Ce texte de saint Thomas d’Aquin est vrai
dans son fond de foi puisqu’il affirme avec l’Église sa confiance dans la
capacité qu’a l’homme de choisir durant sa vie terrestre. Mais, grâce au regard
de Boros, Freud et de tous ceux qui ont manifesté les limites de la liberté
terrestre, il se heurte de front à la force de l’expérience : comment choisit
durant sa vie terrestre l’enfant avorté, l’africain mort de famine dans ses
premières années de vie de misère, l’athée européen centré sur son travail et
mort d’infarctus en pleine carrière... Confronté à la réalité expérimentale de
chaque vie humaine, le vertige aussitôt nous prend non seulement à cause des
risques de l’enfer mais aussi devant les exigences de la charité qui conduit
seule au face à face avec Dieu. Nous maintenons cependant notre conclusion :
Le
salut par la charité est proposé à l’homme durant sa vie terrestre,
explicitement (de droit et de fait), avant la séparation de l’âme et du corps.
Objection à propos de la proposition
mineure de notre démonstration théologique :
Avant d’aller plus loin, une objection peut être formulée concernant la méthode
de ce que nous appelons une approche démonstrative théologique : est-il
légitime de raisonner en s’appuyant sur une majeure dogmatique et une mineure
expérimentale ? Il semble illégitime de mélanger les genres.
Cette objection n’est pas nouvelle : elle
fut adressée à saint Thomas d’Aquin qui fut même un temps condamné par l’Église
pour avoir introduit en théologie des données philosophiques d’Aristote. Ce
grand théologien se serait sans doute justifié ainsi : Dieu est l’auteur de
tout le réel. Il est le Créateur des anges que nulle philosophie expérimentale
ne peut connaître et des plantes qu’on peut examiner au microscope. Ainsi, quel
que soit le mode par lequel l’homme parvient à la connaissance du réel, que ce
soit par les seules forces de son intelligence ou en s’appuyant sur la
révélation, il ne peut y avoir contradiction. Le réel ne se contredit jamais.
S’il y a contradiction, ce peut être parce que l’homme appelle « foi » ce qui
n’est qu’opinion théologique ou qu’il appelle « science » ce qui n’est
qu’erreur philosophique. Il est donc possible pour le théologien d’utiliser à
son service tout type de connaissance du vrai. Non seulement il lui est
possible d’agir ainsi, mais il doit le faire puisque sa foi cherche à être
intelligente ; Non seulement cette attitude est possible mais elle est
nécessaire pour le service de la « science des sciences » qu’est la théologie.
Saint François de Sales l’enseigne : « La
foi et la raison doivent marcher ensemble comme deux affectionnées. » Bien
des conflits dont la science ou la foi ont été victimes au cours de l’histoire
auraient été évités si cette attitude harmonieuse avait toujours été de mise.
Mais, parce que la méthode philosophique et la méthode théologique sont
utilisées par des hommes dont le moindre des défauts est de croire qu’ils sont
maîtres de toute la vérité, la coopération est difficile. On a rarement égalé
en ce domaine d’harmonie coopérante de la science avec la foi le « Docteur
commun. »
Là se trouve la difficulté de la foi des
fidèles et des théologiens attentifs au salut de leurs frères. Le livre de
l’Apocalypse présente le silence de Dieu comme l’un des sept mystères scellés
que seul l’agneau peut ouvrir, c’est-à-dire que seule la passion du Christ
preuve de l’amour de Dieu peut expliquer[189].
Encore faut-il admettre avec réalisme le scandale, c’est-à-dire reconnaître que
chaque jour, des milliers d’hommes meurent en ignorant tout du salut par
la charité. S’ils ignorent la possibilité de la charité, c’est qu’ils meurent
sans être entrés dans le salut selon saint Paul : « Comment l’invoquer sans d’abord croire en lui ? Et comment croire en
lui sans d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? »[190].
Mais en imaginant par impossible que depuis l’Incarnation du Christ, toutes les
nations de la terre aient entendu parler de la Bonne Nouvelle, la question n’en
serait pas résolue : comment expliquer le retard entre le péché originel et la
Rédemption ? A cette époque, tous les hommes sauf exception notoire mouraient
en ignorant totalement tout de la charité de Dieu. Il leur était bien sûr
impossible de l’aimer de charité en retour et ils entraient dans la mort avec
une grande frayeur de l’injustice des dieux. De même, dans les chrétientés les
plus ferventes, qui peut prétendre avoir saisi toute l’urgence du message ? La
vie est longue, les soucis multiples et Dieu bien loin. Saint Thomas d’Aquin
faisait à la suite d’Aristote cette réflexion désabusée : « la plupart vivent dans le sensible. »[191]
Il commentait cette pensée à la lumière de l’Évangile[192] :
« Large et spacieux est le chemin qui
mène à la perdition et il en est beaucoup qui l’empruntent. » Cette tension
entre la foi qui enseigne solennellement que Dieu propose à tout homme le salut
durant sa vie terrestre et la constatation expérimentale du fait inverse est
source de trouble.
Qu’on se souvienne du trouble analogue qui
saisit la réflexion juive de l’Ancien Testament dans la tension d’une foi
enseignant sans ambiguïté que « Dieu
comble de biens les hommes droits et renvoie les riches les mains vides »
et la constatation quotidienne de l’inverse. Cette dramatique expérience fut
source d’une mutation spirituelle majeure de Job à la Sagesse, en préparation
de la venue de Jésus. Au temps de leur gloire, les juifs tuaient comme
hérétiques les prophètes qui osaient annoncer, chose impossible pour raison de
présence de Dieu, la destruction du Temple. Il fallut plusieurs ruines et
déportations d’Israël pour que certains comprennent qu’il était question d’un
temple théologal. Nous sommes dans la même situation paradoxale et les
solutions évoquées par les fidèles ou les théologiens ressemblent fort à celles
des amis de Job. Il est à remarquer que Dieu se plaît aux apparentes
contradictions. Nous sommes frappés à l’évocation des nombreux exemples qui
jalonnent l’Écriture ou la vie des saints : Marie, au pied de la croix,
repensait-elle à la promesse de l’ange « Il
gouvernera les nations avec un sceptre de fer » ? Jeanne d’Arc, demandant à
ses voix si elle serait sauvée s’entendit répondre : « oui, par grande victoire! » Deux jours plus tard, elle était brûlée
vive. Sainte Thérèse d’Avila, remarquant dans sa vie cette contradiction entre
les promesses de Dieu et leur réalisation, disait : « Dieu torture admirablement ceux qui l’aiment. »
Pour le théologien, l’opposition apparente
entre foi et réalité, loin d’être une torture, constitue le lieu théologique
par excellence, le lieu des découvertes. Nous disions précédemment que la foi
et l’expérience ne peuvent entrer en contradiction, Dieu étant Créateur de tout
ce qui est connu par la foi ou par l’expérience. Deux vérités apparemment
contradictoires, dont l’une procède de la foi (Dieu propose son salut par la
charité à tous les hommes durant leur vie terrestre) et l’autre de l’expérience
(ce n’est pas vrai car des hommes meurent en ignorant tout de la charité) sont
comparables à deux silex durs qu’on frotte : La lumière en jaillit. Parvenus
ici dans notre recherche, nous sommes proches du moment où le jaillissement
peut se produire.
Comment, dans le peuple des chrétiens,
s’est on efforcé de résoudre cette apparente contradiction, à savoir la foi en
Dieu qui sauve tous les hommes par le don de sa grâce durant leur vie et la
constatation expérimentale de l’inverse ?
Pour une part des chrétiens, la
responsabilité de l’absence de charité chez les païens ne peut être celle de
Dieu mais celle des païens eux-mêmes. Dans les chrétientés occidentales, il
leur semble en effet que nul ne peut ignorer totalement la foi. Si elle n’est
pas vivante dans les cœurs, cela ne peut venir que d’un manque d’attention des
hommes. Selon eux, Dieu propose sa grâce sanctifiante à tout homme mais
beaucoup la refusent. Évidemment, cette solution simpliste ne résiste pas à un
examen sérieux. Elle ne résout d’ailleurs pas davantage des questions telles
que l’existence d’un Islam puissant à la place des chrétientés primitives,
l’existence actuelle d’un judaïsme 2000 ans après la Rédemption, des
paganismes, de l’athéisme envahissant les anciennes religions. Ce monde est
mystérieux dans sa structure même et Dieu qui peut faire des enfants pour Abraham à partir des pierres[193]
semble avoir des projets autrement mystérieux que ceux d’une conversion rapide,
immédiate et définitive à la charité qui conduit au salut (qu’il a pourtant au
moins le pouvoir de proposer aux hommes.)
Devant le mystère du silence de Dieu qui
ne propose pas à tous les hommes son salut durant leur vie terrestre malgré ce
qu’en dit la foi catholique, certains évoquent le respect qu’il a pour notre
liberté. On entend le raisonnement suivant : « s’il révélait son amour avec la
puissance des signes et des miracles, chacun serait obligé de croire, ce qui
serait un manque de respect pour la liberté. » Ce raisonnement est fallacieux.
Chacun sait que la liberté ne naît pas de l’ignorance du choix proposé. Qui
peut choisir ou rejeter pour l’éternité ce qu’il ne connaît pas ou ce qu’il ne
connaît qu’à travers les voiles déformants d’une prédication humaine ? Au
contraire, la vraie liberté de choix se manifeste dans l’accueil ou le rejet
d’une vérité parfaitement révélée.
D’autres évoquent donc une mystérieuse
volonté prédestinatoire de Dieu à la damnation de certains. Calvin soutient sa
thèse inacceptable en s’appuyant sur un raisonnement logique compte tenu de sa
foi et de son expérience. L’Écriture Sainte confirme ses dires : « Aussi bien ne pouvaient-ils pas croire, car
Isaïe dit encore : il a aveuglé leurs yeux et il a endurci leur cœur, pour que
leurs yeux ne voient pas et que leur cœur ne comprenne pas, qu’ils ne se
convertissent pas et que je ne les guérisse pas. »[194]
Ce texte, on doit le reconnaître, est profondément mystérieux. Calvin a-t-il
raison ? Nous soutiendrons plus tard, à la lumière de notre hypothèse, une
autre interprétation : Dieu endurcit provisoirement
le cœur de certains en ne leur donnant pas sa grâce, il les « damne » ici-bas
pour que, ayant touché leur misère, ils crient vers lui et ne soient pas damnés
pour l’éternité. Mais, bien souvent, il se réserve de se révéler à eux à
l’heure de la mort et non avant.
D’autres théologiens, à la suite de
l’école augustinienne ou thomiste, acceptent le fait de la damnation éternelle
de tout homme qui meurt sans la grâce. Pour ce faire, saint Thomas d’Aquin
établit une doctrine du péché mortel qu’il définit par les mots suivants : « Tout acte de la volonté humaine qui met sa
fin dans un bien de telle façon que Dieu ne peut être aimé en même temps comme
fin dernière »[195].
Cette définition ouvre toutes grandes les portes de l’enfer puisque, saint
Thomas d’Aquin le reconnaît lui-même, la faiblesse de la nature humaine,
l’ignorance ou même le péché originel non volontaire, peuvent laisser l’homme
dans un état de mort théologale. Nous avons souvent cité cette conception thomiste
très large du péché mortel. Elle surprend parfois les théologiens scolastiques
eux-mêmes. Elle ressort pourtant avec clarté de textes précis et aboutit aux
conclusions déjà citées pour leur évidente contradiction avec l’amour de Dieu :
limbes des enfants, damnation des païens etc. L’Église, pour enlever ces
ambiguïtés scolastiques trop visiblement contradictoires avec la Parole de
Jésus sur le blasphème contre le Saint Esprit qui seul est irrémissible[196],
redéfinira au XXème siècle le péché mortel en se servant des mots
qu’utilisait saint Thomas d’Aquin pour le blasphème contre le Saint Esprit : « péché volontaire, lucide et libre en matière
grave, c’est-à-dire contre l’amour. »
D’autres chrétiens ne se résolvent pas à
la damnation éternelle des masses de pauvres gens. Ils inventent donc des
scénarios du salut qui tous, par un axe ou par un autre, viennent buter contre
les enseignements solennels de l’Écriture ou de l’Église : Certains voient le
salut mérité pour tout acte authentiquement bon au plan humain, car la grâce
règne dans tout amour (Vandevelde, Journet, Balthasar avec des nuances), car
l’Évangile est libération sociale (théologie de la libération), car l’homme est
maître de sa vie avec Dieu (Pélage..). Mais toutes ces conceptions, si on en
poussait les conséquences à l’extrême, arriveraient à ne plus discerner ce qui
est radicalement différent dans la vie surnaturelle et que décrit
magistralement le Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus[197].
D’autres penseurs en arrivent à poser une option finale qui ne peut se situer,
l’expérience de la vie terrestre les pousse à affirmer cela, qu’après la mort
et avant le jugement dernier (Boros, Glorieux, Balthasar, chacun selon des
nuances à préciser.) Là encore, la foi définie vient achopper, principalement
grâce à l’éclairage donné par l’Esprit Saint à travers le Pape Benoît XII.
C’est donc que la vie humaine terrestre est le lieu du choix éternel, aussi
scandaleux que cela puisse paraître à tout homme sensé et un peu conscient de
l’état de misère où l’homme vit. L’Église prend donc au sérieux l’état de notre
vie terrestre. L’homme est indissociablement esprit, psyche et corps et c’est dans son état parfait d’homme vivant qu’il
choisit pour l’éternité. Cependant, n’exagérons pas l’étendue de cette liberté,
à la manière du Père J.H.Nicolas[198]
dans un texte de sa Synthèse Dogmatique. Il pense pouvoir expliquer sans
scandale le salut des hommes par le simple exercice des lois naturelles de la
liberté à qui a été proposée la foi au Christ. Il montre que la conversion « peut
être refusée. » Mais il omet de se poser la question de ceux à qui ce choix
n’est pas proposé.
Quoiqu’en dise la foi catholique, nous constatons que, de
fait, la grâce sanctifiante n’est pas proposée à tous les hommes, au moins dans
ce que nous voyons de leur vie terrestre.
Rappelons notre recherche de la partie
précédente.
D’abord celle de la foi
:
1- Seule la charité théologale (voir déf.
précédemment) ouvre à la vision béatifique.
2- Dieu qui veut que tout homme soit sauvé
propose à tous les conditions de cette charité
3- durant la vie terrestre, à l’homme tout
entier, corps et âme.
4- Ainsi, aussitôt après la mort, l’homme
en état de refus mortel de la charité est damné pour l’éternité.
Il est possible de synthétiser ces quatre
dogmes par la proposition suivante :
«
DURANT SA VIE TERRESTRE, L’HOMME REÇOIT DE DIEU LA POSSIBILITÉ DE L’AIMER DE
CHARITÉ, DE TELLE FAÇON QU’IL PEUT, S’IL REFUSE, ENTRER AUSSITÔT APRÈS LA MORT,
DANS L’ENFER ÉTERNEL. »
Ensuite celle de l’expérience
:
5- Quoiqu’en dise la foi, tous les hommes
ne reçoivent pas la prédication de l’Évangile, au moins dans ce qui est visible
de leur vie terrestre. Cette donnée de l’expérience est sûre et vérifiable car
l’Évangile n’est pas un message « implicite » mais une prédication que chacun
sait avoir reçue ou non.
En confrontant foi et expérience, dans une
confiance totale à la foi et à
l’expérience, nous pensons pouvoir établir avec certitude les quatre points
suivants :
1- Puisque
l’Évangile n’est pas prêché à tous les hommes dans ce que nous voyons de leur
vie terrestre mais qu’il est certain qu’il est prêché, c’est donc que cette
prédication a lieu dans ce que nous ne voyons pas de la vie terrestre, à savoir
à l’heure de la mort, dans les instants qui précèdent la séparation de l’âme et
du corps.
------------------
2- Puisqu’il
convient que cette prédication soit parfaite, devant déterminer le destin
éternel d’une personne rachetée par le sang de Jésus-Christ, il convient
qu’elle soit faite par celui qui est l’Image parfaite de Dieu, Jésus-Christ
Sauveur.
------------------
3- Puisqu’il
convient que ce soit l’homme tout entier, corps et âme, qui détermine son
destin éternel vers la charité ou l’amour égoïste de soi, il convient que cette
révélation soit à la fois sensible et spirituelle, c’est-à-dire, comme il
convient à l’homme, spirituelle par l’intermédiaire du sensible. La prédication
de l’Évangile sera donc réalisée par l’apparition glorieuse de l’humanité
corporelle de Jésus, gloire qui contient par son rayonnement la plénitude de la
Parole de Dieu.
------------------
4- Enfin,
puisque le choix de l’homme doit être parfaitement libre, il est nécessaire
qu’à l’heure de la mort, il soit délivré de tout ce qui conditionne de
l’extérieur cette liberté : en premier lieu, la souffrance, violence ou peur ;
en second lieu le foyer du péché hérité de la faute originelle ; en troisième
lieu de l’ignorance. Cependant, tout ce qui aide ce choix doit être conservé et
soutenu à commencer par les acquis de la vie terrestre passée, intentions,
choix, circonstances, le choix final n’étant que l’acte ultime d’une
personnalité déjà construite.
La difficulté de mon hypothèse réside dans
le point suivant : chacun sait que l’arrêt du cœur signifie aussi l’arrêt
immédiat du cerveau (l’organe le plus sensible au manque d’oxygène) et donc,
conséquemment, perte de conscience. Comment admettre, dans cette perspective,
la possibilité d’un choix conscient ? C’est d’ailleurs ce fait évident, lié à
l’expérience, qui explique l’absence dans la théologie catholique de
l’hypothèse que je soutiens. Boros s’est penché sur les moments qui suivent la
séparation de l’âme et du corps parce que son bon sens ne lui permettait pas
d’envisager autre chose. On a critiqué Boros pour le manque de fondements
empiriques de sa thèse[199].
Nous ne voulons pas prêter le flanc aux même critiques aussi nous étudierons
longuement les témoignages de ceux qui, ayant approché la mort à la suite d’un
arrêt cardiaque, prétendent avoir vécu des événements à la fois sensibles et
spirituels[200].
Nous montrerons la haute probabilité de vérité de ces témoignages, tant au plan
d’une enquête policière puisque ce qui est vu dans le phénomène de
décorporation qui suit l’arrêt du cœur peut être par la suite vérifié, qu’au
plan psychiatrique et spirituel à cause de la haute valeur des effets provoqués
par la rencontre de l’être de lumière.
Le propos de ce chapitre n’est pas de
traiter de manière philosophique de la possibilité d’admettre d’un état de
conscience à l’heure de la mort. Nous traiterons ultérieurement cette question,
de manière critique, en analysant l’Expérience de Mort Approchée[201].
S’il nous était absolument nécessaire, pour étayer préalablement notre
hypothèse, d’établir philosophiquement l’existence d’une conscience à l’heure
de la mort, notre recherche ne serait plus d’ordre théologique mais
philosophique. Or, quand bien même il n’existerait aucune base expérimentale
venant confirmer notre approche démonstrative théologique, il nous semble que
sa conclusion n’en serait pas moins certaine.
Cependant, afin de rendre plus concret ce
que nous allons développer par la suite, il convient de rappeler brièvement
quelques faits d’ordre expérimentaux :
L’étude de la mort fait partie intégrante du traité des fins dernières. Nous
prions le lecteur de se référer à la troisième partie où figure le plan d’un
tel traité tel que nous le structurerions sous une forme scolastique[202].
Mais elle est aussi objet d’étude scientifique et philosophique.
Au plan médical, la mort est définie comme
un état organique irréversible de destruction du cerveau.
Au plan philosophique, selon saint Thomas
d’Aquin, la mort est la séparation de l’âme et du corps. Elle est un devenir
réel impliquant un avant et un après, comme tout mouvement[203].
Au point de départ, nous avons un homme vivant, corps et âme ; Au terme, nous
voyons un corps sans vie et nous savons que l’âme subsiste, séparée du corps.
Mais, le premier de ces deux termes (départ), il est nécessaire d’admettre
qu’il possède une certaine durée. La science elle-même en témoigne : l’arrêt du
cœur marque une certaine étape, suivie de l’arrêt de l’activité électrique du
cerveau. La réanimation est impossible après environ sept minutes de cet état
par suite de destruction irrémédiable des neurones. Ce qui se voit au plan
médical est analogue au plan philosophique (nous sous-entendons une philosophie
Aristotélico-thomiste) : de même que sept à huit minutes ne sont pas la mort
médicale réalisée puisque le réveil est possible, de même, rien ne prouve que
l’âme quitte le corps aussitôt après le caractère irrémédiable du coma.
Arrivés à l’aspect théologique de notre
recherche, contentons-nous d’ouvrir une piste qui relève davantage du domaine
de la philosophie : comment peut-il être possible qu’une activité sensible et
spirituelle subsiste dans un coma profond ? Il s’agit d’une question médicale
et philosophique. Nous renvoyons pour cela aux excellentes recherches du
Docteur E. KUEBLER-ROSS : Les derniers instants de la vie[204].
Les études du Docteur Moody et d’E. Kuebler-Ross
sont formelles sur ce point : L’état de coma biologique n’empêche en rien mais
semble favoriser plutôt un exercice paisible, surdéveloppé jusqu’à l’apparition
de phénomènes paranormaux de télépathie, de la vie sensible et spirituelle.
Or l’existence d’activité spirituelle et
psychique à l’heure de la mort (sensations, mémoire sensible, imagination,
cogitative) prouve que l’esprit reste lié au corps. En effet, le psychisme est
le siège d’activités impliquant un organe matériel[205].
C’est donc que la mort, la séparation de l’âme et du corps, n’est pas réalisée.
Ainsi, dans l’hypothèse où l’expérience décrite par les témoins correspond à
une prédication de la Bonne Nouvelle, elle est réalisée avant la mort. Au plan
théologique, cette remarque présente l’avantage de ne pas entrer en
contradiction avec la définition du Pape Benoît XII. L’expérience et la foi ne
semblent donc pas entrer en contradiction. Ceci est important en théologie
puisque la source de notre certitude en cette discipline ne vient pas seulement
des fondements empiriques mais surtout de l’autorité de Dieu qui se révèle pour
notre salut.
Conclusion
:
La science et l’expérience de ceux qui ont approché la mort
manifeste avec de plus en plus de certitude l’existence d’une activité spirituelle
et psychique au cœur du coma dépassé qui précède la mort. Il n’y a donc pas
d’impossibilité à notree hypothèse.
Faut-il parler de simple hypothèse ou d’hypothèse très sûre pour ce premier
point ? Il semble que nous le pouvons parler d’une certaine certitude. Nous ne
nous appuyons pas pour le dire sur le signe empirique que nous venons d’évoquer
mais sur un argument de théologie : en effet, la certitude de la foi en l’amour
de Dieu et la confiance dans le Magistère solennel de l’Église qui enseigne, en
s’appuyant sur l’Écriture Sainte que Dieu propose son salut à tout homme durant
sa vie terrestre, nous permet de conclure qu’il le fait nécessairement au dernier moment de cette vie, de sa propre
initiative, même s’il a pu le faire avant par son Église.
La nécessité
de ce que nous établissons est, nous semble-t-il, absolue. Et c’est justement
quand une conclusion a pu être établie sans qu’aucun doute soit possible qu’on
peut la qualifier de scientifique. Cependant, la relation de nécessité ici utilisée est d’une nature
spéciale qui mérite d’être définie. En effet, c’est sur la qualité de cette
nécessité que nous nous appuyons pour parler d’approche démonstrative
théologique. Aristote distingue dans sa métaphysique quatre « Kat auto », quatre relations de
nécessité dans le monde :
1- Une nécessité de substance : il s’agit de la relation de nécessité la plus profonde
puisqu’elle se fonde sur l’être même des réalités. De par sa substance, par
exemple, l’homme est nécessairement doté d’une âme spirituelle.
2- Une nécessité de propriété : elle concerne des effets secondaires et pourtant
nécessaires de l’être Exemple : de par sa nature, il est nécessaire que l’homme
soit capable de rire.
3- Une nécessité de quiddité : il s’agit d’une relation de nécessité entre les concepts
et leur définition. Elle se situe donc dans la pensée et peut, comme on le voit
en mathématique, être indépendante du réel. Exemple : la notion d’être contient
nécessairement en elle toutes les autres notions.
4- Enfin, une nécessité de finalité : elle concerne l’action et sa
finalité. Certains moyens peuvent être nécessaire en vue de l’accès à une fin.
Ainsi, il est nécessaire à l’homme d’en aimer un autre que lui-même pour être
heureux.
La nécessité d’une prédication de
l’Évangile à l’heure de la mort relève de la finalité qui est l’entrée en possession de la grâce et de la
gloire. De plus, nous pouvons aller jusqu’à dire que cette prédication, liée à
la finalité du projet éternel de Dieu sur les hommes est absolue (donc
constitue sans doute davantage qu’une hypothèse.) En effet, il existe deux
manières dont un moyen est nécessaire pour obtenir une fin :
- Une nécessité absolue (Par
exemple, il est nécessaire d’avoir un moyen de transport adapté pour
traverser un océan.) De même, il est absolument nécessaire, compte tenu de
l’amour de Dieu, de sa volonté de conduire tout homme qui le veut à la gloire
et de la nature de cette gloire, que l’Évangile soit prêché à l’heure de la
mort.
- Une nécessité relative (Par
exemple, il est nécessaire d’avoir un paquebot
pour traverser l’océan.) Cette deuxième forme de la nécessité ne porte pas sur
l’action elle-même dans sa recherche de la fin mais sur l’efficacité de
l’action. Le paquebot n’est nécessaire de manière absolue qu’en tant qu’il est
un bateau et évite la noyade. Mais sa qualité de paquebot permet d’atteindre le
but fixé avec une plus grande efficacité et facilité. Elle est donc nécessaire
de manière relative. Ce type de nécessité relative ne concerne pas ce
paragraphe mais d’une certaine manière, comme nous le verrons, le suivant. En
effet, la manière dont la prédication de l’Évangile est faite, si elle
nécessite une efficacité absolue (car la connaissance et l’adhésion à
l’Évangile n’est pas un plus relatif mais une nécessité vitale sans laquelle,
nous l’avons vu, nul ne peut aimer de charité), implique-t-elle nécessairement
l’intervention directe du Christ Jésus ou simplement de l’un de ses amis (ange
ou saint)[206]
?
Ce que nous avons dit jusqu’ici de la
nécessité absolue, en vue du salut éternel, d’une prédication de l’Évangile
pour les païens à l’heure de la mort, peut nous conduire plus loin : cette même
nécessité de l’ordre de la finalité nous oblige à étendre cette révélation
ultime aux chrétiens eux-mêmes. En effet, la prédication de l’Évangile telle
que nous la recevons sur terre par l’intermédiaire d’instruments humains ou
sacramentaux n’est jamais adéquate à l’intensité de l’amour révélé. Si déjà,
sans faute de leur part, de nombreux juifs qui virent Jésus prêcher puis mourir
sur la croix ne comprirent rien du motif spirituel de ces événements, que dire
des générations de chrétiens qui n’entendirent parler de lui que par la prédication
d’apôtres plus ou moins purifiés. Qui peut prétendre avoir compris en plénitude
l’intensité du contenu de l’Évangile ? Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus dit,
dans ses Derniers Entretiens, qu’elle ne sera pas surprise en voyant le
Ciel. Il n’est pas seulement probable, il est certain qu’elle se trompait : « L’esprit humain n’a pas conçu ce que Dieu a
préparé pour ceux qui l’aiment »[207].
Elle reçut donc nécessairement, à l’heure de sa mort, et en vue de son entrée
au Ciel, la révélation plénière de ce qu’elle connaissait déjà. La même
relation de nécessité nous oblige à étendre la certitude de cette révélation à
tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux : parce que Dieu ne
donne la vision de son essence infinie qu’à ceux qui l’aiment de charité et
parce que cette charité implique un choix libre fondé sur la foi, avant la
mort, Dieu s’est nécessairement révélé à tout homme d’une manière ou d’une
autre. Au cours de notre troisième partie, nous aborderons uns à uns les cas
généraux des hommes qui vécurent avant la Rédemption, des enfants morts sans
baptême, des païens. Nous verrons que la nécessité de l’amour de Dieu permet de
conclure que tous les hommes, sans AUCUNE exception (L’Antéchrist lui-même s’il
devait être un homme), reçoivent la révélation de l’Évangile à l’heure de la
mort. Chacun peut alors décider en toute liberté de son destin éternel, tout en
étant dans l’état de perfection naturelle à l’homme pour sa connaissance et ses
choix : l’état de vivant, âme unie à son corps.
La logique de la foi catholique nous oblige à admettre avec
certitude qu’une forme de prédication de l’Évangile a lieu dans les derniers
instants de la vie terrestre.
Cette prédication doit-elle nécessairement
être réalisée par le Christ et par personne d’autre ? Se pourrait-il qu’il soit
absent physiquement et qu’il délègue cette prédication à un de ses amis, un
ange, un saint ? Pour répondre à ce problème, il convient de se poser deux
questions :
1) Qui est le Sauveur ? Pourquoi est-ce le
Christ qui est appelé rédempteur et personne d’autre ?
2) Les amis de Dieu peuvent-ils être des
co-rédempteurs[208]
? A cause de leur union avec le Christ, ont-ils le pouvoir de coopérer avec Lui
au point d’être des canaux communiquant la grâce de Dieu ? Leur apparition
glorieuse à l’heure de la mort, aurait-elle le pouvoir de révéler au mourant la
plénitude de l’Evangile, au point de rendre possible un choix pour l’éternité ?
Ces questions ne sont pas secondaires. De
leur réponse sortira telle ou telle conception de l’Eglise, de la communion des
saints. Pour un protestant fidèle, de telles interrogations sont hors de
propos. Elles constituent un outrage à la majesté du Christ, vrai Dieu et vrai
homme, seul rédempteur à l’exclusion des hommes dont la liberté est détruite du
fait du péché originel. Mais pour un catholique s’ouvre une des plus
incroyables conséquences du mystère de la charité : les amis de Dieu coopèrent
à la diffusion de la grâce.
1) Qui est le Sauveur ? Pourquoi est-ce le
Christ qui est appelé rédempteur et personne d’autre ?
Le Rédempteur ne pouvait être, selon saint
Thomas d’Aquin[209],
que le Christ lui-même, à savoir le Verbe de Dieu fait homme, parce qu’il est…
Dieu et homme. Au début du traité du Verbe incarné, traitant des convenances de
l’Incarnation, il établit que, compte tenu du péché originel, il fallait nécessairement que nous soyons sauvés
par le Christ qui est, selon saint Paul, l’unique médiateur entre Dieu et les
hommes[210].
Mais est-ce le Christ parce qu’il est homme ou parce qu’il est Dieu ?
Saint Thomas d’Aquin montre que si on
entend le Christ selon qu’il est Dieu, cette nécessité est absolue, sans autre voie possible puisque c’est Dieu
le Verbe et lui seul qui crée la grâce et la gloire conjointement au Père et au
Saint Esprit. Les théologiens orthodoxes expriment ce fait d’une autre façon :
le Christ Dieu est source nécessaire de la grâce parce qu’il est la Grâce et la
Gloire. Ainsi, la révélation de l’heure de la mort, comme celles qui peuvent
venir avant, ont nécessairement comme origine l’initiative de Dieu, le Christ
Sauveur.
Cependant, si on regarde le Christ en tant
qu’il est homme, il convient selon saint Thomas d’Aquin de parler autrement :
en se faisant homme et en mourant sur la croix, le Verbe a opéré une œuvre de
Rédemption dont il est impossible de penser une plus grande : « il n’est pas de plus grand amour que de
donner sa vie pour celui qu’on aime »[211].
Cependant, la nécessité de cette œuvre par rapport à sa finalité qu’est le
salut de l’homme est d’une autre nature : elle est de l’ordre non de la nécessité absolue mais de la nécessité gratuite d’un amour qui aurait
pu se révéler par toutes sortes d’autres moyens imaginables. Elle est le moyen
le plus efficace et le mieux adapté au salut de l’homme par la charité.
Cependant, elle n’est pas le seul moyen imaginable. La vie de Jésus eût pu être
toute autre ; La prédication évangélique eût pu être communiquée par une autre
méthode que le cri de la croix. Ainsi, lorsque l’alliance se brise dans un
couple humain, il est de nécessité absolue si l’on veut qu’elle se rétablisse,
que les époux se pardonnent mutuellement et s’aiment de nouveau ; mais il n’est
pas nécessaire que la réconciliation soit obtenue par un sacrifice total de
l’époux fidèle, à travers une mort d’amour. Cet acte est le plus grand possible
mais il n’est pas la seule façon de prouver son amour.
2) L’apparition glorieuse des amis de Dieu
à l’heure de la mort, aurait-elle le pouvoir de révéler au mourant la plénitude
de l’Evangile, au point de rendre possible un choix pour l’éternité ?
En conséquence, nous pouvons répondre à la
question posée en début de ce paragraphe de la manière suivante : il est
nécessaire que ce soit la personne du Christ, selon qu’il est homme qui réalise
la prédication ultime de l’Évangile à l’heure de la mort parce qu’il est par
son être et par sa vie l’Image la plus parfaite de Dieu, image non faite de
main d’homme. Mais son rôle d’image n’épuise pas l’infini de la révélation
trinitaire : comment une créature (et tel est Jésus en tant qu’homme)
pourrait-elle épuiser la révélation du Créateur ? C’est pourquoi Jésus peut
laisser sur la terre à des prédicateurs humains un véritable rôle sacerdotal :
des hommes et avant tout des saints peuvent devenir, conjointement avec lui,
image de Dieu et révéler Dieu aux hommes. Il peut en être de même pour des
anges ou pour toute créature image de Dieu par sa sainteté. On peut donc dire
que Jésus en tant qu’il est Verbe Éternel est l’unique médiateur entre les
hommes et le Père, et ce d’une manière absolue. En tant qu’homme, il est
l’unique médiateur d’une médiation qui rend possible toute autre médiation
humaine ou angélique qui lui est conjointe.
Ainsi, à l’heure de la mort, il est
nécessaire que ce soit le Christ en personne qui prêche la Bonne Nouvelle au
mourant, mais il est nécessaire que ce soit ainsi non d’une manière absolue. Par rapport à la finalité recherchée (la
proposition du salut), tout saint, homme ou ange, étant devenu au Ciel « une seule chair »[212]
avec Dieu peut être considéré comme une Image Parfaite, conjointement au
Christ, de Dieu. Ainsi, tout l’Évangile est contenu tout entier dans
l’apparition de la Vierge à Bernadette de Lourdes : cette enfant saisit dans le
regard de Marie la plénitude du message chrétien car Marie est
Christo-conforme. Si par impossible elle s’était détournée volontairement de
Marie, elle n’aurait pu le faire qu’à la suite d’un blasphème contre le Saint
Esprit, c’est-à-dire contre l’amour parfaitement révélé. Cette souplesse de
l’amour qui se révèle est refusée par une grande partie du protestantisme. Elle
est pourtant importante car elle nous permettra de comprendre comment le Ciel
entier, hommes et anges, peut coopérer à la révélation de l’Évangile à la fin
de la vie humaine (comme d’ailleurs durant cette vie à travers les multiples
sacerdoces délégués par Dieu[213]).
De même, elle nous permettra de comprendre comment un messager délégué par Dieu
au nom du Christ non encore né (l’Ange de
la mort des anciens) put prêcher l’Évangile à Abraham selon le témoignage
de Jésus : « Abraham a vu mon jour et il
s’en est réjoui »[214],
et à tous les hommes d’avant le Christ. Elle nous permettra de montrer que le
Christ ne vient pas seul à l’heure de la mort comme à la fin du monde mais
accompagné des saints et des anges, dont le rôle n’est pas seulement figuratif.
Nous verrons que l’amour chrétien est une communion des saints où chacun, uni à
Dieu par la charité, devient de manière aussi réelle qu’efficace coopérateur en
royauté, sacerdoce et prédication, tout cela en vue de la Rédemption des
hommes.[215]
CONCLUSION
Le Christ, parce qu’il est l’Évangile fait homme, prêche
lui-même la Bonne Nouvelle à tout homme à l’heure de sa mort (avant la mort
réalisée.) Il peut être accompagné (ou représenté pour les hommes qui vécurent
avant sa résurrection) par les saints et les anges.
Nous avons montré à quel point la thèse de
L. Boros sur l’après de la mort
présentait d’inconvénients graves pour la foi et le réalisme philosophique.
L’unité substantielle et naturelle de l’homme âme et corps, parfait selon cette
nature quoique imparfait à cause des blessures de la faute originelle, s’en
trouvait remise en cause. Or nous avons montré aussi que l’état d’une âme
séparée, semblable à celui des anges, est pourtant imparfait relativement à ce
qu’est l’esprit humain. L’homme est une créature spirituelle faite pour son
corps et capable de choisir d’une manière libre sans que la médiation de ce
corps nuise à cette liberté. Dieu qui a créé cette nature mixte le sait bien
et, dans sa volonté de sauver tous les hommes, connaît les moyens ultimes qu’il
convient d’employer au terme de la vie pour qu’un choix parfait et définitif
soit réalisé. Nous verrons au paragraphe suivant certaines conditions
nécessaires dans le sujet qui choisit. Penchons nous maintenant sur les
conditions objectives de la révélation qui doivent précéder ce choix.
Puisque le message doit être présenté à
l’homme selon qu’il lui est naturel de connaître, c’est-à-dire à travers des « espèces
» sensibles dont l’intellect agent abstrait le contenu spirituel, il convient
que le mode de la révélation soit sensible en vue du spirituel. Une
révélation purement spirituelle comme une compréhension directe de l’âme
spirituelle du Christ est, quoiqu’on puisse en penser, moins parfaite pour
l’homme compte tenu de ce qu’il est. Cette révélation, en ne touchant que son
esprit, est à la fois moins comprise et moins engageante : moins comprise car,
à la différence des anges qui connaissent par nature ainsi, elle acquiert pour
l’homme un caractère abstrait, plaqué comme de l’extérieur de sa vitalité ;
Moins engageante car elle ne touche qu’une partie de son être, même si cette
partie est la plus noble. Or l’homme, dans toutes ses opérations d’homme, est
fait pour s’engager corps et âme.[216]
Quelle peut être la façon la plus parfaite
de révéler la plénitude de l’Évangile à un homme ? Nous avons affirmé au
paragraphe précédent que le Christ est l’Évangile incarné. « Qui m’a vu a vu le Père »[217],
dit-il lui-même à l’un de ses apôtres. L’Évangile n’est pas une doctrine
seulement mais une personne que la doctrine ne doit pas cacher. Cependant, la
vue du Christ peut présenter des modes différents :
1- Mode biologique durant sa vie terrestre
;
2- Mode mystique à travers le cœur à cœur
de l’oraison ;
3- Mode sacramentel à travers sa présence
réelle dans l’eucharistie ;
4- Mode de représentation et de symbole à
travers une icône de sa présence, qu’elle soit une peinture ou une personne
sainte qui reflète quelque chose de son visage ;
5- Mode glorieux enfin.
Il convient que la présence finale du
Christ contienne ce qui est bon dans tous ces modes de présence, afin que celui
qui le rejette puisse le faire en toute connaissance de cause et afin que celui
qui l’épouse le fasse en toute vérité. Ce qu’est le Christ, à savoir
l’Évangile, doit apparaître en plénitude à la connaissance humaine. Le Christ
est à la fois beauté extérieure dans son visage et souffrance inhumaine dans sa
passion ; il est Dieu et il est homme ; il est amour humain pour sa mère et ses
amis et charité surnaturelle pour tous ; il est justice contre les péchés et
miséricorde pour les pécheurs...On peut multiplier à l’infini les qualités de
son être Image de Dieu. En un mot, le Christ est Lumière et Amour. Pour
manifester une telle plénitude sans erreur possible, sa vie terrestre n’a pas
suffi comme on le voit pour ceux qui, sans mauvaise volonté, ne discernèrent en
lui qu’un homme, parfois même un faux prophète. De même, sa présence
eucharistique, bien qu’adaptée à ceux qui ont la foi, est trop cachée sous les
symboles sacramentels pour parler aux autres. Il en est de même pour la
présence mystique qui ne peut être atteinte qu’au terme d’un cheminement spirituel
dont la délicatesse de l’amour n’est réservée qu’aux petits. Il en est
certainement autre chose dans la présence de Jésus lorsqu’elle est manifestée
par le visage et la rencontre d’un saint. Mais la sainteté, même transfigurante
comme celle d’un saint François d’Assise, est du même ordre que la présence de
Jésus durant sa vie terrestre : elle ne touche pas l’homme mal disposé car elle
est alors interprétée selon les intentions de celui qui juge de l’extérieur.
L’homme voit ce qu’il veut voir et transforme le monde à l’image de son cœur.
Reste donc la présence de gloire : la
gloire n’est autre que la magnificence de la beauté. La présence de gloire de
Jésus que l’humanité attend pour la fin du monde n’est autre que la
manifestation instantanée et magnifique de TOUTE sa beauté-Image de Dieu. Cette
apparition est en premier lieu sensible : les hommes verront le Christ avec
leurs yeux de chair car il se manifestera avec son corps. Cependant, l’une des
propriétés majeures d’un corps glorieux est d’être lumineux[218],
c’est-à-dire qu’il laisse transparaître sans aucune résistance à travers sa
beauté le fond tout entier de l’âme. Balthasar exprimerait ainsi cette
propriété des corps glorieux : par le rayonnement de la beauté qui est selon
lui un des transcendantaux de l’être, la bonté et la vérité sont manifestées en
plénitude, sans aucun obstacle. Ainsi, le contenu de la révélation d’un corps
glorieux est adéquat, autant que le peut une image parfaite, à la profondeur
spirituelle du mystère. Concrètement, en voyant le corps glorieux du Christ,
l’homme saisit en un seul regard intuitif sa vie et sa mort, son Évangile et
son Amour, son être et sa mission. Certes, le vertige de cette vision n’est pas
celui de la vision béatifique mais il est la représentation la plus parfaite de
la nature divine, suffisante à un choix éternel. Comme par clair-obscur, cette
vision sensible est capable de révéler à l’homme sa vie personnelle et la
qualité de sa mort de pécheur, sa vérité et son amour limités, son être et sa
mission si peu réalisés.
Comme pour le paragraphe précédent, il
nous faut remarquer que la vision sensible du plus petit des saints du Royaume
de Dieu est capable de produire ce même effet[219].
En effet, la vision de Dieu transfigure l’âme et, par l’âme le corps au point que
l’image de Dieu se trouve parfaitement réalisée. Après la résurrection, chacun
d’entre les hommes sauvés sera image de Dieu jusqu’en ses péchés passés et
pardonnés qui brilleront physiquement la miséricorde du Tout-Puissant. Ainsi,
l’apparition du corps glorieux du Christ réalisera pour l’homme la prédication
ultime de l’Évangile au terme de notre vie, sans pourtant effacer la
coopération des saints et des anges qui seront rendus visibles d’une gloire
physique pour cette occasion (voir en conclusion, traité de la mort.) La gloire
du Christ n’efface rien de celle de ses amis, de même que, selon Sainte Thérèse
de l’Enfant-Jésus, la beauté de Marie ne fera que mettre en valeur celle de ses
enfants.
Ce qui parait si évident pour la fin du
monde, à savoir le mystère du retour glorieux du Christ accompagné des saints
et des anges, ne l’est pas moins pour l’heure de la mort de chacun. Compte tenu
de la finalité recherchée, à savoir une prédication ultime et parfaite de
l’évangile pour le salut, il n’est nul besoin de faire autre chose que
d’appliquer pour cette heure ce que l’Église a toujours cru pour la fin du
monde.
CONCLUSION
Il convient que la prédication de l’Évangile qui intervient
d’une manière ultime à la fin de la vie terrestre soit réalisée par la venue
glorieuse du Christ accompagné des saints et des anges.
Remarque : nous ne prétendons pas
identifier le mystère de la parousie tel qu’il est annoncé dans les évangiles à
ce que nous décrivons ici sur l’heure de la mort. Nous reconnaissons qu’à la
fin du monde, le Christ se manifestera à tous les hommes d’un seul coup.
Cependant, ce que nous décrivons ici nous semble être le même mystère en tant
qu’il se réalise peu à peu au cours des siècles à l’heure de chacun. Nous
allons donc dans le sens du document de la congrégation pour la foi, mai 1979 :
« L’Église, conformément à l’Écriture,
attend la manifestation glorieuse de notre Seigneur Jésus-Christ »[220], considérée cependant comme distincte et
différée par rapport à la situation qui est celle des hommes immédiatement
après leur mort.
»
On a souvent reproché à la thèse de
Ladislas Boros [221]le
fait qu’elle ne laisse plus de place au rôle de la vie terrestre. Selon lui,
les choix posés durant cette vie sont trop entachés des conditionnements
extérieurs de la psychologie ou de l’entourage pour être capable d’engager le
destin éternel. A l’inverse, on reproche à une grande partie du Thomisme rigide
de croire exagérément en la capacité de ces choix à déterminer à eux seuls
réprobation éternelle ou entrée dans la vision béatifique. Il nous semble que
la vérité se trouve dans un équilibre entre ces deux positions. Nul ne peut
nier le rôle de la vie terrestre, ni par le point de vue de la foi ni par celui
de l’expérience : elle façonne notre être et notre personnalité présente est le
fruit d’une interférence entre quantité de conditionnements non choisis tel que
le milieu où nous sommes nés, l’éducation reçue, les événements qui se sont
imposés à nous ; Ces conditionnements sont reçus dans une liberté plus ou moins
développée, plus ou moins construite et qui peut à la limite être inexistante
(handicap profond) ou surdéveloppée (chez ceux qui sont à la fois lucides sur
eux-mêmes et maîtres de ce qui dépend d’eux dans leur vie.) La plupart des
hommes se dirigent à travers une liberté médiane, naviguant au rythme des
conditionnements, avec d’étonnants sursauts d’héroïsme choisi ou de lâcheté
subie, la réciproque étant tout aussi vraie. Bref, notre personnalité est le fruit
de notre passé et notre personnalité est nous-mêmes. C’est elle qui doit à la
fin de notre vie se diriger librement vers le salut, si elle ne l’a déjà fait
au cours de sa vie. Il est donc évident que Dieu n’efface pas d’un geste ce
passé mais au contraire le propose à la conscience de chaque homme à ce moment
ultime, avec cependant une lecture miséricordieuse quoique vraie, tel qu’il
convient à sa Révélation. Ainsi, notre vie terrestre et ses conditionnements
limités sont l’humus d’où jaillit l’acte ultime de notre vie, celui par lequel,
dans la logique de ce que nous sommes vraiment, nous choisissons pour
l’éternité. A la différence de Boros, nous pensons que l’option finale et libre
est à situer dans la logique profonde de notre vie terrestre. Nous entendons
par logique profonde autre chose que cette apparence de logique qui fait qu’un
homme jugera perdu celui qu’il discerne de l’extérieur comme un grand pécheur.
La profondeur de l’être humain est au delà de ces apparences, et celui qui
s’est comporté durement dans ce monde peut avoir des raisons profondes d’excuse
que lui-même ignore mais que Dieu saura mettre en pleine lumière dans la
parousie de son Fils.
A la différence de la scolastique, nous
maintenons la nécessité d’une option finale, à condition toutefois que cette
option ait lieu durant la vie terrestre, avec une liberté parfaite fondée sur
la lucidité de l’intelligence et la parfaite maîtrise de la volonté.
Nous avons déjà étudié les conditions
subjectives quant à l’intelligence, celle-ci devant s’exercer avec la
perfection de son mode humain lié aux sens, dans la révélation sensible du
Christ glorieux.
La volonté, quant à elle, doit pouvoir se
porter sans violence vers ce qui lui paraît être son bien ultime, que ce soit
l’amour de Dieu ou l’amour égoïste de soi (dont les avantages, nous le verrons
en troisième partie, sont présents au choix de l’homme.) Les conditions de la
liberté quant à la volonté ont été largement étudiées par les philosophes. Nous
ne ferons donc que les citer : Absence de violence extérieure, de passion
intérieure excessive, qu’elle soit une jouissance trop forte ou une crainte.
Mais surtout, à la racine de cela, il existe ce que saint Thomas d’Aquin
appelle en théologien « le foyer de la
concupiscence »[222].
Selon lui, ce foyer qui explique que nous faisons parfois ce que nous ne
voudrions pas[223],
est un désir déréglé de la concupiscence. Il est un état de fait de l’appétit
sensitif, conséquemment au péché originel. Il n’est pas naturel car ce qui est
naturel chez l’homme, c’est que la passion soit régie par la raison. Chez Adam
ou Ève, avant leur péché, la volonté demeurait soumise à Dieu au point d’en
rejaillir sur les facultés inférieures dans une grâce de pacification au point
qu’elle ne se tournait vers un bien qu’avec le consentement de la raison. Il
leur était donc impossible de pécher par faiblesse et leur désobéissance n’eut
pas de circonstances atténuantes.
Pour saint Thomas d’Aquin, ce foyer est à
considérer comme une peine voulue par Dieu après le péché ayant pour finalité
l’humilité des hommes : confrontés à la faiblesse de leur nature esclave de ses
mauvais penchants, les hommes sont sensés ne pas s’illusionner longtemps sur
leur capacité à se passer d’un Sauveur[224].
Cette inclination est donc voulue par Dieu compte tenu de sa volonté de sauver
tous les hommes. En effet, par elle, l’homme est humilié de sa propre situation
et, par ce fait, disposé à l’humilité.
Cependant, le foyer du péché n’est utile
que dans la période préparatoire au choix définitif qui oriente le destin
éternel. En effet, s’il est bon avant en diminuant la liberté et en révélant
l’homme à lui-même, il devient mauvais au moment du choix puisqu’il est capable
de diminuer la liberté de ce choix. Il est donc nécessaire que l’homme en soit
délivré à cette heure. Nous l’affirmons au plan d’un raisonnement théologique
et nous montrerons la correspondance expérimentale étonnante chez ceux qui ont
connu une expérience de mort approchée : tous reconnaissent avoir vécu ce
moment dans une paix psychologique jusqu’ici inconnue.
Comment est possible une telle libération
à l’heure de la mort ? Par la grâce de la venue de Jésus-Christ dont la
présence puissante provoque les mêmes effets de pacification que ceux connus
par Adam et Ève avant la faute originelle : toute présence de Dieu conduit à
cela, mais lorsque cette présence est intense, elle peut arriver à calmer
totalement la sensibilité qui se soumet alors à la volonté. Il s’agit de ces
grâces « préternaturelles »alliant une origine divine et une source naturelle.
CONCLUSION
A la fin de la vie terrestre, Dieu délivre l’homme du foyer
de péché de telle façon qu’il puisse choisir librement sa fin dernière compte
tenu de ce qu’il s’est fait durant sa vie.
Au delà de la méthode rationnelle utilisée
ici, il peut être utile de s’arrêter un instant pour un regard plus
contemplatif. Les conclusions auxquelles nous aboutissons sont établies selon
un raisonnement utilisant la logique.
Cependant, la nécessité qui les fonde est
celle d’une finalité, finalité
établie par Dieu souverainement dans un amour. Cette finalité est simple
puisqu’elle consiste à communiquer sa béatitude à ceux qui l’aiment. Tout le
reste est de l’ordre du moyen et Dieu adapte ses moyens à la nature humaine de
manière à ce que tout soit tenté pour sauver tout homme. Puisque les conditions
d’entrée dans la vision d’un Dieu humble et amour sont l’humilité et l’amour,
Dieu apprend aux hommes à être humble et à aimer.
Dieu commence par les créer ; Il leur
impose un difficile temps de vie terrestre, marqué par la souffrance ; Il se
fait homme pour ne pas leur cacher plus longtemps ce qu’ils avaient oublié ; Il
se cache de nouveau pour leur apprendre à espérer ; Enfin, il se présente à eux
à l’heure de la mort, dans toute la beauté de son amour, de telle manière que
ceux qui le refusent soient l’exception. Comment refuser l’amour d’un tel Dieu
quand on vient de l’épreuve de la terre, quand on a appris dans son sang que
l’homme est peu de chose et que l’amour seul est digne de foi ?
Si un homme se comporte ainsi, c’est que
l’orgueil et l’amour de soi sont en lui plus forts que la mort.
1-
Fondements scripturaires
2-
Sources chez les saints et les théologiens catholiques
3-
Sources dans les autres religions
4-
Fondements empiriques
Lorsqu’on
cherche, on trouve. Lorsqu’on a en tête l’idée d’un retour du Christ dans sa
gloire non seulement à la fin du monde comme la Tradition l’a toujours explicitement
lu dans l’Ecriture, mais aussi à l’heure de la mort, on repère de nombreux
textes où ces deux évènements paraissent identifiés en un seul. Et pourtant, on
ressort de cette étude avec une interrogation : pourquoi les grands théologiens
du passé n’ont-ils pas vu cela ?
La réponse tient
en une phrase : cette venue du Christ est annoncée de manière si grandiose,
qu’on a tendance à la voir, « comme
l'éclair, en effet, part du levant et brille jusqu'au couchant,
« (Matthieu 24, 27), comme un évènement nécessairement cosmique, donc
collectif. Pourtant, à de nombreuses reprises, la parousie glorieuse est vécue
de manière individuelle.
Mais les textes parlent d’eux-mêmes :
Matthieu 26, 63 Mais Jésus se taisait. Le
Grand Prêtre lui dit : « Je t'adjure par le Dieu Vivant de nous dire si tu es
le Christ, le Fils de Dieu" -- "Tu l'as dit, lui dit Jésus.
D'ailleurs je vous le déclare : dorénavant, vous verrez le Fils de l'homme
siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel."
Alors le Grand Prêtre déchira ses
vêtements en disant : « Il a blasphémé! qu'avons-nous encore besoin de témoins
? Là, vous venez d'entendre le blasphème!
Il
s’agit d’un récit mystérieux et fort. Paul n’a pas approché la mort, pourtant
ce qu’on raconte de lui ressemble à une Near Death Experience. Aurait-il vécu
ici-bas, en vue de sa mission d’apôtre, ce que vivront tous les hommes à
l’heure de la mort[225] ?
«
Saul, ne respirant toujours que menaces et carnage à l'égard des disciples
du Seigneur, alla trouver le grand prêtre et lui demanda des lettres pour les
synagogues de Damas, afin que, s'il y trouvait quelques adeptes de la Voie,
hommes ou femmes, il les amenât enchaînés à Jérusalem. Il faisait route et
approchait de Damas, quand soudain une lumière venue du ciel l'enveloppa de
sa clarté. Tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait : « Saoul,
Saoul, pourquoi me persécutes-tu" -- "Qui es-tu, Seigneur ? »
Demanda-t-il. Et lui : « Je suis Jésus que tu persécutes. Mais relève-toi,
entre dans la ville, et l'on te dira ce que tu dois faire." Ses compagnons
de route s'étaient arrêtés, muets de stupeur : ils entendaient bien la voix,
mais sans voir personne. Saul se releva de terre, mais, quoiqu'il eût les yeux
ouverts, il ne voyait rien. On le conduisit par la main pour le faire entrer à
Damas. Trois jours durant, il resta sans voir, ne mangeant et ne buvant rien. »
Paul
lui-même confirme et commente sa conversion dans la deuxième épître aux
Corinthiens[226] : « J'en viendrai aux visions et
révélations du Seigneur. Je connais un homme dans le Christ qui, voici
quatorze ans - était-ce en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps
? Je ne sais ; Dieu le sait - cet homme-là fut ravi jusqu'au troisième ciel. Et
cet homme-là - était-ce en son corps ? Etait-ce sans son corps ? Je ne sais,
Dieu le sait --, je sais qu'il fut ravi jusqu'au paradis et qu'il entendit des
paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme de redire. Pour cet
homme-là je me glorifierai ; mais pour moi, je ne me glorifierai que de mes
faiblesses. Oh! si je voulais me glorifier, je ne serais pas insensé ; je
dirais la vérité. Mais je m'abstiens, de peur qu'on ne se fasse de moi une idée
supérieure à ce qu'on voit en moi ou ce qu'on m'entend dire. Et pour que
l'excellence même de ces révélations ne m'enorgueillisse pas, il m'a été mis
une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter - pour que je
ne m'enorgueillisse pas! A ce sujet, par trois fois, j'ai prié le Seigneur pour
qu'il s'éloigne de moi. Mais il m'a déclaré : « Ma grâce te suffit : car la
puissance se déploie dans la faiblesse." C'est donc de grand coeur que je
me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance
du Christ. »
Paul
répète par deux fois la mention « - était-ce en son corps ? Je ne sais ;
était-ce hors de son corps ?. » Il semble indiquer son trouble devant la
nature de son expérience. Son état physique lui paraît mystérieux. On ne peut
manquer de faire le rapport, à titre de piste, avec cette mystérieuse
expérience de décorporation dont parlent beaucoup de témoins de l’approche de
la mort.
Il n’existe aucun texte de l’Écriture
Sainte qui enseigne au sens littéral le mystère de la parousie en l’appliquant
à l’heure de la mort exclusivement. C’est pourquoi il faut reconnaître que la
voie scripturaire ne peut constituer une preuve de notre hypothèse mais un signe
de sa crédibilité.
Tous les exégètes depuis saint Césaire
d’Arles dans son Commentaire de l’Apocalypse[227]
reconnaissent que les discours eschatologiques mêlent des mystères divers. En
général, on reconnaît à ces textes[228]
une valeur d’annonce de la ruine du temple de Jérusalem, de la fin du monde, de
la fin des sociétés humaines passagères et de la mort individuelle de chacun de
nous. Ces diverses significations ne sont pas sans rapport, la première étant
le symbole des autres. La difficulté des textes consiste dans le fait qu’ils
passent très souvent, sans avertissement, selon leur littéralité d’une
signification à une autre.
Dans le langage de Dieu, biblique, de type
eschatologique, « Vengeance" veut dure "épreuve (temporelle)" en
vue du salut (éternel).
Exemple ce texte :
Citation : |
2 Théssaloniciens 1, 6 Car ce sera bien
l'effet de la justice de Dieu de rendre la tribulation à ceux qui vous
l'infligent, et à vous, qui la subissez, le repos avec nous, quand le
Seigneur Jésus se révélera du haut du ciel, avec les anges de sa puissance,
au milieu d'une flamme brûlante, et qu'il tirera vengeance de ceux qui ne
connaissent pas Dieu et de ceux qui n'obéissent pas à l'Evangile de notre
Seigneur Jésus. Ceux-là seront châtiés d'une perte
éternelle, éloignés de la face du Seigneur et de la gloire de sa force,
quand il viendra pour être glorifié dans ses saints et admiré en tous ceux
qui auront cru - et vous, vous avez cru notre témoignage. Ainsi en
sera-t-il en ce jour-là. |
Ce signifie :
Quand Jésus va apparaître à l'heure de
notre mort, ce qui est saint en nous se précipitera vers lui, mais ce qui est
méchant fuira, effrayé, détruit. Car sa vengeance, ce ne sera pas sa colère,
mais son amour puissant, humble, compréhensif.
Ceux qui ne connaissent pas Dieu
signifient
deux choses :
1° La partie qui en nous refuse Dieu
2° Ceux qui librement
se damneront et fuiront avec grande colère cette révélation insupportable de
l'amour glorifié.
Bref, ces textes de style apocalyptique se
décryptent à la lumière de l'ÉVANGILE. Ils n'ont pas leur sens en eux-mêmes.
Pour le sujet qui nous occupe, nous
voudrions citer quelques uns de ces textes dont nous manifesterons la
possibilité d’une interprétation dans le sens de la mort individuelle :
« Comme
aux jours de Noé, ainsi sera la parousie du fils de l’homme. Alors, deux
hommes seront dans un champ : l’un sera pris, l’autre laissé ; Deux femmes
seront en train de moudre, l’une sera prise, l’autre laissée. »
Habituellement, les exégètes commentent ce
texte en insistant sur l’aspect inattendu de la parousie. Ils y voient
l’annonce d’une parousie inopinée à l’image de la mort qui surprend
l’agriculteur dans son champ. A cet égard, le meilleur commentaire est, me
semble-t-il, celui de Daniel Marguerat[229].
» Cette impressionnante accumulation de
matériel parabolique tend à exploiter l’Apocalypse dans un sens précis : La
communauté est invitée à saisir le sérieux de la situation engendrée par
l’incertitude de l’heure de la parousie. Le savoir sue l’ignorance de l’heure
doit conduire les destinataires du discours à un faire : la vigilance. » Nous
ne nions pas la portée de cette intention de Jésus. Elle apparaît trop
clairement à travers le reste du discours eschatologique. Cependant,
l’insistance concernant cette intention des textes ne peut supprimer un autre
de leur enseignement, tiré du sens littéral de l’Ecriture : des logia de Jésus annonçaient la parousie
pour l’époque de la génération contemporaine du Christ. » Cette génération ne passera pas que tout cela ne soit accompli. »
De fait, la génération contemporaine du Christ croyait fermement vivre cette
parousie avant la mort des onze apôtres. Saint Paul en témoigne par sa mise en
garde contre ceux qui ne font plus rien dans ce monde qui leur paraît vain car
voué à sa fin de manière imminente. La génération suivante, ayant constaté que
la parousie n’était pas venue, fut conduite à interpréter les textes autrement
et dans le sens exclusif rapporté par Daniel Marguerat. Notre hypothèse permet
de donner une autre interprétation de ces textes qui ne refoule pas dans la
métaphore le sens littéral et historique qu’ils semblent contenir :
Ce texte est précieux puisqu’il unit en
deux versets l’expression « parousie du
Fils de l’homme », et la description d’une scène de travail décrivant la
mort individuelle d’un des deux travailleurs. La parousie du Fils de l’homme
n’est autre que son Avènement final, celui que Mathieu décrit en termes
apocalyptiques dès le début du chapitre 24. Or, à lire le texte, on est tenté (et
la majorité des exégètes le sont) de n’insister que sur la signification
politique, visible aux yeux des nations toutes entières, de ces faits. Tout se
passe en terme de ruine de temple (1-3), massacres et persécutions religieuses
(4-25), cataclysmes cosmiques (29-31), apparition glorieuse du Fils comme
l’éclair qui va de l’orient à l’occident (26-28.) Nous ne refusons pas cette
interprétation traditionnelle[230],
la plus évidente à la lecture des textes. Cependant, nous pensons qu’elle en
cache bien d’autres dont celle sur laquelle nous voudrions insister. S’il
s’agissait ici uniquement de la fin du monde, de la parousie finale qui fera
cesser le monde d’ici-bas, le Christ aurait-il parlé d’un homme laissé dans son
champ à travailler ou d’une femme laissée à moudre ? On ne peut d’ailleurs
objecter à notre interprétation une autre, à savoir que cet homme et cette
femme ne sont pas « laissés »sur terre mais « abandonnés »parce que ne méritant
pas la Vie éternelle. L’expression « laissé »est en effet à opposer à « pris »qui
signifie un enlèvement en plein travail réalisé sur l’un des deux travailleurs
par l’Avènement du Seigneur. Ainsi, comme ces textes se réfèrent à des
événements visibles au quotidien des hommes, nous pensons qu’ils se réfèrent à
la mort individuelle, brutale et dangereuse pour celui qui n’a pas veillé[231].
En nous référant à cette clef
d’interprétation, les autres textes de ce chapitre de saint Mathieu prennent
une autre lumière : « Aussitôt après les
tribulations de ces jours-ci, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus
sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront
ébranlées. Et alors apparaîtra le signe du Fils de l’homme ; et alors toutes
les races de la terre se frapperont la poitrine ; et l’on verra le Fils de
l’homme venant sur les nuées du ciel avec grande puissance et grande gloire.
Et il enverra ses anges avec une trompette sonore pour rassembler les élus des
quatre vents, des extrémités des cieux à leurs extrémités. »
Cet autre texte a toujours reçu une
explication concernant la fin du monde. Cependant, son genre littéraire
apocalyptique ne fait pas de doute et nous autorise à en diversifier les
interprétations. L’auteur d’un tel texte n’a d’ailleurs pas d’autre intention.
Sous le même symbole, il entend signifier des réalités multiples. Ainsi,
appliqué à l’heure de la mort, ce texte prend une lumière particulière.
Procédons à la manière de saint Césaire d’Arles, c’est-à-dire en relisant le
texte point par point : Les tribulations de ces jours-ci signifient la vie
terrestre et ses épreuves qui constituent un purgatoire préparatoire à la
rencontre ; le soleil qui s’obscurcit signifie le moment qui précède la fin de
la vie où l’homme découvre à travers des épreuves physiques et psychologiques
que la vie est passagère et le monde insensé lorsqu’il est recherché pour
lui-même ; la lune qui ne donne plus sa lumière peut symboliser les moments de
l’agonie où les créatures qui reflétaient la lumière du soleil, c’est-à-dire
donnaient sens à la vie d’ici-bas perdent leur utilité ; les étoiles qui
tombent du ciel annoncent que ce qui donnait à l’homme la direction dans sa vie
devient vain ; le signe du fils de l’homme est l’heure de la mort elle-même. En
effet, la croix ou encore le signe de Jonas est le signe de la limite des fils
d’homme mortels. C’est l’épreuve ultime et substantielle où chacun expérimente
sa pauvreté, comme le Christ lui-même à son heure. Chacun se frappe la poitrine
à cette heure ultime, ceux qui sont adonnés à la terre car ils perdent ce qui
donnait sens à leur vie, ceux qui servaient le Seigneur car ils discernent ne
pas avoir correspondu à leur vocation. Enfin, la venue du Fils de l’homme
signifie son apparition qui suit l’arrêt du cœur et précède la mort ; il vient
accompagné des anges qui coopèrent avec les saints au salut du mourant. Cette
interprétation, nous le verrons en conclusion, ne supprime en rien celle qui
annonce le retour du Christ à la fin du monde ; elle respecte aussi celle qui
lit la description de la fin des sociétés, des projets humains. Elle ne fait
qu’ajouter une pierre aux sens multiples de la Parole de Dieu.
«
En vérité, je vous le dis, cette
génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé. Le ciel et la terre
passeront mais mes paroles ne passeront pas. »
Ce troisième texte et d’autres analogues
semble annoncer la fin du monde et la parousie générale en en fixant la date à
la génération de ceux qui ont connu Jésus. Il fut d’ailleurs à ce point
interprété comme cela que saint Paul dut tenir un discours très ferme dans le
sens du démenti[232].
Devant la ruine du temple de Jérusalem assaillis par les armées romaines, cette
peur de la fin du monde se fit certitude. Pourtant, dès les années
apostoliques, saint Pierre signale la venue de « railleurs pleins de raillerie, guidés par leurs passions qui disent :
où est la promesse de son avènement ? Depuis que les pères sont morts, tout
demeure comme au début de la création » [233].
Cette remarque des railleurs est d’actualité. Pourtant la parole de Jésus
semble aussi nette que possible : « Cette
génération ne passera pas... » S’est-il trompé ?
Notre hypothèse permet d’ouvrir la voie à
une interprétation nouvelle : il existe une parousie au cours de l’histoire qui
marque chaque génération tout aussi réellement que la parousie définitive qui
fera s’arrêter le cycle des générations. En effet, moins de cent ans après que
Jésus a prononcé ses paroles prophétiques, toute la génération qui les avait
entendues avait réellement et historiquement connu la parousie. Cela ne s’était
pas réalisé d’un seul coup mais par la somme des parousies individuelles à la
mort de chacun. Ainsi, la génération entière des hommes de l’époque de Jésus
s’est trouvé face à sa gloire très peu de temps après sa promesse. Ceux qui
restaient sur terre n’ayant, quant à eux, encore rien vu venir, pouvaient se
permettre de railler mais bien à tort... De même, notre interprétation permet
de comprendre des saints comme Vincent Ferrier qui annoncèrent sur ordre du Seigneur,
avec force signes et miracles prouvant leurs dires, le retour du Christ pour
leur génération. Canonisé sous le vocable d’ »ange de l’Apocalypse », ce
dominicain mort en 1419 n’a pas menti. C’est ce dont pourrait témoigner sa
génération, tout entière jugée et fixée à l’heure qu’il est sur son destin
éternel. Somme toute, chaque homme peut recevoir pour lui cette parole de
Jésus, sachant avec certitude que peu d’années le séparent de sa mort et de la
Manifestation glorieuse du Christ. Quant à la fin définitive du monde, elle
reste une réalité annoncée littéralement par l’Écriture, du même ordre, avec
cependant une solennité particulière.
Nous pourrions citer aussi de nombreux
textes de l’Apocalypse. Ils se prêtent à une interprétation dans ce sens mais ne
constituent pas un apport essentiel : « Interprétation symbolique ne constitue
qu’un signe modéré de la vérité d’une hypothèse, selon saint Thomas d’Aquin[234]
«
Etant
donc réunis, ils l'interrogeaient ainsi : « Seigneur, est-ce maintenant le
temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ? » Il leur répondit : « Il ne
vous appartient pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés de sa
seule autorité. Mais vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint qui
descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la
Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre." A ces mots,
sous leurs regards, il s'éleva, et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme
ils étaient là, les yeux fixés au ciel pendant qu'il s'en allait, voici que
deux hommes vêtus de blanc se trouvèrent à leurs côtés ; ils leur dirent :
Hommes" de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Celui
qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela, de la même manière
dont vous l'avez vu s'en aller vers le ciel."
Deux point sont à relever dans ce récit :
1° L’ascension fut un phénomène visible,
au sens « sensible » du terme. Elle se passe « sous leurs regards. » Une nuée
dérobe Jésus à leur yeux.
2° Mais l’ascension fut un phénomène
visible, au sens « spirituel » du terme. Les disciples vivent un phénomène
extatique qui les laisse comme fixés, un long moment, les yeux tournés vers le
ciel. Deux hommes vétus de blanc (des anges) sont comme contraints de les tirer
de leur extase.
3° Les anges annoncent que ce phénomène
est le modèle de la façon dont se produira le retours du Christ. On peut en
conclure que le retours du Christ, que le Credo définit ainsi : « Il
reviendra dans sa gloire accompagné des saints et des anges pour juger les
vivants et les morts. » sera un phénomène à la fois sensible et porteur de
sens spirituel. On ne peut manquer d’y voir une certaine concordance avec les
récits des témoins de Near Death Experience. Et, surtout, ce mode de
connaissance est parfaitement humain, adapté au mode habituel que décrit saint
Thomas : sensible en vue du spirituel.
Le retours du Christ est toujours présenté
comme un évènement inédit, de type céleste, et non comme une descente de type
purement charnel (Matthieu 24, 26) :
« Si donc on vous dit : Le voici au désert, n'y allez pas ;
Le voici dans les retraites, n'en croyez rien. Comme l'éclair, en effet, part
du levant et brille jusqu'au couchant, ainsi en sera-t-il de l'avènement du
Fils de l'homme. »
La mort du Diacre Etienne, racontée un peu
plus loin dans le livre des Actes semble décrire ce retour du Christ lorsqu’il
s’applique à la fin d’un individu et son caractère à la fois sensible et
spirituel.
« A ces mots, leurs coeurs frémissaient
de rage, et ils grinçaient des dents contre Etienne. Tout rempli de l'Esprit
Saint, il fixa son regard vers le ciel ; il vit alors la gloire de Dieu et
Jésus debout à la droite de Dieu. "Ah! dit-il, je vois les cieux ouverts
et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu." Jetant alors de
grands cris, ils se bouchèrent les oreilles et, comme un seul homme, se
précipitèrent sur lui, le poussèrent hors de la ville et se mirent à le
lapider. Les témoins avaient déposé leurs vêtements aux pieds d'un jeune homme
appelé Saul. Et tandis qu'on le lapidait, Etienne faisait cette invocation : « Seigneur
Jésus, reçois mon esprit." Puis il fléchit les genoux et dit, dans un
grand cri : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché." Et en disant cela,
il s'endormit. »
La vision d’Etienne, il faut le remarquer,
se passe avant sa mort et non « dans son agonie », ce qui est attesté
par plusieurs témoins de Near Death Experience pour qui l’ordre des
évènements est variable. Pour la décrire, Etienne utilise des termes semblables
à ceux de l’ascension : « il voit les cieux ouvert. »
Cette
petite citation présente dans les Actes des apôtres ou St Paul préche
longuement, pourrait être un signe scripturaire interessant de la mort comme « durée
» [235]:
« Un adolescent, du nom d'Eutyque, qui
était assis sur le bord de la fenêtre, se laissa gagner par un profond sommeil,
pendant que Paul discourait toujours. Entraîné par le sommeil, il tomba du
troisième étage en bas. On le releva mort. Paul descendit, se pencha sur
lui, le prit dans ses bras et dit: « Ne vous agitez donc pas: son âme est en
lui." Puis il remonta, rompit le pain et mangea; longtemps encore il
parla, jusqu'au point du jour. C'est alors qu'il partit. Quant au jeune garçon,
on le ramena vivant, et ce ne fut pas une petite consolation. »
Il est mort et son âme est en lui. Quelle
conséquence en tirer sinon que la mort a une durée ?
Citons pour terminer un magnifique et peu connu texte de saint
Pierre[236] : « Béni soit le
Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ : dans sa grande miséricorde, il
nous a engendrés de nouveau par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les
morts, pour une vivante espérance, pour un héritage exempt de corruption, de
souillure, de flétrissure, et qui vous est réservé dans les Cieux, à vous que,
par la foi, la puissance de Dieu garde pour le salut prêt à se MANIFESTER AU DERNIER MOMENT. »
La
mort est-elle instantanée ou dure-t-elle « un certain temps, comme un passage ?
A
contrario, I Rois 17, 8-24 indique plutôt le
contraire :
Citation : I Rois 17, 8-24 |
17 Après ces événements, le fils de la femme, maîtresse de la
maison, devint malade, et sa maladie fut très violente, au point qu'il ne
resta plus de souffle en lui. 18 Alors cette femme dit à Elie : « Qu'ai-je à faire avec toi,
homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour rappeler le souvenir de mes
iniquités et pour faire mourir mon fils ? » 19 Il lui répondit : « Donne-moi
ton fils. » Et il le prit du sein de la femme et, l'ayant monté dans la
chambre haute où il demeurait, il le coucha sur son lit. 20 Puis, il invoqua
Yahvé, en disant : « Yahvé, mon Dieu, auriez-vous encore fait tomber le
malheur sur cette veuve chez laquelle je demeure, jusqu'à faire mourir son
file ? » 21 Et il s'étendit trois fois sur l'enfant, en invoquant Yahvé et en
disant : « Yahvé, mon Dieu, je vous en prie, que l'âme de cet enfant revienne
au dedans de lui! » 22 Yahvé écouta la voix d'Elie, et l'âme de l'enfant
revint au dedans de lui, et il fut rendu à la vie. 23 Elie prit l'enfant,
le descendit de la chambre haute dans la maison et le donna à sa mère ; et
Elie dit : « Voici que ton fils est vivant. » |
Donc,
si dès que l'âme (souffle) revient dans l'homme, il est vivant, alors dès que
l'âme (souffle) s'en détache, il est mort. A ce moment, Hébreux 9, 27
s'applique : après la mort vient le jugement.
Or,
il n'est pas indifférent qu'on associe dans la Bible le souffle et l'âme. On
pourra donc dire que dès l'arrêt respiratoire, il y a mort et impossibilité de
repentir ni de conversion (Hébreux 6, 1-6). Dans ce cas, cette serait plus que
suspecte bibliquement, par son manque de fondements clairs -sedes doctrinae-
et par les récits qui témoignent plutôt contre elle...
Mais
Actes 20, 7-12 pourrait constituer un début de confirmation du contraire, à
savoir que la mort apparente n’est pas la mort accomplie (mais il n'est pas sûr
que ce ne soit plutôt une résurrection !)
Citation : Actes 20, 7-12 |
7 Or, le premier jour de la semaine, comme nous étions assemblés
pour la fraction du pain, Paul, qui devait partir le lendemain, discourait
avec (les frères), et il prolongea son discours jusqu'à minuit. Il y avait
beaucoup de lampes dans la salle haute où nous étions assemblés. Or un jeune
homme, nommé Eutyche, qui était assis sur la fenêtre, pris par un sommeil
profond tandis que Paul discourait longuement, fut entraîné par le sommeil,
tomba du troisième en bas et fut relevé mort. Mais Paul, étant descendu,
se pencha sur lui et le prit dans ses bras, disant : « Ne vous troublez pas, car son âme est en lui. " Puis étant remonté, il rompit le pain
et mangea, et après avoir conversé assez longtemps, jusqu'au point du jour,
il partit ainsi. On ramena le garçon vivant, et on (en) fut grandement
consolé. |
Deux
autres textes semblent indiquer que l'âme n’est pas immédiatement séparée du
corps, sans délai et qu’on peut définir la mort comme autre chose, comme
l'entrée dans l'autre monde. C'est ce que constatèrent sans doute, face à
Jésus, les amis de cet enfant :
Citation : Marc 5, 38-40, Luc 8 |
Ils
arrivent à la maison du chef de synagogue et il aperçoit du tumulte, des gens
qui pleuraient et poussaient de grandes clameurs. Etant entré, il leur dit : «
Pourquoi ce tumulte et ces pleurs ? L'enfant n'est pas morte, mais elle
dort." Et ils se moquaient de lui. Mais lui, prenant sa main, l'appela en disant : « Enfant,
lève-toi." Luc 8, 55 Son esprit revint, et elle se leva à l'instant
même. |
Que signifient ces paroles : elle n’est pas morte mais elle dort…
son esprit revint… ?[237]
Jésus
utilise pour Lazare la même expression, plusieurs jours après sa mort :
Citation : Jean 11, 11-14 |
Il
dit cela, et ensuite : « Notre ami Lazare repose, leur dit-il ; mais je
vais aller le réveiller." Les disciples lui dirent : « Seigneur,
s'il repose, il sera sauvé." Jésus avait parlé de sa mort, mais eux
pensèrent qu'il parlait du repos du sommeil. Alors Jésus leur dit ouvertement
: « Lazare est mort… |
Il pourrait donc, bibliquement, y avoir une mort apparente
qui pour Jésus n'est pas une mort accomplie ?
Une
thèse se forge en théologie scientifique. Elle doit partir des textes
bibliques, ou se déduire de dogmes exprimés au sens littéral. Or il
existe une autre manière de faire de la théologie, chère aux Pères de l'Eglise,
très pratiquée par Origène, et qu'on appelle la « théologie symbolique. » C'est
elle qui découvre, sous le texte de l'Ecriture, des sens symboliques multiples
et explicitement voulus par Dieu. Cette théologie là ne démontre rien mais
illustre.
Or,
il se trouve qu’il existe, en théologie symbolique, un sens absolument
étonnant. Pourquoi Jésus, au moins dix fois dans le Nouveau Testament, dit-il à
des disciples de se rendre en Galilée, après sa résurrection,
pour le voir ?
Que
symbolise cette Galilée des nations ? Dans les évangiles, c’est
la région sombre de la mort, comme l’indique ce texte :
Citation : (Matthieu (BJ) 4) |
Ayant
appris que Jean avait été livré, il se retira en Galilée s'établir
à Capharnaüm, au bord de la mer, sur les confins de Zabulon et de Nephtali,
14 pour que s'accomplît l'oracle d'Isaïe le prophète : « Terre de
Zabulon et terre de Nephtali, Route de la mer, Pays de Transjordanie, Galilée
des nations! Le peuple qui demeurait dans les ténèbres a vu une grande
lumière ; sur ceux qui demeuraient dans la région sombre de la mort, une
lumière s'est levée. » |
La théologie symbolique, dit saint Thomas (Somme, Ia pars
Q. 1) donne trois sens aux textes :
Sens allégorique : Pris en ce sens,
cela peut signifier l'âme humaine dans sa nuit (la Christ vient au fond de la
nuit de notre âme).
Sens moral : Il signifie la
manière dont il faut agir : « Trouver le Christ dans le quotidien"
(La Galilée étant le symbole de ce quotidien triste).
Sens eschatologique : Il est clair que si
l’on identifie, en théologie symbolique, la Galilée et le pays sombre de la mort, on trouve des
richesses de sens incontestablement proche de cette thèse sur la venue du
Christ à l’heure de la mort.
Citation : (Matthieu (BJ) 26, 32) |
Mais
après ma résurrection je vous précéderai en Galilée (dans
la région sombre de la mort). |
Citation : (Matthieu (BJ) 28, 5-7) |
Mais
l'ange prit la parole et dit aux femmes : « Ne craignez point, vous : je sais
bien que vous cherchez Jésus, le Crucifié. Il n'est pas ici, car il est
ressuscité comme il l'avait dit. Venez voir le lieu où il gisait, et vite
allez dire à ses disciples : Il est ressuscité d'entre les morts, et voilà
qu'il vous précède en Galilée (dans la région sombre de la mort) ; c'est là que vous le verrez. |
Citation : (Matthieu (BJ) 28, 9-10) |
Et
voici que Jésus vint à leur rencontre : « Je vous salue », dit-il. Et elles
de s'approcher et d'étreindre ses pieds en se prosternant devant lui. Alors
Jésus leur dit : « Ne craignez point ; allez annoncer à mes frères qu'ils
doivent partir pour la Galilée (pour la région sombre de la mort), et là ils me verront." |
Citation : (Matthieu (BJ) 28, 16) |
Quant
aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée (à la région sombre de la mort), à la montagne où Jésus leur avait
donné rendez-vous. |
Citation : (Matthieu (BJ) 4, 23-25) |
Il parcourait toute la Galilée Galilée (toute la région sombre de la mort) enseignant dans leurs synagogues,
proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute
langueur parmi le peuple. Des foules nombreuses se mirent à le suivre, de la
Galilée, de la Décapole, de Jérusalem, de la Judée et de la Transjordanie. |
Citation : (Jean 2, 11) |
Tel
fut le premier des signes de Jésus, il l'accomplit à Cana de Galilée Galilée
(dans la région sombre de la mort) et il manifesta sa gloire et ses
disciples crurent en lui. |
Le
verset 17 dans la traduction de Louis Segond dévoile un sens étonnant :
Citation : |
15
Le peuple de Zabulon et de Nephthali, De la contrée voisine de la mer, du
pays au delà du Jourdain, Et de la Galilée des Gentils, 16
Ce peuple, assis dans les ténèbres, A vu une grande lumière ; Et sur ceux qui
étaient assis dans la région et l'ombre de la mort La lumière s'est levée. 17
Dès ce moment Jésus commença à prêcher, et à dire : Repentez-vous, car
le royaume des cieux est proche. (Matthieu (LSG) 4) |
« Dès
ce moment Jésus commença à prêcher… sur ceux qui étaient assis dans la région
et l'ombre de la mort. »
Alors
ceux qui sont assis (ni debout ni allongés mais en attente) vont bientôt se
lever. Car voici en résumé dans Josué l’Evangile que Jésus leur annonce :
Citation : |
1
Après la mort de Moïse, serviteur de Yahvé, Yahvé parla à Josué, fils de Nûn,
l'auxiliaire de Moïse, et lui dit : 2 "Moïse, mon serviteur, est mort
; maintenant, debout! Passe le Jourdain que voici, toi et tout ce peuple,
vers le pays que je leur donne (Josué (BJ) 1) |
Moïse
qui n'a pas vu la terre promise peut symboliser notre vie terrestre.
(Moïse,
le corps et « l'auxiliaire », l'âme) alors un sens apparaît.
« Serviteur
tu es mort. Lève toi et passe le Jourdain vers la terre promise. »
Il
y a également quelque chose à méditer dans ce passage du Jourdain, lieu de
baptême par excellence.
Le
sujet de cette thèse est dans la continuité de la tradition du christianisme
primitif et des premiers siècles. Nous pouvons dire que le paradigme de cette
approche (présentation de Lucifer et du Christ à l"heure de la mort) se
retrouve dans cette évangélisation des morts qui séjournaient dans le séjour
des morts avant la Résurrection. Il me semble important de porter à votre
connaissance ces phrases tirées d'évangiles apocryphes [239] :
-
Dans le "Transitus Marie" attribué à l'évêque Méliton
(Fin IIème siècle) au chapitre III, il est écrit : « "Marie
dit : « Je te prie d'envoyer sur moi ta bénédiction afin que nulle puissance de
l'enfer ne m'attaque à l'heure où mon âme sortira de mon corps et afin que je
ne voie point le prince des ténèbres." Et l'ange répondit : "La
puissance de l'enfer ne te nuira pas. Le Seigneur, dont je suis l'esclave et
l'envoyé, te donnera la bénédiction éternelle ; Il ne m'est pas accordé de te
donner de ne pas voir le prince des ténèbres ; c'est au pouvoir de celui que tu
as porté dans ton sein sacré et dont la puissance s'étend dans les siècles et des
siècles." »
- Au chapitre
VIII : « Le Sauveur répondit : « "Lorsque, envoyé par mon Père pour le
salut du monde, j'ai été suspendu sur la croix, le prince des ténèbres est venu
vers moi ; mais ne pouvant trouver nul vestige de son coeur, il s'est retiré vaincu
et foulé aux pieds. Je l'ai vu et tu le verras, suivant la loi commune du genre
humain, à laquelle tu te conformes en mourant, mais il ne pourra te nuire,
parce qu'il n'y a rien en toi qui soit en lui, et je serai avec toi pour te
protéger. Viens donc en paix, car la milice céleste t'attend pour que je
t'introduise dans les joies du paradis." »
- Dans l'introduction de l'Evangile
de Nicodème ou Actes de Pilate, l'auteur nous rappelle la réponse dans
l'Epître de Pierre sur le moment séparant la mise au tombeau et la résurrection
de Notre Seigneur Jésus-Christ : « "... mis à mort dans sa chair, mais
rendu à la vie par l'Esprit. C'est alors qu'il est allé prêcher même aux
esprits en prison, aux rebelles d'autrefois..." » (1 Pierre 3, 18-19
et : « " C'est pour cela, en effet, que même aux morts la bonne
nouvelle a été annoncée... " » (1 Pierre 4, 6).
- L'évangile
de Nicodème ou Actes de Pilate au Chapitre XVII-XXIX qui décrit la descente du
Christ aux enfers et son évangélisation des morts.
Dans
l'évangile de Nicodème, les morts qui sont libérés des ténèbres par l'arrivée
du Christ sont ceux qui l'ont attendu ou l'attendaient (Chapitre
XXII-XXV) Autrement dit Christ est reconnu par ses brebis comme le dit les
évangiles canoniques. (ceux qui reconnaissent l'amour et l'humilité).
Le
Catéchisme de l’Eglise Catholique (1992) se penche sur la question de la
mort.
Il
rappelle les dogmes traditionnels de la foi au numéro 1021 :
Citation : |
I.
Le jugement particulier 1021
La mort met fin à la vie de l’homme comme temps ouvert à l’accueil ou au
rejet de la grâce divine manifestée dans le Christ (cf. 2 Tm 1, 9-10). Le
Nouveau Testament parle du jugement principalement dans la perspective de la
rencontre finale avec le Christ dans son second avènement, mais il
affirme aussi à plusieurs reprises la rétribution immédiate après la mort de
chacun en fonction de ses œuvres et de sa foi. La parabole du pauvre
Lazare (cf. Lc 16, 22) et la parole du Christ en Croix au bon larron (cf. Lc
23, 43), ainsi que d’autres textes du Nouveau Testament (cf. 2 Co 5, 8 ; Ph
1, 23 ; He 9, 27 ; 12, 23) parlent d’une destinée ultime de l’âme (cf. Mt 16,
26) qui peut être différente pour les unes et pour les autres. |
Auparavant,
il manifeste le chemin habituel des sacrements qui accompagnent le mourant dans
son passage :
Citation : |
1020
Le chrétien qui unit sa propre mort à celle de Jésus voit la mort comme
une venue vers Lui et une entrée dans la vie éternelle. Lorsque l’Église a,
pour la dernière fois, dit les paroles de pardon de l’absolution du Christ
sur le chrétien mourant, l’a scellé pour la dernière fois d’une onction
fortifiante et lui a donné le Christ dans le viatique comme nourriture pour le
voyage, elle lui parle avec une douce assurance. |
Les
sacrements sont des signes sensibles donnés par un prêtre à des catholiques. On
donne dans l'ordre :
1°
L'absolution = Le sacrement de pénitence
2°
L'onction fortifiante est le sacrement des malades
3°
Le viatique qui est la dernière eucharistie
Puis
le catéchisme fait allusion à un texte liturgique qui dépasse le sacrement et
en indique le sens :
Citation : |
Quitte ce monde, âme chrétienne, au nom du Père Tout-Puissant qui t’a
créé, au nom de Jésus-Christ, le Fils du Dieu vivant, qui a souffert pour
toi, au nom du Saint-Esprit qui a été répandu en toi. Prends ta place aujourd’hui
dans la paix, et fixe ta demeure avec Dieu dans la sainte Sion, avec la
Vierge Marie, la Mère de Dieu, avec saint Joseph, les anges et tous les
saints de Dieu (...). Retourne auprès de ton Créateur qui t’a formé de la
poussière du sol. Qu’à l’heure où ton âme sortira de ton corps, Marie, les
anges et tous les saints se hâtent à ta rencontre (...). Que tu puisses voir
ton Rédempteur face à face... (Ex « Commendatio animæ ») |
Cet extrait montre l’ancienneté de cette certitude que, A
LA MORT, Marie, les anges et tous les saints se
hâtent à ta rencontre (...) du mourant.
Cependant, il
convient de le reconnaître : le Catéchisme utilise tour à tour les notions de :
AVANT la mort
A l'heure de la mort
APRÈS la mort.
Il est donc très important de les travailler (voir Traité
des fins dernières, Question 8, article 4).
Il est essentiel de
se demander si la mort est instantanée, de telle façon que personne n'ait plus
l'occasion d'être sauvé, tout en se souvenant du dogme :
APRÈS LA MORT, le jugement et la
rétribution sont donnés (de foi, Benoît XII).
A L'HEURE DE LA MORT, l'âme rencontre le
Christ et la Vierge (oraison de la liturgie, non dogmatique, mais très
traditionnelle).
Citation: |
Apocalypse 1, 18 «
je fus mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la Mort et de
l'Hadès. » |
Dès le début de l’Eglise, le texte du Credo affirme
la descente de Jésus aux enfers : « Jésus
a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli, est
descendu aux enfers. »
Le père Michel Guitton écrit, dans France Catholique, 21 septembre 2007
(n°3085) :
Citation: |
La question reste, toujours brûlante, de ce qu’il
advient de ceux qui, sans fautes de leur part, n’ont pu profité de l’annonce
de l’Evangile. Nous pouvons alors nous appuyer sur la phrase de saint Paul
(Romains 11, 32) : « Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance
pour faire à tous miséricorde », pour penser qu’ils ne sont pas abandonnés. Nous
pouvons évoquer la Descente aux enfers où Jésus rejoint les justes de
l’Ancien Testament (alors pourquoi pas ceux d’après ?) |
Il faudrait étudier si cette descente de Jésus dans l'Hadès décrite par saint
Pierre n'est pas, en clair, une preuve de plus de l'apparition glorieuse de
Jésus, pour tous les hommes de tous les temps, dans ce passage qu'est la mort.
Citation: |
Actes 2, 23 cet
homme qui avait été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de
Dieu, vous l'avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main
des impies, mais Dieu l'a ressuscité, le délivrant des affres de l'Hadès. Aussi bien n'était-il pas possible qu'il
fût retenu en son pouvoir; |
On trouve dans les actes des
apôtres le récit d’une expérience qui ressemble fort à ce dont témoignent les
téoins des Expérience proches de la mort. Le texte parle de lui-même. Il nous
est donné en deux versions :
Citation : |
Actes 22, 6-11 "Je faisais route et
j'approchais de Damas, quand tout à coup, vers midi, une grande lumière venue
du ciel m'enveloppa de son éclat. Je tombai sur le sol et j'entendis une voix
qui me disait : Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ? Je répondis : Qui
es-tu, Seigneur ? Il me dit alors : Je suis Jésus le Nazôréen, que tu persécutes.
Ceux qui étaient avec moi virent bien la lumière, mais ils n'entendirent pas
la voix de celui qui me parlait. Je repris : Que dois-je faire, Seigneur ? Le
Seigneur me dit : Relève-toi. Va à Damas. Là on te dira tout ce qu'il t'est
prescrit de faire. Mais comme je n'y voyais plus à cause de l'éclat de cette
lumière, c'est conduit par la main de mes compagnons que j'arrivai à Damas. |
ou encore :
Citation : |
Actes 26, 12-18 "C'est ainsi que je me
rendis à Damas avec pleins pouvoirs et mission des grands prêtres. En chemin,
vers midi, je vis, ô roi, venant du ciel et plus éclatante que le soleil, une
lumière qui resplendit autour de moi et de ceux qui m'accompagnaient. Tous
nous tombâmes à terre, et j'entendis une voix qui me disait en langue
hébraïque : Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ? Il est dur pour toi de
regimber contre l'aiguillon. Je répondis : Qui es-tu, Seigneur ? Le Seigneur
dit : Je suis Jésus, que tu persécutes. Mais relève-toi et tiens-toi debout.
Car voici pourquoi je te suis apparu : pour t'établir serviteur et témoin de
la vision dans laquelle tu viens de me voir et de celles où je me montrerai
encore à toi. C'est pour cela que je te délivrerai du peuple et des nations
païennes, vers lesquelles je t'envoie, moi, pour leur ouvrir les yeux, afin
qu'elles reviennent des ténèbres à la lumière et de l'empire de Satan à Dieu,
et qu'elles obtiennent, par la foi en moi, la rémission de leurs péchés et
une part d'héritage avec les sanctifiés. |
Il y a même, chez saint Paul,
la question de la présence ou non de son corps dans cette expérience :
Citation : |
2 Corinthiens 12, 2-4 Je connais un homme dans le
Christ qui, voici quatorze ans - était-ce en son corps ? Je ne sais ;
était-ce hors de son corps ? Je ne sais ; Dieu le sait - cet homme-là fut
ravi jusqu'au troisième ciel. Et cet homme-là - était-ce en son corps ?
Etait-ce sans son corps ? Je ne sais, Dieu le sait --, je sais qu'il fut ravi
jusqu'au paradis et qu'il entendit des paroles ineffables, qu'il n'est pas
permis à un homme de redire. |
Tertullien, cité par Michel Hulin La face
cachée du temps Fayard, rapporte le rêve de sainte Perpétue (avant son martyre)
:
Perpétue rencontre son compagnon de
martyre, Saturus, et elle lui fait le récit suivant :
« Nous mourûmes et sortîmes de notre
corps. Alors, des anges se mirent à nous porter dans la direction de l'Orient.
Leurs mains ne nous touchaient pas. Nous n'avions pas l'impression d'être
étendus sur le dos mais plutôt celle de gravir une pente douce... à peine
sortis de ce monde et toujours portés par les quatre anges, nous vîmes une
lumière immense et nous débouchâmes sur un vaste espace qui ressemblait à un
verger avec des arbres, des roses et toutes sortes de fleurs. Les arbres étaient
hauts comme des cyprès et leurs feuilles ne cessaient de chanter. »
(Provenance : Olivier)
Dans la tradition orthodoxe, qui se fonde
sur les visions dont certains saints ont été favorisés, on estime que durant
les deux premiers jours après la mort, l’âme reste encore sur terre, parcourant
les lieux où elle a vécu et auxquels elle a été attachée durant sa vie
terrestre. À partir du troisième jour, elle passe par ce que les Pères de
l’Église appellent les "postes de péage. » Ces "péages" sont
représentés de la manière suivante dans des visions de saint Antoine le Grand
que nous raconte saint Athanase, Docteur de l’Eglise, dans sa vie de saint
Antoine écrite en 356 :
« Un jour, sur le point de manger,
étant debout pour prier vers la neuvième heure, il se vit lui-même ravi en
esprit. Chose étonnante, debout, il se vit lui-même hors de lui-même comme
conduit à travers les airs par certains personnages ; ensuite il en vit
d’autres, amers et cruels, debout dans l’air et voulant l’empêcher de monter.
Ses conducteurs le défendant, les autres demandèrent s’il leur était soumis et
voulurent lui faire rendre des comptes depuis sa naissance. Les guides
d’Antoine s’y opposèrent, disant aux adversaires : Le Seigneur a remis les
fautes commises depuis sa naissance ; vous pouvez lui demander compte de celles
qu’il a commises depuis qu’il s’est fait moine et consacré au Seigneur. Les
adversaires l’accusaient, sans pouvoir rien prouver La route fut libre et sans
obstacles.
Alors Antoine se vit revenir ; debout
devant soi, et de nouveau il fut lui-même. Oubliant son repas, il passa le
reste du jour et la nuit dans les gémissements et la prière. Il admirait par
quelle lutte et quels labeurs il faut traverser les airs et il se souvenait de
ce que dit l’Apôtre du prince de la puissance de l’air (Ép 2,2). L’ennemi a
pouvoir de combattre et d’empêcher ceux qui montent à travers (les airs). Il
faisait donc surtout cette exhortation : « C’est pourquoi prenez l’armure de
Dieu, afin de pouvoir résister aux jours mauvais en sorte que l’adversaire soit
dans la confusion : n’ayant aucun (mal) à dire de nous " (2 Co 12,
2).
Plus tard, il eut une controverse avec
quelques visiteurs concernant le passage et le séjour de l’âme après la mort ;
la nuit suivante, quelqu’un l’appela d’en haut : « Antoine, lève-toi et
regarde. " Il sortit, car il savait à qui il convenait d’obéir ; levant
les yeux, il vit un être géant, affreux, redoutable, debout et atteignant les
nuées. Des êtres paraissant ailés montaient. Le géant étendait les mains,
empêchait les uns ; les autres, volant au-dessus, traversaient, étaient
conduits en haut sans être inquiétés. Pour ces derniers, le grand grinçait les
dents ; il se réjouissait de voir tomber les autres. Aussitôt Antoine perçut
une voix : « Comprends ce que tu vois. » L’esprit lui fut ouvert : il
comprit que c’était le passage des âmes, que le géant debout était l’ennemi qui
porte envie aux fidèles, règne sur ceux qui se sont soumis à lui et les empêche
de passer ; mais ne peut dominer d’en haut ceux qui ne se sont pas laissé
persuader par lui. Averti par cette nouvelle vision, il luttait de plus en plus
pour progresser chaque jour. »
Ainsi, pendant les quarante jours qui
précèdent l’attribution à l’âme du défunt de ce qui sera son séjour provisoire
jusqu’à la parousie, les démons présentent tout ce qu’elle a pu commettre comme
fautes durant sa vie terrestre ; son seul recours est alors le repentir qu’elle
a manifesté pour les péchés qui lui sont reprochés, les bonnes œuvres qu’elle a
accomplies durant sa vie terrestre et l’intercession de l’Église et des saints.
La prière pour les défunts revêt ainsi, dès le moment de leur mort, une grande
importance ; elle protège l’âme et la défend contre les entreprises des démons.
Certains détails du récit ci-dessus
rappellent ceux des témoignages rapportés par le psychologue R. Moody dans son
étude sur ceux qui ont approché la mort : le brusque changement que cette
expérience a apporté dans la vie et les perspectives de cet homme, la présence
d’un esprit servant de guide à travers cette pérégrination, enfin les
réticences montrées par le héros à raconter son histoire à quiconque ne
l’aurait pas écoutée avec un esprit ouvert et bienveillant. Par rapport à notre
hypothèse, nous remarquons que les visions sensibles et imaginatives de cet
homme prouvent qu’il est par quelque partie de lui-même lié à son corps, au
moins par son psychisme. Il n’est donc pas vraiment mort, la séparation de son
âme n’est pas totale. D’autre part, le guide qui ne semble pas être
nécessairement le Christ lui-même en est cependant la ressemblance puisqu’il
provoque une conversion vers l’amour et la vie contemplative. Nous sommes donc
bien, semble-t-il, devant une prédication mystérieuse et forte de l’Évangile à
l’heure de la mort.
On trouve, paraît-il chez saint
Augustin des récits concernant des miraculés de la mort, des gens ayant
connu un terrible accident et qui se réveillent à la surprise générale. Ils
rapporteraient tous des visions du Christ et des saints. Augustin avait entendu
parlé de cela et, en en débattant, il émet par deux fois dans ses œuvres l'avis
philosophique suivant :
Citation : |
« L’âme se sépare du corps, emportant
tout avec elle : la sensibilité, l’imagination, la raison, l’intellection,
l’intelligence, l’appétit concupiscible et l’appétit irascible. » Saint Augustin, De l’esprit et de l’âme,
Chap. 15. S. Augustin dit encore : « Nous croyons
que seul l’homme possède une âme subsistante qui, séparée du corps, continue
à vivre et garde vivants ses sens et son intelligence. » Commentaire du livre de Qohelet, Chap.
16. |
Il appuyait ses dires
sur des expériences de mort approchée, déjà fréquentes à son époque. Les
expériences de mort approchée se multipliant de nos jours et étant de mieux en
mieux étudiées, on est obligé d’admettre au plan philosophique le fait d’une
survie, non seulement des puissances de la vie sensible mais de leurs actes.
Chez saint Thomas d’Aquin, au Moyen-âge,
le deuxième degré de vie, sensible, est une fonction de l'organe du cerveau, au
point que la mort du cerveau détruit toute vie sensible. Les mort sont donc
pour lui de purs esprits, dotés de deux facultés : leur intelligence et
leur volonté. Du coup, chez saint Thomas, la totalité des souvenirs sensibles
liés à l'imaginaire et à la mémoire des images, disparaît (odeurs, visage des
siens etc.). Les morts gardent uniquement leur compréhension spirituelle et
leurs choix libre.
Saint Augustin semble ici donner une
indication philosophique sur cette vie sensible et sa nature : le cerveau
semble donc être un organe matériel qui structure et fabrique une sorte d'organe
psychique qui survit à sa destruction. Si cela est vrai, alors l'état des
âmes des morts est différent : non seulement leur esprit survit mais aussi
toutes leurs facultés sensibles : ils voient, il entendent, ils se
souviennent du visage physique de leur mère etc.
Cette indication semble purement
philosophique et n'a pas de conséquences opposées à la foi. Saint
Cette conception philosophique de la
survie du psychisme ne subsistera pas au réalisme d'Aristote qui, introduit au
Moyen-âge conclut :
Citation : |
« La vie sensible est manifestement
un effet du cerveau. Donc elle ne survit pas au cerveau ». |
Pour ma part, j'ai été contraint par la
multiplication des données expérimentales, d'opter pour la conception plus
ancienne, connue jadis dans la psychologie de l'Egypte antique et de
l'hindouisme (d'où est venu le bouddhisme).
La Bible n'y est pas entièrement
étrangère, parlant des morts non comme des esprits purs, mais comme des
"ombres », voire dans l'évangile, comme des fantômes :
Citation : |
Matthieu 14, 26 Les disciples, le voyant
marcher sur la mer, furent troublés : « C'est un fantôme », disaient-ils, et
pris de peur ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla en disant :
« Ayez confiance, c'est moi, soyez sans crainte. » |
Citation : |
Luc 24, 36 Tandis qu'ils disaient cela,
lui se tint au milieu d'eux et leur dit : « Paix à vous! » Saisis de frayeur
et de crainte, ils pensaient voir un esprit. Mais il leur dit : « Pourquoi
tout ce trouble, et pourquoi des doutes montent-ils en votre coeur ? Voyez
mes mains et mes pieds ; c'est bien moi! Palpez-moi et rendez-vous compte qu'un
esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai. » |
Saint Grégoire
de Tours raconte dans son Histoire des Francs :
« Saint Saulve que l'on avait cru mort
et dont on préparait les funérailles revint à la vie le matin même du jour
prévu pour son enterrement. En ouvrant les yeux, il se plaignit d'avoir regagné
le monde terrestre et ses ombres. Pendant trois jours, il jeûna et, le
quatrième jour, il raconta son histoire.
Au moment où ses compagnons crurent qu'il
trépassait, il fut emmené par deux anges vers le plus haut des cieux. De là, il
pouvait contempler sous ses pieds, non seulement cette terre misérable mais
aussi les nuages, la lune, le soleil, les étoiles. Ensuite, par une porte
étincelante, il fut conduit à l'intérieur d'un palais où brillait une lumière
ineffable et où se trouvait une multitude d'hommes, de femmes et d'enfants. Les
anges lui frayèrent un passage à travers la foule et il parvint en un lieu où
il y avait un nuage plus éclatant que toute autre lumière. Il n'y avait là ni
soleil, ni lune, ni étoiles mais cela brillait davantage que tous ces astres
réunis. Et, du fond du nuage, se faisait entendre une voix semblable à la
rumeur des eaux mêlées. Une douce fragrance emplissait l'atmosphère, en sorte
qu'il n'éprouvait le besoin ni de boire ni de manger. Mais on lui fait savoir
qu'il doit retourner sur terre pour le bien de l'Eglise. »
On note la
parenté de ces visions de l'Antiquité ou du Moyen Age avec celles qui nous sont
communiquées par nos contemporains :
On y retrouve jusqu'au regret de revenir
`sur terre', pour y accomplir une mission inachevée.
On y retrouve aussi une description
paradisiaque qui s'estompe peu à peu dans une description plus abstraite et
plus proche du langage des théologiens.
Les images ne sont là que pour suggérer la
béatitude et elles cèdent la place à la lumière, une lumière sans astres ni
soleil, une lumière intérieure.
Saint-Grégoire fait état en 590 dans ses Dialogues de visions rapportées
par certains religieux à l'instant de trépasser ou de personnes ayant été
tenues pour mortes :
« Ce vénérable prêtre,
ayant vécu fort longtemps, tomba malade la 40ème année de sa promotion aux
Ordres, et fut travaillé d'une violente fièvre qui le réduisit à l'extrémité
(...). Il était tout épuisé de force et étendu sur son lit comme une personne
morte. Il s'efforça de parler et dit d'un ton assez vigoureux : « Messieurs
soyez les bienvenus. Quelle est votre bonté de vivifier ainsi votre petit
serviteur ? Je m'en vais, je m'en vais, je vous rends grâce. » Comme il
répétait toujours ces mots, ses amis qui l'assistaient lui demandèrent à qui il
parlait. Il leur répondit avec étonnement : « Ne voyez-vous pas que les Saints
Apôtres sont venus ici ? " Puis, s'étant de nouveau tourné vers ces
saints, il dit : "Me voici, je viens, me voici, je viens" et, prononçant ces paroles,
il rendit l'esprit. »
« Un soldat fut attaqué de la
peste et réduit à l'extrémité. Il sortit de son corps qui resta mort et sans
âme, mais il y rentra bientôt, et il raconta ce qui lui était arrivé. Il disait
donc qu'il y avait un pont sous lequel passait un fleuve dont l'eau était noire
et d'où s'élevait un nuage obscur d'une puanteur insupportable. Mais après que
l'on avait passé le pont, l'on entrait dans des prairies bien vertes, riantes
et ornées d'herbes et de fleurs d'une odeur fort agréable, où il paraissait de
petites compagnies d'hommes vêtus de blanc. L'air y était rempli d'une senteur
si douce que ceux qui s'y arrêtaient en étaient tout parfumés (...). Il y avait
aussi diverses demeures pour chacun, qui étaient pleines d'une grande lumière,
faites d'un assemblage de lames d'or. » »
Le Docteur Raymond Moody cite, quant à lui
un récit de saint Bède le Vénérable[240],
Docteur de l’Eglise. Nous le rapportons in
extenso, en priant le lecteur de nous pardonner la longueur de la citation
:
« En
ce temps là, un miracle insigne, semblable à ceux des jours anciens, eut lieu
dans la Grande-Bretagne. Car afin de réveiller les vivants de la torpeur
spirituelle où ils étaient tombés, un homme qui était mort revint à la vie
corporelle et raconta maintes choses remarquables dont il avait été témoin, et dont il m’a paru opportun de donner ici une
brève mention.
Un
chef de famille vivait naguère dans une ville du pays de Northumbrie appelée
Cunningham ; il menait, avec tous ceux de sa maison, une vie fort dévote.
Cependant, il tomba malade et son état empira rapidement ; aux premières heures
de la nuit, il mourut. Mais à l’aube, il revint à la vie et s’assit
soudainement sur sa couche, au grand effroi de ceux qui l’entouraient en
pleurant, et qui s’enfuirent à toutes jambes. Seule son épouse qui l’aimait
tendrement demeura auprès de lui, tremblante et apeurée. L’homme la rassura et
lui dit : « Sois sans crainte ; car j’ai vraiment échappé à l’étreinte de la
mort, et il m’a été donné de vivre à nouveau parmi les hommes. Mais il me faudra dorénavant vivre autrement que je ne l’ai fait
jusqu’ici, et adopter un mode de vie très différent. » Peu de temps après, il
renonça à toutes ses obligations mondaines et se retira dans le monastère de
Melrose.
Voici
comment il avait coutume de raconter son aventure : « J’avais pour guide un
homme avenant vêtu d’une robe brillante, et nous marchions en silence vers ce
qui semblait être la direction du nord-est. Tout en allant droit devant nous,
nous arrivâmes à une large et profonde vallée dont la longueur paraissait
infinie(...) Il me fit bientôt passer de l’obscurité à une atmosphère de claire
lumière, et tandis que j’avançais dans la lumière brillante, j’aperçus au
devant de nous une muraille colossale qui n’avait de limite ni en hauteur ni en
longueur, dans toutes les directions. Ne lui voyant aucun porche, aucune
fenêtre, aucune entrée, je commençais à me demander pourquoi nous étions venus
jusqu’à ce mur ; mais lorsque nous parvînmes à son pied, tout d’un coup, et je
ne sais par quel moyen, nous nous trouvâmes à son fait. A l’intérieur
s’étendait une vaste et agréable prairie (....) La lumière qui resplendissait
en ce lieu surpassait en brillance la lumière du jour ou les rayons du soleil à
midi.
Le
guide dit : « Il te faut maintenant rejoindre le corps que tu as laissé et
revivre parmi les hommes ; toutefois, si tu veux bien peser tes actes avec plus
de soin de façon à conserver tes paroles et ta conduite dans les voies de la
vertu et de la simplicité, alors quand tu mourras, tu obtiendras toi aussi une
demeure parmi ces esprits bienheureux que tu vois. Car lorsque je t’ai quitté
durant quelques instants, je l’ai fait pour découvrir ce que sera ton avenir. »
Comme
il disait cela, je ne me sentais guère enclin à retourner vers mon corps, car
j’étais ravi par le charme et la beauté du lieu, ainsi que par l’agrément de la
compagnie que j’entrevoyais. Mais je n’osais pas questionner mon guide et, sur
ces entrefaites, je me retrouvais soudain vivant à nouveau parmi les hommes. »
Cet
homme de Dieu se refusait à commenter tout cela et les autres choses qu’il
avait vues lorsqu’il s’adressait à des indifférents ou à des personnes aux
mœurs relâchées ; il réservait ses récits à ceux qui vivaient dans la crainte
du châtiment ou dans l’espérance des joies éternelles, ceux qui voulaient bien
prendre à cœur sa parole et croître en sainteté. »
Saint Bernard raconte dans la Vie de
saint Malachie[241] :
« Saint Malachie vit un jour sa sœur qui avait trépassé depuis quelques
temps. Elle faisait son purgatoire au cimetière : à cause de ses vanités, des
soins qu’elle avait eus de sa chevelure et de son corps, elle avait été
condamnée à habiter la propre fosse où elle avait été ensevelie et à assister à
la dissolution de son cadavre. Le saint offrit pour elle le sacrifice de la
messe durant trente jours. Ce terme expiré, il revit à nouveau sa sœur. Cette
fois elle avait été condamnée à achever son purgatoire à la porte de l’Église,
sans doute à cause de ses irrévérences pour le lieu saint, peut être parce
qu’elle avait détourné les fidèles de l’attention des Mystères Sacrés. » De
multiples autres témoignages d’apparitions et de révélations faites aux saints
confirment ce genre de récit. Donc certaines âmes font leur purgatoire sur
terre.
Saint Thomas d’Aquin lui-même nie la possibilité
d’une survie du psychisme à la mort ou « dans la mort » (Voir Somme Théologique
: La condition des âmes séparées). Il n’envisage jamais d’autre possibilité et
pose le raisonnement suivant : La vie sensible étant liée à l’organe corporel,
elle ne peut subsister à la disparition de l’organe. Ainsi, l’âme séparée ne conserve
que ce qui est spirituel, à l’exclusion des sensations, passions, souvenirs
sensibles. Elle est, à l’image des anges, intelligence et volonté spirituelles.
Et l’exercice de cette intelligence se fait selon le mode angélique et non par
abstraction à partir du sensible. Il n’envisage donc pas d’événements dans le
passage de la mort qui est pour lui un évènement instantané, une séparation
de l’âme et du corps et non un passage.
Malgré la logique de sa doctrine du salut,
Saint Thomas se permet parfois, poussé par une autre logique qui est celle de
sa contemplation, des audaces pour le salut des infidèles. A la suite des
Pères, il a compris, à travers le discours de Pierre à Corneille[242],
que Dieu se manifeste à quiconque le craint et le cherche en pratiquant la
justice. D’où l’axiome théologique : « A
celui qui fait son possible, Dieu ne refuse pas la grâce. » [243]
Thomas d’Aquin en a déduit la possibilité d’une révélation immédiate, à
l’intime de la conscience, en concepts humains, de Dieu et de son Christ,
accordée à l’homme fidèle à sa conscience, en vue de lui donner la foi
chrétienne et le salut éternel. Même au sauvage vivant dans une forêt vierge...
Il convient de citer le Docteur angélique :[244]
« A un homme qui, sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison naturelle
pour chercher le bien et éviter le mal, on doit tenir pour très
certain que Dieu révélerait par une inspiration intérieure les choses qu’il est
nécessaire de croire ou lui enverrait quelque prédicateur de la foi, comme
Pierre à Corneille.
»
Ce texte est le plus ancien que j’ai pu
retrouver concernant la nécessité d’une prédication pour les païens justes.
Cette doctrine n’est différente de la nôtre qu’en tant que nous l’avons poussée
à l’extrême de son évidence, allant jusqu’à en faire un des principes de la
théologie, et en la rendant nécessaire pour tout homme, saint, juste. Devant la
croix de Jésus, et dans les limites de la foi catholique telle qu’elle est
définie par l’Église, nous ne pouvons faire autre chose. Nous la poussons même
plus loin, allant jusqu’à dire que Dieu ne refuse pas, même à l’homme le plus
perverti, la grâce de la prédication de l’Évangile. Libre à cet homme de la
rejeter. Telle est la justice de l’amour de Dieu en vue du salut de tous.
On peut en ajouter un autre texte, tiré du
même ouvrage : On n'est jamais fixé dans le bien ou dans le mal avant le
dernier acte de liberté. « cas où la justification ne se fait pas en un seul
instant mais à travers de lentes préparations. On pourrait ajouter que le poids
des conditionnement négatifs est au moins contrecarré partiellement par la
rencontre de la beauté du Christ, icône de Dieu, qui parle à la sensibilité ! »[245]
Mais, encore plus troublante est chez ce
saint, l’effet d’une expérience bouleversante qu’il fit vers la fin de sa vie. En 1273, Frère Thomas d’Aquin dictait la troisième et dernière partie de sa
Somme Théologique. Il avait dicté à
son fidèle disciple, frère Reginald, un article concernant le sacrement de la
Pénitence. S’étant rendu à l’église Sainte Dominique pour y célébrer la messe,
il fut pris d’une extase. Lorsqu’il revint à lui, plusieurs frères dominicains
qui avaient été témoins de son ravissement voulurent connaître de sa bouche ce
qu’il avait vu. Mais Frère Thomas se tut puis se retira dans sa cellule. Frère
Reginald étant venu près de lui comme à l’habitude pour recevoir la dictée de
la suite de son travail, il fut renvoyé. Le lendemain, il revint mais Frère
Thomas d’Aquin ne voulut rien lui dicter. Il en fut ainsi les jours suivants au
point que son ami finit par lui demander en privé la raison d’un tel
comportement. Frère Thomas d’Aquin lui avoua alors ceci : « J’ai vu des choses que la langue de l’homme
ne peut exprimer. » Et comme Frère Reginald insistait, il continua : « A côté de ce qui m’a été révélé, tout ce que
j’ai écrit et dit m’apparaît comme rien. » A partir de ce jour, Frère
Thomas d’Aquin n’écrivit plus rien. Sa Somme resta inachevée, à l’endroit même
où son extase l’avait saisi. On ne peut manquer de penser à l’expérience de
saint Paul lors de sa conversion, à son trouble devant non seulement la
profondeur du mystère entrevu : « Je connais un homme dans le Christ
qui, voici quatorze ans fut ravi jusqu'au paradis et entendit des paroles
ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme de redire », mais aussi devant le caractère
incompréhensible du mode de son expérience : « Etait-ce
en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais ; Dieu le
sait »[246].
Si
l’on pense à une expérience de décorporation du type de celle dont témoignent
les témoins d’une expérience de mort approchée (N.D.E.), on comprend le trouble
de saint Thomas. Sa théologie de l’âme séparée est à réformer. Le psychisme et
ses facultés sensibles peuvent s’exercer d’une manière séparée du cerveau…
Par contre, saint Thomas enseigne
explicitement que le retour du Christ se passe à l’heure de la mort ET à la fin
du monde[247] :
2470. Mais que dit
[le Seigneur] ? CAR VOUS NE SAVEZ PAS À QUELLE HEURE VIENDRA VOTRE MAÎTRE
[dominus]. Il disait cela aux apôtres et on ne trouve nulle part ailleurs qu’il
se soit appelé aussi expressément « Maître », comme ici et en Jn 13, 13 : Vous
m’appelez Maître et Seigneur, et vous parlez justement, car je le suis. Mais
quelqu’un pourrait dire que le Seigneur parlait aux apôtres. Or, les apôtres
n’allaient pas vivre jusqu’à la fin du monde. Comment donc peut-il dire :
VEILLEZ, CAR VOUS NE SAVEZ PAS À QUELLE HEURE VIENDRA VOTRE MAÎTRE ? Augustin
dit que cela était nécessaire même pour les apôtres, pour ceux qui nous ont
précédés et pour nous, car le Seigneur vient de deux manières. Il
viendra à la fin du monde pour tous d’une manière générale ; il viendra aussi
vers chacun lors de sa propre fin, c’est-à-dire de sa mort. Jn 14, 18 : Je ne vous laisserai pas orphelins, je
viendrai à vous.
2471. Il y a donc un double avènement : à la fin
du monde et à la mort, et il a voulu que les deux soient incertains. Et ces
avènements sont en rapport l’un avec l’autre, car on se retrouvera au second
comme on aura été au premier. Augustin [dit] : « Celui qui n’était pas prêt à
son dernier jour ne sera pas prêt au dernier jour du monde. » On peut aussi
l’interpréter d’un autre avènement, à savoir, [de l’avènement] invisible,
lorsque [le Seigneur] vient dans l’esprit. Jb 9, 11 : Si tu viens à moi, je ne
m’en apercevrai pas. Ainsi, il vient chez plusieurs, mais ils ne s’en
aperçoivent pas. Vous devez donc veiller avec attention, de sorte que, s’il
frappe, vous lui ouvriez. Ap 3, 20 : Je me tiens à la porte et je frappe. Si
quelqu’un m’ouvre, j’entrerai chez lui et je dînerai avec lui.
Dans le livre de sa
vie, il est rapporté un dialogue étrange entre Satan et la vierge, au sujet
d’une âme sauvée au dernier moment. Les termes décrits pour définir le moment
où ce salut s’est produit sont « l'heure de l'agonie de cette âme
» ou encore « la mort. »
« Elle m'a
injustement ravi l'âme qui comparaît devant vous. »
Citation, Vie de Sainte Brigitte, tome II ch XXXI :
« Après la mort de
son fils, Sainte Brigitte fut transportée dans un palais vaste et magnifique.
Elle vit Jésus-Christ assis sur son tribunal et entouré de la cour innombrable
des Anges et des Saints. Près de Lui se tenait sa très-sainte Mère, qui
écoutait avec attention le jugement.
Elle aperçut aux
pieds du juge, sous la forme d'un enfant nouveau-né, l'âme du défunt,
tremblante, ne pouvant ni voir ni entendre ce qui se passait, mais en ayant la
perception intime. A la droite du Juge et près de l'âme se tenait un Ange; le
démon était à gauche; mais ni l'un l'autre ne touchaient l'âme.
Le démon se mit
alors à crier : « Écoutez, Juge tout-puissant. J'ai à me plaindre d'une femme
qui est à la fois ma Souveraine et votre Mère, à laquelle votre amour a donné
tout pouvoir sur le ciel et sur la terre, et sur nous, démons de l'enfer. Elle
m'a injustement ravi l'âme qui comparaît devant vous. Car, en bonne
justice, j'avais le droit de m'en emparer au moment de sa sortie du corps et de
l'amener, avec mes compagnons, devant votre tribunal. Or, ô juste Juge,
l'âme n'était pas sortie pour ainsi dire du corps, que cette femme, votre Mère,
s'en est saisie, l'a couverte de sa puissante protection, et vous l'a
présentée. »
La Bienheureuse
Vierge Marie, Mère de Dieu, répondit ainsi : « Ecoute, Satan, ma
réponse. Quand tu sortis des mains du Créateur, tu avais l'intelligence de la
justice qui est en Dieu dès l'éternité et sans commencement. Tu as eu aussi la
liberté d'agir à ton gré, et, bien que tu aies préféré haïr Dieu que de lui
donner ton cœur, tu sais cependant ce que la justice exige. Or je te dis qu'il
m'appartient plus qu'à toi de présenter cette âme à Dieu, son Juge. Car, durant
son séjour sur la terre, elle m'a témoigné une grande affection; elle se
plaisait à se rappeler que Dieu a daigné me choisir pour sa Mère et qu'il a
voulu m'exalter au-dessus de toutes les créatures. »
La pensée des
privilèges dont Dieu a bien voulu m'honorer, lui inspirait un tel amour qu'elle
se disait souvent à elle-même : « Je suis si heureuse de voir la Très-Sainte
Vierge Marie plus chère à Dieu que toutes les créatures, que pour rien au monde
je ne donnerais la joie que j'en ressens. Bien plus, je mets cette joie
au-dessus de tous les plaisirs de la terre, et s'il était possible que Marie
perdît un seul instant quelque chose de sa haute dignité, j'aimerais mieux,
s'il m'était donné de l'empêcher, être éternellement tourmentée dans les abîmes
de l'enfer que de le souffrir. Donc, gloire éternelle et action de grâces
infinies à Dieu, pour cette faveur singulière et cette gloire immense qu'il a
donnée à sa Bienheureuse Mère." »
« Tu vois, Satan, dans quelles dispositions cet homme est mort. Que te
semble-t-il donc ? N'était-il pas juste que je prisse cette âme sous ma
protection devant le tribunal de Dieu, et pouvais-je la laisser tomber entés
mains pour partager tes supplices? »
Et Satan demanda de
nouveau: « Pourquoi, ô Reine, à l'heure de l'agonie de cette âme, nous
avez-vous mis en fuite de telle sorte qu'aucun de nous n'a pu ni la troubler ni
l'effrayer? » La Vierge répliqua : "J'ai
fait cela à cause de l'ardent amour qu'elle me portait." »
Panorama de la vie
Sainte Thérèse a vécu le panorama de la vie, d'une façon très proche de
celle des expérienceurs de NDE. Déclenché sur l'injonction d'une instance transcendante,
il s'assortit d'un bilan de vie :
« Un soir, tandis que j'étais en oraison, le divin Maître m'adressa
quelques paroles qui me remettaient en mémoire les grandes fautes de ma vie.
Elles me remplirent de confusion et de peine. De fait, ces paroles, lors même
qu'elles ne sont pas dites avec sévérité, provoquent un repentir et une douleur
qui anéantissent. Une seule d'entre elles fait plus avancer une âme dans la
connaissance d'elle-même qu'un temps considérable passé à réfléchir sur sa
misère, parce qu'elles portent avec elles un caractère de vérité auquel il lui
est impossible de se soustraire.
« Quand je commets des fautes, et elles sont nombreuses, Sa Majesté me les
montre dans une telle lumière que j'en reste broyée. »
Rencontre de personnes décédées
Les expérienceurs parlent de tunnel, de gouffre ou de cylindre, dans lequel
ils se trouvent aspirés. C'est dans ce tunnel, ou à la transition vers la
Lumière, qu'ils rencontrent des êtres chers décédés. Thérèse ne se sent pas, si
l'on peut dire, aspirée par le bas, mais par le haut : elle est transportée.
C'est alors qu'il lui arrive d'entrer en contact avec des membres de sa
famille.
Un jour, alors qu'elle ne faisait aucun effort pour se recueillir, elle fut
saisie d'un ravissement d'une force irrésistible : « II me sembla que
j'étais transportée dans le ciel, et les premières personnes que j' y aperçus
furent mon père et ma mère. »
La Lumière
Sainte Thérèse nous parle de la Lumière en utilisant presque les mêmes
termes que les expérienceurs du cinquième stade :
« La différence est si grande entre la lumière qui frappe nos yeux et
celle qui brille dans ce séjour où tout est lumière qu'il n'y a pas de
comparaison à établir. La clarté du soleil ne semble plus ensuite que laideur.
Non, l'imagination la plus subtile est incapable de se peindre, de se
représenter celle lumière telle qu'elle est [...] Les sens se trouvent alors
dans une telle jouissance et une telle suavité qu'il est impossible d'en donner
l'idée. Ainsi, mieux vaut n'en rien dire de plus. [...]
« Après ces faveurs, mon âme voudrait rester toujours en celle région
supérieure et ne plus revenir à la vie, tant elle conçoit de mépris pour toutes
les choses d'ici-bas. De fait, elles ne semblent plus que fumier. [...]
« Tout ce que je vois des yeux du corps me fait alors l'effet d'un rêve
et d'une plaisanterie. Ce que l'âme aperçu de ses yeux intérieurs, voilà ce
qu'elle appelle de ses vœux. »
Lors de séances de relaxation dynamique, certains sujets voient une sphère
lumineuse d'un diamètre de 50 cm à 1 m, d'autres une colonne de lumière. Les
sujets décrivent cette lumière comme étant très blanche et pénétrante, presque
palpable
Saint Louis Marie Grignon de Montfort, le
grand apôtre marial de l’Ouest de la France, lisait beaucoup les écrits de
saint Vincent Ferrier qui l’avait précédé comme missionnaire sur ces terres.
Dans son Traité de la vraie dévotion à la
sainte Vierge, il écrit, à propos de la conversion des pécheurs :
« C'est ce que Dieu a révélé à saint
Vincent Ferrier, grand apôtre de son siècle, comme il l'a suffisamment marqué
dans un de ses ouvrages.
C'est ce que le Saint-Esprit semble avoir
prédit dans le Psaume 58, dont voici les paroles : « Et scient quia Dominus
dominabitur Jacob et finium terrae ; convertentur ad vesperam, et famem
patientur ut canes, et circuibunt civitatem » : Le Seigneur règnera dans Jacob
et dans toute la terre ; ils se convertiront sur le soir, et il souffriront la
faim comme des chiens, et ils iront autour de la ville pour trouver de quoi
manger. Cette ville que les hommes tournoieront à la fin du monde pour se
convertir, et pour rassasier la faim qu'ils auront de la justice, est la Très
Sainte Vierge qui est appelée par le Saint-Esprit ville et cité de Dieu. »
« Ils se convertiront vers le soir. » Cette
parole mystérieuse est interprétée non seulement pour signifier la fin du monde
mais les derniers moments de la vie humaine, l’heure de la mort.
Parmi les œuvres de
ce saint français très marial, on compte cet ouvrage peu connu : « Le
secret admirable du très saint Rosaire. » Saint Grignon de Montfort a
divisé son livre sur le rosaire en 50 roses, soit 50 chapitres.
Il existe aussi
quatre dédicaces qui sont titrées :
- La rose blanche
aux prêtres
- La rose rouge aux
pécheurs
- Le rosier mystique
aux âmes dévotes
- Le bouton de rose
aux petits enfants
A la vingtième Rose, il commente la fin du
texte de l’Ave Maria :
« Sainte Marie, mère de Dieu,
priez pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l'heure de notre mort.
« Et à l'heure de notre mort », si
terrible et si périlleux, où nos forces sont épuisées, où nos esprits et nos
corps sont abattus par la douleur et la crainte ; à l'heure de notre mort que
Satan redouble ses efforts afin de nous perdre pour jamais ; à cette heure que
ce sera la décision de notre sort pour toute l'éternité bienheureuse ou
malheureuse. Venez au secours de vos pauvres enfants, ô Mère pitoyable, ô
l'avocate et le refuge des pécheurs, chassez loin de nous, à l'heure de la
mort, les démons nos accusateurs et vos ennemis, dont l'aspect effroyable nous
épouvante. Venez nous éclairer dans les ténèbres de la mort. Conduisez-nous,
accompagnez-nous au tribunal de notre juge, votre Fils ; intercédez pour nous,
afin qu'il nous pardonne et nous reçoive au nombre de vos élus dans le séjour
de la gloire éternelle. "Amen. » Ainsi soit-il. » (Le
secret admirable du très saint Rosaire, Vingtième Rose)
Ce texte suggère qu’il est vrai que la foi
a toujours enseigné que le Christ ne vient pas seul mais accompagné des saints
et des anges représentées sous l’image des nuées du ciel.
Au cours du XXème siècle, on a
vu se multiplier chez les saints et les mystiques l’intuition de la nécessité
d’un « événement spécial »à l’heure de la mort. Il s’agit d’une intuition qui
se répand sans autre cause apparente, si ce n’est une pression divine du sens
de la foi. Nos sources pour cette recherche sont diverses et glanées ici et là
au cours de nos lectures. Certainement, nous ne sommes pas exhaustifs. Force
nous est cependant de remarquer que la venue du Christ à l’heure de la mort est
très peu si ce n’est jamais explicitement enseignée. Les saints restent flous,
n’osent affirmer, sans doute hésitant devant le manque de fondement
traditionnel de cette doctrine. Si on trouve peu cette doctrine, on trouve par
contre de nombreux témoignages, en particulier chez les Pères, d’expériences d’apparition
du Christ auprès des mourants.
Un saint comme le curé d’Ars,
confronté au Saint Sacrement, découvre cette vérité à travers une lente
maturation qui le fait passer d’un christianisme rigide à un christianisme
centré sur l’amour de Dieu. Vers la fin de sa vie, il console une mère éplorée
devant le suicide de sa fille. Loin de la croire nécessairement en enfer, comme
semblait l’affirmer la traditionnelle théologie du péché mortel à l’heure de la
mort, il affirme : « Entre le pont et
l’eau, elle s’est convertie. » « Entre
le pont et l’eau » : ne s’agit-il pas là d’une manière figurée, de la
limite ultime de la vie terrestre, la dernière heure où le Maître en personne
appelle ses ouvriers à la vigne ? Dans le même ordre d’idées, on pourrait citer
le témoignage suivant : “L'un des cas qui m'a le plus frappé... est celui de
cette jeune femme de 27 ans qui s'est suicidée. Elle se souvient de ses
hurlements lorsqu'elle se retrouva dans le tunnel et de sa dernière pensée qui
fut “ Mon Dieu, faites-moi savoir si Vous me pardonnez, avant de
mourir ”. Elle ne sait pas – et sa requête le prouve – qu'on ne meurt pas.
A peine sa phrase achevée, Joan explique au De Serdahely que deux mains
immenses sont sorties de cette Lumière et une voix d'amour, de compassion et de
joie aussi retentit, lui disant en substance : “Je te pardonne, Je te pardonne.
Je te donne une seconde chance” ».[248]
Les témoignages nombreux que nous
connaissons sur les derniers moments des saints (canonisés ou non) vont plutôt
dans le sens de cette apparition du Christ à l’heure de la mort : extases
finales d’enfants, illumination du visage du mourant, sourire d’accueil devant
une présence invisible. On ne compte plus les témoignages de ce genre. L’un des
plus significatifs concerne l’extase finale de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
telle qu’elle fut observée par quelques-uns unes de ses sœurs. Elles voulaient
d’ailleurs assister à sa mort dans l’espoir bien naturel chez des religieuses
de voir un éclat du Ciel.
Le Père Jean-Michel Maldamé rapportait
lors d’une session de théologie à Toulouse (25 janvier 1995) une histoire vécue
et racontée par un ancien déporté russe du camp de Dora : il assistait tous les
jours au décès de dizaines de prisonniers épuisés par les mauvais traitements
et la sous-alimentation. Or le visage d’un parmi ces hommes s’est illuminé
juste avant sa mort. Certains affirmaient qu’il avait vu le Christ.
Cette conviction est d’ailleurs ancrée
chez beaucoup parmi les revenants des camps. Un polonais qui m’entendait
présenter l’hypothèse ici soutenue ne cessait d’acquiescer de la tête. Il me
posa à la fin la question suivante : « Connaissez-vous
le lieu où la Vierge est apparue au plus grand nombre de personnes ? »Devant
mon ignorance, il continua : « C’est la
chambre à gaz du camp d’extermination d’Auschwitz... »
Le Père Maldamé me conseillait de chercher
parmi les écrits mystiques orthodoxes quelques traces allant dans le sens de la
parousie du Christ à l’heure de la mort, convaincu que les visions répétées des
déportés russes avaient laissé une trace en théologie. Je n’ai pour le moment
rien trouvé si ce n’est une multitude sans cesse grandissante de témoignages.
Il est d’ailleurs étonnant qu’aucune thèse ne soit encore parue sur ce thème.
On ne peut plus reprocher un manque de bases empiriques.
Chez les saints modernes ou contemporains,
l’intuition devient parfois enseignement explicite. Leur autorité est
malheureusement difficile à utiliser en théologie car ils parlent le plus
souvent par mode de visions ou de révélations privées. Pourtant, sainte
Faustine, canonisée par le Pape Jean-Paul II en 2000, a vu explicitement les
évènements situés à l’heure de la mort. Elle constate qu’il s’agit bien d’un « moment
qui dure », d’une lutte et d’un choix pour l’âme[249] :
« J’accompagne
souvent les âmes agonisantes et je
leur obtiens la confiance en la miséricorde divine. Je supplie Dieu de leur
donner toute la grâce divine, qui est toujours victorieuse. La miséricorde
divine atteint plus d’une fois le pécheur au dernier moment, d’une manière
étrange et mystérieuse. A l’extérieur, nous croyons que tout est perdu, mais il
n’en est pas ainsi. L’âme éclairée par un puissant rayon de la grâce suprême, se
tourne vers Dieu avec une telle puissance d’amour, qu’en un instant elle reçoit
de Dieu le pardon de ses fautes et de leurs punitions. Elle ne nous donne à
l’extérieur aucun signe de repentir ou de contrition, car elle ne réagit plus
aux choses extérieures. Oh! Que la miséricorde divine est insondable !
Mais
horreur! il y a aussi des âmes, qui volontairement et consciemment, rejettent
cette grâce et la dédaigne. C’est déjà
le moment même de l’agonie. Mais Dieu,
dans sa miséricorde, donne à l’âme dans son for intérieur ce moment de clarté.
Et si l’âme le veut, elle a la possibilité de revenir à Dieu.
Mais
parfois, il y a des âmes d’une telle dureté de cœur qu’elles choisissent
consciemment l’enfer. Elles font échouer non seulement toutes les prières que
d’autres âmes dirigent vers Dieu à leur intention, mais même aussi les efforts
divins.
»
Ce texte nous est précieux. Il est sans
doute le plus explicite de tous ceux que nous avons trouvés. Il se situe bien à
l’heure de la mort, sur le lit d’agonie, et non après la mort comme l’entendent
bien des théologiens de l’option finale, sortant en cela du domaine de la foi
catholique. Il reste cependant imprécis sur la nature de la grâce du dernier
moment, appelée « clarté », « puissant rayon de la Grâce suprême. » Sœur
Faustine ne sait pas en définir la nature qui reste à ses yeux « étrange et mystérieuse » quoique « puissante. » S’agit-il d’une simple
Révélation spirituelle, dans l’intelligence ou comme nous espérons l’avoir
démontré, d’une Apparition glorieuse, donc sensible et spirituelle à la fois,
du Christ accompagné des saints et des anges ?
Dans ses apparitions, Jésus insiste
souvent sur cette lutte, cette gloire, et cette défense venant de sa
miséricorde à l’heure de la mort :
47. (extrait n° 47 du Petit journal
de Ste Faustine) : « Un soir, dans ma cellule, je vis Jésus vêtu d’une
tunique blanche, une main levée pour bénir, la seconde touchait son vêtement
sur la poitrine. De la tunique entr’ouverte sortaient deux grands rayons, l’un
rouge, l’autre pâle. Je fixais le Seigneur en silence, l’âme saisie de crainte,
mais aussi d’une grande joie. Après un moment, Jésus me dit ; "Peins un
tableau de ce que tu vois, avec l’inscription : « Jésus, j’ai confiance en Vous
! » Je désire qu’on honore cette image, d’abord dans votre chapelle, puis
dans le monde entier". »
n° 48. "Je promets
que l’âme qui honorera cette image, ne sera pas perdue. Je lui promets aussi la
victoire sur ses ennemis dès ici bas, et spécialement à l’heure de la mort.
Moi-même je la défendrai comme Ma propre gloire. »
N° 1540. "Toutes les
âmes qui vénéreront ma miséricorde et propageront sa gloire en incitant les
autres âmes à la confiance en ma miséricorde - ces âmes ne connaîtront pas
l'effroi à l'heure de la mort. Ma miséricorde les abritera lors de cette
dernière lutte "...
N° 1541. "Dis-leur
qu'aucune âme faisant appel à ma miséricorde n'a été déçue ni n'a éprouvé la
honte... Ecris : Si l'on récite ce chapelet auprès d'un agonisant, je me
tiendrai entre le Père et l'âme agonisante, non pas en tant que Juge juste,
mais comme Sauveur miséricordieux. "
Autre texte de sainte Faustine concernant
la possibilité d’un choix à l’heure de la mort[250]
1.
Malgré le bruit qu’elles faisaient,
j’entendis en mon âme ces mots " Prie pour moi ! " Mais je ne pouvais
pas bien comprendre ces mots. Je me suis éloignée de quelques pas de mes
élèves, en me demandant qui pouvait bien me demander des prières. Soudain
j’entendis ces mots : « Je suis Sœur... » Cette Sœur était à Varsovie, et
moi à Wilno maintenant. "Prie pour moi jusqu’à ce que je te dise de
cesser. Je suis en agonie !" Sur le champ, je recommençai à prier
ardemment pour elle et sans relâche, je priai ainsi de trois heures à cinq
heures.
2.
A cinq heures j’entendis le mot : « Merci
" - J’ai compris qu’elle avait expiré. Cependant le lendemain à la Sainte
Messe j’ai prié pour son âme avec ferveur. Dans l’après midi est arrivée une
carte postale annonçant que Sœur... était morte à telle heure. C’était
l’heure où elle me disait " Prie pour moi. "
3.
«
Mère de Dieu, votre âme était plongée dans
une mer d’amertume, regardez votre enfant et enseignez-lui à souffrir et à
aimer en souffrant. Fortifiez mon âme pour que la douleur ne la brise pas. Mère
de grâce, apprenez-moi à vivre de Dieu. »
En d'autres
termes, cette religieuse mit deux heures à faire son choix, et la prière de
sainte Faustine n'y fut pas pour rien. Mais s'il y a liberté, quel est,
exactement, le mode d'action, si je puis dire, de la prière ? En effet, est-ce
le fait, pour l'âme, de "voir" que l'on prie pour elle qui fait
son "efficacité". Est-ce par un autre mode que passe cette
grâce surajoutée de notre prière ?
Il nous paraît possible de citer Marthe
Robin. Cette mystique stigmatisée, dont la sainteté est à l’étude dans son
diocèse d’origine, est morte en 1983. Après vérification auprès du Père Pagnoux
des Foyers de charité, il apparaît qu’elle a développé une véritable pensée sur
les agonisants. Sans aller trop loin et dans l’attente des textes non encore
publiés, il semble qu’elle considérait la mort comme le passage ultime où se
joue dans la logique d’une vie le destin éternel. Elle parlait de l’importance
de la prière pour les mourants, de ces instants qui pouvaient durer longtemps, et de la grâce ultime donne par Jésus en personne.
Philippe Coutel (philippecoutel@msn.com)
qui assistait à une retraite des Foyers de Charité, rapporte : « Je venais
de perdre un frère et deux cousines tous moins de vingt ans dans une tempête
terrible qui s'était levée subitement en Bretagne. J'étais venu voir Marthe
Robin pour cela. Mais je ne voulais pas lui poser de question quant à leur
salut, sur les recommandations du père Finet qui nous avait dit : « Et si elle
vous dit qu'ils sont en enfer ? »
Mais le lendemain, le père qui nous prêchait
la retraite nous a dit, texto : « Marthe Robin a vu que, quand des personnes,
des jeunes en particulier, meurent sans avoir pu rencontrer le Christ, Jésus
leur laisse deux trois jours en se manifestant à eux et leur dit : "est-ce
que tu veux de mon amour ?" »
Le tout est peut être de savoir quand on
est vraiment mort. Qui peut le dire ?
Marthe Robin insistait souvent sur cette
« durée » du temps de la mort. Le père Maurice de Lesseps osb, moine
de Fontgombault, rapporte le témoignage suivant (mai 2007) : « Le
neveu d’un de mes amis religieux, mourut dans un accident de la route dans des
circonstances troubles, à la sortie d’une boite de nuit. Son oncle était fort
inquiet pour son salut, et pensait qu’il était damné. Et voici le témoignage
qu’il me rapporta. Il se rendit pour une retraite au foyer de charité de
Châteauneuf de Galaure. Vers la fin de la semaine, on le prévint que Marthe
voulait le rencontrer. Il se rendit donc dans sa chambre, mais avec une
certaine défiance, étant naturellement prévenu contre le merveilleux. Or
Marthe, qui était d’origine rurale, lui parla durant tout l’entretien de la
nature, des travaux agricoles. Il voulut brusquer la fin de l’entretien et se
leva pour prendre congé. Alors Marthe lui dit ceci : « Vous savez, Père, l’âme reçoit
une grande lumière au moment de la mort. Et peu d’âmes disent non à Dieu,
surtout parmi les jeunes. » Mon ami prêtre est sorti de la chambre assez
bouleversé. »
Nous avons vu comment des théologiens,
sortant malheureusement des indications précieuses du Magistère de l’Église,
ont formalisé cette intuition sous la forme d’une grâce « après la mort. » L.
Boros et Mgr Glorieux s’en défendent. Il nous a paru cependant qu’une opération
intellectuelle « à la manière des substances séparées »ne peut avoir lieu
qu’après la mort.
D’autres théologiens cependant, quoique de
manière encore imprécise concernant la nature de la grâce finale ou le moment
de son don, ont eu l’intuition de ce mystère. Au sommet de tous, tant par sa
précision que par la sûreté de sa doctrine, on trouve Mgr. d’Hulst. Cet évêque
français, mort au début du XXème siècle, fut un directeur spirituel
apprécié pour avoir su unir douceur et fermeté. Dans ses lettres de direction,
confronté à la question du salut des infidèles, il sait unir rigueur de la
doctrine et audace de l’amour.[251]
Selon lui, il faut chercher la solution
de tous ces problèmes théologiques épineux dans la contemplation de la croix de
Jésus. Elle permet à l’esprit un envol d’aigle car elle est un scandale de
l’amour qui dépasse toutes les formalisations de la pensée. Fondé sur cette
contemplation, il distingue une formule officielle du salut : « Il faut mourir dans les règles » ; et
une loi du sauveur qui dépasse toutes les lois et ne demande la permission à
personne pour proposer son salut à qui il veut. Cette liberté de l’amour de
Jésus ne vient pas détruire la formule officielle du salut et les ministres de
Dieu qui n’ont pas fait les règles, ont le devoir de les appliquer. Citons Mgr
d’Hulst à propos de l’heure de la mort :[252]
« Dans
ce dernier combat de l’agonie, quand la pensée est lucide et la voix muette,
quand le monde extérieur s’éteint autour du moribond et le laisse seul avec son
monde intérieur, quand son oreille n’entend plus ses paroles trompeuses
destinées à le rassurer et que son âme entend la réponse de mort, qui lui dit
la prochaine et terrible vérité, à cette heure d’angoisse et de clairvoyance,
il y a certainement une sollicitation suprême de la miséricorde ; Il y
a une apparition (je prends ce mot dans le sens métaphysique et le plus large),
une apparition de Jésus. Il y a le souvenir, tout d’un coup ranimé, de
ces fragments épars d’instruction religieuse oubliés depuis l’enfance, d’idées
religieuses répandues çà et là dans la société et que l’on rencontrait
autrefois sur son chemin d’indifférence. Tout cela s’assemble, tout cela revit
comme les ossements d’Ezéchiel, tout cela se recompose une figure de la vérité
qui s’offre à l’âme dans les traits bénis du Rédempteur. » Selon Mgr
d’Hulst, cette grâce finale qui précède la mort est si certaine qu’in ne doit
jamais désespérer du salut de personne. L’âme du mourant se sent attirée par la
miséricorde, elle jette vers la croix le dernier regard et peut, si elle ne
résiste pas, être sauvée.
Dans une autre lettre de direction, écrite
en 1882 pour une religieuse, Mgr d’Hulst précise sa pensée à propos de la mort
d’un franc maçon militant[253] :
« La voie unique du salut est
Jésus-Christ, mais s’il y a la façon officielle de trouver Jésus-Christ, nul ne
lui refusera, je pense, le droit de se mettre en rapport avec les âmes par
d’autres moyens.(...) Saint Thomas d’Aquin disait lui-même, à propos des bons
infidèles : « A une âme ainsi disposée, Dieu enverra plutôt un ange à l’heure
de la mort que de la laisser en dehors de la Rédemption. » [254]
Mgr. d’Hulst reste à notre sens imprécis
sur la nature de la grâce qu’il sait pourtant nécessaire à l’heure de la mort.
Une apparition au sens le plus métaphysique du mot signifie à ses yeux que,
quel que soit le moyen (intuition intellectuelle, imaginative, apparition d’un
ange ou du Christ glorieux), Dieu trouve le moyen de donner à la connaissance
du mourant l’être même de l’Évangile. A l’époque où ce prêtre reçut sa
formation, « métaphysique » ne signifiait pas nécessairement « présence de
l’être » mais aussi « connaissance de l’être. » Quoi qu’il en soit, il nous
paraît être le premier auteur à avoir enseigné avec un tel développement la
nécessité vitale pour le salut d’une grâce de conversion à l’heure de la mort.
Il est remarquable qu’à peu près à la même époque, sœur Faustine ait reçu par
voie de révélation privée, la même certitude.
Parmi les théologiens actuels, nous
voudrions citer le Père François-Xavier Durwell. Domicilié à Strasbourg, ancien
professeur à la Faculté de Théologie catholique, son œuvre écrite témoigne de
son intérêt pour le mystère de la mort[255].
A plusieurs reprises, à l’occasion de la rédaction de ce travail, j’ai pu le
rencontrer.
La thèse du Père Durwell concernant notre
sujet consiste dans l’affirmation d’une grâce de lumière à l’heure de la mort,
en vue du choix final qui oriente le destin éternel. Selon lui, cette grâce
n’est pas à considérer comme un « retour sensible » du Christ tel que je
l’entends, mais par une révélation mystique et purement spirituelle de la
Lumière de son Évangile. Au cours de nos discussions, le Père Durwell s’est
plutôt opposé à ma position, la qualifiant de « mythologique. » Une heureuse réponse m’est venue : « Quand un exégète veut s’opposer à l’historicité
d’une donnée de l’Évangile, il la qualifie de mythologique ; s’il veut la
défendre, il la qualifie de mystère de l’Incarnation. » Au cours d’un
entretien avec lui en 1993 au Carmel de Forges près d’Avon, nous avons pu
nettement nous expliquer sur cette divergence qui, de fait, ne bouleverse pas
le fond commun de notre entente. L’essentiel est ailleurs : Dieu sauve. Plutôt
que de citer des passages de ses écrits, nous reproduisons un extrait d’une de
ses lettres[256] :
« Le
thème de la mort est important. Il y a une très grave lacune en théologie : on
ne sait pas, on ne dit pas ce qu’est la mort, ce qui s’y passe. Pourtant Jésus
est venu, selon Heb. 2, 14ss, nous délivrer par sa mort de la peur de la mort.
Il y a des théologiens qui prétendent qu’il ne s’y passe rien du tout. Un
théologien allemand, Greshake, a écrit : « on sort de la vie comme on y entre,
sans le savoir et sans le vouloir. » Dans Esprit et Vie, un recenseur,
Pierre Jay, ironise au sujet de mon petit livre « Le Christ, l’homme et la
mort », où je prétends que c’est l’instant suprême de la vie. Je ne me suis
nullement inspiré des thèses de Ladislas Boros dans Mysteruim Mortis à
propos de l’option finale. Je l’ai moi-même ignoré plus ou moins, pour ne
m’inspirer que de ce que je crois savoir du mystère pascal, à l’aide de
l’Écriture Sainte. Les théologiens ne sont pas assez attentifs à ce problème de
la mort. J’ai multiplié les publications. Mais du moins en France, les
théologiens ne tiennent guère compte de ce que je dis. »
Les remarques un peu douloureuses du Père
Durwell sont malheureusement tout à fait justifiées. Il faudra attendre trois
ans après sa mort et une encyclique du pape Benoît XVI (Spe salvi 47) pour que
soit évoqué publiquement l’hypothèse de la rencontre avec le Christ dans la
mort. De son vivant, la théologie sortait à peine de ses controverses sur
l’existence de l’âme séparée du corps, rejetée par peur panique de tomber dans
un dualisme soi-disant non biblique (comme si l’Ancien Testament n’avait pas eu
le droit de mûrir sous l’influence de la pensée grecque, lui qui s’est nourri
des conceptions égyptiennes et babyloniennes). Force est de constater que, à la
fin du XX° siècle, l’interrogation sur l’existence et la nature d’une vie après
la mort était passée au second plan de la recherche théologique. La pensée des
grandes Églises avait été relayée par celle des sectes qui trouvent dans ce
terrain en friche un champ d’apostolat.
Une approche de Jean Daujat[257] :
« A
l'instant même de la mort est un instant de lucidité totale et ceci même pour
l'enfant en bas âge car cela résulte de la nature humaine et de
l'existence de l'âme spirituelle que cet enfant possède, celui-ci aura donc à
l'instant de sa mort le plein usage de son intelligence qu'il n'aura encore
jamais eu auparavant. Rien n'empêche alors que dans cette lucidité de l'instant
de la mort Dieu d'une manière quelconque fasse connaître à l'enfant sa destinée
surnaturelle et que celui ci puisse y adhérer librement, une telle solution ne
méconnaît nullement l'importance de baptiser les enfants car leur adhésion à
leur destinée surnaturelle à l'instant de leur mort est évidemment grandement
aidée par la possession de la grâce baptismale. On reconnaît donc à la fois
l'importance primordiale des sacrements et en même temps que Dieu qui les a
choisis comme moyens d'action peut s'en passer et agir autrement. »
Cette
remarque concernant les enfants est très forte, très moderne et osée. En 2007,
la commission Théologique internationale, sans aller aussi loin, se penchera
sur la question controversée du sort des enfants morts sans baptême.
Un texte du pape
Benoît XVI, présenté sous forme d’une simple mise en perspective, semble indiquer
la prise en compte par l’Eglise de cette hypothèse théologique, celle d’une
rencontre lumineuse avec le Christ (sans plus de précision sur son
moment) :
« 47. Certains
théologiens récents sont de l'avis que le
feu qui brûle et en même temps sauve est le Christ lui-même, le Juge et
Sauveur. La rencontre avec le Christ est
l'acte décisif du Jugement. Devant son regard s'évanouit toute fausseté. C'est la rencontre avec Lui qui, nous
brûlant, nous transforme et nous libère pour nous faire devenir vraiment
nous-mêmes. Les choses édifiées durant la vie peuvent alors se révéler paille
sèche, vantardise vide et s'écrouler. Mais
dans la souffrance de cette rencontre, où l'impur et le malsain de notre
être nous apparaissent évidents, se trouve le salut. Le regard du Christ, le
battement de son cœur nous guérissent grâce à une transformation certainement
douloureuse, comme « par le feu. » Cependant, c'est une heureuse souffrance,
dans laquelle le saint pouvoir de son amour nous pénètre comme une flamme, nous
permettant à la fin d'être totalement nous-mêmes et avec cela totalement de
Dieu. Ainsi se rend évidente aussi la compénétration de la justice et de la
grâce: notre façon de vivre n'est pas insignifiante, mais notre saleté ne nous
tache pas éternellement, si du moins nous sommes demeurés tendus vers le
Christ, vers la vérité et vers l'amour. En fin de compte, cette saleté a déjà
été brûlée dans la Passion du Christ. Au moment du Jugement, nous expérimentons
et nous accueillons cette domination de son amour sur tout le mal dans le monde
et en nous. La souffrance de l'amour devient notre salut et notre joie. Il est
clair que la « durée » de cette brûlure qui transforme, nous ne pouvons la
calculer avec les mesures chronométriques de ce monde. Le « moment » transformant de cette rencontre échappe au
chronométrage terrestre – c'est le temps du cœur, le temps du « passage » à la
communion avec Dieu dans le Corps du Christ.[39] Le Jugement de Dieu est espérance, aussi bien parce qu'il
est justice que parce qu'il est grâce. S'il était seulement grâce qui rend
insignifiant tout ce qui est terrestre, Dieu resterait pour nous un débiteur de
la réponse à la question concernant la justice – question décisive pour nous
face à l'histoire et face à Dieu lui-même. S'il était pure justice, il pourrait
être à la fin pour nous tous seulement un motif de peur. L'incarnation de Dieu
dans le Christ a tellement lié l'une à l'autre – justice et grâce – que la
justice est établie avec fermeté: nous attendons tous notre salut « dans la
crainte de Dieu et en tremblant » (Ph 2,
12). Malgré cela, la grâce nous permet à tous d'espérer et d'aller pleins de
confiance à la rencontre du Juge que nous connaissons comme notre « avocat » (parakletos) (cf. 1 Jn 2, 1). »
COMMENTAIRE :
Quand le pape dit
dans son encyclique : « Certains théologiens soutiennent que la rencontre avec le Christ
est un feu qui etc. » Il me conduit à m’interroger
sur le nom de ces théologiens. Or, de théologiens qui soutiennent ceci, à ma
connaissance, il n'y en a que trois (quatre avec moi). Ils sont sans autorité
et peu reconnus (j’exclus Mgr Glorieux
(XIX° s) et Ladislas Boros (1950) qui parlent d’une rencontre avec le Christ
APRÈS la mort, une fois débarrassé du corps. Le Cardinal Ratzinger, futur pape
Benoît XVI, dans son livre sur l’eschatologie[258] condamne leur thèse et il a raison) :
1° Mgr d’Hulst au XIXème siècle dans un texte de dix lignes encore
peu précis, qui évoque plutôt une grâce métaphysique, qui touche au sens
profond) venant du Christ : « Il y a une
apparition (je prends ce mot dans le sens métaphysique et le plus large), une
apparition de Jésus. »
2°
le Père François-Xavier Durwell sj vers 1990. Je l'ai rencontré. Mais il parle
d’une « grâce de lumière » et nie
formellement comme "mythologique" une rencontre avec l’humanité du
Christ glorieux.
3° Jean Daujat dans un petit texte écrit en 1990 où il évoque « à l'instant même de la mort est un instant
de lucidité total ». Il ne parle pas directement de cette rencontre.
J'ignore
s'il existe des théologiens germanophones.
Donc
le fait que le pape cite ces quelques théologiens me frappe. Cela veut dire
que, au delà du peu de nombre de théologiens et de leur peu d'autorité dans
l'Eglise, cette thèse avance et entre avec cette encyclique (c’est un premier
pas) comme une hypothèse pour le Magistère...
Il faut remarquer que la
recherche initiée ici par le pape était nécessaire. En effet, la synthèse
scolastique de saint Augustin puis de saint
Thomas d’Aquin, ne tenant pas compte de ce dogme inconnu d’eux : « Dieu propose explicitement (et en cette vie
donc) l'entrée dans la grâce sanctifiante », ne peut plus être gardée sur
ce point du salut ultime. En effet, constatant que les enfants non-baptisés
meurent en état de mort spirituelle (ainsi que les païens ou les pécheurs
chrétiens surpris avant le repentir), ils sont contraints d'admettre leur
séparation éternelle d'avec Dieu. Il faut
donc que les théologiens cherchent une nouvelle synthèse intégrant ce troisième
dogme.
Ce
texte du pape fait référence à un
purgatoire. La rencontre avec le Christ, dit le pape, provoque purification
du cœur de ceux qui, à sa vue, l'aiment. Pourtant, il ne s'agit pas des
purgatoires jusqu'ici enseignés par les saints.
-
Ce n'est pas le purgatoire de cette terre (AVANT LA MORT) où le Christ, par
définition, se cache.
-
Ce ne sont pas les trois purgatoires de sainte Catherine de Gênes qui sont
efficaces du fait d'un temps de grande solitude APRÈS LA MORT.
-
C'est autre chose. C'est une rencontre lumineuse, douloureuse et joyeuse à la
fois, où beaucoup changent leur cœur. De cette rencontre sort le jugement
individuel et définitif.
MON AVIS:
Si on est fidèle aux trois dogmes cités plus haut, cela ne se passe ni dans ce
monde, ni après la mort.... Mon opinion est que cela se passe « DANS LE
PASSAGE DE LA MORT », à la fin de cette vie.
Et cela oblige à repenser la notion de mort qui, chez saint Thomas, est
instantanée et ne laisse place à rien. C'est uniquement chez sainte Faustine,
chez Marthe Robin, que la mort devient, comme dans la Bible, un
"passage" qui dure et laisse place à une rencontre.
Enfin, il faut remarquer que le pape, dans le passage cité,
assortit sa pensée de cette réserve explicite : « (…) Ainsi se rend évidente aussi la
compénétration de la justice et de la grâce: notre façon de vivre n'est pas
insignifiante, mais notre saleté ne
nous tache pas éternellement, SI du moins nous
sommes demeurés tendus vers le Christ, vers la vérité et vers l'amour. »
Ne doit-on pas voir là l’indication de ce
que la question examinée ne concerne que ceux qui n’ont pas rompu l’amitié avec
Dieu par la perte de la grâce sanctifiante ?
C’est vrai. Ce n'est donc pas ce texte mais ma thèse qui étend cette
rencontre à tous les hommes sans exception, à cause du dogme cité en Gaudium et Spes 22, 5. Le pape ne va pas
jusque là. Il faut dire que, comme il le remarque, il s'agit de l'avis de « certains théologiens récents.
»
Une dernière remarque: le ton du pape indique qu’il s’agit pour lui d'une
HYPOTHÈSE. Il n’y a rien de dogmatique, bien que ce soit dans une encyclique
théologique.
Karl-Gustav JUNG (1875 - 1961) lorsqu'il
fut hospitalisé à la suite d'une crise cardiaque, au début de l'année 1944 fit
la description dans son autobiographie d'une NDE.
« (...) Les images avaient une telle
violence que j'en conclus moi-même que j'étais tout près de mourir. Mon
infirmière me dit plus tard : « Vous étiez comme entouré d'un halo lumineux ! »
C'est un phénomène qu'elle avait parfois observé chez les mourants (...)
Je croyais être très haut dans l'espace
cosmique. Bien loin au-dessous de moi, j'apercevais la sphère terrestre baignée
d'une merveilleuse lumière bleue (...) Évidemment je voyais aussi les sommets
enneigés de l'Himalaya, mais tout y était brumeux et nuageux (...) Je savais
que j'étais en train de quitter la terre. (...) Le spectacle de la terre vue de
cette hauteur était ce que j'ai vécu de plus merveilleux et de plus féerique.
(...) Quelque chose de nouveau entra dans
mon champ visuel. À une faible distance, j'aperçus dans l'espace un énorme bloc
de pierre, sombre comme un météorite, à peu près de la grosseur d'une maison,
peut-être même plus gros. La pierre planait dans l'univers et je planais
moi-même dans l'espace.
J'ai vu des pierres semblables sur la côte
du Bengale (...). Ma pierre était aussi un de ces sombres et gigantesques
blocs. Une entrée donnait accès à un petit vestibule ; à droite, sur un banc de
pierre, un indien à la peau basanée était assis dans la position du lotus,
complètement détendu, en repos parfait ; il portait un vêtement blanc. Ainsi,
sans mot dire, il m'attendait. Deux marches conduisaient à ce vestibule ; à
l'intérieur, à gauche, s'ouvrait le portail du temple (...)
Quand je m'approchai des marches par
lesquelles on accédait au rocher, je ressentis une très étrange impression :
tout ce qui avait été jusqu'alors s'éloignait de moi. Tout ce que je croyais,
désirais ou pensais, toute la fantasmagorie de l'existence terrestre se
détachait de moi ou m'était arrachée ; processus douloureux à l'extrême.
Cependant quelque chose en subsistait, car il me semblait avoir alors, près de
moi, tout ce que j'avais vécu ou fait, tout ce qui s'était déroulé autour de
moi. Je pourrais tout aussi bien dire : c'était près de moi et j'étais cela ;
tout cela en quelque sorte me composait. J'étais fait de mon histoire et j'avais
la certitude que c'était bien moi. (...) Cet événement me donna l'impression
d'une extrême pauvreté, mais en même temps d'une extrême satisfaction. Je
n'avais plus rien à vouloir, ni à désirer ; j'étais pourrait-on dire, objectif,
j'étais ce que j'avais vécu. (...) Plus aucun regret que quelque chose fût
parti ou enlevé. Au contraire : j'avais tout ce que j'étais et je n'avais que
cela.
J'eus encore une autre préoccupation :
tandis que je m'approchais du temple, j'avais la certitude d'arriver dans un
lieu éclairé et d'y rencontrer le groupe d'humains auquel j'appartiens en
réalité. Là je comprendrais enfin, cela aussi était pour moi une certitude,
dans quelle relation historique je me rangeais, moi ou ma vie. Je saurais ce
qui était avant moi, pourquoi j'étais devenu ce que je suis et vers quoi ma vie
continuerait à s'écouler...
Tandis que je méditais sur tout cela, un
fait capta mon attention : d'en bas, venant de l'Europe, une image s'éleva :
c'était mon médecin, ou plutôt son image, encadrée d'une chaîne d'or ou d'une
couronne dorée de lauriers. Je me dis aussitôt : « Tiens ! C’est le médecin qui
m'a traité ! "
Dans une vie antérieure il aurait été le
roi de cette île où l'on avait érigé un temple en hommage à Esculape, dieu
romain de la médecine, mais aussi lieu de naissance d'Hippocrate, modèle de
l'éthique médicale. »
Jung poursuit :
« Quand il fut arrivé devant moi,
planant comme une image née des profondeurs, il se produisit entre nous une
silencieuse transmission de pensées. Mon médecin avait été en effet délégué par
la terre pour m'apporter un message : on y protestait contre mon départ. Je
n'avais pas le droit de quitter la terre et devais y retourner. Au moment où je
perçus ce message, la vision disparu.
J'étais déçu à l'extrême ; maintenant tout
semblait avoir été en vain. Le douloureux processus de
"l'effeuillement" avait été inutile : il ne m'était pas permis
d'entrer dans le temple ni de rencontrer les hommes parmi lesquels j'avais ma
place. (...) En réalité, il se passa encore trois bonnes semaines avant que je
pusse me décider à revivre, je ne pouvais pas me nourrir, j'éprouvais du dégoût
pour tous les mets. »
Par la suite, le compte rendu relate la
déception de Jung d'être revenu à la vie, « La vie et le monde entier
m'apparaissaient comme une prison... », avant de s'achever sur une funeste
prémonition :
Je ressentais de la résistance face à mon
médecin parce qu'il m'avait ramené à la vie. Par ailleurs, j'éprouvais du souci
à son sujet : « Par Dieu, il est menacé ! Ne m'est-il pas apparu sous sa forme
première ? Lorsque quelqu'un en est arrivé à cette forme, c'est qu'il est sur
le point de mourir" (...). J'essayai de mon mieux de lui en parler, mais
il ne comprît pas. (...) J'avais la ferme conviction qu'il était en danger parce
que je l'avais rencontré dans sa forme originelle.
En effet je fus son dernier malade. Le 4
avril 1944, je sais encore très exactement la date, je fus autorisé, pour la
première fois, à m'asseoir sur le bord du lit et ce même jour, il se coucha
pour ne plus se relever.
(...) Après cette maladie commença pour
moi une période fertile de travail. Bon nombre de mes œuvres principales ne
furent écrites qu'après. La connaissance ou l'intuition de la fin de toutes
choses me donnèrent le courage de chercher de nouvelles formes d'expression. »
On ne peut certainement pas écarter du
récit de Jung l'influence de ses thèmes d'étude, de ses voyages et de son
attrait pour les cultures orientales, hindoues plus particulièrement. Il
n'empêche que l'on y rencontre de fortes similitudes, riches de composantes
transcendantales, avec notre " EMI standard "
A travers les mythes et récits des
nombreuses traditions religieuses, on trouve une constante affirmation d’un
jugement à l’heure de la mort. Nous aurions pu ici rapporter les multiples
analogies à notre hypothèse : Apparition d’un Dieu, d’une barque, d’un fleuve
symbolisant le passage et le jugement. Nous nous contenterons de rapporter les
plus significatives, celles en qui nous estimons que tout le reste est présent.
Nous avons retenu le tantrisme et l’Islam. Nos sources se trouvent dans l’Encyclopédia
Universalis, articles Tantrisme, Bouddhisme, Islam, le livre des morts
tibétains, un traité de catéchisme islamique doté de l’Imprimatur, de Fdal
Haja.
La religion de l’Egypte antique est comme
une religion d’enfants. Elle représente sa théologie, parfois très spirituelle,
sous forme sensibles et animale. Cela rend très aisé à comprendre sa conception
des évènements de la mort.
Or, ce qui est étonnant, c’est la
concordance extrême entre la vision des évènements de la mort et ce qui est raconté ici, au point que cette phrase
mystérieuse de Matthieu 2, 15, citant un oracle inconnu d’un prophète « D’Egypte
j’ai appelé mon Fils », prend un sens étonnant.
J’ai tenté d’établir un tableau de
concordance mettant en parallèle ce qui est commun entre ces deux religions et
les Near Death Experiences. Il en ressort de fortes similitudes.
L’Égypte Antique |
Le catholicisme |
Les Near Death Experiences |
Osiris, Dieu de la vie, mis à mort et
ressuscité |
Le Christ, Dieu fait homme, mis à mort
et ressuscité (De foi). |
|
Isis, sœur et épouse d’Osiris qui obtint
en priant sa résurrection. |
Marie, mère et épouse mystique du Christ
qui obtint en priant sa résurrection (opinion des mystiques). |
|
Imiter Isis et Osiris pour obtenir d’eux
la résurrection. |
Imiter le Christ et Marie pour obtenir
de Dieu la résurrection (De foi). |
|
A l’heure de la mort, le Kâ (le double sensible du mort) et le Baï, son esprit) sortent du corps. |
A l’heure de la mort, seul l’esprit
survit. Tout ce qui est lié au cerveau disparaît, donc la vie sensible
(opinion de saint Thomas d’Aquin). |
A l’heure de la mort, un corps
psychique et l’esprit sortent du corps. |
3 degrés de vie : - le corps (fondement de tout, lié à la
momie qui doit rester intact). - Kâ,
siège des sensations et sentiments, survit à la mort. C’est le « corps double.
» - Baï,
siège des choix et des péchés, survit à la mort. |
3 degrés de vie : - La chair, le corps mortel - La vie sensible (pas de corps distinct
de la chair pour cette vie intermédiaire). - L’esprit, directement créé par Dieu,
survit SEUL à la mort (opinion de saint Thomas d’Aquin). |
3 degrés de vie : - Biologique, lié au corps de chair. - Sensible, lié au corps psychique ou
astral, qui est comme le « corps double. » Il survit à la mort. - Spirituel, survit à la mort. |
Le Kâ
et le Baï ne peuvent survivre si la
momie n’est pas conservée intacte. |
La survie de l’esprit est indépendante
de la décomposition du cadavre, bien que l’Eglise préfère l’inhumation à
l’incinération. |
La survie du corps astral et de
l’esprit sont indépendantes de la décomposition du cadavre, comme l’atteste
la venue des proches décédés depuis longtemps. |
A l’heure de la mort, décorporation puis
passage difficile sur le fleuve-serpent Apophis. |
Rien d’attesté par la foi, ni pour ni
contre, sur la survie du psychisme, sauf pour la survie de l’esprit qui est
de foi. |
A l’heure de la mort, décorporation
(corps psychique et esprit) puis passage vers un tunnel noir. |
Présence du dieu Anubis, le chacal, qui
aide le mourant. |
Foi dans la présence de l’ange gardien
(opinion des mystiques). |
Présence attesté d’un « guide »
invisible, qui accompagne et rassure. |
Epreuve des sept portiques que l’âme doit
passer un à un en attestant de sa justice et en prononçant les noms des sept
gardiens, puis des dix pylônes et de leurs dix dieux. |
Foi dans la présence de Lucifer auprès
du mourant, dans une dernière tentation (opinion des mystiques). |
Quelques N.D.E. infernales,
extrêmement effrayantes attestées par de grands pécheurs. |
Apparition du tribunal d’Osiris, en
présence des dieux. |
Credo : « Le Christ reviendra dans sa
gloire… |
Apparition de l’Etre de Lumière, au
trois qualités : Amour, vérité, humour. |
C’est le lieu du jugement. Le cœur du
mourant est déposé sur la balance et pesé face à une plume de la déesse Maat,
la droiture. |
… pour juger les vivants et les morts… |
L’Être de Lumière passe en revue, avec
douceur et vérité, le film de la vie, le bien et le mal commis. |
Rien d’attesté. |
… accompagné des saints et des anges. » (De
foi, foi habituellement comprise pour la seule fin universelle du monde). |
Apparition des proches décédés qui
viennent soutenir le mourant et l’entourer. |
L’âme justifiée est conduite aux jardins
d’Elihu, le paradis, où elle reprend, dans la lumière et face aux dieux, sa
vie d’avant, mais sans la souffrance. |
Après le jugement dernier, l’âme est
immédiatement conduite au paradis qui est la vision spirituelle et face à
face, de l’essence de Dieu (De foi). |
(Les témoins des N.D.E. ne vont pas
plus loin : une limite apparaît, celle de l’au-delà : s’ils la franchissent,
ils savent qu’ils ne reviendront plus sur terre. |
L’âme des méchants est livrée à la « dévorante
», qui est un monstre crocodile,
hippopotame, et lion. |
L’âme en état de péché mortel est
aussitôt conduite en enfer où elle subit des peines diverses (De foi). |
Fin de l’expérience… |
Rien |
L’âme en qui il reste quelque
imperfection est conduite à un temps de purgatoire (De foi). |
Rien |
A la fin du monde, tel le scarabée, la
résurrection de la momie est promise aux seuls justifiés. |
A la fin du monde, tel le Christ, la
résurrection de la chair est promise, aux méchants comme aux bons (De foi). |
|
Le livre des morts tibétain est un ouvrage
hors du commun qui se présente comme une anthologie des enseignements dispensés
au long des siècles par les sages de l’ancien Tibet. Il s’agit de la mise par
écrit au VIIIème siècle de notre ère de traditions orales plus
anciennes.
La forme adoptée par ce livre étrange
résulte des différents usages auxquels il a été destiné. Tout d’abord, aux yeux
des érudits qui l’avaient rédigé, la mort passait pour une activité impliquant
une certaine technique ; on pouvait s’en tirer avec art, comme aussi avec
maladresse, selon que l’on possédait ou non les connaissances requises à cet
effet. C’est pourquoi la lecture de ce livre faisait partie de la cérémonie
funéraire ou s’effectuait au chevet d’un mourant pour accompagner ses derniers
instants. On assignait donc à cette lecture deux fonctions. La première : aider
le mourant à se pénétrer de la nature de chacun des phénomènes accompagnant la
mort, si nouveaux et si merveilleux, à mesure qu’il en faisait l’expérience. La
seconde : Encourager les survivants à former des pensées bénéfiques, de manière
à ne pas retarder le mourant par des manifestations d’amour ou de tension
émotionnelle, en sorte qu’il puisse accéder aux plans de l’après vie dans un
état d’esprit approprié, dégagé de tout souci terrestre.
Pour parvenir à ces fins, le livre
contient une longue description des différentes étapes par lesquelles l’âme
passe après la mort (ou au moment ?) de la mort physique. Or, la concordance
entre les premiers stades de la mort ainsi présentée et ce que nous soutenons
comme nécessaire à la mort chrétienne à travers notre hypothèse est tout
bonnement fantastique. De même, on ne peut manquer de remarquer les similitudes
avec les récits de l’expérience de ceux qui ont approché la mort[260].
Pour commencer, dans l’exposé tibétain,
l’esprit ou l’âme (la précision scolastique des mots n’est pas à rechercher
dans ces descriptions) du mourant se détache de son corps. Peu après, cette âme
connaît une sorte de syncope et se trouve dans un vide (non pas un vide physique,
mais un vide qui possède en fait des limites qui lui sont propres), et où la
conscience est conservée. Il se peut que le défunt entende à ce moment là des
bruits ou des sons alarmants ou désagréables, qualifiés de grondements, de
tonnerres ou de sifflements semblables à ceux du vent. Il se retrouve ensuite,
en général, aussi bien lui-même que ce qui l’entoure, comme enveloppé d’un
éclairage gris et brumeux.
Il s’étonne en s’apercevant qu’il a quitté
son corps. Il voit et il entend ses parents et ses amis qui se lamentent tout
en se livrant à la toilette du corps en vue des funérailles. Il voit et il
entend, ce qui signifie que, sans être dans son corps physique qu’il peut
regarder, il est doté d’une activité sensible qui implique un certain lien de
son esprit avec une partie physique de lui-même. C’est donc que la mort au sens
chrétien du mot (séparation de l’âme et du corps), n’est pas réalisée. Le
mourant ne se rend d’ailleurs pas encore compte qu’il est mort, si ce n’est par
le fait que lorsqu’il essaye de parler à ceux qui entourent sa dépouille, ils
ne l’entendent pas. Il en est désorienté. Il se demande s’il est mort ou non
et, quand il finit par concevoir qu’il l’est effectivement, il ne sait où aller
ni quoi faire. Un grand regret s’abat sur lui et il se sent déprimé par ce
nouvel état. Il demeure un certain temps au voisinage des lieux qui lui sont
familiers.
Il constate qu’il continue à avoir un
corps (dénommé par le livre corps brillant) qui ne paraît pas constitué de
matière au sens palpable du mot. Ainsi, il peut traverser les murs, les rochers
et même les montagnes sans rencontrer la moindre résistance. Les déplacements
sont instantanés ; quel que soit le lieu où il désire aller, il y parvient en
une seconde. Sa pensée et ses perceptions sont moins limitées ; son intellect
devient lucide, et ses sens lui paraissent plus aiguisés, plus parfaits, et
d’une nature plus proche du divin. S’il a été, durant sa vie physique, sourd ou
aveugle ou estropié, il est surpris de se découvrir dans son corps brillant
doté de l’intégrité de ses membres. Il rencontre éventuellement d’autres êtres
possédant un corps semblable, et peut aussi se trouver devant ce que le texte
désigne comme « une claire et pure
lumière. » Les Tibétains conseillent au mourant, lorsqu’il approche de
cette lumière, de s’efforcer de n’avoir que des pensées d’amour et de
compassion à l’égard d’autrui. Les descriptions de cette lumière sont à la fois
physiques et spirituelles. Plus qu’une lumière, il s’agit d’une entité
rayonnant lumière physique et spirituelle, chaleur physique et spirituelle. Le
mourant est attiré vers elle et découvre à travers sa présence que l’amour seul
est digne de foi. Ces descriptions ne peuvent que frapper le chrétien dans la
mesure où il ne voit pas autrement le Christ : la gloire de son corps, telle
qu’elle est apparue aux disciples le jour de la transfiguration ne
rayonnait-elle pas lumière et amour, comme une image sensible de la gloire de
Dieu ? En ce qui concerne notre hypothèse, nous ne pouvons manquer de faire remarquer
à quel point cette apparition, qui semble appartenir encore à ce monde et
devancer la séparation totale de l’âme et du corps, ressemble à une parousie.
Le livre décrit aussi des sensations de
paix immense et de bonheur éprouvé par le défunt ; et, également, une sorte de «
miroir »dans lequel sa vie entière, les bonnes et les mauvaises actions, se
reflètent à sa propre vue comme à celle des entités qui la jugent. Dans cette
circonstance, aucune erreur n’est possible. Nul ne peut tricher sur sa propre
vie. Ceci nous paraît s’identifier à ce que nous avons cru pouvoir admettre
comme nécessaire, à travers une recherche de théologie catholique, au choix qui
précède le destin éternel. En termes scolastiques, on parlerait de « disparition
du foyer de péché »et de conditions parfaites au choix libre. L’analogie est en
tout cas frappante.
Bref, bien que le Livre des morts
tibétain contienne encore de nombreuses informations sur les stades
ultérieurs de la vie après la mort, qui sont nécessairement teintés de
croyances bouddhiques et outrepassent le domaine dont nous nous sommes fixé
l’étude, il est notoirement évident que de frappantes similitudes s’établissent
entre ce que la théologie catholique fondée sur ses dogmes se doit d’admettre
et les descriptions de ces hommes qui semblent avoir expérimenté le phénomène.
• Grande
spécialiste du bouddhisme tibétain, Françoise Pommaret
rapporte remarquablement des récits d'expériences qu'elle nomme, non sans une
certaine pertinence, des "descentes aux enfers. » On rencontre,
explique-t-elle,
“Les récits de descente aux enfers par une
personne apparemment morte, forment un genre littéraire bien connu aussi en
Chine. Il en est de deux espèces... [Dans l'une] un individu quelconque
s'évanouit et revient à la vie. L'autre concerne de héros religieux comme
Maudgalyâyana qui va volontairement en enfer grâce à sa puissance religieuse...
Cette seconde catégorie de personnes [ne traverse pas la mort]... mais descend
simplement aux enfers... de son plein gré, pour “ sauver ” un être
qui lui est cher et le amener sur terre, ou bien le faire renaître dans un
meilleur domaine de réincarnation afin qu'il trouve pleinement le salut.
[Le
récit relevant de la première catégorie, lui,]... met en scène un personnage
qui n'est au départ ni un héros, ni un saint... Il “ meurt ” à la
suite d'une maladie et se trouve propulsé dans un voyage à travers les enfers
et quelquefois les paradis... il doit faire face aux acolytes du dieu des
morts, Yama Dharmarâya, puis assister aux tortures des pécheurs dans les
différents enfers, rencontrer des personnages qui lui expliquent la raison de
leurs châtiments... Ce message [pour les vivants] enjoint [à ceux-ci]
d'accomplir de bonnes actions et d'éviter les péchés. Tout au long de son
parcours dans l'au-delà, le ’das
log est souvent accompagné par une entité surnaturelle [!] qui le protège
et lui explique ce qu'il voit”[261].
Au
Bhoutan, l'auteur a rencontré plusieurs de ces ’das log, qui, en majorité, sont des femmes.
Françoise Pommaret rapporte des récits d'expériences du type NDE, conférant à ceux qui les ont vécues
(seulement à l'occasion d'une "maladie" ?), un statut particulier
dans la communauté sociale, celui de ’das
log. Au Bhoutan, l'auteur a rencontré plusieurs de ces ’das log, qui, en majorité, sont des femmes.
« Les récits de descente aux
enfers par une personne apparemment morte, forment un genre littéraire bien
connu [pas seulement au Tibet mais] aussi en Chine... [Un tel récit] met en
scène un personnage qui n'est au départ ni un héros, ni un saint... Il
"meurt" à la suite d'une maladie et se trouve propulsé dans un voyage
à travers les enfers et quelquefois les paradis... il doit faire face aux
acolytes du dieu des morts, Yama Dharmarâya, puis assister aux tortures des
pécheurs dans les différents enfers, rencontrer des personnages qui lui
expliquent la raison de leurs châtiments... Ce message [pour les vivants]
enjoint [à ceux-ci] d'accomplir de bonnes actions et d'éviter les péchés. Tout
au long de son parcours dans l'au-delà, le ’das
log est souvent accompagné par une entité surnaturelle [!] qui le protège
et lui explique ce qu'il voit »[262].
L’Islam est une religion d’un tout autre
genre que l’origine judéo-chrétienne rapproche davantage des dogmes de l’Église
catholique. Elle croit que Jésus, vrai homme et non pas Dieu, est le Messie et
qu’il apparaîtra à la fin du monde pour remettre entre les mains de Dieu les
vrais musulmans. La foi dans le retour du Christ est très vivante en Islam.
Mais, curieusement, cette venue est explicitement enseignée comme ne concernant
pas seulement la fin du monde mais la mort individuelle de chacun. L’Islam a
donc franchi le pas que nous nous efforçons de franchir en théologie catholique
par notre recherche. Notre source principale est l’excellent résumé de Fdal
Haja dans son ouvrage : la mort et le jugement dernier selon les
enseignements de l’Islam[263].
Son travail a le mérite d’avoir été
approuvé par les autorités religieuses de l’Islam Chiite et sunnite. L’auteur
part d’un verset du Coran[264] :
« Il n’en pas un seul parmi les gens du
Livre à ne pas croire à lui avant sa mort, et le jour de la Résurrection Jésus
sera témoin contre eux. » Haja, s’appuyant sur les commentaires des
Docteurs qui l’ont précédé croit pouvoir interpréter de la manière suivante ce
verset : il y est dit que tout homme verra la vérité dévoilée sur son lit de
mort au point que pas un seul être humain ne mourra sans avoir reconnu avant le
vrai du faux. La vérité sera prêchée par Jésus, et les gens sauront en
particulier toute la vérité sur lui : ils sauront qu’il est homme et non pas
Dieu.
Alors la religion deviendra une, la
religion d’Abraham, le musulman, le fervent. Jésus tuera l’Antéchrist dans le
cœur de chacun, sur ordre de Dieu. Haja cite un propos prêté au prophète Mahomet
par Abu Hurayra : « Comment vous
comporterez vous au jour de l’apparition parmi vous du fils de Marie, si vous
vous comportez ainsi avec votre guide qui est pourtant des vôtres ? »
On le voit, la pensée Islamique, sans
doute grâce à une plus grande familiarité avec le genre littéraire
apocalyptique, n’hésite pas à appliquer à l’heure de la mort individuelle de
tels textes. Elle résout de cette manière sans difficulté la question du salut
des gens du Livre (juifs et chrétiens) qui vivent dans l’erreur par la faute de
leurs premiers imams. Nous ne souscrivons certes pas au contenu de la
prédication faite par Jésus sur le lit de mort mais nous reconnaissons avec
l’Islam la nécessité d’une telle prédication pour tout homme sous peine de
non-compréhension du mystère de la justice de Dieu.
Force nous est aussi de remarquer
l’importance qu’a prise en terre d’Islam la théologie du « lit de mort. » Il
s’y passe des événements spirituels d’une extrême importance pour le salut.
Victor Hugo est loin d’être un prophète
mais il est, en un certain sens un fondateur de religion, d’une sorte de culte
spirite dont les îles anglo-normandes furent la matrice. A sa façon de poète,
il fut un mystique. Nous ne pouvons résister à la tentation de citer en conclusion
quelques vers de son poème intitulé Ce qu’est la mort[265] :
CE
QUE C’EST QU’EST LA MORT
Ne
dites pas : mourir ; dites : naître. Croyez.
On
voit ce que je vois et ce que vous voyez ;
On
tâche d'oublier le bas, la fin, l’écueil.
La
sombre égalité du mal et du cercueil ;
Quoique
le plus petit vaille le plus prospère ;
Car
tous les hommes sont les fils du même père ;
Ils
sont la même larme et sortent du même œil.
On
vit usant ses jours à se remplir d'orgueil ;
On
marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe,
On
monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe.
Où
suis-je ? Dans la mort. Viens! Un vent inconnu
Vous
jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu,
Impurs
hideux, noué de mille nœuds funèbres ;
De
ses torts de ses maux honteux, de ses ténèbres ;
Et
soudain on entend quelqu'un dans l'infini
Qui
chante et par quelqu'un on sent qu'on est béni.
Sans
voir la main d'où tombe à notre âme méchante
L'amour,
et sans savoir quelle est la voix qui chante
On
arrive homme, deuil, glaçon, neige : on se sent
Fondre
et vivre : et d'extase et d'azur s'emplissant,
Tout
notre être frémit de la défaite étrange
Du
monstre qui devient dans la lumière un ange
Au dolmen de la tour Blanche, jour des
morts, novembre 1854
Victor Hugo, Les contemplations
On tremble, on se voit nu. Où suis-je ? Dans la mort... Et
soudain on entend quelqu’un dans l’infini qui chante, et par quelqu’un on sent
qu’on est béni, sans voir la main d’où tombe à notre âme méchante, l’amour.
Dans sa synthèse dogmatique, le Père J.H.
Nicolas n’a pas de mots trop durs pour attaquer une position proche de celle
que nous défendons et qu’il attribue à Boros, Glorieux et Geffré[266].
Il cite un texte de Geffré : « La mort
coïnciderait avec le premier acte pleinement personnel de l’homme. Elle serait
ainsi le lieu privilégié de la conscience de soi, de la liberté, de la
rencontre avec Dieu et de sa décision quant à sa destinée éternelle. La mort
réaliserait ainsi l’achèvement de notre dynamisme humain et épuiserait toutes
nos possibilités de choix. Cet acte ultime n’est pas à situer avant ou après la
mort. Il coïncide avec l’instant même de la mort. » Puis le Père Nicolas le
commente de la façon suivante : « Il faut
noter que c’est là pure hypothèse, absolument invérifiable, qui va plutôt à
l’encontre de tout ce qu’on peut vérifier de l’état de la personne au moment de
la mort.(...) Il n’existe pas de dernier instant qualitativement différent des
précédents. Ordinairement, la personne est au contraire extrêmement diminuée et
incapable d’agir et de décider à ce point ultime de la vie terrestre. Il est
tout à fait arbitraire d’affirmer qu’elle est à ce moment plus capable qu’auparavant
de se décider librement à l’égard de Dieu, du Christ. »
Le Père Nicolas élabore ensuite une
théorie du salut de type classique en montrant que les choix terrestres, malgré
les limites de leur liberté, suffisent à déterminer le destin éternel. Il semble
ne pas se rendre compte de la contradiction interne que présente sa théologie
puisqu’il reconnaît par ailleurs que celui qui se met en enfer ne le fait qu’à
travers un acte parfaitement libre (blasphème contre le Saint Esprit au sens le
plus thomiste de l’expression), blasphème dont il reconnaît ici l’impossibilité
puisque la liberté est limitée. De fait, il n’échappe pas à la contradiction
interne de la conception traditionnelle de l’eschatologie. Mais sa critique
contre la position de Geffré nous atteint : de fait, la faiblesse de notre
position vient du manque apparent de fondements empiriques. Notre position
est-elle si arbitraire qu’il y paraît ? C’est ce que nous allons étudier.
Cependant, qu’on ne pense pas que nous fondons notre hypothèse sur ce qui va
suivre. Il semble, en effet, que des hommes réanimés par la médecine,
témoignent d’une expérience très semblable à celle dont nous avons posé la
nécessité en théologie. Au delà de l’expérience de mort approchée (« Near Death
Experience »), c’est la logique interne de toute la foi catholique telle que
nous l’avons rapportée précédemment, qui nous a obligé à poser cette parousie à
l’heure de la mort. Nous répondrons au Père Nicolas comme à tous ceux qui
formulent ce genre de critique trop rapide : le problème n’est pas que cela
paraît arbitraire, à cause d’un manque de fondement empirique ; le problème est
de savoir si cela est nécessaire, compte tenu de qui est Dieu.
L’expérience de mort approchée, telle
qu’elle est rapportée par des personnes de plus en plus nombreuses, les progrès
des techniques de réanimation expliquant cela, n’est pas de l’ordre d’une
révélation privée. Étant vécu par un nombre important, elle entre dans le domaine expérimental de la
philosophie. Mais est-elle autre chose qu’un rêve ? Epistémologiquement,
elle ne relève donc pas de la théologie catholique mais de la philosophie. Elle
ne relève pas de la foi mais de l’expérience, même si cette expérience n’est
vécue que dans des circonstances particulières. Or, il est toujours intéressant
pour un théologien de voir le domaine de la théologie entrer en intersection
avec le sien. Nous avons prouvé théologiquement la nécessité d’admettre une
révélation à l’heure de la mort. cette révélation peut-elle être identifiée à
l’expérience de ceux qui ont approché la mort ?
En 1977, le Docteur Raymond Moody publie
chez Laffont un ouvrage intitulé la vie après la vie, suivi d’une étude
plus approfondie et critique en 1978 sous le titre de Lumières nouvelles sur
la vie après la vie. Ces deux ouvrages deviennent vite des best seller
et suscitent de vifs débats dans les milieux catholiques, où ils sont tour à
tour taxés de « religion au rabais »ou de « phénomène parapsychique. » Il
s’agit d’une sélection et d’une analyse des témoignages de plus de trois cents
personnes qui, étant passées par une mort clinique et ayant ensuite été
réanimées, ont vécu l’expérience d’un mode de vie préternaturel pendant la
durée où elles étaient cliniquement mortes. Docteur et praticien à la fois en
psychologie et en médecine, Moody était bien préparé pour mener cette étude. Sa
méthode consiste avant tout dans l’écoute des témoignages, dans leur affinement
à l’aide d’un questionnaire ciblé. Il en souligne lui-même les insuffisances.
Dans ce domaine nouveau, il lui a été impossible de suivre une méthode rigoureusement
scientifique, telle que celle du double aveugle. Les témoignages recueillis
sont d’autre part encore trop peu nombreux, et surtout ils proviennent d’un
milieu trop homogène : l’américain moyen, c’est-à-dire des chrétiens (qui ne le
sont souvent que de nom) et quelques juifs. Dans les années qui ont suivi ses
premières publications, ce handicap a été en partie supprimé et la palette des
témoignages est aujourd’hui à la fois plus large et toujours concordante. Moody
a tenté d’élargir son enquête en retrouvant des expériences analogues dans les
écrits de Platon, des Tibétains, des orphiques et dans ceux de Emmanuel
Sweedenborg (1688-1772). De son côté, le traducteur a enrichi l’enquête de
quelques témoignages relevés dans la culture occidentale catholique. Son
enquête est donc typiquement philosophique puisqu’elle par de l’expérience (non
de la foi) et cherche à en établir la nature. Certes, il n’a pas lui-même vécu
cette expérience. Il prend donc le temps de vérifier la crédibilité de ceux
qu’il interroge.
Moody est chrétien et certaines de ses
remarques témoignent d’une foi vivante. Il nous laisse donc entrevoir le regard
de sa foi sur cette expérience. Il note qu’il n’a relevé de goût pour
l’occultisme que chez cinq ou six témoins, soit avant, soit après leur aventure[268].
Et il n’a « relevé dans aucun des cas la
moindre indication concernant l’éventualité d’une réincarnation. Néanmoins, il
est juste de reconnaître qu’aucun d’eux n’élimine radicalement cette hypothèse.
»[269]
Il s’est efforcé de faire abstraction de ses convictions chrétiennes, n’ayant
indiqué sa propre lecture de ces phénomènes qu’avec la plus grande discrétion
dans sa dédicace : « A George Ritchie,
docteur en médecine, et, à travers lui, à Celui dont il a suggéré le nom. » Il
a cherché à s’assurer la collaboration d’un théologien et malheureusement il
n’y est pas parvenu, ceux qui se sont intéressés à ses recherches appartenant
comme lui au milieu des évangélistes ou fidéistes, esprits simplistes
incapables d’aborder ces faits avec une mentalité théologiquement critique.
On peut reprocher à son étude d’être,
philosophiquement parlant, involontairement tendancieuse, tant à cause des
influences de sa foi que des nécessités de son public avide de sensationnel.
Elle l’est déjà dans son titre, qui devrait être, non pas « la vie après la vie » mais : « la vie pendant la mort clinique. » Les
témoins ont en effet tous survécu à leur expérience. Ils ne sont donc pas morts
mais ont été considérés comme morts. Selon R. Chatillon, la nuance est capitale[270].
Toute l’équivoque est dans l’emploi de la préposition « après. » Il est probable que ce titre a été choisi par l’éditeur et
imposé à l’auteur par l’éditeur en raison d’arguments publicitaires. Moody ne
fait pas de mise au point, même discrète, dans son deuxième ouvrage. C’est
regrettable. Au contraire, il se permet de sortir de son objectivité de
clinicien pour interpréter les témoignages d’une façon tendancieuse, dans le
sens de l’équivoque suggérée par le titre. En ce qui concerne les témoins, il
est remarquable de constater qu’ils demeurent objectifs. En général, ils n’ont
pas de culture religieuse concernant les fins dernières, aussi leur témoignage
n’est pas entaché d’influences idéologiques extérieures. Or, ils retrouvent
pour décrire l’inexprimable les mêmes mots : la rencontre avec « l’être de lumière » est à cet égard
significative.
On peut adresser une autre critique à
Moody : il fait œuvre de clinicien aussi il s’efforce d’isoler dans les
témoignages les phases les plus significatives. Il s’ensuit malheureusement que
très peu de relations sont données dans leur ensemble et d’une seule venue, en
particulier les expériences les plus complètes et les relations les plus
détaillées. De plus, l’auteur a peu développé la phase ultime, celle qui à notre
avis est essentielle et va dans le sens de notre hypothèse : les fruits de la
vision de l’être de lumière, la conversion à une vie spirituelle.
Dans un premier temps, il est légitime de
se demander ce que nous entendons par ce terme d’expérience. Il ne s’agit pas d’expérience au sens d’expérimentation
scientifique. Le film intitulé L’expérience
interdite, sorti sur les écrans en 1993, raconte une approche de ce type
réalisée par un groupe d’étudiants qui veut observer ce qui se passe de l’autre
côté de la mort. Dans ce but, ils provoquent artificiellement la mort clinique
de l’un d’entre eux. Leur expérience, quoique très risquée (c’est ce que veut
montrer le film), est de type scientifique. En ce qui nous concerne, nous
prenons ce mot dans son sens très général, à savoir celui d’une aventure vécue
au plan extérieur ou intérieur, sans chercher dans un premier temps à
déterminer sa vérité ou son caractère purement imaginaire. Notre étude comporte
trois parties :
1- Description.
2- Analyse et recherche critique au plan
philosophique et théologique.
3- Conclusion et confrontation à notre
hypothèse.
A la lecture des divers témoignages, nous
pouvons discerner diverses phases dans l’expérience de mort approchée. Toutes
ne sont pas décrites par tous les témoins. Il s’agit d’éléments divers qui en
général ont été vécus dans leur ensemble, quoique l’un ou l’autre puisse
manquer. Par ailleurs, même dans les expériences les plus complètes, la
rencontre avec l’être de lumière fait parfois défaut. Notons qu’aucune de ces
phases n’est conditionnée par la mort clinique. Il peut arriver qu’un simple
état de choc à la suite d’un accident suffise. L’auteur en donne des exemples.
Enfin, il faut remarquer que les témoins sont unanimes à dire que leur
expérience est inexprimable. Ce qu’ils en disent n’est qu’un effort pour
l’exprimer en images sensibles.
La première phase, la moins profonde et la
plus vécue, est décrite ainsi : le mourant entend des bruits désagréables ou au
contraire des sons harmonieux, et se sent emporté dans un tunnel obscur ou une
spirale. Ce phénomène est connu dans d’autres cas comme lors d’une anesthésie à
l’éther ou d’une prise de fortes doses de drogue. Il semble que c'est une
réaction purement psychique, une réaction du cerveau au choc de la mort
approchée. Cette phase ne présente donc pas d’intérêt.
La deuxième phase est
beaucoup plus intéressante et méritera une étude particulière. Le mourant se
retrouve soudain hors de son corps physique. Il constate qu’il peut regarder
son corps en dehors de lui-même, de la même manière que tous les objets
extérieurs qui l’entourent. Il voit, il entend parler ceux qui entourent son corps, personnel médical ou
famille. Certains récits émanant d’aveugles de naissance témoignent d’un retour
à la vue. Le corps dans lequel se retrouve le mourant est une entité
particulière, invisible à ceux qui sont vivants dans la pièce et incapable de
communiquer avec eux. Il est doté de propriétés étonnantes. Il obéit à la
volonté de telle manière que le désir de passer dans une autre pièce est
immédiatement exécuté, en passant à travers les murs. Il peut lire les pensées
de ceux qui sont présents (télépathie ?) Le mourant éprouve alors en général un
sentiment de grande inquiétude : il ne comprend pas ce qui lui arrive. Tout se
passe comme si ce n’était pas l’âme seule qui quitte le corps, mais un être
plus complexe, immatériel mais jouissant encore de facultés corporelles. Avec
quelques témoins, l’auteur le désigne sous le nom équivoque de « corps
spirituel »[271].
Cette décomposition de l’être humain semble accompagner nécessairement la mort
clinique sans que cette mort en soit la condition nécessaire, puisque certains
témoignages connus en parapsychologie attestent de décorporations provoquées
volontairement ou sous l’influence de drogues.
Il arrive souvent qu’à cette étape ou plus
tard, des parents ou amis décédés, et quelquefois des inconnus, se montrent.
Ils se présentent dotés d’un corps « spirituel »semblable à celui du mourant.
Ils veulent aider le mourant. Par ailleurs, à une étape que les témoins ne
parviennent pas à préciser, certains ont rencontré des « âmes en peine »[272].
Cette quatrième phase est la plus
importante à nos yeux et dans le cadre de cette étude. Nous reviendrons donc de
manière particulière et critique sur elle ultérieurement.
Le mourant se trouve face à une grande
lumière blanche (donc sensible et non seulement spirituelle.) Elle est décrite
invariablement comme un être doué de
personnalité, débordant d’un amour miséricordieux. Certains précisent
qu’ils se sentent aimés « tels qu’ils sont. » Immédiatement ou bientôt, ils se
sentent envahis par de la joie et de la paix, d’une manière inconnue de telle
sorte qu’ils ne désirent plus revenir dans le monde qu’ils viennent de quitter.
Nous voici au noyau de l’expérience. Il
est ressenti à la fois comme surnaturel et humain, bien qu’aucun des témoins
n’emploie ces mots. Cet « être de lumière » comme le qualifient la plupart,
n’est pas rencontré par ceux qui se trouvent en état de mort clinique à la
suite d’un suicide, au moins dans les expériences étudiées par l’auteur. Les
souffrances de ces témoins particuliers demeurent cependant relatives. Une
femme raconte que les circonstances qui l’avaient poussée au suicide « en étaient toujours au même point. »
C’était comme si la même chose se répétait sans cesse, un éternel retour »[273].
Un témoin précise : « Je ne voyais pas
seulement tout ce que j’avais fait (de mal) mais même les répercussions que mes
actes avaient entraînées pour d’autres personnes »[274].
C’est une expérience difficile, mais elle ne nous permet pas d’y voir l’enfer.
Moody nous semble sortir de sa méthode et de ses compétences de cliniciens en
se permettant cette conclusion. Quand on lui demande si quelque témoin a vu
l’enfer, il répond qu’aucun d’eux n’a été un grand pécheur, et il évoque ce que
peut être la souffrance par exemple d’un des responsables des atrocités nazies,
confronté non seulement à ses actes, mais à leurs conséquences. Il se déclare
incapable « d’imaginer un enfer plus
horrible, plus fondamentalement insupportable que celui là »[275].
Et pourtant, il manque à l’enfer tel que l’imagine Moody la qualité particulière
qui le distingue de tout ce qu’on peut appeler purgatoire : la volonté libre et
obstinément maintenue face à la révélation de l’amour de Dieu, de ne pas se
convertir.
De même, ceux qui n’ont pas connu la mort
clinique ne connaissent en aucun cas une rencontre avec l’être de lumière.
« Pas
un seul de mes sujets, écrit l’auteur, n’a
exprimé le moindre doute quant au fait qu’il s’agissait d’un être, d’un être de
lumière. Et qui plus est, cet être est une personne, il possède une
personnalité nettement définie. Il émane de lui une chaleur et un amour à
l’adresse du mourant qu’il est postérieurement impossible de décrire. Le témoin
est comme envahi et transporté hors de lui par cet amour ; il s’abandonne en
paix à celui qui l’accueille et, en même temps, il voudrait ne jamais le
quitter. L’être de lumière est attirant, magnétique et l’homme est
inéluctablement entraîné. Tous les témoignages sont unanimes sur ce point. Par
contre, lorsqu’il s’agit d’identifier l’être de lumière, les réponses varient
et sont en dépendance des antécédents, de l’éducation et des croyances
religieuses de chaque individu. Ainsi, la plupart de ceux qui ont été élevés
dans la tradition et la foi chrétiennes identifient cette lumière au Christ.
(...) Un homme et une femme de tradition israélite voyaient en cette entité un
ange (...). Un homme qui n’avait reçu ni croyance ni éducation religieuse
parlait simplement d’un « être de lumière. » Cette même appellation a également
été
utilisée par une dame professant la foi chrétienne et qui, apparemment, ne se
sentait nullement portée à considérer que cette lumière était le Christ.
»[276]
Avant de procéder à l’étude du rôle de cet
être de lumière au cours de la revue de la vie passée, nous pouvons nous
arrêter à un témoignage exceptionnel qui ne comporte ni revue de la vie, ni
mort clinique, et qui fut pourtant très complexe. Trois jours avant une
opération critique, apparemment au cours d’un évanouissement, l’être de lumière
apparut à ce témoin et l’invita à le suivre. C’est alors seulement que se
produisit la décorporation. Il fut conduit à la salle de réanimation : il
n’allait pas survivre à l’opération et « l’être
ne voulait pas que je prenne peur au moment où mon esprit quitterait mon corps,
il voulait me faire reconnaître ce que j’éprouverais à l’instant du passage,
parce qu’il ne m’apparaîtrait pas immédiatement ; Il fallait que je passe
d’abord par d’autres épreuves. Mais il me promettait de tout surveiller d’en
haut, et se présenterait à moi tout à fait à la fin. » Jusqu’au lendemain
matin, le malade se sentit tout à fin calme : « Je me rendais compte que j’allais mourir et je n’en concevais ni regret
ni terreur. » Puis, il se sentit préoccupé par le sort d’un neveu qu’il
avait adopté, et se mit à rédiger une lettre posthume pour sa femme et pour son
neveu, et bientôt il fondit en larmes. Il sentit alors de nouveau la présence
de l’être de lumière, qu’il prit d’abord pour une infirmière : « Pourquoi pleures-tu ? Je pensais que tu
serais heureux de venir à moi. » Il songeait : « Oui, c’est vrai, je le désire vivement »- « Alors, pourquoi pleures-tu ? »Le malade expliqua le souci qu’il
avait pour le sort de son neveu. L’être répondit : « Parce que tu intercèdes pour quelqu’un d’autre, parce que tu penses à
autrui et non à toi-même, je vais t’accorder ce que tu demandes. Tu vivras
jusqu’à ce que ton neveu ait atteint l’âge d’homme. » Le lendemain,
l’opération fut menée à bien et, à la grande surprise des docteurs, il n’y eut
pas besoin de technique spéciale de réanimation.[277]
La rencontre avec l’être de lumière est
intense et se prolonge dans un dialogue, non fait de paroles articulées mais
d’intuition directe. Une question est posée qui invite le mourant à faire le
bilan de sa vie. Selon les témoins, il s’agit d’un « jugement. »
Le mourant relit sa vie en compagnie de
l’être de lumière. Auparavant, il comprend qu’une question lui est posée. La
question n’est pas formulée verbalement aussi elle est traduite de manière
diverse par les témoins. Le docteur Moody en donne plusieurs formulations[278] :
« Es-tu préparé à la mort ? - Qu’as-tu
fait de ta vie, que tu puisses me montrer ?- Qu’as-tu fait de ta vie que tu
estimes suffisamment ? - Veux-tu mourir ? - Est-ce que cela valait la peine ? -
M’aimes-tu ? - Jusqu’à quel point as-tu appris à aimer ?- Te sens- tu capable
d’aimer les autres avec la même intensité que je t’aime ? » Chez plusieurs
autres témoins, la formulation est presque identique. Tandis que se déroule le
film de la vie, l’être de lumière accompagne tel un guide le mourant et la
miséricorde qui émane de lui rend l’expérience pleine de compréhension et non
de condamnation. Dans cette lumière, même les actions mauvaises prennent un
aspect positif. Un témoin déclare : « Il
insistait aussi sur l’importance de la connaissance. Il me signalait sans arrêt
tout ce qui a rapport avec apprendre. Il m’a dit que j’allais devoir continuer
(parce que, entre temps, il m’avait révélé que j’allais revivre). Il y aurait
toujours en moi un besoin de savoir. Il m’a dit que c’était un besoin
permanent, d’où j’ai conclu que cela doit continuer après la mort. Je crois
bien que son but, en me faisant assister à mon passé, était de m’instruire.
» [279]
Cela s’est traduit chez ce témoin par un changement de vie vers une conversion
au savoir qui permet de mieux aimer. Ce témoignage manifeste le caractère
pleinement humain, quoique souverain ou transcendant, de l’intervention de
l’être de lumière.
Un témoin qui ne semble pas avoir vu le
film de sa vie ou qui a omis de le mentionner, déclare : « J’imagine maintenant que cette voix qui me parlait a dû constater que
je n’étais pas du tout prêt à mourir. Elle voulait simplement me mettre à
l’épreuve, sans plus. Et cependant, à partir du moment où elle a commencé à
parler, je me suis senti délicieusement bien, protégé et aimé. L’amour qui
émanait de la lumière est inimaginable, indescriptible. Et, par dessus le
marché, elle dégage de la gaieté! Elle avait le sens de l’humour, je vous
assure! »[280].
L’être de lumière reste présent et assiste
le mourant dans son examen. Il peut y avoir une vue rapide et intense de leur
vie passée que les témoins décrivent comme un film d’une rapidité vertigineuse,
comme une vue panoramique et pourtant détaillée. Certains précisent qu’ils se
voyaient objectivement, se reconnaissant par exemple enfant.
Le mourant se trouve ensuite devant une
sorte de passage, de frontière qui semble figurer le point de non-retour de
l’au-delà. Elle se présente sous la forme de nombreux symboles sensibles :
rivière, mur, précipice, prairie. A ce moment, il lui est indiqué par l’un de
ses proches ou par l’être de lumière qu’il lui faut retourner en arrière. Assez
souvent, il en prend lui-même la décision, avec la permission de l’être de
lumière, souvent parce que ses enfants ou ses proches ont besoin de lui. Il
peut y avoir un combat intérieur tant la paix de ce qui est vécu contraste avec
l’état habituel du monde des hommes. A son grand regret, il se retrouve dans
son corps. Ce regret est moins sensible lorsque l’être de lumière n’a pas été
rencontré.
Après le retour dans le corps, le témoin
ne trouve pas de mots pour décrire son aventure. Il pense pourtant l’avoir
vécue comme « quelque chose de réel, de
plus réel non seulement que le rêve, mais que la réalité elle-même. » La
distinction avec le rêve lui paraît en tous cas évidente. S’il essaie d’en
parler, on ne le prend pas au sérieux. Mais la vie et la mort prennent pour lui
un sens nouveau. Il peut se produire une véritable conversion du comportement
et des finalités de la vie : aimer son prochain et se préparer à la rencontre
avec l’être de lumière. S’il n’a pas rencontré l’être de lumière, il s’efforce
en général d’oublier cette aventure plus mystérieuse qu’angoissante.
Qu'est-ce
qu'une NDE ou Expérience de Mort Imminente
Quelques remarques générales au sujet des N.D.E. Pour
plus de commodité, nous utiliserons le terme anglo-américain d'expérienceur
pour désigner toute personne ayant vécu une N.D.E. (Near Death Experience) ou
Expérience de Mort Imminente (E.M.I), encore appelée E.F.M (Expérience aux
Frontières de la Mort). Ce qui est remarquable dans les N.D.E., c'est que nous
retrouvons tous les mêmes phases, bien qu'il n'y ait pas deux N.D.E.
identiques. Cependant, dans la réalité, nous qui avons vécu cette expérience,
nous ne connaissons que très rarement l'intégralité des étapes répertoriées ci-après.
Généralement, nous ne vivons que quelques-unes d'entre-elles et l'ordre dans
lequel se déroule ces étapes diffère d'une N.D.E. à l'autre. Tous les
chercheurs s'accordent malgré tout pour dire qu'il existe une
"structure-type" de la N.D.E., une sorte de modèle de référence, dont
ils soulignent les caractères d'invariabilité et de permanence, quelle que soit
la culture, l'époque, la zone géographique, l'âge, le sexe ou la religion du
sujet. Cependant, il ne faut jamais perdre de vue que la N.D.E. est une
expérience globale et globalisante qui se prête mal à une dissection
parcellaire de ses éléments que l'on essaierait ensuite de relier entre eux par
des liens de cause à effet. En réalité, cette expérience se situe tellement
au-dessus de la capacité de nos outils analytiques habituels que toute
tentative visant à la comprendre en la divisant et en l'émiettant, en quelque
sorte, s'expose inexorablement à en travestir la véritable nature. La
possibilité d'expérimenter une N.D.E serait donc une constante universelle, une
possibilité inhérente à la condition humaine qui ne serait ni rare, ni récente.
Par ailleurs, les N.D.E. sont remarquables par la richesse de leur contenu.
Potentiellement, elles comportent une prodigieuse variété‚ de thèmes de
réflexions et d'interrogations, ainsi que des voies de recherches prometteuses
dans des domaines aussi différents que la physique quantique, par exemple, ou
l'existence d'entités immatérielles désignées comme étant des "anges"
ou des "guides. » D'ailleurs, ceux qui s'intéressent aux N.D.E. découvrent
bien vite en les étudiant qu'il semble impossible d'épuiser l'immense champs de
recherches qu'elles contiennent à l'état latent. Pour établir cette
"structure-type », nous nous sommes inspirés des travaux du Docteur
Raymond Moody, et surtout de son livre fondateur "La vie après
la vie. » Nous avons puisé aussi dans l'œuvre du Professeur Kenneth
Ring et principalement dans ses deux excellents livres intitulés : « Sur
la frontière de la vie » et « En route vers Oméga. » Le
livre d'Evelyn Elsaesser-Valarino, « D'une vie à l'autre »
(cf. Le Grain de Sable n° 2 p. 21) nous a été d'une grande aide également.
Enfin, nos témoignages ont complété utilement ces recherches
Les principales étapes de la
N.D.E.
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Lorsque la
N.D.E. survient lors d'un accident ou d'une maladie par exemple, notre état
interne (physiologique et organique) est généralement dégradé. Nous entrons
alors dans le processus de mort et les mécanismes physiologiques correspondants
sont amorcés. Il peut alors être enregistré, si l'on est dans un milieu
médical, une perte de connaissance, un arrêt cardiaque brusque, un
électro-encéphalogramme plat, un pouls indétectable, une respiration
imperceptible,. Lors de cette étape, les conditions
physiologiques objectives sont réunies pour aboutir réellement à la mort. Pour
ceux qui l'ont vécu, l'intégrité physique est gravement menacée. Certains ont
d'ailleurs eu le sentiment que leur mort était proche, alors que d'autres n'en
ont pas eu conscience du tout. Une restriction notoire est à apporter ici car
il existe des cas où des N.D.E. se sont produites en dehors de tout risque
mortel. Il n'est donc pas nécessaire d'être physiquement proche de la mort pour
vivre une N.D.E. Cette restriction est importante, car elle montre que la
N.D.E. n'est pas intrinsèquement liée à la détérioration des fonctions
biologiques de l'organisme. Cette remarque pourra nous servir à valider, par
exemple, le rapprochement entre N.D.E. et expériences religieuses, mystiques ou
initiatiques, que nous développerons dans de prochains articles. Il semblerait
pourtant que le sentiment de mort inéluctable intensifie extrêmement l'impact
concret de l'expérience par la suite, dans la vie de ceux d'entre-nous qui
l'ont éprouvé. Leur regard sur la mort est définitivement et très profondément
changé. Peut-être pourrait-on dire que si toutes les N.D.E. changent le regard,
celles qui ont été vécues en conscience de mourir réellement, ancrent une
certitude totale que la mort n'est qu'un passage et transforme profondément le
regard sur la vie.
L'étape
autoscopique correspond à l'épisode de sortie hors du corps. Ceux d'entre-nous
qui l'ont connue vivent une décorporation (appelée O.B.E. Out of Body
Expérience - expérience hors du corps). Lors de cette décorporation, ils voient
leur corps, sans le reconnaître tout de suite quelquefois s'ils n'ont pas
l'immédiate conscience de ce qu'il leur arrive. Ils éprouvent une sensation de
légèreté, et ils flottent au-dessus de leur corps inerte. Certains
"voient" à 360°, dessus et dessous à la fois, d'autres normalement,
mais tous voient très distinctement les détails et l'ensemble, avec une clarté‚
très particulière. En milieu hospitalier par exemple, ils "voient" et
"entendent" très bien le personnel médical s'affairer autour de leur
corps pour les ramener à la vie. Ils ont très souvent la faculté de lire dans
la pensée des personnes présentes. Ils découvrent souvent leur nouvel état en
se découvrant planer au plafond. Il semblerait que beaucoup réalisent seulement
à ce moment-là, de par ce qu'ils "voient" et "entendent"
qu'ils sont en train de mourir, souvent avec un étrange détachement. D'autres
se déplacent au travers d'objets matériels, de personnes, de murs, etc.,
déplacement très rapide, à la vitesse de la pensée, avec la possibilité de se
rendre très loin de leur corps physique, auprès de leurs enfants par exemple,
ou ailleurs, dans une évidence simple et sans questionnements. Certains vivent
cet épisode conscients du changement de la relation à l'espace, d'autres ne
réalisent l'étrangeté de ce passage qu'après l'expérience. Certains d'entre-nous,
dont Carl-Gustav Jung, un des créateurs de la psychanalyse, sont sortis de leur
corps, ont quitté notre planète, et se sont retrouvés dans l'espace au-dessus
de l'atmosphère terrestre. Certains disent s'être ressentis dans un « corps
subtil éthérique », d'autres se sont perçus comme une conscience, d'autres
encore n'ont rien de spécial.
Ceux qui
l'ont vécue sont envahis par un grand calme et une paix profonde. Leurs
douleurs physiques, même les plus vives, ont disparues pour laisser place à un
bien-être paisible et serein. Au cours de cette phase, ils vivent un
élargissement de la conscience. Etrangement, la capacité de penser, de
raisonner et de comprendre non seulement n'a pas disparue mais au contraire
apparaît comme très rapide, fluide, claire et instantanée. La majorité
d'entre-nous dit avoir vécu sa N.D.E., dans ces nouvelles conditions
d'existence, comme si une version élargie de l'être s'exprimait. Un sentiment
d'être plus authentiquement nous-mêmes, ayant pris conscience que la
personnalité n'est, en définitive, qu'un aspect contracté et limité de l'être
véritable. Comme si nous découvrions un "moi" supérieur et
transcendant, possédant des facultés plus développées que notre "moi"
terrestre.
La plus
grand partie d'entre-nous est aspirés dans une sorte de tunnel, ou dans un
couloir étroit, voire dans une "canalisation », et même parfois dans un « cône
», plus rarement un "vide noir. » Il existe cependant des expériences dans
lesquelles le tunnel est clair ou de lumière ou un « passage d'énergie
protectrice. » Nous ne savons pas où nous sommes mais nous ne sommes pas
angoissés, au contraire. Nous sommes calmes et sereins, certains expriment la
curiosité de cette situation impensable. Nous nous déplaçons, pour la plupart,
très rapidement dans ce tunnel. La vitesse est si prodigieuse que certains ont
l'impression qu'ils se sont déplacés plus vite que la vitesse de la lumière et
ont franchi d'énormes distances (un nombre infini de kilomètres disent-ils) en
un temps presque nul. A un moment de ce parcours dans le tunnel, nous percevons
tous la Lumière, qui devient de plus en plus intense. Certains s'en sont
retournés à ce moment-là, simplement parce qu'ils en ont éprouvé de la crainte.
Mais en général cette Lumière nous attire. Elle est fascinante et exerce sur
certains un attrait irrésistible, magnétique. Ils ressentent un besoin profond
de la rejoindre. Dans le tunnel, certains perçoivent des sons, plus ou moins
harmonieux. Cela va de musiques d'une beauté indicible aux simples sifflements,
en passant, mais plus rarement, par des sons pouvant être pénibles et
dérangeants. D'autres y rencontrent leurs « disparus », des « guides »
ou des « anges », en tout cas des entités qu'ils perçoivent comme tels.
Ceux qui
ont vécu cet épisode décrivent les "guides" comme étant des entités
spirituelles, ou les assimilent parfois aux anges gardiens. Ils les ont
rencontrés à des étapes différentes. Quelquefois, ils sont venus vers eux dès
la phase de décorporation, la prise de conscience de notre mort est immédiate
dans ces cas-là- ou dans le tunnel qu'ils ont aidé à traverser. D'autres fois,
dans la Lumière. Ils nous accompagnent presque toujours dans les revues de vie
et dans les prises de décision de notre retour sur terre. Les entités perçues
comme "guides" sont toujours bienveillantes. Elles peuvent, selon le
cas, prendre apparence humaine, mais avec un corps subtil éclatant, souvent
revêtus d'une tunique blanche qui descend jusqu'aux pieds (à noter que les pieds
sont souvent invisibles). Elles peuvent aussi se présenter uniquement sous une
forme lumineuse indéfinie, très puissante, sorte de foyer énergétique de
Conscience pure, neutre et impersonnel. Parfois, aucune forme n'a été vue mais
il a été ressenti une présence et entendu (ou non) le son d'une voix. Ces
"rencontres" communiquent télépathiquement guident et rassurent.
Elles répondent à toutes les questions. Cette communication est comparable à un
transfert immédiat de la pensée et des idées, sans aucun obstacle, « circulant"
dans une absolue clarté, sans équivoques. Les concepts sont perçus comme une
vérité évidente et limpide, sans que le doute d'une erreur ou d'un mensonge
n'effleure. Nous sommes nombreux à dire que nous recevions la réponse immédiate
à la moindre pensée ou question qui nous venaient à l'esprit. Les pensées sont
émises et reçues sans l'intermédiaire d'un langage particulier ; elles sont
simplement et immédiatement comprises et l'information "circule" à ce
moment, de façon instantanée. Lors de N.D.E. provoquées par un accident, il
arrive que les "guides" conseillent des gestes précis pour éviter de
plus graves blessures, ou tout simplement pour sauver la vie. Des chercheurs
ont remarqué que les "guides" apparaissent très souvent dans les
N.D.E. d'enfants et qu'ils prennent alors très souvent une apparence féminine.
Lorsque la rencontre se fait avec un foyer de conscience impersonnel, la
communication peut prendre la forme d'une mémoire retrouvée. Elle semble en connexion étroite avec la Connaissance intégrale à laquelle
elle donne souvent accès.
La plupart
d'entre-nous, une fois le tunnel franchi, sont entrés dans ce que nous
décrivons tous comme une Lumière d'une beauté ineffable, qui, bien qu'étant
très brillante (blanche ou dorée) et d'une force inimaginable sur terre, ne
brûle pas, n'aveugle pas, n'éblouit pas. Certains récits la comparent au soleil
ou à un coucher de soleil dont on peut regarder les rayons en face sans être
incommodé. Mais pour la majorité, elle est indescriptible en langage humain.
Elle est perçue comme une grande puissance vibratoire, une Energie vivante,
quelquefois un Etre. Certains y perçoivent des couleurs vives, cristallines.
Pour d'autre, elle apparaît comme une sorte d'arc-en-ciel supraterrestre. Une
sensation de chaleur douce y est souvent associée. Elle les enveloppe, les
pénètre. Elle est en eux. Il se passe une fusion entre la Lumière et eux. Elle
est eux, ils deviennent Elle, tout en conservant leur individualité. Ceux
d'entre-nous qui sont rentrés dans la Lumière, ne se préoccupent plus de leur
existence terrestre, ni de leur corps, ni de leurs famille ou amis (pour nos
enfants la question est plus délicate). C'est la béatitude. Ils sont dans un
état où seule existe la Lumière et une forme sublime et transcendante de leur
conscience. La Lumière est pour eux un univers, une "porte"
permettant l'accès à autre plan que celui que nous connaissons. Quand ils
pénètrent dans la Lumière, ils vivent diverses expériences qui restent pour eux
d'une importance primordiale. La Lumière dispense un Amour inconditionnel qui
n'a pas d'équivalent sur terre. Ils sont submergés d'un Amour absolu, d'une
profondeur et d'une pureté imaginable, qui enveloppe l'ensemble de
l'expérience. Certains Le reçoivent, baignent dedans dans un bonheur serein et
total ; d'autres Le perçoivent comme émergeant d'eux-mêmes et deviennent source
d'un amour indicible. L'Amour est partout, Il est tout, le commencement et la
fin de tout, l'essentiel, le sens du "Graal. » Cette perception de l'Amour
marque souvent ceux qui l'ont vécue à jamais, et beaucoup en garde une profonde
et douloureuse nostalgie. En général, elle change en profondeur leur perception
du monde et des relations, et participe de manière essentielle aux changements
de valeurs qui suivent pratiquement toujours le retour à la vie.
La
connaissance Intégrale :
La
connaissance intégrale Pour ceux qui ont eu accès à la connaissance
universelle, tout s'est passé comme s'ils avaient eu accès à une vision
absolument prodigieuse concernant la totalité de l'univers. Pour les uns, flot
continu d'informations, pour les autres "océan de connaissance. » Ils
reviennent avec le souvenir d'avoir contemplé tous les secrets de l'univers,
dans une compréhension étendue du début à la fin des temps, - paradoxalement
sans début ni fin puisque temps et espace étaient abolis, d'avoir découvert le
secret du cosmos, de l'espace et du temps, d'avoir perçu l'harmonie parfaite de
toutes choses et les liens qui unissent les êtres et tout ce qui existe, d'avoir
compris que nous faisons tous partie d'un ensemble harmonieux, universel, dans
lequel nous sommes tous interdépendants où tout est interdépendant, d'avoir vu
profondément l'unicité de toute chose et de tout être, vu le sens de la vie en
général, de la leur en particulier. Cette Connaissance dépasse infiniment toutes les formes de connaissances
humaines, les capacités de compréhension intellectuelle et les capacités
cognitives humaines. Aucun mot ne peut la retranscrire sans la réduire. Beaucoup disent avoir eu le sentiment de retrouver ce savoir, comme s'il
avait toujours été en eux. Cette expérience de Connaissance est reçue le plus
souvent dans la Lumière mais peut aussi être dispensée par des "guides. » En
réintégrant leurs corps, ils ont reperdu cette mémoire mais ils sont nombreux à
dire la retrouver par bribes, le plus souvent au cours des lectures faites dans
cette passion de connaître que déclenche la N.D.E. chez beaucoup. Pendant toute
cette phase de la Lumière, ils parlent tous d'extase, de béatitude, mots qui
pour la plupart d'entre eux restent trop faibles pour exprimer ce qu'ils ont
vécu. Une paix, absolue, un sentiment radieux de perfection, une joie et un
bonheur incomparables à ceux qu'ils ont pu vivre sur terre. Ils sont nombreux à
dire avoir retrouvé là-bas leur "maison », leur "vraie demeure », leur
"patrie. » Ils étaient de retour chez eux, enfin, après les tempêtes et
les épreuves de la vie. Pour ceux qui ont reçu l'Amour et la Connaissance
intégrale, il est indéniable que le stade de la Lumière représente la phase
centrale et décisive de la N.D.E., son "noyau dur », « l'expérience
centrale" selon Kenneth Ring, son coeur rayonnant. C'est la phase
transcendante par excellence, une expérience cruciale, d'une profondeur et
d'une beauté indescriptibles. La grande majorité de ceux qui ont vécu cette
phase reviennent à la vie avec un regard sur le monde tout autre. Elle est à
l'origine des plus profonds changements de valeurs, elle bouleverse tous les
repères, les structures et les croyances antérieures. C'est elle qui entraîne les plus grandes transformations, les plus grandes
perturbations aussi, la plus grande nostalgie.
La phase du
panorama de la vie peut survenir dès le tout début de la N.D.E. Dans ce cas,
elle se déclenche le plus souvent lors d'un événement brutal : accident, ou
noyade par exemple. On peut tout aussi bien la rencontrer dans le tunnel ou
dans la Lumière. Ceux qui l'expérimentent la vivent comme une revue
panoramique, vivante, hors du temps, en trois dimensions, parfois de leur vie
entière, parfois seulement des événements essentiels. Elle est revécue
profondément, non seulement ses actions et réactions mais aussi ce qu'elles ont
provoqué chez autrui. C'est alors qu'ils comprennent leurs erreurs et leurs
impacts. Personne ne les juge, simplement les causes et les effets de leur
comportement deviennent évidents. Beaucoup perçoivent aussi une question, telle
que : - Qu'as-tu fait de ta vie ? - Qu'as-tu fait de ta vie que tu puisses me
montrer ? - Qu'as-tu fait de ta vie que tu estimes suffisant ? - Qu'as-tu fait
pour autrui ? - As-tu aimé suffisamment autrui ? Cette question ne suggère ni
condamnation ni jugement quelconque, plutôt une aide à prendre conscience des
vraies valeurs de la vie, une obligation à voir l'essentiel. Ce qui paraissait
important sur terre (situation sociale, argent, possessions matérielles,
notoriété, succès mondains, réussite scolaire, etc.), devient secondaire dans
la Lumière. De même, les simples actes d'amour et de vérité, jugés
insignifiants sur terre, prennent alors une dimension insoupçonnée et une
valeur considérable. Ils comprennent l'importance primordiale de l'Amour. Les
actes sont appréhendés par rapport au degré d'Amour qui les a inspirés. Ils
découvrent que le critère fondamental d'évaluation de la conduite humaine est
l'Amour. Toute leur vie est pesée à l'aune de l'Amour. Les actes accomplis par
et avec Amour et authenticité sont essentiels, seuls facteurs de progrès
spirituels. Le panorama de la vie s'effectue devant une entité bienveillante et
aimante, un "guide" ou un "ange" ou un foyer d'énergie
lumineuse. Cette présence ne juge pas, elle pointe seulement les actes adéquats
ou inadéquats. La confrontation avec le panorama de vie est pour ceux qui le
vivent une grande source d'enseignement et de compréhension. Pour certains,
cette vision ne s'est pas limitée au passé et s'est étendue à leur avenir.
D'autres y ont revécu des scènes de vies antérieures. D'autres encore ont vu le
futur de l'humanité. Généralement, ce qui leur est montré concerne des catastrophes
naturelles (inondations, tremblements de terre, activité volcanique accrue,
etc.), des guerres, des famines, et des problèmes engendrés par la pollution. La
leçon qui se dégage de ces images est que si l'humanité s'entête dans ses
erreurs et ses errements actuels, il lui faudra bientôt affronter de
redoutables épreuves.
Les
rencontres peuvent avoir lieu, elles aussi, à différents stades de la N.D.E.,
dans la Lumière, dans le tunnel, lors de la décorporation, voire même dès la
première étape d'entrée dans la mort. Ceux qui les ont vécues rencontrent des
parents, des amis, dont certains qu'ils n'ont jamais connus (un grand-père mort
avant leur naissance, par exemple). D'une manière générale, les défunts
viennent spontanément à leur rencontre pour les accueillir et pour les aider à
aller plus loin si la rencontre a lieu dans les premières étapes de
l'expérience. Il peut y avoir une seule personne, plusieurs, ou parfois même
toute une "foule », en général, très heureuse de les accueillir. Se vivent
toujours de joyeuses retrouvailles pleines d'amour, comme après une longue
séparation. Dans d'autres cas, les défunts se contentent de sourire en silence.
Lorsqu'il y a communication, elle est télépathique. Ils peuvent leur apparaître
dans une sorte de corps subtil diaphane, réplique exacte de leur corps
terrestre, sans aucune trace de dommages, même si leur mort avait été violente
(par exemple : accidenté.).
En sortant
du tunnel, certains d'entre-nous arrivent directement dans une sorte de paysage
surnaturel d'une très grande beauté. Les visions décrites sont soit de
magnifiques jardins, des prairies, des paysages champêtres analogues à nos plus
belles campagnes. Mais la splendeur de ces paysages ne trouve aucun équivalent
terrestre. Il y règne une telle perfection qu'elle fait dire à certains avoir
l'impression d'avoir séjourné au « Paradis. » Cette mention fait aussitôt
penser au fameux jardin d'Eden mentionné dans la Bible et dans toutes les
autres descriptions paradisiaques mentionnées dans les autres traditions. La
mort semble bannie de cette étrange contrée. Aucune feuille fanée, aucune branche cassée, aucun arbre sec ne viennent
rompre le charme fascinant de ces lieux. Là-bas, tout paraît extraordinairement
vivant. Ceux qui ont eut la chance de cette fabuleuse visite disent y avoir
observé une très grande variété de fleurs, de plantes, souvent totalement
inconnues. Des fleurs qui, par exemple, réagissent au touché en changeant de
couleur. Certains perçoivent cette flore fantastique comme interagissant avec
leur conscience. Cette nature bienveillante, harmonieuse et parfaite, leur
donne l'impression d'être en osmose totale avec leur état d'esprit. On peut y
rencontrer des animaux (chevaux, oiseaux, etc.), de même que des chemins, des
ponts, des lacs, des clôtures, des vallées, et même pour certains des
habitations. Jamais et en aucun cas il n'y a été rencontré une quelconque
hostilité. Tout est d'une telle harmonie et d'une si étonnante beauté que ceux
qui l'ont contemplé ne peuvent l'oublier.
Certains
d'entre-nous ont visité de véritables "villes de lumière. » Elles sont
généralement immenses et ressemblent à nos cités terrestres. Elles ont leurs
rues, des jardins extraordinaires et des édifices divers. Elles sont
construites avec des matériaux transparents, semblables à du plexiglas et qui
ont souvent la forme de briques cubiques, dans lesquelles brille une
"lumière d'or et d'argent. » La lumière qui les illumine semble provenir
tout autant du centre de la ville que des bâtiments eux-mêmes. Tout y respire
la clarté, la pureté, l'harmonie, la beauté, la douceur et l'Amour. Dans ces
récits, la ville est souvent en liaison étroite avec la Connaissance intégrale,
tout comme la rencontre des foyers d'énergie pure. En effet, certains édifices
ressemblent à des cathédrales dans lesquelles, ceux qui y pénètrent sont
envahis par un immense flot de connaissances. Ils en parlent comme d'un lieu de
savoir, disent parfois que l'édifice et les matériaux sont en fait la
Connaissance même. Il peut leur arriver d'entendre, de comprendre et de parler
des langues inconnues.
Cette
frontière représente la limite entre le monde des vivants et celui des morts.
Elle "matérialise" une zone de démarcation à la fois réelle et
symbolique entre la condition humaine terrestre et cette forme d'existence
supraterrestre. Tous ceux d'entre-nous qui la perçoivent savent que cette
limite franchie, ils ne reviendront pas dans le monde des humains. Bien qu'elle
soit difficile à décrire avec les mots du langage ordinaire (comme toute
l'expérience d'ailleurs), elle est parfois comparée à une ‚tendue d'eau, lac ou
rivière, à une barrière, sous forme de "mur », ou "clôture" ou
"haie », parfois même à une montagne. A quelque étape que soit perçue
cette frontière, elle indique la limite du "voyage », qui peut parfois
être orienté dans un autre sens, vers une autre phase. La plupart l'acceptent simplement et sans questions ; d'autres la
craignent ou s'en tiennent à distance ; d'autres encore tentent de la forcer et
rencontrent à ce moment-là une "présence" qui les guide ailleurs et
ils "comprennent" alors d'eux même que ce n'est pas le moment. La présence de cette frontière laisse à penser que l'expérience de la
N.D.E., avec toutes ses phases, se déroule dans un espace "sas" entre
la vie consciente et la mort effective, qui se situe au sens propre comme au
sens figuré réellement entre la vie et la mort, libre des lois de la première
et initiatrice de celles de la seconde.
Il est
demandé à certains s’ils veulent revenir. Une vision de leurs proches ou de
leurs enfants est souvent décisive. Certains décident de repartir, d'autres se
voient renvoyés et d'autres encore l'acceptent, comprenant soudain ce qu'il
leur reste à faire ou à apprendre. Beaucoup se retrouvent brusquement dans leur
corps, sans qu'il ne leur soit rien demandé ou dit. Un des aspects les plus
étranges de cette phase concerne la réintégration corporelle qui survient, le
plus souvent, immédiatement après que la décision de retour ait été prise,
volontairement ou non. C'est le moment précis de l'inversion du processus de
mort. On pourrait dire que tant que la décision de retour n'a pas été prise,
nous restons dans ce sas, mort en puissance, vie en sursis. Tout se passe alors comme si notre vie physique était suspendue à cet
instant. Décidons-nous de rester dans l'au-delà et nous mourons, décidons-nous
ou acceptons-nous le retour et nous réintégrons notre corps. Certains
d'entre-nous sont revenus à la vie alors que leurs fonctions corporelles, trop
affaiblies ou détériorées, ne leur permettaient normalement pas. Ils n'auraient
pas dû survivre. Quelques uns ont même totalement et inexplicablement guéris.
La plupart
n'ont aucun souvenir du retour dans leur corps. Ceux qui s'en souviennent
parlent tous d'un moment très désagréable, avec la sensation de rentrer dans un
vêtement trop étroit. Les uns sont rentrés dans leur corps par le haut du
crâne, d'autres par le ventre. La majorité s'est retrouvée brutalement engoncée
dans un corps parfois terriblement douloureux, par exemple lors d'un accident
ou d'une maladie. C'est brutalement à nouveau le contact avec la vie, dans la
dimension ordinaire. Nous y découvrons que ce voyage qui nous a paru si long
s'est écoulé en une fraction de seconde. Comme si il y avait eu une distorsion
du temps, suspendu ou "gel‚" tout au long de cette expérience. Ce
retour à la vie et dans le corps est, pour la plupart, vécu dans un
bouleversement émotionnel plus ou moins profond et plus ou moins long. Certains
parlent : - Pourquoi m'avez-vous ramené ? - Je voulais rester là-bas. - J'ai vu. En général, leurs propos sont tenus pour
du délire ou des incohérences dues au choc. S'ils persistent, souvent en milieu
hospitalier, ils ne tardent pas à recevoir la visite du psychiatre. Beaucoup se taisent. Si l'expérience n'est pas allée trop loin, certains
peuvent même revenir en ayant l'impression d'un rêve très étrange. De manière
générale, plus la N.D.E. a été profonde, surtout si la Lumière a été rencontrée
dans toutes ses composantes, plus son impact sera fort. Parler ou se taire
dépend bien souvent de l'accueil que nous craignions à nos propos. Une évidence
qui, dans la majorité des cas, nous contraint au silence ce qui ne simplifie
pas la phase suivante. Cette phase de la N.D.E. peut donc être
inconsciemment occultée. Mais nous sommes de plus en plus nombreux à penser
que, loin d'être insignifiante, elle pourrait bien être, au contraire, décisive
au déroulement global de l'expérience, à la forme de son impact concret et au
degré d'intégration ultérieur.
La terre
est un lieu merveilleux pour vivre, si l'on n'en connaît pas d'autres. Or le problème justement est que nous avons entrevu un autre monde, bien
meilleur, tellement plus beau, vrai, harmonieux. Contrairement à ce que l'on croit, les difficultés de réadaptation à la
vie normale sont plutôt la règle que l'exception. Nous avons vécu une
expérience inintégrable dans le cadre reconnu par notre société, notre culture,
notre religion, et dans l'immenses majorité, notre famille même. Après le choc, à dépasser de l'expérience elle-même, d'une manière
générale, nous avons "peur de passer pour un fou », et malheureusement non
sans raison, beaucoup d'entre-nous ayant fait la douloureuse expérience de
l'incompréhension, de la méfiance, voire de la visite du psychiatre ! Nous nous
retrouvons dans l'impossibilité de parler, de partager, de recevoir des
explications, d'être rassuré, de comprendre ce qui nous est arrivé. Dès notre
retour, bien sûr, nous nous replions sur nous-mêmes et sur notre indicible et
perturbant vécu, nous rentrons dans le secret. Nous nous retrouvons très rapidement à avoir besoin d'accepter, de
reconnaître la validité pour nous de cette expérience, pour certains soudain
étrange, sinon suspecte, pour les autres toujours aussi prégnante mais
maintenant perturbante tant elle change notre regard sur la vie, de nous
l'approprier et de la voir reconnue et comprise dans les changements qu'elle
apporte. Ce qui est rarement le cas car en général le silence règne. Les liens
familiaux et sociaux établis avant sont très souvent soumis à rude épreuve, de
manière incompréhensible pour les autres puisque rien n'a été exprimé. Nous
réapproprier notre corps est loin d'être toujours évident. Une intégration
harmonieuse nous oblige à accepter cette expérience pleinement. Nous devons
digérer l'enseignement ramené, la mémoire retrouvée, les dimensions contactées,
ce qui peut, selon les cas, remettre en question jusqu'aux fondements de notre
identité et de notre personnalité car nos repères habituels, nos modes de
pensée et notre conception du monde et de la vie ont changés, ce qui peut créer
de profonds bouleversements dans nos vies. L'intégration est d'autant plus
longue et difficile que le silence dure, car nos proches, conjoints, parents ou
amis ne sont, dans la plupart des cas, pas du tout préparés à recevoir ni à
accepter ce genre d'expérience et encore moins leurs répercussions. De plus, le
fait d'avoir connu une réalité merveilleuse et de l'avoir "perdue"
pour revenir parfois dans un corps très douloureux ou des circonstances de vie
insupportables, a généré, chez certains d'entre-nous, une profonde fracture
intérieure. D'un côté, ils ‚prouvent cette nostalgie du "paradis
perdu" et de l'autre, peuvent avoir à affronter de nouveau des contraintes
parfois particulièrement difficiles de l'existence terrestre. Cette situation,
en plus du silence et de la solitude éprouvée, peut engendrer de nombreux
déséquilibres psychologiques et de profondes dépressions. Quelques uns
d'entre-nous reviennent avec l'impression d'avoir eu accès à la Vérité absolue,
peuvent se penser détenteur d'une grande mission et développer un complexe de
gourou. D'autres passent par une phase de gonflement de l'ego relativement
brève si l'intégration se fait de manière équilibrée. Il nous faut en général
une dizaine d'années environ pour vivre en harmonie avec notre expérience.
Lorsque nous réussissons cette intégration, les répercussions tant
psychologiques que comportementales peuvent se révéler très positives. Pour
certains d'entre-nous, les choses se révèlent plus longues, plus douloureuses.
Dans ce cas-là, nous ressentons cruellement la solitude, le besoin de
compréhension, de partage et d'aide. Chacun procède alors à sa manière pour se
protéger d'un monde vécu comme agresseur et injuste et cherche à sa façon à
retrouver son sens et sa cohérence Nous sommes unanimes pour souligner le
caractère transformateur de nos N.D.E. respectives. La transformation qu'elle
opère chez beaucoup d'entre-nous est parfois si radicale et si profonde qu'elle
laisse en nous une empreinte indélébile. Les métamorphoses intérieures qui en
découlent marquent souvent une rupture définitive avec le passé.
a) -
Renversement des valeurs.
D'une
manière générale, vivre une N.D.E. a notablement modifié notre vision du monde.
La grande majorité d'entre-nous, surtout ceux qui ont bénéficié du contact avec
la Lumière, reviennent avec une nouvelle conception de l'existence. Lorsque ce
changement de valeurs intervient, de manière plus ou moins profonde selon les
cas, il transforme notre rapport à la vie. Notre compréhension des relations
humaines est différente. Bien sûr, nous rejetons le matérialisme et
l'individualisme moderne, donnant désormais priorité aux valeurs essentielles.
La plupart d'entre-nous parlent de la primauté de l'être sur l'avoir, de celle
de l'amour dans toutes les situations relationnelles, de développer la
compassion, l'ouverture et l'écoute à l'égard d'autrui, de cultiver l'oubli de
soi et de diminuer l'impact séparateur de notre ego. Une vision commune de la vie se développe après la N.D.E. : l'homme serait
sur terre pour apprendre et évoluer et la vie faite de mises en situation et
d'épreuves dans ce but, ce passage sur terre étant très court par rapport à ce
qu'il retrouvera après la mort. Nous quitterions notre véhicule corporel pour
accéder à la réalité de l'au-delà, où continuent l'apprentissage et l'évolution
spirituelle. Nous n'avons plus peur de la mort puisque nous sommes persuadés
que la vie continue sous une autre forme. Beaucoup d'entre-nous ont tendance à
admettre l'idée de la réincarnation, et sont attirés par les religions
orientales. En ce qui concerne notre rapport aux religions institutionnalisées,
nous n'accordons, en général, moins sinon plus du tout, d'importance aux
aspects formels et rituels de chaque culte. Beaucoup d'entre-nous les rejettent
même comme étant séparateurs. Cette tendance provient sans doute du fait de
cette vision unitive des différentes religions, que nous considérons comme des
manifestations relatives et contingentes d'une vérité sous-jacente, d'une
vérité transcendante qui serait située au cœur de tous les cultes et de toutes
les voies spirituelles. D'ailleurs, beaucoup d'entre-nous rêvent
d'une sorte de religion universelle qui les engloberait tous et toutes.
b) -
Recherche de connaissances nouvelles.
Après
cet oubli de l'océan de Connaissance dans lequel nous avons été plongés,
sommes-nous à la recherche d'une autre conception du monde, ou de nouveaux
points de repères ? Cherchons-nous à confirmer, ancrer ou structurer celle que
nous ramenons avec nous ? En tout cas, nous avons tous un point commun : le
besoin insatiable de connaître et de s'informer. Nous consacrons tous beaucoup
plus de temps à la lecture et à la réflexion. Beaucoup d'entre-nous
entreprennent des recherches dans le domaine de la spiritualité, des états de
conscience modifiée, des phénomènes paranormaux. Certains éprouvent une
attirance très marquée pour la cosmologie, ou la physique. Dans ce dernier cas,
l'intérêt va surtout vers la physique quantique même sans aucune connaissance
de base dans ce domaine. Il est vrai que les concepts développés par la théorie
quantique sont beaucoup plus en résonance avec notre nouvelle vision de la
réalité‚. Entre autre dans sa représentation de l'espace et du temps, très
différente de la conception habituelle. Nous y retrouvons un niveau de réalité
dans lequel il n'y a ni passé, ni présent, ni avenir, mais simultanéité absolue
de tous les événements. La théorie des quanta semblerait donner à la N.D.E. un
sens et un cadre que ne peut lui accorder la physique newtonienne
conventionnelle. Beaucoup d'entre-nous disent retrouver, au cours de leurs
recherches diverses, des bribes de la mémoire perdue. Ce qui leur permet
peut-être de manière subtile de confirmer et de structurer de manière plus
stable cette nouvelle appréhension du monde.
c) - Dons
psychiques.
Une
des répercussions inattendue de nos N.D.E. est, assez souvent, l'acquisition de
dons psychiques tels que la télépathie, la clairvoyance, la télékinésie, la
précognition, la prédiction, les O.B.E, la bilocation, les visions
d'apparitions, la propension aux états de conscience modifiée, au don de
guérison, etc. Selon les cas, il peut nous être difficile de reconnaître,
d'admettre et de vivre avec ces nouveaux dons. Si l'on part du principe que la
N.D.E. est bien une expérience spirituelle, qui peut être très profonde, rien
n'interdit de penser que, comme d'autres expériences spirituelles, elle soit
capable de déclencher un développement plus ou moins spectaculaire de nos
facultés psychiques. Cet aspect des implications de la N.D.E. est des plus
fascinants. Cependant, les études dans ce domaine ne sont pas faciles à
réaliser d'une part, parce qu'il est difficile de prouver que c'est la N.D.E.
qui est à l'origine du "réveil" de ces facultés, d'autre part, parce
qu'elles ne se laissent pas facilement appréhender par les méthodes habituelles
d'investigation scientifique.
d) - Besoin
de partager.
Nous
avons souvent souligné le fait de rencontrer beaucoup de difficultés à raconter
et expliquer notre N.D.E à des tiers. Nombre d'entre-nous ont mis l'accent sur
l'impossibilité dans laquelle ils étaient d'en faire part même à leur famille
ou à leurs amis. Plusieurs années peuvent s'écouler avant que nous osions enfin
nous ouvrir à des proches. Aussi délicat que cela puisse rester, il est devenu
actuellement plus facile d'en parler car ce phénomène est, malgré tout, de plus
en plus connu. Beaucoup d'entre-nous mentionnent le fait d’être revenus à la
vie parce qu'ils n'avaient pas achevé leur "mission », ou parce qu'il leur
restait quelque chose d'important à faire ici-bas. De fait, nous avons en
général conscience que notre vie a un sens, et sinon, lui cherchons-nous une
signification nouvelle. La plupart d'entre-nous éprouvent le besoin profond de
connaître la finalité de notre existence et de savoir à quels buts se
consacrer. Nous pensons souvent qu'il doit y avoir une raison à notre N.D.E., à
notre retour à la vie, avec le sentiment prégnant qu'elle s'inscrit dans un
ensemble plus vaste et que nous avons désormais conscience d'un rôle à jouer
dans le monde. Certains le ressentent même comme une mission. Et précisément,
ce rôle consiste d'abord, pour quelques-uns d'entre-nous, à témoigner et à
tenter d'expliquer aux autres ce qu'il nous est arrivé. A noter le paradoxe de
cette situation puisque quasiment tous, nous insistons sur le caractère
ineffable de notre expérience et sur l'impossibilité de la partager. Comment et
avec quels mots décrire une expérience qui ne l'est pas, qui s'est déroulée dans
une dimension aussi immatérielle qu'intemporelle, et dont nous avons oublié les
révélations. Et pourtant, ce besoin de partager
l'incommunicable, de dire l'indicible, de faire connaître, d'ouvrir une brèche,
peut être là Un chemin vers une autre vision de la vie et du monde.
e) -
Préoccupations humanitaires et écologiques.
Une
des préoccupations semblant découler automatiquement de notre N.D.E. concerne
l'avenir de la planète et de l'humanité. Les "études" disent qu'il
est possible que cette expérience nous ait donné une conscience plus aiguë de
la précarité et de la fragilité des systèmes vivants. Peut-être, certainement,
quoique cette explication ne soit pas suffisante. Il est nécessaire d'évoquer
une raison sous-jacente, plus profonde que l'inquiétude provoquée par les
récentes et graves ruptures de l'équilibre de notre planète et par le devenir
de l'homme. Certes, nous vivons une époque où ces équilibres sont très menacés
et où émerge une très timide forme de conscience écologique et humanitaire. Nous
nous inscrivons donc parfaitement dans cette mouvance, mais avec la différence
que nos motivations s'enracinent avant tout dans notre N.D.E. Certains
d'entre-nous ont vu l'avenir de notre planète, en général assez sombre. Mais
surtout, beaucoup d'entre-nous ont vu et compris qu'en tout être humain, la
Lumière est présente, que nous sommes tous profondément égaux, que la nature
elle-même, faune et flore, est notre égal, que nous devons la respecter et
qu'elle nous le rendra au centuple. Le développement de la pensée d'un
humanisme et d'une écologie planétaire découle avec évidence de cette
compréhension.
f) -
Développement de la créativité.
Il
n'est pas rare qu'à la suite d'une N.D.E se manifeste pour certains une
irrépressible envie de créer. Ceux qui étaient déjà artistes découvrent de
nouvelles sources d'inspiration et peuvent même parfois être, comme ils le
disent, « guidés" par une force qui les dépasse. Ceux qui n'avaient pas de
prédispositions particulières pour les arts se sentent brusquement inspirés et
se lancent à corps perdu dans la poterie, la peinture, la sculpture,
l'écriture, etc.
g) -
Changement de personnalité.
Ce
changement dépend d'une appropriation et d'une intégration équilibrée et
harmonieuse des différents aspects et répercutions de nos expériences. Pour la
majorité, le changement commence par une vision de la vie différente, sinon
totalement transformée. Mais le concept n'est pas la chose. La remise en
question peut concerner parfois beaucoup de domaines, la mise en acte peut être
très douloureuse, les ajustements personnels intérieurs et extérieurs
difficiles et problématiques. On peut estimer que l'intégration est réussie
lorsque s'accomplit le processus qui nous conduit à adopter un mode d'existence
conforme à cette nouvelle conscience de notre nature profonde. Notre
comportement peut alors changer radicalement. Dans ce cas, les traits généraux
qui caractérisent ce changement de personnalité‚ peuvent être résumés ainsi : -
Une meilleure estime de soi et une plus grande confiance en soi, une auto
acceptation, avec ses qualités et de ses défauts, dans un jugement plus
objectif et serein de soi-même et la capacité de se remettre en question et de
"travailler sur soi. » Il y a une profonde aspiration à l'authenticité
dans ses relations, à l'expression de l'identité véritable. - L'affirmation de
soi se fait sans crainte ni excès et l'approbation extérieure revêt beaucoup
moins d'importance. De manière assez générale, il y a plus de dynamisme,
d'activités et d'engagements dans divers projets. On vit l'instant qui passe
dans une sorte de paix et de réconciliation intérieure. Il n'y a plus de peur
de la mort. Si le changement de personnalité‚ est parfois très spectaculaire il
faut savoir qu'il ne se produit pas sans souffrances, mais au contraire au prix
de douloureuses ruptures avec le passé et de longs ajustements intérieurs. Il
devient impératif de renouer avec son essence la plus intime et en définitive
de devenir ce que l'on est vraiment. En tout cas, quel que soit le chemin de la
transformation, il est évident pour ceux qui la vivent qu'ils ne peuvent plus
être ce qu'ils étaient avant leur N.D.E.
h) Difficultés et pièges.
Tant que
l'appropriation et l'intégration de nos expériences ne sont pas faites, nous
passons par beaucoup de phases de décalages, de malaises, de déséquilibres qui
peuvent être très douloureuses. Beaucoup ont perdu tous leurs repères, leurs
bases ; leurs croyances sont bouleversées. Nous revenons en effet avec une
vision nouvelle mais cela peut aussi rester dans les concepts ou les discours,
car nous nous retrouvons prisonniers, malgré toutes les merveilles entrevues,
d'une multitude de vieux conditionnements émotionnels, culturels et personnels.
Nous aspirons tous à exprimer la Lumière et l'Amour de notre nature profonde,
mais dans la confrontation avec la réalité de la vie "ici-bas », il n'y a
plus l'évidence perçue "là-bas. » Le choc peut être très rude. Certains
peuvent s'enfermer dans un regret nostalgique, passer par des dépressions
profondes. D'autres, au retour, peuvent se réapproprier les valeurs ordinaires
et considérer leur expérience comme un rêve magnifique. La difficulté peut
conduire certains à l'occulter, comme un fantasme utopique, à la rationaliser
ou au contraire à la mystifier. Il y a aussi les crises mystiques, les
affirmations absolues et les gourous en herbe. Chacun cherche à continuer à
vivre à sa manière et à retrouver ses marques. Les uns essayent de coller leurs
visions à la vie, d'autres la vie à leur vision. Il revient alors à chacun de trouver
le moyen d'effectuer le travail d'harmonisation nécessaire à la construction
d'une identité renouvelée et équilibrée. Ce qui peut parfois être
particulièrement difficile à réaliser sans écoute compréhensive et sans aide
appropriée. En dernier lieu, notre N.D.E. aura sur nous l'impact que notre
interprétation et notre appropriation lui permettront d'avoir et notre
transformation sera proportionnelle au changement que nous serons capables
d'accepter dans nos vies, quel que soit le plan concerné. Les N.D.E.
douloureuses ("négatives") Certains d'entre-nous ont vécu une
expérience difficile et semble-t-il parfois même terrifiante. Pour beaucoup
d'entre eux, il est très difficile et parfois impossible d'en parler,
d'expliquer, de raconter. Ils ne connaissent pas les aspects dont
nous venons de parler et ont, semble-t-il, souvent bien du mal à exprimer ce
qui les a terrifié. Rien dans leur vie ou leur personnalité ne les différencie
de nous tous. Il semblerait qu'ils aient abord‚ "là-bas" par un côté
plus sombre ou d'un symbolisme obscur. Ils en gardent souvent un souvenir difficile et la crainte de la mort
semble persister. Certains en reviennent très perturbés, d'autres avec un
regard nihiliste sur la vie et d'autres encore dans une quête spirituelle
intense et réparatrice. Ceux d'entre-nous qui ont vécu ces voyages douloureux
n'en parlent pas ou très rarement. Il est difficile pour eux de raconter ce
vécu particulier, de poser une expérience douloureuse au côté de tant de récits
merveilleux. Même ceux d'entre-nous qui ont vécu cette étape sombre avant la
Lumière, en parlent peu, voire l'occulte complètement pour ne parler que du
lumineux. Mais tant que nous n'aurons pas les témoignages de leur vécu, tant
que nous ne saurons pas quels sont leurs points communs, leurs visions, leurs
angoisses, leur douleur commune, nous n'aurons qu'une face de la N.D.E., qu'un
aspect. Celui dont on parle, que l'on met en
exergue, dont on généralise l'interprétation comme étant ce que l'on trouve
derrière la mort. Peut-être sont-ils beaucoup à ne rien dire
de leur expérience douloureuse ? Les entendre, les écouter, nous ouvrir au
message qu'ils portent est essentiel pour pouvoir appréhender le double aspect
de ce qui se trouve derrière la porte de la mort. Ils portent très probablement un message de première importance pour ce
qui est d'une compréhension encore plus globale de la Vie. Conclusion Nous vous
avons présenté ce que les scientifiques appellent la "structure-type"
de la N.D.E., en exprimant la manière dont nous la vivons. Bien sûr, elle n'est
pas exhaustive et vous pouvez nous aider à l'améliorer en nous faisant part de
vos remarques et de vos expériences afin d'élargir ensemble ce modèle. Si
d'autres caractéristiques de la N.D.E. vous paraissent oubliées, si vous avez vécu
des aspects particuliers, n'hésitez pas à nous les communiquer car c'est
essentiellement à partir de vos témoignages que nous affinerons les aspects
essentiels de nos expériences. Il y a peut-être deux autres points qu'il serait
nécessaire d'approfondir. Ce sont d'une part les effets biologiques éventuels
de la N.D.E., par exemple les effets sur la composition sanguine, le système
immunitaire, le fonctionnement du système nerveux, etc. les différences
biologiques entre avant et après. Si tel est votre cas, écrivez-nous, s'il vous
plaît. D'autre part, nous ne connaissons pas la multiplication de la N.D.E. en
occident, et peut-être dans le monde entier, ni l'impact de ce phénomène sur
l'évolution de l'humanité. Les recherches dans ces domaines sont pratiquement
inexistantes. Le champ est ouvert aux recherches, aux analyses, aux
interprétations et aux supputations. Il est ouvert aussi vers une autre
réflexion, un autre point de vue : la N.D.E. ouvre une brèche dans la
conception ordinaire du monde. Si l'on accepte sa réalité, sans la réduire à
une résultante biologique quelconque, elle secoue et bouleverse les repères sur
lesquels sont assis toutes nos croyances et tous nos systèmes de pensées, notre
conception du réel et de la vie. Elle est novatrice, transformatrice,
perturbante, dérangeante. Et c'est parfait ainsi, chacun se trouvant
effectivement responsable à la fois de son interprétation, de sa réponse et de
ses résultats.
a) Analyse : La description de cette
expérience, telle qu’elle est rapportée plus haut, permet d’établir, par
induction ou déduction philosophique, quelques conclusions. Elle pose surtout
au philosophe de nombreuses questions.
- Les témoins ne sont pas morts
(séparation de l’esprit et du cerveau) puisqu’ils demeurent capables
d’opérations sensibles : ils voient, entendent, ils éprouvent des sentiments
(paix, bien être et, sous d’autres rapports, inquiétude, angoisse.) Ils restent
en rapport avec les facultés sensibles dont l’exercice lié à la matière ne peut
être le fait d’un pur esprit. Ils sont liés à leur corps ou, pour le moins, à
quelque chose de leur corps. C’est pourquoi il est raisonnable de parler d’expérience
de mort approchée et non d’expérience de la mort.
- Les témoins décrivent une sorte de
rupture entre leur vie végétative, représentée par leur corps physique qu’ils
observent comme mort au-dessous d’eux et leur vie psychologique et spirituelle
qui subsiste en dehors de ce corps dans un double fait de matière non palpable.
Faut-il donc parler pour décrire le cheminement de la mort d’une étape de
séparation entre le corps physique et un corps psychique ? Ce serait un apport
intéressant qui, s’il s’avérait vrai, pourrait avoir des conséquences
importantes pour la philosophie des vivants. D’autre part, l’existence d’une
manière de corps psychique, fait de matière réelle quoiqu’impalpable, pourrait
ouvrir la voie à une meilleure connaissance des propriétés de la matière en
science physique. Il n’est pas exclu qu’à l’état corpusculaire et ondulatoire
de la matière, on puisse ajouter un état psychique encore inconnu et siège de
la vie sensible.
- Les témoins décrivent avec étonnement ce
phénomène inconnu en Occident quoique très connu en Chine, de séparation du
corps physique et d’un corps psychique. Les théologiens occidentaux parlent
plutôt de séparation du corps (vie végétative et vie sensible) de l’âme
spirituelle (vie de l’esprit) quand ils analysent la mort. Faut-il renouveler
notre conception théologique de la mort (les morts seraient des esprits liés à
leur vie sensible) ou simplement parler d’une étape non encore décrite (en
admettant une étape suivante de séparation du psychisme sensible et de l’esprit)
?
- Les témoins décrivent tous une
augmentation qualitative de leur vie sensible et l’apparition de nouvelles
facultés sensibles comme la télépathie, la liberté des mouvements locaux par
rapport aux limites habituelles comme la gravitation, les obstacles matériels.
Il semblerait donc que la séparation d’avec le corps biologique libère la vie
psychique sensible d’obstacles importants. Toute la difficulté de cette
description réside dans la question suivante : le siège des facultés sensibles
est le cerveau. La neurologie le montre de manière expérimentale. Comment
expliquer la subsistance de telles facultés alors que l’activité électrique du
cerveau est nulle ? Le cerveau et son activité neurologique ne serait-il qu’un
siège facultatif de la vie psychique. Dans ce cas, il est difficile d’en
comprendre l’utilité. Est-il au contraire un siège nécessaire mais qui laisse
subsister une activité psychique quelque temps après sa destruction, un peu
comme un aimant naturel transforme pendant quelques minutes un morceau d’acier
en aimant, alors qu’il n’est plus en contact avec lui ?
b) Critique : S’agit-il d’une expérience
imaginaire ou d’une réalité ? L’étude de la condition nouvelle où prétendent se
trouver les témoins intéresse davantage le philosophe que le théologien. Elle
n’a pas en soi de valeur religieuse. Mais elle est extrêmement importante pour
décider si la suite de l’expérience de mort approchée est un pur effet
subjectif dans le cerveau fragilisé ou une expérience réelle. En effet, la
vérification de la valeur objective de toute l’expérience de mort approchée
trouve une aide précieuse dans le fait que, pour cette phase, une enquête de
type policier peut être faite : le récit des témoins concorde-t-il avec ce qui
s’est passé réellement pendant leur mort clinique ? Par cette méthode, il n’est
pas possible d’obtenir une certitude de type mathématique ou positive. Il est
possible par contre d’obtenir une certitude humaine rigoureuse, fondée sur des
témoignages impossibles à falsifier dans leur confrontation à ce qui s’est
réellement passé au cours de leur mort clinique.
Fondé sur la base d’enquêtes sérieuses
décrites par le Docteur Moody et bien des chercheurs après lui, il est possible
de conclure à la réalité d’un phénomène paranormal particulier, réel et non
seulement lié à la réaction subjective d’un cerveau fragilisé. En effet, un
questionnaire sérieux réalisé auprès des témoins et confronté aux récits de
ceux qui ont assisté aux tentatives de réanimation, confirme la vérité de ses
dires : il a bien vu, de manière vraie et vérifiable, ce qui se passait dans la
pièce, alors même qu’il gisait inanimé sans activité apparente du cœur et du
cerveau. Il a donc été conscient alors que son corps était en état de mort
clinique. Le Docteur Moody, aidé de médecins intéressés par ses recherches, est
allé jusqu’à imaginer de petites expériences significatives. Ils cachèrent sur
des armoires des salles d’opération, à l’insu de tous et surtout des malades,
de petits objets surprenants dans de tels lieux (peluches, autocollants.) Après
les opérations, dans les cas de graves difficultés opératoires, ils obtenaient
auprès des malades réanimés des réactions nettes : « Pourquoi y a-t-il une peluche rouge sur l’armoire. Je la voyais bien du
lieu où j’étais.[281]Il
est de nos jours difficile d’expliquer cette expérience de décorporation par un
rêve sans suite du cerveau traumatisé. Il s’agit bien d’une expérience sensible
objectivée par le réel. Cette deuxième phase, même si elle n’est pas la plus
profonde, est à cet égard intéressante car elle augure bien, par son
objectivité vérifiable, de l’objectivité des autres phases.[282]
c) Recherche du comment : Comment
expliquer le phénomène de la décorporation ? Il semble que l’étude de la
constitution même de l’homme pourrait amener des pistes de réponse. Selon des
traditions philosophiques chinoises et indiennes[283],
on peut discerner dans l’être humain trois degrés de vie auxquels correspondent
trois corps parfaitement adaptés l’un à l’autre pour former une seule personne
: le corps physique, le corps astral et le corps mental. Le corps physique est
le siège des facultés végétatives comme la nutrition, la reproduction, la
croissance. Il est aussi le siège d’un autre corps appelé corps astral. Le
corps physique est source de l’existence du corps astral à tel point que, selon
eux, la survie de ce dernier est assez éphémère après la mort du premier. Mais
la phase de survie peut expliquer l’expérience de la décorporation que
rapportent ces nombreux témoignages. Le corps astral serait le siège des facultés
psychiques comme les sensations, les passions, l’imagination et la mémoire
sensible. Le corps mental n’est autre que ce que la théologie occidentale
appelle l’esprit, siège de l’intelligence et de la volonté. Ils ne lui donnent
le nom de corps que par métaphore car, selon eux, il dépasse cette notion pour
être entièrement spirituel. C’est lui qui, dans la pensée hindouiste, se
réincarne à travers les âges. Aristote distingue de la même façon trois degrés
de vie mais son analyse s’attache moins à la cause matérielle. Peut-être
faudrait-il revenir à l’anthropologie tripartite de saint Paul : il y a dans
l’homme le corps, l’esprit et l’âme. Il fut suivi par quelques-uns uns des
Pères mais le laborieux développement des sciences expérimentales fit préférer
la division bipartite.
Cette approche philosophique est à
travailler. Il est clair en tout cas que la théologie occidentale classique ne
nous fournit que peu de lumière. Nous pouvons peut-être nous rapporter au
commentaire théologique que saint Thomas d’Aquin, à la suite de saint Augustin,
donne des « visions et révélations du Seigneur »dont fait état saint Paul dans
la seconde lettre aux Corinthiens[284] :
« Je connais un homme en Christ qui,
voici quatorze ans -était-ce avec son corps ? Je ne sais, Dieu le sait
-était-ce sans son corps ? je ne sais, Dieu le sais-, cet homme-là fut enlevé
jusqu’au troisième ciel (...) « Ce passage de saint Paul relate une grâce
tout à fait particulière appelée, du terme utilisé par l’Écriture « enlevé », raptus. Saint Paul révèle dans ses
paroles une gêne à expliquer le rapport à son corps dans son expérience.
Doit-on y voir une allusion à une mystérieuse décomposition en deux parties ?
Quant aux sciences exactes, elles n’ont
pas su faire place pour l’étude de quantité de phénomènes dits extraordinaires,
et cependant communs, tels que la communication de pensées à distance, et moins
encore à la prescience d’un événement futur. Des expériences ont été faites en
U.R.S.S. au temps de la guerre froide[285].
Mais la décorporation reste ignorée jusqu’à ce jour ou qualifiée de phénomène
imaginaire.
d) Apport pour notre hypothèse :
Cependant, vécu par tous dans le moment de l’approche de la mort, elle semble
correspondre à un supplément de vie
terrestre et on peut y voir ce moment si nécessaire que nous avons cru
devoir poser en théologie catholique pour justifier du salut des hommes. Une
révélation ne peut-elle se produire dans cet espace qui, tout en faisant partie
de la vie terrestre, est déjà passage vers l’autre monde (voir l’étape 4)
On trouve dans l’Écriture quelques
allusions à un délai avant la mort définitive. Quand Jésus ressuscite la fille
de Jaïre, il dit : « L’enfant n’est pas
morte mais elle dort. Et on se moquait de lui. » [286]
De même, Jésus dit de Lazare : « Cette
maladie n’est pas mortelle »et « Notre
ami Lazare repose ; je vais aller le réveiller »[287].
Lorsqu’un jeune homme de l’auditoire de Paul tombe par la fenêtre, Luc nous
affirme qu’ »on le releva mort. »
Mais Paul dit : « Ne vous agitez pas :
Son âme est encore en lui »[288].
Dans ce dernier cas, il y aurait bien délai. Et, plus important encore, ce
délai permettrait une intense activité spirituelle, profondément humaine car
fondée sur des sensations comme il est naturel à l’homme, paisible car libérée
des affres d’un corps en agonie, qualitative car liée à une sensibilité
affinée. Nous n’entendons pas autre chose dans notre recherche théologique
quand nous posons la nécessaire disparition du fomes peccati.
a- Au plan philosophique, la vérité de
cette phase est beaucoup moins vérifiable que celle de la précédente. En effet,
on pourrait attribuer à une subjectivité en détresse la mémorisation des
visages des proches décédés. Il existe cependant certaines expériences
troublantes permettant d’hypothéquer sans trop de risques de la vérité de ces
rencontres. Un patient, hospitalisé dans un état critique, avait dans le même
temps perdu son épouse. Nul ne lui avait annoncé, craignant de lui causer un
choc fatal. Suite à un arrêt cardiaque, il sort de son corps et est accueilli
par la vision de proches décédés parmi lesquels se trouve sa femme. Revenu à
lui, il demandait autour de lui pourquoi on lui avait caché son décès.[289]
De tels témoignages peuvent-ils être mis en doute ? En poussant l’exigence
critique, il est certain que beaucoup de chercheurs n’hésitent pas à les
rejeter complètement. Cependant, leur attitude est souvent exagérée, et
suscitée par une intention autre que scientifique (La peur de paraître crédule
donc non crédible devant ses pairs est un motif très actuel chez beaucoup de
chercheurs.)
Il ne s’agit pas de rechercher en science
humaine une certitude de type positiviste. Les témoignages humains ont leurs
limites, bien établies en psychologie. Faut-il les rejeter parce qu’ils sont
liés à une part de subjectivité ? Dans cette hypothèse, il conviendrait de
rejeter toutes les disciplines liées au témoignage comme l’histoire ou la
recherche judiciaire des coupables car leur fondement est bien souvent lié
exclusivement à des témoignages concordants. L’histoire et la justice peuvent
se tromper. Mais lorsque les témoins visuels sont nombreux et dignes de
confiance, l’erreur est rare. Qui peut nier, par exemple, Auschwitz alors que
des millions de témoins silencieux ou encore vivants parlent ? Seuls de
malhonnêtes historiens mus par une idéologie cachée ont osé nier ce crime.
b- Au plan de la théologie catholique,
cette phase va dans le sens de la communion des saints. L’Église a toujours
enseigné la protection particulière exercée par les fidèles défunts sur les
vivants. La fête de la Toussaint n’a pas d’autre but que de rappeler la
présence affectueuse et agissante des morts auprès des vivants. L’hagiographie
fait souvent état de telles apparitions d’âmes à des saints qui témoignent avoir
été ainsi avertis de se préparer à la mort (voir le récit de Bède le Vénérable,
ci-dessus.) D’autre part, dans la première épître à Timothée[290],
l’apôtre Paul parle de « l’avènement du
Seigneur Jésus avec tous les saints. » C’est donc accompagné de personnes
déjà décédées que le Seigneur se montrera à la fin. On le voit, cette venue des
proches décédés à l’heure de la fin individuelle, telle que l’expérimentent les
agonisants, n’a rien de contradictoire avec la foi.
Certains témoignages attestent la rencontre
avec des âmes en peine. Il faut dire que cette expression religieuse n’est
employée par aucun des témoins. Ils les décrivent comme des hommes décédés
errant avec leur propre détresse et incapables psychologiquement de se sortir
de cette errance. Les témoignages recueillis par le docteur Moody sont rares à
leur sujet. Ils sont aussi rapportés dans l’hagiographie chrétienne, islamique
ou bouddhiste, aussi bien du reste que dans l’expérience de ceux qui s’adonnent
aux drogues ou au spiritisme. S’agit-il, comme l’affirment certains théologiens
(84) de cette catégorie d’hommes que la notion d’altruisme et de bonté laisse
indifférents, sans qu’ils soient cependant foncièrement pervers, et auquel Dieu
laisse un temps de réflexion au désert avant de se révéler pour leur salut. En
Russie orthodoxe, on appelle ces êtres les « âmes qui paient », c’est-à-dire
qui paient un droit de passage dans l’éternité. Il s’agit d’un souvenir des
croyances judéo-chrétiennes sur la nécessaire purification. Une pieuse
croyance, respectée par l’Église d’Orient et justifiée par un texte attribué à
Saint Antoine le Grand, veut qu’à l’image du Christ les morts n’entrent dans
leur état définitif que par étapes. C’est pourquoi on prie pour eux aux 3èmes,
9 èmes, 40 èmes jours après leur décès.
En rapport avec notre hypothèse, il nous
sera possible d’établir ultérieurement l’importance de la manifestation des
saints qui accompagne la parousie du Christ[291].
Nous montrerons qu’il ne s’agit pas d’un épiphénomène mais d’une réalité
essentielle à la conception catholique du salut par la charité, c’est-à-dire
par la communion avec Dieu et ses saints. En tout état de cause, le fait que
les agonisants réanimés prétendent rencontrer des proches décédés ne peut
qu’apporter un surcroît de crédibilité à ce que nous avons posé auparavant dans
notre approche théologique.
a-
Analyse du phénomène
- La première difficulté qui ressort à mon
sens des descriptions du phénomène, consiste à établir ce que voient réellement
les témoins. S’agit-il d’une vision spirituelle d’un être de vérité (lumière)
et de compréhension (chaleur) ? S’agit-il d’une simple lumière et chaleur de
type physique ? A la lecture des témoignages descriptifs, on constate que les
deux approches sont intimement liées : des couleurs magnifiques ont été vues, avec des nuances de dégradés
inconnues sur terre ; Une chaleur douce a été ressentie, accompagnée d’une impression de paix psychologique
totale. En même temps, les témoins s’accordent à dire que cette lumière et
cette chaleur étaient un être spirituel dont ils comprenaient la vérité et l’amour. L’expérience semble donc mêler
intimement des aspects sensibles et spirituels. Nous pourrions même parler,
sans trop nous avancer, de spirituel par
le sensible. Nous l’avons montré précédemment, il s’agit là du mode le plus
naturel de la connaissance humaine puisque l’homme est par nature un être
sensible dont l’intelligence et la volonté s’exercent naturellement en
s’appuyant sur l’apport des sens.
- Quelle est l’image sensible qui leur
apparaît ? Unanimement, les témoins s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas d’un
être humain. Ils distinguent facilement l’être de lumière des autres créatures
qui les entourent comme les proches décédés. Les proches décédés ont un corps
humain semblable au leur. Ils reconnaissent les visages. L’être de lumière leur
paraît être de nature différente, supérieure. Il n’a pas de visage, ni de
regard sensible (jamais aucun des témoignages ne rapporte qu’il en ait.) Sa
personnalité rayonne autrement. Il semble que nous sommes obligés d’admettre
qu’il ne s’agit pas d’un homme. Dans ce cas, une objection majeure semble
apparaître au plan théologique vis à vis du titre même de notre hypothèse. La
parousie du Christ, si elle a lieu à l’heure de la mort, est celle d’un vrai
Dieu mais aussi d’un vrai homme. Son mode de manifestation ne devrait-il pas se
rapprocher davantage de celle des proches décédés que de celle des anges qui
n’ont pas de corps qui leur soit naturellement uni ? Sommes-nous donc en
présence du Christ ? Ne sommes-nous pas plutôt en présence d’une créature d’un
autre type ? En fait, nous l’avons montré précédemment, il ne s’agit pas d’une
contradiction fondamentale de notre hypothèse. Le plus important est situé
ailleurs, dans la question suivante à laquelle il nous faudra répondre : cet
être est-il une image de Dieu ? S’agit-il d’une expérience mystique ? (Nous
entendrons par expérience mystique tout au long de ce travail la rencontre personnelle avec la vie de la
grâce ou de la gloire. Nous n’en parlons pas dans le sens analogique
attribué par les modernes aux expériences bouddhique du nirvana ou aux
expériences de contemplation artistique.)
- En philosophie, il est impossible de
parler des anges. Ils échappent à sa raison formelle voir[292]
car ils ne peuvent en aucune manière être découverts par les seules forces
naturelles de l’intelligence. Leur existence est révélée et seule la foi, tant
que l’homme vit ici-bas, peut les atteindre. Par contre, il est possible de
découvrir en philosophie l’existence d’un être supérieur, que les traditions
religieuses appellent Dieu et qui est Créateur. Saint Thomas d’Aquin montre
dans son De Deo uno que ce Créateur
est nécessairement Acte pur, donc indépendant de tout corps physique comme du
temps, du lieu, des limites de toutes sortes. Il est donc possible de conclure
en philosophie, par simple comparaison avec ces conclusions nécessaire, que ce
que voient les agonisants n’est pas Dieu dans son essence, mais une créature.
Il est évident que Dieu est au delà du rayonnement des plus magnifiques
couleurs. Celles-ci peuvent constituer un vestige de sa nature infinie mais un
vestige seulement.
- Comment expliquer qu’une image de
lumière sensible puisse être source d’une connaissance spirituelle d’une telle
intensité ? Bergson, dans ses études sur les phénomènes de la vie mystique,
discerne chez certains saints la possibilité d’une connaissance nouvelle au
plan qualitatif, de type extatique[293]. Au
plan artistique, il existe un « analogué » de cette expérience : à travers une
vision sublime de beauté sensible, il peut arriver qu’une sensibilité fine
discerne d’un seul regard une profondeur insoupçonnée de signification
spirituelle. La beauté sensible est source d’un déclic spirituel fugace qui
peut laisser par la suite une impression inoubliable. Dans la connaissance
extatique d’une beauté de l’autre monde, un phénomène semblable peut sans doute
se produire. L’intelligence est happée par la vision sensible qui rayonne
surnaturellement. Elle discerne par mode d’intuition et d’un seul coup
l’intensité spirituelle sous jacente.
b-
Approche critique au plan philosophique
Jugeant de l’extérieur ce phénomène, il
n’est guère possible de trancher définitivement sur sa vérité. Certains signes inclinent à pencher dans ce sens
comme le témoignage unanime des personnes interrogées qui sont certaines de
pouvoir distinguer cette apparition d’un simple rêve. Les effets à moyens et
long terme sont aussi très significatifs : ils vont dans le sens d’un progrès,
d’une meilleure attention aux autres, d’une envie de vivre pleinement, tous
phénomènes positifs très étrangers à ce que produit une simple hallucination.
Cependant, le philosophe Feuerbach, s’il avait eu à critiquer ce phénomène,
aurait certainement écrit la même théorie qu’il utilise pour expliquer le
christianisme : « projection sublime dans
un au-delà objectif des désirs d’une subjectivité portant en elle l’infini.
» Il est donc difficile de conclure sans se voir retourner ses propres
arguments dans le sens inverse. Nous ne pouvons donc pas aller plus loin que
l’établissement de cette vérité par mode de signes de crédibilité.
Il est légitime de se demander pourquoi
seulement un petit pourcentage de ceux qui sont passés par la mort clinique y
vivent une telle rencontre. L’auteur mentionne un malade qui, étant passé
plusieurs fois par la mort clinique, n’a vu l’être de lumière qu’une fois.
Cette expérience n’est pas nécessairement conditionnée par la mort clinique.
Elle peut la précéder ou même se produire en pleine santé. Sans doute
trouvons-nous là un signe de plus de son objectivité puisqu’elle se dissocie de
l’état d’un cerveau traumatisé
c-
Approche critique au plan théologique
L’Église utilise habituellement certains
critères qui lui permettent de juger d’un phénomène paranormal. Ils sont au
nombre de trois[294].
1- Conformité à la foi catholique ;
2- Fruits spirituels positifs ;
Ces deux premiers signes permettent
d’établir un a priori positif face à
la réalité d’un phénomène mystique. Ils ne suffisent cependant pas fonder une
conclusion définitive puisqu’il est possible d’imiter de tels critères. Le cas de Vassula, récemment
traité par la Congrégation de la Foi[295]
est à cet égard significatif. C’est pourquoi l’Église demande, avant de se
prononcer définitivement sur tel ou tel phénomène, la confirmation de son
caractère surnaturel par :
3- Un miracle d’origine divine, impossible
à mettre en doute, comme une guérison instantanée échappant au pouvoir de la
psychologie, la résurrection d’un mort etc. dans le cas qui nous occupe, il
n’existe rien de tel. Notre approche reste donc probable.
1-
Conformité à la foi catholique
Pour
le théologien catholique, au plan du dogme, une conclusion positive, s’impose :
rien dans l’expérience de mort approchée ne s’oppose à la foi de l’Église
catholique. Tout n’appartient pas à son enseignement officiel certes mais rien
ne va contre. Au contraire, la rencontre d’un être personnel, sensible et
surnaturel, dont la personnalité s’épanouit en sagesse et amour, va dans le
sens de l’Évangile. Si l’Évangile n’est pas là, où le trouvera-t-on ?
Quelques questions méritent d’être
soulevées
En premier lieu, cette expérience n’est
pas en lien avec l’Église prise dans le sens de sa hiérarchie. L’expérience
n’est pas ecclésiale au sens d’un lien avec la hiérarchie terrestre. Il semble
qu’il y ait ici un premier problème. Le Père Bot, professeur au Séminaire
International d’Ars y voyait l’objection la plus déterminante. Rien, selon lui,
ne peut advenir de surnaturel dans une séparation totale à l’Église militante
(spiritualité sulpicienne.)
Il est possible de répondre à cette
objection. Quoiqu’il en paraisse, cette expérience est ecclésiale[296].
Elle l’est dans le sens d’une rencontre avec l’Église du Ciel puisqu’elle
implique la rencontre avec des personnes rayonnant la vérité et l’amour,
qualités essentielles à l’Église sainte. Cette expérience est d’autre part
ecclésiale au plan de ses effets puisqu’elle dispose celui qui en revient à
l’attention au prochain à cause de l’être de lumière. Le fruit premier de cette
aventure est là et non, comme c’est le plus souvent le cas pour les adeptes du
spiritisme, dans une curiosité malsaine pour les phénomènes parapsychiques :
c’est la conscience d’être réellement aimé par un amour souverain, et le désir d’apprendre
à aimer réellement le prochain. D’un chrétien qui choisit la voie des conseils
évangéliques, il est remarquable qu’on dise : « Il a entendu l’appel du Christ
», alors qu’on pourrait dire avec plus de réserve : « Il a entendu l’appel de
l’Église. » La première formule a pour elle un argument scripturaire : « Ils n’auront plus à s’instruire mutuellement
se disant l’un à l’autre : Ayez la connaissance de Yahvé! Mais ils me
connaîtront tous, des plus petits jusqu’aux plus grands - oracle de Yahvé »[297].
Le fait que cette expérience n’ait pas de
lien avec l’Église hiérarchique ne peut être un argument décisif. Il est vrai
que le chemin habituel de la grâce est dans l’Église à travers sa prédication,
son enseignement, et ses sacrements. Cependant, Dieu n’a institué ces moyens
humains que pour rendre l’Évangile accessible de manière sociale. L’homme étant
par nature un animal politique, la nécessité de ces modes de communication de
la grâce est évidente. Cependant, Dieu n’est pas lié à ces seuls moyens et la
grâce peut parvenir à l’homme par bien d’autres voies selon son initiative.
L’Abbé Mugnier, aumônier des artistes parisiens à la fin du siècle dernier, se
plaignait dans son journal de ce que la grâce était rendue prisonnière du seul
culte par l’Église. Sa critique est absolument juste en ce qui concerne la
spiritualité des prêtres séculiers français de son milieu. Elle ne porte pas
s’il s’agit de l’enseignement le plus profond de l’Église. Sainte Thérèse
d’Avila, Docteur en ces matières mystiques, enseigne tout autre chose. Pour
elle, la grâce de Dieu et communiquée à l’homme par tous les moyens
imaginables, l’essentiel de cette grâce n’étant pas son caractère sacramentel
mais son intensité de rencontre personnelle.
Autre question :
La conversion que rapportent les témoins semble liée au don d’une grâce
sensible et visible. N’est-ce pas en opposition avec ce qu’implique une réelle
conversion chrétienne : « Heureux ceux
qui croient sans avoir vu »[298] ?
Cette question est un faux problème.
Qu’ils aient bénéficié ou non de grâces sensibles extraordinaires, la
générosité des saints à suivre le Christ ne peut s’expliquer psychologiquement
que par l’amour d’un ami. Ils témoignent unanimement et ce jusque dans une
fidélité héroïque, que le Christ est vivant et s’est manifesté à eux. Chez les
uns, cette rencontre peut être retracée jusqu’à une manifestation sensible
extérieure ; Chez les autres -le plus grand nombre, peut-être il n’y a eu que
l’expérience ressentie au fond de leur sensibilité, d’une Présence. Mais chez
les uns et les autres, il y a rencontre, il y a révélation personnelle et
affective. Etant hommes, cette rencontre se fait obligatoirement par
l’intermédiaire de grâces sensibles. Ce n’est que dans un second temps que ces
grâces sensibles peuvent disparaître pour laisser la place à la foi nue (nuit
des sens et surtout nuit de l’esprit.) Les fruits de cette rencontre sont
considérés par l’unanimité des maîtres spirituels comme des signes certains de
son origine : toute authentique théophanie produit des fruits en paix, joie
intérieure et en désir de charité fraternelle extérieure.
Ainsi, les grâces sensibles, plus ou moins
intenses ou intérieures sont nécessaires au commencement de toute vie
spirituelle. Elles peuvent aussi se montrer indispensables pour certaines
étapes de sa croissance. C’est du moins l’opinion des plus grands maîtres[299].
La raison de la nécessité de ces grâces sensibles est à rechercher dans la
nature même de l’homme qui ne peut arriver au spirituel sans l’instrument de
ses sens.
Une objection pourrait encore être
formulée : Comment est-il possible que ceux qui ont
eu l’expérience d’une rencontre avec l’être de lumière, dans l’hypothèse où
cette rencontre fut réelle et d’origine surnaturelle, comment peuvent-ils
encore avoir la foi ? Ou bien on vit sous le régime de la foi ou bien sous
celui de l’expérience, et si on a eu l’expérience on n’est plus capable d’être
assailli par le doute. A cette question, la réponse est en premier lieu
pratique : Saint Paul, lui dont nous tenons cette définition de la foi,
avait-il lui même la foi, alors qu’il avait rencontré Jésus dans une grande
lumière sur le chemin de Damas et que plus tard il fut enlevé jusqu’au septième
ciel. Les mystiques ont-ils cessé de vivre sous le régime de la foi ? Thérèse
de Lisieux endura dans son agonie le désespoir des incroyants et Bernadette à
la fin de sa vie ne savait plus dire si elle avait vu réellement la Dame. Elles
étaient donc bien sous le régime de la foi pure. En effet, la disparition de la
foi ne peut intervenir que dans la pleine Vision, c’est-à-dire dans le face à
face de la vision de Dieu. Or aucun des saints cités ni même ceux qui ont
approché la mort n’ont vu Dieu face à face. Leur expérience reste sensible,
adaptée au mode humain de connaissance, quoiqu’extatique. De retour dans ce
monde, elle laisse une trace sensible qui ne supprime pas l’absence de nouveau
vécue. Certes, le doute sur l’existence de l’au-delà n’est plus de mise, sauf
épreuve particulière envoyée comme une nuit par Dieu. Mais absence de doute
n’est qu’une propriété normale de la foi, certitude des choses qu’on ne voit
pas.
Qui est l’être de lumière ?
Peut-il être identifié au Christ glorieux ? Nous avons montré précédemment que
tout semblait indiquer la nature non humaine de cet être. Or cela semble
constituer un signe contraire à notre hypothèse concernant l’apparition
glorieuse du Christ - Vrai homme à l’heure de la mort.
En fait, cette objection nous parait peu
essentielle : dans le cadre de notre hypothèse et en particulier du paragraphe
I-3-2-2 concernant l’auteur de la prédication à l’heure de la mort, une seule
chose nous paraît importante. A l’heure de la mort, un envoyé de Dieu, homme ou
ange, suffit par sa manifestation, à révéler au mourant qui est Dieu. En effet,
tout homme et tout ange entré dans la vision béatifique est devenu image
parfaite de Dieu, christoconforme.
Qu’en est-il de la « Near Death Experience
» ? Nous sommes obligés de reconnaître que la description faite par les témoins
de l’être de lumière constitue une remarquable Image de Dieu. Tout en étant
perçu par les sens (lumière blanche, couleurs ineffables, chaleur), il rayonne
spirituellement jusqu’au fond de l’âme du témoin de Lumière spirituelle et
d’amour. On ne saurait mieux décrire en termes humains et surnaturels ce qu’est
à un tout autre niveau le Dieu de l’Évangile. Le fait qu’il s’agisse d’une
Image glorieuse (c’est-à-dire resplendissante de la Beauté qu’elle représente)
suffit à notre hypothèse. C’est bien, nous semble-t-il, une prédication de
l’Évangile qui se réalise ici. Par contre, en toute objectivité, nous hésitons
à conclure en une apparition glorieuse du Christ : nulle part en effet, il
n’est dit que cet être de lumière a forme humaine. La tradition
judéo-chrétienne m’invite à interpréter plutôt cette apparition comme celle
d’un ange, les « messagers »de Dieu, créatures purement spirituelles et
pourtant capables de se rendre visibles aux sens, et qui ne font pas écran
entre Dieu et le sujet, comme nous le voyons à l’Annonciation. A travers
l’ange, c’est Dieu lui-même qui se manifeste, en la personne de Jésus ou en
celle du Saint Esprit. La « lumière blanche » dont parlent tant de témoins fait
penser à la transfiguration dont bénéficièrent Séraphim de Sarov et son
disciple. Mais cet être de lumière se montrant le maître de nos destinées et la
qualité de son amour étant profondément humaine, nous sommes ramenés à la
personne de Jésus. L’hagiographie nous montre que l’expérience des saints est
tantôt christique, tantôt plus pneumatique, mais en fin de compte le Verbe et
le Saint Esprit ne font qu’un quand ils se manifestent aux âmes : c’est une
question d’accent. Quand Dieu se manifeste à un Israélite, on conçoit que
l’accent ne soit pas mis d’emblée sur l’Incarnation, qu’il ignore. Si cette
délicatesse peut être interprétée par certains comme une preuve du
subjectivisme de l’expérience, elle nous paraît plutôt un signe de plus du
caractère surnaturel car très respectueux, de cette parousie. L’essentiel est
que tous les témoins ont expérimenté cette présence comme celle de l’Ami qui
les aime et qui les sauve, et non comme celle d’un inconnu qu’ils chercheraient
à identifier.
2-
Fruits spirituels postérieurs à l’expérience
Le docteur Moody a voulu confronter
l’expérience qu’il rapporte aux critères habituellement utilisés par l’Église
catholique pour vérifier la vérité d’une révélation privée. L’auteur peut
répondre que « c’est précisément dans ce
sens que les personnes interviewées ont été poussées à la suite de leur
approche de la mort. » [300]
Les fruits spirituels de cette rencontre sont multiples.
a-
Un certain changement de vie
Beaucoup de témoins paraissent n’avoir eu
qu’une conversion embryonnaire. Cela n’est pas étonnant si l’on considère leur
point de départ, souvent étranger à toute vie spirituelle. » J’agissais auparavant sous le coup
d’impulsions ; maintenant, je réfléchis d’abord aux choses, calmement,
lentement »[301].
» La vie m’est devenue bien plus
précieuse depuis lors » (p. 111) « C’est
l’esprit qui est devenu pour moi la partie la plus essentielle de moi-même, au
lieu de la forme de mon corps. » (p. 111) Il existe aussi des conversions
plus complètes et plus radicales : « Un
homme, à sa rencontre avec l’être de lumière, s’est senti totalement aimé et
accepté, alors même que sa vie se déroulait en un panorama destiné à être vu de
l’entité. Il lui semblait que la question posée par celui-ci équivalait à lui
demander s’il était capable d’aimer les autres avec la même intensité. Il pense
maintenant que sa mission sur terre consiste à s’efforcer d’apprendre à aimer
ainsi. »[302]. D’une
façon générale, l’auteur peut affirmer que « tous reconnaissent que leur foi religieuse est sortie de l’épreuve
fortifiée »[303].
b-
L’amour du prochain
La plupart des témoins insistent sur leur
désir de se montrer généreux envers leurs prochains à la suite de cette
expérience. Ils semblent marqués par la relecture accomplie en compagnie de
l’être de lumière et qui portait essentiellement sur les relations aux autres.
Ce désir ressort clairement de l’ensemble des témoignages. » A mon retour, j’étais dominé par un désir
envahissant, cuisant, de faire quelque chose pour autrui (...) J’avais
tellement honte de ce que j’avais fait ou n’avais pas fait dans ma vie ; Il me
semblait qu’il fallait tout réparer tout de suite, que cela ne pouvait attendre
»[304].
L’auteur analyse cet amour dans son
deuxième livre : l’amour est selon lui l’» agapé
» grec et la connaissance est la « Sofia.
» « Il s’agissait d’un amour qui n’a rien
à voir avec sous-estimer les gens ; Etais-je capable d’aimer les gens, même
ceux que je connaissais, à fond, avec leurs défauts- voilà ce que l’être de
lumière me demandait. » « Ce que
voulait l’être de lumière en parlant de savoir, c’était une connaissance en
profondeur, en quelque sorte reliée à l’âme... la sagesse plutôt »[305].
L’auteur ajoute : « C’était l’amour qui
se présentait comme le but essentiel. Quand l’être de lumière évoquait la
connaissance, il le faisait en passant, et comme par dessus le marché » [306].
c-
Un désir de la sagesse
A ce désir d’aimer le prochain s’ajoute
donc chez certains un désir de s’instruire.
Certains ont expérimenté un mode
transcendant de savoir : « Plusieurs
sujets m’ont affirmé que, à un certain moment de leur expérience, ils avaient
eu de furtifs aperçus d’une façon d’exister entièrement différente, dans
laquelle toutes les connaissances -celles du passé, du présent et de l’avenir-
se fondaient en une sorte d’état intemporel (...) Cette fugitive vision ne les
avait en aucune façon détournés de l’effort de s’instruire au cours de cette vie,
mais avait au contraire produit chez eux un effet de stimulation. »[307]
d-
L’humilité
L’auteur remarque en concluant : « Pas un seul de ceux que j’ai interrogés n’a
prétendu sortir de l’expérience purifié ou amélioré par rapport aux autres.
Aucun n’a fait montre d’une attitude du style « je suis plus saint que toi. »
En fait, la plupart ont spécifié qu’ils se sentent comme en recherche, en
travail. Leur vision leur a assigné de nouveaux buts à poursuivre, de nouveaux
préceptes moraux (...), mais en aucun cas elle ne leur a inspiré l’idée d’un
salut instantané ou d’une infaillibilité morale »[308].
Quand il y a mission explicite, c’est seulement en accomplissement des devoirs
familiaux.
Autre point remarquable et qui explique
peut-être une forme de réticence à admettre la valeur de cette expérience de
mort approchée par les responsables des religions instituées, c’est que dans
aucun des cas étudiés, il n’a été demandé au mourant de se tourner vers telle
ou telle Église pour y trouver la vérité. Le converti se sent simplement « en travail, en recherche », livré à
lui-même sans autre assistance que le souvenir de sa rencontre. Mais cela n’est
pas étonnant : ainsi en est-il de toute grâce de conversion. Elle est donnée
dans un cœur à cœur sensible et spirituel, d’où la possibilité pour elle de se
corrompre ensuite au contact de mauvais bergers. Sur le chemin de Damas, Paul
fait exception à cette règle commune. Mais il ne s’agit pas d’un simple fidèle
bénéficiant d’une révélation privée : sa vocation était de devenir l’apôtre des
nations. Il convenait que le salut lui vienne à travers l’Église
e-
Au dessus de tout, l’amour et l’obéissance à l’être de lumière
Pour notre part, en tant que théologien
catholique, nous ne pouvons manquer d’admirer la haute valeur spirituelle de
ces fruits. Ils se résument en deux axes : un désir de changer sa vie dans le
sens de la préparation à la rencontre de l’être de lumière et dans le sens de
l’amour du prochain. Or ce désir, si on l’analyse selon les critères du
théologien, n’est pas celui d’un humanisme mais d’une véritable charité
théologale. Le prochain est aimé dans la lumière et pour l’être de lumière qui,
s’il n’est pas Dieu en personne, n’en est pas moins, nous l’avons montré, son
Image souveraine et humaine.
En employant l’expression « expérience
mystique », nous l’opposons à « naturelle » : Il reste en effet à décider de la
nature de l’expérience de mort approchée. Est-elle porteuse d’une grâce
surnaturelle originée dans la rencontre avec un représentant de Dieu (telle est
selon nous la définition chrétienne de la vie mystique) ? Est-elle un rêve du
cerveau en détresse ? Un témoin rapporte : « J’ai voulu tout raconter à mon confesseur. Mais il m’a répondu que
j’avais eu des hallucinations. Du coup, je n’ai plus rien dit »[309].
Le positivisme de notre culture a contaminé bien des pasteurs.
Dans l’expérience de mort approchée, au
delà des phénomènes paranormaux secondaires, l’élément essentiel est d’une part
la vision d’un être souverain et aimant, et d’autre part une parole -la
vocation- qui n’a pas besoin d’être formulée verbalement pour être perçue. Ces
deux phénomènes nous apparaissent comme ordonnés l’un à l’autre : c’est pour « appeler
»que l’être de lumière semble se manifester. Le fait que cette manifestation
puisse arriver à tous les hommes (y compris aux chrétiens fervents) et qu’elle
est toujours source d’une prise de conscience supérieure de l’importance de
l’amour, manifeste sa qualité spirituelle, supérieure à tout ce qui peut être
imaginé humainement. Seule sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, parmi les
mystiques, eut l’audace d’affirmer avant sa mort : « Lorsque je le verrai, je crois qu’il ne pourra pas me surprendre. »
[310]
En fait, elle fut surprise car l’apparition glorieuse du Christ dépasse tout ce
que peut imaginer un homme ici-bas.
Au terme l’expérience mystique, la parole
intérieure est perçue comme distincte de la voie de la conscience. La
croissance de la vie spirituelle (quatrièmes et sixièmes demeures de sainte
Thérèse d’Avila) conduit le croyant à ne plus chercher autre chose que l’amour,
au delà des besoins naturels de sentir ou même de comprendre la finalité de
l’appel. Il apprend par diverses étapes purifiantes que sa réponse fidèle
suffit, au delà de toutes les lumières de la grâce.
Le docteur Moody pense pouvoir
l’identifier[311]
au jugement particulier et définitif de la théologie catholique. Il n’en est
rien. Le jugement dernier prend en théologie catholique un sens très
particulier. Il suit l’acte d’un choix définitif posé par l’âme du mourant et
aboutit à l’assignation par Dieu de son destin éternel. Il s’agit plutôt ici
d’un examen de conscience portant sur l’état provisoire d’une vie non encore
pleinement mûre : « Le jugement que je
portais sur la valeur de ma vie, sachant désormais ce que je savais »[312].
Il semble être mesuré en fonction du degré de développement spirituel du sujet :
« J’avais brusquement mûri (...) La vie
ne se borne pas au cinéma du vendredi soir et aux matches de football ; il y a,
dans ma propre vie, beaucoup plus que je n’en connais moi-même. » [313] Généralement
cependant, l’examen de conscience est spécifiquement moral : « En face d’une action égoïste, les sujets
avaient ressenti une impression de repentir cuisant ; là où ils avaient fait
preuve d’amour désintéressé, ils en éprouvaient du bonheur »[314].
Aussi, déclare un témoin, « quand je suis
revenu à moi, j’avais pris la résolution de tout changer »[315].
Par rapport à l’hypothèse qui nous
intéresse, la relecture de la vie passée prend un sens très favorable : nous
avons montré en théologie catholique à quel point la vie terrestre est
importante puisqu’elle façonne notre personnalité ; En même temps, nous
affirmions que les choix d’ici-bas, parce que teintés d’ignorance et de
faiblesse, ne pouvaient suffire à eux seul à déterminer le choix éternel.
L’expérience de ceux qui ont approché la mort semble confirmer ce fait : la vie
passée a sa place, mais elle est relue à la lumière de la vérité et de l’amour.
Elle prend alors tout son sens pédagogique, quoique restant une disposition au
choix final qui ne relève pas des témoignages rapportés par l’auteur. En tout
état de cause, l’expérience de mort approchée semble aller dans le sens d’une
vision du salut telle que nous l’avons décrite en première partie.
On connaît en psychologie des cas purement
naturels de vision des souvenirs passés. La revue de la vie est parfois vécue
comme un phénomène simplement psychique, provoqué par un état de stress brutal
du cerveau ou de frayeur incontrôlable. Cela arrive fréquemment dans l’instant
d’un danger de mort ressenti intensément, sans qu’il y ait aucune rencontre
avec un être de lumière. Guy de Larigaudie, auteur d’un petit livre de mémoires
intitulé Étoile au grand large[316],
décrit une expérience de ce type. Voulant épater des amies en plongeant du haut
d’une falaise dans l’eau d’un torrent, il eut l’impression fugitive mais
certaine qu’il allait s’écraser sur un rocher en contrebas alors qu’il s’était
déjà élancé. » Dans la seconde qui sépara
mon départ de mon arrivée sain et sauf dans l’eau, je vis défiler ma vie, à une
vitesse inimaginable et pourtant avec un luxe de détails qui me laissa tout
étourdi. Je me revis enfant, je revis jeune le visage de ma mère. » Des
phénomènes analogues peuvent être provoqués cliniquement ou par hypnose. Cela
se produit en un instant réel et peut paraître subjectivement très long. Cette
fausse impression de durée est-elle due à une accélération de la faculté de
perception, sous l’effet de l’émotion ? parfois, lors d’un accident, la
catastrophe est vue comme au ralenti. Cela peut se produire dans de nombreux
cas que Moody cite. Il emploie l’expression de « décomposition du temps », de
parenthèse dans le temps linéaire.
Le cas qui nous occupe est différent.
L’être de lumière semble être la source d’une relecture à la suite de la
question qu’il pose au mourant. Même en présence de l’être de lumière, il
arrive qu’il soit ressenti par les témoins comme autre chose qu’un jugement.
Certains témoins ont trouvé plutôt amusant de revoir leur enfance[317].
Un accidenté par exemple[318]
entre directement dans la phase 2 et voit les sauveteurs s’activer à la
réanimation de son corps. Après avoir parcouru les phases 4 à 7, il fait retour
à la phase 2 et revoit les sauveteurs au moment même où il les a quittés, comme
s’ils s’étaient figés dans leur mouvement, alors qu’il a l’impression
subjective de s’être absenté une heure. Puis il réintègre son corps et le temps
reprend son cours normal.
Depuis toujours, les maîtres spirituels et
les responsables de l’Église catholique sont unanimes à enseigner la plus
grande prudence vis à vis des manifestations extraordinaires. Prudence ne veut
pas dire refus systématique mais discernement des esprits, car tout ne vient
pas du Saint Esprit. La rencontre avec l’être de lumière peut-elle être un
effet de l’imagination ? Il est difficile d’être définitivement concluant pour
cette question. L’expérience de mort approchée a suscité de vifs débats entre
les tenants de son authenticité et les autres. Ces derniers ont fait remarquer
avec justesse l’existence de faits analogues chez les drogués ou dans certaines
formes de maladies mentales. La décorporation, la vision de scènes du passé
inscrite dans la mémoire, l’apparition de morts, tout cela pourrait selon eux
être expliqué par un surgissement dans certaines conditions de l’inconscient
personnel. Cependant, peut-on objecter, chez les malades, de tels phénomènes,
loin de provoquer un mieux être, sont source au contraire d’une aggravation de
l’état mental, d’un désir de fuite du monde et de refuge dans cet imaginaire
protecteur. Les relations avec le réel se dégradent, l’attention au prochain
disparaît. Au contraire, l’expérience de mort approchée suscite toujours un
mieux être : les pensées de suicide disparaissent, l’attention aux autres
redouble, le comportement moral change, une lutte contre les défauts est
entreprise, l’espérance théologale naît. Tout cela ne prouve pas mais indique
avec force qu’on n’est pas en présence d’un rêve mais d’une expérience forte
dont l’effet réaliste est suffisamment puissant pour durer un certain temps
dans la majorité des cas. Ce fait peut être constaté non seulement par le
psychologue mais par tous les proches. La radicale nouveauté de l’expérience
n’est pas à rechercher dans les phénomènes cités mais dans la rencontre
personnelle avec l’être de lumière.
Dans sa chronique du Figaro du 22 janvier
1979, Jean Guitton se dit « frappé de
l’analogie de ces expériences de récupération avec les témoignages des
mystiques dans toutes les religions. » Sa réticence vient d’une crainte,
justifiée à l’époque comme de nos jours, de réduire la mystique à une rencontre
impersonnelle de type New Age avec un Tout harmonieux. Or il nous semble que
Jean Guitton a fait un contre sens en ne remarquant pas que le noyau de ces
expériences est une rencontre entre avec une entité personnelle, un « être de lumière »qui lui manifeste un amour
souverain et miséricordieux. Le fruit de cette expérience est une conversion,
au sens chrétien du mot, qui cependant n’inclut pas nécessairement un
rapprochement avec l’Église chez ceux qui lui étaient étrangers. Ainsi, il y a
analogie avec les expériences mystiques judéo-chrétiennes, bien plus
spécifiquement qu’avec les religions orientales qui ignorent une entité divine
personnelle. Et comme cet amour semble bien avoir un caractère, non pas
seulement souverain, mais en même temps humain, il y aurait, plus
spécifiquement encore, analogie avec la mystique chrétienne. Ainsi, malgré les
réserves qu’il faut faire, le lecteur chrétien se trouve confronté à la
question suivante : comment justifier ces grâces, abondantes, reçues hors de
l’Église visible ? Secondairement, le lecteur est amené à se demander que
penser de l’état de décorporation où se trouve généralement le sujet au cours
de cette expérience. Enfin, quelques témoignages, rares mais précis, faisant
état de la rencontre avec ce que la sagesse populaire appelle des « âmes en
peine », le lecteur ne peut manquer d’être frappé du caractère d’orthodoxie
chrétienne de ce qui est dit à leur sujet.
Une autre critique moins traditionnelle et
très contemporaine mérite d’être citée. Dans la lignée du courant théologique
symbolique contemporain (exaltation du sens symbolique de l’Écriture et
relégation dans le mythe du sens historique) Jacques Neirynck, professeur à
l’École polytechnique fédérale de Lausanne écrit :[319] «
L’exégèse historico-critique appliquée
aux évangiles a sérieusement changé la perspective où nous les lisons.(...)
Lire les évangiles de Pâques, ces récits bien évidemment non historiques, est
tout aussi nécessaire aujourd’hui pour l’esprit cultivé que de connaître les
textes littéraires que sont Oedipe-roi, la belle au bois dormant et Robinson
Crusoë. Mais seuls les enfants posent la question naïve de savoir s’ils ont
existé. (...) Ne sommes-nous pas restés dans cette attitude infantile à l’égard
de Pâques ? Ne cherchons-nous pas des assurances pseudo-scientifiques de notre
résurrection dans les comptes rendus de « Near Death Experience » (Expérience
proche de la mort) ? »
Le côté paradoxal de l’exégèse
historico-critique, consiste en ce qu’elle prétend distinguer de manière
scientifique ce qui dans l’Écriture est historique et ce qui n’est que
symbolique. Or, bien souvent, ses arguments rationnels sont si faibles que ses
conclusions apparemment scientifiques ne sont que le reflet de la foi ou de
l’incroyance de leur auteur. Monsieur Neirynck illustre ce travers. Son
argumentation exégétique est faible : parce qu’il discerne quelques
contradictions dans les récits de la résurrection du Christ (Y avait-il une
femme ou deux femmes au tombeau, un ange ou deux anges ?), il les relègue tout
entiers dans le domaine des contes symboliques. Il ressemble en cela à
Drewerman. Sans doute a-t-il trop étudié en faculté pour savoir discerner
épistémologiquement un témoignage d’une Thèse d’État en histoire. Parce qu’il
est incroyant (la foi rappelons-le, est une réponse d’enfant à une révélation digne de confiance) et parce qu’il veut
paraître intelligent, il se pose dans une attitude de recul rationaliste. Il en
résulte une bouillie théologico-littéraire d’où il est difficile de discerner
ce qui relève de l’incroyant et de l’exégète rigoureux. On peut porter un
regard analogue sur sa critique de la « Near Death Experience. » La rejette-t-il
parce que, a priori, l’homme cultivé
ne saurait porter un regard scientifique sur une telle expérience trop
grossièrement évangélique ? Ou parce qu'il s’est appliqué de manière rigoureuse
à étudier les témoignages ? Ainsi, dans ce monde où il est de bon ton pour
l’homme cultivé de ne pas paraître naïf en restant croyant, il est souvent de
bon ton de ne pas paraître naïf en restant philosophe.
Pour notre part, quitte à paraître naïf,
nous avons abordé ce phénomène paranormal avec la même option de crédibilité
philosophique que nous accordons à tout récit hagiographique ou simplement au
récit ingénu d’une conversion, avec l’apport supplémentaire du nombre. Il ne
s’agit pas d’un récit mais de centaines. Nous n’avons rien rejeté a priori mais nous avons soumis les
témoignages à une étude critique raisonnable (l’hyper criticisme n’est pas
philosophique.)
Nous avions cité précédemment un dilemme
posé par J.J.Rousseau à l’Église dans la Profession de foi d’un vicaire
savoyard. Il le pensait insoluble.
« Ou le christianisme est nécessaire au salut, et vous êtes
obligés de damner tous les millions d’hommes qui ont vécu avant le Christ ; Ou
bien vous direz qu’ils pouvaient être sauvés, mais alors le christianisme n’est
pas nécessaire au salut. »
Il est vrai que ce dilemme est difficile à
résoudre dans le cadre d’une ecclésiologie trop centrée sur l’aspect
hiérarchique ou sacramentel de l’Église. A travers cette hypothèse, nous
espérons avoir ouvert la voie d’une réponse authentiquement évangélique :
Dans le christianisme, les seules réalités
absolues, faites pour demeurer éternellement, sont les personnes, à savoir le
Christ et nos frères. L’amour de charité est le lien qui unit pour toujours
Dieu et ses amis. Pris en ce sens, qui n’est autre que la communion des saints, le christianisme ne disparaîtra jamais. Tout
le reste (hiérarchie, sacrements, états de vie etc.), est appelé à disparaître.
Il ne constituait qu’un moyen en vue de la croissance du lien de la charité qui
construit la communion des saints, c’est-à-dire l’Église.
Nul homme ne peut être sauvé en dehors de
la communion des saints. Mais, parallèlement, nul homme ne peut être damné sans
avoir lucidement blasphémé la communion des saints.
Ainsi, le christianisme en tant que religion structurée n’est
nécessaire que dans la mesure où il construit la charité théologale. S’il ne le
fait plus, par manque de saints, il devient inutile et parfois nuisible.
Mais le christianisme, en tant que communion des saints fut
nécessaire pour tous les hommes de tous les temps. Tous ont expérimenté, avant
même la naissance du Christ, ce que signifie être accueillis par une Église
Sainte et éternelle à l’heure de la mort. C’est ce que nous espérons avoir
démontré.
L’heure de la mort est l’heure de la
réunion définitive des saints, libérés enfin, dans la lumière de la venue du
Christ accompagné des habitants du Ciel, d’une trop longue séparation.
Nihil
Obstat Archevêché de Paris
Paris,
le 12 mars 1992 (n°50), M. Dupuy
Imprimatur
Archevêché de Paris
Paris,
le 5 novembre 1992, Mgr M. Vidal
Auteur : Arnaud DUMOUCH, Agrégé en Théologie Catholique, Paris,
1992.
Dans la récente édition de la Somme Théologique de saint Thomas
d’Aquin, le choix des traducteurs fut de ne pas faire figurer le
"Supplément" Les raisons se comprennent aisément. Cette partie de la
Somme n’est pas directement de l’auteur, puisque celui-ci mourut prématurément.
Elle est le fruit d’une compilation réalisée par ses disciples à partir
d’œuvres de jeunesse. Et la qualité de ce Supplément est loin de valoir le
reste de l’œuvre. On peut même dire sans exagération que la théologie
catholique a connu des siècles de blocages sur bien des points de ces traités
abusivement vénérés au même titre que le reste de son œuvre de maturité (Voir
en particulier l’histoire des doctrines de l’ordre, du mariage et des fins
dernières).
En 1273, Thomas d’Aquin était âgé de 47 ans. Depuis longtemps, il
était connu dans la chrétienté comme l’un des plus grands docteurs jamais
donnés à l’Église. Il dictait alors la troisième et dernière partie de sa Somme
Théologique. Il avait dicté à son fidèle ami et disciple, frère Reginald, un
article concernant le sacrement de la Pénitence. S’étant rendu à l’église
Sainte Dominique pour y célébrer la messe, il fut pris d’une extase. Lorsqu’il
revint à lui, plusieurs frères dominicains qui avaient été témoins de son
ravissement voulurent connaître de sa bouche ce qu’il avait vu. Mais Frère
Thomas d’Aquin se tut puis se retira dans sa cellule. Frère Reginald étant venu
près de lui comme à l’habitude pour recevoir la dictée de la suite de son
travail, il fut renvoyé. Le lendemain, il revint mais Frère Thomas d’Aquin ne voulut
rien lui dicter. Il en fut ainsi les jours suivants au point que son ami finit
par lui demander en privé la raison d’un tel comportement. Frère Thomas d’Aquin
lui avoua alors ceci : « J’ai vu des choses que la langue de l’homme ne peut
exprimer" Et comme Frère Reginald insistait, il continua : « À côté de ce
qui m’a été révélé, tout ce que j’ai écrit et dit m’apparaît comme rien. » À
partir de ce jour, Frère Thomas d’Aquin n’écrivit plus rien. Sa Somme resta
inachevée, à l’endroit même où son extase l’avait saisi. Sa méditation sur la
Pénitence s’éteint dans le silence de Dieu comme si tout l’effort de l’homme
n’était rien devant la Lumière. Frère Thomas d’Aquin mourut moins d’un an plus
tard. Ses disciples s’efforcèrent de compléter l’œuvre théologique qu’il
laissait inachevée ; mais leur travail ressemble à celui d’un architecte
maladroit qui s’efforcerait d’achever à sa façon la flèche d’une cathédrale
laissée par les siècles. Le génie de saint Thomas d’Aquin est unique. On ne
peut que l’imiter.
Le Thomisme n’est surtout pas une doctrine. C’est à cause de cette
confusion qu’il est devenu aujourd’hui insupportable pour beaucoup dans les
Églises chrétiennes. C’est d’abord un esprit. Si la Somme Théologique a
contribué à faire de son auteur le plus grand Docteur de l’Église catholique,
c’est certainement à cause de cet esprit qui l’anime de bout en bout.
Malheureusement, seul le temps et la maturation permet de le discerner.
Saint Thomas d’Aquin fut d’abord, à l’école d’Aristote un grand
philosophe. Il apprit à écouter la réalité, à s’y soumettre selon toutes ses
dimensions. Même lorsqu’elle lui semblait d’un premier abord contradictoire
avec la révélation, il s’y soumettait. Il remettait en cause son interprétation
de la révélation. Jamais l’affaire Galilée n’aurait pu avoir lieu si les
théologiens de cette époque avaient été vraiment thomistes. Jamais la science
actuelle dans son réalisme ne se serait à ce point séparée de la philosophie
devenue idéaliste et coupée du réel si Descartes avait été disciple de saint
Thomas.
A son école, nous ne cesserons de tendre à l’écoute de la réalité.
Nous ajouterons à la méthode nécessairement limitée, vu les outils
scientifiques de son époque, ceux d’aujourd’hui. Cet effort apparaîtra
particulièrement dans le traité de la résurrection. La nature du corps glorieux
apparaîtra plus mystérieuse qu’à l’époque de saint Thomas depuis que nous
approchons mieux aujourd’hui l’incroyable diversité d’états que peut prendre la
matière. De même, notre traité de l’heure de la mort a été marqué profondément
par l’expérience de la mort approchée. Cette expérience, non accessible à la
science positive est tout à fait réaliste au plan d’une enquête rigoureuse de
philosophie.
Saint Thomas d’Aquin fut un grand théologien car il fut avant tout
un homme de foi. Il se permet des audaces doctrinales très grandes car il sait
s’appuyer sur le rocher de la révélation. Il n’essaye jamais de remettre en
doute les définitions solennelles du Magistère. Il croit en la protection de Dieu
sur le ministère de Pierre. Il sait hiérarchiser avec précision le degré de
chaque autorité. Il a raison d’agir ainsi. La qualité de son travail en est
rendue unique. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder la structure de
ses articles. Chacun est centré sur un argument d’autorité qu’il tire, le plus
souvent qu’il le peut, de l’Écriture Sainte ou encore de l’enseignement de
l’Église ou des docteurs reconnus.
Cependant, il est conscient que l’utilisation de l’Écriture Sainte
par fragments détachés de leur contexte risque de conduire à négliger leur
genre littéraire et par la suite à faire erreur sur leur sens. Aussi saint
Thomas d’Aquin ne se contente pas de ces arguments mais fait suivre son étude
par un raisonnement théologique que l’on peut qualifier de scientifique. Il
s’agit d’une science au sens profond du terme puisque, appuyé sur la
révélation, il s’efforce d’en établir les multiples conséquences par un
raisonnement rigoureux. Il fait confiance à l’intelligence humaine et l’établit
dans toutes ses potentialités au service de la foi. Il réalise à l’avance cette
maxime de saint François de Sales : « La foi et la raison sont filles d’un même
Père : elles doivent avancer ensemble comme deux affectionnées"
L’esprit et la méthode de saint Thomas d’Aquin vont encore plus
loin : Pour mieux approcher le réel révélé, il écoute les penseurs qui l’ont
précédé. Il s’intéresse aux docteurs et aux théologiens reconnus par l’Église
comme aux hérétiques. Il cite leur thèse en une série d’objections quand elles
s’opposent à ses propres opinions. À la fin de chaque article, il s’efforce de
leur répondre, sur un ton mesuré et jamais polémique, et la vérité s’en trouve
bien.
Chaque article, construit pour répondre
à un problème précis, fait lui-même parti d’un ensemble organique plus grand
appelé "question. » Ces questions correspondent chacune à un des grands
axes de compréhension du sujet traité. Elles rejoignent souvent les cinq
causalités telles qu’elles ont été définies par Aristote.
Sa logique : C’est que, outre cet esprit de foi qui fonde toute la
théologie thomiste, il existe une méthode structurellement aristotélicienne. Il
fit de ce maître le formateur de sa pensée. Il fit traduire du grec,
spécialement pour lui, une grande partie des écrits du philosophe. Il
s’imprégna de sa pensée non seulement à cause de sa parfaite structure
analytique mais surtout à cause de la vérité qu’on peut y trouver. Selon saint
Thomas d’Aquin, Aristote n’est autre que le "philosophe », c’est-à-dire
celui qui, parmi tous les chercheurs de la vérité, l’a approchée de plus près.
De tout cela, il résulte un exposé
organique, très complet, précis et, malheureusement, trop souvent utilisé par
les lecteurs d’une manière scolaire et désincarnée. Pour éviter ce risque, il
faut se souvenir qu’au delà de la fidélité doctrinale, l’esprit de saint Thomas
d’Aquin consiste dans la charité. Il n’utilise les moyens de connaître mieux
que pour mieux aimer. Ainsi, sans une vie d’oraison et un exercice quotidien de
l’amour du prochain, le lecteur de tels traités court le risque d’hypertrophier
sa raison.
Dans le travail qui est le mien,
j'essayerai d’appliquer la même méthode à ce que, selon moi, devrait être un
traité complet des fins dernières.
Mon intention première est théologique.
Il s’agit de montrer l’harmonie totale de la révélation chrétienne lorsqu’on
lui donne son sens ultime, son terme.
Il s’agit aussi de montrer la valeur
unique que peut prendre la pensée chrétienne lorsqu’elle fait le double pari de
la fidélité catholique aux trois canaux de la révélation (Écriture, Tradition
Magistère) et de la soumission philosophique au réel.
Mon intention est enfin pastorale. Une théologie peut être plus
facilement mise au service de la prédication lorsqu’elle s’organise selon un
plan structuré et sait aborder les questions subtiles dans un langage à la fois
précis et simple. Il est important que la prédication des fins dernières
viennent à nouveau soutenir l’espérance. Si les prédicateurs se remettent à
enseigner notre avenir, la foi et la charité reprendront feu.
Remarque : L’esprit de saint Thomas n’est pas toujours sa lettre :
Certains points de ce travail sont dans la droite ligne de
L'ESPRIT DE SAINT THOMAS... et pourtant sont opposés SELON LA LETTRE. Les
voici, pour le propre jugement du lecteur.
2 points sont fondamentaux et visibles car à la source des autres
:
1° La possibilité de la survie du psychisme
(la vie sensible) à la mort. C'est absolument nié par saint Thomas...
2° La nécessité, dans le passage de la mort,
d'une parousie du Christ glorieux, accompagné des saints et des anges. C'est
nouveau, cela ne fait pas partie de la foi définie. Mais cela ne s'y oppose
pas, loin de là. Seule sainte Faustine et Marthe Robin en parlent... Si cela se
révèle vrai, les conséquences sont essentielles pour toute la théologie
catholique.
3° L'impossibilité des limbes ETERNELLES.
"Tout homme se verra proposé le salut. » Mais la probabilité de limbes...
PROVISOIRES (là encore, ce n'est pas thomiste et c'est pour moi un point
essentiel).
Deux points sont importants quoique seconds :
1° Les SIX degrés du purgatoire (ils ne sont
que la compilation de ce que les saints ont ajouté depuis la mort de saint
Thomas).
2° Les peines de l'enfer ne sont pas
surajoutées par Dieu. Elles sont toutes, y compris le feu corporel, les
conséquences NATURELLES de la privation de la fin, la vision béatifique.
Enfin, deux points sont accessoires :
1° Certaines considérations sur le corps ressuscité
et le monde physique nouveau. Elles sont dues aux progrès de la physique.
2° La présence d'animaux et de plantes dans
le monde nouveau (explicitement niée par saint Thomas).
Quand Saint Thomas d’Aquin est mort, laissant la Somme de
Théologie inachevée, son disciple, Frère Reginald, s’efforça de remplacer ce
que le maître n’avait pu faire en prenant, ici et là, dans d’autres œuvres, des
éléments susceptibles de jouer ce rôle. Il se servit principalement du
commentaire des Sentences de Pierre Lombard, qui est une œuvre de jeunesse. Il en
sortit un résultat qui n’est pas inintéressant, mais qui, malheureusement,
pèche par bien des points. Le traité le plus faible, lorsqu’on le regarde avec
un œil du XXIème siècle, est celui du mariage. Mais peut-on
reprocher à saint Thomas d’Aquin de n’avoir pas eu le Pape Pie XII et le
Concile Vatican II ? Le traité de la Résurrection est souvent inutilisable car
le maître appuie ses raisonnements sur une science physique erronée, celle du
Moyen Âge ; Quant au traité des fins dernières dans son ensemble, frère
Reginald prit le parti de le centrer autour du mystère de la résurrection des
corps. Ce choix est commode car il permet de voir beaucoup de choses en les
groupant dans "ce qui précède la résurrection, ce qui l’accompagne et ce
qui la suit" Cependant, un tel ordre présente l’inconvénient d’être peu
scientifique, c’est-à-dire de ne pas mettre en valeur le principe de toute
l’intelligibilité de l’au-delà, à savoir la fin, le but qui éclaire tout et
vers lequel tout chemine : la vision de Dieu.
De telles critiques sont fondamentales,
surtout si l’on est habitué à l’extrême précision des analyses thomistes
habituelles. Quel est, de fait, le bonheur ultime de l’homme ? Le recouvrement
de son intégrité physique ? Mais les damnés eux-mêmes ressuscitent. Il semble
que l’Évangile insiste sur l’annonce certaine du miracle futur de la
résurrection des corps pour mieux démontrer, par mode de signe concret, la
réalité de la seule vie qui de fait donne sens à cette résurrection, celle de
l’entrée dans la gloire. En conséquence, s'il faut présenter un traité complet
des fins dernières selon une analyse thomiste,
1° Il faut l’inaugurer d’une première partie
intitulée la vision béatifique.
2° Dans un deuxième temps, parce que le destin de l'homme se réalise selon
un devenir (passé, présent, futur), il faut reprendre le plan général de Frère
Reginald : ce qui précède la résurrection, ce qui l’accompagne et ce qui la
suit.
3° Cependant, et cela paraîtra dans le
résumé qui va suivre, il faudra bouleverser l’ordre des questions et en ajouter
d’autres selon les précisions théologiques apportées par l’Église ou par les
saints.
Voici le plan du traité :
PREMIÈRE PARTIE : LA
VISION BÉATIFIQUE
1° Ses convenances dans le plan de Dieu.
2° Sa nature.
3° Sa cause.
4° Son siège dans l’âme humaine.
5° Ses effets dans l’homme.
6° Les conditions ontologiques dans l’âme
pour qu’elle soit possible.
7° Les conditions spirituelles requises pour
être digne d’être élevé par Dieu à la vision béatifique.
DEUXIÈME PARTIE : CE QUI
PRÉCÈDE LA RÉSURRECTION
8° La mort ; (ici se situe notre thèse par
rapport à l’ensemble du traité).
9° La condition de l’âme séparée du corps.
10° Le jugement dernier de l’individu.
11 à 14° L’enfer ; (cette question complexe
nécessite en effet plusieurs chapitres)
15 à 17° Le purgatoire.
18° La condition des âmes des enfants morts
sans baptême.
19° Les suffrages pour les défunts.
20 à 24° Le paradis.
25° Le retour du Christ ; (nous quittons ici
l’étude du destin individuel pour celle du destin des communautés humaines).
26 à 32° Les signes de la fin du monde.
33° La fin du monde.
TROISIÈME PARTIE : LA
RÉSURRECTION
34 à 37° Sa cause, son mode, son point de départ.
38 à 40° L’état des ressuscités.
41 à 46° L’état corporel des élus comparé à celui
des damnés.
47° La conflagration du monde.
48° Le monde physique nouveau.
QUATRIÈME PARTIE : CE QUI
SUIT LA RÉSURRECTION
49 à 52° Le jugement général de l’humanité.
53° L’état du monde après le jugement.
Ce plan donne une idée générale de la structure du traité. Notons
qu’il y apparaît une distinction entre l’eschatologie de la communauté et celle
de l’individu[320].
Nous n’avons cependant pas voulu la faire apparaître sous forme de grandes
parties indépendantes afin de ne pas laisser penser qu’il s’agit d’une division
plus qu’une distinction. Il faut en effet remarquer que si l’Ancien comme le
Nouveau Testament soulignent davantage l’eschatologie de la communauté en tant
que telle, cela ne veut pas dire que le salut soit une réalité toute faite qui
intéresse une communauté anonyme et non pas l’individu. Bien au contraire,
c’est l’individu qui s’insère dans la communauté par une adhésion de foi
personnelle. Si par le passé on a surtout présenté l’eschatologie sur le plan
individuel, aujourd’hui, on met en évidence sa dimension communautaire et
cosmique. Cependant, même à l’intérieur de l’eschatologie individuelle, la
dimension communautaire garde une place fondamentale. Ainsi, même dans la mort,
qui est le moment où l’individu se trouve seul, la personne se trouve confrontée
à l’autre monde et à sa vie tout entière. Ainsi, là encore, les rapports avec
les autres gardent une importance capitale. Il en va de même pour la béatitude
céleste, qui tout en reliant l’individu à la Trinité, l’associe à l’Église
triomphante avec ses anges et ses Saints et nous apparaît donc comme une
réalité communautaire.
Ces questions sont traitées dans un
langage qui recherche la précision intellectuelle. Elles paraîtront au premier
abord desséchantes. Saint Thomas avait choisi ce style pour les débutants en
théologie. Il pensait éviter les répétitions. Beaucoup lui ont reproché par la
suite d’avoir étouffé l’Esprit Saint dans la pensée occidentale. Pour éviter ce
danger, la solution est donnée par le Saint lui-même : ne jamais travailler la
théologie sans prier ; Prier surtout Marie qui sait rendre doux ce qui est
rigide.
Nous sommes arrivés à traiter de la fin dernière de la vie
humaine, celle des bienfaits que le sauveur nous a préparés. Et le bienfait
principal, c’est la vision béatifique où Dieu se montrera à nous "face à
face" Il s’agit de la fin de la vie immortelle, selon cette parole de
saint Augustin : « Te posséder toi, ô mon Dieu, c’est être riche de tous les
biens »[321]. Nous
traiterons ensuite de la résurrection qui réalise jusque dans notre corps les
promesses du sauveur.
Ce traité se divise en quatre parties :
1° La vision béatifique en elle-même.
2° Les moyens ultimes par lesquels Dieu nous
conduit à la vision béatifique, au moment de notre mort, après notre mort et à
la fin du monde.
3° La résurrection qui est la rémunération
due à notre corps qui a participé à nos actes durant la vie terrestre.
4° Ce qui suit la résurrection, à savoir le
monde nouveau, lieu du jugement général et éternel de tous sur tout.
Dans la première partie, nous aurons à
considérer :
1° La convenance de la vision béatifique.
2° La nature de la vision béatifique.
3° Sa cause.
4° Son siège en nous.
5° Ses effets et sa durée.
6° Les conditions requises par l’âme pour
qu’elle soit capable de la vision béatifique.
7° Les conditions spirituelles requises pour
être digne d’être élevé par Dieu à la vision béatifique.
Dans cette première partie, je me suis
efforcé de dévoiler la lumière qui permet de comprendre théologiquement
absolument tout l’univers créé. Dieu a tout fait à cause d’un projet unique de
son cœur : il veut communiquer (1) son bonheur infini à des créatures
spirituelles (2) Il veut se montrer face à face, gratuitement, à ceux qui l’aiment
(3) Or, la Vision béatifique (4), c’est le bonheur absolu, à savoir la
béatitude (5).
Celui qui saisit le sens de ce projet de
Dieu peut comprendre dans un regard simple toute la théologie chrétienne car il
a saisi la source et le but de tout ce qui est.
(1) Questions 1 et 3, (2) Question 4 ;
(3) Question 7 ; (4) Question 5
(5) « La croyance au Ciel, épurée mais réelle, est nécessaire
pour que la terre demeure habitable et pour que l’homme soit délivre de son
angoisse devant la mort. Le Ciel fait reconnaître la terre comme l’espace où se
joue la comédie divino-humaine, constamment élevée au-dessus d’elle-même par un
incessant jeu d’amour. » [322]
Pour envisager les convenances du
mystère de la vision béatifique nous nous poserons sept questions :
1° Dieu appelle-t-il l’homme à la vision
béatifique ?
2° La vision béatifique est-elle nécessaire
à la béatitude parfaite de l’homme ?
3° Dans l’hypothèse où Dieu n’aurait pas
proposé la vision béatifique, l’homme aurait-il été heureux dans l’au-delà ?
4° Le motif ultime de la création de l’homme
est-il l’entrée dans la vision béatifique ?
5° Le motif ultime de la création on de
l’ange est-il l’entrée dans la vision béatifique ?
6° Dans l’hypothèse où Adam Ève n’auraient
pas péché, seraient-ils entrés dans la vision béatifique ?
7° Le motif ultime de l’Incarnation et de la
Rédemption opérée par le Verbe est-il de nous introduire à nouveau dans
l’espérance de la vision béatifique ?
8° Convenait-il que la vision béatifique ne
nous soit donnée qu’après une vie terrestre ?
Objection 1 :
La béatitude éternelle de l’homme ne semble pas pouvoir consister
dans la vision de l’essence divine car selon la parole de Denis : « le suprême
effort de l’intelligence consiste à s’unir à Dieu comme à un être pleinement
inconnu ». Ainsi, la dernière perfection de l’intelligence ou béatitude ne
consiste pas à voir l’essence divine. [323]
Objection 2 :
Dieu ne peut proposer à l’homme une chose qui est impossible. Or
la vision béatifique, qui consiste à voir Dieu tel qu’il est, est impossible à
l’homme, selon cette parole de l’Écriture : « Nul ne peut voir ma face, car
l’homme ne peut me voir et vivre »[324].
Il semble donc que Dieu n’appelle pas l’homme à la vision de son essence.
Objection 3 :
De même, l’homme ne doit pas désirer des réalités qui ne sont pas
à sa portée : « oui, Dieu est si grand qu’il dépasse notre science"
reconnaît le livre de Job[325].
La vision de l’essence de Dieu dépasse l’homme. L’homme ne peut donc la désirer
sans courir le risque de tomber dans le péché de présomption.
Cependant :
Saint Paul dit aux corinthiens : « maintenant, nous voyons dans un
miroir, d’une manière mystérieuse, mais alors nous verrons face à face ».1 Ce qui se voit face à face se voit dans son
essence. Les saints dans la patrie verront Dieu dans son essence.
En outre, saint jean dit : « quand il apparaîtra, nous serons
semblables à lui, car nous le verrons tel qu’il est »[326].
Nous le verrons donc dans son essence.
Conclusion :
C’est une donnée de la foi que la fin ultime de la vie humaine
consiste en la vision de Dieu. C’est en ce sens que s’exprime le pape Benoît
XII, à travers une parole solennelle et définitive « les âmes saintes aussitôt
après la mort et la purification pour sceller qui en ont besoin, avant même la
résurrection dans leur corps et le jugement général, entrent au Ciel, au
royaume des cieux et au paradis céleste avec le Christ et les anges saints.
Elles voient l’essence divine d’une vision intuitive et même face à face, sans
la médiation d’aucune créature qui serait un objet de vision. La divine essence
se manifeste plutôt à eux à nu, clairement et à découvert et, par cette vision,
elles jouissent de cette même essence. Par cette vision et cette jouissance,
les âmes sont vraiment bienheureuses et possèdent la vie et le repos éternels ».[327]
Solution 1 :
Le texte de Denis qu’on nous cite concerne la connaissance de Dieu
qu’ont en cette vie ceux qui tendent à la béatitude
Solution 2 :
Ce qui est impossible à l’homme n’est pas irréalisable si l’on
considère la puissance de Dieu. Seules les choses contradictoires en soi
échappent à la puissance de Dieu. Dieu ne peut faire par exemple que ce cercle
soit en même temps carré. La vision béatifique n’entre pas dans ce genre
d’impossibilité. Elle est seulement impossible relativement à a puissance
naturelle de l’homme. Rien n’empêche donc que Dieu, par sa gloire, surélève les
facultés de l’homme.
Solution 3 :
L’homme ne peut désirer une chose qui le dépasse sauf si Dieu lui
en donne l’ordre. C’est pourquoi les saints n’encouraient pas le péché de
présomption quand leur désir commun attendait de Dieu la vision de son essence,
selon l’exode : « Montre-moi ta gloire » [328]
et le psalmiste : « montre ta face et nous serons sauvés »[329].
Bien au contraire, c’est à cause de leur très grand amour de Dieu qu’ils
s’exprimaient ainsi.
Objection 1 :
La vision de l’essence divine dépasse les capacités naturelles de
l’homme. Elle dépasse donc aussi son désir naturel. Il semble donc que ces
désirs naturels de bonheur peuvent être satisfaits par des biens inférieurs
comme une certaine contemplation de Dieu à travers ses œuvres, une harmonie
avec les créatures spirituelles et avec l’univers.
Objection 2 :
Ensuite, la perfection d’une nature
supérieure est elle-même supérieure. Or la vision de l’essence divine est la
perfection propre de la nature divine. Elle dépasse les aspirations de la
nature humaine qui est faite pour contempler Dieu de loin. On doit donc dire
que la destinée de l’homme est dans une fin moins haute[330].
Cependant :
La dernière et parfaite béatitude de
l’homme ne peut consister qu’en la vision de l’essence divine. La raison en est
que l’homme ne saurait être parfaitement heureux tant qu’il lui reste quelque
chose à désirer et à poursuivre. Or, si l’homme ne voit pas l’essence divine,
il ne connaît pas la Réalité qui donne raison à tout ce qu’il est et à tout ce
qui s’entoure. Il reste donc en son intelligence un manque et son bonheur ne
peut être plénier.
Conclusion :
La dernière et parfaite béatitude de
l’homme ne peut être effective que si les facultés vitales qui sont en lui se
reposent parfaitement dans leur objet. La perfection d’une faculté doit être
appréciée d’après la nature de son objet. Or l’objet de l’intelligence est la
quiddité des choses, autrement dit leur essence, ce qu’elles sont. D’où il
résulte que la perfection atteinte par l’intelligence procède de la
connaissance qu’elle a de l’essence des réalités. Si donc une intelligence
connaît dans son essence un certain effet, mais de telle sorte que par cet
effet elle ne puisse parvenir à la connaissance de la cause dans son essence
même à savoir dans ce qu’elle est, on ne peut dire que cette intelligence
atteigne purement et simplement la cause bien que, par l’effet envisagé, elle
sache de cette cause qu’elle est. Voilà pourquoi, en raison de sa nature même,
l’homme désire non seulement connaître l’existence d’une cause mais aussi la
nature de cette cause, ce qu’elle est. Et c’est là un désir d’admiration ou
d’étonnement qui provoque la recherche, comme il est dit au début de la
Métaphysique d’Aristote. Par exemple, quelqu’un, voyant une éclipse de soleil,
comprend qu’elle doit avoir une cause, et comme il l’ignore, il s’étonne,
admire, et sous l’empire de ces sentiments, il cherche et son investigation
n’aura de cesse qu’il ne soit parvenu à connaître l’essence même de cette
cause.
De la même manière, l’intelligence
humaine, quand elle connaît dans son essence un effet qu’elle sait créée par
Dieu mais qu’elle ne connaît rien de ce Dieu sinon son existence, ne peut
prétendre connaître en plénitude la Cause Première. Il lui reste un désir
naturel de chercher à connaître cette cause. Elle n’est donc pas encore
parfaitement heureuse. En conséquence, dans la parfaite béatitude, il faut que
l’intelligence atteigne à l’essence même de la Cause Première. C’est ainsi
qu’elle obtiendra sa perfection absolue par son union à Dieu comme à son objet
puisqu’en cet objet seul consiste la béatitude de l’homme ainsi que nous
l’avons dit[331].
On peut, donner une autre raison commune aux philosophes et aux
théologiens : connaître intellectuellement étant par dessus tout l’opération
propre de l’homme et de toute créature spirituelle. Il faut que sa béatitude
consiste en la forme la plus parfaite de cette opération. La perfection de
celui qui connaît en tant que tel, est l’intelligible lui-même : si dans
l’opération la plus parfaite de l’intelligence l’homme ne parvenait pas à voir
l’essence divine mais un autre objet, on devrait dire que l’homme est béatifié
par autre chose que Dieu et puisque l’ultime perfection de chaque chose
consiste dans la conjonction avec son principe, il s’en suivrait que le
principe effectif du bonheur de l’homme serait autre chose que Dieu, ce qui
nous semble absurde. C’est pourquoi, selon nous, on doit dire qu’il est
nécessaire que l’essence divine soit vue pour qu’une béatitude parfaite existe.
Solution 1 :
La réalisation de la vision de l’essence divine dépasse les
capacités naturelles de l’intelligence humaine. Il existe par contre un désir
naturel de connaître l’essence de Dieu, en tant qu’elle est cause de tout le
monde créé et qu’elle seule peut nous en donner la parfaite intelligibilité.
Solution 2 :
En ce qui concerne les degrés qu’on
signale entre les natures il faut observer ceci : le mot fin se prend en deux
sens :
a)
Il signifie la chose même qui est désirée et, en ce
cas, la fin est la même pour la nature inférieure, votre pour tous les êtres,
puisque toute chose existe pour Dieu.
b)
La fin se prend aussi pour l’entrée dans la
possession de la chose, et alors la fin est différente pour la nature
supérieure et pour la nature inférieure, à cause du rapport diffèrent qu’elles
entretiennent avec cette chose. Ainsi, Dieu a une plus haute béatitude du fait
qu’il enveloppe complètement par son intelligence sa propre essence, que
l’homme ou que l’ange qui voient cette essence mais ne l’épuisent pas dans
toute son intelligibilité.
Objection 1 :
Il semble que l’homme n’aurait pas été heureux. Saint Augustin
affirme dans ses confessions : « Posséder toutes choses sans t’avoir, toi, ô
mon Dieu, c’est être démuni de tout ».
Objection 2 :
Être séparé de Dieu dans l’au-delà, sans espoir de le voir un
jour, c’est ainsi que l’on définit l’enfer. Or il n’y a pas de bonheur en
enfer. L’homme, s’il n’a pas après la mort la Vision Béatifique ne peut donc
aucunement être heureux.
Objection 3 :
Cette question paraît insensée. Au
paradis terrestre, Dieu avait comblé Adam et Ève de la plus haute béatitude
possible, exception faite bien sûr de celle que donne la vision béatifique. En
conséquence, un au-delà sans vision béatifique n’eut été qu’une prolongation
éternelle du jardin d’Eden.
Cependant :
Même sur cette terre, l’homme peut atteindre à un certain degré de
bonheur. Il peut y avoir un bonheur naturel fondé sur l’amitié et une certaine
contemplation de Dieu comme en parle Aristote dans l’éthique à Nicomaque. Il
peut aussi y avoir un bonheur surnaturel fondé sur la grâce donnée par Dieu
"je les comblerai de joie dans ma maison de prière" dit le Seigneur[332].
Conclusion :
La béatitude plénière, telle que nous
l’avons décrite dans l’article précédant, consiste en la disparition de tous
les désirs, aussi bien pour l’esprit que pour le corps de l’homme. Elle ne peut
donc se réaliser que par la possession de tous les biens et surtout de celui
qui les contient tous : Dieu lui-même. Mais rien n’empêche qu’il existe des
degrés de béatitude qui, s’ils ne sont pas pléniers, peuvent néanmoins être de
véritables bonheurs. Ainsi, Adam et Ève jouissaient dans le paradis terrestre
de la béatitude la plus parfaite possible, bien qu’il leur manquât la vision
béatifique. C’est vers un tel bonheur retrouvé qu’aspirent les adeptes de
l’Islam.
Si Dieu n’avait pas proposé à l’homme la vision béatifique, il lui
aurait préparé dans l’au-delà un bonheur à sa mesure mais il ne lui aurait pas
donné le bonheur absolu qui ne peut être obtenu qu’à travers la vision, la
possession et la jouissance de Dieu. En conséquence, sans ce pour quoi il est
créé, l’homme aurait pu être heureux mais imparfaitement.[333]
Solution 1 :
L’homme n’a pas besoin de la vision béatifique pour posséder,
d’une certaine manière, Dieu. Il peut s’unir à lui dans l’obscurité de la foi à
travers un amour de charité. Les dons du Saint Esprit et principalement le don
de sagesse peuvent donner à l’homme dès cette terre une connaissance amoureuse
de l’essence de Dieu. Cette connaissance, bien qu’obscure, donne une certaine
béatitude.
Solution 2 :
L’enfer ne consiste pas dans n’importe quelle séparation de Dieu.
Il s’agit d’une séparation volontaire que l’âme damnée provoque par son trop
grand amour d’elle[334].
Solution 3 :
Saint Thomas a évoqué explicitement
l’hypothèse de la nature pure : un homme dans l’état de nature pure n’aurait
pas, après sa mort, la vision divine. Mais ce ne serait pas une sanction :
autre chose est de n’avoir pas un droit, ce qui n’est qu’un manque, non une
peine ; autre chose d’être privé d’un droit, ce qui est une peine.
Selon lui, les enfants dans les limbes sont privés de la grâce
adamique. En ce sens, l’absence des dons surnaturels a un caractère pénal. Mais
saint Thomas déclare qu’en fait "ces enfants n’ont jamais été
proportionnés à la vie éternelle : elle ne leur était due ni en raison des
principes de la nature dont elle excède toutes les ressources, ni en raison
d’un acte personnel qui aurait pu les proportionner à un si grand bien. Aussi
ne souffriront-ils absolument pas de la privation de la vision divine : au
contraire, ils se réjouiront de tout ce qu’ils participeront de la bonté divine
dans les biens naturels. » Cependant, selon saint Thomas, l’intelligence
humaine ouverte à l’infini, désire connaître pleinement non seulement les
créatures, mais Celui qui les a causées. » C’est pourquoi, pour atteindre la
béatitude parfaite, il est requis que l’intelligence atteigne l’essence même de
la cause première. » Il semble s’inspirer de ce texte lorsqu’il écrit, à propos
des enfants dans les limbes : « Tout ce firmament ouvert au-dessus d’eux et
propre à les ravir, pourra bien éveiller en eux quelque indéfinissable et
exaltante nostalgie, mais non pas une souffrance. » Nostalgie, non souffrance.
Mais qu’est-ce qu’une nostalgie sinon une forme douce de souffrance ? Même si
l’amour naturel envers Dieu les faisait consentir à leur état de bonheur
imparfait, cette souffrance subsisterait. Nous pouvons conclure que le thème
d’une béatitude naturelle est contradictoire. En conclusion, nous pouvons dire
que si le Seigneur n’avait pas proposé la vision de son essence, nous n’aurions
jamais été pleinement heureux dans l’autre monde. Nous sommes faits pour voir
Dieu. Loin de lui, nous brûlons. Nous montrerons ailleurs que l’hypothèse des
limbes éternels, d’origine augustinienne, est intenable face à la foi
catholique.
Objection 1 :
Il ne semble pas que ce soit le motif de la création de l’homme.
On voit mal les raisons pour lesquelles dans ce cas, Dieu aurait imposé à
l’homme l’épreuve d’une vie terrestre. Il aurait, semble-t-il, donné
directement à l’homme ce pourquoi il était fait.
Objection 2 :
L’expérience montre que l’homme est fait, par tout son être, pour
vivre dans la société des autres hommes, pour vivre des amitiés et communiquer
la vie à d’autres êtres semblables à lui. Ainsi, dans la Genèse, Dieu commande
de dominer l’univers, de donner des noms aux animaux et il ne lui propose pas
d’autres buts que ceux-là. Dieu n’a donc pas créé l’homme pour la vision
béatifique.
Objection 3 :
Dans le paradis terrestre, l’homme vivait de la présence de Dieu
d’une manière surnaturelle. Dieu s’entretenait familièrement avec lui et
"tout cela était bon" (Genèse I, 31) dit la Bible. Il semble que ce
bonheur eût suffis pour l’éternité.
Cependant :
Saint Paul affirme : « Tout a été créé par lui et pour lui"[335].
Or l’homme, par son esprit, peut connaître et aimer. Son esprit trouve sa
pleine réalisation dans la connaissance plénière de Dieu et dans l’amour de
charité. C’est pourquoi Jésus prie le Père : « Je veux que ceux que tu m’as
donné soient avec moi, pour qu’ils voient cette gloire que tu m’as donnée »[336].
Dieu a créé l’homme en vue de lui communiquer sa propre béatitude, par la
vision de son essence.
Conclusion :
Pour le comprendre, il faut se souvenir
que Dieu est par essence, la bonté[337].
Non seulement il possède toutes les perfections, dans tous les ordres, mais il
trouve en lui-même sa propre finalité et sa béatitude plénière. Or la bonté a
pour tendance de se communiquer. Ainsi celui qui découvre une chose bonne désire
en faire partager la découverte aux autres. De même Dieu, dans sa totale
liberté, veut en créant des êtres spirituels à son image, leur communiquer sa
vie et sa béatitude. Or nul ne peut vivre de la béatitude d’un autre s’il n’en
connaît l’objet. Il est donc nécessaire que l’homme, pour vivre de la bonté
même de Dieu, connaisse son essence qui est cette bonté même. De tout cela, on
peut conclure que Dieu a créé l’homme pour lui donner la vision béatifique.
C’est librement que Dieu se communique à l’homme jusque dans la vision de son
essence et non par nécessité de nature. Rappelons Dieu se suffit entièrement à
lui-même, dans le bonheur plénier de sa vie trinitaire. Il n’a nul besoin
d’autre chose que lui. S’il crée et communique à des créatures son bonheur,
c’est donc par un don absolument gratuit de sa bonté.
Solution 1 :
La vision béatifique est un bien spirituel qui présuppose une
certaine amitié avec Dieu. Comme le secret qui noue l’amitié, il est
indispensable qu’une confiance mutuelle s’instaure. C’est pourquoi Jésus disait
aux Juifs : « quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en enfant n’y
entrera pas"[338].
De même qu’on ne peut imposer une amitié, de même Dieu ne peut imposer la
vision béatifique et l’amour qu’elle présuppose. L’homme doit être apte à en
faire le choix. La vision béatifique ne pouvait donc être donnée à l’homme dès
le premier instant de sa création.
Quant à la nécessite de la vie terrestre, elle s’impose à l’homme
à cause de sa nature sensible. À la différence de l’ange qui est un pur esprit,
parfait dès l’instant de sa création, l’homme devient capable de choix en
développant son intelligence par étapes, en s’élevant du sensible à
l’intelligible. Adam et Ève échappent bien sûr à cette loi puisqu’ils ont été
créés avec les capacités adultes du choix. Cependant, même s’ils n’avaient pas
péché, ils auraient mis au monde des enfants soumis à la nécessité d’avancer
"en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes[339].
Solution 2 :
Les activités humaines comme le travail, la vie politique et
l’amitié sont elles-mêmes ordonnées par Dieu au développement des virtualités
présentes en germe dans la nature de l’homme. Elles ne sont donc pas, dans le
plan de Dieu, des fins en soi.
Solution 3 :
Adam et Ève ne seraient pas restés éternellement
dans le paradis terrestre même s’ils n’avaient pas péché. Ils ne seraient pas
morts mais Dieu, au moment choisi par lui, les aurait enlevés dans la vision de
son essence. Il serait venu les chercher corps et âme, d’une manière semblable
à celle de la Vierge Marie lors de sa dormition et de son assomption. De même
que la Vierge Marie, qui était exempte du péché originel n’a pas connu la mort
et la corruption, de même Adam et Ève auraient été introduits directement dans
la vision béatifique.
Objection 1 :
Il ne semble pas. La bible dit à propos des anges "Dieu
donnera ordre à ses anges et sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu
ne heurtes du pied quelque pierre"[340].
Les anges ont donc été créés pour être les serviteurs des hommes.
Objection 2 :
Nous avons montré que Dieu a tout créé
pour lui[341].
Mais les réalités créées ne sont pas toutes ordonnées à la vision béatifique.
Les plantes et les animaux par exemple en sont incapables. Le but premier de la
création des anges semble donc être le même que pour toutes, choses à savoir la
gloire de Dieu qui se manifeste par la beauté de ses œuvres.
Cependant :
Jésus affirme en saint Matthieu[342]
: « Je vous le dis, leurs anges aux Cieux voient constamment la face de mon
Père qui est aux Cieux ». Donc les anges ont été créés eux aussi pour la
vision béatifique. C’est pourquoi l’égalité avec les anges est promise aux
saints.
Conclusion :
Dieu, dans la gratuité de sa bonté, a créé les êtres spirituels en
vue de se communiquer à eux. Dans l’hypothèse où il existe, outre les hommes et
les anges, d’autres espèces de créatures dotées d’un esprit dans l’univers,
Dieu ne pourrait les avoir créés pour une finalité ultime autre. La nature même
de l’esprit permet de le comprendre. L’intelligence est faite pour connaître
tout ce qui est, à commencer par la cause première de tout. La volonté tend à
s’unir au bien absolu, source de tous les biens. Les anges, cependant,
parviennent d’une manière différente à la vision béatifique. N’étant pas lié à
un corps, ils n’ont pas besoin de l’apprentissage des choses sensibles pour
atteindre sa perfection naturelle. Ils sont créés parfaits et leur intelligence
contient dès le premier instant tout ce qui leur est nécessaire pour leur vie.
Comme les hommes, la vision béatifique ne leur est pas imposée mais proposée
par Dieu comme une fin surnaturelle à laquelle il les appelle. Les anges ont
donc été créés dans la foi en cette parole de Dieu les appelant à la
contemplation de son essence. Ils ont reçu la grâce qui leur permettait de se
tourner vers cette fin surnaturelle. Ceux parmi eux qui ont posé un acte de
charité à l’égard de Dieu furent introduits immédiatement dans sa béatitude.
Quant à ceux qui refusèrent Dieu, ils furent immédiatement plongés dans la
solitude de l’enfer. Cette absence de délai et de réflexion sur un tel choix
est possible à cause de la perfection totale et immédiate de leur jugement. Le
mode parfaitement spirituel de leur nature le permettait sans aucune erreur
possible donc sans aucun changement de choix.[343]
Solution 1 :
La mission des anges par rapport aux hommes ne constitue pas le
motif de leur création. Il s’agit d’un ministère qui leur fut confié par
surcroît. La nécessité n’en est pas chez les anges qui trouvent leur pleine
béatitude dans la vision de Dieu mais chez les hommes qui, par la faiblesse de
leur nature, ont besoin d’être protégés et conduits. Cette mission leur fut
cependant présentée avant leur choix. Elle constitua pour certain un motif de
révolte parce qu’ils discernèrent en l’homme et surtout en la femme une
créature mieux bâtie qu’eux pour l’humilité (kénose) et l’amour.
Solution 2 :
Il est vrai que la création entière, par son harmonie, manifeste
les perfections de Créateur. Elle est un reflet de sa gloire et c’est en se
sens que s’exprime le livre de Judith : « que la création entière te
serve"[344]. La
parfaite harmonie des hiérarchies angéliques manifeste avec le plus d’éclat la
gloire de Dieu. Mais cet ordre et cette harmonie eux-mêmes ne constituent pas
la finalité ultime du projet de Dieu[345].
Saint Paul, dans l’épître aux Romains[346]
l’exprime ainsi : « la création en attente aspire à la révélation des fils de
Dieu », c’est-à-dire à l’entrée dans la vision béatifique des êtres spirituels
qui aiment Dieu.
Objection 1 :
Il semble que si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils ne seraient
pas entrés dans la vision béatifique. La liturgie de Pâques chante en effet : «
Bienheureuse faute qui nous valut un tel Sauveur. » Elle veut exprimer par là
que Jésus par son Incarnation est venu nous apporter un bien supérieur à celui
d’Adam et Ève. Ce bien ne peut être que l’espérance du Royaume de Dieu réalisée
dans la vision de son essence.
Objection 2 :
Adam et Ève avaient reçu le don de l’immortalité. C’est en effet
par leur péché que la mort est entrée dans le monde, selon la parole de saint
Paul[347].
Il semble donc qu’ils seraient restés à jamais dans le paradis terrestre. Comme
l’immortalité de leur corps le leur permettait.
Objection 3 :
Dans le livre de la genèse, Dieu ne
donne pas à l’homme la promesse de la vision béatifique. Au contraire, après
l’avoir créé, il se repose de toutes ses œuvres. Il semble donc que, si Adam et
Ève n’avaient pas péché, ils seraient restés dans le jardin préparé pour eux en
Éden.
Cependant :
Si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils
auraient tout de même engendré des fils et des filles en grand nombre. La terre
n’aurait bientôt pas suffis pour contenir et pour nourrir l’humanité. Elle
n’était donc qu’un séjour temporaire pour l’homme[348].
Conclusion :
Si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils
ne seraient pas restés pour toujours dans le paradis terrestre mais auraient
été introduits dans la vision béatifique. La raison en est qu’ils furent créés
par Dieu dans ce but, comme nous l’avons montré précédemment. Mais le mode de
leur vie terrestre eut été différent. Ils auraient vécu sur terre un temps,
mettant en pratique les commandements donnés par Dieu. Ils auraient résisté à
la tentation du démon victorieusement, manifestant ainsi leur totale soumission
à la volonté de Dieu. Ils auraient gardé intact le don originel qui les
unissait d’une manière familière à leur Créateur et les conséquences qui en
découlaient dans leur âme, dans leur corps et sur la nature entière[349].
Ils auraient mis au monde des enfants auxquels ils auraient transmis la grâce
originelle et ses effets. Ceux-ci auraient à leur tour subi la tentation de
l’orgueil suggérée par le serpent et auraient choisi librement de rester unis à
Dieu ou au contraire de s’en détourner.
Pour comprendre la manière dont Adam Et Ève et leur descendance
auraient été introduits dans la vision béatifique, nous avons un modèle dans la
nouvelle Ève, la Vierge Marie. Comme Ève, la Vierge Marie fut conçue d’une
manière immaculée mais elle sut conserver durant toute sa vie terrestre ce don
de Dieu. Ayant remporté un triomphe total sur le péché et ses suites, elle a
obtenu, comme le couronnement suprême de ses privilèges, d’être préservée de la
corruption du tombeau et, comme son Fils, après avoir vaincu la mort, d’être
élevée en corps et en âme à la gloire du plus haut des Cieux. [350]
Sa vie se termina donc par la glorification de son corps virginal, sitôt
qu’elle fut parvenue à cette béatitude qui est réalisée par la vision de Dieu
face à face. Elle est devenue spirituelle tant dans son corps que dans son âme[351].
Au sujet de la mort de la Vierge Marie, deux opinions existent :
certains prétendent que la Vierge est morte vraiment, à cause de son trop grand
désir de Dieu qui arracha son âme dans une dernière extase. Selon cette
tradition plutôt latine, elle aurait mise au tombeau d’où son corps aurait
ressuscité trois jours plus tard, à l’image de son Fils. Selon une autre
opinion davantage orthodoxe, la Vierge immaculée, n’ayant pas le péché
originel, ne connut pas la mort, c’est-à-dire la séparation de son âme et de
son corps. Elle ne vécut qu’une mort apparente car son âme était déjà
intentionnellement auprès de Dieu avant son assomption, ce qui la faisait
apparaître comme morte. C’est en ce sens qu’on parle du mystère de la
"dormition" de Marie et non de sa mort. Une telle tradition sur
sommeil-mystérieux de Marie est plus conforme aux prérogatives de son Immaculée
Conception.
La glorification de la Vierge n’en reste
pas moins le modèle de ce qui se serait passé pour Adam et Ève si le péché
originel ne les avait pas soumis à l’obligation de mourir.
Solution 1 :
Quand la liturgie chante : « bienheureuse faute qui nous valut un
tel Sauveur », elle ne prétend pas affirmer que Dieu a voulu introduire l’homme
dans la vision béatifique grâce à son péché originel et qu’il n’en avait
l’intention auparavant. Elle veut simplement montrer que si la faute originelle
n’avait pas existé, Dieu ne se serait pas incarné en Jésus Christ. La
Rédemption qui est la finalité de l’incarnation n’aurait pas été nécessaire[352].
Elle veut aussi sous-entendre que sans ce péché, l’homme et la
femme auraient été introduits dans la vision sans qu’aucune souffrance physique
ou psychologique ne soit possible de manière directe et immanente aux
dérèglements de la nature humaine. Ces souffrances ne sont subies durant la vie
terrestre que parce que la grâce originelle d’harmonie de l’homme avec sa
propre nature et l’univers a été enlevée. Ces "croix" ont la
particularité de pouvoir creuser dans le cœur de l’homme une découverte unique
de sa petitesse. Leur effet est au terme d’une vie terrestre une humilité (kénose)
et un désir du salut sans commune mesure avec celle de l’innocence originelle.
La gloire qui en résulte après cette vie en est considérablement augmentée
puisque Dieu ne se donne qu’à la mesure du désir de sa créature.
Solution 2 :
L’immortalité d’Adam et Ève dans le paradis terrestre n’était que
la figure de l’immortalité que Dieu avait préparée pour eux dans la gloire de
sa vision. Mais s’ils n’avaient pas péché, la glorification de leur corps se
serait faite sans la rupture de la mort à laquelle nous sommes aujourd’hui
soumis et qui conduira Dieu à ressusciter notre chair à la fin des temps pour
nous rendre la plénitude de notre nature humaine.
Solution 3 :
Dieu est dit se reposer le septième jour
en ce sens qu’il a cesse de produire de nouvelles créatures. Ultérieurement, en
effet, il ne fit rien qui n’ait d’une manière quelconque préexisté dans les
premières œuvres[353].
La glorification d’Adam et Ève préexistait dans leur âme par la communication
de la grâce habituelle qui n’attendait que son plein épanouissement dans la
lumière de gloire.
Objection 1 :
Cela paraît bien improbable : le retard dans la révélation n’a
suscité que du mal selon le livre de la Genèse au point que Dieu dut prendre la
décision d’éliminer les hommes de la surface de la terre[354].
Le péché s’était en effet considérablement multiplié au point qu’on peut douter
du salut des hommes de cette époque.
Objection 2 :
Loin de Dieu, les hommes oublièrent vite l’Évangile connu par Ève
et Adam. Ils inventèrent toutes sortes de théories idolâtriques pour résoudre
les énigmes de l’univers. Or l’Écriture est très sévère vis-à-vis de l’idolâtrie
dont saint Paul dit quelle n’obtiendra pas le Royaume de Dieu. Il aurait donc
mieux valu que Dieu vienne parler lui-même à l’homme juste après le péché
originel.
Objection 3 :
À travers tout l’ancien Testament,
depuis Noé à Abraham, Moïse aux prophètes, on voit se développer une
connaissance de Dieu toujours partielle et surtout superficielle puisque le
Mystère de sa charité et de la charité que nous pouvons lui rendre en retour
est caché. Souvent, Dieu est davantage connu comme un juge intransigeant que comme
un véritable ami[355].
Mais le Royaume de la Vision béatifique n’est ouvert, nous le verrons[356]
qu’à ceux qui l’aiment de charité. Donc le retard de l’incarnation est un grand
malheur, source de la damnation de peuples entiers.
Cependant :
L’Écriture nous dit à propos de Dieu : « Tu sauves, Seigneur,
l’homme et les bêtes ». Le Seigneur, pour montrer l’incommensurable
Sagesse qui règle ses actions, dit à Job : « As-tu, une fois dans ta vie,
assigné à l’aurore son poste ? »[357].
C’est donc que le retard dans l’Incarnation du Verbe fut utile au salut des
hommes.
Conclusion :
Nous le verrons[358],
l’entrée dans la Vision béatifique est comparable point par point à un mariage
d’amour entre deux époux qui se donnent pour l’éternité. Pour se réaliser, ce
mariage implique du côté de Dieu et de l’homme des conditions permettant un
choix mutuel finalisé exclusivement par la personne du conjoint. Ce choix doit
être pur c’est-à-dire dépouillé de tout motif autre que le bien de l’autre.
Tout reste d’égoïsme et de sa première conséquence qui n’est autre que
l’orgueil et l’exaltation de sa volonté propre en face de celle de l’autre rend
impossible l’union béatifique des époux célestes. Cette condition est
incontournable au point que le moindre orgueil et la moindre trace d’égoïsme
rendent Dieu incompréhensible au présomptueux qui espèrerait le voir dans cet
état.
Du côté de Dieu, ces conditions sont
toujours réalisées car Dieu, dans sa simplicité, est amour. Mais du côté de
l’homme, il en est tout autrement : Les premiers, Adam et Ève brisèrent leurs
fiançailles avec Dieu, préférant à l’amour une indépendance fondée sur
l’orgueil. Ils ne se rendaient pas compte des conséquences de leurs actes
puisque, étant faits pour voir Dieu dans l’autre monde, ils se disposaient à se
fixer dans le malheur de l’égoïsme éternel. Cependant, à la différence de
l’ange, leur acte n’était pas définitivement lucide. Ils pouvaient donc être
sauvés, avant de s’enferrer définitivement dans un orgueil impénitent. Or, la
première disposition d’un amour rejeté ne consiste pas à se révéler à nouveau
aussitôt. On le voit dans les couples humains. Le conjoint rejeté par son époux
adonné à un autre amour, aurait beau supplier, s’humilier dans l’attente
immédiate d’un retour de son conjoint, il n’obtiendrait que du mépris. Mieux
vaut au contraire s’effacer et laisser l’autre vivre sa vie comme il s’entend,
en espérant que la vie nouvelle dans l’infidélité sera meilleur avocat au
retour. Dieu n’agit pas différemment avec nous. L’histoire de l’humanité et
notre histoire témoignent de sa sagesse.
Dans un premier temps, il laissa l’humanité vivre jusqu’au bout de
la liberté choisie par Adam et Ève. Il s’effaça et l’homme put expérimenter le
malheur d’une vie terrestre sans espérance après la mort. C’est ce que nous dit
Dieu en Osée[359] à
propos de son épouse infidèle : « Je la conduirai au désert. » Dans un deuxième
temps Dieu révéla une partie de son mystère, à commencer par son existence
unique et sa justice. Mais il ne révéla pas la profondeur de son amour,
laissant le peuple peu nombreux qui le découvrait dans la peur de son Nom.
Ainsi, au mont Sinaï, il menaça de mort celui qui, parmi le peuple,
s’aventurerait à l’escalader[360].
De toute cette terreur et de l’absence de connaissance de Dieu à cette époque,
il sortit beaucoup de bien pour le salut des hommes. Confrontés à l’angoisse
d’une vie éprouvante et d’une mort inconnue, ils étaient disposés par ces
humiliations à devenir humbles et à renoncer à l’orgueil de « leur nuque
raide. » L’humilité ainsi acquise dans la peur ne les sauvait pas mais les
disposait à accueillir le salut proposé par l’envoyé de Dieu à l’heure de la
mort.
Mais Dieu ne fit pas que préparer son
salut futur par l’humilité. Il le fit aussi désirer par l’espérance. Que ce
soit à travers la Révélation explicite faite aux Hébreux d’un Sauveur à venir
ou celle moins explicite qui circulait dans toutes les religions, philosophies
et même idolâtries du monde, il conduisait les hommes à espérer l’existence de
Dieu et d’un salut futur. Cette espérance est qualifiée par le Concile Vatican
II de semence du Saint Esprit. À cause d’elle, les religions dans leur ensemble
ne sauvent pas mais disposent le cœur de l’homme à embrasser le salut lorsqu’il
est proposé. Ainsi, comme nous le verrons[361],
lorsque les hommes découvrent l’amour dont ils sont aimés par Dieu, que ce soit
durant leur vie ou, pour la plupart, à l’heure de la mort, ils sont disposés
par leur vie et le dépouillement de leur mort en train de s’accomplir à écouter
l’Évangile.
Solution l :
Les souffrances de toute sorte, loin de conduire à la damnation,
disposent plutôt le cœur de l’homme à l’humilité (après le péché originel).
Voilà pourquoi Dieu décida de donner à l’homme la grâce qui était la cause de
l’harmonie parfaite de son corps, de sa psychologie et de son esprit. Blessé
dans son être, l’homme connut la souffrance physique et les pulsions de sa
sensibilité. Dieu préférait le voir entrer estropié et malade dans son Royaume
après la mort, plutôt que de le voir aller tout entier et en bonne santé dans l’enfer.
La souffrance apparut donc dans le monde, une souffrance non seulement
spirituelle (le désir de Dieu, du bonheur), mais aussi psychologique (la peur,
le désespoir, l’angoisse) et physique. Ces deux dernières souffrances,
tellement palpables et déchirantes, firent découvrir à beaucoup combien était
réelle et misérable leur condition de créatures sans Dieu Et l’orgueil en fut
diminué, dès le départ, en Adam et Ève : ils découvrirent qu’ils pouvaient être
impudiques, lâches, menteurs, non seulement par choix, mais entraînés par des
instincts sommeillant au fond de leur sensibilité. Leurs enfants après eux
purent vivre de cette et dérisoire liberté promise par Satan, dérisoire liberté
dont Freud, d’une manière exagérée, a montré les limites : liberté conditionnée,
parfois déterminée par les instincts du corps, les mouvements de l’entourage
social ; liberté manipulée, affirme l’Église, par le rôle occulte des démons va
vainqueurs et triomphants qui, le jour de la chute d’Adam et Ève, reçurent un
pouvoir direct sur leur corps et leur psychisme. Il en résulta beaucoup de mal,
jusqu’a aujourd’hui. Il s’agit heureusement d’un mal davantage provoqué par la
faiblesse des passions et par la bêtise que par une réelle méchanceté. Peu
d’hommes sont capables d’être ici-bas réellement coupable du blasphème contre
l’Esprit Saint, c’est-à-dire du choix parfaitement lucide et volontaire de
l’égoïsme, tant la nature humaine est fragilisée. Le premier, Caïn, fils
d’Adam, tua son frère Abel par jalousie, plongeant par la même occasion sa mère
dans le chagrin « Tu enfanteras dans la douleur », avait prédit Dieu. Puis
l’humanité se pervertit de plus en plus malgré des cycles et des renouveaux
partiels de civilisation. La préhistoire aurait beaucoup à dire en ce domaine.
Pendant des milliers d’années, Dieu laissa Adam et Ève, puis leurs
enfants, manger jusqu’au bout les fruits de l’arbre de la connaissance du bien
et du mal. Dieu les laissa se diriger seuls. Il ne parlait plus. Il était comme
absent de la terre. Quand un homme le cherchait, il lui répondait dans son
silence qui est lumière. Il acceptait de venir habiter son cœur, mais d’une
manière très différente de celle du jardin d’Éden. En effet, à ceux qui le
cherchaient, Dieu ne se faisait plus aussi présent. Mais, très peu d’hommes
eurent foi en lui. La bible en cite quelques-uns : Énoch, Noé. La plupart des
autres, la grande masse des autres perdirent jusqu’au sens de Dieu. Confrontés
à la souffrance de cette vie, ils se façonnèrent des images de Dieu, aussi
fausses que désespérantes. Elles furent multiples : Certains l’imaginaient
comme un Dieu cruel ou encore comme des dieux multiples et assoiffés de gloire.
D’autres adorèrent Lucifer et ses démons. D’autres prétendirent que Dieu était
l’univers ou encore cette statue façonnée de leurs mains ou le soleil. D’autres
affirmèrent qu’il n’y avait pas de Dieu. Ils se firent alors eux-mêmes leur
propre dieu. Comment en vouloir à ces hommes désespérément à la recherche de
solutions à leur vie dirigée vers la mort, et confrontés au silence de Dieu. La
clef de la connaissance véritable, celle qui mène à la vie éternelle, était
perdue, et Dieu se taisait[362].
Les hommes vécurent de ces dieux froids ou féroces. Le silence de Dieu durant
ces nombreux siècles était aussi réel que terrible. Il n’y avait pas de
prophètes pour parler de lui, et très peu d’hommes osaient découvrir sa
présence tant on l’imaginait faussement absent ou méchant Les seules actions de
Dieu que décrit la Bible, dans cette première phase de l’humanité, sont le
déluge qui tua la plus grande partie des habitants de la terre, puis la
destruction de la tour de Babel. En effet, lorsqu’il voyait les hommes sombrer
dans le péché d’orgueil, malgré tous ces malheurs qui sans cesse les
humiliaient, lorsqu’il discernait l’apparition de cette racine qui conduit en
enfer, Dieu agissait. En livrant les corps à la mort, il sauvait leur âme. À
Babel, où les hommes réussissaient enfin à bâtir une humanité puissante et
harmonieuse (fondée sur la puissance et non sur l’amour), Dieu agit. Voyant
qu’ils s’enorgueillissaient de leur œuvre et pensaient, ainsi, devenir comme
des dieux, il divisa leur cœur et leur langage. Ils ne s’entendirent plus entre
eux, se firent la guerre et leur œuvre fut ruinée. En livrant l’homme à la
souffrance, à la mort, en se taisant durant des siècles, en n’agissant que pour
détruire les œuvres dont l’homme était fier, que voulait Dieu ? Il voulait
sauver ses enfants. Et, réellement, il les sauva en masse. Lorsque, broyés par
la souffrance, leur âme quittait leur corps, elle avait été humiliée, et
humiliée, elle était bien souvent devenue humble (kénose)
Solution 2 :
Saint Jean Chrysostome répond à cette objection : « Donnez-moi
deux attelages pour une course de chars. Que les chevaux du premier s’appellent
vérité et orgueil, ceux du second, hérésie et humilité. Et bien vous verrez le
second attelage remporter la victoire, non à cause de l’erreur mais à cause de
la de l’humilité. » Il en est ainsi pour les noces de la Vision béatifique. La
vérité étant de toute façon prêchée à tout homme au cours de sa vie, c’est bien
sur son humilité que pourra se fonder son choix ou son refus de l’amour.
Solution 3 :
Et cela répond à la troisième objection
: Dieu pourrait par sa puissance faire que l’Évangile ait été proposé à toutes
les nations de la terre au point que l’Église soit aujourd’hui la seule
communauté religieuse vivante. Il aurait pu aussi s’incarner plus tôt mais,
pour que l’humilité demeure attachée à la vérité et qu’ainsi, la vérité serve
l’amour, il préfère retarder ce moment. Il est clair qu’il n’existe pas
d’Église à la fois puissante politiquement et humble. Or cet orgueil est, en
face de l’entrée dans la vie éternelle, un mal plus grand que l’ignorance de la
vérité sur Dieu, vérité qui de toute façon est prêchée tôt ou tard.
Objection 1 :
Il ne semble pas. Il a été montré que le motif principal de l’incarnation
était de nous délivrer au péché qu’il soit originel ou actuel[363].
Objection 2 :
Le Verbe s’est fait chair pour nous manifester le Père. C’est en
se sens que saint Paul appelle le Christ l’image du Dieu invisible[364].
Saint Jean dit que Jésus est la manifestation de l’amour du Père[365].
Le motif premier de l’incarnation et de la crucifixion est donc de nous donner
une connaissance vraie de Dieu, à savoir de rendre notre foi plus certaine et
plus profonde.
Objection 3 :
Saint Augustin écrit[366] :
« Rien n’était aussi nécessaire, pour accroître notre espérance que de
nous montrer à quel point Dieu nous aimait. » Il semble que le motif premier de
l’incarnation et de la Rédemption soit de rendre à l’humanité son espérance.
Objection 4 :
Le motif premier de l’incarnation et de la Rédemption semble être
de nous donner un modèle sur lequel nous pouvons calquer notre vie car, comme
écrit saint Augustin[367]
: « Nous ne pouvions suivre l’homme que nous avions sous les yeux et il fallait
imiter Dieu qui pour nous était invisible : afin donc de donner à l’homme un
exemplaire, et un exemplaire visible, Dieu s’est fait homme ».
Objection 5 :
Le but ultime de la création et de la
Rédemption semble être de nous réconcilier avec Dieu, de nous réintroduire dans
l’amour qui nous unit à lui. « Qu’a voulu Dieu, en venant à nous, sinon
nous montrer son amour », dit saint Augustin[368].
Cependant :
Jésus dit : « la vie éternelle, c’est qu’ils te
connaissent, toi le seul véritable Dieu. » Or il n’y a pas de véritable[369]
connaissance de Dieu si ce n’est celle de la vision de son essence. Jésus est
donc venu en premier Dieu pour nous introduire dans la vision béatifique.
Le Cardinal Gouyon écrit : « Si le Fils de Dieu s’est fait
homme, c’est pour nous proposer cette expérience, c’est pour nous faire
connaître cette vie. Toute la prédication de sa vie terrestre, tout l’effort de
l’Esprit Saint à travers l’histoire de l’Église qui est insérée dans la trame
de l’histoire du monde, vise à cette connaissance et à cette expérience. L’Église
-dit le Concile dans la Constitution qui lui est consacrée- à laquelle nous
sommes tous appelés dans le Christ et dans laquelle nous acquérons la sainteté
par la grâce de Dieu, n’aura sa consommation que dans la gloire céleste,
lorsque viendra le temps où toutes choses seront renouvelées [370]et
que, avec le genre humain, tout l’univers lui-même, intimement uni avec
l’homme et atteignant par lui sa destinée, trouvera dans le Christ sa définitive
perfection »[371][372].
Conclusion :
Dans la nature, la causalité finale se
comporte avec ordre. Ainsi, si l’on peut attribuer à une chose une finalité
mais que cette finalité elle-même est ordonnée à une autre, on peut dire qu’en
dernier lieu, cette chose a pour fin ce qui est le plus ultime dans l’ordre des
fins. Ainsi, un homme utilise une scie dans le but de couper du bois. Mais si
ce bois est lui-même ordonne au chauffage de sa maison, on dira que cet homme
scie du bois pour se chauffer.
Il en est ainsi dans l’ordre de l’incarnation et de la Rédemption
opérée par le Christ. Après le péché originel, l’homme s’est retrouvé dans une
situation telle qu’il était soumis à l’empire du démon qui était devenu le
prince de ce monde. De même l’homme était dans la servitude du péché de la
gangue duquel il lui était impossible de se sortir par lui-même. En
conséquence, la connaissance de Dieu était obscurcie et l’espérance de son
salut avait quasiment disparu. De même, il était impossible à l’homme d’aimer
Dieu avec cette amitié que confère la vertu de charité.
Le Verbe s’est fait chair, en vue de rétablir en l’homme l’image
de Dieu détruite par le péché originel. Pour réaliser une telle œuvre de
Rédemption il faut
1° en premier lieu détruire l’obstacle qui
l’empêche, à savoir le règne du démon et l’empire du péché. C’est donc là le
motif fondamental de ce mystère puisqu’il détruit l’obstacle fondamental.
2° En second lieu, il fallait redonner à
l’homme une connaissance du vrai Dieu[373].
Selon l’ordre de perfection, la libération du péché et du démon était ordonnée
comme à sa fin à une connaissance plus parfaite du vrai Dieu, grâce à la
suppression de la pesanteur intellectuelle à laquelle conduit le péché, donc à
la pureté de la foi. C’est en ce sens que l’on peut dire, avec l’objection 2,
que l’incarnation et la Rédemption sont ordonnées à la foi.
3° Mais la foi elle-même trouvait un certain
achèvement dans l’espérance des biens promis par la bonté de ce Dieu qui se
révélait en Jésus car il est plus grand d’espérer la présence de Dieu et sa
grâce que de simplement le connaître. Et cela répond à la troisième difficulté.
L’espérance elle-même trouvait son achèvement dans l’amour de
charité dont l’homme était à nouveau capable grâce à la Rédemption opérée par
Jésus. On peut donc dire en ce sens que le motif de la venue du Christ est de
nous réintroduire dans la communion avec Dieu, selon l’objection 5.
4° C’est pour mieux vivre de cette communion
instaurée par le Christ qu’il nous laisse un modèle de la manière dont il veut
que nous nous comportions, selon la quatrième difficulté car la vie vertueuse à
laquelle Jésus appelle le chrétien n’a pas de sens si elle n’est mise au
service de l’amour de charité selon cette parole : « Les deux commandements de
la charité résument la loi et les prophètes. »
5° Quant à la charité, elle trouve son plein
achèvement dans la vision béatifique. La charité se comporte en effet comme une
amitié. Or un ami ne peut se contenter d’une lointaine union affective avec son
ami. Il désire une pleine union effective qui ne peut se réaliser que dans une
parfaite communauté de vie impliquant une connaissance profonde de son ami et
une identité de volonté. Si la charité peut réaliser déjà sur cette terre une
certaine identité de la volonté de l’homme avec celle de Dieu, seule la vision
béatifique peut le faire pleinement. Il est en effet impossible d’être
parfaitement en union avec la volonté de Dieu qui est son essence même, si l’on
ne connaît cette essence. Ainsi, la charité telle qu’elle est vécue sur terre
est ordonnée à la vision béatifique qui en est la réalisation plénière.
C’est donc bien pour cette finalité
ultime qu’est la vision de l’essence divine, que le Messie s’est incarné et
nous a sauvé.
Pour mieux comprendre l’édifice surnaturel de la sanctification,
on peut prendre l’analogie de l’union conjugale. Le but ultime en est l’union
intime à travers l’amour effectif d’une vie commune source de vie. Mais, pour
réaliser cette grande œuvre, plusieurs conditions sont requises. 1° Si le
prétendant est en prison, il faut d’abord qu’il en sorte (L’emprise du démon) ;
2° Il faut qu’il connaisse l’existence de l’autre et quelque chose de lui, ce
qui correspond à l’enseignement du Christ et au contenu de la foi ; 2° Il faut
ensuite avoir un certain espoir de ce futur mariage ce qui est impossible si la
personne refuse ou est déjà engagée. 4° Il faut surtout aimer cette personne.
Qui peut prétendre u mariage d’une personne qu’il n’aime pas ? Cet amour doit
devenir réciproque et s’achever dans une volonté commune de s’engager.
Solutions : et cela répond aux
objections.
Une remarque doit cependant être ajoutée : certains théologiens
enseignent, à la suite de l’école franciscaine inaugurée par saint Bonaventure
que le Verbe se serait fait chair même s’il n’y avait pas eu le péché originel.
Ils estiment, considérant l’amour infini de Dieu, qu’une telle grâce n’aurait
pas pu nous être refusée. Saint Paul semble aller dans ce sens : « Dieu nous a
élus dans le Christ dès avant la fondation du monde. »[374]
Cette opinion n’est pas inconciliable avec la foi, bien au contraire. Il faut
cependant chercher quel aurait été en Dieu le motif de cette incarnation. Cela
n’aurait pas été pour une Rédemption des hommes pécheurs, ceux-ci étant restés
par hypothèse unis à la grâce de Dieu ; cela n’aurait pas eu comme finalité
d’augmenter leur vie contemplative, celle-ci étant à l’origine la plus tendre
et la plus profonde qu’on puisse imaginer sur la terre ; cela n’aurait pas été
utile pour entrer dans la vision béatifique, Dieu se laissant voir ici
directement, sans la médiation d’aucune créature, fusse sa nature humaine.
Saint Bonaventure le reconnaît : le Verbe, dans cette hypothèse, se serait
incarné non pour sauver l’homme de la mort éternelle mais pour donner un
certain achèvement à la beauté de l’univers, Dieu s’unissant à sa créature non
seulement dans la vision bienheureuse des élus mais aussi dans l’union
hypostatique avec sa nature humaine. Il est difficile de conclure
définitivement sur la vérité de cette opinion, saint Paul enseignant bien
souvent ailleurs que le Verbe s’est fait chair "pour nous sauver de nos
péchés"[375]. En
tout état de cause, il est évident que, s’il n’y avait pas eu le péché, le
Christ ne serait pas mort sur une croix.
Objection 1 :
On voit mal la nécessité d’une vie terrestre précédant l’entrée
dans la vision béatifique. En effet, la vision béatifique est donnée à
l’intelligence qui est une faculté spirituelle de l’âme. Or, dans la vie
terrestre, l’esprit est appesanti par le corps qui est, selon Platon, comme le
tombeau de l’âme. Il semble donc que le corps est inutile à l’homme et il
aurait été préférable que Dieu propose la vision béatifique sans passer par la
vie terrestre.
Objection 2 :
Même dans l’état parfait que connurent Adam et Ève à l’origine, le
corps et la vie terrestre qu’il implique constituaient un obstacle. Leur
intelligence en était obscurcie. La preuve en est que le serpent n’eut pas de
mal à les séduire et à les entraîner au péché.
Objection 3 :
Après le péché originel, l’inutilité de la vie terrestre pour
conduire l’homme à Dieu apparaît en pleine lumière : l’esprit est à ce point
aveuglé par l’ignorance que bien des hommes soupçonnent même pas l’existence du
Créateur. De même le poids de la chair est tel que, comme le disait le
philosophe Aristote : « la plupart demeurent dans le sensible »
s’élevant à peine au-dessus de la vie animale. Il semble donc que la vie
terrestre ne prépare en rien l’entrée dans le Ciel mais l’occulte au contraire.
Objection 4 :
Le monde d’ici-bas donne à l’homme une
existence précaire. Il peut disparaître à tout moment et la vie est un
perpétuel combat. Il existe de multiples maux dont l’origine est parfois la
nature tels la mort, les tremblements de terre, les malades, parfois l’homme
lui-même comme la guerre, le péché. Un tel monde a plutôt tendance à révéler un
Dieu cruel qu’un Dieu d’amour. Il semble donc que la vie terrestre, loin de
conduire à Dieu, en éloigne.
Cependant :
La bible dit : « Dieu planta un jardin en Éden, à
l’Orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé »[376].
C’est donc le Créateur lui-même qui a placé l’homme sur la terre et cela ne
peut être que bon.
Conclusion :
Pour répondre à cette question, il faut
se souvenir que lorsque Dieu a créé l’homme, il lui a fait don d’un état de perfection
qui a disparu avec le péché originel. Dans cet état primitif, il n’existait
aucun mal aussi bien dans l’âme humaine que dans la nature. C’est pourquoi la
Bible parle d’un paradis situé en Éden. Or, dans cet état de perfection
primitif, il convenait que l’homme passe par une vie terrestre avant d’être
introduit dans l’ultime béatitude préparée pour lui, la vision béatifique.
La raison en est dans la nature même de
l’homme. À la différence de l’ange, il est un esprit naturellement uni à la
matière. Or toute perfection, y compris la vision béatifique, est reçue dans
son sujet conformément à la nature de ce sujet. Le propre de la nature
angélique, c’est d’acquérir sa perfection naturelle non pas progressivement,
mais par elle-même dès qu’elle existe, ainsi que nous l’avons montré[377].
De même donc que, du seul fait de sa nature, l’ange reçoit dès le premier
instant de sa création toutes les perfections qui lui sont naturelles, comme la
science de lui-même et des autres anges, de même dans l’ordre de la vie surnaturelle,
l’ange est introduit dans la vision béatifique dès qu’il s’y dispose par un
seul acte de charité.
Or l’homme n’est pas, comme l’ange,
destiné selon sa nature, à acquérir sa perfection immédiatement. Il y parvient
progressivement et ce qui est psychique en lui précède ce qui est spirituel.
Ainsi, c’est par de longs efforts et après beaucoup de temps que l’enfant entre
dans la perfection de l’âge adulte. De même, dans l’ordre de la vie
surnaturelle, il convient qu’un plus long espace de temps que pour l’ange
précède l’entrée dans la béatitude divine. Ce temps permet une croissance en
perfection naturelle (physique, psychique et spirituelle) puis un choix
définitif à l’heure où la vérité est totalement manifestée. C’est pour cette
raison qu’Adam et Ève ont été placés par Dieu sur la terre au jour de leur
création.
Après le péché originel, l’homme s’est trouvé dans un état de
nature corrompu. Or, même dans cet état, il convenait qu’il passe par une vie
terrestre avant d’entrer dans la gloire. Étant soumis à la misère d’une
existence précaire, s’achevant dans la mort, étant constamment dépendant des
conséquences du péché originel, l’homme découvrait sa petitesse. Il lui était
alors difficile de sombrer dans l’orgueil qui est un péché contradictoire avec
l’entrée dans la vision béatifique, comme nous le verrons. De même, il aspirait
à la venue d’un Sauveur qui le délivrerait de tous les esclavages. De cette
manière, à travers les misères de la vie terrestre, Dieu disposait les hommes
en vue du bonheur éternel qu’il voulait leur proposer. Il leur apprenait
l’humilité qui est une disposition nécessaire à l’entrée dans la gloire, selon
cette parole : « Dieu résiste aux orgueilleux, mais il donne sa grâce aux
humbles »[378].
De même, après la venue du Christ qui rétablit l’amour de Dieu sur
la terre, il convenait que l’homme passe par la vie terrestre avant d’entrer
dans la gloire. Jésus, s’il a rétabli la grâce et la vie surnaturelle, n’a pas
supprimé les conséquences du péché originel comme la souffrance, la mort et la
faiblesse. Là encore, la vie terrestre dispose l’homme à entrer dans la vision
béatifique. Non seulement elle maintient l’homme dans l’humilité de sa
condition précaire mais elle lui donne la possibilité d’aller plus loin dans
les exigences de la charité à travers la souffrance elle-même. Ainsi, Jésus
disait : « chargez-vous de mon joug et venez à ma suite »[379],
c’est-à-dire : Aimez Dieu et votre prochain à travers votre temps de
souffrance.
Solution 1 :
Le corps appesantit la vie intellectuelle. En effet,
l’intelligence humaine doit abstraire à partir des données des sensations le
contenu intelligible qui s’y trouve. Au contraire, l’intelligence angélique qui
atteint d’une manière directe et intuitive des réalités est bien supérieure à
celle des hommes. Mais il n’en est pas de même dans le domaine de l’amour.
L’homme, grâce à sa sensibilité peut dépasser les anges dans l’ordre de
l’amour. L’ange aime en effet d’une manière entièrement volontaire et se porte
tout entier dès la première fois vers l’objet de son amour, sans qu’aucun
progrès ne soit possible et selon le degré de perfection de sa nature. Il
n’aime donc qu’autant qu’il comprend qu’il faut aimer. L’homme au contraire
peut s’il le veut progresser sans cesse dans l’amour. Il lui est possible d’aimer
jusqu’à l’absurde, ce qui est la mesure de Dieu : Aimer ses ennemis, aimer,
jusqu’à la mort, aimer jusqu’à accepter volontairement d’être anathème pour le
salut de ses frères[380].
« Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis »[381].
En ce sens, il dépasse en perfection la nature angélique et peut être considère
comme le chef-d’œuvre de Dieu.
Solution 2 :
Adam et Ève, dans l’état de perfection qui était le leur avant le
péché, ne pouvaient en aucune façon être trompés par le démon puisque leur
intelligence était protégée de l’erreur. Ils avaient reçu de Dieu suffisamment
de connaissances pour empêcher toute ignorance dans les domaines importants de
leur vie. Leur péché fut donc leur entière responsabilité. Ils
s’enorgueillirent de la beauté qu’ils découvraient en eux et décidèrent d’être
eux-mêmes les maîtres du bien et du mal. Quant au démon, son rôle fut
simplement de présenter extérieurement les avantages d’un tel orgueil. Adam et
Ève, malgré la science qu’ils avaient reçue de Dieu à propos des conséquences
d’un tel péché, décidèrent d’ignorer cet avertissement. Leur ignorance fut donc
volontaire.
Solution 3 :
La fragilité dans laquelle les hommes furent plongés après le
péché originel est, en ce qui concerne l’entrée dans la vision béatifique, un
mal moins grave que l’orgueil. Si Adam et Ève avaient gardé après leur péché la
pleine maîtrise de leur nature, il est certain qu’ils se seraient complus dans
leur orgueil et se seraient séparés définitivement de Dieu. Au, contraire, la
misère où ils furent plongés, si elle ne les rapprocha pas entièrement de leur
Créateur, leur fit comprendre que, sans lui, l’homme n’est et ne peut rien
faire (dans le domaine du salut).
Solution 4 :
Le mal qui règne dans le monde provoque chez beaucoup le rejet et
la haine de Dieu. Mais, en définitive, l’homme rejette alors ce qu’il ne
connaît pas car il ne peut comprendre que c’est en vue d’un bien éternel que
Dieu impose à l’homme des maux temporels. L’homme agit un peu comme le petit
enfant, qui recevant de sa mère une punition qui lui parait injustifiée, n’en
découvre que plus tard le bien-fondé. De même les hommes, en découvrant au
moment de leur mort la vraie raison du gouvernement divin sur eux, n’en
éprouveront plus de scandale, sauf si l’orgueil est reste en eux. Telle est la
finalité de la souffrance. Telle est la raison ultime de toutes les peines que
subissent les hommes en ce monde. Le peuple juif en est témoin : les justes
massacrés à Auschwitz ont vérifié l`affirmation suivante : Celui qui persévère
dans l’amour qui est la voie de l’espérance et de la crainte recevra
affermissement et secours du Seigneur pour -au-delà des possibilités
humaines-parvenir à l’amour absolu qui offre la vie pour l’amour de Dieu comme
Abraham sacrifiant Isaac. Ainsi ont-ils aussi vérifié le suprême distique en
lequel Bahya résume chacun des Portiques de son introduction au devoir des
cœurs[382] : «
Alors, du Dieu vivant, tu verras le visage unissant dans l’amour ton âme au
Rocher. » [383]
Si on suit Aristote, un bonheur humain est possible. Selon lui, il
se réalise à travers la possession de deux biens : l’amitié et une contemplation
naturelle de l’Etre premier.
Ce bonheur raisonnable suffit-il pour combler les aspirations de
l’homme ? Qohélet constate que non (Ecclésiaste 1, 12) : « Moi, Qohélet, j'ai
été roi d'Israël à Jérusalem. J'ai mis tout mon cœur à rechercher et à explorer
par la sagesse tout ce qui se fait sous le ciel. C'est une mauvaise besogne que
Dieu a donnée aux enfants des hommes pour qu'ils s'y emploient. J'ai regardé
toutes les œuvres qui se font sous le soleil : Eh bien, tout est vanité et
poursuite de vent! » L’expérience montre qu’un désir irréaliste mais très réel
demeure en celui qui est comblé de tout. Le philosophe Feuerbach décrit ces
désirs qui dépassent le raisonnable :
1° L’homme est touché dans son être même :
il ne veut ne pas mourir, il désire vivre éternellement.
2° Le bonheur auquel il aspire doit être
toujours nouveau, libéré du poids du quotidien.
3° Son intelligence voudrait maîtriser la
totalité du réel.
4° Son affectivité aspire à l’amour
romantique d’un être complémentaire qui ne s’use jamais, dont le premier désir
résiste au temps.
5° Son désir de puissance illimité qui
fait souvent de l’homme un prédateur insatiable.
6° Son psychisme rêve de plaisir, de beauté,
de paix et d’activité à la fois.
7° Cela s’étend jusqu’au corps qu’il voudrait
lumineux, jeune, impassible, léger, obéissant, délivré des limites et des murs.
Ces désirs sont connus des théologiens. Ils appellent béatitude un
état où tout désir est comblé. La béatitude se distingue du bonheur qui n’en
est qu’une approche mesurée.
Au plan psychiatrique, ce désir est dangereux car utopique. Il
conduit les gens raisonnablement heureux au malheur et les angoissés au
suicide. L’éducation s’efforce soit de le réprimer dans l’inconscient soit de
le canaliser vers des activités constructives comme l’amour, l’art, la
contemplation du vrai. Il ressort alors, tôt ou tard, sous la forme d’une
angoisse, c’est-à-dire un mal-être dont le sujet ignore l’origine. C’est l’une
des pierres d’achoppement du monde moderne.
Au plan politique, ce désir non canalisé est source des
messianismes temporels. Les politiques s’efforcent de combler leurs concitoyens
de tous les biens pour instaurer par la matière, la béatitude ici-bas. Or la
consommation de drogue, le suicide, la violence autodestructrice augmentent
sans qu’ils en trouvent la raison.
Au plan religieux, ce désir constitue la raison mêmes de toutes
les religions qui proposent, d’une manière ou d’une autre la béatitude pour
l’au-delà.
Ce désir apparaît à la connaissance par diverses activités qu’il
produit comme le mal-être et son effet, la recherche perpétuelle de « toujours
plus. » Il y a donc bien une actuation. S’il est un acte, c’est qu’il existe
une puissance tapie quelque part dans l’homme.
On peut se représenter cela métaphoriquement comme un « creux »,
une béance dans le désir agissant comme un inconscient douloureux. Si ce vide
n'est pas empli, l'esprit souffre sans savoir pourquoi. On peut représenter
cela à la manière de ce vase dont parlait Agnès, la sœur de sainte Thérèse,
dans l'histoire d'une âme.
Au plan scientifique, il s’agit
d’une puissance.
Ne peut-on pas dire que la psychanalyse de Freud a cherché l’objet
de ce désir ? Il parle d’une recherche inconsciente lié à une libido (désir
fondamental du plaisir). L’expérience montre que sa recherche reste
superficielle. Certes, le plaisir est important car présent en extension dans
chacune des velléités du bonheur infini. Mais il n’est qu’un aspect de ce qui
est constaté.
Au plan philosophique, on peut dire que l’objet de ce désir n’est
pas un simple bonheur (une vie raisonnablement agencée dans l’épanouissement
modéré de l’esprit). Il a pour objet la béatitude, c’est-à-dire un bonheur
complet, irraisonnable, de tout l’être (esprit, sensibilité et corps) où le désir
s’arrête tant il est comblé d’actuations toujours renouvelées.
Toujours au plan philosophique, on doit donc en déduire que la
contemplation naturelle de Dieu à travers ses œuvres ne comble pas la totalité
de ce désir. Dieu y est connu comme l’inconnu. Il y est aimé comme le Créateur
des choses ce qui est loin de correspondre aux velléités d’amour et d’union
décrites par Feuerbach plus haut. Ce désir ne peut donc avoir pour objet Dieu
en tant qu'accessible à la raison, même si celui qui contemple Dieu ainsi
trouve un certain soulagement à son désir.
Cependant, Au plan théologique : quand la révélation passe par là,
elle permet de comprendre par l’espérance des biens promis la profondeur du
désir en question. On s’aperçoit que la bonne Nouvelle promet point par point,
sans rien omettre, tout ce qui est désiré de manière velléitaire par le
non-croyant.
1° L’éternité de l’être : « De mort, il n’y
en aura plus. »
2° Le bonheur : « On ne se souviendra plus
du passé. J’essuierai toutes les larmes de leurs yeux."
3° Son intelligence verra Dieu, la Lumière,
face à face.
4° Son affectivité : Sainte Thérèse de
Lisieux la décrit dans un poème : « J'ai besoin d'un cœur brûlant de tendresse,
restant mon appui sans aucun retour, aimant tout en moi, même ma faiblesse...
Ne me quittant pas, la nuit et le jour. Je n'ai pu trouver nulle créature qui
m'aimât toujours, sans jamais mourir. Il me faut un Dieu prenant ma nature,
devenant mon frère et pouvant souffrir ! »
5° Son désir de puissance : car Dieu mettra
sa Toute-puissance à la disposition des humbles.
6° Son psychisme qui verra de ses yeux un
monde nouveau préparé pour l’éternité.
7° Son corps qui sera ressuscité glorieux.
Conclusion :
Ainsi, ce que la révélation montre, c’est que ce désir a pour
objet non seulement la béatitude de la partie supérieure de l’être, mais celle
de tout l’être dans son extension. Il s’agit à la fois, et dans l’ordre
d’importance de 1- Dieu vu dans son essence, aimé et possédé comme un époux
(donc de la béatitude essentielle, celle de l’esprit), mais aussi 2- de la
glorification de la sensibilité avec le mode de lumière et de beauté qu’elle
implique et 3- de la résurrection dans la gloire de la chair, avec le monde
physique qu’elle implique.
Bref, c’est l’épanouissement total de tout l’être, jusqu’à ce que
l’imaginaire, dans sa folie, ne peut concevoir, qui semble l’objet réel de cet
inconscient spirituel.
Ce désir n’a pas pour siège l’esprit mais l’essence de l’âme
humaine. En effet, il étend son feu dans tout l’être : La substance (dans sa
recherche d’immortalité) ; l’intellect (dans sa recherche du Vrai) ; la volonté
en tant qu’appétit (sous la raison générale de Bien) ; Mais aussi la volonté
dans son rapport aux moyens (dans sa recherche de toute puissance) ; le composé
d’esprit et de psychisme (dans sa recherche du Beau) ; la sensibilité (dans sa
recherche du plaisir sensible) ; le corps (dans son aspiration à
l’incorruptibilité). Il me semble donc que cet appétit dépasse l’une ou l’autre
faculté de l’esprit.
C’est ce que semble rappeler la phrase de saint Paul (Romains
8, 19) : « Car la création en attente aspire à la révélation des fils de
Dieu : si elle fut assujettie à la vanité, -- non qu'elle l'eût voulu, mais à
cause de celui qui l'y a soumise, -- c'est avec l'espérance d'être elle aussi
libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la
gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création
jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement. »
Bref, il me semble que la puissance qui est à la source de ce
désir n’a pas pour sujet l’esprit dans l’une ou l’autre de ses facultés, mais
la racine de notre être (l’âme) puisque seule une cause plus radicale que celle
d’une faculté peut avoir un tel effet universel dans l’être. Ce serait une
marque entitative, une orientation crée dans l’âme par Dieu au moment où
il la crée ?
On objecte que Dieu ne peut avoir mis une telle marque dans la
nature humaine. S’il l’avait mise, c’est qu’il aurait créé l’homme pour la
Vision béatifique et la glorification de ses facultés. Or, le don de la Vision
est gratuit…
Comme Alain, je pense qu’il n’y a pas de contradiction entre
gratuité du don et présence de cette marque entitative. Un simple exemple
permet de le comprendre. L’entrée dans la vision béatifique fonctionne comme le
mariage d’amour. Les époux se donnent gratuitement. Cette gratuité n’empêche
pas que, dès leur conception, ils ont reçu dans leur être une orientation innée
pour l’amour de l’autre sexe.
Ce que j’ai dit répond à cette question : Dans la réalité, les
effets de ce désir sont souvent anarchiques puisqu’ils ne sont pas ordonnés par
leur vraie cause. Du coup, au plan d’une raison athée, le chercheur a beaucoup
de mal en en découvrir l’unité. Sans son principe d’intelligibilité, ce désir
apparaît non structuré, sans signification. Il peut être décrit par la raison
seule comme le prouve Feuerbach. Dans ce cas, il apparaît comme une velléité
que l’individu doit réprimer et canaliser car ennemie du bonheur puisque
inaccessible. Par contre, au plan sociologique, il apparaît comme le moteur de
l’humanité qui la pousse à aller toujours plus loin dans tous les domaines
(conquêtes géographiques, scientifiques, intellectuelles, croissance matérielle
etc.). L’humanité ne supporte pas de frontière.
Au plan d’une philosophie réaliste, ouverte à la contemplation
d’un Etre premier, je me demande si quelqu’un de très perspicace ne pourrait
pas en déduire un certain soupçon sur le monde de l’au-delà en posant le
principe suivant : Dieu, qui a créé l’âme humaine, y aurait-il mis de tels
désirs sans raison ?...
Par la révélation, ce désir prend tout son sens, de même qu’une
puissance devient connue par son acte : Comme dit saint Augustin : « Avant de
te connaître je t’aimais », ce qui montre que cet appétit fondamental de l’âme
s’exerce sans objet conscient avant que le don de la foi ne vienne rendre
explicite son objet.
Ce n’est que dans la Vision béatifique que la profondeur de ce
désir sera connu dans son acte, donc en plénitude. Sa partie suprême, celle qui
concerne l’esprit et la Vision de Dieu, apparaîtra alors non comme un désir
infini puisqu’elle trouve son siège dans une âme finie. Elle apparaîtra comme
le désir d’un être infini. Cet être (Dieu) la dépassera toujours et ce désir,
pourtant comblé, ne pourra en maîtriser la démesure de la Trinité. Sa partie
seconde (la glorification de la sensibilité et du corps), loin d’être une
velléité, deviendra la plus réaliste des réalités.
Ce désir entre en acte dès que la vie spirituelle émerge,
c’est-à-dire dans l’enfance.
De manière naturelle, ce désir s’actue de manière anarchique comme
tout appétit séparé de son objet. Livré à lui-même, sans être canalisé, il est
source des plus profondes maladies psychiques.
Mais, comme un torrent, il peut être en partie canalisé dans les
digues naturelles de la recherche de biens terrestre. 1- La recherche de
l’amitié et de d’une contemplation de l’Etre premier donne un certain bonheur,
selon Aristote. Celui qui n’a pas la chance ou l’éducation pour entrer dans ces
deux finalités risque bien d’expérimenter ce qu’est la convoitise : à la
recherche du bonheur, on emplie sa vie de toujours plus de plaisirs, de
richesses, de gloires, sans jamais être rassasié, sans autre objet précis que
la recherche d’un bonheur toujours plus grand. C’est ce qui explique que le
cœur de l’homme, même lorsqu’il est objectivement comblé de tous les biens
terrestres, est sans repos.
De manière surnaturelle, ce désir prend son sens. La foi en révèle
la vraie nature ; la charité en fait toucher déjà l’objet ; l’espérance révèle
que seule la Vision béatifique le comblera et qu’en attendant, il faut vivre
assoiffé sur terre. Ce dernier point est important au plan spirituel pour
ceux qui se contenteraient de la vie chrétienne d’ici-bas : la vie terrestre
reste une vallée de larme ; la vie de la grâce et l’eucharistie ne peuvent
combler qu’en partie ce désir ; seule la Vision béatifique et la glorification
le pourra.
On en revient ici à l’hypothèse des limbes des enfants morts sans
baptême.
J’essaye de m’imaginer cet état. L’hypothèse de saint Thomas
montre que dans les limbes, les enfants vivront ressuscités pour l’éternité
d’un bonheur naturel et sans souffrir de ne pas voir Dieu. L’esprit de ces
enfants s’exercera puisqu’il vivra d’une contemplation philosophique de Dieu, à
travers ses effets selon les trois modes qu’il décrit [par mode de causalité : «
Dieu existe puisque ces réalités sont sorties du néant » ; par mode de négation
: « Dieu est infini, à l’inverse de ces créatures finies » ; par mode
d’éminence "Dieu est infiniment intelligent, bien plus que moi"].
Ces enfants ne seront donc plus des enfants. Ce sont des adultes
qui penseront et aimeront. Leur corps sera ressuscité. Leur psychisme sera dans
sa plénitude. Ils pourront voir de leurs yeux les merveilles inouïes du monde
nouveau. Ils passeront leur éternité, séparés du monde des élus, avec leurs
compagnons de limbes, à visiter ces merveilles. Ca doit être fabuleux, une
véritable aventure…
La question que je me pose est celle-ci : comment imaginer que
l’inconscient spirituel que les six articles précédent ont décrit puisse alors
s’éteindre ? Cela me paraît très contradictoire avec l’expérience de la nature
humaine. Saint Augustin dit dans ses confessions (je site approximativement) : «
Posséder toutes les merveilles du monde, sans te posséder toi, la Source de
tous les bien, c’est être indigent. » J’avoue que ces observations de
l’âme humaine me laissent dubitatives sur la possibilité d’une éternité
vraiment heureuse, sans désir, sans la Vision de Dieu. Mais Bouddha le montre,
le désir, c’est cause de la souffrance.
A propos de la nature de la vision
béatifique, cinq questions se posent :
1° Consiste-t-elle à voir[384]
l’essence de Dieu ?
2° Par l’intermédiaire de l’humanité du
Christ ?
3° Comment une telle vision peut-elle se
réaliser ?
4° Consiste-t-elle à comprendre l’essence
divine tel que Dieu la comprend ?
5° Dans la vision béatifique, l’homme
devient-il Dieu ?
Objection 1 :
Il ne semble pas. Saint Jean dit : « Personne n’a jamais
vu Dieu »[385]
et saint Jean Chrysostome affirme[386]
que « même les essences célestes (les chérubins et les séraphins
eux-mêmes) ne pourront jamais le voir tel qu’il est ». Aux hommes est
promise seulement l’égalité avec les anges : En saint Matthieu[387] :
« ils seront comme des anges de Dieu dans le Ciel ». Donc les Saints
eux-mêmes dans la patrie céleste ne verront pas Dieu dans son essence.
Objection 2 :
Denys[388]
montre que le moyen le plus parfait pour notre intelligence d’être unie à Dieu,
c’est d’adhérer à lui comme à l’inconnu. Or une chose qui est vue en son
essence n’est pas inconnue. Nous ne verrons pas Dieu dans son essence[389].
Objection 3 :
Ce qui est vu à travers un intermédiaire n’est pas vu dans son
essence. Dieu, dans la patrie, sera vu par l’intermédiaire de la lumière de
gloire, comme dit le psalmiste : « Dans ta lumière nous verrons la
lumière »[390].
Il ne sera donc pas vu dans son essence.
Objection 4 :
Dans la patrie, Dieu sera vu face à face, selon saint Paul aux
Corinthiens[391].
Quand nous voyons un homme face à face, nous le voyons dans sa représentation
imprimée en nous. Dieu, dans la patrie, sera donc vu dans une représentation de
lui, non en son essence.
Objection 5 :
Tout ce qui est vu dans son essence, est
connu selon ce qu’il est. Mais notre intelligence ne peut pas savoir de Dieu ce
qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est pas, comme disent Denys et saint Jean
Damascène. Notre intelligence ne pourra donc pas voir Dieu dans son essence.
Cependant :
Benoît XII, pape, écrit : « Les âmes
saintes voient l’essence divine d’une vision intuitive et même face à face sans
aucune médiation ».[392]
Conclusion :
Pour comprendre la nature de la vision
béatifique, il faut voir qu’il peut exister plusieurs manières de contempler
Dieu.
La première peut être obtenue par les simples forces de
l’intelligence humaine. Il s’agit d’une contemplation naturelle. Dans un
premier temps, l’intelligence découvre la nécessité de l’existence d’un Être
Premier. Par mode de causalité, c’est-à-dire en s’appuyant sur le fait que tout
effet à une cause, elle aboutit à poser l’existence d’une cause Première qui
n’a pas de cause. Dans un second temps, elle peut arriver à manifester la
manière d’être de cet Être Premier : elle nie en lui toutes les potentialités
que l’on constate dans les réalités de ce monde. Dieu ne peut qu’être simple,
parfait, bon, indépendant du lieu, du temps, du mouvement. Il s’agit d’une
contemplation par mode négatif. Elle manifeste enfin que l’Être Premier, Dieu,
doit posséder éminemment les perfections des réalités de ce monde : Dieu ne
peut qu’être éminemment bon, amour, intelligence, puissance, vie et être. Il
s’agit d’une contemplation par mode d’éminence. Une telle contemplation
philosophique atteint Dieu non en ce qu’il est mais à travers ses effets
c’est-à-dire à travers sa création.
Un second mode de contemplation s’appuie sur les données révélées
par la foi. Dieu en effet a révélé par touches successives au cours de
l’histoire des aspects de son mystère. Ainsi, il dit à Moise son nom « Je
SUIS celui qui est » ; En Jésus, il révèle le secret de sa vie trinitaire.
L’intelligence humaine en s’appuyant sur ces données révélées, peut aboutir à
une nouvelle contemplation de Dieu. L’intelligence essaie de percer les
mystères révélés en les éclairant par des analogies propres et métaphoriques
prises dans le monde d’ici-bas. Il s’agit d’une contemplation théologique.
Un troisième mode de contemplation peut être obtenu dès cette
terre mais nécessite le secours d’un don surajouté qu’on appelle la grâce
sanctifiante[393].
L’Esprit Saint vient habiter dans l’âme et lui révèle intimement par l’action
des 7 dons fondés sur la charité des aspects de son Mystère divin. Ainsi le
psaume[394]
chante : « Goûtez et voyez comme le Seigneur est bon. » Il s’agit
d’une contemplation mystique. Là encore, Dieu est vu par l’intermédiaire
d’images ou de concepts. Il n’est donc pas vu face à face dans son essence. On
distingue plusieurs degrés de contemplation mystique en fonction des degrés
d’intelligence infusés par l’Esprit Saint.
La vision béatifique, quant à elle, ne peut être comparée à aucune
de ces trois sagesses[395].
Comme dit saint Paul : « l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu,
le cœur de l’homme n’a pas soupçonné ce que Dieu a préparé pour ceux qui
l’aiment »[396].
La vision béatifique consiste en la vision de Dieu dans son essence, sans aucun
intermédiaire créé.
Solution 1 :
Le texte cité peut être interprété de trois manières, comme le dit
saint Augustin dans le livre de la vision de Dieu. Ou bien il exclut la vision
corporelle par laquelle personne n’a vu ni ne verra l’essence divine ; ou bien
il exclut la vision intellectuelle de Dieu dans son essence pour ceux qui
vivent dans cette chair mortelle ; ou bien il exclut la vision de compréhension[397]
par une intelligence créée. Et c’est ainsi que l’entend saint Jean Chrysostome.
Il ajoute donc : « l’évangéliste parle ici de la connaissance qui
serait la contemplation tout à fait sûre et la compréhension telle que le Père
l’a du Fils ». C’est bien aussi la pensée de l’évangéliste qui
continue : « Le Fils unique qui est dans le sein du Père, nous l’a fait
connaître », voulant nous prouver d’une manière exhaustive que le Fils est
Dieu.
Solution 2 :
Denys parle ici de la connaissance par laquelle sur terre nous
connaissons Dieu à travers une forme créée par notre intelligence. Mais comme
dit saint Augustin : « Dieu échappe à toute forme de notre esprit »
parce que, quelle que soit la forme conçue par notre esprit, elle n’atteint pas
la notion de l’essence divine. C’est pourquoi il ne peut être rejoint par notre
intelligence. Mais nous le connaissons très parfaitement dans notre condition
de voyageurs si nous savons qu’il est au-dessus de tout ce que notre
intelligence peut concevoir : et ainsi nous lui sommes unis comme à quelqu’un
d’ignoré. Au contraire, dans la patrie, nous le verrons par cette forme qu’est
son essence, et nous lui serons unis comme à quelqu’un de connu.
Solution 3 :
La lumière de gloire n’est pas un intermédiaire dans lequel Dieu
serait vu. Elle est plutôt une grâce donnée par Dieu qui élève la puissance de
notre intelligence afin de la rendre capable d’être unie à la substance
incréée. Elle ne se met pas entre le connaissant et le connu mais elle est ce
qui donne à celui qui connaît la puissance de connaître.
Solution 4 :
On dit des créatures corporelles
qu’elles sont vues sans intermédiaire quand ce qui en elle peut être uni au
sens de la vue lui est uni en fait. Mais elles ne peuvent pas être unies au
sens de la vue dans leur essence à cause de leur matérialité. Elles sont donc
vues sans intermédiaire quand leur image est unie à la vue. Mais Dieu est par
essence capable d’être uni à l’intelligence. Il ne serait donc pas
immédiatement si son essence n’était pas unie à l’intelligence. Et cette vision
qui s’opère d’une manière immédiate, s’appelle la vision de la face.
En outre, l’image de la chose corporelle est reçue dans le sens de
la vue telle qu’elle est en réalité, quoique non selon la même manière d’être.
Elle conduit donc directement à cette chose. Aucune représentation ne peut
conduire notre esprit de cette manière jusqu’à Dieu.
Solution 5 :
Ces citations et toutes celles qui leur
sont semblables doivent s’entendre de la connaissance que nous avons de Dieu
sur terre, pour les raisons dites plus haut.
Objection 1 :
L’Écriture Sainte l’affirme en de nombreux passages : « Nul ne
vient au Père que par moi. Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon
Père. »[398] À
Philippe qui lui a demandé de voir le père, Jésus répond : « Comment peux-tu
dire : montre nous le Père! Qui m’a vu a vu le Père. Ne crois-tu pas que je
suis dans le Père et que le Père est en moi ? »[399]
Objection 2 :
L’Évangile de saint Jean rapporte la parole suivante du Seigneur[400]
: « Le Père aime le Fils et a tout remis dans sa main. Qui croit au Fils a la
vie éternelle ; Qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie. » De ce texte
il ressort que la médiation du Christ est indispensable pour obtenir la vie
éternelle qui n’est autre que la vision béatifique.
Objection 3 :
Affirmer que la vision béatifique se réalisera directement sans la
médiation de l’humanité créée du Verbe c’est, semble-t-il, ne pas tenir compte
de la dignité et de la primauté du christ "par qui et pour qui tout a été
créé au Ciel et sur la terre"[401].
Cela réduit l’humanité du Verbe à l’inutilité dans l’au-delà.
Cependant :
Le pape Benoît XII a défini solennellement la foi catholique comme
suit[402]
: « Les bienheureux voient l’essence divine d’une vision intuitive et même
face à face, sans la médiation d’aucune créature qui serait objet de vision ».
Or, selon que l’on considère sa nature humaine, le Christ est une créature. Il
ne peut donc sous ce rapport-là être un intermédiaire de vision intellectuelle
de l’essence divine. En conséquence, la vision béatifique ne peut consister à
voir Dieu à travers l’humanité du Verbe.
Conclusion :
Considérée en elle-même, la nature humaine du Verbe éternel est
une créature et, par conséquent, est soumise aux contingences essentielles de
tout ce qui est créé. Malgré sa perfection suprême et les prérogatives dont
elle est revêtue dans la gloire, elle ne devient pas la nature divine. Ainsi,
dans la personne du Verbe incarné, les deux natures sont unies pour former un
seul être, mais sans mélange ni confusion. En conséquence, lorsque
l’intelligence contemple le Mystère de Dieu en fixant son jugement sur
l’humanité sainte du Christ, ce qui spécifie son acte, c’est une nature créée.
Appuyée sur cet objet de connaissance, elle peut alors par l’analogie de la foi
que la grâce de Dieu illumine contempler comme dans un miroir, l’essence divine.
Une telle contemplation est notre lot d’ici-bas. Lorsqu’elle est produite
principalement par l’effort de notre intelligence, on l’appelle la sagesse
théologique ; Lorsqu’elle est produite avant tout par la motion divine à
travers les dons du Saint Esprit, on l’appelle la Sagesse mystique. Elle peut
atteindre des degrés sublimes dans l’intelligence du mystère à cause de la
qualité des grâces de lumière communiquées par Dieu, que de la lumière sensible
donnée par la méditation de la vie de Jésus. Le sommet de ce genre de
contemplation est certainement celle qui fut offerte à saint Jean sur l’île de
Patmos[403]. En
voyant dans une extase le corps glorifié du Christ, il comprit comme saint Paul
"des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de redire"[404].
Pourtant, malgré le caractère élevé de cette grâce qui le laissa comme mort, il
ne peut s’agir de la vision béatifique. Ce qui est contemplé directement est
une nature créée, et par elle indirectement comme dans l’éclat d’une image,
l’Incréé. Or voir le créé, aussi sublime soit-il, reste infiniment distant de
la vision de l’Incréé. De tout cela il ressort que l’acte contemplatif dans
lequel consiste la vision béatifique ne peut avoir l’humanité sainte du Christ
comme intermédiaire de vision.
Solution 1 :
Tous les textes semblables à celui-ci,
si on les interprète en considérant qu’ils se réfèrent au Christ selon son
humanité concernent la manière dont nous devons remonter au Père durant notre
vie ici-bas. En effet, depuis le péché originel, la nature humaine est ainsi
blessée qu’il nous est impossible de progresser durablement dans la vie
surnaturelle sans nous appuyer sur la médiation du Christ dans son humanité.
Sainte Thérèse montre très bien cette nécessité dans les sept demeures de son
château intérieur. Ainsi, celui qui s’essaye à contempler une personne divine
en se séparant totalement de la contemplation sensible de Jésus ne peut que
sombrer tôt où tard dans un vide spirituel et, par suite, dans la divagation de
sa pensée. Au contraire, en revenant sans cesse à l’Image que Dieu nous a
donnés de lui-même, nous trouvons la voie qui conduit à la vérité et à la vie.
Dans la vision béatifique, l’humanité du Verbe n’est plus nécessaire si l’on
considère ce point précis. En effet, la Trinité réalise elle-même et sans
intermédiaire la manifestation de son essence. Ainsi, dans l’au-delà, loin de
nous manifester les personnes divines, l’humanité sainte du Verbe nous sera
plutôt rendue manifeste par la vision directe que nous aurons de ces personnes
puisque ce qui est moins lumineux est rendu visible par ce qui l’est plus.
Cependant, ces textes de saint Jean peuvent trouver une autre
interprétation si on les considère comme se référant au Christ en tant qu’il
est Dieu, c’est-à-dire au Verbe éternel. Pris en ce sens, ce texte peut être
appliqué par mode d’appropriation à la vision béatifique. En effet, il s’agit
d’un acte de contemplation dont le siège, nous le verrons, est spécifiquement
l’intelligence, même si elle s’origine dans l’amour de charité et s’achève en lui.
Or on attribue habituellement au Verbe tout ce qui a rapport en Dieu avec
l’intelligence puisqu’il procède du Père en tant qu’il se connaît lui-même. En
ce sens, nous connaîtrons le Père par le Verbe.
Solution 2 :
Nous avons montré que ce texte comme les précédents se réfère au
temps du pèlerinage vers la vision béatifique. Mais lorsque viendra le temps de
la vision de Dieu, il en sera tout autrement selon saint Paul :[405]
"Puis ce sera la fin ; alors le Christ remettra la royauté à Dieu le Père
après avoir détruit toute Principauté, Domination, Puissance. Car il faut qu’il
règne jusqu’à ce qu’il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds (...). ; Alors
le Fils se soumettra à celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en
tous. » Et ce mystère de l’effacement de l’humanité du Verbe ne signifie pas
qu’elle n’aura plus de place dans l’au-delà mais seulement qu’elle ne sera plus
la voie qui conduit à la vision de Dieu, le temps de la voie étant terminé. Le
Verbe incarné sera alors visible pour nous directement en tant qu’il est la
seconde personne de la Trinité et sera l’objet de notre béatitude essentielle
conjointement au Père et à l’Esprit Saint. C’est ce que veut signifier
métaphoriquement ce passage de l’Apocalypse[406]
: « La ville peut se passer de l’éclat du soleil et de celui de la lune, car la
gloire de Dieu l’a illuminée" L’humanité du Verbe sera présente et vue par
nous mais ne constituera pas la raison première de notre béatitude. Elle sera
pour nous un bonheur de surcroît, en ce sens qu’en la voyant de nos yeux de
chair selon la parole de Job[407],
elle sera source d’une extension nouvelle de joie jusque dans notre
sensibilité. C’est ce que signifie la suite du texte de l’Apocalypse : « L’Agneau
lui tiendra lieu de flambeau », c’est-à-dire d’illumination surajoutée.
Solution 3 :
Pour l’éternité, l’humanité du Verbe
gardera le rang de premier :
1° Au plan de son être en premier lieu, elle
est et restera la nature humaine de Dieu.
2° Au plan des grâces dont elle est revêtue,
elle surpassera pour toujours toutes les autres créatures, brillant dans le
Ciel d’un éclat qui attirera tous les regards. Le corps glorieux du Christ sera
le centre du monde matériel refaçonné à la fin ; son âme ravira par sa grâce
tous les regards.
3° Le Christ dans son humanité gardera pour
toujours la primauté de la reconnaissance des élus car chaque homme sauvé saura
qu’il n’a pu parvenir à un tel bonheur que par sa médiation : « la
grâce et la vérité nous sont venues par Jésus-Christ ».[408]
4° Cependant, le Christ quant à son humanité
ne sera plus l’objet premier de la contemplation des élus puisque le Christ
selon sa divinité sera vu sans intermédiaire comme nous l’avons montré. Un tel
effacement ne nuira pas à la dignité du Christ puisque sa personne restera le
centre de toute vie surnaturelle, conjointement au Père et au Saint Esprit, à
cause cependant de sa nature divine.
Objection 1 :
Il ne semble pas que la vision béatifique soit réalisée par
l’union directe de l’essence divine à l’intelligence. En effet, puisque l’être
intelligible perfectionne l’intelligence, il doit y avoir proportion entre
l’intelligible et l’intelligence, comme entre le visible et la vue. Or il ne
peut y avoir de proportion entre notre intelligence et l’intelligence divine,
puisqu’elles sont infiniment distantes. L’essence divine ne peut donc être unie
à notre intelligence comme son objet[410].
Objection 2 :
Dieu est plus distant de notre intelligence que l’intelligible
créé est distant du sens. La vision de la créature spirituelle ne peut d’aucune
manière être atteinte par le sens. Dieu ne peut donc d’aucune manière s’unir à
notre intelligence pour qu’elle le voie dans son essence.
Objection 3 :
Selon Denys, « Dieu, l’Être, est quelqu’un d’invisible à cause de
son excessive clarté »[411].
Cette clarté qui est trop vive pour l’intelligence de l’homme sur la terre,
l’est aussi pour son intelligence dans la patrie. Elle sera donc invisible dans
la patrie comme pour l’homme en marche sur terre parce qu’elle lui sera
disproportionnée.
Objection 4 :
Tout infini comme tel, est inconnu. Dieu
est infini de toutes manières et donc tout à fait inconnu et inconnaissable par
une intelligence finie.
Cependant :
Le pape Benoît XII écrit : « La divine essence se manifeste
immédiatement à nu, clairement et à découvert à l’intelligence à travers une
vision intuitive »[412].
Conclusion[413]
:
Il nous reste donc à rechercher comment Dieu peut rendre visible
son essence à l’intelligence humaine. Certains affirmèrent, comme Alpharabe et
Avempace, que par le fait même que notre intelligence connaît n’importe quel
objet intelligible, elle parvient à voir l’essence d’une substance séparée.
Pour le montrer, ils procèdent de deux manières. La première : de même que la
nature de l’espèce ne varie pas dans les divers individus, sauf en tant qu’elle
est unie aux principes d’individuation, de même, la forme intelligible connue
ne varie pas selon qu’elle est connue par tel ou tel, sauf en tant qu’elle est
unie à diverses formes imaginatives. C’est pourquoi quand l’intelligence sépare
par l’abstraction la forme intelligible des formes imaginatives, il reste la
quiddité intellectuelle, qui est une et identique dans les diverses
intelligences qui la connaissent. Et cela c’est la quiddité de la substance
séparée. C’est pourquoi, quand notre intelligence parvient à la totale
abstraction de la quiddité intelligible de n’importe quoi, elle connaît par là
la quiddité de la substance séparée, qui est semblable à elle-même.
La seconde manière de démonstration :
notre intelligence est faite pour abstraire la quiddité de tous les êtres
intelligibles qui en ont une. Si donc la quiddité qu’elle abstrait de tel être
individué ayant une quiddité, est une quiddité qui n’a pas elle-même de
quiddité, en la connaissant, elle connaît la quiddité d’une substance séparée,
qui est ainsi disposée, puisque les substances séparées sont des quiddités
subsistantes, qui n’ont pas de quiddité ; car la quiddité de ce qui est simple
est le simple lui-même, comme dit Avicenne. Mais si la quiddité abstraite de
tel être sensible individué est une quiddité qui possède sa quiddité, alors
l’intelligence est apte à abstraire cette quiddité. Ainsi, puisqu’on ne peut
pas remonter à l’infini, on doit arriver à une quiddité qui n’a pas elle-même
de quiddité, c’est-à-dire une quiddité séparée.
Mais cette argumentation ne semble pas
suffisante. D’abord parce que la quiddité de la substance matérielle, que
l’intelligence abstrait, n’est pas de la même nature que les quiddités de substances
séparées : donc, du fait que notre intelligence abstrait les quiddités des
choses matérielles et les connaît, il ne suit pas qu’elle connaisse la quiddité
de la substance séparée, et surtout l’essence divine, qui est tout à fait d’une
autre nature que toute quiddité créée. Ensuite, parce que même en supposant
qu’elle soit de la même nature cependant en connaissant la quiddité d’une chose
composée, on ne connaîtrait pas celle de la substance séparée, sauf selon son
genre le plus éloigné, qui est la substance. Mais cette connaissance est
imparfaite tant qu’on ne parvient pas aux caractères propres de la chose. En
effet, celui qui connaît l’homme seulement en tant qu’il est animal ne le
connaît que relativement et en puissance. Et il le connaît bien moins encore
s’il ne connaît que la nature de la substance en lui-même. C’est pourquoi,
connaître ainsi Dieu ou les substances séparées, ce n’est point voir l’essence
divine ou la quiddité de la substance séparée : c’est seulement connaître par
les effets produits et comme dans un miroir.
C’est pourquoi Avicenne, dans ses
Métaphysiques, expose un autre moyen de connaître les substances séparées :
celles-ci seraient connues par nous à travers les intentions de leurs
quiddités, qui seraient des similitudes d’elles-mêmes, non pas abstraites
d’elles-mêmes, puisqu’elles sont immatérielles, mais imprimées par elles dans
nos âmes. Mais ce nouveau mode de connaître ne nous paraît pas non plus
suffisant pour la vision divine que nous recherchons. Il est en effet évident que
"tout ce qui est reçu en quelque chose est en elle selon la manière d’être
de cette chose qui reçoit. » La similitude de la divine essence imprimée dans
notre intelligence serait donc en elle selon le mode de notre esprit. Mais le
mode de notre esprit est déficient en regard de la parfaite réception de la
similitude divine. Cette déficience à l’égard de la parfaite similitude peut se
produire avec autant de manières qu’il y a de manières d’être dissemblables.
D’une manière, la similitude est
déficiente quand la forme est participée dans la même espèce, mais non d’une
manière aussi parfaite : comme si quelqu’un est seulement un peu blanc, tandis
que l’autre l’est bien plus. D’une autre manière, la similitude est encore plus
déficiente quand les deux êtres n’appartiennent pas à la même espèce, mais
seulement au même genre : comme seraient semblables celui qui a une couleur
citron ou jaunâtre et celui qui a la couleur blanche. D’une autre manière
encore il y a davantage déficience de similitude quand deux êtres
n’appartiennent pas au même genre, mais sont seulement analogues ou
proportionnés : comme Si on parle de similitude entre la blancheur et l’homme
parce que tous deux sont des êtres. Et de cette manière, toute similitude entre
une créature et la divine essence est tout à fait déficiente. Pour que la vue
connaisse la blancheur, il faut que la représentation de la blancheur soit
reçue en elle selon sa raison d’espèce, bien que non selon le même mode d’être,
car être une forme reçue dans un sens ou bien être une chose existant en dehors
de l’âme, ce sont deux modes d’être fort différents. Si l’œil recevait la forme
couleur citron, on ne dirait pas qu’il voit la blancheur. De même pour que
l’intelligence connaisse une quiddité, il faut qu’elle reçoive une similitude
selon la raison d’espèce, bien que peut-être les deux n’aient pas le même mode
d’être : en effet la forme qui se trouve dans l’intelligence ou le sens n’est
pas principe de connaissance selon le mode d’être possédé par l’un et l’autre,
mais selon la raison par laquelle elle communique avec la chose extérieure. Il
est ainsi évident que Dieu ne peut être connu, de telle sorte que son essence
serait vue immédiatement, par aucune similitude reçue dans un esprit créé.
C’est pourquoi certains qui pensaient que l’essence divine pouvait être vue
seulement de cette manière, dirent que cette essence même ne sera pas vue, mais
seulement une sorte d’éclair, comme un rayon d’elle-même. Cette manière de
connaître ne suffit donc pas à atteindre la vision divine, que nous cherchons à
expliquer.
Nous devons donc considérer une autre manière que certains
philosophes, Alexandre et Averroès, ont proposée : en toute connaissance, il
doit y avoir quelque forme par laquelle la chose est connue ou est vue. La
forme par laquelle l’intelligence est perfectionnée pour voir les substances
séparées ne serait pas la quiddité que l’intelligence abstrait des choses
composées, comme le prétendait la première opinion. Ce ne serait pas non plus
une impression produite dans notre esprit par la substance séparée, comme
disait la seconde opinion : ce serait la substance, séparée elle-même qui
s’unirait à notre intelligence comme une forme, de telle sorte qu’elle serait à
la fois ce qui est connu, et ce par quoi on le connaît. Quoi qu’il en Soit des
autres substances séparées, nous devons accepter cette manière de connaître
quand il s’agit de la vision de Dieu en son essence ; car toute autre forme qui
informerait notre intelligence ne pourrait pas la conduire à l’essence divine.
Nous ne devons pas entendre cela en ce
sens que l’essence divine serait la vraie forme de notre intelligence ou que
par l’union entre elle et notre intelligence serait formée quelque chose d’un
absolument comme dans les choses naturelles résultant de l’union de la forme et
de la matière ; mais en ce sens que le rapport entre l’essence divine et notre
intelligence est comparable au rapport entre la forme et la matière. Chaque
fois en effet que deux choses dont l’une est plus parfaite que l’autre sont
reçues dans le même réceptacle, le rapport de l’une à l’autre est analogue au
rapport de la forme à la matière : ainsi la lumière et la couleur sont reçues
dans le diaphane, et la lumière est par rapport à la couleur comme la forme par
rapport à la matière. De même, quand l’âme reçoit la lumière intellective et
l’essence divine elle-même, qui l’habite, bien que ce ne soit point de la même
manière, l’essence divine est par rapport à l’intelligence comme la forme par
rapport à la matière. Et l’on peut prouver de la façon suivante que cela suffit
pour que l’intelligence puisse voir l’essence divine elle-même à travers cette
même essence divine : de même que par l’union de la forme naturelle, de
laquelle une chose reçoit l’être, et de la matière, il se forme un seul être
unique, ainsi par l’union de la forme par laquelle l’intelligence connaît, et
de l’intelligence elle-même, il se forme un seul être dans celui qui connaît.
Dans les choses naturelles, une chose subsistante en soi ne peut
pas devenir la forme d’une matière, si cette chose possède déjà de la matière
qui fait partie d’elle, car une matière ne peut pas devenir la forme de quelque
chose. Mais si cette chose subsistante en elle-même est seulement une forme,
rien n’empêche qu’elle devienne la forme de quelque matière et qu’elle devienne
ce par quoi existe un composé : comme cela se produit pour l’âme humaine. Dans
l’intelligence, nous devrons considérer l’intelligence elle-même étant en
puissance comme une sorte de matière tandis que l’espèce intelligible est la
forme. Quand l’intelligence connaît en acte, elle est comme un composé des
deux. Donc, s’il y a une chose subsistante par elle-même qui n’a pas en soi
autre chose que d’être intelligible en elle-même, cette chose pourra par
elle-même être la forme par laquelle l’intelligence connaît. Une chose est
intelligible en tant qu’elle est en acte, non en tant qu’elle est en puissance.
Nous en voyons un signe dans ce fait que la forme intelligible doit être
abstraite de la matière et de toutes ses propriétés. C’est pourquoi, puisque
l’essence divine est acte pur, elle pourra être la forme par laquelle
l’intelligence connaît : telle sera la vision béatifiante. Aussi Aristote
dit-il que l’union entre l’âme et le corps est "un exemple de l’union
bienheureuse par laquelle l’esprit est uni à Dieu"
Solution 1 :
Il ne peut y avoir de proportion entre le fini et l’infini,
puisque l’infini dépasse le fini d’une manière absolument indéterminée. Mais il
peut y avoir entre eux une certaine proportion dans le sens d’une similitude de
leurs proportions : car de même que le fini est égal à tel autre fini, ainsi
l’infini est égal à l’infini. Pour qu’une chose soit totalement connue, il faut
parfois qu’il y ait une proportion entre le connaissant et le connu, puisque la
puissance du connaissant doit égaler la possibilité d’être connu de la chose
connue : cette égalité constitue une certaine proportion. Mais parfois la
cognoscibilité de la chose dépasse la puissance de celui qui connaît : comme
quand nous connaissons Dieu ou au contraire quand Dieu connaît les créatures.
Et alors il ne doit pas y avoir une proportion entre le connaissant et le connu
mais seulement une certaine proportionnalité : c’est-à-dire que celui qui
connaît soit par rapport à ce qui doit être connu comme le connaissable par
rapport à ce qui est connu. Et cette proportionnalité suffit pour que l’infini
soit connu par le fini, et vice versa. On pourrait dire aussi que la
proportion, selon la signification propre de ce mot, indique un rapport de
quantité à quantité, selon un certain dépassement déterminé ou bien une
égalité. Mais on peut l’étendre pour signifier toute relation d’une chose avec
une autre. C’est ainsi que nous disons que la matière doit être proportionnée à
la forme. De cette manière, rien n’empêche que notre intelligence, bien que
finie, soit proportionnée à la vision de l’essence infinie, non cependant en la
saisissant totalement, à cause de son immensité.
Solution 2 :
Il y a deux sortes de similitudes ou de distances entre les
choses. La première est considérée selon leurs natures : et ainsi Dieu est plus
distant de l’intelligence créée que l’être intelligible créé est distant du
sens. La seconde est considérée selon la proportionnalité : ici, c’est le
contraire, car le sens n’est pas proportionné pour connaître quelque chose
d’immatériel comme l’intelligence l’est pour connaître n’importe quel être
immatériel. Cette seconde similitude est requise pour connaître, non la
première : car il est évident que l’intelligence qui connaît une pierre ne lui
est point semblable en son état naturel, de même que l’œil voit du miel
rougeâtre et du fiel rougeâtre, bien qu’il ne saisisse pas la douceur du miel.
La rougeur du fiel se compare mieux avec le miel en tant que visible, que la
douceur du miel avec le miel en tant que visible.
Solution 3 :
La clarté de Dieu, bien qu’elle dépasse toutes les formes par
lesquelles notre esprit est informé ici-bas, ne dépasse pas l’essence divine
elle-même, qui sera comme la forme de notre esprit dans la patrie. C’est
pourquoi, bien qu’elle soit maintenant invisible, elle ne le sera plus alors.
Solution 4 :
L’infini considéré au sens privatif (ou
indéfini) est inconnaissable, en tant que tel, puisqu’il est privé de ce
complément de détermination d’où vient la connaissance d’une chose. Il se réduit
à la manière d’être de la matière qui serait privée de toute détermination,
comme dit Aristote dans les Physiques. Mais l’infini pris dans le sens
seulement négatif signifie l’absence de matière qui le limite. Tel est l’infini
de Dieu, infini déterminé et connaissable.
Objection 1 :
Cela semble nécessaire. Tout ce qui existe d’une manière et est vu
d’une autre manière, n’est pas vu tel qu’il est. Ainsi, si Dieu est vu par les
saints d’une autre manière que ce qu’il est vraiment, on ne pourra pas parler
d’une véritable vision de l’essence divine. Il ne sera pas vu par eux selon ce
qu’il est.
Objection 2 :
La compréhension est nécessaire à la vision béatifique. En effet,
comprendre signifie seulement posséder un objet dans sa connaissance.
Cependant :
Dieu est infini et il dépasse les
capacités de l’intelligence humaine. Il est donc impossible à l’homme de voir
Dieu tel qu’il se voit lui-même.
Conclusion :
De même que Dieu dépasse par son essence infinie toutes les choses
existantes qui ont une essence limitée, de même la connaissance qu’il a de
lui-même est au dessus de toute connaissance. Le rapport de notre connaissance
avec notre essence créée est comme le rapport de la connaissance divine avec
son essence infinie. Dans toute connaissance, il y a trois choses à considérer
: Ce qui est connu ; ce par quoi nous connaissons ; celui qui connaît 1° Dans
la vision béatifique, l’homme verra la même chose que Dieu à considérer ce qui
est connu puisque c’est Dieu lui-même qui sera vu, comme nous l’avons montré.
2° De même, considérer ce par quoi il est vu, nous serons semblables à Dieu car
nous le verrons dans son essence comme il se voit dans son essence. 3° Mais du
côté du connaissant, il y a une différence : celle qui existe entre
l’intelligence divine et la nôtre. L’intensité de la connaissance dans celui
qui connaît dépend de la puissance de celui-ci : celui qui a une vue plus forte
voit plus nettement. En conclusion, on doit dire que l’homme verra réellement
Dieu dans son essence mais selon la possibilité limitée de son intelligence
créée ; Nous montrerons que cette potentialité sera mesurée en chacun par
l’intensité du désir de sa charité et non selon la puissance naturelle de
l’intelligence elle-même, d’où le scandale des anges déchus dont l’intelligence
est incomparablement plus vigoureuse de celle des hommes. L’homme ne comprendra
donc pas Dieu tel qu’il se comprend[415].
Solution 1 :
Dans la patrie, Dieu sera vu par les saints tel qu’il est, si nous
parlons de celui-là même qui est vu ; les saints le verront de la manière qu’il
est lui-même. Mais si nous parlons de celui qui le connaît, alors il ne sera
pas vu tel qu’il est parce que l’esprit créé n’aura pas une capacité suffisante
pour le voir, en comparaison de la possibilité que l’essence divine possède en
elle-même d’être connue. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus explique ce fait par
une analogie : l’essence divine est comme un vin précieux. De même que le vin
peut remplir en plénitude un petit verre et un grand verre, mais seulement
selon la capacité de chacun, de même la vision béatifique sera donnée à chacun
selon le degré de son désir de Dieu. Mais c’est le même vin qui remplit les
deux verres, de même que c’est la même essence de Dieu.
Solution 2 :
Le mot compréhension peut être entendu
de deux manières. Il peut signifier une inclusion de ce qui est compris dans
celui qui le comprend, et dans ce cas ce qui est compris par un être fini est
fini, de telle sorte que Dieu, en ce sens, ne peut être compris par l’intellect
d’aucune créature. En second lieu, comprendre peut signifier simplement tenir
dans ses prises l’objet qui désormais est possédé et rendu présent. Ainsi un
homme qui en poursuit un autre est dit l’appréhender quand une fois il le
tient, et c’est ce genre de compréhension qui est requis pour la béatitude.
Objection 1 :
« Dans les choses séparées de la matière,
dit Aristote l’intelligence et son objet ne sont qu’un »[416].
Mais Dieu est absolument séparé de toute matière. Si donc l’intelligence créée
voit Dieu dans son essence, c’est qu’elle devient cette essence même de Dieu.
Objection 2 :
Le Christ est non seulement l’image de
Dieu mais aussi la préfiguration de ce que nous serons dans l’au-delà. Or
l’humanité du Christ n’est pas seulement unie à Dieu par une amitié. Elle est
unie dans sa substance au point de former avec Dieu une seule personne. Il
semble donc que lorsque les effets de la Rédemption seront donnés en plénitude,
les hommes deviendront Dieu de la même manière que Jésus est Dieu.
Cependant :
Si dans la vision béatifique, l’homme devenait Dieu, il serait
détruit dans son être substantiel. Ce qui s’oppose à l’Écriture qui parle des
saints comme d’êtres différents de Dieu : « les serviteurs de Dieu règneront
pour les siècles des siècles ».[417]
Conclusion :
Dans la vision que l’homme aura de Dieu, l’essence divine sera
elle-même la forme par laquelle l’intelligence humaine connaîtra. Il n’est pas
nécessaire qu’elle devienne une seule chose avec l’essence divine son être,
mais seulement que l’une et l’autre deviennent une seule chose dans l’acte de
connaître. C’est cette unité réalisée par la connaissance que veut exprimer
saint Jean lorsqu’il dit[418]
"Nous serons semblables à lui car nous le verrons tel qu’il est" Dans
la vision béatifique, l’âme deviendra déiforme car elle vivra de la vie même de
Dieu. Son opération sera simple, parfaite, bonne à l’image de la simplicité, perfection
et bonté de sa Cause. De même, la Trinité des personnes divines imprimera son
caractère à l’opération contemplative de l’esprit humain. Mais cette
transformation n’ira pas jusqu’à atteindre la substance, c’est-à-dire à faire
de l’homme Dieu lui-même.
Solution 1 La substance séparée de la matière se connaît et
connaît les autres choses : et dans les deux cas, nous pouvons constater la
vérité du texte cité. En effet, puisque l’essence même de la substance séparée
est intelligible par elle-même et est en acte en tant que séparée de la
matière, il est évident que quand la substance séparée se connaît elle-même, le
connaissant et le connu sont tout à fait la même chose. Car elle ne se connaît
pas elle-même à travers quelque intention abstraite d’elle-même, comme nous
connaissons les choses matérielles. Telle semble être la pensée d’Aristote.
Mais en tant que la substance séparée connaît d’autres choses, ce
qui est connu en acte devient une même chose avec ce qui connaît en acte, en
tant que la forme du connu devient forme de l’intelligence, comme le prouve
Avicenne. Car l’essence de l’intelligence demeure une sous de multiples formes,
en tant qu’elle connaît plusieurs choses successivement, comme la matière
première demeure unique sous diverses formes. C’est pourquoi le commentateur
compare l’intellect possible dans ce cas à la matière première. Et ainsi, il
n’en suit nullement que notre intelligence devienne l’essence divine elle-même,
mais qu’elle est comparée à lui comme à sa perfection et à sa forme.
Solution 2 :
Il y a une grande différence entre le
Christ qui est Fils de Dieu par nature et nous qui le sommes par adoption.
Ainsi le Christ n’est pas une personne humaine mais il est la deuxième personne
de la Trinité unie substantiellement à une nature humaine. Au contraire
les hommes sont à par entière et substantiellement des créatures.
L’individuation de leur être est une des perfections données par Dieu. Leur
fusion en Dieu serait une perte de cette perfection.
A ce sujet, 3 questions se posent :
1° L’homme peut-il par ses propres forces
arriver à voir Dieu ?
2° L’homme acquiert-il la vision béatifique
par l’action d’une créature supérieure ?
3° Est ce Dieu qui réalise en l’homme la
manifestation de son essence ?
Objection 1 :
La nature ne fait pas défaut dans les choses nécessaires, comme il
est dit dans le livre de l’âme. Or rien n’est plus nécessaire à l’homme que ce
par quoi il obtient sa fin dernière. Donc cela ne fait pas défaut la nature
humaine, et par conséquent l’homme peut acquérir la vision béatifique par ses
forces naturelles.
Objection 2 :
Au surplus, l’homme étant supérieur aux créatures privées de
raison doit pouvoir mieux qu’elles se suffire à lui-même. Or ces créatures
peuvent parvenir à leurs fins par leurs forces naturelles, donc l’homme, à plus
forte raison, peut de la même manière acquérir la vision béatifique.
Objection 3 :
En outre, la vision béatifique est une
opération parfaite. Or il appartient à la même cause de commencer et de
parfaire. Donc puisque l’opération imparfaite qui est au point de départ de
l’activité humaine est soumise au pouvoir naturel de l’homme, par quoi il est
maître de ses actes. Il semble que par le même pouvoir naturel l’homme puisse
parvenir à l’opération parfaite qui est la vision de l’essence divine.
Cependant :
C’est par son intelligence et sa volonté que l’homme est
naturellement le principe de ses actes. Or la dernière béatitude promise aux
saints dépasse l’intelligence et la volonté de l’homme, ce qui fait dire à
l’apôtre[419] : «
l’œil de l’homme n’a point vu, son oreille n’a point entendu et jamais n’est
monté jusqu’à son cœur ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment" Donc
l’homme, par ses forces naturelles, ne peut acquérir la béatitude.
Conclusion :
Voir Dieu dans son essence dépasse non seulement la nature de
l’homme mais celle de toute créature comme nous l’avons montré. En effet, la
connaissance naturelle de chaque créature est conforme à la modalité de sa
substance, ce qui a fait dire de l’intelligence dans le livre des causes, qu’
« elle connaît ce qui est au dessus d’elle et ce qui est au dessous d’elle
selon le mode de sa substance ». Mais toute connaissance réduite au mode
de la substance créée est en défaut quant à la vision de la divine essence,
puisque celle-ci dépasse infiniment toute substance créée. Donc l’homme ni
aucune créature ne peut voir Dieu par ses seules forces naturelles.
Solution 1 :
De même que la nature ne fait pas défaut à l’homme quant au
nécessaire, bien qu’elle ne l’ait pas pourvu d’armes et de vêtements comme elle
l’a fait pour les autres animaux, puisque, en revanche, elle lui a donné une
raison et des mains qui lui permettent d’acquérir ces choses : de même la
nature ne fait pas défaut à l’homme dans les choses nécessaires en ne lui
donnant pas le moyen d’acquérir par lui-même la béatitude, car cela était
impossible ; mais elle lui a donné le libre arbitre, par lequel il peut se
tourner vers Dieu qui, lui, le fera heureux, et le Philosophe nous dit : « Ce
que nous pouvons par nos amis, c’est par nous-mêmes, en quelque sorte, que nous
le pouvons. »
Solution 2 :
La supériorité de l’homme sur les créatures sans raison n’est pas
compromise de ce fait ; car une nature qui peut acquérir le bien parfait,
quoique ayant besoin pour cela d’un secours extérieur, est d’une condition
supérieure à celle de la nature qui ne peut pas acquérir ce bien parfait, mais
qui en acquiert un imparfait, n’ayant besoin pour cela d’aucun secours
étranger. Ainsi raisonne le Philosophe. Par exemple, celui-là est dans de
meilleures dispositions par rapport à la santé qui peut obtenir une santé
parfaite, bien que ce soit par le secours de l’art, que celui qui peut obtenir
sans ce secours une santé imparfaite. Voilà pourquoi la créature raisonnable,
pouvant conquérir le bien parfait de la béatitude, tout en ayant besoin pour
cela du secours divin, est supérieure à la créature privée de raison, qui n’est
pas capable d’un tel bien, mais peut acquérir un bien imparfait par les seules
forces de sa nature.
Solution 3 :
On veut que le bien imparfait et le bien
parfait qui est la béatitude procèdent de la même cause. Mais l’imparfait et le
parfait ne procèdent du même pouvoir que s’ils sont de même espèce ; cela ne
s’impose plus quand ils sont d’espèce différente. En effet, tout ce qui peut
disposer une matière n’est pas apte à procurer l’ultime perfection du travail.
Or l’action imparfaite qui est au pouvoir naturel de l’homme n’est pas de la
même espèce que l’opération parfaite en laquelle consiste la béatitude, puisque
c’est l’objet qui détermine l’espèce de l’opération. Cet argument n’a donc pas
la de valeur.
Objection 1 :
Il semble que l’homme puisse être rendu heureux par l’action d’une
créature supérieure, à savoir l’ange. En effet, il existe deux sortes d’ordre
dans les choses : un ordre qui relie entre elles les diverses parties de
l’univers, et un ordre qui rattache par un juste rapport tout l’univers à un
bien qui lui est extérieur. Le premier de ces ordres dépend du second comme de
sa fin, ainsi que le dit Aristote dans la Métaphysique, de la même manière que
l’ordre des éléments d’une armée a pour fin le rapport de l’armée elle-même à
l’égard du chef. Or l’ordre des parties de l’univers s’obtient par l’action des
créatures supérieures à l’égard des créatures inférieures comme nous l’avons
dit dans la Première Partie et la béatitude consiste dans le juste rapport de
l’homme au bien qui est extérieur à l’univers, à savoir Dieu. Donc c’est par
l’action d’une créature supérieure, l’ange, que l’homme atteint à sa béatitude.
Objection 2 :
En outre, ce qui est tel en puissance peut être amené à l’acte par
ce qui est lui-même tel en acte et par exemple ce qui est chaud en puissance
devient chaud en acte par l’action de ce qui est lui-même chaud en acte. Or
l’homme a la béatitude en puissance : donc il peut être rendu heureux en acte
par l’ange qui est lui-même actuellement heureux.
Objection 3 :
Au surplus, la béatitude consiste, nous
l’avons dit, dans une opération de l’intellect. Or nous avons dit également,
dans la Première Partie, que l’ange peut éclairer l’intellect de l’homme : donc
l’ange peut rendre l’homme heureux.
Cependant :
On lit dans le psaume 83 : « C’est Dieu qui donne la grâce et la
gloire. »
Conclusion :
Toute créature, du fait qu’elle a une
vertu et une action finie, est soumise aux lois de la nature, et ce qui est
au-dessus de la nature ne peut donc pas être réalisé par la vertu d’une
créature quelconque. Si donc quelque chose doit être réalisé qui dépasse la
nature, cela est fait par Dieu sans intermédiaire, comme par exemple la
résurrection d’un mort, le retour d’un aveugle à la vue, et autres faits du
même genre. Or nous avons montré que la béatitude est un bien supérieur à toute
nature créée. II est donc impossible que la béatitude soit procurée à l’homme
par l’action d’une créature. C’est par l’action de Dieu seul que l’homme est
rendu heureux, à parler de la béatitude parfaite. S’agit-il de la béatitude
imparfaite, il en est d’elle comme de la vertu, dans l’exercice de laquelle
cette béatitude consiste.
Solution 1 :
La considération de l’ordre du monde ne peut que confirmer notre
conclusion car ce qui arrive le plus souvent, quand des puissances actives sont
ordonnées entre elles, c’est qu’il appartienne à la puissance la plus élevée de
conduire l’objet commun à sa dernière fin, alors que les puissances inférieures
aident à ce résultat en créant les dispositions favorables. Ainsi l’art de la
navigation, qui préside à l’art des constructions navales a la charge
d’utiliser le navire qui n’a été construit qu’à cet effet. Ainsi, dans l’ordre
universel, l’homme est aidé par les anges à atteindre sa fin dernière quant à
certaines conditions qui l’y préparent mais la fin dernière elle-même est
obtenue par l’action du premier agent, qui est Dieu.
Solution 2 :
En ce qui concerne la communication de l’acte par un agent en
acte, on n’a pas suffisamment précisé. Quand une forme existe en acte dans un
sujet selon son être parfait et naturel, cette forme peut être un principe
d’action à l’égard d’un autre sujet : ainsi un corps chaud échauffe grâce à sa
chaleur Mais si la forme n’existe dans le sujet qu’imparfaitement et non pas
selon son être naturel, elle ne peut être un principe de communication au
profit d’un autre. Ainsi la représentation de la couleur, dans l’œil, n’a pas
le pouvoir de blanchir. Au surplus, il n’est pas vrai que tout ce qui est clair
ou chaud puisse éclairer ou échauffer autre chose de cette façon. En effet
l’éclairement ou l’échauffement se perpétueraient à l’infini. Or la lumière de
gloire, par laquelle on voit Dieu, est bien en Dieu d’une manière parfaite et
selon son être naturel ; mais dans une créature, elle n’existe
qu’imparfaitement, par ressemblance ou participation. De là vient qu’une
créature heureuse ne peut pas communiquer sa béatitude à une autre.
Solution 3 :
Enfin il est très vrai que l’ange, du
sein de la béatitude, peut éclairer l’intellect de l’homme et aussi celui d’un
ange inférieur en ce qui concerne certains aspects des œuvres divines ; mais
non pas quant à la vision de la divine essence, comme nous l’avons montré dans
la Première Partie. Pour cette vision, tous sont immédiatement illuminés par
Dieu.
Objection 1 :
Il est dit en saint Jean[422]
: « La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. » Or ce nom de Jésus
Christ ne désigne pas seulement la nature qui s’est unie la nature humaine,
mais encore cette nature humaine créée par Dieu. Donc la gloire céleste qui est
une grâce divine peut être donnée par une créature.
Objection 2 :
Denys dans sa hiérarchie céleste,
affirme que les anges purifient, illuminent et perfectionnent les anges
inférieurs et aussi les hommes. Mais la vision béatifique est le don par
excellence par lequel la créature raisonnable peut être purifiée, illuminée et
perfectionnée. Donc Dieu n’est pas le seul à donner la gloire de la vision
béatifique.
Cependant :
Il est dit dans le psaume[423]
: « C’est le Seigneur qui vous donnera la grâce et la gloire. »
Conclusion :
Aucun agent ne peut produire un résultat
qui sorte des limites de son espèce, car il faut toujours que la cause soit
supérieure à l’effet. Or le don de la gloire surpasse la puissance de toute
nature créée puisque la gloire est la participation à la nature divine,
laquelle surpasse toute nature. C’est pourquoi aucune créature ne saurait être
cause de la vision béatifique en une autre créature. Dieu seul peut déifier des
êtres en leur communiquant son essence ; de même que seul le feu peut mettre un
corps en état de combustion.
Solution 1 :
L’humanité du Christ est, selon l’expression de saint Jean
Damascène, « une sorte d’instrument de sa divinité"[424].
Or ce n’est pas par son propre pouvoir que l’instrument réalise l’action de
l’agent principal, c’est par la vertu de cet agent. Ce n’est donc pas par sa
propre puissance que l’humanité du Christ introduira l’homme dans la vision
béatifique, mais par la vertu même de la divinité à laquelle elle est jointe et
qui donne aux œuvres de l’humanité du Christ leur valeur de salut.
Solution 2 :
Si l’ange purifie, illumine et perfectionne un autre ange et même
l’homme, c’est en l’instruisant d’une certaine manière, mais non en lui
communiquant la vision de l’essence divine. Aussi bien Denys lui-même dit-il
que "cette purification, cette illumination et ce perfectionnement ne sont
pas autre chose qu’une réception de la science divine. »
A propos de ce sujet, deux questions se
posent :
1° Le siège de la vision béatifique est-il l’intelligence
ou la volonté ?
2° Les saints après la résurrection, verront-ils
Dieu avec les yeux du corps ?
Objection 1 :
II semble que la béatitude consiste en un acte de la volonté. En
effet, saint Augustin écrit : « La béatitude de l’homme consiste dans la paix
», selon ces mots du psaume : « Il a fait de tes frontières un séjour de paix ».
Or la paix s’établit dans la volonté.
Objection 2 :
La béatitude est aussi un souverain bien. Or le bien est du
ressort de la volonté.
Objection 3 :
N’est-ce pas du reste au premier moteur que doit correspondre
l’ultime fin, de même que la victoire, fin dernière de toute l’armée, est la
fin du chef qui meut l’armée tout entière ? Or le premier moteur de toute
opération est en nous la volonté car c’est elle qui actionne nos autres
facultés ainsi que nous le dirons par la suite. Donc la béatitude appartient à
la volonté.
Objection 4 :
Au surplus, supposé que la béatitude soit une opération, ce doit
être l’opération humaine la plus noble. Or l’amour de Dieu, qui est un acte de
la volonté, est plus noble que la connaissance, opération intellectuelle. C’est
ce que proclame l’Apôtre dans sa première épître aux Corinthiens.
Objection 5 :
Enfin, nous trouvons dans saint Augustin ces paroles : « Celui-là
est heureux qui a tout ce qu’il veut et ne veut rien de mal ». Et peu
après : « Celui-là est proche d’être heureux qui veut selon le bien tout ce
qu’il veut ; car ce sont des biens qui rendent heureux, et de ces biens un tel
homme a déjà une part, qui est sa propre bonne volonté ». C’est donc que
la béatitude consiste en un acte de volonté.
Cependant :
Le Seigneur dit : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent,
toi, seul vrai Dieu ». Or la vie éternelle est notre dernière fin, comme
nous l’avons dit. Donc la béatitude de l’homme consiste dans la connaissance de
Dieu, qui est un acte intellectuel. Donc le siège de la Vision béatifique est
l’intelligence.
Conclusion :
Ainsi que nous l’avons dit plus haut,
deux choses sont requises pour la béatitude : l’une qui est son essence même,
l’autre qui est en quelque sorte son propre accident, à savoir la délectation
qui s’y ajoute. Je dis donc qu’en ce qui concerne l’essence même de la
béatitude, il est impossible qu’elle consiste en un acte de volonté. Il est
clair en effet, d’après ce qui précède, que la béatitude est l’entrée en
possession de notre fin dernière. Or l’entrée en possession de la fin ne
consiste pas dans un acte de volonté. Car la volonté se porte vers la fin soit
absente, alors qu’elle la désire, soit présente, lorsque s’y reposant, elle en
jouit. Or il est évident que le désir de la fin n’en est pas l’acquisition,
mais un mouvement vers elle. La jouissance, à son tour, vient à la volonté de
ce que la fin lui est présente, et on ne peut dire, à l’inverse, que quelque
chose soit rendu présent du fait que la volonté en jouit. Il faut donc qu’il y
ait quelque chose d’autre, en dehors de l’acte de la volonté, par quoi la fin
même soit rendue présente à celui qui veut.
Cela apparaît clairement quand on l’applique à des fins sensibles
Si l’on pouvait acquérir de l’argent par un acte de volonté, l’avare serait en
possession de cet argent dès le moment où il le désire. Mais au départ l’argent
lui manque, il l’acquiert en y portant la main ou par quelque autre geste, et
désormais il se délecte en l’argent possède. Ainsi en est-il en ce qui concerne
notre fin intelligible. Au départ, nous voulons obtenir cette fin intelligible
; nous l’obtenons du fait qu’elle nous devient présente par un acte
intellectuel, et dès lors notre volonté, mise en état de jouissance se repose
dans son union avec la fin cette fois possédée.
Ainsi, l’essence de la béatitude consiste en un acte intellectuel
; mais à la volonté appartient la délectation afférente à la béatitude, ce qui
fait que saint Augustin définit la béatitude : « la joie de la vérité
», parce que la joie est la consommation de la béatitude.
Solution 1 :
Assurément la paix a rapport à la fin dernière de l’homme ; mais
elle n’en est pas l’essence ; elle n’est à son égard qu’un antécédent et une
conséquence. Un antécédent en ce que par elle, tout élément perturbateur et
tout obstacle sont écartés du chemin de la béatitude. Une conséquence, parce
que désormais l’homme en possession de sa dernière fin demeure apaisé, son
désir ayant trouvé le repos.
Solution 2 :
On argue de l’objet de la volonté. Mais le premier objet de la
volonté n’est pas son acte à elle comme le premier objet de la vue n’est pas la
vision mais le visible. Ainsi, de cela même que la béatitude concerne la
volonté comme son premier objet, il résulte qu’elle ne se confond pas avec son
acte même.
Solution 3 :
II est très vrai que la fin dernière doit correspondre au premier
principe, et si la fin est appréhendée d’abord par l’intelligence, le mouvement
vers la fin s’inaugure en effet dans la volonté. Mais c’est précisément pour
cela que nous attribuons à la volonté ce qui résulte en dernier de
l’acquisition de la fin, à savoir la délectation ou la jouissance.
Solution 4 :
On plaide pour le primat de la volonté, et assurément l’amour
surpasse la connaissance là où il s’agit d’imprimer le mouvement. Mais la
connaissance précède l’amour quant au fait d’atteindre ; car ainsi que
l’observe saint Augustin, on n’aime que ce qui est déjà connu. Pour cette
raison, nous atteignons d’abord notre fin intelligible par une action de
l’intellect, de même que c’est par les sens que nous atteignons d’abord une fin
de l’ordre sensible.
Solution 5 :
Ce que dit le texte invoqué dans la
dernière objection ne nous contredit pas. Celui qui a tout ce qu’il veut est
heureux du fait même qu’il a ce qu’il veut ; Mais s’il l’a, c’est par tout
autre chose qu’un acte de volonté. Quant à ne vouloir rien de mal, c’est là une
prédisposition nécessaire à la béatitude même. Enfin la bonne volonté est
placée par saint Augustin au rang des biens qui nous rendent heureux, en ce
sens qu’elle est une sorte d’inclination vers ces biens. C’est ainsi que le
mouvement rentre dans le genre auquel appartient son terme et l’altération dans
le genre de la qualité qui en sera le résultat.
Objection 1 :
Il semble que oui. L’œil glorifié aura une puissance plus grande
que celle de tout œil non glorifié. Or le bienheureux Job a vu Dieu de ses yeux
: « Je t’ai entendu par mon oreille, et maintenant mon œil te voit. » À bien
plus forte raison l’œil glorifié pourra-t-il voir Dieu en son essence.
Objection 2 :
Job dit : « Dans ma chair, je verrai Dieu mon Sauveur. » Dans la
patrie, on verra donc Dieu, des yeux du corps.
Objection 3 :
Parlant de la vue qu’auront les yeux glorifiés, saint Augustin
s’exprime ainsi : « Leurs yeux posséderont une force toute-puissante, non pour
qu’ils voient d’un regard plus perçant comme celui qu’on attribue aux serpents
ou aux aigles : quelle que soit la pénétration de vision de ces animaux, ils ne
peuvent voir rien d’autre que les corps. Mais les yeux glorifiés verront même
les choses incorporelles. » Toute puissance capable de voir les choses
incorporelles peut être élevée jusqu’à la vision de Dieu. Les yeux glorifiés
pourront donc le voir.
Objection 4 :
La différence entre les choses corporelles et les incorporelles
est la même qu’entre celles-ci et les premières. Or l’œil incorporel peut voir
les choses corporelles. Donc l’œil corporel peut voir les choses incorporelles
: donc, même conclusion que plus haut.
Objection 5 :
Saint Grégoire dit : « L’homme qui, s’il avait observé les
préceptes, serait devenu spirituel jusqu’en sa chair, est devenu, par le péché,
charnel jusqu’en son esprit ». Mais de ce fait, « il ne pense plus qu’aux
choses qui parviennent à l’esprit par les images des corps ». Quand sa
chair sera devenue spirituelle (ce qui est promis aux saints après leur
résurrection), il pourra voir dans sa chair même les choses spirituelles. Donc,
aussi Dieu.
Objection 6 :
L’homme ne peut recevoir que de Dieu sa béatitude. Il la recevra
non seulement dans son âme, mais aussi dans son corps. Il verra donc Dieu ; non
seulement par l’intelligence mais aussi par sa chair.
Objection 7 :
Comme Dieu est présent par son essence dans l’intelligence, ainsi
il sera présent dans le sens, car "il sera toutes choses en tous
"comme dit saint Paul aux Corinthiens. Mais l’intelligence le voit parce
que son essence lui est une. Il pourra donc être vu aussi par le sens.
Cependant :
Saint Ambroise dit, au sujet de saint Luc : « Dieu ne peut être
cherché par les yeux du corps, il ne sera pas cerné par la vue ni touché par le
tact. » Dieu ne sera donc vu en aucune manière par un sens corporel. En outre,
saint Jérôme dit à propos d’Isaïe, « J’ai vu le siège du Seigneur ». « Les
yeux de chair ne peuvent apercevoir ni la divinité du Père, ni celle du Fils,
ni celle de l’Esprit Saint, mais seuls la voient les yeux de l’esprit, dont il
est dit : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur ». De plus, saint Jérôme
dit ailleurs : « Une chose incorporelle n’est pas visible pour des yeux
corporels. » Or Dieu est le plus incorporel de tous les êtres. Donc, etc. De
plus, saint Augustin dit : « Personne n’a jamais vu Dieu tel qu’il est, soit en
cette vie, soit en la vie des anges, à la manière dont sont visibles les choses
qui sont vues par la vision corporelle. » Mais la vie des anges est la vie
bienheureuse dans laquelle les ressuscités vivront. Donc, etc. De plus "on
dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu, en tant qu’il peut voir Dieu », comme
dit saint Augustin. Mais l’homme est à l’image de Dieu par son esprit, non par
sa chair. C’est donc par l’esprit et non par la chair qu’il verra Dieu.
Conclusion :
Il y a deux manières de percevoir
quelque chose par le sens corporel : par soi ou par accident. Par soi : nous
percevons ce qui peut produire par soi une impression sur le sens corporel. Une
chose peut produire cette impression ou bien sur le sens en tant que sens ou
sur tel sens en tant qu’il est tel sens. Ce qui agit sur le sens de cette
dernière façon est le sensible propre de tel sens, par exemple la couleur pour
la vue, le son pour l’ouïe. Puisque le sens en tant que tel se sert d’un organe
corporel, une chose ne peut être perçue par lui que corporellement, car tout ce
qui est reçu en quelque chose l’est à la manière de ce qui le reçoit. C’est
pourquoi toutes les choses sensibles impressionnent le sens en tant que sens,
selon qu’elles possèdent une dimension. Dès lors, la dimension et toutes ses
conséquences, comme le mouvement, le repos, le nombre, etc., sont appelées des
sensibles communs par soi. Ce qui n’impressionne pas le sens, ni en tant que
sens, ni en tant qu’il est tel sens, peut pourtant être connu, par accident :
parce qu’il est uni aux choses qui impressionnent le sens par elles-mêmes.
C’est ainsi que Socrate, et le fils de Diares, et son ami, et d’autres réalités
de ce genre, qui sont connues par soi universellement par l’intelligence, peuvent
être connues dans le concret par la puissance cogitative de l’homme ou par
l’estimative des autres animaux. Nous disons que le sens extérieur perçoit ces
choses, par accident seulement, quand à partir de ce qu’il connaît par soi, la
puissance cognitive (à qui il appartient de connaître par soi cet objet connu),
le perçoit aussitôt, sans doute et sans déduction : De même que nous voyons que
quelqu’un vit s’il parle. Quand il n’en est pas ainsi, on ne dit pas que le
sens connaît, même par accident.
Je dis donc que Dieu ne peut en aucune manière être vu du regard
corporel, ni être perçu par quelque sens, comme une chose visible par soi, ni
ici-bas, ni dans la patrie ; car si on enlève au sens ce qui lui convient en
tant que sens, il cesse d’être un sens. De même, si on enlève à la vue ce qui
lui convient en tant que telle, il n’y a plus de vue. Le sens en tant que tel
perçoit la dimension et la vue en tant que telle perçoit la couleur. Il est
donc impossible que la vue perçoive quelque chose qui n’est pas coloré, ni
étendu, à moins de parler de sensation d’une manière équivoque. Puisque la vue
et le sens seront dans le corps glorieux spécifiquement les mêmes qu’ici-bas,
il n’est pas possible qu’ils voient l’essence divine comme une chose visible
par soi. La vue le percevra seulement comme une chose visible par accident,
d’une part en considérant la gloire de Dieu dans les corps, surtout glorifiés,
et principalement dans le corps du Christ ; et d’autre part parce que
l’intelligence verra Dieu si clairement, que la vue le percevra dans les choses
corporelles, de même que si quelqu’un parle on perçoit qu’il vit. Assurément
notre intelligence ne verra pas Dieu dans les créatures, mais elle le verra à
travers les créatures vues corporellement. C’est de cette manière de voir Dieu
corporellement que saint Augustin parle quand il dit : « Il est tout à fait
croyable que nous verrons les réalités corporelles du monde, du nouveau Ciel et
de la nouvelle terre de telle sorte que nous apercevrons dans une éblouissante
clarté Dieu présent en toutes choses et gouvernant tous les êtres même
corporels. Cela se fera, non pas comme maintenant nous découvrons les choses
invisibles de Dieu à travers celles qu’il a créées, mais de la manière dont,
quand nous voyons les hommes, nous ne croyons pas, mais nous voyons qu’ils
vivent. »
Solution 1 :
Job se réfère à l’œil spirituel ; c’est pourquoi saint Paul dit :
que "seront éclairés les yeux de notre cœur. »
Solution 2 :
Ce mot de Job peut prophétiser plusieurs choses. S’il parle de la vision
béatifique, cette citation doit être comprise non en ce sens que nous verrons
Dieu par nos yeux de chair, mais en ce sens que, étant dans la chair, nous
verrons Dieu. S’il parle de la vision de la gloire de Dieu qui accompagne
l’heure de la mort, il se réfère alors à une réalité sensible (apparition de
l’envoyé de Dieu) manifestant de manière puissante l’essence encore cachée de
Dieu. En ce sens, il s’agit d’une vision de l’œil physique, comme nous le
montrerons.[427]
Solution 3 :
Dans ce passage, saint Augustin est à la recherche du sens de ces
paroles, et parle conditionnellement. Cela ressort de ce qu’il dit plus haut : «
ils seront d’une toute autre puissance. Si par les yeux ils voient la nature
incorporelle. » Il ajoute : « C’est pourquoi cette puissance. » Et il conclut
en accord avec ce que nous avons vu plus haut. Toute connaissance se réalise
par une abstraction de la matière. C’est pourquoi, plus la forme corporelle est
abstraite de la matière, plus elle est principe de connaissance. La forme qui
existe dans la matière n’est aucunement principe de connaissance ; elle l’est
de quelque manière dans le sens, en tant que séparée de la matière, et mieux
encore dans notre intelligence. C’est pourquoi l’œil spirituel, libéré de
l’empêchement matériel de la connaissance, peut voir une chose corporelle. Il
n’en découle pas que l’œil corporel, dépourvu de la puissance de connaître à
cause de sa participation à la matière, puisse connaître parfaitement les
choses connaissables incorporelles.
Solution 5 :
Bien que l’esprit devenu charnel ne puisse connaître que ce qu’il
reçoit des sens, cependant, il le connaît immatériellement. Tout ce que la vue
saisit, elle le voit corporellement. Elle ne peut donc pas connaître les choses
qui ne peuvent être saisies corporellement.
Solution 6 :
La béatitude est la perfection de l’homme en tant qu’homme. Il
n’est pas homme par son corps, mais plutôt par son âme. Les corps ne sont de
l’essence de l’homme qu’en tant qu’ils sont perfectionnés par l’âme. C’est
pourquoi la béatitude de l’homme ne consiste principalement que dans un acte de
l’âme, et c’est d’elle qu’elle dérive dans le corps par une sorte de
débordement, comme nous l’avons vu. Il y aura cependant une certaine béatitude
de notre corps en tant qu’il verra Dieu dans les créatures sensibles, et
surtout dans le corps du Christ.
Solution 7 :
L’intelligence perçoit les choses
spirituelles, qui échappent à la vue du corps. C’est pourquoi l’intelligence
pourra connaître l’essence divine qui lui sera unie ; mais non l’œil corporel.
A propos de ce problème, douze questions
se posent :
1° Les vertus morales demeurent-elles dans
la vision béatifique ?
2° Les vertus intellectuelles
demeurent-elles dans la vision béatifique ?
3° La foi reste-t-elle après cette vie ?
4° L’espérance reste-t-elle après la mort et
dans l’état de gloire ?
5° Reste-t-il dans la gloire quelque chose
de la foi ou de l’espérance ?
6° La charité reste-t-elle dans la gloire
après cette vie ?
7° Les dons du Saint Esprit restent-t-ils
dans la patrie ?
8° Les récompenses attribuées aux huit
béatitudes seront-elles données dans la vision béatifique ?
9° Les fruits du Saint Esprit seront-ils des
effets de la vision béatifique ?
10° L’élément principal de la béatitude
est-il la vision de Dieu ou la délectation qui en résulte ?
11° Les saints en voyant Dieu, voient-ils
tout ce que Dieu voit ?
12° La vision béatifique est-elle éternelle ?
Objections 1 : Selon toute apparence, non. Car dans l’état de la
gloire future les hommes seront semblables aux anges, comme il est dit en saint
Matthieu[429].
Mais il est ridicule de supposer chez les anges des vertus morales. Il n’y en
aura donc pas non plus chez les hommes après cette vie.
Objection 2 :
Les vertus morales perfectionnent l’homme dans la vie active. Mais
la vie active ne demeure après cette vie "Les œuvres de la vie active, dit
saint. Grégoire, passent avec le corps. » Donc les vertus morales ne demeurent
pas après la vie présente.
Objection 3 :
La tempérance et la force qui sont des
vertus morales appartiennent aux fonctions non spirituelles de l’âme, dit le
Philosophe. Or ces fonctions disparaissent avec le corps, puisqu’elles sont
actes d’organes corporels. Il semble donc vertus morales ne demeurent pas après
cette vie.
Cependant :
Il est écrit dans la Sagesse [430]que
« la justice est perpétuelle immortelle. »
Conclusion :
Selon saint. Augustin, Cicéron a estimé que les quatre
vertus cardinales n’existent plus après cette vie, mais que dans l’autre vie
les hommes "sont heureux uniquement par la connaissance de cette nature en
laquelle on ne peut rien trouver qui soit meilleur et plus aimable », sous-entendu
« que cette nature même qui a créé toutes les natures », comme saint
Augustin le dit en cet endroit. Mais lui-même après cela définit que ces quatre
vertus existent encore dans la vie future, cependant sous un autre mode.
Pour y voir clair, il
faut savoir que dans ces vertus il y a quelque chose de formel, et quelque
chose qui tient lieu de matière. Leur côté matériel, c’est le penchant des
appétits vers les passions ou vers les opérations, selon une certaine mesure.
Mais puisque cette mesure est déterminée par la raison, il s’ensuit que, dans toutes
les vertus, le formel est l’ordre même de la raison. Ainsi donc, il faut
affirmer que ces vertus morales ne demeurent pas dans la vie future quant à ce
qu’elles ont de matériel. Car les convoitises et les plaisirs relatifs à la
nourriture et aux activités sexuelles n’auront pas place dans la vie future ;
ni non plus les craintes et les audaces relatives aux périls de mort ; ni non
plus les distributions et les échanges appelés par la pratique de la vie
présente. Mais quant à ce qu’elles ont de formel, ces vertus subsisteront après
cette vie chez les bienheureux à leur plus haut degré de perfection ;
c’est-à-dire que la raison de chacun sera dans la plus grande rectitude selon
son état, et que l’appétit sera mû entièrement selon l’ordre de la raison pour
tout ce qui ressortit à cet état. D’où, ces réflexions de saint Augustin dans
le même passage : « La prudence sera là sans aucun péril d’erreur ; la force,
sans l’ennui des maux à supporter ; la tempérance sans l’opposition des mauvais
désirs. La prudence sera de ne préférer ni égaler à Dieu aucun bien ; la force,
d’être attaché à lui avec la plus grande fermeté ; la tempérance, de se
délecter sans aucune défaillance coupable. Quant à la justice, il est encore
plus évident que l’acte qu’elle aura là-haut ce sera d’être soumis à Dieu,
parce que même en cette vie il appartient à la justice qu’on soit soumis à son
supérieur.
Solutions 1 : Le Philosophe parle là de nos vertus morales
en ce qu’elles ont de matériel ; ainsi, à propos de la justice, il pense aux « échanges,
ventes et achats » ; à propos de la force, aux "choses qui font peur et
aux périls » ; à propos de la tempérance, aux « convoitises dépravées. »
Solutions 2 : Il faut en dire autant pour
la seconde objection. Les choses de la vie active sont pour les vertus comme le
côté matériel.
Solutions 3 : Nous aurons deux états après
cette vie : l’un avant la résurrection, quand les âmes seront séparées de leurs
corps ; l’autre après la résurrection, quand les âmes seront de nouveau unies à
leurs corps. En cet état de résurrection, il y aura des puissances non
rationnelles dans les organes du corps comme il y en a maintenant. De sorte
qu’il pourra y avoir de la force dans l’irascible, et de la tempérance dans le
concupiscible, en tant que l’une et l’autre puissance seront parfaitement
disposées à obéir à la raison. Mais dans l’état précédant la résurrection, dans
l’hypothèse ou les facultés de la vie sensible n subsisteront pas, les
fonctions non rationnelles ne seront pas dans l’âme d’une manière actuelle, elles
n’y seront que par leur racine dans l’essence de l’âme elle-même. Aussi les
vertus de cette sorte n’existeront pas non plus d’une manière actuelle, si ce
n’est en leur racine, c’est-à-dire dans la raison et dans la volonté où il y a,
avons-nous dit, des germes de ces vertus. Toutefois, la justice qui réside dans
la volonté subsistera même d’une manière actuelle ; c’est pourquoi on a dit
d’elle spécialement qu’elle est « perpétuelle et immortelle », tant en
raison du sujet, puisque la volonté est une faculté qui ne peut périr, qu’à
cause aussi de la similitude de l’acte qui est le même, comme nous venons de le
dire, en cette vie et en l’autre.
Objection 1 :
Il semble que non. L’Apôtre écrit en effet que « la
science sera détruite », et la raison en est que nous avons là une « connaissance
partielle »[431].
Mais, si la connaissance de science est partielle, c’est-à-dire imparfaite, il
en est de même des autres vertus intellectuelles, aussi longtemps que dure
cette vie. Toutes ces vertus cesseront donc après cette vie.
Objections
2 :
Le Philosophe dit que la science,
puisqu’elle est un habitus, est une qualité difficilement changeante ; en
effet, elle ne se perd pas facilement, si ce n’est par quelque forte
modification organique ou par maladie. Mais il n’y a pas de modification du
corps humain aussi grande que celle qui se fait par la mort. Ni la science ni
les autres vertus intellectuelles ne demeurent donc après cette vie.
Objections
3 :
Les vertus intellectuelles perfectionnent
l’intelligence pour le bon accomplissement de son acte propre. Mais cet acte,
semble-t-il, n’existe plus après cette vie du fait que « l’âme n’a plus
aucune pensée sans image », d’après Aristote ; or les images ne subsistent pas
après cette vie puisqu’elles n’existent que dans des organes corporels. Les
vertus intellectuelles ne subsistent donc pas non plus après cette vie.
Cependant :
La connaissance de l’universel et du nécessaire est plus ferme
que celle du particulier et du contingent. Mais il demeure en l’homme après
cette vie une connaissance de choses particulières contingentes, par exemple
de ce qu’il a fait et souffert, selon cette parole de saint Luc[432]
: « Souviens-toi que tu as reçu des biens pendant ta vie et que Lazare a reçu
des maux. » Donc la connaissance de l’universel et du nécessaire, objet de la
science et des autres vertus intellectuelles, demeure bien davantage.
Conclusion :
Ainsi que nous l’avons dit dans la première Partie,
certains ont soutenu que les espèces intelligibles ne sont pas en permanence
dans l’intellect passif si ce n’est lorsqu’il fait acte d’intelligence ; en
dehors de la pensée actuelle, il n’y aurait pas la moindre conservation
d’espèces, si ce n’est dans les facultés sensibles qui sont les actes d’organes
corporels, c’est-à-dire dans l’imagination et dans la mémoire. Or ce sont là
des facultés qui disparaissent avec le corps. Aussi, dans cette position, la
science ne restera d’aucune manière après cette vie, une fois le corps détruit
; ni non plus aucune autre vertu intellectuelle.
Mais cette opinion contredit la pensée d’Aristote qui
affirme au livre III du traité De l’âme
que « l’intellect passif est en acte du fait qu’il devient chaque chose en
la connaissant, alors qu’il n’est cependant qu’en puissance à y penser d’une
manière actuelle. » Cette opinion contredit aussi la raison, car les
espèces intelligibles sont reçues dans l’intellect passif de façon immuable
selon le mode du récepteur. C’est pourquoi cet intellect est appelé "le
lieu des espèces », étant pour ainsi dire le conservatoire des espèces
intelligibles.
Toutefois, il est bien vrai, comme nous l’avons dit dans la
première Partie, que l’homme en cette vie pense à condition de regarder les
images pour y appliquer les espèces intelligibles. Or les images sont détruites
avec le corps. Donc, quant à ces images qui sont pour ainsi dire le matériel
des vertus intellectuelles, on peut dire que ces vertus sont détruites avec le
corps. Mais quant aux espèces intelligibles qui résident dans l’intellect
passif les vertus intellectuelles demeurent ; or de telles espèces sont comme
le formel de ces vertus. Aussi celles-ci demeurent-elles après cette vie par
leur côté formel, mais non par leur côté matériel, comme nous l’avons dit à
propos des vertus morales.
Solutions 1 :
La parole de l’Apôtre doit s’entendre de
ce qu’il y a de matériel dans la science, et aussi du mode de penser. Le fait
est qu’une fois le corps détruit les images ne subsisteront pas, et que l’usage
de la science ne se fera plus par recours aux images.
Solutions
2 :
Par la maladie l’habitus de science est détruit
dans ce qu’il a de matériel, c’est-à-dire dans les images, mais non dans les
espèces intelligibles, qui ont leur siège dans l’intellect passif.
Solutions
3 :
L’âme séparée possède après la mort, comme
nous l’avons dit dans la première Partie, une autre manière de penser que par
recours aux images. Et ainsi la science demeure, non pas cependant selon la
même manière d’opérer, comme nous l’avons aussi remarqué pour les vertus
morales.
Objection 1 :
Il semble que la foi demeure après cette vie, car elle est
plus noble que la science, et nous venons de voir que celle-ci demeure. Donc la
foi aussi.
Objections 2 :
« Personne, dit l’Apôtre[433],
ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, qui est le Christ
Jésus, c’est-à-dire la foi au Christ Jésus. » Mais, le fondement enlevé, il ne
reste rien de ce qui est bâti dessus. Donc, si la foi ne demeurait pas après
cette vie, aucune autre vertu ne demeurerait.
Objections 3 :
Connaissance de foi et connaissance de gloire diffèrent
comme le parfait et l’imparfait. Mais une connaissance imparfaite peut
coexister avec une connaissance parfaite ; ainsi, chez l’ange, il peut y avoir
la connaissance du soir en même temps que celle du matin ; et un homme peut
avoir sur la même conclusion une science par syllogisme démonstratif et une
opinion par syllogisme dialectique. Donc la foi aussi peut exister après cette
vie en même temps que la connaissance de gloire.
Cependant :
L’Apôtre dit[434]
: « Tant que nous sommes dans notre corps, nous sommes en exil loin du
Seigneur, car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. » Mais
ceux qui sont dans la gloire ne sont plus en exil loin du Seigneur, ils lui
sont présents. C’est donc que la foi ne demeure pas après cette vie quand on
est dans la gloire.
Conclusion :
Ce qui fait l’essentiel et la cause propre d’une
opposition, c’est que les opposés s’excluent l’un l’autre au point qu’il y ait
toujours entre eux l’opposition entre affirmation et négation. Or, en certains
cas, l’opposition se rencontre bien selon des formes contraires, comme le blanc
et le noir dans les couleurs. Mais, en d’autres cas, elle se fait selon des
degrés de parfait et d’imparfait ; c’est ainsi que dans les changements par
altération, le plus et le moins sont pris comme des contraires, par exemple
quand une chose passe du moins chaud au plus chaud, selon Aristote, Et parce
que le parfait et l’imparfait s’opposent, il est impossible qu’il y ait en même
temps dans le même sujet perfection et imperfection.
Il
faut néanmoins remarquer que parfois l’imperfection est essentielle à une
chose et fait partie de l’espèce même, comme le manque de raison fait partie de
la notion spécifique du cheval ou du bœuf. Et, comme une réalité ne peut jamais
être transférée d’une espèce à une autre tout en restant numériquement la seule
et même réalité, il s’ensuit que si l’on enlève à une chose cette imperfection
qui lui est essentielle, on change l’espèce : un bœuf, par exemple ou un
cheval, ne serait plus ni bœuf ni cheval s’il devenait un être raisonnable.
Parfois en revanche l’imperfection n’appartient pas à la raison spécifique,
mais elle est un accident déterminé, chez un individu, par quelque chose
d’étranger à l’espèce ; c’est ainsi qu’il arrive à un homme d’être privé de la
raison en tant que le sommeil, l’ivresse ou un autre accident semblable
l’empêche d’exercer sa raison. Mais il est clair que si l’on éloigne une telle
imperfection, la substance de la chose n’en demeure pas moins.
Or, il est évident que l’imperfection de la connaissance
est essentielle à la foi. Elle est dans sa définition : la foi est « la
substance des choses à espérer, la conviction de ce qui ne se voit pas », selon
l’épître aux Hébreux[435]
; et saint Augustin affirme : « Qu’est-ce que la foi ? C’est croire à ce que tu
ne vois pas. » Mais qu’une connaissance existe ainsi sans l’apparition ni la
vision de l’objet, c’est pour elle une imperfection. Et ainsi l’imperfection
de la connaissance est essentielle à la foi. D’où il est manifeste que la foi
ne peut devenir une connaissance parfaite tout en restant numériquement
identique.
Mais il faut aller plus loin, pour savoir si elle peut exister
en même temps qu’une connaissance parfaite. Il faut donc remarquer que la
connaissance peut être imparfaite de trois manières : du côté de l’objet à
connaître, du côté du moyen de connaître, du côté du sujet. Du côté de l’objet
à connaître, la connaissance du matin et celle du soir chez les anges diffèrent
comme le parfait et l’imparfait, car la connaissance du matin regarde les
choses en tant qu’elles ont leur existence dans le Verbe, celle du soir les
regarde selon qu’elles ont l’existence dans leur propre nature, ce qui est
imparfait en comparaison de la première existence.
Du côté du moyen, ce qui diffère comme le parfait et
l’imparfait, c’est la connaissance qu’on a d’une conclusion par un moyen
démonstratif, et celle qu’on a par un moyen probable. Du côté du sujet enfin,
ce qui diffère comme parfait et imparfait, c’est l’opinion, la foi, la science.
Car il est essentiel à l’opinion de prendre un parti avec la crainte que le
parti opposé ne soit vrai ; aussi n’a-t-elle pas d’adhésion ferme. Au contraire,
il est essentiel à la science d’avoir une ferme adhésion avec la vision
intellectuelle, car elle a une certitude qui découle de l’intelligence des
principes. Quant à la foi, elle tient le milieu ; en ce qu’elle a une ferme
adhésion, elle dépasse l’opinion ; mais en ce qu’elle n’a pas la vision, elle
est au-dessous de la science.
Évidemment, le parfait et l’imparfait ne peuvent exister en
même temps sous un même aspect. Mais les choses qui diffèrent selon le parfait
et l’imparfait sur un certain point, peuvent exister ensemble identiquement sur
un autre point. Ainsi donc, une connaissance parfaite et une connaissance
imparfaite du côté de l’objet ne peuvent aucunement avoir en commun le même
objet. Elles peuvent cependant avoir en commun le même moyen terme et le même
sujet. Rien n’empêche en effet qu’un homme ait en même temps et du même coup,
par un seul et même moyen terme, la connaissance de deux objets dont l’un est
parfait et l’autre imparfait, comme la santé et la maladie, le bien et le mal. Pareillement,
il est impossible aussi qu’une connaissance parfaite et une connaissance
imparfaite du côté du moyen terme se rejoignent dans un seul moyen. Mais rien
n’empêche qu’elles se rejoignent dans un seul objet et dans un seul sujet ;
car le même homme peut connaître une même conclusion par un moyen terme
probable, et par un moyen terme démonstratif. Enfin, il est pareillement
impossible qu’une connaissance parfaite et une connaissance imparfaite, du côté
du sujet, existent ensemble dans le même sujet. Or, la foi implique dans sa
raison même cette imperfection subjective : que le croyant ne voit pas ce qu’il
croit ; La béatitude au contraire a dans sa notion même cette perfection, que
le bienheureux voit ce qui le béatifie. Aussi est-il évidemment impossible que
la foi demeure en même temps que la béatitude dans le même sujet.
Solutions 1 :
La foi est plus noble que la science du côté de l’objet,
perce que celui-ci est la vérité première. Mais la science a un mode de
connaître plus parfait, qui ne s’oppose pas à la perfection de la béatitude,
c’est-à-dire à la vision, comme s’y oppose le mode de la foi.
Solutions 2 :
La foi est un fondement quant à ce qu’elle possède de
connaissance. C’est pourquoi, quand il y aura une connaissance plus parfaite,
il y aura un fondement plus parfait.
Solutions 3 :
La solution ressort ici de ce que nous venons de dire.
Objection 1 :
Il semble bien. Car l’espérance perfectionne l’appétit humain plus
noblement que ne le font les vertus morales. Mais les vertus morales demeurent
après cette vie, comme le montre saint Augustin. Donc l’espérance à plus forte
raison.
Objection 2 :
La crainte s’oppose à l’espérance. Mais la crainte subsiste après
cette vie : chez les bienheureux, la crainte filiale qui demeure à jamais ;
chez les damnés, la crainte des châtiments. Donc l’espérance, à titre égal,
peut demeurer.
Objection 3 :
Comme l’espérance a pour objet un bien à venir, de même le
désir. Mais il y a chez les bienheureux un désir des biens à venir, et quant à
la gloire du corps à laquelle, dit saint Augustin, aspirent les âmes des
bienheureux, et même quant à la gloire de l’âme selon cette parole de
l’Ecclésiastique[436]
: « Ceux qui me mangent auront encore faim et ceux qui me boivent auront encore
soif », et le mot de saint Pierre sur « celui en qui les anges désirent
plonger leur regard »[437].
Il semble donc que l’espérance puisse exister après cette vie chez les
bienheureux.
Cependant :
L’Apôtre écrit[438]
: « Voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer. » Mais les bienheureux
voient ce qui fait l’objet de leur espérance, c’est-à-dire Dieu. Donc ils
n’espèrent plus.
Conclusion :
Ainsi que nous venons de le dire pour la foi, quand une
chose implique par définition une imperfection du sujet, elle ne peut rester
dans un sujet qui possède parfaitement la perfection opposée. Ainsi, il est
évident que le mouvement implique de soi une imperfection du sujet, puisqu’on
le définit « l’acte d’un être en puissance en tant que tel ». Aussi,
quand cette puissance est réduite en acte, le mouvement cesse lorsqu’une chose
est déjà devenue blanche, elle n’a pas à blanchir encore. Or l’espérance
implique un mouvement vers ce qu’on n’a pas, comme on peut le voir par tout ce
que nous avons dit plus haut sur la passion d’espérance. C’est pourquoi quand
on sera en possession de ce qu’on espère, c’est-à-dire lorsqu’on jouira de
Dieu, il ne pourra plus y avoir d’espérance.
Solution 1 :
L’espérance est plus noble que les vertus morales quant à
l’objet qui est Dieu. Mais les actes des vertus morales, sauf peut-être par ce
côté matériel qui ne subsiste pas dans l’autre vie, ne s’opposent pas à la
perfection de la béatitude comme fait l’acte de l’espérance. En effet la vertu
morale perfectionne l’appétit non pas seulement en vue de ce qu’on n’a pas
encore, mais aussi par rapport à ce qu’on a présentement en sa possession.
Solution
2 :
Comme nous le dirons plus loin, il y a
deux craintes, la crainte servile et la crainte filiale. La crainte servile est
la peur du châtiment, qui ne pourra plus exister dans la gloire puisqu’il ne
restera aucune possibilité de subir une peine. Quant à la crainte filiale, elle
a deux actes révérer Dieu, et quant à cet acte elle demeure ; puis, craindre
d’être séparé de lui, et quant à cet acte elle ne demeure pas. En effet, être
séparé de Dieu, c’est un mal ; or aucun mal ne sera plus à craindre là-haut,
selon la parole des Proverbes[439]
"On jouira abondamment, la crainte du mal ayant disparu. » Pour ce qui est
de l’opposition entre la crainte et l’espérance, elle se fonde, avons-nous
dits, sur l’opposition entre le bien et le mal : aussi la crainte qui restera
dans la gloire n’est-elle pas en opposition avec l’espérance.
Chez les damnés, au contraire, la crainte du châtiment peut
exister plus que chez les bienheureux l’espérance de la gloire. C’est que chez
les damnés les peines se présenteront les unes après les autres, et ainsi elles
auront toujours l’aspect d’une chose à venir, qui est l’objet formel de la
crainte. Mais la gloire des saints ne se réalise pas d’une manière successive :
elle participe de l’éternité, où il n’y a ni passé ni futur mais uniquement le
présent. Et pourtant, même chez les damnés la crainte à proprement parler
n’existe pas. Car elle n’est jamais, avons-nous dit, sans quelque espoir
d’évasion ; or cet espoir chez les damnés n’existera aucunement. Par conséquent
la crainte non plus, si ce n’est dans le sens tout à fait général où l’on donne
le nom de crainte à n’importe quelle attente d’un mal à venir.
Solution 3 :
Quant à la gloire de l’âme, il ne peut y
avoir, pour la raison que nous venons de dire, un véritable désir chez les
bienheureux sous l’aspect où le désir regarde le futur. On dit que la faim et
la soif existent là-haut, pour écarter l’idée qu’on s’ennuierait. C’est pour la
même raison qu’on dit que le désir existe chez les anges. Mais par rapport à la
gloire du corps, dans les âmes des saints il peut bien y avoir un désir, mais
non une espérance à proprement perler ; ni au sens précis où elle est vertu
théologale, car alors son objet est Dieu et non un bien créé ; ni au sens où
elle est prise en général. Perce que l’objet de l’espérance est quelque chose
d’ardu, avons-nous dit. Or, aussitôt que nous possédons la cause inéluctable
d’un bien, il ne se présente plus à nous sous un aspect ardu. Ainsi, lorsque
quelqu’un a de l’argent, et qu’il y a des choses qu’il peut acheter tout de
suite, on ne dit pas à proprement parler qu’il espère les avoir. Et
pareillement, ceux qui possèdent la gloire de l’âme, on ne dit pas à proprement
parler qu’ils espèrent la gloire du corps ; on dit seulement qu’ils la
désirent.
Objection 1 :
Il semble qu’il en demeure quelque chose dans la gloire. En effet,
écartez ce qui est propre, il demeure ce qui est commun. On lit ainsi au livre
Des Causes : « Une fois écarté l’être raisonnable, il reste le vivant ; et une
fois écarté le vivant, il reste l’être. » Mais la foi a quelque chose de commun
avec la béatitude, à savoir la connaissance même ; elle a d’autre part quelque
chose qui lui est propre, à savoir l’énigme : elle est en effet une « connaissance
en énigme ». Donc, une fois écarté le caractère énigmatique de la foi, il
reste encore la connaissance même de la foi.
Objection 2 :
La foi est dans l’âme une lumière spirituelle, selon l’Apôtre[440]
: « Que les yeux de votre cœur soient illuminés pour la connaissance de Dieu. »
Mais cette lumière est imparfaite par rapport à la lumière de gloire dont il
est dit dans le Psaume[441]
: « Dans ta lumière nous verrons la lumière. » Or une lumière imparfaite
demeure même quand survient la lumière parfaite : un cierge ne s’éteint pas
quand survient la clarté du soleil. Il semble donc que la lumière de foi
demeure avec la lumière de gloire.
Objection 3 :
On n’enlève pas sa substance à un habitus du fait qu’on lui
ôte sa matière ; on peut garder l’habitus de la libéralité même après qu’on a
perdu son argent, mais on ne peut plus en avoir l’acte. Or la foi a pour objet
la vérité première non vue. Une fois cette matière enlevée par le fait même de
la vision de la vérité première, il peut donc y avoir encore l’habitus même de
la foi.
Cependant :
La foi est un habitus simple. Or une chose simple ou disparaît
tout entière ou demeure tout entière. Donc, puisque la foi ne peut pas demeurer
entièrement mais, comme nous l’avons dit est vidée de ce qui la définit, il
semble qu’elle soit totalement enlevée.
Conclusion :
Pour certains, l’espérance disparaît tout à fait, tandis
que la foi disparaît en partie, c’est-à-dire quant à l’énigme, et demeure en
partie, c’est-à-dire quant à la substance de la connaissance. Si l’on entend
par là qu’elle reste, non dans une identité numérique mais dans une identité
générique, c’est tout à fait vrai, car la foi s’accorde avec la vision de la
patrie dans un genre, celui de la connaissance. L’espérance, au contraire, ne
s’accorde pas avec la béatitude dans un genre ; en effet, l’espérance est
comparée à la jouissance de la béatitude, comme le mouvement est comparé au
repos que l’on goûte en arrivant au terme.
Mais si l’on veut dire que la connaissance qu’on a dans la
foi reste numériquement la même dans la patrie, c’est tout à fait impossible.
Car lorsqu’on enlève la différence constitutive d’une espèce, la substance du
genre ne reste plus numériquement la même ; ainsi, quand vous ôtez ce qui fait
la blancheur, la substance de la couleur ne demeure pas numériquement la même,
de sorte qu’une couleur numériquement la même serait tantôt le blanc et tantôt
le noir. Le genre, en effet, ne se compare pas à la différence spécifique comme
la matière à la forme, au point que la substance du genre puisse rester
identique numériquement, même après qu’on a changé la différence, comme la
substance de la matière demeure identique numériquement, même quand la forme a
changé. Le genre et la différence ne sont pas des parties de l’espèce ;
autrement, on n’en ferait pas des prédicats de l’espèce. Mais, de même que
l’espèce signifie le tout, c’est-à-dire le composé de matière et de forme dans
les réalités matérielles, de même la différence représente le tout, et
pareillement le genre ; mais le genre désigne le tout par ce qui en est pour
ainsi dire la matière, tandis que la différence le désigne par ce qui en est
pour ainsi dire la forme ; Mais l’espèce le désigne par l’un et l’autre côté.
Ainsi, dans l’homme, la nature sensible se présente matériellement par rapport
à la nature intellectuelle ; On appelle animal ce qui a la nature sensible ;
raisonnable, ce qui a la nature intellectuelle ; homme enfin, ce qui est en
possession des deux. C’est bien le même tout qui est signifié par ces trois
choses, mais non du même point de vue.
De toute évidence par conséquent, puisque la différence ne
fait que préciser le genre, si l’on écarte la différence, la substance du genre
ne peut rester la même, car ce n’est pas la même animalité qui demeure si c’est
une autre sorte d’âme qui constitue l’animal. Par conséquent il n’est pas
possible qu’une connaissance qui a existé d’abord sous forme d’énigme, devienne
ensuite une vision à découvert en demeurant numériquement la même. Ainsi est-il
évident que rien de ce qui est dans la foi ne demeure dans la patrie, identique
numériquement ou spécifiquement ; ce n’est identique que génériquement.
Solution 1 :
Otez le raisonnable, le vivant ne demeure plus le même
numériquement, mais par le genre, nous venons de le montrer.
Solution 2 :
L’imperfection de la lumière d’un cierge ne s’oppose pas à la
perfection de la lumière solaire, parce qu’il ne s’agit pas du même sujet. Mais
l’imperfection de la foi et la perfection de la gloire s’opposent entre elles
et regardent le même sujet. Elles ne peuvent donc exister ensemble, pas plus
que dans l’air la clarté ne peut coexister avec l’obscurité.
Solution 3 :
Celui qui perd de l’argent ne perd pas la
possibilité d’en avoir, et c’est pourquoi il peut très bien garder l’habitus de
la libéralité. Mais dans l’état de gloire non seulement on perd en acte l’objet
de foi, c’est-à-dire ce qu’on ne voit pas ; mais on perd jusqu’à la possibilité
de le recouvrer, étant donné la stabilité de la béatitude. Aussi un tel habitus
demeurerait pour rien.
Objection 1 :
Il ne semble pas. Car, dit l’Apôtre[442],
« quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel (c’est-à-dire imparfait)
disparaîtra. » Mais la charité de l’homme voyageur est imparfaite. Donc elle
disparaîtra lorsqu’adviendra la perfection de la gloire.
Objections 2 :
Habitus et actes se distinguent d’après les objets. Mais l’objet
de l’amour est le bien appréhendé. Comme on appréhende tout autrement dans la
vie présente et dans la vie future, il semble donc que la charité ne doive pas
rester la même des deux côtés.
Objection 3 :
Dans les choses qui sont d’une même essence, l’imparfait
peut s’élever au niveau de la perfection par un accroissement continu. Mais la
charité dans l’état de voyage, quelle que soit sa croissance, ne peut jamais
parvenir à égaler la charité dans la patrie. Il semble donc que la charité du
voyage ne demeure pas dans la patrie.
Cependant :
L’Apôtre assure[443]
: « La charité ne disparaîtra jamais. »
Conclusion :
Quand l’imperfection d’une chose, avons-nous dit,
n’appartient pas à la définition de son espèce, rien n’empêche qu’en demeurant
identique numériquement, ce qui fut d’abord imparfait ne devienne ensuite
parfait, comme l’homme se perfectionne par croissance, et la blancheur par
intensification. Or la charité est un amour. Il n’est aucune imperfection qui
soit essentielle à l’amour ; il peut avoir pour objet aussi bien ce qu’on
possède que ce qu’on ne possède pas, ce qu’on voit que ce qu’on ne voit pas.
Aussi la charité ne disparaît pas par la perfection même de la gloire, mais
elle reste numériquement la même.
Solution 1 :
L’imperfection de la charité lui advient par accident ;
l’imperfection n’est pas essentielle à l’amour. Or, quand on ôte ce qui est
accidentel, il reste néanmoins la substance de la réalité. Dès lors
l’imperfection de la charité est supprimée, la charité elle-même ne l’est pas.
Solution 2 :
La charité n’a pas pour objet la connaissance même ; dans ce cas
en effet, elle ne serait pas la même dans le voyage et dans la patrie. Mais
elle a pour objet la réalité connue qui, elle, reste identique, à savoir Dieu
même.
Solution 3 :
Si la charité du voyage ne peut parvenir par accroissement
à égaler celle de la patrie, cela tient à une différence du côté de la cause ;
la vision est en effet une cause de l’amour, dit Aristote. Or Dieu est d’autant
plus parfaitement aimé qu’il est plus parfaitement connu.
Objection 1 :
Il semble bien que non. Car saint Grégoire affirme : « Par
les sept dons, le Saint-Esprit forme notre esprit à résister à chacune des
tentations de la vie. » Mais dans la patrie il n’y aura plus de ces épreuves,
selon la parole d’Isaïe[445]
: « On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma sainte montagne. » Les
dons du Saint-Esprit n’existeront donc plus dans la patrie.
Objections
2 :
Ces dons sont, avons-nous dit, des
habitus. Or c’est bien inutilement qu’il y aurait des habitus s’il ne peut
plus y avoir d’actes. Mais les actes de certains dons ne peuvent avoir lieu
dans la patrie. Saint Grégoire dit en effet : « L’intelligence fait pénétrer
ce qu’on connaît, le conseil empêche la précipitation, la force empêche de
craindre l’adversité, la piété emplit le fond du cœur d’œuvres de miséricorde.
» Or tout cela ne convient pas à l’état de la patrie. Donc ces dons
n’existeront plus dans l’état de gloire.
Objections
3 :
Parmi les dons, les uns, comme la sagesse
et l’intelligence, perfectionnent l’homme dans la vie contemplative ; les
autres, comme la piété et la force, le perfectionnent dans la vie active. Mais,
dit saint Grégoire : « La vie active se termine avec la vie présente. » Donc
dans l’état de gloire il n’y aura pas tous les dons du Saint-Esprit.
Cependant :
Saint Ambroise écrit dans son livre sur le
Saint-Esprit : « La cité de Dieu, la Jérusalem céleste, n’est pas arrosée par
le cours d’un fleuve terrestre ; mais le Saint-Esprit qui découle de la
fontaine de vie, dont une petite gorgée nous contente, semble jaillir avec plus
d’abondance dans les esprits célestes, bouillonnant à plein dans le canal des
sept vertus qui émanent de lui. »
Conclusion :
Nous pouvons parler des dons de deux manières. 1° En les
considérant dans leur essence même. À ce point de vue, ils existeront dans la
patrie à leur degré le plus parfait, comme le fait voir l’autorité de saint
Ambroise qu’on vient de citer. La raison en est que les dons du Saint-Esprit
perfectionnent l’âme humaine pour lui faire suivre la motion du Saint-Esprit ;
ce qui aura lieu surtout dans la patrie quand Dieu sera "tout en
tous" comme dit l’Apôtre [446]et
que l’homme sera totalement soumis à Dieu. 2° On peut aussi considérer les dons
quant à la matière sur laquelle ils s’exercent. À cet égard, ils ont à
s’exercer présentement dans une matière qui aura disparu dans l’état de gloire.
Et à ce point de vue ils ne demeureront pas dans la patrie, ainsi que nous
l’avons dit auparavant à propos des vertus cardinales.
Solution 1 :
Saint Grégoire parle là des dons selon qu’ils conviennent à l’état
présent ; c’est bien par eux en effet que nous sommes protégés contre les
tentations des maux de cette vie. Mais dans l’état de gloire, tous les maux
ayant cessé, les dons du Saint-Esprit serviront encore à nous parfaire dans le
bien.
Solution 2 :
Saint Grégoire met en chacun des dons quelque chose qui passe avec
l’état présent, et quelque chose qui demeure dans la vie future. Il dit en
effet que « la sagesse rassasie l’âme par l’espérance et la
certitude des biens éternels ». De ces deux choses, l’espérance passe,
mais la certitude demeure. - De l’intelligence il dit « qu’elle pénètre
l’enseignement entendu, et par là même en éclaire les ténèbres en nous
rassasiant le cœur. » De ces deux choses, l’enseignement entendu passe, puisque
« l’homme n’aura plus à enseigner son frère » comme il est écrit en
Jérémie[447]
mais l’illumination de l’esprit demeurera. - Du conseil, il dit qu’il « empêche
la précipitation », ce qui est nécessaire dans la vie présente, et en outre,
qu’il "remplit l’âme de raison », ce qui est nécessaire même dans la vie
future. - De la force il dit qu’elle « ne craint pas l’adversité », ce qui
est nécessaire à présent, et en outre, qu’elle « nourrit la confiance », ce
qui demeure même à l’avenir. - Pour la science il est vrai qu’il mentionne une
seule chose, qu’elle « surmonte le jeûne de l’ignorance », ce qui
appartient à l’état présent. Mais ce qu’il ajoute : « dans le ventre de
l’esprit », peut au figuré s’entendre d’une plénitude de connaissance, ce qui
demeure même dans l’état futur. - Pour la piété il dit qu’elle « remplit
les entrailles du cœur d’œuvres de miséricorde. » C’est là une chose qui littéralement
n’appartient qu’à l’état présent. Mais ce sentiment profond à l’égard du
prochain, que désigne le mot « entrailles », appartient aussi à l’état
futur, où la piété ne se répandra plus en œuvres de miséricorde mais en
gratitude réciproque. – À propos de la crainte, il dit qu’elle « abaisse
l’esprit pour l’empêcher de s’enorgueillir du présent », ce qui est bien pour
le présent ; il dit aussi qu’ « au sujet des réalités futures, elle le
réconforte en le nourrissant d’espérance. C’est encore pour maintenant, quant à
l’espérance ; mais ce peut être aussi pour l’état à venir, quant au réconfort
que procurent ces réalités espérées ici-bas et obtenues là-haut. »
Solution 3 :
Cette raison est valable si l’on regarde
la matière des dons. Car les œuvres de la vie active ne seront plus la matière
des dons. Mais tous exerceront leurs actes sur les choses de cette vie
contemplative qu’est la vie bienheureuse.
Objection 1 :
Il semble que ces récompenses dont l’énumération est la suivante :
la possession du royaume de Dieu, de la terre, la consolation, le rassasiement
de tout désir de justice, l’obtention de la miséricorde, la vision de Dieu, le
nom de fils de Dieu, peuvent être dors et déjà obtenues dès cette terre chez
les saints, comme nous l’avons montré précédemment. Il est donc inutile
qu’elles soient à nouveau après la mort.
Objection 2 :
Il semble que la possession de la terre
est une récompense du monde d’ici-bas. Or, dans la vision béatifique, nul
n’emporte avec lui ses possessions terrestres.
Cependant :
Le livre de l’Apocalypse écrit : « Il essuiera toutes larmes de
leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus, de pleur, de cri, de peine, il n’y
en aura plus car l’ancien monde s’en est allé. » Les récompenses promises pour
les béatitudes sont donc de l’au delà.
Conclusion :
Durant notre vie terrestre, les
récompenses promises dans les béatitudes sont déjà présentes en germe chez les
saints, à la manière d’un commencement. En premier lieu, ils possèdent déjà la
grâce qui est la cause par mode de mérite de la béatitude future qui sera
réalisée en eux. En second lieu, leur espérance leur fait déjà goûter les biens
de la vie future. Ils possèdent en quelque sorte les moyens qui les mènent à la
fin espérée et sont donc sous ce rapport déjà en possession de la fin.
Cependant, les promesses des béatitudes
ne trouveront leur pleine réalisation que lors de l’entrée dans la vision de
Dieu qui sera la cause dans l’âme et dans le corps.
Solution 1 :
Il est certain que ces récompenses là seront parfaitement
consommées dans la vie future. Mais en attendant, même en cette vie, elles sont
en quelque sorte commencées. Car le royaume de Dieu peut s’entendre au dire de
saint Augustin, du commencement de la parfaite sagesse, selon lequel chez les
parfaits l’esprit commence à régner. Mais, dans la vie future, le royaume de
Dieu sera possède en plénitude à cause de la possession par l’âme de l’essence
même de Dieu ; Consolés, les bienheureux le seront par l’inhabitation totale du
Saint Esprit, c’est à dire du Consolateur, dans leur âme ; Rassasiés, Ils le
seront par l’assouvissement en Dieu de tous leurs désirs, car Dieu est le bien
par essence ;ils seront aussi rassasiés de justice car ils verront directement
dans l’essence divine la parfaite harmonie qui commande la distribution des
peines et des récompenses ; Ils obtiendront la miséricorde de Dieu non
seulement comme sur terre dans l’obscurité de la foi mais face à face ; Ils y
seront purifiés par l’entière conformité de leur volonté avec la volonté de
Dieu qui est la règle de toute pureté.
Solution 2 :
La possession de la terre doit s’entendre en premier dans un sens
spirituel. Il est en effet évident que, même sur la terre, la possession des
richesses n’est pas forcement un signe de la bénédiction de Dieu. Les méchants
coulent très souvent leurs jours dans le bien-être, selon la parole de Job[449].
La possession de la terre doit donc s’entendre en premier lieu de la possession
des récompenses spirituelles que les bons reçoivent dès cette vie selon saint
Marc[450]
: « vous recevrez le centuple même dans ce siècle" De même, les méchants,
s’ils possèdent parfois en ce monde les richesses matérielles, ne possèdent
jamais les richesses spirituelles, selon saint Augustin[451] :
« tu as ordonné, Seigneur, et il en est ainsi, qu’une âme en désordre soit
à elle-même sa peine ».
Dans la vision béatifique, les
bienheureux posséderont terre en plénitude à la fois si on s’entend au sens
spirituel avant la résurrection et au sens matériel après la résurrection de
leur corps, puisque Dieu donnera aux hommes un univers renouvelé[452].
Objection 1 :
Les fruits du Saint Esprit énumérés par l’apôtre[453]
charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les
autres, douceur, maîtrise de soi, chasteté auxquels on peut rajouter la
modestie et la mansuétude ne semblent pas être des effets de la vision
béatifique puisqu’ils peuvent exister sans elle comme on le voit chez les
saints.
Objection 2 :
On voit mal à quoi pourrait servir la chasteté, du moins avant la
résurrection des corps puisqu’elle n’aura pas de corps à réfréner dans ses
penchants.
Objection 3 :
De même, la serviabilité est un effet de la charité sur la
terre. Les âmes au Ciel n’en auront nullement besoin puisqu’elles n’auront
aucun service à rendre.
Cependant :
Le livre de l’Apocalypse écrit : « Je vis le
fleuve de vie qui jaillissait du trône de Dieu et de l’agneau. Au milieu de la
place, de part et d’autre du fleuve, il y a des arbres de vie qui fructifient
douze fois. » [454]
Les arbres de vie symbolisent les fruits du Saint Esprit. Ils sont donc bien un
effet de la vision béatifique symbolisé par le fleuve de vie.
Conclusion :
Comme nous l’avons montré, les fruits du Saint Esprit ne
sont pas autre chose que l’effet de la charité. En un premier sens, les fruits
peuvent être des actes car la charité pousse l’homme à agir. Selon cette
acception, les fruits du Saint Esprit demeurent après l’entrée dans la vision
béatifique de la même façon que nous l’avons décrit pour les dons du Saint
Esprit. En un second sens, les fruits peuvent désigner les récompenses des
actes car tout acte porte des fruits soit à l’extérieur, soit à l’intérieur de
celui qui agit.
Saint Paul, dans le texte cité, entend par
fruit du Saint Esprit cette délectation ultime et intérieure que l’homme goûte
en agissant dans la charité. En ce sens, il est évident que, dans la vision
béatifique, l’homme recueillera en plénitude les fruits du Saint Esprit à cause
du rejaillissement dans son âme de sa vie d’amour réciproque avec Dieu.
Le premier fruit sera la charité. Il ne
s’agit pas de la charité en tant que vertu qui est à la base de toute entrée
dans la vision béatifique. Il s’agit de la charité en tant qu’elle sera rendue
brûlante par la vision de l’essence de Dieu. La connaissance du bien, en effet,
rend l’amour de ce bien parfait.
Le second fruit sera la joie[455]
et elle sera plénitude. Celui qui aime se réjouit quand il est uni à ce qu’il
aime. Or l’âme sera unie d’une manière totale à Dieu par la vision, d’où sa
béatitude.
Le troisième fruit sera une paix totale et
absolue. Une paix intérieure d’abord puisque tous les désirs et toutes les affections
de l’âme seront unis par le repos dans le Dieu unique ; Une paix avec tous les
participants de la vision divine en second lieu puisque chacun aimera le
prochain comme Dieu lui-même l’aime et aura une volonté conforme à la sienne.
Il y aura donc parfaite identité des vouloirs.
Quant aux autres fruits, ils seront de la
même façon conséquences de la charité parfaite qui régnera dans le monde
nouveau.
Solution 1 :
Chez les Saints, les fruits du Saint Esprit existent d’une manière
limitée par l’exercice de la charité sur la terre. Dans la vision béatifique,
la charité s’exerce dans la plénitude de ses potentialités sans aucun des
obstacles liés à notre condition passagère. Elle portera donc des fruits en
plénitude.
Solution 2 :
La chasteté comme fruit du Saint Esprit est une aisance intérieure
qui ordonne les plaisirs vers la plus grande gloire de Dieu. Mais les plaisirs
ne sont pas seulement ceux du corps. Ils sont aussi ceux de l’esprit. Dans la
vie future, la chasteté ne s’exercera plus par rapport aux plaisirs relatifs à
la nourriture et aux choses sexuelles puisque de tels plaisirs n’existeront
plus à la manière d’ici-bas. Mais elle restera dans ce qu’elle a de formel
c’est-à-dire qu’elle ordonnera toutes les affections de l’homme et les plaisirs
ineffables de la béatitude dans la louange de Dieu.
Solution 3 :
Les âmes du Ciel peuvent exercer leur
serviabilité pour ceux qui en ont besoin, tant sur la terre qu’au purgatoire.
Elles le font principalement par leurs prières. À la fin du monde, lorsqu’il ne
restera personne à aider, la serviabilité restera un état permanent du monde
des esprits, c’est-à-dire une disposition intérieure qui rendra chacun attentif
aux autres.
Objection 1 :
Il semble que, dans la béatitude, la
délectation soit plus primordiale que la vision. Car, au dire d’Aristote, « la
délectation est la perfection de l’activité. » Or ce qui perfectionne est
supérieur à ce qui est perfectionné. Donc la délectation est plus importante
que l’activité de la vision.
Objection 2 :
Ce qui rend une chose désirable est supérieur à cette chose. Or
les opérations sont désirées à cause des délectations qu’elles procurent ;
c’est pourquoi la nature, lorsqu’il s’agit d’opérations nécessaires à la
conservation de l’individu et de l’espèce, y a attaché la délectation, afin que
ces activités ne soient pas négligées par les êtres animés.
Objection 3 :
La vision correspond à la foi, et la
délectation ou fruition à la charité. Or la charité est supérieure à la foi,
dit l’Apôtre[457].
Donc la délectation ou fruition est supérieure à la vision.
Cependant :
La cause est supérieure à l’effet. Mais la vision est la
cause de la délectation ; donc la vision est supérieure à la délectation.
Conclusion :
Cette question a été soulevée par Aristote
au livre X de son Ethique, et il l’a
laissée pendante. Mais si l’on y regarde de près, on reconnaîtra nécessairement
que l’activité de l’intellect, la vision, prévaut sur la délectation. En effet,
la délectation consiste en un certain repos de la volonté. Or, si la volonté se
repose en quelque chose, c’est uniquement parce qu’elle trouve un bien dans
l’objet de son repos. Donc, si la volonté trouve son repos dans une activité,
c’est à cause de la bonté de celle-ci. Et il ne faut pas dire que la volonté
cherche le bien en vue du repos ; car alors l’acte même de la volonté serait sa
fin, ce que nous avons déclaré impossible ; mais la volonté cherche à se
reposer dans cette activité parce que celle-ci est son bien. Il est évident que
le bien le plus primordial est ici l’opération dans laquelle la volonté se
repose, plutôt que le repos de la volonté dans ce bien.
Solution 1 :
Selon Aristote au même endroit, la délectation parfait l’opération
vitale à la manière dont la grâce parfait la jeunesse, grâce qui est un effet
de la jeunesse elle-même. Il en découle que la délectation est une certaine
perfection accompagnant la vision, et non une perfection qui rende la vision
parfaite dans son espèce.
Solution 2 :
La perception sensible n’atteint pas à la raison générale du bien,
mais à un bien particulier qui se présente comme délectable. C’est pourquoi, en
ce qui regarde l’appétit sensible des animaux, les activités sont recherchées
en vue de la délectation. L’intellect, au contraire, saisit la raison
universelle du bien, dont la possession engendre la délectation. Pour cette
raison, il se propose le bien à titre premier, plutôt que la jouissance. De là
vient aussi que l’intellect divin, en instituant la nature, a attaché les
délectations aux activités dans l’intérêt de celles-ci. Or il ne convient pas
de porter sur les choses une appréciation décisive au niveau de l’appétit
sensible, mais au niveau de l’appétit intellectuel.
Solution 3 :
La charité ne recherche pas le bien aimé en vue de la délectation.
C’est par voie de conséquence qu’elle se délecte dans la possession du bien
qu’elle aime. Et ainsi ce n’est pas la délectation qui correspond à la charité
comme étant sa fin, mais plutôt la vision, par laquelle d’abord cette fin lui
est rendue présente.[458]
Objection 1 :
Il semble que les saints qui voient Dieu en son essence voient
toutes les choses que Dieu connaît en lui-même, car, comme dit Isidore : « Les
anges voient toutes choses dans le Verbe de Dieu, avant qu’elles
s’accomplissent ». Les saints seront égaux aux anges de Dieu, selon saint
Matthieu. En voyant Dieu, ils verront donc toutes choses.
Objection 2 :
Saint Grégoire dit : « Puisque là-haut ils verront tous Dieu en
une même clarté, que pourraient-ils ignorer en connaissant celui qui sait
toutes choses ? » S’il parle des bienheureux qui voient Dieu par essence. Ceux
qui le voient de cette manière connaissent donc toutes choses.
Objection 3 :
Comme dit Aristote : « L’intelligence qui connaît les plus grandes
choses peut plus encore connaître les plus petites. » Mais le plus élevé des
intelligibles est Dieu. La puissance de l’intelligence est donc très augmentée
en le connaissant. En le voyant elle voit donc toutes choses.
Objection 4 :
L’intelligence n’est empêchée de connaître quelque chose que parce
que celle-ci la dépasse. Mais aucune créature ne peut dépasser l’intelligence
qui voit Dieu. En effet, saint Grégoire dit : « Toute créature devient minime
pour l’âme qui voit le créateur. » Ceux qui voient Dieu en son essence
connaissent donc toutes choses.
Objection 5 :
Toute puissance passive qui ne passe pas à l’acte est imparfaite.
L’intellect possible de l’âme humaine est une puissance passive ordonnée à tout
connaître, puisque « l’intellect possible est ce par quoi nous devenons
toutes choses », comme dit saint Grégoire. Si donc dans la béatitude il ne
connaissait pas toutes choses, il demeurerait imparfait, ce qui est absurde.
Objection 6 :
Tout homme qui voit un miroir voit tout ce que ce miroir reflète.
Or toutes choses sont comme reflétées dans le Verbe de Dieu, qui est la raison
et l’image de tout. Les saints qui voient le Verbe par essence, voient donc
toutes les créatures.
Objection 7 :
Les Proverbes disent : « Les justes obtiendront l’objet de leur
désir. » Les saints désirent connaître toutes choses. Puisque « tous les
hommes, par nature, désirent connaître », et que la nature n’est point
supprimée par la gloire. Dieu leur donnera donc de tout connaître.
Objection 8 :
L’ignorance est une sorte de châtiment de la vie présente. Or tout
châtiment sera supprimé pour les saints, dans la gloire. Donc aussi toute
ignorance : ils connaîtront donc toutes choses.
Objection 9 :
La béatitude des saints est d’abord dans l’âme, puis dans le
corps. Les corps des saints seront transformés dans la gloire pour être
assimilés au corps du Christ selon saint Paul aux Éphésiens. Les âmes seront
donc perfectionnées aussi par la similitude de l’âme du Christ. Celle-ci voit
toutes choses dans le Verbe. Toutes les âmes des saints verront donc toutes
choses dans le Verbe.
Objection 10 :
L’intelligence comme le sens connaît tout ce dont elle reçoit en
elle la similitude. Or l’essence divine représente toutes choses plus
exactement que toute autre similitude des autres choses. Puisque, dans la
vision bienheureuse, l’essence divine devient comme la forme de notre
intelligence, il semble que les saints verront tout en Dieu.
Objection 11 :
Aristote dit que « si l’intellect agent devenait la forme de notre
intellect possible. Nous connaîtrions toutes choses. » Mais la divine essence
contient la représentation de toutes choses plus clairement que l’intellect
agent. L’intelligence, en voyant Dieu en son essence, connaît donc toutes
choses.
Objection 12 :
Les anges inférieurs, qui ne connaissent
pas toutes choses, sont illuminés au sujet de ce qu’ils ignorent, par les anges
supérieurs. Mais après le jour du jugement un ange n’en éclairera plus un
autre, car alors toute prééminence cessera, comme dit la Glose au sujet de
l’Epître de saint Paul aux Corinthiens. Les anges inférieurs connaîtront alors
toutes choses, et pour le même motif, tous les saints qui verront Dieu en son
essence.
Cependant :
Comme dit Denys, « les anges supérieurs
libèrent les inférieurs de leur ignorance ». Or les anges inférieurs
volent l’essence divine ; un ange qui voit cette essence peut donc quand même
ignorer certaines choses. Et l’âme ne voit pas Dieu plus parfaitement qu’un
ange, il n’est donc point nécessaire que les âmes qui voient Dieu connaissent
toutes choses.
En outre, le Christ seul possède l’esprit sans mesure, comme dit
saint Jean. C’est en tant que tel qu’il connaît toutes choses dans le Verbe.
C’est pourquoi. Nous voyons dans le même passage, que « le Père a mis
toutes choses dans sa main. » Nul autre que le Christ n’a donc le pouvoir de
connaître toutes choses dans le Verbe.
De plus, plus un principe est connu
parfaitement, plus on connaît à travers lui ses nombreux effets. Mais certains
de ceux qui verront Dieu dans son essence le connaîtront plus parfaitement, lui
qui est le principe de toutes choses. Certains connaîtront donc plus de choses
que d’autres. Et tous ne sauront pas tout.
Conclusion :
Dieu en connaissant son essence, connaît
tout ce qui est, sera, a été. Et ce mode de connaissance est appelé
connaissance de vision, parce qu’elle est semblable à la vision corporelle qui
connaît toutes les choses présentes. En voyant son essence, Dieu connaît en
outre tout ce qu’il est capable de faire, bien qu’il ne l’ait jamais réalisé et
ne le réalisera pas. Sinon il ne connaîtrait point parfaitement sa puissance,
car on ne connaît pas sa puissance si on en ignore les objets. C’est ce qu’on
appelle connaître de science ou connaissance de simple intelligence.
Il est impossible qu’une intelligence
créée, en voyant l’essence divine connaisse toutes les choses que Dieu peut
faire. Plus un principe est connu parfaitement, plus on connaît de choses à
travers lui, de même que dans un principe de démonstration, celui qui possède
un esprit plus perspicace découvre plus de conclusions que celui qui a un
esprit plus lent. Puisque le degré de la perfection divine correspond à ce dont
elle est capable. Si une intelligence voyait dans l’essence divine tout ce que
Dieu est capable de faire, elle serait d’un degré de perfection égal, dans son
acte de connaissance, à la perfection de la puissance divine réalisant ses
effets : elle engloberait donc la puissance divine, ce qui est impossible pour
tout esprit créé. Par contre, les choses que Dieu connaît par science de vision
peuvent être connues dans le Verbe par un esprit créé, c’est-à-dire l’âme du
Christ. Au sujet de ceux qui, en dehors du Christ, voient l’essence divine, il
y a deux opinions différentes : Les uns disent que tous ceux qui voient Dieu en
son essence voient tout ce que Dieu voit par science de vision. Mais cela est
en désaccord avec les affirmations des saints, qui disent que les anges
ignorent certaines choses, bien qu’il soit de foi qu’ils voient tous Dieu en
son essence. Les autres disent que les autres que le Christ, bien qu’ils voient
Dieu en son essence, ne voient pas tout ce que Dieu voit, parce qu’ils ne
saisissent pas la plénitude de l’essence divine. Il n’est pas nécessaire que
celui qui connaît une cause en connaisse tous les effets, s’il connaît
intégralement la cause. Or cela n’est pas possible pour un esprit créé. C’est
pourquoi chacun de ceux qui voient Dieu en son essence voit d’autant plus de
choses en elle, qu’il la pénètre plus clairement : certains pourront donc en
éclairer d’autres. De cette manière, la science des anges et des saintes âmes
peut croître jusqu’au jour du jugement, comme les éléments qui appartiennent à
la récompense accidentelle. Mais ensuite cette science ne croîtra plus, car ce
sera le dernier état des choses, et dans cet état il est possible que tous
connaissent tout ce que Dieu connaît par sa science de vision.
Solution 1 :
Ce que dit Isidore : « Les anges savent dans le Verbe toutes
choses avant qu’elles s’accomplissent », ne peut se rapporter à ce que Dieu
sait de science de simple intelligence puisque ces choses ne se produiront
jamais. Elles ne peuvent être rapportées qu’à ce que Dieu connaît par science
de vision. De ces choses, il ne dit pas que tous les anges les connaissent
toutes, mais peut-être quelques-unes. Et ceux-là même qui les connaissent ne le
font pas parfaitement. Dans une même chose on peut en effet considérer de
multiples raisons intelligibles, comme diverses propriétés, et relations avec
les autres choses : il est possible que tandis que deux personnes connaissent
la même chose, l’une perçoive plus de raisons que l’autre et puisse les
communiquer à l’autre. C’est pourquoi Denys dit que "les anges inférieurs
reçoivent des anges supérieurs les raisons intelligibles des choses. Les anges
qui connaissent toutes les créatures ne perçoivent pas nécessairement tout ce
qui est intelligible en elles.
Solution 2 :
De cette citation de saint Grégoire, il ressort que dans la vision
béatifique nous est donné le pouvoir de tout connaître, puisque l’intermédiaire
de notre connaissance sera alors l’essence divine elle-même, essence par
laquelle Dieu connaît tout. Mais le fait que tout ne sera pas compris est à
mettre au compte des limites de notre intelligence créée, qui ne peut
comprendre l’essence divine.
Solution 3 :
L’intelligence créée ne voit pas l’essence divine selon le mode
d’être de cette essence mais selon son mode propre, qui est limité. Il n’est
donc pas exigé que sa pénétration de connaissance en cette vision soit étendue
infiniment jusqu’à la connaissance de toutes choses.
Solution 4 :
Le défaut de connaissance ne provient pas seulement d’un excès ou
d’un défaut de ce qui est connaissable, mais aussi de ce que la raison
connaissable n’est pas unie entièrement à l’intelligence : de même que la vue
parfois ne voit pas une pierre, parce que l’image de cette pierre ne l’atteint
pas. Bien que l’esprit qui voit Dieu soit uni à son essence divine, qui est le
principe de toutes choses, il ne lui est pas uni en tant qu’elle est la raison
(ou source intelligible) de toutes les choses, mais en tant qu’elle est la
raison de quelques choses : et chacun pénètre d’autant plus l’essence divine
qu’il y voit la raison de plus de choses.
Solution 5 :
Quand une puissance passive peut être perfectionnée par plusieurs
perfections ordonnées l’une à l’autre, si elle est perfectionnée par la plus
élevée de ces perfections, on ne dit pas qu’elle est imparfaite parce quelques
dispositions précédentes lui manquent. Toute connaissance qui perfectionne
l’intelligence créée est ordonnée, comme à sa fin, à la connaissance de Dieu.
Donc, en voyant Dieu en son essence même si on ne voyait rien d’autre,
l’intelligence serait parfaite. Et elle n’est pas plus parfaite parce qu’elle
connaît en même temps quelque autre chose, à moins que cela augmente sa
connaissance de Dieu. C’est pourquoi saint Augustin dit : « Malheureux l’homme
qui connaît toutes les choses créées et t’ignore. Bienheureux celui qui te
connaît, même s’il ignore le reste. Celui qui te connaît, et aussi d’autres
choses, n’en est pas plus heureux : il n’est bienheureux qu’à cause de toi seul.
»
Solution 6 :
Ce miroir est doué de volonté, et de même qu’il se montre à qui il
veut, ainsi il manifeste en lui-même ce qu’il veut. Ce n’est point comme le
miroir matériel qui n’a pas le pouvoir de se faire voir ou non. On pourrait
dire aussi que dans le miroir matériel les choses reflétées, comme le miroir
lui-même, apparaissent sous leur propre forme. Bien que ce miroir apparaisse
grâce à la forme qu’il reçoit de la réalité, tandis que la pierre réfléchie par
lui, n’est vue que par sa propre forme qui est réfléchie par autre chose
qu’elle-même. Par la même raison on connaît l’un et l’autre. Au contraire, dans
le miroir incréé, on voit quelque chose par la forme du miroir lui-même, comme
un effet est vu à travers la connaissance de sa cause, et vice versa. Il n’est
donc pas nécessaire que qui voit le miroir éternel voie tout ce qui s’y trouve
contenu. En effet, quelqu’un qui voit une cause ne voit pas nécessairement tous
ses effets, à moins qu’il n’ait une connaissance exhaustive de cette cause.
Solution 7 :
Le désir qu’ont les saints de tout connaître est assouvi seulement
par la vue de Dieu, de même que leur désir de posséder tous les biens sera
satisfait par la possession de Dieu. De même que Dieu, bonté parfaite, comble
tout amour de bien, et que sa possession procure de quelque manière tous les
biens, de même sa vue donne une satisfaction totale à l’intelligence. Comme dit
saint Jean : « Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit. »
Solution 8 :
L’ignorance proprement dite marque une privation de quelque chose
: comme telle, elle est une peine ; elle est alors la privation de la
connaissance de choses qui devraient être connues ou qu’il est nécessaire de
connaître. Dans la patrie céleste, les saints ne seront privés d’aucune
connaissance de ce genre. Mais parfois, on prend le mot ignorance pour
signifier n’importe quelle absence d’une connaissance. En ce sens, les anges et
les saints ignoreront certaines choses dans la patrie. C’est pourquoi Denys dit
que « les anges sont libérés de l’ignorance. » Ainsi comprise, l’ignorance
n’est pas un châtiment, mais seulement une déficience. Et il n’est point
nécessaire que toute déficience de ce genre disparaisse dans la gloire : dans
le même sens, on pourrait dire que c’était un défaut pour le Pape Lin de ne
point parvenir à la gloire de saint Pierre.
Solution 9 :
Notre corps sera conforme à celui du Christ dans la gloire en similitude
mais non en égalité : il sera lumineux comme le corps du Christ, mais non
également. De même notre âme possédera la gloire à la ressemblance de l’âme du
Christ, mais non également. Elle possédera donc la science comme l’âme du
Christ, mais non autant. Elle ne saura pas toutes choses comme l’âme du Christ.
Solution 10 :
Bien que l’essence divine soit le principe de toutes les choses
connaissables, ce n’est pas en tant que principe de toutes choses qu’elle sera
unie à l’intelligence créée. L’argument proposé ne vaut donc pas.
Solution 11 :
L’intellect agent est la forme proportionnée à l’intellect
possible, de même que la puissance de la matière est proportionnée à la
puissance naturelle : de telle sorte que tout ce qui est dans la puissance
passive de la matière ou de l’intellect possible, se trouve dans la puissance
active de l’intellect agent ou de l’agent naturel. C’est pourquoi, si
l’intellect agent devient la forme de l’intellect possible, celui-ci doit
connaître tout ce à quoi s’étend la puissance de l’intellect agent. Mais
l’essence divine n’est pas une forme qui serait proportionnée de cette manière
à notre intelligence. La comparaison ne vaut donc pas.
Solution 12 :
Rien n’empêche de dire qu’après le jour du jugement, quand la
gloire des hommes et des anges sera totalement achevée, tous les bienheureux
sauront tout ce que Dieu connaît de science de vision, bien que tous ne voient
pas toutes choses dans l’essence divine. Mais l’âme du Christ verra alors
pleinement toutes choses, comme elle le voit déjà maintenant. Les autres âmes
verront alors plus ou moins de choses, selon le degré de clarté de leur
connaissance de Dieu : c’est ainsi que l’âme du Christ illuminera les autres
âmes au sujet de ce qu’elle voit mieux qu’elles dans le Verbe. C’est pourquoi
l’Apocalypse dit que « la clarté de Dieu illuminera la cité de Jérusalem,
et sa source de lumière est l’Agneau. » De même les supérieurs illumineront les
inférieurs, non par une nouvelle illumination qui augmenterait la science des
inférieurs, mais par une sorte de prolongation d’illumination : comme si on
imagine que le soleil au repos illumine l’air. C’est pourquoi Daniel dit que « ceux
qui enseignent à beaucoup la justice, brilleront comme les étoiles pour
l’éternité. » La prééminence des divers ordres cessera seulement quant aux
choses qu’ils exercent actuellement à notre égard par leurs ministères
subordonnés l’un à l’autre, comme cela ressort de la Glose de ce texte.
Objection 1 :
Il semble que la vision béatifique peut se perdre : elle est une
certaine perfection ; Or toute perfection inhére à son sujet selon le mode de
ce sujet, et puisque l’homme est de nature changeante, il semble que la
béatitude ne soit participée par lui que selon le mode du changement, de telle
sorte qu’il puisse la perdre.
Objection 2 :
La vision béatifique est une opération de l’intelligence et
l’intelligence dépend de la volonté. Or la volonté s’applique aux contraires ;
donc elle peut se désister de l’opération béatifiante et ainsi l’homme cessera
de voir Dieu.
Objection 3 :
Au surplus, lorsqu’il y a commencement,
il y a fin. Or la vision que l’homme a de Dieu a un commencement, puisque
l’homme ne l’a pas toujours vu : il semble donc qu’elle doive avoir une fin.
Cependant :
L’évangéliste[460]
dit des justes « qu’ils iront dans la vie éternelle », vie qui n’est
autre, comme nous l’avons dit, que la béatitude des saints. Or ce qui est
éternel ne fait jamais défaut : donc la vision de Dieu ne peut jamais être
perdue.
Conclusion :
Origène pensait, entraîné par l’opinion de certains platoniciens,
que l’homme peut tomber dans le malheur après avoir acquis la dernière
béatitude. Mais cela apparaît manifestement faux de deux façons. Tout d’abord
si l’on considère ce qu’est la vision béatifique. Nous avons montré que le
royaume de Dieu consiste dans la vision de l’essence divine. Or il est
impossible que celui qui voit l’essence divine veuille ne plus la voir ; Car
tout bien que l’on possède et dont on veut se défaire ou se présente comme
insuffisant, et l’on cherche à sa place un objet qui puisse suffire ou se
trouve conjoint à quelque déplaisir et c’est à cause de cela qu’on le prend en
dégoût. Mais la vision de l’essence divine remplit l’âme de tous les biens en
l’unissant à la source de toute bonté, ce qui fait dire au psalmiste XVI, 15 : «
Je serai rassasié lorsque m’apparaîtra ta gloire ». De même la vision de
l’essence divine n’entraîne aucun déplaisir car de la contemplation de la
Sagesse il est dit encore[461]
: « sa société n’a pas d’amertume et son commerce n’a pas d’ennui. » On voit
donc clairement par là que les Bienheureux ne peuvent de leur propre volonté
renoncer à la béatitude.
Dieu, de son côté ne peut la leur ravir
; car le retrait de la vision béatifique étant une peine, il ne peut être
infligé par Dieu juste juge que pour une faute ; mais celui qui voit l’essence
de Dieu ne peut pas commettre de faute, puisque cette vision entraîne
nécessairement la rectitude de la volonté, comme nous l’avons fait voir.
Enfin, nul autre agent n’est capable de
soustraire à l’homme un tel bien ; car l’âme unie à Dieu se trouve élevée
au-dessus de toute créature, et par suite aucun agent ne peut l’arracher à une
pareille union. Il parait donc de toute manière insoutenable que par je ne sais
quelles vicissitudes des temps l’homme passe de la béatitude à la misère et
réciproquement. Ces sortes de vicissitudes n’appartiennent qu’à ce qui est
soumis au temps et au mouvement.
Cependant, l’éternité peut être regardée
selon un autre sens. Au sens strict, il s’agit d’une notion que la théologie
attribue seulement à Dieu. Boèce en donne la définition suivante : l’éternité
est la possession à la fois immédiate, totale et parfaite de la vie qui ne
finira jamais[462].
Nous n’avons pas de termes qui puissent nous aider à comprendre cette notion,
même si nous admettons, par révélation et par raisonnement, que la communion et
l’amitié avec Dieu ne peuvent être qu’éternelles. L’analogie de l’instant, qui
est d’autant plus intense qu’il est rempli et comblé, peut nous en approcher.
L’éternité est moins une durée qu’une profondeur, coextension de la conscience
à la réalité. L’éternel en effet embrasse la totalité de l’être, et notre
conscience, en coïncidant d’une certaine manière avec la totalité de l’être,
pourra entrer dans l’éternité.
Solution 1 :
La vision de Dieu est une certaine perfection, comme on le dit ;
mais c’est une perfection consommée, qui exclut tout défaut dans celui qui la
possède aussi elle est acquise par l’élu hors de toute mutabilité, grâce à la
vertu divine qui élève l’homme à la participation de son éternité, au-dessus de
toute vicissitude.
Solution 2 :
On observe que la volonté peut se décider en des sens contraires,
et c’est vrai en ce qui concerne nos décisions en vue de notre fin ; mais quant
à la fin dernière elle-même, la volonté s’y dirige d’un mouvement de nécessité
naturelle, et ce qui le prouve, c’est que l’homme ne peut manquer de désirer
être heureux.
Solution 3 :
Le fait que la vision béatifique a un
commencement ne prouve pas non plus qu’elle ait une fin. Car si elle a un
commencement, c’est en raison de la condition de l’homme qui la participe, et
si elle ne doit pas avoir de fin, la raison en est dans la condition du bien
dont la participation rend heureux. Ainsi, c’est pour une cause que la
béatitude a un commencement et pour une autre qu’elle n’a pas de fin.
A propos de ce sujet, cinq questions se
posent :
1° La lumière de gloire[463]
est-elle nécessaire pour voir Dieu ?
2° La lumière de gloire est-elle une réalité
créée ?
3° La lumière de gloire est-elle un
intermédiaire entre Dieu et l’âme ?
4° La lumière de gloire est-elle la même
chose que la grâce habituelle ?
5° La lumière de gloire a-t-elle son siège
dans l’intelligence ?
Objection 1 :
Il ne semble pas. Comme nous l’avons montré, Dieu se comporte dans
la vision béatifique comme le concept pour l’intelligence. Il informe donc
directement l’intelligence sans qu’aucune autre lumière ait besoin d’être
surajoutée.
Objection 2 :
Dieu est lumière. Il est donc par
lui-même éminemment intelligible. Il n’a donc pas besoin d’être rendu
intelligible par autre chose que lui-même.
Cependant :
Le concile de Vienne (1312) note : « L’âme a besoin d’une lumière
de gloire qui l’élève pour voir Dieu et jouir de lui dans la béatitude »[464].
Conclusion :
Dans toute connaissance, on peut distinguer deux termes : ce qui
connaît et ce qui est connu. Pour que la connaissance soit possible, il doit y
avoir une proportion entre l’objet connu et ce qui connaît. Ainsi l’œil ne peut
voir une lumière trop vive car elle dépasse en proportion ses capacités. Or
Dieu est pour l’intelligence humaine dans le même rapport que la lumière trop
vive pour l’œil. Pour qu’il puisse être vu dans son essence, il faut donc que
l’intelligence soit adaptée à sa lumière. Elle doit être élevée au-dessus
d’elle-même et c’est le rôle de la lumière de gloire. C’est pourquoi l’Écriture
Sainte affirme :[465]
« par ta lumière nous voyons la Lumière ». Par la lumière de gloire
qui surélève la capacité de l’intelligence, nous voyons la lumière éternelle
qui est l’essence divine.
Solution 1 :
Dieu informe directement l’intelligence. Mais l’intelligence a
besoin d’être préparée pour recevoir une telle connaissance qui la dépasse,
comme nous l’avons montré. La lumière de gloire ne constitue pas un
intermédiaire entre l’intelligence et l’essence de Dieu mais une disposition préalable
de l’intelligence.
Solution 2 :
La lumière de gloire n’est pas nécessaire pour rendre Dieu
intelligible en lui-même mais pour le rendre intelligible par rapport à nous.
Objection 1 :
Dieu vivifie l’âme, comme l’âme vivifie le corps « il est
lui-même ta vie », dit le Deutéronome[466].
Mais c’est sans intermédiaire que l’âme vivifie le corps. De même par
conséquent, rien ne s’interpose entre Dieu et l’âme dans la vision béatifique
et la lumière de gloire n’est autre que l’Esprit Saint lui-même. [467]
Objection 2 :
L’Apocalypse de saint Jean écrit à propos de la lumière de gloire :
« La ville peut se passer de l’éclat du soleil et de la lune car la gloire de
Dieu l’a illuminée »[468].
Par la lumière du soleil, on entend la connaissance donnée par l’humanité du
Christ ; Par la lumière de la lune, on entend la médiation de la Vierge Marie
et des saints par qui nous est donné le Sauveur, de même que la lune reflète la
lumière du soleil. Dans la gloire, nous serons donc éclairés par Dieu lui-même
et par une lumière créée.
Cependant :
Le prophète Baruch [469]écrit
: « Dieu guidera Israël dans la joie, à la lumière de sa gloire, avec la
miséricorde et la justice qui viennent de lui ». Or ce qui vient de Dieu
est un effet de Dieu en l’homme et non Dieu lui-même. C’est donc une créature.
Conclusion :
Appliqué à Dieu, le mot lumière peut signifier deux choses. En un
premier sens, il peut désigner l’essence même de Dieu, en tant qu’elle est
éminemment intelligible. C’est pourquoi saint Jean écrit « Dieu est
lumière »[470].
Pris en ce sens, la lumière est une réalité incréée car elle est Dieu lui-même.
En second sens, la lumière peut designer toutes les grâces données à l’homme
qui illuminent son esprit : « La parole de Dieu est limpide, lumière pour les
yeux »[471]. En
ce sens, les grâces données par Dieu peuvent être appelées lumières et ce sont
des réalités créées. Telle est la lumière de gloire qui surélève la capacité de
l’âme pour la rendre capable de voir Dieu face à face. Elle est une qualité de
l’âme par laquelle Dieu pourvoit à la nécessité de sa créature qu’il veut
gratifier de la vision surnaturelle de son essence. La lumière de gloire est
une disposition active appropriée à cet acte contemplatif. Par elle, la vision
devient en un certain sens connaturelle à l’intelligence dont l’acte devient
aisé, sans éblouissement.
Solution 1 :
Dieu est la vie de l’âme en tant que cause efficiente Première et
extérieure alors que l’âme est cause de la vie du corps en tant que cause
efficiente interne et cause formelle. Or il est vrai qu’entre la forme et la
matière, il n’y a pas de place pour un intermédiaire parce que c’est par
elle-même que la forme affecte la matière. Mais l’agent, lui, n’informe pas le
sujet par sa propre substance, il ne le fait que par une forme qu’il cause dans
cette matière. Donc la lumière de gloire est une forme surnaturelle mise en
nous par Dieu, mais elle est distincte de Dieu.
Solution 2 :
Ce texte signifie que dans la gloire,
nous ne verrons pas Dieu comme dans un miroir. La contemplation terrestre ne
peut se faire que par l’intermédiaire d’une image de Dieu. Jésus est par
excellence l’image de Dieu. La Vierge Marie et les saints sont, chacun à leur
manière, images de Jésus qu’ils ont imité par toute leur vie. C’est pourquoi
l’Apocalypse les compare à la lumière de la lune. Mais, dans la gloire, Dieu
sera vu dans son essence, directement et non à travers la vision d’une
créature. La lumière de gloire est nécessaire pour permettre cette vision
directe comme nous le montrerons dans l’article suivant. Quant à la communion
des saints, sa lumière ne sera pas étouffée par celle de Dieu mais elle
constituera un surcroît de rayonnements diversifiés, de la même manière que la
lumière se diversifie et prend mille teintes en passant dans un prisme.
Objection 1 :
Il semble que la lumière de gloire est
intermédiaire entre Dieu et l’intelligence. On l’a vu, l’intelligence est avec
Dieu dans le même rapport que l’œil avec une lumière trop vive. Or l’œil, pour
voir une telle lumière a besoin d’un intermédiaire qui tempère l’éclat de la
lumière.
Objection 2 :[472]
Quand une intelligence connaît en acte quelque chose, il faut toujours qu’elle
soit informée par la représentation en elle de cette chose, représentation
imprimée en elle, qui est le principe de l’opération qui s’achève dans l’objet,
comme la chaleur est le principe de l’échauffement. Si donc notre intelligence
connaît Dieu, cela doit se faire grâce à une similitude de lui qui informe
notre intelligence. Ce ne peut être l’essence divine elle-même puisque l’être
de la forme et de ce qu’elle informe est unique : or l’essence divine diffère
de notre intelligence selon son essence et selon son être. Ce ne peut être que
cette lumière de gloire qui est créée par Dieu et imprimée dans notre esprit.
Donc la lumière de gloire est intermédiaire entre Dieu et l’intelligence.
Cependant :
Denys écrit : « Si quelqu’un voit quelque chose qui vient de Dieu,
c’est qu’il ne voit pas Dieu même dans son essence »[473]. Donc la lumière créée ne
peut être un intermédiaire entre l’essence divine et l’intelligence.
Conclusion :[474]
Dans la vision corporelle et dans la vision intellectuelle, on
peut considérer trois sortes d’intermédiaires. 1° D’abord, l’intermédiaire
grâce auquel on voit : celui-là perfectionne la vue pour toute vision en
général, sans la déterminer à tel objet spécial ; telle est la lumière
corporelle pour la vue corporelle, et la lumière de l’intellect agent pour
l’intellect possible, en tant qu’intermédiaire. 2° Puis il y a l’intermédiaire
par lequel on voit : et c’est la forme visible, par laquelle chacune des deux
puissances visuelles est déterminée à tel objet spécial ; ainsi la forme de la
pierre fait voir la pierre. 3° Enfin, il y a l’intermédiaire dans lequel on
voit : c’est ce par la vue de quoi le regard est conduit à voir autre chose :
en regardant un miroir nous sommes conduits à y voir ce qu’il réfléchit, et en
voyant une image nous sommes conduits à ce qu’elle représente ; de même
l’intelligence, par sa connaissance de l’effet, est conduite à sa cause
inversement. Dans la vision béatifique, Il n’y aura pas ce troisième
intermédiaire, c’est-à-dire que Dieu serait connu par les images d’autre chose
comme ici-bas : c’est pourquoi on dit que nous voyons maintenant dans un
miroir. Il n’y a pas non plus le second intermédiaire parce que l’essence
divine sera elle-même ce par quoi notre intelligence verra Dieu. Nous aurons
seulement le premier intermédiaire, qui élèvera notre intelligence pour qu’elle
puisse être unie à la substance incréée, comme nous l’avons dit. Mais cet
intermédiaire ne permet pas de dire que la vision sera médiate : puisqu’il ne
se place pas entre le connaissant et la chose connue, mais il est ce qui donne
à celui qui connaît la puissance de connaître.
Solution 1 :
La lumière de gloire agira en rendant notre intelligence
"capable de voir la lumière trop vive" et non en cachant cette
lumière sous les voiles d’une créature.
Solution 2 :
Nous avons montré que c’est l’essence
divine qui informe directement l’intelligence béatifiée à la manière du concept
pour toute autre connaissance. La lumière de gloire ne peut en aucune manière
être un intermédiaire selon le troisième mode car alors Dieu ne serait pas vu
face à face.
Objection 1 :
Cela n’est pas possible. La lumière de gloire surélève
l’intelligence pour la rendre capable de saisir l’essence divine. Elle a donc
son siège dans l’intelligence. La grâce habituelle au contraire surélève l’âme
toute entière pour la rendre capable d’une vie surnaturelle. C’est pourquoi on
l’appelle un habitus entitatif car elle a son siège dans l’âme elle-même d’où
elle rejaillit sur les puissances.
Objection 2 :
La grâce habituelle surélève
l’âme et la rend capable de recevoir la foi, l’espérance, la charité et tous
les autres dons infusés par Dieu dans l’ordre de la vie surnaturelle. Or, dans
la patrie, la foi est remplacée par la vision, la charité est achevée dans
l’union et l’espérance disparaît pour laisser place à la possession de Dieu. Il
faut donc quelque chose de plus grand que la grâce habituelle car l’effet reçu
est plus grand.
Cependant :
Par la grâce habituelle, l’âme est
rendue capable de recevoir la vie surnaturelle imparfaite d’ici-bas. Par la
lumière de gloire, l’âme est rendue capable de recevoir la vie surnaturelle
parfaite du Ciel. Or l’imparfait et le parfait sont dans le même genre. Donc la
grâce habituelle et la lumière de gloire sont la même chose.
Conclusion :
Entre l’état de la grâce et celui de la gloire, il y a continuité
selon l’ordre de la puissance à l’acte. L’édifice spirituel tout entier tel
qu’il est ici-bas trouve sa pleine et totale réalisation dans la gloire. Mais
l’état de gloire trouve son fondement dans la vision directe de l’essence
Incréée, qui vient remplacer la connaissance partielle donnée par la foi. Son
premier effet est de faire disparaître toute espérance car on n’espère plus ce
qu’on sait posséder en plénitude. Quant à la charité elle s’épanouit dans
l’union effective qui est source de joie[475].
Après la résurrection, cette gloire s’étendra jusque dans la sensibilité et
dans le corps physique. C’est donc l’être tout entier qui est glorifié. Or la
lumière de gloire est nécessaire pour "élever l’âme et lui permettre de
voir Dieu et de jouir de lui dans la béatitude », selon les paroles du Concile
de Vienne[476], de
même que la grâce habituelle surélève l’âme dès cette terre pour lui permettre
de recevoir la foi, l’espérance et la charité. La grâce habituelle et la
lumière de gloire ont donc le même objet qui est l’élévation de l’âme au-dessus
de sa nature en vue de recevoir une participation à la vie divine. Elles sont
donc une seule et même chose mais la seconde réalise parfaitement ce que
l’autre ne fait que commencer.
Solution 1 :
On nomme souvent une réalité par ce qu’il y a de plus important en
elle. Or ce qu’il y a de principal dans la gloire, c’est la vision de l’essence
divine qui trouve son siège dans l’intelligence. C’est par appropriation qu’on
appelle la grâce habituelle de la gloire une lumière. On exprime ainsi son rôle
premier et principal, qui est de rendre l’intelligence apte à voir Dieu. Mais
le rôle de la lumière de gloire ne s’arrête pas là. La volonté aussi se trouve
surélevée et rendue capable de jouir de la béatitude divine. De plus, après la
résurrection, c’est le corps entier qui sera glorifie et élevé au-dessus de son
état actuel. La lumière de gloire agit donc sur plusieurs facultés humaines.
Étant donné qu’elle est antérieure aux puissances de l’âme, il faut que son
sujet soit antérieur aux puissances, c’est-à-dire l’essence de l’âme. Dans la
gloire, la grâce habituelle appelée lumière de gloire agit sur l’essence de
l’âme d’où son action découle sur les puissances à commencer par
l’intelligence.
Solution 2 :
Il n’est pas besoin de poser une
différence substantielle entre la grâce habituelle d’ici-bas et la lumière de
gloire parce que l’une a un effet moindre que l’autre. La grâce habituelle
infusée par Dieu dans notre âme dès cette terre ne peut agir selon toutes ses
potentialités non parce qu’elle serait imparfaite (car les œuvres de Dieu sont
toujours parfaites) mais à cause de l’état de voyageur dans lequel est plongée
notre nature humaine. Dès que cet état disparaît, au moment où Dieu nous plonge
dans l’éternité de sa vision, la grâce habituelle surélève l’âme avec toute la
puissance de sa potentialité, inondant notre intelligence de la lumière de
gloire qui émane d’elle à travers notre âme.
Nous abordons enfin la question des conditions demandées par Dieu
à l’homme pour qu’il se donne à sa vision. Douze points nous paraissent
importants à traiter, de manière à ne laisser subsister aucune ambiguïté. Pour
voir Dieu, est-il nécessaire et suffisant préalablement :
1° d’être doté de libre arbitre ?
2° de bonne volonté ?
3° de faire certaines actions humaines ?
4° d’être humble ?
5° d’être dans un état de kénose ?
6° La souffrance est-elle
nécessaire pour entrer dans la gloire ?
7° d’avoir la grâce ?
8° la foi ?
9° de croire explicitement le mystère du
Christ et de la Trinité ?
10° d’avoir l’espérance théologale ?
11° la charité ?
12° une charité parfaite ?
13° d’avoir reçu le baptême ?
14° La vision béatifique sera-t-elle donnée
en proportion de la charité ?
Objection 1 :
Les enfants baptisés entrent dans la gloire sans l’exercice de
leur libre arbitre, comme on le dit des Saints Innocents massacrés par Hérode.
Il semble donc que Dieu peut communiquer sa gloire sans l’exercice du libre
arbitre soit exigé.
Objection 2 :
C’est la même cause qui produit la glorification de l’âme
et la conserve. Saint Augustin dit, en effet, dans son commentaire de la
Genèse, que « l’homme doit se convertir à Dieu de telle sorte qu’il soit
justifié par lui sans cesse. » Mais la conservation de la vision de Dieu
s’opère sans le concours du libre arbitre. Donc l’entrée dans la vision peut
être accordée elle aussi sans l’intervention du libre arbitre.
Cependant :
Nous lisons dans saint Jean : « Quiconque a entendu l’enseignement
du Père et s’y est instruit vient à moi »[478].
Mais on ne s’instruit pas sans que le libre arbitre entre en action. Celui qui
s’instruit acquiesce à l’enseignement du maître. Donc personne n’entre dans la
vision de Dieu sans l’exercice de son libre arbitre. D’autre part, le Christ
compare lui-même la gloire à des noces. Or nul ne se marie validement sans
échanger son consentement. La lucidité et la liberté de ce consentement
constitue canoniquement la condition première de la validité du sacrement du
mariage.
Conclusion :
Notre réponse est oui, sans aucun doute. L’entrée dans la gloire
provient de l’action de Dieu qui introduit l’âme dans son intimité car, selon
saint Jean, c’est Dieu lui-même qui donne la grâce et la gloire. Or Dieu meut
tous les êtres selon la nature particulière de chacun d’eux. Dans le monde
physique, à titre d’exemple, nous voyons qu’il meut différemment les corps
lourds et les corps légers parce que leur nature n’est pas la même.
Pareillement, il dirige les hommes vers la gloire de sa vision suivant la
condition de la nature humaine. Mais le propre de l’homme, c’est d’être doué de
libre arbitre. D’où, quand il s’agit d’une nature qui a l’usage du libre
arbitre, l’impulsion que Dieu lui donne pour l’amener à la justification de la
grâce et à l’entrée dans la gloire qu’elle mérite, ne va pas sans le libre
arbitre. Dieu communique la vision de son essence de telle sorte qu’il meut en
même temps le libre arbitre à désirer ce don. Saint Jean[479]
décrit le cheminement de la vie spirituelle comme un acte humain libre : « Quiconque
a entendu l’enseignement du Père et s’y est instruit vient à moi. »
Solution 1 :
On pourrait objecter à cela le cas des petits enfants morts
baptisés et que la tradition chrétienne dans son ensemble considère comme
sauvés. Tel est le cas des saints innocents massacrés par Hérode. Il semble
donc que Dieu peut communiquer sa gloire sans que l’exercice du libre arbitre
soit exigé. Cependant, même les petits enfants morts avant d’avoir exercé leur
libre arbitre n’entrent pas dans la vision de l’essence divine sans que leur
libre arbitre ne s’exerce. La raison en est que l’entrée dans cette vision
présuppose un acte de charité qui ne peut exister sans liberté. Il est donc
nécessaire que Dieu supplée à l’incapacité naturelle de l’enfant. Pour cela, il
infuse dans son intelligence les conditions qui sont nécessaires à l’exercice
plénier du libre arbitre, d’une façon différente quoique qu’analogue par
certains aspects qu’il le fit pour les anges à l’instant de leur création. Nous
traiterons de leur cas plus tard à la lumière de l’apparition glorieuse du
Christ et des saints à l’heure de la mort.[480]
Solution 2 :
Dans le don de la gloire, il y a une
transformation de l’âme, c’est pourquoi un mouvement venant de l’âme humaine
est requis afin que cette âme soit mue selon sa nature. La conservation de
cette vision béatifique, au contraire, se fait sans transformation. Dès lors,
un mouvement de la part de l’âme ne s’impose pas, la seule continuation de
l’influx divin suffit.
Objection 1 :
Nous avons dit que la béatitude consiste essentiellement dans une
opération de l’intellect. Or la perfection de l’intellect n’exige pas la
rectitude de la volonté. Celle-ci fait appeler les hommes purs ; or Augustin,
dans ses Rétractations, écrit : « Je n’approuve pas ce que j’ai dit dans une
prière : O Dieu qui n’avez voulu faire connaître la vérité qu’aux âmes pures.
On peut en effet répondre que beaucoup, parmi ceux qui ne sont pas purs, connaissent
pourtant beaucoup de vérités. » Donc la droiture de la volonté n’est pas
requise pour la béatitude.
Objection 2 :
En outre, ce qui précède ne dépend pas de ce qui suit. Or
l’opération de l’intellect précède celle de la volonté : donc la béatitude,
opération parfaite de l’intellect, ne dépend pas de la rectitude de la volonté.
Objection 3 :
Au surplus, ce qui se rapporte à une
chose comme à sa fin n’est plus nécessaire après l’obtention de cette fin :
ainsi le navire une fois qu’on est au port. Mais la rectitude de la volonté,
qui est le fait de la vertu, se rapporte à la béatitude comme à sa fin : donc,
la béatitude obtenue, la rectitude de la volonté n’est plus nécessaire.
Cependant :
On lit dans l’Écriture : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car
ceux-là verront Dieu »[482]
; « Conservez la paix avec tous, et la sainteté, sans laquelle personne ne
verra le Seigneur. »
Conclusion :
Saint Thomas d’Aquin se pose
explicitement cette question. Il explique que la droiture de la volonté est
requise à titre d’antécédent et par concomitance.
A titre d’antécédent, car ce qui rend
droite la volonté, c’est son juste rapport avec la fin dernière. Ainsi, rien ne
peut atteindre une fin quelconque sans être dans un juste rapport avec elle.
Cette droiture est également requise par concomitance. Comme la béatitude
consiste dans la vision de Dieu et que Dieu est l’essence même du bien, il est
évident que la volonté de celui qui voit Dieu par essence aime tout ce qu’elle
aime par référence au bien général qu’elle connaît. Or c’est cela même qui rend
une volonté droite.
On le voit, saint Thomas d’Aquin entend
par volonté droite cette forme parfaite de droiture que donne l’orientation
explicite vers la vision de Dieu.
Cependant, et d’une manière plus actuelle, se pose la question de
cette autre forme de droiture, simplement humaine, que l’on constate chez tout
homme fidèle à ce que lui dicte sa conscience du bien et du mal. Cette bonne
volonté-là est-elle nécessaire ? Par exemple, l’homme qui avec une conscience
droite vit dans la recherche immédiate des plaisirs parce qu’il est sincèrement
persuadé que la vie terrestre se termine dans le néant, peut-il accéder au
salut ?[483] Il
faut remarquer que la conscience de cet homme n’est droite qu’en rapport avec
son intelligence préalablement déviée du vrai. Si cette intelligence n’est pas
elle-même déviée par une recherche égoïste présupposée, comme on le voit chez
un homme qui choisit d’être athée pour pouvoir jouir de sa liberté, alors il
est certain que lorsque l’intelligence sera remise dans la vérité, la volonté
elle-même gardera sa droiture et se tournera vers Dieu. La personne reconnaîtra
simplement son erreur et saura en tirer les conséquences par une sincère
conversion. Dieu qui lit dans les âmes connaît la droiture de cette volonté.
Mais il sait aussi qu’une vie menée par athéisme dans l’égoïsme produit
elle-même des fruits d’égoïsme. Pour éviter que par l’entraînement de
l’habitude, l’homme ne se complaise totalement dans ce danger, Dieu a façonné
la nature humaine de telle façon qu’elle produise des fruits amers, selon le
livre de la Sagesse : « Mais Dieu a mis un piège devant les pas de l’Impie. »
En conséquence, on doit dire que la droiture de la volonté est
certainement nécessaire pour entrer dans la gloire à titre de disposition car
l’homme qui agit ainsi ne peut agir autrement lorsqu’il se trouve confronté au
bien par essence qu’est Dieu. Sa fidélité à la recherche d’un bien participé le
dispose favorablement à reconnaître et rechercher le bien absolu lorsqu’il le
connaît. Cependant, cette bonne volonté nécessaire ne peut être suffisante
puisqu’elle ne proportionne pas directement l’homme dans une recherche du bien
absolu qui est Dieu.
Solution 1 :
Ce que dit saint Augustin ne peut infirmer notre conclusion, car
il parle en ce passage de la connaissance d’une vérité qui n’est pas en même
temps l’essence de la bonté.
Solution 2 :
On dit avec raison que tout acte de volonté procède de quelque
acte d’intelligence ; mais il ne s’ensuit point que tel acte de volonté ne
précède pas tel acte d’intelligence. C’est ainsi que la volonté tend vers cet
acte dernier de l’intelligence qui est la béatitude même. D’où il suit que la
rectitude de la volonté est pré exigée à la béatitude comme à la flèche une
trajectoire correcte pour que le but soit frappé.
Solution 3 :
On prétend que la fin obtenue, cette
condition n’est plus nécessaire. Mais tout ce qui a rapport à une fin ne cesse
pas d’exister en présence de cette fin ; cela seulement disparaît qui a un
caractère d’inachèvement et d’imperfection comme le mouvement. C’est pourquoi,
tout ce qui ne sert qu’au mouvement n’a plus de raison d’être une fois qu’on
est arrivé au terme (la foi par exemple, remplacée par la vision) ; mais un
juste rapport à l’égard de ce terme est toujours nécessaire.
Objection 1 :
D’après Luther, la foi seule, même si elle reste passive, sauve.
C’est donc qu’aucune œuvre bonne n’est nécessaire pour entrer dans la gloire.
Objection 2 :
Il semble superflu que des actions humaines interviennent comme
condition pour que la béatitude soit conférée à l’homme par Dieu. En effet,
Dieu étant un agent d’une puissance infinie, il n’a pas besoin, pour son action,
d’une matière préalable ou de dispositions de cette matière ; il peut tout
produire à la fois. Or, puisque les œuvres de l’homme ne sont pas requises pour
la béatitude au titre de causes efficientes, ainsi que nous l’avons montré,
elles n’y peuvent intervenir qu’à titre de dispositions. Donc Dieu, qui n’a pas
besoin de dispositions pour agir, doit conférer la béatitude sans œuvres
préalables.
Objection 3 :
Au surplus, Dieu produit immédiatement la béatitude comme il a
institué immédiatement la nature. Or dans la première institution de la nature,
Dieu a produit les créatures sans aucune disposition antérieure, sans aucune
action d’un agent créé, mais a posé aussitôt chaque être parfait dans son
espèce. II semble donc que de la même manière Dieu confère à l’homme la
béatitude sans aucune opération préalable.
Objection 4 :
N’est-ce pas ce qu’affirme l’Apôtre quand il parle de la béatitude
de l’homme[485] « à
qui Dieu impute la justice indépendamment des œuvres » ?
Cependant :
On lit dans saint Jean : « Bienheureux serez-vous si, sachant ces
choses, vous les faites »[486].
C’est donc par l’action que nous parvenons à la béatitude.
Conclusion :
Nous avons dit déjà que la droiture de la volonté est nécessaire à
la béatitude, n’étant autre chose qu’une juste disposition de la volonté
dirigée vers la fin dernière, disposition qui n’est pas moins nécessaire à
cette fin que la bonne disposition de la matière à la réception de la forme. À
vrai dire, il n’est pas prouvé par là qu’une certaine activité de l’homme doive
précéder sa béatitude ; Car Dieu pourrait créer du même coup une volonté
orientée vers sa fin et en possession de cette fin, comme il dispose parfois la
matière en même temps qu’il lui donne sa forme. Mais l’ordre de la divine
sagesse exige qu’il n’en soit pas ainsi. En effet, comme il est dit au Livre du
Ciel[487],
« parmi les êtres qui sont aptes à posséder le bien parfait, il en est qui
l’ont sans aucun mouvement, d’autres d’un seul mouvement, d’autres au moyen de
plusieurs », et posséder le bien parfait sans aucun mouvement appartient à
celui qui le possède par nature. Or posséder la béatitude naturellement est le
fait de Dieu seul. À lui seul donc il appartient de n’y être pas conduit par
quelque opération antérieure. Au contraire, la béatitude excédant toute nature
créée, il n’est aucune pure créature qui puisse convenablement recevoir la
béatitude sans un mouvement d’activité par lequel elle y tend. Seulement,
l’ange étant par sa nature supérieur à l’homme, il a, selon l’ordre de la
sagesse divine acquis le bien suprême par un seul mouvement d’activité
méritoire, comme on l’a exposé dans la Première Partie. Les hommes l’obtiennent
par de multiples mouvements d’activité de charité qu’on appelle leurs mérites.
Aussi, aux yeux du Philosophe lui-même, la béatitude est-elle la récompense des
actes vertueux.
Solution 1 :
De manière concrète, l’entrée dans la béatitude et son acte
lui-même ne se fait donc pas de manière passive, comme le pensait Luther pour
qui la liberté humaine avait été totalement détruite par le péché originel. Au
contraire, lorsque Dieu prend l’initiative de proposer son amour et sa lumière
à sa créature, il lui demande de se tourner à son tour vers lui librement,
telle une épouse. Il y a donc dans l’acte de la grâce et de la gloire une
donation active et réciproque. Dieu prend l’initiative de donner la foi et de
proposer l’amour. Mais c’est à l’homme de répondre par l’amour à l’amour. À
l’actif de Luther, on peut dire qu’il refusait comme nécessité au salut
certaines œuvres extérieures de piété, comme des prières récitées et d’autres
pratiques dévotes. S’il ne s’agit que de ces œuvres-là, il est évident qu’elles
ne sont pas nécessaires au salut. Elles constituent des aides adaptées à la
sensibilité de certains.
Solution 2 :
On invoque à tort la toute puissance de Dieu pour suppléer à nos
actes ; car si l’action de l’homme est pré-exigée à l’acquisition de la
béatitude, ce n’est point que le pouvoir béatifiant manque à Dieu, c’est pour
que l’ordre soit observé dans les choses.
Solution 3 :
Certes Dieu a produit les premières créatures de chaque espèce
aussitôt parfaites, c’est-à-dire qu’il a posé les premiers individus des
espèces, par où la nature spécifique passerait à leurs descendants. Cependant,
cela ne veut pas dire qu’il ne prépare pas l’émergence des espèces nouvelles
par une disposition dans les espèces précédentes. Tout indique qu’il le fait
comme par exemple le fait que dans les vivants supérieurs, on retrouve tout ou
partie du chiffre biologique des espèces inférieures.
Dieu agit comme[488]
« un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux. »
Et de même, lorsque Dieu donne la vision de son essence, il la
donne parfaitement dès le départ ce qui ne veut pas dire que certains actes
humains n’y ont pas disposé. Il existe une seule exception, c’est celle de
l’humanité du Christ mais son cas est irréductible à celui des autres hommes
car le Christ est la personne du Verbe, c’est-à-dire Dieu. C’est pourquoi son
âme, dès le premier instant de sa conception et sans aucune œuvre méritoire antérieure,
a été bienheureuse. Mais cela n’appartient qu’à lui seul. Chez les enfants
même, quand on les baptise, les mérites du Christ concourent à l’octroi de la
grâce sanctifiante, mais s’ils meurent, ils n’entre pas dans la Vision sans un
acte humain de coopération comme nous le verrons.
Solution 4 :
Quant aux paroles de saint Paul,
l’Apôtre y évoque la béatitude de l’espérance, qui est communiquée au chrétien
par la grâce qui le justifie. Que si cette grâce n’est pas donnée en raison des
œuvres qui précèdent, c’est qu’elle n’a pas le caractère d’un terme de
mouvement, comme la béatitude, mais est plutôt le principe du mouvement par
lequel on tend vers cette béatitude.
Objection 1 :
Il ne semble pas. L’humilité nous enseigne à ne pas désirer ce qui
nous dépasse. Or la vision béatifique dépasse grandement notre capacité
humaine. L’humilité risque donc de nous pousser à nous détourner de l’espérance
de la vision béatifique. Elle doit donc être rejetée.
Objection 2 :
L’humilité met l’homme devant la grandeur de Dieu et lui manifeste
au contraire sa petitesse. Si donc l’humilité est nécessaire au salut, ceux qui
ne connaissent pas Dieu ne peuvent avoir cette vertu. Ils ne peuvent donc être
sauvés.
Objection 3 :
Ce n’est pas l’humilité qui est demandée
à la créature pour entrer dans la vision béatifique mais quelque chose de plus
absolu. En effet, la révélation semble indiquer l’existence, dans la vie
trinitaire du Dieu tout-puissant, une forme d’effacement total des trois
personnes, l’une devant l’autre. Sans cesse, le Père, le Fils et le Saint
Esprit se donnent à l’autre. Chacune des personnes de la Trinité met l’autre en
avant, s’efface devant la contemplation et l’amour de sa grandeur. Dieu est
ainsi et nul ne peut le changer. Révélée par le Verbe fait chair, cette
propriété intérieure de Dieu est appelée "kénose". Ce n’est donc pas
de l’humilité mais une forme d’anéantissement personnel qui est exigé pour être
conforme à Dieu et pour entrer dans sa communion.
Cependant :
Dans les Écritures saintes, le Seigneur ne cesse de rappeler
l’importance que revêt à ses yeux la vertu d’humilité : il nous enseigne à
l’imiter sur cette voie. « Apprenez de moi que je suis doux et humble de
cœur »[490]. Il
proclame : « heureux ceux qui ont une âme de pauvre car le Royaume de
Dieu est à eux »[491].
Saint Pierre confirme ces paroles : « Revêtez-vous d’humilité dans vos rapports
mutuels car Dieu résiste aux orgueilleux »[492].
On pourrait multiplier les citations et toutes aboutissent à cette conclusion :
nul n’entre dans la gloire s’il n’est humble.
Conclusion :
Il reste à savoir quel genre d’humilité
est nécessaire et suffisante. L’humilité est une disposition intérieure dont le
caractère est de situer l’homme à sa place devant l’autre quel qu’il soit. Elle
est une attitude liée à la vérité qui amène à se situer exactement dans l’axe
de ce que nous sommes, ni trop haut (ce serait l’orgueil), ni trop bas (le
complexe d’infériorité est la caricature de l’humilité). Cette vertu peut
naître de multiples manières, non seulement chez le chrétien mais dans tout
homme doté d’une volonté droite. Ainsi, dans son regard sur l’immensité de
l’univers, la complexité et l’ordre de la matière, le scientifique peut
acquérir une véritable humilité qui se transforme en admiration étonnée devant
ce qui le dépasse ; mais c’est aussi l’humilité qui lui fait découvrir que son
propre être vaut plus que l’univers entier. De même, le philosophe confronté à
l’être dont il perçoit quelques aspects de la vérité mais dont il discerne
aussi l’infinie supériorité sur sa pauvre connaissance, peut devenir un homme
humble ; encore faut-il qu’il soit un vrai philosophe, c’est-à-dire un homme
soumis au réel.
Autre niveau d’humilité : chaque homme
confronté à son frère peut découvrir à la fois sa propre grandeur et l’absolu
dépassement du mystère de l’autre. Lorsque apparaît l’amitié, l’homme est
appelé à découvrir une forme d’humilité qui n’est plus spéculative mais
pratique. En effet, l’amitié n’est possible que dans un don mutuel auquel
s’oppose radicalement toute volonté de dominer l’autre. L’orgueil est une faute
mortelle à l’amitié puisqu’il s’attaque directement à cette forme de dépendance
qui fonde l’amour de l’autre. De même, dans la contemplation philosophique qui
aboutit à la découverte de Dieu comme Créateur et grand horloger de l’univers,
il peut apparaître une nouvelle forme d’humilité contemplative et pratique
-l’acte d’adoration- sans commune mesure avec les formes jusqu’ici décrites. Mais
lorsque l’homme découvre que le Dieu infini et tout-puissant dont il sait dans
son humilité n’être qu’une créature limitée, propose son amitié à travers le
cœur à cœur de l’oraison et, pour après cette vie, la vision de son être, il
est évident qu’il peut apparaître une nouvelle humilité contemplative et
pratique, analogue à celle qu’on voit naître dans l’amitié humaine, mais
infiniment plus profonde tant est infiniment supérieure la grandeur du Dieu qui
se donne ainsi.
De toutes ces considérations, on peut conclure que toute forme
d’humilité est une disposition à l’entrée dans la gloire, non qu’elle la mérite
directement puisque seul l’amour réciproque de charité mérite un tel mariage,
mais parce qu’elle écarte un obstacle mortel à l’amour spirituel : l’orgueil
et, à sa source, l’amour égoïste de soi. C’est pourquoi le Christ recommande
particulièrement à ses disciples cette forme d’humilité suprême qui vient avec
la charité. C’est pourquoi aussi tout ce qui dans le monde provoque dans les
hommes, chrétiens ou non, un progrès de l’humilité dans ses autres formes est
voulu par Dieu : Les diverses religions parce qu’elles adorent "un Autre
plus grand que l’homme" [493],
les sciences soumises à la recherche du vrai, les amitiés respectueuses de
l’autre, les souffrances qui montrent à l’homme sa vraie dimension et même la
mort physique qui, depuis le péché originel est un puissant vecteur de
petitesse.
Solution 1 :
« Prétendre à quelque chose de grand en comptant sur ses
propres forces est contraire à l’humilité mais il en va tout autrement si l’on
compte sur le secours de Dieu qui exalte dans la mesure où l’on s’abaisse
devant lui. Autre chose, dit saint Augustin, est s’élever vers Dieu, et autre
chose s’élever contre Dieu »[494].
Solution 2 :
L’humilité trouve sa perfection dans la comparaison que peut faire
l’homme entre sa nature limitée et la grandeur de Dieu. Ce rapport avec Dieu
n’est pas essentiel à l’existence de cette vertu, au moins dans son existence
partielle. Elle peut s’appuyer sur la simple connaissance de notre faiblesse,
sans référence à autre chose qu’à l’univers, nous-mêmes et aux autres. Elle
peut donc exister même chez les païens comme directrice et modératrice de
certains actes de la volonté. Elle peut donc constituer même chez ceux qui ne
connaissent pas Dieu une disposition à la communication future de la grâce puis
de la gloire, disposition qui a Dieu lui-même comme cause première ainsi que
cela a été dit[495].
Cette réalité est d’ailleurs essentielle pour comprendre la manière dont Dieu
procède pour disposer efficacement au salut les athées, les pécheurs, les
païens ou les infidèles. La vie terrestre est ainsi faite qu’il est difficile
d’en sortir sans avoir appris par quelque voie, un commencement d’humilité sur
lequel viendra se greffer la charité.
Solution 3 :
La vertu d’humilité, quoique nécessaire, n’est pas suffisante.
Comme le montrera l’article suivant, il existe une nécessité d’annihilation de
soi -de kénose- à la fois dans la nature divine, et par conséquent, dans la
créature qui s’unit à elle.
Objection 1 :
Il ne semble pas. Dieu a créé l’homme pour
qu’il agisse selon sa nature, c’est-à-dire comme une personne libre. Un
anéantissement intérieur du moi (kénose) serait donc contraire à la nature
humaine et constituerait une demande non conforme à la sagesse de Dieu.
Objection
2 :
Si Dieu lui-même s’abaisse au dessous de
sa condition et s’il exige de l’homme le même genre d’abaissement, c’est que
Dieu commande autre chose que la vertu d’humilité, qui est, au sens biblique le
fait d’être soi-même. Or, commander un acte contraire à une vertu, c’est
commander un vice.
Cependant
:
«
Mais,
dit Dieu, tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. »
Exode 33, 20.
« En vérité, en vérité, je vous le dis,
si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s'il
meurt, il porte beaucoup de fruit. » Jean 12, 24.
Conclusion
:
La nécessité de cette "kénose" de
tout ce qui s’approche de la Vision de Dieu vient de la nature propre de la vie
trinitaire. Sans cesse, le Père, le Fils et le Saint Esprit se donnent à
l’autre. Chacune des personnes de la Trinité met l’autre en avant, s’efface
devant la contemplation et l’amour de sa grandeur. Cette vie trinitaire, ce don
mutuel total, rayonne au point de constituer l’Être même de Dieu. Dieu est
ainsi et nul ne peut le changer.
Certains théologiens, tout en admettant le
mystère de cette kénose interne à la Trinité, nient que Dieu puisse être, en
conséquence, dans une attitude d’anéantissement de lui-même devant les
créatures, lui qui est le Tout-puissant. Mais la Révélation évangélique montre qu’ils
ont tort plus encore qu’ils ne le pensent. Dieu s’abaisse jusqu’à "la
folie" selon l’expression de saint Paul[497]
et nul concept tiré des analogies naturelles ne peut exprimer cette réalité. Au
plan philosophique, le terme d’humilité ne peut convenir. Elle est en effet une
certaine vérité qui fait que chacun se situe à sa juste place. Selon cette
définition, Dieu étant l’infinie perfection de toutes les vertus, il est humble
lorsqu’il dit : « Les hommes sont néant devant moi puisque leur être trouve sa
cause en moi." La théologie des musulmans est, à cet égard, très juste et
précise. Pourtant l’Évangile propose une révélation complémentaire : Dieu, tout
en reconnaissant sa supériorité de nature, considère la personne de l’homme
comme plus grande que sa propre personne au point de s’abaisser non seulement à
devenir homme mais à perdre apparence humaine… Ce n’est plus de l’humilité,
c’est de la "kénose" et, selon saint Paul, la folie de la croix. Un
texte le confirme, dans l’évangile de Jean[498] :
« Je suis le maître et le Seigneur », dit Jésus à Pierre, manifestant de
l’humilité. "Si donc je vous
ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous
laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné,
pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous." Ce
jour-là, au grand scandale de Pierre, Jésus révéla aux hommes l’autre mystère
du cœur de Dieu, outre son amour, sa "kénose. » "Lui, de condition
divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il
s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux
hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant
jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix ! »[499]
Il est certain que cette Révélation
nouvelle ne concerne pas seulement l’humanité du Christ mais sa divinité selon
Jésus : « Qui m’a vu a vu le Père. » En conséquence, Dieu étant ce qu’il
est, ce n’est pas une simple humilité qui est nécessaire à l’ange ou à l’homme
pour entrer dans la Vision de Dieu mais une forme absolue de kénose,
d’anéantissement de soi-même. Cette exigence, impossible à acquérir de la part
de l’homme selon ses propres forces, est possible à Dieu à travers les
purgatoires successifs, comme nous le verrons.
Solution
1 :
Puisque la vision béatifique est le don
ultime d’un amour réciproque et choisi, elle présuppose de la part de Dieu
comme de l’homme un abaissement réciproque seul capable de fonder cet amour. De
la part de Dieu puisqu’il s’abaisse en s’unissant dans l’amour à un être de
nature inférieure ; de la part de l’homme puisqu’il doit voir un être dont la
profonde petitesse ne peut être saisie que par une vertu ressemblante. En
effet, puisque Dieu est par nature « kénose », il va de soi qu’un ange ou
un homme non conformés intérieurement à cette kénose ne peuvent rien saisir de
l’essence de Dieu.
Solution
2 :
Humilité et kénose peuvent coexister sans
contrariété et conjointement car leur raison formelle n’est pas identique.
Ainsi, Dieu est humble en tant qu’il est et se proclame infini et tout-puissant
devant l’homme ; il est "kénose" en tant qu’il considère l’homme
comme plus important que lui-même.
A l’argument Cependant : il faut répondre
qu’il existe une possibilité de contresens dans cette parole de Dieu : « Nul ne
peut voir Dieu et vivre. » Sous le terme vivre, il faut entendre ici le refus
possible de cette kénose intérieure et spirituelle dont nous parlons. En ce
sens, en enfer, les damnés "vivent. » Au contraire, dans la Vision
béatifique, les saints sont "morts à eux-mêmes. »
Objection
1 :
«
Par
la croix, le salut est entré dans le monde », chante-t-on le vendredi Saint. La
croix, c’est-à-dire la souffrance, est nécessaire pour entrer dans la gloire.
Objection
2 :
La moindre humilité et le moindre amour de
charité méritent la vie éternelle puisque Dieu ne se refuse jamais à celui qui
l’aime. Or l’humilité et l’amour peuvent exister sans l’expérience de la
souffrance.
Objection
3 :
La souffrance est un mal. Nul ne peut la
désirer sans être présomptueux. Lui donner une valeur quelconque, même
éducative, n’est-ce pas en faire un bien et faire tomber les croyants dans un
risque de déviation morbide ?
Cependant
:
Adam et Ève, qui avaient été placés sur
terre pour la durée d’une vie sans souffrance, avaient reçu la promesse de la
vision béatifique. Donc la souffrance n’est pas nécessaire à l’entrée au
paradis.
Conclusion
:
Peu de religions donnent une explication
de la souffrance. L’islam appelle à la confiance et promet l’explication pour
l’au-delà. L’hindouisme et le bouddhisme donnent une véritable explication,
mais de type philosophique et panthéiste. Quant au catholicisme et à
l’orthodoxie, à la différence des Églises protestantes, ils proposent au niveau
de leurs saints ou de son Magistère une théologie unifiée. Elle est une
conséquence ultime du fondement de la foi. La théologie catholique est une
"science" en ce sens qu’elle est logique. Elle tire de quelques
principes simples la totalité de sa compréhension. Pour comprendre (ce qui ne
signifie pas tout comprendre), il suffit donc de saisir ces principes. Autre
chose est de croire à ces principes.
La Bonne Nouvelle est, par son contenu, le
principe de toute la théologie chrétienne. "Dieu propose à l’homme la
vision de son Être éternel. Il ne peut se donner qu’à ceux qui l’aiment car,
par essence, deux qualités du cœur résument sa vie : l’abaissement de soi et
l’amour. Sans cesse, le Père exalte le Fils parce qu’il l’aime. Cet abaissement
et cet amour sont infinis dans toutes les directions des relations trinitaires.
»
Pour s’unir à Dieu, il y a donc des
conditions. On ne peut voir Dieu face à face que si on l’épouse librement,
comme dans un mariage d’amour. Et, pour l’épouser, il faut devenir semblable à
lui. Nul ne peut voir Dieu s’il ne devient, comme Dieu, mais à son niveau de
créature, tout abaissement et tout amour. "Nul ne peut voir Dieu sans
mourir à soi-même. » Il ne s’agit pas de n’importe quel abaissement, ni de
n’importe quel amour. La moindre trace d’orgueil ou d’égoïsme rend impossible
car contradictoire le mariage avec Dieu. Dans ces conditions, il est impossible
d’entrer dans la Vision. Elle serait vide de toute compréhension.
Concrètement, il est possible d’atteindre
la kénose sans la souffrance. Une méditation profonde et fréquente sur ce qu’est
l’homme peut rendre un individu dans sa vraie dimension. Il est aussi possible,
à cause conséquences du péché originel (le foyer du péché), de découvrir sa
propre misère : « Le juste pèche sept fois par jour"[500].
Mais la souffrance, lorsqu’elle vient arracher à l’homme un bien où il repose
sa volonté, possède un pouvoir unique, celui de faire découvrir de manière
expérimentale et totale son propre néant. La vieillesse, la maladie et la mort,
en particulier, ont ce pouvoir unique puisqu’elles viennent briser l’unité de
l’être, mais aussi la perte de ce qui détermine la volonté selon cette parole
de Jésus [501] :
« Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur. »
En conséquence, on doit dire que la
souffrance n’est pas nécessaire de manière absolue pour entrer dans la gloire.
Mais, en tant qu’elle est capable de faire toucher de manière très profonde à
l’homme sa petitesse, elle a le pouvoir de produire de manière unique cette
disposition à la kénose qui s’appelle l’humilité.
Solution
1 :
Ce n’est pas la souffrance qui nous vaut
la rédemption, mais l’abaissement de soi et la charité qui sont la synthèse de
toutes les vertus. La souffrance n’a de valeur dans la rédemption qu’en
fonction de la kénose et de l’amour qu’elle produit. Elle a donc une grande
valeur parce qu’elle a, la plupart du temps, le pouvoir de produire (même avant
l’arrivée de la grâce sanctifiante) une humilité sans commune mesure avec
toutes les autres formes d’humilité. Ce pouvoir de la souffrance est démontré
dans l’épître aux Hébreux, même chez le Christ dont l’humilité et l’amour
étaient déjà parfaits[502] :
« Tout Fils qu’il était, le Christ apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance ;
après avoir été rendu parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent
principe de salut éternel. »
Solution
2 :
Nous le verrons[503],
la mesure de l’union à Dieu dans la vision béatifique est l’intensité du désir
de Dieu. Ce désir est directement le fruit de la charité et indirectement celui
de l’humilité, puisque c’est dans l’humilité que l’amour peut naître sans
obstacles. Mais il est impossible sans la souffrance de devenir tout humble
(kénose) et tout amour, dans la mesure voulue par Dieu. Cette mesure est
décrite dans les évangiles à travers la vie et les actes de Jésus. Qui peut se
targuer d’être humble (kénose) et aimant au point d’être capable de donner sa
vie pour autrui, surtout s’il s’agit d’un ennemi ? Ceux qui ont mis à mort le
Christ et qui se moquent de lui, il les aime au point qu’il les accueille à
l’heure de leur mort et leur propose la vie éternelle.
Pour approfondir l’humilité de l’homme, la
méthode de Dieu consiste à le faire passer par la vie terrestre, puis, si
nécessaire, par les cinq autres purgatoires de l’autre monde[504].
Cette vie est, on le constate, obligatoirement marquée par la souffrance
puisqu’elle est fragile, dépendante des aléas du hasard et qu’elle s’achève par
la mort. De plus, l’existence de Dieu et d’une survie après la mort peuvent y
être mises en doute. Le silence de Dieu et du Ciel est une des épreuves les
plus étonnantes de la terre. Beaucoup d’ailleurs en concluent non sans un
certain bon sens : « Dieu ne peut exister et être amour. Le monde ne serait pas
ainsi. »
Pourtant, si l’on étudie avec attention
les écrits de la plupart des théologiens canonisés par l’Église, la vie
terrestre et ses souffrances s’expliquent justement par le mystère de la
Trinité.
L’humanité entière peut être comparée au
Golgotha, c’est-à-dire à la colline du calvaire où fut crucifié Jésus avec deux
bandits. Une partie de nous (la partie orgueilleuse et égoïste) est représentée
par le mauvais larron. Il blasphème et insulte pour sa souffrance. Il meurt
comme les autres et, en mourant, il touche du doigt la misère de ce qu’il et
vraiment. Cette humiliation a des chances de créer en lui un peu d’humilité, ce
qui est déjà un premier pas vers le salut, tel que nous l’avons exposé plus
haut. Le bon larron représente ce qui est droit en nous. En effet, il est déjà
juste : « Je paye pour ce que j’ai fait. C’est justice. » Dans sa souffrance,
il se tourne vers Dieu et appelle un salut, malgré son péché. Il est humble. Il
désire la vie. Il l’aura certainement juste après sa mort, lui promet Jésus.
Quant à Jésus, il représente les saints, c’est-à-dire ceux qui savent qu’il n’y
a qu’un seul commandement : « aimer Dieu et le prochain » et qui
s’efforcent d’en vivre. Eux s’efforcent de faire de leur vie un acte d’offrande
pour cet amour.
Solution
3 :
La souffrance est un mal mais son effet
peut être un bien, affirme Jean-Paul II[505].
La souffrance, même quand elle n’est pas acceptée, a pour le moins comme effet
l’humiliation de l’orgueil. Elle peut creuser le cœur dans le sens de
l’humilité (kénose) (je ne suis rien) et du désir (désespéré parfois) d’un
amour qui sauve. Cette analyse permet de comprendre beaucoup d’enseignements de
Jésus :
« Les prostitués et les pécheurs
devancent les prêtres dans le Royaume de Dieu [506] ».
C’est ainsi car les prostituées, humiliées dans leur féminité par la vie et par
leurs clients, sont plus disposées à développer l’humilité (kénose) qu’un
prêtre reconnu universellement comme un homme bien[507].
« Beaucoup de premiers seront derniers, et
de derniers seront premiers[508] »
pour la même raison. Il est difficile, quand on reçoit la gloire ici-bas, de
comprendre qu’on n’est pas grand chose.
« Il est plus difficile à un riche
d’entrer dans le Royaume de Dieu qu’à un chameau de passer dans le trou d’une
aiguille »[509].
Aux yeux de Jésus, un riche se comprend comme un riche au point de vue du cœur.
La richesse matérielle, le pouvoir, dans la mesure où ils rendent arrogants,
sont un danger pour la vie éternelle. En fin de compte, un enfant mort
abandonné est mieux disposé à l’humilité (kénose) qu’un riche homme d’affaire[510].
A l’objection citée en « cependant »,
il faut répondre : Trois niveaux d’humilité peuvent être distingués : 1°
"L’humilité en parole. » Elle est présente chez celui qui, sans en vivre,
a intellectuellement compris qu’il faut être humble (kénose) pour être sauvé.
Il s’agit d’une humilité théorique mais non d’une humilité vécue. Elle est par exemple
le lot des enseignants de la parole de Dieu.
2° « L’humilité
en pensée. » Elle est présente chez celui qui a intellectuellement compris
qu’il n’était rien. Elle peut être acquise à travers une vie de méditation
scientifique, philosophique ou religieuse. Elle ne nécessite pas d’avoir
souffert.
3° « L’humilité
(kénose) en acte. » Elle est le fait de celui qui n’est plus rien, en acte.
Cette humilité ne peut être, semble-t-il, acquise sans la souffrance, même pour
la personne du Christ ou pour la Vierge Immaculée, selon la parole de l’Epître
aux Hébreux 5, 8. Seule la deuxième forme d’humilité est nécessaire pour voir
Dieu. Mais la troisième est tellement plus profonde que l’Église chante dans sa
liturgie de la semaine Sainte à propos de la faute d’Adam et Ève : « Bienheureuse
faute qui nous valut un tel salut. »
Objection 1 :
L’homme mérite devant Dieu, ainsi que nous l’avons dit, le bien
pour lequel Dieu l’a fait. Mais par sa nature l’homme est tourné vers la
béatitude comme vers sa fin. C’est pourquoi, même naturellement, il désire être
bienheureux. Donc par ses moyens naturels et sans la grâce il peut mériter la
béatitude qui est la vie éternelle.
Objection 2 :
Moins une œuvre est due, plus elle est méritoire. Or une bonne
action accomplie par celui qui a été moins favorisé est moins due. S’il en est
ainsi, celui qui ne possède que les biens naturels ayant été moins favorisé de
Dieu que celui qui a reçu en plus les dons gratuits, ses œuvres seront,
semble-t-il, plus méritoires devant Dieu. Si donc celui qui possède la grâce
peut d’une certaine façon mériter la vie éternelle, à bien plus forte raison,
celui qui ne la possède pas.
Objection 3 :
La miséricorde et la libéralité de Dieu
dépassent infiniment la miséricorde et la libéralité humaines. Or un homme peut
mériter aux yeux d’un autre même quand il n’a jamais eu auparavant ses bonnes
grâces. II semble donc qu’à bien plus forte raison on puisse sans la grâce
mériter devant Dieu la vie éternelle.
Cependant :
L’Apôtre dit dans l’épître aux Romains[512]
: « La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle. »
Conclusion[513]
: L’homme sans la grâce, nous l’avons déjà noté, peut être considéré dans deux
états différents : l’état de nature intègre qui fut celui d’Adam avant sa faute
et l’état de nature corrompue qui est le nôtre avant la restauration par la
grâce. Si nous parlons de l’homme dans le premier de ces états, la raison qui
fait qu’il ne peut mériter la vie éternelle, lorsqu’il est réduit à ses ressources
naturelles et sans la grâce, c’est que le mérite de l’homme dépend de l’ordre
préalablement établi par Dieu. Et d’après cet ordre établi par Dieu, l’acte
d’un être ne tend jamais vers un objet sans proportion avec la force active qui
est le principe de cet acte. C’est une loi de la divine Providence que rien
n’agisse au delà de son pouvoir. Or la vie éternelle est un bien sans
proportion avec la portée de la nature créée ; puisque même elle dépasse sa
pensée et son désir selon la parole de la première épître aux Corinthiens : « Ni
l’œil de l’homme n’a vu, ni son oreille n’a entendu, ni il n’est entré dans son
cœur. » De là vient qu’aucune nature créée n’est le principe suffisant d’un
acte qui mérite la vie éternelle, à moins qu’un don surnaturel ne lui soit
ajouté ; et ce don nous l’appelons la grâce. Si maintenant c’est l’homme soumis
au joug du péché que nous considérons, à cette raison que nous venons de donner
s’en ajoute une seconde : l’obstacle du péché. En effet, le péché est une
offense faite à Dieu, laquelle nous exclut de la vie éternelle, comme il
ressort de notre exposé à ce sujet. Dès lors. Nul homme en état de péché ne
peut mériter la vie éternelle à moins qu’il ne soit réconcilié avec Dieu et que
son péché ne soit effacé ; or c’est la grâce qui produit ce résultat. Ce qui
est dû en effet, au pécheur ce n’est pas la vie mais la mort, comme l’enseigne
l’épître aux Romains[514]
: « Le salaire du péché, c’est la mort. »
Solution 1 :
Sans doute Dieu a donné pour fin à la nature humaine la vie éternelle.
Il existe un désir naturel de voir Dieu puisque l’intelligence se porte
naturellement vers ce qu’elle sait être cause de tout. Cependant, se désir
naturel tend vers l’inaccessible car la Cause en question est sans commune
mesure avec la nature limitées de l’esprit créé. Pour l’obtenir, ce désir
naturel doit donc être surélevé, non pas par ses propres forces, mais avec le
secours de la grâce. Et c’est de cette façon que son acte peut mériter la vie
éternelle.
Solution 2 :
L’homme sans la grâce ne peut produire une œuvre égale à celle qui
procède de la grâce, parce que plus le principe de l’action est parfait, plus
l’action elle-même est parfaite. Or l’argument proposé n’aurait été admissible,
que si nous nous étions trouvés en présence d’œuvres égales de part et d’autre.
Solution 3 :
Si nous considérons l’objection à la lumière de la première raison
invoquée dans notre conclusion, aucune assimilation n’est possible entre Dieu
et l’homme. Car l’homme tient de Dieu tout le pouvoir qu’il a de faire du bien
; tandis qu’il ne tient en rien ce pouvoir d’un autre homme. C’est pourquoi
l’homme ne peut avoir quelque mérite auprès de Dieu qu’en vertu d’un don de
Dieu ; l’Apôtre nous le fait entendre expressément par ces mots : « Qui donc a
donné quelque chose à Dieu le premier pour attendre de Dieu une rétribution ? »
Au contraire, nous pouvons acquérir quelque mérite auprès d’un de nos
semblables avant d’en avoir rien reçu, et cela, au moyen de ce que nous avons
reçu de Dieu. Si, par contre, nous considérons l’objection à la lumière de la
seconde raison invoquée, celle qui vient de l’obstacle du péché, cette fois la
situation est la même qu’il s’agisse de l’homme ou de Dieu ; car on ne peut pas
non plus mériter auprès d’un homme qu’on a offensé, à moins d’avoir satisfait
et de s’être réconcilié avec lui.
Objection 1 :
Pour son salut et pour sa perfection un être peut toujours se
contenter, semble t-il, de ce qui convient selon sa nature. Mais ce qui est de
foi dépasse la raison naturelle de l’homme : c’est ce qui ne se voit pas. Pour
être sauvé, il ne semble pas être nécessaire de croire.
Objection 2 :
Le salut de l’homme réside en Dieu : « le salut des vôtres vient
du Seigneur », dit le psalmiste[516].
Mais « ce qu’il y a d’invisible en Dieu, depuis la création du monde, se
laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres », comme le dit l’apôtre[517].
Ce qui se découvre à la pensée, on n’a pas à le croire. Il n’est donc pas
nécessaire au salut que l’on croie des choses.
Objection 3 :
Nul n’est tenu à ce qui n’est pas en son pouvoir. Mais croire
n’est pas au pouvoir de l’homme puisque la foi est un don de Dieu. Bien
souvent, ce don est fait par l’intermédiaire d’instruments humains comme les
apôtres. « Mais comment croiront-ils s’ils n’ont pas entendu prêcher »,
dit l’apôtre[518] ?
Ainsi, la foi ne peut être nécessaire au salut sans quoi des millions d’hommes
seraient damnés sans responsabilité de leur part n’ayant pas eu la chance
d’être visités par des missionnaires. C’est d’ailleurs une position de Calvin
rejetée par l’Église : Dieu ne prédestine personne à l’enfer.
Cependant :
« Celui qui s’approche de Dieu doit croire »[519].
« Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. Celui qui ne croira pas
sera condamné. » [520]
Conclusion :
Comme nous l’avons montré, le libre
arbitre est requis comme une disposition du côté de l’homme à l’entrée dans la
vision de Dieu. Dieu ne se donne qu’à celui qui l’aime et le désire. Mais il ne
peut y avoir véritablement libre arbitre si l’on ne connaît pas d’une certaine
manière ce vers quoi l’on est conduit. Ainsi, l’âme ne peut d’aucune manière
disposer son libre arbitre vers la communication de la béatitude éternelle si
elle n’en connaît pas l’existence. Dieu seul peut en révéler la possibilité.
C’est pourquoi il est requis que l’homme réponde par la foi à une telle
révélation. La foi est requise aussi à l’homme en tant qu’elle implique de sa
part une certaine confiance en Dieu car nul ne croit en la parole d’un autre
s’il n’a pas confiance en cet autre. De même nul ne peut être établi dans la
vision de Dieu s’il n’a pas une totale confiance en celui qui l’appelle à son
admirable lumière. Mais nous verrons plus amplement cela dans l’article
consacré à la nécessite de la charité.
Solution 1 :
Parce que notre salut éternel est d’ordre surnaturel, il est
nécessaire qu’il nous soit proposé par une connaissance d’origine surnaturelle.
D’où la nécessité de la foi.
Solution 2 :
Les attributs invisibles de Dieu, la foi les perçoit d’une façon
plus élevée et en plus grand nombre que ne fait la raison naturelle lorsqu’elle
remonte des créatures à Dieu. D’où cette parole de l’ecclésiastique[521] :
« On t’a montré beaucoup plus de choses que l’intelligence humaine n’en
peut comprendre. » La connaissance obtenue par la raison naturelle sur Dieu ne
peut suffire pour rendre l’homme capable de se disposer librement à entrer dans
la vision de son essence. Elle peut constituer une disposition à la foi. Mais
seule une révélation venant de Dieu, à laquelle l’homme adhère, peut lui donner
connaissance de la nature, de la possibilité et des moyens du salut.
La nature de cette disposition est plus aisée à comprendre par
l’analogie du mariage. Savoir qu’il existe des jeunes filles à marier
correspond à la connaissance extérieure de la philosophie. Savoir que telle
jeune fille est digne d’être aimée, voici le contenu de la foi. Avoir confiance
qu’on l’aimera un jour, voici la foi elle-même. L’aimer dans un amour
réciproque, voici l’analogie de la charité.
Solution 3 :
Tout homme peut être amené à croire avec le secours de la grâce.
Et ce secours vient toujours selon cette parole de l’Écriture : « Tous les
lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu"[522].
Les lointains de la terre symbolisent les hommes qui ne connaissent pas Dieu.
Si Dieu donne à certains la possibilité d’avoir la foi dès cette terre grâce à
la prédication de ses apôtres, c’est à cause de sa très grande miséricorde.
Quant aux autres, Dieu leur propose son salut à l’heure de leur mort, comme aux
ouvriers de la onzième heure. Mais l’essentiel dans tout cela, c’est qu’il
dispose chacun en enseignant l’humilité (kénose) et le désir, à entrer
librement dans la révélation de la charité, à son heure.
Objection 1 :
L’apôtre dit seulement[523] :
« il faut croire, quand on s’approche de Dieu, qu’il existe et que pour
ceux qui le cherchent, il est rémunérateur ». Mais on peut croire cela
sans la foi en la Rédemption ou à la Trinité. Il n’est donc pas nécessaire
d’avoir explicitement la foi en ces deux mystères pour entrer dans la gloire.
Objection 2 :
Nous sommes tenus de croire explicitement en Dieu qui est l’objet
de la béatitude. Mais ce qui fait la possibilité de la béatitude, c’est la
souveraine bonté de Dieu. Or elle peut se concevoir, en lui-même sans la
distinction des personnes. Il n’est donc pas nécessaire de croire explicitement
en la Trinité et au Christ.
Objection 3 :
Très peu d’hommes même parmi les
chrétiens, soupçonnent l’intensité du mystère présent sous les mots de Trinité
et de Sauveur. On ne peut donc dire qu’ils connaissent explicitement par la foi
ces réalités. On voit mal comment tant de gens pourraient être écartés du salut
à cause d’une ignorance.
Cependant :
Saint Athanase affirme dans son symbole[524]
: « Quiconque veut être sauvé doit, avant tout, tenir la foi catholique :
(...). Nous vénérons un Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l’unité (...). Mais
il est nécessaire au salut éternel de croire fidèlement aussi à l’incarnation
de Jésus Christ (...). »
Conclusion :
La vie béatifique à laquelle l’homme est
appelé pour l’éternité à pour objet la contemplation du Mystère insondable de
la Trinité. D’autre part, c’est par Jésus-Christ, le seul médiateur qui soit
entre Dieu et l’homme, qu’est donné ce salut. Il est donc impensable qu’un
homme entre en possession de Dieu par Jésus-Christ s’il ne connaît ni Dieu ni
Jésus-Christ.
On peut expliquer comme suit ces affirmations : Ce qui appartient
proprement et par soi à l’objet de foi, et par excellence à cette foi qui
précède l’entrée dans la vision béatifique, c’est la nature de la béatitude
proposée et ce par quoi on obtient la béatitude. Or, pour les humains, le
chemin qui mène à la béatitude, c’est le mystère de l’Incarnation et de la
Rédemption du Christ[525].
Il est dit en effet au livre des Actes 4, 12 : « Il n’y a pas d’autre nom qui
ait été donné aux hommes, par lequel nous devrions être sauvés. » Jésus-Christ
est d’autre part l’image de Dieu, adaptée parfaitement au mode de la
connaissance humaine. Il révèle aux hommes par ce qu’il est le mystère de la
vie trinitaire qui est l’objet de la vision béatifique.
Cette connaissance est donc nécessaire.
Elle n’a pas besoin d’être parfaite et totale sans quoi, puisque Jésus est
Dieu, on devrait dire que l’homme doit d’abord avoir vu l’essence de Dieu pour
choisir de la voir pour l’éternité. Cependant, cette connaissance doit être
suffisamment lumineuse et profonde pour permettre un choix parfaitement libre
et définitif. La foi d’ici-bas a rarement cette qualité même chez les saints.
Mais, au moment de la mort, elle est purifiée, illuminée et perfectionnée par
le ministère de Jésus-Christ et des anges.
Solution 1 :
Croire explicitement ces deux choses mentionnées par l’apôtre,
cela a été nécessaire en tout temps et pour tous. Comme nous le verrons, la
possibilité de croire est offerte à tout homme durant sa vie terrestre, même si
cela ne paraît pas expérimentalement évident.
Solution 2 :
La souveraine bonté de Dieu, dans la mesure où présentement nous
la comprenons par ses effets, peut se concevoir en dehors de la Trinité des
personnes. Mais en tant qu’elle est comprise en elle-même, elle ne peut se
concevoir en dehors de la Trinité des personnes. Or c’est là l’objet de la
vision béatifique. Donc ce mystère ne peut être ignoré de l’homme s’il est
amené à le choisir ou à le refuser un jour. D’autre part, puisque ce sont les
missions du Fils et du Saint Esprit qui nous conduisent à ce salut, et que les
moyens doivent nous être connus, nous aboutissons à la même conclusion.
Solution 3 :
L’objection considère la foi telle qu’elle est ici sur terre. Mais
au moment de la mort, elle est rendue parfaitement claire par le ministère de
Jésus Christ et des anges. Quant aux païens qui n’ont jamais eu la possibilité
de connaître l’existence des mystères du salut parce qu’ils n’en ont pas reçu
la prédication, ceux-ci leur seront révélés, à tous sans exception, à l’instant
de la mort, selon cette parole de l’Écriture : « Il s’en alla même prêcher aux
esprits en prison »[526].
Cela ne veut pas dire que tous croiront car Dieu n’oblige personne à répondre
par une foi confiante à la prédication, comme nous le verrons plus loin[527].
Objection 1 :
La béatitude éternelle dépasse toute aspiration de l’âme. L’apôtre
dit en effet « qu’elle n’a pas été révélée à un cœur d’homme »[529].
Nul n’est donc tenu d’espérer la béatitude pour y être introduit.
Objection 2 :
Nous avons montré que l’humilité (kénose) était nécessaire pour
entrer dans la gloire. Or l’espérance de la vision s’oppose à l’humilité
puisque l’homme désire un bien qui le transcende, Donc l’espérance de la vision
béatifique n’est pas nécessaire pour y entrer.
Objection 3 :
Celui qui n’espère pas voir Dieu ne
pèche pas. Cela peut venir d’une ignorance s’il ne connaît pas l’existence de
la béatitude. Or l’ignorance n’est pas coupable ; Cela peut venir aussi du
sentiment de la grandeur de Dieu ou de l’horreur de ses péchés personnels ce
qui est un signe de grande pauvreté d’âme. Donc l’espérance n’est pas
nécessaire pour entrer dans la gloire.
Cependant :
L’espérance a pour objet la béatitude
éternelle. Or nul ne peut recevoir librement ce qu’il n’espère pas donc
l’espérance est nécessaire pour être introduit par Dieu dans la vision
béatifique.
Conclusion :
L’homme est tenu d’avoir une espérance
théologale parfaite pour être introduit dans la vision béatifique. En premier
lieu, cette espérance doit porter explicitement sur la vie éternelle
c’est-à-dire sur la vision et la jouissance de Dieu. La raison en est que le
moyen doit être proportionné à la fin. Or la fin de l’espérance c’est la
possession de Dieu. Nul ne peut être introduit dans la vision béatifique s’il
ne l’espère car Dieu ne s’impose pas à la liberté de sa créature, comme nous
l’avons montré.
En outre, il est nécessaire que la
certitude de l’espérance s’appuie tout entière sur le secours divin. Dieu est
en effet un bien supérieur que nul ne peut atteindre par ses propres forces.
Espérer cela autrement serait de la présomption.
L’espérance parfaite ne peut exister sans une foi parfaite sur
laquelle elle s’appuie car la foi propose à l’espérance ses deux objets qui
sont la béatitude éternelle et le secours divin par lequel nous l’obtenons.[530]
Solution 1 :
En effet, la béatitude éternelle n’est pas révélée d’une façon
parfaite au cœur de l’homme, de telle manière que l’homme puisse en connaître
avant d’y être introduit, toute la nature et la qualité. Mais, selon sa raison
commune, celle du bien parfait, l’homme peut en avoir une certaine
connaissance. Et c’est sous cet aspect que le mouvement de l’espérance s’élève
vers elle. D’où est-ce par métaphore que l’épître aux Hébreux[531]
dit que l’espérance pénètre « jusque de l’autre côté du voile », l’objet
de notre espérance nous étant encore pour l’instant voilé.
Solution 2 :
L’espérance théologale désire obtenir un bien supérieur non en
s’appuyant sur ses propres forces, mais sur celles de celui qui peut le lui
donner. Au contraire, l’orgueil qui s’oppose à l’humilité cherche à obtenir la
vision de Dieu sans l’aide de Dieu car il est meilleur d’avoir un bien par
soi-même que de le tenir d’un autre, selon saint Grégoire. Donc l’espérance ne
s’oppose pas à l’humilité. C’est la présomption qui s’oppose à l’humilité.
Solution 3 :
Dans l’instant qui précède l’entrée dans la vision de Dieu,
l’ignorance n’existe plus comme nous le montrerons plus loin[532]
car le Sauveur révèle à l’âme tout ce qu’il lui faut pour se porter librement
vers sa fin. Si une telle ignorance subsiste dans l’âme, elle ne peut être que
coupable et volontaire. Elle peut être causée par un péché contre le Saint
Esprit par exemple un refus de croire malgré l’évidence. De même, dans cet état
particulier qui précède la gloire, si la peur de Dieu ou l’horreur de ses
péchés subsistent jusqu’à conduire au refus d’espérer le salut, ce ne peut être
par humilité. Car l’humble soumet sa volonté à celle de Dieu quand elle lui est
suffisamment manifestée. Or Dieu donne à l’âme la possibilité de connaître la
grandeur de sa tendresse qui supprime toute peur et de son pardon qui efface
tout péché. Il y a donc nécessairement une racine d’orgueil dans un tel
désespoir qui constitue alors aussi un blasphème volontaire contre le Saint
Esprit.[533]
Objection 1 :
Il semble que la charité ne soit pas nécessairement requise pour
entrer dans la vision béatifique. Dieu ne demande pas à l’homme ce qui dépasse
ses forces. Or la charité est une amitié surnaturelle pour Dieu. Elle dépasse
donc les forces de l’homme,
Objection 2 :
Avant la venue de Jésus, Dieu conclut avec les hommes diverses
alliances dans lesquelles il promettait de leur donner un jour une terre où
couleraient le lait et le miel[535],
ce qui symbolise sa gloire. Or Dieu demandait simplement aux hommes
l’obéissance à sa volonté comme nous le montre le Pentateuque. Donc la charité
n’est pas nécessaire pour entrer dans la vision béatifique.
Objection 3 :
Que penser enfin des hommes qui, même
après la venue du Christ, refusent d’aimer Dieu comme un ami, c’est à dire par
amour de charité, à cause de leur sens de la grandeur du Créateur devant qui
l’homme ne peut que plier le genou.
Cependant :
Jésus dit[536]
: « si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous
ferons chez lui notre demeure ». Donc la charité est nécessaire pour être
introduit en Dieu.
Conclusion :
Nul ne peut être introduit dans la vision béatifique s’il n’aime
Dieu. Il faut en effet considérer que la vie éternelle consiste dans la
jouissance de Dieu. Or le mouvement de l’âme humaine vers la jouissance du bien
divin, c’est l’acte propre de la charité et c’est par lui que tous les actes
des autres vertus se rapportent. À cette fin puisque la charité commande les
autres vertus. Aussi est-ce premièrement à la charité qu’il appartient de
recevoir la vie éternelle car Dieu ne donne la jouissance de sa présence dans
l’âme que par amour libre et gratuit pour sa créature qui doit répondre en
retour par l’amour. Les autres choses que nous avons décrites n’ont de valeur
aux yeux de Dieu que parce que leurs actes conduisent à l’amour de charité.
L’assemblage des vertus peut se comparer à un édifice. L’humilité est première
et fondement de cet édifice en ce sens qu’elle enlève les obstacles qui peuvent
s’opposer à sa construction et en particulier l’orgueil. Elle rend l’homme
docile à l’action de Dieu. La foi est le commencement du bâtit car elle révèle
à l’homme l’existence de la fin suprême ; l’espérance vient ensuite car elle
fait que l’âme désir avancer dans sa quête. La grâce habituelle peut alors
intervenir comme finition du temple puisqu’elle rend possible la charité par
laquelle Dieu vient l’habiter, invisiblement dès ici-bas, visiblement au Ciel.
; La charité en est le sommet car elle nous fait aimer Dieu de tout notre cœur,
de toute notre âme de toute nos forces et parce qu’elle nous fait aimer le
prochain à cause de Dieu comme nous nous aimons nous même. Étant un amour de
Dieu, elle nous mérite de sa part la vie éternelle car Dieu, dans sa justice,
donne à celui qui l’aime ce qu’il a promis. « Si quelqu’un m’aime, mon
Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous ferons chez lui notre demeure ».[537]
Solution 1 :
Dieu donne à l’homme à un moment ou à un autre la possibilité de
le connaître de telle façon qu’il puisse l’espérer et 1’aimer. La charité
surnaturelle n’est pas hors de portée de l’homme s’il s’appuie sur la grâce que
Dieu ne lui refuse pas. Et cette vertu est nécessaire car Dieu est amour et ne
se donne qu’à ceux qui l’aiment.
Solution 2 :
Avant la venue du Christ, quand la possibilité d’aimer Dieu par la
charité n’avait pas encore été rendue à l’homme à cause du péché originel qui
le séparait de Dieu, les hommes n’entraient pas dans la vision de l’essence
divine. Il leur fallut attendre la mort du Sauveur qui, en s’offrant comme
victime pour les péchés, prit sur lui les fautes de chacun. Auparavant, ils
attendaient dans les enfers et le Christ vint lui-même les délivrer selon cette
parole de saint Pierre[538].
« Il s’en alla même prêcher aux esprits en prison. » Quant au fait que le
Christ vint si tard, il s’explique par la dureté du cœur de l’homme que Dieu
dut relever par étapes, se révélant à lui d’abord comme l’ami et même l’époux.
Solution 3 :
Les musulmans, les Juifs et les fidèles
des religions qui par humilité refusent d’aimer Dieu dans l’amitié de la
charité n’en sont pas moins disposés par leur religion aux sentiments intérieurs
qui écartent l’obstacle de l’orgueil droiture de leur volonté les dispose
directement à accepter la prédication que le Sauveur leur adresse au moment de
leur mort par la vision de son humanité Sainte. Rien n’empêche donc qu’ils
soient sauvés. Ils y sont au contraire disposés par leur religion. Nul ne peut
être damné que s’il refuse explicitement cette charité lorsqu’elle est proposée
de manière évidente. Il s’agit alors d’un blasphème contre l’Esprit Saint.
Objection 1 :
Cela ne semble pas possible. Aimer Dieu parfaitement, c’est
l’aimer tel qu’il s’aime lui-même. Or personne ne peut aimer Dieu comme il
s’aime. Donc une charité parfaite n’est pas requise.
Objection 2 :
L’homme ne peut être continuellement tourné vers Dieu, ce
qu’exigerait pourtant une charité parfaite. Or Dieu ne peut exiger ce qui
dépasse les forces de l’homme. Donc une charité parfaite n’est pas requise.
Objection 3 :
Le moindre acte de charité trouve son origine en Dieu qui en rend
l’homme capable par sa grâce. Or la moindre grâce de Dieu est capable de nous
mériter la béatitude. Donc une charité parfaite n’est pas requise pour être
sauvé.
Objection 4 :
Après la mort, nul ne peut augmenter sa
charité pour Dieu puisque nul ne peut mériter. Or beaucoup meurent avec une
charité imparfaite. Faut-il donc admettre qu’ils seront séparés de Dieu ? Cela
n’est pas possible. Donc la charité parfaite n’est pas requise pour entrer dans
la vision béatifique.
Cependant :
Jésus dit : « celui qui aime son père ou sa mère plus
que moi n’est pas digne de moi ».[539]
Il dit aussi : « qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera ».[540]
Or aimer Dieu plus que ses proches plus que sa propre vie c’est la charité
parfaite selon ce que dit saint Augustin : la charité atteint sa perfection
quand elle dit : « je désire mourir et être avec le Christ ».[541]
Donc une charité parfaite est requise pour entrer dans la vision béatifique.
Conclusion :
Il est nécessaire que l’homme aime Dieu plus que tout pour entrer
dans la vision béatifique. La raison en est que Dieu est par essence la source
de toute bonté. Il est plus aimable que tout bien participé. Il faut donc que
le cœur de l’homme soit disposé de telle façon qu’il désire voir Dieu plus que toute
autre chose. Un tel désir est seul proportionner à la réception du Bien
parfait. Il est un acte de la charité parfaite[542].
Solution 1 :
Par charité parfaite, nous n’entendons pas un amour qui aimerait
Dieu tel qu’il s’aime. Aucune créature n’en est capable car Dieu est aimable
autant qu’il est bon. Il est donc infiniment aimable puisque sa bonté est
infinie. Or aucune créature ne peut aimer Dieu infiniment puisque toute vertu
créée est limitée.
Solution 2 :
Il n’est pas nécessaire que l’homme aime Dieu de telle façon qu’il
se porte continuellement vers lui de toute sa force. Une telle perfection de la
charité est celle qui règnera dans l’autre monde lorsque l’homme aura été
délivré du mode provisoire du fonctionnement de la chair. Il est seulement
exigé que l’homme donne habituellement tout son cœur à Dieu, de ne rien penser
et de ne rien vouloir qui soit contraire à la divine dilection. Dans l’instant
qui précède l’entrée dans la gloire, cela se réalise concrètement par le fait que
l’âme vaque tout entière à Dieu et aux choses divines, en laissant tout le
reste. Une telle charité est vécue dans certains cas dès ici-bas par ceux qui
sont consacrés à Dieu dans la vie contemplative. En ce sens, ils sont témoins
de ce que vivent toutes les âmes avant leur entrée dans la vision de Dieu.
Solution 3 :
Le moindre acte de charité mérite à l’homme de recevoir la gloire
de la vision divine. Cependant, tant que cet acte est mélangé par des restes de
péché, c’est-à-dire par des affections qui sont autres que celle qui se porte
vers Dieu et vers les biens divins, il ne peut conduire immédiatement à la
vision de Dieu. Il demande donc à être purifié d’où l’existence après la mort
d’un feu purificateur comme nous le verrons ultérieurement.
Solution 4 :
La charité, si on la considère en
elle-même, est toujours parfaite puisqu’elle est infusée par Dieu qui ne
saurait faire œuvre imparfaite. Mais, relativement à celui qui possède la
charité, elle peut être imparfaite en ce sens qu’elle trouve dans la volonté un
obstacle à son parfait exercice. C’est cet obstacle qui est supprimé par le
purgatoire, sans que la charité ait besoin d’être augmentée en elle-même[543].
Objection 1 :
Le baptême est nécessaire selon les paroles du Seigneur : « Celui qui croira et
sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné ».[544]
L’autorité de cette Parole ne saurait être mise en doute.
Objection 2 :
Il semble que l’homme doit non seulement recevoir le baptême pour
être sauvé mais aussi le sacrement de l’Eucharistie selon la parole de Jésus : «
Je suis le pain vivant descendu du Ciel ; Si quelqu’un mange de ce pain, il
vivra à jamais ».[545]
Si donc l’Eucharistie est nécessaire au salut, a fortiori, le sacrement du baptême qui y introduit est
indispensable.
Cependant :
Jésus dit au bandit crucifié à sa droite : « Aujourd’hui, avec
moi, tu seras dans le paradis »[546].
Or cet homme n’avait pas été baptisé, ni par le baptême d’eau, ni par celui du
martyre puisqu’il n’est pas mort pour le Christ. Donc il est possible d’être
sauvé sans recevoir le sacrement de baptême.
Conclusion :
Le baptême est un sacrement puisqu’il
réalise efficacement dans l’âme de celui qui le reçoit ce qu’il signifie. Il
est possible de distinguer en lui au delà du signe sensible qui est l’eau
versée accompagnée de la parole dite, une réalité efficacement reçue par le
baptisé. Cette réalité n’est autre que le pardon de tous les péchés commis
antérieurement, et la réception de la grâce comme d’une vie nouvelle. Ces deux
effets du baptême sont signifiés par l’eau qui lave et fait naître la vie.
Ainsi, si l’on considère le baptême en tant qu’il donne le pardon et la grâce,
alors sa réception est indispensable au salut. Nous avons montré en effet que
nul ne peut rentrer au Ciel si ses péchés ne lui sont pardonnés et s’il n’a
reçu la grâce.[547]
Cependant, cette grâce du baptême peut être reçue par l’homme de
plusieurs manières : Bien des humains la reçoivent avant même d’avoir été
baptisés sacramentellement. Ainsi, ceux qui tournent leur âme vers Dieu par une
sincère conversion reçoivent dès cet instant de sa part les effets du baptême.
Sachant cela, l’Église n’hésite pas à différer chez les catéchumènes la
réception du baptême plusieurs années après qu’ils l’aient demandé. Elle sait
qu’elle ne met pas en danger leur salut. De même, les enfants morts sans
baptême sont considérés comme sauvés à cause du baptême de la prière de leurs
parents pour eux ou des parents adoptifs du Ciel.
En conséquence, on doit dire que la grâce du baptême est
nécessaire au salut d’une manière absolue. Quant au sacrement du baptême, il
n’est pas nécessaire en soi mais relativement à cet effet dont il est la cause
la plus habituelle.
Solution 1 :
Les paroles du Seigneur doivent s’entendre en premier lieu de
l’effet du baptême qui est la conversion du cœur vers la vie de la grâce.
Cependant, en un second sens, on doit les interpréter par une nécessité de
recevoir le sacrement de baptême. En effet, celui qui est véritablement
introduit par l’Esprit Saint dans la vie de la grâce ne peut que désirer la
réception de ce bain d’eau instauré par le Christ. S’il refuse obstinément,
c’est que sa conversion n’est pas totale. En ce sens là, on doit dire que le
baptême sacramentel est nécessaire au salut.
Solution 2 :
Comme nous l’avons montré, l’homme ne
peut entrer dans la gloire s’il n’a pas une foi ferme et profonde en Dieu, une
espérance infaillible et une charité brûlante. Or c’est le rôle du sacrement de
confirmation de rendre la foi et l’espérance adultes ; De même, l’eucharistie
enflamme la charité puisque, en communiant, l’homme s’unit amoureusement à Dieu
en même temps qu’à son prochain. Il réalise sensiblement dans sa vie les deux
commandements donnés par le Seigneur. Cependant, ces effets de la grâce peuvent
naître dans l’homme par d’autres moyens, comme on le voit chez certains saints
qui furent longtemps privés par la persécution de la réception des sacrements.
Bien des hommes ne reçoivent ces grâces qu’au moment de leur mort. Nous le
montrerons ultérieurement.
En ce qui concerne l’argument en sens contraire, on doit répondre
ceci : le bandit crucifié à la droite de Jésus fut réellement baptisé, non d’un
baptême d’eau certes mais du baptême de l’Esprit Saint. En effet, il confessa
sa foi au Seigneur et une telle profession ne peut venir « de la chair
mais seulement du Saint-Esprit »[548],
comme le dit le Seigneur à saint Pierre. On peut même affirmer que le bandit
fut baptisé d’un baptême de sang puisqu’il estima juste devant le Seigneur les
souffrances qu’il endurait pour son péché. Il est donc évident que cet homme
était rempli de la grâce que confère habituellement le baptême d’eau.
D’autres théologiens pensent que ce
bandit ne reçut pas sur sa croix la grâce sanctifiante dans ce qui la spécifie,
à savoir cette amitié cœur à cœur avec Dieu, mais seulement l’humilité et
l’espérance qui en étaient les dispositions. Dans cette hypothèse, il reçut la
grâce du baptême un peu plus tard, c’est-à-dire juste à l’heure de sa mort, par
la Révélation de l’Évangile du Royaume de Dieu. C’est ce qui se produisait
habituellement pour tous les hommes de l’Ancienne Alliance.
Objection l :
On ne peut affirmer qu’un homme pourra voir Dieu plus qu’un autre.
Dieu ne se prête pas au plus et au moins. Il est simple. Celui qui le voit le
voit donc tout entier ou alors il ne le voit pas dans son essence.
Objection 2 :
Cela ne se peut pas. Nous avons montré[549]
que la vision béatifique est une opération dont le siège est l’intelligence.
Elle consiste en un acte de contemplation. La charité quant à elle est un amour
de la volonté. L’expérience montre que l’intelligence d’un homme n’a pas de
rapports proportionnels avec sa bonté.
Objection 3 :
Dans l’autre monde, nous serons
semblables aux anges, selon l’affirmation de Jésus[550].
Or les anges reçoivent la vision béatifique en proportion de leur capacité
naturelle. C’est ce qu’affirme Denys.
Cependant :
Saint Jean de la Croix affirme que « nous serons jugés sur
l’amour. » Par le mot amour, il n’entend pas n’importe qu’elle dilection mais
bien la charité.
Conclusion :
La vision béatifique sera donnée à l’homme en proportion du degré
de sa charité au moment de sa mort. C’est une vérité de foi qui ressort avec
évidence des enseignements de Jésus et que les saints n’ont cessé d’enseigner.
Ils manifestent la nécessité de se préparer dès cette terre à la réception de
la gloire. La notion de mérite ne signifie pas autre chose : Dieu sera vu par
nous en proportion de ce que désirera notre charité. La nécessité en tient à la
nature même de Dieu qui est infiniment lumineux et qui éclaire l’intelligence
dans la proportion même de son désir de le connaître, un peu comme un petit et
un grand vase sont qualifiés de totalement plein sans pourtant contenir la même
quantité d’eau. Il faut maintenant essayer de découvrir l’origine de ce lien de
proportionnalité entre la charité et la vision de Dieu. Certains théologiens
ont affirmé qu’il n’était autre qu’une règle établie souverainement par
l’auspice de Dieu, celui-ci se montrant volontairement à sa créature d’une
manière plus ou moins profonde, cachant une partie de son mystère à celui qui
l’aime moins. Mais cette raison ne convient pas car Dieu est simple et se livre
simplement et totalement à celui qui l’aime : « Il fait briller son soleil sur
les bons comme sur les moins bons. » [551]
Il faut donc chercher la cause de cette différence ailleurs, dans la créature.
Parmi les opérations intellectuelles, il en est certaines qui se réalisent sans
lien direct avec l’affectivité. Le savant qui cherche à découvrir une loi
physique ne la découvrira qu’à force de sagacité intellectuelle et sa qualité
morale n’interfèrera pas avec sa recherche. C’est ainsi que fonctionnent les
sciences dont l’objet consiste dans des réalités inférieures à l’homme. Mais il
existe d’autres types de connaissance humaine qui ne trouvent pas toute la
profondeur de leur objet sans l’intervention de l’affectivité. Elles atteignent
pourtant leur objet d’une manière vraie. C’est d’elles dont parle le philosophe
Aristote quand il dit qu’il vaut mieux connaître les réalités inférieures et
aimer les réalités supérieures. Parmi ces réalités supérieures, on peut citer
la personne humaine, l’ange et Dieu. Il est évident par exemple que l’ami
connaît mieux que tout autre son ami. Il pénètre par son amitié des réalités de
son âme que nulle science ne peut atteindre. De même, dans l’ordre de la grâce
celui qui aime Dieu le connaît plus profondément que celui qui n’en a que la
science. C’est que la réalité 1a plus profonde en Dieu (celle qui a suscité son
acte créateur et l’incarnation du Verbe) est l’amour. Cette réalité est
davantage accessible la connaissance issue de l’amour qu’à la connaissance
rationnelle qui, quant à elle, atteint d’une manière plus connaturelle ce qui
est lié à la toute puissance de Dieu, par réflexion sur la création. Dans
l’ordre de la gloire qui vient accomplir la vie de la grâce par la vision de
Dieu, il en est de même : plus un homme aime Dieu, plus son intelligence se
trouve favorablement disposée à son mystère. Orientée par la charité, elle se
trouve en connaturalité avec le tréfonds de Dieu qui consiste aussi dans
l’amour. Lorsqu’elle entre dans la vision, elle se trouve donc capable de
comprendre davantage le mystère que ne le peut celui qui aime moins.
En conclusion le chrétien doit tenir solidement deux points
essentiels à propos du sens de cette vie et de son rapport à l’au-delà : il
doit croire d’une part à la continuité fondamentale qui existe, par la vertu de
l’Esprit Saint, entre la vie présente dans le Christ et la vie future. En
effet, la charité est la loi du Royaume de Dieu et c’est la mesure de notre
charité ici-bas qui sera celle de notre participation à la gloire du Ciel ;
mais, d’autre part, le chrétien doit discerner la rupture radicale entre le
présent et l’avenir du fait que, au régime de la foi, se substitue celui de la
pleine lumière : nous serons avec le Christ et nous "verrons Dieu"[552]
promesse et mystère inouïs en quoi consiste essentiellement notre espérance. Si
l’imagination ne peut y arriver, le cœur y va d’instinct et fond.
Solution 1 :
Ce n’est pas du côté de Dieu qu’il faut rechercher la cause des
différences de vision chez les saints. Dieu en ce qui le concerne se livre tout
entier et sans mesure à sa créature. C’est du côté de l’homme que réside du
plus et du moins. Chacun au Ciel aimera Dieu de toute la force de son cœur mais
tous n’auront pas la même capacité à aimer. Or c’est cette capacité à aimer,
que l’homme est appelé à développer durant sa vie terrestre, qui détermine le
degré de vision en chacun.
Solution 2 :
Dans l’exercice de l’amour spirituel, les deux facultés de
l’esprit n’agissent pas l’une sans l’autre. Il existe un double rapport entre
elles : en premier lieu, l’intelligence donne à la volonté son objet car nul ne
peut aimer ce qu’il ne connaît en aucun cas. En second lieu, l’amour en
grandissant aiguise l’intelligence en lui donnant à la fois le désir et la
pénétration nécessaires pour connaître plus profondément le bien aimé. Il en
est ainsi aussi bien dans l’ordre de l’amour humain que de l’amour divin, car
la grâce et la gloire suivent la nature qu’elles surélèvent. Ainsi, dans
l’autre monde, celui qui aimera davantage Dieu lui sera davantage semblable et,
en conséquence, le comprendra davantage.
Solution 3 :
Les anges sont de purs esprits. Leur
nature est ainsi faite qu’ils se portent vers leur fin tout entier et d’un seul
coup. Après leur création, lorsque les anges eurent à choisir entre la voie qui
mène au paradis et celle qui mène à l’enfer, ils s’y portèrent chacun selon
leur choix et définitivement. En effet, lorsque leur fut adressée la révélation
divine concernant la gloire, chacun la comprit en proportion de la puissance
naturelle de son intelligence ; aidé par la grâce de Dieu, chacun choisit ou au
contraire refusa cette voie avec une détermination volontaire proportionnelle à
ce qu’il avait comprit ; chacun reçut alors ce qu’il méritait en proportion de la
force de ce choix qui n’est autre, pour les bons anges, que la charité. Voila
pourquoi Denys peut affirmer qu’en définitive les anges voient Dieu en
proportion de leurs capacités naturelles.
Mais il en est tout autrement pour
l’homme : de part son corps et sa sensibilité, il ne peut comme l’ange aimer
Dieu d’un seul coup et de toute l’intensité dont il est capable. L’expérience
montre qu’il apprend à aimer par étape et d’une manière faillible. Par contre,
à la différence de l’ange, l’homme peut aimer sans limite naturelle,
c’est-à-dire au delà de ce qu’il comprend de Dieu ou de son prochain. Il peut
se déposséder de lui-même jusqu’à renoncer à sa vie. Une telle charité peut lui
mériter une gloire supérieure à celle des chérubins.
Il nous faut maintenant considérer la résurrection des corps qui a
été promise à tous les hommes par le Sauveur : « l’heure vient où tous ceux qui
sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de l’homme et sortiront :
ceux qui auront fait le bien pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait
le mal pour une résurrection de jugement »[554].
Et cette résurrection se produira dans le temps, à un instant que Dieu connaît[555].
Nous verrons donc successivement :
I) Ce qui précède la
résurrection.
II) La résurrection elle-même et ses circonstances.
III) Ce qui la suit.
Concernant le premier point, nous
examinerons :
A) Le destin individuel[556] de chaque
homme
1° La mort et la condition des âmes séparées
de leur corps.
2° Le jugement particulier.
3° Les demeures des âmes après la mort.
4° Les suffrages par lesquels les vivants
peuvent aider les défunts.
B) Le devenir du monde
De même que le corps de chaque homme en
particulier passe par la mort pour ensuite ressusciter, de même le monde dans
son ensemble[557] doit avoir une
fin qui précèdera l’apparition d’un monde nouveau, d’une Jérusalem céleste
selon l’Apocalypse[558]. À ce sujet, il
nous faudra voir :
1° les signes précurseurs de la fin de ce
monde.
2° la conflagration de l’univers à la fin
des temps.
Au sujet de la mort qui est pour chacun
de nous le passage de ce monde à l’au-delà, quatorze interrogations nous
paraissent nécessaires :
Article 1 : L’âme humaine survit-elle à la mort du corps ?
Article 2 : Après la mort, l’homme conserve-t-il une vie
sensible ?
Article 3 : La mort est-elle naturelle ?
Article 4 : La mort est-elle instantanée ?
Article 6 : Dans le moment de la mort, l’homme est-il délivré
de la faiblesse du corps ?
Article 7 : L’homme voit-il Dieu dans son essence au
moment de la mort ?
Article 8 : L’homme voit-il de manière sensible l’humanité
sainte de Jésus au moment de la mort ?
Article 9 : L’homme peut-il voir des personnes décédées
avant-elle ?
Article 10 : L’homme voit-il le démon à l’heure de la mort
?
Article 11 : L’homme peut-il voir des personnes encore
vivantes sur terre ?
Article 12 : L’homme voit-il défiler sa vie, le bien et le
mal commis ?
Article 13 : Peut-il y avoir repentir dans le moment de la
mort ?
Article 15 : Le jugement dernier a-t-il lieu au moment de
la mort ?
1° L’âme humaine survit-elle à la
destruction du corps ?
2 : Après la mort, l’homme conserve-t-il une vie sensible ?
3° La mort est-elle naturelle ?
4° La mort est-elle instantanée ?
5° L’homme reçoit-il certaines révélations
de la part de Dieu dans la durée qu’on appelle l’heure de la mort ?
6° Dans le moment de la mort, l’homme est-il
délivré du foyer du péché ?
7° L’homme voit-il Dieu dans son essence au
moment de la mort ?
8° L’homme voit-il de manière sensible
l’humanité sainte du Christ au moment de la mort ?
9° L’homme peut-il voir des personnes
décédées avant lui ?
10° L’homme peut-il voir le démon au moment
de la mort ?
11° L’homme peut-il voir des personnes encore
vivantes sur la terre ?
12° L’homme voit-il défiler sa vie, le bien
et le mal commis ?
13° Peut-il y avoir repentir et conversion
dans le moment de la mort ?
14° Cette révélation de l’Évangile fut-elle
nécessaire au moment de la mort à tous les hommes de tous les temps ?
15° Le jugement dernier a-t-il lieu au moment
de la mort ?
Cette question, nous en sommes
conscients, aborde un domaine d’étude jamais encore approfondi de cette manière
par la théologie. Pourtant, l’étude de la mort et des évènements qui
l’accompagnent est d’une importance extrême pour le reste du traité. La
question de l’apparition glorieuse du Christ donne l’intelligibilité du destin
individuel de chacun.
Objection 1 :
Le mot "âme" lui-même est piégé. Il porte les vestiges
de certaines philosophies grecques dualistes comme celle de Platon. Il n’est
plus possible de l’employer aujourd’hui, alors que nous savons que l’homme est
un, substantiellement.
Objection 2 :
Il ne semble pas que la mort soit la séparation de l’âme et du
corps. Elle est plutôt la destruction de l’âme. En effet, l’âme est la forme du
corps. Or la forme ne peut plus subsister quand la matière se corrompt.[561]
Objection 3 :
En parlant de séparation de l’âme et du corps, on est amené à
poser dans l’être humain deux parties essentiellement différentes. Or
l’expérience montre que l’homme est un seul être.
Objection 4 :
Si l’âme pouvait subsister après la disparition du corps, cela
apparaîtrait par l’existence d’une activité vitale indépendante du corps. Mais
cela n’est pas vrai de l’acte intellectuel pour lequel il faut toujours des
images, phénomène d’origine corporelle.
Objection 5 :
Il semble que l’âme est détruite après la mort d’après l’Écriture
et l’Église. On redit en effet lors de la liturgie des cendres la parole de
Dieu au jardin d’Eden : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière ».[562]
Si l’âme devait subsister après la mort, elle ne retournerait pas à la
poussière.[563]
Cependant :
Luc 23, 43 : Le "bon larron"
sera dès sa mort avec Jésus.
Luc 20, 38 : Jésus répond à ceux qui ne croyaient pas en la survie
actuelle des morts : « Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants. »
Actes 1, 59 : Etienne demande au
Seigneur d’être accueilli dès sa mort au Ciel.
Ph 1, 21-26 : Paul est certain d’être
dès sa mort avec le Christ d’une façon définitive.
2 Co 12, 1-6 : Paul a été déjà au
paradis.
2 Tm. 4, 18 : la confiance de l’apôtre
d’entrer dès la mort dans le Royaume.
Ap. 6, 9 : Les âmes des martyrs sont au
Ciel.
Ap. 14, 13 : « Heureux dès à présent ceux qui sont morts dans le
Seigneur. »
L’ecclésiaste 12, 7 : « La poussière retourne à la terre comme
elle en est venue et le souffle à Dieu qui l’a donné. » Donc la mort implique
la survie de l’âme (autrement dit du « souffle ») après la destruction du
corps.
Conclusion :
La mort est le passage de l’âme spirituelle de ce monde à
l’au-delà. Elle présuppose la séparation de l’âme et du corps et n’aboutit pas
à la destruction de l’âme. Pour mieux le comprendre, il faut considérer ce
qu’est l’âme. Par expérience, nous pouvons constater chez nous l’existence
d’actes vitaux d’espèces différentes tels que manger, imaginer, penser, aimer.
Ces actes permettent de remonter aux puissances vitales qui les causent à
savoir par exemple la puissance nutritive, l’imagination, l’intelligence, la
volonté. Parmi ces facultés, certaines ne peuvent exister sans un organe
biologique ce qui se manifeste clairement si on analyse leur objet et leur
exercice qui sont indissociables de la matière. Ce sont les facultés
corporelles. Elles peuvent être classées parmi les facultés de la vie
végétative en tant qu’on les retrouve dans la vie des plantes ou parmi les
facultés de la vie sensible en tant qu’elles nous sont communes avec les
animaux.
Certaines facultés au contraire n’ont
pas besoin d’un support biologique pour exister même si, dans l’état présent,
elles ne s’exercent pas sans le corps, comme cela a été montré dans la première
partie : L’intelligence et la volonté nous sont communes avec les anges. En ce
sens, on peut appeler le troisième degré de vie "la vie spirituelle".
Les trois degrés de vie sont unis
indissociablement pour former nature humaine. Cette unité se réalise par une
cause efficiente vitale qu’on appelle l’âme car elle anime de l’intérieur la
personne tout entière. Non seulement l’âme réalise l’unité en un seul être de
deux natures différentes à savoir une nature corporelle et un esprit ; Mais
elle est source de leur vie. On le constate avec évidence pour le corps qui ne
subsiste pas dans sa forme de corps humain mais se décompose dès qu’il n’est
plus animé. La mort survient lorsque le corps se trouve soustrait à l’influence
vivifiante de l’âme. Cela vient de la déficience du corps qui, à cause de la
maladie, d’un accident ou de l’usure de la vieillesse perd son adaptation à
l’âme.
C’est ici que commence la voie par laquelle Aristote entend
démontrer la non matérialité donc l’incorruptibilité de l’âme humaine et de ses
deux facultés spirituelles. Il analyse l’intelligence humaine et la volonté. Il
constate que, même si nous ne pouvons pas penser sans nous aider avec des
images (l’imagination nous est donc indispensable pour penser), nous pouvons
cependant penser à des objets qui ne sont pas des images.
Illustration : Pour comprendre ce qu’est l’amour, nous pouvons
avoir en tête un exemple concret d’attraction entre deux personnes. Nous
pouvons en faire un dessin (un cœur blessé par exemple). Mais la notion
d’amour, ce que nous comprenons de l’amour, dépasse toute représentation. Il
s’agit d’un concept abstrait. Nous sommes incapables de représenter cette
pensée par une image. Cette pensée n’est pas matérielle. Elle la dépasse
totalement. Elle est d’un autre ordre, spirituel.
De même, notre volonté peut aimer une réalité (une personne par
exemple) uniquement parce que notre intelligence nous fait comprendre que cette
personne est digne d’amour. Cela dépasse ce que nous pouvons ressentir pour
elle (amour passion). Il s’agit d’un amour qui dépasse toute matière. Nous
sommes capables d’aimer de manière spirituelle un bien spirituel. Notre amour
volontaire n’est donc pas matériel. Il dépasse complètement les domaines du
sensible, du psychologique.
“ Si les deux facultés de l’esprit humain ont un objet
immatériel, c’est donc qu’elles-mêmes dépassent la matière. Elles ne peuvent
avoir d’organe matériel. Toute faculté liée à un organe matériel produit une
action matérielle. C’est parce que l’œil est fait de matière qu’il peut capter
la lumière matérielle. Principe de causalité : « toute cause (ici l’œil
organique) produit un effet qui lui est proportionné (ici la vision de la
lumière qui est matérielle). »
De même, puisque l’intelligence humaine peut comprendre des
réalités non matérielles, c’est donc qu’elle est elle-même immatérielle (donc
qu’elle n’a pas d’organe).
Aristote pose une autre conclusion nécessaire à son raisonnement :
l’âme spirituelle (l’âme humaine, l’intelligence et la volonté) ne peuvent
venir de l’action des parents lorsque, à travers l’acte sexuel, ils conçoivent
un enfant. La matière (spermatozoïde et ovule) ne produit que de la matière.
C’est donc que l’âme spirituelle vient "d’ailleurs" Aristote ne dit
rien de plus. Mais saint Thomas d’Aquin conclura le raisonnement d’Aristote : «
L’âme spirituelle vient d’ailleurs, c’est-à-dire qu’elle est créée
immédiatement par Dieu, pour chaque enfant individuellement, après la
conception. Seul Dieu, en effet, qui est un être spirituel et infini peut créer
des réalités spirituelles. »
Ainsi lorsque le corps se soustrait, à
cause de sa potentialité, à l’influence de l’âme, celle-ci se sépare de lui.
Puisqu’elle n’est pas faite de cette matière que nous voyons se corrompre, mais
d’autre chose dont la nature est spirituelle, c’est qu’elle survit, de même que
les puissances spirituelles dont elle est source.
L’âme spirituelle subsiste après la mort C’est pourquoi Jésus a pu
dire au bandit qui était crucifié à sa droite : « aujourd’hui, avec moi, tu
seras dans le paradis. » Le fait que l’âme subsiste après la mort est un
article de foi selon l’enseignement du Saint Concile du Latran[564].
« Nous condamnons et réprouvons tous ceux qui affirment que l’âme
intellective est mortelle. » Mais c’est aussi une vérité que la raison
naturelle peut arriver à découvrir par ses propres forces.
Solution 1 :
À la différence de Platon, Aristote n’est pas dualiste. Il
n’oppose pas l’âme, principe de la pensée au corps qui serait son fardeau et sa
punition. Pour lui, l’être humain constitue un seul être complet, corps,
sensibilité et esprit inclus. Il possède trois niveaux de vie qui s’exercent en
harmonie :
-- Une vie végétative, commune avec les plantes. Elle est une vie
purement physique. Elle s’exerce de manière inconsciente à travers une série
d’organes. Ses facultés sont essentiellement celles de la nutrition, de la
respiration, de la croissance, de l’adaptation et de la reproduction.
-- Une vie psychologique, commune avec les animaux supérieurs.
Elle est le siège d’une certaine conscience sensible mais reste toujours liée à
des organes (le système nerveux et le cerveau). On peut citer, entre autre,
parmi ses facultés : les cinq sens, les passions (amours et haines sensibles
d’un bien sensible), l’imagination, la mémoire des images, l’estimative
(intelligence animale de l’utile et du nuisible).
-- Une vie spirituelle enfin, commune avec les anges, et qui est
le fait de deux facultés complémentaires : l’intelligence et la volonté (qui
n’est autre que la faculté d’aimer de l’intelligence). Ces deux facultés ne
sont pas autre chose que l’ESPRIT.
Toute cette diversité appartient à un seul être, une personne
humaine complète et unifiée. Or, pour expliquer l’unité qui apparaît au delà de
la multiplicité des facultés, il faut bien accepter l’existence d’un principe
d’unité. Aristote l’appelle l’ÂME (psyché en grec, anima en latin). Selon lui,
même les animaux et les plantes ont une âme puisqu’ils sont unifiés dans une
grande diversité de matière et de facultés vitales. Mais, chez l’homme, l’âme
fait exister non seulement un corps et un psychisme sensible, mais aussi un
esprit. Son ÂME n’est donc pas seulement végétative ou animale mais
SPIRITUELLE.
Solution 2 :
L’âme est la forme du corps. Mais elle est une forme qui subsiste
par elle-même. On peut le montrer par la considération suivante : De même que
l’intelligence humaine est séparée de la matière et donc incorruptible de même
sa cause est nécessairement immatérielle et incorruptible car une cause ne peut
produire un effet supérieur à elle. Quant à l’immatérialité de l’intelligence,
on peut la découvrir en regardant son objet qui est, potentiellement, la
connaissance de tout (du concret à l’abstrait, de l’être matériel à Dieu). Son
objet n’est pas restreint à tel ou tel être particulier comme on le voit par
exemple pour l’œil qui, étant un organe matériel (donc corruptible), n’atteint
que tel domaine du monde matériel, à savoir le visible[565].
Solution 3 :
L’âme et le corps ne sont pas deux parties essentiellement
différentes, comme le pensait Platon. De même que la forme de la statue est une
avec sa matière pour former une seule œuvre d’art de même pour l’âme et le
corps. L’âme réalise l’unité substantielle de tout l’homme en informant le
corps. Mais elle est aussi une forme subsistante. Elle peut donc continuer à
exister lorsque l’intégrité humaine est brisée.
Solution 4 :
Le corps n’est pas requis pour l’acte intellectuel à la manière
d’un organe mais en raison de l’objet qu’il fournit à savoir l’image qui est à
l’intelligence ce que la couleur est à la vue. Le fait d’avoir besoin du corps
pour son exercice n’empêche pas l’intelligence d’être subsistante. Dans
l’au-delà, elle acquiert un nouveau mode d’exercice comme nous le verrons[566].
Solution 5 :
Quand Dieu dans le livre de la Genèse
dit à l’homme qu’il est poussière et qu’il retournera à la poussière, il ne
veut pas lui dire que toutes les parties de son être sont matérielles et donc
corruptibles. En disant à l’homme qu’il est poussière, il lui signifie qu’il
n’est rien quand il se sépare de la source de sa vie, Dieu. Par la mort l’homme
sera conduit à expérimenter jusque dans la destruction de sa chair le caractère
insensé de sa révolte contre Dieu.
Objection 1 :
L’argument d’Aristote pour prouver philosophiquement la survie de
l’esprit consiste à montrer que l’objet de l’intelligence et de la volonté est
immatériel. Les facultés le sont donc aussi. Or l’objet de toutes les facultés
psychologiques (sensations, passions, imagination, mémoire sensible,
estimative) est toujours lié à la matière. L’organe de ses facultés est connu,
c’est le cerveau. Il est donc impossible qu’elles subsistent à la destruction
du cerveau.
Objection 2 :
La phase de décorporation ressemble beaucoup à certaines
expériences décrites dans la toxicomanie. Elle semble être l’effet d’une
hallucination produite par le cerveau en détresse. Il semble abusif d’en
conclure qu’après la mort, l’homme conserve-t-il un corps psychique ?
Objection 3 :
La rencontre avec un être de lumière, avec des proches décédés,
tout cela fait penser à l’effet d’une réaction anesthésique du cerveau dans le
stress de la mort approchée. On ne saurait fonder une doctrine sur une vision
si critiquable.
Objection 4 :
On ne trouve trace nulle part de cette expérience de la mort
approchée, ni dans la foi de l’Église, ni dans sa Tradition. Il est dangereux
d’ajouter de telles expériences au domaine de la révélation.
Objection 5 :
Enfin, cette expérience de la mort approchée semble être
dangereuse pour la foi. Là où est l’expérience, la foi disparaît.
Cependant :
Dans son commentaire littéral du livre de la Genèse, 32, saint Augustin
se réfère souvent à l’Expérience de la Mort approchée, déjà bien décrite à son
époque : Il reconnaît que ces personnes ravies hors de leurs sens corps, ont
conservé "une certaine ressemblance de leur corps"[567],
par laquelle elles peuvent être emportées vers des lieux corporels. « Je
ne vois pas, dit-il, comment il pourrait en être autrement : l’âme garde
quelque chose qui ressemble à un corps lorsque, le corps étant étendu privé de
sentiment, mais sans être mort, elle voit ce qu’une foule de personnes rendues
à la vie, après avoir éprouvé cette sorte de ravissement, ont raconté qu’elles
avaient vu ; je ne vois pas, dis-je, pourquoi elle ne l’aurait pas, une fois
que, par la mort corporelle, elle a complètement quitté son corps. »
Conclusion :
Le docteur Moody, psychologue américain, publia en 1978 son livre
: La vie après la vie[568].
Il s’agit d’une étude faite auprès des américains ayant connu, à un moment, un
état d’arrêt cardiaque ou même de mort clinique. En dépit des différences
présentes pour chaque cas, écrit le docteur Moody, tant par les circonstances
qui entraînent les approches de la mort que les différents types humains qui
les subissent, il n’en reste pas moins que de frappantes similitudes se
manifestent entre les témoignages qui relatent l’expérience elle-même. En fait,
ces similitudes sont telles qu’il devient possible d’en dégager des traits
communs, sans cesse répétés.
Voici donc un homme qui meurt et,
tandis qu’il atteint le paroxysme de la détresse physique, il entend le médecin
constater son décès. Il commence alors à percevoir un bruit désagréable, comme
un fort timbre de sonnerie ou un bourdonnement et, dans le même temps, il se
retrouve hors de son corps physique immédiat. Il aperçoit son propre corps
physique à distance, comme en spectateur. Il observe de ce point de vue
privilégié les tentatives de réanimation dont son corps fait l’objet. Il se
trouve dans un état de forte tension émotionnelle. Au bout de quelques
instants, il se reprend et s’accoutume peu à peu à l’étrangeté de sa nouvelle
condition. Il s’aperçoit qu’il continue à posséder un "corps" mais ce
corps est d’une nature très particulière et jouit de facultés très différentes
de celles dont faisait preuve la dépouille qu’il vient d’abandonner. Après
cela, il se sent emporté avec une grande rapidité à travers un obscur et long
tunnel. Et soudain, une entité spirituelle d’une espèce inconnue, un esprit de
chaude tendresse, tout vibrant d’amour (un être de lumière) se montre à lui.
Cet être fait surgir en lui une interrogation, qui n’est pas verbalement
prononcée, et qui le porte à effectuer le bilan de sa vie passée. L’entité le
seconde dans cette tâche en lui donnant une vision panoramique, instantanée, de
tous les événements qui ont marqué son destin. Bientôt, d’autres événements se
produisent, d’autres êtres s’avancent à sa rencontre, paraissant vouloir lui
venir en aide. Il entrevoit des parents et des amis décédés avant lui. Le
moment vient ensuite où le défunt semble rencontrer devant lui une sorte de
barrière ou de frontière, symbolisant apparemment l’ultime limite entre la vie
terrestre et la vie à venir. Mais il constate alors qu’il faut revenir en
arrière, que le temps de mourir n’est pas encore venu pour lui. À cet instant,
il résiste car il est désormais subjugué par le flux des événements de l’après
vie, et ne souhaite pas ce retour. Il est envahi d’intenses sentiments de joie,
d’amour et de paix. En dépit de quoi il se retrouve uni à son corps physique.
Il renaît à la vie.
Par la suite, lorsqu’il tente d’expliquer à son entourage ce qu’il
a éprouvé entre temps, il se heurte à différents obstacles. En premier lieu, il
ne parvient pas à trouver des paroles humaines capables de décrire de façon
adéquate cet épisode supraterrestre. De plus, il voit bien que ceux qui l’écoutent
ne le prennent pas au sérieux, si bien qu’il renonce à se confier à d’autres.
Pourtant, cette expérience marque profondément sa vie et bouleverse notamment
toutes les idées qu’il s’était faites jusque-là à propos de la mort et de ses
rapports avec la vie.
On peut résumer ce tableau idéal en cinq grandes étapes[569]
:
1° décorporation : la personne se trouve
comme suspendue au-dessus de son corps ; 2° tunnel noir ; 3° vision de l’être
de lumière ; 4° vision de proches décédés précédemment ; 5° le retour et ses
conséquences psychologiques. L’ordre des étapes peut varier puisque certaines
personnes affirment avoir vu l’être de lumière avant le passage dans le tunnel
noir. D’autre part, certains témoignages s’arrêtent à la première ou deuxième
étape, la mort clinique n’ayant apparemment pas assez duré.
Les propriétés du corps double ont pu être décrites d’une manière
assez précise : Il s’agit tout d’abord d’un corps matériel, même s’il n’est pas
composé de matière palpable. Il s’agit plutôt de matière sous forme d’énergie,
de flux ondulatoire. C’est une sorte de champ magnétique, organisé sur lui
même, un corps psychique. Il s’agit malgré tout d’un véritable corps humain,
double du corps physique, ayant toute une vie psychologique et spirituelle : Il
possède ses cinq sens, même si le toucher et le goût s’exercent différemment.
L’imagination est entièrement présente, avec la mémoire et leur exercice
cérébral. Des souvenirs disparus peuvent réapparaître intacts. Les émotions
passionnelles sont présentent mais elles sont beaucoup plus paisibles. La joie,
la paix, la peur et la tristesse s’exercent sans excès, comme si l’absence du
corps physique les rendait plus contrôlables.
La vie spirituelle est, quant à elle, intensément présente.
L’intelligence comprend ce qui leur arrive, la volonté se porte vers tel ou tel
choix. Mais le plus étonnant demeure sans doute l’apparition de propriétés
parapsychologiques nouvelles. Ce corps est fluide : il peut passer à travers
les murs les plus épais, obéissant aux désirs de la volonté. Une femme raconte
que, s’étant aperçu qu’elle mourrait, elle eut une pensée pour son mari et son
fils présents dans la salle d’attente. Elle se retrouva aussitôt auprès d’eux,
ayant traversé plusieurs pièces de l’hôpital à travers les murs. Elle décrivit
après son réveil des détails sur cette salle d’attente qui ne laissent aucun
doute de sa bonne foi.
Ce corps est agile : il peut se déplacer à volonté avec une
vitesse incroyable. Un homme se voyant quitter son corps physique pensa
intensément à son épouse qu’il avait laissée à l’étranger. Il se retrouva
auprès d’elle, ayant franchi en quelques instants des milliers de kilomètres.
Ce corps est léger : il ne présente aucun des inconvénients du
corps physique : fatigue, poids, inertie ; Étant entièrement soumis à la
volonté, il peut être appelé en ce sens "corps spirituel"
Ce corps est parfait : il ne présente aucun des handicaps du corps
physique. Une jeune fille, aveugle de naissance, pût décrire avec force de
détails la couleur de ce qu’elle avait vu dans la pièce lors de son expérience.
Un ancien combattant, amputé des deux jambes, eut la surprise de se voir tel
qu’il était avant son accident.
Enfin, ce corps est doué de perceptions extrasensorielles
nouvelles et qui lui apparaissent comme naturelle. Les témoins prétendent non
seulement entendre les paroles proférées autours d’eux mais lire directement
les sentiments et les pensées de chacun. C’est une sorte de télépathie à sens
unique puisqu’ils sont, quant à eux, incapables d’attirer l’attention de qui
que ce soit.
Chaque personne, chaque objet, leur apparaît nimbé dans une
auréole de lumière aux couleurs vivantes ce qui rend leur perception de
l’univers presque féerique. Selon les pensées et les sentiments de ceux qui
sont dans la pièce, ces couleurs prennent des nuances différentes.
Solution 1 :
L’argument d’Aristote est logique. Le cerveau étant détruit, il
est rationnellement logique que les facultés sensibles liées à cet organe
soient détruites. Mais cela ne tient pas devant l’expérience. Or c’est le
propre du philosophe de soumettre son raisonnement devant la réalité qui est
maîtresse de sa science. Reste donc à savoir si l’expérience de la mort
approchée est sûre et non imaginaire. C’est un problème d’ordre philosophique.
Face aux propriétés décrites du corps psychique, on est tenté de
le rejeter dans le domaine imaginatif. L’hypothèse d’un effet psychique
subjectif dû à la mort clinique a été émise. Il est vrai que les phases du
tunnel et celles qui la suivent ne sont pas vérifiables. Mais la première phase
(la décorporation) présente certaines propriétés qui excluent toute
interprétation purement toxicologique et subjective. En effet, le fait de voir
physiquement, à 10 ou 1000 kilomètres du lieu où se produit l’arrêt cardiaque,
ce que fait telle personne précise à tel moment précis, les vêtements qu’elle
porte est objectivement vérifiable. Si un tel effet est produit par l’état de
détresse du cerveau, il n’en reste pas moins vrai qu’une "partie" de
la conscience s’est nécessairement transportée à 10 ou 1000 kilomètres (voir
solution 2.
Le problème n’est donc pas d’affirmer que ce n’est pas possible
mais plutôt de se demander comment cela est possible. Certains philosophes ont
donc essayé de se pencher sur l’historicité de la question. Il leur est apparu
que le phénomène de la décorporation n’est pas nouveau. La psychologie le
décrit comme propriété de certains hallucinogènes puissants. D’autre part, de
longs traités pluriséculaires, écrits dans les traditions philosophiques
chinoises, hindoues et tibétaines[570]
en parlent. C’est d’ailleurs là qu’on trouve les plus profondes explications
philosophiques du phénomène. Selon ces traditions, on peut discerner dans
l’être humain trois degrés de vie auxquels correspondent trois corps
parfaitement adaptés l’un à l’autre pour former une seule personne : le corps
physique, le corps astral et le corps mental.
1° Le corps physique est le siège des
facultés végétatives comme la nutrition, la reproduction, la croissance. Il est
aussi le siège d’un autre corps, appelé le corps astral.
2° C’est le corps physique qui est source de
l’existence du corps astral, au moins pour sa naissance. Selon ces traditions,
après la mort du corps physique, le corps astral s’en sépare et subsiste d’où
l’expérience de la décorporation. Le corps astral est, avec puis sans l’organe
du cerveau, siège des facultés psychiques comme les sensations, les passions,
l’imagination et la mémoire.
3° Le corps mental n’est autre que ce que
nous appelons l’esprit, siège de l’intelligence et de la volonté. Ils ne lui
donnent le nom de "corps" que par métaphore car selon eux, il dépasse
cette notion pour être entièrement spirituel. Le corps mental est immortel et
indestructible. C’est lui qui, dans la sagesse hindouiste, se réincarne à
travers les âges.
Cette explication orientale traditionnelle, loin de s’opposer à la
philosophie occidentale, semble au contraire prendre la réalité selon un regard
complémentaire. Aristote distingue de la même façon trois degrés de vie mais
son analyse s’attache moins à la cause matérielle de la vie. Le mérite de la
philosophie orientale semble être ici de rendre intelligible un phénomène que
l’Occident ne fait que découvrir. Cela ne reste bien sûr encore qu’une
explication hypothétique, une piste de recherche qui devrait encourager la
science à s’intéresser au phénomène. En effet, si le corps astral existe et est
matériel, il doit y avoir moyen d’en mesurer la présence.
Solution 2 :
L’intérêt philosophique fut très vif aux USA et l’on s’efforça de
vérifier la véracité des récits. Seule la décorporation peut-être objet d’une
telle enquête scientifique. Pour les autres phases, le témoignage des patients
ne peut être confronté à aucun moyen de mesure. Cette expérience de
décorporation présente un intérêt unique. On ne peut qu’être frappé par le
récit des victimes qui semble concorder en tout point avec la réalité. Or la
victime est en état de mort clinique. Elle est allongée sur une table, son
cerveau est en état de mort clinique transitoire. Elle ne peut, théoriquement,
rien voir de ce qui l’entoure. Pourtant, on est obligé d’admettre qu’elle voit
ce qui se passe et qu’elle le voit d’un point situé en dehors de son propre
corps. Dans une salle de réanimation, un médecin eut l’idée de pousser les
vérifications en fixant sur la face supérieure des armoires de petits
autocollants, de telle façon qu’on ne puisse les voir que du plafond. On eut la
surprise de recueillir, dans le témoignage de ceux qui prétendaient avoir connu
une expérience proche de la mort, un certain nombre de mentions de ces
autocollants. Il ne s’agit donc pas d’un rêve puisque les sensations éprouvées
correspondent à la réalité sensible extérieure aux témoins en état de mort
clinique.
A cause du perfectionnement des méthodes de réanimation, cette
expérience se multiplie et met la science devant un nouveau phénomène
paranormal. On est obligé d’affirmer, à moins de faire mentir les multiples
vérifications effectuées, qu’il existe une décorporation. Ce phénomène reste
inexpliqué mais on peut en décrire les conditions.
Solution 3 :
Les phases 3 et 4 (vision de l’être de lumière et de proches
décédés) sont invérifiables par la science positive. En effet, si on analyse
avec précision le témoignage de ceux qui ont frôlé la mort, ils n’affirment pas
avoir vu avec leur seul œil matériel, de la même manière qu’ils voyaient les
infirmières s’agiter dans la pièce. Ils parlent aussi, accompagnant cette
vision physique de la lumière, d’une vision intérieure, de l’intuition
intellectuelle d’une présence. Elle leur semble puissante et ils manquent de
mots pour décrire. Nous semblons être au-delà du monde sensible pour toucher à
une dimension spirituelle, a priori
plus subjective, peut-être même mystique, donc dépassant totalement la mesure
des sciences de la matière.
La philosophie et la psychologie ont par contre leur mot à dire.
Le docteur Moody, sans se prononcer définitivement, affirme son sentiment
d’être en présence d’un phénomène réel. Selon lui, les maladies psychiques de
type hallucinatoire ou hystérique, si elles produisent l’audition de voix et la
vision de fantômes imaginaires, ont après coup un effet destructeur sur la
personnalité. Les personnes s’enfoncent dans leurs névroses (angoisses,
obsession, désespoir) et parfois sombrent définitivement dans leurs psychoses
(paranoïa, schizophrénie). Bien au contraire, l’expérience de mort approchée
donne comme un souffle puissant de renouveau à leur vie. Pour nombre d’entre
eux, la valeur première devient l’amour, selon deux formes significatives :
l’amour de l’Être de lumière, qu’ils savent devoir rejoindre un jour (certains
l’appellent Dieu, d’autres Jésus, Bouddha selon leur culture), et l’amour de
leurs frères. En vue de ces deux amours, ils s’efforcent de progresser,
d’éliminer leurs défauts, de développer leur intelligence. Selon le docteur
Moody, de tels effets ne peuvent venir d’un état maladif d’hallucination mais
d’une véritable expérience mystique. Son raisonnement est valable, tout en
maintenant qu’il ne prouve pas mais suggère. Il apparaît comme un signe de la
vérité du phénomène car "d’un mauvais arbre ne sortent pas de bons
fruits".
Solution 4 :
Il est faut de dire que la tradition des théologiens ne parle
jamais de l’expérience de la mort approchée. Saint Augustin en faisait un du
thème de sa théologie des fins dernières. Mais la précision logique de saint
Thomas sur la nature des âmes séparées du corps, à la suite d’Aristote, fit
disparaître cette expérience du domaine de la recherche.
L’Église, par la voix de son Magistère, ne s’est jamais prononcée
à propos de l’expérience proche de la mort. En général, les théologiens
reçoivent de sa part trois critères de discernement vis-à-vis des phénomènes
paranormaux :
1° Une vision peut-être considérée comme
valide si lorsque, entre autres choses, les effets qu’elle produit sur le
comportement humain sont positifs : par exemple, si elle les porte à se
rapprocher de Dieu ou encore à approfondir la connaissance de la religion.
2° Il est indispensable qu’une vision soit
cohérente avec le message de la Bible, selon l’interprétation authentique du
Magistère Romain. Ces deux critères ne suffisent pas à prouver aux yeux de
l’Église qu’il y a bien eu vision. N’importe quel faussaire pourrait singer une
apparente conversion et une grande orthodoxie.
3° L’Église demande en outre, avant de reconnaître
une apparition, quelques miracles dont l’origine divine est manifeste. En
l’absence de ce troisième critère, elle ne se prononce pas sur la N. D. E.
C’est aux théologiens qu’il revient de rechercher si les critères 1 et 2 sont
conformes. Le premier critère est manifestement vérifié. C’est justement dans
le sens d’un retour au religieux que se sont senties poussées les personnes
marquées par cette expérience. On peut même affirmer que la plupart d’entre
elles, même si elles ne deviennent pas chrétiennes, se font sans le savoir
disciple de Jésus Christ quand il disait : « Je vous donne deux commandements :
tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et tu
aimeras ton prochain comme toi-même ».[571]
Quant au deuxième critère, l’Expérience de mort approchée ne
présente aucune contradiction avec la foi. Le Magistère solennel de l’Église ne
dit rien de l’heure de la mort. Il laisse entièrement libre les théologiens et
les philosophes dans leurs recherches sur cette étape.
Reste la tradition profonde qui court dans l’âme des chrétiens. Il
n’est donc pas exclut que tout homme, au moment même de sa mort, qu’il soit
baptisé, juif, païen ou athée, se retrouve face à l’humanité Sainte de Jésus.
La Bible affirme avec force "toute chair se prosternera devant ta face et
devant la face de l’agneau. » Saint Thomas d’Aquin précise que cette vision
première qui suit la mort ne peut être aussitôt celle de Dieu tel qu’il est.
Dieu, par son irruption brutale dans l’âme, empêcherait tout jugement car la
liberté n’existerait plus. Il est si grand, si infini par sa bonté qu’il
happerait à jamais l’âme en son sein. Or Dieu ne veut forcer la liberté de
personne. Cette vision ne peut être que celle d’une image sensible de Dieu. La
tradition profonde qui court chez les fidèles semble nette pour affirmer que
tout cela se passe "au moment de la mort. » Mais elle n’a jamais précisé
ce qu’elle entendait par le moment de la mort. Certaines écoles théologiques
pensent qu’il s’agit de l’instant précis où l’âme se sépare du corps. D’autres
enseignent que ce moment peut durer plusieurs jours. La liturgie chrétienne
penche plutôt pour cette deuxième opinion, d’où la coutume de veiller trois
jours le corps des défunts. Marthe Robin pensait qu’il fallait prier pour les
morts longtemps et que cette phase pouvait durer plusieurs jours.
Si l’on compare, maintenant, la théologie traditionnelle décrite
ici avec le récit de ceux qui ont approché la mort, on est obligé d’admettre
qu’il n’existe aucune opposition entre les deux. Bien au contraire, elle semble
trouver dans ces récits une confirmation.
Solution 5 :
L’expérience de la mort approchée n’appartient pas au domaine de
la foi mais de la philosophie. En ces temps où la foi est rejetée comme une
attitude indigne d’un adulte doué d’esprit critique, Dieu semble avoir accepté
de se mettre au niveau de l’homme. Pour se révéler, il parle un langage nouveau
de sa part : aux astrologues Chaldéens, qui ne comprenaient que l’astrologie,
il révéla sa naissance en faisant apparaître une étoile ; aux bergers, prêts à
croire le moindre miracle, il envoya un ange. Une telle condescendance de la
part de Dieu fut expérimentée par saint Paul, apôtre des païens, qui vécut
lui-même une expérience proche de celle-ci[572]
: « Je connais quelqu’un, confie-t-il à propos de lui-même, qui, voici 14 ans
(étais ce avec son corps ? Je ne sais ; Etais-ce hors de son corps ? Je ne sais
; Dieu le sait), cet homme là fut ravis jusqu’au troisième Ciel. Et cet homme
là (était-ce en son corps ? Je ne sais ; Dieu le sait). Je sais qu’il fut ravis
jusqu’au paradis et qu’il entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas
permis à un homme de redire ».
L’expérience de la mort approchée va plus loin puisqu’elle n’est
pas le fait d’un seul homme. Elle présente l’intérêt théologique de confirmer
le dogme du Concile Vatican I dans sa condamnation du fidéisme : « l’intelligence
humaine peut, par ses propres forces, atteindre l’existence d’une vie après la
mort. »
Objection 1 :
Cela paraît évident : l’homme est composé d’éléments mixes aussi
divers que l’esprit et la matière. De par son corps matériel, on peut même
discerner en lui un programme génétique commun avec celui des animaux et qui,
en ralentissant la division cellulaire, le conduit insensiblement et
nécessairement vers la vieillesse. Si l’on objecte que ce programme n’est pas
partie essentielle de la nature humaine et peut être modifié (voir les
expériences déjà réalisées chez le rat)[573],
on peut répondre que la durée de la vie n’en est que prolongée, les cellules
n’ayant de toute façon pas la faculté de se régénérer à l’infini.
Objection 2 :
Dans l’Ancien Testament, la mort est considérée comme le sort
commun de tous les hommes, qui sont comparés à l’herbe des champs[574]
et qui retournera en poussière[575].
Elle est le chemin par où tout le monde s’en va[576].
Elle fait partie de la condition humaine[577]
et quel vivant pourrait lui échapper ?[578]
L’ecclésiastique devance les existentialistes en méditant sur la vanité de
toute chose puisque tout est condamné à périr[579].
Donc la mort est naturelle à l’homme comme elle l’est à la bête.
Objection 3 :
Platon manifeste l’état naturel de l’âme lorsqu’elle est séparée
de ce corps qui constitue pour elle une prison l’empêchant de contempler les
essences éternelles pour lesquelles elle est faite. Saint Paul va dans son sens
: « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » [580]
Il semble donc que la mort nous permet d’échapper à notre condition terrestre
passagère et limitée, ordonnée à une mortification passagère de notre orgueil.
Objection 4 :
Si la mort n’était pas naturelle et
voulue par Dieu, n’aurait-elle pas été détruite définitivement par le Christ
lors de sa venue. Or nous constatons qu’il nous impose toujours de mourir.
Cependant :
Saint Paul écrit : « Voilà pourquoi, de même que par un seul homme
le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, ainsi la mort a passé
en tous les hommes, du fait que tous ont péché »[581].
Il fait allusion au récit de la Genèse où Dieu commande à l’homme de ne pas
manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal sous peine de mort[582].
C’est donc que l’homme ne devait pas mourir.
Conclusion :
Nous avons montré[583]
la réalité d’un projet concret de Dieu au commencement, par lequel l’homme
aurait été introduit corps et âme dans la vision béatifique sans passer par la
mort. Nous avons montré qu’il ne s’agit pas là d’une simple hypothèse mais
d’une volonté initiale de Dieu (si tant est qu’on peut, par analogie, parler de
volonté initiale dans l’éternité) dont la réalisation matérielle est visible à
travers la vie et la dormition de la Vierge Marie immaculée, dans les moments
qui précédèrent son assomption. Ceci étant posé, doit-on dire que l’assomption
de Marie, mystère proposé jadis aussi à Ève et Adam, est naturelle ? Au contraire,
est-ce la mort qui l’est ?
Pour répondre à cette question, il convient de regarder sous quel
aspect formel elle est posée. En effet, la mort est autre chose selon qu’on la
regarde du côté du corps, de l’âme c’est-à-dire de la personne tout entière ou
de Dieu. Prise du côté du corps, il est évident que la mort est naturelle. En
effet, la matière minérale n’est pas parfaitement adaptée à devenir un corps
vivant. Par nature, son état de stabilité n’est pas celui de l’édifice
biologique, mais celui de molécules stables unies par les forces de
l’interaction atomique. Ces forces sont faibles et absolument incapables par
elles-mêmes de structurer les molécules de la vie. C’est pourquoi, dès que le
principe vital (l’âme) a disparu, toute vie se désagrège. De même donc que,
prise du côté de la matière, la mort est naturelle à tout être biologique, de
même l’apparition à partir d’éléments minéraux de la vie n’est pas naturelle.
Il n’en était pas différemment pour Adam et Ève, pour Jésus et pour Marie : Leur
corps n’était pas différent du nôtre quant à son mode biologique de
fonctionnement. Il était donc par lui-même vulnérable, capable de mourir comme
on le voit pour Jésus à l’heure de sa passion. Ils n’étaient délivrés de la
mort que par une aide spéciale des anges qui les protégeaient de tout danger et
par l’action de Dieu qui fortifiait leur âme et serait venu les prendre dans sa
gloire avant que l’âme soit devenue, de par ses forces naturelles, incapable
d’assumer un corps devenu trop âgé.
Prise du côté de l’âme, on doit affirmer que la mort n’est pas
naturelle à la personne humaine. En effet, l’âme spirituelle est par nature
immortelle et elle donne vie à un être qui, au plus profond de son désir
naturel, veut vivre toujours. Avec le corps, elle constitue un être qui ne
saurait être brisé que par une violence substantielle. Ainsi, l’âme est par
nature faite pour conserver à l’être tout entier son unité d’être. Si elle ne
le peut, ce n’est pas de son fait mais à cause des limites de la matière
vivante devenue non assumable. Voilà pourquoi l’homme ressent la mort comme le
dépouillement le plus terrible. Il l’aborde d’une façon démunie et elle
s’impose à lui comme un signe ultime de sa nature fragile.
Prise du côté de Dieu, la mort est, depuis le péché originel,
voulue par lui pour le bien de l’homme. Elle est l’instrument ultime dont il
use en vue de le conduire à la vie éternelle. Confronté ainsi à sa petitesse,
l’homme est disposé à l’humilité et, par l’humilité à l’espérance d’un salut.
Lorsque le salut lu est proposé, il ne lui est alors possible de le rejeter
qu’à cause d’un orgueil plus fort que la mort. En conclusion, on peut dire que
la mort est biologiquement naturelle, métaphysiquement contre-nature et
théologiquement utile au salut depuis le péché originel.
Solution 1 :
La mort est naturelle au mode biologique de fonctionnement du
corps humain ; Mais, nous le verrons, il existe un autre mode de fonctionnement
de la matière vivante, capable de se rendre entièrement soumise à la
vitalisation de l’âme et qui sera commune à tous les vivants après la
résurrection dans le monde nouveau.[584]
Solution 2 :
Dieu n’a pas révélé tout de suite à l’homme son projet d’amour
après qu’il en eût oublié la nature dans les générations qui suivirent le péché
originel. Il se tut durant de longs siècles, comme le rapporte Jésus lui-même :
« Nombreux sont les hommes qui auraient voulu voir un seul de ces jours et ne
l’ont pas vu"[585].
Mais cette ignorance qui les laissait dans une détresse vive à l’heure de leur
mort servait en définitive à leur salut. Lorsqu’au terme d’une vie passée à
poursuivre la gloire, les terribles guerriers[586]
de jadis entraient dans la vieillesse, puis rendaient leur âme à Dieu, comme le
plus humble de ses esclaves, il ne restait souvent en eux que confusion et
regret. Lorsqu’à ce moment, s’attendant à rencontrer un juge terrible et dur,
ils se retrouvaient face à leur ange gardien, ange de miséricorde, image du
Dieu vivant qu’il représentait, accompagné souvent des êtres qu’ils avaient
chéris durant leur vie, lorsqu’ils entendaient révéler l’existence d’un Dieu
unique au pardon généreux, ils fondaient. Et lorsque la voix de leur ange leur
annonçait, pour bientôt, la venue d’un Sauveur qui les délivrerait de tous
leurs péchés, ils croyaient. Et ces pécheurs broyés par la vie s’écriaient : « Pardon
Seigneur Dieu, car nous avons péché contre toi. Envoie ton Sauveur. Qu’il
vienne nous délivrer, car nous voulons voir son visage. » Accompagnés de leur
ange, ils considéraient l’état de leur âme, apprenaient à découvrir leur péché.
Ils acceptaient de toute la générosité de leur cœur, en in éclairé sur Dieu, de
subir un purgatoire aussi longtemps qu’il le fallait. Ils se plongeaient,
eux-mêmes, sans récriminer, dans la solitude de ce purgatoire, pour que
disparaisse en eux. Toute trace d’égoïsme. Puis cette œuvre effectuée, ils s’en
allaient retrouver Adam et Ève dans les limbes où ils attendaient, dans
l’espérance, la venue du Sauveur promis. Cette attente n’était pas douloureuse
car Dieu, en prévision de la venue future du Sauveur, les comblait de la grâce
de sa présence invisible d’une manière bien plus forte encore que ce qu’avaient
expérimenté Adam et Ève en Eden. Jésus décrivant les limbes où les patriarches
attendaient sa venue, parle d’une eau pure qui comblait le pauvre Lazare[587].
Certes, Dieu ne se montrait pas encore à eux face à face. Il attendait pour
cela son heure, l’heure où, face à Lucifer jusqu’ici triomphant, il ouvrirait
les portes de la vision béatifique.
Solution 3 :
De même, les faiblesses de notre corps qui, de par son état
provisoire de vie biologique empêche l’âme d’exercer toutes les potentialités
qu’elle sent en elle, affaiblit la capacité intellectuelle, limite la liberté,
mortifie la volonté par diverses échardes "plantées dans notre chair"[588]
servent Dieu pour notre salut. Elles peuvent parfois, à l’exemple de Platon,
nous lasser et nous amener à penser que ce corps est étranger à nous-mêmes. Il
ne s’agit pourtant que d’une impression psychologique bien éloignée de la
vérité que nous expérimentons chaque jour. Notre corps est notre être par mode
de partie intégrante, comme notre esprit. C’est pourquoi saint Paul, pour
manifester cette unité de notre être, écrit par ailleurs : « Nous ne voudrions
pas mourir. »[589]
Solution 4 :
Vitalini Sandro[590]
résout ainsi l’objection : « L’homme est donc invité à accomplir le geste du
pauvre de Yahvé. En s’appuyant sur Jésus et en ayant foi en lui, il entre en
possession de la vie, de la vie éternelle.[591]
Celui qui possède cette vie triomphe de la mort. Mais étant donné que cette
participation est progressive, la victoire sur la mort s’accomplit aussi au fur
et à mesure que cette insertion progresse. La progression n’a donc rien
d’automatique, car elle relève de la conversion. Il faut mortifier le vieil
homme assujetti à la mort par des œuvres de mortification dont la dernière est
la mort corporelle. La vie chrétienne implique un renoncement suprême : le don
de la vie. C’est justement la force de la foi qui peut permettre l’oblation au
lieu du désespoir. On s’appuie sur le Seigneur, sûr que rien n’est à craindre
lorsqu’on se met entre ses mains. Nous relevons encore une fois le grand
principe de la vie chrétienne qui est insérée dans la Trinité et qui ne peut
être que dynamique. On vit pour mourir mais on meurt chaque jour pour vivre
plus intensément. La mort corporelle est donc pour le croyant l’heureux passage
de la dernière mortification à la vie éternelle qui sera plus plénière parce
qu’elle rendra toute la personne plus apte à scruter la beauté de Dieu. »
Objection 1 :
Il semble que la mort soit un processus instantané. En effet, elle
est la séparation de l’âme et du corps. Or, l’on peut dire que, à l’instant qui
précédait cette séparation, l’âme était encore unie au corps.
Objection 2 :
Le témoignage de ceux qui ont été ranimés après être passés près
de la mort, que ce soit à la suite d’un arrêt cardiaque ou d’un accident semble
confirmer ce fait. Elles ont perdu conscience et se sont retrouvées
instantanément en dehors de leur corps qu’elles prétendaient voir allongé dans
la position où elles l’avaient quitté. Elles ne racontent pas s’être vues
quitter progressivement ce corps. Donc la séparation de l’âme et du corps est
instantanée.
Objection 3 :
Les médecins définissent la mort par son caractère irréversible.
Or la mort est irréversible à partir du moment où le cerveau est détruit. On
peut donc dire avec certitude que l’instant de la mort se situe à ce moment,
puisque seul un miracle divin peut provoquer un retour à la vie.
Objection 4 :
Il semble que la mort est instantanée et qu’elle surprend l’homme
comme un voleur selon la parole du Seigneur[592]
: « Je viendrai comme un voleur. Veillez et priez car vous ne savez ni le jour
ni l’heure. » Celui qui soutient que la mort a une certaine durée ne peut
comprendre de quelle manière la venue du Seigneur surprend l’âme. Au contraire,
il devrait dire que le Seigneur vient en s’annonçant d’une manière progressive
et non comme un voleur.
Cependant :
La mort est la séparation de l’âme et du
corps. Avant la mort, l’âme est présente au corps comme sa forme ; après la
mort, elle ne lui est plus présente. Le premier de ces deux termes, l’avant de
la séparation, est un processus qualitatif, c’est-à-dire un devenir qui est
nécessairement d’une certaine durée[593].
Conclusion :
Le mot mort est difficile à définir. Il prend plusieurs sens selon
la discipline qui l’étudie.
1° Au sens médical, le sens de l’expression
"mort clinique" n’a cessé d’évoluer. Ils appellent mort clinique la
destruction irréversible du corps. Elle est liée à un aspect organique, à
l’étude de la cause matérielle. Au fur et à mesure que la médecine a progressé,
elle a du en repousser plus loin les limites. Ainsi, on déclarait jadis un
malade cliniquement mort en s’appuyant sur le fait qu’il ne respirait plus,
puis par la constatation de l’arrêt de son cœur ou de l’arrêt de toute activité
électrique du cerveau. En dernier lieu, on a dit qu’un malade pouvait être
déclaré cliniquement mort lorsque son cerveau avait manqué d’oxygène un temps
assez long pour être irrémédiablement détruit. Sauf exception, un cerveau
humain resté plus de sept minutes sans oxygène, est cliniquement détruit. Il
est vrai que dans ce cas le retour à une vie normale est impossible. Cependant,
au plan philosophique, le fait que certains malades morts cérébralement
continuent à vivre d’une vie végétative manifeste la présence du principe
d’unité de leur vie, c’est-à-dire de leur âme[594].
2° Au sens philosophique, la mort est la
séparation définitive de l’âme et du corps. C’est l’aspect formel de la mort.
Dans l’expérience de la mort approchée, une certaine séparation se fait mais
elle n’est jamais définitive. C’est pourquoi, il ne faut pas dire que ces gens
sont morts mais qu’ils ont approché la mort.
3° Il existe une troisième définition de la
mort, théologique celle-là. Elle seule intéresse notre sujet. Un homme est mort
au moment où il entre dans l’autre monde. Avant, il se trouve dans la mort,
c’est-à-dire entre deux mondes. De nombreux témoins revenus d’une N.D.E. affirment
que le passage de la mort, d’un monde à l’autre, n’est pas le simple
franchissement d’une porte. Ce passage est un cheminement vivant, accompagné
d’apparitions et de révélations successives. Certains mystiques comme Marthe
Robin affirment que le mourant peut mettre plusieurs jours peuvent à le
franchir. Nous verrons (Question 16), que plus d’une tradition religieuse
décrivent ce passage, appelé "royaume de la mort" (shéol) comme une
errance de plusieurs siècles.
Solution 1 :
Même si l’on prend la mort dans son sens
philosophique, elle peut avoir deux sens, on peut vouloir signifier le moment
précis où l’âme se sépare du corps. En ce sens, la mort est un phénomène
instantané. Il est impossible de savoir exactement à quel moment se produit une
telle séparation car l’âme est par nature immatérielle et donc non perceptible.
En un second sens, on peut vouloir parler du processus qui aboutit
à cette séparation. En ce sens, la mort à une certaine durée car, comme tout
mouvement, elle a un début, un devenir et une fin. Le terme final de ce
mouvement qualitatif constitue la mort telle que nous en avons parlé au premier
sens. Mais le commencement du processus, qui constitue « l’agonie » a une
certaine durée. Même s’il est impossible de dire avec précision le moment où se
produit la séparation entre l’âme et le corps, on peut tout de même essayer de
le conjecturer en s’appuyant sur des signes physiques. En effet, le fait que
l’âme n’est plus active doit être discernable par quelques effets dans le corps
qui ne vit que par elle.
Solution 2 :
L’expérience vécue par ces personnes
n’est pas la mort accomplie mais seulement une approche de la mort. On peut le
prouver facilement. Ces personnes sont revenues à elles sans qu’il y ait de
miracle mais simplement à travers le mécanisme médical d’un réamorçage des
fonctions végétatives du corps. Ces personnes n’étaient pas réellement mortes[595],
au moins si l’on définit la mort comme un processus irréversible.
Si l’on insiste en disant qu’elles ont eu des contacts avec des
êtres de l’au-delà comme des proches décédés depuis longtemps ce qui semble
confirmer qu’elles étaient vraiment mortes, on peut répondre ceci : ces
contacts eux-mêmes semblent s’être produits dans un domaine qui précède
l’au-delà. Ces gens ne se disent pas mort mais disent plutôt qu’ils sont dans
la mort, c’est-à-dire dans le passage qui relie les deux mondes. Dans
l’expérience de la mort approchée, les témoins vivent la différence entre leur
expérience et la mort réelle à travers l’apparition d’une limite symbolique
mais pourtant réelle (rivière, porte, barrière) dont ils savent par intuition
que, s’ils la franchissent, leur retour sur terre sera impossible.
Solution 3 :
Cette objection parle de la mort clinique[596].
Il s’agit d’une définition qui considère l’aspect organique de la mort. Elle
n’aide pas la théologie qui a besoin de connaître le moment où l’âme entre dans
l’autre monde, au-delà de ce passage intermédiaire qu’on appelle la mort, le
shéol.
Solution 4 :
Quand Jésus dit qu’il vient comme un
voleur, il ne veut pas signifier que l’âme surprise par la mort reste figée
pour l’éternité dans l’état où elle a été trouvée de telle façon que celui qui
aurait commis la veille avant de s’endormir un péché mortel et aurait omis de
s’en repentir sur le champ serait irrémédiablement damné si la mort venait à le
surprendre durant le sommeil. Il veut dire que celui qui ne maintient pas
habituellement son âme dans la charité prête pour la mort, risque d’être
surpris alors qu’il n’est pas prêt et que son éternité se décide.
Objection 1 :
Il ne semble pas. L’homme qui meurt en état de péché mortel est
immédiatement introduit en enfer selon les paroles du pape Innocent IV[598].
Il est donc inutile qu’elle reçoive une révélation puisqu’elle est déjà jugée.
Objection 2 :
Jésus dit à propos des pécheurs "même si un mort
ressuscitait, ils ne croiraient pas"[599].
Il est donc inutile qu’une révélation soit donnée au moment de la mort puisque
ceux qui n’ont pas cru sur la terre ne croiront pas plus à cet instant.
Objection 3 :
Jésus dit : « celui croira et sera baptisé sera sauvé »[600]
ce qui signifie que celui qui n’a pas reçu le baptême ne peut être sauvé.
Inutile donc qu’il reçoive une révélation au moment de la mort pour être sauvé.
Objection 4 :
On voit mal à quoi cela sert. Il suffit pour réaliser son salut
que l’âme reçoive ces révélations après sa mort, c’est-à-dire après la
séparation complète de l’âme et du corps. Inutile donc de poser d’hypothétiques
révélations dans les moments troubles de la mort.
Objection 5 :
Cela parait inutile au moins pour ceux qui croient puisqu’ils
n’ont pas besoin de recevoir la foi qu’ils ont déjà.
Objection 6 :
Récemment la discussion, grâce aux conceptions de H-U von
Balthasar (et donc d’A. von Speyr), a pris une tournure différente. « Au
jugement, le bien d’une vie humaine n’est pas opposé quantitativement au mal.
Par ailleurs, la liberté humaine ne fait pas une sélection ponctuelle entre des
biens finis mais elle transcende la finitude et décide à partir d’une autonomie
absolue, qui la dépasse elle-même. C`est pourquoi la décision humaine, « le
choix fondamental », doit être évalué qualitativement. » Ce choix fondamental
ne se fait cependant pas in abstracto, mais dans les différentes situations de
vie qui se succèdent, dans une série d’actes et d’attitudes qui ont tous une
pente vers la mort et qui nous révèlent aussi sans cesse la finitude de
l’espace assigné à la liberté de choix. Il est difficile d’éclaircir la
relation avec le choix fondamental, qui ne se laisse pas décomposer d’après les
différentes situations ; il y va sans aucun doute, primordialement de la
sentence objective (c’est-à-dire le jugement de Dieu), d’une part, et, d’autre
part, de son incarnation nécessaire dans les décisions toujours exigées par les
situations. Et comme il ne s’agit pas d’une estimation qualitative mais de la
qualité du choix fondamental se pose la question de savoir si un choix
fondamental négatif, même s’il s’agit du dernier dans le temps d’une vie, a pu
s`exprimer sans restriction dans toutes les situations d’une vie. Ici le juge
cherchera "si, dans la vie de celui qu’il a à juger, quelque chose peut se
laisser trouver qui a été saisi, peut se laisser saisir de son amour vivifiant,
une possibilité au moins potentielle de foi, si donc dans l’homme qu’il a à
juger, quelque chose est capable d’amour! D’un petit grain d’amour en réponse à
tout l’amour qui lui est offert par Dieu ».[601]
Cependant :
Il est écrit : « Tout homme verra-le salut de notre Dieu »[602]
et « l’Évangile sera prêché à toutes les nations puis ce sera la fin »[603].
Il est donc annoncé que les hommes reçoivent la révélation de l’Évangile avant
leur jugement dernier, surtout ceux qui n’ont aucunement entendu parler du
Christ auparavant.
C’est ce que confirme saint Pierre (1 Pierre 4, 6) : « C'est
pour cela, en effet, que même aux morts a été annoncée la Bonne Nouvelle, afin
que, jugés selon les hommes dans la chair, ils vivent selon Dieu dans l'esprit.
»
C’est pourquoi sainte Faustine KOWALSKA, peut écrire[604]
: « J’accompagne souvent les âmes agonisantes et je leur obtiens la confiance
en la miséricorde divine. Je supplie Dieu de leur donner toute la grâce divine,
qui est toujours victorieuse. La miséricorde divine atteint plus d’une fois le
pécheur au dernier moment, d’une manière étrange et mystérieuse. À l’extérieur
nous croyons que tout est perdu, mais il n’en est pas ainsi. L’âme éclairée par
un puissant rayon de la grâce suprême se tourne vers Dieu avec une telle
puissance d’amour, qu’en un instant elle reçoit de Dieu le pardon de ses fautes
et de leurs punitions. Elle ne nous donne à l’extérieur aucun signe de repentir
ou de contrition, car elle ne réagit plus aux choses extérieures. Oh! Que la
miséricorde divine est insondable.
Mais horreur! Il y a aussi des âmes, qui volontairement et
consciemment rejettent cette grâce et la dédaigne. C’est déjà le moment même de
l’agonie mais Dieu, dans sa miséricorde donne à l’âme en son for intérieur ce
moment de clarté. Et si l’âme le veut, elle a la possibilité de revenir à Dieu.
Mais parfois il y a des âmes d’une telle dureté de cœur, qu’elles
choisissent consciemment l’enfer. Elles font échouer non seulement toutes les
prières que d’autres âmes dirigent vers Dieu à leur intention, mais même aussi
les efforts divins. »
Conclusion :
En effet, on peut comparer l’entrée dans la vie éternelle à un
mariage d’amour entre deux époux. Dieu serait l’époux et l’âme la fiancée. Pour
que le mariage soit valide, il est évident qu’il faut que les époux échangent
leur consentement sans y être contraints mais avec une pleine liberté. Pour
cela, un certain nombre de conditions sont requises. Il faut que le futur
conjoint soit capable d’aimer en général, c’est-à-dire qu’il ne soit pas complètement
perverti par l’égoïsme. Cette disposition générale n’est autre que la bonne
volonté mais, cela est évident, il ne suffit pas que Pierre soit en général un
homme de bonne volonté pour qu’il épouse Marthe. Il faut en outre qu’il
connaisse l’existence de Marthe et quelque chose de son cœur (ce qui correspond
au plan surnaturel à la foi) ; Il faut en plus que les deux conjoints soient
libres de tout autre lien donc qu’ils aient un certain espoir vis-à-vis de la
possibilité du mariage (ce qui correspond au plan surnaturel à l’espérance). En
outre, s’il est arrivé jadis que l’un ait offensé gravement l’autre, il doit
être prêt à en demander pardon (ce qui correspond au plan surnaturel à la
contrition signifiée par le baptême de Jean). Une dernière disposition requise
: il faut que, chacun par de vers soi, les futurs conjoints soient attirés l’un
vers l’autre. Je veux parler ici du premier amour qui s’impose d’une manière
non libre : lorsqu’un homme tombe amoureux d’une femme, cet amour s’impose à
lui dans un premier temps sans qu’il en ait cherché la naissance (De même, au
plan surnaturel, c’est toujours Dieu qui prend l’initiative d’attirer à lui
l’homme. C’est ce que le Concile de Trente[605]
appelle la prémotion divine).
Tous ces éléments, s’ils constituent une disposition très proche
au mariage, ne suffisent pourtant pas à le fonder. C’est pourquoi le Concile de
Trente[606]
enseigne qu’il ne s’agit là au plan surnaturel que de dispositions prochaines
au salut mais que tous ces éléments (bonne volonté, attraction divine, foi,
espérance, contrition), s’ils rendent juste un homme, ne le sanctifie pas. Ils
ne méritent pas la vie éternelle. Il est évident en effet, pour qu’un mariage
d’amour puisse avoir lieu, qu’il est nécessaire que chacun des conjoints se sachant
aimé, ait choisi d’aimer l’autre : Après un temps convenable de fiançailles qui
leur permet de se connaître mutuellement, il faut qu’ils choisissent de se
donner l’un à l’autre pour la vie entière, à cause de leur amour, pour le
meilleur et pour le pire. De même, pour ce mariage éternel qui fait entrer dans
la vision de Dieu, il est nécessaire que l’âme, connaissant suffisamment le
cœur de Dieu par la révélation qu’en donne Jésus-Christ, désire explicitement
s’unir à lui, tel qu’Il est, avec les conditions surprenante de l’humilité
(kénose) et de l’amour. Il s’agit d’un acte de charité, et même d’une charité
parfaite puisque nul n’entre dans la gloire sans elle, comme l’enseigne
l’Église à propos du purgatoire. Ainsi, c’est la charité et la charité seule qui
nous mérite la vie éternelle de même que c’est l’amour réciproque, libre et
fervent qui conduit au mariage. Cette charité implique tous les éléments
dispositifs dont nous avons parlé précédemment car nul ne peut aimer Dieu et
désirer le voir face à face pour l’éternité s’il ne croit pas, n’espère pas, ne
se repend pas et n’est pas attiré par sa présence.
De tout cela, nous pouvons tirer la
conclusion suivante :
1° Puisque l’Église nous enseigne qu’
« aussitôt après la mort », le choix de l’âme est fait au point qu’elle
est conduite en enfer ou au contraire promise à la gloire. [607]
2° Puisque d’autre part, l’expérience nous
montre que les conditions de ce choix lucide ne sont pas données à tous les
hommes durant ce que nous voyons de leur vie terrestre (les païens non visités
par les missionnaires, les chrétiens ignorants de leur foi etc.).[608]
3° Puisque enfin nous savons que Dieu veut
proposer à tout homme cette vie, au point que nul ne peut se damner pour
l’éternité qu’à cause d’un blasphème parfaitement lucide contre cette
révélation, appelé par notre Seigneur le "blasphème contre l’Esprit
Saint".[609]
Nous pouvons conclure que,
nécessairement, tout homme reçoit la révélation du Salut de Dieu dans ce moment
que nous avons appelé « l’heure la mort », « la onzième heure », moment
ultime de la vie terrestre qui précède la mort. Par cette grâce donnée par
Dieu, chacun peut alors se porter vers Dieu ou le rejeter, en fonction de ce
qu’il s’est fait pendant sa vie terrestre[610].
Ces conditions impliquent un certain temps et c’est avec raison
que sainte Faustine parle des "efforts divins" pour nous
convaincre.
Car cette lucidité est celle d'un homme, pas d'un ange. L'ange qui
est un pur esprit comprend en un instant T1 puis décide à l'instant T2. Il ne
revient jamais en arrière. Il n’a pas de psychisme sensible (imagination
mémoire sensible) pour interférer dans son jugement.
Au contraire, l'homme comprend à travers ses sens, même dans la
mort (le psychisme survit). Il voit donc de ses yeux le corps lumineux du
Christ et c'est son charme, sa lumière physique, qui lui révèle à travers
l’abstraction de l’intellect agent, l’amour et la vérité. L'homme doit donc
considérer une à une les choses. Il y a ensuite le même travail avec Lucifer
qui présente le côté positif de son projet égoïste. Il faut que Lucifer reçoive
contradiction par le Christ qui montre que tout cela est illusion, fausse
liberté. Enfin, il y a l'apport des proches, leur appel. Au moment où la
discussion est finie, la compréhension parfaite, le choix peut être posé par
l’homme. Et cela peut donc prendre du temps.
Autre chose : Si l'âme de certains pécheurs, prise par l'action,
n'est pas assez calme et disposée à entrer dans ce jugement, il se peut qu'il
soit différé et qu’elle erre un temps sur les lieux où il a péché. Ce temps de
limbes est souvent indispensable à l'homme, toujours à cause de ce psychisme
qu'il emmène avec lui et qui ne doit pas abîmer la liberté totale du choix à
venir (voir plus loin, le purgatoire).
Solution 1 :
Il est nécessaire d’affirmer que l’homme reçoit de Dieu certaines
révélations dans le moment de la mort, c’est-à-dire dans le devenir immédiat
qui précède l’entrée dans l’autre monde. La raison en est que bien des hommes
arrivent à la porte de l’autre monde en état de mort spirituelle, sans aucun
amour pour Dieu, mais sans qu’il y ait de leur part une entière culpabilité.
Parmi eux, certains enfants sont en état de mort spirituelle sans aucune
culpabilité personnelle, mais à cause du choix posé pour eux jadis par Adam et
Ève. La foi nous enseigne que tout homme qui arrive de l’autre côté de la mort
en état de péché mortel est damné pour toujours. Dieu qui est juste, ne peut
damner indistinctement tous ces humains selon la parole même de Jésus[611]
: « Tout péché et blasphème sera remis aux hommes, dans ce monde et dans
l’autre mais le blasphème contre le Saint-Esprit ne sera pas remis, ni dans ce
monde ni dans l’autre. »
Pour mieux établir ce raisonnement, il faut procéder avec ordre.
En premier lieu, il faut définir les différentes raisons qui peuvent faire
qu’un homme ou un enfant vivent en état de mort spirituelle. En second lieu, il
faut rappeler la justice de Dieu qui sonde en vérité les raisons du péché
mortel. En troisième lieu, il faut montrer que, nécessairement, Dieu ne condamne
que celui qui s’obstine, malgré une série de révélations suffisantes, dans son
refus de la vie spirituelle (blasphème conscient volontaire et libre contre
l’Esprit Saint).
1° Qu’est ce que l’état de mort spirituel
(autrement dit, dans son sens le plus général, le péché mortel[612])
? C’est une notion analogique qui signifie simplement : « pas de grâce
sanctifiante, séparation d’avec la présence mystique de Dieu. » Un homme en
état de mort spirituelle peut l’être pour plusieurs raisons. Il y a trois
sortes de péchés mortels :
Le premier est lié à une ignorance (c’est péché contre le Verbe à
qui on attribue dans la Trinité la Connaissance). Le péché originel est de cet
ordre. Il existe donc un péché mortel non volontaire, ce qui prouve l’extrême
largeur de cette notion théologique. Voilà pourquoi saint Augustin met dans une
séparation éternelle de Dieu les enfants morts en état de péché originel.
Certains adultes peuvent aussi commettre des péchés mortels à cause d’une
ignorance préalable : en effet s’ils avaient su parfaitement la gravité du
péché et de ses conséquences contre Dieu, contre le prochain et contre
eux-mêmes, ils n’auraient jamais péché. C’est ce que veut exprimer l’apôtre
quand il dit[613] : «
Si le Christ n’est pas ressuscité, mangeons et buvons car demain nous mourrons.
» Le péché d’ignorance peut être une faute mortelle en tant que l’homme met sa
fin dernière dans les créatures mais il est en partie excusable à cause de
l’ignorance qui lui est conjointe.
Le second est un péché lié à une faiblesse (péché contre le Père à
qui on attribue dans la Trinité la puissance). Certains commettent des péchés
mortels parce que leur volonté est détournée de sa fin par l’action des
puissances sensibles qui les entraînent vers leur fin particulière. Ils savent
qu’ils font le mal mais ils ne peuvent s’en empêcher. Ainsi, celui qui se livre
à la débauche à cause de son amour pour le plaisir peut savoir d’une manière
générale que Dieu ne consent pas à de tels actes et pourtant il y cède dans
certains cas particuliers à cause de l’entraînement de son désir sensible. Sa
volonté se détourne alors de Dieu pour mettre sa fin dernière en autre chose
que Dieu. Dans cette mesure, il s’agit d’un péché mortel, selon les paroles de
l’apôtre aux Romains[614]
: « les passions perverses produisent en nos membres des fruits de morts », même
si ce péché mortel est en partie excusable à cause de la faiblesse qui en est
l’origine[615].
Enfin, le troisième est le péché contre l’Esprit Saint (lucide,
conscient, libre contre l’amour). Certains peuvent commettre des péchés mortels
avec une pleine connaissance qui exclut l’ignorance et une pleine maîtrise de
soi qui exclut la faiblesse. Leur acte est alors pleinement volontaire et c’est
avec pleine responsabilité qu’ils se détournent de Dieu. Un tel péché de malice
volontaire, quand il ne présuppose aucune ignorance et aucune faiblesse
déterminante est appelé par Jésus le péché contre l’Esprit Saint, car il
s’oppose à l’amour qui est attribué en Dieu par appropriation à l’Esprit Saint.
Seul le péché contre l’Esprit Saint épuise ce qui est contenu sous la notion de
péché mortel car l’homme porte alors son intention sur une fin en sachant et en
voulant que cette fin le détourne de Dieu. Ici-bas, un tel péché est rare car
peu d’hommes sont capables des deux conditions énoncées. Jésus en a accusé avec
justesse certains théologiens de son temps. Ils avaient décidé de le mettre à
mort, tout en sachant parfaitement que sa mission venait de Dieu. Aucun
théologien ne peut ignorer que Dieu seul et non Satan peut ressusciter un mort.
2° Dieu est juste. La question qui pose
débat est : tout homme qui meurt en état de péché mortel est-il damné pour
l’éternité ? C’est la conviction de la foi de l’Église "Tout homme
qui meurt en état de péché mortel est conduit en enfer aussitôt après la
mort"[616].
C’est aussi celle de saint Augustin et de saint Thomas. Saint Augustin en
conclut : « Péché originel : limbes éternelles, enfer sans souffrance ; Païens
dans l’ignorance de l’évangile : damnation ; Chrétiens faibles en état de péché
contre le Père : damnation car tout homme qui meurt en état de péché mortel est
damné. Voilà où en est le débat.
Or, pour qu’il y ait un jugement juste,
certaines conditions sont requises en celui qui est jugé. En premier lieu, il
doit savoir de quoi il est accusé et pour qu’elles raisons. C’est pourquoi le
premier acte des juges dans les procès est d’énoncer le délit commis et de
préciser sur quel point du droit il s’oppose. Celui qui ignore complètement ce
dont on l’accuse et pourquoi on l’accuse ne peut bien évidemment pas être jugé
avec justice.
Jésus, à la différence de bien des hommes, juge en fonction des
intentions qui sont source des actes, selon cette parole : « Dieu sonde les
reins et tes cœurs. » Or l’homme, dans sa condition terrestre, n’agit pas
toujours en fonction d’intentions parfaitement éclairées et pleinement libres.
Comme cela a été montré[617],
bien des péchés mortels commis dans le monde n’ont pas leur source première
dans la malice de la volonté, mais dans la faiblesse de la chair et dans l’ignorance
de l’intelligence
3° Ainsi, dans le moment qui précède la
séparation définitive de l’âme et du corps, il convient que le juste juge qui
juge les intentions supprime toute ignorance préalable aux péchés. Il faut donc
qu’il révèle à l’homme certaines choses essentielles à son salut tel que
l’amour de Dieu, l’existence d’un Sauveur, la malice du péché. Si l’homme,
malgré cette révélation, maintient obstinément sa volonté dans le péché, il
peut être jugé pour des actes dont il est vraiment responsable. C’est pourquoi
Jésus dit, à propos du péché d’ignorance : « Si je n’étais pas venu et ne leur
avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché ; mais maintenant ils n’ont pas
d’excuse à leur péché".[618]
De même, pour le péché de faiblesse[619],
il convient que l’homme au moment de sa mort et avant son jugement soit délivré
des passions du corps qui s’entraînaient à pécher. De la même façon, celui qui
délivré de sa faiblesse au moment de sa mort, maintient obstinément sa volonté
dans le péché, peut être jugé pour des actes dont il prend la pleine
responsabilité. Ce n’est donc pas n’importe quel péché mortel qui introduit
l’homme immédiatement après sa mort dans la damnation éternelle mais seulement
le péché contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire le péché mortel "parfait"
qui implique pleine conscience, pleine volonté et liberté. C’est pourquoi le
même pape Innocent IV écrit : « Puisque la Vérité affirme dans l’Évangile que
si quelqu’un a blasphémé contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pas pardonne ni
dans ce monde ni dans le monde à venir"[620],
elle nous fait comprendre que certaines fautes sont déliées dans le siècle
présent, mais d’autres dans le siècle futur"[621].
Les péchés qui sont pardonnés dans le siècle futur, c’est-à-dire au moment de
la mort sont les péchés contre le Fils (c’est-à-dire les péchés d’ignorance car
on attribue en Dieu au Fils par appropriation la science) et les péchés contre
le Père (c’est-à-dire les péchés de faiblesse puisque le Père est considéré
comme la puissance en Dieu par appropriation). Après la mort, les seuls péchés
qui subsistent sont les péchés véniels, c’est-à-dire les restes de
l’attachement au péché, et les fautes contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire
l’obstination orgueilleuse dans le péché. Les restes du péché sont purifiés par
le purgatoire ; Les péchés mortels qui subsistent et qui, comme on l’a vu sont
des blasphèmes contre le Saint Esprit, conduisent en enfer où il n’y a plus
d’autre amour dans l’intention du pécheur que l’amour de soi.
Solution 2 :
Il existe deux manières d’être incroyant
: en un premier sens, cela peut-être par haine de la foi alors même qu’elle a
été entendue et reçue dans le cœur. Il convient que la foi soit prêchée à ces
hommes là au moment de la mort afin que, s’ils maintiennent avec obstination
leur refus, ce soit en pleine conscience et liberté. Il s’agit alors de la
première espèce du péché contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire le refus de croire
à la vérité suffisamment manifestée[622].
En un second sens, cela peut être par ignorance de la foi selon ce
que dit l’apôtre : « Comment peut-on croire sans avoir entendu ? » [623]
Une telle incroyance n’est pas coupable. Elle est donc supprimée au moment de
la mort, à cause de la bonté et de la justice de Dieu qui veut sauver tous les
hommes.
Solution 3 :
Jésus ne parle pas ici du baptême au sens sacramentel mais d’abord
de ce que signifie et réalise ce baptême, à savoir l’entrée dans la grâce de
Dieu qui est la communication de la grâce sanctifiante. Or une telle entrée en
grâce peut avoir lieu jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire jusqu’au moment de
la mort accomplie.
Solution 4 :
Dans l’hypothèse (semble-t-il erronée, voir article 2) où l’âme
humaine perdrait après la mort les facultés de sa vie psychique, elle serait
moins bien disposée à poser un acte pleinement humain qu’à l’heure de la mort.
Après la séparation complète de l’âme et du corps, la volonté humaine se
comporterait d’une manière comparable à celle des anges : elle se porterait
tout entière vers son objet, suivant en cela l’acte d’une intelligence devenue
intuitive. Mais ce mode d’élection, propre aux anges, est disproportionné par
rapport à l’exercice normal de l’intelligence humaine. Il implique une
puissance intellectuelle que l’homme ne possède pas. Le propre de l’homme est
de connaître les réalités spirituelles par l’instrument d’images sensibles dont
l’intellect agent extrait l’intelligibilité. Ainsi, une telle connaissance
intuitive lui serait moins claire car trop éblouissante. C’est pourquoi le
choix doit être réalisé dans le mode adapté à l’homme, c’est-à-dire par une
intelligence unie à son psychisme. C’est pourquoi, au moment de la mort, l’âme
reçoit la grâce de l’apparition visible de Jésus dont le corps glorieux devient
pour elle source de la plénitude de la révélation spirituelle de l’Évangile.
Voilà pourquoi un choix humain et libre est possible durant notre vie terrestre
et, selon la foi catholique, « aussitôt après la mort », l’âme est
définitivement fixée sur son destin éternellement choisi.
Nous insistons sur ce point : ce n’est donc pas l’âme mais l’homme
tout entier qui choisit, durant sa vie terrestre, son destin éternel.
Solution 5 :
Même les croyants reçoivent la
révélation de Jésus Christ au moment de leur mort. En effet, nul ne peut
prétendre connaître sur terre la profondeur du mystère du salut. Il reste bien
souvent des préjugés et des erreurs qui doivent disparaître avant le jugement
dernier. La prédication opérée par Jésus purifie la foi de toute ignorance
essentielle.
Seule la Vierge Marie, à cause de sa sainteté inégalable, aurait
pu être introduite directement dans la Vision de l’essence divine de son Fils.
Cependant, il est évident que celui-ci s’est montré à elle au jour de sa
dormition, dans son corps, son âme humaine. La foi de Marie, avant même de voir
la divinité ce son Fils, en a toujours vécue.
Solution 6 :
Cette hypothèse de Balthasar concernant le salut présente certains
avantages. Elle montre l’importance de la vie terrestre dans son ensemble comme
orientation vers le salut. Elle manifeste d’autre part comment Dieu reconnaît et
bénit tout acte bon, naturel ou surnaturel dans sa créature. Mais elle présente
des inconvénients par rapport à ce que nous avons exposé de la foi de l’Église
qui nous obligent à la considérer comme insuffisante : 1° Le premier d’entre
eux (et le moins important sans doute puisqu’il suffirait de modifier la
position de Balthasar et de situer ce qu’il décrit à l’heure de la mort et non
après la mort) est la non concordance de sa position avec la constitution
"Benedictus Deus" du pape Benoît XII de l’an 1336. Il y est dit : « Nous
affirmons en plus : comme Dieu l’a ordonné communément, les âmes de ceux qui
sont morts chargés d’un péché effectivement grave descendent immédiatement en
enfer, où elles subissent des peines infernales".[624]
Nulle âme ne saurait être conduite au Ciel à cause d’un acte ou même de toute
une vie passée dans le bien, qu’il soit humain ou surnaturel si, dans le moment
ultime de sa vie, face à Jésus qui se révèle, elle ne s’appuie pas sur ce passé
pour poser un acte actuel de charité envers lui. Ainsi, nous sommes d’accord
avec Balthasar pour reconnaître ce "petit grain d’amour" que Jésus
manifeste à tout homme dans sa vie passée, mais nous affirmons en plus que
Jésus en attend un autre, actuel, surnaturel et parfait, ayant la qualité du
"oui" que se disent mutuellement les époux le jour de leur mariage.
Sans cet acte (c’est-à-dire dans le cas où une créature refuserait obstinément
de le poser), nul n’entre au Ciel après la mort.
Objection 1 :
Tant que l’âme n’est pas séparée du corps, elle reste liée aux
faiblesses du corps. Elle ne peut donc être libérée de la faiblesse de la
sensibilité avant que la mort soit totalement accomplie.
Objection 2 :
Jésus met en garde l’homme contre le péché en disant "veillez
et priez car vous ne connaissez ni le jour ni l’heure où le fils de l’homme
viendra"[625]. Il
veut signifier par là qu’il faut se garder de tout péché, même des péchés de
faiblesse car un seul péché mortel, si nous sommes surpris par la mort, peut
conduire en enfer.
Objection 3 :
Dieu a imposé à l’homme sa faiblesse
afin qu’il apprenne l’humilité[626].
Si donc cette faiblesse est supprimée au moment de la mort, l’homme risque de
s’enorgueillir à cause de la pleine maîtrise qu’il a de lui-même. Cela semble
contradictoire avec la sagesse de Dieu qui veut conduire tout homme à la vision
de son essence. Donc l’homme n’est pas délivré de la faiblesse au moment de la
mort.
Cependant :
Nul ne peut se porter d’une manière
absolument libre vers une fin s’il est entraîne par quelque passion du corps.
Conclusion :
De même que le péché lié à une ignorance
est supprimé au moment de la mort par une révélation concernant la nature du
salut préparé par Dieu, de même il est nécessaire que le péché de faiblesse qui
est très souvent mortel soit supprimé. Et cette nécessité vient de la fin du
jugement particulier auquel aboutit la mort. Ce jugement détermine le sort
éternel de l’âme par rapport à Dieu. Or une âme ne peut être damnée que pour
des actes dont elle est pleinement responsable ce qui n’est pas entièrement le
cas du péché de faiblesse à cause de s’entraînement de la passion subi par la
volonté. Ainsi, dans le moment qui précède la séparation de l’âme et du corps,
le corps est rendu par Dieu léger pour l’âme de telle manière que la volonté ne
peut plus subir l’entraînement du foyer de péché. Dans cette situation, si un
homme s’obstine à maintenir sa volonté fixée sur le péché, ce ne peut être qu’à
raison d’un péché contre l’Esprit Saint comme l’impénitence finale. Au
contraire, si l’homme se repent au moment de sa mort, il reçoit le pardon de
Dieu et peut être sauvé, même si c’est à travers un feu[627],
c’est à dire en passant par le purgatoire.
Solution 1 :
La mort, telle que nous l’entendons dans cette question, est le
devenir progressif qui aboutit à la séparation de l’âme et du corps physique,
mais non des facultés du psychisme. Ce devenir implique une certaine durée au
fur et à mesure de laquelle le lien qui unit l’âme au corps physique devient de
plus en plus tenu. Au point de départ, l’intelligence ne peut s’exercer sans le
concours des images données par l’organe du cerveau et la volonté sans
entraîner avec elle les appétits du corps sensibles. Au terme final, l’intelligence
s’exerce d’une manière plus aisée car les images lui sont apportées par des
facultés sensibles bien réelles s’exerçant pourtant de manière séparée de
l’organe du cerveau. Pour l’intelligence, l’exercice devient aisé, comme si le
poids de la matière dont se plaignait Platon n’était plus un obstacle mais au
contraire une harmonie. Pour la volonté, aucune entrave n’affaiblit sa capacité
à se porter vers le bien.
En fait, cette libération de la faiblesse à Dieu pour cause. De
même qu’après le péché d’Adam et Ève, il avait imposé à toute leur descendance
le fomes peccati (foyer de péché) qui diminuait sans la supprimer la liberté de
chacun, de même, il en libère chaque homme à l’heure du passage. La personne
expérimente alors un état de profond calme psychologique, comparable à celui
d’Adam et Ève en Eden. C’est un fruit de la rédemption. Le foyer du péché est
cette propension lourde de notre sensibilité à chercher son propre bien
(valorisation, autonomie, sécurité) en opposition avec les volontés de l’esprit.
Depuis le péché originel, ces instincts de notre sensibilité sont devenus
difficiles à contrôler. Ils entraînent souvent notre volonté, malgré son désir
profond.
Solution 2 :
Le péché mortel quel qu’il soit, même s’il a des circonstances
atténuantes dans l’ignorance ou la faiblesse, peut conduire l’homme au péché
contre l’Esprit Saint lorsque l’ignorance et la faiblesse disparaissent. Rien
ne prouve en effet que l’homme se repente toujours de ses péchés au moment de
la mort, à cause de l’attachement à soi qui est présent dans tout péché et qui
subsiste même après la mort. Cet amour déréglé de soi peut conduire et conduit
souvent à la révolte définitive contre Dieu, car l’arbre à tendance à tomber du
côté où il penche, comme nous le verrons. [628]
Solution 3 :
Dieu veut conduire tout homme à la
vision de son essence mais pas à n’importe quel prix. Comme nous l’avons
montré, il convient que l’homme désire librement entrer dans cette gloire.
C’est pourquoi il est nécessaire que tout élément qui conditionne de l’extérieur
cette liberté disparaisse comme la violence, la faiblesse, la peur. Dieu
n’impose donc à l’homme l’état de faiblesse qui aboutit à la mort que sur cette
terre et en préparation du jugement dernier que la mort inaugure.
Objection 1 :
Il est nécessaire que l’homme voie l’essence de Dieu au moment de
la mort. Nous avons montré que la vision béatifique devait être précédée d’un
choix libre. Or nul ne peut choisir ce qu’il ne connaît pas donc l’âme voit
Dieu dans son essence au moment de la mort.
Objection 2 :
Dieu veut que tout homme soit sauvé. En
montrant son essence sainte dès le moment de la mort, il pourrait réaliser ce
salut pour tous puisque nul ne peut plus pécher en voyant Dieu. Il semble donc
qu’il agit ainsi dans sa bonté.
Cependant :
S’il en était ainsi, l’homme serait confirmé et stabilisé dans le
bien dès le moment de la mort. Or il n’en est pas ainsi puisque certains
d’entre eux seront damnés selon cette parole du Seigneur :[630]
"Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le
Diable et ses anges. » Donc l’homme ne voit pas l’essence de Dieu dès le moment
de la mort.
Conclusion :
La béatitude qui consiste à voir Dieu
dans son essence ne peut être donnée avant le jugement personnel de l’âme. En
effet, voir l’essence de Dieu, c’est voir l’essence de la bonté. L’âme qui voit
Dieu se trouve donc réellement et totalement dans le bonheur absolu. Or
personne ne peut vouloir ou agir sinon en vue du bonheur. Il est en effet
impossible de se détourner du bien comme tel. Ainsi l’homme, s’il était uni dès
le moment de la mort au Bien Incréé ne pourrait plus pécher en ce sens qu’il ne
serait plus capable de liberté. Dans cette hypothèse parfaitement opposée à ce
qu’est Dieu, la liberté serait happée et figée comme peut l’être le papillon
dans la flamme d’une lampe. Il ne voudrait jamais s’en séparer, non par choix
libre mais par force ce qui, on le sait par les paroles de Jésus, n’est pas la
manière dont Dieu veut le salut de l’homme. Il veut s’unir à lui comme on le
fait dans un mariage[631].
Solution 1 :
Il n’est pas nécessaire, pour se porter vers un bien de connaître
d’expérience tout ce qui est impliqué dans ce bien mais simplement de connaître
la raison générale de sa bonté. Ainsi, dans le mariage humain, il n’est pas
nécessaire pour s’engager d’avoir expérimenté la sexualité mais il est
nécessaire de savoir qu’il y aura une vie sexuelle. De même, il n’est pas
nécessaire que l’homme voie l’essence de Dieu pour se porter vers Dieu, il est
seulement nécessaire qu’il comprenne qu’il verra Dieu et que Dieu est à l’image
de Jésus, à la fois le Tout-puissant et le plus humble (kénose) et aimant,
jusqu’au mépris de soi. On le voit sur terre chez ceux qui aiment Dieu plus que
tout, sans avoir vu son essence.
Solution 2 :
La bonté de Dieu est aussi Sagesse. Or
Dieu dans sa sagesse a créé l’homme avec un libre arbitre. C’est donc selon le
mode de la nature de sa créature qu’il se donne à lui, c’est-à-dire après un
acte de son libre arbitre, ce qui ne serait pas possible si Dieu manifestait
son essence dès le premier instant.
Objection l :
Il semble que cela n’est pas possible : Jésus est actuellement
glorifié et son corps glorieux est invisible à l’œil humain à cause de sa
nature supérieure, qui est spirituelle.
Objection 2 :
Nul ne peut voir s’il n’a les yeux ouverts. Or le corps, dans le
moment qui précède la mort, est dans une situation limite telle que ses
fonctions sensitives ne fonctionnent plus. Il n’est donc plus en mesure de voir
quoique ce soit.
Objection 3 :
Aucun texte de l’Écriture n’enseigne
cela. On ne doit rien ajouter à la Révélation sous peine de malédiction selon
l’Apocalypse[633].
Cependant :
L’Écriture dit[634]
: « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé. » De même dans l’Évangile, le
Seigneur annonce : « les puissances des cieux seront ébranlées et alors on
verra le Fils de l’homme venant dans une nuée avec grande puissance et grande
gloire"[635],
parole qui peut s’appliquer à la fin générale du monde aussi bien qu’à la fin
de ce petit monde qu’est l’homme. Jésus le dit encore plus concrètement au
Grand Prêtre qui l'interrogeait, avant sa condamnation à mort : « Es-tu le
Christ, le Fils du Béni ? » "Je le suis, répond Jésus, et vous verrez le
Fils de l'homme siégeant à la droite de la Puissance et venant avec les nuées
du Ciel. "[636]
Conclusion :
Nous avons montré qu’il est nécessaire que l’homme reçoive dans le
moment de la mort certaines révélations de la part de Dieu concernant son
salut. Or la parole de Dieu faite chair, c’est Jésus Christ lui-même selon
saint Jean : « et le Verbe s’est fait chair et il a demeure parmi nous"[637].
Dans l’humanité du Christ, Dieu a façonné une image de sa divinité, une image
parfaitement adaptée au mode de la connaissance humaine qui s’appuie sur ce qui
est senti pour s’élever à ce qui est compris par l’intelligence. Il convient
donc que la révélation de la gloire réalisée dans le moment de la mort le soit
par le Christ Jésus. C’est pourquoi l’Écriture dit[638]
: « Il n’existe pas d’autre nom sous le Ciel que celui de Jésus par lequel nous
devons être sauvés. » Ce n’est donc pas par des paroles mais par la rencontre
bouleversante avec Jésus, la Parole faite chair, que se fera l’ultime
révélation précédant le jugement dernier. Elle est donnée non seulement aux
hommes qui ne connaissent pas Jésus, c’est-à-dire aux païens, mais aussi aux
croyants. Car nul chrétien, aussi contemplatif soit-il sur terre ne soupçonne
l’intensité de lumière et d’amour qui rayonne de l’humanité Sainte de Jésus. On
raconte de saint Thomas qu’il cessa d’écrire sa somme théologique à la suite
d’une apparition du Christ. Il confia à son secrétaire qu’il n’écrirait plus
car il avait compris en un instant qu’il ne savait rien.
Quant aux modes de cette révélation, ils sont décrits
métaphoriquement par l’apôtre Jean dans ses visions[639]
: « Je me retournais pour regarder la voix qui me parlait et, m’étant retourné,
je vis au milieu de sept candélabres comme un Fils d’homme, revêtu d’une longue
robe serrée à la taille par une ceinture d’or. Sa tête avec ses cheveux blancs,
est comme de la laine blanche, comme la neige, ses yeux comme une flamme
ardente, ses pieds pareils à l’airain précieux que l’on aurait purifié au
creuset, sa voix comme la voix des grandes eaux. Dans sa main, il y a sept
étoiles et de sa bouche sort une épée acérée, à double tranchant, et son
visage, c’est comme le soleil qui brille dans tout son éclat. À sa vue, je
tombais à ses pieds comme mort mais il posa sur moi sa main droite en disant,
ne crains pas. »
En parlant de Fils d’homme, saint Jean veut nous signifier que ce
n’est pas Jésus en tant qu’il est Dieu qu’il a vu ; Sa longue robe est la
plénitude de toutes les vertus que tient la plus grande d’entre elles : la
charité qui est comme une ceinture d’or ; les cheveux blancs symbolisent la
sagesse qu’on attribue d’habitude aux vieillards ; la blancheur rappelle la
pureté du cœur de Jésus ; ses yeux sont comme une flamme ardente car il émane
d’eux un amour qui enflamme celui qu’il regarde ses pieds sont pareils à
l’airain car Jésus est le rocher sur lequel tout homme peut et doit s’appuyer,
il nous l’a montré dans le creuset de sa crucifixion ; Sa voix est comme celle
des cascades car tout homme l’entendra. Dans sa main se trouvent sept étoiles,
c’est-à-dire la grâce qu’il peut donner si quelqu’un la demande ; quant à
l’épée acérée, elle est sa parole qui dévoile dans chaque âme le péché là où il
est, ne laissant rien de caché dans la conscience ; tout son être rayonne comme
le soleil car il éclaire de sa vive lumière tout homme qui arrive en sa
présence[640].
On peut résumer la révélation ainsi décrite de cette manière : à
sa mort, l’âme encore liée à son corps voit avec les yeux de sa chair
l’humanité Sainte de Jésus, selon le mode voulu par lui, de telle façon qu’elle
découvre comme dans un miroir la lumière de Dieu et l’amour de Dieu. Dans cette
lumière, l’homme découvre à quel point il est ténèbres et péché, « néant devant
Dieu" selon les paroles de Sainte Catherine de Sienne. Il s’agit d’une
révélation à la fois bouleversante car elle remet en question notre
connaissance limitée de Dieu[641],
et effrayante car elle fait toucher du doigt ce que nous sommes vraiment (Dies
Irae)[642].
Solution 1 :
Le corps glorieux de Jésus obéit parfaitement à sa volonté : il se
rend donc visible au gré de sa volonté et selon le mode qu’il veut. Il adapte
la vision de son humanité en fonction du bien de chaque homme à qui il se
montre.
Solution 2 :
La vision du corps glorieux du Christ se fait avec les facultés de
la vie sensible. La raison en est que le corps de Jésus est un corps physique
et non un corps intelligible. Il existe une autre personne dont le corps
physique est présent dans l’autre monde. C’est la Vierge Marie. Le mystère de
son assomption trouve ici son sens ultime car Dieu, l’Etre aux qualités
masculines (Toute-puissance, éternité, justice) et féminines (humilité (kénose)[643],
amour, miséricorde) peut être révélé dans une plus grande plénitude par
l’apparition de Jésus et Marie unis. Il faut donc admettre que les facultés
sensitives de l’homme peuvent s’exercer un certain temps après l’arrêt de ses
fonctions végétatives. Cela correspond d’ailleurs au témoignage de ceux qui sont
passés près de la mort. D’après eux, la vie sensible demeure et s’exerce avec
un mode supérieur au mode habituel.
Quant au fait qu’il faut avoir des yeux ouverts pour voir, cela ne
prouve rien car Jésus peut imprimer directement dans l’œil et dans l’imagination
l’image de son humanité Sainte[644].
Une autre explication a été apportée plus haut[645].
Nous la devons aux philosophies de l’Extrême Orient. Les facultés psychiques
survivraient par la survie d’un corps fait d’une matière psychique que l’âme a
le pouvoir de maintenir vivant au-delà de la disparition du corps physique.
Solution 3 :
Dans le cas qui nous occupe, des textes explicites existent, bien
qu’ils puissent être appliqués aussi au retour définitif de Jésus qui aura lieu
à la fin du monde. Ce fait apparaît clairement dans l’évangile selon saint
Matthieu[646] : «
Comme les jours de Noé, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. En ces jours
qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari,
jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et les gens ne se doutèrent de rien
jusqu’à l’arrivée du déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l’avènement
du Fils de l’homme. Alors deux hommes seront aux champs : l’un est pris,
l’autre laissé ; deux femmes en train de moudre : l’une est prise, l’autre
laissée. Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir votre
Maître. » Jésus parle de son "avènement », ce qui semble signifier sa
dernière parousie, celle de la fin du monde. Or pour s’expliquer, il dit
"qu’en ce jour-là, deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre
laissé. » Cela ne peut signifier que l’heure de la mort individuelle de cet
homme.
Un autre texte peut aller dans le sens de l’identification par
Jésus entre les mystères de la mort individuelle et ceux de la fin politique du
monde : « En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout
cela ne soit arrivé. Le Ciel et la terre passeront mais mes paroles ne
passeront pas".[647]
Ce texte et d’autres analogues semble annoncer la fin du monde et la parousie
générale en en fixant la date à la génération de ceux qui ont connu Jésus. En
apparence, cela ne s’est pas réalisé car on pense ici à son retour universel
lors de la fin des fins. Or il existe une parousie au cours de l’histoire qui
marque chaque génération tout aussi réellement que la parousie définitive qui
fera s’arrêter le cycle des générations. En effet, moins de cent ans après que
Jésus a prononcé ses paroles prophétiques, toute la génération qui les avait
entendues avait réellement et historiquement connu la parousie. Cela ne s’était
pas réalisé d’un seul coup mais par la somme des parousies individuelles à la
mort de chacun.
La Révélation plénière ne se trouve pas tout entière dans la
lettre de l’Écriture, mais aussi dans la Tradition et la confirmation du
Magistère. Ainsi, poussée par l’Esprit Saint, l’Église fut contrainte de
proclamer les dogmes de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie et de son
assomption alors qu’ils ne sont pas présents d’une manière littérale dans la
Bible. Avant même cette proclamation, l’Esprit n’avait pas attendu pour en
susciter la foi dans le cœur de certains saints et dans le peuple de Dieu. De
même, la tradition de l’Église n’est pas totalement muette sur cette parousie à
l’heure de la mort. Outre sainte Faustine, nous trouvons le passage suivant
chez saint Thomas d’Aquin[648]
: « À un homme qui, sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison naturelle pour
chercher le bien et éviter le mal, on doit tenir pour très certain que Dieu
révélerait par une inspiration intérieure les choses qu’il est nécessaire de
croire ou lui enverrait quelque prédicateur de la foi, comme Pierre à Corneille.
» De manière plus récente, l’un des textes les plus beaux est à trouver chez
Mgr d’Hulst sur le salut des incroyants. [649]
"Notre Sauveur est au-dessus de ses propres lois, et il ne demande
permission à personne pour sauver une âme qui l’a plutôt ignoré que trahi. Dans
ce dernier combat de l’agonie, (…) il y a certainement une sollicitation
suprême de la miséricorde ; il y a une apparition (je prends ce mot dans le
sens métaphysique et le plus large), une apparition de Jésus ; il y a le
souvenir, tout d’un coup ranimé, de ces fragments épars d’instruction
religieuse oubliés depuis l’enfance. (…) Et quand l’âme est droite, quand elle
a péché par ignorance, faiblesse ou entraînement, quand elle n’a pas commis et
multiplié ces grands crimes de trahison intérieure, de résistance à la voix de
Dieu entendue, de mauvaise foi dans la calomnie et le blasphème ; de guerre
impie faite à la croyance et à la vertu des autres ; alors se réalise pour elle
la personne de Jésus crucifié. » [650]
C’est ce qu’enseigne saint Jérôme "Le jour du Seigneur est
aussi bien la parousie lointaine que le jour de la mort".[651]
Objection l :
Cela ne parait pas possible. Les personnes décédées n’ont plus de
corps. Elles sont comme des anges et ne peuvent être vues par l’œil matériel.
Elles ne peuvent donc apparaître au moment de la mort.
Objection 2 :
La vision de l’humanité Sainte de Jésus suffit amplement pour
révéler à l’âme la nature du bonheur éternel et la manière de l’atteindre. Car
Jésus est l’image parfaite de Dieu. Il est donc superflu que des personnes
décédées apparaissent avec lui.
Objection 3 :
Parmi les proches décédés, il est
possible que certains soient damnés. Il semble inconvenant qu’ils soient rendus
présents pour provoquer la conversion de l’âme. Les damnés en effet voudraient
que chacun le soit avec eux.
Cependant :
L’apôtre parle de "l’avènement du Seigneur Jésus avec tous
ses saints"[653].
C’est donc accompagné de personnes déjà décédées que le Seigneur se montrera à
la fin de notre vie. Le Concile Vatican II appuie cette fonction essentielle
des morts[654] : «
Étant en effet plus intimement liés avec le Christ, les habitants du Ciel
contribuent à affermir plus solidement l’Église en sainteté. Ils ajoutent à la
grandeur du culte que l’Église rend à Dieu sur la terre et l’aident de
multiples façons à se construire plus largement[655].
Car admis dans la patrie et présents au Seigneur[656]
par Lui avec Lui et en Lui ils ne cessent d’intercéder pour nous auprès du Père
offrant les mérites qu’ils ont acquis sur terre par l’unique Médiateur de Dieu
et des hommes le Christ Jésus[657]
servant le Seigneur en toutes choses et complétant en leur chair ce qui manque
aux souffrances du Christ en faveur de son corps qui est l’Église[658]
Ainsi leur sollicitude éternelle est du plus grand secours pour notre infirmité.
»
Conclusion :
La finalité de la révélation qui
accompagne la mort est d’amener l’homme à se tourner vers Dieu, s’il ne l’a
déjà fait et à le faire davantage s’il est déjà vivant de la vie de grâce
sanctifiante, de la même façon que toute prédication de l’Évangile. Dans ce
but, Jésus donne dès cette terre à ses apôtres des pouvoirs extraordinaires qui
manifestent extérieurement la vérité du message. Au moment de la mort, la
manifestation de la gloire du corps de Jésus est suffisante par elle-même car
elle manifeste en plénitude la vérité et la bonté de l’Évangile[659].
Elle n’a donc pas besoin d’être accompagnée d’autre chose qu’elle-même. L’homme
peut alors répondre par la foi qui justifie au contraire se détourner de la
foi.
Mais la présence des personnes que l’agonisant a chéri dans sa vie
terrestre et qui l’ont précédé dans la mort peut constituer un surcroît de
délicatesse de la part de Jésus et manifester efficacement son immense amour.
C’est pourquoi il arrive qu’il les rende présents. Car l’amour se nourrit
d’actes de délicatesses qui le révèlent. Il peut s’agir de la présence des
proches décédés comme les parents ou les amis ; il peut aussi s’agir de la
présence des saints que la personne a particulièrement vénérés durant sa vie ;
C’est pourquoi la Sainte Vierge s’engage dans ses apparitions à être présente
lors de la mort de celui qui la prie d’une manière particulière selon les
paroles de l’Ave Maria : « et à l’heure de notre mort. » Le cas de la Vierge
Marie est cependant particulier, comme nous l’avons suggéré plus haut. Elle a
un rôle unique dans le plan rédempteur de Dieu, à titre d’image féminine de
Dieu et de collaboratrice unique dont le oui, par opposition au non d’Ève, à
fait entrer la Vie dans le monde.
La finalité de la présence des saints ou des proches décédés étant
de manifester à l’homme avec délicatesse l’amour de Dieu, Jésus adapte ces
présences en fonction de la sensibilité de chacun. Il est donc probable que
certains protestants ne reçoivent à l’heure de leur mort ni la visite de la
Vierge Marie ni celle des saints. Ils reçoivent la visite de Jésus seul qui
respecte leur sens de l’unique rédemption opérée par lui, même si ce sens
erroné se trouve très vite rectifié. [660]
Solution 1 :
Deux hypothèses : 1° Les morts n’ont plus aucun rapport avec leur
corps. Ils sont des esprits séparés. Dans ce cas, dit saint Thomas, ils sont
rendus visibles par le ministère des anges qui façonnent pour l’occasion une
image de leur corps. Quant à la Sainte Vierge qui est déjà glorifiée avec son
corps, elle apparaît en exerçant sa propre puissance. 2° Les morts conservent la
partie psychique de leur corps (le corps astral des philosophies extrême
orientales). Dans ce cas, ils peuvent apparaître par leur propre force.
Solution 2 :
L’apparition des proches décédés ou de la Vierge n’est pas une
nécessité absolue puisque Jésus est à lui seul image parfaite de Dieu. Mais
elle convient comme un surcroît de délicatesse divine, car c’est par la
délicatesse manifestée que naît l’amour. [661]
Solution 3 :
Quant aux personnes damnées, elles ne
sont pas rendues présentes par le ministère des anges bons qui ne sauraient
utiliser la tromperie dans leurs actions. Il est par contre possible qu’elles
soient rendues présentes par l’action du démon qui fait tout ce qu’il peut pour
entraîner l’âme avec lui dans la perdition. Ainsi, les proches qui sont en
enfer peuvent accompagner le démon dans d’ultime tentative d’entraîner après
lui les âmes. Les âmes du purgatoire qui sont saintes et déjà unies
intentionnellement avec Dieu peuvent être visibles de la même manière que les
âmes du paradis. Mais, à la différence des élus du Ciel, elles ne sont pas
visibles immédiatement dès qu’elles en expriment le désir. Elles sont en effet,
pour leur bien et de leur propre volonté, séparées du reste du monde[662].
Objection 1 :
Cela ne parait pas possible. Le démon est l’ennemi de Dieu et
cherche à entraîner l’âme à sa perdition éternelle. Dieu ne peut donc permettre
sa présence jusque dans le terme ultime de la vie qui précède le jugement
dernier.
Objection 2 :
Le règne du démon a été vaincu par le Christ selon cette parole de
l’Écriture : « Vous avez vaincu le Mauvais"[664].
Son pouvoir sur l’homme a été détruit. Il parait donc incroyable qu’il puisse
se manifester à l’heure de la mort en même temps que Jésus.
Objection 3 :
Le démon est un ange déchu. Il n’a pas de corps et ne peut donc
pas être vu.
Objection 4 :
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus disait[665]
: « Puisqu'on dit que toutes les âmes sont tentées par le démon au moment de la
mort, il faudra que j'y passe. Mais pourtant non, je suis trop petite. Avec les
tout petits, il ne peut pas.. » C’est donc que le démon n’a pas l’autorisation
d’approcher toutes les âmes.
Cependant :
L’Apocalypse de Jean écrit : « Le dragon se lança à la poursuite
de la femme. Mais elle reçut les deux ailes du grand aigle. Le serpent vomit
alors un fleuve d’eau derrière la femme pour s’entraîner dans ses flots. Mais
la terre vint au secours de la femme".[666]
La femme peut représenter selon un des sens possibles l’âme au moment de la
mort. On voit que jusqu’au bout, malgré l’aide de Dieu signifiée par les ailes
et par la terre, le démon poursuit l’homme, jusque dans le moment de la mort.
Conclusion :
Sans le vouloir, quoiqu’il fasse, les démons servent le plan de
salut de Dieu sur les hommes.
1° Au cours de sa vie terrestre, les
attaques principales du démon sur l’homme consistent dans les tentations. Le
diable vient en tant que Satan (le serpent) c’est-à-dire qu’il se cacher et se
glisse dans la psychologie humaine et tente l’homme pour l’habituer à vivre
dans l’égoïsme. Il tente l’homme par ces trois choses principales qui sont poussière
pour lui (plaisirs égoïstes, argent égoïste et vanités égoïstes). Il fait cela
de sa propre initiative à cause de sa malice qui lui fait haïr le dessein de Dieu
sur l’homme. Mais ces attaques sont permises par Dieu et utiles pour l’homme
car il sait se servir avec ordre des divers maux en les orientant vers le bien
de la préparation de son salut. En effet, par ces épreuves, l’orgueil de
l’homme est flagellé ; parfois même, il naît un peu d’humilité et de désir d’un
salut ; Mieux encore, chez quelques-uns, tout cela augmente l’amour en
disposition la charité.
2° Dans la deuxième étape, au moment de la
mort, alors que le destin individuel de chaque homme se prépare, il est
absolument nécessaire (d’une nécessité morale) que le royaume de l’amour de soi
soit présenté à l’âme. Car l’homme est amené à opter avec son libre arbitre
entre deux royaumes, le règne de l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi ou le
règne de l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu selon saint Augustin. Il
convient que le démon qui est à la tête du règne du péché vienne en tant qu’il
est Lucifer (le dragon debout et digne, le Porteur de lumière) et soit
l’ambassadeur de cette révolte contre l’humilité et l’amour du Royaume de Dieu.
Lucifer est d’abord présent comme
séducteur, selon l’Écriture "le séducteur du monde entier, fut jeté
sur la terre... frémissant de colère et sachant que ses jours sont comptés
"[667].
Son effort consiste alors à manifester à l’homme le bien relatif, apparent mais
réel aux yeux de l’égoïste qui peut être présent dans les péchés. L’homme en
péchant, c’est-à-dire en s’opposant au Dieu de l’humilité (kénose) et de
l’amour, devient maître du bien et du mal, c’est-à-dire, selon la Genèse, il
devient comme un dieu -selon lui- pleinement libre. Il peut donc obtenir en
enfer, s’il est suffisamment porté à cela, la liberté divine que donne
l’exaltation de soi, accompagné de la solitude et du feu qui en découle. Dans
cette présentation, il y a de la part de Lucifer une exigence de vérité.
S’il ne convainc pas le pécheur, Lucifer se fait ensuite présent comme accusateur selon l’Écriture : « Il
est l’Accusateur de nos frères"[668],
c’est-à-dire qu’il rappelle à l’homme ses péchés passés en s’efforçant de le
faire désespérer du pardon de Dieu.
Mais cette présence ultime du démon, démultipliée à cause du fait
qu’elle est la dernière possibilité qui lui est laissée, n’est tolérée par Dieu
que dans la mesure où cela est nécessaire au choix ultime de l’homme. Dieu ne
permet pas que l’homme soit tenté au-delà de ses forces. C’est pourquoi la
moindre conversion du cœur de l’homme vers Dieu fait cesser toute attaque de
l’ennemi selon l’Apocalypse : « la terre vint au secours de la femme"[669].
Il faut remarquer enfin que nous trouvons une annonce cachée de cette venue du
démon dans l’Écriture dans le texte suivant : « Quand on vous emmènera pour
vous livrer, ne vous préoccupez pas de ce que vous direz, mais dites ce qui
vous sera donné sur le moment : ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit
Saint"[670]. Le
démon se faisant accusateur en évoquant toutes nos fautes passées et en
appelant à son aide le souvenir de la souffrance que nous avons causée pour nos
frères sera vaincu par notre plus petit regard d’amour pour Dieu.
Solution 1 :
Dieu ne permet la présence du démon que parce qu’il sait pouvoir
s’en servir pour sa gloire ; et la gloire de Dieu selon saint Augustin c’est le
bien de l’homme.
Solution 2 :
Pour le moment, durant notre vie terrestre, le règne du démon sur
l’homme a été vaincu en tant que la passion du Christ a préparé à l’homme un
remède, par lequel il peut se protéger contre les assauts de l’ennemi. Aidé par
la grâce, l’homme peut vaincre le démon et, par là, mener jusqu’à l’héroïsme
son amour pour Dieu et pour ses frères. À l’heure de la mort, cette victoire se
manifeste plus glorieusement de manière à ne pas être entraîné infailliblement
dans la perte de la mort éternelle. À la fin du monde, le dernier mal
provisoire sera lui-même détruit, à savoir la mort elle-même[671]
: « Le dernier ennemi qu’il détruira, c'est la Mort ; car Dieu a tout mis sous
les pieds du Christ. Mais lorsqu'il dira : « Tous est soumis désormais », c'est
évidemment à l'exclusion de « Celui qui lui a soumis toutes choses. »
Solution 3 :
Le démon a gardé après son péché les puissances naturelles que
Dieu lui avait données lors de sa création. Il lui est donc possible de se
rendre visible de manière sensible, dans la mesure où Dieu le permet, et quand
il veut. S’il se rend visible ainsi, c’est parce qu’il s’adapte au mode de la
connaissance humaine à qui il est naturel de connaître le spirituel par le
sensible. Mais, à l’heure de la mort, cette connaissance se fait de manière
parfaite au point que, en voyant Lucifer, le mourant comprend en instant tout
ce qu’il doit comprendre sur l’enfer.
Solution 4 :
Le rôle du démon est essentiel à la
liberté du choix même pour les humbles (kénose) ou les enfants morts
prématurément comme nous le verrons. Mais le moindre retour vers Dieu le ait
fuir, Dieu ne permettant pas qu’il tente un homme au-delà de ses forces. Ce
dernier point est une certitude confirmée par le dogme.
Objection 1 :
On voit mal comment cela serait possible. Si l’homme, au moment de
sa mort, voit l’humanité sainte de Jésus, il faut que ses facultés sensibles
soient élevées par lui au-dessus de leur capacité naturelle, comme on le voit
chez ceux qui ont des apparitions et qui sont en extase. Or l’homme ne peut
être en même temps hors du monde sensible habituel et dans ce monde. Il ne peut
donc voir les personnes encore vivantes sur terre.
Objection 2 :
Au moment de la mort, les premières facultés qui cessent de
fonctionner sont les facultés liées au cerveau car, d’après les médecins, le
cerveau est l’organe le plus sensible au manque d’oxygène. Il y a une perte de
la conscience telle qu’elle implique une séparation par rapport à notre monde.
Donc l’homme ne peut voir des personnes encore vivantes sur terre.
Objection 3 :
Si des personnes encore vivantes sont
rendues visibles à celui qui est en train de mourir, ce ne peut être qu’à leur
insu. On voit mal le Seigneur agir ainsi.
Cependant :
Le Seigneur ne néglige rien de ce qui
peut être utile au salut de ceux qu’il appelle à son admirable lumière. Il peut
donc arriver que des personnes encore vivantes soient rendues visibles si le
bien l’exige.
Conclusion :
De même qu’il peut être bon que le salut
de l’âme que Jésus soit accompagné par des défunts qui sont déjà sauvés, de
même il peut être convenable que soient rendues visibles des personnes encore
vivantes sur la terre. Cela arrive principalement quand ceux qui sont sur la
terre offrent des prières et des sacrifices à l’intention de celui qui est mort.
Ils sont alors rendus visibles et donc coopérants efficaces à l’œuvre de
rédemption.
C’est ce qu’enseigne en un certain sens le Concile Vatican II[672],
sans toutefois aller jusqu’à parler de la possibilité du mode sensible de la
communion entre les saints du Ciel, ceux de la terre et ceux qui vivent l’heure
de la mort : « Tous cependant [les trois "états" de l’Église] à des
degrés divers et sous des formes diverses, nous communions dans la même charité
envers Dieu et envers le prochain, chantant à notre Dieu le même hymne de
gloire. En effet, tous ceux qui sont du Christ et possèdent son Esprit,
constituent une seule Église et se tiennent mutuellement comme un tout dans le
Christ[673].
Donc, l’union de ceux qui sont encore en chemin avec leurs frères qui se sont
endormis dans la paix du Christ ne connaît pas la moindre intermittence ; Au
contraire, selon la foi constante de l’Église, cette union est renforcée par
l’union des biens spirituels. »
Solution 1 :
Jésus a le pouvoir de rendre visible en même temps que son corps
glorifié certaines réalités du monde présent comme on le voit d’ailleurs dans
le récit de certaines apparitions authentifiées par l’Église. [674]
Solution 2 :
Relativement à la puissance naturelle de celui qui meurt, de
telles visions sont impossibles mais pas si l’on considère la puissance de Dieu
et des anges qui réalisent cet effet.
Solution 3 :
C’est parce que ceux qui sont sur terre se répandent en prières
pour le défunt que le Seigneur manifeste parfois cette prière à celui pour qui
elle est adressée. Ce n’est donc pas totalement à l’insu de la personne qui
prie. Cette prière, venant visiblement pour l’agonisant d’une personne qui est
sur la terre plongée dans l’obscurité totale de la foi bouleverse encore
davantage que celle des saints du Ciel car elle implique un amour et une foi
dépourvus de l’appui de la Vision béatifique. Il est donc certain qu’elle
possède auprès du mourant une vertu démultipliée en vue de sa conversion. On
voit donc pourquoi il est si important de prier pour ceux qui meurent. [675]
Objection 1 :
Cela n’est pas possible : les souvenirs du passé sont souvent
irrémédiablement oubliés. Quant à ceux qui demeurent dans la mémoire sensible,
ils disparaissent immédiatement avec la destruction du cerveau qui est leur
siège.
Objection 2 :
Bien des péchés passés ont été effacés par la pénitence. Il est
donc inutile qu’ils soient ramenés à la mémoire au moment de la mort.
Objection 3 :
Il serait ridicule qu’un homme mûr revoie les fautes commises
durant son enfance selon l’apôtre : « quand nous étions enfants, nous agissions
comme des enfants[676].
"Or ce qui est de l’enfant a disparu depuis longtemps.
Cependant :
Le récit de ceux qui sont passés près de la mort rapporte souvent
qu’ils voient défiler le film complet de leur vie.
Conclusion :
Nous avons montré qu’il est nécessaire que l’homme, au moment de
sa mort, reçoive de Dieu les révélations indispensables à son salut car
l’Évangile doit être prêché à tous. La parole de Dieu est donnée grâce à la
vision du Verbe fait chair c’est-à-dire Jésus Christ. Or la vision de la
lumière du Verbe incarné a pour premier effet de manifester à l’homme la nuit
qui est en lui. À cela, nul esprit créé ne peut échapper selon cette parole de
Job :[677]
"Il convainc même ses anges d’égarement. » L’homme est donc confronté à
revivre sa vie à la lumière de Jésus[678].
Chaque acte bon et chaque acte mauvais est manifesté et rien de ce qui est
caché dans la conscience ne le demeure. La nécessité de cette relecture de la
vie terrestre est manifeste pour la raison suivante : C’est par les actes de la
vie terrestre que l’homme devient ce qu’il est au moment de sa mort. C’est donc
en voyant sa vie que l’homme peut connaître ce qu’il est vraiment aux yeux de
Dieu. Il peut connaître aussi ce que Dieu attendait de lui durant sa vie et,
comme dans un miroir, qui est Dieu. "Il faut que nous soyons mis à
découvert devant le tribunal du Christ, pour que chacun retrouve ce qu’il aura
fait pendant qu’il était dans son corps, soit en bien, soit en mal".[679]
Solution 1 :
On peut donner deux explications
possibles de la manière dont les souvenirs passés reviennent à l’esprit et à la
conscience au moment de la mort. Cela peut être à cause d’une loi naturelle du
psychisme humain qui, dans la situation qu’est la mort, fait remonter à la
surface les souvenirs enfouis dans la mémoire sensible. Car la mémoire humaine
garde la trace de toutes actions, même si de tels souvenirs restent
inconscients et ne peuvent ressurgir que dans certaines situations. Il faut se
souvenir qu’à l’heure de la mort, la faculté de la mémoire sensible s’exerce
d’une manière nouvelle, beaucoup plus efficace, puisqu’elle semble subsister
malgré la disparition de l’organe matériel qu’est le cerveau.
Autre explication : Cela peut être aussi un effet de la providence
divine ou du ministère des anges qui connaissent chacun selon son mode, les
méandres de notre vie.
Solution 2 :
Même les péchés mortels passés qui ont été effacés par la
pénitence sont ramenés à la mémoire non à cause de la condamnation qu’ils
auraient mérité s’ils n’avaient été pardonnés mais à cause de la miséricorde de
Dieu qui se dévoile dans le pardon.
Solution 3 :
Rien de ce qui a été commis durant la
vie humaine n’est indifférent au salut éternel car la vie tout entière prépare
le jugement dernier. Ainsi, les actions bonnes et mauvaises commises dans
l’enfance, de même qu’elles ont des conséquences sur la vie d’adulte, en ont
aussi par rapport à la vie éternelle
A propos du jugement dernier, le cardinal Gouyon écrit un texte
qui peut aussi illustrer le moment de la mort[680]:
« Alors tout apparaîtra : nos efforts comme nos lâchetés, mais surtout notre
amour et notre refus. La conclusion se tirera d’elle-même. L’homme qui
cherchait Dieu sera ébloui de la rencontre, mais sans doute ressentira-t-il le
regret de s’être trop souvent dérobé à un amour qui est ici capable de le
satisfaire. L’amertume de ces refus lui causera une souffrance passagère qui
permettra sa purification, sans lui enlever l’espérance. Nous voyons ce que
nous aurions dû faire et que nous n’avons pas fait[681].
Cela devrait suffire à ce délai que nous appelons le purgatoire mais qui porte
en lui-même la promesse de cette possession de Dieu sans mesure et sans fin que
sera le Ciel. »
Objection 1 :
La foi de l’Église affirme que toute personne qui meurt en état de
péché mortel et sans avoir été lavée par la pénitence est directement condamnée
à la peine éternelle de l’enfer. Il ne semble donc pas qu’il puisse y avoir de
repentir au moment de la mort.
Objection 2 :
Si c’est le cas, il suffit pour être sauvé de se convertir au
dernier moment et il n’est nul besoin de vivre une vie parfaite. Cette doctrine
semble donc encourager le péché.
Objection 3 :
La foi catholique enseigne de manière solennelle qu’il ne peut y
avoir repentir que pendant la vie terrestre, le temps de la mort étant celui de
la récompense ou de la peine. C’est ce qui apparaît clairement dans la
Constitution dogmatique de Benoît XII : « En outre, nous définissons que, selon
la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché
mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées
de peines infernales. » Donc il ne peut y avoir de repentir à l’heure de la
mort.
Cependant :
À une mère qui demandait au curé d’Ars si sa fille était sauvée,
alors qu’elle s’était suicidée, celui-ci répondit : « entre le pont et l’eau,
elle s’est convertie. » Ce qui signifie que jusqu’au dernier moment la
conversion est possible.
Conclusion :
Tant que l’âme se trouve dans cette vie,
le repentir est possible. La raison vient non de la nature de la connaissance
humaine mais des limites provisoires où Dieu l’a plongée. Le vouloir de l’homme
est en effet proportionné au mode de sa connaissance.
La nature de la connaissance de l’homme, ici-bas comme dans
l’au-delà, consiste à se porter vers l’intelligible en l’abstrayant du
sensible. Pour cela, elle utilise une capacité d’abstraction appelée
"intellect agent. »
1° Ici-bas : Or, ici-bas, avant comme après
le péché originel, le sensible est obscur. Il ne reflète que difficilement
l’essence de la réalité. L’intellect agent n’abstrait qu’avec difficulté à
partir des images leur signification. En conséquence, la volonté de l’homme qui
se porte vers ce que l’intelligence lui présente comme bien, n’est pas immuable
et inflexible. Demain l’objet lui apparaîtra sous des aspects nouveaux et ce
qui est désiré aujourd’hui sera repoussé avec la même ardeur sous l’impulsion
des raisons nouvelles que l’on vient de découvrir. Beaucoup de gens séduisant
sont pervers et inversement. La séduction du péché empêche d’en voir pleinement
les conséquences amères.
Après le péché originel, une deuxième
limite est venue perturber davantage la liberté des choix. Il s’agit de la
révolte des passions. La volonté de l’homme peut être amenée à se porter sur un
objet parce que le choix est perturbé par une orientation puissante et non
contrôlée des passions trompeuses. C’est pourquoi, lorsque la passion disparaît
nous changeons souvent nos vouloirs.
Pour ces deux raisons (difficulté à comprendre et faiblesse de la
sensibilité), nos choix terrestres sont fragiles. Il est donc toujours possible
de revenir en arrière lorsqu’apparaît une raison qu’on n’avait pas précédemment
discernée. C’était déjà en partie vrai pour Adam et Ève, au moins pour la
première raison, d’où la possibilité pour eux d’un salut.
2° Dans le passage de la mort, la nature de
la connaissance humaine ne change pas dans son essence (abstraction à partir
d’images) mais dans son mode. Le perfectionnement se fait dans la connaissance,
non seulement à cause de la puissance de l’intellect agent qui est augmentée
qu’à cause de la nature des objets sensibles. 1° L’intellect agent exerce son
abstraction d’une manière nouvelle à savoir sans aucune difficulté, de manière
pourtant humaine et non angélique. Les sensations elles-mêmes deviennent plus
puissantes. Ce nouveau mode de connaissance se met en œuvre à cause d’une certaine
séparation du psychisme vis-à-vis de l’organe matériel du cerveau. Les images
nécessaires au mode de la connaissance humaine sont apportées de manière
limpide par la faculté sensible qui s’exerce sans l’organe du cerveau, comme
nous l’avons montré (a. 2°. La connaissance de l’heure de la mort devient
intuitive quoique appuyée sur le sensible. 2° D’autre part, la réalité sensible
est transfigurée. 1° Une propriété, propre aux corps glorieux, est donnée aux
réalités sensibles. Il s’agit de la "clarté. » Elle signifie que le
sensible devient, sans qu’il n’y ait plus d’erreur possible, révélateur de
l’essence des réalités.
3° Les faiblesses des passions, le fomes peccati est lui-même détruit. Les
passions se soumettent à la volonté, les névroses et les peurs disparaissent.
Un état de paix psychologique, proche de l’état originel revient. Ainsi, la
volonté qui suit l’intelligence peut se porter vers ce qui lui apparaît le bien
sans aucune hésitation et sans qu’aucune raison nouvelle ne puisse modifier son
choix, dans un sens ou dans un autre.
En conséquence et pour ces trois raisons, le choix de l’heure de
la mort est parfaitement conscient, volontaire et libre. Qu’il se fasse dans un
sens ou dans l’autre, il est définitif et irréformable, non parce que l’homme
ne pourrait pas changer, mais parce qu’il ne le voudra jamais. L’image ne
constitue plus un obstacle à la signification intellectuelle qu’elle porte en
elle. Ainsi, en voyant le corps du Christ et des saints, l’intelligence peut
saisir de manière intuitive en un seul regard, l’intelligibilité du mystère de
l’Évangile. De même, l’image du démon est suffisante pour révéler les avantages
de l’enfer et de sa liberté, ainsi que le feu qui lui est associé. L’erreur
n’est plus possible face à la parousie, « comme l’éclair traverse le Ciel de
l’Orient à l’occident », disait Jésus[682].
En conclusion, il faut remarquer qu’on ne peut jamais présumer du
salut ou de la damnation de personne, même s’il semble que cette personne est
morte en état de péché mortel, selon cette parole de Jésus : « tout péché et
blasphème seront remis aux hommes mais quiconque aura parle contre le Saint
Esprit, cela ne lui sera pas remis ni en ce monde, ni dans l’autre"[683].
Quant au blasphème contre l’Esprit Saint, il ne peut être remis car il est
commis par un homme en dehors de toute passion aveuglante et trompeuse. Celui
qui le commet demeure donc ferme et immuable dans ses résolutions, comme nous
le verrons.[684]
Solution 1 :
Il peut y avoir repentir et conversion car l’intelligence est,
souvent pour la première fois, confrontée à la totalité de l’enjeu. De nouveaux
motifs de jugement apparaissent presque nécessairement, sauf peut-être pour
certains hommes (souvent théologiens de haut niveau) qui, dès cette terre, sont
capables de choisir en pleine conscience le paradis ou l’enfer. La connaissance
est surélevée à un mode pleinement humain en ce sens que les inconvénients
dénoncés par Platon à propos du poids du corps disparaissent. Ainsi, cette
conversion au bien et au mal est pour la première fois si lucide qu’elle
constitue un choix définitif, maintenu après la mort pour l’éternité.
Solution 2 :
Celui qui pèche sa vie durant en espérant se convertir au dernier
moment fait un mauvais calcul. En effet, tout péché est fondé comme sur une
racine par l’amour désordonné de soi qui engendre l’orgueil, le rejet des
volontés de Dieu. Chaque acte de péché fortifie et augmente cet amour déréglé
de soi et rend de plus en plus difficile le renoncement à un tel amour. Ainsi,
arrivé au moment de la mort, il est fréquent que l’homme ne puisse plus
(c’est-à-dire ne veuille plus tant il est devenu un être individualiste) se
convertir, c’est-à-dire renoncer à l’amour désordonné de soi, à cause de la
trop grande force de cet amour. L’enfer correspond tout à fait à son goût,
malgré les inconvénients que nous décrirons plus loin. Cela aboutit à la
damnation non à cause de l’absence de miséricorde divine mais à cause de
l’orgueil de celui qui se damne. Il est donc gravement imprudent, sous prétexte
de la miséricorde de Dieu, de laisser le règne du péché envahir son âme durant
le temps de sa vie terrestre. [685]
Solution 3 :
Le moment de la mort n’est pas la mort
consommée mais l’introduction dans la mort. Il fait encore partie de la vie
terrestre, tout en constituant la porte ouverte sur l’éternité. Il est
intermédiaire entre les deux mondes. L’entrée dans l’autre monde est d’ailleurs
souvent décrite par ceux qui ont vécu une expérience de mort approchée comme
une barrière au delà de laquelle il n’y a plus de retour. Il n’y a donc pas
d’opposition avec la foi catholique.
Objection 1 :
Dieu n’impose pas à l’homme des exigences impossibles à réaliser.
Or entre le péché originel et la rédemption, il était impossible aux hommes de
vivre durant leur vie terrestre de la charité : la connaissance de Dieu avait
été perdue et, comme le dit Jésus lui-même, « l’Esprit Saint n’avait pas encore
été donné.[686]
"Quelques particuliers le reçurent en prévision de la venue future du
Messie mais la grande masse du peuple mourut en ignorant tout de l’Évangile.
Objection 2 :
De même, à notre époque, des millions meurent sans la charité,
sans la foi et même dans le péché le plus grave, estimant qu’ils peuvent vivre
ainsi dans leur certitude sincère qu’il n’y a rien après la mort. Dieu ne leur
demandera donc pas la charité pour les sauver. Il ne la demandera qu’aux seuls
chrétiens.
Objection 3 :
Que dire des enfants morts en bas âge et sans le baptême ?
Objection 4 :
Si la charité est exigée depuis toujours
par Dieu durant la vie terrestre, on ne voit pas pourquoi les âmes de ceux qui
moururent avant la venue du Christ durent attendre dans les enfers
l’accomplissement de la passion du Christ avant d’entrer dans la gloire. On ne
voit pas non plus pourquoi Jésus descendit aux enfers s’il n’eût pas à leur
révéler l’Évangile.
Objection 5 :
Si cette Révélation était nécessaire
pour tous les hommes de tous les temps, elle ne pouvait être donnée que par le
Christ lui-même. Or, pour les hommes de l’Ancien Testament, le Christ comme
Verbe incarné n’existait pas encore. Donc cette révélation était impossible.
Cependant :
L’homme n’est lui-même que dans sa vie
terrestre et après sa résurrection, c’est-à-dire dans son état d’âme unie à son
corps. Or il est nécessaire que pour un choix qui engage toute son éternité,
l’homme soit en pleine possession de ses moyens. Nous savons que cela ne se
produira pas après la résurrection, chacun étant à cette époque déjà fixé sur
son destin éternel. C’est donc que cela se produit pour tout homme durant sa
vie terrestre. Enfin, puisque ce salut est conditionné par la charité, c’est
donc que la charité est proposée à tout homme durant sa vis terrestre.
Saint Pierre annonce cette Visite du Messie pour les païens
eux-mêmes (1 Pierre 2, 12) : « Ayez au milieu des nations une belle
conduite afin que, sur le point même où ils vous calomnient comme malfaiteurs,
la vue de vos bonnes œuvres les amène à glorifier Dieu, au jour de sa Visite. »
Conclusion :
Platon et Boros considérèrent l’union de
l’âme et du corps comme nuisible au choix de l’esprit car ils ne surent pas
distinguer le mode terrestre de la vie spirituelle et sa déviation due soit à
un état provisoire d’obscurité du sensible, soit aux conséquences du péché
originel. Il est clair que notre intelligence se trompe souvent dans sa
connaissance du réel et que notre volonté ne se porte ici-bas qu’avec
difficulté vers ce que l’intelligence lui propose comme bon, même lorsque cette
dernière ne se trompe pas. La faute n’en est pas à l’esprit lui-même mais à
l’obscurité du sensible d’une part, à l’imaginaire, aux passions et à la vie
sensible révoltée contre l’esprit d’autre part.
Cependant, lorsqu’il s’agit de l’orientation
dernière qui doit décider de notre éternité, il n’est pas convenable qu’elle se
fasse à travers un choix non pleinement humain. C’est l’homme tout entier qui
doit se porter vers bien, dans un choix libre et conscient. Il convient donc
qu’il soit délivré de tout ce qui pourrait nuire à la liberté de son choix. Le
premier obstacle l’obscurité du sensible. Dans le passage de la mort, le
sensible devient lumineux. Il révèle pleinement la nature des choses. Le second
obstacle est le foyer intérieur du péché. Nous avons vu de quelle façon Dieu en
libère l’homme avant sa mort (a. 5°. Le troisième est la peur extérieure ou la
violence. Les anciens peuples soumis à toutes sortes de terreur sur Dieu ou les
dieux pouvaient en être délivrés facilement par une simple révélation.
C’est pourquoi il convient que Dieu
libère l’homme de ces trois obstacles. Dieu est amour et fait tout en vue de
lui communiquer la vision béatifique. Nous pouvons donc être très certains
qu’il a toujours agi ainsi, en tout temps, même avant la passion du Christ et
en prévision de cette passion. Il supprimait toute faiblesse et ignorance, il
rendait possible le choix des anciens à travers une prédication de l’Évangile
parfaite et adaptée au mode de notre connaissance.
Solution 1 :
Selon l’opinion de Balthasar, les âmes de ceux qui moururent avant
la venue du Christ descendaient toutes dans un état d’attente angoissante sans
aucune connaissance de leur sort futur si ce n’est une espérance très vague
d’une rédemption à venir. Ils attendirent comme des ombres durant les siècles
qui précédèrent la descente de Jésus aux enfers. Il est vrai qu’il existe dans
l’Écriture des textes qui décrivent ainsi le shéol. Job parle du "royaume
des ombres où il n’y a aucune joie. » [687]
L’existence de ces "limbes" est attestée en plusieurs endroits dans
l’Écriture. De nombreuses religions primitives décrivaient aussi les morts à la
manière d’ombres hantant les lieux de leur ancienne vie. Cet état, nous le
verrons[688],
est encore attesté par de nombreux saints après la venue du Christ. Mais il
n’est jamais considéré par eux comme un état permanent, mais plutôt comme une
demeure provisoire, un purgatoire particulier et rare qui prolonge la vie
terrestre de ceux qui meurent en étant maladivement attachés à la terre. Ces âmes
en peine peuvent en être délivrées par la prière et les explications de ceux
qui sont sur la terre.
Au cours des temps, l’Esprit Saint conduisit petit à petit les
Juifs dans une plus grande intelligence du mystère de la mort. Ils comprirent
que le triste et éphémère séjour des ombres ne disait pas tout du mystère. Ils
différencièrent dès l’Ancien Testament trois enfers distincts en fonction de
l’état de ceux qui y descendaient : un enfer des damnés pour les pervers, un
lieu de purification pour les justes morts sans être tout à fait nets de toute
souillure[689],
et un lieu ou régnait la grâce appelée par Jésus "le sein d’Abraham" [690].
Pour signifier cette grâce, Jésus parle dans le même texte d’une eau pure où le
riche aurait bien voulu se rafraîchir. Si la grâce régnait dans une demeure des
enfers, c’est donc que les âmes des morts avaient reçu la prédication de
l’Évangile ; s’ils vivaient de la charité, c’est donc qu’ils attendaient la
venue future du Messie, en connaissaient la nature, y croyaient et se tournaient
vers de Dieu en reconnaissance joyeuse pour le salut à venir. Ils attendaient
sa visite et vivaient de Dieu dans le cœur à cœur de la charité par
anticipation de la Rédemption. De même, certains pouvaient rejeter par avance
cette rédemption et se plonger en enfer éternel.
En conséquence, on doit admettre qu’ils recevaient comme nous une
révélation à l’heure de leur mort, non par le Christ cependant, celui-ci
n’étant pas encore né, mais par un messager qui représentait efficacement Dieu
et leur révélaient la bonne nouvelle du Salut futur. Si l’on suit les livres
anciens des morts tels qu’ils apparaissent dans les diverses religions
préchrétiennes, ce messager était un ange du Seigneur, mandaté par lui comme
Gabriel le fut à Marie[691].
Il se laissait voir à travers une image de corps façonné pour l’occasion, de
telle façon que l’homme arrivé à l’heure de sa mort connaisse comme il convient
à la nature humaine, c’est-à-dire saisisse l’intelligence du salut à travers la
gloire sensible de l’apparition de l’ange. Aujourd’hui, cette révélation est
faite par le Christ lui-même. Mais, à cette époque, la gloire de l’ange de la
mort suffisait à rendre le choix final des hommes définitif vers l’enfer ou le
paradis promis et espéré.
Solution 2 :
Cette objection trouve sa solution dans les articles précédents.
Solution 3 :
Comme tout être humain, les enfants parviennent au salut par le
choix libre de leur charité. Au moment de leur mort, ils sont accueillis comme
n’importe qui par la communion des saints. À la prière de l’Église du Ciel et
de la terre, ils sont libérés du péché originel si cela n’a pas déjà été obtenu
précédemment par le baptême. Cette libération signifie que l’Esprit Saint
propose son inhabitation à leur âme, par l’instrument de l’apparition sensible
d’un messager de Dieu, qu’il soit ange avant la Rédemption ou Jésus Christ
après la Rédemption[692].
Cette vision à la foi sensible et intelligible à le pouvoir par sa gloire,
d’éveiller suffisamment leur intelligence pour rendre possible un choix libre.
Ils se tournent infailliblement vers l’amour car ils sont petits et incapables
de retour sur eux-mêmes.
Solution 4 :
Selon Balthasar à la suite d’Adrienne von Speyr, Jésus est
descendu aux enfers pour vivre jusqu’au bout la condition de l’homme, y compris
dans le mystère de son shéol. Selon lui, il a éprouvé l’état de la damnation
des réprouvés. Ce faisant, tout en l’homme était sauvé. Nous ne le suivons pas
jusqu’au bout dans sa contemplation des abaissements du Christ : en effet, il
nous paraît que si Jésus a pu s’identifier au pécheur au point de devenir
"péché" devant Dieu, il n’a jamais pu éprouver l’état des damnés de
l’enfer qui se caractérise par une volonté consciente et métallique de rejeter
Dieu : « il n’a pas commis le péché".[693]
Nous pensons de plus que toutes les descriptions prophétiques laissées par
Adrienne sur le désespoir du Christ peuvent s’expliquer non par une descente
dans la situation des damnés de l’enfer mais par celle de ceux qui subissent
les abandons de la vie terrestre et du purgatoire. "Il s’est fait péché
pour nous. [694]"
Ainsi, à la suite du pape Jean-Paul II nous préférons adhérer à l’opinion selon
laquelle toute rédemption fut accomplie au moment de la mort de Jésus, selon
ses propres Paroles. Sa descente aux enfers ne fut donc pas un moment de
souffrance de plus, tout ayant été souffert avant, mais celui du don glorieux
aux âmes de la vision béatifique qu’ils espéraient de toute la force de leur
charité depuis qu’elle leur avait été promise à l’heure de leur mort. Quant à
ces âmes (excepté celles qui étaient errantes entre deux mondes dans le shéol),
nous estimons qu’elles avaient déjà été jugées individuellement : les damnés
avaient déjà rejeté par avance le Christ et son Salut, par un jugement lucide
et définitif posé à l’heure de leur mort devant l’Ange du Seigneur. De même,
les élus avaient déjà répondu par la charité à cette Révélation.
Solution 5 :
Comme nous l’avons montré, n’importe quel des amis de Dieu, comme
l’ange de la mort, suffisait pour annoncé par sa gloire l’Evangile et sa réalisation
à venir.
Damien Saurel (2006), pense que c’est le Christ et non un ange qui
apparaissait aux anciens. Il s’appuie pour cela sur le Bienheureux Dun Scot,
théologien du Moyen-âge, qui pensa le premier à la rétroactivité de la grâce.
Par là, il expliqua comment la Vierge avait pu naître sans la tache du péché
originel, alors que le Christ n'était encore venu dans la chair nous laver de
nos péchés ; il en conclut à la rétroactivité de la grâce Christique accordée à
Marie.
De la même manière, on peut élargir cette notion : tous les dons
relevés dans l'Ancien Testament, sont le fait de grâces christiques
rétroactives, étant entendu que la grâce du Christ ne subit ni limitation
temporelle ni spatiale : elle transcende le temps.
On peut donc imaginer que par ce même pouvoir rétroactif, le
Christ a pu apparaître aux anciens et les enseigner, venant en quelque sorte du
futur. Ainsi le reconnurent-ils lors de sa descente au séjour des morts,
etc.
Cette apparition du Christ lui-même, à toutes les époques, consolide
considérablement ce propos, lui donnant encore plus d’unité et de logique.
Objection 1 :
Il semble que le jugement dernier peut avoir lieu avant la mort et
même dès cette terre, si l’on en croit la parole du Seigneur : « Qui ne croit
pas est déjà jugé car il n’a pas cru au nom du Fils unique"[695].
Objection 2 :
L’homme qui est en état de péché mortel s’est séparé
volontairement de Dieu. Or la moindre faute mortelle peut être jugée par Dieu
par une sentence éternelle qui ratifie cette séparation dont l’homme s’est
rendu responsable. Donc le jugement dernier a lieu au moment de la mort.
Objection 3 :
La durée d’une vie entière est suffisante pour choisir le camp de
Dieu ou celui du démon. Ce sont donc les actes de notre vie qui nous jugent et
nous valent le salut ou la réprobation éternelle. Le jugement a donc bien lieu
au moment de la mort.
Objection 4 :
Nous avons montré que l’homme est rendu
capable, à la lumière de l’apparition glorieuse de Jésus, de discerner le bien
et le mal dans son cœur et dans sa vie passée. Or il s’agit bien là d’un
jugement. Donc le jugement dernier a lieu au moment de la mort.
Cependant :
Tant que l’âme n’est pas entrée dans
l’autre monde, elle est en état de voie. Le repentir est possible. La sentence
du juge ne peut donc être prononcée. Ainsi le jugement dernier ne peut avoir
lieu au moment de la mort mais seulement après la mort.
Conclusion :
Dans tout jugement, plusieurs éléments
sont nécessaires. Il faut d’abord, comme nous l’avons dit, qu’il y ait énoncé
par le juge de la faute dont est accusé le prévenu. Et cette faute ne peut être
connue par un simple soupçon mais elle doit être mise à la connaissance de
celui qui juge par des preuves sûres. Il faut en second lieu que le prévenu
puisse se défendre et se justifier. Il faut enfin que le juge délibère pour
déterminer la gravité de la faute et la sentence encourue.
Il en est de même dans le jugement
dernier. Mais aux yeux de Dieu qui regarde d’abord les intentions de l’homme,
une faute est définitivement considérée comme telle quand elle est pleinement
volontaire, c’est-à-dire quand elle est commise sans qu’aucune ignorance ou
faiblesse ne viennent en amoindrir la pleine responsabilité. Alors seulement, le
juste juge fixe la sentence éternelle. Mais dans le moment de la mort, il peut
demeurer une certaine hésitation dans l’âme selon ce que nous avons dit à
l’article précédent. Tant qu’il demeure une telle potentialité, la faute n’est
pas considérée par Dieu comme pleinement consommée. Elle n’est donc pas soumise
au jugement dernier mais seulement à un jugement provisoire qui manifeste à
l’âme ce qu’il y a de mauvais en elle. De même, la sentence définitive et
éternelle ne peut être prononcée qu’après la mort, c’est-à-dire lorsque l’âme a
choisi définitivement et éternellement sa fin dernière.
Solution 1 :
On peut donner plusieurs interprétations à ces paroles : en un
premier sens, elles peuvent être adressées à l’intention des pharisiens et des
chefs du peuple dont Jésus connaissait déjà la perfidie. En effet ceux-ci ne
crurent pas en Jésus non pour un motif d’ignorance puisqu’ils reçurent de lui
tous les signes annoncés par les prophètes, ceux qui devaient confirmer sa
mission divine. Sachant qu’il venait de Dieu, il semble qu’ils voulurent
l’éliminer pour préserver le pouvoir qu’ils avaient peur de se voir enlever. En
ce sens, on peut dire qu’ils commirent un blasphème contre l’Esprit Saint,
selon les paroles mêmes du Seigneur. En ce sens, on peut dire que tout homme
qui dès cette terre ou au moment de la mort, rejette le Nom de Jésus alors même
qu’il sait que ce Nom est venu de Dieu est déjà jugé car il reste obstiné dans
son péché. En un second sens, les paroles de Jésus peuvent signifier un
jugement provisoire et terrestre : ceux qui ne croient pas sont, tant qu’ils ne
croient pas, exclus de la grâce et de la rédemption.
Solution 2 :
C’est à cause de sa très grande miséricorde que Dieu repousse le
plus loin possible l’énoncé de la sentence éternelle que mérite toute faute
mortelle. Dieu connaît trop ce qu’il y a d’ignorance et de faiblesse dans le
cœur de l’homme pour lui appliquer une stricte justice distributive. S’il le
faisait, nous serions tous, sauf la Vierge Immaculée, damnés pour l’éternité.
Solution 3 :
Un seul acte de repentir, jusqu’au dernier moment peut valoir à
l’homme la grâce de sa justification. C’est pourquoi Jésus nous a donné la
parabole des ouvriers de la dernière heure qui, malgré l’heure tardive de leur
conversion aux œuvres de Dieu, reçoivent la même récompense que ceux qui ont
peine toute la journée, à savoir la vision béatifique.
Solution 4 :
Le jugement de discernement doit précéder cet autre jugement dont
l’objet est de déclarer coupable ou innocent le prévenu. Quant à la sentence
énonçant la peine ou la récompense, elle ne peut vernir qu’en dernier lieu car
elle découle des deux autres. Cependant, le jugement de discernement qui a lieu
au moment de la mort ne doit pas être identifié avec celui qui constitue le
jugement dernier, juste après la mort, car l’homme est encore en état de
convertir sa volonté vers le bien ou vers le mal. Il ne fait que préparer l’âme
au jugement ultime et définitif en la portant à choisir, d’un choix libre et
réfléchi, entre la charité et l’égoïsme.
Il s’agit maintenant de regarder l’état
des âmes après leur séparation complète avec le corps physique. À ce sujet on
se demandera :
1° Les puissances sensibles demeurent-elles
dans l’âme séparée ?
2° Les actes des puissances sensibles
demeurent-ils ?
3° Les connaissances et les souvenirs de la
vie passée demeurent-ils ?
4° Comment s’exerce l’acte de l’intelligence
dans l’âme séparée ?
5° Comment s’exerce l’acte de la volonté ?
6° L’âme séparée peut-elle entrer en contact
avec une autre âme séparée ou avec un ange ?
7° L’âme séparée voit-elle les hommes qui
sont sur la terre ?
8° Les âmes séparées peuvent-elles
apparaître aux hommes ?
Objection 1 :
« L’homme, dit saint Augustin, est composé
de deux substances : une âme et un corps, une âme avec sa raison, un corps avec
ses sens[697].
» Or, les puissances sensitives dépendent du corps. Donc, dans l’âme séparée du
corps, elles ne sont plus.
Objection 2 :
Aristote, parlant de la séparation de l’âme d’avec le corps,
s’exprime ainsi : « Il faut rechercher s’il y a, en dernière analyse, quelque
chose de permanent. Ce n’est pas impossible pour certains êtres, l’âme, par
exemple, sinon tout entière, du moins cette partie qui est l’entendement, car
peut-être l’âme tout entière ne peut avoir cette propriété"[698],
c’est-à-dire que ses puissances sensibles ou végétatives périssent avec le
corps.
Objection 3 :
Parlant de l’intelligence ou entendement,
Aristote dit qu’elle est un autre genre d’âme "et le seul qui puisse être
isolé du reste comme l’éternel du périssable. Quant aux autres parties, il est
manifeste qu’elles sont inséparables du corps, à l’encontre de ce que
prétendent certains philosophes"[699],
et, par conséquent, qu’elles ne subsistent plus dans l’âme séparée.
Objection 4 :
Un tout n’est plus entier s’il lui manque
quelque partie. Mais les puissances de l’âme sont considérées comme des parties
de l’âme. Si la mort lui en enlevait quelques-unes, elle ne serait donc plus
entière : ce qui est inadmissible.
Cependant :
Saint Augustin dit : « L’âme se sépare du
corps, emportant tout avec elle : la sensibilité, l’imagination, la raison,
l’intellection, l’intelligence, l’appétit concupiscible et l’appétit
irascible" [700]
saint Augustin dit encore : « Nous croyons que seul l’homme possède une âme
subsistante qui, séparée du corps, continue à vivre et garde vivants ses sens
et son intelligence".[701]
Il appuyait ses dires sur des expériences de mort approchée,
déjà fréquentes à son époque. Les expériences de mort approchée se multipliant
de nos jours et étant de mieux en mieux étudiées, on est obligé d’admettre au
plan philosophique le fait d’une survie, non seulement des puissances de la vie
sensible mais de leurs actes.
Conclusion :
Cette question a reçu diverses réponses. Certains
philosophes niaient la survie de la sensibilité après la mort. La réponse la
plus logique à cet égard était soutenue par saint Thomas d’Aquin, à l’école
d’Aristote. Selon lui, il est évident que certaines opérations, qui ont les
puissances de l’âme pour principe, ne sont pas de l’âme seule, à proprement
parler, mais du composé humain, puisqu’elles s’accomplissent au moyen du corps,
par exemple, voir, entendre, etc. De ces puissances, le composé humain est donc
le sujet, l’âme en est le principe actif, de même que la forme est le principe
des propriétés de l’être composé de matière et de forme. Certaines opérations,
au contraire, sont accomplies par l’âme, indépendamment de l’organisme, par
exemple, comprendre, considérer, vouloir ; étant donc propres à l’âme, il
s’ensuit que les puissances d’où elles émanent ont l’âme non seulement pour
principe, mais encore pour sujet. Dès lors, puisque sujet et propriétés demeurent
ou disparaissent ensemble, il est nécessaire que l’âme séparée garde les
puissances dont l’action est indépendante de l’organisme, mais qu’elle perde
celles dont l’action dépend, c’est-à-dire celles qui appartiennent à l’âme
sensitive et à l’âme végétative. Pour saint Thomas, les puissances sensibles et
les autres du même ordre, étant liées un organe, demeurent dans l’âme séparée,
non pas formellement, mais radicalement, à la manière dont les effets sont
contenus dans leurs causes ; en d’autres termes, l’âme séparée conserve
l’énergie capable de produire à nouveau ces puissances, si elle retrouve son
corps. Mais tant que l’âme reste séparée du corps, elle est incapable d’exercer
les facultés sensibles.
Cette opinion semble la plus raisonnable à première vue. Mais elle
est battue en brèche par l’expérience suffisamment documentée de ceux qui ont
approché la mort. En effet, on constate toujours dans leur témoignage la
présence d’actes sensibles. De même, les âmes des connaissances et des amis
déjà décédés depuis longtemps qu’ils rencontrent au cours de leur expérience
sont dotées du même corps psychique qu’eux.
C’est pour cette raison que certains penseurs, du côté de l’Égypte
ancienne, de l’hindouisme, des anciennes traditions animistes, ont cherché une
autre explication. Ils ont distingué dans l’homme deux espèces de puissances
matérielles. Les unes sont les actes des organes physiques faits de matière palpable
(atomique). Elles dérivent de l’âme dans le corps physique et disparaissent
avec lui. Ce sont les facultés de la vie végétative. Mais les autres sont
l’acte d’une autre sorte de matière physique, appelée corps psychique ou
astral, ce sont les facultés de la vie sensible. Le corps psychique est
constitué de matière dont l’état est plus subtil que celui de la matière
atomique. C’est une forme d’énergie qui peut subsister après la disparition du
corps physique en s’appuyant sur l’âme qui possède le pouvoir de le faire durer[702].
Il est le siège des facultés sensibles. Par lui, l’âme rend le corps sensible à
la vision, à l’audition, etc., même après la disparition du corps physique.
Cette distinction entre deux corps faits de matière, s’emboîtant l’un
dans l’autre à la manière de poupées russes semble être seule capable de rendre
raison de la survie hors du corps physique décédé d’un double matériel, doté
des facultés sensibles.
Solution 1 :
La science moderne n’a pour le moment aucun moyen
expérimental de visualiser l’existence et la survie de l’âme dans son lien avec
un corps psychique. Pourtant, rien ne s’oppose scientifiquement à ce qu’un état
de la matière, différent dans ses propriétés de ce qui est connu, puisse
exister. Il paraîtrait incroyable à un homme du XVIIIème siècle
qu’il puisse exister des ondes capables de porter le signal de la radio. Il en
est sans doute de même pour nous vis-à-vis du corps astral.
L’objection soulevée par saint Augustin porte sur la possibilité
de survie de ce corps fait de matière psychique alors que son support physique,
le corps physique et le cerveau, a cessé d’exister. On peut expliquer cette
survie de la manière suivante. Il existe une grande distance entre les facultés
spirituelles (intelligence et volonté) et les corps physiques composés d’atome.
Mais rien n’empêche que la distance soit moindre entre ce même esprit et un
état subtil de la matière, à tel point que l’esprit, par ses propres forces,
ait le pouvoir de le garder vivant sans l’aide du corps physique.
Solution 2 :
Le domaine de la matière psychique semble être digne de recherche
au plan de la science physique. Il ouvre des perspectives sur un nouvel état de
la matière dont les propriétés ne nous sont connues que par des accumulations
de témoignages concordants et certaines expériences sur les particules
élémentaires. C’est tout le domaine du cerveau, qu’il soit humain ou animal qui
s’en trouvera probablement éclairé.
Solution 3 :
L’expérience montre effectivement que l’organe du psychisme
(sensations, imagination, mémoire, passions et estimative) est le cerveau. Mais
un autre genre d’expérience, tout aussi crédible montre que, après l’arrêt
complet de l’activité du cerveau, ces facultés s’épanouissent dans un nouvel
exercice plus performant. De nouvelles sensations apparaissent (couleurs
inconnues par exemple) et de nouvelles facultés se manifestent (lecture directe
des pensées de l’autre, etc.). Certains pensent que ces témoignages relèvent du
rêve, ce qui est contredit, nous l’avons montré, par le fait que c’est la
réalité elle-même, de manière objective, qui informe le sens et non une série
d’images immanentes au sujet. Le réel étant le maître du philosophe, il est
nécessaire de sortir de ce qui est simplement logique pour expliquer ce qui est
vrai.
Solution 4 :
En perdant son corps physique qui est une
partie de lui-même, l’âme humaine garde la racine des facultés végétatives mais
perd totalement leur exercice qui est purement physique. Par contre, elle garde
ce qui est essentiel dans l’organe des facultés psychiques à savoir la matière
subtile qui est leur support réel, le cerveau n’étant semble-t-il que le support
dispositif à leur naissance et à leur épanouissement.
Objection 1 :
Ce qui exige l’union de l’âme et du corps ne saurait demeurer dans
l’âme séparée. Or, toutes les opérations des puissances sensibles exigent cette
union, puisque toutes exercent leur activité par l’entremise d’un organe
corporel. Cette activité doit donc être refusée à l’âme séparée.
Objection 2 :
Aristote dit que "le corps ayant disparu, l’âme n’a plus ni
souvenir ni amour".[703]
Et il en va de même pour tous les actes des puissances sensibles.
Objection 3 :
Parmi les actes des facultés sensibles, certains sont
indissociables du corps physique comme les activités liées à la reproduction et
à la nutrition. Donc ces actes là au moins disparaissent.
Objection 4 :
L’âme sent au moyen du corps car cet acte est non celui de l’âme
elle-même, mais du composé auquel elle donne le pouvoir de sentir. C’est ainsi
que l’on dit que la chaleur chauffe. En l’absence du corps physique, l’âme ne
peut donc plus avoir de sensation. Cela paraît pour le moins évident pour le
sens du toucher.
Objection 5 :
Si par l’amour, la joie, la tristesse, etc. on entend des passions
de la sensibilité, elles ne sont pas dans l’âme séparée, puisque, par
définition, elles supposent un mouvement du cœur et de l’organisme. Si l’on
entend des actes de la volonté, faculté intellectuelle, elles sont dans l’âme
séparée ; c’est ainsi que le plaisir qui, en un sens, est une passion de la
sensibilité, comporte un autre sens suivant lequel Aristote l’attribue à Dieu
qui, dit-il, « jouit toujours d’un plaisir unique et simple. »
Objection 6 :
Le mot mémoire peut désigner deux choses : une puissance de
la sensibilité, selon qu’elle a pour objet les images sensibles du temps passé.
Cette mémoire fait défaut à l’âme séparée. C’est en ce sens qu’Aristote dit : «
Le corps disparu, l’âme n’a plus le souvenir".[704]
Il peut désigner encore "une partie de l’image" des choses
spirituelles dans la partie intellectuelle de l’âme ; car elle fait abstraction
de toute différence de temps et a pour objet l’intelligible, au delà du présent
et du futur aussi bien que du passé. Cette mémoire persiste dans l’âme séparée.
Cependant :
Saint Augustin, se référant à l’expérience de la mort
approchée, reconnaît que ces personnes ravies hors de leurs sens corps,
possèdent "une certaine ressemblance de leur corps », par laquelle
elles peuvent être emportées vers des lieux corporels et éprouver quelque chose
de semblable aux images des sens. Or, on ne peut comprendre que l’âme ait
"une ressemblance de son corps », sinon parce qu’elle la voit.
Augustin
affirme encore : « L’âme séparée du corps jouit ou souffre, selon qu’elle
l’a mérité, de ces choses »[705],
à savoir, l’imagination, l’appétit concupiscible et irascible, qui sont des
puissances sensibles. "Ce n’est pas le corps qui éprouve la sensation,
mais l’âme".[706]
Il dit encore un peu avant : « Il y a cependant certaines choses
que l’âme ressent par elle-même, indépendamment du corps, comme la crainte, etc..
» Elle peut donc aussi les ressentir, séparée du corps.
Conclusion :
La solution de cette question découle de la précédente. Si l’âme
séparée du corps physique garde un corps fait de matière psychique, siège de
toutes les facultés sensibles, il en garde aussi tout naturellement les actes.
Plusieurs différences sont cependant relevées dans les témoignages
entre les actes sensibles d’ici-bas et ceux de l’heure de la mort :
1° D’abord, il semble que l’exercice des
actes est beaucoup plus facile qu’ici-bas. La raison en est de la subtilité et
de la légèreté de la matière psychique, beaucoup plus aisément soumise aux
commandements de la volonté que la matière physique du cerveau. C’est pourquoi
aussi les handicaps n’existent plus. "Les aveugles voient et les boiteux
marchent. » C’est que le corps physique a disparu, laissant place à son double
qui semble non vulnérable.
2° Ensuite, les facultés semblent beaucoup
plus riches et diversifiées : sensations nouvelles, capacité à se déplacer à
volonté et de manière immédiate dans divers lieux, télépathie, etc. Libéré du
poids de la matière physique, il semble que le psychisme a plus de facilité à
exprimer ses nombreuses potentialités cachées.
La raison de cette nouvelle liberté du psychisme est, nous l’avons
montré, ordonnée au choix qui accompagne l’heure de la mort. La disparition du
poids du corps physique entraîne une parfaite libération des facultés sensibles
des conséquences du péché originel. La connaissance et le choix de l’homme
redeviennent donc parfaitement humains, délivrés de tout ce qui en diminuait
provisoirement la liberté.
Solution 1 :
L’organe corporel des facultés sensible demeure, nous l’avons
montré. Le corps psychique, né du corps physique, possède une vie propre qui
s’appuie sur sa proximité avec l’esprit qui le fait subsister après la mort.
Solution 2 :
Dieu qui a créé la matière a su remédier à ce qui aurait constitué
un inconvénient majeur pour l’homme et son salut. En effet, si l’homme devait
perdre tout ce qui a d’une certaine manière un rapport avec son psychisme après
la mort, il perdrait du même coup toutes ces informations qui font la matière
de la connaissance humaine et qui le distingue des purs esprits que sont les
anges. Il perdrait le souvenir des visages, les émotions et, chose plus grave
pour le choix de son éternité, les souvenirs des circonstances sensibles de
tous ses actes bons ou de tous ses péchés. Cela constituerait une amputation
certaine et même une rupture dommageable au salut. Dieu permet donc que l’homme
soit arraché à cette vie par la perte d’une partie de lui-même (son corps
physique) sans que cela n’affecte l’essentiel de lui-même, à savoir l’exercice
spirituel et sensible de son esprit.
Solution 3 :
Nous concédons cette objection. Parmi les actes sensibles,
certains s’exercent au service de la vie de l’esprit et d’autres au service de
la vie du corps. La raison en est que la vie sensible est intermédiaire et au
service de la vie végétative et de la vie spirituelle. Le corps physique ayant
disparu, le désir sexuel et l’instinct de nutrition qui sont essentiellement
liés au corps disparaissent dans leur acte mais non dans leur racine,
c’est-à-dire dans les potentialités de l’âme.
Solution 4 :
Le sens du toucher ne peut plus s’exercer sur la matière physique,
le corps physique ayant disparu. Mais rien n’empêche qu’il s’exerce sur la
matière dont est composé le corps psychique, à savoir sur cette "matière
psychique" dont nous avons déjà parlé. Cet état de la matière, encore
scientifiquement inconnu, est probablement présent partout, de même que partout
où se trouve la matière physique se trouve le rayonnement atomique. C’est donc
une nouvelle face du monde qu’atteint l’âme dans sa séparation du corps
physique.
Solution 5 :
En sens contraire, nous pouvons affirmer que ce sont des vraies
sensations et non une métaphore de sensations qui demeurent après la mort.
Solution 6 :
La mémoire sensible demeure dans
l’âme séparée. L’intelligence n’est donc aucunement privée des images acquises
durant la vie terrestre. En vue du choix, les souvenirs apparemment oubliés et
cependant enfouis dans la mémoire peuvent reparaître de manière entièrement
limpide. Ils sont utilisés par les révélations qui accompagnent la mort.
Objection 1 :
Cela ne parait pas possible. Les souvenirs sont dans la mémoire
sensible et peuvent disparaître dès cette vie comme on le voit chez les
personnes âgées. Il parait donc évident qu’ils disparaissent complètement avec
la destruction totale de la mémoire.
Objection 2 :
Si l’âme est en état de péché mortel,
c’est qu’elle se considère elle-même comme sa fin ultime. Au contraire, si elle
a répondu à la grâce de Dieu proposée jusque dans les derniers moments
précédant la séparation d’avec le corps, elle est justifiée et peut être
sauvée. Il n’est donc pas nécessaire que soient rappelées après la mort ou à
l’heure du jugement dernier chacune les circonstances de la vie humaine. Un tel
rappel est par contre nécessaire dans le moment de la mort et après la
résurrection des corps, lors du jugement général de l’humanité où chaque action
sera révélée à tous.
Cependant :
On doit affirmer que tous les faits de la vie humaine dans
leurs moindres détails sensibles doivent subsister pour le jugement dernier.
Car la bonté ou la malice de nos actes peut être conditionnée ou même parfois
déterminée par de telles circonstances. Or un juge juste ne peut prononcer une
sentence que s’il connaît parfaitement l’acte qu’il a commis.
Conclusion :
De même que le jugement humain s’appuie sur le témoignage
extérieur, de même le jugement divin porte sur le témoignage de la conscience,
selon ce verset du livre des rois : « l’homme voit les choses qui paraissent au
dehors tandis que Dieu voit l’intérieur du cœur »[707].
Mais on ne peut porter un jugement parfait sur quelqu’un que si les témoins ont
déposé au sujet de tous les faits qui doivent être jugés. Il faut donc, puisque
le jugement personnel a lieu après la séparation de l’âme et du corps physique,
que la conscience de celui qui est jugé garde mémoire de toutes les choses sur
lequel il doit porter. C’est pour cette raison que Dieu permet qu’aucun des
souvenirs de la vie terrestre ne puisse disparaître.
Au sujet de la connaissance et des
souvenirs, il faut considérer ce qui en eux dépend d’une faculté corporelle
comme la mémoire sensible et l’imagination et ce qui dépend de la seule
intelligence. Comme nous l’avons montré dans la première partie, les habitus
des sciences acquises durant la vie terrestre ont leur siège dans
l’intelligence ; mais le mode d’exercice de ces habitus se fait par le recours
aux images. C’est donc ces deux mémoires qui doivent subsister afin que la
science acquise demeure tout entière et non seulement dans ses principes
généraux.
Ainsi, après la mort, l’âme humaine
garde d’une manière naturelle ce qui est la substance même de la vie morale et
qui trouve son siège dans les facultés spirituelles : les volontés, les
intentions et les choix qui ont dirigé la vie humaine ainsi que la connaissance
des biens qui ont été poursuivis. De même, elle garde d’une manière plénière
les souvenirs des circonstances sensibles particulières de la vie terrestre,
qui étaient gardés dans la mémoire sensible et dans l’imagination comme par
exemple le souvenir des lieux géographiques, des formes de visages, des sons de
voix.
Solution 1 :
L’homme ne possède pas seulement une mémoire spirituelle mais
aussi une mémoire sensible dont le siège est la sensibilité et qui coopère de
manière essentielle à la connaissance humaine, qu’elle soit spéculative et
pratique. Après la mort, les souvenirs de la mémoire sensible demeurent donc
comme on l’a dit, ainsi que la mémoire spirituelle qui est essentielle à la
subsistance de la personnalité morale. La raison en est que le jugement dernier
et la sentence définitive du juge porte non seulement sur l’intention radicale
qui finalise l’âme alors qu’elle entre dans la mort, (à savoir l’amour égoïste
ou l’amour de charité) mais aussi sur les circonstances de ses actes qui ont
participé à leur bonté ou à leur perversion.
Solution 2 :
Il est essentiel que la vie spirituelle
de l’homme reste elle-même non seulement à l’heure du choix (l’heure de la
mort), mais aussi quand il vit de ce choix (après la mort). Dieu respecte la
liberté du choix définitif de ses créatures en ne permettant pas que l’homme
subisse une quelconque diminution. Ce n’était pas le cas durant la vie
terrestre dont la finalité était une préparation progressive au choix par la
croissance de la maturité et de l’humilité.
Objection 1 :
Il semble que l’intelligence séparée connaisse les réalités par
simple intuition de leur essence et non de la même manière qu’ici-bas, par
abstraction à partir des images. En effet, le mode de connaissance propre aux
anges lui est nécessaire sous peine de ne pouvoir connaître les réalités
séparées des corps comme Dieu.
Objection 2 :
Les anges sont de purs esprits, de nature supérieure à l’homme.
Ils ne peuvent pas être vus à travers une image sensible de leur essence. Dans
cette hypothèse, la connaissance qui en résulterait serait à la fois mensongère
(puisque les anges n’ont pas de corps) et insuffisante, puisque aucune image
créée ne peut être adéquate à la perfection spirituelle de leur nature.
Objection 3 :
Après la mort l’intelligence subsiste et a donc un mode d’exercice
bien différent puisqu’elle est appelée à voir, dans leur essence, les réalités
immatérielles comme Dieu. Il lui convient alors de connaître en se tournant
vers ce qui est de soi intelligible, de la même manière que les substances
séparées. Dieu infuse à l’âme des espèces de la même manière qu’il le fait pour
les anges. L’âme y a part quoique sous un mode moins élevé. Par l’intermédiaire
de ces espèces, elle connaît ce qui lui est nécessaire d’une manière intuitive
et directe. Cette connaissance dépasse en qualité et en sûreté ce qui existe
sur terre tant à cause de la supériorité de la lumière divine qu’à cause de
l’absence de possibilité d’erreur issue des phantasmes de l’imagination.
Objection 4 :
Ici-bas, c’est parce que l’intellect
agent extrait l’intelligibilité à partir des images sensibles des choses que la
connaissance est si fragile et soumise au risque d’erreurs. En effet, les
images sont trompeuses. La méchanceté n’est pas inscrite sur les visages, de
même que la quiddité n’apparaît pas de manière évidente dans l’image des
choses. Ce mode de connaissance paraît donc indigne de l’autre monde.
Cependant :
Le propre de l’intelligence humaine, c’est
de connaître les réalités spirituelles à partir de leur image sensible. Elle
n’est pas de la même nature que l’intelligence angélique qui, n’étant pas
naturellement unie à un corps, connaît directement les essences des choses à
l’aide de formes intelligibles infusées au moment de leur création. Or Dieu
meut chaque nature selon son mode propre. Donc l’intelligence humaine connaîtra
toujours en s’appuyant sur les images.
Conclusion :
Nous avons montré qu’à l’heure de la
mort comme après la mort, l’âme conserve la partie sensible d’elle-même. L’acte
d’intelligence s’exerce donc en ayant recours aux images. Mais la connaissance
humaine peut se porter sur deux sortes d’objets. Certains lui sont par nature
inférieurs comme les réalités matérielles. D’autres lui sont supérieurs comme
les esprits, les anges et surtout Dieu.
1° En ce qui concerne la connaissance des
réalités matérielles, certains théologiens dont saint Thomas d’Aquin, ont
suggéré que l’intelligence humaine dans l’autre monde reçoit directement de Dieu
des espèces intelligibles de la même universalité que celles qui sont données
aux anges. Mais s’il en était ainsi, elle n’obtiendrait pas par ce moyen une
connaissance parfaite des réalités parce qu’elle n’a pas autant de capacité
intellectuelle que les anges. Sa connaissance serait seulement générale et
confuse. C’est ce qui se voit en quelque façon chez les enfants : ceux en effet
qui ont une intelligence plus faible, ne pénètrent parfaitement les conceptions
universelles des intelligences plus vigoureuses que si on leur explique en
détail. Or il est évident que, parmi les substances individuelles, les âmes
humaines sont, dans l’ordre de la nature au degré le plus bas.
C’est pourquoi il faut parler autrement.
La limite de la connaissance humaine ici-bas vient à la fois à la fois du
fonctionnement pesant de l’organe du cerveau et de l’obscurité des images des
choses, qui ne sont qu’un pâle reflet de l’extérieur de la réalité. Dans
l’autre monde, ces deux limites disparaissent.
D’abord, l’intelligence acquiert une
nouvelle facilité d’exercice puisque les organes du psychisme, qui participent
à son exercice, tout en subsistant, sont rendus plus subtils et légers. Le
corps psychique à la particularité d’être entièrement soumis à l’âme qui le
fait subsister sans que le poids de la matière moléculaire du cerveau vienne en
ralentir l’exercice. D’autre part, les images des choses deviennent beaucoup
plus lumineuses, allant jusqu’à révéler la nature intime des réalités
matérielles. Le sens devient absolument adapté à la perception de la matière
selon toutes ses dimensions, au point de pénétrer sa structure intime. Ainsi,
la connaissance humaine est perfectionnée au point que, sans quitter son
exercice naturel, elle devient capable de pénétrer par elle-même l’essence des
réalités matérielles, avec simplicité et sans erreur.
2° En ce qui concerne la connaissance des
réalités spirituelles, il faut parler différemment selon que l’on parle des
créatures ou du Créateur.
Lorsqu’il s’agit des créatures, hommes
ou anges, les témoins d’une expérience de mort approchée décrivent dans le
détail une surélévation de la connaissance qui reste tout à fait semblable,
quant à son mode de fonctionnement, à celle d’ici-bas. Ils racontent que la
vision de l’être de lumière (le Christ, un ange ?) comme celle des proches
décédés se fait à travers une perception sensible. Ils voient avec leurs yeux
matériels un corps de lumière dans le premier cas et un corps psychique
semblable au leur dans le deuxième cas. Mais ces corps ont la particularité de
ne pas cacher l’intériorité spirituelle. Bien au contraire, à travers ce corps,
ils obtiennent de manière immédiate et intuitive la connaissance de la nature
et des pensées actuelles de l’être à qui ils sont confrontés. C’est ce que nous
avons appelé la vision du corps glorieux[708].
En effet, le corps sensible, tout en jouant son rôle habituel de médium pour la
connaissance de l’intelligible, n’est plus un obstacle mais un support parfait
d’où l’intellect agent peut extraire sans perte essentielle l’intelligibilité
spirituelle. Il permet d’entrer dans l’intimité de la personne à qui appartient
ce corps.
Par contre, lorsqu’on parle de la vision du Créateur, au moins de
cette vision directe et face à face que nous appelons vision béatifique, on
doit reconnaître qu’aucune image sensible ne peut permettre à l’homme d’en
connaître l’intelligibilité. Dieu se fait donc, sans aucun intermédiaire créé,
l’objet de l’intelligence. Il s’agit d’un mode nouveau de connaissance où
l’intellect agent n’a pas de place, comme nous l’avons montré. [709]
Solution 1 :
Ce qui rend cette question difficile,
c’est d’abord la constatation des limites de la forme de connaissance par
abstraction des images, telle que nous l’expérimentons ici-bas. Mais on doit
répondre que ce n’est pas ce mode de connaissance qui est limité. C’est son
exercice tant à cause de la faiblesse de notre intellect agent que de
l’obscurité des images. Ces obstacles étant levés, la connaissance humaine peut
atteindre, selon la mesure de chacun, son objet, à savoir une adéquation au
réel délivrée de l’erreur à la réalité.
L’autre difficulté vient du fait qu’il n’existe pas que des
réalités unies à des corps. Dieu en particulier ne peut être connu de cette
manière. Cependant, nous avons montré qu’à l’heure de la mort, une image
sensible de Dieu communiquée à l’âme par l’intermédiaire de la parousie du
Christ ou d’un ange, suffit à fonder un choix qui engage l’éternité. Qu’un tel
choix définitif et sans erreur soit possible pour la volonté alors qu’elle
s’appuie sur une connaissance intellectuelle extraite par l’intellect agent de
l’image contemplée, montre le haut degré de perfection de cette connaissance.
Quand il s’agira de voir l’essence de Dieu face à face, il en sera tout
autrement comme nous l’avons dit.
Solution 2 :
Pour communiquer avec les hommes, les anges disposent de deux
moyens. Ils ont le pouvoir de façonner pour nous une image rayonnante quoique
sensible de leur nature spirituelle, si parfaitement adaptée à notre nature
sensible qu’elle permet à notre intellect agent de connaître avec une grande
perfection leur essence supérieure. L’intellect agent de l’homme est capable
d’en extraire la quiddité et ce mode de connaissance lui est à la fois naturel
et performant. D’autre part, les anges ont le pouvoir de communiquer
directement dans l’intellect passif de l’homme des concepts, de la même manière
qu’ils procèdent entre eux pour communiquer. Mais ce deuxième type de
connaissance, très supérieur à la capacité naturelle de l’intelligence humaine,
est pour nous source d’une connaissance moins parfaite car elle est moins
adaptée à notre nature. C’est de ces deux manières, semble-t-il, que procède
l’ange de la mort par la manifestation d’un corps de lumière. Et elles sont
suffisantes pour donner, sans erreur, une connaissance de ce qui est utile au
choix de l’âme.
Solution 3 :
Nous l’avons dit, ce mode de connaissance par infusion directe des
concepts dans l’intelligence est possible mais insuffisant pour une
connaissance parfaite adaptée à l’homme. C’est pourquoi elle est portée et
accompagnée par une connaissance sensible et abstractive.
Solution 4 :
Sur terre, les images sont trompeuses
car Dieu a voulu que les corps ne livrent que la partie superficielle de leur
rayonnement sensible. Il a permis ce secret des choses dans le but unique de
soumettre l’homme à l’expérience de la faiblesse de sa nature. C’est une
première école dont le but est l’acquisition, si ce n’est de l’amour, au moins
de l’humilité. Dans l’autre monde, il n’en est plus ainsi. L’heure du choix libre
étant arrivée, le visage des méchants comme des bons manifeste à nu l’état de
leur âme. La vérité et la bonté ne sont plus séparées de la beauté. Il est
impossible de dissimuler. Les corps physiques rayonnent de la structure de leur
organisation. C’est pourquoi la connaissance à partir des images ne laisse plus
de place à l’erreur.
Objection 1 :
Il ne semble pas qu’elle s’exerce en restant immuablement fixée
sur l’objet de son élection car le libre arbitre est une propriété de la
volonté qui ne peut disparaître de cette manière après la mort.
Objection 2 :
On prétend que la volonté reste fixée
sur son objet à cause de l’infaillibilité de l’intelligence qui lui présente le
bien et le mal. Or l’intelligence, même après la mort, peut se tromper
puisqu’elle peut conduire l’âme à se séparer de Dieu. Il doit donc être
possible que, se rendant compte de son erreur, elle revienne en arrière.
Cependant :
La volonté est l’appétit intellectuel.
Elle suit le mode d’exercice de l’intelligence. Si donc l’intelligence lui
présente d’une manière parfaite et limpide un bien, elle s’y porte d’un seul
coup et ne revient pas sur son choix.
Conclusion :
Après la mort, la volonté de l’homme se
porte vers son objet d’une manière entière et définitive. La cause de cette
stabilité, il faut la prendre dans la condition de l’état qui suit la
séparation d’avec le corps physique. L’intelligence appréhende infailliblement
son objet à la manière dont nous saisissons tout de suite les premiers
principes et en avons l’intuition. La connaissance est parfaitement adaptée à
l’homme. Elle devient limpide et dénuée d’erreur sur le bien et le mal. La
volonté, quant à elle, se comporte par rapport à l’intelligence qui la meut
comme le mobile par rapport au moteur. Elle suit donc l’intelligence et se
porte immuablement vers ce qu’elle lui présente comme un bien de la même façon
que celle-ci adhère immuablement au vrai. Si donc nous considérons l’âme
séparée avant son adhésion, elle peut librement se fixer sur tel objet ou son
contraire (sauf s’il s’agit d’objets voulus naturellement comme le bonheur).
Mais, après cette adhésion, elle se fixe définitivement sur l’objet de son
choix. De là vient que l’on a coutume de dire que le libre arbitre de l’homme,
tant qu’il est sur la terre, est capable de se porter sur des objets opposés
aussi bien avant l’élection qu’après ; tandis que le libre arbitre de l’homme
après sa mort est capable de se porter vers des objets opposés avant l’élection
mais pas après.
Solution 1 :
C’est en pleine liberté que la volonté se porte sur son objet et
ne varie plus. Elle ne veut plus revenir sur son choix à cause de la parfaite
connaissance du bien qui l’a orienté et qui ne peut, à cause de sa perfection,
varier au cours du temps. Si la volonté humaine varie dans ses choix tant
qu’elle est soumise aux conditions terrestres, c’est à cause de la connaissance
de notre intelligence liée aux sens, qui est progressive et mobile ouverte vers
les contraires.
Solution 2 :
Quand l’âme choisit de se séparer de
Dieu, elle le fait à cause d’un certain bien qui lui parait suffisamment absolu
pour relativiser le mal des peines de l’enfer. Ce bien est l’exaltation de soi.
Une telle détermination de l’intelligence est suffisamment lucide et sûre pour
ne pas varier en enfer, d’où l’obstination des damnés et l’éternité de l’enfer.
Objection 1 :
L’homme est par nature un être sensible. Il ne peut donc
communiquer qu’à travers des signes sensibles comme le langage articulé. Après
la mort, il n’y aura plus de langage articulé puisque le corps physique aura
disparu. Donc il sera impossible de communiquer avec les autres.
Objection 2 :
Il y a deux sortes de langage : le langage intérieur par lequel on
se parle à soi-même, et le langage extérieur par lequel on parle à un autre.
Mais le langage extérieur se fait au moyen d’un signe sensible comme la parole,
le geste ou à l’aide d’un membre corporel comme la langue ou le doigt : toutes
choses qui ne peuvent convenir à une âme séparée.
Objection 3 :
L’ange est d’une nature intellectuelle
supérieure à l’âme séparée. Il conçoit des pensées d’une intelligibilité
supérieure que l’âme humaine ne peut saisir à cause de sa faiblesse. On doit
donc dire que les anges ne peuvent communiquer avec les âmes séparées.
Cependant :
Le jugement individuel de l’âme a lieu
après la séparation de l’âme et du corps. Or ce sera un jugement public. Il est
nécessaire que l’âme puisse entrer en contact avec ses accusateurs, ses
défenseurs et ses juges. Donc une âme peut communiquer avec d’autres âmes.
Conclusion :
Après la séparation de l’âme et du corps
physique, l’intelligence humaine s’exerce son mode habituel mais avec une
nouvelle perfection grâce à l’extrême agilité et légèreté du corps psychique
qui lui reste uni. Elle trouve donc son exercice parfait et découvre à quel
point l’état terrestre était handicapant. C’est ce que pourrait signifier le
mythe de la caverne de Platon.
Or quand un homme ici-bas veut
communiquer avec un autre, il le fait selon le mode de son intelligence,
c’est-à-dire qu’il manifeste par les signes sensibles que sont les mots et le
langage articulé, le concept mental qu’il porte en lui. Il doit convertir sa
pensée sous forme d’une élocution et il appartient à l’autre de convertir à
nouveau cette élocution en un contenu conceptuel.
Dans l’au-delà, un tel langage sera
possible puisque l’intelligence sera liée à son corps psychique. Il ne sera
plus nécessaire puisque le langage pourra avoir un nouvel exercice bien
supérieur. Nous avons dit en effet que le corps psychique a la propriété d’être
lumineux en ce sens qu’il ne constitue plus un obstacle entre l’intériorité de
l’être et celui qui le voit. Il y aura donc un langage nouveau, propre à
l’homme transporté dans l’autre réalité et très original. Il suffira de
regarder le corps de l’autre pour comprendre son intériorité et la pensée qu’il
voudra communiquer. Si une âme, par sa volonté, ordonne son concept mental en
vue de le manifester à une autre âme, aussitôt cette dernière en prendra
connaissance en lisant le visage lumineux de l’autre : De cette manière, l’âme
pourra parler à une autre âme. Car parler à autrui, ce n’est pas autre chose que
lui manifester sa propre pensée. Le langage sera universel puisqu’il ne passera
pas comme ici-bas par des signes conventionnels ; D’autre part, il sera parfait
puisque les "mots" employés seront les concepts eux-mêmes. Chacun
pourra exprimer ses pensées sans être trahi par les mots.
Solution 1 :
Il convient que l’intelligence humaine s’exprime par
l’intermédiaire de signes venant du corps à cause de l’opacité du corps
ici-bas. Cependant, cet état de la matière n’est que provisoire et lié à la
"vallée de larmes" où l’homme est en apprentissage. Cependant, par
nature, le corps peut prendre d’autre mode de fonctionnement comme on le voit à
l’heure de la mort où seule sa partie psychique demeure et à la résurrection où
le corps physique palpable sera rendu.
Solution 2 :
Le langage extérieur qui se fait par la voix ne nous est
nécessaire qu’à cause de l’obstacle du corps non "lumineux. » C’est
pourquoi il ne convient ni aux anges ni aux âmes séparées qui ne connaissent
que le langage intérieur. Or ce langage ne consiste pas seulement à se parler à
soi-même en formant un concept, mais aussi à ordonner, par le moyen de la
volonté pour les anges et de la sensibilité pour les hommes, le concept en vue
de le manifester à un autre. Ainsi, ce n’est que par métaphore qu’on parle de
la langue des purs esprits pour signifier la puissance qu’ils ont de manifester
leur pensée.
Solution 3 :
L’ange a la capacité d’adapter les
concepts intelligibles qu’il conçoit à la portée de l’intelligence à qui il les
communique, de la même manière que le professeur dont la science est supérieure
à celle de l’élève peut tout de même la lui communiquer progressivement. L’ange
a reçu de Dieu une faculté de produire des images sensibles de ce qu’il veut
communiquer aux hommes, comme on le voit dans les nombreuses apparitions
relatées par la Bible. Il lui est donc tout à fait possible de communiquer avec
les hommes.
Objection 1 :
Cela semble possible. L’âme humaine, lorsqu’elle est séparée du
corps, devient comme un ange selon saint Marc[710].
Or les anges ont la capacité naturelle de savoir ce que font les hommes sur la
terre, sans quoi ils ne pourraient être envoyés en mission auprès d’eux. Il
doit en être de même pour les hommes.
Objection 2 :
L’intelligence est faite pour connaître ce qui est. Si donc elle
ne peut connaître ce qui se passe sur la terre après la mort, c’est qu’elle est
frustrée de son objet. Or une telle frustration ne peut être naturelle car un
être ne peut aspirer à une chose qui est hors de sa portée. Donc l’intelligence
humaine peut voir ce qui se passe sur la terre.
Objection 3 :
Les âmes
qui sont au paradis voient les hommes puisqu’il est recommandé de leur adresser
nos prières de demandes. Si elles leur étaient inconnues, de telles prières
seraient inutiles ce qui est contraire à la foi.
Cependant :
Job écrit
à propos des morts : « Si ses fils honorés, il ne s’en rend pas compte".[711]
Donc l’âme séparée ne peut voir les hommes qui sont sur terre.
Conclusion :
L’âme
séparée du corps physique peut exercer l’acte des facultés sensibles puisque
ces facultés demeurent, comme nous l’avons montré[712].
Elle peut donc de manière naturelle voir les hommes qui sont sur la terre, du
moins si on entend par là la vision corporelle qui se fait avec les yeux. De
plus, les témoins d’une mort approchée affirment que leurs sens s’exercent de
manière plus performante. Ils ont accès de manière directe aux images présentes
dans la pensée des hommes qui sont autours d’eux.
Cependant,
une telle théorie semble contredire les diverses autorités de l’Écriture comme
les paroles de Job qui veulent décrire l’état des âmes justes conduites dans
les limbes des patriarches. Elle contredit aussi les récits de ceux qui ont
approché la mort et qui racontent passer dans une autre dimension séparée de la
nôtre et ouverte par le passage dans un tunnel noir. Il semble donc qu’on doive
affirmer que les âmes séparées ne peuvent voir les actions des hommes qui sont
sur la terre, non par nature mais à cause d’une disposition de Dieu.
Pour le comprendre, il faut saisir la raison de la séparation
entre le monde des morts et celui des vivants. Elle correspond à une volonté
explicite de Dieu qui conduit par étape l’homme à la vision de sa lumière.
Avant la mort, l’homme vit une première étape de purification dont la finalité
commune pour tous est la découverte de sa propre misère. Pour se faire, le
gouvernement de Dieu consiste à laisser l’homme dans les propres lois de son
péché. Dieu se cache et ordonne à ceux qui sont avec lui de se cacher. Il
n’intervient que très rarement et par exception de manière directe (miracles,
apparitions, prophéties). La deuxième étape est la mort elle-même où Dieu
révèle sa lumière. Mais tant que l’homme est encore en chemin, qu’il n’est pas
entré dans la pleine lumière de la Vision, il lui est difficile de comprendre
les raisons de cette séparation. Sa tendance naturelle consisterait plutôt à se
montrer et à témoigner auprès des vivants de ce qu’il fait. En agissant ainsi,
il compromettrait le plan de Dieu et nuirait dangereusement à la préparation
spirituelle des hommes. C’est pourquoi le Seigneur interdit strictement la
pratique de l’évocation des morts selon le Deutéronome : « On ne trouvera chez
toi personne qui fasse passer au feu son fils ou sa fille, qui pratique
divination, incantation, mantique ou magie, personne qui use de charmes, qui
interroge les spectres et devins, qui invoque les morts. Car quiconque fait ces
choses est en abomination à Yahvé ton Dieu, et c’est à cause de ces
abominations que Yahvé ton Dieu chasse ces nations devant toi. »
Après
l’entrée de l’âme dans la vision, il en est tout autrement. Non seulement les
saints voit en voyant Dieu tout ce qu’ils désirent, mais ils peuvent, à leur
simple désir, se rendre sur terre auprès de chacun. Ils ont entière liberté
pour cela car leur volonté est totalement une avec Dieu. S’ils prennent une
quelconque initiative, elle ne peut qu’être celle de Dieu tant leur volonté est
une avec celle de Dieu.
Solution 1 :
La nature intellectuelle de l’ange étant supérieure, elle peut
recevoir de Dieu des espèces intelligibles suffisamment lumineuses pour
connaître les choses en leur nature universelle et aussi en leur singularité.
Il n’en est pas de même pour les âmes qui sont incapables de saisir les
singuliers à travers des formes universelles. Elles doivent donc en recevoir la
science à travers le sensible, ce qui leur est possible dans là mesure où elles
restent unies à leurs sens après la mort. Etant séparées du monde des vivant,
cette perception leur est interdite tant qu’elles n’ont pas achevé le chemin de
leur purification. Cependant, les âmes des morts peuvent recevoir certaines
nouvelles des vivants à travers des révélations constantes des esprits
supérieurs et à chaque fois qu’une âme les rejoint en passant par la mort. Mais
une telle connaissance est indirecte. Donc les âmes qui ne sont pas dans la
Vision béatifique ne peuvent voir ce que les hommes font sur terre.
Solution 2 :
Une faculté peut être empêchée d’atteindre son objet à cause d’un
obstacle extérieur à elle-même. Ainsi l’aveugle ne peut voir les couleurs non à
cause de l’absence de la faculté de voir qui existe réellement dans son âme
mais à cause d’un obstacle dans l’instrument de la vision qui est l’œil. De même,
après la mort, l’intelligence ne peut connaître ce qui se passe sur la terre à
cause de la séparation provisoire que lui impose Dieu, pour le bien de sa
purification.
Solution 3 :
Les âmes glorifiées voient nos actions de trois manières : 1° À
travers l’essence de Dieu qu’elles contemplent face à face et qui porte en elle
tout ce qui est connaissable dans le monde ; 2° D’autre part, elles reçoivent
de la part des anges avec qui elles sont unies par la charité des révélations
intimes et intuitives concernant le gouvernement de Dieu sur les habitants de
la terre. 3° Enfin, elles peuvent se rendre elles-mêmes sur la terre et voir,
de leurs yeux sensibles et par les sens intérieurs nos actions. Elles le font
sans voyeurisme mais dans la même attitude intérieure que Dieu quand il nous
voit, à cause de leur union totale à la sainteté de Dieu.
Objection 1 :
Cela semble confirmé par le témoignage de nombreux hommes dignes
de foi qui prétendent avoir vu apparaître des âmes défuntes du purgatoire ou
même des saints du Ciel, comme Jeanne D’Arc pour sainte Catherine ou encore des
âmes de l’enfer, comme les enfants de Fatima.
Objection 2 :
Dans le livre de Samuel, on voit le roi Saül évoquer l’esprit du
prophète Samuel par le ministère d’une nécromancienne[713]
: « Elle vit un spectre qui monte de la terre, il ressemblait à un vieillard
drape dans un manteau. » Ceci semble prouver que les esprits des morts peuvent
apparaître, au moins en s’appuyant sur la médiation d’un médium.
Objection 3 :
Il serait inutile de prier les saints pour soi-même ou pour les
autres s’ils ne pouvaient en aucune manière agir efficacement en retour. Or
celui qui peut agir peut aussi apparaître, donc les âmes séparées peuvent apparaître
aux hommes.
Objection 4 :
Selon le Seigneur[714]
: « Nous serons comme des anges. » Or les anges peuvent agir sur les hommes et
leur apparaître en se façonnant un corps apparent. Donc les âmes séparées
peuvent apparaître aux hommes.
Objection 5 :
L’expérience
montre que, en invoquant les esprits des morts par des méthodes spirites, on
obtient des réponses par l’intermédiaire d’un langage codé ou encore
d’apparitions fantomatiques.
Cependant :
Le riche,
plongé dans l’Hadès, supplie Abraham d’envoyer quelqu’un auprès de ses cinq
frères vivants sur terre. Il n’aurait pas parlé ainsi s’il avait pu le faire
lui-même. Donc les âmes séparées ne peuvent pas apparaître.
Conclusion :
L’âme
humaine séparée du corps physique ne peut apparaître aux hommes, du moins si
elle s’appuie sur les seules forces de sa nature. La raison en est qu’elle est,
parmi les natures spirituelles, la moins parfaite de toutes. Plus une nature
spirituelle est parfaite, plus la connaissance qu’elle a des réalités est
universelle et simple. Et c’est un principe dans toute la création que la
capacité d’action suit l’universalité de la connaissance. Ainsi Dieu qui est
l’essence de la perfection connaît toutes choses à travers un seul concept qui
est sa propre essence. La puissance de son action est proportionnée à la
perfection de son esprit : ainsi Dieu peut-il tout faire de ce qui est
faisable. Les anges qui sont intermédiaires entre Dieu et les hommes
connaissent par l’intermédiaire de diverses espèces intelligibles. Plus ils
sont proches de Dieu par leur essence, plus leur connaissance naturelle se
simplifie et s’approfondie. Par leur seule puissance intellectuelle, et sans
nécessité de facultés de connaissances sensibles, ils sont capables de
connaître tous les singuliers matériels. Aussi sont-ils par nature capables de
mouvoir tous les corps matériels, par la seule puissance de leur esprit. Ils
peuvent apparaître aux hommes en se façonnant des corps provisoires, comme on
le voit dans le livre de Tobie à propos de l’ange Raphaël [715]
: « Vous avez cru me voir manger ; ce n’était qu’une apparence. » De même, les
anges peuvent influencer les hommes soit en agissant sur l’organe de leur
imagination, soit en mouvant de l’extérieur leur faculté motrice ce qui peut
être vu dans les cas de possessions démoniaques.
L’homme
enfin, qui est le plus faible des esprits ne connaît les réalités que
progressivement, à travers ses sensations dont il abstrait l’intelligible. Sa
connaissance part donc du singulier. De même, il est ordonné par nature à ne
mouvoir qu’un seul corps qui est le sien. Il lui est impossible d’imprimer un
mouvement à autre chose par la seule action de sa volonté. Tout mouvement local
imprimé à un autre corps passe par l’intermédiaire de son propre corps. Cet
instrument peut être la main ou, plus rarement, un magnétisme émis par le
psychisme comme on le voit chez ceux qui déplacent de minuscules objets à
distance. Il s’agit d’une faculté très faible et exceptionnelle qui joue
surtout dans le domaine des particules.
Après la mort, tout lien étant coupé avec son corps physique,
l’âme devient par les seules forces de sa nature incapable de provoquer une
action sur les corps physiques, sauf pour l’exception suivante : Etant encore
unie à son corps psychique, elle garde semble-t-il tout de même un certain
pouvoir de réaliser par elle-même quelques signes faibles et fragiles de sa
présence. Elle ne peut donc se faire entendre ou apparaître par elle-même que
de manière débile et inefficace (apparitions fantomatiques, impressions de
froid). De même, étant incapable de savoir ce que font les hommes, comme on l’a
montré précédemment, elle se trouve plongée dans un autre monde, selon saint
Luc[716]
: « Entre nous et vous, un grand abîme a été fixé, afin que ceux qui voudraient
passer d’ici chez vous ne le puissent, et qu’on ne traverse pas non plus de là
bas chez nous"
Solution 1 :
Il peut arriver que des défunts apparaissent aux hommes, mais ces
apparitions ne sont pas dues aux seules capacités de leur puissance naturelle.
Elles sont provoquées par le ministère des anges qui les ordonnent au bien de
l’homme : ainsi, la misère des âmes de l’enfer rappelle aux tièdes la gravité
extrême du péché mortel ; la détresse des âmes du purgatoire les invite à
offrir leurs prières pour leur salut définitif ; quant aux saints du paradis,
ils peuvent apparaître à volonté puisqu’ils sont surélevés par la puissance de
Dieu qui les rend plus puissants que les anges. Ils manifestent aux hommes la
proximité de leur aide.
Solution 2 :
À propos de cette apparition de Samuel, saint Augustin écrit[717]
: « Il n’est pas déraisonnable de croire que, par une permission de Dieu, et
par un ordre secret qui échappait à la pythonisse et à Saül, l’âme d’un juste,
sans subir aucunement l’influence des artifices et de la puissance magique, ait
pu se montrer aux regards du roi, qu’il devait frapper du jugement de Dieu. Ou
bien, il faudrait penser que ce ne fut pas vraiment l’esprit de Samuel, arraché
à son repos, mais un fantôme et une illusion imaginative, produite par les
artifices diaboliques. La Sainte Écriture lui donnerait alors le monde Samuel
en suivant le procédé commun, qui consiste à donner le non des choses aux
images qu’elles représentent. » La plupart du temps, lors des séances de
spiritisme, ce ne sont pas les morts qui apparaissent mais les démons qui
trouvent par ce moyen un mode efficace d’accès à l’intelligence de l’homme
naïf. Lorsqu’il s’agit des morts eux-mêmes, ce ne sont pas les âmes saintes du
paradis qui réprouvent avec Dieu ces pratiques, mais les esprits errants et peu
évolués de morts qui s’appuient sur le psychisme d’un médium ou du groupe. Dans
ce cas, les messages sont à leur image, très mondains.
Solution 3 :
Les âmes qui sont dans la vision de Dieu sont en quelque sorte une
seule chose avec Dieu puisque leur volonté est parfaitement conforme à celle de
Dieu. Elles ne veulent donc rien d’autre que ce que Dieu veut. C’est pourquoi,
lorsqu’il s’agit d’apparaître aux vivants, elles sont revêtues de la puissance
divine qui les en rend capables. Mais elles ne peuvent se rendre visibles sans
cette aide de Dieu ou des anges, à la différence du Christ et de la Vierge
Marie qui, étant unis à leur corps, peuvent apparaître par eux-mêmes.
Solution 4 :
Dans l’au-delà, les âmes seront comme les anges en ce sens que
leur esprit s’exercera de manière analogue en perfection et acuité à celle des
anges mais non en ce qu’il aura la même puissance que le leur. C’est pourquoi,
le fait que les anges puissent apparaître ne prouve pas que les hommes le
puissent par eux-mêmes.
Solution 5 :
La pratique
de l’évocation des esprits est strictement interdite par le Seigneur[718]
: « Celui qui s’adresse aux spectres et au devins, se prostituant à leur suite,
je me tournerai vers cet homme là et je le retrancherai du milieu de son peuple.
» De même l’Église a renouvelé sans cesse ces interdictions. La raison en est
que celui qui s’adonne à de telles pratiques en arrive immanquablement, à cause
de la fascination que provoque sur lui l’enseignement des esprits, à perdre la
foi en Dieu pour se tourner vers le culte des "dieux" de l’au-delà,
ce que la Bible appelle se prostituer. Et il est certain que les esprits qui se
manifestent aux spirites ne sont pas les bons anges puisque ces derniers
suivent en tout les volontés de Dieu exprimées par l’Écriture et l’Église et
qui interdisent ces pratiques. Ce ne peut être que très faiblement les esprits
des morts puisqu’ils sont pratiquement incapables par nature sans l’aide
préalable de la puissance des anges ou de Dieu de se manifester clairement aux
vivants. La plupart du temps, il s’agit donc de l’action des anges rebelles,
c’est-à-dire des démons qui n’hésitent pas à se déguiser en prenant l’apparence
des esprits des morts pour mieux nuire aux hommes. En effet, leur pouvoir sur
nous est habituellement limité à celui de la tentation qui consiste à incliner
nos penchants sensibles vers des actes mauvais. Dans le spiritisme, leur
pouvoir atteint directement l’intelligence de l’homme qu’ils peuvent enseigner
à volonté.
Il nous
faut maintenant regarder le jugement individuel.
A ce
sujet, nous nous demanderons :
1° Y a-t-il un jugement individuel qui suit
immédiatement la mort ?
2° L’âme arrive-t-elle au jugement dernier
en état de mérite ou de démérite ?
3° Toutes les âmes passent-elles en jugement
?
4° Est-ce l’âme qui se juge elle-même ?
5° Est-ce Jésus sous la forme de son
humanité qui juge l’âme ?
6° Aussitôt arrivées dans l’autre monde, les
âmes reçoivent-elles leur récompense ou leur châtiment ?[720]
Objection 1 :
Il ne semble pas que le jugement individuel suive immédiatement la
mort. Le terme de ce jugement est en effet l’attribution d’une peine ou d’une
récompense éternelle. Or saint Augustin dit[721]
: « Dans l’intervalle entre la mort et la résurrection générale, les âmes
habitent des demeures mystérieuses, suivant que chacune a mérité le repos ou la
peine. » Or ces demeures ne sauraient signifier le Ciel ou l’enfer où les âmes
seront avec leur corps après la résurrection, car alors la distinction faite
par le saint docteur entre le temps qui précède la résurrection et celui qui la
suit n’aurait plus de sens.
Objection 2 :
La gloire
de l’âme est supérieure à celle du corps. Or la gloire corporelle sera donnée à
tous en même temps, afin que la joie de chacun soit comme multipliée par la
joie de tous, comme le dit la glose. Donc, à plus forte raison, la gloire des
âmes doit-elle être différée jusqu’à la fin du monde où elle sera donnée à tous
en même temps. Ainsi, il semble que le jugement individuel n’aura lieu qu’à ce
moment, en même temps que le jugement général.
Cependant :
Saint Paul
dit[722]
: « Nous savons que si cette tente, notre demeure terrestre vient à être
détruite, nous avons une maison qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure
éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, dans le Ciel" Si cette
demeure est éternelle, c’est qu’elle ne doit jamais être changée. Donc les âmes
sont jugées à l’instant qui suit leur entrée dans l'autre monde[723].
Cette vérité est proclamée avec évidence par les Écritures canoniques, les
ouvrages des saints Pères et la définition solennelle de Benoît XII. Sa
négation doit donc être regardée comme hérétique.
Conclusion :
De même
que la gravité ou la légèreté porte les corps au lieu qui est le terme de leur
mouvement, de même le mérite ou le démérite conduit les âmes à la récompense ou
au châtiment qui sont le terme de leur activité. De même donc que si rien n’y
met obstacle, les corps obéissent à la gravitation et atteignent le lieu qui
leur convient, de même les âmes, après la rupture du lien corporel qui les
retenait ici-bas, reçoivent du juge souverain la sentence de leur récompense ou
de leur châtiment. Tel est le but du jugement individuel.
Il reste à
comprendre de quelle manière on peut dire qu’il ne reste plus d’obstacle à ce
que l’âme reçoive la sentence de son destin éternel juste après la mort. À
l’heure de la mort, nous l’avons montré, l’homme a été conduit par une série de
révélations à poser un choix définitif qu’il ne pourra ni ne voudra jamais
changer. Il n’existe donc plus de motif de la part de Dieu pour retarder
l’obtention de ce choix. La vie terrestre ne permettait des retours sur les
choix qu’à raison de son rôle éducatif et provisoire. C’est pourquoi, juste
après la mort, l’âme est conduite en enfer et, dès qu’elle s’est totalement
purifiée des restes de son péché, au paradis. On doit donc affirmer que le
jugement individuel qui réalise l’attribution de ces peines ou de ces récompenses
suit immédiatement la mort.
Solution 1 :
Parmi les demeures mystérieuses dont parle saint Augustin, il faut
ranger le Ciel et l’enfer ou il y a des âmes même avant la résurrection de la
chair. Ce qui distingue le temps qui précède celle-ci et le temps qui la suit,
c’est l’absence où la présence du corps physique, et aussi le fait que
certaines demeures qui contiennent aujourd’hui des âmes n’en contiendront plus
après la résurrection, (le purgatoire).
Solution 2 :
Le corps
crée une espèce de continuité entre tous les hommes. C’est par lui que se
vérifie cette parole des actes[724]
: « D’un seul homme, Dieu a fait sortir tout le genre humain. » Au contraire
"Dieu a créé chacune des âmes. » La glorification simultanée de toutes les
âmes s’impose donc moins que celle de tous les corps. De plus la gloire du
corps est moins essentielle que celle de l’âme. L’ajournement de celle-ci
causerait donc aux saints un préjudice d’autant plus grave, et que ne suffirait
pas à compenser le supplément de joie que chacun recevrait de la joie de tous.
Donc il convient que le jugement individuel de chaque âme ne soit pas différé
après la mort.
Objection 1 :
Il semble que certaines âmes n’arrivent pas en état de mérite ou
de démérite par rapport à la vie éternelle. Car le mérite comme la
justification impliquent le libre arbitre. Il semble donc que les enfants morts
prématurément ne méritent ni de déméritent puisque leur esprit est incapable par
nature de se porter vers un bien.
Objection 2 :
De même ceux qui n’ont jamais entendu parler durant leur vie
terrestre de la béatitude préparée par Dieu, comme ceux qui ont vécu avant la
venue du Christ ou ceux qui, après sa venue, n’ont pas reçu la prédication
évangélique, ne peuvent être en état de mérite ou de démérite par rapport à ce
qu’ils ne connaissent pas.
Objection 3 :
Une
tradition attestée par les Pères décrit un séjour des morts appelé "mort,
shéol. » Ces âmes errent entre deux mondes, sans but. Elles ne sont donc ni en
état de mérite, sinon elles seraient dirigées vers le paradis, ni de démérite
sinon elles se détermineraient vers l’enfer. Donc…
Cependant :
Après sa
mort, l’âme reçoit la sentence du juge qui la fixe dans son avenir éternel. Or
le jugement divin ne peut qu’être juste et attribuer à chacun la récompense de
ses œuvres. L’âme est donc nécessairement en état de mérite ou de démérite par
rapport à cette rémunération.
Conclusion :
Nous avons
montré précédemment que tout homme recevait de la part de Dieu durant sa vie
terrestre la possibilité de vivre de la grâce et d’être justifié. Si cette
révélation n’est pas donnée durant la vie, elle est alors reçue au moment de la
mort. Elle se fait d’une façon suffisamment claire pour chaque homme de manière
à ce que le libre arbitre s’ouvre à la gloire ou au contraire la rejette d’une
manière pleinement responsable[725].
L’âme est donc introduite dans la mort de telle manière qu’elle est pleinement
en état de mérite ou au contraire de démérite par rapport à la vie éternelle.
Or le mérite vient du fait qu’on a établi son intention dans la recherche
exclusive de Dieu et de sa volonté comme fin dernière de sa vie, ce qui se
réalise par la charité. Le démérite au contraire est la conséquence d’une intention
qui s’établit dans la recherche de soi-même comme fin dernière de toutes ses
activités. La première de ces intentions étant fondée sur la grâce mérite de la
part de Dieu qui en est la cause première, l’introduction dans la gloire. La
seconde mérite au contraire la séparation définitive avec Dieu que l’homme
rejette.
Solution 1 :
Le cas des
enfants morts prématurément est à considérer à part à cause de l’absence chez
eux d’un libre-arbitre personnel. Comme tout être spirituel, ils sont appelés
par Dieu à la Vision béatifique mais ils ne peuvent y être introduits que de la
manière qui convient aux êtres spirituels : Dans sa liberté souveraine, Dieu ne
veut s’unir à sa créature que si elle-même le désire dans un acte de charité.
Pour ce faire, deux conditions sont requises :
1° Il faut que l’enfant puisse poser un acte
libre. Dieu doit donc remédier à son incapacité naturelle. Nous verrons qu’il
le fait par une éducation qui vient réaliser dans leur esprit ce qu’aurait du
accomplir l’apprentissage de la terre. Il le fait aussi par la puissance
sensible de l’apparition des saints et des anges dont l’image est capable, de
manière adaptée à la faiblesse de l’esprit enfantin, de faire naître une vraie
vie de connaissance et de volonté active.
2° Il faut en outre que l’enfant puisse se
tourner vers Dieu et le désirer. Cet acte de charité n’est possible que par
l’infusion de la grâce surnaturelle ce qui présuppose le pardon du péché
originel et la proposition explicite de la grâce. Parmi les enfants, certains ont
été baptisés soit par le baptême d’eau reçu de l’Église, soit par le baptême
que leurs parents ou leurs proches ont désiré pour eux sans pouvoir leur
administrer. D’autres, ayant été abandonnés ou oubliés par leurs parents avant
leur naissance, ils sont adoptés et baptisés à la demande des habitants du
paradis par le nouvel Adam et la nouvelle Ève, à savoir Jésus et Marie. Grâce à
ces diverses formes de baptême, tous les enfants ont en eux la grâce
sanctifiante. De ceci ressort que les enfants, après s’être tournés vers Dieu
dans l’innocence de leur âme, arrivent au jugement en état de mérite par
rapport à la vie éternelle.
Solution 2 :
Même avant
la venue du Christ, les âmes recevaient la prédication du salut qui allait être
bientôt réalisé par la naissance, la mort et la résurrection du Christ. Le
contenu de cette révélation n’était pas alors aussi riche et précis que celui
reçu de nos jours par les hommes à l’heure de leur mort mais il suffisait pour
établir leur âme dans l’espérance future du salut. Depuis toujours, pour
pouvoir effectuer son choix de manière lucide, l’homme devait simplement croire
que Dieu est lumière et amour et qu’il propose la vision béatifique à celui qui
l’aime. Il devait aussi espérer la venue prochaine d’un Messie de cet Évangile.
Et cette
espérance ou ce refus d’espérer leur valait déjà de mériter ou de démériter par
rapport à la vie éternelle que Jésus vint leur révéler en plénitude après sa
passion[726]
: « Il s’en alla même prêcher aux esprits en prison. » En attendant cette révélation,
les âmes séjournèrent dans les limbes des patriarches, autrement dit l'un des "enfers" selon cette parole de
Jacob[727] : « S’il arrivait malheur à Benjamin,
vous feriez descendre mes cheveux blancs avec douleur dans les enfers. » Si
avant la venue du Christ, les âmes des justes furent pas immédiatement
introduites dans le repos éternel et parfait de la vision de l’essence divine,
c’est parce que l’obstacle du péché qui mérite en stricte justice la séparation
d’avec Dieu n’avait pas encore été enlevé par le Christ, selon cette parole
"il a pris sur lui notre péché, le châtiment qui nous rend la paix est sur
lui et dans ses blessures nous trouvons la guérison »[728].
Quant aux enfers, il ne faut pas les confondre avec l’enfer tel
que nous en parlons aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de l’état des
réprouvés, mais du séjour des morts, qu’ils soient justes, en voie de
purification ou déjà saints. Toutes ces âmes avaient en commun d’être séparées
de la Vision béatifique de Dieu et en ce sens, il s’agit bien d’enfers,
c’est-à-dire de lieux inférieurs. 1° Mais les unes étaient séparées de Dieu à
cause d’un obstacle provisoire que le Christ devait enlever. Leur séjour était
l’enfer des justes, (appelé par l’Écriture le sein d’Abraham car Abraham est le
signe de ceux qui croient, le grand exemple de la foi présenté par la Bible,
puisqu’il se sépara de la multitude incroyante et reçut le signe de l’Alliance
avec Dieu). Il s’agissait d’un état d’où la souffrance était exclue puisqu’il
n’y avait pas de faute à expier. Mais le repos dont jouissait l’âme des justes
était imparfait car le désir subsistait, la fin dernière restant encore à
atteindre. 2° En outre, certaines âmes étaient déjà, avant la venue du Christ,
séparées de Dieu à cause de leur volonté obstinée dans le mal. Ce sont les âmes
de l’enfer des damnés qui se distingue de l’enfer des justes car il est l’état
définitif de ces âmes obstinément fixées dans le blasphème contre le Saint
Esprit de Dieu. 3° En troisième lieu, l’Écriture Sainte oblige à supposer l’existence,
dès avant la rédemption opérée par le Christ, d’un "enfer"
correspondant au purgatoire dont parle actuellement l’Église et où les âmes
saintes, ayant cependant quelque reste du péché séjournaient dans une attente
douloureuse. C’est ce qu’enseigne avec netteté le livre des Maccabées[729]
: « Judas fit faire ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu’ils fussent
délivrés de leurs péchés. » Il semble qu’il s’agit de la demeure où fut conduit
l’homme riche dont parle Jésus dans l’Évangile de saint Luc[730]
: « Dans l’Hadès, en proie à des tortures, le riche lève les yeux et voit de
loin Lazare en son sein. Alors il s’écrit : père Abraham, aie pitié de moi et
envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la
langue, car je suis tourmenté par cette flamme. » En tout état de cause, de ces
trois enfers, seuls subsistent aujourd’hui les deux derniers car les âmes des
justes qui séjournaient dans le sein d’Abraham furent toutes introduites dans
la gloire du Ciel au soir du vendredi saint, au moment où, symbolisant cet
évènement, le rideau du temple se déchirait.
Quant au jugement individuel qui aboutissait dès avant
l’incarnation du Verbe à la distinction des âmes, on peut supposer qu’il était
réalisé par l’apparition au moment de la mort d’un envoyé glorieux mandaté par
Dieu, capable de manifester avec puissance et clarté la certitude du Salut à
venir : Sans doute s’agissait-il d’un archange se montrant sous une forme
adaptée pour le mourant.
Solution 3 :
Le shéol
est un état provisoire réservé à des personnes très rustres. Dieu permet que
ces âmes restent entre deux mondes parce qu’il espère, en retardant
l’apparition du Christ et le jugement dernier, affiner leur perception du bien
et du mal. Il n’y a ni mérite ni démérite définitif car, laissées dans
l’ignorance des révélations de la gloire qui accompagnent la parousie du
Christ, elles sont maintenues dans l’incapacité de choisir leur destin éternel.
Comme les autres âmes, après ce temps de prolongement de la vie terrestre, ces
âmes seront visitées et arriveront au jugement en état de mérite ou de
démérite.
Objection 1 :
Il semble que les saints ne passent pas en jugement lors de leur
mort. En effet, Jésus dit[732]
: « En vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui
m’a envoyé à la vie éternelle et ne vient pas en jugement mais il est passé de
la mort à la vie"
Objection 2 :
Il semble que l’on doive parler de la même manière pour ceux qui
sont en état de péché mortel puisque Jésus annonce à leur égard[733]
: « Qui ne croit pas est déjà jugé car il n’a pas cru au nom du Fils unique de
Dieu. »
Objection 3 :
Les enfants morts après avoir reçu le baptême n’ont pas besoin
d’être jugés puisqu’ils n’ont commis aucun péché personnel et qu’ils sont
sauvés par la foi de leurs parents et de l’Église qui les présente à Dieu.
Objection 4 :
La Vierge
Marie au moins, à cause de son incomparable pureté semble avoir échappé au
jugement individuel et être montée directement au Ciel.
Cependant :
D’après
Benoît XII[734]
: les âmes reçoivent après leur mort leur récompense ou leur châtiment. Or
c’est là justement ce qui spécifie le jugement des individus. Donc tous les
hommes passeront en jugement.
Conclusion :
Dans le
domaine du bien et du mal, on peut employer le terme juger selon plusieurs
sens.
1° En un premier sens qui est fondamental,
juger signifie simplement énoncer le droit. Et cette détermination exacte des
choses justes se fait par rapport à une règle qui peut être écrite (ainsi
dit-on que la loi juge de ce qui est bon ou mauvais dans la cité) ou vivante
(et c’est le rôle du juge). Pris en ce sens, on doit affirmer que le jugement
individuel concerne tout homme, aussi bien les bons que les mauvais car il est
nécessaire que chacun puisse discerner ce qui est bon ou mauvais en lui. Un tel
jugement est inauguré dans le temps qui précède la séparation totale de l’âme
et du corps physique par l’apparition du Christ glorieux qui est, à lui seul,
la loi vivante de Dieu pour les hommes. La vision de son humanité sainte,
accompagnée des diverses révélations qui lui sont conjointes manifeste d’une
manière suffisante à l’âme l’état de ses mérites ou démérites devant Dieu, au
point qu’elle sera rendue capable de discerner en elle chaque péché et chaque
bonne action. C’est ce que signifie saint Bonaventure quand il dit qu’on
ouvrira le livre des consciences de chacun[735].
2° En un second sens, juger peut signifier
la condamnation d’un pécheur à cause de sa faute. Ainsi voit-on les juges se
prononcer sur la culpabilité de celui qui a commis un crime en le déclarant
coupable. De même, dans les évangiles, Jésus interdit aux hommes de juger afin
de ne pas être jugés eux-mêmes[736].
Il signifie par là qu’il n’appartient qu’à Dieu de condamner un pécheur pour
son péché car nul autre que lui n’est réellement capable de discerner les
intentions profondes de chacun : « Il sonde les reins et les cœurs".[737]
Pris en ce second sens, seul les méchants seront jugés, obtenant par là une
juste réponse à leur obstination perverse dans le péché. Quant aux saints, ceux
qui auront été trouvés avec la charité, ils échapperont à ce jugement. Ils
s’entendront signifier une bénédiction.
3° Enfin, juger peut signifier l’énonciation
d’une sentence. Ainsi celui qui a commis un crime reçoit-il une juste peine de
la part du juge. Pris en ce sens, on doit affirmer que tous les hommes, les
bons comme les mauvais passeront après leur mort en jugement car les justes
s’entendront déclarer par le Christ dignes de la vie éternelle tandis que les
pécheurs seront déclarés condamnés à l’enfer éternel, selon le démérite de leur
péché. C’est ce que signifie saint Bonaventure lorsqu’il affirme qu’on ouvrira
le livre de Vie qui manifestera la justice de Dieu[738]
: « Entrez dans la joie de mon Père. »
Solution 1 :
Cette parole de Jésus signifie que celui qui aime Dieu n’a pas à
craindre un jugement de condamnation, selon la deuxième acception du mot
jugement. Par contre, Dieu établira en lui un discernement de tous les restes
du péché, selon cette parole de l’épître aux Hébreux[739]
: « Le Verbe de Dieu, comme un glaive à deux tranchants, pénètre jusqu’au point
de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, il peut
juger des sentiments et des pensées du cœur. » Il s’agit de la première
acception du mot jugement. De même, selon la troisième acception, le juste
s’entendra déclarer digne du salut dès son jugement individuel : même s’il lui
reste quelque péché à effacer au purgatoire, la certitude d’être sauvé ne le
quittera jamais.
Solution 2 :
Le jugement de condamnation qui est réservé aux méchants s’achève
donc dans l’énonciation d’une sentence de damnation dont l’origine vient du
péché que le reprouvé s’obstine à garder. L’origine étant le péché on peut dire
avec l’Écriture que le réprouvé est jugé par sa propre perversité plutôt que
par le juste juge qui ne fait que ratifier[740].
Solution 3 :
Comme tout être spirituel, l’enfant n’entre pas au Ciel sans un
acte libre de sa volonté. Il reçoit donc de la part de Dieu certains dons qui
viennent remplacer ce qu’aurait du normalement accomplir l’éducation et
l’enseignement d’une vie terrestre. Ainsi, son intelligence est rendue
suffisamment forte pour pouvoir engager sa volonté dans un choix concernant le
bien et le mal. Simultanément, l’enfant reçoit du Verbe fait chair la
révélation explicite du contenu de la foi et de l’espérance. L’enfant étant
innocent, il ne subit aucun jugement de discernement vis-à-vis du péché de sa
vie passée. Il est simplement introduit au Ciel, dès son premier acte volontaire
de charité, par la sentence du juge qui bénit la simplicité de son âme.
Solution 4 :
La Vierge
Marie n’a pas eu besoin de se voir énoncer à nouveau les volontés divines lors
de son passage dans l’autre monde puisqu’elle en avait perçu pleinement les
profondeurs des sa vie terrestre ; de même, il n’y a en elle aucun discernement
du péché puisqu’elle était immaculée. Elle n’a donc connu le jugement
individuel que selon sa première et troisième acception ce qui signifie que le
Christ redit devant elle et le Ciel entier ce que l’ange Gabriel avait fait des
années plus tôt. Il l’a déclaré "pleine de grâce. » Puis il a énoncé
devant elle la sentence de sa gloire incomparable. C’est ce que l’Église
célèbre par la fête de son couronnement. En effet, dans le même moment, la
Vierge Immaculée a été élevée par son Fils à la gloire de la vision béatifique,
et proclamée Reine du Ciel et de la terre.
Objection 1 :
Cela n’est pas possible. On ne peut être à la fois juge et accusé,
comme on le voit dans les procès humains. Il faut donc qu’il y ait un juge
assigné par Dieu pour déterminer la culpabilité ou l’innocence du prévenu et
pour lui attribuer sa peine ou sa récompense.
Objection 2 :
Pour les bons, le jugement dernier aboutit à l’entrée dans la
gloire. Or nul ne peut se juger digne soi-même de recevoir une telle
récompense. Ce serait de la présomption. Il faut donc qu’il y ait un juge autre
que l’âme elle-même.
Objection 3 :
Comme nous
venons de le montrer, il appartient au Christ de manifester lors du jugement
particulier la règle du droit, de déclarer coupable le pécheur ou juste l’homme
de bien ainsi que d’énoncer la peine ou la récompense finale. Ce n’est donc pas
l’âme qui se juge elle-même.
Cependant :
Jésus
affirme en saint Jean[742]
: « Si quelqu’un entend mes paroles et ne les garde pas, je ne le juge pas, car
je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. Qui me
rejette et n’accueille pas mes paroles a son Juge : la parole que j’ai fait
entendre, c’est elle qui le jugera au dernier jour ». Or la parole que
Jésus a fait entendre est la cause du témoignage de la conscience donc l’âme
n’est pas à elle-même son propre juge.[743]
Conclusion :
Pour
répondre à cette question, il faut reprendre les distinctions établies à
l’article précédent, comme nous l’avons dit, le mot jugement :
En un
premier sens, le plus fondamental, il signifie le discernement du bien et du
mal qui se trouvent dans l’âme. Ce discernement est réalisé par l’apparition
glorieuse du Christ et des saints dont la présence à la fois lumineuse, forte et douce manifeste au pécheur
l’état de son âme. En ce premier sens, c’est Jésus dans l’unité de l’Église du
Ciel qui est cause du jugement puisque sa présence suffit pour en manifester la
règle. Mais l’âme est rendue capable, grâce à son apparition, de se juger
elle-même, en toute vérité. En se voyant en quelque sorte, à travers les yeux
du Christ, l’âme est à ce point rendue participante à son propre jugement
qu’elle ne peut, quelle qu’en soit la sentence, qu’en constater de l’intérieur
la justice. En ce sens là, on peut dire que l’âme ne se juge pas elle-même,
mais plutôt qu’elle reçoit du Christ-juge la capacité de se juger.
En un second sens, qui découle du premier, on appelle jugement la
sentence qui relaxe ou condamne le prévenu. Et cette sentence peut être
regardée de deux manières : 1° de par sa cause qui est le mérite ou démérite de
l’âme ; 2° en elle-même. 1° La cause de la sentence est importante à considérer
car c’est elle qui motive le salut de l’élu ou au contraire la réprobation du
damné. Cette cause doit être juste : il faut que celui qui est damné le soit à
cause d’une disposition de sa volonté qui le sépare de Dieu, à savoir un péché
mortel à la vie de la grâce. De même celui qui est conduit au salut, doit avoir
auparavant sa volonté disposée favorablement par la grâce qui lui mérite
l’entrée dans la gloire. Or ce n’est pas de la même façon qu’un homme est
pécheur et qu’il est juste. Celui qui est pécheur l’est à cause de sa propre
volonté qui lui fait se porter librement vers un bien créé comme sur sa fin
dernière. C’est donc par un libre choix qu’en se portant vers la créature, il
se sépare du Créateur. Et cette liberté est totale au moment de la mort comme
on l’a vu, puisque toute âme reçoit suffisamment pour ne plus être trompée dans
son choix par l’ignorance et entraînée par la faiblesse de ses passions. En
conséquence, on doit dire que, pris du côté de la cause de son jugement, c’est
le méchant lui-même qui est source de sa réprobation, non en ce sens qu’il
refuserait explicitement la vision béatifique, mais parce qu’il est prêt à
perdre ce bien plutôt que de renoncer à son péché. C’est ce que veut signifier
l’Écriture quand elle dit : « C’est toi seul qui est cause de ta perte, Israël.
» Au contraire, pour celui qui est juste, la cause première de sa justice ne
vient pas de lui-même car nul ne peut croire, désirer et aimer Dieu s’il n’a
pas reçu auparavant de lui la grâce qui l’en rend capable. Chez le juste, le
libre arbitre n’est pas cause première de la justification mais ne fait que
donner son assentiment à cette justification que Dieu réalise. Le juste mérite
donc une récompense éternelle à cause de Dieu. 2° La sentence prise en
elle-même, aboutissant à la condamnation du pécheur impénitent ou au contraire
à la bénédiction du juste ne peut en aucun cas venir de l’âme elle-même, ni du
côté du méchant ni du côté du juste. Car le méchant est trop pervers en
blasphémant contre le Saint Esprit de Dieu pour se reconnaître coupable. Il
proteste au contraire du bon droit de sa révolte et s’oppose de toutes ses
forces à la justice de Dieu qui condamne son orgueil. Quant au juste, la
conscience de l’imperfection de son cœur, confronté à la bonté simple du cœur
de Jésus, l’empêche de se déclarer lui-même digne du salut. Il reçoit la
sentence de sa justice dans l’obéissance : « Venez les bénis de mon père. »
En un
troisième sens, nous avons montré que le jugement signifie l’énonciation de la
peine ou de la récompense qui découle de la condamnation ou de la
justification. Là encore, on doit affirmer que l’âme n’est pas pour elle-même
son propre juge. Le réprouvé en effet, ne veut pas de la séparation d’avec Dieu
pour elle-même. S’il pouvait voir l’essence de Dieu qui est l’essence même du
bonheur, sans pour autant renoncer à son péché, il choisirait cette voie. Mais
comme il rejette obstinément les conditions requises pour entrer dans le cœur
de Dieu à savoir l’humilité (kénose) et la charité, il nécessaire que lui soit
notifiée par le juste juge cette sentence, selon cette parole de l’Écriture :
« Allez-vous en loin de moi, maudits! » Quant à l’élu, à cause même de sa
grande humilité (kénose), il ne s’estime quant à lui jamais digne d’entrer dans
cette gloire que sa charité lui fait désirer. C’est donc Jésus l’y introduit,
au moment choisi par lui seul.
Solution 1 :
Le méchant est à lui-même son propre juge en ce sens que son
intention perverse manifeste sa culpabilité et mérite sa sentence d’une manière
suffisante. Le juge ne fait, en quelque sorte, que ratifier ce qui est déjà
réalisé dans l’âme de celui qui rejette Dieu. Le méchant est donc à lui seul
cause de sa réprobation. En ce sens, on peut dire qu’il est lui-même son propre
juge[744].
Solution 2 :
La grâce que les justes reçoivent de la part de Dieu leur mérite
en stricte justice l’entrée dans la gloire. Mais la cause première de ce mérite
n’est pas l’homme lui-même qui ne peut en effet réaliser par ses propres forces
une telle élévation surnaturelle. Elle est causée par Dieu lui-même qui achève
par la glorification ce qu’il avait commencé en justifiant l’âme de bonne
volonté. C’est donc Dieu qui juge l’âme des justes et les déclare dignes
d’entrer dans la gloire éternelle.
Solution 3 :
Selon
toutes les acceptions du mot jugement, l’âme ne se juge jamais elle-même mais
elle reçoit du Verbe Incarné la règle de son jugement, la sentence de sa
condamnation ou de sa justification et la peine ou la récompense qui en
découle. Cependant, elle ne vit pas de l’extérieur son jugement personnel car,
selon la première signification du mot jugement, l’âme se voit elle-même jusque
dans ses retranchements les plus intimes ; De même, selon le deuxième sens,
elle sait que la cause de sa damnation vient d’elle seule, à raison de son
péché irrémissible. Elle est obligée, devant l’évidence de ce fait, de
reconnaître la justice de cette sentence qu’elle rejette malgré tout de toute
la force de son orgueil[745].
Objection 1 :
Cela semble contradictoire avec ce que nous venons de montrer, au
moins en ce qui concerne les damnés. Jésus ne peut à la fois être juge et se
départir du jugement.
Objection 2 :
Le Christ ne semble pas devoir nous juger sous la forme de son
humanité parce que le jugement requiert chez le juge l’autorité. Celle-ci est
dans le Christ, à l’égard des vivants et des morts, en tant qu’il est Dieu :
comme tel, il est le Maître et le Créateur de toutes choses. C’est donc sous
cette forme divine qu’il jugera.
Objection 3 :
Le juge a besoin d’un pouvoir invincible. L’Ecclésiastique[746]
: « Ne cherche pas à devenir juge, à moins que tu aies le pouvoir de vaincre
les iniquités. » Or c’est en tant que Dieu que le Christ possède cette force
invincible. Il jugera donc sous la forme de sa divinité.
Objection 4 :
Matthieu 12, 41 : « Les hommes de Ninive se dresseront lors du
Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à
la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas! La reine du Midi se
lèvera lors du Jugement avec cette génération et elle la condamnera, car elle
vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a
ici plus que Salomon! »
Matthieu 19, 28 : « Jésus leur dit : En vérité je vous
le dis, à vous qui m'avez suivi : dans la régénération, quand le Fils de
l'homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze
trônes, pour juger les douze tribus d'Israël. » Ce n’est donc pas le Christ
seul qui juge mais aussi les saints.
Cependant :
Dans l’Évangile
de saint Jean, Jésus disait[747]
: « le Père ne juge personne, il a donne au Fils le jugement tout entier. » C’est
donc à Jésus qu’il appartient de juger aussi bien dans le jugement particulier
de l’âme que dans le jugement général de l’humanité qui suivra la résurrection.
De même il est écrit[748]
: « Il lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est Fils de l’homme. » C’est
donc sous la forme de son humanité que Jésus jugera.
Conclusion :
Il est nécessaire d’admettre l’existence d’un juge qui soit autre que
l’âme elle-même lors du jugement personnel comme lors du jugement général. La
raison en est qu’il faut, pour juger de la rectitude d’un acte, une mesure
déterminée du bien et du mal. Or cette mesure est la volonté de Dieu elle-même
et elle est exprimée à l’homme dans les commandements. La plus parfaite des
révélations est faite par la parole de Dieu faite homme, c’est-à-dire le Verbe
Incarné. C’est donc lui qui est la loi divine et la règle du jugement, de la
même façon que les juges de la terre représentent dans le tribunal la loi
humaine rendue vivant. Mais il convient que le Christ en tant qu’homme soit le
juge de l’homme parce qu’il a reçu l’autorité sur les hommes (nul ne peut juger
s’il n’a juridiction) pour deux raisons. 1° Il est notre maître non seulement
en tant qu’il est notre Dieu et notre Créateur mais aussi en tant qu’il est
homme et que, par sa passion, il nous a ouvert les portes du salut ; C’est ce
que signifient ces paroles des Actes : « Lui-même a été institué par Dieu juge
des vivants et des morts. » 2° Il faut que le juge puisse être vu par tous ceux
qui sont jugés. Or si le Christ apparaissait sous la forme de sa divinité, il
ne pourrait être vu par l’intelligence des pécheurs qui n’est pas surélevée par
la grâce. Comme le dit saint Bonaventure[749]
: « Sans la déiformité de l’esprit et la fruition du cœur, la vision de face
est impossible. » Le juge devra donc apparaître sous le visage d’une créature
et non du Créateur. Et comme il devra manifester avec puissance l’Évangile de
Dieu, on doit admettre qu’il n’apparaîtra pas sous les formes cachées de son
humanité douloureuse, tel que le virent ses disciples en Judée mais sous la
forme lumineuse de son corps glorieux. Mais nous traiterons plus amplement de
cette question dans le chapitre consacré au jugement général[750].
Solution 1 :
Pour les méchants, le Christ est juge pour trois raisons : d’abord
il manifeste par la clarté de sa lumière la gravité de leur péché de même que
la loi humaine manifeste ce qui est illégal. Ensuite il lui revient de
prononcer la sentence de culpabilité. Enfin, il lui revient d’en notifier la
peine qui ratifie le choix que l’âme maintient librement dans sa volonté
perverse.
Solution 2 :
Le Christ en vertu de sa nature divine possède le pouvoir de
dominer toutes les créatures par droit de création. En sa nature humaine il
possède le pouvoir de domination qu’il a mérité par sa passion. C’est comme une
autorité secondaire et acquise tandis que la première est naturelle et
éternelle.
Solution 3 :
Le Christ en tant qu’homme ne possède pas un pouvoir irrésistible
qui résulterait de la puissance de l’espèce humaine. Pourtant par suite d’un
don de sa divinité, il possède ce pouvoir invincible jusqu’en sa nature humaine
en tant que toutes choses lui sont soumises comme dit saint Paul aux
Corinthiens et aux Hébreux. C’est pourquoi il jugera dans sa nature humaine
mais par sa puissance divine.[751]
Solution 4 :
Voir un seul élu dans le rayonnement de sa gloire, c’est
comprendre l’Évangile de Dieu. Le plus petit dans le Royaume de Dieu est
prophète, prêtre et roi parce que, s’étant abaissé, il a été élevé par son
Créateur. Ainsi, l’apparition à l’heure de la mort d’un seul de ces saints
serait suffisante pour réaliser tout ce que nous avons dit de l’apparition du
Christ. En voyant les mérites passés des habitants de Ninive, nous verrons nos
manques ; en voyant leurs péchés pardonnés, nous comprendrons la miséricorde de
Dieu. Et ainsi de suite pour le reste. Ainsi, le pouvoir de juge du Messie,
loin de diminuer celui des autres saints, le fonde. C’est pourquoi le Christ ne
vient pas seul mais accompagné des saints et des anges.
Objection 1 :
Il ne convient pas que l’âme reçoive aussitôt après la mort sa
récompense ou son châtiment. En effet, c’est l’homme tout entier qui a commis
le péché ou mérite la gloire. De même, il convient que l’homme tout entier soit
puni ou récompense. Donc il convient d’attendre la résurrection finale des
corps.
Objection 2 :
Certains obstacles peuvent parfois s’opposer à la réception
immédiate de la gloire comme par exemple quelques restes d’attachement au
péché. C’est pourquoi l’Église enseigne l’existence d’un purgatoire après la
mort. Donc certaines âmes ne reçoivent pas aussitôt séparées du corps leur
récompense.[753]
Objection 3 :
Avant la venue du Christ, les saints n’étaient pas aussitôt
introduits dans la vision de Dieu mais attendaient dans un lieu de paix que
l’Écriture appelle le sein d’Abraham. De même, avant la résurrection finale des
corps, le paradis promis aux saints n’est pas la vision de Dieu mais seulement
un lieu provisoire d’attente.[754]
Objection 4 :
Après le jugement dernier, les saints reçoivent de la part de
Jésus la sentence de leur salut. Ils sont donc certains de recevoir à la fin du
monde la récompense de la gloire. Et cette espérance assurée constitue déjà un
paradis. Il n’est pas besoin d’affirmer qu’ils sont introduits immédiatement
dans la vision de Dieu.[755]
Objection 5 :
Le châtiment
et la récompense qui dépendent du jugement ne doivent pas le précéder. Or le
feu de l’enfer ou le bonheur du paradis seront décernés à tous les hommes par
la sentence du souverain juge, au dernier jugement qui suivra la fin du monde.
Donc jusque là, les âmes doivent attendre dans les limbes et personne ne va au
Ciel ou en enfer.[756]
Cependant :
Qu’aussitôt
après la mort les âmes reçoivent leur châtiment ou leur récompense, s’il n’y a
pas d’obstacle, les testes de l’Écriture l’affirment. Il est dit des méchants
au Livre de Job[757]
: « Ils passent leurs jours dans le bonheur et en un instant ils descendent aux
enfers » ; et en saint Luc[758]
: « Le riche mourut et fut enseveli dans l’enfer », l’enfer étant le lieu où
les âmes sont punies. Il en va évidemment de même pour les bons. Le Seigneur,
suspendu à la crois, dit au larron[759]
: « Dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis », étant entendu que le
Paradis est la récompense qui est promise aux bons, selon le mot de
l’Apocalypse[760]
: « Au vainqueur je ferai manger de l’arbre de vie placé dans le paradis de mon
Dieu. »[761]
Conclusion :
Les âmes
humaines reçoivent aussitôt après la mort, selon leurs mérites, leur châtiment
ou leur récompense. C’est la finalité du jugement individuel dont la sentence
est aussitôt exécutée.
Pour le
comprendre, on peut montrer comment tous les obstacles ont disparus. Le premier
d’entre eux est le péché originel. Le choix d’Adam et Ève consista à rejeter
Dieu au nom de toute l’humanité. Il provoqua un retard vis-à-vis de l’entrée
dans la gloire. Il fut effacé par l’acceptation inverse du Christ et de la
nouvelle Ève, Marie.
La seconde
condition est celle de l’éducation du cœur de l’homme à l’amour, à l’humilité
et à la pureté. Pour cela, Dieu le mène à travers un chemin de vie. Sa première
étape est celle de la terre et du passage à travers l’état d’un corps mortel.
Tant que le corps mortel subsiste dans son état végétatif, il est impossible à
l’homme de voir Dieu. La complexion de cet état est trop fragile pour supporter
une telle puissance. Cette vie-ci est le temps du mérite ou du démérite, d’où
la comparaison avec le service militaire et les jours du mercenaire, telle
qu’elle est établie au Livre de Job[762]
: « La vie de l’homme sur terre est un temps de service, ses jours sont comme
ceux d’un mercenaire. » Après la mort, que les âmes puissent entrer dans la
gloire, c’est évident, après ce que nous avons dit : Dès que l’âme est séparée
du corps physique, elle devient capable de voir Dieu.
La seconde
étape de cette purification consiste dans la manifestation de l’Évangile et de
la possibilité de son refus. C’est réalisé par la parousie du Christ et
l’apparition du démon à l’heure de la mort. La clarté de cette manifestation,
suffit à conduire l’âme à poser le choix de son éternité. Ce choix ne variera
jamais, comme nous l’avons dit. Dans cette mesure, on ne voit pas pourquoi
châtiment et récompense seraient différés, du moment que l’âme est capable de
l’un et de l’autre. Sitôt donc que l’âme est séparée du corps, elle reçoit sa
récompense ou son châtiment pour tout ce qu’elle a fait pendant qu’elle était
dans son corps.
En ce qui
concerne l’entrée dans la vision de Dieu, il reste malgré tout un troisième
obstacle. Si l’apparition provoque un amour tel qu’il est impossible de l’aimer
davantage après la mort, elle ne provoque pas nécessairement une purification
totale de l’orgueil. S’il reste donc une purification du cœur à effectuer,
l’âme subit un certain retard avant l’entrée dans la gloire. Alors, après le
temps de service, après le travail du mercenaire, vient la récompense ou le
châtiment, dus à ceux qui ont bien ou mal œuvré. Aussi est-il dit au Lévitique[763]
: « Le salaire du mercenaire ne restera pas avec toi jusqu’au lendemain. » Et
encore, en Joël[764]
: « Bien vite, je ferai retomber votre provocation sur vos têtes. »
Solution 1 :
Il est normal que l’ordre du châtiment et de la récompense réponde
à l’ordre de la faute et du mérite. Or mérite et faute n’intéressent le corps
que par l’intermédiaire de l’âme : rien ne rentre dans l’ordre du mérite ou du
démérite qui ne soit volontaire. On convient donc que la récompense comme le
châtiment atteignent le corps par le biais de l’âme, non point l’âme par le
biais du corps. Il n’y a donc aucune raison d’attendre la résurrection des
corps pour qu’ait lieu la récompense ou la punition des âmes ; bien plutôt
convient-il que les âmes en qui tout d’abord se trouvent réalisées faute et
mérite, soient tout d’abord aussi punies ou récompensées.
Solution 2 :
Récompense
et châtiment sont dus aux créatures raisonnables en vertu de la même providence
de Dieu qui accorde aux réalités naturelles leurs perfections propres. Or il en
va ainsi des réalités naturelles que chacune d’elles reçoit à l’instant la
perfection dont elle est capable, à moins qu’il n’y ait un obstacle soit de la
part du sujet récepteur, soit de la part de l’agent. Puisque les âmes
deviennent capables de la gloire et du châtiment aussitôt que séparées du
corps, elles les recevront immédiatement, sans que la récompense des bons et le
châtiment des méchants soient différés jusqu’au temps où les âmes retrouveront
leur corps.
Il faut cependant bien voir que de la part des bons il peut y
avoir un certain obstacle à ce que l’âme déliée du corps reçoive immédiatement
cette récompense dernière qu’est la vision de Dieu. À cette vision, qui dépasse
absolument les facultés naturelles, la créature raisonnable ne peut être élevée
qu’une fois totalement purifiée. Il est dit de la Sagesse que[765]
« Rien de souillé ne peut pénétrer en elle » ; et en Isaïe, « qu’aucun impur
ne passera par là. » L’âme est donc immédiatement introduite dans la Vision de
l’essence divine, à moins qu’elle n’ait comme on l’a dit, à être purifiée dans
le purgatoire.
Solution 3 :
Certains prétendent, sans doute, qu’il ne faut pas voir dans le paradis
l’ultime récompense des cieux dont il est parlé en saint Matthieu[766]
: « Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans
les cieux. » Il ne s’agirait que d’une récompense terrestre, le paradis
semblant être en effet ce lieu terrestre dont il est dit dans la Genèse[767]
: « Dieu planta un paradis de délices et il y mit l’homme qu’il avait modelé. »
Mais si l’on étudie correctement les paroles de la sainte Écriture, on verra
que la rétribution finale promise aux saints dans les cieux est accordée
aussitôt après cette vie. Dans la IIe Epître aux Corinthiens[768],
l’Apôtre a commencé par parler de la gloire finale en disant que "la
légère tribulation d’un moment nous prépare, bien au delà de toute mesure, une
messe éternelle de gloire. » Aussi bien ne regardons-nous pas aux choses
visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps,
les invisibles sont éternelles, parole qui s’applique clairement à la gloire
finale, celle des cieux. Puis, pour en montrer le temps et le mode, l’apôtre
ajoute[769] : «
Nous savons en effet que si cette tente -notre demeure terrestre- vient à être
détruite, nous avons une maison qui est l’œuvre de Dieu, une demeure éternelle
qui n’est pas faite de main d’homme, et qui est dans les cieux. » Par là Paul
donne clairement à entendre qu’une fois accomplie la séparation d’avec le
corps, l’âme entre dans l’éternelle demeure du Ciel, qui n’est rien d’autre que
la jouissance de Dieu, à l’image de celle des anges dans les cieux.
Solution 4 :
L’Apôtre, objectera-t-on peut-être, n’a pas dit qu’aussitôt après
la dissolution du corps nous prendrions en fait possession de cette demeure
éternelle des cieux. Il ne s’agit que d’espérance, l’entrée en possession
réelle étant réservée à l’avenir. Une telle objection est évidemment à l’opposé
de l’intention de l’Apôtre, c’est dès cette vie en effet que nous est promise,
selon la prédestination divine, cette demeure du Ciel ; et déjà nous l’avons en
espérance, selon cette parole de l’Epître aux Romains[770]
: « C’est en espérance que nous avons été sauvés. » C’est donc inutilement
qu’il aurait ajouté : « si cette tente -notre demeure terrestre- vient à être
détruite… » Il lui aurait suffi de dire : « Nous savons que nous avons une
maison qui est l’œuvre de Dieu, etc.. » Ce qui suit le montre d’ailleurs plus
clairement encore[771]
: « Sachant que demeurer dans ce corps, c’est vivre en exil loin du Seigneur,
car nous cheminons dans la foi et non dans la claire vision, nous sommes donc
pleins d’assurance et préférons quitter ce corps pour aller demeurer auprès du
Seigneur. » C’est en vain que nous voudrions quitter ce corps, c’est-à-dire en
être séparés, si ce n’était pour nous trouver aussitôt dans la présence du
Seigneur. Or nous ne sommes en sa présence que dans la claire vision. Tant que
nous marchons dans la foi et non pas à vue nous vivons en exil loin du
Seigneur. C’est donc aussitôt après sa séparation d’avec le corps que l’âme
sainte voit Dieu face à face, ce qui est la béatitude suprême. C’est ce que
prouvent aussi ces paroles de l’Apôtre aux Philippiens : « J’ai le désir de
m’en aller et d’être avec le Christ. » Or le Christ est au Ciel. L’Apôtre
espérait donc parvenir au Ciel aussitôt que délie de son corps.
Solution 5 :
Saint
Grégoire propose et résout cette même objection : « Si les âmes des saints sont
dès aujourd’hui dans le Ciel, que recevront-il donc au jour du jugement, comme
prix de leur vertu ? » et il répond : « Un merveilleux accroissement : jusque
là, leurs âmes seules goûtent le bonheur qui est leur récompense, mais alors
ils jouiront de la béatitude de leur corps, ils seront heureux dans cette même
chair dans laquelle ils ont enduré les douleurs et les tourments pour le
Seigneur. » La même distinction s’applique aux damnés. Nous savons que le
bonheur de l’âme sera non seulement spirituel mais sensible puisque, grâce à
son corps psychique, elle verra de ses yeux et avec une grande sensibilité la
beauté des élus. Après la résurrection de la chair, ce bonheur s’étendra
jusqu’au niveau du sens du toucher de la matière palpable et du plaisir
physique qui lui est conjoint.
Il
nous faut maintenant voir les demeures des âmes après la mort et avant la
résurrection des corps. Au sujet de l’enfer, quatre questions sont posées :
1° La cause de la réprobation prise du côté
de l’homme ; 2° Les peines de l’enfer ; 3° La condition des damnés quant à leur
intelligence et à leur volonté ; 4° La miséricorde et la justice de Dieu par
rapport aux damnés.
La
réprobation est l’acte par lequel les méchants sont séparés pour toujours, de
Dieu. Au sujet de sa cause, nous nous demanderons :
1° N’importe quel péché mortel demeurant
après la mort conduit-il à la réprobation ?
2° La racine de tout péché conduisant à la
damnation est-elle l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu ?
3° Le refus obstiné de croire à la vérité
reconnue peut-il conduire à la damnation ?
4° La présomption peut-elle conduire à la
damnation ?
5° Le désespoir ?
6° L’envie des grâces fraternelles ?
7° L’obstination ?
8° L’impénitence finale ?
Objection 1 :
Cela n’est pas possible. Beaucoup d’hommes commettent des actes
contradictoires avec l’amour de Dieu à cause de la faiblesse ou de l’ignorance
de la nature humaine telle qu’elle est sur la terre. Or de tels actes ne sont
pas pleinement responsables. On ne voit pas comment le Dieu miséricordieux
pourrait les punir par la damnation éternelle.
Objection 2 :
Il semble
qu’il est impossible que subsiste un seul péché mortel après la mort. L’action
de Dieu qui tend à détruire l’orgueil des méchants à travers les épreuves de la
vie et de la mort, l’apparition du Christ et des saints dans leur gloire
suffisent à changer le cœur de tous les hommes. Qui pourrait résister à la
puissance de son amour ?
Cependant [774]
: Le concile de Florence écrit[775]
: « Pour les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel actuel, elles
descendent immédiatement en enfer où elles reçoivent des peines inégales. »
Conclusion :
N’importe
quel péché mortel mérite de soi, en stricte justice, la réprobation éternelle.
La raison en est que l’homme, en péchant mortellement, convertit son âme vers
un bien créé de telle façon qu’il devient la fin dernière de son activité
volontaire. La grâce et l’amitié avec Dieu ne peuvent subsister en même temps
car nul ne peut avoir simultanément deux fins dernières. Ainsi la conséquence
immédiate du péché mortel, c’est la mort de la vie de la grâce et la séparation
avec Dieu qui mériterait, en stricte justice de demeurer éternellement à cause
de la dignité infinie de celui qui est offensé. Cependant, Dieu accorde sa
miséricorde parce qu’il est ainsi, à condition toutefois que l’homme se repente
de son péché.
Il faut
maintenant considérer ceci : parmi les péchés mortels, certains n’auraient
jamais été commis si la personne avait eu pleinement conscience de ce qu’elle
fait selon la parole du Seigneur à la croix[776]
: « Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » D’autres sont
commis à cause d’un entraînement préalable de la volonté par les passions du
corps selon saint Paul [777]
: « Les passions pécheresses opèrent en nos membres des germes de mort. » Aussi
Dieu, dans sa miséricorde, applique l’œuvre de rédemption opérée par son Fils
jusqu’aux dernières limites possibles. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu,
il poursuit l’âme jusqu’à l’heure de sa mort en lui proposant sa grâce. Ainsi,
la révélation donnée à l’heure de la mort supprime l’ignorance d’une manière
telle que si l’âme s’obstine dans son péché mortel, ce ne peut être qu’en
pleine connaissance. Ainsi
s’exprime Jésus après avoir manifesté pleinement sa mission divine aux chefs
des Juifs[778] : «
Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché.
» Il signifiait par là qu’aux yeux de Dieu, un péché mortel n’est vraiment tel
selon toute la force du terme[779]
que s’il présuppose une pleine connaissance de ce qu’on fait.
De même,
la libération du foyer du péché (fomes
peccati) au moment de la mort supprime l’entraînement des passions à tel
point que l’âme ne connaît plus la tentation permanente de la chair que décrit
la parole de saint Paul[780]
: « La chair convoite contre l’esprit. » Ainsi, l’âme qui dans cet état se maintient
dans le péché mortel ne peut le faire qu’en pleine possession de son libre
arbitre. En conséquence, on doit dire que les seuls péchés qui subsistent après
la mort sont les péchés de malice volontaire dans toute leur perfection,
c’est-à-dire les péchés contre l’Esprit Saint. Car celui qui pèche contre
l’Esprit Saint le fait en sachant explicitement qu’il blasphème l’amour de Dieu
et le fait avec pleine maîtrise de soi. Un tel péché est rare sur la terre car
il est rare qu’un homme ait suffisamment de maîtrise de soi et de connaissance
de Dieu pour pécher de cette manière. Il est pourtant possible comme on le voit
dans les récits de l’Évangile. Cependant les péchés de malice volontaire commis
contre les frères sont des dispositions directes même chez les païens au péché
de malice contre Dieu[781]
qui ne peut exister qu’après qu’ils aient reçu la révélation du vrai Dieu.
En
conclusion, on doit dire que tout homme qui après la mort est en état de péché
mortel l’est en pleine responsabilité et mérite de ce fait la réprobation et la
damnation éternelle[782].
Solution 1 :
Les péchés mortels qui présupposent une certaine ignorance ou une
faiblesse pourront être pardonnés jusqu’au dernier moment. S’ils demeurent,
c’est parce que la malice de l’âme est suffisamment forte pour s’obstiner dans
le péché malgré la disparition de l’ignorance et de la faiblesse. Selon la
parole de Jésus[783]
: « Ils sont alors sans excuse à leur péché. » Ce n’est donc pas à cause d’un
manque de miséricorde que Dieu réprouve certains mais à cause de la dureté de
leur cœur qui est capable de résister à cette miséricorde et au pardon qu’elle
propose. [784]
Solution 2 :
Les évêques
de France écrivent : « Nous espérons le salut de tous. Mais nous savons que
Dieu ne peut forcer à l’aimer celui qui s’y refuserait définitivement. Un refus
radical de l’amour, conduisant à une tristesse indicible et sans issue, reste
possible. Le Christ, si doux et humble (kénose) de cœur qu’il ait été, a évoqué
les pleurs et les grincements de dents, et le feu qui ne s’éteint pas. Ces
images ne peuvent être effacées de son message. Elles évoquent la terrible
réalité d’une rupture absolue celle de l’enfer. Elles nous avertissent du
sérieux de nos choix ; elles nous rappellent que nous sommes des êtres
faillibles, exposés à la tentation. C’est le Christ qui juge, c’est le Christ
qui sauve. »[785]
C’est de cette façon qu’il faut, pensons nous comprendre la thèse de Balthasar
sur la séparation du pécheur et du péché, le péché étant seul en enfer.[786]
Le blasphème contre l’Esprit est le seul qui ne peut être séparé du pécheur
puisqu’il est parfaitement voulu. Il l’entraîne donc en enfer. Quant aux autres
péchés, la vision glorieuse de la croix de Jésus les fait disparaître dan la
souffle de sa venue.
Objection 1 :
L’amour de soi est bon puisque le Seigneur le prend comme mesure
de la charité fraternelle[787]
: « Tu aimeras le prochain comme toi-même. » Or d’un bon arbre, il ne peut
sortir un mauvais fruit. Donc l’amour de soi n’est pas à la base de tout péché
qui conduit à la réprobation.
Objection 2 :
L’amour de soi conduit à la vie éternelle puisque celui qui aime
Dieu s’aime lui-même d’une manière éminente. L’amour de soi ne peut donc
conduire à la réprobation.
Objection 3 :
Nul ne
peut haïr Dieu car Dieu est l’essence même de la bonté. On ne hait que ce qui
possède en soi quelque chose de haïssable. Donc la haine de Dieu ne peut être à
la base de tout péché qui conduit à la réprobation.
Cependant :
L’autorité
de saint Augustin suffit[788].
Conclusion :
La notion
d’amour de soi est analogique. Elle peut en effet prendre plusieurs sens qui
découlent les uns des autres
mais ne doivent pas être confondus.
1° L’amour de soi est d’abord cet amour
naturel à tout homme qui fait qu’il recherche de manière nécessaire le bonheur,
c’est-à-dire ce qu’il estime être le bien pour lui. C’est donc l’amour de soi
qui est universellement à la base des actes humains car nul s’agirait s’il ne cherchait
en quelque manière son bien. Fondée sur cet amour non volontaire, l’intention
de l’homme peut se mettre de diverses manières à la recherche du bonheur.
2° L’égoïsme : Certains agissent d’une volonté directe et uniquement en vue
de ce bonheur individuel, faisant d’eux-mêmes par la même
occasion la fin ultime de leur vie. Ainsi celui qui se soucie de lui-même d’une
manière telle que les autres deviennent des moyens ou des obstacles à son
propre épanouissement est appelé un égoïste. Il s’octroie en priorité des biens
qui lui paraissent capables de le rendre heureux.
3° L’amour : D’autres au contraire considèrent ce bonheur individuel comme un
effet consécutif à la bonté de
leurs actes et non comme la fin directe de leurs actes. Ainsi, celui qui se
soucie des autres avant lui-même trouve le bonheur par surcroît selon cette
parole du Seigneur[789]
: « Celui qui perd se trouve. » C’est de cette manière que Dieu veut que nous
cherchions le bonheur. L’amour de soi, quand il est réglé selon la volonté de
Dieu sur nous, conduit l’homme à s’oublier lui-même pour mettre l’amour de Dieu
et du prochain comme la finalité première de sa vie. Le Seigneur explique qu’il
s’agit là du véritable amour de soi car il aboutit réellement au bonheur[790]
: « Celui qui quittera tout pour moi, récoltera le centuple dès maintenant. » L’homme
à la volonté droite qui agit ainsi est prédisposé directement à recevoir la
grâce de Dieu et la gloire, comme nous l’avons montré précédemment.
Au
contraire, celui qui vit selon un amour déréglé de soi s’établit lui-même comme
fin ultime de sa vie. Dans ce but, il recherche à s’attribuer certains biens
qu’il considère comme des moyens pour atteindre le bonheur. Le premier fruit de
l’amour de soi est donc la cupidité qui fait désirer pour soi les plaisirs, les
honneurs et les richesses. En cela il s’oppose à la volonté de Dieu sur lui
selon saint Jean[791]
: « Tout ce qu’il y a dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise
des yeux, l’orgueil de la richesse vient non pas du Père mais du monde. » Ainsi,
la cupidité qui vient de l’amour déréglé de soi conduit à l’orgueil
c’est-à-dire au rejet des volontés de Dieu pour sa propre volonté. Et si Dieu
manifeste extérieurement à l’homme sa volonté par sa parole ou par l’envoi de
certaines peines, l’orgueilleux est conduit à haïr Dieu dont il ne supporte pas
les interventions. C’est pour cette raison que tant de prophètes qui parlèrent
au nom de Dieu subirent la souffrance et la persécution de la part des
méchants, Selon cette parole de Jésus[792]
: « On vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux païens, on vous
traduira devant les rois et les gouverneurs à cause de mon nom, et tout cela
aboutira pour vous au martyre. » De même, les peines que Dieu envoie à l’homme
pour manifester le danger de l’amour déréglé de soi provoque l’orgueilleux à la
haine de Dieu selon l’Apocalypse[793]
: « Les hommes, loin de se repentir en rendant gloire à Dieu, blasphémèrent le
Nom du Dieu qui détenait en son pouvoir de tels fléaux. »
On le
voit, égoïsme, cupidité et orgueil sont les trois attitudes perverses d’un
amour de soi qui ne conduit pas à la vision béatifique. De tout cela, il
ressort que la racine de tout péché mortel conduisant à la damnation est
l’amour déréglé de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu.
Solution 1 :
L’amour de soi (dans le premier sens) est naturel à l’homme et non
libre. Il s’impose à la nature humaine et il est nécessaire à toute action
vitale. En cela, il vient de Dieu et il est bon. Mais l’usage libre que l’homme
fait de cet amour peut être mauvais. L’homme a le pouvoir de faire sortir d’un
bon arbre un mauvais fruit comme on le voit par exemple chez ceux qui
s’enorgueillissent de leur vertu.
Solution 2 :
Dans cette objection, on entend l’amour de soi quand il est réglé
dans le sens que Dieu veut.
Solution 3 :
Ce n’est pas en tant que Dieu est l’essence même du bien qu’il est
haï par les réprouvés mais en tant qu’il peut exister certains effets de sa
providence qui s’opposent à la volonté orgueilleuse qui se veut seule maîtresse
du bien et du mal. Le Cardinal Ratzinger conclut ainsi son étude de l’enfer[794]
: « Que reste-t-il de ces idées ? D’abord le fait que Dieu a un respect absolu
de la liberté de sa créature. L’amour peut lui être donné, et, partant, la
possibilité d’échapper à toute insuffisance qui est en elle-même. L’homme n’a
pas à "produire" le oui à un tel amour ; c’est l’amour lui-même, par
sa propre vertu, qui suscite ce oui. Mais la liberté de refuser cet
assentiment, de ne pas le prendre à son compte, demeure. C’est la différence
entre le beau rêve du Bodhisattva[795]
et sa réalisation : le véritable bodhisattva, le Christ, va en enfer et le vide
en souffrant. Mais il ne traite pas les hommes comme des êtres immatures,
incapables en définitive d’assumer la responsabilité de leur propre destin. Son
Ciel, au contraire, repose sur la liberté qui, même au damné, donne le droit de
vouloir sa damnation. Le trait distinctif du christianisme se manifeste ici
dans sa conviction de la grandeur de l’homme. La vie de l’homme est une affaire
sérieuse. L’artifice de la pensée ne saurait en définitive la réduire tout
entière à n’être qu’un pion sur l’échiquier de Dieu. »
Objection 1 :
Ce qui est reconnu comme vrai ne peut qu’être cru ou su. Car la
vérité pleinement démontrée s’impose à l’intelligence et n’est pas objet de
choix de la volonté. Donc un tel péché n’existe pas.
Objection 2 :
Le refus
de croire est une certaine ignorance de l’intelligence. Or nous avons montré qu’il
ne peut subsister aucune ignorance dans le péché qui conduit à la réprobation,
puisque ce péché doit être absolument conscient et libre. Donc le refus de
croire à la vérité reconnue n’est pas un péché qui conduit à la damnation.
Cependant :
Le Cardinal
Gouyon écrit[797] : «
Rien n’est plus tenace que la révolte provoquée par l’orgueil. Elle va jusqu’au
refus de l’évidence[798].
C’est là, sans doute, le mystérieux péché contre le Saint-Esprit dont parle
l’Évangile[799] : «
Tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre le
Saint-Esprit ne sera pas remis. » Le contexte montre bien que ceux à qui
s’adresse alors Jésus cherchaient toutes les échappatoires plutôt que de
reconnaître sa mission. La mort pour de tels hommes risque d’être l’ultime raidissement
contre la lumière, alors que tout ce qui leur assurait un certain bonheur
ici-bas a disparu. Celui-là se trouve alors plongé dans la solitude la plus
absolue face à un Dieu qui seul pourrait lui donner la joie et qui voudrait la
lui donner. Mais cet homme continue de récuser ce don tout en souffrant de sa
propre révolte. »
De plus le maître des sentences[800] cite l’opposition à la vérité
reconnue parmi les péchés contre l’Esprit Saint qui ne seront pas pardonnés.
Donc un tel péché peut conduire à la damnation.
Conclusion :
Une chose
peut être pleinement reconnue par l’homme quand sa vérité est manifestée d’une
manière certaine. Cela peut se produire de plusieurs manières : la plus
parfaite est le témoignage de la vision. Celui donc qui, étant maître de lui et
en bonne santé, voit de ses propres yeux quelque chose ne peut nier l’avoir vu
sans porter un faux témoignage.
Pour les
choses invisibles, la vérité peut être pleinement reconnue à la suite d’une
démonstration. C’est ainsi que les savants ont pu démontrer l’existence de
certaines planètes avant même de les avoir vues au télescope, par induction à
partir des effets constatés. Quand il s’agit de choses concernant la foi, Dieu
manifeste leur vérité par des actes que lui seul peut faire comme des miracles
qui échappent au pouvoir de toute créature (la résurrection d’un mort par
exemple) ou des prophéties portant sur les futurs contingents, donc
inconnaissables par les créatures. C’est pourquoi Jésus disait aux Juifs [801]
: « Si vous ne me croyez pas, croyez à cause de mes œuvres. » Mais, comme on
l’a vu, il peut aussi manifester aux hommes la vérité de sa mission au moment
de leur mort en apparaissant dans son corps de gloire, ce qui constitue le
témoignage suprême, qu’il est impossible de mettre en doute sans mentir à sa
propre conscience. Le blasphème contre l’esprit dont nous traitons ici consiste
en cela. Cela n’est possible dès cette terre que chez ceux qui ont suffisamment
de théologie pour être capables de reconnaître d’une manière indubitable le doigt
de Dieu. D’après le témoignage de l’Évangile, ce fut apparemment le cas de
certains théologiens juifs[802].
Jésus avait en effet accompli quantité de miracles et il avait même ressuscité
des morts au point que le peuple reconnaissait en lui un envoyé de Dieu, selon
le témoignage de l’aveugle né[803]
: « Jamais on n’a entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle
si Dieu n’est pas avec lui. » Malgré cela, les chefs des Juifs décidèrent de le
faire mourir. Ils préférèrent faire disparaître à cause de leur amour du
pouvoir religieux et des honneurs. Ils refusèrent donc volontairement de croire
en la mission divine de Jésus, bien qu’elle ait été suffisamment reconnue. En
cela, parce qu’ils étaient des théologiens, ils commirent un péché contre le
Saint Esprit[804].
Face au Christ et aux saints, au moment de la mort, il n’existe aucune raison
qu’ils changent d’option. Ils savaient déjà que le Christ venait de Dieu. De
même, tout homme qui à cette heure, ayant reçu de Dieu la révélation
indubitable de son existence et de sa miséricorde, refuse d’adhérer par la foi
intérieure et la confiance à cette vérité reconnue, commet un péché contre le
Saint Esprit. Comme nous l’avons montré précédemment, la raison d’une telle
attitude ne peut être qu’un amour de soi poussé jusqu’à un orgueil extrême. Un
tel péché ne peut être pardonné car celui qui le commet refuse même de
considérer la simple existence de ce pardon. Il mérite donc la séparation
d’avec Dieu.
Solution 1 :
Quand la vérité est suffisamment manifeste, elle est reconnue par
l’intelligence parce que celle-ci ne peut faire autrement que croire à ce qui
est dit, encore qu’elle ne soit pas convaincue par l’évidence de la chose. Par
exemple, si un prophète prédisait dans un discours inspiré par le Seigneur un
évènement futur et s’il produisait un signe en ressuscitant un mort, par ce
signe même le voyant recevrait dans son intelligence une confirmation telle
qu’il connaîtrait clairement que la chose est dite par Dieu, lequel ne ment
pas, et pourtant cet évènement, celui qui est prédit, en soi ne serait pas
évident, ce qui fait qu’il y aurait encore place pour une vraie foi. Ainsi,
jusqu’au moment de la mort, la vision de l’apparition du Christ qui annonce au
mourant la possibilité et les conditions de la gloire peut permettre chez ce
dernier une vraie foi, c’est-à-dire une adhésion de l’intelligence que commande
la volonté, à ce qui n’est vu ni su, mais à ce qui est annoncé. C’est cette foi
qui est refusée obstinément dans le péché qui nous occupe. Quant à la foi au premier
sens, les démons eux-mêmes l’ont puisqu’ils y sont forcés par l’évidence des
signes.
Solution 2 :
L’ignorance,
lorsqu’elle diminue l’acte volontaire, diminue la responsabilité de la faute.
Or, dans le cas qui nous occupe, il ne s’agit pas d’une telle ignorance mais
d’une ignorance voulue directement et par soi pour pécher plus librement.
Pareille ignorance accroît, semble t-il, ce qu’il y a de volontaire dans l’acte
et par la même le péché : Si quelqu’un en effet veut bien, pour se donner la
liberté de faire mal, subir le dommage de l’ignorance, cela vient de ce qu’il a
une volonté qui cherche à pécher.
Objection 1 :
La présomption ne semble pas être autre chose que le refus de
croire à la vérité reconnue. Car la présomption s’appuie sur une fausse
connaissance de Dieu puisse qu’il est faux de penser que Dieu accordera son
pardon à ceux qui persévèrent dans le péché et qu’il dispense sa gloire à ceux
qui cessent de faire le bien.
Objection 2 :
La présomption implique un excès d’espérance. Or dans l’espérance
qu’on a de Dieu, il ne peut y avoir d’excès car la puissance et la miséricorde
divines sont infinies. La présomption ne semble pas conduire à la damnation.
Objection 3 :
Bien des
hommes pèchent par présomption en ce monde puisqu’ils décident de se maintenir
dans une vie de péché avec l’intention de se convertir au dernier moment. En
cela, il semble qu’ils présument de la miséricorde divine et cela ne semble pas
être un péché capable de conduire à la damnation éternelle puisqu’ils peuvent
se repentir de leurs péchés, obtenant ainsi le pardon.
Objection 4 :
Un homme présomptueux désire tout de même voir Dieu. Et Dieu ne
saurait mépriser son désir. Dons il le fera entrer dans sa Vision.
Cependant :
La
présomption s’oppose à la vertu d’espérance. Or nul ne peut entrer dans la
gloire sans l’espérer. Donc la présomption conduit à la damnation.
Conclusion :
La présomption qui est un péché contre l’Esprit Saint
conduit à la damnation. Pour le comprendre, il faut considérer ceci : La vision
béatifique, qui est le bien éternel promis par Dieu aux hommes, ne peut être
donnée que si l’homme espère la recevoir. Or un tel bien dépasse les forces
naturelles de toute créature.
Aussi doit-il être espéré en s’appuyant sur la certitude que Dieu nous
donnera lui-même les moyens pour y accéder. Du côté de l’homme, certaines
dispositions intérieures sont nécessaires comme la bonne volonté, l’humilité et, si des péchés ont été commis, la
pénitence. Dans cette mesure la grâce et la justification peuvent être données
par Dieu. Alors, uni à Dieu par la charité, l’âme peut le recevoir, telle une épouse. Au
contraire, lorsqu’un homme a l’audace de vouloir recevoir le pardon de Dieu
sans pénitence préalable ou la gloire sans les mérites intérieurs qu’elle
présuppose, il se comporte en présomptueux. Lorsque ce péché est commis avec à
la fois une pleine lucidité et une pleine maîtrise de soi, porté par un orgueil
qui refuse de s’abaisser devant la volonté de Dieu, il constitue un péché
contre l’Esprit Saint car il rejette et méprise l’aide du Saint Esprit. Celui
qui arrive dans l’au-delà avec une telle présomption est certainement repoussé.
Il s’appuie en effet sur un amour de soi et un orgueil si forts qu’il préfère
ne rien avoir plutôt que de le recevoir d’un autre en s’humiliant. Il le fait
d’une manière suffisamment consciente et libre, comme nous l’avons montré, pour
rester définitivement fixé dans cette
attitude.
Solution 1 :
La présomption est autre chose que le refus de croire à la vérité
reconnue. Le présomptueux accepte de croire en la révélation divine et en la
promesse de la gloire. Cette gloire lui parait même être un bien excellent et
désirable mais il en refuse les conditions préalables qui consistent non seulement
en une soumission de l’intelligence à Dieu mais aussi une soumission de la
volonté aux conditions données par Dieu et qui sont pour synthétiser,
l’humilité et la charité. Un tel péché implique un grand sens de son excellence
personnelle aussi on l’attribue à l’ange Lucifer qui acceptait d’être introduit
dans la gloire à condition de ne pas avoir à s’abaisser dans le service de
l’homme selon Jérémie.[805]
Solution 2 :
La présomption n’implique pas un excès d’espérance du fait qu’on
espère trop de Dieu, mais du fait qu’on attend de Dieu ce qui ne convient pas à
Dieu. Et c’est là aussi trop peu espérer de lui, car c’est, dans une certaine
mesure, diminuer sa puissance. Pour comprendre la présomption, il faut se
souvenir de la chute de l’ange Lucifer. Actuellement, cet ange comme tous les
démons, ne cesse de réclamer la Vision béatifique à Dieu. Il s’estime digne de
ce bonheur et le considère comme dû à chacun en mesure de la noblesse de son
intelligence. La présomption est ici : vouloir posséder Dieu en refusant les
conditions voulues par lui, humilité (kénose) et charité. Ce péché est
typiquement Luciférien car il implique un sens inné de sa propre grandeur. Il
est pourtant possible chez l’être humain, surtout au terme d’une vie emplie
d’honneurs et de richesses. Supposons qu’un homme arrive devant Jésus à l’heure
de sa mort et exige le paradis tout en excluant les conditions de petitesse
proposées par le Sauveur ; supposons qu’il maintienne fermement cette attitude,
en pleine lucidité, prêt à perdre la vie éternelle plutôt que d’aimer ce Dieu
qui ne se donne qu’à l’amour, alors il se condamne lui-même à l’enfer et ce
pour l’éternité puisque, éternellement, il criera à Dieu : « J’ai raison. »
Dieu rejette activement cet homme-là car il a l’audace de vouloir forcer
l’entrée dans la vision béatifique. D’où ces textes[806]
: « Les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures. Là seront
les pleurs et les grincements de dents. »
Solution 3 :
Pécher avec le propos de persévérer dans sa faute à cause de l’espérance
du pardon, c’est formellement de la présomption. Et cette circonstance ne
diminue pas mais au contraire augmente le péché. Mais pécher tout en gardant
l’espérance de recevoir un jour son pardon, en se proposant d’abandonner le
péché et d’en faire pénitence, ce n’est pas de la présomption, et une telle
circonstance diminue le péché ; car c’est manifester qu’on a une volonté moins
décidée à pécher. Cependant, mettre son salut éternel en dépendance totale de
sa capacité à se repentir au dernier moment, c’est présumer de ses propres
forces car nul ne peut être certain de pouvoir se repentir. Un tel homme, face
à la présentation objective effectuée par le démon du bien qu’on peut trouver
en enfer risque de s’y porter tout naturellement si l’amour de soi a pris
suffisamment corps en lui.
Solution 4 :
Lucifer désire certes voir Dieu car il convoite à partir de cette
vision certaines richesses aptes à augmenter sa perfection : connaissances,
puissance. Mais il en refuse certaines conditions voulues par Dieu, toutes les
conditions impliquant un baissement de soi. Or, Dieu n’impose pas ces
conditions pour écraser l’homme, mais en fonction de sa nature même : Dieu est
par essence, et l’analogie de la foi étant sauve, humble et amour. L’humilité
et l’amour ne signifient en lui aucune faiblesse mais une vie trinitaire de
dépendance totale : Le Père (la paternité) n’existe pas par lui-même mais comme
relation subsistante au Fils (la filiation). Ainsi, quand bien même Dieu, par
impossible, voudrait introduire un orgueilleux dans la Vision de son essence,
il y aurait impossibilité car incompréhension de la part du présomptueux :
l’orgueil ne comprend pas l’humilité et l’égoïsme ne comprend pas l’amour. De
même, dans le couple, il ne peut y avoir sans amour. Mais il peut y avoir viol.
Objection 1 :
Il ne semble pas que le désespoir puisse conduire à la damnation
s’il subsiste après la mort. Le désespoir est une passion de la sensibilité qui
a pour cause la perte définitive d’un bien sensible important. C’est ainsi que
bien des hommes, poussés par le désespoir d’une vie qui leur apparaît insensée,
se suicident. Il serait aberrant de les estimer tous damnés.
Objection 2 :
Tout
péché, d’après saint Augustin, comporte une conversion à un bien périssable,
avec une aversion pour le bien immuable. Or le désespoir ne comporte pas de
conversion à un bien périssable. Ce n’est donc pas un péché. Il ne conduit pas
à la damnation.
Cependant :
Il en est
du désespoir comme de la présomption. Il s’oppose directement à l’espérance.
Donc il peut conduire à la damnation.
Conclusion :
Comme
péché contre l’Esprit Saint, le désespoir (plus précisément la désespérance)
est nécessairement un acte parfait du libre arbitre, c’est-à-dire qu’il
implique pleine conscience et volonté maîtresse d’elle-même. Il présuppose
donc, quand il est appliqué à Dieu, que l’intelligence sache que Dieu pardonne
les péchés à qui se repend et donne la gloire à qui l’aime ; De même, il présuppose
que la volonté soit libérée de ce qui la porte de l’extérieur au désespoir
comme l’entraînement de la sensibilité. Nous avons vu que Dieu donne à tout
homme cette liberté dans le moment de la mort. Celui donc qui, à cause de la
racine orgueilleuse de son âme, s’obstine à refuser d’espérer que Dieu donne
son pardon ou qu’il retourne les pécheurs vers par la grâce qui les justifie,
détourne son âme d’une manière coupable. La conséquence d’un tel refus
volontaire d’espérer est que l’homme se plonge lui-même dans la séparation
d’avec Dieu. Nous en avons un exemple dans l’attitude de Judas, celui qui livra
Jésus malgré les multiples tentatives que le Seigneur avait faites pour le
ramener dans la fidélité. Le signe de la bouchée de pain[807]
prouve l’amitié et la confiance. En acceptant ce pain de communion, sans parler
à Jésus de son trouble, il s’enferra dans l’hypocrisie. Le démon n’eut plus
qu’à lui suggérer de livrer Jésus aux chefs des Juifs, en lui apportant de très
bonnes raisons, le danger politique de l’Évangile, la nécessité d’un jugement
de discernement de la part des Docteurs de la loi, et l’argent à gagner. Quand
il eut livré Jésus, il se retrouva seul et comprit la gravité de son geste que
Jésus avait depuis longtemps annoncé prophétiquement. Ayant connu la
miséricorde du Seigneur, il savait qu’il n’existe pas un péché qui ne puisse
être pardonné. Mais il n’espéra pas pour lui ce pardon et se suicida.
Ce suicide est le fruit d’un désespoir
devant la conscience d’un acte irréparable. Mais il ne constitue pas encore,
semble-t-il, un péché contre l’Esprit Saint. En effet, l’effroi d’une
condamnation sans rémission possible de la part de Dieu vient submerger la
pensée au point d’entraver le jugement. Elle est fausse et liée à un manque de
connaissance de Dieu. Elle doit donc être rectifiée par une preuve glorieuse de
la bonté de Dieu. Quant à sa faiblesse liée à la panique, l’attitude de Judas
la prouve : il court rendre l’argent, espérant peut-être d’une façon illusoire
libérer Jésus. Tout péché, aussi grave soit-il, lorsqu’il est empreint d’erreur
théologique ou de faiblesse, ne peut constituer un véritable blasphème contre
l’Esprit Saint. Le suicide de Judas révèle d’autre part en lui une capacité à
regretter la faute commise tout en n’imaginant pas le pardon possible.
A l’instant même de sa mort, Jésus (ou un
ange délégué par Jésus selon l’heure à laquelle il fit son geste) se montra à
lui. Sans erreur possible, la clarté de cette apparition manifesta à Judas
l’inimaginable : son péché pouvait être pardonné. Mais le démon toujours
présent à l’heure de la mort le séduisait : « Garde ta dignité. Ta faute est
trop grave, assumes-en les conséquences en refusant le pardon." Puis il
l’accusait : « Faute impardonnable! Malheur à toi, tu es perdu." Par cette
parole, il le tentait non plus de désespoir mais de désespérance. Il ne
s’agissait plus pour lui de le pousser à un désespoir psychologique en lui
faisant croire faussement à l’impossibilité du pardon de Dieu. Il s’agissait de
lui rendre sa fierté pour qu’il dise, avec hauteur et conscience de sa dignité,
sans faiblesse : « Mon péché est trop grand. Ta proposition de pardon est une
offense à ma dignité. » Quel fut le choix définitif de Judas ? Il existe une
parole terrible de Jésus à son égard : « Malheur à cet homme-là par qui le Fils
de l’homme est livré. Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître ».[808]
Il faut ajouter comme sous-entendu à ce texte : « sauf s’il implore le pardon.
»
La
désespérance, comme blasphème contre l’Esprit Saint, est concrètement un choix
de l’intelligence et non une pulsion de la sensibilité.
Solution 1 :
Le désespoir psychologique est une passion. Il se différencie donc
du désespoir spirituel qui est un choix de la volonté et qui est plutôt un
refus d’espérer malgré l’évidence de la possibilité du pardon octroyé par Dieu.
On doit donc affirmer que celui qui se suicide par désespoir psychologique,
s’il commet bien un péché mortel puisque sa volonté est égoïstement centrée sur
lui, sans beaucoup de souci de ceux qui restent sur terre dans les larmes ni du
droit de Dieu sur la vie, le commet malgré tout avec les circonstances
atténuantes que sont l’ignorance et un état de grande souffrance. On peut donc
penser qu’ils sont la plupart du temps sauvés, même s’ils doivent subir un
temps de purification. C’est pourquoi le Curé d’Ars disait à propos d’un
suicide : « entre le pont et la rivière, il a eu le temps de se repentir »,
signifiant par cette expression le moment qui précède immédiatement la mort.
Solution 2 :
Dans tout
péché mortel, il y a aversion pour le bien immuable et conversion à un bien
périssable, mais diversement. En effet, c’est principalement en une aversion
pour le bien immuable que consistent les péchés opposés aux vertus théologales,
comme la haine de Dieu, le désespoir ou l’infidélité, parce que les vertus
théologales ont Dieu pour objet. C’est de par leur cause présupposée qu’ils
impliquent une conversion à un bien périssable, l’âme qui délaisse Dieu se
tournant nécessairement comme vers des biens périssables vers d’autres
réalités. Les autres péchés, par contre, consistent dans leur définition même
en une conversion à un bien périssable et ont pour conséquence une aversion au
bien immuable : celui qui pratique la fornication n’a pas en effet l’intention
de s’éloigner de Dieu, mais de jouir d’un plaisir de la chair, et la
conséquence est qu’il s’éloigne de Dieu.
Le
désespoir dont nous parlons ici, s’il s’oppose directement à la miséricorde
infinie de Dieu, a pour cause l’attachement excessif au propre jugement que le
pécheur a de lui-même et de Dieu. Il dit : « Nul ne peut me pardonner. » C’est
une fausse humilité. C’est un vrai orgueil. Maintenu face à l’apparition
glorieuse du Christ qui, en vérité, pardonne les plus grands péchés, c’est un
blasphème contre l’Esprit.
Objection 1 :
L’envie est une passion incontrôlable. Elle ne peut donc subsister
dans la mort puisque l’homme est libéré du foyer de péché. Elle ne peut donc
conduire à la damnation éternelle.
Objection 2 :
Un homme
peut envier le bien d’un autre parce que cet autre ne le mérite pas et c’est
alors un sentiment de la justice ou encore parce que ce bien lui manque et c’est alors l’émulation. Il ne semble donc pas que
l’envie des biens d’autrui soit un péché.
Cependant :
D’après le
livre des sentences, l’envie des grâces d’autrui est un péché contre l’Esprit
Saint. Il ne trouve donc pas de pardon, ni en cette terre ni dans l’autre
monde. Il conduit à la damnation.
Conclusion :
Pour
comprendre comment l’envie des grâces du prochain peut dans certains cas
devenir un blasphème contre l’Esprit et conduire immédiatement après la mort, à
la damnation, il faut considérer ceci : l’homme qui fait le mal à son prochain
se réjouit tant qu’il est sur terre car il obtient, grâce au mal commis, une
certaine domination sur l’autre. Or cette domination ne dure pas avec la mort,
selon cette parole d’Amos[809]
: « Silence!, écoutez, vous qui écrasez le pauvre. » Car dans la mort, nul
n’emporte le triomphe qu’il a obtenu durant sa vie terrestre par le péché mais
chacun se retrouve égal devant Dieu.
Or, dans
la révélation qui accompagne la mort, deux choses apparaissent à la conscience
du pécheur. En premier lieu, il découvre dans la vision du Christ que chaque
fois qu’un mal a été commis contre un innocent, c’est d’une manière mystérieuse
à Jésus qu’a été fait ce mal, selon cette parole[810]
: « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donne à mangez, j’ai eu soif et vous ne
m’avez pas donne à boire. » Jésus aura donc en quelque sorte le visage de leurs
victimes[811] : «
ils verront celui qu’ils ont transpercé. »
En second lieu, ils comprendront que ceux qui étaient
leurs victimes ont souvent obtenu de Dieu une récompense éternelle qui fait
d’eux des rois dans le royaume de Dieu, gloire qu’ils savent ne pas mériter
eux-mêmes avec la même intensité puisqu’elle est donnée en proportion de la
charité.
De ces
deux révélations peut naître, à cause de l’orgueil auquel sont habitués les
méchants un désir envieux envers les grâces de Jésus et de ceux qui sont
sauvés. Une telle envie, si elle est maintenue obstinément au moment de la
mort, face à l’apparition du Messie et des saints, demeure éternellement comme
une orientation perverse de la volonté. Elle mérite donc de soi la damnation
éternelle car elle s’oppose directement à la charité[812].
Solution 1 :
Prise au sens propre, l’envie est une passion qui nous fait haïr
le bien d’autrui. Mais elle peut signifier aussi un acte de la volonté qui
refuse la grâce spirituelle chez celui qui nous apparaît comme indigne d’un tel
don. En ce sens, elle demeure après la mort et elle existe même chez les
démons. Elle demeure aussi dans la sensibilité comme une passion puisque les
âmes conservent la faculté d’éprouver des sentiments, comme nous l’avons dit (question
8).
Solution 2 :
Il y a une autre façon de s’attrister du
bien d’autrui ; lorsque le prochain a plus de bien que nous, alors qu’il le
mérite. Une telle envie, si elle demeure après la mort est mauvaise et conduit
l’âme à la révolte contre Dieu et contre l’ordre qu’il établit. Nous prendrons
l’exemple d’une personne ayant vécu. Il ne s’agit pas, encore une fois, de se
prononcer sur le choix éternel de quiconque, mais seulement d’être illustratif.
Lorsqu’Adolf Hitler s’est suicidé, il a quitté ce monde en emportant la
responsabilité directe de dizaines de millions de vies humaines détruites dont,
en particulier, quelques millions de femmes, d’enfants coupables d’être nés
accompagnés de son mépris. À l’heure de sa mort, il les vit un à un pendant un de
ces regards profonds que peut offrir la puissance de Dieu au moment décisif.
Toutes ces âmes réunies proposaient[813]
leur pardon, sans arrière-pensée. Le démon aussi, avait droit à la parole,
comme il convient en cette occasion. Il n’est pas difficile, connaissant les
obsessions d’Hitler durant sa vie terrestre, d’en reconstituer la teneur : « Vois
ces juifs, ces tziganes que tu as méprisés avec raison toute ta vie. Regarde
leur humiliante attitude de dépendance les uns vis-à-vis des autres. Regarde la
royauté qu’ils ont reçue de Dieu. Si tu te convertis maintenant, n’oublie pas
que toi, le Guide de millions d’hommes, tu seras plus petit qu’eux pour
l’éternité. De Maître que tu étais, tu deviendras inférieur car chacun se fait
serviteur de tous dans leur monde. Ne te convertis pas. Reste fidèle à ton
combat, sois Roi avec moi, loin de ces gens. »
Là se trouve la puissante tentation de l’envie des grâces
fraternelles. Elle concerne tout homme qui a été dominant vis-à-vis de son
prochain durant sa vie. Maintenue dans cette situation de lucide liberté,
l’envie des grâces fraternelles, deuxième péché contre l’Esprit Saint, est sans
rémission possible car, commis ainsi dans la lucidité de l’heure à la mort, il
est le fait d’une personne qui jamais plus ne reviendra en arrière.
Objection 1 :
L’obstination ne semble pas être un péché spécial mais la
condition de tout péché qui conduit à la damnation. Il ne semble donc pas qu’il
faille la compter parmi les péchés contre l’Esprit Saint qui conduisent à la
damnation.
Objection 2 :
Celui qui
s’obstine à considérer le péché comme la source de la béatitude ne peut durer
dans cette conviction que parce qu’il subsiste en lui une certaine ignorance.
Une telle obstination ne peut en effet que disparaître avec l’expérience du
malheur terrible qui règne en enfer. Or nous avons montre que l’ignorance ne
pouvait subsister sur un point aussi essentiel au moment de la mort. Donc
l’obstination ne conduit pas à la damnation éternelle.
Cependant :
Le Siracide écrit[814]
: « Le cœur obstiné finira dans le malheur. » Donc l’obstination est un péché
qui peut conduire en enfer éternel.
Conclusion :
L’obstination dans le péché, si elle demeure après la mort,
conduit à la damnation. Par l’obstination l’homme affermit sa résolution dans
l’attachement du péché. Il maintient donc son âme fixée dans une fin dernière
qui est un bien créé, malgré la découverte faite au moment de la mort de la
médiocrité et la brièveté de ce bien, selon cette parole de l’apôtre[815]
: « quel fruit avez-vous eu dans ces péchés dont aujourd’hui vous rougissez ? »
Une telle obstination est fondée sur un amour désordonné de soi assez puissant
pour résister à trois choses : 1° L’expérience terrestre de l’effet d’amertume
de ces biens ; 2° La prédication de gloire du Christ et des saints ; 3° La
perspective du malheur éternel de l’enfer. C’est pourquoi le prophète Jérémie
dit à propos de ceux qui s’obstinent dans le péché malgré la manifestation du
Seigneur : « Et vous, vous avez agi plus mal que nos pères. Voici, chacun de
vous se conduit selon l’obstination de son cœur mauvais, sans m’écouter. Je
vous jetterai donc hors de ce pays, dans un pays inconnu de vous et de vos pères
et vous servirez d’autres dieux, jour et nuit, car je ne vous ferai plus grâce.
» Il signifie par là la réprobation éternelle que méritent ceux qui s’obstinent
dans leur péché.
Solution 1 :
L’obstination dont nous parlons ici n’est pas seulement celle qui
accompagne tout péché contre l’Esprit Saint sans quoi elle ne serait pas un
péché spécial mais une circonstance des péchés. Il s’agit plutôt ici d’un choix
de la volonté qui fait du bien créé son objet final, à cause d’une
considération de l’intelligence qui y voit un bien plus grand que le bien
Incréé, c’est à dire la Vision de Dieu. Il y a donc dans l’obstination une
conversion vers le bonheur apparent donné par le péché et un mépris de la
béatitude proposée par Dieu. C’est pourquoi le prophète Osée peut parler ainsi[816]
: « Ils ont préféré l’ignominie à leur Grand Dieu. » L'exemple suivant peut
éclairer : après la prédication de Satan, un homme adonné toute sa vie à la
recherche du plaisir se rend compte qu'en enfer, il pourra librement livrer son
corps à la débauche. Il lui est révélé qu'il n'en obtiendra aucun plaisir. Mais
il s'obstine à considérer que le sexe n'a d'autre fonction que l'égoïsme,
méprisant la délicatesse du Ciel où tout est au service d'autrui. Face à
l'apparition glorieuse du Christ et des saints, une telle obstination implique un
tel orgueil qu'aucun repentir, à jamais, ne viendra.
Solution 2 :
L’obstination, quand elle est un péché contre l’Esprit Saint,
demeure même avec une science parfaite des peines de l’enfer qui sont
préparées. Mais pour l’obstiné, la solitude éternelle le ver rongeur du remords
ou même le feu de l’enfer ne paraissent pas des peines assez considérables pour
lui faire renoncer à l’amour désordonne de soi et du péché. Une telle
obstination demeure même après l’expérience de l’enfer et ceci pour toujours car
l’obstiné estime toujours avoir raison et maintient fermement son choix.[817]
Objection 1 :
L’impénitence finale est une persistance dans le péché jusqu’à la
mort. Elle n’est donc pas un péché spécial mais une circonstance du péché. Elle
ne doit pas être comptée parmi l’un des six péchés contre l’Esprit Saint qui
conduisent immédiatement à la damnation.
Objection 2 :
Tout homme
en état de péché mortel doit se repentir pour être rétabli dans la grâce de
Dieu. Or la conversion est un don de Dieu. Elle ne dépend donc pas du pécheur
mais de Dieu qui meut le pécheur à se convertir. Elle ne peut donc être un
péché spécial mais seulement un effet de la justice divine qui laisse l’homme
dans l’état qu’il a lui-même désiré dans sa volonté déréglée.
Cependant :
Saint Paul
écrit[818]
: « Par ton endurcissement et l’impénitence de ton cœur, tu amasses contre toi
un trésor de colère, au jour de la colère où se révèlera le juste jugement de
Dieu ».
Conclusion :
Dès cette
terre, l’impénitence peut être parfois un péché contre l’Esprit Saint, au moins
chez ceux qui ont pleine connaissance de ce qu’est le péché au regard de Dieu.
Mais après la mort, l’impénitence qui demeure est nécessairement un péché de cette
nature et elle conduit donc à la réprobation et à la damnation éternelle. La
raison en est que l’âme a reçu jusque dans la mort suffisamment de grâces de la
part de Dieu pour connaître ce qu’est le péché, sa gravité aussi bien par
rapport à Dieu que par rapport au prochain et à soi-même. En outre l’âme
connaît la nécessité pour elle de se repentir de son péché si elle veut être
justifiée et introduite dans la gloire. Quant à la volonté, elle est dans un
état tel qu’elle n’est pas mue par autre chose que par l’intelligence comme
nous l’avons montré.
Celui-là
donc ne peut refuser de reconnaître son péché en le confessant à Dieu et d’en
demander pardon par une contrition parfaite que s’il est attaché à son orgueil
au point de préférer
garder son péché plutôt que de s’humilier. Une telle volonté perverse,
demeurant après la mort, mérite la séparation éternelle avec Dieu. C’est
pourquoi Jésus dit[819]
: « Les hommes de Ninive se dresseront lors du jugement avec cette génération
et la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y
a plus ici que Jonas. »
Solution 1 :
L’impénitence finale n’est pas prise ici dans le sens d’une
persistance du péché jusqu’à la mort. Elle est prise comme un péché spécial
dont l’objet propre est la résolution de ne pas faire pénitence, à cause d’un
trop grand amour de sa propre excellence.
Solution 2 :
Il est
vrai qu’en stricte justice, tout homme en état de péché mortel mérite la
damnation éternelle puisqu’il a manifesté suffisamment par un seul acte de
péché sa répulsion pour Dieu. Cependant Dieu, dans la justice de son amour,
poursuit le pécheur et l’invite à se repentir jusqu’au dernier moment. Il donne
donc largement toutes les grâces nécessaires qui peuvent commencer dans l’âme
du pécheur un mouvement de retour. Si ce retour n’a pas lieu, cela vient de la
seule initiative de la volonté perverse de l’homme qui préfère rester séparée
de Dieu que se repentir.
Nous nous
demanderons :
1° La peine principale de l’enfer est-elle
la séparation d’avec Dieu ?
2° Outre la séparation d’avec Dieu, y-a-t-il
une peine du feu en enfer ?
3° Outre le feu spirituel de l’âme,
existe-t-il en enfer un feu matériel ?
4° Les damnés souffrent-ils du ver rongeur
du remords ?
5° Pleurent-ils ?
6° Sont-ils plongés dans les ténèbres
extérieures ?
7° Outre les peines précitées, existe-t-il
en enfer d’autres peines ?
8° Les démons exécuteront-ils la sentence du
juge à l’égard des damnés ?
Objection l :
Cela ne semble pas. En effet, les âmes du purgatoire sont séparées
de la vision de Dieu et elles souffrent de cette séparation. Or on ne dit pas
qu’elles sont en enfer. Donc cette peine n’est pas la principale en enfer.
Objection 2 :
Saint Paul disait[821]
: « je souhaiterais d’être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères.
» Or nul ne peut souhaiter aller en enfer pour l’amour de ses frères. Donc la
séparation d’avec Dieu n’est pas l’enfer.
Objection 3 :
Avant la venue du Christ, les hommes attendaient après leur mort
dans les enfers. Ceux dont l’âme était perverse souffraient déjà des peines
dans leur âme comme du ver rongeur du remords ou du feu. En cela, ils se
distinguaient des âmes justes qui étaient seulement séparées de Dieu sans subir
aucune peine. Donc l’enfer se définit plutôt par les peines qu’il implique que
par la séparation d’avec Dieu.
Objection 4 :
Les damnés
veulent être séparés de Dieu puisqu’ils haïssent ses volontés qui s’opposent à
leur orgueil. Or ce qui est voulu ne peut constituer une peine. Donc l’enfer ne
consiste pas principalement dans la séparation d’avec Dieu.
Cependant :
Le
Seigneur dira aux méchants, lors du jugement de leur âme[822]
: « Allez loin de moi, maudits. » C’est là la peine la plus importante dans
l’enfer.
Conclusion :
Pour tout
être, il ne peut y avoir de plus grand mal que la perte définitive de sa fin.
Ainsi dans la nature, lorsqu’il arrive qu’une espèce animale ou végétale
disparaisse, on considère habituellement un tel évènement comme une catastrophe
parce que chaque espèce, portée à travers la succession des individus de même
nature qui la représentent, n’a pas d’autre finalité que de durer toujours.
En ce qui
regarde l’homme dont la finalité personnelle ne consiste pas seulement dans la
communication de la vie mais essentiellement dans une union spirituelle avec
Dieu[823],
la perte de cette fin constitue de la même manière le plus grand des maux. Or,
pour les êtres spirituels, une telle séparation n’est parfaitement consommée
que par le péché dans ce qu’il a de plus absolu, c’est-à-dire dans l’acte
conscient, volontaire et libre de blasphème contre l’Esprit Saint. Un tel péché
qui est, comme nous l’avons montré[824],
le principe premier conduisant à la peine du dam, est considéré par Dieu comme
le plus grand des maux de l’âme humaine. Et pour éviter que l’homme ne soit
trouvé au terme de sa vie dans une telle disposition intérieure, Dieu ne
néglige aucun moyen : il envoie des prophètes, le Fils éternel se fait homme en
Jésus-Christ, il multiplie les signes et les miracles, il frappe les corps de
maux qui rappellent à l’esprit la vanité de tout ce qui est créé, il revient
dans sa gloire à l’heure de la mort. Lorsque, malgré cela, l’égoïsme, la
cupidité et l’orgueil conduisent un homme à rejeter volontairement Dieu, on
doit considérer cette séparation voulue comme la première et la plus grande des
peines de l’enfer. En effet, en se séparant de Dieu, l’homme perd sa fin et
devient un être vain : son intelligence faite pour atteindre la vérité, se
condamne à l’obscurité de l’ignorance puisqu’elle ne voit pas la Vérité
première ; sa volonté, créée pour tendre au bien se condamne à errer sans cesse
à la recherche d’un bonheur qui n’existe pas hors de Dieu, puisque Dieu est la
Bonté. Origène écrit[825]
: « Qu’on nous arrache un membre, nous éprouvons de vives souffrances, mais
l’âme, séparée de Dieu, à qui elle aurait dû être unie, souffrira bien
davantage de ce déchirement. Tiraillée en mille sens divers, elle sera comme
divisée d’avec elle-même, et en place de l’unité l’harmonique à laquelle Dieu
la destinait, elle offrira le spectacle du désordre et de la confusion. »
Solution 1 :
Ce n’est pas pour le même motif que les âmes du purgatoire et
celles de l’enfer n’ont pas la vision béatifique : celles du purgatoire veulent
une séparation provisoire à cause de la conscience qu’elles ont de leur
impureté et de la très grande pureté du Dieu qu’elles désirent. Au contraire,
les âmes de l’enfer veulent la séparation d’avec Dieu à cause de ses volontés
qui leur paraissent un mal qu’il faut fuir puisqu’elles s’opposent au bien de
leur orgueil. En conséquence, ces âmes se séparent elles-mêmes de Dieu au
moment de la mort. Par le fait même, elles perdent la possibilité de s’unir au
seul bien capable de les rendre heureuses et elles errent éternellement à la
recherche d’une béatitude qu’elles ne peuvent jamais atteindre. Leur souffrance
provient essentiellement de cette absence de Dieu. L’enfer est l’état d’une âme
qui s’est volontairement séparée de Dieu.
Solution 2 :
Saint Paul ne souhaitait pas être séparé de Dieu en tant qu’il est
Dieu mais de Dieu en tant qu’il pouvait béatifier son âme car son amour
excessif pour ses frères lui faisait préférer leur bien à son propre bonheur.
Sa charité excessive est donc sans rapport avec l’égoïsme excessif des damnés
de l’enfer.
Solution 3 :
Comme nous le verrons, le feu et le ver rongeur du remords sont
des conséquences directes dans l’âme des damnés de leur volonté pervertie qui
se sépare de ce pourquoi elle a été créée. Aussi on doit dire que l’enfer ne se
définit pas essentiellement par ces peines mais par cette séparation spécifique
qui est causée, chez le damné, par sa volonté. Quant aux âmes qui séjournaient
dans l’enfer des patriarches, elles ne souffraient certes pas, à moins que l’on
qualifie de souffrance le désir intense de voir celui dont la présence cachée
les comblait de sa grâce sanctifiante.
Solution 4 :
Une chose
peut-être volontaire de deux manières :
1° elle peut l’être par soi et directement.
Ainsi l’homme fuit-il le mal et recherche ce qui lui apparaît bien.
2° elle peut l’être indirectement à cause
d’une condition présupposée. Ainsi, on ne dit pas que le marin pris dans la
tempête jette sa cargaison à l’eau pour le simple plaisir de s’en débarrasser.
Il la jette à cause d’un bien qui lui parait supérieur c’est-à-dire la survie
du navire. Une telle distinction peut être appliquée aux damnés pour comprendre
de quelle manière ils se séparent volontairement de Dieu. Comme nous l’avons
dit, avant le jugement dernier qui détermine le destin éternel des hommes, deux
choses sont révélées : la possibilité de la vision béatifique et les conditions
requises pour entrer dans cette vision, comme la nécessité de la pénitence, de
l’humilité (kénose), de la charité.
Celui qui se damne ne peut refuser directement et par soi la
vision de l’essence divine puisqu’elle lui est suffisamment révélée selon ce
qu’elle est, à savoir le Bien parfait. Mais il peut la refuser à cause des
conditions préalables qui lui sont demandées et le motif de cette révolte est,
comme nous l’avons montré, l’amour désordonné de soi. Cette exaltation de soi
pousse l’âme à rejeter directement et par soi les volontés de Dieu concernant
les conditions de l’entrée dans la Vision béatifique car ces conditions lui
paraissent être un mal relativement au bien de son orgueil qui est place en
absolu. En conclusion, on peut dire que le damné ne désire directement ni la
séparation d’avec Dieu, ni l’enfer mais qu’il cherche sa propre liberté égoïste
et, en conséquence s’oppose à ce qui s’y oppose, les moyens du salut.
Solution 5 :
« Les autres peines de l’enfer ne sont que
la conséquence naturelle de l’absence de Dieu due au rejet de Dieu. Mais en
même temps, ayant refusé librement Dieu comme fin surnaturelle, il l’a du même
coup refusé librement comme fin naturelle. Il le déteste par un acte libre où
il est fixé, et il préfère à la vraie béatitude la fausse béatitude qu’il a
choisie, son orgueil. C’est là sa fin ultime voulue par-dessus tout, même au
prix de toute espèce de souffrance et de privation, être un dieu par sa propre
force, voilà sa béatitude. Il ne peut pas révoquer ce choix, parce que celui-ci
porte sur la fin ultime et a été accompli en pleine lumière spirituelle, fixant
la volonté en lui, en telle sorte que tous les actes subséquents de vouloir ne
seront effectués que dans la vertu de cet acte-là. Il y a donc déchirement,
mais non pas repentir, il ne demande aucun pardon, il refuserait le pardon s’il
lui était proposé, il veut continuer dans cet état. Ainsi, l’éternelle justice
doit être désignée, si nous cherchons des images humaines, moins comme la
mystérieuse colère que comme la mystérieuse patience de Dieu, qui souffre que
sa miséricorde soit finalement refusée, qu’une créature soit pour toujours et par
son choix libre son propre dieu. » (Réf.)
Objection 1 :
Cela semble inutile. La séparation d’avec Dieu semble une peine
suffisante puisqu’elle est la perte de la béatitude surnaturelle qui avait été
proposée. Celui qui refuse les conditions d’un bien supérieur par son
obstination semble être suffisamment puni par le fait qu’il est privé de ce
bien.
Objection 2 :
Dieu crée l’homme par amour dans le but de lui proposer la
béatitude surnaturelle. Celui qui la refuse librement ne doit donc pas être
torturé par un feu mais simplement vivre d’un bonheur naturel selon son désir.
Objection 3 :
Si la
séparation d’avec Dieu est source dans l’âme d’un feu spirituel qui la torture,
tout être spirituel devrait souffrir du feu de l’enfer dans la mesure où il est
séparé de Dieu. Ce n’est manifestement pas le cas pour les habitants de la
terre.
Cependant :
Le
psalmiste écrit[827]
: « le feu et le souffre, et le souffle des tempêtes seront la part de leur
calice" et Job continue[828]
: « de l’eau des neiges, il passe à l’extrême chaleur. » C’est pourquoi
l’Église a défini par la voix de Benoît XII le dogme suivant[829]
: « Nous définissons que, selon la disposition générale de Dieu, les âmes de
ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en
enfer, où elles sont tourmentées des peines infernales. » Donc le feu de
l’enfer existe réellement.
Conclusion :
Que le feu
de l’enfer et les autres peines rapportées par l’Écriture existent, c’est un
dogme de foi. Mais quand il s’agit de définir la nature de ce feu, plusieurs
opinions existent. Certains Pères pensent qu’il s’agit d’une souffrance
spirituelle appelée par métaphore feu. D’autres pensent qu’on doit
parler au sens propre d’un feu matériel, sensible, touchant l’âme à la mesure
de son attachement au péché. Nous étudierons cette seconde opinion dans
l’article suivant.
Quant à la
première opinion, sa vérité apparaît avec évidence. Aucun être, lorsqu’il est
séparé de sa fin, n’est en repos tant qu’il n’a pas rejoint cette fin. Or
l’homme a été créé pour Dieu. Ainsi les âmes de l’enfer en subissent
nécessairement une souffrance.
Il reste à
définir la nature du feu qui les torture. Pour la comprendre, il faut
considérer ceci : l’âme humaine a été créée par Dieu en vue d’être élevée au
Bien Eternel. On en voit le symptôme à travers chacune des facultés de
l’esprit. L’intelligence humaine se porte vers un objet universel qui est la
vérité et la volonté est faite pour aimer ce qui a raison de Bien en général.
L’âme possède donc par nature une orientation vers Dieu qui est par nature la
Vérité et la Bonté. Il s’agit d’un instinct spirituel dont l’exercice nous
porte dès cette terre vers ce qui nous dépasse et vers ce qui est sacré. Cet
instinct spirituel étend son effet jusque dans la sensibilité au point que
l’homme est attiré vers ce qui lui rappelle la transcendance de manière
sensible, à savoir le beau. C’est pour la même raison que l’homme est par
nature un être religieux même si, à cause du poids du corps et des occupations
multiples de la vie matérielle, il peut arriver à étouffer pour un temps son
appétit spirituel.
Comme cet
instinct spirituel touche les facultés spirituelles dans l’ensemble, c’est que
le siège même de ces facultés en est la cause. C’est pourquoi on peut dire que
le désir de Dieu est un habitus entitatif (c’est-à-dire une orientation non
seulement liée à l’esprit mais à sa racine, l’âme) qui, lorsque la fin désirée
n’est pas unie d’une manière ou d’une autre, est source d’un inconscient
spirituel auquel Freud n’a pas pensé. Dès cette terre, ses effets se font
sentir chez les hommes qui ne vivent que dans le sensible. C’est ce qu’on
appelle l’angoisse.
Après la
mort, lorsque l’âme se trouve libérée du corps, l’instinct divin retrouve en
plénitude son exercice et pousse l’âme à s’orienter de toutes ses forces vers
Dieu. Or, chez les damnés, cet amour naturel, entitatif de l’âme est contrarié
par l’intention perverse de leur volonté qui les fait préférer l’amour
d’eux-mêmes. Et c’est cet amour désordonné de soi qui les plonge dans la
séparation d’avec Dieu. Il y a donc contradiction en eux entre le désir de leur
nature et celui de leur volonté. Cette contradiction est perpétuelle et très
profonde puisqu’elle s’oppose au désir le plus profond de la nature de leur
être et est malgré cela voulue et choisie dans une obstination lucide.
L’instinct divin, étant pour l’éternité séparé de son bien, se trouve en état
de perpétuelle insatisfaction. Ce désir de la nature qui trouve son origine
dans l’âme elle-même, est source d’un feu brûlant de l’âme, c’est-à-dire d’un
profond mal être spirituel. Il ne cesse jamais, de la même manière que la
souffrance provoquée par l’instinct de la nourriture chez les animaux ne cesse
pas tant que la nourriture n’est pas donnée.
Ce feu de
l’enfer, qui brûle l’essence même de l’âme puisqu’il trouve son origine dans un
appétit entitatif de l’homme, contredit par la chaleur intérieure qu’il
provoque, la volonté perverse du damné. Il a donc raison de peine et il est
autre chose que la séparation d’avec Dieu.[830]
Solution 1 :
La séparation d’avec Dieu étant voulue par l’âme des damnés à
cause de leur volonté perverse, elle est source en eux du feu de l’enfer de la
manière que nous avons dite. Ce n’est pas le cas chez les âmes des limbes car
chez elles la volonté est droite et se porterait, si elle le pouvait, vers la
béatitude surnaturelle. Chez elles, le désir de Dieu est réel mais il est
source d’espérance et non de cette rage désespérée de ceux qui, en enfer, s’obstinent
dans le péché mortel actuel.
Solution 2 :
Celui qui refuse le don de la Vision Béatifique ne le fait pas
parce qu’il préfère rester dans un bonheur naturel, comme celui que donne
l’amitié ou la contemplation naturelle. Bien au contraire ; de tels biens
naturels disposent l’âme à désirer la Vision de l’essence divine si elle est
proposée par Dieu. Celui qui se damne ne se sépare de Dieu qu’à cause d’une
intention mauvaise, qui est l’amour de soi poussé jusqu’au mépris des autres.
C’est donc une volonté perverse qui se condamne elle-même et mérite une peine
proportionnée à sa perversité.
Solution 3 :
Toute âme
séparée de la vision de Dieu souffre d’une manière entitative d’un feu car le
désir naturel qui la fait tendre vers le bonheur absolu ne peut être comblé que
par la possession de Dieu. Cependant, ce désir de l’âme n’est pas ressenti de
la même manière chez tous. Ici-bas, chez ceux qui ne connaissent pas Dieu, il
demeure dans l’inconscient. C’est ce que montre saint Augustin dans les
Confessions en disant qu’il s’est rendu compte qu’il aimait Dieu sans le
connaître au jour le où il l’a connu. Mais son effet est facilement repérable
pour le psychologue qui observe le comportement humain. Il se traduit en
général chez le pécheur par une fuite dans de multiples distractions ou
occupations de la vie active, une peur du silence, quelquefois même des
névroses et des psychoses. Il est aussi chez les jeunes et les personnes âgées
l’origine principale des angoisses, c’est-à-dire de ce sentiment de malaise
sans cause connue.
Après la
mort, cet instinct de l’âme se manifeste chez tous dans toute sa force puisque
le poids de la chair n’est plus là pour le cacher. Mais, s’il est chez tous
source de désir, il n’est pas source chez tous de souffrance. Tout dépend de la
proximité de Dieu. Chez l’âme glorifiée, unie à l’objet de ce désir, cet
habitus entitatif est source de la béatitude, c’est-à-dire du bonheur sans
autre désir. Chez les justes qui étaient retenus dans le "sein d’Abraham
», il s’épanouissait dans le feu de la charité et l’exultation de l’espérance
certaine, grâce à la présence de la grâce sanctifiante. Il était source de joie
car ils étaient certains du salut à venir. Chez les âmes du purgatoire,
aimantes de Dieu mais séparées pour un temps de toute sa présence, il est
source d’un désir extrêmement douloureux. Elles souffrent de ce feu à cause de
l’absence de Dieu et des saints qu’elles ressentent comme totale et de la
connaissance qu’elles ont de déplaire au Ciel à cause de leurs imperfections.
Mais le péché véniel actuel qui demeure en elles étant accompagné d’une
fervente charité pour Dieu, elles éprouvent simultanément de par ce feu une
grande joie et paix. Quant aux âmes de l’enfer, enfin, elles n’éprouvent de par
le désir naturel de leur âme qui continue de tendre vers Dieu, que de la
souffrance puisque ce désir s’oppose directement à l’orientation de tout leur
être qui cherche le bonheur dans un bien opposé à savoir le péché. Et plus le
péché actuel du damné est intense, c’est-à-dire opposé au désir naturel de son
âme faite pour Dieu, plus il en subit les conséquences. L’intensité de cette
souffrance est incomparablement plus grande que celle qui peut exister sur la
terre à cause de la condition nouvelle de l’âme qu’aucune distraction extérieure
ne peut venir troubler la conscience de sa contrariété interne.
Objection 1 :
Saint Augustin semble dire que c’est impossible. Les choses par
lesquelles sont affectées, en bien ou en mal, les âmes sorties du corps, ne
sont pas corporelles, mais ressemblent seulement à des choses corporelles.
Objection 2 :
L’être qui agit sur un autre lui est toujours supérieur. Or, aucun
être corporel ne peut être supérieur à l’âme séparée, donc agir sur elle.
Objection 3 :
Action et passion exigent une matière commune à l’agent et au
patient. Or il n’y en a pas pour l’âme séparée qui est esprit et un feu
corporel. C’est pourquoi il ne peut y avoir non plus de transformation
réciproque.
Objection 4 :
Si le feu corporel pouvait agir sur l’âme séparée, celle-ci en
recevrait donc quelque chose, qui serait donc spirituel comme elle-même, et
donc une perfection, au lieu d’une punition.
Objection 5 :
L’âme ne peut pas davantage être punie par le feu[832],
du fait qu’elle le voit comme semble le dire saint Grégoire car cette vision,
en l’absence de tout organe, ne peut être qu’intellectuelle, et donc agréable,
puisque, comme le dit Aristote, il n’y pas de tristesse contraire au plaisir de
la connaissance.
Objection 6 :
Un être corporel ne peut agir à distance qu’en agissant sur les
intermédiaires. Or, on ne voit pas comment le feu de l’enfer aurait une telle
puissance, ni surtout qu’il l’exerce de fait, sur les âmes et sur les démons
qui ne sont pas toujours dans l’enfer, et dont cependant la peine doit être
ininterrompue comme l’est aussi le bonheur des élus.[833]
Objection 7 :
Il semble que le feu de l’enfer qui tourmente l’âme des damnés
n’est pas un feu matériel. Saint Jean Damascène dit en effet : « Le diable et
les démons, et leur homme, c’est-à-dire l’Antéchrist, seront livrés avec les
impies et les pécheurs, au feu éternel, non pas matériel comme celui qui est
ici, parmi nous, mais tel que Dieu le connaît" Le feu de l’enfer ne sera
donc pas corporel.
Objection 8 :
Les âmes des damnés, séparées de leur chair, sont jetées au feu de
l’enfer. Mais saint Augustin dit[834]
: « Je pense que le lieu où l’âme est envoyée après la mort est spirituel, et
non corporel. » Donc le feu de l’enfer n’est pas un feu corporel.
Objection 9 :
Le feu
physique, dans sa manière d’agir brûle aussi bien les bons que les mauvais. Au
contraire, la peine du feu de l’enfer tourmentera les damnés en proportion de
leurs fautes. C’est pourquoi saint Grégoire dit[835]
: « il n’y a qu’un feu de la géhenne, mais il ne tourmente pas tous les
pécheurs de la même manière : chacun subira une peine proportionnée à sa faute.
» Le feu n’est donc pas physique.
Cependant :
Une décision de la Sacrée Pénitencerie (1890) interdit de donner
l’absolution à qui ne verrait dans le feu de l’enfer qu’une métaphore désignant
les peines intenses des damnés. Cette décision, de caractère disciplinaire, se
fonde sur l’enseignement commun des théologiens[836].
Conclusion :
Au sujet
de l’existence d’un feu physique dans l’enfer dès avant la résurrection de la
chair, il n’y a pas de définition solennelle de la part du Magistère de
l’Église, mais seulement l’opinion commune de la plupart des grands docteurs,
Pères de l’Église et théologiens. Dans l’Écriture Sainte, il est possible que,
malgré leur nombre, les textes parlant au sens littéral d’un feu matériel
signifient par mode de métaphore une souffrance lancinante. Mais, après la
résurrection de la chair, selon l’opinion la plus commune, on doit affirmer
ceci : il ne fait pas de doute, les damnés souffriront d’un feu de nature
physique car la perversité de leur âme rejaillira par ses effets jusque dans
leur psychisme et dans leur corps, comme nous l’étudierons ultérieurement[837].
Parlons
d’abord du feu de l’enfer avant cette résurrection finale. Il faut se demander
s’il est possible et comment il peut être possible qu’un feu corporel tourmente
l’âme incorporelle. Il existe deux sortes d’argumentations, selon la nature que
chacun attribue à l’âme.
1° Un premier groupe de théologiens, dont
saint Thomas d’Aquin à la suite d’Aristote, pense que l’âme séparée du corps
est un pur esprit, comparable aux anges. Son rapport à la matière se résume à
un désir, lié à la nature de l’âme faite pour être unie à son corps, du retour
des facultés du corps dont la sensibilité.
Cette première hypothèse étant posé, ces théologiens
se sont demandé comment une âme séparée pouvait souffrir d’un feu alors qu’elle
n’a plus de sensibilité. Une première opinion admet que l’âme peut souffrir en
réalité d’un feu corporel : « Nous pouvons conclure des récits
évangéliques, dit saint Grégoire, que l’âme souffre du feu non seulement
en le voyant mais en l’éprouvant. » Voici l’explication qu’on en donne. Le
feu corporel de l’enfer peut être considéré à un double point de vue : comme
une chose corporelle quelconque, et ainsi il est incapable d’agir sur l’âme ;
comme instrument de la justice divine qui exige, et c’est dans l’ordre, que
l’âme qui, par le péché, s’est faite l’esclave des choses corporelles pour
jouir, le soit aussi pour être punie. D’autre part, l’instrument agit non
seulement par sa vertu propre, mais encore par la vertu de celui qui l’emploie.
Il n’est donc pas déraisonnable d’admettre que ce feu vengeur, servant
d’instrument à un être spirituel, puisse agir sur des esprits comme l’âme et le
démon. C’est ainsi que s’explique la sanctification de l’âme par les
sacrements.
Cette
opinion prête à la critique. En effet, un instrument n’agit pas seulement par
la vertu que lui communique l’agent principal, mais encore par sa vertu propre
et naturelle ; bien plus, c’est l’usage de celle-ci qui permet à la première de
s’exercer : c’est parce que l’eau du baptême lave le corps qu’elle peut
sanctifier l’âme, c’est parce que la scie coupe le bois qu’elle peut bâtir une
maison. Il est donc nécessaire d’assigner au feu une action sur l’âme, qui soit
en rapport avec sa nature corporelle, pour qu’on puisse en faire l’instrument
de la justice divine sur l’âme pécheresse.
Une
seconde opinion affirme que le damné est condamné par Dieu à ne plus pouvoir
considérer par son intelligence que l’essence même du feu matériel, de telle
façon qu’elle ne puisse plus connaître rien d’autre. Ce ne peut être que de la
même manière qu’il le fait pour les purs esprits que sont les démons. Or nous
avons vu que les purs esprits sont dits être en rapport avec une réalité
matérielle quand leur intelligence connaît par un justement actuel cette
réalité ou quand ils y appliquent l’efficacité de leur action. Ainsi, le démon
est considéré comme présent dans le corps d’un homme quand il prend possession
par sa puissance des facultés de cet homme. Les anges ont par nature la
possibilité de porter leur jugement successivement sur diverses réalités ou
même d’y appliquer leur action. En ce sens on parle pour eux de mouvement
local. Mais cette liberté angélique par rapport au mouvement local peut être
entravée par une décision de la volonté divine : Dieu peut donc empêcher un pur
esprit de tourner son intelligence vers certaines réalités au point qu’il ne
puisse plus les connaître selon un jugement actuel. De même, il peut leur
interdire d’y porter leur action comme on le voit dans le livre de Tobie[838]
: « l’ange Raphaël poursuivit le démon, l’entraîna et le garrotta sur-le-champ.
»
Cette
opinion présente un avantage : elle permet d’expliquer par une raison plus
pratique l’origine de la peine : Les démons et les âmes, étant pris par
l’obsession de cette idée fixe du feu, comme dans une prison, n’ont plus la
liberté de connaître ce que font les hommes sur la terre et donc de leur nuire.
Cependant elle présente aussi de graves inconvénients : comme nous l’avons vu,
la damnation étant le fruit d’un acte totalement libre de la part de la
créature, il serait inconvenant que Dieu détruise totalement la liberté de
pensée dont il a respecté l’orientation, en obscurcissant ainsi son
intelligence. L’intelligence du damné et du démon doit pouvoir se porter sur
autre chose que sur la considération de la nature du feu, et peut-être tout
particulièrement sur les raisons de son choix qu’elle maintient obstinément.
C’est
pourquoi il existe une troisième opinion. Les damnés souffriraient du feu à
cause de l’obsession même de leur esprit centré sur la recherche d’eux-mêmes.
Ils passent leur temps à chercher leur bon plaisir sans jamais le trouver. Dans
leur aigreur, et leur repli sur la considération d’eux-mêmes, ils sont comme
enfermés dans un lieu (eux-mêmes) à l’exclusion des autres. En ce sens on peut
dire que l’enfer est une prison et qu’on y souffre un feu matériel car
localisé. C’est de cette manière que les démons de l’enfer peuvent être
torturés par une réalité en rapport avec le monde physique et le mouvement
local. Leur obsession égoïste entrave leur intelligence et leur puissance au
point qu’ils ne peuvent faire autre chose que de considérer actuellement les
réalités de l’enfer, à savoir l’état de leur propre nature rongée par les
conséquences de leur choix pervers et obstiné, et la compagnie des autres
damnés. Cela représente pour leur esprit une prison insupportable. Il est
naturel en effet sur cette terre à celui dont la conscience n’est pas en paix,
de fuir toute confrontation avec lui-même dans le silence. C’est la même raison
qui poussait les démons que Jésus exorcisait du corps d’un possédé à demander
de[839]
« ne pas les envoyer dans l’abîme » car ils estimaient que c’était
une peine terrible pour eux de ne plus pouvoir s’occuper et de devoir appliquer
passivement leur intelligence à rien d’autre qu’à la considération du feu
éternel en eux. Ils préféraient tout à cela, même être envoyés dans un troupeau
de porcs.
Cependant,
même considéré de cette manière, il faut admettre que cette prison de feu ne
peut agir sur l’âme que d’une manière adaptée aux purs esprits, c’est-à-dire
d’une manière spirituelle. On voit la difficulté extrême de conclure à une
peine sensible si l’âme des morts n’a plus de sensibilité.
2° Un second groupe de théologiens (saint
Augustin avant ses rétractations, ceux qui de nos jours s’intéressent à la
N.D.E) pense que les âmes, en se séparant du corps physique, conservent leur
corps psychique et les facultés sensitives qui vont avec. Dans cette hypothèse,
il est aisé de comprendre comment une souffrance sensible peut exister.
Plusieurs
explications ont été apportées. Selon l’opinion d’Avicenne, les âmes des
méchants, avant la résurrection, sont punies non dans leur corps, mais dans une
sorte d’image du feu produite par leur imaginaire. De même, dans les songes, à
cause des similitudes des choses, qui se trouvent dans l’imagination, il semble
à l’homme qu’il soit torturé par des peines diverses. Il semble que saint
Augustin admette aussi ce mode de punition, dans son commentaire de la
Genèse. Cet obscurcissement de leur intelligence et de leurs sens viendrait
d’une punition de Dieu. L’argumentation habituelle de ces théologiens consiste
à dire que « cette peine est nécessaire pour cause de justice car il
est normal que celui qui pèche par ses sens reçoive une peine sensible pour le
mal commis. Ainsi voit-on sur la terre que les juges appliquent aux coupables
des peines proportionnelles à leur crime. » De cette façon, ils tentent de
rétablir l’ordre de la société qui a été de quelque manière détruit et ils
donnent un exemple qui sert d’avertissement pour ceux qui seraient tentés de
commettre le même crime. Il leur semblait en être ainsi de la part de Dieu pour
les peines en enfer.
Une telle
argumentation, appuyée sur l’application par Dieu d’une stricte justice pénale
envers les damnés ne peut que susciter les plus vives réserves pour trois
raisons[840] :
-- Il
n’est nul besoin d’ajouter pour l’exemplarité de la peine l’existence d’un
autre feu que le feu spirituel décrit à l’article précédent, ce feu spirituel
étant la souffrance la plus grande qui puisse exister.
-- Dieu
n’agit jamais par raison de stricte justice. S’il l’avait fait, nous serions
tous damnés éternellement sans espoir de salut, à cause en tout premier lieu,
du choix libre de nos premiers parents, Adam et Ève, lorsqu’ils se séparèrent
de Dieu en leur nom et en notre nom. De plus, on voit mal comment un damné dont
la liberté et la maîtrise sont totales et respectées par Dieu, pourrait être
puni par un phantasme incontrôlable de son imagination.
--
L’exemplarité n’existe plus dans l’autre monde puisque le choix de chacun est
déterminé par la seule liberté, jamais par la peur.
Tout cela
ne paraît pas convenir. C’est pourquoi, pour être concluant, il semble qu’on
doive parler autrement. Il existe réellement en enfer, dès avant la
résurrection de la chair, un feu sensible. Mais il n’est pas besoin de voir en
lui un quelconque ajout de la justice de Dieu. Il est la conséquence normale, à
l’intérieur de la vie psychique, de la contradiction spirituelle entre le péché
contre l’Esprit et le désir naturel de Dieu. Le feu spirituel de l’angoisse
laisse l’âme déchirée et étrangère à ce pourquoi elle est faite. Les passions
ne font que suivre en se développant anarchiquement. Elles cherchent leur bien
propre (plaisirs, honneurs et possessions). Elles ne le trouvent jamais. Elles
se révoltent de toutes les manières possibles. L’enfer tel que l’a décrit Dante
peut donner une idée qui n’est pas seulement métaphorique du déchaînement[841]
d’une sensibilité privée de sa fin. L’âme se trouve alors prisonnière de la
propre prison qu’elle s’est créée.
Dieu
n’ajoute aux damnés aucune autre peine que celles qui découlent, par voie de
conséquence naturelle de leur péché. Il ne met qu’une seule limite à leur
liberté. Il les empêche de venir nuire ou effrayer en toute liberté les hommes
qui sont encore sure terre. Mais cette décision ne vise pas à punir les damnés.
Loin d’être l’application d’une stricte justice pénale, cette limite de leur
liberté est rendue nécessaire au bien des hommes vivants sur la terre, afin que
la présence négative des esprits de l’enfer ne viennent pas trop troubler la
paix des vivants. Et s’il arrive que quelques démons ou quelques âmes de
l’enfer peuvent être laissés par Dieu sur la terre, c’est parce qu’il peut en
sortir un bien supérieur pour l’homme qui résiste héroïquement à la tentation
suscitée par eux.
Solution 1 :
Saint
Augustin veut dire que la cause prochaine de douleur ou d’affliction pour l’âme
est spirituelle : elle souffre par la connaissance qu’elle a d’être emprisonnée
sur elle-même, sur la perpétuelle considération de son âme révoltée contre Dieu
et pourtant faite pour Dieu. Cette prison étant un lieu de souffrance, on peut
l’appeler par métaphore un feu matériel. Cette souffrance spirituelle se
répercutant dans la sensibilité qui lui est liée, à travers toutes sortes de
passions excessives et négatives, on peut la qualifier au sens plus propre un
feu sensible, même avant la résurrection de la chair. Après cette résurrection,
par somatisation, l’absence voulue de Dieu et de l’amour ira jusqu’à provoquer
des souffrances physiques et des déformations de la chair.
Solution 2, 3, 4 :
La matérialité du feu de l’enfer est à prendre dans le sens que
nous avons dit, à savoir comme une souffrance sensible découlant naturellement
de la souffrance de l’âme[842].
Elle est aussi un lieu qui emprisonne l’esprit puisque le damné est obsédé par
la considération de lui-même. En dernier lieu, après la résurrection de la
chair, il se peut que les damnés, pour éviter toute rencontre fortuite avec les
saints qu'ils haïssent, se terrent au plus profond des lieux déserts.
Solution 5 :
La vision intellectuelle ne comporte aucune souffrance du fait que
quelque chose est vu : car, à ce point de vue précis, il ne peut y avoir de
contrariété entre l’objet et la faculté. Dans la vision sensible, il peut y
avoir une contrariété indirectement : il arrive que l’objet, par l’action qu’il
exerce pour être vu, blesse l’organe visuel. Cependant la vision intellectuelle
elle-même peut être une cause de souffrance, si ce que l’on voit est appréhende
comme un mal, non pas par le seul fait d’être vu, mais pour tout autre motif.
C’est ainsi que la vision de soi-même en feu fait souffrir l’âme.
Solution 6 :
Les esprits condamnés à l’enfer n’en sortent jamais sans que Dieu
le permette pour instruire ou exercer les élus. Où qu’ils soient, ils voient
toujours le feu de l’enfer puisqu’ils le portent en eux, de même que des
prisonniers, même hors de leur prison, souffrent en quelque sorte de la prison
à laquelle ils sont condamnés. Cependant la peine des damnés en est alors
diminuée car en exerçant des activités extérieures à eux-mêmes, ils se peuvent
distraire momentanément d’eux-mêmes.
Solution 7 :
Cette
parole de saint Jean Damascène signifie que la peine du feu, pour les damnés et
les démons, est avant tout une souffrance spirituelle, puisqu’elle trouve son
origine essentiellement dans la tristesse qu’ils ont d’être séparés de leur
fin, dont ils possèdent le désir naturel. C’est ce que nous avons montré dans
l’article précédent. C’est la peine du dam.
Mais il existe, dès avant la résurrection des corps, une peine du
sens qui correspond au fait qu’elles se sont tournées vers les créatures d’une
manière défendue. L’âme est donc tourmentée par un emprisonnement, de même
qu’elle a péché en se tournant indûment vers l’exaltation d’une liberté
orgueilleuse. Mais dans les deux cas, lorsque l’on parle de peine du feu, on
doit l’entendre ainsi : Il brûlera en contraignant la volonté du pécheur par
l’esclavage dans lequel il se plonge lui-même. Ainsi, quand l’Écriture dit à
propos des damnés qu’ils brûleront dans le feu, qu’ils seront affligés par des
pesanteurs etc., elle entend (au moins avant la résurrection du corps) des
souffrances spirituelles et sensibles, c’est-à-dire diverses contrariétés pour
volonté orgueilleuses du pécheur et pour ses passions.
Solution 8 :
Comme nous l’avons dit, l’enfer est d’abord un état d’âme : celui
d’une volonté suffisamment perverse pour rejeter tout autre amour que celui
d’elle-même. Mais, en un second sens, il est aussi un lieu où les damnés et les
démons sont emprisonnés, en ce sens que leur intelligence et leur capacité
d’action ne peut se porter vers autre chose que les réalités contenues dans ce
lieu.
Solution 9 :
Avant la
résurrection des corps, le feu matériel de l’enfer agira à la manière d’une
prison dans lequel l’âme des damnés sera enfermée. Il sera donc d’autant plus
source de contrariété pour la volonté que celle-ci aura un plus grand orgueil.
Car plus un homme a le sens de sa propre suffisance, moins il supporte
facilement les contrariétés qui s’opposent à sa liberté. Donc ceux qui auront
davantage péché souffriront davantage du feu de l’enfer.
Objection 1 :
Les damnés ne peuvent éprouver de remords pour leurs actes sans
quoi ils seraient amenés à s’en repentir. Celui qui en effet regrette un mal
accompli est disposé à en demander pardon à Dieu. Or on a vu que cela était
exclu chez les damnés. Donc le remords n’existe pas.
Objection 2 :
C’est librement que les damnés ont choisi de se séparer de Dieu.
Ils l’ont fait lucidement à cause de l’amour d’eux-mêmes. Ils n’en éprouvent
donc aucun remords, à la manière de ceux qui sur terre peuvent pécher sans en
éprouver aucun regret.
Objection 3 :
Si le ver
rongeur du remords existe, on voit mal comment on peut le distinguer de la
peine du feu qui est, comme lui, une peine spirituelle.
Cependant :
L’Écriture
l’affirme[843]
: « Dans la géhenne, leur ver ne meurt point. »
Conclusion :
La
métaphore du ver rongeur signifie un état de l’âme semblable à celui d’un fruit
qui serait rongé de l’intérieur par un ver. Il est bien évident que le ver des
damnés ne doit pas être considéré comme corporel, même après la résurrection
des corps puisque le corps sera alors incorruptible. Il s’agit plutôt du
remords de la conscience qui ronge intérieurement les damnés.
Pour
comprendre comment, il faut considérer ce qui suit : l’intelligence humaine
possède par nature une orientation qui lui fait discerner ce qui est bien et ce
qui est mal. Il s’agit d’un habitus qui invite au bien la volonté et proteste
contre le mal lorsque l’homme se met, à l’aide des premiers principes
pratiques, à la recherche de ce qu’il faut faire. Cet habitus naturel est
appelé par les philosophes la syndérèse. Tant que l’homme est sur la
terre, la syndérèse peut être en partie étouffée par les habitudes vicieuses.
C’est ainsi que les méchants peuvent arriver à faire le mal sans que la voix de
leur conscience se fasse trop entendre. Cependant, la syndérèse est toujours
présente sous forme d’un habitus dont le siège est l’intelligence et dont l’effet
porte sur la volonté. Elle proteste contre le péché. Son action, lorsqu’elle
est refoulée par le vice, peut alors s’exercer dans le sommeil par des songes
comme le rapporte le livre de la sagesse[844]
: « Alors que les méchants pensaient demeurer cachés avec leurs péchés secrets,
sous le sombre voile de l’oubli, ils furent effrayés par de terribles frayeurs,
épouvantés par des fantômes, car le réduit qui les abritait ne les préservait
pas de la peur ; des bruits effrayants retentissaient autours d’eux et des
spectres lugubres, au visage morne, leur apparaissaient. » Les cauchemars
des impies sont un effet de leur conscience morale naturelle, c’est-à-dire de
la syndérèse qu’ils ne peuvent jamais complètement détruire en eux. C’est
pourquoi les méchants ne trouvent jamais la paix dans leur cœur et sont sans
cesse rongés par le ver du remords.
Cette
souffrance est ce que l’Écriture appelle le ver. Après la mort, lorsque l’âme
est séparée du corps, la syndérèse retrouve son exercice parfait puisqu’elle
n’est plus empêchée par une occupation extérieure. Elle peut donc se manifester
en plénitude par la tristesse du remords lorsque la volonté d’un homme
s’oriente dans une autre direction que celle du bien. Une telle perversion de
la volonté est ce qui caractérise l’état des damnés puisqu’ils sont
perpétuellement en état de péché mortel. Nous avons montré d’autre part que
leur péché mortel est parfait au point de constituer un blasphème contre le
Saint Esprit puisqu’il implique une parfaite lucidité et maîtrise de soi. Il
est donc évident que les damnés sont rongés par le ver du remords,
perpétuellement, selon la mesure de leur perversité.
Solution 1 :
Le remords des damnés est une protestation naturelle de leur
conscience profonde. Si les damnés le pouvaient, ils s’efforceraient de faire
disparaître ce ver rongeur comme on le voit chez les méchants de la terre qui
chassent les cauchemars du remords en les noyant dans les activités extérieures
et en fuyant la solitude. Bien loin de conduire les damnés au repentir, le
remords qui les oppresse les pousse à blasphémer davantage Dieu qui en est la
cause première. Mais leur volonté perverse préfère souffrir ainsi plutôt que de
renier son choix orgueilleux.
Solution 2 :
Il est
vrai que les damnés se sont séparés de Dieu en toute conscience. Mais c’est
justement cette parfaite conscience qui démultiplie en eux la protestation de
l’instinct naturel de leur conscience. Au moment du jugement dernier, la
volonté perverse des damnés est allée jusqu’à rejeter le pardon proposé par Dieu
au travers de l’apparition de l’humanité Sainte de Jésus. Selon la Bible, les
damnés ont vu « celui qu’ils transperçaient »[845],
ce qui signifie qu’ils se sont séparés de Dieu en sachant qu’en le faisant, ils
crucifiaient à nouveau Jésus d’une manière mystérieuse.
Le souvenir du regard de Jésus crucifié, croisé au moment du
jugement, ne peut jamais quitter l’intelligence des damnés et reste constamment
à leur mémoire. Ce souvenir démultiplie donc en eux la conscience d’avoir mal
agi et le ver rongeur du remords. Mais loin de les conduire au repentir de leur
faute, il conduit au blasphème car leur seul regret est celui de devoir
souffrir. Car le repentir est la souffrance d’avoir blessé une personne aimée.
Leur remords est la souffrance de ne pas avoir réussi leur projet de béatitude
sans repentir et amour.
Solution 3 :
Le feu de
l’enfer a son siège dans l’essence même de l’âme qui, étant faite naturellement
pour l’union à Dieu, reste éternellement insatisfaite. Le ver rongeur a son
siège dans la puissance intellectuelle, mais son effet dans la volonté qui,
étant naturellement portée au bien, souffre de l’orientation perverse choisie.
Objection 1 :
Cela est impossible, au moins avant la résurrection des corps
puisque les damnés sont séparés de leur chair. Ils sont donc incapables de
pleurer ou de grincer des dents.
Objection 2 :
Celui qui
pleure peut le faire pour plusieurs causes : un amour contrarié, le regret
d’une faute, par exemple. Mais les larmes sont toujours un signe de faiblesse.
Donc si les âmes de l’enfer pleurent, c’est qu’elles ne sont pas parfaitement
déterminées dans leur péché. Ce n’est pas le cas en enfer. Donc il n’y a pas de
place pour les pleurs.
Cependant :
Jésus
affirme sept fois dans les évangiles à propos de l’enfer[846]
: « là seront les pleurs et les grincements de dents. » Cela semble donc être
une vérité irrévocable.
Conclusion :
Lorsqu’il
s’agit de réalités spirituelles, l’Écriture a l’habitude de s’exprimer par mode
de métaphore. Ainsi, elle rend plus accessible aux hommes des réalités qui par
nature les dépassent. C’est ainsi que "le bras de Dieu" ne signifie
pas que Dieu ait un bras comme nous mais qu’il a la puissance d’agir dans le
monde. Il en est de même pour les pleurs ou les grincements de dents. Ils
expriment avant tout sous un mode sensible un état permanent de l’esprit et du
psychisme des damnés, même si, après la résurrection des corps, ils prendront
une vérité propre puisque les pensées et la sensibilité des passions se
répercuteront jusque dans les actes extérieurs du corps.
Auparavant,
on peut dire que les damnés pleurent et grincent des dents d’une manière
passionnelle. Par les pleurs, l’Écriture veut exprimer la souffrance extrême
provoquée par le feu de l’enfer et par le remords car c’est par les pleurs que
s’exprime habituellement la souffrance. Par les grincements de dents, elle veut
exprimer l’état permanent de révolte et de rancœur contre tout ce qui s’oppose
à leur volonté perverse. Ils se révoltent en particulier contre la peine du
lieu matériel de l’enfer qui, en les empêchant de nuire aux vivants, les
empêche d’agir à leur guise dans le monde. Ils se révoltent aussi contre les
volontés de Dieu qu’ils savent être cause première de leur emprisonnement.
Solution 1 :
Cela répond à la première objection.
Solution 2 :
Les âmes
de l’enfer sont, quant à leur volonté, irrémédiablement décidées à se maintenir
dans le péché, au point qu’elles seraient prêtes à retourner au néant plutôt
qu’à s’humilier par la pénitence. Par contre, elles sont en état de faiblesse
quant à leur esprit qui est rongé de remords et quant à leur liberté d’action
qui est entravée par leur emprisonnement dans l’enfer. Sous ce rapport, elles
peuvent donc pleurer. Mais ces pleurs ne méritent pas par rapport à Dieu. Ils
sont des pleurs de rage et non de contrition.
Objection 1 :
Les damnés voient leur châtiment et cela augmente leur peine. Leur
intelligence est donc éclairée par quelque lumière divine. Elle n’est donc pas
dans les ténèbres.
Objection 2 :
Les damnés voient le bonheur des élus, selon le témoignage de
l’Écriture[847]
: « Le riche vit Abraham et Lazare en son sein. » Donc ils ne sont pas plongés
dans les ténèbres extérieures au monde des bienheureux.
Objection 3 :
Le livre
de Job raconte que[848]
« le démon assiste au conseil divin, en présence des bons anges. » Or le
démon est en enfer. S’il peut pénétrer en présence de Dieu, c’est qu’il n’est
pas dans les ténèbres extérieures. Il doit donc en être de même pour les âmes
des hommes.
Cependant :
Saint
Matthieu dit[849]
: « après lui avoir lié les mains et les pieds, jetez les dans les ténèbres
extérieures. »
Conclusion :
Comme tout
ce que dit l’Écriture à propos de l’enfer, les ténèbres extérieures signifient
avant tout une peine spirituelle, même si elles prennent, après la résurrection
de la chair, une signification corporelle.
Ainsi la
lumière et les ténèbres se rapportent à un bien de l’intelligence, à savoir à
la connaissance qui est une lumière pour le jugement. On doit donc dire que les
damnés, après leur jugement, connaîtront certaines choses et en ignoreront
d’autres.
Ils connaîtront tout ce qui est nécessaire à la
justice de leur sentence éternelle. Ainsi, un condamné doit savoir pourquoi il
est condamné et à quelle peine il est condamné. Une telle science, les damnés
la reçoivent avant même le jugement dernier, comme nous l’avons montré et ils
la reçoivent en plénitude par apparition de l’humanité Sainte du Christ. Ils
savent donc et n’oublient jamais que Dieu existe, qu’il propose aux humbles la
vision de son essence, qu’il réprouve les orgueilleux et les punit avec les
peines éternelles de l’enfer. Ils expérimentent d’ailleurs ces peines dans leur
âme à chaque instant. Sous ce rapport, les damnés ne sont pas dans les
ténèbres.
Cependant,
après avoir été plongés dans la séparation d’avec Dieu, les damnés ne peuvent
plus rien connaître du monde extérieur à l’enfer, sauf si une disposition
particulière de la miséricorde ou de la justice divine en décide provisoirement
autrement. Même dans ce cas, on peut dire qu’ils sont dans les ténèbres
extérieures puisque, s’ils voient le bonheur des élus, ils sont incapables d’en
connaître la cause qui est Dieu. Cette vision est plutôt source pour eux d’un
surcroît de souffrance à cause de l’envie qui les dévore. C’est pourquoi elle
n’est donnée à tous sans exception qu’une fois, lors du jugement général qui
manifestera aux yeux de l’univers entier les secrets les plus cachés, le bien
et le mal du cœur de chacun. C’est donc par miséricorde que Dieu sépare les
damnés de la vision du festin éternel des élus, pour ne pas multiplier
inutilement les pleurs et les grincements de dents.
Solution 1 :
La vision de leur châtiment est une lumière nécessaire à la
justice. Mais les damnés sont dans les ténèbres par rapport à tout ce qui est
extérieur à l’enfer, c’est-à-dire par rapport au monde terrestre et au paradis.
Il est même improbable qu’ils puissent voir les âmes du purgatoire, bien
qu’elles soient séparées de Dieu. S’ils les voient, c’est de toute façon sans
comprendre ce qu’elles sont car la charité brûlante de ces âmes leur échappe.
Solution 2 :
Les damnés, avant le jour du jugement, verront parfois les
bienheureux dans la gloire mais non de telle sorte qu’ils comprennent quelle
est leur gloire mais en sachant qu’ils sont dans une gloire inestimable. Cela
les trouble soit à cause de leur envie qui les fera souffrir de voir leur
félicité, soit parce qu’ils auront conscience d’avoir perdu eux-mêmes cette
gloire. C’est pourquoi la sagesse dit[850]
: « À ce spectacle, ils seront troublés par une crainte horrible. » Mais, après
le jour du jugement, les damnés seront complètement privés de la vue des
bienheureux. Cela ne diminuera pas leur envie, car ils garderont le souvenir de
la gloire des bienheureux, qu’ils auront aperçue au jugement général ou parfois
avant le jugement. Plus tard, ils souffriront de voir qu’ils sont considérés
comme indignes même de voir la gloire méritée par les saints.
Solution 3 :
Tant qu’il
reste des hommes sur la terre, certains démons reçoivent de Dieu la permission
de sortir de l’enfer. La raison en est que, malgré leur désir de nuire aux
hommes, ils peuvent involontairement leur être utiles, car l’homme qui,
résistant ou chutant dans à la tentation, en développe de l’humilité et de
l’amour, s’approche de Dieu.
Cependant, même si les démons voient ce qui se passe sur la terre
et entrent en contact avec les élus, ils peuvent être considérés comme plongés
dans les ténèbres extérieures puisqu’ils ne participent en aucune manière à la
joie du paradis. Ils éprouvent au contraire de la colère et de l’envie à la
vision d’un tel bonheur qui leur est étranger. Après la fin du monde, Lucifer
lui-même sera définitivement séparé des élus puisqu’il n’y aura plus d’utilité
à son action. C’est pourquoi l’Apocalypse écrit[851]
: « Le diable, leur séducteur, fut jeté dans l’étang de feu et de souffre. » Il
sera donc définitivement dans l’ignorance de ce qui se passe au paradis. Il
sera dans les ténèbres extérieures.
Objection 1 :
Il semble que toutes les peines de l’enfer peuvent se ramener à
celle du feu qui est la plus terrible. Les autres noms ne sont que des manières
différentes pour définir l’effet nuisible de cette unique peine.
Objection 2 :
Dans l’âme
des pécheurs, il peut s’établir une complexité morale indéfinie car celui qui
s’éloigne de Dieu devient complexe. Il est donc plus simple de classer les
peines de l’enfer sous quelques symboles marquant comme le feu, le ver rongeur,
les ténèbres ; Inutile de chercher à aller plus loin.
Cependant :
L’Écriture
parle du « soufre, du sel, de la terre brûlée »[852]
« des torrents qui se changent en poix ».[853]
Bien d’autres noms peuvent être appliqués à l’enfer. Donc il existe en enfer
d’autres peines.
Conclusion :
Comme nous
l’avons montré, toutes les peines de l’enfer, aussi bien avant la résurrection
des corps qu’après, découlent en droite ligne du blasphème contre l’Esprit
Saint qui amène le pécheur à rompre avec Dieu. Elles peuvent toutes se
comprendre par analogie à la mort pour le corps : quand le principe vital,
l’âme, est atteint, la corruption s’installe dans les autres parties du corps.
De même pour les damnés, la charité étant détruite par le péché, laisse place à
de multiples corruptions. C’est pourquoi la Bible appelle la damnation "la
seconde mort".[854]
Les
souffrances et les peines des damnés peuvent être classées en trois ordres :
celles qui ont rapport avec Dieu, celles qui ont rapport avec soi-même, celles
qui ont rapport avec le prochain et avec l’univers entier.
1° En ce qui concerne Dieu, qui est le
principe de toute béatitude dans l’au-delà, la corruption qui trouve sa racine
dans l’amour désordonné de soi à comme première conséquence la séparation
définitive d’avec lui. De cette séparation naît immédiatement la peine du feu
spirituel qui est la souffrance naturelle d’une âme coupée de ce pourquoi elle
est faite ; En Dieu, il ne faut pas seulement considérer l’essence de son être
mais aussi les volontés qui émanent de lui. Par rapport à ces volontés qui
consistent essentiellement en une exigence de charité, d’humilité de pureté,
l’âme répond par la révolte qui est symbolisée par les grincements des dents ;
c’est de Dieu que l’âme reçoit certaines peines comme celle du feu matériel qui
l’emprisonne comme dans un abîme : à cela, l’âme répond par la douleur
symbolisée par les larmes ; par la haine de Dieu, la rancœur qui peuvent
correspondre au soufre car la haine ronge le cœur à la manière du soufre sur la
peau ; Par la colère puisque l’âme a l’impression d’être opprimée dans sa
liberté et cela peut correspondre au souffre de la tempête ; Par le regret de
souffrir et même de vivre qui peut être représente par les eaux glaciales ; et
par bien d’autres pensées négatives qui se nouent au fur et à mesure
2° Par rapport à elle-même, on peut classer
les peines de l’enfer selon qu’elles nuisent à leur essence, à l’intelligence,
à la volonté ou à la capacité d’action. Par rapport à son essence, l’âme subit
en conséquence de son péché la peine d’un feu intérieur tel que nous
l’avons décrit précédemment. Dans son intelligence, elle s’emprisonne elle-même
dans la considération d’elle-même. Cette pensée, sans cesse présente à son
jugement l’empêche de se porter librement vers les considérations de son choix.
Dans sa volonté, elle subit les atteintes d’un remords qui ne cesse pas. Quant
à sa capacité d’action, elle est entravée par le vue de son malheur qui se comporte
à son égard à la manière d’une prison. À ces peines principales s’ajoutent
d’autres qui, telles les métastases d’un cancer, s’étendent dans toutes les
activités des damnés. Ainsi, l’âme éprouve de la haine vis-à-vis d’elle-même
puisqu’elle sait profondément être la cause première de son malheur Une telle
haine peut être là encore symbolisée par le soufre ; la conséquence de cette
haine est que l’âme fuit la confrontation avec elle-même et le silence car son
cœur lui apparaît comme un désert sans eau ; elle se fuit en se plongeant dans
l’agitation extérieure à la manière du vent de la tempête ou du vol des
sauterelles n’ayant plus de finalité en dehors d’elle-même à cause du désespoir
qui est comparable aux ténèbres l’âme erre sans but Elle est donc dans la
solitude d’un Ciel sans étoiles
De même
que tous les maux spirituels liés au repli sur soi peuvent exister en elle, ils
prolongent leur corruption jusque dans la sensibilité par les sentiments
négatifs d’angoisse, de tristesse, de haine, d’envie, de désespoir, de crainte.
Après la résurrection, ces souffrances s’étendront jusque dans le corps qui en
sera déformé et appesanti.
3° Par rapport au prochain, toute présence
sera à l’âme un poids, selon cette parole d’un philosophe[855]
"l’enfer, c’est l’autre. » La vision des élus provoquera l’envie par
rapport à leur bonheur. Et cette envie est comparable à la lèpre ; la colère
par rapport au propre malheur du damné comparable à la tempête. La vision des
autres damnés chez qui n’existe que l’égoïsme sera source d’amertume pesante
car au aucune joie ne peut sortir de la complicité dans le malheur.
En résumé,
on peut dire, selon saint Basile qu’à la purification finale du monde se
produira une séparation des éléments : tout ce qui est pur et noble demeurera
en haut, pour la gloire des bienheureux, mais tout ce qui est vil et corrompu
sera précipité en enfer pour la peine des damnés : ainsi toute créature sera,
pour les bienheureux, matière à jouissance, et pour les damnés augmentation de
tourments, selon la Sagesse[856]
: « l’univers combattra avec lui les insensés. » Cela se réalisera dès avant la
résurrection pour les maux de l’âme et, après la résurrection pour ceux du
corps.
Saint
François de Sales écrira que[857]
"Les peines sont toutefois moindres de beaucoup que les coulpes et crimes
pour lesquels elles sont infligées. »
Solution 1 :
Parmi les peines, la peine du feu est la plus fondamentale
puisqu’elle trouve son origine immédiate dans la séparation d’avec Dieu.
Cependant, on doit admettre d’autres peines surajoutées à ce désir naturel du
bonheur comme celle qui est symbolisée sous le froid glacial et qui peut
signifier le désir de disparaître dans le néant à cause du désespoir.
Solution 2 :
Il est
vrai que le péché provoque la complexité de l’âme puisqu’il la disperse dans la
recherche insatiable d’un bonheur qui n’existe qu’en Dieu. Cependant, on peut
établir quelques unes des caractéristiques de cette complexité qui a sa source
dans l’unique amour de soi, qui se concrétise à travers les six espèces du
péché contre l’Esprit Saint et qui s’achève dans la multiplicité des états
d’âme morbide par rapport à Dieu, à soi-même et au prochain.
Objection 1 :
Il semble que non. Saint Paul dit : « Alors, le Christ expulsera
toute principauté, les puissance et vertu. » Il n’y aura donc plus de
détenteurs d’autorité. Mais, exécuter la sentence du juge dénote une certaine
autorité ; les démons, après le jour du jugement, ne seront donc plus les exécuteurs
de la sentence du juge.
Objection 2 :
Les démons ont péché plus gravement que les hommes. Il n’est pas
juste que ceux-ci soient tourmentés par eux.
Objection 3 :
Comme les
démons ont poussé les hommes au mal, les anges les ont portés au bien. Récompenser
les bons n’est pas la charge des bons anges : Dieu le fera sans intermédiaire.
Punir les méchants ne sera donc pas non plus la charge des démons.
Cependant :
Les
pécheurs se sont soumis au démon en péchant. Il est juste qu’ils lui soient
soumis dans leurs châtiments, afin d’être punis par lui.
Conclusion :
Le Maître
des Sentences signale à ce sujet deux opinions : l’une et l’autre semblent
compatibles avec la justice divine. La première part de ce fait que quand
l’homme pèche, il se soumet justement au démon ; En conséquence, il serait
juste qu’ils lui soient soumis dans leurs châtiments, afin d’être punis par
lui. Selon cette opinion, on s’attache plutôt à respecter la justice divine au
point de vue des hommes qui doivent être punis.
La seconde
opinion argumente en sens contraire en disant que cette domination du démon est
une chose en soi injuste. L’ordre de la justice divine qui demande la punition
des démons, légitimerait cette opinion qui exclut que les démons, après le jour
du jugement, dominent encore les hommes en leur appliquant leurs peines.
Impossible
pour nous de discerner la plus vraie de ces opinions. J’estime cependant plus
vraisemblable que, en enfer, les démons envers les hommes comme les hommes
envers les démons seront sources de châtiment réciproque. Il s’agira d’un monde
peuplé d’égoïstes orgueilleux. Leur rencontre ne sera source que de peine
supplémentaire, aucune bonne volonté n’étant à attendre de personne. Mais les
démos étant d’une nature supérieure, l’influence néfaste qu’ils exerceront sera
plus tyrannique. De même qu’un certain ordre sera gardé à l’égard des élus, en
ce sens que certains seront illuminés et perfectionnés par d’autres selon
l’ordre de la charité, de même en enfer, l’ordre des hiérarchies célestes
demeurera perpétuellement. De la sorte, de même que la Vierge Marie transmettra
aux bons anges et aux hommes des illuminations divines, ainsi les démons
transmettront aux hommes damnés les effets de l’écrasante domination de leur
intelligence. Cela ne réduit en rien la peine des démons, car en tourmentant
les autres, ils sont tourmentés eux-mêmes : la société de ces malheureux ne
diminue pas leurs malheurs, elle l’augmente.
Solution 1 :
La supériorité que le Christ
supprimera est celle de ce monde : ici-bas, des hommes sont supérieurs à
d’autres hommes, et les anges aux hommes, et des anges à d’autres anges, et les
anges aux démons, et certains démons à d’autres, et des démons aux hommes et
cela sert à conduire ces derniers à leur destin ou à les en détourner. Tout cela
est la plupart du temps hiérarchisé selon l’ordre du Prince de ce monde, Satan,
c’est-à-dire à l’inverse de celui que confère l’humilité (kénose) ou l’amour.
Quand toutes choses seront parvenues à leur fin, il n’y aura plus de
supériorité pour éloigner de la fin ou pour y conduire mais seulement pour
conserver dans la fin, bonne ou mauvaise.
Solution 2 :
Bien que le mérite des démons ne
requière pas qu’ils dominent les hommes, parce que c’est injustement qu’ils se
les sont soumis, cela est demandé par le rapport entre leur nature et celle des
hommes. Denys dit : « Les biens naturels demeurent intègres chez eux. »
Solution 3 :
Il y a une différence entre la
hiérarchie de l’enfer qui est fondée sur l’ordre naturel de l’intelligence et
celle du paradis qui est fondée sur le désir de l’amour. Au paradis, le mérite
fait monter, tandis qu’en enfer, le péché accable. C’est pourquoi, bien que la
nature de l’ange soit plus élevée que celle de l’homme, certains hommes, à
cause de l’excellence de leurs mérites, sont tellement élevés par Dieu qu’ils
dépassent l’élévation de la nature et de la récompense méritée par des anges :
dès lors, il y aura des anges qui seront illuminés par des hommes. Mais aucun
pécheur ne parviendra, à cause de son degré de malice, à cette élévation qui
est due aux démons en vertu de leur nature.
Les plus
grands saints du Royaume de Dieu ne sont pas la cause efficiente de la
récompense principale des élus ceux-ci la reçoivent directement de Dieu. Mais
ils sont la cause de certaines récompenses accidentelles, en tant que ceux que
l’humilité (kénose) et la charité ont rendus proches de Dieu, illuminent les
autres au sujet de certains secrets divins, qui n’appartiennent pas à la
substance de la béatitude. De même, la peine principale du damné lui viendra
directement de l’absence de Dieu. C’est l’exclusion perpétuelle de la vision de
Dieu. Mais il n’y a pas d’inconvénient à ce que d’autres peines sensibles, lui
soient infligées par les démons.
Nous
sommes amenés à étudier maintenant ce qui concerne l’affectivité et
l’intelligence des damnés. Onze questions se posent :
1° Les damnés se plongent-ils eux-mêmes en
enfer ?
2° Y a-t-il des hommes en enfer ?
3° Tout vouloir des damnés est-il mauvais ?
4° Les damnés se repentent-ils parfois des
fautes commises ?
5° Les damnés préfèreraient-ils ne plus
exister ?
6° Les damnés voudraient-ils la damnation
des autres ?
7° Les impies ont-ils de la haine pour Dieu
?
8° Les damnés peuvent-ils démériter ?
9° Les damnés peuvent-ils se servir de la
science acquise ici-bas ?
10° Les damnés pensent-ils parfois à Dieu ?
11° Les damnés voient-ils la gloire des
bienheureux ?
Objection 1 :
Il semble que non : l’enfer est une peine puisque c’est une prison
où il n’y a ni joie ni paix. Nul ne peut vouloir ce qui est un mal. Donc les
damnés ne veulent pas aller en enfer.
Objection 2 :
L’enfer
est la séparation d’avec Dieu. Mais Dieu est un bien. Il est même le Bien Absolu
puisqu’il n’y a en lui aucun mélange avec le mal. Nul ne peut donc vouloir la
séparation d’avec Dieu qui est l’enfer.
Cependant :
C’est
l’homme seul qui est cause de son péché et non Dieu qui ne veut absolument pas
du péché. C’est donc l’homme qui est cause première de sa damnation.
Conclusion :
Comme nous
l’avons dit, une chose peut être voulue de deux manières :
1° Directement et par soi ; 2°
indirectement et à cause d’autre chose. Nul ne peut vouloir un mal en tant
qu’il est un mal car la volonté ne se porte que vers ce qui a raison de bien.
Par contre, quelqu’un peut vouloir un certain mal à cause d’un bien plus grand
qui y est attaché. Ainsi, Dieu veut pour l’homme qui est sur la terre les
peines comme la souffrance et la mort, non directement mais à cause du bien de
l’humilité (kénose) et de la charité qui peut en sortir chez celui qui est bien
disposé. En ce qui concerne l’enfer, on doit parler de la même façon. Ce que
l’âme perverse veut directement et par soi, c’est s’aimer elle-même de telle façon
que rien d’autre qu’elle-même n’a de valeur à ses yeux. En conséquence, elle
rejette directement comme un mal l’obéissance aux volontés de Dieu car cette
obéissance s’oppose à l’exaltation de sa propre volonté. Si l’âme se sépare de
Dieu, ce n’est donc pas par une volonté directe puisque Dieu lui apparaît comme
un bien, mais relativement aux conditions présupposées à l’obtention de la
gloire. Ainsi, on doit dire que l’âme veut l’enfer, en tant qu’il est la
séparation d’avec Dieu, d’une manière indirecte à cause de son orgueil. Par
contre, on ne peut dire d’aucune manière qu’elle veut l’enfer en tant qu’il est
un lieu de souffrance et de peines parce qu’il n’y a aucun bien à retirer du
mal de peine. Mais l’âme est prête à supporter toutes les peines de l’enfer
pour l’éternité plutôt que de se convertir et de s’humilier pour son péché.[859]
Solution 1 :
En tant qu’il est une peine, l’enfer n’est en aucune façon voulu
par l’âme comme nous l’avons montré.
Solution 2 :
La
séparation d’avec Dieu est voulue par l’âme non à cause de ce que Dieu est en
lui-même, mais à cause des exigences de conversion, d’humilité (kénose) et de
charité qui sont présupposées à l’entrée dans la gloire. C’est du moins de
cette façon que l’âme justifie sa révolte. De fait, c’est contre l’essence même
de Dieu qu’il y a révolte car Dieu est humilité (kénose) et Amour.
Objection 1 :
Il semble qu’il n’y ait personne en enfer. En effet, nul ne peut
résister à la révélation de la miséricorde de Dieu quand elle est plénière.
Tout homme se convertit donc au moment de la mort si ce c’est fait avant.
Objection 2 :
Jésus affirme que[860]
« beaucoup sont appelés mais que peu sont élus. » Il semble donc qu’il y
ait peu d’homme au paradis de Dieu.
Objection 3 :
L’Écriture parle explicitement de 144000 élus[861]
ou, ailleurs, de deux tiers[862]
des hommes sauvés. On doit donc tenir l’un de ces chiffres pour la révélation
exacte du nombre des élus.
Objection 4 :
Saint Thomas pense que la majorité des hommes sont damnés, tandis
que la majorité des anges seraient sauvés[863].
Il s’appuie sur le raisonnement suivant : pour l’ange, ce qui prévaut c’est sa
nature intellectuelle, faite pour adhérer à la vérité. Pour l’homme, au
contraire, c’est son penchant mauvais et sensuel qui l’emporte et qui le traîne
en bas. Dans la majorité des cas l’homme s’oriente donc vers le péché et
l’enfer.
Objection 5 :
Historiquement
-et la critique concernant Balthasar le mentionne souvent- on connaît des
récits de réprouvés et des visions de l’enfer[864].
Donc il y a des hommes en enfer.
Cependant :
Jésus dit :
« Les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures. Là seront les
pleurs et les grincements de dents. » Donc certaines âmes seront damnées,
celles qui appartiennent au royaume du mal.
Conclusion :
Au sujet
du nombre de ceux qui sont en enfer, plusieurs opinions ont été émises et
chacune d’elles s’appuie sur des arguments valables. Certains pensent que peu
d’hommes seront sauvés, s’appuyant en cela sur la parole du Seigneur[865]
: « Il est large en effet le chemin qui mène à la perdition et beaucoup s’y
engagent, mais elle est étroite la porte qui mène à la Vie et il en est peu qui
le trouvent. » Ils étayent leur argumentation sur la constatation que bien peu
d’hommes sur la terre ont la volonté de mettre la charité au commencement et à
la fin de leur vie. Le philosophe Aristote disait[866]
: « la plupart des hommes restent dans le sensible. » D’autres théologiens
affirment qu’un tiers des hommes seront damnés. Selon eux, ce chiffre est
annoncé dans l’Écriture et est à prendre au sens propre : « Le tiers des hommes
fut exterminé. » D’autres préfèrent prendre au sens propre le passage de
l’Apocalypse des 144000 élus[867].
Selon une dernière opinion enfin, certains affirment que le nombre des damnés sera
très faible si ce n’est nul à cause de la miséricorde de Dieu qui est infinie
et à cause de son projet de sauver tous les hommes qui ne saurait être un
échec.
Pour
essayer de discerner vrai dans tout cela, il faut se rappeler ce que nous avons
dit sur la cause de la réprobation : elle vient principalement de l’homme et de
sa volonté perverse qui se fixe immuablement sur le péché, avec pleine
connaissance et liberté. Il s’agit d’un péché contre l’Esprit Saint,
c’est-à-dire un péché de malice volontaire contre Dieu. Un tel péché conduit
immédiatement à la damnation après la mort. Il faut donc, pour connaître d’une
manière approximative le nombre de ceux qui seront damnés, s’efforcer de savoir
si le péché contre l’Esprit Saint est fréquent. Pour qu’il y ait un véritable
péché contre l’Esprit Saint, il est nécessaire que celui qui le commette ait
une parfaite connaissance de ce qu’il fait, ce qui ne peut convenir qu’à celui
qui connaît l’existence de Dieu et la rétribution future. L’homme qui, en
effet, ne connaît aucunement l’existence de Dieu ne peut pécher contre Dieu. De
même, le péché contre l’Esprit Saint présuppose une parfaite maîtrise de sa
sensibilité afin que la volonté qui commet le péché soit libre et non causée
par l’entraînement de la faiblesse. De telles conditions sont rares sur la
terre aussi on doit admettre que le péché contre l’Esprit Saint est peu
fréquent. Cependant, tout péché mortel commis sur la terre peut être une
disposition au péché contre l’Esprit Saint. Celui qui, en effet, met son
intention dans la recherche exclusive de son bien-être égoïste, crée en lui une
disposition stable, un vice, qui fait que l’âme se complait de plus en plus
dans son péché. Ainsi, arrivé au moment de la mort où la révélation l’enjoint à
faire un choix entre l’amour de Dieu ou l’amour de soi, elle est conditionnée
par sa vie entière à se porter plutôt vers le second choix. Mais il ne s’agit
que d’une disposition et non d’une détermination certaine. Parmi les hommes qui
vivent en état de péché mortel, la plupart le sont à cause d’une ignorance ou
d’une faiblesse présupposées. Mais ils ne resteraient certainement pas dans cet
état s’ils avaient l’occasion d’en connaître la gravité aux yeux de Dieu, comme
l’Écriture le montre pour la ville de Ninive qui se convertit après un seul
appel du prophète Jonas. C’est aussi la raison pour laquelle on constate que
les conversions sont fréquentes à l’approche d’un danger comme la guerre ou la
maladie. Ainsi, il est permis de penser que la masse de ceux qui ont commis durant
leur vie des péchés mortels par ignorance ou par faiblesse, seront sauvés même
s’ils doivent être auparavant purifiés par le feu du purgatoire. Mais il existe
aussi des hommes qui pèchent gravement sur cette terre contre leur prochain par
malice volontaire et cela même parmi les païens. Ceux-là se mettent par leur
péché dans une disposition directe au péché contre l’Esprit Saint car il est
presque certain qu’ils agiraient de même dans la plupart des cas même s’ils
connaissaient Dieu. Celui qui est capable froidement de faire le mal à son
prochain, est disposé par sa malice à rester dans le péché jusque dans la mort.
De tout
cela, on peut conclure qu’il semble que parmi les hommes,
- une
petite partie va directement au Ciel soit parce que, étant chrétiens ils ont
vécu en plénitude de la charité dans une kénose totale de leur esprit, soit
parce que, sans connaître le Christ, ils furent disposés par leur vie et leurs
souffrances, à aimer Dieu dès qu’ils l’ont connu ;
- une
petite partie est damnée parce qu’ils ont vécu froidement dans le mal et ont
maintenu jusque dans la mort leur volonté fixée dans le péché.
- Quant à
la masse des hommes, elle vit dans le sensible et suit les impulsions de la
chair ou du monde plus par ignorance et faiblesse que par véritable malice.
Ceux là sont sauvés mais « comme à travers un feu » selon l’apôtre[868],
c'est-à-dire en passant par les purgatoires qui suivent cette vie.
Solution 1 :
Au moment de la mort, l’âme ne voit pas directement l’essence
divine. S’il en était ainsi, nul ne pourrait se séparer de Dieu puisqu’il est
l’essence même de la bonté et qu’il n’a aucune espèce de mal en lui.
L’intelligence est confrontée avec l’humanité Sainte de Jésus. Il lui est
possible de résister à son amour. C’est ce que montre Balthasar [869]
: « Que cela soit possible, cela nous est attesté de nombreuses fois par
l’Écriture, par Jésus lui-même. Il est possible de résister en face à l’Esprit
d’amour de Dieu, et alors il est évident qu’à quelqu’un qui résiste ainsi, il
ne puisse "être pardonné ni en ce monde ni dans le monde à venir"[870].
Il est également possible qu’un tel "non" ne se révèle comme
déterminant pour une vie qu’au moment où l’homme est placé devant la norme
éternelle[871].
Avons-nous besoin de nous représenter cette possibilité, voire de nous la
dépeindre ? À coup sûr pour nous-mêmes seulement ; on ne devrait faire de
théories générales et neutres sur l’enfer ni en théologie ni en pastorale. Mais
on ne doit pas davantage répandre des théories générales suivant lesquelles, à
cause de la bonté de Dieu, il ne peut pas exister un enfer dans lequel il y a
quelqu’un. En le faisant, nous empiéterions sur la souveraineté de notre Juge,
qui décide avec justice de notre salut et de notre perte, en fonction de nos
choix. »
Solution 2 :
Cette parole de Jésus signifie que peu d’hommes sont capables de
rester tout au long de leur vie terrestre, fidèles à la grâce reçue. La plupart
ne pensent à Dieu que lorsque le besoin s’en fait sentir, et non par véritable
amour. Mais cette parole ne veut pas dire que ceux qui aiment Dieu d’un amour
utilitaire seront damnés. Dieu a le temps et les moyens de faire progresser
chacun, que ce soit à travers les croix de la vie terrestre et de la mort, son
apparition glorieuse ou le purgatoire.
Solution 3 :
Il faut prendre ces chiffres dans un sens symbolique comme presque
toutes les images qui sont dans le livre de l’Apocalypse. Le chiffre 144000, à
savoir 12000 de chacune des douze tribus d’Israël signifie que Dieu connaît le
nombre des élus et que ce nombre sera parfait, ce qui signifie que les hommes
seront sauvés ou damnés selon l’ordre de la justice divine. Quant au nombre
d’un tiers, il manifeste que la part de ceux qui seront damnés est connue et
fixée par Dieu de toute éternité puisque Dieu est au-delà du temps et connaît
tout.
Solution 4 :
Mais, pour l’homme, ce raisonnement peut être renversé. S’il est
vrai que celui-ci est tellement pauvre et misérable, il faudrait plutôt
conclure que personne ne peut se damner, car ce n’est pas par ignorance et
simple faiblesse qu’il peut choisir le refus éternel. En fait, l’erreur de
saint Thomas en ces matières est venu d’un excès de confiance dans la logique
apparente des raisonnements : De même qu’il ne découvrit pas l’immaculée
conception de Marie parce qu’il était nécessaire qu’elle ait été sauvée par le
Christ (la logique ne peut déduire de ces prémices que Marie peut être sauvée
par le Christ, mais par anticipation, avant même sa passion), de même il
mettait logiquement en enfer tous les hommes qu’il constatait mourir sans la
charité, donc la plupart d’entre les chrétiens, sans compter les païens). Il
fut en cela fidèle au dogme mais n’imagina pas que Dieu pouvait, étant au delà
de ce qui se voit, réaliser le dogme et leur proposer le salut jusque dans le
passage de la mort (qui, étant le terme de cette vie, n’est pas encore l’autre
monde).
Solution 5 :
D’après
Balthasar, il s’agit cependant de menaces qui veulent susciter la conversion.
Ce sont des images en creux du salut, c’est-à-dire des prophéties, qui veulent
précisément être contre productives en voulant arracher à celui qui les écoute
la décision de s’orienter vers le salut par la description du mal. « Si
les menaces de jugement et les images terribles de la gravité des châtiments
infligés aux pécheurs que nous trouvons dans l’Écriture et la Tradition ont un
sens, alors c’est certainement celui de me montrer, à moi, la responsabilité
qui m’incombe avec ma liberté ».[872]
D’après
moi au contraire, ces images de l’enfer sont crédibles à propos de la réalité
du choix de certains hommes. Nous ne sommes pas assez attentifs au bien réel, quoiqu’apparent
et mensonger, que peut trouver l’homme égoïste dans la proposition de l’enfer,
telle qu’elle est vantée en toute vérité par le démon à l’heure de la mort.
L’amour de Dieu poussé jusqu’au mépris de soi paraît bien peu tentant face à la
liberté, cette autonomie parfaite, cette capacité "divine"[873]
à choisir soi-même ce qui est bien et mal, et malgré la solitude et la
souffrance naturelle qui en découle.
Nous pouvons malgré tout faire nôtre ce passage du Père Teilhard
de Chardin[874]
: « Vous m’avez dit, mon Dieu, de croire à l’enfer. Mais vous m’avez interdit
de penser, avec absolue certitude, d’un seul homme, qu’il était damné. Je ne
chercherai donc pas ici à regarder les damnés ni même, en quelque manière à
savoir qu’il en existe. Mais acceptant, sur votre parole, l’enfer, comme un
élément structurel de l’univers, je prierai, je méditerai, jusqu’à ce que, dans
cette chose redoutable, apparaisse pour moi un complément fortifiant,
béatifiant même, aux vues que vous m’avez ouvertes sur votre Omniprésence ».
Objection 1 :
Il semble que non, car comme dit Denys, « les démons désirent le
bien et le meilleur, à savoir être, vivre et connaître. » Puisque les hommes
damnés ne sont pas d’une condition pire que les démons, il semble qu’ils
puissent avoir eux-mêmes de bons vouloirs.
Objection 2 :
« Le mal, dit Denys, est tout à fait
involontaire. » Si donc les damnés veulent quelque chose, ils le veulent en
tant que bon ou comme un bien apparent. Mais le vouloir qui est ordonné par soi
au bien est bon. Les damnés peuvent donc avoir de bons vouloirs.
Objection 3 :
Certains
seront damnés, bien que, se trouvant en ce monde, ils aient eu des dispositions
vertueuses, comme les païens, qui eurent des vertus civiques. Or, les
dispositions vertueuses engendrent un vouloir louable. Il pourra donc y avoir
un vouloir louable chez certains damnés.
Cependant :
Une
volonté obstinée ne peut jamais être inclinée que vers le mal. Mais les hommes
damnés seront obstinés, comme les démons. Leur volonté ne pourra donc jamais
être bonne. En outre, la volonté des damnés est à l’égard du mal comme celle
des bienheureux à l’égard du bien. Mais les bienheureux n’ont jamais de mauvais
vouloir. Donc les damnés n’en ont jamais de bon.
Conclusion :
Chez les
damnés nous pouvons distinguer deux volontés : la volonté délibérative et la
volonté naturelle. Cette dernière ne vient pas d’eux, mais de l’Auteur de la
nature, qui a mis en elle cette inclination qu’on nomme volonté naturelle.
Puisque la nature demeure en eux, il pourra y avoir en eux cette bonne volonté
naturelle. Mais la volonté délibérative vient d’eux-mêmes, en tant qu’ils ont
le pouvoir de s’incliner par sentiment vers ceci ou cela. Et cette volonté est
en eux seulement mauvaise. Ils sont en effet totalement détournés de la fin
ultime d’une volonté droite, et aucune volonté ne peut être bonne que si elle
est ordonnée à cette fin. Donc, même s’ils voulaient quelque chose de bon, ils
ne le voudraient pas bien, de manière qu’on puisse dire que leur volonté ; est
bonne.
Solution 1 :
Ce mot de Denys s’entend de la volonté naturelle, qui est
l’inclination de la nature vers quelque bien. Mais cette inclination naturelle
est corrompue par la malice des damnés, en tant que ce bien qu’ils désirent
naturellement est recherché par eux en de mauvaises conditions.
Solution 2 :
Le mal ne meut pas la volonté en tant que mal, mais en tant qu’on
l’estime bon. Mais, à cause de leur malice, les damnés estiment bon ce qui est
mal. Leur volonté demeure donc mauvaise. Ils font tout en fonction de leur
intention première. Leur seule finalité est la recherche égoïste d’eux-mêmes.
Solution 3 :
Les
dispositions des vertus civiques ne demeurent pas dans l’âme séparée, puisque
ces vertus perfectionnent l’homme dans sa vie civile seulement, et celle-ci
n’existe plus après la vie terrestre. Si elles demeuraient, elles
n’aboutiraient jamais à un acte bon, parce qu’elles seraient liées par
l’obstination de l’esprit.
Objection 1 :
Il semble qu’ils ne s’en repentent jamais, car saint Bernard dit
dans son commentaire des Cantiques que « le damné veut toujours
l’iniquité qu’il a accomplie. » Il ne se repent donc point du péché commis.
Objection 2 :
Vouloir n’avoir pas péché est un bon vouloir. Les damnés n’en
auront jamais. Ils ne voudront donc jamais n’avoir pas péché.
Objection 3 :
Selon saint Jean Damascène, « la mort est pour les hommes ce que
la chute fut pour les anges. » Mais la volonté de l’ange après sa chute devint
inconvertible, en ce sens qu’il ne peut revenir sur le choix par lequel il
avait péché. Les damnés ne peuvent donc pas se repentir des péchés qu’ils ont
commis.
Objection 4 :
La
perversité des damnés en enfer est plus grande que celle des pécheurs en ce
monde. Mais il y a des pécheurs, ici-bas, qui ne se repentent pas des péchés
commis, soit par aveuglement de l’esprit, comme les hérétiques, soit par
obstination, comme ceux dont les Proverbes disent "qu’ils se réjouissent
d’avoir mal fait et exultent dans les pires choses. » Donc…
Cependant :
La Sagesse
dit, des damnés, « qu’ils se repentent intérieurement. » En outre, Aristote dit
que « les êtres corrompus sont pleins de regret ; car ils sont bien vite
attristés de ce qui les réjouissait. » Les damnés, très corrompus, ont donc
beaucoup de regret.
Conclusion :
Se
repentir du péché peut se réaliser de deux manières : en soi ou par accident.
En soi, quand quelqu’un s’en repent parce qu’il le déteste en tant que péché.
C’est alors la contrition ; par accident, quand il le repousse à cause de
quelque chose qui s’y ajoute, « c’est-à-dire le châtiment ou quelque autre
suite semblable. C’est alors le remords.
Les
mauvais ne se repentiront pas de leur péché en soi, parce que le vouloir de la
malice du péché demeure en eux ; ils se repentiront par accident, en tant
qu’ils seront attristés de la peine subie à cause du péché. Ce repentir n’est
autre que le remords dont nous avons déjà traité.
Solution 1 :
Les damnés veulent l’iniquité, mais repoussent le châtiment : par
là, ils se repentent, par accident, de leur iniquité.
Solution 2 :
Vouloir n’avoir pas péché à cause de la honte de l’iniquité,
serait un bon vouloir ; mais il n’existe pas chez les damnés.
Solution 3 :
II arrive que des damnés se repentent de leurs péchés, sans
aversion de la volonté à leur égard, car ils regrettent, non pas ce qui les
avait entraînés au péché, mais la peine qui a suivi.
Solution 4 :
En ce
monde, les hommes, même les plus obstinés dans le mal se repentent parfois, par
accident, de leurs péchés, s’ils sont châtiés à cause d’eux, parce que, comme
dit saint Augustin, « nous voyons même les bêtes les plus féroces s’abstenir de
plaisirs très attirants, à cause de la souffrance du châtiment menaçant. »
Objection 1 :
Il semble qu’ils ne le puissent pas. Saint Augustin dit : « Mais
combien est bonne cette existence, qu’heureux et malheureux veulent également.
» Il est en effet meilleur d’exister et d’être malheureux que de ne pas être du
tout.
Objection 2 :
Saint Augustin raisonne ainsi : La pré-élection suppose un choix.
Mais on ne peut choisir de ne pas exister, car cela ne présente aucun aspect
bon. Ne pas exister ne peut donc pas être plus désirable pour les damnés que 1
existence.
Objection 3 :
Le mal
majeur est le plus à fuir. Mais le plus grand des maux est de ne pas exister,
car cela supprime tout bien, n’en laissant subsister aucun. L’inexistence est
donc plus à fuir que la souffrance.
Objection 4 :
Concrètement,
ne pas vouloir exister conduit au suicide. Or on imagine mal les damnés tentant
de se suicider.
Cependant :
Il est
écrit dans l’Apocalypse : « En ces jours-là les hommes désireront la mort, et
elle leur échappera. » En outre, le malheur des damnés dépasse tout malheur de
ce monde. Mais pour échapper au malheur d’ici-bas, certains désirent mourir. Il
est dit dans l’Ecclésiastique : « O mort, ta sentence est bonne pour l’homme
malheureux et qui a perdu ses forces, pour l’homme use par l’âge et pour celui
qui est accablé de soucis pour celui à qui on ne croit plus et qui a perdu la
raison. » Il est donc bien plus désirable encore de ne pas exister pour les
damnés, avec délibération raisonnable.
Conclusion :
Ne pas
exister peut être considéré de deux façons : en soi et ainsi ce n’est
aucunement désirable, puisque cela ne contient aucun aspect de bien, et n’est
qu’une pure privation de bien- ou bien, en tant que c’est la libération d’une
vie de peine ou de malheur : et alors, ne pas être prend un aspect de bonté.
"Être exempt du mal est une sorte de bien », comme dit Aristote. Sous cet
aspect, il est préférable pour les damnés de ne pas être que d’être malheureux.
Il est dit
en saint Matthieu : « Il eût été mieux pour cet homme de n’être pas né », et à
propos de Jérémie : « Maudit soit le jour où je suis né. » La Glose de saint
Jérôme ajoute : « Il vaut mieux n’être pas que d’être mal. » Et ainsi, les
damnés peuvent choisir délibérément de ne plus exister.
Solution 1 :
Ce mot de saint Augustin doit s’entendre en ce sens que ne point
exister n’est pas préférable en soi, mais seulement par accident, en tant que
c’est là le terme d’une souffrance. Dire qu’exister et vivre sont désirés par
soi, ne vaut pas pour la vie malheureuse et corrompue, ni pour celle qui
s’écoule au milieu des tristesses, comme dit Aristote, mais seulement
absolument parlant.
Solution 2 :
Ne pas être n’est point préférable en soi, mais par accident,
comme nous l’avons dit.
Solution 3 :
Ne pas
exister est le pire des maux. Cependant, la privation de l’existence est un
grand bien, si elle entraîne la privation du plus grand des maux : ainsi
considérée, on peut la préférer à l’existence.
Solution 4 :
Les damnés
sont par rapport au suicide dans une double attitude. En tant qu’ils sont
portés par une intention profonde, à savoir une volonté de vivre heureux et
libres, il n’est pas question pour eux de penser au suicide. Un tel aveu de
faiblesse ne convient pas à l’orgueil.
En tant qu’ils
vivent sans but et dans un désespoir total, ils souhaiteraient disparaître et
ne plus souffrir. Ils savent cependant que ce désir est vain puisque leur être
est indestructible, tant à cause de la nature de leur âme que de
l’impassibilité de leur corps ressuscité.
Objection 1 :
Il semble que les damnés, en enfer, ne veulent pas la damnation de
ceux qui ne sont point damnés. Luc 16, 25 dit en effet, du riche damné, qu’il
priait pour ses frères, afin qu’ils ne viennent pas en ce lieu de tourments.
Les autres damnés ne voudraient donc pas, pour le même motif, que, au moins
leurs amis de la terre, soient condamnés à l’enfer.
Objection 2 :
Les damnés gardent leurs affections désordonnées. Mais
quelques-uns ont aimé d’une manière désordonnée quelques personnes qui ne sont
pas damnées. Ils ne leur voudraient donc pas ce mal que serait la damnation.
Objection 3 :
Les damnés
ne désirent pas l’augmentation de leur peine. Mais s’il y avait davantage de
damnés, leur peine croîtrait, de même que la multiplication des bienheureux
augmente leur joie. Les damnés ne voudraient donc pas la damnation des élus.
Cependant :
A propos
d’Isaïe : « Ils se levèrent de leurs sièges », la Glose dit : « C’est un
soulagement pour les malheureux que d’avoir de nombreux compagnons de
souffrances. »
En outre, chez les damnés, l’envie règne au maximum.
Ils souffrent de la félicité des bienheureux et désirent leur damnation.
Conclusion :
Chez les bienheureux dans la patrie règne la plus parfaite charité
: chez les damnés, c’est la plus parfaite haine. Comme les saints se
réjouissent de voir tous les bons, les impies en souffrent. La vue de la
félicité des saints les fait souffrir. C’est pourquoi Isaïe écrit : « Que les
peuples envieux le voient et soient confondus ; et que le feu dévore tes
ennemis. » Les damnés voudraient que tous les bons soient damnés. On observe
cette contamination du mal dès ici-bas. Pour celui qui vit dans l’égoïsme, la
vue des justes est un tourment car ils rappellent, sans le vouloir, à la
conscience du méchant sa contradiction avec le bien. Le livre de la Sagesse
décrit avec précision, au chapitre 2, 12 cet état d’esprit : « Tendons des
pièges au juste, puisqu'il nous gêne et qu'il s'oppose à notre conduite (…). Il
est devenu un blâme pour nos pensées, sa vue même nous est à charge ; car son
genre de vie ne ressemble pas aux autres, et ses sentiers sont tout différents.
»
Solution 1 :
Le riche
de la parabole n’est pas dans l’enfer des damnés mais seulement au purgatoire
comme l’indique le fait qu’il désire la grâce (l’eau dont s’abreuve le pauvre
Lazare) et qu’il veut le salut de ses frères. La charité n’existe pas en enfer.
L’envie des damnés sera telle qu’elle atteindra même la gloire de
leurs proches, tandis qu’ils se verront dans le plus grand malheur : cela se
produit même en cette vie, quand l’envie parvient à son comble. Pourtant, ils
auront moins d’envie à l’égard de leurs proches qu’à l’égard des autres. Ils souffriraient
davantage si tous leurs proches étaient damnés, tandis que les autres seraient
sauvés, que si quelques-uns des leurs étaient sauvés.
Solution 2 :
L’affection malhonnête se brise facilement, surtout chez les
hommes méchants, comme dit Aristote. Les damnés ne conservent donc pas d’amitié
pour ceux qu’ils ont aimés d’une manière désordonnée. Mais leur volonté
demeurera perverse en ceci, qu’ils s’attacheront encore à la cause de leur
affectivité coupable.
Solution 3 :
Bien que
la souffrance de chaque damné soit accrue par leur multitude, pourtant la haine
et l’envie se développeront chez eux à un tel point qu’ils préféreront souffrir
davantage avec un plus grand nombre que de souffrir moins, mais en étant seuls.
Objection 1 :
Cela ne semble pas, car Denys dit : « Il est objet d’amour pour
tous, ce beau et ce bon qui est la cause de toute bonté et de toute beauté. » C’est
Dieu. Il ne peut donc être haï par personne.
Objection 2 :
Nul ne
peut haïr la bonté elle-même, comme nul ne peut vouloir sa propre malice. » Il
est en effet tout à fait impossible de vouloir le mal en soi », comme dit
Denys. Dieu est la Bonté même. Donc personne ne peut le haïr.
Cependant :
Le
Psalmiste dit : « L orgueil de ceux qui te haïssent, augmente toujours. »
Conclusion :
L’affectivité
est attirée par le bien ou le mal, en tant qu’ils nous sont connus. Dieu peut
être connu de deux manières : en lui-même, comme il l’est par les bienheureux,
qui le voient en son essence ou à travers ses effets, comme il est vu par nous
et par les damnés. En lui-même, puisqu’il est par essence la Bonté, il ne peut
déplaire à aucune volonté : quiconque le voit en son essence ne peut le haïr.
Mais certains de ses effets choquent la volonté, parce qu’ils s’opposent à
quelqu’un. Ainsi, un homme peut avoir de la haine pour Dieu, non en lui-même,
mais à cause des effets de son action. Les damnés, qui voient Dieu à travers
les effets de sa justice, c’est-à-dire dans leur châtiment, le haïssent, comme
ils haïssent leurs tourments.
Solution 1 :
Ce mot de Denys vaut pour l’appétit naturel : lui-même est
perverti chez les damnés, sous l’influence de leur vouloir libre.
Solution 2 :
Cet
argument vaudrait si les damnés voyaient Dieu en lui-même en tant qu’il est bon
par essence.
Objection 1 :
Cela paraît, car ils ont une volonté mauvaise, comme disent les
Sentences. Or, c’est par leur volonté mauvaise en cette vie qu’ils ont
démérité. Si, là où ils sont, ils ne déméritaient plus, ils tireraient avantage
de leur damnation.
Objection 2 :
Les damnés sont dans la même condition que les démons. Mais
ceux-ci déméritent encore après leur chute, puisque Dieu infligea une peine au
serpent qui entraîna l’homme au péché, comme il est dit dans la Genèse. Les
damnés déméritent donc.
Objection 3 :
Un acte
déréglé procédant du libre arbitre est toujours déméritoire, même s’il est
l’effet d’une sorte de déterminisme, dont la personne qui pose l’acte est
elle-même la cause. Ainsi "l’homme ivre mérite un double châtiment"
si à cause de son ivresse, il commet un autre péché. Or, les damnés ont été la
cause de leur propre obstination, à cause de laquelle ils sont comme déterminés
à pécher. Puisque leur acte déréglé procède de leur libre arbitre, ils gardent
son démérite.
Cependant :
Le
châtiment se distingue de la faute. Mais la volonté perverse procède chez les
damnés de leur obstination, qui est leur châtiment. Cette volonté perverse ne
constitue donc pas une faute par laquelle ils démériteraient.
En outre,
après le terme ultime, il ne reste plus de mouvement ni vers le bien, ni vers
le mal. Mais les damnés, après le jour du jugement, sont parvenus tout à fait
au dernier terme de leur damnation, parce que "alors les deux cités
atteindront leur fin" comme dit saint Augustin. Après le jour du jugement,
les damnés ne démériteront donc plus ; sinon leur damnation croîtrait encore.
Conclusion :
Au sujet
des damnés, nous devons distinguer entre ce qui précède et ce qui suit le jour
du jugement. Tous les auteurs reconnaissent qu’après ce jour, il n’y aura plus
de mérite ni de démérite : ceux-ci sont en effet ordonnés à l’acquisition de
quelque bien ou quelque mal. Après le jour du jugement, ce sera l’achèvement
ultime des bons et des méchants, et il n’y aura plus rien à ajouter au bien ou
au mal. Chez les bienheureux, la volonté bonne ne sera plus un mérite, mais une
récompense ; chez les damnés, la volonté mauvaise ne sera plus un démérite,
mais seulement un châtiment. Les actes des vertus sont surtout dans le bonheur,
et leurs contraires surtout dans le malheur, comme dit Aristote.
Certains
disent qu’avant le jour du jugement les bienheureux méritent et les damnés
déméritent : mais cela ne peut pas être au sujet de la récompense essentielle,
ni de la peine principale, car sur ce point, ils sont tous parvenus au terme.
Leur choix a atteint la plénitude de sa détermination dans l’égoïsme à l’heure
de la mort, quand leur a été révélé l’Évangile et l’enfer. Ils détestent de
tout leur cœur, de toute leur âme, de toutes leurs forces le royaume du Christ
et ne peuvent le haïr davantage. Par contre, ce peut être à l’égard d’une
récompense accidentelle ou d’une peine secondaire, qui peuvent augmenter
jusqu’au jour du jugement. C’est surtout vrai pour les démons ou les bons anges
: ceux-ci entraînent les hommes vers leur salut ; ainsi croît la joie des anges
; tandis que les peines des démons augmentent parce qu’ils ont entraîné des
hommes à la damnation.
Solution 1 :
C’est le plus grand désavantage que de parvenir au comble du mal.
C’est ainsi que les damnés ne peuvent plus démériter : leur péché ne leur
apporte donc rien.
Solution 2 :
Il n’appartient pas au rôle des hommes damnés d’attirer les autres
à la damnation comme cela appartient aux démons, qui, par la, méritent une plus
grande peine secondaire.
Solution 3 :
Les damnés
ne sont pas mis dans l’impossibilité de démériter parce qu’ils sont déterminés
à pécher, mais parce qu’ils sont parvenus au comble du mal. Cependant, la
nécessité de pécher, dont nous sommes nous-mêmes la cause, diminue la faute, en
tant qu’elle constitue un certain déterminisme, car tout péché doit être
volontaire et libre ; mais il n’y a point réellement d’excuse, en tant que ce
déterminisme provient d’un vouloir libre précédent. Ainsi le démérite de la
faute qui suit remonte à la culpabilité de la première faute.
Objection 1 :
Il semble que non. La considération de sa science procure en effet
une très grande satisfaction. Or il n’y a pas de satisfaction chez les damnés.
Ils ne peuvent donc pas se servir de la science acquise auparavant pour la
considérer.
Objection 2 :
Les peines des damnés sont plus grandes que celles de ce monde. En
ce monde, quand quelqu’un est plongé en de grands tourments, il n’est plus
capable de considérer des conclusions intellectuelles, en se dégageant de ses
souffrances. Donc, bien moins encore en enfer.
Objection 3 :
Les damnés
sont soumis au temps. Mais "la longueur du temps est cause d’oubli"
comme dit Aristote. Ils oublieront donc les choses qu’ils ont sues.
Cependant :
Les
espèces intelligibles et les souvenirs des images demeurent dans l’âme séparée
de la chair, comme nous l’avons dit plus haut. Si elles ne pouvaient servir,
elles seraient vaines.
Conclusion :
À cause de
la parfaite béatitude des saints, il n’y aura rien en eux qui ne soit matière à
joie. De même, chez les damnés rien qui ne soit pour eux matière et cause de
tristesse, et il ne leur manquera rien de ce qui peut contribuer à leur
tristesse, afin que leur souffrance soit consommée. Or la considération des
choses connues apporte une certaine joie, soit à cause de ces choses
elles-mêmes, soit à cause de la connaissance qu’on en a, et qui est agréable et
parfaite. Il peut aussi y avoir de la tristesse, en cette considération, soit à
cause des choses connues, si elles sont de nature à attrister, soit à cause de
la connaissance qu’on en a, si elle apparaît imparfaite : quand, par exemple,
quelqu’un s’aperçoit qu’il n’a pas une pleine connaissance d’une chose qu’il
désirerait connaître parfaitement. Ainsi, chez les damnés, il y aura une
considération des choses connues auparavant, mais comme source de tristesse et
non de délectation. Ils considéreront les péchés qu’ils ont commis, et pour
lesquels ils sont damnés, ainsi que les biens agréables qu’ils ont perdus ; et
ces considérations les tourmenteront. De même, ils souffriront de voir que la
connaissance qu’ils ont eue des choses visibles est imparfaite, et de voir
qu’ils ont perdu cette grande perfection qu’ils avaient la possibilité de
réaliser.
Solution 1 :
Bien que la considération de sa science soit en elle-même
délectable, elle peut devenir source de tristesse à cause d’une circonstance
accidentelle, comme nous venons de le dire : et c’est le cas des damnés.
Solution 2 :
En ce monde, l’âme est unie-au corps corruptible : quand le corps
souffre, le regard de l’âme est paralysé. Mais dans l’au-delà l’âme ne sera
point ainsi influencée par le corps. Quelle que soit la souffrance du corps,
l’âme considérera toujours très clairement les choses qui pourront être pour
elle cause de douleur.
Solution 3 :
C’est accidentellement que le temps est cause d’oubli, en
tant que le mouvement, dont il est la mesure, est cause de changement et d'usure des organes faits de chair
corruptible comme le cerveau. Dans l'autre monde, après la résurrection, l’oubli ne
pourra plus résulter de la durée puisque la matière sera délivrée de sa propriété de corruption. D’ailleurs,
même avant ce jour, l’âme séparée est liée à un corps psychique dont la matière n’est plus
transformée en ses dispositions par l'usure des
organes matériels.
Objection 1 :
Il semble que les damnés penseront parfois à Dieu, car on ne peut
avoir un acte de haine que pour ce à quoi on pense. Et les damnés haïssent
Dieu, comme il est dit dans les Sentences.
Objection 2 :
Les damnés
souffriront du remords de la conscience, et celle-ci a du remords des actes
commis contre Dieu : ils penseront donc parfois à Dieu.
Cependant :
La plus
parfaite connaissance de l’homme est celle qu’il a de Dieu. Mais les damnés
sont dans le plus imparfait des états. Ils ne penseront donc pas à Dieu.
Conclusion :
On peut considérer Dieu de deux manières : 1° ou bien en soi, et
selon ce qui lui est propre, à savoir être le principe de toute bonté : ainsi,
il est impossible de penser à lui sans jouissance et les damnés ne pourront
aucunement penser à lui de la sorte. 2° ou bien, en quelque chose qui lui est
pour ainsi dire accidentel, c’est-à-dire les effets de son action comme de
punir ou d’autres choses semblables. Sous cet aspect, la pensée de Dieu peut
conduire à la tristesse : et c’est ainsi que les damnés penseront à Dieu.
Solution 1 :
Les damnés n’ont de haine pour Dieu qu’à cause de sa punition et
de son interdiction, qui correspondent à leur volonté mauvaise : ils ne le
considéreront donc que comme celui qui punit et qui interdit.
Solution 2 :
La
deuxième difficulté est résolue par là, puisque la conscience n’a du remords du
péché qu’en tant qu’il est contraire au décret divin.
Objection 1 :
Les damnés ne paraissent pas voir la gloire des bienheureux, car
elle est encore plus distante d’eux que les événements de ce monde. Or, ils ne
les voient pas. Saint Grégoire, au sujet de Job : « Que leurs fils
soient nobles », dit : « De même que ceux qui vivent encore, ignorent en
quel lieu se trouvent les âmes des morts, ainsi les morts qui ont vécu d’une
manière charnelle, ignorent comment se passe la vie de ceux qui se trouvent
encore dans la vie de la chair. » Donc, bien moins encore peuvent-ils voir la
gloire des bienheureux.
Objection 2 :
Ce qui est accordé aux saints en cette vie à titre de
grand privilège, n’est
jamais accordé aux damnés. Mais c’est à titre de grand privilège que fut accordé à
saint Paul de voir la vie en laquelle les saints vivent éternellement avec
Dieu, comme il le dit aux Corinthiens. Les damnés ne verront donc pas la gloire des bienheureux.
Cependant,
il est dit en Sagesse 5, 1 : « Alors le juste se tiendra debout, plein
d’assurance, en présence de ceux qui l’opprimaient. »
Conclusion :
Les damnés, avant le jour du jugement,
verront les bienheureux dans la gloire, mais non de telle sorte qu’ils
comprennent quelle est leur gloire, mais en sachant qu’ils sont dans une gloire
inestimable. Cela les troublera, soit à cause de leur envie qui les fera
souffrir de voir leur félicité, soit parce qu’ils auront conscience d’avoir
perdu eux-mêmes cette gloire. C’est pourquoi la Sagesse dit : « À ce spectacle,
ils seront troublés par une crainte horrible. » Cette vision leur sera donnée pour deux raison : 1° en vue
de leur jugement particulier à l'heure de leur mort, afin qu'ils ne rejettent
cette gloire qu'à travers un acte parfaitement libre. 2° en vue du jugement
général, à la fin du monde, afin que tout les mystères du monde et des actes de
Dieu leur soient connus, jusqu'au plus petit détail de l'héroïsme, de
l'humilité (kénose) et de l'amour des élus. Mais, après le jour
du jugement, les damnés seront laissés
complètement libres de
fuir la vue des bienheureux. Ils
s'enfuiront pour ne plus jamais être confronté à la vision du bonheur des
repentants jusque dans les lieux les plus déserts, dans l'obscurité en feu du cœur
des astres. Cela, loin de diminuer leur peine l’augmentera, car ils
garderont le souvenir de la gloire des bienheureux, qu’ils auront aperçus au
jugement ou avant le jugement. Plus tard ils souffriront de voir qu’ils sont
considérés comme indignes même de voir la gloire méritée par les saints. La
raison de cette privation ne viendra pourtant pas de cette raison mais au
contraire de la miséricorde des saints qui comprendront à quel point leur
proximité ne peut qu’augmenter la rage et la rancœur des damnés.
Solution 1 :
Les événements de cette vie
n’affligeraient pas les damnés en enfer autant que la vue de la gloire des
saints. Cependant parmi les choses qui arrivent ici, leur sont révélées
celles-là seules qui peuvent les attrister.
Solution 2 :
Déjà repentant, Paul pût apercevoir la vie dans laquelle se
trouvent les saints avec Dieu en l’expérimentant et en espérant la vivre plus
tard plus parfaitement : ce n’est point le cas des damnés : ils la regardent de l'extérieur, en en
rejetant avec rage l'humilité (kénose) et l'amour. Ce n’est donc point
la même chose.
Il nous
reste à considérer la justice et la miséricorde de Dieu à l’égard des damnés,
c’est-à-dire l’enfer pris du côté de Dieu. Cinq questions se posent :
1° Est-ce la justice divine qui inflige aux
pécheurs une peine éternelle ?
2° La miséricorde divine mettra-t-elle fin à
toute peine des hommes et des démons ?
3° Est-ce que, au moins, le châtiment des
hommes aura une fin ?
4° Au moins celui des chrétiens ?
5° Et celui de ceux qui ont accompli des œuvres
de miséricorde ?
Objection l :
Il ne semble pas que la justice divine puisse infliger aux
pécheurs une peine éternelle : car la peine ne doit point dépasser la faute. Le
Deutéronome dit : « La modalité des châtiments sera à la mesure de la faute. » Mais
celle-ci est temporelle. La peine ne doit donc pas être éternelle.
Objection 2 :
Si nous considérons deux péchés mortels, l’un est plus grand que
l’autre, et doit donc être puni par une peine plus grande. Mais aucune peine
n’est plus grande qu’une peine éternelle car elle est infinie. Dès lors,
celle-ci n’est pas due à tout péché mortel. Or si elle n’est pas due à l’un
d’eux, elle n’est due à aucun, puisqu’il n’y a pas entre eux de distance
infinie.
Objection 3 :
Un juge juste n’inflige de peine que pour corriger. Aristote dit
que « les peines sont des médicaments. » Mais la punition éternelle de
l’impie ne sert pas à sa correction ni à celle d’autres êtres, puisque, après
le jugement, il n’y aura plus d’hommes qui puissent être corrigés par cette
vue. La justice divine n’inflige donc pas aux péchés une peine éternelle.
Objection 4 :
Ce qui n’est point voulu en soi ne peut l’être que pour quelque
avantage. Mais Dieu ne veut pas les châtiments pour eux-mêmes : il n’en tire
aucune jouissance. Puisque Dieu ne peut tirer aucun avantage de la perpétuité
du châtiment. Il semble qu’il ne doive pas imposer une punition perpétuelle
pour le péché.
Objection 5 :
Rien de ce qui n’existe que par accident n’est perpétuel, comme
dit Aristote. Le châtiment fait partie des choses qui existent par accident, en
tant qu’il est contraire à la nature. Il ne peut donc être perpétuel.
Objection 6 :
La justice
de Dieu semble exiger que les pécheurs soient réduits au néant : en effet,
l’ingratitude mérite la perte des bienfaits reçus. Or, parmi les bienfaits de
Dieu. Il y a l’existence même. Il semble donc juste que le pécheur, ingrat
envers Dieu, perde l’existence. Si les pécheurs sont réduits au néant, leur
punition ne peut être perpétuelle.
Cependant :
Il est
écrit en saint Matthieu : « Ceux-ci, c’est-à-dire les pécheurs, iront au
supplice éternel. »
Conclusion :
Le
cardinal Journet répond[886]
: « Il est clair que tout ce qu’il y a de richesses et de splendeurs
ontologiques en enfer, les natures incorruptibles des anges, les âmes
spirituelles des hommes et plus tard leurs corps ressuscités ; tout ce qu’il y
a en outre de positivité ontologique dans le désir naturel des réprouvés pour
le bonheur, et jusque dans leur incessante activité intelligente et libre :
tout cela a sa source suprême en Dieu, tout cela résulte du don premier et sans
repentance de sa miséricorde qui le pousse à créer toutes choses, le monde
matériel, les anges, l’homme, non pour les anéantir, mais pour les soutenir par
sa providence dans leur être et leur agir.
Il est
clair d’autre part que tout ce qu’il y a en enfer de mal du péché, de révolte,
d’orgueil, de blasphème, ne peut être un élément structurel de l’univers, ne
peut remonter d’aucune manière à Dieu, ni directement ni indirectement.
Mais
que penser du mal de la peine des réprouvés, du mal de la souffrance,
inséparable de leur révolte ? Dieu en est-il la cause ? Il en est la cause en
tant qu’il veut et ne peut pas ne pas vouloir ce à quoi se heurtent par leur
faute volontaire et permanente les réprouvés. Pour que cesse l’insoluble
conflit où les maintient leur rébellion et leur laisser le champ libre, il
faudrait que disparaisse le double obstacle contre lequel ils se brisent, à
savoir Dieu et l’ordre de la création ; il faudrait que Dieu d’une part se
renie en se détruisant lui-même, et d’autre part renie le décret par lequel il
a imposé un ordre dans l’univers. Quand on parle de la sainte Justice de Dieu
qui s’oppose au mal, on ne peut désigner -et il faudrait pourtant s’en
souvenir- que le double Amour, l’un, nécessaire, par lequel il ne peut pas ne
pas se vouloir lui-même, l’autre, libre, par lequel, ayant décrété le monde
dans sa sagesse, il ne lui est pas possible de se dédire. Ne pas punir le damné
serait pour Dieu accepter cette affirmation de soi contre Lui qui est le
péché-même.
Dieu
est la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde[887]
; ne sont dans les ténèbres que ceux qui lui ferment l’accès de leur cœur : à
la manière dont l’homme qui ferme ses volets se met dans l’obscurité. »
Tant que
le pécheur maintient cette révolte contre Dieu, la lumière ne peut rentrer.
Mais, et c’est là que s’explique l’éternité de l’enfer, jamais aucun pécheur en
enfer ne revient sur sa révolte. Il le pourrait. Il est parfaitement libre.
Mais il ne le veut jamais car il sait et il veut en perfection ce qu’il vit,
dès le premier instant de sa révolte, dès qu’à l’heure de la mort il a vu le
Christ crucifié et glorifié et s’en est moqué. Tout autre péché que le
blasphème contre l’Esprit disparaît mais ce péché là ne disparaît jamais, par
définition.
On
pourrait objecter à cela que Dieu pourrait finir par se donner tout de même,
par miséricorde pour le pécheur non repentant. C’est impossible, non seulement
de par sa volonté de se donner à l’amour, mais surtout parce que, par essence,
il est l’Humilité (kénose) et l’Amour. Le pécheur ne verrait rien de Dieu selon
cette parole [888]
: « Nul ne peut voir Dieu sans mourir » à soi-même.
Solution 1 :
(De saint Thomas) On peut dire, comme saint Grégoire, que bien que
la faute soit temporelle en son acte, elle est éternelle dans la volonté qui la
commet.
Solution 2 :
Le degré de la peine, en intensité, correspond au degré du péché.
C’est pourquoi, pour des péchés mortels inégaux, il y aura des peines inégales
en intensité, mais non en durée.
Solution 3 :
Les châtiments infligés à ceux qui ne sont pas complètement
chassés de la société civile, sont ordonnés à leur correction, mais non les
peines qui constituent une expulsion totale de la société. Celles-ci peuvent du
moins servir à la correction et à la tranquillité des autres citoyens qui
demeurent dans la cité. De même, la damnation éternelle des impies sert à la
correction des membres actuels de l’Église : Car les châtiments ne servent pas
seulement à corriger quand ils sont appliqués, mais aussi quand ils sont
déterminés.
Solution 4 :
Les châtiments des impies, qui dureront perpétuellement ne seront
pas tout à fait inutiles, car ils serviront à deux choses : d’abord à
manifester la détermination des damnés, prêts à subir cette vie insensée pour
toujours plutôt que de renoncer à leur liberté sans amour.
Secondement, ces peines sont utiles parce qu’elles procurent aux
justes la satisfaction de contempler la manifestation de la justice de Dieu,
qui ayant tout fait pour orienter ces êtres vers la vraie béatitude pour
laquelle ils étaient créés, respecte en fin de compte leur choix puisqu’il est
obstiné. Le Psalmiste dit : « Le juste se réjouira de voir la vengeance »
et Isaïe : « Les impies seront la satisfaction de la vue de toute chair », c’est-à-dire
des saints, comme le précise la Glose. C’est ce qu’affirme saint Grégoire : « Tous
les réprouvés envoyés au supplice éternel sont punis à cause de leur iniquité.
Cependant, leur supplice servira à autre chose : car tous les justes, en Dieu,
ont conscience des joies qu’ils goûtent et en même temps ils aperçoivent chez les
damnés les supplices auxquels eux-mêmes ont échappé. Ils comprendront ainsi
d’autant mieux ce qu’ils doivent éternellement à la grâce divine. »
Solution 5 :
Dieu a disposé son salut de telle manière que chacun puisse, de
manière libre, s’en détourner. Il se propose à l’amour de la créature
spirituelle mais ne s’impose pas. Certains auteurs ont souhaité
l’anéantissement des damnés car ils se représentaient l’enfer à la manière d’un
camp de torture infligé par Dieu pour punir les égoïstes et les orgueilleux. La
réalité est toute autre. L’enfer est choisi par les pécheurs parce qu’ils y
voient d’abord leur bien. Eternellement, ils choisissent de rester en enfer.
Ils s’y considèrent comme heureux car libres et divins. De fait, ils savent
qu’ils sont malheureux. Ils voient leur âme dépérir du manque de Dieu, de sa
lumière et de son amour. Ils voient leur psychisme se maintenir dans toutes
sortes de passions mauvaises. Plus tard, après la résurrection de la chair,
leur corps somatisera ce malheur. Ils comprennent que ce malheur, excepté
l’éloignement que leur impose Dieu vis-à-vis du monde des habitants de la
terre, n’est que la conséquence normale de leur nature coupée de sa fin.
Pourtant, ils restent en enfer. Ils ne se repentent pas. Si Dieu les réduisait
au néant, il se comporterait injustement avec eux puisqu’il ne prendrait pas au
sérieux le choix de ses créatures. C’est ce que dit Vitalini Sandro[889]
: « Dieu respecte jusqu’au bout la liberté qu’il a communiquée aux anges en les
créant comme des personnes. Que certains d’entre eux aient préféré souffrir les
peines de l’enfer plutôt que de se livrer aux exigences de la charité, cela
reste leur décision personnelle. Il ne convient pas de les faire retourner au
néant puisqu’ils manifestent par leur existence la magnanimité de leur Créateur.
»
Objection 1 :
Il semble que la miséricorde divine doive mettre un terme à tout
châtiment des hommes aussi bien que des démons. Car nous lisons dans la Sagesse
: « Tu as pitié de tous, Seigneur, car tu es tout-puissant. » Donc leur peine
elle-même aura une fin.
Objection 2 :
Saint Paul dit aux Romains : « Dieu a enfermé toutes choses dans
la désobéissance, pour faire à tous miséricorde. » Or, Dieu a enfermé les
démons dans leur péché ou du moins permis qu’ils soient enfermés. Il semble
donc qu’il doive un jour leur faire miséricorde.
Objection 3 :
Comme dit saint Anselme : « Il n’est pas juste que Dieu permette
qu’une créature qu’il a faite pour la béatitude périsse tout à fait. » Il
semble donc que, puisque toute créature raisonnable a été créée pour la
béatitude, il ne soit pas juste que Dieu permette qu’elle périsse totalement.
Objection 4 :
Il semble
que la peine des démons se terminera par leur retour au néant car, s’ils ne
veulent revenir de leur perversion, Dieu dans sa miséricorde ne pourra tolérer
leur tourment éternel et préfèrera détruire leur être.
Cependant :
Il est dit
en saint Matthieu 18, 8 : « Eloignez-vous de moi, maudits, dans le feu éternel,
qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. » Ils seront donc punis
éternellement. En outre, comme les bons anges furent rendus bienheureux par
leur conversion vers Dieu, ainsi les mauvais anges furent rendus malheureux par
leur aversion à son égard. Si le malheur des mauvais anges finissait un jour,
la béatitude des bons anges devrait se terminer aussi, ce qui ne convient pas.
Conclusion :
« Ce fut une erreur d’Origène, comme dit saint Augustin, de penser
que les démons seront un jour libérés de leurs peines par la miséricorde de
Dieu. » Cette erreur fut réprouvée par l’Église pour deux motifs : d’abord,
parce que cela est manifestement contraire à l’autorité de la Sainte
l’Écriture, qui dit dans l’Apocalypse : « Le diable qui les séduisait fut
envoyé dans un étang de feu et de soufre, où les gens abêtis et les
pseudo-prophètes seront torturés jour et nuit dans les siècles des siècles », formule
qui signifie pour toujours ; ensuite, parce que d’une part Origène étendait
trop la miséricorde divine, et d’autre part il la contraignait trop. Il semble
en effet que le même motif exige que les bons anges demeurent dans la béatitude
éternelle, et que les mauvais anges soient punis pour l’éternité. Ce motif,
nous l’avons montré, est lié à une parfaite détermination dans le bien ou dans
le mal. C’est pourquoi, comme il affirmait que les démons et les âmes des
damnés seraient un jour libérés du châtiment, ainsi, il affirmait que les anges
et les âmes des bienheureux seraient quelquefois déchus de leur béatitude dans
les misères de cette vie.
Solution 1 :
Dieu, en lui-même, a compassion de tous. Mais, parce que sa
miséricorde est réglée par l’ordre de sa sagesse, elle ne s’étend pas à
certains, qui se sont rendus indignes de cette miséricorde, comme les démons et
les damnés, obstinés dans leur malice. Cependant, on peut dire que même à leur
égard la miséricorde intervient, en tant qu’ils sont punis moins qu’ils le
méritent, sans être totalement libérés de leur peine.
Solution 2 :
Ici, l’universalité doit s’entendre de toutes les espèces d’êtres,
mais non de tous les membres de chaque espèce. Cette citation doit être
entendue des hommes dans leur état terrestre, en ce sens que Dieu eût pitié des
Juifs comme des Gentils, mais non de tous les Gentils ni de tous les Juifs.
Solution 3 :
Saint
Anselme estime que ce ne serait point juste et ne conviendrait pas à la bonté
divine ; mais il parle de la créature selon son espèce. Il ne convient pas à la
bonté divine que toute une espèce de créatures manque la fin pour laquelle elle
a été faite. Il ne convient donc pas que tous les hommes ou tous les anges
soient damnés. Mais rien n’empêche que quelques-uns parmi les hommes ou les
anges périssent éternellement, puisque l’intention de la volonté divine se
trouve réalisée en ceux qui sont sauvés.
Objection 1 :
Il semble que la miséricorde divine ne supporte pas un châtiment
éternel, du moins pour les hommes, car il est dit dans la Genèse : « Mon esprit
ne demeurera pas contre l’homme éternellement, car il est chair. » Et ici, ce
mot esprit signifie "mon indignation », comme cela ressort de la Glose.
Puisque l’indignation de Dieu n’est pas autre chose que le châtiment qu’il
inflige, il ne punira pas éternellement.
Objection 2 :
La charité des saints, en cette vie, les fait prier pour leurs
ennemis. Là-haut, ils auront une charité plus parfaite, et prieront donc pour
leurs ennemis damnés. Leurs prières ne pourront être inefficaces, puisqu’ils
sont très agréés par Dieu. Donc, à cause de ces prières des saints, la
miséricorde divine libérera un jour les damnés de leur punition.
Objection 3 :
La prédiction par Dieu, de l’éternité du châtiment des damnés appartient
aux prophéties de menace. Mais une prophétie de menace ne s’accomplit pas
toujours, comme cela apparaît dans Jonas : il dit que Ninive serait détruite et
elle ne le fut point comme il l’avait prédit, et Jonas en fut attristé. Il
semble donc que, bien plus encore, la miséricorde divine changera la menace
d’un châtiment éternel en une sentence très douce, qui ne donnera à personne de
la tristesse, mais procurera à tous de la joie.
Objection 4 :
Le Psalmiste dit : « Dieu sera-t-il en colère pour l’éternité ? »
Or, la colère de Dieu, c’est la punition des méchants. Donc…
Objection 5 :
À propos d’Isaïe « Tu as été projeté », la Glose
interlinéaire dit : « Même si toutes les âmes trouvent un jour le repos, toi tu
ne l’auras jamais », en parlant du diable. Il semble donc que toutes les
âmes humaines trouveront un jour la cessation de leurs tourments.
Objection 6 :
Ce que Dieu peut faire, il le fait si cela convient avec sa
miséricorde. Or Dieu peut donner aux hommes damnés la possibilité de sortir de
leur perversion, par exemple en les réincarnant sur la terre avec un autre
corps, de telle manière qu’ils perdent le souvenir même de leur orgueil passé.
Il semble donc que Dieu donne une fin au châtiment des damnés.[892]
Objection 7 :
Si Dieu ne peut supprimer la volonté perverse de l’homme qui se
sépare de lui, il peut au moins supprimer la peine du feu et les autres peines
qui viennent de sa justice en enfer. Donc la miséricorde de Dieu ne tolère pas
les peines éternellement en enfer.
Objection 8 :
On
attribue à Origène la théorie dite de l’apocatastase selon laquelle même les
démons se convertiraient finalement à la bonté divine. Dans cette ligne, se
place l’Ambrosiaster et saint Jérôme. Dans ce sens aussi, Grégoire de Nysse
affirme : « Quand seront rétablis dans leur condition primitive ceux qui sont
maintenant plongés dans le vice, le concert d’actions de grâces s’élèvera de
toute créature. »
Cependant :
Il est dit
en saint Matthieu 18, 8, à propos des élus et des réprouvés : « Ceux-ci iront
au supplice éternel, mais les justes, à la vie éternelle. » Il ne convient pas
de dire que la vie des justes cessera. Il ne convient donc pas non plus de dire
que le supplice des réprouvés se terminera.
En outre,
saint Jean Damascène dit : « La mort est pour les hommes ce que la chute fut
pour les anges. » Mais les anges, après la chute, furent irréformables. Donc
aussi les hommes après leur mort. Le supplice des réprouvés ne cessera donc
jamais.
Conclusion :
Comme le
dit saint Augustin, certains suivirent sur ce point l’erreur d’Origène, et
affirmèrent que les démons seraient punis à jamais, tandis que tous les hommes,
même les infidèles, seraient un jour libérés de leur châtiment. Mais cette
position est tout à fait déraisonnable. Car, de même que les démons doivent
être punis perpétuellement à cause de leur obstination dans le mal, ainsi
également, les âmes des hommes qui sont morts sans la charité, puisque la
liberté de la mort est pour les hommes comme celle de la chute pour les démons.
Solution 1 :
Cette citation doit être entendue de l’homme selon qu’il est sur
cette terre. Il peut arriver que Dieu enlève la grâce de ses bienfaits
matériels ou spirituels de manière provisoire, jusqu’à ce qu’une génération
touche le fond de sa misère et en vue d’un renouveau de la génération suivante.
Dieu se sert des lois de la sociologie. Quand le peuple redevient réceptif à la
grâce, l’indignation de Dieu s’éloigne du genre humain, à cause de l’avènement
du Christ. Mais ceux qui ne veulent pas entrer ou demeurer dans cette
réconciliation que le Christ a opérée, perpétuent en eux-mêmes la colère
divine, puisqu’il n’y a point pour nous d’autres manières de réconciliation que
celle qui se réalise à travers le Christ.
Solution 2 :
Comme disent saint Augustin et saint Grégoire, « les saints, au
cours de cette vie, prient pour leurs ennemis afin qu’ils se convertissent à
Dieu, tant que cela est encore possible. Si nous savions qu’ils sont déterminés
de manière obstinée et libre à la mort spirituelle, nous ne prierions pas plus
pour eux que pour les démons. » Mais puisque, après cette vie, ceux qui
sont morts sans la grâce ne voudront plus de conversion, aucune prière ne sera
faite pour eux, ni par l’Église militante, ni par l’Église triomphante. Pour
eux, on ne peut rien comme dit saint Paul, pour que Dieu "leur donne de
faire pénitence, et qu’ils sortent des lacets du diable. »
Solution 3 :
La prophétie de menace ne change que si sont modifiés les mérites
de celui contre qui est proférée la menace. C’est pourquoi Jérémie dit : « Je
parlerai aussitôt contre cette nation, contre ce royaume, afin de le déraciner,
de le détruire et de le disperser. Si cette nation fait pénitence de son mal,
je ferai moi-même pénitence pour le mal que j’ai eu l’intention de lui faire. »
Puisque les mérites des damnés ne peuvent plus changer, la menace de leur
châtiment s’accomplira toujours en eux. Cependant, la prophétie de menace
s`accomplira toujours en eux en un certain sens, car, comme dit saint Augustin,
« Ninive a été bouleversée, puisqu’elle était mauvaise et est devenue bonne :
ses remparts et ses maisons sont demeurés, mais les mauvaises mœurs de la ville
furent détruites. »
Solution 4 :
Ce mot du psaume vaut pour les vases de miséricorde qui ne se sont
pas rendus indigne de la miséricorde ; car, en cette vie, qui est comme une
manifestation de la colère de Dieu à cause des souffrances d’ici-bas, les vases
de miséricorde sont transformés en mieux. D’où ce mot du psaume : « Ce
changement est l’œuvre de la droite du Très-Haut. » On peut dite aussi que ce
passage doit être entendu de la miséricorde qui produit un relâchement, mais
sans libérer totalement, si on l’applique aux damnés. C’est pourquoi il est
écrit : non pas « il préservera de sa colère ses miséricordes », mais bien
: « dans sa colère », parce que la peine ne sera pas totalement supprimée, et
tandis qu’elle demeure, la miséricorde agira pour la diminuer.
Solution 5 :
Cette Glose ne peut pas être prise absolument, mais dans une
l’hypothèse impossible pour accroître la grandeur du péché du diable lui-même
ou de Nabuchodonosor.
Solution 6 :
Ce qui convient à la miséricorde de Dieu ne convient pas forcement
à sa sagesse. Or Dieu, dans l’ordre de sa sagesse, a fait de l’homme une
personne c’est-à-dire un être qui se dirige lui-même en suivant le libre
arbitre de son esprit. C’est pourquoi, au terme d’une certaine croissance,
l’homme obtient les conditions d’une liberté parfaite. C’est donc librement que
l’homme se damne. Il est contradictoire avec la sagesse de Dieu qu’il détruise
ce libre arbitre sous prétexte que l’homme s’en est servi pour mal agir. C’est
pour cela qu’il n’efface jamais la personnalité de l’homme en le réincarnant
dans un autre corps et en effaçant ses souvenirs.
Solution 7 :
Les peines
de l’enfer ne sont que les conséquences naturelles dans la nature humaine de la
perversité de la volonté des damnés. Ainsi, le feu n’est autre que le désir
naturel de Dieu qui a été frustré et le ver du remords la révolte de la
conscience profonde. Ces peines là ne peuvent donc en aucun cas disparaître
tant que la volonté reste dans son obstination. Quant à l’emprisonnement de
l’âme qui est due au feu matériel, il est nécessaire pour que ces damnés ne
puissent pas venir effrayer les vivants ou ennuyer les élus.
Solution 8[893]
:
Le Magistère se situe dans le sillon de la Tradition, et Vatican
II encore nous rappelle la possibilité du refus de la vie qu’elle entraîne : « Ignorants
du jour et de l’heure, il faut que, suivant l’avertissement du Seigneur, nous
restions constamment vigilants pour mériter, quand s’achèvera le cours unique
de notre vie terrestre,[894]
d’être admis avec Dieu aux noces et comptés parmi les bénis de Dieu[895]
au lieu d’être, comme de mauvais et paresseux serviteurs[896]
écartés par l’ordre de Dieu vers le feu éternel[897],
vers ces ténèbres du dehors où « seront les pleurs et les grincements de
dents ».[898]
Objection 1 :
Il semble que, du moins pour les chrétiens, la miséricorde divine
mettra fin au châtiment, car nous lisons en saint Marc : « Celui qui aura cru
et aura été baptise sera sauvé. » C’est le cas de tous les chrétiens : ils
seront donc finalement sauvés.
Objection 2 :
Il est dit en saint Jean : « Celui qui mange ma chair et boit mon
sang, possède la vie éternelle. » C’est l’aliment et le breuvage communs des
chrétiens. Tous ceux-ci seront donc finalement sauvés.
Objection 3 :
Saint Paul
écrit en 1 Corinthiens 3, 15 : « Si celui dont l’œuvre est brûlée subit un
dommage, lui-même sera pourtant sauvé, bien que comme à travers le feu. » Il
parle ici de ceux qui ont possédé le fondement de la foi chrétienne. Donc,
ceux-ci seront tous sauvés finalement.
Cependant :
Saint Paul
dit aux Corinthiens : « Les gens iniques ne posséderont pas le royaume de Dieu.
» Mais il y a des chrétiens qui sont iniques. Tous les chrétiens ne
parviendront donc pas au Royaume, et certains seront punis perpétuellement. En
outre, il est dit en saint Pierre : « Il eût été mieux pour eux de ne point
connaître la voie de la justice, plutôt que, après l’avoir connue, de retourner
en arrière, loin du saint précepte qui leur avait été donné. » Ceux qui n’ont
pas connu la voie de la vérité seront punis éternellement ; donc aussi les
chrétiens qui ont reculé après l’avoir connue.
Conclusion :
Certains,
à ce que dit saint Augustin, promirent l’absolution de la peine éternelle, non
à tous les hommes, mais aux seuls chrétiens, et ils différèrent dans la
précision de leur pensée. Les uns dirent que tous ceux qui ont reçu les
sacrements de la foi seront exempts de la peine éternelle. Mais cela est
contraire à la vérité, puisque certains reçoivent les sacrements de la foi sans
avoir la foi, « sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu. » D’autres
dirent que seuls seront exempts de la peine éternelle ceux qui ont reçu les
sacrements de la foi et ont possédé la foi catholique. Mais il semble contraire
à cette opinion que des hommes aient possédé la foi catholique et s’en soient
ensuite éloignés : ils sont donc dignes non pas d’un châtiment moindre, mais plus
grand. Car, « il eut été mieux pour eux de ne pas connaître la voie de la
justice que de retourner en arrière après l’avoir connue. » Il est clair que le
péché des chefs religieux qui, abandonnant la foi, fondent de nouvelles
hérésies, est plus grand que celui de ceux qui par leur naissance ont été
élevés dans une hérésie. C’est pourquoi, d’autres ont dit que seuls sont
exempts de la peine éternelle ceux qui persévèrent jusqu’à la fin dans la foi
catholique quels que soient les crimes dans lesquels ils sont impliqués. Mais
cela est manifestement contraire à l’Écriture, car il est dit en saint Jacques :
« La foi sans les œuvres est morte » et dans saint Matthieu : « Ce ne sont
pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume
des cieux, mais bien celui qui accomplit la volonté de mon Père qui est dans
les cieux. » Et en beaucoup d’autres passages, l’Écriture menace les pécheurs
de châtiments éternels. Donc, tous ceux qui persistent jusqu’à la fin dans la
foi ne seront exempts de la peine éternelle que si, à la fin, ils sont libérés
de tous les crimes.
Solution 1 :
Le Seigneur parle ici de la foi formée, qui agit par amour : tout
homme qui meurt avec cette foi sera sauvé. À cette foi s’oppose, non seulement
l’erreur de l’infidélité, mais tout péché mortel.
Solution 2 :
Cette parole du Seigneur doit être entendue non au sujet de ceux
qui ne font que manger sacramentellement l’Eucharistie, et dont certains
parfois la mangent indignement. Selon saint Paul aux Corinthiens, ils « mangent
et boivent leur condamnation. » Le Maître parle de ceux qui mangent
spirituellement, et qui sont incorporés à lui par la charité : c’est ce
qu’opère la manducation sacramentelle, si quelqu’un s’en approche dignement.
Donc, en vertu du sacrement l’âme est introduite en la vie éternelle, bien que
quelqu’un puisse être privé de ce fruit par son péché, même après avoir reçu
dignement ce sacrement.
Solution 2 :
Le
fondement dont parle l’Apôtre est la foi formée. Celui qui a construit sur elle
des péchés véniels subira un dommage, puisqu’il sera puni par Dieu : mais
lui-même sera finalement sauvé, comme par le feu : Soit celui d’une épreuve
temporelle, soit celui de la peine du purgatoire après la mort.
Objection 1 :
Il semble que oui, et que seuls seront punis éternellement ceux
qui ont négligé les œuvres de miséricorde. Il est dit en effet dans saint
Jacques : « Le jugement s’accomplira sans miséricorde pour ceux qui n’ont point
fait miséricorde », et dans saint Matthieu : « Bienheureux les
miséricordieux, parce qu’ils jouiront eux-mêmes de la miséricorde. »
Objection 2 :
Saint Matthieu 25, 44 expose la discussion judiciaire du Seigneur
avec les reprouvés et les élus. Mais cela ne porte que sur les œuvres de
miséricorde. Donc certains seront punis éternellement uniquement à cause de
leur omission des œuvres de miséricorde. Donc…
Objection 3 :
Il est dit en saint Matthieu : « Remettez-nous nos dettes comme
nous les remettons à nos débiteurs », et plus loin : « Si vous pardonnez aux
hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos péchés. » Il
semble donc que les miséricordieux qui pardonnent aux autres leurs fautes,
obtiendront eux-mêmes le pardon de leurs péchés : ils ne seront donc pas punis
éternellement.
Objection 4 :
Une glose
de saint Ambroise, au sujet de l’épître de saint Paul à Timothée : « la piété
est utile à tout », dit : « Tout l’essentiel de la discipline chrétienne
consiste en la miséricorde et la piété : si quelqu’un les pratique, mais subit
les périls de la chair, il sera sûrement châtié, mais ne périra pas. Mais si
quelqu’un n’a pratiqué que la discipline corporelle, il souffrira des peines
éternelles. » Dès lors, ceux qui se livrent aux œuvres de miséricorde tout en
étant entraînés par les péchés de la chair, ne seront point punis
éternellement.
Cependant :
Saint Paul
dit en 1 Corinthiens 6, 9 : « Ni les fornicateurs, ni les adultères, ne
posséderont le royaume de Dieu. » Or, parmi eux il y a beaucoup de personnes
qui s’adonnent aux œuvres de miséricorde. Les miséricordieux ne parviendront
donc pas tous au royaume éternel, et quelques-uns d’entre eux seront damnés
éternellement. En outre, il est dit en saint Jacques : « Quiconque a observé
toute la loi, mais l’enfreint sur un point, est coupable de tout. » Donc celui
qui garde la loi au sujet des œuvres de miséricorde, mais néglige d’autres
bonnes œuvres, est coupable de transgression de la loi et sera puni
éternellement.
Conclusion :
Comme dit
saint Augustin, certains affirmèrent que ceux qui possèdent la foi catholique
ne seraient pas tous libérés de la peine éternelle, mais seulement ceux qui se
livrent aux œuvres de miséricorde, même s’ils sont coupables d’autres crimes.
Mais cela ne peut être, car sans la charité rien n’est agréable à Dieu, et rien
ne peut servir à mériter la vie éternelle, puisque la vie éternelle consiste en
une alliance d’amour de charité avec Dieu. Or, il y a des personnes qui
pratiquent la miséricorde sans avoir la charité.
Cependant, celui qui pour des raisons de réelle bonté humaine
s’est montré miséricordieux durant sa vie a le cœur disposé à se tourner vers
le Christ miséricordieux au jour où l’Evangile lui sera annoncé. C’est
pourquoi, les vertus humaines des hommes, si elles ne sauvent absolument pas en
elles-mêmes, préparent cependant l’homme au salut pour le jour de la venue du
christ dans sa gloire. D’où cette parole du Seigneur [900]:
« Et le Roi leur fera cette réponse: En vérité je vous le dis, dans la mesure
où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que
vous l'avez fait. »
Il est
certaines personnes qui pratiquent la miséricorde pour des motifs mauvais
(comme l’obtention de gloire, ou d’un avantage en retour). Pour elles, rien ne
sert à obtenir la vie éternelle, ni à les libérer du châtiment éternel, comme
nous le voyons dans l’épître aux Corinthiens. Cela apparaît surtout absurde à
propos des voleurs, qui s’emparent de beaucoup de biens mais font quelques dons
par miséricorde ou, pire, pour paraître miséricordieux et s’attirer une bonne
réputation. On doit donc dire que tous ceux qui meurent en état de péché mortel
ne seront libérés du châtiment éternel, ni par leur foi, ni par leurs œuvres de
miséricorde, même après un très long espace de temps.
Solution 1 :
Ceux-là seuls sont dans la miséricorde de Dieu, qui exercent la
miséricorde d’une manière bien ordonnée, c’est-à-dire pour un motif lié à la
vertu théologale de charité. Ceux qui exercent la miséricorde pour un motif
liée à une volonté humaine droite sont cependant préparés à reconnaître le
Christ et sa charité lorsqu’il les appellera au salut. Ce n’est point le cas de
ceux qui, en faisant miséricorde aux autres, ne pensent qu’à eux-mêmes, et
s’attaquent à eux-mêmes en agissant mal. Ceux-là ne recevront pas une
miséricorde qui les absoudrait totalement, même s’ils reçoivent des dons qui
les soulagent de quelques peines.
Solution 2 :
Matthieu 25, 44 : « Alors ceux-ci lui demanderont à leur
tour: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé,
étranger ou nu, malade ou prisonnier, et de ne te point secourir ? Alors il
leur répondra: En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l'avez pas
fait à l'un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait. » Cette
discussion indique que ceux qui, pourtant chrétiens, ne pratiquent pas la
miséricorde, ne peuvent obtenir le salut. Elle signifie aussi que ceux qui, non
chrétiens, pratiquent la miséricorde par un réel motif de bonté, ont le cœur
disposé à vivre de la charité dès que la foi leur est enseignée. Cependant, ce
n’est pas leur miséricorde qui par elle-même les sauve, bien qu’elle les
prépare au salut.
Solution 3 :
Cette parole du Seigneur s’adresse à ceux qui demandent la rémission
de leur dette non à ceux qui demeurent dans leur péché. Dès lors, ceux-là seuls
qui font pénitence obtiennent, par leurs œuvres de miséricorde le pardon qui
les délivre totalement. Et il est vrai que celui qui est miséricordieux avant
de connaître le Christ est disposé à le devenir par amour du Christ le jour de
sa Révélation.
Solution 4 :
La glose
de saint Ambroise parle du péché véniel, dont quelqu’un, après les peines
purificatrices, qu’il appelle châtiment, sera absout à cause de ses œuvres de
miséricorde. Ou bien, s’il parle de péril du péché mortel, on doit l’entendre
en ce sens que, se trouvant encore en cette vie, ceux qui sont tombés dans les
péchés charnels par fragilité, seront disposés à la pénitence, à cause de leurs
œuvres de miséricorde. Un tel pécheur ne périra pas, parce que grâce à ces
œuvres il sera disposé de telle sorte qu’il ne périra pas.[901]
Successivement, nous traiterons de son
existence, de sa nature, de son effet sur les âmes.
A propos
du purgatoire, nous nous demanderons :
1° Existe-t-il un purgatoire après cette vie
?
2° Existe-il six degrés du purgatoire ?
3° La vie terrestre est-elle le premier
purgatoire ?
4° Les purgatoires de l’au-delà ont-ils un
lieu ?
5° Certaines
âmes se purifient-elles en se réincarnant sur terre ?
Objection 1 :
La notion de purgatoire n’a été définie par l’Église qu’au XVème
siècle. Il semble que les Pères n’y ont pas cru avant. Elle ne saurait donc
être un dogme de foi mais seulement un ajout à la foi.
Objection 2 :
L’Apocalypse semble le nier[903]
: « heureux les morts qui meurent dans le Seigneur! Dès maintenant, dit
l’Esprit, qu’ils se reposent de leurs travaux. » Ceux qui meurent dans le
Seigneur n’ont donc pas à subir un travail de purification après cette vie ;
pas davantage ceux qui ne meurent pas dans le Seigneur, puisqu’il n’y a pas,
pour eux, de purification possible.
Objection 3 :
Le rapport est le même entre la charité et la récompense éternelle,
le péché mortel et le supplice éternel. Or ceux qui meurent en état de péché
mortel vont immédiatement au supplice éternel. Donc ceux qui meurent en état de
grâce vont tout droit au Ciel.
Objection 4 :
Dieu qui
est souverainement miséricordieux, est plus prompt à récompenser le bien qu’à
punir le mal. Or de même que ceux qui sont en état de grâce peuvent avoir
commis certains péchés qui ne méritent pas la peine éternelle, de même ceux qui
sont en état de péché mortel peuvent avoir fait quelque bien qui ne mérite pas
la récompense éternelle. Dès lors, puisque ce bien n’est pas récompensé dans
l’autre vie, ces péchés ne doivent pas être punis non plus (Selon Alexandre de
Halès).
Cependant :
Le pape
Clément VI écrit[904]
: « Nous croyons que c’est au purgatoire que descendent les âmes de ceux qui
meurent en état de grâce et qui n’ont pas encore satisfait pour leur péché par
une entière pénitence. De même, nous croyons qu’elles y sont tourmentées par un
feu pour un temps et que, dès leur purification, avant même le jour du
jugement, elles parviennent à la véritable et éternelle béatitude qui consiste
à voir Dieu face à face et à l’aimer. »
Conclusion :
L’existence
du purgatoire est un article de foi qui trouve son fondement dans l’Écriture
Sainte d’une manière explicite. Il est écrit au livre des Macchabées[905]
: « C’est une sainte et salutaire pensée que de prier pour les défunts, afin
qu’ils soient délivres de leurs péchés. » Or ceux qui sont au paradis n’ont pas
besoin de prières puisqu’ils ne manquent de rien ; ceux qui sont en enfer n’en
ont que faire, puisqu’ils ne veulent être délivrés de leurs péchés. Il y a donc
dans l’autre monde des âmes qui peuvent parvenir à la gloire par une
purification. C’est ce que veut dire saint Paul dans l’épître aux Corinthiens[906]
: « Quant à l’homme qui aura bâti sa maison avec du bois, du foin, de la
paille, il sera sauvé, mais comme à travers un feu. »
Mais on
peut établir d’une manière théologique la nécessité du purgatoire pour
certaines âmes. Le fondement de toute théologie catholique est le suivant : « L’entrée
dans la vision de Dieu se fait à travers le consentement mutuel, comme dans le
mariage entre Dieu et de la créature élevée par la grâce. Mais la créature doit
être adaptée à la nature de son époux, à savoir devenir tout humble (kénose) et
tout amour. » Au moment de la mort, face à la parousie de l’image de Dieu que
constitue le Christ glorieux accompagné des saints et des anges, la contrition
peut être parfaite et supprimer tout péché mortel ; l’amour de charité s’enflamme
alors tout entier au point que l’âme aime Dieu de toute sa force. L’âme reçoit
alors le pardon de toutes ses fautes et est établie par la grâce en état de
sanctification. Cependant, il peut subsister certains restes du péché dans
l’âme et ils sont de deux sortes :
1° Un manque d’humilité : il s’agit d’un
attachement habituel de l’âme à elle-même qui l’empêche de se donner pleinement
et totalement à l’amour de Dieu. Ce vice de l’âme fait subsister des péchés
véniels actuels qui rendent imparfaits l’acte de la charité. À cause de ces
restes des péchés passés, l’âme est comme entachée. Il lui est donc impossible
d’être immédiatement introduite dans la lumière de Dieu, non à cause d’un
défaut de cette lumière mais à cause de la tâche elle-même qui empêche la
lumière de pénétrer. Il est donc nécessaire que le reste du péché soit détruit
par une purification.
2° Une dette de pénitence : En outre, il
peut subsister des péchés passés et lavés par la contrition une obligation à la
peine. Chaque péché réalise en effet un désordre dans le monde qui peut être
rétabli d’une manière juste par la pénitence. Ainsi, celui qui vole son
prochain est tenu de restituer s’il veut rétablir pleinement le droit. De même,
la justice divine peut exiger de l’âme la satisfaction de la peine non
accomplie sur cette terre, dans l’autre vie. C’est ce que dit saint Luc[907]
: « hâte-toi de te réconcilier avec ton adversaire tant que tu es en chemin
avec lui (…) Je te le dis, tu ne sortiras pas de prison que tu n’aies rendu
même jusqu’au dernier sou. » C’est principalement par ce texte que l’Église
admet la nécessité de réparer, même au purgatoire, pour les désordres issus de
nos péchés. Nous verrons cependant que "l’indulgence" de Dieu qui
peut nous en dispenser.
De ces
deux considérations, il ressort la nécessite d’un purgatoire après cette vie
pour les âmes chez qui il subsiste la moindre imperfection. L’essence divine
est d’une si grande et incompréhensible pureté qu’elle ne saurait être vue par
une âme imparfaitement purifiée. Vatican Il rappelle sobrement la doctrine des
autres Conciles dans le chapitre sur le caractère eschatologique de l’Église[908]
: « Ainsi donc, en attendant que le Seigneur soit venu dans sa majesté,
accompagné de tous les anges, et que, la mort détruite, tout lui ait été
soumis, les uns parmi ses disciples continuent sur terre leur pèlerinage ;
d’autres, ayant achevé leur vie, se purifient encore ; d’autres enfin sont mis
dans la gloire contemplant dans la pleine lumière, tel qu’il est le Dieu en
trois Personnes. »
Solution 1 :
Au XVe siècle, l’Église n’a pas inventé le purgatoire mais elle en
a proclamé, au plan de son Magistère romain, la définition solennelle.
L’opposition de Luther à cette doctrine vient moins de la proclamation tardive
par l’Église de cette foi explicitement contenue dans l’Écriture, que de la
conception du salut qui domine dans les confessions réformées. En effet, ils ne
voient pas l’entrée dans la vie de Dieu comme un consentement libre et mutuel
lié à l’amour réciproque de charité. Pour eux, même élevée par la grâce, la
liberté humaine est définitivement détruite quand il s’agit de ces sujets.
L’homme est élevé à la Vision béatifique non comme une épouse libre mais comme
un enfant confiant et incapable d’une autre coopération que cette confiance passive.
En conséquence, admettre une purification de la liberté avant comme après la
mort leur est insupportable. Là se trouve la racine de toute différence entre
Réforme et foi catholique ou orthodoxe.
Solution 2 :
Dans le purgatoire qui subsiste après la parousie du Christ, les
âmes sont saintes. En pleine liberté, le choix de Dieu qu’elles ont fait est
définitif. Elles savent, de science certaine, qu’elles verront Dieu dès que
leur humilité aura été perfectionnée et leur dette payée. En ce sens, elles sont
dans le repos, la joie et la paix.
Solution 3 :
Le mal
n’est pas semblable au bien. Il n’existe pas de mal sans quelque bien. En
enfer, les damnés, malgré la parfaite lucidité de leur rejet de Dieu, restent
des créatures spirituelles dont la nature est bonne. Au contraire, le bien
parfait exigé par la Vision de Dieu ne supporte aucun reste d’impureté. C’est
pourquoi, même fixée dans l’amour de Dieu, une âme sainte peut rester
imparfaitement bonne et à purifier.
Solution 4 :
Pour entrer auprès de Dieu, pour vivre du bonheur infini qui
consiste à le voir et à l’aimer face à face, il est absolument nécessaire de
devenir semblable à lui, dans la proportion adaptée à une faible créature, à
savoir tout humble (kénose) et tout donné à l’amour. Ici se trouve la clef de
tout. « Nul ne peut voir Dieu sans mourir à lui-même[909]
», enseigne l’Ancien Testament. À cause de la pureté et de la délicatesse de
Dieu, n’importe quel amour, n’importe quelle humilité ne suffit pas mais
seulement un amour d’amitié total, dépouillé de toute recherche intéressée. Le
moindre orgueil, le moindre égoïsme, et l’entrée face à Dieu devient
impossible, comparable à un viol alors qu’elle devrait être un mariage. Il ne
s’agit pas d’une condition liée à une convenance de la part de Dieu mais d’une
nécessité de nature. Toute la vie de Jésus en est la révélation. L’image de
l’amour nécessaire est visible à travers la vie de Jésus. Ceux qui l’ont mis à
mort et qui se moquent de lui, il les aime au point qu’il les accueille à
l’heure de leur mort et leur propose, sous condition de repentir et de
conversion totale, la vie éternelle.
Concrètement, personne ne peut entrer dans la vie éternelle. Les
conditions exigées sont impossibles à l’homme. Il est impossible de devenir
humble (kénose) et aimant à ce niveau là. Il suffit de considérer avec réalisme
notre mentalité humaine. Mais, explique Jésus après une question de ses
disciples sur ce thème[910],
ce n’est pas impossible à Dieu, d’où le purgatoire.
Pour résumer, il peut être plus simple de comprendre les choses
ainsi : Parce que Dieu est infinie délicatesse de l’humilité et de l’amour, nul
ne peut le voir et être heureux de son bonheur que s’il l’épouse. C’est un
mariage d’amour où il est exigé de la fiancée (nous-mêmes) d’être comme Dieu[911]
: tout humble (kénose) et tout amour[912].
Sans ces qualités du cœur, nul ne peut épouser Dieu car nul ne peut alors
comprendre quoique ce soit de Dieu.
Objection 1 :
Cela
ne semble pas possible. Si l’on distingue six degrés du purgatoire, c’est qu’il
peut y avoir perfectionnement de la charité. Or Martin Luther montre que la
charité ne peut croître.
Objection 2 :
L’existence
d’un purgatoire appelé shéol ou limbes situé après la mort et où le désir de
Dieu pourrait augmenter est contraire à la foi puisque aussitôt après la mort,
les âmes reçoivent leur récompense ou châtiment selon leur mérite ou démérite.
Objection 3 :
Dès
l’entrée dans le purgatoire, l’âme possède une charité parfaite, selon sainte
Catherine de Gênes. Aucun purgatoire ne semble donc nécessaire après
l’apparition du Christ.
Objection 4 :
Si
l’on admet trois degrés de purification après la parousie du Christ, pourquoi
ne pas admettre de nombreux autres degrés intermédiaires par lesquels l’âme
passe avant de contempler Dieu face à face.
Objection 5 :
Dès
cette terre, certains hommes sont préoccupés uniquement par la recherche de
Dieu et "désirent mourir pour être avec le Christ" comme saint Paul.
Il semble qu’il soit inutile qu’ils passent par les degrés du purgatoire qui
suivent la mort.
Cependant :
Dans
tout mouvement, il y a un début, un progrès et une fin. Or la purification de
l’âme est un mouvement qui aboutit au détachement total de soi. Donc on doit
admettre qu’il peut y avoir plusieurs étapes dans cette purification. C’est ce
que confirme sainte Catherine de Gênes[914] : « la joie des âmes augmente en
proportion qu’elles s’approchent de Dieu, qu’elles s’occupent uniquement de lui.
»
Conclusion :
Si
l’on considère l’homme dans la totalité de son histoire, c’est-à-dire depuis sa
conception par ses parents jusqu’à son entrée dans la vision de Dieu, deux
types de croissances peuvent être discernés : 1° une croissance humaine et
naturelle. 2° une croissance surnaturelle liée à la grâce.
Au
terme, il convient que toute créature humaine soit capable 1° de poser un acte
de choix libre et conscient, volontaire et libre ; 2° de refuser Dieu où au
contraire de l’aimer sans aucune trace d’un quelconque amour désordonné de soi
(voir question 7).
En
scrutant la tradition la plus lointaine de l’Église, on arrive à discerner
l’existence de six demeures du purgatoire. Il s’agit de six étapes successives.
L’homme n’est pas obligé de passer par toutes. L’essentiel est, qu’au terme,
l’amitié (Agape) pour Dieu et le prochain soit devenue tout humble (kénose).
Les
deux premiers purgatoires sont caractérisés par le fait que le Ciel et ses
habitants se cachent. Ce sont les purgatoires du "silence de Dieu »[915], les purgatoires de l’ombre.
1° La première demeure est la vie terrestre.
Elle est l’un des plus terribles purgatoires en ce sens que l’homme n’est pas
sûr autrement que par un acte de foi du projet de Dieu. Il est laissé dans
l’absence d’évidence. Il est possible à certains de comprendre avec leur raison
que Dieu existe et que l’âme survit après la mort pour un jugement. Mais
l’homme est laissé dans l’ignorance totale de la nature de ce jugement… sauf
s’il accepte de croire : « Heureux celui qui croit sans avoir vu »[916]. Cette première étape est très efficace
pour disposer le cœur de l’homme, à travers une succession de bonheur fragile
et d’abandons, vers une soif de plus en plus intense d’un salut : « Y a t il
quelqu’un là-haut, qui entend nos prières ?[917] »
2° La deuxième est le domaine des âmes
errantes. Ce purgatoire est décrit par saint Bernard dans sa vie de saint
Malachie. C’est un lieu que la Bible appelle « le territoire des
ombres[918] » ou ailleurs le « shéol »[919]. Elle
commence avec l’arrêt du cœur et se termine lorsque le Christ et les saints
paraissent. La prolongation d’une errance dans le shéol n’est nécessaire qu’aux
âmes extrêmement rustres ou coupables d’un grand crime, quoique non obstinées
dans le mal, et pour qui un délai d’errance et de solitude entre ce monde et
l’autre aura l’effet positif de développer un minimum de sensibilité à l’amour.
L’homme constate que la mort ne conduit pas au néant. En ce sens, il n’a plus
peur. Mais, s’il se prolonge, ce temps de shéol peut constituer pour certains
hommes particuliers une grande souffrance et purification en vue du salut parce
qu’il erre sans but dans une solitude qui paraît ne jamais devoir s’arrêter. Il
est inquiet et tremble à l’idée que Dieu ou les dieux sont des forces hostiles
dont il ignore la nature.
Les
quatre derniers purgatoires (à partir de l’apparition du Messie glorieux), sont
caractérisés par le fait qu’une connaissance totale de la Révélation est
donnée. Ce sont les purgatoires de lumière.
3° Le premier est vécu à travers
l’apparition glorieuse du Christ accompagné des saints et des anges (voir
question 8), telle que la décrit saint Faustine dans son Journal. Il
s’agit bien du "troisième ciel" où fut ravi saint Paul et qu’il
décrit en 2 Corinthiens 12, 2. Cette parousie se produit dans le passage du
shéol (dans la mort) la plupart du temps sans délai. La puissance de sa vision
provoque un tremblement dans l’âme, plus puissant que tout. À la lumière de la
pureté de l’humilité (kénose) et de l’amour du Messie, l’âme est choquée de ses
propres ténèbres. L’effet en est la violente purification du reste de ses
illusions « Dies irae ». Dieu
apparaît à tout homme sous les voiles de son humanité (étape 3) avant de se
donner sous la forme de sa divinité (7). Personne n’échappe à cette étape qui
permet un choix libre.
4-5-6° Pour ceux qui choisissent le projet de
Dieu et en qui demeurent quelques restes du péché, s’ouvrent alors les trois
purgatoires mystiques décrits par sainte Catherine de Gênes dans son Traité
du purgatoire[920]. Les âmes, toutes amoureuses de Dieu,
passent de la volonté d’être un jour dignes de lui à la certitude qu’elles ne
le seront jamais. Elles deviennent vraies, c’est-à-dire humbles. L’amour
égoïste de soi ne subsiste dans cet état qu’à travers des restes qui sont comme
des tendances vicieuses de la volonté encore attachée à elle-même. Celui donc
qui, dans le purgatoire, désire se purifier des restes du péché en étant
principalement préoccupé par la lutte contre la tâche qu’ils laissent en lui,
peut être considéré comme un débutant dans la purification et c’est le premier
degré du purgatoire mystique. Celui dont la préoccupation principale est
d’établir de plus en plus la totalité des tendances de sa volonté dans l’unique
désir de Dieu, c’est-à-dire de progresser dans la purification de son âme est
dans le deuxième degré du purgatoire mystique, c’est-à-dire le degré des
progressants. Enfin, celui qui ne se préoccupe plus du tout de la pureté de son
âme mais ne désire qu’une chose, à savoir l’union à Dieu, appartient au
troisième degré du purgatoire mystique qui est celui des parfaits et qui peut
être appelé le parvis immédiat du Ciel. Elle peut donc être immédiatement
introduite dans la gloire de la vision béatifique.
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7-
Vision béatifique |
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6-
Parvis du Ciel |
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5-
Purgatoire de l’usure |
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4-
Purgatoire des fiers |
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3-
parousie du Christ (troisième ciel). |
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2-
Limbes |
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1-
Vie terrestre |
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Cette
théologie frappa les Pères de l’Église au point qu’ils virent les étapes
successives qui conduisent à l’amitié parfaite pour Dieu sous l’image de
l’échelle de Jacob. Le livre de la Genèse raconte que le petit-fils d’Abraham,
Jacob eut un songe[921] : « Voilà qu’une échelle était dressée
sur la terre et que son sommet atteignait le Ciel, et des anges de Dieu y
montaient et descendaient! Voilà que Yahvé se tenait devant lui et dit : « Je
suis Yahvé, le Dieu d’Abraham ton ancêtre et le Dieu d’Isaac. La terre sur
laquelle tu es couché, je la donne à toi et à ta descendance. » Il s’agissait
là, selon eux, de la vie humaine dans sa progression, pas après pas, vers la
vision de Dieu.
Solution 1 :
Luther
nie la possibilité même de la charité, c’est-à-dire d’un amour d’amitié
réciproque et libre entre Dieu et l’âme. Sa théologie constitue une perte par
rapport à l’Évangile mais non une perte totale car il admet un amour passif
d’abandon et de confiance. Les degrés du purgatoire ne se prennent pas tous de
l’augmentation de la charité[922]. Avant l’apparition du Christ glorieux,
de désir de Dieu peut augmenter, donc la charité dès que cet amour est proposé
explicitement. Au moment de son apparition, l’amour s’embrase tout entier.
L’âme aime de tout son cœur. Après l’apparition du Christ, la charité brûle
avec la même force l’âme au début et à la fin de la purification. Les trois
purgatoires décrits par sainte Catherine de Gênes ne concernent donc pas la
charité mais l’humilité (kénose), c’est-à-dire les restes du péché. Au
commencement de ce purgatoire mystique lorsque la présence glorieuse du Christ
s’efface, l’âme prie en disant : « Je t’aime et je deviendrais un jour digne de
ton amour. » Son amour est total mais il lui manque de cette humilité qui est
adaptée à l’essence même de Dieu. Au terme du purgatoire, laminée par
l’attente, l’âme dit : « Je ne suis pas digne de te recevoir. Mais dis
seulement une parole et je serai guéri. » Sans qu’elle l’ait provoqué elle-même,
par la seule vertu du feu de l’absence, son amour est devenu humble.
Solution 2 :
Le
shéol ne se situe pas après la mort. Il est le passage même de la mort,
c’est-à-dire qu’il n’est ni tout à fait ce monde ni encore l’autre monde. Il
est représenté dans l’Ecriture Sainte par le désert où vécut le peuple Juif
entre l’Egypte (ce monde) et la terre promise. Le Christ glorieux descend
visiter l’âme dans ce passage, sous forme d’une colonne de feu dit le livre de
l’Exode, de telle façon qu’à l’entrée dans l’autre monde, c’est-à-dire après la
mort (au sens théologique), l’âme soit pour l’éternité en état de mérite et de
démérite. Le fait que cette étape puisse se prolonger pour certains ne
constitue donc pas une opposition au dogme, sauf si l’on se donne une autre
définition de la mort (question 8, article 4).
Solution 3 :
Après
la venue du Christ glorieux, que la charité soit parfaite, cela signifie que
l’âme est définitivement établie dans l’amour de Dieu au point qu’elle ne peut
et ne veut se tourner vers une autre fin que celle de la charité. Mais cela ne
signifie pas qu’il ne demeure aucun reste de l’attachement à soi aussi bien
dans les tendances de la volonté que dans les préoccupations de l’intelligence.
Or celui qui commence à se détacher du péché véniel est dans une autre
disposition intérieure que celui qui progresse ou que celui qui arrive au
terme. Il y a donc trois degrés dans le purgatoire mystique, après la parousie
du Christ.
Solution 4 :
Toutes
les distinctions intermédiaires que l’on peut saisir dans la purification de
l’âme se trouvent comprises dans l’un ou l’autre des degrés dont on a parlé ;
de même que toute division pratiquée dans ce qui est continu est située, selon
le philosophe dans ces trois termes : le début, le milieu, la fin.
Solution 5 :
Ceux
qui, dès cette vie terrestre, ont déjà purifié leur âme de tout attachement à
eux-mêmes ne passent pas dans ou après la mort par le feu du purgatoire. Mais,
au cours de l’histoire humaine, en dehors du Verbe incarné, il ne s’est trouvé
qu’un seul humain pour vivre une telle perfection, à savoir la Vierge Marie.
Pour elle, l’apparition du Messie glorieux n’a en aucune façon constitué une
révélation de sa misère. Elle se savait si misérable, que la parousie de son
Fils ne fit que confirmer les paroles de l’ange à l’annonciation : « Tu es
pleine de grâce. » Pour tous les autres hommes, même les plus grands saints, un
purgatoire au moins est vécu après celui de cette terre. Il s’agit du
"jour du Seigneur" selon l’Écriture [923] : « En ce jour-là - oracle de Yahvé - le cœur
manquera au roi, il manquera aux chefs ; les prêtres seront frappés de stupeur
et les prophètes d'effroi. Et je dis : « Ah! Seigneur Yahvé, tu as vraiment
trompé ce peuple et Jérusalem quand tu disais : Vous aurez la paix alors que
l'épée nous a frappés à mort! »
Une
autre exception peut être discernée : c’est le cas des petits enfants ou des
malades mentaux parvenus innocents dans la mort (Question 19). Mais leur cas
n’est pas comparable puisqu’ils n’ont pas été confrontés à la lutte de la chair
pendant la vie terrestre. Comme nous le verrons, les innocents connaissent un
temps dans les limbes (deuxième purgatoire) où ils développent leur capacité de
choisir en présence des saints et des anges, avant la venue du Messie.
Ceux
qui sont dans l’état de progressants dans la charité n’ont pas besoin de passer
par le purgatoire des débutants car il y a continuité spirituelle entre le
purgatoire de cette terre et celui de l’au-delà.
Objection 1 :
Il
semble qu’il ne convienne pas de parler ainsi de la terre. Loin d’être un
purgatoire, elle ressemble plutôt à l’épreuve d’une tentation puisque bien des
hommes, confrontés aux injustices, loin de se tourner vers Dieu, le rejettent.
Objection 2 :
La
terre est un scandale selon saint Paul, et un scandale lié à la croix[924], c’est-à-dire à la souffrance, d’autant
plus incompréhensible qu’elle frappe coupables et innocents ensembles. Elle
n’est donc pas un purgatoire mais un scandale.
Objection 3 :
Il
semble que les épreuves de la terre, loin d'être purificatrices, sont plutôt la
punition du péché selon le Lévitique 26, 19 : « Je continuerai à vous châtier
au septuple pour vos péchés. Je briserai votre orgueilleuse puissance, je vous
ferai un Ciel de fer et une terre d'airain. »
Cependant :
L’Apocalypse
7, 13 affirme à propos des élus : « Ces gens vêtus de robes blanches, qui
sont-ils et d'où viennent-ils ? Ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve
: ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau. » La
grande épreuve est la vie terrestre. Avec la grâce du Christ, elle a le pouvoir
de laver les âmes. Donc elle est un purgatoire.
Conclusion :
On ne peut entrer dans la vie éternelle qu’à deux
conditions :
1° A titre de disposition, l’humilité poussée
jusqu’à la mort intérieure (kénose).
2° A titre de réalité, l’amour réciproque de charité
avec Dieu.
Il est impossible à l’homme de devenir par lui-même
tout humble et tout amour, dans la mesure voulue par Dieu et révélée par la vie
de Jésus. Mais, explique Jésus après une question de ses disciples sur ce
thème, ce n’est pas impossible à Dieu[925]. C’est
pourquoi, à travers une série d’étapes, Dieu va donc conduire les hommes de
bonne volonté à une conformité au Christ.
La première étape consiste en la vie terrestre qui
est marquée par plusieurs épreuves caractéristiques :
1° Le silence de Dieu (Ap. 8, 1) : il se
cache à la grande majorité des hommes. Il cache ses volontés, laissant la
plupart dans l’incertitude totale sur le destin qui suit la mort. C’est
l’épreuve la plus grande car celui qui ne connaît pas le but ne sait rien
d’essentiel.
2° Les injustices (Ap. 8, 9) puisque le bon
comme le mauvais sont frappés, à égalité, de toutes sortes de maux.
3° Les souffrances matérielles et spirituelles
(Ap. 6, 1) –maladie, famine, guerre, mort- au point que tout homme de ce monde
finit tôt ou tard par être vaincu. La vie est fragile, dépendante des aléas du
hasard et elle s’achève par la mort.
Ces épreuves sont, avec les nombreuses joies de
cette vie, des MOYENS utilisés par Dieu pour préparer l’homme au salut, comme
le montrent les sept mystères scellés de l’Apocalypse.
La FINALITE de toutes
ces épreuves est de donner à tout homme un cœur humble, de telle manière qu’il
soit préparé à accueillir favorablement l’Evangile du Messie, soit en cette
vie, soit à la onzième heure de cette vie. C’est ce qu’annonce le prophète Isaïe
(Luc 3, 4) : « Tout ravin sera comblé, et
toute montagne ou colline sera abaissée; les passages tortueux deviendront
droits et les chemins raboteux seront nivelés. »
Pour quelques uns qui sont disciples du Messie dès
cette terre, ces épreuves font davantage que disposer au salut à venir mais,
puisqu’ils vivent déjà dans une relation de charité avec Dieu, elles purifient
les restes de l’orgueil.
Pour résumer : sauf orgueil indéracinable, cette
vie est le premier purgatoire et elle produit au minimum de l’humiliation
qui est une préparation à l’humilité. Pour d’autres hommes, cette vie produit
de l’humilité et le désir d’un salut. Dans les deux cas, il s’agit d’une
disposition au salut. Pour quelques uns enfin, qui ont eu la chance de
connaître par la foi la volonté de Dieu, cette vie produit par le don de la
grâce surnaturelle, un amour de charité tout humble, pour Dieu et le
prochain, ce qui est déjà le salut vécu dans une véritable union affective.
Dans le passage de la mort, l’union effective à Dieu est ensuite proposée
glorieusement à tout homme sans exception.
Solution
1 :
Rejeter
Dieu parce qu’il paraît injuste ou indifférent, loin d’être une preuve de
damnation est plutôt un signe de disposition au salut selon Matthieu 5, 6 : « Heureux
les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés. » En effet, à
l’heure de la mort, dès que ces révoltés seront confrontés à la révélation des
vrais motifs de ces injustices provisoires, ils aimeront Dieu.
Solution 2 :
Dès
qu’on applique au concret du destin de chacun, la souffrance de la terre
devient insupportable au point que saint Paul parlait du "scandale de la
croix" et que sainte Thérèse d’Avila disait : « Pas étonnant que Dieu ait
si peu d’amis. » Pourtant, même la question de la mort des enfants perd sa
dimension incompréhensible si on la regarde du point de vue de la vie éternelle
: au moment de leur mort, le Ciel tout entier vient les chercher. Ils voient
Jésus, accompagné des anges et des saints, de leurs proches déjà décédés. C’est
un accueil d’une beauté et d’une tendresse inouïe. Ils comprennent son projet,
la raison de leur mort et la raison de son silence. Un tel amour enflamme leur
cœur. Autant ils avaient subi l’abandon, autant ils se sont jettent avec force
dans les bras de Dieu. Leur amour est devenu intense comme celui de nul autre
car leur humilité et leur désir, provoqués par leur souffrance, s’étaient
considérablement creusés.
Solution 3 :
Pour l’homme tant qu’il vit ici-bas, la purification
par la croix est interprétée comme un châtiment, de la même façon qu’un enfant
fessé par son père n’y voit pas d’amour. Ce n’est que plus tard, devenu adulte,
qu’il comprend que la punition était une pédagogie.
Objection 1 :
Il
semble qu’il ne convienne pas de parler d’un lieu pour le purgatoire. Les âmes
sont en effet séparées du corps et ne peuvent être localisées puisqu’elles ne
sont pas de nature matérielle. Le purgatoire est donc plutôt un état intérieur
de l’âme qu’un lieu.
Objection 2 :
Même
si l’on admet un lieu pour le purgatoire, ce ne peut être que d’une manière
métaphorique, à la manière dont on parle d’un lieu pour les purs esprits. Mais
ce ne peut être d’une localisation telle qu’on en parle pour les hommes de la
terre. C’est pourtant de cette manière là que parlent ceux qui décrivent des
apparitions de fantômes et de revenants.
Objection 3 :
L’âme
qui reste liée au corps de telle manière qu’elle peut voir ce qui se passe dans
le monde d’ici-bas n’est pas vraiment passée par la mort qui est la séparation
totale d’avec le corps. Elle n’est donc pas au purgatoire qui suit le jugement
dernier et la mort. Donc on ne peut s’appuyer sur les témoignages des N.D.E.
pour conclure sur la question de la localisation des demeures du purgatoire.
Cependant :
Les
expériences de mort approchée montrent que les âmes ont un rapport avec le
lieu.
Conclusion :
La
localisation physique est une conséquence de ce que nous avons dit de la nature
des morts. Puisqu’ils conservent un corps psychique véritablement fait de
matière, ils en possèdent les propriétés à savoir une localisation. Le lieu des
deux premiers purgatoires est la terre comme nous venons de le dire. Pour les
quatre autres, le contenu de la révélation ne donne pas de précisions
décisives. Selon l’opinion commune des anciens théologiens, c’est un lieu
séparé des âmes de l’enfer, et des âmes du paradis. D’autres théologiens
anciens prétendaient au contraire que, selon la loi commune, le purgatoire est
situé au-dessous de nous et correspond ainsi à l’état de ces âmes qui sont à
mi-chemin entre le Ciel et la terre. Cette opinion est évidemment liée à une
cosmologie que la science actuelle rend caduque. Elle est sans doute liée à des
visions de type métaphorique, visant à faire comprendre des réalités autrement
plus profondes car spirituelles. Il vaut mieux dire que nous ne savons pas où
se trouve le purgatoire.
De
même, la raison ne peut conclure d’une manière définitive. L’étude des Near death Experience semble indiquer
l’existence d’une porte entre ce monde et l’autre, que beaucoup décrivent comme
un tunnel. Elle s’ouvre à l’arrêt du cœur ou dans d’autres circonstances rares
mais ne semble pas éloignée. Il semble que l’autre monde et ses demeures est
plutôt un monde parallèle et invisible qu’un univers situé à l’autre extrémité
de l’univers.
Solution 1 :
On
peut regarder le purgatoire selon deux approches : 1° Si l’on considère le
purgatoire sous son aspect formel qui est un cheminement purificateur de l’âme,
alors le purgatoire n’est pas un lieu. Il est plutôt un état de l’âme, de la
même façon que l’enfer est d’abord l’état de celui qui se sépare de l’amour de
la charité à cause de son orgueil. 2° Si l’on considère le purgatoire sous
l’aspect plus matériel de l’état corporel de celui qui subit la purification,
il faut se souvenir que l’âme séparée de la chair garde un corps psychique
siège de ses facultés sensibles[926]. Elle est donc localisée par elle-même et
non seulement d’une manière métaphorique comme on le dit pour les anges quand
ils appliquent leur intelligence et leur action à un corps déterminé. En ce
sens, les âmes sont véritablement dans un lieu.
Solution 2 :
La
nature du corps psychique est peu connue. Les témoignages le présentent comme
un double du corps physique fait d’une matière non palpable. Son rapport avec
le lieu semble identique à celui du corps physique. Il occupe un espace déterminé.
Mais son rapport au mouvement local est différent. Privé de masse et d’inertie,
il se déplace de manière véloce et n’est pas arrêté par les murs.
Solution 3 :
Nous
concédons le caractère hypothétique de ces recherches, en insistant sur la
valeur philosophique des témoignages, au moins pour ce qui concerne
l’objectivité de la première phase de décorporation.
Objection 1 :
Cela
semble prouvé par le témoignage de certains enfants qui parlent une langue
étrangère sans l’avoir apprise et qui se souviennent de lieux sans y être
allés. On voit mal comment cela serait possible s’ils n’avaient connu ces
choses dans une vie antérieure.
Objection 2 :
La
réincarnation semble convenir au moins pour les enfants morts sans baptême. La
bonté de Dieu qui appelle tout homme à la vie éternelle ne peut tolérer pour
eux qu’ils demeurent éternellement handicapés dans leur capacité d’aimer, à
cause d’un échec de leur vie terrestre. Le moyen de la réincarnation qui leur
donne une chance de passer à nouveau par le pèlerinage terrestre semble donc
adapté.
Objection
3 :
Dans
l’Écriture Sainte, la réincarnation est possible pour certains saints qui, de
cette manière, peuvent revenir sur terre et prêcher à nouveau. C’est ce que
semble dire Jésus à propos de Jean-Baptiste[927] : « Or Je vous le dis, Élie est déjà venu
en Jean-Baptiste. » Si cela est possible pour les saints qui n’en ont pas
besoin, cela le semble a fortiori
pour ceux qui ont à se purifier.
Objection 4 :
La
damnation éternelle où l’âme se plonge à cause de la perversité de sa volonté
est le mal absolu que Dieu ne peut vouloir puisqu’il a créé tout esprit en vue
de la béatitude. Il est donc concevable qu’il donne à ces âmes la possibilité
de revenir sur leur choix par le moyen d’une réincarnation qui tire un trait
sur la vie passée et sa méchanceté. Il semble donc que les damnés se
réincarnent.
Objection 5 :
Le
purgatoire est finalisé par la purification des peines du péché et par le paiement
de la dette due par le péché. Or la réincarnation semble pouvoir réaliser ces
deux buts puisque, d’après ceux qui y croient, le méchant paye ses dettes en se
réincarnant dans un corps handicapé ou malade. Il semble donc que la
réincarnation peut être une forme de purgatoire.
Objection 6 :
À
la fin du monde, Dieu ressuscitera nos corps et les transformera pour la vie
éternelle. Or il n’est pas plus difficile pour sa puissance de ressusciter un
corps que de donner à une âme un corps différent. Cela semble sage de sa part
puisqu’il permet ainsi le salut de l’âme. Donc la réincarnation peut être un
moyen de purification en vue de la gloire.
Cependant :
Les
saints Conciles de l’Église ont formellement condamné la doctrine de la
réincarnation et de la transmigration des âmes qui était enseignée par Origène[928] puis ils ont continuellement renouvelé
leur rejet jusqu’à aujourd’hui[929]. Donc la réincarnation n’existe pas.
Conclusion :
La
réincarnation n’existe pas. C’est un article de foi qu’il faut tenir sous peine
de sortir de la révélation apportée par notre Seigneur. Mais c’est une vérité
qu’on peut établir aussi par la raison naturelle. Comme nous l’avons montré
dans la première partie, l’âme ne se comporte pas à l’égard du corps comme un
moteur à l’égard d’un mobile. C’était l’opinion de Platon et c’est la raison
pour laquelle il croyait qu’une âme pouvait indifféremment migrer d’un corps à
un autre. Or nous avons montré que l’âme n’est pas seulement cause efficiente
du mouvement corporel. Elle est aussi forme du corps c’est-à-dire qu’elle donne
au corps d’être ce qu’il est. L’âme est donc indissociablement adaptée à tel
corps, d’une manière analogue à la forme d’une œuvre d’art qui est avec la
matière une seule réalité. Ce n’est que par une distinction de la raison que
l’homme est capable d’opposer dans une œuvre d’art sa forme et sa matière qui,
en fait, forment indissociablement une seule réalité.
De
tout cela, on doit conclure que l’âme est adaptée par nature à son corps et à
nul autre. Elle est incapable par ses propres forces de devenir substance et
forme d’un autre corps. Seul un miracle divin qui changerait la nature de l’âme
pour en faire le principe d’un autre corps pourrait réaliser cela. Mais alors,
ce ne serait pas la même âme. Ce ne serait donc pas la même personne, ce qui
s’oppose au fondement même de notre connaissance de Dieu qui veut créer des
personnes établies pour l’éternité.
On
peut établir par des arguments théologiques qu’un tel miracle ne convient pas à
la Sagesse de Dieu. En effet, comme on l’a vu, le projet de Dieu sur l’homme
est de créer une personne individuelle de nature raisonnable pour l’unir au
bonheur de sa vie trinitaire. Il ne l’élève pas à sa gloire par mode
d’obligation mais comme il convient à une nature personnelle, c’est-à-dire à
travers l’acceptation consciente et volontaire du libre arbitre. Et la
condition primordiale à un tel projet, c’est que Dieu respecte parfaitement la
liberté humaine. Dans ce but, il commence par la former et c’est la finalité de
la vie terrestre qui fait de l’enfant un être responsable et capable de choix.
En second lieu, il propose au choix de l’homme la finalité surnaturelle et
c’est le but de la révélation et de la prédication de l’Évangile qui est
accordée à tout homme durant sa vie terrestre ou à son terme. Il est essentiel
à cette conduite divine que la personne humaine conserve au moment de son choix
et après ce choix ce qui fait d’elle une personne morale, c’est-à-dire les
connaissances et les intentions profondes de son intelligence et de sa volonté.
Or
la réincarnation, telle qu’elle est comprise et enseignée, est absolument
contradictoire avec cela puisque ceux qui se réincarnent perdent non seulement
tout souvenir de ce qu’ils ont été, de leurs choix passés, mais aussi changent
de personnalité en recevant un corps et une sensibilité nouvelle. Il y aurait
dans ce cas, non respect de la part de Dieu de la personne de l’homme, ce qui
est contradictoire avec sa sagesse et avec sa bonté. Il est donc aberrant pour
un chrétien de croire que sa personne et la personne de ceux qui l’entourent
puisse être le fruit d’une quelconque réincarnation.
De
même, concernant le purgatoire, il est contradictoire avec la sagesse de Dieu
qu’il puisse se faire sur la terre après une réincarnation. La raison première
en est l’absence de tout souvenir d’une quelconque vie antérieure. Nul ne peut
être puni pour ce qu’il n’a pas le souvenir d’avoir commis car l’oubli supprime
la responsabilité de la faute.[930]
Solution 1 :
Le
fait que des jeunes enfants aient des souvenirs qui semblent appartenir à une
autre personne ne prouve pas nécessairement la réincarnation car de tels
phénomènes peuvent trouver d’autres explications. On constate en effet dans la
nature des phénomènes analogues qui ont une cause différente : on peut par
exemple, en hypnotisant quelqu’un, introduire dans sa mémoire des souvenirs
qu’il croira être siens à son réveil. De même, les enfants qui par nature sont
influençables peuvent recevoir inconsciemment au moment de leur naissance ou
plus tard des influences extérieures. Cela peut être provoqué par l’action d’un
homme qui est en train de mourir et qui, étant dans un état de détresse, émet
avec force des ondes cérébrales qui peuvent être captées par celui qui y est
sensible. C’est ainsi qu’on raconte que certaines mères ont l’intuition de la
mort de leur enfant au moment où elle se produit et bien qu’elles soient très
éloignées de lui. Rien n’empêche que, par le même processus, des souvenirs
portés par le cerveau d’un autre soient communiqués à l’enfant. Le phénomène
peut aussi trouver une explication dans l’action des bons anges qui protègent
la survie de religions anciennes ou encore des esprits angéliques mauvais qui
espèrent de cette manière détourner l’homme de sa foi au Jugement dernier.
Solution
2 :
Les
enfants reçoivent la vision de Dieu à la mesure de tout leur amour pour Dieu,
amour qu’ils peuvent développer dans un temps d’éducation appelé les limbes,
comme nous le verrons. Au jour de leur choix, ils entrent donc dans la
béatitude. Rien ne leur manque. Il leur est inutile de se réincarner. Ils ne
regrettent jamais leur mort précoce. Ce sont plutôt les adultes, au moment où
ils les rejoignent au Ciel, qui sont plein de confusion s’ils ont provoqué un
avortement volontaire.
Solution 3 :
Lorsque
le Seigneur dit que Jean-Baptiste est cet Élie qui devait revenir, il n’entend
pas enseigner la réincarnation de l’âme du prophète Élie dans le corps de
Jean-Baptiste. Il veut signifier que Jean-Baptiste est le prophète annoncé dans
l’Écriture et qui devait revenir avec la force et la spiritualité d’Élie. Et
c’est bien ainsi que cela s’est passé : de même qu’Élie fut intransigeant par
rapport à la pureté de la foi du peuple d’Israël, au point de faire mettre à
mort les prophètes des idoles, de même Jean-Baptiste fut intransigeant
concernant la morale au point d’en perdre la vie après avoir reproché à Hérode
son mariage avec une femme déjà engagée. Jean-Baptiste prêcha aussi la
conversion au bord du Jourdain, renouant avec la spiritualité d’Élie qui
convertit le peuple en le privant de pluie pendant trois ans. Ainsi, on peut
dire en vérité que Jean-Baptiste a vécu de la spiritualité d’Élie à un point
tel qu’on aurait dit qu’Élie était revenu sur terre. Mais ce retour n’est une
réincarnation qu’au sens métaphorique.
Solution 4 :
C’est
d’une manière absolument libre que les âmes des damnés se séparent de Dieu pour
l’éternité. Il est vrai que Dieu ne veut absolument pas ce mal pour elles mais
il le permet à cause de son respect pour la liberté de l’homme qui est une créature
spirituelle. Dieu ne peut renier son œuvre car il se renierait lui-même. Il ne
peut donc s’opposer à la liberté de celui qui le rejette car ce serait
s’opposer à son projet de faire de l’homme une créature douée de liberté. C’est
pourquoi il n’est pas pensable qu’il impose aux damnés contre leur choix une
réincarnation qui effacerait les orientations profondes et définitives de leur
personne.
Solution 5 :
Jésus
nie explicitement dans l’évangile la théorie d’une réincarnation qui servirait
à payer les dettes du péché accumule dans sa vie terrestre : aux disciples qui
lui demandent pourquoi l’aveugle est né avec un tel handicap et si cela vient
de lui, il répond[931] : « ni lui ni ses parents n’ont péché,
mais c’est pour que la gloire se révèle en lui (qu’il est handicapé). » Et la
raison de l’impossibilité d’une telle manière de s’acquitter de ses dettes
vient de ce que nul ne peut payer que pour ce qu’il sait avoir commis. C’est
pourquoi celui qui ignore complètement pourquoi il est accusé ne peut être
condamné. Il est donc essentiel que le purgatoire soit vécu par l’âme en pleine
connaissance de cause ce qui n’est pas le cas sur la terre dans l’hypothèse où
la réincarnation servirait à cela. C’est pourquoi le purgatoire a lieu avant la
mort, dans la mort et après la mort.
Solution 6 :
C’est
un plus grand miracle pour Dieu que d’unir une âme à un corps pour lequel elle
n’est pas faite que de l’unir à son propre corps par la résurrection. En effet,
dans le premier cas, il faut non seulement qu’un corps soit façonné mais en
plus il faut changer la nature de l’âme pour qu’elle soit adaptée à ce nouveau
corps dont elle devient la forme. Or changer la nature de l’âme, c’est changer
l’être tout entier puisque l’âme est ce par quoi l’homme existe. Dans le cas où
Dieu réaliserait un tel miracle, ce ne serait pas le même homme qui se
réincarnerait puisque ce ne serait pas la même âme. Cela s’oppose d’une manière
contradictoire au fait que Dieu a fait de l’homme une personne individuelle et
non une simple énergie impersonnelle capable de migrer de corps en corps.[932]
A ce
sujet, neuf questions :
1° Existe-t-il un purgatoire dans le passage
de la mort ?
2° La peine du purgatoire est-elle voulue
par Dieu ?
3° La peine principale du shéol est-elle la
solitude de l’errance ?
4° Les âmes de ce purgatoire sont-elles
tourmentées par les démons ?
5° Ce purgatoire est-il pire qu’ici-bas ?
6° Les âmes de ce purgatoire sont-elles
saintes ?
7° Les âmes de ce purgatoire peuvent-elles
pécher ou au contraire mériter ?
8° Peuvent-elles prier pour nous ?
9° Est-ce dans ce purgatoire que le Christ
glorieux paraît dans sa gloire ?
Objection 1 :
Il semble qu’il ne convienne pas de parler d’un tel purgatoire. La
mort est la séparation de l’âme et du corps, selon Aristote. Elle ne laisse
donc aucune place pour un passage et encore moins pour un séjour de longue
durée.
Objection 2 :
On ne trouve pas, dans l’Ecriture sainte, de passages clairs sur
un tel séjour. C’est bien plutôt dans les religions païennes et les cultes
animistes que l’on parle de revenants et de fantômes.
Objection 3 :
Même si l’on admet d’un tel purgatoire, ce ne peut être que d’une
manière métaphorique. On ne voit pas en effet où il pourrait être situé si tant
est qu’on puisse parler d’une localisation pour l’âme d’un mort qui est un
esprit. Mais ce ne peut être une localisation telle qu’on en parle pour les
hommes de la terre. Tout cela ne relève-t-il pas davantage des contes et
légendes que de la réalité ?
Objection 4 :
Il n’y a pas de trace de ce purgatoire dans les textes officiels
de l’Église.
Objection 5 :
L’âme qui
reste liée au corps de telle manière qu’elle puisse voir ce qui se passe dans
le monde d’ici-bas n’est pas vraiment passée par la mort qui est la séparation
totale d’avec ce monde et l’entrée dans l’autre monde. Elle n’est donc pas au
purgatoire.
Objection 6 :
Ce n’est
pas conforme au dogme : Il est dit dans l’Ecriture Sainte : « L’homme
meurt une fois puis il reçoit sa récompense. » Or ce purgatoire prolonge la vie
terrestre dans un temps qui, comme sur terre, précède le jugement dernier.
Objection 7 :
Ce n’est
pas conforme à l’Ecriture qui dit en effet[933] :
« Vous savez vous-mêmes parfaitement que le Jour du Seigneur arrive comme un
voleur en pleine nuit. Quand les hommes se diront: Paix et sécurité! C’est
alors que tout d'un coup fondra sur eux la perdition, comme les douleurs sur la
femme enceinte, et ils ne pourront y échapper. » Or, si la mort un long
passage, voire un séjour, c’est qu’elle vient progressivement et non
brutalement, laissant l’homme dans l’état de mérite ou de démérite où il a été
surpris.
Cependant :
Saint
Bernard raconte[934]
: « Saint Malachie vit un jour sa sœur qui avait trépassé depuis quelques
temps. Elle faisait son purgatoire au cimetière : à cause de ses vanités, des
soins qu’elle avait eus de sa chevelure et de son corps, elle avait été
condamnée à habiter la propre fosse où elle avait été ensevelie et à assister à
la dissolution de son cadavre. Le saint offrit pour elle le sacrifice de la
messe durant trente jours. Ce terme expiré, il revit à nouveau sa sœur. Cette
fois elle avait été condamnée à achever son purgatoire à la porte de l’église,
sans doute à cause de ses irrévérences pour le lieu saint, peut être parce
qu’elle avait détourné les fidèles de l’attention des Mystères Sacrés. »
Conclusion :
L’Écriture Sainte donne une série de textes dont le sens littéral
parle d’un territoire des ombres sans joies, où justes et criminels,
rois et esclaves, pieux et impies se retrouvent après la dissolution de leur
corps pour y demeurer dans le silence et y redevenir poussière. La Bible
hébraïque nomme ce lieu shéol dès le livre de la Genèse : « l'homme
insensé ignore qu'il y a là des Ombres et que ses invités sont aux vallées du
shéol".[935]
Plus tard, dans les livres écrits en grecs, ce lieu est appelé l’Hadès
ce qui se réfère au « séjour de la mort »[936]
de la mythologie grecque : « Pour eux, durant cette nuit vraiment impuissante,
sortie des profondeurs de l'Hadès impuissant, endormis d'un même sommeil, ils
étaient tantôt poursuivis par des spectres monstrueux, tantôt paralysés par la
défaillance de leur âme; car une peur subite et inattendue les avait envahis. »
Le Magistère de l’Église laisse sur ce point les théologiens sans
repères dogmatiques.
Cependant,
il est possible d’avancer certains arguments en s’appuyant sur des révélations
privées qui paraissent dignes de crédibilité et une longue tradition des saints,
des docteurs et des théologiens dans l’Église. De multiples autres témoignages
d’apparitions et de révélations faites aux saints[937]
confirment ce genre de récit. Donc certaines âmes font leur purgatoire sur
terre.
L’existence
d’un « passage » entre ce monde et l’autre est d’ailleurs confirmée par les
témoins des Near Death Experiences (EMI) qui décrivent un temps
relativement court où l’âme, déjà sortie de son corps de chair, n’est pas
encore entrée dans l’autre monde. Ils distinguent trois étapes dont la première
est une présence en ce monde ; la seconde est un passage en forme de
tunnel ; et la troisième un jardin magnifique où ils peuvent s’avancer
jusqu’à une certaine limite, symbolisée par une barrière, une rivière ou tout
autre limite.
Solution 1 :
C’est au
sens théologique et scripturaire que la mort a de tout temps été regardée comme
un passage, sens qui ne s’oppose pas à la définition philosophique
d’Aristote mais regarde les choses sous un autre rapport. Au plan théologique,
est considéré comme ayant franchit la mort celui qui est entré dans l’autre
monde, soit pour son salut, soit pour sa perte éternelle.
Solution 2 :
Il est clair que, universellement dans le monde, la croyance au
phénomène des âmes errantes est attestée. Mais la tradition biblique
scripturaire n’est pas étrangère à cela, non seulement dans ses nombreuses
attestations sur le shéol, mais aussi dans le livre de l’Exode tout entier qui
est reconnu par la tradition rabbinique comme une métaphore exprimant le
passage de cette vie (l’Egypte) à l’autre monde (la terre promise) à travers la
mort (le désert). Et on voit bien le livre de l’Exode décrire ce passage comme
une véritable purification qui, en l’occurrence, alors qu’il devait durer
quelques semaines, dura 40 ans par la faute du peuple Hébreux.
Solution 3 :
La possibilité d’une telle localisation pour l’âme d’un mort
s’explique facilement si l’on considère ce que nous avons montré sur la
survivance dans les morts d’une vie non seulement spirituelle mais d’un corps
psychique. Des traités pluriséculaires, écrits dans les traditions
philosophiques égyptiennes (le kâ et
le baï[938]),
chinoises, hindoues et tibétaines (corps astral), animistes (esprits) en
parlent. C’est d’ailleurs là qu’on trouve les plus profondes explications
philosophiques du phénomène. Selon ces traditions, on peut discerner dans
l’être humain trois degrés de vie auxquels correspondent trois « natures »
unifiées en une personne et parfaitement adaptés l’une à l’autre : le corps
physique, le corps psychique et l’esprit.
Dans l’hindouisme, le corps physique est le siège d’un autre
corps, appelé le corps astral. Le corps astral est, avec le corps physique, le
siège des facultés psychiques comme les sensations, les passions,
l’imagination, la mémoire, l’estimative. Mais, selon cette tradition, la survie
de ce dernier est indépendante de la mort du premier. Si l’on tue le corps
physique, son double subsiste. Cette propriété explique l’expérience de la
décorporation, aussi bien chez l’homme que chez l’animal.
Solution 4 :
Lorsque des prêtres sont confrontés à ce phénomène de revenants,
ils usent naturellement d’une procédure liée aux âmes du purgatoire, comme on
le voit dans le cas de saint Malachie cité ci-dessus.
1° L’enquête est première. Toutes les histoires d’âmes en peine ne
doivent pas être prises à la lettre. Une imagination effrayée peut inventer
bien des fantasmes.
2° Si le cas est avéré, la deuxième étape est la parole
d’explication adressée à l’âme. Parce que la connaissance précède l’amour et
que ces âmes sont dans une grande ignorance de ce qui leur est arrivé, les
vivants, s’ils se rendent compte de leur présence, ont le pouvoir de les aider
en leur expliquant leur erreur et le chemin qui leur est ouvert vers l’autre
monde.
3° La troisième étape est la prière : Face au phénomène, la
réponse doit être la miséricorde et la prière qui, offerts pour elles, ont une
efficacité étonnante. L’âme en peine est bouleversée, comme le serait le plus
solitaire des prisonniers, qui, pour la première fois, recevrait une lettre. Ce
geste est souvent efficace, surtout lorsque l’âme, après un long temps de
solitude, est dans de bonnes dispositions et a besoin de présence affective.
Elle peut, devant un geste d’attention, comprendre assez rapidement la grandeur
de l’amour. Si on l’y invite et qu’elle a dépassé son blocage intérieur, elle
appelle le Sauveur. Elle passe alors dans un autre purgatoire, celui de la
parousie du Christ.
Solution 5 :
On peut
répondre à cette objection en disant que les apparitions de revenants sont dues
à des âmes qui sont dans la mort au sens théologique. Elle est un
passage qui peut durer plusieurs jours selon Marthe Robin, voire des années
après la mort au sens clinique du corps charnel, selon des récits dignes de
crédibilité. La partie psychique de son être subsistant, ces morts errent sur
la terre ou dans le parvis de l’autre monde sans avoir vécu la parousie du
Christ, des saints et des anges. Elles sont donc entre deux mondes et cet état
n’est pas normal. Leur nature aspire au contact avec les vivants des deux
mondes et souffre de la solitude.
Solution 6 :
L’homme ne
meurt qu’une fois. Il ne revient jamais pour se réincarner sur terre. Ce qui
n’empêche pas que la mort puisse être un passage purifiant, pouvant durer de
longues années. Ce n’est qu’après cette mort selon la lettre du dogme de
Benoît XII[939],
c’est-à-dire après ce passage, et après la parousie du Christ glorieux que
l’homme, définitivement stabilisé en état de mérite ou de démérite, reçoit sa
récompense s’il ne reste rien à purifier en lui, ou son châtiment.
Solution 7 :
L’heure de
la mort arrive d’un coup, sauf bien sûr si une longue maladie ou la vieillesse
extrême prévient l’homme attentif. La mort arrache l’homme à cette terre et à
ses richesses matérielles. C’est justement lorsque l’homme, surpris par sa
venue, refuse de quitter ses attaches à cette terre, qu’il peut être laissé par
le Christ dans ce prolongement de temps. D’où l’intérêt du sacrement des
malades qui vise, à travers son rituel, à préparer les hommes à ce détachement.
Ceci ne veut pas dire que Dieu stériliserait par la mort toute liberté humaine,
la statufiant pour l’éternité dans l’état de grâce ou d’absence de grâce, comme
le crurent les anciens théologiens. Au contraire, d’une manière ou d’une autre,
comme l’enseigne le Concile Vatican II[940],
il est certain que Dieu proposera sa grâce à tout homme avant son entrée dans
l’autre monde.
Objection 1 :
Tout ce
qui peut produire du salut est voulu par Dieu. Or ce prolongement de la vie
terrestre, en plongeant l’âme dans la solitude et le malheur, produit souvent
de l’humilité, au moins chez les hommes de bonne volonté, donc une disposition
au salut. Donc ce purgatoire est voulu par Dieu.
Cependant :
Dans le chapitre 14 du livre des Nombres, on voit que c’est le
peuple Hébreux qui, de sa propre initiative, refuse de suivre les indications
de Moïse et d’entrer tout de suite dans la terre promise, effrayé à l’idée
d’affronter un autre monde et plein de nostalgie pour le pays d’Egypte[941] :
« Alors toute la communauté éleva la voix; ils poussèrent des cris; et cette
nuit-là le peuple pleura. » Ce n’est qu’en conséquence que Dieu transforme ce
passage par le désert en un véritable séjour, une errance de quarante années[942] :
« et vos fils seront nomades dans le désert pendant 40 ans, portant le poids de
votre infidélité, jusqu'à ce que vos cadavres soient au complet dans le désert.
» Donc ce purgatoire est d’abord une responsabilité de l’homme.
Conclusion :
Le projet
de Dieu est le salut des hommes. Il n’impose donc pas à l’homme une épreuve
sans qu’elle ne soit utile, d’une manière ou d’une autre, pour son salut. C’est
pourquoi, en fonction de la mentalité de telle ou telle âme, il peut être sage
que Dieu lui laisse souffrir un temps de purgatoire dans ce passage de la mort,
et parfois sur les lieux même de sa vie terrestre. On peut voir à cela deux
raisons :
1° Le bien de l’âme elle-même. Deux raisons peuvent expliquer
qu’une âme ne soit pas prête à entrer dans l’autre monde :
La première vient de ses attaches trop fortes à cette terre, comme
on le voit dans la parabole de l’homme des greniers[943] :
« et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as quantité de biens en réserve pour de
nombreuses années; repose-toi, mange, bois, fais la fête. Mais Dieu lui dit:
Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. » Il est probable qu’un
tel homme, surpris par une mort brutal, reste attaché un long temps à ces
grenier qui faisaient le but de sa vie. C’est l’âme elle-même qui reste comme
"accrochée" au lieu où elle a vécu, incapable malgré la disparition
de la chair, de s’en détacher. Il s’agit donc d’une âme pathologiquement
attachée à quelque chose de terrestre au point qu’elle est incapable de
considérer la Lumière du Christ ou de son ange au moment de son apparition,
malgré sa beauté. Cette âme est certes en état de mort spirituelle, sans être
pourtant coupable d’un blasphème explicite contre l’Esprit. Elle peut donc être
sauvée. Pour que la parousie du Christ puisse produire son effet, à savoir le
choix lucide entre le Ciel ou l’enfer, il est nécessaire que la gangue qui
l’enferme soit quelque peu et progressivement dégrossie.
La
deuxième peut venir du refus d’une âme mourante d’affronter l’apparition
lumineuse du Ciel, à cause de la conscience d’un important crime passé non
pardonné, comme dans ce texte[944] :
« A cette vue, Simon-Pierre se jeta aux genoux de Jésus, en disant: « Eloigne-toi
de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur! » Ainsi, sainte Faustine décrit
le salut d’un grand pécheur de ce purgatoire à travers un dialogue entre l’âme
et Jésus[945] :
« -
L'âme, comme éveillée : Est-il possible qu'il y ait encore de la miséricorde
pour moi ? demande-t-elle pleine d'effroi.
-
Jésus : C'est justement toi, mon enfant, qui as un droit exclusif à ma
miséricorde. Permets à ma miséricorde d'agir en toi, dans ta pauvre âme ;
permets aux rayons de la grâce d'entrer dans ton âme, ils apportent avec eux la
lumière, la chaleur et la vie.
-
L'âme : Pourtant la crainte m'envahit au seul souvenir de mes péchés et cette
terrible frayeur me pousse à douter de Ta bonté. »
Pour
ces deux raisons, le Christ ou son ange peuvent retarder leur parousie. L’âme
qui s'accroche à cette terre reste dans le passage de la mort, bloquée sur les
lieux où elle a péché sans pouvoir se livrer au péché. Elle touche du doigt
d’une certaine façon la vanité du péché. De même, l’âme qui, ayant commis un
grand péché, fuit la rencontre de son juge, délaissée dans le désespoir
solitaire de ce second purgatoire, visitée au bout d’un long temps d’abandon
par les anges ou par la prière des vivants, peut apprendre à demander pardon.
2° La
deuxième raison est l’instruction des vivants lorsque, par exception, les âmes
en peine de ce purgatoire manifestent leur présence. À la vue de leurs souffrances,
les vivants sont amenés à convertir leurs mœurs pour éviter à leur tour de
subir cette errance qui suit la mort. En outre, les vivants sont ainsi conduits
à offrir leurs prières comme adoucissement aux peines des morts. Pour cela,
Dieu permet parfois que les âmes de ce purgatoire apparaissent ou se fassent
entendre des vivants. Il leur est difficile de le faire par elles-mêmes car le
corps psychique qu’elles gardent est peu adapté à ce genre de contact. C’est
pourquoi ceux qui parlent des phénomènes des revenants décrivent parfois la
vision d’un corps vaporeux, fait d’énergie physique. Il faut en tout cas tenir
que la subsistance de ce lien avec la matière est naturel, comme nous l’avons
dit précédemment, même si sa manifestation aux vivants n’est pas aisée pour
l’âme faite pour se rendre visible à travers son corps charnel.
La plupart
du temps, l’apparition est produite à travers une aide de Dieu et de ses anges.
Le phénomène des revenants, quand il se produit, ne doit pas effrayer. Qu’on se
rappelle la réaction des disciples de Jésus quand ils le virent s’approcher
d’eux en marchant sur les eaux[946]
: « Ils crurent que c’était un fantôme, et poussèrent des cris. »
Solution 1 :
Ce purgatoire n’est pas voulu par Dieu directement et par soi mais
comme un moyen, une dernière planche de salut, adaptée à certaines âmes. Il
peut y avoir dans cette expérience un réel progrès spirituel de certains hommes
matérialistes et encore rustres, peu disposés à accueillir l’apparition
lumineuse de l’ange de Dieu ou du Christ. Cette prolongation de la vie
terrestre, peut faire naître une plus grande sensibilité au spirituel. Ce
purgatoire devait être très fréquent dans les temps anciens, à l’époque frustre
des générations antiques, selon l’Écriture[947]
: « Ce sont les héros du temps jadis, ces hommes fameux. Yahvé voyait que la
méchanceté de l'homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que
de mauvais desseins à longueur de journée. » De nos jours, la sensibilité
et la culture s’étant affinées, il semble être moins universellement
nécessaire. Cela explique des récits tels que ceux rapportés par saint Bernard.
Objection 1 :
Il ne semble pas qu’on puisse qualifier ce purgatoire par les
notions de solitude et d’errance. En effet, pour caractériser un
purgatoire, il faut quelque chose qui lui soit propre, comme la parousie du
Christ glorieux dans le troisième. Or la terre est elle aussi le plus souvent
un lieu de solitude, sans compter les purgatoires qui suivent la parousie du
Christ.
Objection 2 :
Dans cette comparaison, Jésus dit à ses disciples[948] :
« En vérité, je vous le dis, il sera difficile à un riche d'entrer dans le
Royaume des Cieux. Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de
passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux.
» Il semble donc que ce purgatoire, adapté aux âmes riches, se caractérise par
le détachement de soi-même et non par la solitude et l’errance.
Cependant :
Le psaume 116, 3 dit : « Les lacets de la mort m'enserraient,
les filets du shéol; l'angoisse et l'affliction me tenaient, j'appelai le nom
de Yahvé. De grâce, Yahvé, délivre mon âme! » et le livre de la sagesse 17,
2 ajoute : « Alors que des impies s'imaginaient tenir en leur pouvoir une
nation sainte, devenus prisonniers des ténèbres, dans les entraves d'une longue
nuit, ils gisaient enfermés sous leurs toits, bannis de la providence
éternelle. Alors qu'ils pensaient demeurer cachés avec leurs péchés secrets, sous
le sombre voile de l'oubli, ils furent dispersés, en proie à de terribles
frayeurs, épouvantés par des fantômes. Car le réduit qui les abritait ne les
préservait pas de la peur; des bruits effrayants retentissaient autour d'eux,
et des spectres lugubres, au visage morne, leur apparaissaient. »
Conclusion :
Dans le passage de la mort, le mourant n’est pas nécessairement
confronté d’un seul coup à toutes les étapes qui le conduiront au choix
éternel. Il arrive que ce ne soit que dans un second temps que le Christ
paraisse et que sa gloire libère l’âme de toute faiblesse et ignorance. Ainsi,
lorsque le Christ retarde son apparition, c’est pour mieux la disposer au
salut. Dans cette circonstance, le péché contre le Père, à savoir le péché
mortel de faiblesse et le péché contre le Fils, à savoir le péché du à
l’ignorance restent possibles. Sans pouvoir atteindre une finalité ni sur terre
ni au Ciel, l’âme erre entre deux mondes à la recherche d’un but. Privée pour
un temps de toute affection humaine et divine, elle se tourne vers les
créatures avec angoisse, ne parvenant plus à en obtenir de satisfaction. Ne
pouvant être vues par les hommes vivants (sauf cas exceptionnel) et étant
séparées de l’au-delà, leur solitude est totale. Si cette solitude dure plusieurs
années, plusieurs siècles, elle finit par produire un retournement. La vanité
des choses auxquelles elles sont attachées finit par s’imposer. Ils comprennent
que l’unique bien est l’Amour ou au contraire l’égoïsme. Comme un feu
contrariant la nature de son esprit et de sa sensibilité, l’effet douloureux de
cette errance affine l’âme et la dispose à recevoir en temps voulu deux
choses :
1° Un détachement de ses anciennes affections terrestres.
2° Une soif ardente d’un salut.
Solution 1 :
Chacun des purgatoires participe, d’une manière ou d’une autre, à
la transformation de l’esprit humain dans l’humilité et l’amour en vue de
l’union à Dieu. Pour les caractériser, on regarde ce qui est universellement
vécu dans chacun d’eux. Ainsi, pour le premier purgatoire, celui de cette
terre, qu’on peut aussi appeler « premier Ciel », la vie est liée au corps
biologique. C’est pourquoi ce premier ciel est physique et sa
purification peut être caractérisée par la dimension de fragilité charnelle, la
nécessité de se nourrir et de mourir, l’incertitude sur la survie après la
mort.
Le deuxième ciel est le ciel psychique. L’âme est enserrée
dans les liens de sa propre psychologie pécheresse et elle est conduite à s’en
détacher par une confrontation à la solitude. Faite pour aimer, l’âme s’ennuie,
puis souffre, puis appelle.
Le troisième Ciel est mystique car il correspond à la
parousie du Christ accompagné des saints et des anges, qui délivre l’âme de ses
faiblesses et de ses ignorances, et lui communique, si elle l’accepte, la
plénitude de la grâce sanctifiante.
Quant au fait que certains vivent de cette grâce sanctifiante dès
le premier ciel, il n’implique pas qu’on doive caractériser la vie terrestre
par cette grâce qui est le fait d’un petit nombre.
Solution 2 :
Le détachement de soi-même est une des dispositions du cœur
nécessaire comme préparation à une bonne réception de la grâce. En ce monde, ce
détachement -qu’il soit matériel, psychologique ou spirituel- est produit
principalement par le silence de Dieu, l’injustice, la famine, la maladie, la
guerre et la mort, comme le montre le livre de l’Apocalypse 6-8, à travers les
sept mystères scellés. Mais parfois, ces épreuves n’arrivent pas ou ne
suffisent pas. C’est pourquoi, dans le passage de la mort et avant la parousie
du Christ, cet effet peut être approfondi par la douloureuse expérience de la
solitude, dans un séjour ou la souffrance physique n’existe plus, mais où le
psychisme humain reste fait pour la compagnie de ses proches, tandis que son
esprit reste en attente d’un sens à la vie. C’est pourquoi, bien que le
deuxième purgatoire vise à libérer l’âme de ses richesses, il peut être
caractérisé par son épreuve significative qui est la solitude et l’errance.
Objection 1 :
Il ne convient pas que les anges révoltés viennent tourmenter et
tenter les âmes de ce purgatoire. En effet, les démons ont reçu un pouvoir
provisoire en cette terre, par le choix libre d’Adam et Eve lorsqu’ils
vivaient dans leur chair. Or, dans la mort, le corps de chair ayant
disparu, le pouvoir donné par Adam et Eve disparaît aussi.
Cependant :
Le chapitre 17 du livre de la Sagesse décrit le tourment qui en
sort : « Pour eux, impuissants durant cette nuit des profondeurs de l'Hadès,
ils étaient tantôt poursuivis par des spectres monstrueux, tantôt paralysés par
la défaillance de leur âme ; car une peur subite et inattendue les envahissait.
Celui qui tombait là, quel qu'il fût, se trouvait emprisonné dans cette geôle sans
verrous. » Tout ceci relève à la fois de la faiblesse d’une psychologie malade
et non délivrée du « foyer du péché », et des tentations des démons.
Conclusion :
Ce deuxième purgatoire est, rappelons-le, un prolongement
exceptionnel de la vie terrestre, adapté à certaines âmes. Il est donc logique
que certains des instruments de Dieu utilisés pour notre salut en cette vie
soient encore utilisés. Ainsi en est-il de l’ignorance, mais aussi de certaines
des faiblesses psychologiques de cette terre. Tel en est-il aussi du rôle de
Satan qui, pour ce qui est de lui, n’a pas pour but de sauver l’homme mais au
contraire de l’habituer à l’égoïsme.
Or il faut remarquer que les anges révoltés peuvent visiter
l’homme sous deux formes :
1° Ils se font serpent (Satan) sur cette terre: Leur action
consiste à se cacher dans la vie des hommes pour les habituer à des égoïsmes
matériels -plaisir égoïste, argent égoïste, gloire égoïste-. Le but de Satan
est de disposer la volonté humaine à l'égoïsme.
2° Mais les démons se montrent sous leur vrai jour d'Anges de
lumière (Lucifer) au dernier moment de notre vie, c’est-à-dire à l'heure de
notre mort et à la fin du monde. Là, ils nous révèlent la vraie raison de leur
révolte à savoir la liberté, la dignité, l’exigence d'un changement des plans
de Dieu, le refus de l'humilité et de l'amour. Ils espèrent que, habitués à
l'égoïsme, nous les suivrons librement dans leur révolte.
Dans ce deuxième purgatoire, c’est en tant que Satan que les anges
révoltés tourmentent les âmes. Ils prolongent leur œuvre de la terre en
appliquant à l’âme des tentations cependant moins charnelles, le corps ayant
disparu. Ils les tentent principalement par la convoitise frustrée, le
désespoir et la colère.
Ce n’est que lorsque arrive le troisième purgatoire, à savoir la
parousie du Christ, que les démons se montrent comme Lucifer, présentant à la
liberté de l’âme son projet de salut alternatif.
Solution 1 :
Comme on l’a dit, ce purgatoire est un prolongement de cette vie
et non une partie de l’autre monde. Tant que le Christ n’est pas venu, lui qui
détient les clefs de l’Hadès[949],
certaines des lois de cette vie fragile restent utiles pour le salut de l’âme.
Ainsi en est-il de l’Hadès que le Christ vient visiter lui-même, à l’heure
qu’il estime la plus adaptée au salut.
Objection 1 :
Il ne semble pas car, sur un point au moins, ces âmes
expérimentent leur immortalité, chose dont beaucoup doutent dans l’angoisse sur
terre.
Objection 2 :
La vie terrestre laisse l’homme dans un état proche de l’animal
puisqu’il doit trouver chaque jour sa nourriture et peut mourir d’un simple
accident. Dans le passage de la mort, l’âme est délivrée de tout cela. Donc ce
purgatoire est moins douloureux et plus stable que la vie terrestre.
Objection 3 :
Le livre de Job montre que le shéol est souvent un séjour de paix
par rapport à la misère de cette vie[950] :
« Or mon espoir, c'est d'habiter le shéol, d'étendre ma couche dans les
ténèbres. »
Cependant :
L’Ecriture Sainte décrit le shéol comme un séjour sans joie[951] :
« Les flots de la Hadès m'enveloppaient, les torrents de Bélial
m'épouvantaient; les filets du shéol me cernaient, les pièges de la mort
m'attendaient. »
Conclusion :
On peut regarder chaque purgatoire de deux façons :
1° D’abord selon les lois générales qui le caractérisent. Le
deuxième purgatoire a pour but de briser le cœur endurci de ceux qui y
transitent à travers l’expérience d’une longue et désespérante solitude et
errance. La personne étant seule et n’ayant plus son corps de chair, mais
seulement sa vie sensible, rien ne peut venir la distraire de l’angoisse. En
comparaison, les lois de la vie terrestre permettent de grands moments de
bonheur. Donc, selon ses lois générale, le shéol est plus étranger à la nature
humaine et beaucoup plus douloureux.
2° On peut regarder chaque purgatoire selon la manière
individuelle dont il a été vécu. Selon cette approche, il arrive que le premier
purgatoire, celui de cette terre soit pour certains le plus terrible de tous.
Je vise principalement les personnes qui, n’ayant pu trouver de réconfort à
l’angoisse dans des occupations extérieures ou dans un endurcissement de leur
âme, sont extrêmement sensibles à l’épreuve, parfois jusqu’à mettre un terme à
leur vie. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, ayant connu cette tentation du
désespoir dès ici-bas dans les affres de sa maladie et du silence de Dieu,
écrivait qu’elle comprenait l’acte de ceux qui désirent la mort. Pour ces
personnes là, le plus terrible des purgatoires peut être la terre.
Solution 1 :
Sous le point de vue de l’épreuve de la mortalité, le purgatoire
de la terre est effectivement le plus terrible puisque les âmes du shéol
expérimentent leur indestructibilité. Cependant, non seulement l’homme ne pense
pas sur terre à chaque instant à sa mort, mais il peut soit par raisonnement
philosophique soit par la foi, vivre dans la certitude de la survie.
Cependant, on doit admettre que pour certains hommes, ceux qui
vivent dans l’angoisse de leur mortalité et de la vanité de toute chose, cette
épreuve peut être source de désespoir et être donc de la plus terrible des
souffrances qu’aucun autre purgatoire ne pourra dépasser.
Solution 2 :
« L’homme ne vit pas seulement de pain… », dit
Jésus. Celui qui a souffert expérimente que plus la souffrance touche une
dimension profonde de son être, plus elle est douloureuse.
1° Ainsi les souffrances physiques seules, sont moins
douloureuses que 2° les souffrances psychologiques à savoir que les
passions négatives comme la tristesse, la peur, le désespoir. L’incertitude,
source de peurs et d’espoirs alternés, de l’homme qui ne sait pas s’il sera
torturé le fait plus sûrement parler que les tortures physiques d’un homme qui,
fort dans sa psychologie, défie ses bourreaux. 3° De même les souffrances spirituelles
comme le fait d’avoir livrer ses amis à l’ennemi pour éviter la torture
physique sont plus douloureuses que la torture elle-même. 4° Au dessus de tout,
les souffrances « mystiques », celles qui sont liées à la perte totale
du sens à sa vie, conduisent ceux qui les subissent à l’idée du suicide.
Ainsi, si la disparition du corps charnel dans le passage de la
mort délivre l’homme des douleurs physiques, elles exacerbent la sensibilité à
la douleur psychologique par l’incapacité de l’âme à atteindre les
plaisirs sensibles de jadis, spirituelle par l’absence de la compagnie
de sa famille et de ses amis, et mystique à cause du silence du Ciel
resté fermé. C’est ce que montre Moïse dans le désert de l’Exode, qui est le
symbole du shéol[952] :
« Il t'a humilié, il t'a fait sentir la faim, il t'a donné à manger la manne
que ni toi ni tes pères n'aviez connue, pour te montrer que l'homme ne vit pas
seulement de pain, mais que l'homme vit de tout ce qui sort de la bouche de
Yahvé. »
Solution 3 :
Pour l’homme qui vit sur terre un vrai désespoir, tout autre lieu
que cette vie devenue insensée semble meilleure. Pourtant, le suicide ne résout
rien et celui qui le pratique doit, comme tout homme, à un moment où à un
autre, soit dans le passage de la mort ou après la parousie du Christ,
expérimenter cette mort à lui-même pour entrer dans le septième Ciel de la
Vision de Dieu. Voilà pourquoi le suicide est un acte dommageable, quoique
souvent pardonné puisque le plus souvent regretté, et qui ne fait que retarder
la purification de l’âme.
Objection 1 :
Elles sont nécessairement saintes, c’est-à-dire en état de mérite,
sinon, selon le dogme solennel de Benoît XII[953],
elles sont damnées pour l’éternité puisque ces âmes vivent après la
mort. En effet, Benoît XII écrit : « Selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état
de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer. »
Objection 2 :
Sainte
Catherine de Gênes note[954]
: « L’ardent désir de Dieu est ressenti comme une peine qui est proprement
celle du purgatoire. » Or un ardent désir de Dieu est la définition de la
sainteté. Donc…
Cependant :
Loin d’être saints, les Hébreux excitèrent la colère de Dieu par leur
refus d’entrer dès leur sortie d’Egypte dans la Terre promise. C’est donc à
cause de leurs péchés que Dieu les condamna à errer puis à mourir au désert. De
même, les âmes ne restent dans le shéol jusqu’à leur mort à elles-mêmes par le
désespoir qu’à cause de leur péché grave et actuel.
Conclusion :
Les âmes de ce deuxième purgatoire sont nécessairement en état de
mort spirituelle. Comme nous l’avons montré, elles ne restent dans le passage
de la mort que pour deux causes :
1° Leur attachement extrême à la terre.
2° Leur refus de rencontrer la lumière du Christ, à cause d’un
grand péché dont, ayant conscience, les paralyse dans la peur.
Or ces deux causes sont deux péchés contraires à l’existence de la
charité. Un homme centré sur des biens créés ou effrayé par la venue du Messie
ou de son ange ne peut en même temps l’aimer dans une amitié réciproque.
Mais c’est parce que ces péchés mortels ne constituent pas un
blasphème contre l’Esprit Saint (pleine lucidité et maîtrise de soi) que ce
purgatoire à sa raison d’être. Ces âmes peuvent être sauvées et ce prolongement
de vie dans l’errance vise à les disposer à accueillir l’Evangile du Christ au
jour de sa venue.
Solutions 1 :
Comme nous
l’avons montré, ce purgatoire n’est pas « après la mort. » Il est le passage de
la mort lui-même, dont la durée est prolongée exceptionnellement pour certaines
âmes. Les expressions bibliques « shéol » ou « Hadès » ne signifient pas autre
chose que « la mort. » Elle est un passage qui peut durer plusieurs jours selon
Marthe Robin, voire des années après la mort au sens clinique du corps charnel,
selon des récits dignes de crédibilité. La partie psychique de son être
subsistant, ces morts errent entre deux séjours, parfois sur la terre ou dans
les parvis de l’autre monde, sans avoir vécu la parousie du Christ, des saints
et des anges. Si, face à la venue du Christ qui se produit dans ce passage, une
âme du shéol s’obstine dans son péché mortel, c’est qu’elle est dans un état de
blasphème contre l’Esprit Saint. Elle est alors damnée pour l’éternité car elle
entre dans le monde qui suit la mort en état de démérite parfaitement
lucide, volontaire et libre.
Solution 2 :
Sainte
Catherine de Gênes ne parle pas ici de ce purgatoire mais des trois purgatoires
mystiques où les âmes saintes qui ont choisi d’aimer le Christ après sa
parousie achèvent de se purifier après la mort et le jugement dernier.
Dans le shéol, il règne cependant un ardent désir de Dieu, douloureusement
ressenti. La grande différence est que cette angoisse, les âmes du shéol n’en
connaissent pas toujours la cause alors que dans les purgatoires vus par sainte
Catherine de Gênes, les âmes sont paisiblement établies dans la charité et ont
compris, comme saint Augustin dans ses Confessions que leur cœur fait
pour Dieu aimait jadis Dieu sans le savoir et avant même de le connaître.
Objection 1 :
Selon saint Thomas d’Aquin, le temps de la vie terrestre est celui
du mérite et du démérite. Après cette vie terrestre, vient le temps de recevoir
la récompense de son mérite ou démérite. Or, si ces âmes sont en état de
démérite, elles recevront nécessairement l’enfer. Ce qui n’est pas toujours le
cas. Donc ces âmes sont saintes.
Objection 2 :
Sainte Catherine de Gênes dans son Traité du purgatoire[955]
que les âmes du purgatoire sont assurée de leur salut et en éprouvent une joie
constante. Donc elles ne peuvent se damner.
Cependant :
Sainte Brigitte de Suède rapporte ce
dialogue entre Satan et la Vierge Marie, à l’occasion de la mort et du salut
miraculeux de son fils[956] : « Le démon
se mit alors à crier : « Écoutez, Juge tout-puissant. J'ai à me plaindre de
votre mère (…). Elle m'a injustement ravi l'âme qui comparaît devant vous. Car,
en bonne justice, j'avais le droit de m'en emparer au moment de sa sortie du
corps et de l'amener, avec mes compagnons, devant votre
tribunal. Or, ô juste Juge, l'âme n'était pas sortie pour ainsi dire du corps,
que cette femme, votre Mère, s'en est saisie, l'a couverte de sa puissante
protection, et vous l'a présentée. » La sainte Vierge dit à Satan : "Tu vois, Satan,
dans quelles dispositions cet homme est mort. Que te semble-t-il donc ?
N'était-il pas juste que je prisse cette âme sous ma protection devant le tribunal
de Dieu, et pouvais-je la laisser tomber en tes mains pour partager tes
supplices?" Et Satan demanda de nouveau: "Pourquoi,
ô Reine, à l'heure de l'agonie de cette âme, nous avez-vous mis en fuite de
telle sorte qu'aucun de nous n'a pu ni la troubler ni l'effrayer?"
»
Sainte Faustine rapporte en sens contraire le cas d’une possible
damnation dans le passage de la mort[957] :
« "Conversation de Dieu miséricordieux avec l'âme désespérée :
-
Jésus : Ame plongée dans les
ténèbres, ne désespère pas, tout n'est pas encore perdu, entre en conversation
avec ton Dieu qui est amour et miséricorde même. - Mais
malheureusement l'âme demeure sourde à l'appel de Dieu et se plonge dans des
ténèbres plus grandes encore.
-
Jésus l'appelle à nouveau : Ame,
entends la voix de ton Père miséricordieux.
-
Une réponse s'éveille en l'âme : Il n'y a plus pour moi de miséricorde. Et elle
tombe dans des ténèbres encore plus grandes, dans une sorte de désespoir qui
lui donne comme un avant-goût de l'enfer et la rend complètement incapable de
se rapprocher de Dieu.
- Pour la troisième fois, Jésus s'adresse à l'âme, mais l'âme est
sourde et aveugle et elle commence à s'affermir dans l'endurcissement et le
désespoir. Alors des entrailles de la miséricorde divine un dernier effort est
tenté et sans aucune coopération de l'âme, Dieu lui donne Sa dernière grâce. Si
elle la dédaigne, Dieu la laisse alors dans l'état où elle-même veut être pour
les siècles." » Donc, si on peut être sauvé ou damné dans le passage de la
mort.
Conclusion :
Ce purgatoire est situé avant la mort
accomplie, entre ce monde et l’autre, comme à la onzième heure de cette vie. Il
a lieu avant la parousie du Christ qui permettra le choix définitif de l’âme.
Donc l’âme n’a absolument pas reçu les conditions nécessaires à l’acte
parfaitement lucide, volontaire et libre qui lui permettrait de se tourner vers
la grâce ou au contraire de la rejeter. Comme sur terre, l’âme n’est absolument
pas assurée de son salut dont, bien souvent, elle ignore la nature. Ce n’est
que lorsque le Christ paraît à ces ouvriers de la onzième heure[958],
qu’il les a appelés à la vigne pour y travailler, qu’ils peuvent s’y rendre ou
refuser. Ainsi en est-il pour les âmes du shéol. Elles peuvent donc se damner.
Solution 1 :
Les ouvriers de la onzième heure ne sont pas « après la mort »
mais dans le passage de la mort comme nous l’avons dit.
Solution 2 :
Sainte Catherine de Gênes dans son Traité du purgatoire, ne
décrit pas ce purgatoire là mais les purgatoires qui se situent après le retour
du Christ et après l’entrée dans l’autre monde.
Objection 1 :
Saint
Alphonse de Ligori écrit[959]
: « On doit le croire pieusement, Dieu leur manifeste nos prières afin que ces
saintes âmes intercèdent pour nous et qu’ainsi entre elles et nous soit
conservé ce bel échange de charité ; Elles prient pour nous et nous prions pour
elles. »
Cependant :
D’après l’opinion de saint Thomas d’Aquin, les âmes du purgatoire
sont dans un tel état d’affliction qu’elles ne peuvent prier pour personne.
Elles sont entièrement occupées de leur purification.
Conclusion :
Nous avons montré que ces âmes ne font du passage de la mort un
séjour durable qu’à cause d’un attachement très fort aux choses de cette terre,
ou encore par un acte de leur conscience qui fuit la lumière du Christ qui
vient. Elles ne vivent donc pas de la charité et sont extrêmement centrées sur
elles-mêmes. Tout cela ne constitue pas une disposition favorable à la prière.
Par contre, il se produit pour celles pour qui ce purgatoire se
révèle profitable, non seulement un détachement vis-à-vis de la terre, mais un
progrès dans le repentir selon cette parole biblique[960] :
« Les flots de la Mort m'enveloppaient, les torrents de Bélial m'épouvantaient;
les filets du shéol me cernaient, les pièges de la mort m'attendaient. Dans mon
angoisse j'invoquai Yahvé et vers mon Dieu je lançai mon cri; il entendit de
son temple ma voix et mon cri parvint à ses oreilles. »
C’est pourquoi, lorsque l’âme arrive au terme de cette étape de
purification, on doit dire que non seulement elle prie Dieu mais qu’elle se met
à prier pour les hommes qu’elle voit puisque, comme on l’a dit, beaucoup font
ce purgatoire dans les lieux mêmes où elles ont vécues et qu’elles ne quittent
pas.
Solution 1 :
Saint Alphonse de Ligori parle ici des purgatoires mystiques qui
suivent la parousie du Christ ou encore de l’état de certaines âmes du shéol,
lorsqu’elles sont proches de leur délivrance et s’ouvrent enfin à la grâce.
A l’objection en sens contraire :
Il faut répondre que, comme sur terre, les dispositions
intérieures des âmes de ce shéol sont diverses et peuvent évoluer selon
qu’elles entrent dans une démarche de repentir ou au contraire se durcissent
dans l’obstination. Il arrive que, au début de ce long temps d’errance,
certaines sont entièrement prises par leurs attaches terrestres, tandis que
vers la fin, usée par le désespoir et pleines de bonnes dispositions, elles se
mettent à prier pour les hommes qu’elles voient dans les lieux où elles résident
et qui, souvent, les ont eux-mêmes aidés de leurs prières.
Objection 1 :
Le Christ devrait apparaître au tout début de l’entrée dans la
mort et non au terme de ce passage. (Un peu lourde)
Objection 2 :
D’après saint Paul, c’est plutôt la venue du démon ou de
l’Antéchrist qu’on doit attendre avant la fin de cette vie[961] :
« Ne vous laissez pas trop vite mettre hors de sens ni alarmer par des
manifestations de l'Esprit, des paroles ou des lettres données comme venant de
nous, et qui vous feraient penser que le jour du Seigneur est déjà là. Que
personne ne vous abuse d'aucune manière. Auparavant doit venir l'apostasie et
se révéler l'Homme impie, l'Etre perdu, l'Adversaire, celui qui s'élève
au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant
jusqu'à s'asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant
lui-même comme Dieu. »
Cependant :
L’Apocalypse 1, 17 rapporte cette parole du Christ : « Ne
crains pas, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant; je fus mort, et me
voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la Mort et de
l'Hadès. » Donc c’est le Christ qui met fin à l’Hadès en y apparaissant aux
mourants.
De plus, avant et après sa passion, le Christ dit et fait dire de
nombreuse fois à ses disciples par des anges[962] :
« Il est ressuscité d'entre les morts, et voilà qu'il vous précède en Galilée;
c'est là que vous le verrez. » Or, la Galilée des nations est présentée par l’Ecriture
comme le sombre pays de la mort[963] :
« Galilée des nations ! Le peuple qui demeurait dans les ténèbres a vu une
grande lumière; sur ceux qui demeuraient dans la région sombre de la mort, une
lumière s'est levée. » C’est donc dans ce passage de la mort que le Christ
paraît dans sa gloire à tous les hommes de toutes les nations.
Conclusion :
Universellement, pour tous les hommes de tout temps, il est
nécessaire que, avant l’entrée dans l’autre monde, la Bonne Nouvelle du salut
soit prêchée en pleine lumière et sans que la personne soit esclave de quelques
faiblesse ou peur. Cela se fait déjà en cette chair pour certains et dans le
passage de la mort pour tous, de telle manière que tout homme qui entre dans
l’autre monde soit en état de mérite ou de démérite de manière entièrement
libre.
C’est pourquoi, avant l’incarnation du Verbe, cette annonce de la
future rédemption était faite par un messager de Dieu, tandis que, après la
rédemption, elle est accomplie par le Christ lui-même accompagné des saints et
des anges, comme nous l’avons montré dans la question 8. C’est pourquoi le pape
Paul VI rappelle dans le Credo de 1968 : « Le Christ viendra de
nouveau, en gloire cette fois, pour juger les vivants et les morts : chacun
selon ses mérites - ceux qui ont répondu à l'amour et à la pitié de Dieu allant
à la vie éternelle, ceux qui les ont refusés jusqu'au bout allant au feu qui ne
s'éteint pas. »
Solution 1 :
Dieu patiente, selon saint Pierre[964]
: « Le Seigneur ne retarde pas l'accomplissement de ce qu'il a promis, comme
certains l'accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que
personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir. Il viendra, le Jour du
Seigneur, comme un voleur ; en ce jour, les cieux se dissiperont avec fracas,
les éléments embrasés se dissoudront, la terre avec les œuvres qu'elle renferme
sera consumée. » Pour la même raison, pour le salut de quelques-uns, rien
n’empêche que cette patience de Dieu se prolonge dans la mort, le Christ
retardant de quelques jours ou quelques années son apparition, laissant l’âme
découvrir la stupidité de son attachement aux vanités de cette terre.
Solution 2 :
Il
est vrai que, pour la liberté du choix, il est nécessaire que Lucifer paraisse
aussi avant l’entrée dans l’autre monde Mais auparavant, l’âme doit être
confrontée à la venue de Lucifer selon ce texte de saint Paul[965].
Lucifer présente à l’âme, comme séducteur puis accusateur son projet fondé sur
une liberté orgueilleuse. Mais saint Paul ajoute, dans le même passage : «
Alors l'Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de
sa bouche, l'anéantira par la manifestation de sa venue. » ce qui signifie tout
homme recevra toute l’aide qu’il lui faut pour échapper à l’attraction de
l’enfer. C’est pourquoi sainte Faustine conclut sa vision du salut d’un grand
pécheur dans le passage de la mort[966] :
« - Jésus : Ame, sache bien que tous
tes péchés ne m'ont pas blessés aussi douloureusement le cœur, que ta méfiance
actuelle ; comment peux-tu demeurer incrédule devant ma bonté ?
-
L'âme : O Seigneur, sauve-moi Toi-même, car je péris, sois pour moi le Sauveur.
O Seigneur, je ne suis pas en état d'exprimer le reste, mon pauvre cœur est
déchiré, mais Toi, Seigneur...
Jésus ne laissa pas l'âme terminer ces mots, mais l'enleva de
terre, de cet abîme de misère et en un moment la conduisit en la demeure de son
propre Cœur où tous ses péchés disparurent en un clin d'œil, le feu de l'amour
les détruisit. »
A ce sujet,
quatorze questions :
1° La peine principale des trois purgatoires
de lumière est-elle la séparation d’avec Dieu ?
2° Le feu de ces trois purgatoires est-il le
désir de Dieu ?
3° Les âmes de ces trois purgatoires
sont-elles rongées par le ver du remords ?
4° Les âmes de ces trois purgatoires
sont-elles tourmentées par les démons ?
5° Le feu de ces trois purgatoires est-il le
même que celui de l’enfer ?
6° Les souffrances de trois ces purgatoires
surpassent-elles toutes celles d’ici-bas ?
7° La peine du purgatoire est-elle voulue
par Dieu ?
8° Les âmes de ces purgatoires sont-elles
saintes ?
9° Sont-elles soumises à la volonté de Dieu
?
10° Veulent-elles d’une volonté droite les
souffrances du purgatoire ?
11° Peuvent-elles pécher ?
12° Peuvent-elles mériter ?
13° Les âmes du purgatoire sont-elles dans la
joie et la paix ?
14° Peuvent-elles prier pour nous ?
Objection 1 :
On
parle ici des trois purgatoires qui suivent l’apparition du Christ. Nous avons
montré que la peine de l’enfer était la séparation d’avec Dieu. Elle ne peut
donc être celle du purgatoire sans quoi le purgatoire et l’enfer seraient une
seule et même chose.
Objection 2 :
Dans
l’Écriture, la peine principale du purgatoire est désignée sous le terme de
"feu". Ce n’est donc pas la séparation d’avec Dieu.
Objection 3 :
Durant
notre vie terrestre, nous sommes séparés de Dieu. Cela ne constitue pourtant
pas pour nous une peine plus terrible que celles que nous devons subir par la
maladie, la souffrance et la mort. Il en est de même au purgatoire qui n’est
que l’achèvement de la purification commencée en cette terre.
Cependant :
Sainte
Catherine de Gênes écrit[967] : « L’âme qui est au purgatoire aime Dieu
au point que cela lui est un tourment insupportable que d’être obligée de se
séparer de lui un moment. »
Conclusion :
La
peine principale du purgatoire est la séparation d’avec Dieu. Pour le
comprendre, il faut savoir que l’âme humaine possède par nature un instinct
divin qui la fait se porter vers Dieu comme vers la source unique de tous ses
désirs. Mais le péché originel et l’accumulation des péchés actuels a fini par
quelques peu obscurcir l’acte de cette inclination au point que l’homme, sur cette
terre, n’éprouve pas toujours l’angoisse du désir de Dieu et se complet souvent
dans les biens créés. Après la mort, l’âme libérée du poids psychologique des
conséquences du péché originel retrouve l’acte de cet instinct divin dont
l’exercice se trouve démultiplié par la participation des grâces infusées par
Dieu. Ces grâces consistent principalement dans la découverte actuelle de
l’amour de Dieu, de sa miséricorde à l’égard d’une créature aussi imparfaite et
du soin qu’il apporte à l’élever jusqu’à lui. L’âme se porte donc vers Dieu
comme vers sa fin dernière avec une charité incomparable dans son exercice à
celle de la terre. En conséquence, la séparation provisoire d’avec Dieu devient
une peine qui est à la mesure de la charité qui porte l’âme à Dieu. Cette peine
est proprement celle du purgatoire. Vitalini Sandro écrit[968] : « L’homme se découvre isolé, incapable
de communiquer aux autres. Tandis qu’il coïncide avec son propre moi, il
comprend que la seule valeur qui a existé est celle de son don. La personne
compare son amour à l’Amour, son être à l’Être. Au désir d’une communion
plénière avec l’Amour se joint l’effroi jaillissant de la perception de sa
propre indignité. L’amour qui est Dieu est un feu dévorant ; sa présence
enchante et épouvante à la fois, si l’on se réfère aux théophanies de
l’Écriture : la vision de Moïse et d’Élie, la Transfiguration, les visions de
l’Apocalypse. »
Solution 1 :
« L’Église, dans la fidélité au Nouveau
Testament et à la Tradition croit à la félicité des justes qui seront un jour
avec le Christ. Elle crut qu’une peine attend pour toujours le pécheur qui sera
privé de la vue de Dieu et à la répercussion de cette peine dans tout son être.
Elle croit enfin pour les élus à une éventuelle purification préalable à la
vision de Dieu, tout à fait étrangère cependant à la peine des damnés. C’est ce
que l’Église entend lorsqu’elle parle d’enfer et de purgatoire ».[969] La séparation d’avec Dieu est voulue par
les âmes de l’enfer à cause de leur perversité qui les porte à haïr les volontés
de Dieu. Les âmes du purgatoire au contraire se séparent de Dieu à cause de
leur très grand amour pour lui et de leur désir de devenir parfaites épouses
pour lui, selon l’Apocalypse[970] « son épouse pour lui s’est faite
belle. » C’est pourquoi la séparation est éternelle pour les damnés mais
temporaire au purgatoire.
Solution 2 :
Le
feu du purgatoire n’est autre que le désir ardent que l’âme a de voir Dieu. Il
est donc un effet de l’intense charité qui ne peut supporter d’être séparée de
Dieu.
Solution 3 :
L’exercice
de la charité ne peut être parfait sur la terre à cause des conséquences du
péché, qu’il soit originel ou actuel, qui obscurcissent dans l’âme l’instinct
de Dieu. C’est pourquoi nous ne souffrons pas trop de son absence. Cependant,
une telle souffrance peut exister consciemment chez ceux que la grâce a
suffisamment purifiés comme on le voit chez certains saints. C’est pourquoi le
Cantique des Cantiques chante[971] : « J’ai cherché celui que mon cœur aime,
Je l’ai cherche mais ne l’ai pas trouvé. Si vous trouvez mon bien-aimé,
dites-lui que je suis malade d’amour. » Chez les autres, elle existe réellement
et se manifeste sous la forme de certaines angoisses profondes, au point que
l’augmentation des suicides des désespérés dans des pays pourtant matériellement
heureux est le signe, voire la preuve de cette orientation naturelle de l’âme
humaine vers le Bien absolu non connu.
Objection 1 :
Il
ne semble pas que le feu du purgatoire soit le désir de Dieu mais un véritable
feu matériel. Saint Paul affirme en effet[972] : « qu’elles seront sauvées mais comme à
travers un feu. » De même, il dit que c’est le feu qui éprouvera la qualité de
l’œuvre de chacun. Ce feu semble donc être une réalité qui purifie l’âme de
l’extérieur et non de l’intérieur.
Objection 2 :
Saint
Grégoire écrit : « Ainsi que dans le même feu l’or brille et la paille fume,
ainsi par le même feu le pécheur est brûlé en l’élu purifié. » Il semble donc
que le feu de l’enfer est le même feu que celui du purgatoire. Or le feu de
l’enfer n’est pas sans rapport avec la matière, comme nous l’avons vu. Donc le
feu du purgatoire est autre chose que le désir de Dieu.
Cependant :
Sainte
Catherine de Gênes note : « L’ardent désir de Dieu est ressenti comme une peine
qui est proprement celle du purgatoire. » Or ce qui est ardent est comme un
feu. Donc le désir de Dieu est le feu du purgatoire.
Conclusion :
Comme
nous l’avons montré précédemment, la peine principale du purgatoire est la
séparation d’avec Dieu. Mais il s’agit d’une séparation douloureuse puisque
l’âme aime Dieu qu’elle a aperçu sous la forme de l’humanité du Christ. Celui
qui aime ne peut consentir sans tristesse à se séparer du bien aimé. Or l’âme
est libérée du poids des conséquences du péché originel et divinement justifiée
par la grâce à une charité envers Dieu dont l’exercice est parfait puisqu’il
n’est empêché par aucun obstacle venant du corps. La tristesse d’être séparé de
Dieu est donc à la mesure de cette charité et le désir de le posséder peut être
comparé à un feu tant son ardeur est intense. C’est en ce sens qu’on peut dire
que, au sens littéral, le feu du purgatoire signifie le désir de Dieu.
Vitalini
Sandro écrit : « On a imaginé le purgatoire comme un châtiment infligé par
Dieu au fils désobéissant. Mais la souffrance dans cette rencontre ne vient pas
de Celui qui est Amour, mais de celui qui se voit avoir négligé l’empressement
paternel. La souffrance de l’enfant prodigue aurait été bien moins grande si le
père lui avait infligé quelques châtiments externes. Sa souffrance au contraire
s’accroît à l’infini parce qu’il voit que son père l’a toujours aimé et
continue de l’aimer d’une façon indéfectible. Le désir de conversion est alors
total, mais la souffrance nous apparaît aussi extrême. Loin d’imaginer un Dieu
qui se refuserait d’accueillir la personne avec ses limites, il faut dire que
c’est cette même personne qui se trouve effrayée par son indignité ».[973]
Solution 1 :
En
un second sens, on peut cependant dire que le feu du purgatoire est une réalité
matérielle dans la mesure où une âme séparée du corps peut avoir quelque
rapport avec la matière. Comme nous l’avons vu concernant le feu de l’enfer, un
feu matériel ne peut directement brûler une âme séparée. Mais, puisque les
morts gardent perpétuellement leur psychisme, c’est-à-dire leur sensibilité, à
travers un corps invisible qui est de nature matérielle, ils peuvent être
blessés par une véritable souffrance sensible. L’intelligence de l’absence de
Dieu se répercute dans la douleur des passions de la sensibilité. On peut dire
alors que l’âme est prisonnière des flammes puisqu’elle vit d’une véritable et
douloureuse passion sensible. Elle accepte d’être prisonnière de cette
séparation. Sa peine n’est donc pas totalement étrangère à la notion de feu.
Une telle interprétation n’est pas contradictoire avec celle donnée plus haut à
condition que l’on maintienne que la peine principale dont souffre l’âme n’est
pas cette sensation mais sa cause, c’est-à-dire la séparation d’avec Dieu et le
désir brûlant de le voir.
Solution 2 :
Pris
en un sens spirituel, le feu du purgatoire ou celui de l’enfer est le même
puisqu’il a son origine première dans un désir naturel de la béatitude qui
n’est pas satisfait puisque la source de la béatitude éternelle Dieu, n’est pas
présente. Mais ce feu est différent si l’on considère sa cause et son effet :
l’absence de Dieu est causée chez les damnés par un refus volontaire et
conscient de l’ordre de sa sagesse que ne peut accepter l’orgueil ; chez les
élus du purgatoire, par une charité qui ne peut consentir à voir Dieu avant
d’être totalement purifiée des restes du péché. En conséquence, l’effet du feu
chez les damnés est une souffrance qui les fait blasphémer sans cesse Dieu ;
chez les élus, il conduit à la sanctification parfaite de l’âme.
Pris
en un sens matériel, le feu de l’enfer et du purgatoire n’est que l’instrument
de Dieu qui par sa contradiction avec la volonté punit ou purifie les âmes
selon leurs dispositions intérieures. En ce sens, on peut dire à la suite des
Pères que le feu de l’enfer et celui du purgatoire sont une seule réalité.
Objection 1 :
Les
âmes du purgatoire regrettent leurs péchés et ce sont les restes de ces péchés
qui les maintiennent séparées de Dieu, donc elles éprouvent du remords.
Objection 2 :
Le
remords est l’acte par lequel une âme regrette une faute morale. Or les âmes du
purgatoire sont en état de péché véniel. Elles éprouvent donc le remords pour
ces péchés.
Cependant :
Le
ver rongeur des damnés aboutit à la ruine. Au contraire, les âmes du purgatoire
s’élèvent vers la purification. Elles ne peuvent donc pas être rongées par le
remords.
Conclusion :
La
notion de remords possède deux sens :
1° Il est le regret qui suit la conscience
d’avoir mal agi. Il est donc naturel chez toute âme qui pèche. L’âme a été en
effet créée par Dieu droite. Elle possède par nature une orientation vers le
bien à laquelle s’oppose le péché. C’est pourquoi les âmes de l’enfer qui sont
irrémédiablement fixées dans le péché sont rongées par le remords puisque
l’orientation de leur volonté perverse s’oppose à l’ordre de leur nature et
cette souffrance augmente en elles la haine de Dieu qui leur parait être la
cause de leurs tourments. Les âmes du purgatoire, quant à elles, ne sont
aucunement en état de péché mortel. Elles ont entièrement été pardonnées à la
suite d’une contrition parfaite qui précède la mort. Elles ne peuvent donc
éprouver de remords actuel puisque leur âme est totalement orientée dans la
recherche du bien véritable. C’est la charité qui est cause en elles d’un état
permanent de contrition dont la chaleur achève de purifier leur âme du péché
véniel. Cette contrition n’est donc pas comparable au ver du remords des damnés
qui reste stérile et les fait se replier sur leur malheur. Elle est plutôt
comparable à la chaleur du feu qui purifie l’âme comme l’or qui est passe au
creuset. De même en effet que la chaleur est un effet du feu, de même la
contrition est un effet de la charité.
2° Le remords peut venir du regret de s’être
fait punir à la suite d’un péché. Il règne largement en enfer. De même, selon
cette acception du terme, il ne règne pas de remords au purgatoire puisque, de
volonté droite, par amour de Dieu et en vue de devenir digne de la voir, elles
ont voulu elles-mêmes la peine du purgatoire.
Solution 1 :
Le
regret des âmes du purgatoire pour leur péché n’est pas la simple douleur
naturelle éprouvée par une âme corrompue. Elle est une douleur voulue et
consentie à cause du très grand amour qu’elles éprouvent pour Dieu. Elle est
une perpétuelle confession de leurs fautes au Dieu qu’elles attendent, et une
joie à satisfaire par la douleur pour ces offenses.
Solution 2 :
Le
péché véniel n’est pas une orientation de la volonté vers une fin mauvaise mais
simplement un lien qui empêche l’orientation vers le vrai bien de s’exercer
avec facilité et aisance. Il ne s’oppose pas directement à l’ordre naturel vers
le bien que Dieu infuse à l’âme à sa création. Il ne peut donc être source d’un
véritable remords mais simplement d’un certain état de regret.
Objection 1 :
D’après
le Maître des Sentences, « les âmes ont pour bourreaux dans l’autre monde
ceux-là mêmes qui ont été ici-bas leurs mauvais conseillers », c’est-à-dire les
démons qui poussent au péché véniel qu’on expie en purgatoire, aussi bien qu’au
péché mortel.
Objection 2 :
Les
justes sont purifiés de leurs péchés non seulement dans l’autre monde, mais dès
cette vie. Or, ici-bas, les démons sont les instruments de cette purification,
comme nous le voyons par l’exemple de Job ; Ils font donc de même en
purgatoire.
Cependant :
Il
serait injuste que celui qui a triomphé d’un ennemi lui soit soumis après sa
victoire. Mais les âmes du purgatoire ont quitté cette vie en état de grâce,
après avoir triomphé du démon. Celui-ci a donc perdu tout pouvoir sur elles.
Conclusion :
L’éternel
châtiment des damnés sera le feu allumé par leur propre perversité si
contradictoire à la nature bonne de leur âme. Les démons n’auront qu’un rôle
accidentel en ce sens que leur présence orgueilleuse sera source de déplaisir
pour tous les damnés. De même, au purgatoire, jusque-là, c’est l’absence du
Dieu désiré et elle seule, qui purifie les élus. Elle ne requiert pour cela le
ministère des démons qui ont été vaincus par eux. Par contre, il est possible
que les bons anges soient chargés d’appliquer certaines dispositions particulières
de cette purification, en vue d’hâter le travail de la grâce. Ce sera par
exemple leur rôle que de rendre visible à l’âme en peine les mérites et
indulgences offerts par ceux qui prient pour elle depuis la terre. Le rôle de
la Vierge Marie et ses saints dans ces purgatoires est évident : lorsque
le découragement et le désespoir se font sentir, ils peuvent visiter ces âmes
concentrées sur leur propre perfection et hâter leur purification par leur
manifestation bouleversante, qui manifeste clairement le peu d’utilité de tout
ce qui n’est pas l’amour de Dieu et du prochain.
Par
contre, en cette terre d’ici-bas, qui est un lieu de combat, les hommes sont
frappés par les mauvais anges, leurs ennemis, comme nous le voyons par
l’exemple de Job, et par les bons anges, comme Denys l’affirme en propres
termes, et comme nous le voyons en la personne de Jacob, dont l’ange toucha et
démit la hanche, au cours de la lutte qu’il soutint avec lui
Solutions :
Elles
viennent d’être données.
Objection 1 :
Sainte
Catherine de Gênes écrit[975] : « Le feu du purgatoire est différent du
feu de l’enfer car, dans le purgatoire la volonté demeure toujours bonne et
soumise à Dieu ; Au lieu que dans l’enfer les damnés étant toujours plongés
dans le péché et n’étant plus capables que Dieu verse en eux les influences de
sa bonté, ils demeurent dans le désespoir et dans une volonté mauvaise qui sera
éternellement opposée à celle de Dieu. »
Objection 2 :
La
peine des damnés est pour toujours puisqu’ils « iront au feu éternel »[976] ; le feu du purgatoire ne dure qu’un
temps. Ce n’est donc pas le même feu.
Objection 3 :
Même
conclusion négative, du fait que le supplice de l’enfer reçoit différents noms
dans l’Écriture par exemple[977] : « le feu, le soufre, le vent des
tempêtes etc. », tandis que celui du purgatoire, c’est uniquement le feu.
Objection 4 :
Selon
certains auteurs, le feu de l’enfer est la haine lancinante que les âmes
éprouvent pour la Justice de Dieu qui s’oppose à leur liberté ; le feu du
purgatoire est au contraire le désir de Dieu issu de la ferveur de la charité.
Donc le feu de l’enfer et celui du purgatoire ne sont pas les mêmes.
Cependant :
Saint
Grégoire écrit[978] : « Ainsi que dans le même feu l’or
brille et la paille fume, ainsi par le même feu le pécheur est brûle et l’élu
purifie. »
Conclusion :
Comme
nous l’avons vu, le feu de l’enfer et celui du purgatoire peuvent être entendus
selon deux acceptions. En un premier sens, qui est le principal, il s’agit d’un
feu spirituel et intérieur provoqué par la séparation d’avec Dieu. La raison en
est que toute âme après la mort, par la libération du corps et la rencontre
avec Jésus, voit s’actuer le désir naturel de Dieu qui est en elle et qui avait
été étouffé par le poids de la chair et le péché. La séparation d’avec Dieu
contrarie donc cet instinct naturel de la béatitude. Cependant, elle n’est pas
voulue de la même façon par les damnés et par les âmes saintes du purgatoire.
Dans le premier cas, elle trouve son origine dans un amour déréglé de soi qui
est établi en absolu et qui les conduit à préférer se séparer de Dieu plutôt
que de se repentir. Dans le second cas, elle est voulue relativement à un
obstacle temporaire qui doit être purifie dans l’âme. Ainsi, la séparation des
damnés est causée par l’orgueil, celle des âmes du purgatoire par la charité.[979]
De
tout cela, on doit conclure que le feu a la même origine en enfer et au
purgatoire mais n’agit pas de la même façon sur les âmes selon les paroles de
saint Grégoire : « par le même feu le pécheur est brûlé et l’élu purifié. »
Si l’on considère en un second sens le feu du purgatoire de la même
manière que certains théologiens à savoir comme feu sensible, on est amené à la
même conclusion. La séparation de Dieu provoque dans la sensibilité une absence
de paix, des passions douloureuses. Elles sont toutefois très différentes en
enfer où sont surtout haine, fuite, tristesse, désespoir, crainte, et au
purgatoire où elles s’appellent amour, désir, tristesse, espoir, audace.
Solution 1 :
Sainte
Catherine de Gênes regarde le feu dans sa cause prise du côté de la volonté de
l’homme et non dans sa nature qui est un désir naturel de Dieu.
Solution 2 :
Le
feu du purgatoire est éternel quant à sa substance puisqu’il dure autant que la
personne dont la vie n’a pas de fin. Mais l’action purificatrice qu’il opère ne
dure qu’un temps, jusqu’à ce que Dieu paraisse.
Solution 3 :
Les
peines de l’enfer n’ont aucune finalité. Elles sont un simple effet d’une âme
séparée de sa fin. On leur donne les noms de toutes les choses qui nous font
souffrir. Celles du purgatoire ont pour but principal d’effacer les restes du
péché : on leur donne le seul nom de feu, parce que le feu purifie et consume.
Solution 4 :
Les
damnés ne haïssent pas Dieu en lui-même mais à cause d’un effet de sa
providence qui nuit à leur volonté orgueilleuse. En détournant leur volonté du
Bien Incréé, les damnés ont laissé pour toujours insatisfait leur désir naturel
du bonheur que seul Dieu aurait pu combler. Ils en subissent les conséquences
dans leur nature par le feu. Cette insatisfaction perpétuelle de leur âme
provoque en eux la haine, de même qu’elle provoque le désir brûlant de la
charité chez les élus. La haine et le désir sont donc des effets du feu.
Cependant, si l’on insiste pour dire que ces états de l’âme sont le feu de
l’enfer et du purgatoire alors on doit admettre que ces feux sont différents,
selon l’autorité de sainte Catherine de Gênes.
Objection 1 :
Plus
un être est passif, plus la souffrance est vive, s’il a le sentiment de son
mal. Or, le corps est plus passif que l’âme séparée : le feu lui est plus
contraire et agit sur lui plus fortement ; ses souffrances doivent donc aussi
être plus grandes.
Objection 2 :
Les
souffrances du purgatoire ont pour objet direct les péchés véniels qui sont les
péchés les plus légers et doivent donc subir la peine la plus légère, s’il est
vrai que le nombre des coups doit être proportionné à la faute.
Objection 3 :
La
dette, qui résulte de la faute, ne peut s’intensifier qu’avec elle. Mais une
faute pardonnée ne peut plus augmenter. Donc, celui qui a reçu le pardon d’un
péché mortel, pour lequel il n’a pas pleinement satisfait, ne voit pas sa dette
augmenter à la mort Or, en cette vie il n’était pas passible de la peine la
plus grave. Donc, la peine qu’il subira dans l’autre vie ne sera pas supérieure
à toutes les peines que l’on peut endurer ici-bas.
Cependant :
1° « Le feu du purgatoire, dit saint
Augustin, fait plus souffrir que tout ce que nous pouvons éprouver, voir ou
imaginer en ce monde. »
2° C’est quand la souffrance atteint l’être
tout entier qu’elle est la plus grande. Or, l’âme séparée étant simple, est
atteinte dans sa totalité ; il n’en va pas de même pour l’homme tant qu’il est
uni à sa chair révoltée. Donc la souffrance de l’âme séparée est supérieure
ainsi à toute souffrance du corps.
Conclusion :
Il
y a deux peines en purgatoire : 1° la peine du dam, l’ajournement de la vue de
Dieu ; 2° La peine du sens, la souffrance qui en découle dans l’esprit comme
dans la sensibilité. Les théologiens anciens pensèrent que le moindre degré de
l’une comme de l’autre surpassait la peine la plus grande que l’on puisse
endurer ici-bas. Car, disaient-ils de la peine du dam, plus une chose est
désirée, plus son absence cruelle. Or, au sortir de ce monde, le souverain bien
excite dans les âmes justes le désir le plus intense, parce que le poids du
corps ne l’étouffe plus et qu’elle a vu l’espace de l’heure de la mort la
Lumière. De même pour eux, la peine du sens était la plus intense : ce
n’est pas la blessure mais le sentiment que l’on en a qui cause la souffrance,
celle-ci est en proportion de la sensibilité : c’est pour cette raison que les
parties du corps les plus sensibles éprouvent les souffrances les plus vives.
Cette
opinion reste vraie pour la majorité des gens que l’on observe sur terre et qui
arrivent, d’une manière ou d’une autre, à distraire le feu des angoisses et des
désespoirs.
Mais,
cette opinion ne peut plus être gardée lorsqu’il s’agit des désespérés. On ne
le voyait pas au Moyen-âge pour deux raisons :
1°
La séparation d’avec Dieu (le dam) était moins ressentie dans une époque ou la
foi en la vie après la mort allait de soi et motivait la vie des gens. Mais
dans un monde où des foules humaines croient sincèrement que la mort est le
néant et que tout est finalement vain, on voit clairement que, chez un petit
nombre, le feu du dam est des plus vifs, et est source d’un total désespoir, à
l’image du Christ sur la croix lorsqu’il crie : « Mon Dieu ! Mon
Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
2°
De même, le sentiment de ce vide peut se révéler pour certains à ce point
douloureux qu’il ne peut y avoir pire dans l’autre monde. C’est que, dans une
époque de confort, où l’homme n’est plus endurci par la dureté de la vie face
aux souffrances, certains deviennent extrêmement sensibles à l’impact de ce feu
intérieur qu’est l’angoisse. On le voit de manière claire chez ceux qui en viennent
à vouloir détruire leur vie plutôt que de la supporter. C’est aussi pour cette
raison que la dernière génération qui vivra cette terre, sous le règne brillant
au plan matériel du dernier Antéchrist, n’aura pas à passer par la mort
physique, ayant subi du fait de l’absence du vrai Dieu et de son extrême
sensibilité à l’angoisse le plus terrible et efficace des purgatoires, les
laissant pour la plupart brisés donc tout humbles.
Ceci
n’empêche pas que l’opinion des théologiens anciens reste vraie pour l’universalité
des hommes, puisque aucun homme ne pourra plus, dans les purgatoires de l’autre
monde, contourner d’une façon ou d’une autre le feu du purgatoire déjà présent
sur terre.
Solution 1 :
L’âme
est moins passive que le corps, mais elle a un sentiment plus vif de ce qui la
fait pâtir, et c’est cela surtout qui cause la souffrance.
Solutions 2 et 3 :
L’acuité
des peines du purgatoire vient moins de la quantité du péché qui est puni que
de la condition de celui qui est puni : ce qui fait que la punition du même
péché est plus ressentie pour la plupart dans l’autre vie ; de même que le
condamné dont la sensibilité est plus grande souffre plus qu’un autre, sans
cependant recevoir plus de coups, et cependant, sans manquer à la justice, le
juge infligera à tous deux le même nombre de coups pour les mêmes fautes.[981]
Réponse aux objections en sens
contraire :
Saint
Augustin parle en général, la majorité des gens arrivant en ce monde à rendre
moins sensible le feu de l’absence de Dieu soit en se distrayant, soit en
endurcissant leur sensibilité. Mais, le purgatoire pouvant de fait se résumer à
l’expérience du désespoir sensible à l’image du Christ sur la croix, on ne peut
raisonner en parlant d’un plus ou moins grand désespoir, que ce soit en ce
monde ou dans l’autre. Le désespoir, par définition, atteint l’être tout entier
puisqu’il prive l’homme ou l’âme du sentiment d’avoir un sens à sa vie. Et
c’est lui seul qui, en fin de compte, crée en l’homme « un cœur tremblant, des
yeux éteints, un souffle court.[982] », c'est-à-dire cette kénose si
nécessaire pour voir Dieu.
Objection 1 :
La
peine est un mal. Dieu qui est la bonté même ne saurait vouloir un mal pour sa
créature. Donc la peine du purgatoire n’est pas voulue par Dieu.
Objection 2 :
La
peine du purgatoire a deux finalités : purifier l’âme des restes du péché et
satisfaire par une pénitence pour les péchés passés. On voit mal pourquoi Dieu
exige une telle satisfaction qui relève plus d’une stricte justice vindicative
que de sa bonté.
Cependant :
Sainte
Catherine de Gênes écrit[983] : « les peines du purgatoire sont reçues
par l’âme comme un témoignage de la bonté de Dieu sur elle. » Or la volonté des
âmes du purgatoire est sainte et ne saurait qu’être conforme à la volonté de
Dieu. Donc les peines du purgatoire sont voulues par Dieu.
Conclusion :
La
volonté première de Dieu sur l’homme, celle qui l’a poussé à le créer, à
l’élever à la grâce, à le rétablir dans cette grâce après le péché en
s’incarnant, c’est la communication de sa bonté. Une telle communication se
réalise et s’achève par la vision de son essence. On peut donc dire que Dieu ne
veut pas, d’une manière absolue, tout mal qui s’oppose directement à son
projet, à savoir le péché contre l’Esprit Saint par lequel l’homme ou l’ange
méprisent l’amour de Dieu pour l’éternité. Si donc certains hommes se damnent à
cause de leur orgueil, Dieu ne peut vouloir directement et par soi leur
damnation. Il la permet à cause de son respect de la liberté de la créature
spirituelle qui constitue, même chez les damnés, une manifestation de sa
gloire. On peut même dire, que relativement à cette gloire, Dieu veut que le
méchant soit damné.
Quant
au mal de la peine qui, chez les élus, constitue un moyen de purification,
d’illumination et de sanctification, il peut être voulu par Dieu comme un moyen
au service du bien de l’âme elle-même, en tant qu’il la prépare à la
communication de la vie éternelle. Relativement à cette finalité, le mal de
peine constitue même un bien puisqu’il en est le moyen préparatoire à la
gloire. C’est pourquoi le prophète Osée peut écrire au nom de Dieu[984] : « Je la rendrai pareille au désert, je
la réduirai en terre aride, Je la ferai mourir de soif…pour qu’elle écarte de
sa face ses prostitutions…puis je la fiancerai à moi pour toujours. »
Solution 1 :
Dieu
veut la peine du purgatoire, non en elle-même, mais relativement au bien de
l’âme. De même, une mère veut parfois une peine pour son enfant, non à cause de
la peine elle-même, mais à cause du bien que constitue l’éducation de l’enfant.
Solution 2 :
Tout
péché produit dans l’ordre de la création un désordre dont les conséquences
dérèglent les rapports de l’âme avec le corps, les rapports des hommes entre
eux et de l’homme avec Dieu. Il doit être réparé par quelque chose qui
rétablisse de quelque manière l’ordre. Il convient que l’excès d’amour de soi
soit compensé par l’excès d’amour pour Dieu. C’est ce que peut réaliser la
peine satisfactoire du purgatoire offerte par charité. Mais une telle peine
peut être accomplie par d’autres que l’âme, à cause de la charité qui unit les
fidèles entre eux. Nous le verrons dans la question consacrée aux suffrages
pour les défunts.
Objection 1 :
Les âmes du purgatoire sont séparées de Dieu. Or nul ne peut
l’être sans s’être d’abord détourné de lui selon cette parole d’Isaïe[985]
: « Malheur! Ils ont abandonné le Seigneur, ils se sont détournés de lui. » Or
celui qui se détourne de Dieu ne peut être saint.
Objection 2 :
À cause du
péché véniel qui demeure en elles, les âmes du purgatoire ne sont pas
entièrement soumises à Dieu. Elles ne peuvent donc être qualifiées de saintes
puisqu’elles restent en quelque manière attachées à elles-mêmes. Celui qui est
saint, au contraire est totalement séparé de lui-même pour Dieu et ses frères.
Cependant :
Sainte
Catherine de Gênes écrit[986]
: « la disposition des âmes du purgatoire leur vient de la grâce dont elles
sont pleines. » Donc elles sont saintes.
Conclusion :
Comme nous
l’avons vu plus haut, les âmes de ces trois degrés du purgatoire sont
provisoirement séparées de Dieu à cause d’un reste du péché qui doit être
purifié et à cause d’une peine qui reste à accomplir. Mais, soit avant la mort
soit au moment de la mort, elles se sont repenties par une contrition parfaite
de leurs péchés mortels. Elles ont reçu de Dieu la grâce du pardon et de la
sanctification. À cause de leur état de séparation d’avec le corps, les âmes du
purgatoire voient s’épanouir en elles en plénitude les dons de la vie
surnaturelle, dans la mesure tout de même où cela est conciliable avec le fait
qu’elles sont séparées de Dieu. Ainsi, les effets de ces dons en tant qu’ils
sont source de plaisir n’existent pas, mais seulement en tant qu’ils sont
source de désir brûlant.
1° Elles ont la foi et une foi parfaite
quant à ses deux objets puisque l’exercice de cette vertu a été purifié et
illuminée par la révélation du Verbe fait chair au moment de la mort. Elles ont
connaissance de Dieu par la foi, sans erreur possible sur ce qu’il est et ce
qu’il propose ; elles croient en tant que c’est Dieu qui s’est révélé et non à
cause d’une parole humaine.
2° Elles espèrent avec certitude être
sauvées, sans aucune inquiétude à cause de la promesse du Seigneur faire lors
du jugement dernier et de leur absolue confiance en la fidélité au Seigneur
3° Elles aiment Dieu plus que leur propre
bien-être et pour lui-même par la vertu de la charité et elles aiment le
prochain à cause de Dieu. L’exercice de cette charité est propre à leur état
d’âme séparée de la chair puisqu’elles peuvent perpétuellement maintenir en
acte leur attention fixée en Dieu, par une prière continuelle qui ne peut
exister sur terre à cause des multiples occupations auxquelles nous sommes
tenus et à cause des exigences du corps. D’autre part, la ferveur de cette
prière est incomparable à celle de la terre, non parce que la charité est plus
grande mais parce qu’aucun obstacle ne peut en appesantir l’exercice.
4° Les dons du Saint Esprit qui disposent
l’âme à être mue directement et avec facilité par les influx divins sont
présents
Cependant,
à cause des restes du péché, l’âme oppose une certaine résistance à leur
parfait exercice. Elle a tendance à ne pas suivre immuablement l’instinct divin
mais à se fier davantage à sa propre raison. Et c’est par rapport à cet
exercice parfait de la charité réalisé par les sept dons du Saint Esprit qu’il
est nécessaire que soit réalisée une purification. Mais une telle imperfection
ne s’oppose pas à la sainteté de l’âme puisqu’on la voit chez les saints. Elle
s’oppose à la sainteté parfaite qui est nécessaire[987]
pour être introduit dans la gloire où Dieu prend entièrement possession de
l’âme.
Solution 1 :
Les âmes du purgatoire ne sont pas entièrement séparées de Dieu
puisqu’elles lui sont unies par la charité et les dons du Saint Esprit. Elles
sont seulement séparées provisoirement de la vision de son essence et de la
possession de sa présence. De même qu’on ne peut pas dire qu’un ami est séparé
de celui qu’il aime parce qu’ils sont provisoirement situés dans deux lieux
différents, de même on ne peut pas dire que les âmes du purgatoire sont
totalement séparées de Dieu. L’objection ne s’applique pas à ces âmes mais
seulement aux damnés.
Solution 2 :
Un objet
est qualifié de saint lorsqu’il est député par une consécration au service
exclusif de Dieu. Cependant, il n’a pas besoin pour rester saint d’être
actuellement et à chaque instant en acte de service de Dieu. De même un homme
sur la terre est qualifié de saint parce que son intention est habituellement
fixée sur Dieu, au point qu’il ne fera jamais rien d’explicitement contraire à
cette intention. Mais il n’a pas besoin d’être à chaque instant dans la pensée
de Dieu. Il lui suffit de l’être habituellement. La sainteté des âmes du
purgatoire est plus parfaite que celle des hommes sur la terre puisqu’elles ne
peuvent plus pécher et peuvent à chaque instant demeurer dans la pensée de
Dieu. Le fait qu’il leur demeure quelque purification à apporter du côté de
leur âme s’oppose seulement à la sainteté absolue de la gloire et non à la
sainteté en soi.
Objection 1 :
Comme on vient de le montrer, les âmes du purgatoire résistent à
l’impulsion des dons du Saint-Esprit, à cause des restes du péché qui les
inclinent davantage faire confiance à leur propre raison qu’aux impulsions
divines. Elles ne sont donc pas soumises à la volonté de Dieu.
Objection 2 :
Les âmes
du purgatoire ne veulent pas de la souffrance du feu puisqu’elles demandent à
en être délivrées. Or Dieu veut pour elles cette peine comme nous l’avons
montré. Elles ne sont donc pas soumises à la volonté de Dieu.
Cependant :
Nul ne
peut être saint si sa volonté n’est soumise à celle de Dieu.
Conclusion :
Être
soumis à la volonté de Dieu peut signifier deux choses :
1° vouloir ce que Dieu veut d’une manière
habituelle, c’est-à-dire être prêt par l’intention à ne rien vouloir ni ne rien
faire en dehors de ce que Dieu demande. Les âmes du purgatoire, sous ce rapport
sont soumises à la volonté de Dieu puisqu’elles ont la charité qui est le
résumé de tous les commandements de Dieu selon saint Matthieu[988].
2° Réaliser cette volonté de Dieu jusqu’à
devenir pour Dieu un instrument docile de sa volonté, parfaitement apte à être
mu par ses impulsions. Une telle soumission n’appartient pas aux âmes du
purgatoire à cause des restes du péché qui les attache encore à elles-mêmes.
Mais cette seconde soumission est acquise à travers les purifications du feu.
Solution 1 :
Ce qui est essentiel à la soumission d’un serviteur, c’est que sa
volonté soit disposée à se modeler sur la volonté de son maître. La rapidité
avec laquelle il exécute l’ordre reçu n’est que la perfection secondaire de la
soumission.
Solution 2 :
Les âmes
du purgatoire ne veulent pas des souffrances en tant qu’elles sont des maux ;
mais elles les veulent relativement au bien qui se réalise par elles. En ce
sens, elles sont parfaitement en conformité avec la volonté de Dieu qui ne veut
le mal de peine qu’à cause d’un bien qui lui est attaché. Et leur volonté est à
ce point conforme à celle de Dieu qu’elles désirent elles-mêmes se plonger dans
la solitude du purgatoire en même temps que Dieu le fait lui-même.
Objection 1 :
Les âmes du purgatoire ont une volonté droite. Or, la rectitude de
la volonté consiste dans sa conformité à la volonté divine. Dès lors, puisque
Dieu veut qu’elles soient punies, elles le veulent donc pareillement.
Objection 2 :
Tout homme
sage veut le moyen nécessaire de parvenir à la fin qu’il veut. Or, les âmes du
purgatoire savent que leurs souffrances sont le chemin de la gloire ; Elles
veulent donc souffrir.
Cependant :
On ne
demande pas à être délivré d’une peine que l’on subit volontairement. Or, les
âmes du purgatoire demandent leur délivrance, comme saint Grégoire en cite de
nombreux exemples. Leurs souffrances ne sont donc pas volontaires.
Conclusion :
Une chose peut être dite volontaire de deux manières. 1° D’une
volonté absolue ; ainsi, aucune peine n’est volontaire, puisqu’il est de sa
raison même qu’elle soit contraire à la volonté. 2° D’une volonté
conditionnelle, ainsi une brûlure est volontaire en vue d’une plaie à guérir.
Ici deux cas se présentent. Dans le premier, la peine fait acquérir un bien,
et, à cause de cela, la volonté la recherche, comme dans la satisfaction ; ou
encore, l’accepte volontiers et ne voudrait pas en être privée, comme dans le
martyre. Dans le second, la peine ne mérite pas un bien, mais elle est le moyen
d’y parvenir : ainsi en est-il de la mort. Cette peine, la volonté ne la
recherche pas, elle voudrait en être délivrée, mais elle la supporte, et, pour
autant, cette souffrance est dite volontaire. C’est en ce sens que les
souffrances du purgatoire sont volontaires.
Certains
auteurs prétendent qu’elles ne le sont en aucune façon ; car, disent-ils, les
âmes du purgatoire sont tellement absorbées par elles qu’elles ignorent qu’il
s’agit d’une purification et se croient damnées. Cette opinion est erronée ;
car si ces âmes ne savaient pas qu’elles dussent être délivrées, elles ne
solliciteraient pas nos suffrages, comme il leur arrive souvent de le faire.
Solution 1 :
Elles
viennent d’être données.
Objection l :
Les âmes du purgatoire peuvent au moins commettre des péchés
véniels puisqu’elles doivent s’en purifier.
Objection 2 :
Au purgatoire, les âmes ne sont pas en présence de l’essence
divine. Elles ne sont donc pas comme les âmes du paradis qui ne peuvent se
détourner de Dieu à cause du fait qu’il est l’essence même de la bonté. Au
contraire, les âmes du purgatoire sont dans l’obscurité d’une prison et elles
sont soumises aux pires des tourments. Elles peuvent, à cause de ces tourments
qui s’opposent à leur volonté, se détourner de Dieu qui en est la cause. Elles
peuvent donc pécher.
Objection 3 :
C’est une
condition de la liberté de pouvoir se détourner d’un bien pour en poursuivre un
autre. Or les âmes du purgatoire gardent leur libre arbitre. Elles peuvent donc
se séparer de Dieu.
Cependant :
Sainte
Catherine de Gênes écrit[990]
: « les âmes du purgatoire ne peuvent plus pécher. » De même Léon X condamne
formellement la proposition suivante[991]
: « les âmes du purgatoire ne cessent de pécher aussi longtemps qu’elles
cherchent le repos et ont horreur de peine. »
Conclusion :
Que les
âmes du purgatoire ne puissent plus pécher, c’est à cause de l’état de leur
nature qui est séparée de la fragilité des conséquences du péché originel et de
la perfection du choix de l’heure de leur mort, comme nous l’avons vu. Que
l’homme puisse tant qu’il est sur la terre se convertir sans cesse vers des
biens opposés, cela tient à la condition de son intelligence qui, étant liée à
une sensibilité blessée, ne saisit qu’avec peine et par étape la bonté des
réalités ; cela tient aussi à la condition de la volonté qui peut se porter
vers un bien relatif en se laissant entraîner par les désirs du corps et cela
malgré l’intelligence qui peut savoir qu’il y a là un péché. On le voit chez
les alcooliques qui boivent bien qu’ils sachent que l’alcool est un mal pour
eux. Mais une fois libérée de ces peines dues au péché originel, une fois
restaurée dans la plénitude de ses moyens, toute ignorance de l’intelligence et
toute faiblesse de la sensibilité disparaît. Aussi, celui qui se porte une fois
vers la fin éternelle ne peut s’en détourner car c’est en pleine possession de
lui qu’il a choisi ce bien pour sa fin ultime.
Solution 1 :
Les âmes du purgatoire ne commettent aucun péché véniel volontaire
puisqu’elles haïssent ces péchés qui sont pour elles la cause de leur
séparation provisoire du Dieu qu’elles aiment. Mais elles commettent des péchés
véniels involontaires à cause des restes du péché passé qui maintiennent leur
volonté vicieusement et involontairement attachée à elle-même. Ainsi, elles
aiment mal. Elles n’aiment pas de manière humble (kénose) et n’arrivent pas à
dire : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement
une parole et je serais guéri. » Le temps seul peut, dans l’attente laminante
de la venue de Jésus, les délivrer de ce défaut.
Solution 2 :
Les tourments du purgatoire sont eux-mêmes voulus et choisis par
l’âme en tant qu’elle sait qu’ils la conduiront à l’union à Dieu. Ils ne
peuvent donc en aucune manière la détourner de Dieu.
Solution 3 :
La liberté
est une propriété de l’esprit quand il se porte vers un bien en pleine
connaissance et sans que sa volonté y soit poussée de l’extérieur. C’est de
cette façon là que l’âme du purgatoire reste immuablement fixée en Dieu, de
même que l’âme du damné reste fixée en elle-même. Que nos intentions de la
terre puissent se porter successivement sur diverses fins contradictoires, cela
tient aux limites de la liberté conditionnée par l’erreur, le poids du corps,
du monde et l’influence du démon.
Objection 1 :
Cela semble possible : le mérite se prend de l’augmentation de la
charité. Or l’âme, après la mort, peut aimer davantage Dieu puisqu’elle
progresse jusqu’à la disparition des péchés véniels. Donc la charité peut
augmenter au purgatoire.
Objection 2 :
Les âmes de ces purgatoires souffrent et offrent à Dieu leur
souffrance. Un tel acte est difficile et mérite donc une récompense
supplémentaire comme une augmentation de la charité.
Objection 3 :
Les âmes
de ces purgatoires passent leur temps à lutter contre les restes du péché
qu’elles discernent en elles. Tout combat mené par amour pour Dieu mérite de sa
part une récompense, c’est-à-dire une augmentation de la charité. Donc les âmes
de ces purgatoires peuvent mériter.
Cependant :
Jésus dit
dans la parabole des talents[992]
: « Après un long temps, le maître de ces serviteurs arrive et il règle ses
comptes avec eux. » Or, avant l’arrivée du maître, les serviteurs faisaient
fructifier leurs talents. Il en est de même pour le mérite. Après la venue du
Seigneur, il n’est plus temps de les augmenter mais seulement d’en recevoir la récompense.
Conclusion :
Comme on
l’a vu dans la deuxième partie, le mérite est proportionnel à la charité
puisque Dieu veut qu’une âme reçoive la proportion de gloire qui dépend de
l’amour qu’elle a pour lui. Ainsi, plus la charité augmente dans une âme, plus
elle reçoit de Dieu une claire vison de son essence.
Tant qu’il
est sur la terre, un homme peut progresser dans la charité comme on le voit
chez les païens de bonne volonté dont l’intention est de plus en plus désireuse
d’aimer (il s’agit d’une disposition à entrer dans la charité quand elle leur
sera proposée) ou chez les chrétiens qui aiment de plus en plus Dieu et le
prochain. Cette augmentation se réalise en eux essentiellement par le fait que
la vertu de charité prend de plus en plus possession de son sujet qui est la
volonté et non parce que cette vertu elle-même s’augmente par addition. Une
telle augmentation est d’abord réalisée par Dieu lui-même qui est l’auteur de
l’infusion dans l’âme de cette vertu surnaturelle. Du côté de l’homme sur la terre,
il peut y avoir disposition à l’accroissement de la charité en tant que, par un
acte de charité, l’homme se rend plus prompt à agir de nouveau sous
l’inspiration de cette vertu ; puis la facilité de renouveler cet acte venant à
s’accentuer, l’homme voit la vertu théologale prendre davantage possession de
ces actes et lui permettre de s’élancer vers un acte d’amour plus fervent. Cet
acte plus fervent mérite à la mort un don de gloire plus grand puisque chacun
méritera d’être comblé en proportion de sa charité.
Après la
mort, l’homme n’est plus en état de progresser dans la charité et cela pour
deux raisons :
1° Principalement à cause de son état
nouveau. Le temps de la faiblesse de la chair et de l’ignorance de
l’intelligence se termine. L’apparition glorieuse du Messie fait que l’âme se
porte vers sa fin tout entière et d’un seul coup, de toute la capacité dont
elle est capable. Elle aime donc Dieu avec toute la potentialité de la vertu de
charité préparée à titre de disposition durant sa vie terrestre et souvent
reçue à ce moment. Elle se porte vers Dieu de toutes ses forces car il n’y a de
mesure à cet acte que la dimension de sa capacité à désirer.
2° À cause de la volonté de Dieu qui a fixé
que l’homme entrerait en possession de sa fin au terme de la vie terrestre.
C’est pourquoi il appartient à la charité de la terre, celle qui est en état de
voie vers l’obtention de la béatitude finale de mériter ; quant à la charité du
terme de la vie, il lui appartient d’entrer en possession de cette fin aussi elle
ne mérite plus mais reçoit sa récompense.
Solution 1 :
Le purgatoire ne permet pas à l’âme d’augmenter sa charité en ce
sens qu’elle aimerait davantage Dieu au terme de la purification qu’au début.
En effet, dès l’entrée dans la mort, l’âme aime Dieu selon la mesure parfaite
de la charité atteinte durant sa vie terrestre (parousie incluse). La
purification détruit certains obstacles qui rendent peu aisé l’exercice de
cette charité. Ces obstacles sont les restes du péché déjà pardonné dont nous
avons dit plus haut.
Solution 2 :
Le fait que les âmes du purgatoire offrent leurs souffrances à
Dieu ne prouve pas qu’elles puissent augmenter la charité en elles mais
seulement qu’elles aiment Dieu plus que leur propre bonheur. Sur la terre et
dans le passage de la mort, une telle offrande leur vaudrait de la part de Dieu
une augmentation de la charité car les âmes sont en état de voie. À cause de la
nuit où vit l’intelligence, du silence de Dieu, il est possible à l’homme
d’aimer plus que de raison, d’aimer jusqu’à donner sa vie et au delà de la
compréhension. Ce n’est pas le cas des âmes du purgatoire qui ont vu la lumière
et aiment de toute la mesure de ce qu’elles en ont compris et désiré. Leur
charité est ordonnée à recevoir immédiatement la gloire finale.
Solution 3 :
Il existe
sur la terre deux manières de travailler à la purification de son âme :
1° une manière active lorsque l’on prend
soi-même l’initiative de l’ascèse à travers des actes et des exercices
volontaires. Ainsi, l’homme qui s’astreint à la prière, à la pénitence et à
l’attention active à son prochain à cause de l’amour qu’il a pour Dieu se
dispose activement à la croissance de la charité.
2° une manière passive : l’Esprit Saint
prend lui-même l’initiative de nous purifier à travers les multiples épreuves
de notre vie. C’est uniquement de cette manière que l’âme du purgatoire est
purifiée. En effet, nous avons montré que pour ce qui est de son activité
propre, rien ne peut plus progresser en elle : elle aime Dieu de toute la force
de sa charité, à chaque instant et dès le premier moment de son entrée au
purgatoire. L’âme ne peut donc rien de plus que ce qu’elle a déjà pour hâter sa
purification. Celle-ci se réalise sans qu’elle n’y puisse rien, par l’action de
cette charité qui, dans la durée, s’insinue petit à petit et transforme
l’intelligence et la volonté. Il s’agit d’une purification passive.
Objection 1 :
Nous avons montré que les âmes du purgatoire sont dans une
affliction extrême. Elles ne peuvent donc être en même temps dans la joie, car
la joie et la douleur sont opposées l’une à l’autre.
Objection 2 :
La souffrance des âmes du purgatoire dépasse ce qui existe sur
terre. Or il peut exister sur terre des souffrances sans aucun mélange de joie
et de paix comme on le voit chez les désespérés. Donc l’âme du purgatoire ne
peut être dans la joie et la paix.
Objection 3 :
Aristote
dit que la tristesse violente empêche non seulement la délectation qui lui est
directement opposée, mais encore n’importe quelle délectation ; et
réciproquement la joie par rapport à la tristesse. Or la douleur des âmes du
purgatoire est la plus aiguë de toutes. Elles ne peuvent donc être en même
temps dans la joie.
Cependant :
Sainte Catherine
de Gênes écrit : « les âmes du purgatoire ont un plaisir et une satisfaction
qui se mêle parmi leur souffrance. »
Conclusion :
C’est par
une même cause que les âmes du purgatoire sont dans la souffrance et la joie.
La cause en est la charité parfaite qui se trouve en elles : En tant que leur
volonté est conforme à celle de Dieu, elles sont dans la joie ; en tant qu’il
reste en elles un reste du péché, elles souffrent.
Le lien de
la charité qui les unit à Dieu est source en elles de paix car leurs affections
sont unies dans la recherche d’un seul bien. Elle est aussi source de joie
puisqu’elles sont déjà unies à lui dans l’espérance. Ainsi, se trouvant
exemptes de tout péché et unies à Dieu par la conformité de leur volonté à la
sienne, elles le contemplent de loin, selon le degré de connaissance qui leur
est donné et elles comprennent de quelle importance est la pleine et parfaite
jouissance qui leur a été promise et qui leur sera donnée au jour de leur
entrée dans la gloire. Cette certitude de voir un jour l’essence divine les
plonge dans une stabilité totale et supprime toute inquiétude par rapport à
leur salut.
C’est
aussi le lien de la charité qui est source en elles de souffrance mais pour un
autre motif, c’est-à-dire en tant que leur union définitive à Dieu n’est pas
encore réalisée.
Solution 1 :
La joie et la paix ne sont pas directement contraires chez les
âmes du purgatoire à la souffrance car l’une et l’autre n’ont pas le même
motif, même si elles procèdent du même amour de charité. Rien n’empêche en
effet que les contraires existent dans un même être quand ils ne portent pas
sur un même objet. Ainsi la joie et la paix existent en tant que l’âme est déjà
selon l’intention unie à Dieu par la charité, et la douleur en tant qu’elle en
est de fait séparée pour un temps et e souffre par la charité.
Solution 2 :
La souffrance des désespérés telle qu’on la voit sur terre est
plus forte que celle des âmes du purgatoire, car il y a plus de souffrance dans
le fait de ne plus avoir de finalité que dans celui d’en avoir une et d’en être
séparé pour un temps. La souffrance de ces désespérés n’est pourtant pas
comparable à celle des âmes de l’enfer dont la désespérance est volontaire,
tandis que leur désespoir vient d’une ignorance non volontaire des volontés de
Dieu sur elles qui, par son silence, prépare efficacement leur âme en vue du
salut à venir.
Solution 3 :
Aristote
regarde la tristesse en tant qu’elle est une passion de la sensibilité. Une
passion trop forte peut supprimer tout autre acte de l’âme car elle attire à
elle toutes les énergies vitales. Au purgatoire, les passions n’existent pas de
manière incontrôlée comme sur terre puisque l’âme a été délivrée du foyer du
péché. La douleur du purgatoire est donc un acte de la volonté qui est séparée
de son bien. Rien n’empêche qu’elle s’accompagne de la joie et de la paix à
condition que ce soit sous un autre rapport saisi par l’intelligence.
Objection 1 :
Cela ne semble pas possible. Nous avons montré que les âmes de
l’au-delà, avant leur entrée dans le Ciel, sont incapables par nature de voir
ce que nous faisons sur la terre[993].
Elles ne peuvent donc connaître nos désirs et nos soucis. En conséquence, elles
ne peuvent prier pour nous.
Objection 2 :
Selon
l’opinion commune, la souffrance des âmes du purgatoire est la plus intense
qu’on puisse imaginer à cause de leur intense désir de voir Dieu que frustre
leur isolement absolu. Or l’expérience montre que celui qui souffre trop est
incapable de s’occuper d’autre chose que sa souffrance. Donc les ânes du
purgatoire sont dans l’incapacité de prier pour nous
Cependant :
Les âmes
du purgatoire sont emplies de charité. Or l’un des exercices essentiel de la
charité fraternelle consiste à prier pour ceux qui en ont besoin. Donc les âmes
du purgatoire peuvent prier pour nous. Nous en avons un exemple dans l’histoire
de l’homme riche rapportée par Jésus[994]
: dans le lieu de torture où il séjourne, il supplie Abraham pour ses frères.
Conclusion :
Saint
Alphonse de Ligori résout ainsi cette question[995]
: « On discute s’il est expédient de se recommander aux âmes du purgatoire.
D’aucuns soutiennent que les âmes en expiation ne peuvent prier pour nous. Ils
y sont amenés par l’autorité de saint Thomas d’Aquin qui enseigne que ces âmes,
étant là pour se purifier au sein des peines nous sont inférieures et,
pourtant, ne sont pas en situation de prier, mais plutôt de bénéficier de nos
prières. Mais de nombreux autres docteurs, comme saint Bellarmin, Silvius, le
cardinal Gotti, Lessius, Medina affirment avec beaucoup plus de probabilité :
on doit le croire pieusement, Dieu leur manifeste nos prières afin que ces
saintes âmes intercèdent pour nous et qu’ainsi entre elles et nous soit
conservé ce bel échange de charité ; Elles prient pour nous et nous prions pour
elles. »
Solution 1 :
Il est vrai qu’ordinairement, les âmes du purgatoire ignorent nos
prières. C’est pourquoi l’Église n’a pas coutume de les invoquer et d’implorer
leur intercession. Mais on croit pieusement, comme nous avons dit, que Dieu
leur manifeste souvent nos prières et que cela hâte leur purification. Et alors
elles, toutes remplies de charité, ne négligent certainement pas de prier pour
nous. Sainte Catherine de Bologne désirait-elle quelque grâce, elle recourait
aux âmes du purgatoire et, vite, se voyait exaucée. Et même elle attestait que
beaucoup de grâces obtenues par l’intercession des saints, elles les avaient
ensuite reçues par l’intermédiaire des âmes du purgatoire.
Solution 2 :
Aux dires
de Sylvius et de Gotti, l’allégation de saint Thomas d’Aquin d’après laquelle
les âmes en expiation ne sont pas en état de prier, ne fait pas obstacle au
fait qu’elles prient réellement pour nous. Car autre chose est de ne pas se
trouver en état de prier et autre chose de ne pas pouvoir prier. C’est vrai,
ces âmes saintes ne sont pas en état de prier parce que, comme le dit saint
Thomas, se trouvant là pour souffrir, elles nous sont inférieures, ayant plutôt
besoin de nos prières. Néanmoins, en une telle situation, elles peuvent bien
prier, étant des âmes amies de Dieu. Si un père, malgré son tendre amour pour
son fils, le tenait en prison, en punition d’être tombé en quelque faute, le
fils alors, ne serait certes pas en situation de prier. Mais pourquoi serait-il
incapable de prier pour les autres, avec l’espoir d’obtenir ce qu’il demande,
sachant l’affection que lui porte son père ? Les âmes du purgatoire étant ainsi
très aimées de Dieu et confirmées en grâce, il n’existe aucun empêchement leur
interdisant de prier pour nous[996].
A propos des effets du purgatoire, quatre questions sont posées
1° Le péché véniel comme péché véniel est-il
expié par souffrances du purgatoire ?
2° Est-ce
principalement l’humilité qui est purifiée au purgatoire jusqu’à devenir une
kénose ?
3° Les flammes du purgatoire libèrent-elles
de la peine due au péché ?
4° Les âmes du purgatoire sont-elles
délivrées plus vite les unes que les autres ?
Objection 1 :
La Glose semble le nier : « Ce qui n’a pas été amendé en cette
vie, c’est en vain qu’on en demande le pardon après la mort. »
Objection 2 :
Tomber dans le péché et en être délivré sont corrélatifs. Or,
l’âme, après la mort, ne peut plus commettre de péché véniel. Elle ne peut donc
pas davantage en être absoute.
Objection 3 :
Saint Grégoire dit que l’âme sera, au jugement, telle qu’elle est
sortie du corps, car l’arbre demeure où il est tombé. Si donc elle avait le
péché véniel, au sortir de ce monde, elle l’aura encore au jugement, et le
purgatoire ne l’aura point expié.
Objection 4 :
Le péché actuel n’est effacé que par la contrition. Mais, après
cette vie, il n’y a plus de contrition, qui est un acte méritoire, puisque
alors on ne peut plus ni mériter ni démériter, selon le principe posé par saint
Damascène : « La mort est pour les hommes ce que fut la chute pour les anges. »
Objection 5 :
La cause du péché véniel, c’est le foyer de convoitise ; aussi,
dans l’état primitif, Adam n’aurait pu pécher véniellement. Mais la convoitise,
dont le foyer, justement appelé "la loi de la chair », est détruit par la
mort, n’existe plus dans l’âme séparée. Le péché véniel n’y peut donc plus
être, ni non plus être expié par le feu du purgatoire.
Objection 6 :
D’après le Père Marie-Eugène de l’enfant-Jésus[997],
le purgatoire est source de deux effets : -1° une purification morale qui amène
la personne à se refuser à toute infidélité volontaire, vénielle ou mortelle 2°
un retournement psychologique qui adapte les facultés aux emprises de plus en
plus aisées de la charité. Or ces deux effets ne concordent pas avec ceux
énoncés dans la réponse.
Cependant :
L’autorité
de l’Église enseigne à travers le pape Innocent IV[998]
: « Les orthodoxes grecs eux-mêmes croient et affirment en toute vérité et
certitude que les âmes de ceux qui meurent après avoir reçu la pénitence, mais
sans l’avoir accomplie ou qui meurent exempts de péchés mortels, mais avec des
péchés véniels et minimes, sont purifiées après la mort et peuvent être aidées
par les prières de l’Église. » Donc les péchés véniels sont remis au
purgatoire.
Conclusion :
Certains
auteurs ont prétendu que, dans l’autre monde aucun péché, comme péché, n’était
remis. Nous avons montré que cette opinion ne peut convenir selon la lettre des
Écritures[999]
: « Tout péché et blasphème sera remis aux hommes (...) dans ce monde et dans
l’autre sauf le blasphème contre le Saint Esprit. » Elle ne convient pas non
plus selon son esprit : il serait aberrant d’affirmer que celui qui s’endort le
soir en ayant omis de demander pardon pour un péché serait damné sans rémission
possible s’il venait à mourir dans son sommeil. Dieu nous a manifesté
suffisamment à la croix que son amour n’est pas un piège.
Nous avons
montré d’autre part qu’il est impossible qu’après la mort, lorsque le pécheur
repentant et sauvé s’est tourné vers Dieu, il subsiste en lui un seul péché
véniel volontaire. Le péché mortel a, quant à lui, disparu complètement. C’est
la conséquence première de toute conversion à la charité. L’âme est en effet
toute tournée vers Dieu et rien, aussi bien dans ses intentions que dans ses
actes intérieurs n’est fait en dehors de Dieu. Cette vie spirituelle s’accomplit
d’une manière nouvelle car, avec la dissolution du corps, le foyer du péché
conséquence du péché originel, a disparu. Il ne reste donc plus dans l’âme que
des vestiges de son ancienne vie de péché, à savoir des orientations vicieuses
de la volonté qui, ayant cherché pendant trop longtemps son propre bien, a du
mal à se livrer entièrement et simplement à l’amour de Dieu et du prochain. Ces
habitus vicieux de la volonté n’affectent pas ses intentions mais seulement la
qualité de l’exercice de ses actes. Il s’agit d’un désordre involontaire dans
l’âme. Celle-ci voudrait bien aimer d’une façon totalement spontanée mais elle
n’y peut rien changer. Seul le temps du purgatoire pourra, lentement et dans le
Saint Esprit, réaliser cette œuvre divine. Il s’agit donc d’un péché véniel
passif et non volontaire. C’est lui qui, comme tel, est détruit par les
souffrances du purgatoire.
Dans le
purgatoire, une autre purification doit être réalisée avec celle de la volonté
: l’intelligence aussi, marqué par la vie le péché, peut avoir du mal à
comprendre d’une manière pratique les exigences d’une vie tout orientée dans le
sens de la charité. Nous avons montré que, dans le moment de la mort,
l’intelligence perçoit dans l’apparition glorieuse du Christ, tout ce qui lui est
nécessaire pour l’orientation définitive qu’elle aura à effectuer vers le Bien
ou vers le mal. Cette connaissance est spéculative au sens littéral du mot
(speculum) puisqu’elle est vue comme dans un miroir dans le Christ. Il se peut
cependant qu’elle n’ait pas converti entièrement l’intelligence pratique.
Celle-ci, peu familiarisée avec les exigences d’un amour absolu, peut avoir des
difficultés à en percevoir toutes les implications délicates. Seul
l’apprentissage réalisé dans le temps du purgatoire, peut arriver à la faire
progresser de demeures en demeures, jusqu’à la rendre totalement et aisément
obéissante à Dieu.[1000]
Solution 1 :
Cette glose est à prendre avec prudence. Elle tend à montrer qu’en
enfer les âmes demandent pardon à Dieu mais que celui-ci se montre sourd à
leurs appels. Nous avons montré qu’aucune âme ne demande jamais pardon à Dieu
en enfer. Si, par hypothèse impossible, cela se produisait, Dieu comblerait
aussitôt cette âme de la grâce de son amitié. Tout le mystère de la croix
signifie et révèle cette disposition de Dieu qui pardonne tout péché dès qu’il
est regretté.
Solution 2 :
Il faut distinguer le péché véniel actif qui est volontaire (comme
lorsque par exemple, voulant aimer Dieu et le prier, on se complait malgré tout
dans des distractions à l’oraison) du péché véniel passif qui n’est pas
volontaire mais peut-être constitué par n’importe quelle imperfection des actes
moraux. Si le foyer du péché disparaît avec la mort, les habitus vicieux de
l’intelligence et de la volonté peuvent demeurer, même après la conversion.
Solution 3 :
Après la mort et la manifestation du Christ, l’âme demeure pour
toujours semblable quant à l’orientation de son intention comme nous l’avons
suffisamment montré. La disparition des péchés véniels ne change pas l’état de
l’âme, car ils n’enlèvent ni ne diminuent la charité qui est la mesure de sa
valeur surnaturelle. Donc, qu’ils soient remis ou non, l’âme demeure la même.
Solution 4 :
Après la mort, l’âme ne peut plus mériter quant à la récompense
essentielle. Mais tant que l’homme n’est pas au terme, il peut mériter par
rapport à quelque chose d’accidentel ; c’est ainsi que, au purgatoire, il peut
y avoir des actes qui méritent la rémission du péché véniel.
Solution 5 :
Le péché véniel a son principe dans le foyer de convoitise mais il
a sa consommation dans l’esprit. Il peut donc y demeurer, même après que le
foyer a été détruit.
Solution 6 :
Il s’agit
ici des effets de la purification telle qu’elle est accomplie ici sur la terre
dans les sommets de la vie mystique (sixième demeure). En effet, arrivé à ce
degré d’union à Dieu, le chrétien n’éprouve plus d’attraits pour le péché. Sa
volonté est tournée tout entière vers l’unique recherche de l’amour de charité.
C’est le premier effet cité par le père Marie-Eugène de l’Enfant Jésus. Quant
au retournement psychologique, il correspond à une modification de l’action de
Dieu qui, compte tenu des purifications précédentes, peut s’exercer selon un
mode nouveau : Dieu, dans cet état, commence à infuser ses lumières à l’esprit
directement sans passer par les sens qui, habituellement nourrissent
l’intelligence par l’apport des images.
A l’heure de la mort et lorsque l’âme se tourne vers le bien, ces
deux purifications sont réalisées instantanément : 1° La conversion radicale
qui accompagne la vision de la gloire du Christ et de ses saints ne permet plus
de croissance de l’amour tant l’esprit se trouve aspiré selon toutes les forces
dont il est capable et d’un seul coup vers les biens éternels. C’est pourquoi
il ne peut plus exister de péché volontaire ni véniel ni mortel dans les trois
purgatoires mystiques. 2° Quant au retournement psychologique, il accompagne
avec nécessité la mort du corps puisque l’âme se trouvant séparée de son corps
ne peut plus exercer ses activités spirituelles avec l’aide des images qui ont
disparues. Nous avons montré que l’intelligence s’exerce alors selon le mode
des anges. La seule purification possible ne concerne donc pas la croissance de
l’amour mais seulement la simplification de son élan.
Objection
1 :
On ne peut pas dire que, parmi le péché
véniel purifié dans ces purgatoires est principalement l’humilité, qui est
conduite à un degré qu’on appelle une kénose. En effet, le fait d’être
humble n’implique pas de péché, même véniel. C’est au contraire une disposition
positive de l’âme au salut. Donc l’humilité n’a pas à être perfectionnée.
Objection
2 :
On prétend que
cette kénose est nécessaire à l’homme parce que Dieu est, dans sa vie
Trinitaire, kénose. Mais comment attribuer à la Trinité éternelle, dans sa
perfection infinie, une propriété immanente impliquant une "petitesse », à
savoir une kénose intra trinitaire ? C’est contradictoire.
Objection
3 :
Si Adam et Eve n’avaient pas péché, ils seraient
entrés dans la Vision béatifique sans connaître de souffrance, et donc sans
vivre le désespoir du Christ à la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m’as-tu abandonné ? » Or ils seraient tout de même entrés dans la vision
béatifique. Donc la mort à soi-même n’est pas nécessaire à la béatitude et elle
ne nécessite pas un purgatoire spécial.
Objection 4 :
On peut faire une objection semblable pour les anges,
qui n’ont jamais connu de kénose et ont vu Dieu.
Objection 5 :
Beaucoup d’hommes sur terre connaissent le désespoir,
même sans être chrétiens. Eux aussi vivent donc une kénose, sans pourtant vivre
de la charité. Or, s’ils n’entrent pas dans la vie de charité à l’heure de leur
mort, ils seront damnés. Donc cette notion de kénose n’a pas de rapport avec le
salut.
Cependant
:
Le livre de l’Exode 33, 20 explique :
« Tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. » Dieu qui
est Esprit évoque une mort spirituelle à soi-même, à toutes ses richesses et
attaches. Or nous avons montré[1001]
que, au début de ces trois purgatoires, l’âme désire devenir digne de
Dieu par amour pour Dieu. A la fin de ces purgatoires, l’âme
découragée par la durée de ses efforts et par son impuissance, reconnaît
qu’elle ne sera jamais digne de recevoir un tel Sauveur[1002].
Or il s’agit là d’un progrès dans l’humilité. De plus, cette conscience est
vécue dans la douleur et l’attente jusqu’au désespoir, c’est-à-dire jusqu’à la
mort à soi-même. C’est
donc bien une kénose que produit le dernier purgatoire avant l’entrée dans la
gloire.
Conclusion
:
La kénose est une
notion de théologie chrétienne exprimée par un passage de l'épître de saint
Paul aux Philippiens[1003] : « Lui,
de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.
Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant
semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus
encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix! »
La kénose désigne
le mouvement d'abaissement par lequel Jésus Christ « se vida » de ses attributs
divins pour rejoindre notre humanité jusqu'à vivre l'obéissance de la mort sur
la croix. Ce mot théologique n'a pas d'usage dans le langage commun car on
n'observe pas habituellement, dans le comportement humain, un supérieur qui
s'abaisserait devant un inférieur de cette manière[1004] : « Jésus
se lève de table, dépose ses vêtements, et prenant un linge, il s'en
ceignit. Puis il met de l'eau dans un bassin et il commença à laver les pieds
des disciples. »
Si Jésus fait un
tel geste et l’achève à la croix, c’est non seulement pour nous indiquer notre
comportement, mais c’est aussi pour révéler quelque chose d’essentiel du
mystère de la vie trinitaire puisqu’il dit[1005] : « Qui
m’a vu a vu le Père. » Il révèle une propriété de sa divinité qui, dans ses
relations intra trinitaires, vit une "kénose" mutuelle et éternelle,
qui est jaillissement de connaissance et d'amour. Le Père n’existe que par le
Fils, de même qu’il n’y a jamais de père s’il n’a un fils. Dans la Trinité, le
Père n'est que relation subsistante au Fils (et réciproquement). Il est dans
une relation de don et d’oubli total de soi dans l’autre.
C'est cette
propriété immanente de la vie trinitaire qui explique pourquoi, pour voir Dieu
face à face, outre l'amour de charité, toute créature spirituelle doit mourir à
soi-même (kénose). C’est une condition sine qua non au point que Jésus
répond à Pierre qui, dans un premier temps, refuse de se faire laver les pieds
par lui : « Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi. » C’est
aussi la nécessité d’une identification par la kénose au Mystère trinitaire qui
explique le caractère rédempteur de la souffrance dans presque toute vie
humaine dès ici-bas. Il explique aussi pourquoi, si l’homme ne connaît pas une
kénose en cette vie, il doit la vivre dans la mort ou après la mort.
Solution
1 :
L’humilité n’est certes pas un péché. Elle
est au contraire une vertu humaine qui consiste à se poser soi-même à l’exacte
place où l’on se situe par rapport à l’autre. Mais, lorsque l’autre est Dieu,
l’homme s’il est dans la vérité, doit se considérer comme étant en quelques
sorte, du néant puisque tout ce qu’il est, est reçu de Dieu et créé à partir de
rien. L’homme comprend cela dans son intelligence lorsque, à l’heure de sa
mort, il voit le Cœur sacré du Christ glorieux.
A cause du Mystère trinitaire et en
préparation à la Vision béatifique, encore faut-il qu’il le vive jusqu’aux
tréfonds de son âme, ce qui n’arrive que le jour où il se considère comme
n’étant rien, où il n’aspire à rien pour lui-même. Avant cela, l’humilité de
l’homme est entachée de péché véniel puisque, justement, c’est son imperfection
qui rend encore impossible l’entrée dans la vision de Dieu. Il convient de
remarquer que le bouddhisme, s’il recherche quelque chose qui ressemble à cet
anéantissement pour vivre, ne connaît pas encore la Personne éternelle où
conduit ce chemin dispositif. Cette sagesse est bonne mais ne fait que disposer
au salut qui, lorsque le Christ paraît à l’heure de la mort, donne sens à leurs
efforts, les sanctifie, et les perfectionne.
Solution
2 :
Dans la vie trinitaire, la kénose
n’implique aucun abaissement puisque, en étant extase vers l’autre Personne
divine, la Personne engendre une Personne qui lui est égale en essence, dignité
et grandeur. Pourtant ceci fait de chaque Personne divine une « relation
subsistante », ne vivant que par, pour et en l’Autre. Ceci constitue un acte
subsistant de perte de soi qui donne vie. Nulle créature spirituelle ne peut
voir la Trinité sans, à son niveau de créature, l’imiter. C’est pourquoi Jésus
dit, parlant de cette mort qui est vie, en Dieu comme en l’homme[1006] :
« En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne
meurt pas, il demeure seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. »
Solution
3 :
Avec l’entrée de la souffrance dans le monde, Adam et
Eve et leurs enfants après eux purent être conduit par Dieu à l possibilité
d’un niveau de kénose incomparablement plus grand, et donc à une vision
béatifique intensément plus lumineuse. Cependant, même sans la faute, Adam et
Eve vivaient une certaine kénose, leur intelligence étant plongée par Dieu dans
l’épreuve de la foi, et dans une obéissance qu’ils finirent par prendre, sous
l’influence du démon révolté, comme infantilisante. C’est cette épreuve que,
dans leur révolte, ils refusèrent.
Solution 4 :
En adhérant au projet de Dieu au commencement, les
anges bons ont connus une véritable kénose dans leur vie spirituelle puisque,
alors qu’ils étaient naturellement créés pour se hiérarchiser en fonction de
leur degré intellectuel, ils durent entrer dans une sagesse nouvelle où le plus
petit est le plus grand. Ceci dit, il est clair que la kénose de l’homme et de
la femme peut aller bien plus loin, jusqu’à l’impression d’anéantissement
lorsqu’un homme donne sa vie. C’est pourquoi, du point de vue surnaturel,
l’homme et la femme sont le chef d’œuvre de Dieu.
Solution 5 :
La kénose
n’est pas une expérience exclusivement chrétienne, même si le Christ seul en a
expliqué le sens, selon l’Apocalypse 5, 5 : « L'un
des Vieillards me dit alors: « Ne pleure pas. Le lion de Judas ouvrira le livre
aux sept sceaux. » Tout homme passant sur terre peut connaître une
perte brutale de ce qui constitue son trésor et où est placé son cœur[1007]. Ceci
provoque aussi chez les non chrétiens un état de désespoir psychologique et
spirituel (à ne pas confondre avec la désespérance, qui est un blasphème contre
l’esprit), dont l’effet est une vraie kénose, quoique non finalisée par
l’espérance et non vitalisée par la charité. C’est ce que révèle au Golgotha,
la présence des trois crucifiés symbolisant l’humanité entière, les pécheurs,
les justes et les saints. A l’heure de la Venue du Christ dans sa gloire,
l’homme qui arrive dans de telles dispositions possède en lui une préparation
immédiate à recevoir son salut, non seulement parce que la vue du Christ attire
puissamment spirituellement son esprit mort à lui-même, mais aussi parce qu’en
voyant le Christ ayant connue une kénose semblable à la croix, il voit en lui
un ami comprenant sa souffrance. Cette disposition, si elle est parfaite, une
fois vitalisée par la charité dispense de tout autre purgatoire. C’est pourquoi
Jésus dit à propos des prostituées et des publicains, qui symbolisent les
personnes ayant été humiliés par cette vie[1008] : « Les
prostituées et les publicains vous précèdent dans le Royaume des Cieux. »
Objection 1 :
On purifie ce qui est souillé. Mais la pénitence n’est pas
synonyme de souillure. Elle ne saurait donc être effacée par le purgatoire.
Objection 2 :
Le contraire n’est purifié que par son contraire. Comment la peine
du purgatoire pourrait-elle donc purifier de la peine due au péché ?
Objection 3 :
À propos du feu dont parle saint Paul, et qui consume le bois, le
foin, le chaume, symboles des péchés véniels, la Glose dit : « Ce feu est celui
de l’épreuve et de la tribulation, dont il est écrit : La fournaise
éprouve les vases du potier. » L’expiation consiste donc dans les peines de la
vie, surtout dans la mort, la plus grande de toutes, et non dans le feu du
purgatoire.
Objection 4 :
Le fait de
subir la peine due à son péché ne semble pas obligatoire, à cause de la
miséricorde de Dieu qui peut la remettre en regard des souffrances du Christ
qui ont amplement satisfait pour le péché du monde entier. Donc les flammes du
purgatoire ne sont pas nécessaires pour délivrer de la peine due au péché.
Objection 5 :
L’homme qui a connu une kénose en cette vie ou dans l’autre a
souffert tout ce qu’il est possible de souffrir. Il semble donc inutile
d’ajouter une dette de peine pour ses péchés passés.
Cependant :
Matthieu 5, 25 : « Hâte-toi de t'accorder avec ton adversaire,
tant que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que l'adversaire ne te
livre au juge, et le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison. En vérité,
je te le dis : tu ne sortiras pas de là, que tu n'aies rendu jusqu'au dernier
sou. »
Conclusion :
Avoir fait le mal, s’être comporté égoïstement, avoir nui à Dieu
et au prochain, tels sont les motifs essentiels de la contrition qui règne en
purgatoire concernant la considération de la vie passée. Mais il existe une
circonstance particulière de la souffrance, pour celui qui s’est converti au
vrai Dieu. Il s’agit de l’orgueil. Il augmente la durée et la souffrance de
cette purification. Lorsqu’un grand pécheur qui s’imaginait parfait devant Dieu
et les autres durant sa vie terrestre, découvre le véritable état de son âme
dans la lumière de la parousie du Christ, il n’en reste pas moins
structurellement porté à la fierté. Malgré sa conversion à l’humilité et à
l’amour, il a tendance tant qu’il n’a pas atteint la kénose de son âme, à
s’imposer avec rigueur un purgatoire douloureux. Par amour et droiture de cœur,
il s’applique à lui-même la dureté qu’il appliquait aux autres selon cette
parole de Jésus[1010]
: « Ne jugez pas, afin de n'être pas jugés ; car, du jugement dont vous jugez
on vous jugera, et de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous.
Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la poutre
qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas! »
C’est
pourquoi, parmi tous les purgatoires, le plus rigoureux n’est pas celui des
luxurieux mais celui que s’imposent volontairement les hommes qui ont manqué de
miséricorde envers le prochain. Le payement de la dette de peine pour le péché
se fait pour ces hommes jusqu’au dernier denier, non à cause d’une rigueur
divine, mais à cause de la rigueur que s’applique le pécheur lui-même. Il ne
comprend qu’avec difficulté que la miséricorde le concerne aussi. Il trouve
juste de s’appliquer à lui-même la dureté qu’il appliquait aux autres jusqu’au
jour où, usé d’attendre, il appelle sur lui-même les indulgences du Messie.
Solution 1 :
La dette du péché ne comporte pas de souillure par elle-même, mais
par le péché qui en est la cause.
Solution 2 :
La peine n’est pas contraire à la peine comme telle, mais comme
dette, car, on reste débiteur tant qu’on n’a pas subi la peine dont on est
redevable.
Solution 3 :
Les mêmes expressions scripturaires peuvent renfermer plusieurs
sens. Le "feu" dont il s’agit ici peut désigner les souffrances de ce
monde ou celles de l’autre monde, qui, les unes et les autres, purifient du
péché véniel, tandis que la mort, comme simple phénomène naturel, si elle n’est
pas offerte comme une pénitence, peut tout de même par le tremblement qu’elle
inspire, conduire à plus d’humilité et disposer l’âme au salut.
Solution 4 :
La peine due au péché peut être remise par Dieu après la mort en
ce sens que le défunt n’est pas obligé de l’accomplir lui-même. Mais il est
nécessaire, pour que l’homme n’abuse pas de la miséricorde de Dieu, qu’elle le
soit par un autre qui lui est uni dans la charité et qui peut par ses
sacrifices rétablir l’ordre qui a été brisé. Cet autre peut être le Christ
lui-même à cause des mérites de sa croix ou les vivants par l’offrande de
prières, d’aumônes ou de sacrifices. Le fait que Dieu ne néglige pas cette
dette tient à sa droiture qui ne néglige rien de la vérité.[1011]
L’homme droit qui vit dans ce purgatoire
tient, dans l’honneur et par amour, à régler toutes ses dettes. Il en attend un
état de vérité qui le rendra digne de se présenter de nouveau devant le Christ
et les saints. Cet amour est donc motivé par un reste de fierté, ce qui
constitue justement le péché véniel. Mais l’homme au cœur brisé n’a plus ces
idées là. Il connaît dans les larmes son indignité à jamais. C’est pourquoi le
passage par la kénose absout toute dette et permet l’entrée immédiate au
paradis.
Objection l :
Plus grave est la faute et grande la dette, plus la peine infligée
en purgatoire est sévère. Et cette proportion exige que pour une faute plus
légère l’âme reçoive une peine moins sévère. Il semble que, dans ce cas, l’âme
subira moins intensément la douleur due au feu. Et c’est cette différence
d’intensité dans la souffrance qui explique la diversité proportionnelle des
peines du purgatoire. Donc les âmes du purgatoire n’en sont pas délivrées plus
tôt les unes que les autres.
Objection 2 :
Au Ciel et en enfer, tous les mérites et tous les démérites ne
sont pas égaux ; cependant la durée est la même. Il doit donc en être ainsi au
purgatoire.
Objection 3 :
Au
purgatoire, il n’y aura plus de temps puisque le corps aura disparu. Parler
d’une durée de la purification parait donc illusoire. Alexandre VI a condamné
la proposition selon laquelle le purgatoire ne pouvait durer plus de dix ans[1012].
Nous connaissons la relativité de la durée temporelle. Nous ne pouvons pas
répondre par nos catégories spatio-temporelles qui sont purement humaines.
L’acte de la mort échappe à toutes nos mesures ainsi que l’acte de purgation.
« L’homme
n’a pas seulement un temps physique, mais aussi un temps anthropologique. Nous
référant à Augustin, appelons "temps mémoire" ce "temps humain.
» Ajoutons que ce temps-mémoire est caractérisé par la relation de l’homme au
monde corporel, sans être complètement lié à ce monde et sans non plus qu’on
puisse totalement l’en détacher. Ce qui veut dire que lorsque l’homme sort du
monde biologique, le temps-mémoire se dissocie du temps physique et subsiste
comme temps-mémoire pur, sans pour autant devenir « éternité ». Là se
trouve la raison du caractère définitif de ce qui s’est accompli en cette vie
et de la possibilité d’une purification comme d’un ultime destin à courir dans
une nouvelle relation à la matière. C’est la seule explication qui permette de
considérer la résurrection comme une possibilité nouvelle offerte à l’homme,
voire comme une nécessité à laquelle il lui faut s’attendre".[1013]
Cependant :
Saint Paul
compare les péchés véniels "au bois, au foin et au chaume". Or il est
évident que le premier met plus longtemps à se consumer. Donc il y a des péchés
véniels qui seront punis plus longtemps que d’autres en purgatoire.
Conclusion :
Pour comprendre la durée du purgatoire, trois choses sont à
considérer :
1° la nature du péché véniel qui reste à
purifier ; 2° l’intensité du feu qui purifie. 3° La dette des péchés passés de
la vie terrestre.
1° Pour le premier point, il faut dire ceci
: certains péchés véniels sont plus adhérents, selon que l’âme s’y porte avec
plus de penchant et s’y attache avec plus de force. Or ce qui imprègne plus
profondément exige aussi plus d’efforts pour être enlevé. C’est pourquoi
certaines âmes du purgatoire exigent de passer par une plus profonde
purification, dans la mesure où le péché véniel a pénétré davantage dans leurs
affections.
2° Pour le deuxième point, il faut dire ce
qui suit : l’intensité du feu qui purifie se mesure à l’intensité de la charité
qui porte l’âme à souffrir de l’absence provisoire de Dieu. Il est donc évident
que l’âme qui aura reçu de Dieu en cette vie et à l’heure de la mort la charité
à un degré de participation plus excellent souffrira davantage de l’absence de
Dieu et sera donc plus rapidement purifiée par le feu de ses restes
d’attachement à elle-même.
3° Pour le troisième point, il faut dire ce
qui suit : L’homme qui fut miséricordieux sur la terre a tendance à demander
miséricorde pour ces dettes et à l’obtenir des mérites de Jésus-Christ et des
saints. Au contraire, celui qui sur terre s’est montré dur avec les autres à tendance
à s’appliquer, dans le zèle nouveau de sa conversion, la même rigueur qu’il
appliquait aux autres. Sa purification est donc plus longue parce que sa
charité met plus de temps à devenir miséricordieuse.
De tout
cela on doit conclure qu’il est impossible de calculer la durée du purgatoire.
Trop de critères sont en jeu. "On voit que dans ce contexte, tout le
calcul fait sur une réduction de la durée n’a aucun sens. La conversion est une
réalité intérieure à la personne, et par conséquent, rien d’extérieur à elle ne
peut changer à sa situation".[1014]
La seule
chose certaine est qu’au terme, la charité de tout homme est devenue toute
humble (kénose), à l’image de celle du Christ.
Quelques règles simples peuvent pourtant être établies. 1° Le
purgatoire de ceux qui péchèrent par orgueil et dureté est plus long que celui
de tout autre péché. C’est pourquoi Jésus fut dur avec les pharisiens et
miséricordieux avec les prostituées. L’homme qui sur la terre fut pécheur mais
humble (kénose), c’est-à-dire confessant de ses péchés passe certes par le
purgatoire mais celui-ci est rapide, à l’image de celui du bon larron. 2° À
degré égal de purification, les âmes qui aimeront davantage Dieu souffriront
d’un purgatoire plus court mais plus douloureux que celles qui l’aiment moins.
3° De même, à degré égal de charité, les âmes qui seront davantage attachées
par les restes du péché souffriront plus longtemps que celles qui le sont
moins.
Solution 1 :
La grandeur de la peine correspond proprement à la grandeur de la
faute mais sa durée correspond à la profondeur de la pénétration de celle-ci
dans l’âme. De même qu’il est plus facile de brûler du foin que du bois, de
même il est plus facile de purifier un léger attachement à soi. La durée de la
peine correspond aussi à l’intensité du feu appliqué à l’âme, car un feu plus
brûlant détruit plus vite les impuretés qu’un feu de faible chaleur.
Solution 2 :
Le péché mortel qui mérite l’enfer et la charité qui mérite le
Ciel sont, après la mort, enracinés dans l’âme à jamais. C’est donc pour tous
les damnés et tous les élus la même durée sans fin. Mais il en va autrement du
péché véniel qui est nettoyé en purgatoire d’une façon temporaire.
Solution 3 :
Il n’y
aura plus de temps au purgatoire en ce sens qu’il ne sera plus mesuré par le
mouvement régulier des corps célestes. Mais il demeurera un temps intérieur,
mesuré de la durée des opérations vitales. La durée intérieure existe déjà sur
terre, comme on le voit chez ceux qui s’ennuient et qui considèrent quelques
minutes comme si c’était des heures. De même, au purgatoire, le temps paraîtra
plus long à ceux qui désireront davantage Dieu puisque leur désir de le voir
les tourmentera davantage. Et comme dans l’au-delà, la durée intérieure est ce
qui est essentiel, on doit dire que le temps extérieur de leur peine leur sera
indifférent ; pour un péché égal, que le purgatoire ait un temps terrestre qui
dure quelques minutes ou des années, il leur paraîtra avoir duré intérieurement
très longtemps, selon la mesure de ce qu’ils devaient souffrir. Un texte de
l’Évangile de saint Luc peut commenter la situation de la personne qui se
retrouve seule face à l’amour essentiel qui l’a passionnément recherchée[1015]
: « Comme il était encore loin de son père il l’aperçut et fut pris de pitié.
Il courut se jeter à son cou et le couvrit de baiser ». (littéralement :
pris aux entrailles).
Il nous faut regarder la condition particulière des âmes de ceux
qui meurent en état de péché originel, c’est-à-dire essentiellement des enfants
et de ceux qui sont fous dès leur naissance, comme cela a été montré dans la
seconde partie[1016].
À ce sujet, nous nous poserons quatre questions :
1° Les personnes mortes en état de péché
originel mériteraient-elles en stricte justice d’aller dans les limbes éternels
?
2° Dieu donne-t-il aux innocents la capacité
de poser un acte libre ?
3° Dieu propose-t-il aux innocents sa grâce
et sa gloire ?
4° Certains
enfants choisissent-ils l’enfer ou sont-ils tous sauvés ?
5° L’avortement volontaire est-il source de
graves inconvénients pour l’enfant ?
Objection 1 :
Dieu a confié aux parents la responsabilité de leurs enfants. Il
leur appartient de demander et d’obtenir pour eux le pardon du péché originel
et la grâce. S’ils ne le font pas et que l’enfant meurt avant de la demander
lui-même, il est séparé de Dieu pour toujours.
Objection 2 :
Ce n’est pas à cause d’une faute personnelle que les enfants morts
sans baptême méritent la damnation éternelle mais à cause de l’engagement pris
pour eux par leurs premiers parents, Adam et Eve. Cet engagement frappe en
premier lieu leur nature humaine et demeure à cause de leur état personnel
puisque, étant trop jeunes, ils ont été incapables d’expier ce péché en se
tournant personnellement vers Dieu. Donc s’ils meurent sans la grâce du
baptême, il est juste que Dieu respecte le choix d’Adam et Eve et reste séparé
d’eux pour toujours.
Objection 3 :
D’après
saint Thomas d’Aquin, la séparation éternelle d’avec Dieu n’est pas pour les
âmes des limbes source de souffrance puisqu’elles ne peuvent désirer une telle
béatitude dont elles ignorent l’existence, n’ayant pas reçu sur terre la
révélation de la foi. Elles obtiennent une forme de contemplation du bien
parfait, Dieu. Cette contemplation n’est pas la vision béatifique ; elle se
fait comme dans un miroir des effets de sa providence sur elles.
Objection
4 :
Le Magistère
de l’Eglise a plusieurs fois défini la doctrine des limbes. Or ce qui est
défini ainsi est marqué du charisme de l’infaillibilité doctrinale.
* « La peine du péché originel est la privation de la vision de
Dieu, mais la peine du péché actuel est le supplice de la géhenne éternelle. »
Innocent III, lettre « Maiores Ecclesiæ causas », Dz 780.
* « Pour les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel ou
avec le seul péché originel, elles descendent immédiatement en Enfer, où elles
reçoivent cependant des peines inégales. » Concile Œcuménique de Lyon II,
Profession de foi, Dz 858.
* « Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel ou avec
le seul péché originel descendent immédiatement en Enfer où elles reçoivent
cependant des peines différentes en des lieux différents. » Jean XXII, lettre «
Nequaquam sine dolore », Dz 926.
* « Quant aux âmes de ceux qui disparaissent en état effectif de
péché mortel ou seulement originel, elles descendent aussitôt en Enfer, pour y
être punies de peines cependant inégales. » Concile Œcuménique de Florence,
bulle « Lætentur cæli », Dz 1306.
* « La doctrine qui rejette comme étant une fable pélagienne ce
lieu des Enfers - que les théologiens appellent communément les Limbes des
enfants - dans lequel les âmes des enfants qui sont mort avec la seule faute
originelle sont punies de la peine du dam, sans la peine du feu, comme si ceux
qui écartent la peine du feu introduisaient par là ce lieu et cet état
intermédiaire, sans faute et sans peine, dont fabulaient les pélagiens, est
fausse, téméraire, injurieuse pour les écoles catholiques » Pie VI,
constitution « Auctorem fidei », Dz 2626.
Objection
4 :
Des récits nombreux et documentés attestent de la présence errante
d’âmes d’enfants non baptisés sur le lieu de leur mort. Ils sont donc dans les
limbes, sans que personne au ciel ne soit venu les baptiser.
Cependant :
Il y a certes l’autorité de saint Augustin et, à sa suite, de
saint Thomas d’Aquin. Mais face à eux, il existe aujourd’hui un dogme de la foi
qui montre que Dieu propose son salut à tout homme :
« Si quelqu’un dit que la grâce de la justification n’est
accordée qu’aux prédestinés à la vie et que tous les autres appelés, tout en
étant appelés, ne reçoivent pas cette grâce, parce que prédestinés au mal par
la puissance divine, qu’il soit anathème. »[1017]
« Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation
dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir
que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité
d'être associé au mystère pascal. »[1018]
Or si des enfants étaient damnés pour l’éternité sans faute de
leur part, c’est que le salut ne leur aurait pas été proposé, ce qui s’oppose à
ce dogme. Donc ces saints Docteurs ne peuvent être suivis sur ce thème.
Conclusion :
La notion de "limbes éternels" est une doctrine de saint
Augustin[1019].
Il l’a mise en place comme une conséquence de deux données de foi et à travers
un raisonnement théologique qu’on peut établir en trois points :
1° Saint Augustin savait que l’entrée dans
la gloire n’est possible qu’à celui qui possède l’amour de charité, donc à
celui qui a reçu d’une manière ou d’une autre le baptême du pardon du péché
originel, de la foi et de la grâce. Car le péché originel ne permet pas aux
enfants d’avoir la charité. Pour le comprendre, il faut se souvenir de ce que
nous avons dit sur la nature du péché originel. Nos premiers parents, Adam et
Ève, ayant reçu leur rang de principe de l’humanité, furent rendus responsables
par Dieu de la nature humaine entière qu’ils devaient communiquer à leur
descendance. Par un seul péché d’orgueil, ils se révoltèrent contre Dieu,
engageant à leur suite l’humanité entière dont ils étaient responsables. C’est
pourquoi chaque enfant qui naît est, à cause de sa nature humaine qui le fait
fils d’Adam, séparé de l’amitié avec Dieu. Seul le baptême qui applique à
l’enfant la grâce du rachat opéré par le Christ peut rétablir dans cette
communion. Ainsi, si le baptême n’a été en aucune manière conféré, l’enfant
reste séparé de Dieu et mérite en stricte justice, selon la volonté perverse
d’Adam et Ève, d’en être séparé éternellement.
2° Cet amour de charité, source de mérite,
doit être reçu avant la mort. Benoît XII en fit un dogme solennel en 1336[1020].
Mais cette vérité était connue bien avant. Pour les enfants, cette charité ne
vient pas par une réponse active mais, à travers le désir de leurs parents, par
la venue du Saint Esprit qui les lave du péché originel et vient habiter en
eux.
3° Ainsi, selon saint Augustin, si un enfant
n’a en aucune manière reçu le baptême, au moins du désir de ses parents, il
meurt en état de péché originel donc de séparation d’avec Dieu. En stricte
justice, il est logiquement séparé de Dieu à jamais, dans un enfer. Ce n’est
pas à cause d’une faute personnelle qu’ils méritent la damnation éternelle mais
à cause de l’engagement pris pour eux par leurs premiers parents. Cet
engagement frappe en premier lieu leur nature humaine et demeure à cause de
leur état personnel puisque, étant trop jeunes, ils ont été incapables d’expier
ce péché en se tournant personnellement vers Dieu. Ainsi, la séparation
éternelle d’avec Dieu n’est pas pour eux source de souffrance puisqu’ils ne
peuvent désirer une telle béatitude dont ils ignorent l’existence, n’ayant pas
reçu sur terre la révélation de la foi. Ils vivent donc dans un bonheur naturel
qu’ils obtiennent par la contemplation philosophique du Bien parfait, Dieu.
Cette contemplation n’est pas face à face puisqu’ils ignorent la possibilité
d’un tel don ; elle se fait comme dans un miroir des effets de sa Providence
sur elles.
Mais le raisonnement de saint Augustin est intenable et ce pour au
moins trois raisons décisives : 1° Si Dieu appliquait une stricte justice, il
est vrai que, selon le choix d’Adam et Ève, tous les hommes morts en état de
péché originel seraient damnés. Mais alors, selon l’ordre de cette stricte
justice, tout homme sans exception serait damné. Il n’y aurait pas eu
d’incarnation ni de rédemption. 2° L’opinion de saint Augustin néglige une
vérité essentielle de la foi, définie solennellement par l’Église (voir
l’argument Cependant) et que saint Paul enseigne explicitement[1021]
: « Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut
que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la
vérité. Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les
hommes, le Christ Jésus, homme lui-même s’est livré en rançon pour tous. Tel
est le témoignage rendu aux temps marqués. » 3° Il ne considère pas la
nature humaine des enfants qui, était créée pour voir Dieu, ne saurait le
contempler de loin sans souffrir du feu de leur désir de le voir face à face.
Des limbes éternelles sans souffrance sont donc impossibles.
L’Église,
confrontée aux thèses de Calvin qui disait que certains étaient prédestinés à
l’enfer, s’est prononcée solennellement pour réaffirmer la vérité inverse. Le
canon 17 du décret sur la justification, condamne la thèse des prédestinés au
mal. Puisque le salut
est proposé à tout homme avant sa mort, c’est donc que les enfants et les
innocents aussi en reçoivent la révélation, d’une manière inconnue de l’homme.
Ainsi, il leur est possible à un moment où à un autre, par un moyen que Dieu
connaît, de choisir Dieu. Il est donc impossible qu’existent des limbes éternels
pour les innocents.
Solution 1 :
Il aurait été possible à saint Augustin de déduire le moyen
utilisé par Dieu pour communiquer le baptême aux enfants morts en état de péché
originel. L’Église a en effet toujours considéré que le baptême pouvait être
obtenu par l’adoption d’une autre personne, en cas de défaillance des vrais
parents. C’est ainsi que l’Église du Ciel obtient l’adoption de tous les
enfants qui meurent en état de péché originel.
Solution 2 :
Les limbes furent une demeure provisoire de toutes les âmes avant
que Dieu, par le Christ, échange un nouveau "oui », avec l’humanité
représentée par le « oui » de la Vierge Immaculée présente à la croix. Ve « oui
» est venu effacer le « non » de nos premiers parents. Actuellement, la
rédemption ayant été opérée, les limbes ne subsistent pas, sauf pour l’âme qui
s’y enferme volontairement, comme nous l’avons dit[1022].
Mais cette demeure est toujours provisoire car l’absence de Dieu et des autres
finit toujours par peser sur la nature de l’âme humaine et par réveiller son
désir. Quant aux enfants et aux innocents, ils reçoivent tout simplement à
l’heure de leur mort la visite du Christ accompagné des anges et des saints,
et, par ce moyen, la proposition du salut.
Solution 3 :
Les
enfants ont reçu avec leur âme humaine tout ce qui lui est naturel. Or
l’intelligence est faite par nature pour voir Dieu et la volonté pour s’y
reposer comme nous l’avons montré[1023].
L’absence de la vision béatifique et la connaissance philosophique de
l’existence de Dieu ne peuvent coexister dans l’autre monde sans un désir
intense qui n’est pas une souffrance négligeable et qu’aucune occupation ne
peut venir atténuer. Dieu est amour et il a créé l’homme pour la vision
béatifique. Il ne peut donc refuser la proposition d’une telle béatitude aux
petits enfants dont la seule faute vient du péché d’un autre, de leur premier
père.
Solution 4 :
La foi ne change jamais. La vérité se trouve dans le regard sur
tous les repères dogmatiques. Pour comprendre ce qui se passe pour les enfants,
il faut donc garder tous les repères dogmatiques. Lorsqu'ils entrent dans le
passage de la mort, il faut qu'ils reçoivent le baptême de la grâce. Cela se
passe de manière universelle, par la simple demande et l'adoption de parrains
(ou de parents du Ciel qui viennent les visiter s'ils sont complètement
abandonnés par leurs parents de la terre). Avant cette visite du Ciel, juste
après l'arrêt du cœur de l'enfant, et avant l’entrée dans l’autre monde, il y a
un temps, un intervalle qu'on appelle les Limbes, où l’enfant est en état de
péché originel, privé de la grâce.
Solution
5 :
Ces phénomènes d’appels venant d’enfants non-baptisés visent à
rappeler aux vivants leur responsabilité dans la demande et l’administration du
baptême de désir. Les habitants du Ciel ne viennent qu’à défaut et lorsque
notre action sur ces enfants est trop longtemps négligée.
Objection 1 :
Cela ne paraît pas possible. Les enfants développent leurs
facultés dans l’ordre suivant : d’abord leur vie végétative, puis leur vie
sensitive, jusqu’à l’apparition progressive des premiers actes proprement
spirituels d’intelligence et de volonté vers l’âge de deux ans. Les enfants
morts en état de péché originel n’avaient parfois qu’un début de vie
végétative, comme on le voit pour les embryons en début de grossesse. Ils ne
sont pas capables d’acte libre.
Objection 2 :
Par nature, l’homme développe par étape son esprit en se servant
des sens. Or les enfants morts prématurément ou les handicapés profonds après
leur mort n’ont plus de sens. Il leur est impossible de développer leur vie
spirituelle et de poser un choix.
Objection 3 :
Pour rendre les enfants capables de choix après leur mort, il peut
exister deux moyens : le premier pourrait consister à développer
progressivement leur intelligence dans un temps de limbes. Maintenus
provisoirement dans un lieu particulier et élevés par leur ange ou par les
saints, ils pourraient être rendus progressivement capables de choix. Mais cela
ne paraît pas possible à cause de l’absence de leur corps et donc du moyen
normal de leur apprentissage, leurs sens. La seconde pourrait être réalisée par
un don direct de Dieu et infusé dans leur intelligence. Cette hypothèse ne
convient pas davantage à cause de la nature intellectuelle de l’enfant qui est
la plus faible qu’on puisse imaginer. Il leur est impossible de comprendre quoi
que ce soit sans la longue préparation venant des sens.
Objection 4 :
La
meilleure solution pour développer un esprit enfant semble être de lui
permettre de se réincarner dans un autre corps. Il peut alors, à travers une
vie terrestre normale, se développer et accéder à la capacité du choix.
Cependant :
Nul ne
peut rentrer dans la grâce et dans la gloire ou même être conduit en enfer sans
un choix pleinement libre de son intelligence. Puisque les enfants "voient
le salut de Dieu"[1024],
c’est qu’ils sont rendus capables de le choisir ou de le refuser.
Conclusion :
Durant des siècles, suite à l’opinion de
saint Augustin et de saint Thomas d'Aquin précédemment citée, les catholiques
crurent que les enfants morts sans baptême n’allaient jamais au paradis. Cette
doctrine n'a jamais été confirmée par le dogme de l'Église. Elle n’a jamais
enseigné dans son Magistère l’éternité des limbes, se contentant de parler sans
plus de précision sur sa durée d’un "limbe vécue dans des souffrances
diverses" des enfants.
Comment se passe concrètement le salut des enfants ? Pour être
introduit dans le salut ou au contraire le rejeter, trois conditions sont
nécessaires.
1° La première est de posséder la capacité
naturelle de se porter vers lui lorsqu’il est proposé.
2° La seconde consiste en la proposition
même de cette grâce par la prédication de l’Évangile et le don du Saint Esprit.
Nous étudierons cette deuxième condition dans l’article suivant.
3° La troisième est la réponse de l’âme qui
accueille cette grâce et se porte vers Dieu et vers son prochain dans un acte
de charité.
Nous traitons ici de la première
condition. Quant à la condition de leur personne, les âmes des enfants, qu’ils
soient baptisés ou non, reçoivent de la part de Dieu des connaissances qui
remplacent ce que l’éducation et l’enseignement auraient du accomplir durant la
vie terrestre. La raison en est qu’il leur appartient de recevoir la gloire
comme des êtres libres, c’est-à-dire de la choisir.
Il s’agit de savoir comment se réalise ce
développement de leur esprit.
Il semble tout d’abord que l’esprit des
enfants est créé par Dieu très tôt après que l’acte sexuel des parents ait
abouti à une fécondation. La conception est achevée par un acte créateur de
Dieu. S’il est impossible d’être sûr du moment de cette création au plan de
l’expérience philosophique à cause de l’absence de l’exercice spirituel, la foi
au contraire nous permet de parler de manière certaine. En effet, si la Vierge
Marie qui est de notre espèce, fut immaculée dans sa conception, neuf mois
avant sa naissance, c’est qu’elle avait reçu son âme très tôt après le début de
sa vie cellulaire. De même pour Jésus au lendemain de l’annonciation et lors de
sa rencontre avec Jean-Baptiste. C’est donc que tous les enfants reçoivent de
la même manière leur âme spirituelle très tôt.
Or il est aisé de constater qu’au départ,
l’esprit sommeille et n’est capable d’aucun exercice libre. La raison en est de
l’absence de développement du psychisme. Ce n’est que provisoirement, en
passant par des étapes de progrès que l’enfant pourra poser son premier acte
libre. Auparavant, il aura appris à se servir de sa vie sensible, il touchera
puis entendra, avant de s’éveiller à quelques désirs. Il est naturel à l’esprit
humain de s’éveiller par ce genre de cheminement progressif. Ainsi, on doit
dire que la Vierge Marie vivait de la présence de Dieu alors qu’elle était dans
le ventre de sa mère, sans qu’il y ait de sa part un choix libre. Elle était
plutôt baignée dans cette présence bienfaisante, de manière passive. Ce n’est
qu’après sa naissance que, provisoirement, elle apprit à le choisir et à
l’aimer librement. De la même façon, quoique moins intense, les enfants
baptisés apprennent à vivre de la grâce. Ils le font d’abord passivement, puis
à l’âge où la raison s’éveille, ils s’y portent librement.
Il semble
qu’il en est de même pour tous les enfants morts trop jeunes ou les
innocents, qu’ils soient baptisés ou non. Avant de leur proposer la gloire de
sa vision, Dieu leur laisse le temps de développer leur psychisme puis les
actes de leur vie spirituelle, de telle manière qu’ils puissent entrer dans la
gloire dès leur premier acte libre.
Deux manières de procéder sont possibles : 1° La première, et la
plus probable, consiste à parler d’une éducation progressive des innocents par
les habitants du Ciel. Nous l’avons montré, les morts conservent la partie
psychique de leur être. Les enfants apprennent donc à la développer, en voyant
et écoutant les saints et les anges qui les ont adoptés et les entourent sous
forme sensible. 2° L’autre façon est moins probable car plus adaptée aux anges
qu’aux hommes. Certains dont saint Thomas ont dit que leur éducation pouvait
être réalisée en une seule fois, pat une science infusée par Dieu.
Cependant, puisque leur vie sensible existe, on doit dire que la
beauté sensible de la gloire des saints du Ciel a un pouvoir d’éveil sur les
sens et l’esprit. Ensuite, rien n’empêche que Dieu, de manière semblable à
ce qu’il fit pour les anges à l’heure de leur création, infuse dans leur
intelligence les espèces intelligibles nécessaires pour qu’ils aient une
connaissance naturelle suffisante d’eux-mêmes, de l’univers et de leur Créateur.
Quelque
soit le moyen utilisé par Dieu, cette première étape est nécessaire à tout
innocent, baptisé sur cette terre ou baptisé dans le passage de la mort, en vue
d’un choix qui précèdera leur entrée dans l’autre monde et leur jugement
individuel. En effet, nul homme, pas même un enfant, n’entre de force dans la
Vision de Dieu. Il n’y entre que librement.
Solution 1 :
Le psychisme se développe normalement en s’appuyant sur le
développement de l’organe du cerveau, et sur les expériences sensibles. S’il
survit à la mort du cerveau, comme nous sommes obligés de l’affirmer à partir
des expériences de mort approchée, cela ne signifie pas qu’il est entré dans la
plénitude de son développement. Mais, en s’appuyant sur l’esprit qui le fait
subsister, il est doté d’un nouveau mode d’exercice plus léger et très
efficace. Confronté à la présence glorifiée du corps sensibles des saints et du
corps que les anges se façonnent à destination de l’enfant, ils sont rendus
très vite capables d’un choix libre. Dès que les progrès sont réalisés, baignés
de la grâce, ils posent le choix de leur liberté vers Dieu ou contre Dieu. Nous
le montrerons dans l’article suivant.
Solution 2 :
Le développement de l’esprit par l’intermédiaire des sens peut se
faire après la dissolution du cerveau, comme nous venons de le dire. Par
contre, le corps psychique n’étant pas soumis aux aléas de la fragilité du
corps physique, à la souffrance et à la mort, les âmes des enfants morts trop
tôt échappent à un chemin très efficace dans le développement de l’humilité
(kénose) et de l’amour. Ils n’expérimentent pas dans leur chair et jusqu’à la
mort leur fragilité. Ils ne peuvent donner physiquement leur vie pour leurs
amis. C’est un inconvénient pour eux puisque leur degré de charité en sera diminué.
Donc la vie terrestre est très utile.
Solution 3 :
Nous avons dit que c’est par ces deux moyens que l’Église du Ciel
éduque et enseigne les enfants et les innocents. Ils sont très efficaces au
plan du développement de leur nature. Mais ils ne peuvent remplacer entièrement
l’étape du purgatoire de la terre liée à la croix physique et au silence de
Dieu
Solution 4 :
La réincarnation n’est pas possible. L’être humain n’est pas une
énergie indifférente au corps qui la reçoit mais un être substantiellement réalisé
autours de trois degrés de vie : physique, psychique et spirituel. L’âme qui
unifie ces facultés est faite pour son propre corps, pas pour un autre. Elle
est source de l’être d’une personne unique et éternelle. La croyance en la
réincarnation est le fait de civilisations qui ne croient pas en l’existence
des personnes mais de l’Univers comme énergie universelle (panthéismes,
hindouisme et bouddhisme). C’est pourquoi l’Église croit au purgatoire des
personnes et non en la réincarnation des énergies.
Objection 1 :
Cela semble s’opposer à la foi. Dans Certains conciles
œcuméniques, la doctrine sur la destinée des enfants morts sans baptême a été
reprise. On peut citer la profession de foi de Michel Paléologue, au Concile de
Lyon, en 1274. Il est confessé que[1025] « Les âmes de ceux qui meurent
avec le seul péché originel, descendent aussitôt en enfer, mais cependant pour
y être punies par des peines diverses. » Cette même formulation est répétée au
Concile de Florence[1026].
Le pape Pie VI[1027]
affirme que ces enfants sont privés de la vision de Dieu (peine du dam) sans
pourtant être soumis à la souffrance (peine du feu).
Objection 2 :
Les enfants n’ayant pas eu l’usage de leur libre arbitre ni l’aptitude
à la vie éternelle sont dans une toute autre condition que ceux qui ont eu par
le baptême l’aptitude à la vie éternelle. Le Magistère ordinaire, durant des
siècles, a confirmé cet enseignement. En effet, l’insistance de l’Église sur le
devoir des parents de présenter le plus tôt possible leurs enfants au baptême,
le fait que le ministre extraordinaire du sacrement puisse être, en cas de
nécessité un laïc, et même un non baptisé, montre suffisamment la nécessité du
baptême. C’est pourquoi, c’est un dogme de foi, que dans le plan divin, tel
qu’il nous est révélé, le baptême est nécessaire au salut pour la rémission du
péché originel. Si le baptême d’eau ou de désir ne servait à rien, on ne
comprendrait pas cette insistance.
Objection 3 :
Le démérite d’Adam est pour les non baptisés ce qu’est le mérite
du Christ pour les baptisés, c’est-à-dire une cause de souffrance d’avoir perdu
la vie éternelle, au lieu d’être une cause de joie de l’avoir obtenue. Être
séparé d’un être aimé, c’est souffrir. Or, les enfants ont une connaissance
naturelle de Dieu qu’ils aiment par conséquent d’un amour naturel. Comment
pourraient-ils ne pas souffrir d’être séparés de lui ? Ne pas avoir ce qu’on
voudrait avoir ne va pas sans souffrance. Or, les enfants voudraient voir Dieu,
autrement leur volonté serait perverse, et ils ne le peuvent pas.
Objection 4 :
Le péché
originel ne peut être pardonné chez les enfants qu’à raison du désir de leurs
parents qui s’engagent en leur nom dans l’amour de Dieu, effaçant la rupture
originelle d’Adam et Ève. Donc les enfants que leurs parents négligent et qui
meurent sans même le baptême de désir sont condamnés aux limbes éternels.
Objection 5 :
Tous les théologiens et les Docteurs de l’Eglise depuis saint
Augustin, en passant par saint Thomas d’Aquin (et jusqu’à ce que sainte Thérèse
de l’Enfant Jésus dise le contraire), enseignaient la damnation éternelle pour
les enfants morts sans baptême. Il serait aberrant de croire qu’ils se sont
tous trompé.
Objection 6 :
C’est l’Eglise de la terre, en Adam et Eve, qui voulu la
séparation de ces enfant d’avec Dieu. Il est donc nécessaire que ce soit un
membre de l’Eglise de la terre qui annule ce choix, à savoir le père ou la mère
de l’enfant qui meurt. Il est donc vain de croire que des parents adoptifs du
ciel baptisent par leur prière les enfants abandonnés dans le passage de la
mort.
Cependant :
Ce que
peut l’Église de la terre, l’Église du Ciel le peut a fortiori. Or
n’importe quel homme, même non baptisé, peut obtenir la grâce de Dieu pour un
enfant en le baptisant. De même, n’importe quel saint du Ciel le peut dans sa
communion avec Dieu. Donc tous les enfants reçoivent la grâce puis, lorsqu’ils
y sont prêts, la proposition de la gloire[1028]. C’est ce que confirme sainte Thérèse de l’Enfant Jésus dans une
poésie[1029] :
« Oui,
je veux augmenter la candide phalange des Innocents
Mes
souffrances, mes joies, je les offre en échange d'âmes d'Enfants.
Parmi
ces Innocents, je réclame une place, Roi des Elus.
Comme
eux, je veux au Ciel, baiser ta Douce Face, O mon Jésus ! »
Conclusion :
La grâce de la présence de Dieu se
distingue de la grâce sanctifiante et de la gloire par la propriété suivante :
tout homme peut recevoir la grâce de cette présence active et attirante. Elle
peut exister, sans qu’il soit exigé de lui un acte libre. Elle se comporte à la
manière de l’amour non volontaire que peut éprouver un homme pour une femme
parce que cela s’impose à lui. Au contraire, nul n’entre dans la vie de la
charité ou dans gloire sans un acte libre, de même qu’il est impossible de se
marier validement par surprise et sans un échange de consentement lucide et
volontaire. Dieu en a décidé ainsi, nul ne peut entrer au Ciel qu'en aimant.
Il en est
de même pour les petits enfants. La condition de leur nature est d’être séparée
de Dieu à cause du péché des premiers parents Adam et Ève. À leur baptême, ils
sont lavés du péché originel et reçoivent de manière réelle mais non
volontaire, la grâce de la présence de Dieu. Ils sont sanctifiés de manière
passive, sans volonté ni mérite de leur part, grâce au désir de leurs parents.
De même
que le péché originel qui marque la nature humaine peut être pardonné par le
baptême d’eau ou par le baptême désiré par les parents dès l’heure de la
conception ou quand ils s’aperçoivent que leur enfant est mort, de même, il
peut être remis par Dieu, à la demande de ses amis les saints du ciel ou de la
terre, au moment de la mort de l’enfant sans l’intervention des parents. Dieu
n’est pas esclave de la matérialité de ses sacrements et peut réaliser, sans
leur médiation, l’effet qu’on leur attribue, à savoir la communication de la
grâce. De même que Dieu remet aux parents la responsabilité du salut de leur
enfant, de même il peut la leur reprendre si, lorsque leur enfant meurt, les
parents manquent à leur devoir de prière. Il confiera habituellement cette
nouvelle responsabilité à la communion de saints, c’est-à-dire à un père et une
mère du Ciel.
Ces conditions étant résolues, rien
n’empêche que Dieu propose aux enfants ainsi disposés la béatitude de la Vision
de son essence, dès que l’obstacle lié à leur personne, c’est-à-dire leur
incapacité à choisir, disparaît.
Solution 1 :
La nature
de cet enfer n’a jamais été définie avec plus de précisions par le Magistère
ordinaire ou solennel de l’Église. De même, rien n’est dit sur sa durée de
sorte que la liberté du théologien existe pour en discuter l’éternité. Ainsi,
les enfants morts sans baptême ne demeurent pas plus d’un instant séparés de la
présence de Dieu (ce qui correspond à ces limbes dont parle l’Église). Dès leur
entrée dans le passage de la mort, après un temps bref, ils sont accueillis et
baptisés par les habitants du Ciel. Ils rejoignent alors les enfants dans un
lieu provisoire dont la finalité est de permettre, à travers une éducation, une
croissance suffisante de leur psychisme puis de leur esprit.
On peut donc interpréter les imprécisions des textes du Magistère
de la manière suivante. Les enfants non baptisés sont dans des limbes, privés
de toute présence de Dieu le temps qu’ils soient adoptés et baptisés. Tous les
enfants, quel que soit le mode de leur baptême, sont conduits dans un « enfer (lieu
inférieur au paradis céleste) » provisoire tout à fait comparable au "sein
d’Abraham" dont parlaient les anciens Juifs[1030].
Il y règne la grâce de la présence de Dieu, symbolisée par "l’eau"
dont vivait le pauvre Lazare. Il s’agit bien d’un enfer puisque ces innocents
ne voient pas Dieu face à face. Les enfants y souffrent bien d’un dam,
puisqu’ils ne voient pas la gloire. Mais ils ne souffrent pas de la peine du
"feu ou du sens" puisque le désir naturel de leur esprit est étanché
par une présence réelle, quoique invisible de Dieu, et par une présence visible
de ses saints. Dès que l’obstacle provisoire de leur nature, à savoir leur
incapacité naturelle à choisir, disparaît, ils sont confrontés à la parousie du
Christ et à la présence du démon en vue du choix de leur éternité.
Solution 2 :
Les enfants baptisés avant leur mort reçoivent dès cet instant le
pardon du péché originel qui les tenait séparés de la présence attirante de
Dieu. Les enfants morts sans baptême et abandonnés de leurs parents (comme les
enfants volontairement avortés) reçoivent la même grâce un peu plus tard par la
volonté des parents du Ciel, soit Jésus et Marie directement, soit n’importe
quel parent adoptif du Ciel. Mais leurs parents sont privés, à cause de leur
ignorance ou de leur insouciance, d’une grande grâce : celle de leur autorité
parentale. Ils sont déchus de leurs droits et l’enfant est adopté par une autre
personne qui sera auprès d’eux, pour l’éternité, dans une relation unique. Il
ne suffit pas en effet pour être parent de donner physiquement la vie. Encore
faut-il se montrer digne au plan de l’éducation. Il en est de même pour la
paternité et maternité spirituelle.
Solution 3 :
Quoique les enfants ne soient pas unis à Dieu dans la gloire, ils
ne sont pas totalement séparés de lui ou très peu de temps avant leur adoption.
Mais ce temps n’est pas pour eux source de souffrance à cause de l’état de leur
esprit qui sommeille, incapable d’acte libre. A partir de cette adoption, les
enfants sont unis à Dieu par tous les bienfaits qu’ils tiennent de lui (la
compagnie des anges et des saints dont la gloire illumine leur sens et leur
intelligence, toutes les sensations qui se présentent à leurs sens et les
éveillent). Ils reçoivent aussi de Dieu des biens surnaturels comme la grâce de
sa présence invisible, puis, dès qu’ils en sont capables, la charité active. Et
ainsi, ils sont dans la joie et dans l’absence de la souffrance du feu. Ils
vivent cependant du feu en tant qu’il est un désir puisque leur esprit ne se
repose pas encore dans la fin ultime (la vision béatifique) pour laquelle il a
été créé.
Solution 4 :
Dieu n’est
pas tenu de manière mécanique par les lois qu’il a établies en vue du
développement de l’amour. Il pallie donc aux manques chaque fois qu’il est
possible, de même que les sociétés humaines remplacent par l’adoption les
parents défaillants.
Les grands serviteurs de Jésus,
théologiens et Docteurs ont réalisé sans le savoir une prophétie de
l’Ecriture [1031] :
« On présentait à Jésus des petits enfants pour qu'il les touchât, mais les
disciples les rabrouèrent. »
La suite de ce texte précise : « Ce
que voyant, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les petits enfants venir à
moi ; ne les empêchez pas, car c'est à leurs pareils qu'appartient le Royaume
de Dieu. En vérité je vous le dis : quiconque n'accueille pas le Royaume de
Dieu en petit enfant, n'y entrera pas." Puis il les embrassa et les bénit
en leur imposant les mains. »
Solution
6 :
La communion des saints n’est pas liée à
ces considérations. La charité du Christ et de ses saints emplit tout, de telle
manière que si le ministère ordinaire dévolu aux parents charnels a défailli,
d’autres personnes suppléent. C’est ce qui se passe dans l’adoption naturelle
en cas d’abandon d’un enfant. C’est ce qui se passe aussi au plan surnaturel.
Objection 1 :
Les enfants reçoivent à travers l’éducation du Ciel une perfection
naturelle et une harmonie psychologique plus grande que les enfants éduqués sur
terre. Il leur est donc davantage possible de s’enorgueillir de leur beauté et
de se tourner vers la liberté de l’enfer. Donc certains innocents, étant
orgueilleux, seront damnés.
Objection 2 :
Pour que le choix des enfants soit libre, il convient que le démon
et ses propositions de liberté et d’amour de soi participe à l’éducation des
enfants, comme il le fait sur terre en se cachant sous les voiles de la
tentation. C’est ce que dit sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus[1032]
: « Puisqu'on dit que toutes les âmes sont tentées par le démon au moment de
la mort, il faudra que j'y passe. Mais pourtant non, je suis trop petite. Avec
les tout petits, il ne peut pas. » Il est évident que son action ne peut
être totalement inefficace sans quoi il renoncerait.
Objection 3 :
Si l’on
admet que Dieu pardonne le péché originel au moment de la mort et propose même
aux enfants morts prématurément le salut éternel, on doit admettre que certains
d’entre eux peuvent le refuser et donc se damner. Or il parait absurde qu’un
petit enfant aille en enfer.
Cependant :
Sainte
Thérèse de l’Enfant-Jésus écrit[1033]
: « Un petit enfant, ça ne se damne pas! »
Conclusion :
Comment les petits enfants accèdent-ils à la vision béatifique ?
Exactement de la même manière que nous. Ils n'y entrent qu’à travers un choix
libre. Puisqu’il manque aux enfants trois choses, à savoir la capacité de
choisir (ils sont trop petits), la proposition de choisir Dieu (ils n’ont pas
le baptême et la grâce), et le choix effectif (ils ne peuvent encore exercer
volontairement la charité comme amour réciproque et actif), Dieu leur fait les
deux premiers dons en vue du troisième qui est l’acte méritoire de la vision
béatifique.
1° Lorsqu’ils meurent, ils sont accueillis
par les saints et les anges. Il s’agit bien d’une vision de leurs sens
puisqu’ils possèdent leur psychisme. Cette vision est adaptée à la fois à leur
sensibilité et à leur intelligence au point qu’elle est capable d’éveiller
l’exercice naturel de leur vie spirituelle. Elle le fait soit en un seul
instant soit, plus probablement, à travers une série d’étapes plus rapides que
l’apprentissage d’ici-bas où les visions sensibles ne dévoilent pas mais plutôt
cachent la quiddité des choses.
2° ce même moment, c'est-à-dire à l’heure de
la mort, avant l’entrée dans l’autre monde, leurs parents terrestres ou, à
défaut, les saints demandent pour eux et obtiennent la grâce du baptême. Leurs
parrains célestes, ou en cas d’enfants abandonnés, leurs parents adoptifs du
Ciel vont alors commencer leur éducation naturelle et surnaturelle. Ils leur
révèlent progressivement, au fur et à mesure de la croissance psychique et
spirituelle, la nature de leur être, l’Évangile, le mystère de la charité et la
gloire qui leur sera proposée. Il s’agit d’une prédication de l’Évangile qui,
dans un premier temps, éclaire leur intelligence sans que leur choix libre
puisse parfaitement s’y porter. Ils se familiarisent avec cette révélation.
3° Enfin, à un moment que Dieu connaît, ils
deviennent, à cause de cette éducation, capables de choisir le bien ou le mal
de manière parfaitement libre. C’est alors que se produit pour eux la Parousie
du Christ dans sa gloire. Lucifer est aussi présent de droit, puisqu’il se doit
de présenter ses propositions d’orgueil, rendant ainsi le choix de l'enfant
parfaitement lucide. La tentative du démon est sans effet. Il n'y a pas
d'orgueil ni de recherche de pouvoir dans un innocent. Ils se portent tout simplement
là où les conduit leur cœur à savoir vers le bien et la lumière.
Dès cet instant, ils sont introduits dans la vision de Dieu. Aucun
délai n’est convenable puisque, dès son premier instant, à cause de leur état
séparé du corps charnel, ils se portent tout entiers et sans erreur vers
l’objet de leur choix, sans qu’une nouvelle croissance soit possible.
Cette description simple du salut des
enfants ne manque pas de fondements expérimentaux. Nombres de mères peuvent
témoigner, suite à une grave maladie survenue à un enfant, que celui-ci se
disait visité par des anges.
Solution 1 :
Il est
probable que tous les enfants seront introduits dans la gloire à cause du peu
de propension qu’ils ont à s’enorgueillir des dons reçus de Dieu. C’est ce que
veut signifier la fête des saints Innocents qui sont ces enfants tués par
Hérode dans la ville de Bethléem. De même le pape Innocent IV écrit à propos
des enfants morts après le bain du baptême[1034]
: « Ils ne sont retenus par aucun obstacle et passent immédiatement à la
patrie éternelle. »
Solution 2 :
La présence du démon a peu d’effet sur les enfants pour trois
raisons :
1° La première leur vient de leur nature.
Parmi les créatures spirituelles, ils restent les plus faibles en intelligence
et en volonté naturelle. Ils constatent leur petitesse avec évidence en se
comparant aux êtres spirituels qui les entourent. Ils ont peu de motif
d’orgueil.
2° La seconde vient de la présence autours
d’eux des âmes glorifiées et des anges qui rayonnent. Ils correspondent avec
harmonie à leur syndérèse, c’est-à-dire à l’orientation innée de leur volonté.
Ils les suivent tout naturellement et donc surnaturellement.
3° La troisième leur vient du démon lui-même
dont le motif de révolte leur paraît, dans leur simplicité, peu attirant. Réclamer
à Dieu une hiérarchie des êtres fondée sur l’intelligence et la puissance
naturelle leur paraît moins bien que celle fondée sur l’humilité (kénose) et
sur l’amour. De tout cela, on peut dire qu’il n’y a pas d’innocent qui
choisisse l’enfer.
Solution 3 :
Comme on
l’a vu, le seul péché qui conduit à la damnation éternelle sans que le pardon
en soit possible est le blasphème contre l’Esprit Saint. Un tel péché vient
d’un amour de soi et de sa propre excellence poussé jusqu’au mépris de Dieu. Il
est peu probable qu’il puisse exister chez un petit enfant. En effet, leur
imperfection naturelle les rend peu enclin à l’orgueil. Cependant, on doit
admettre que, du point de vue théorique, la possibilité d’un choix conduisant
en enfer existe sans quoi il n’y aurait pas de choix possible.
«
Un petit enfant, cela
ne se damne pas"[1035],
dit sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. De plus, ils sont aussi parfaitement
heureux que les adultes, de même "qu’un petit vase est peut être
complètement plein aussi bien qu’un grand".[1036]
Donc la mort précoce des enfants n’est pas, en ce qui concerne la vie
éternelle, de grande conséquence.
Objection 2 :
Que les enfants morts prématurément restent déficients dans leur
perfection naturelle puisqu’ils n’ont pu se développer normalement selon les
conditions de leur intelligence, cela est compensé par la communication d’une
éducation au moment de leur mort. Donc les enfants n’ont aucun inconvénient à
leur mort précoce.
Objection 3 :
Nous avons
vu que les enfants ne se damnent pas. Certains d’entre eux, s’ils avaient vécu
auraient certainement choisi l’enfer. Il aurait mieux valu pour celui qui livre
le fils de l’homme qu’il ne naisse pas. Il est donc mieux pour eux qu’ils
n’aient pas vécu.
Objection 4 :
Jésus dit[1037]
: « Laissez les petits enfants venir à moi ; ne les empêchez pas, car c'est
à leurs pareils qu'appartient le Royaume de Dieu. En vérité je vous le dis :
quiconque n'accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant, n'y entrera pas. »
C’est donc qu’il est avantageux de mourir et de rencontrer Jésus en étant
encore enfant.
Cependant :
La
fonction du théologien dans l’Église est comparable à celui des étoiles pour le
marin. Elles indiquent la direction. Si les étoiles tombent du Ciel sur la
terre, comme le dit l’Apocalypse de saint Jean, que reste-t-il de leur fonction
? Le code de droit Canonique de 1983 va jusqu’à faire de l’encouragement à
l’avortement (sauf si la survie de la mère est en jeu au plan thérapeutique) un
cas d’excommunication ipso facto. Le pape Jean-Paul II qualifiait cet
acte d’abominable[1038].
Il le comparait parfois par sa masse aux grands génocides du XX° siècle. C’est
une parole forte. Il est évident qu’il ne s’agissait pas pour le Pape de
comparer l’intention des Nazis à celle des mères en détresse. L’analogie porte
sur un autre point, à savoir le nombre des morts. Et c’est cet aspect oublié de
manière quasi systématique par la théologie, qu’il faut rappeler ici. Il s’agit
d’un domaine essentiel de la foi catholique, de la révélation d’en haut.
Conclusion :
Si l’Église catholique dans son Magistère[1039]
s’oppose avec tant de force à l’avortement, c’est qu’elle croit que cet être
qu’on fait disparaître, bien que doté en apparence d’une seule vie biologique,
a déjà certainement reçu son âme spirituelle. Cette âme, siège de
l’intelligence et de l’amour, n’est autre que ce qui survit à la mort. Abraham,
Adam et Ève existent actuellement, pensent et aiment parce qu’ils ont une âme
spirituelle immortelle. Son existence ne peut être mise en doute au plan de la
Révélation. Le Christ en a parlé explicitement plusieurs fois, en particulier
en disant à l’homme crucifié à sa droite : « aujourd’hui, avec moi, tu seras
dans le paradis. » (Sous-entendu : sans ton corps charnel).
Un doute subsiste cependant dans l’enseignement de l’Église
: Quand cette âme créée par Dieu est-elle donnée à l’enfant ? Au XIIéme
siècle, saint Thomas d’Aquin penchait pour le sixième mois après la conception.
N’était-ce pas le moment où Jean Baptiste visité par Marie avait tressailli
dans le ventre de sa mère ? S’il en était ainsi, l’avortement jusqu’au sixième
mois ne serait pas "un crime abominable. » Il ne serait pas un crime au
sens strict, un homicide, mais un simple péché contre la vie à venir et non
encore venue. Saint Thomas n’avait pas à son époque tous les instruments de la
foi dont nous disposons aujourd’hui.
Pourtant, il est étonnant de constater qu'il n'a pas vu ceci :
Marie reçoit l'annonce de l'ange. Elle dit "qu'il me soit fait selon ta
parole." Le lendemain sans doute, elle se rend chez Elisabeth et,
lorsqu'elle la rencontre, il se produit une osmose, d'âme à âme, entre son
enfant (Jésus) et l'enfant d'Elisabeth (Jean) : « Mon fils a tressailli dans
mon sein », témoigne Elisabeth. Tout ceci fait plus qu'indiquer, au plan
théologique, une très rapide animation de l'enfant Jésus, donc de nous-mêmes
car le Verbe suit en tout la nature humaine quand elle n'est pas liée au
péché...
Autre signe concordant : En 1854, le pape Pie IX proclamait comme
une certitude venant d’en haut l’Immaculée conception de la Vierge Marie. Cette
révélation semble être sans rapport avec l’avortement. Il n’en est rien. Le
fait que Marie soit immaculée dans sa conception signifie qu’elle vivait, dès
sa conception, de la présence de Dieu, de la même manière qu’Ève en vivait au
jardin d’Eden. Si Dieu était là, c’est donc que Marie le recevait dans son âme.
Le fait, d’autre part, que la conception de Marie soit fêtée le 8 décembre,
soit neuf mois avant sa naissance, ne laisse aucun doute sur ce qu’il faut
entendre par conception. Marie est de la race humaine, comme tout enfant à
naître. Tout indique donc que, pour elle comme pour eux, âme est donnée par
Dieu très tôt après l’acte de procréation des parents.
Dans cette perspective, on comprend que pour le Magistère,
l’avortement quel qu’il soit, même celui de la pilule du lendemain, prend une
dimension vertigineuse. Ce n’est pas qu’un morceau de chair qui disparaît mais
un véritable être humain qui dormait encore, un petit enfant. Il n’y a aucune
différence de nature entre les saints innocents de l’Évangile (tués par Hérode)
et ces enfants-là. Et même si les mères qui pratiquent cet acte ne savent pas
qu’elles ont un vrai enfant en elles et sont donc non coupable d’homicide, de
fait, il s’agit d’un homicide objectif. Il n’y a pas de péché chez la mère si
elle ignore ce qu’elle fait, mais il y va de la mise à mort d’un homme.
Sainte Thérèse de Lisieux disait avec raison : « un
petit enfant, cela ne se damne pas"[1040].
Elle montrait que l’hypothèse des limbes éternels émise par saint Augustin se
méprend sur Dieu. Dieu n’a pas besoin qu’un enfant soit baptisé avec de l’eau
pour lui donner le baptême de sa présence. Mais tout homme, quel qu’il soit (même
un embryon), entre dans le Royaume de Dieu à la mesure précise de son désir de
Dieu. Plus le cœur de l’homme aime Dieu et désire le voir, plus il le voit. Or,
il existe une voie dont l’utilité est de creuser le désir du cœur de l’homme,
c’est celle de la vie terrestre. Par l’absence de Dieu, par son silence, par
les diverses épreuves qui l’émaillent, le cœur de l’homme s’approfondit. Si la
vie terrestre est voulue par Dieu, c’est qu’elle est utile. Elle est ainsi
faite qu’il est difficile d’en sortir sans une conscience profonde de sa
petitesse. La mort se charge de la rappeler. De plus, l’apparition du Christ à
l’heure de la mort, après un si long temps d’exil enflamme le désir de voir
Dieu de manière incroyable.
Quant au petit enfant mort avant
d’avoir vécu sur cette terre, lorsqu’il est accueilli par le monde des saints,
il ne rejette certes pas Dieu. Mais il s’y porte avec un petit désir
d’innocent, avec un cœur qui n’a pas été préparé aussi efficacement que dans
les errances de cette terre. Son éternité s’en trouve directement modifiée.
D’où la gravité, pour un croyant de l’acte d’avortement volontaire.
Solution 1 :
Il ne faut pas déduire de cela que l'avortement des enfants n’est
pas une chose en définitive si grave. La vie terrestre est faite pour les
enfants. Nul n'a le droit de la leur refuser car elle est un cheminement de
maturité dans l'humilité (kénose) et l'amour. La vision béatifique n'est donnée
qu'à la mesure de la taille du cœur, c’est-à-dire de son désir d’aimer. Morts
sans avoir vécu, ils parviennent certes quasi infailliblement au Ciel. Mais
leur désir de Dieu n’ayant pas été approfondi par les diverses souffrances et
manques d’ici-bas, ils sont éternellement comme sous-développés du point de vue
de l’amour et de la kénose. Ils sont donc, à moins que Dieu n’y pourvoit de
manière ignorée de nous, réellement défavorisés pour l’éternité.
Solution 2 :
Ce n’est pas au plan naturel que leur mort prématurée est une
perte mais au plan surnaturel en ce sens qu’il leur est impossible d’atteindre
le degré d’humilité (kénose) et d’amour que permet "la grande
épreuve"[1041] de
la vie terrestre. Ce manque dans la formation de leur cœur n’est pas source de
regret pour eux car ils sont comblés de béatitude : « Bienheureux es-tu
père, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux
tout petits. » Elle est source d’un grand regret pour leur parent, en cas
d’avortement volontaire, quand ils sont présentés à leur enfant à l’heure de la
mort, même s’iule est évident que la réconciliation entre eux sera totale au
paradis.
Solution 3 :
Le choix de l’enfer se fait par un acte libre. Il
implique un orgueil vertigineux et peut être le fait de toute créature
spirituelle créée libre, y compris, en soi, par les enfants. Quand on les
considère, il vaut mieux raisonner en sens inverse. S’ils avaient vécu, ils
seraient peut-être devenus de grands saints.
Solution 4 :
Ce que Jésus exalte dans l’esprit d’enfance, ce n’est
pas l’absence de jugement et la puérilité mais c’est la confiance et l’écoute
que manifestent les enfants. Or la vie terrestre et ses épreuves est efficace
pour à la fois faire disparaître la puérilité et pour faire grandir un désir
d’amour très profond et une humilité très grande. Par leur mort précoce, les
enfants ne reçoivent pas cette chance. Reste à espérer que Dieu, par un moyen
connu de lui, leur fait expérimenter une vraie kénose.
Objection 1 :
La maxime dogmatique des Pères : « Hors l’Église, pas de salut »
montre qu’il n’en est rien.
Objection 2 :
Comment pourraient-ils être sauvés ? Saint Paul l’affirme[1042]
: « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Mais comment
l’invoquer sans d'abord croire en lui ? Et comment croire sans d'abord
l'entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? Et comment prêcher sans
être d'abord envoyé ? » Donc les païens, parce qu’ils n’ont pas entendu la
parole, ne peuvent être sauvés.
Objection 3 :
Si Dieu retarde pour eux la prédication de son salut jusqu’à la
onzième heure de leur vie (le passage de la mort), il prend des risques
inconsidérés pour leur salut, puisqu’il les laisse s’habituer à une vie de
péché. Ce qui n’est pas convenable.
Cependant :
Après le Concile Vatican II, la foi en ces
domaines peut se résumer ainsi[1043]
: « À toute époque et en toute nation Dieu a tenu pour agréable quiconque le
craint et pratique la justice (4122), (4892) ; Dans les hommes de bonne volonté
la grâce opère de manière invisible (4322) ; Le dessein de salut englobe aussi
ceux qui connaissent le Créateur, en particulier les musulmans (4140) Dieu
n’est pas loin non plus de ceux qui cherchent le Dieu inconnu dans les ombres
et sous des images (4140) ; Ceux qui, sans qu’il y ait de leur faute, ne connaissent
pas l’Évangile du Christ et son Église, mais cherchent Dieu d’un cœur sincère
et s’efforcent d’accomplir sa volonté, peuvent obtenir le salut éternel (4140)
; La Providence divine ne refuse pas non plus les aides nécessaires au salut à
ceux qui de leur part ne sont pas encore parvenus à une reconnaissance expresse
de Dieu et qui travaillent, non sans l’aide divine, à mener une vie droite
(4140). » C’est donc que les païens peuvent être sauvés.
Conclusion
:
Des centaines de millions d’hommes vivent loin de
l’Évangile sur des continents non encore visités par les missionnaires. La
faute n’en est pas seulement aux péchés des chrétiens car la foi est d’abord un
don que Dieu peut faire à qui il veut et quand il veut. Il existe aussi une
volonté mystérieuse de l’Esprit. Pourquoi l’évangélisation des peuples fut-elle
si difficile et incomplète ? Les Actes des apôtres montrent que l'Esprit Saint
ne voulut pas que l'Évangile soit annoncé tout de suite partout[1044] : « Paul voulut aller en Asie mais l'Esprit Saint
l'en empêcha. » Cela peut
paraître scandaleux mais c’est un fait qui explique aussi pourquoi Jésus a tant
tardé après le péché originel à s’incarner. L’Esprit n’a jamais voulu que le
monde d’ici-bas soit totalement chrétien, tant l’unité complète, en cette terre, est source d’orgueil comme à
Babel. De même, il ne voudra jamais
qu’il soit entièrement musulman[1045]. Le Christ ne désire qu’une chose, que tous soient sauvés, à l’heure dite
et quand la moisson est mûre, par l'amour de son Fils. Et puisqu'un christianisme
fort au plan social contient des chrétiens fiers politiquement et des clercs
sûrs d'eux, à tous points de vue, il préférera un christianisme faible, divisé,
frappé d'hérésies mais plus conscient de sa pauvreté. Le salut des païens ne peut que l’inquiéter et augmenter en
elle prière et zèle pour Dieu.
Quant
aux païens, s’ils ne sont pas encore dans la bergerie de Jésus, c’est qu’ils
ils ont leur propre chemin conduisant au salut qu’ils ignorent encore. Si ces
païens ne savent pas encore que Jésus est le Créateur fait homme, ils
l'apprennent au moment de leur mort, comme tout homme. Les chemins de la pire
des superstitions servent Dieu pour leur salut car lorsque des peuples écrasés
par la domination des sorciers dont la puissance vient du démon, découvrent à
l'heure de la mort la liberté de l’Évangile, ils se convertissent en masse.
Il en sera de même à la fin du monde
lorsque, face à une humanité donnée au projet desséchant pour l’âme du dernier
Antéchrist. C’est pour le salut des hommes aussi, à cause de l’humilité qui,
par la souffrance, fonde le désir d’un salut, que Dieu laissera à l’Antéchrist
un grand pouvoir jusqu’à la fin du monde : Comme dit saint Paul, en
comparaison de la douceur du Christ à l’heure de sa Venue, le pouvoir de l’Antéchrist
sera anéanti de la plupart des cœurs[1046].
Solution 1 :
Le pape
Pie IX donne la manière dont doit être interprétée cette maxime dogmatique[1047]
: « Il faut donc tenir, de foi, que personne ne peut être sauvé en dehors de
l’Eglise romaine apostolique, qu’elle est l’unique arche du salut celui qui n’y
est pas entré périra par le déluge ; mais cependant, il faut tenir également
pour certain que ceux qui souffrent de l’ignorance de la vraie religion,
ignorance invincible, n’en sont nullement rendus coupables aux yeux du
Seigneur. Qui serait assez présomptueux pour pouvoir marquer les limites de
cette ignorance, vu la nature et la variété des peuples, des régions, des
esprits et d’autres nombreux facteurs. Lorsque, dégagés des liens du corps,
nous verrons Dieu comme il est[1048],
nous comprendrons le lien serré et magnifique qui unit la miséricorde et la
justice divines. Mais aussi longtemps que nous sommes sur cette terre, accablés
par cette masse mortelle qui engourdit l’âme, tenons très fermement, d’après la
doctrine catholique, qu’il y a "un seul Dieu, une seule foi, un seul
baptême »[1049].
Il n’est pas permis à notre recherche d’aller plus avant. »
Le Saint Office commente cette position de l’Église[1050]
: « Par ces sages paroles, il condamne à la fois ceux qui excluent du salut
éternel tous les hommes qui ne sont unis à l’Église que par un désir implicite
et ceux qui affirment faussement que les hommes peuvent également bien être
sauvés dans toute religion. Il ne faut pas penser non plus que n’importe quelle
sorte de désir d’entrer dans l’Église suffise pour être sauvé. Car il est
nécessaire que le désir qui ordonne quelqu’un à l’Église soit animé par la
charité parfaite. Le désir implicite ne peut avoir d’effet que si l’homme a la
foi surnaturelle. Celui qui vient à Dieu doit croire que Dieu existe et qu’il
récompense ceux qui le cherchent »[1051].
Le concile de Trente déclare "La foi est le commencement du salut de
l’homme, le fondement et la racine de toute justification, sans laquelle il est
impossible de plaire à Dieu[1052]
et de parvenir à partager le sort de ses enfants. » Nous avons montré de
quelle manière se produit ce salut. À l’heure de leur mort, donc durant leur
vie terrestre, les païens reçoivent la révélation de l’Évangile. La droiture de
leur volonté les conduit à y adhérer sans retenue. Ils sont donc, comme le dit
l’Église, sauvés durant leur vie, par l’acte de leur charité, au sein de
l’Église.
Solution 2 :
Il n’y a pas de salut sans charité, de charité sans foi et de foi
sans prédicateur de l’Évangile. Dieu confie cette prédication à son Église
militante. Mais il le fait dans sa sagesse pour lui permettre de participer au
salut des hommes. Il serait aberrant de croire que des hommes furent damnés
parce que l’Église militante a sans cesse failli à cette mission. Il prévient
les apôtres[1053]
: « Quand vous aurez fait tout cela, dites-vous que vous êtes des serviteurs
inutiles », inutiles c’est-à-dire remplaçables. C’est pourquoi, à l’heure
de la mort, il accomplit lui-même, avec l’Église glorieuse, la prédication
parfaite. Les saints du Ciel deviennent apôtres et prédicateurs, comme le
disait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Saint Thomas d’Aquin, confronté à
cette certitude indique dans un texte bref la manière dont ce salut pourrait
être réalisé, sans aller plus loin[1054]
: « A un homme qui, sans y mettre
d’obstacle, suivrait la raison naturelle pour chercher le bien et éviter le
mal, on doit tenir pour très certain que Dieu révélerait par une inspiration
intérieure les choses qu’il est nécessaire de croire ou lui enverrait quelque
prédicateur de la foi, comme Pierre à Corneille. » Il faut corriger et
élargir son opinion en disant que tout homme sans exception, digne ou indigne,
de bonne ou de mauvaise volonté, reçoit dans le passage de la mort la
proposition du salut.
Solution 2 :
Dieu a organisé les lois de ce purgatoire
qu’est la terre, ainsi que celles du passage de la mort de telle manière que
tout homme expérimente sa misère. Lorsqu’il laisse certains vivre des péchés
mortels liés à leur ignorance et à leurs passions, c’est pour qu’ils s’y
épuisent. A l’heure de sa Venue, il espère alors opérer un retournement
d’autant plus puissant que les hommes ont vécu dans une absence totale de la
vie de la grâce, selon cette réflexion[1055] :
« A cause de cela, je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés, lui sont
remis parce qu'elle a montré beaucoup d'amour. Mais celui à qui on remet peu
montre peu d'amour." Saint Paul met cependant en garde les chrétiens
contre l’abus qu’ils pourraient être tentés de faire de cette pastorale du Christ
envers les païens[1056] :
« Que dire alors? Qu'il nous faut rester dans le péché, pour que la grâce se
multiplie? Certes non! Si nous sommes morts au péché, comment continuer de
vivre en lui? »
Objection 1 :
La pratique de l’Église a été jusqu’au concile Vatican II de
refuser les funérailles ecclésiastiques aux suicidés et parfois leur
enterrement en terre bénie. Cette réprobation de l’Église semble être le signe
de la réprobation de Dieu.
Objection 2 :
On se suicide par désespoir. Or, nous l’avons dit[1057],
le désespoir est un péché contre l’Esprit Saint qui est impardonnable ni dans
ce monde ni dans l’autre. Donc les suicidés sont damnés.
Objection 3 :
Ceux qui se suicident à cause d’un
désespoir commettent un péché mortel au moins d’ignorance ou de faiblesse,
directement contre l’amour. On le constate facilement en regardant la
souffrance et la culpabilité de ceux qu’ils laissent sur terre. Or le Royaume
de Dieu est donné à l’amour. Donc il n’y a pas de salut pour eux.
Objection en sens contraire :
Il semble que le suicide conduit
directement au paradis puisqu’il peut être l’acte ultime d’un amour impossible.
Cependant :
À propos d’un suicidé, le curé d’Ars
disait : « Entre le pont et l’eau, elle s’est repentie. » Donc il existe
un salut pour les suicidés.
Conclusion :
De nos jours, nul ne se permet plus d’affirmer avec certitude la
damnation des suicidés. Cependant outre ce regard plus vrai sur leur personne,
il convient de parler de l’acte du suicide. On peut le considérer de deux
manières. 1° Objectivement, c’est-à-dire en tant qu’il constitue un acte moral
; 2° Subjectivement, c’est-à-dire en fonction de l’intention de celui qui se
suicide.
1° Puisque Dieu existe, puisque la vie
terrestre est une préparation à la vie éternelle, on doit en toute vérité
affirmer que le suicide est un acte qui déplaît à Dieu. Commis par désespoir,
il est en soi, un péché mortel. Le temps des larmes, donc de la terre, est
utile pour appauvrir le cœur. Il n’est que passager et prépare le temps où Dieu
essuiera toutes les larmes. Les mystères douloureux sont suivis par les
mystères glorieux. L'homme qui supprime sa vie, même pour des motifs bien
excusables comme l’ignorance involontaire du projet de Dieu ou une trop grande
souffrance, regrette son acte dans l'autre monde. Il se rend compte
objectivement que son cœur aurait pu être davantage purifié, appauvri et rendu
miséricordieux. Au purgatoire du Ciel, il y a certaines choses qu’on ne peut
plus acquérir. Seul le purgatoire de la terre permet, par exemple,
d’approfondir la soif d’aimer et d’être aimé. Arrivé dans l’autre monde, face à
l’apparition du Christ, l’homme tourne vers lui tout l’amour dont il est
capable, d’où l’impossibilité de grandir dans l’amour après la mort. Or c'est
la mesure de ce désir qui nous vaudra de voir Dieu, et ce désir est lié
intimement à ce que l’homme a touché de lui-même sur la terre.
2° Au plan subjectif de la culpabilité, le
suicide est un péché qui doit être compris comme tous les autres. Il est la
plupart du temps le fruit d’une faiblesse et d’une ignorance conjointes. Dans
cette lumière, il est possible de dire ce qui suit : parce qu’ils ont beaucoup
souffert et, par là, ont touché plus que tout autre leur petitesse, les
désespérés choisissent la plupart du temps la grâce et les conditions de la
vision béatifique. De plus, ayant été creusés par une grande souffrance, ils
s’y portent avec un grand désir. Ils reconnaissent le Christ qui leur apparaît
le bien qu’ils avaient toujours cherché, même dans les créatures.
Mais le suicide peut être parfois l’acte ultime et choisi d’une
perversion volontaire poussée jusqu’au bout. Ceux qui se suicident pour un
orgueil ou un égoïsme poussés jusqu’au bout, comme on le voit d’Hitler qui
voulait voir disparaître avec lui son peuple, il faut parler autrement. Si
l’orgueil est maintenu obstinément face à la parousie du Christ, il devient un
blasphème contre l’Esprit et conduit immédiatement en enfer. Est-ce le cas
d’Hitler ? Il est impossible de le savoir de manière absolue.
Ce qui est sûr et universel c’est que,
quelle que soit la cause du suicide, les personnes sont accueillies dans le
passage de la mort – soit tout de suite, soit après un temps de shéol-, comme
tout homme, par le Christ, les anges et les saints, avec la présence de
Lucifer. Elles reçoivent la révélation de l’Évangile, de l’Église du Ciel, des
conditions présupposées. Il demande comme conditions de leur salut la
contrition des péchés et l'amour de charité.
Solution 1 :
Jadis, la sépulture chrétienne était
refusée aux suicidés. Mais il s’agissait d’une pratique pastorale visant à
éviter, surtout dans les périodes de peur, par une autre peur, des épidémies de
suicide. Elle était fondée sur une théologie. Pour le croyant en effet, la vie
appartient à Dieu. Il l’a donné en cadeau. La refuser, y mettre volontairement
fin est un acte contraire à la logique de la foi.
Même si le fond de vérité théologique reste inchangé, les choix
pastoraux de l’Église se sont radicalement transformés. Les prêtres ne refusent
plus les prières aux suicidés – sauf dans le cas exceptionnel où une personne
en fait un acte revendiqué publiquement comme antichrétien- et, au contraire,
l’Église, soumise elle-même à des souffrances et à des pauvretés dans un monde
de plus en plus déchristianisé, a une meilleure compréhension de ce qui peut
mener à un tel acte. Par contre, au delà de ces deux pratiques, jamais l’Église
dans son Magistère officiel ne s’est prononcée sur le salut ou la damnation des
suicidés qu’elle considère comme le domaine du jugement de Dieu.
Solution 2 :
Il ne faut pas confondre le désespoir qui
est une notion psychologique et morale, avec le blasphème contre l’Esprit de
désespérance qui est une notion purement morale puisqu’il est une volonté
consciente, lucide, maîtresse d’elle-même face au Christ qui propose sont
pardon, de ne pas estimer comme un acte digne cette proposition, vu la grandeur
du péché. Au contraire, la plupart de ceux qui se suicident le font parce
qu’ils estiment que la vie n’est plus un cadeau valable. Les limites qui les
enserrent leur deviennent insupportables. "On a beau dire, écrit une
jeune suicidée, que ce n’est pas si grave, que tout ira mieux demain, le bilan
est aujourd’hui négatif : plus moyen d’ouvrir un crédit à la vie ”. Ce
grand désespoir vient toujours de l’absence de ce qui donne sens à la vie. "Là
où est ton trésor, là aussi est ton cœur », disait le Christ[1058].
Il peut s’agir d’une perte de son bien ultime, parfois de manière brutale.
Aussi divers que sont les biens qui peuvent combler la vie d’un homme, qu’ils
soient réels ou faussement séducteurs, aussi divers sont les motifs du suicide.
Il peut aussi s’agir de l’absence chronique du sens de la vie, dans des
sociétés sans espérance après la mort puisque l’homme se nourrit de manière
ultime de la certitude que Dieu existe et que la vie à un sens.
Tout grand amour, même bon au plan humain,
même chrétien, mais devenu en apparence impossible, peut conduire à la pensée
du suicide. Qu’on se souvienne de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Sincèrement
donnée à Dieu, elle éprouva de sa part la même épreuve que Jésus sur la croix,
l’impression d’être abandonnée par lui. Elle avoue elle-même, dans ses
souffrances physiques sans consolations spirituelles, avoir pensé souvent au
suicide. Ainsi en est-il pour les athées, elle le comprit pleinement, et ne put
jamais plus les condamner. L’homme sans espérance pour l’autre monde, qui donne
toute son amitié à une autre personne et se trouve séparé d’elle, sans espoir
possible de retour, sans même croire qu’elle peut survivre à la mort, peut être
amené à se donner la mort. Son acte prend souvent une dimension double :
prouver à l’ami qu'il l'aimait et faire disparaître la souffrance d'une vie
devenue inutile. Le désespoir peut être plus réfléchi et plus calme, lorsque le
malheur arrive lentement et inexorablement chez un homme préparé à le recevoir.
Ainsi voit-on des personnes atteintes de longues maladies ou par la vieillesse
demander l’euthanasie pour supprimer, après mûre réflexion, leur vie condamnée.
L'acte est parfois posé non à cause de la souffrance physique mais "parce
qu'il vaut mieux éteindre au plus vite ce qui, de toute façon, s’achèvera dans
le néant." Le désespoir de la non-croyance conduit à l’euthanasie et c’est
fort compréhensible : Seul le croyant peut imprégner de sens son agonie
puisqu’il croit que son cœur est préparé par ces souffrances ultimes à une
autre vie.
Dans des cas exceptionnels, le suicide
trouve un autre motif que le désespoir. Certains disciples de Sartre se
donnèrent la mort dans une optique d’exaltation de soi. Ils y voyaient un rêve
de toute puissance au moment même où l’on se sent impuissant, le rêve de
Prométhée chez les grecs ou d’Adam et Ève dans la Bible : « Vous serez comme
des dieux », avec droit de vie et de mort. Ils ne résistèrent pas au désir
de poser ultimement leur liberté. Ils constituaient par là un acte de péché
spirituel plus grave et sans commune mesure avec le désespoir dont nous parlons
ici.
Mais, la plupart du temps, étant lié à une passion de désespoir et
à une ignorance de l’importance de vivre sa vie terrestre jusqu’au bout, le
suicide constitue un péché mortel certes, mais sans comparaison avec la mort du
blasphème contre l’Esprit. Il ne conduit donc pas en enfer.
Solution 3 :
Deux conditions morales sont nécessaires pour entrer dans la
gloire. 1° À titre de fondement, l’humilité est requise puisqu’elle
dispose l’esprit à recevoir, donc à donner. Ceux qui se suicident le font
presque tous à cause d’une grande souffrance. De ce point de vue, ils sont
disposés à l’humilité parce que, ce qu’ils ont souffert constitue au minimum
une humiliation. 2° L’autre condition, à titre de mérite immédiat est l’amour.
Que certains se suicident à cause du désir d’un amour réel ou, au contraire, à
cause de l’égoïsme, cela apparaît en pleine lumière devant l’apparition du
Christ qui sépare l’or de la paille. Les hommes de bonne volonté se tournent
vers Dieu avec d’autant plus de force qu’ils en désiraient, sans le savoir, la
révélation. Les égoïstes se tournent vers l’enfer. La plupart des suicidés sont
sauvés, puisque leur acte vient d’une trop grande soif de l’amour.
Solution 4 :
Il existe effectivement des suicides héroïques. Pour ne pas livrer
sous la torture les noms de leurs camarades de combat, bien des hommes agirent
ainsi. Leur suicide ne constitue pas un péché, bien au contraire. Il ne faut
pas confondre cet acte ultime avec l’acte d’un chantage à l’amour. Se suicider
pour faire souffrir l’aimé considéré comme indigne n’est pas exempt d’un calcul
égoïste. L’imperfection dans l’humilité (kénose) est comme le foin, la paille
et les poutres. Ils seront purifiés au purgatoire.
Quinze demandes[1060] :
1° Les suffrages d’un fidèle peuvent-ils être utiles à un autre ?
2° Les morts peuvent-ils être aidés par les œuvres des vivants ?
3° Les suffrages des pécheurs peuvent-ils être utiles aux défunts ?
4° Les suffrages pour
les défunts sont-ils utiles à leurs auteurs ?
5° Sont-ils utiles aux damnés ?
6° À ceux qui sont à l’heure de leur mort ?
7° Aux âmes du purgatoire ?
8° Aux enfants morts sans baptême ?
9° Aux bienheureux ?
10° Les prières de l’Église, le saint
sacrifice et l’aumône sont-ils utiles aux défunts ?
11° Les indulgences accordées par l’Église ?
12° Les cérémonies des obsèques ?
13° Les suffrages spécialement destinés à un
défunt sont-ils plus utiles à lui qu’aux autres ?
14° Les suffrages destinés à plusieurs
sont-ils aussi utiles à chacun que s’ils lui étaient uniquement destinés ?
15° Les suffrages communs sont-ils aussi
utiles à ceux qui n’en ont pas d’autres que le sont les suffrages spéciaux et
les suffrages communs à ceux qui bénéficient des uns et des autres ?
Objection 1 :
« Ce qu’on aura semé, dit saint Paul, on le
moissonnera. » Mais profiter des suffrages d’un autre, c’est moissonner ce que
l’on n’a pas semé. La réponse semble donc négative.
Objection 2 :
La justice de Dieu a pour fonction de rendre à chacun selon ses
mérites. "Tu rends à chacun selon ses œuvres », dit le psalmiste. Mais
cette justice est indéfectible et empêche donc qu’on puisse se prévaloir des
œuvres d’autrui.
Objection 3 :
Une œuvre est méritoire pour la même raison qu’elle est louable,
et qui est qu’elle soit volontaire. Or, une œuvre étrangère ne nous attire
aucune louange ; elle ne nous confère donc aussi aucun mérite.
Objection 4 :
La justice
divine récompense le bien comme elle punit le mal. Or, personne n’est puni pour
le mal commis par un autre : « L’âme qui pèche, c’est elle qui mourra. » Le
bien n’est donc pas davantage communicable.
Cependant :
1° Le Psalmiste dit : « J’ai part avec tous
ceux qui te craignent », etc.
2° Tous les fidèles unis par la charité ne
font qu’un seul corps, qui est l’Église. Mais, dans un même corps, les membres
s’aident les uns les autres.
Conclusion :
Nos actes
peuvent avoir un double effet : l’acquisition d’un état, par exemple la
béatitude par les œuvres méritoires ; l’acquisition de quelque chose
d’accessoire à cet état, par exemple, une récompense accidentelle ou la
rémission d’une dette. De plus, nos actes peuvent obtenir ce double effet d’une
double manière : par mode de mérite, par mode de prière ; et ces deux modes
diffèrent en ce que le premier repose sur la justice, le second, sur la seule
libéralité de celui que l’on prie.
Il faut
donc répondre que, s’il s’agit d’un état, personne ne peut l’obtenir pour un
autre par mode de mérite, en ce sens qu’il est impossible que, par mes bonnes
œuvres, un autre mérite la vie éternelle. En effet, l’état de gloire est
accordé à chacun selon sa capacité, selon les dispositions qui proviennent de
ses actes, de sa charité et non de celle d’autrui ; en notant bien qu’il s’agit
des dispositions qui rendent digne de la récompense.
Mais, par
mode de prière, on le peut, tant que le terme n’est pas atteint ; par exemple,
on peut obtenir pour un autre la proposition de la grâce. Puisque l’efficacité
de la prière dépend de la libéralité de Dieu que l’on prie, elle peut donc
s’étendre à tout ce que la toute-puissance divine peut réaliser, en harmonie
avec l’ordre providentiel.
S’il s’agit de quelque chose d’accessoire à un état, on peut
l’obtenir pour un autre non seulement par mode de prière, mais encore par mode
de mérite ; et cela, de deux manières. 1° En vertu d’une communication dans le
principe radical de l’œuvre, qui est la charité pour les œuvres méritoires. De
là vient que chacun de ceux qui sont unis ensemble par la charité bénéficie des
bonnes œuvres de tous ; chacun cependant, selon l’état où il est : c’est ainsi
qu’au Ciel chacun des élus se réjouit du bonheur de tous les autres. C’est ce
qu’exprime l’article du Symbole de la foi sur la communion des saints. 2°
En vertu de l’intention de celui qui fait de bonnes œuvres, et qui les fait spécialement
dans le but qu’elles soient utiles à celui-ci ou à celui-là. Dès lors, ces
œuvres appartiennent en quelque sorte à ceux pour qui elles ont été faites, par
une espèce de donation. Elles peuvent donc leur servir, soit pour satisfaire à
la justice de Dieu, soit pour toute autre chose qui les laisse dans l’état où
ils sont.
Solution 1 :
La moisson dont il s’agit ici, c’est la vie éternelle : « Le
moissonneur… recueille du fruit pour la vie éternelle. » Or, la vie éternelle
n’est accordée qu’en récompense d’œuvres personnelles. Si on l’obtient pour un
autre, c’est toujours à la condition que celui qui la reçoit la méritera –par
sa propre charité- par ce qu’il fera lui-même : les prières lui valent la grâce
dont le bon usage, qui dépend de lui seul, lui mérite la vie éternelle.
Solution 2 :
L’œuvre faite pour quelqu’un lui appartient ; de même, l’œuvre
faite par celui avec lequel je suis un, est en quelque sorte mienne. Il n’est
donc pas contraire à la justice de Dieu que quelqu’un bénéficie des bonnes
œuvres de ceux qui lui sont unis par la charité ou des bonnes œuvres faites à
son intention. La justice humaine elle-même permet qu’un homme satisfasse à la
place d’un autre.
Solution 3 :
La louange récompense la manière d’agir : c’est cette relation de
puissance à acte qu’elle vise. Or, l’œuvre d’autrui ne met et ne montre en,
nous-mêmes aucune disposition à agir bien ou mal : c’est pour cela qu’elle ne
nous attire aucune louange, sinon indirectement, dans la mesure où nous y avons
contribué par nos conseils, notre assistance, nos encouragements, etc. -Au
contraire, une œuvre peut être méritoire pour quelqu’un, non pas toujours en
proportion de son état ou de ses dispositions, mais par rapport à quelque chose
d’accessoire.
Solution 4 :
Enlever à quelqu’un ce qui lui est dû est directement contraire à
la justice ; lui donner ce qui ne lui est pas du n’est pas contraire, mais
supérieur à la justice : c’est de la libéralité. Or, nul ne peut être puni pour
les fautes d’autrui qu`en perdant quelque chose de son bien personnel, ce qui
répugne tout autrement que de gagner quelque chose par les bonnes œuvres
d’autrui
Objection 1 :
Saint Paul dit : « Nous tous, il nous faut comparaître devant le
tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qu’il a mérité étant dans son
corps, selon ses œuvres. » Il semble donc qu’aucune œuvre ne puisse être utile
à l’âme séparée de son corps par la mort.
Objection 2 :
Même conclusion négative suggérée par ce texte de l’Apocalypse : «
Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur! Car leurs œuvres les suivent. »
Objection 3 :
Une œuvre ne peut aider à avancer que si l’on n’est pas encore au
terme. Or, les morts ont atteint le terme ; car, on peut mettre sur leurs
lèvres ces paroles de Job "Il m’a barré le chemin et je ne puis passer. »
Objection 4 :
La condition, pour aider quelqu’un, c’est d’être en communication
avec lui. Or, selon Aristote, toute communication est coupée entre les morts et
les vivants.
Cependant :
1° Dès
l’Ancien Testament, la prière pour les morts est attestée : « C’est une
sainte et salutaire pensée que de prier pour les morts, afin qu’ils soient
délivrés de leurs péchés ».[1061]
Mais cette prière serait inutile, si elle ne les aidait. Les suffrages des
vivants sont donc utiles aux morts.
2° "Le sentiment de l’Église
universelle, dit saint Augustin, se manifeste avec une grande autorité par la
coutume qu’a le prêtre, lorsqu’il offre, ses prières à l’autel du Seigneur, de
recommander les fidèles trépassés. » Cette coutume date des Apôtres qui, dit
saint Damascène, « établirent la pratique de faire mémoire, au cours des
redoutables et vivifiants mystères, de ceux qui sont morts dans la foi. » De
son côté, Denys signale la prière pour les défunts comme un rite pratiqué dans
la primitive Église, et affirme que les suffrages des vivants sont utiles aux
morts. C’est donc une vérité qu’il faut croire sans la moindre hésitation.
Conclusion :
Le lien de la charité, qui unit entre eux les membres de l’Église,
n’embrasse pas seulement les vivants, mais aussi les morts qui ont quitté ce
monde en état de charité car celle-ci ne cesse pas avec la vie, puisque saint
Paul l’affirme : « La charité ne passera jamais. » De plus, les morts
continuent de vivre dans le souvenir des vivants, qui peuvent ainsi leur
appliquer leurs intentions. Dès lors, les suffrages des vivants peuvent être
utiles aux fidèles trépassés aussi bien qu’à ceux qui sont encore en ce monde,
et d’après les mêmes principes : l’union de charité, la direction d’intention.
Il faut toutefois se garder de croire que les suffrages des
vivants sont capables de faire passer les défunts de l’état de damnation à
l’état de béatitude ou réciproquement. Ils peuvent seulement contribuer à deux
choses :
1° A l’heure de la mort, alors que l’âme n’est pas encore
déterminée dans son destin éternel, ils peuvent peser dans le sens de leur
choix du salut.
2° Après la mort, dans le purgatoire, ils peuvent en raccourcir et
diminuer la peine ou à quelque autre chose d’analogue, c’est-à-dire
d’accessoire à l’état, qui est définitif.
Solution 1 :
L’âme mérite, étant dans le corps, que les suffrages lui soient
utiles après la mort. L’aide qu’elle en reçoit vient donc de ce qu’elle a fait,
étant dans le corps.
On peut encore, avec saint Damascène, entendre cette parole de la
sentence qui sera rendue au jugement dernier, où l’âme sera condamnée ou
glorifiée à jamais, selon qu’elle l’aura mérité étant dans son corps. Jusque là
les suffrages des vivants peuvent être utiles aux morts
Solution 2 :
Il s’agit ici expressément de la récompense éternelle, comme
l’indiquent les premiers mots : « Bienheureux les morts », etc. -Sinon, on peut
répondre que les œuvres faites pour les défunts deviennent en quelque sorte
leurs œuvres.
Solution 3 :
Avant la parousie du Christ et dans le passage de la mort, les
âmes ne sont pas encore au terme quant à leur orientation définitive. La prière
des vivants peut alors influencer leur choix portant pour ou contre la charité.
Après la parousie du Christ, il est des âmes qui sont au terme,
sans cependant y être tout à fait. Ce sont celles qui n’ont pas encore atteint
la récompense définitive (la vision béatifique) et en qui reste quelque chose à
purifier. On peut dire que, absolument parlant, leur chemin est "barré »,
en ce sens qu’aucune œuvre ne peut désormais modifier l’état de damnation ou de
salut. Mais le chemin reste ouvert, en ce sens qu’elles n’ont pas encore
atteint la plénitude du salut ; elles peuvent donc être aidées car, à ce point
de vue, elles ne sont pas encore au terme dernier.
Solution 4 :
Aristote parle des relations de la vie civile, à laquelle les
morts sont morts, et qui sont par là même impossibles entre eux et les vivants.
Mais les relations de la vie spirituelle demeurent : celle-ci est fondée sur la
charité, l’amour de Dieu, « pour qui sont vivantes les âmes des fidèles
trépassés. »
Objection 1 :
« Dieu n’exauce point les pécheurs. » Leurs
prières ne sont donc point utiles aux défunts, puisque, s’il en était
autrement, Dieu les exaucerait.
Objection 2 :
« Employer
un intercesseur qui déplaît, dit saint Grégoire, c’est redoubler la colère et
la vengeance. » Donc, puisque tout pécheur déplaît à Dieu, ses suffrages ne
l’inclinent pas à la miséricorde.
Objection 3 :
Une œuvre est plus utile à celui qui la fait qu’elle ne l’est à
d’autres. Or, le pécheur ne peut rien mériter pour lui-même. Donc, pour les
autres, moins encore.
Objection 4 :
Une œuvre, pour être méritoire, doit être vivante, c’est-à-dire, «
informée par la charité. » Or, toutes les œuvres des pécheurs sont mortes, et
donc, dépourvues de tout mérite.
Cependant :
1° On ignore
qui est en état de péché, et qui est en état de grâce. Si donc étaient utiles
les suffrages de ceux-là seulement qui sont en état de grâce, on ne saurait à
qui s’adresser en faveur des défunts, et les demandes de suffrages seraient
diminuées d’autant.
2° Saint Augustin dit que les défunts sont
aidés par les suffrages, selon qu’ils l’ont mérité de leur vivant. La valeur
des suffrages dépend donc de la condition du défunt, peu importe leur
provenance.
Conclusion :
Par rapport aux suffrages des pécheurs, il faut distinguer deux
choses : 1° L’œuvre qui est opérée, par exemple, le sacrifice de la messe : or,
les sacrements de la religion chrétienne étant efficaces par eux-mêmes indépendamment
de celui qui opère, il s’ensuit que les suffrages de ce genre sont utiles aux
défunts, même s’ils viennent d’un pécheur ; 2° L’œuvre opérante, c’est-à-dire
l’opération d’où procède l’œuvre opérée, et ici il faut encore distinguer.
Si le pécheur agit en son nom propre, son action ne peut être
méritoire ni pour lui-même ni pour autrui ; ses suffrages sont donc dénués de
toute valeur. Mais il peut agir au nom d’un autre, et cela, de deux manières.
1° Il peut représenter l’Église universelle, par exemple, lorsqu’il célèbre les
cérémonies des obsèques. En ce cas, comme c’est celui au nom ou à la plate
duquel est faite une action qui est censé la faire, il en résulte que les
suffrages d’un prêtre, même s’il est un pécheur, sont utiles aux défunts. 2° Il
peut remplir le rôle d’instrument, auquel l’œuvre appartient moins qu’elle
n’appartient à l’agent principal. C’est celui-ci qui peut donner à l’action
d’être méritoire, même s’il se sert d’un instrument incapable de mériter ;
ainsi qu’il arrive dans le cas d’un serviteur, qui est en état de péché, et qui
fait une œuvre de miséricorde sur l’ordre de son maître qui, lui, est en état
de grâce. Dès lors, si quelqu’un, mourant en état de grâce, demande des
suffrages ou si quelque autre, également en état de grâce, les demande pour
lui, ces suffrages sont utiles à ce défunt, même si ceux qui les acquittent
sont en état de péché. S’ils étaient en état de grâce, leurs suffrages n’en
vaudraient que mieux puisque la valeur en serait doublée
Solution 1 :
Le pécheur ne prie pas toujours en son propre nom, mais au nom
d’un autre, et ainsi, sa prière est digne d’être exaucée. Les pécheurs
eux-mêmes sont parfois exaucés, quand ils demandent quelque chose d’agréable à
Dieu. En effet, Dieu ne réserve pas sa bonté pour les justes, mais il l’étend
aux pécheurs ; non pas à cause de leurs mérites, mais à cause de sa
miséricorde. Aussi, la Glose dit que prétendre que Dieu n’exauce pas les
pécheurs, c’est parler "sans l’onction », et comme quelqu’un qui n’est pas
pleinement illuminé.
Solution 2 :
La prière du pécheur, en tant que faite par lui, n’est pas
agréable à Dieu, mais elle peut l’être, en tant qu’inspirée par celui au nom ou
par ordre de qui il prie.
Solution 3 :
Les suffrages du pécheur lui sont inutiles parce qu’il y a en lui
un empêchement ; mais ils peuvent être utiles à d’autres qui ne sont pas dans
le même mauvais cas.
Solution 4 :
L’œuvre du pécheur, morte en tant qu’elle vient de lui, peut être
vivante en tant qu’elle vient d’un autre.
Les deux arguments du
Cependant : semblent
exagérer en sens contraire et demandent aussi une réponse.
1° On ne peut connaître avec certitude
l’état spirituel d’une autre personne ; on peut cependant en juger avec
probabilité sur ses actes extérieurs et visibles, d’après la parole du Maître :
« On reconnaît l’arbre à ses fruits. »
2° Pour être utile à un défunt, le suffrage
doit trouver en lui une capacité, et celle-ci est acquise par les œuvres qu’il
a faites en cette vie ; c’est ce que dit saint Augustin. Cependant, il faut
encore que l’œuvre elle-même ait une valeur, qui ne dépend plus de celui pour
qui elle est faite, mais de celui qui la fait ou qui la prescrit.
Objection 1 :
Payer les dettes d’autrui, ce n’est pas payer les siennes : la
justice humaine le dit. Il en va donc de même pour les suffrages par lesquels
on paye la dette contractée par les défunts envers la justice divine.
Objection 2 :
Ce que l’on fait, on doit le faire le mieux possible. Or, aider
deux personnes à la fois vaut mieux que d’en aider une seule. Si donc les suffrages
payaient à la fois les dettes du défunt et celles du vivant, il semble que
chacun dût faire toutes les œuvres satisfactoires pour les défunts et aucune
pour lui-même.
Objection 3 :
Si les mêmes suffrages suffisent à satisfaire pour deux, pourquoi
pas pour trois, pour quatre pour tous ? Ce qui est absurde.
Cependant :
1° Le Psalmiste dit : « Ma prière retournait
sur mon sein. » C’est, par retour analogue, que les suffrages pour les défunts
sont utiles à leurs auteurs.
2° "De même, dit saint Damascène, que
celui qui veut oindre un malade avec les saintes huiles, y touche le premier
avant d’en toucher le patient ; de même, quiconque travaille au salut du prochain,
est utile à lui-même d’abord, et ensuite au prochain. »
Conclusion :
Dans l’œuvre de suffrage on peut considérer deux caractères :
1° Le caractère satisfactoire, en tant que le suffrage expie la
peine en offrant pour elle une espèce de compensation. À ce point de vue, le
suffrage devient la propriété du défunt qui en bénéficie, et il sert à payer sa
dette à lui, uniquement. En effet, il s’agit ici de justice, et la justice
exige l’égalité. Or, une œuvre satisfactoire peut être suffisante à payer une
dette et insuffisante à en payer une autre en même temps, car il est clair que
deux péchés exigent une satisfaction double.
2° Le caractère méritoire, par rapport à la
vie éternelle ; c’est la charité, son inspiratrice, qui le donne au suffrage.
Ainsi considéré, celui-ci est utile non seulement au défunt, mais plus encore
au vivant.
Solutions :
Elles viennent d’être données. Les trois premiers arguments
visaient le caractère satisfactoire du suffrage ; les deux autres, au
Contraire, son caractère méritoire.
Objection 1 :
Il est raconté, au 2° livre des Macchabées que "l’on trouva,
sous les tuniques de chacun des morts, des objets idolâtriques, que la loi
interdit aux Juifs » ; et, nonobstant, « Judas envoya à Jérusalem la somme de
deux mille drachmes pour être employée à un sacrifice expiatoire. » Or, ces
juifs avaient péché mortellement en transgressant la loi, ils étaient morts en
cet état, ils étaient damnés.
Objection 2 :
Saint Augustin dit que, « l’utilité des suffrages consiste soit à
obtenir pleine rémission pour les défunts, soit à rendre leur état de damnation
plus supportable. »
Objection 3 :
Si, dès cette vie, dit Denys, les prières des justes ont une telle
puissance, combien plus, après la mort, pour ceux qui en sont dignes. » D’où
l’on peut conclure que les suffrages sont plus utiles aux morts qu’aux vivants.
Mais ils sont utiles à ces derniers, même en état de péché mortel, puisque
l’Église prie tous les jours pour la conversion des pécheurs. Pourquoi ne le
seraient-ils pas aux défunts qui sont dans le même état, c’est-à-dire aux
damnés ?
Objection 4 :
On lit, dans les Vies des Pères, le fait suivant que raconte aussi
saint Damascène. Saint Macaire rencontra sur son chemin une tête, et, après
avoir fait une prière, il lui demanda à qui elle avait appartenu ; cette tête
répondit : à un prêtre païen qui était en enfer. Et elle ajouta que, cependant,
ce prêtre et d’autres damnés étaient assistés par les prières de Macaire.
Objection 5 :
Dans le même sermon, saint Damascène raconte que saint Grégoire,
priant pour l’âme de Trajan, entendit une voix qui venait du Ciel : « J’ai
exaucé ta prière et j’accorde à Trajan son pardon. » "De ce fait, ajoute
saint Damascène, tout l’Orient et tout l’Occident peuvent témoigner. » Or,
Trajan était en enfer, « lui qui avait infligé une mort cruelle à tant de
martyrs. »
Cependant :
1° "Le souverain prêtre, dit Denys, ne
prie pas pour les immondes ; autrement, il s’écarterait de l’ordre providentiel.
» Un commentateur ajoute : « Il ne demande pas la rémission pour les
pécheurs, car il ne serait pas exaucé. »
2° "C’est pour la même raison, dit
saint Grégoire que l’on ne priera pas alors (après le jugement) pour les
damnés, et que l’on ne prie pas aujourd’hui pour le démon et ses anges. C’est
encore pour cette raison qu’aujourd’hui les saints ne prient pas pour ceux qui
sont morts dans l’infidélité et l’impiété : c’est qu’ils ne veulent pas que
leur prière perde son mérite aux yeux du juge souverainement juste. »
3° Saint Augustin dit de même : « À ceux qui
meurent sans la foi qui opère par la charité, et sans ses sacrements, tous les
devoirs religieux que leur rendent leurs proches ne servent de rien. »
Conclusion :
Une certaine opinion prétendait qu’il faut faire à ce sujet deux
distinctions. L’une, par rapport au temps : après le jugement, aucun suffrage
ne sera plus utile à aucun damné ; avant, certains damnés peuvent être aidés
par les suffrages de l’Église. L’autre, par rapport aux personnes : il y a des
damnés tout à fait mauvais, qui sont morts sans la foi et sans les sacrements
de l’Église, à laquelle ils n’ont appartenu "ni en fait ni en droit » ; Il
en est d’autres, moins mauvais, qui ont été membres de l’Église, qui ont eu la
foi, reçu les sacrements, fait quelques bonnes œuvres aux premiers les
suffrages de l’Église ne peuvent être d’aucune utilité, tandis qu’ils peuvent
être utiles aux seconds.
Ainsi Guillaume d’Auxerre expliqua que les suffrages sont utiles
aux damnés, dit-il, non pour diminuer ou interrompre leur peine, mais pour
leur donner la force de la supporter ; de même que baigner le visage d’un homme
chargé d’un lourd fardeau, ce n’est pas diminuer celui-ci, mais cependant le
rendre plus facile à porter.
Mais il ne saurait en être ainsi. Le tourment infligé par le feu
de l’enfer est en proportion de la culpabilité, dit saint Grégoire. De là vient
que les uns ou les autres sont tourmentés plus ou moins cruellement à la mesure
même de leur propre volonté qui se porte vers le péché de manière obstinée,
contre les inclinations de leur nature.
Cette opinion venait de l’ignorance de la nature du péché qui
conduit en enfer. La théologie n’avait pas encore pu prendre en compte la
parole du seigneur qui dit que ce n’est pas n’importe quel péché mortel qui
conduit l’âme dans l’enfer éternel mais seulement le blasphème contre l’Esprit
Saint, d’après Matthieu 12, 31. Or ce péché est un acte entièrement volontaire,
conscient et libre. À cette époque, négligeant la parousie et prédication du
Christ à l’heure de la mort, les théologiens admettaient une damnation venant
de Dieu lui-même pour tout homme vivant loin de lui, même à cause d’une
ignorance ou d’une faiblesse, ou du péché originel. Nous savons maintenant que
nul n’est en enfer qu’à cause de lui-même. Si les prières pour les damnés sont
inutiles, c’est parce que les damnés s’en moquent, comme ils ont méprisé la
supplication du Christ à l’heure de leur mort. Si cette prière leur était
présentée, elle serait même sans doute cause d’un surcroît de souffrance, à
cause de leur haine pour tout ce qui leur rappelle l’amour rejeté. Une certaine
jouissance perverse pourrait cependant en sortir, à cause de l’orgueil de voir
quelqu’un penser à eux.
Il est donc nécessaire de dire sans restriction que les suffrages
sont inutiles aux damnés, que l’Église les exclut de ses prières, comme le
déclarent les autorités que nous avons alléguées.
Solution 1 :
Rien ne prouve que les soldats de Judas Macchabée fussent en
enfer. Leur péché, constitue un manque de foi et une idolâtrie. Mais ils purent
s’en repentir, soit au cours des combats, soit face à l’apparition de l’ange de
la mort selon la parole du Psalmiste : « Quand Dieu les frappait de mort, ils
le cherchaient. » C’est en tout cas l’opinion des frères Maccabées puisqu’ils
offrirent un sacrifice à leur intention. Il leur fut utile à la fois avant leur
choix dans le passage de la mort, au moment de leur choix face à l’ange de
Dieu, puisque la prière des vivants leur fut rendue visible et les toucha, et
après la mort dans les purgatoires mystiques pour la même raison.
Solution 2 :
Il s’agit ici de damnation au sens large, synonyme de condamnation
à n’importe quelle peine, donc, aussi bien à celle du purgatoire, que les
suffrages tantôt ne font que diminuer, tantôt enlèvent tout à fait.
Solution 3 :
Les suffrages sont plus utiles aux morts qu’aux vivants, parce que
les premiers en ont un plus grand besoin, étant incapables de s’aider eux-mêmes
comme le peuvent les vivants ; mais ceux-ci ont cet avantage de pouvoir passer
de l’état de péché mortel à l’état de grâce, ce qui est impossible après
l’entrée dans l’autre monde. La prière à l’intention des uns et des autres s’inspire
donc de motifs différents.
Solution 4 :
On entend ici "enfer" sous le sens de "purgatoire
», comme l’Écriture le fait pour le riche[1063].
Si l’on insiste pour dire qu'il s’agit bien de l’enfer éternel des damnés,
alors il faut dire que cette assistance ne consistait pas en une diminution de
peine, mais seulement, comme le récit en fait foi, en ceci que la prière de
saint Macaire obtenait qu’ils pussent se voir, et cet accomplissement de leur
désir leur causait une certaine joie, plus imaginaire, que réelle. C’est ainsi
que l’on dit que les démons se réjouissent des péchés qu’ils font commettre,
quoique cela ne diminue en rien leur peine, pas plus que la joie des bons anges
ne l’est par ce que nous appelons leur compassion pour nos maux.
Solution 5 :
Le fait de Trajan prouve que celui-ci n’était aucunement en enfer
mais seulement au purgatoire. Il prouve aussi qu’on ne doit jamais affirmer
avec certitude la damnation de personne. Dieu seul scrute le fond des âmes et
sait qui se repend et qui ne se repend pas au moment de la mort. Aussi doit-on
prier pour le salut de tous, y compris pour celui des pires tyrans.
Objection 1 :
Il semble que cela soit inutile. Les prières des vivants pour les
morts ont principalement pour but la peine satisfactoire due par les âmes du
purgatoire pour leurs péchés passés. Or le moment de la mort n’est pas le
purgatoire.
Objection 2 :
La mort peut surprendre un homme de telle manière qu’on n’ait pas
le temps de prier pour lui. Il semble donc plus sûr d’appliquer ses prières
pour le cas où il en aurait besoin au purgatoire.
Objection 3 :
Nul ne
peut obtenir pour un autre le repentir et la justification. En effet, c’est
Dieu seul qui donne la grâce et c’est l’âme seule qui est apte à répondre à
cette grâce. Donc la prière à l’heure de la mort est inutile.
Objection 4 :
Il arrive que l’heure de la mort ne soit pas un passage durant
quelques heures, mais un véritable séjour d’errance qu’on appelle le shéol. Il
semble inutile de prier pour ces pâmes du shéol puisque c’est leur état de mort
spirituelle qui les fait fuir la parousie du Christ ou s’attacher à cette
terre. Elles sont damnées pour toujours.
Cependant :
La prière
de l’Ave Maria, qui est la plus conseillée après celle du Pater se termine
ainsi "Priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre
mort. » Il est donc particulièrement important de prier pour les défunts à
l’heure de leur mort[1065].
Conclusion :
Nous avons montré que le moment de la mort qui est le temps durant
lequel l’âme achève de se séparer de ce monde, est particulièrement important
pour le défunt puisque c’est l’heure où se détermine d’une façon ultime son
destin éternel : pour les pécheurs, après un temps entre ce monde et l’autre,
l’ultime planche du salut est donnée par la révélation glorieuse de l’humanité
sainte de Jésus venant accompagnée des saints et des anges et par la
possibilité d’un acte de conversion qui efface les péchés mortels. Au terme,
l’âme est fixée pour toujours dans l’amour de Dieu ou dans l’amour égoïste
d’elle-même. Il est donc particulièrement important de prier pour elle en cet
instant. Cette prière est rendue efficace auprès d’elle de trois manières :
1° Avant la parousie du Christ, si l’âme est
restée à demeure dans le shéol d’errance, la prière des habitants de cette
terre vient les visiter comme dans une prison et peut produire parfois, selon
le degré de leur évolution intérieure, une accélération de la prise de
conscience de leur état de mort spirituelle.
2° Au moment
de la parousie du Christ, les grâces de lumière et de tendresse données par
Jésus peuvent être augmentées pour rendre l’invitation à la conversion plus
intense.
3° Les vivants qui prient peuvent être
rendus présents de manière visible et sensible au point de participer avec
Jésus et les saints du Ciel à la Révélation de la gloire de Dieu et de sa
tendresse.
Solution 1 :
Les suffrages des vivants pour les défunts leur obtiennent par
mode de mérite la remise des dettes de peines dues pour les péchés accomplis
durant la vie terrestre. Mais ils peuvent obtenir pour eux bien d’autres
choses, par mode de prière c’est-à-dire à cause de la libéralité de Dieu qui
s’étend au delà de la stricte justice. C’est de cette façon là qu’il faut prier
pour les défunts au moment de leur mort car cette prière encourage leur âme à
se tourner d’une manière définitive vers le salut éternel. C’est pourquoi celui
qui offre ses prières pour une âme avant qu’elle ne soit jugée participe
instrumentalement à sa glorification éternelle.
Solution 2 :
Dieu est au delà du temps. Ce qui est accompli après la mort du
défunt lui est présent à l’heure de cette mort. Il peut donc se servir de cette
prière malgré son caractère tardif. Il arrive donc que, à l’heure de la mort,
un grand-père puisse voir la prière future de sa petite-fille non encore née.
Solution 3 :
Nul ne
peut être cause directe de la justification d’un autre. Cependant, il est
possible d’en être cause instrumentale aussi bien du côté de Dieu qui écoute la
prière de ceux qui l’aime que du coté de l’homme dont la volonté peut être
favorablement disposée au bien par l’exemple de la charité des disciples de
Jésus.
Solution 4 :
Les âmes du shéol ne sont pas en état de blasphème contre
l’Esprit, à cause de l’ignorance et de la grande faiblesse de leur condition
qui prolonge cette terre. C’est pourquoi ce temps a une utilité pour leur
salut. Elles sont en quelque sorte en prison. La prière des vivants constitue
pour elles une visite qui est d’autant plus efficace pour les tourner vers le
salut, que leur souffrance est profonde et leur désir éveillé.
Objection 1 :
Le purgatoire fait partie de l’enfer. Or, en enfer il n’y a
pas de rédemption. Le Psalmiste dit aussi : « Seigneur, qui vous louera en
enfer ? » Les suffrages sont donc inutiles aux âmes du purgatoire.
Objection 2 :
La peine du purgatoire est limitée. Si les suffrages l’expient en
partie, il pourrait donc se faire que leur multiplication l’expiât en totalité.
Le péché resterait donc totalement impuni, ce qui semble contraire à la justice
divine.
Objection 3 :
Les âmes sont retenues en purgatoire afin d’y être
purifiées et d’entrer ensuite dans le Royaume. Mais la purification doit porter
sur la chose même qui a besoin d’être purifiée. De ce chef encore, les
suffrages sont donc inutiles.
Objection 4 :
Si les suffrages étaient utiles aux âmes du purgatoire, ils
le seraient surtout à celles qui, de leur vivant, ont donné des ordres à cet
effet. Or, cela n’arrive pas toujours. Supposons un défunt qui a demandé tels
et tels suffrages dont l’acquittement eût suffi à satisfaire pleinement pour
ses péchés. Supposons encore que ces suffrages soient différés jusqu’à ce qu’il
ait subi toute sa peine ces suffrages ne lui serviront de rien. On ne peut pas
admettre qu’ils lui ont servi avant d’être acquittés ; et, quand ils le sont
enfin, lui-même n’en a plus besoin. Les suffrages sont donc inutiles aux âmes
du purgatoire.
Cependant :
Saint Augustin déclare que les suffrages sont utiles à ceux
qui ne sont ni tout à fait bons, ni tout à fait mauvais. Telles sont bien les
âmes du purgatoire. Denys dit aussi que « le prêtre de Dieu quand il prie
pour les défunts, prie pour ceux qui ont vécu saintement, mais auxquels la
fragilité humaine a fait contracter quelques souillures. »
Conclusion :
Les peines du purgatoire ont deux buts : 1° faire disparaître les
restes du péché qui sont des habitus vicieux de l’âme encore fière et qui
ralentissent le mouvement de la charité ; 2° payer la dette satisfactoire pour
les péchés qui ont été accomplis sur cette terre, selon cette parole de Jésus :
« Il ne sortira pas de prison avant qu’il n’ait rendu jusqu’au dernier sou. »
En ce qui
concerne le premier, nul ne peut satisfaire pour un autre car il appartient à
chacun de détacher son âme de tout reste d’attachement à elle-même. Les prières
satisfactoires ne peuvent avoir pour les défunts qu’un rôle dispositif, en tant
qu’elles leur manifestent en acte la grandeur de la vertu de charité.
En ce qui
concerne la dette qui doit être payée pour rétablir l’ordre détruit par le
péché, nous avons montré que les œuvres satisfactoires des uns peuvent servir à
d’autres, vivants ou morts à cause de la communion des saints par la charité.
Sans aucun doute, les suffrages des vivants peuvent être utiles aux âmes du
purgatoire à tel point qu’ils peuvent supprimer complètement cette dette et
hâter leur entrée au paradis.
Solution 1 :
Il est
question ici de l’enfer des damnés, où il n’y a "pas de rédemption"
pour ceux qui y sont envoyés définitivement.
On peut encore, comme le fait saint Damascène, entendre ces textes
par rapport aux causes secondes, c’est-à-dire, ici, par rapport à ce qu’ont
mérité ceux qui sont ainsi punis. Mais, si l’on regarde plus haut, la divine
miséricorde qui ne s’arrête pas à ce que les hommes ont mérité, peut
quelquefois en décider autrement, par égard pour les prières des justes. « Dieu,
dit saint Grégoire, ne modifie pas son dessein, mais il peut modifier sa
sentence. » Saint Damascène en donne pour exemples les Ninivites, Achab et
Ezéchias, où l’on voit la sentence divine changée par la divine miséricorde.
Solution 2 :
On peut parfaitement admettre que la multiplication des suffrages
réduise à néant la peine du purgatoire en tant qu’elle est satisfactoire pour
les péchés antérieurement commis. Mais il ne s’ensuit pas que le péché reste
impuni, puisque les œuvres satisfactoires faites à l’intention d’un défunt sont
justement regardées comme faites par lui-même. Cependant, il demeure à
accomplir par le défunt lui-même la purification des restes du péché dans son
âme. Il lui faut donc passer par un feu purificateur que nul autre ne peut
prendre sur lui.
Solution 3 :
Le suffrage pour les âmes du purgatoire porte sur le payement de
la dette sans laquelle elles ne peuvent entrer au Ciel. C’est ainsi que, si
l’âme est par ailleurs déjà purifiée de ses péchés véniels actuels et en état
de kénose, elle peut, grâce aux œuvres satisfactoires des vivants, entrer directement
dans la gloire de Dieu.
Solution 4 :
Si
quelqu’un n’exécutait pas les prières et les œuvres selon les dernières
volontés d’un mourant, il pourrait lui faire tort. En effet, la dette de peine
resterait à payer par le défunt lui-même ce qui prolongerait son purgatoire. Il
est donc nécessaire aux vivants de veiller offrir les prières, les aumônes et
les sacrifices pour les âmes des défunts au temps voulu. Il faut cependant se
rappeler que tout ce domaine des satisfactions de la dette de peine n’est pas à
prendre à la manière rigoureuse d’une justice de comptabilité. Dieu est au delà
de ces dettes dont l’obligation est liée à l’éducation des pécheurs. Ainsi, le
Christ a satisfait amplement pour tous. De même les prières, même si elles sont
offertes des années après l’entrée au Ciel d’une âme, lui sont tout de même
utiles puisque Dieu qui est au delà du temps, lui en a appliqué le bénéfice au
moment ou il en avait besoin. Quant aux suffrages dont il n’avait pas besoin,
ils sont offerts par Dieu au bénéfice d’autres âmes, par exemple pour celles
qui n’ont personne sur terre qui prie pour elles.
Objection 1 :
Les enfants morts sans baptême sont dans un état qui les empêche
d’entrer dans la gloire puisque, après cette vie, le temps d’obtenir la grâce
est passé. Il est donc inutile de prier pour eux.
Objection 2 :
Saint
Augustin déclare que les suffrages sont inutiles à ceux « qui ont quitté
ce monde sans avoir la foi qui opère par la charité. » Or les enfants morts
sans baptême sont dans ce cas puisqu’ils n’ont pas été justifiés par le don de
la grâce. Donc les suffrages pour eux sont inutiles.
Cependant :
C’est une
tradition de la part de l’Église d’admettre que les enfants morts nés, qui
n’ont pas reçu le baptême d’eau mais dont les parents auraient désiré si cela
avait été possible pour eux ce baptême, sont sauvés. Ce qui est possible pour
ces enfants-là, bien qu’ils n’aient pas été baptisés, l’est pour tous. Donc il
faut prier pour les enfants morts sans baptême.
Conclusion :
Nous avons
montré que, en stricte justice, les enfants morts sans baptême ne méritent pas
d’être introduits dans la gloire du Ciel puisque Adam et Ève ont pris sur eux
la responsabilité de les séparer de Dieu. Cependant, ce choix des premiers
parents peut être annulé par le choix des parents terrestres de l’enfant, qui
s’engagent en son nom dans la foi qui opère par la charité. Cela peut être
réalisé par le baptême de l’eau ou par le baptême de désir. Cependant, si les
parents terrestres viennent à manquer à leur devoir par négligence ou par
ignorance, un autre peut y remédier à cause de la communion de la charité qui
fait que chacun peut être pour un autre "une mère, un frère"[1067].
Il est donc nécessaire de prier pour les enfants morts sans baptême en désirant
pour eux le pardon du péché originel, la communication de la grâce et de la vie
surnaturelle[1068].
Celui qui agit ainsi pour un enfant abandonné de tous, devient d’ailleurs et
pour toujours, son père ou sa mère selon l’esprit puisqu’il lui a obtenu, dans
le passage de la mort, le don de la vie surnaturelle.
Solution 1 :
Après
cette vie, c’est-à-dire
une fois entré dans l’autre monde, le temps d’obtenir la grâce est passé
puisque les hommes ont vu le Christ glorieux et ont posé leur choix définitif.
Ils arrivent donc dans l’autre monde en état de péché mortel parfait,
c’est-à-dire de blasphème contre l’Esprit Saint ou en état de grâce.
Il en est
de même pour les enfants pour qui la grâce du baptême est communiquée, comme
c’est le cas pour tous les hommes, en cette vie ou au moment de la mort,
comme nous l’avons dit.
La prière
de leurs parents leur est donc particulièrement utile car c’est elle qui,
habituellement et de droit, leur obtient la vie surnaturelle. S’il arrive que
sa mère ou son père ne demandent pour lui le baptême que bien longtemps après
sa mort, leur prière est tout de même efficace car Dieu, qui est au-delà du
temps, peut appliquer ses grâces en vertu d’un mérite à venir comme il l’a fait
pour les hommes d’une façon habituelle avant la venue du Christ lorsque l’ange
les visitait, et pour la Vierge Marie dans sa conception immaculée.
Solution 2 :
Les enfants morts avec le baptême d’eau, comme les enfants morts
avec le baptême du désir des saints n’ont pas une foi qui est par elle-même
opérante puisque leur état d’enfance les empêche d’exercer par un acte
volontaire l’habitus de foi et de charité reçus avec le baptême. Leur foi n’est
donc opérante qu’à travers celle de leurs parents spirituels, c’est-à-dire dans
celle de ceux qui désirent pour eux le baptême. En conséquence, les enfants ont
à vivre un temps qui n’appartient ni tout à fait à ce monde, ni tout à fait à
l’autre et où ils sont progressivement éduqués par les saints jusqu’à ce qu’ils
soient capables d’un choix véritablement libre. Il y a donc pour tous les
enfants trois étapes : 1° celle de l’absence de grâce entre leur conception et
leur baptême ; 2° celle de la grâce sanctifiante communiquée par le
baptême ; 3° puis celle du choix de la gloire proposée par la parousie du
Christ.
Objection 1 :
Nous lisons dans une oraison de la messe de saint André : « De
même que les saints mystères servent à la gloire de vos saints, de même
puissent-ils servir à notre guérison. » Or, le mystère de l’autel est le
premier de tous les suffrages.
Objection 2 :
« Les sacrements réalisent ce qu’ils
symbolisent. » Or, la troisième partie de l’hostie, qui est déposée dans le
calice, symbolise les âmes bienheureuses.
Objection 3 :
Les élus ne se réjouissent pas seulement de leur propre bien, mais
encore du bien des autres, ainsi qu’il est dit dans saint Luc : « II y a de la
joie aux anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence. » Les bonnes
œuvres des vivants procurent donc un accroissement de joie aux âmes qui sont au
Ciel.
Objection 4 :
« Si les païens, dit saint Damascène, brûlent avec les morts ce qui
leur appartenait, combien plus, ô fidèle, dois-tu faire suivre le fidèle défunt
de ce qui était à lui, non pour réduire ces objets en cendres mais pour les
faire servir à une plus grande gloire : si c’est un pécheur qui est mort, afin
que la dette soit payée ; si c’est un juste, afin que la récompense soit donnée.
»
Cependant :
1° Saint Augustin dit : « L’Église regarde
comme une injustice de prier pour un martyr, aux prières duquel nous devons
nous recommander. »
2° On ne peut aider que celui qui est dans
le besoin. Mais les élus ne manquent absolument de rien. Les suffrages de l’Église
ne peuvent donc les aider.
Conclusion :
Par sa
nature même, le suffrage est une assistance, qui ne convient donc en aucune
façon à qui ne manque de rien : seul, l’indigent peut être assisté. Dès lors,
puisque les saints du Ciel ne connaissent plus aucune indigence, « enivrés
qu’ils sont des délices de la maison du Seigneur », ils n’ont que faire des
suffrages.
Solution 1 :
Ces expressions ne doivent pas s’entendre d’un profit que
retireraient les saints de la célébration de leurs fêtes : le profit est pour
nous qui célébrons plus solennellement leur gloire, tout de même que, du fait
que nous connaissons et louons Dieu et que, d’une certaine manière, sa gloire
augmente en nous, Dieu n’y gagne rien, c’est nous qui y gagnons.
Solution 2 :
Sans doute, les sacrements "réalisent ce qu’ils symbolisent »
; cependant ils ne réalisent pas tout ce qu’ils symbolisent : autrement, comme
ils symbolisent le Christ, il faudrait donc dire qu’ils réalisent quelque chose
en lui, ce qui est absurde. Mais, par la vertu du Christ, ils réalisent ce
qu’ils signifient dans celui qui les reçoit. Ainsi, le sacrifice offert pour
les fidèles défunts n’est pas utile aux saints, mais, par le mérite des saints
qui sont commémorés ou signifiés dans la célébration, il est utile à ceux pour
qui il est offert.
Solution 3 :
Les saints du Ciel se réjouissent de tous nos biens. Cependant, la
multiplication de nos joies n’augmente la leur que matériellement. En effet
l’augmentation essentielle ou formelle d’un sentiment dépend de la nature même
de son objet. Or, l’objet unique de la joie universelle des saints, c’est Dieu
lui-même, et cette joie est invariable : car, si elle ne l’était pas, leur
récompense, dans ce qu’elle a d’essentiel, varierait, puisqu’elle consiste en
cette joie même. Dès lors, la multiplication des biens, dont Dieu est pour eux
l’unique raison de se réjouir, ne leur donne pas nécessairement une joie plus
intense, mais seulement plus étendue. On ne peut donc pas dire non plus que nos
bonnes œuvres les aident.
Solution 4 :
Les
suffrages obtiennent que la récompense soit donnée non pas au juste lui-même,
mais à celui qui les fait. À moins de dire qu’ils contribuent à la récompense
d’un fidèle défunt dans la mesure où, de son vivant, il a fait l’acte méritoire
de les solliciter.
Objection 1 :
Une peine doit s’expier par une peine. Or, le jeûne est plus
pénible que l’aumône ou la prière. Il est donc aussi un suffrage plus efficace.
Objection 2 :
Ces trois suffrages énumérés par saint Augustin semblent
insuffisants puisque saint Grégoire y ajoute un autre : « Les âmes des défunts,
dit-il, sont délivrées par les oblations des prêtres, les prières des saints, les
aumônes de leurs amis, le jeûne de leurs proches. »
Objection 3 :
Le baptême est le principal des sacrements surtout par l’effet
qu`il produit. Il devrait donc - et on en peut dire autant des autres- être
utile aux défunts autant ou même plus que le sacrifice de l’autel.
Objection 4 :
La même conclusion, pour ce qui est du baptême, n’est-elle pas
suggérée par ce texte de Paul[1069]
: « Si les morts ne ressuscitent en aucune manière, pourquoi y en a-t-il qui se
font baptiser pour eux ? »
Objection 5 :
Quelle que soit la messe, c’est le même sacrifice. Si l’on compte
parmi les suffrages le sacrifice et non la messe, il semble que n’importe
quelle messe, de la Sainte Vierge, du Saint Esprit ou toute autre, soit
également utile aux défunts, ce qui est contraire aux décisions de l’Église qui
a institué une messe spéciale à leur intention.
Objection 6 :
Saint
Damascène enseigne que « les cierges et l’huile », etc., sont offerts à
l’intention des défunts. Il faut donc ajouter ces oblations à celle du
sacrifice de l’autel.
Conclusion :
La
condition de l’utilité des suffrages, c’est l’union de charité et la direction
d’intention entre les vivants et les défunts. Les œuvres les plus utiles sont
donc celles qui contiennent davantage de l’une ou de l’autre. À la charité se
rapporte principalement le sacrement de l’Eucharistie, qui est le sacrement de
l’unité entre les membres de l’Église, puisqu’il contient celui qui fait
l’unité et la solidité de l’Église tout entière, c’est-à-dire le Christ.
L’eucharistie est donc comme la source ou le lien de la charité. Quant aux
effets de celle-ci, le principal, c’est l’aumône. Si donc on envisage les
suffrages au point de vue de la charité, les deux qui ont le plus de valeur,
c’est le sacrifice eucharistique et l’aumône. D’autre part, si l’on regarde
l’intention, la première place revient à la prière car, par sa nature même,
elle n’est pas seulement en relation avec celui qui la fait, mais, encore plus
directement que tout autre suffrage, avec celui pour qui elle est faite. C’est
pourquoi ces trois suffrages sont les trois principaux moyens d’assister les
défunts, sans dénier pour autant leur utilité propre à toutes les autres bonnes
œuvres faites, en état de grâce, à l’intention des âmes du purgatoire. Car,
rappelons-le, c’est la charité et non les œuvres dans leur matérialité qui est
source de vie.
Solution 1 :
Dans l’œuvre satisfactoire faite pour un défunt, et qui ne lui est
utile que si elle lui devient en quelque sorte personnelle, ce qui effectue
cette transmission a plus d’importance que l’œuvre elle-même ; Encore que
celle-ci, dans la mesure où elle est afflictive et donc médicinale, puisse
expier davantage les péchés de celui-là même qui la fait. Les trois suffrages
que nous avons dits sont donc utiles aux défunts plus encore que le jeûne.
Solution 2 :
Le jeûne peut être utile aux défunts par la charité et la
direction d’intention ; mais ces deux conditions lui sont, pour ainsi dire,
extérieures. C’est la raison pour laquelle saint Augustin ne l’a pas compté
parmi les principaux suffrages quoique saint Grégoire l’ait fait.
Solution 3 :
Le baptême est une naissance, dans l’ordre spirituel Or, de même
que c’est le seul nouveau-né qui vient au monde, de même, c’est au seul baptisé
que le baptême est utile, par l’œuvre opérée : quoique, par l’œuvre opérante de
celui qui donne ou de celui qui reçoit le baptême celui-ci, comme toute œuvre
méritoire, puisse être utile à d’autres. Mais l’eucharistie est le symbole de
l’union entre tous les membres de l’Église ; Aussi, en vertu de l’œuvre opérée
elle-même, son efficacité est communicable ; Ce qui n’a pas lieu pour les
autres sacrements.
Solution 4 :
La Glose
donne deux interprétations de ce texte de saint Paul. » Si les morts ne doivent
pas ressusciter, le Christ n’est pas non plus ressuscité. Pourquoi donc se
font-ils baptiser pour eux ? » c’est-à-dire pour leurs péchés, puisque ceux-ci
ne sont pas remis si le Christ n’est pas ressuscité. » En effet, la
résurrection du Christ opère en même temps que sa passion, puisqu’elle est, en
quelque manière, la cause de notre résurrection spirituelle.
La seconde interprétation est celle-ci : « Il y eut des ignorants
qui se faisaient baptiser pour ceux qui étaient morts sans baptême, croyant que
cela leur serait utile. » C’est simplement cette erreur que mentionne l’Apôtre.
Solution 5 :
Dans la messe il n’y a pas seulement le sacrifice, mais encore des
prières, c’est-à-dire deux des trois principaux suffrages énumérés par saint
Augustin. Au point de vue du sacrifice, qui est la partie principale de la messe,
celle-ci, quelle qu’elle soit par ailleurs, a toujours la même valeur pour les
défunts. Mais, au point de vue des prières, plus utile est la messe qui
contient des prières spéciales pour les défunts. Cependant, l’infériorité d’une
messe qui n’est pas celle des morts peut être compensée par la dévotion plus
grande de celui qui la célèbre ou la fait célébrer, comme aussi par
l’intercession du saint dont les suffrages y sont plus spécialement sollicités.
Solution 6 :
Cette
oblation de cierges ou d’huile peut servir aux défunts à titre d’aumône : elle
est, en effet, destinée au culte ou encore à l’usage des fidèles.
Objection 1 :
L’affirmative n’est-elle pas autorisée par la coutume de l’Église
de faire prêcher la croisade et d’accorder à celui qui prend la croix
l’indulgence pour lui-même et deux ou trois et même dix personnes, vivantes ou
défuntes.
Objection 2 :
Le mérite de l’Église tout entière a plus de valeur que celui d’un
seul fidèle. Or, un acte personnel méritoire, par exemple, une aumône peut être
utile aux défunts. Donc, a fortiori,
les indulgences, qui représentent les actes méritoires de l’Église, doivent
l’être.
Objection 1 :
Les indulgences sont utiles aux membres de l’Église. Or, les âmes
du purgatoire appartiennent à l’Église ; autrement, aucun suffrage ne leur
servirait.
Cependant :
Une indulgence n’est efficace que si elle est accordée pour une
cause juste et spécialement pour une bonne œuvre utile à l’Église. Or, les
défunts ne peuvent plus rien faire et ne peuvent donc pas mériter d’indulgence.
2° La portée des indulgences dépend de celui
qui les accorde. Il pourrait donc, à supposer qu’elles soient utiles aux
défunts, accorder à un défunt une indulgence équivalente à une expiation
totale ; ce qui est absurde.
Conclusion :
Une indulgence peut être utile de deux manières : Principalement
et directement, à celui qui la reçoit, c’est-à-dire qui accomplit l’œuvre pour
laquelle elle est accordée, par exemple, un pèlerinage au tombeau d’un saint.
Cette manière est évidemment incompatible avec la condition des défunts.
Une indulgence peut être utile secondairement et indirectement à
celui en faveur duquel elle est gagnée par un fidèle qui accomplit l’œuvre prescrite.
Mais cette utilité dépend de la formule même de l’indulgence. Si la formule est
celle-ci : « Celui qui fera telle ou telle chose gagnera tant d’indulgence », l’indulgence
demeure strictement personnelle, car l’Église seule a le droit d’attribuer les
suffrages communs d’où les indulgences tirent leur valeur. Si, au contraire, la
formule est celle-ci : « Si quelqu’un fait telle ou telle chose, quelconque de
sa famille, détenu en purgatoire, recevra tant d’indulgence », l’indulgence
n’est plus réservée aux vivants, mais applicable aux défunts. En effet, puisque
l’Église a le pouvoir de faire participer, pendant leur vie, les fidèles aux
mérites communs, source des indulgences, il n’y a aucune raison de lui refuser
celui de les y faire participer, après leur mort. Il ne s’ensuit pourtant pas
que le supérieur ecclésiastique puisse délivrer à son gré les âmes du
purgatoire, puisque les indulgences ne sont efficaces que s’il existe une
raison légitime de les accorder.
Objection 1 :
Saint Athanase dit : « Quoique l’âme de celui qui est mort
pieusement se soit envolée, ne laisse pas de faire brûler de l’huile et des
cierges à son tombeau ; car ces pratiques, accompagnées de prières, sont
agréables à Dieu et grandement récompensées par lui. »
Objection 2 :
Saint Augustin dit aussi : « Une piété respectueuse rendait les
derniers devoirs aux justes d’autrefois, célébrait leurs obsèques, leur préparait
un tombeau ; eux-mêmes, de leur vivant, exprimaient à leurs fils leur volonté à
cet égard. » C’est donc que toutes ces choses ont leur importance et leur
utilité pour les défunts.
Objection 3 :
Quiconque reçoit une aumône en profite. Mais ensevelir les morts
est regardé comme une espèce d’aumône. » Au témoignage de l’ange Raphaël,
Tobie, en donnant la sépulture aux morts, se concilia la faveur divine. »
Objection 4 :
On ne saurait dire que la dévotion des fidèles soit vaine. Or, par
dévotion, certains désirent être enterrés dans des lieux saints.
Objection 5 :
Dieu est plus porté à pardonner qu’à punir. Or, « les pécheurs,
dit saint Grégoire, en se faisant ensevelir dans les églises, ajoutent à leur
condamnation au lieu de contribuer à leur délivrance. » Donc, au contraire et a fortiori, le lieu et les circonstances
de leur sépulture sont utiles aux justes.
Cependant :
Saint Augustin déclare que « tout ce que l’on fait pour le
corps des défunts ne leur sert de rien pour la vie éternelle, mais n’est qu’un
devoir d’humanité. »
2° Saint Grégoire parle dans le même sens : «
La célébration des funérailles, la condition de la sépulture, la pompe des
obsèques, sont une consolation pour les vivants plutôt qu’un secours pour les
défunts. »
3. « Ne craignez pas, disait Jésus, ceux qui tuent le corps,
et qui après cela ne peuvent rien faire de plus. » Or, il arrive qu’ils
refusent la sépulture à leurs victimes, comme on le rapporte de certains
martyrs de l’Église de Lyon. L’absence de sépulture ne nuit donc pas aux
défunts, et les cérémonies de la sépulture ne leur servent pas davantage.
Conclusion :
La pratique d’ensevelir les morts a été motivée par une double
utilité. -L’une pour les vivants : quant au corps, pour qu’il ne soit ni
offensé ni incommodé par la vue et l’odeur des cadavres ; Quant à l’âme, pour
affirmer et confirmer la foi au dogme de la résurrection. -L’autre pour les
défunts : en même temps que l’on voit leurs tombeaux, on évoque leur souvenir
et l’on prie pour eux. C’est même de là que vient le nom de « monument », d’après
saint Augustin : monere avertir, mentem, l’esprit, faire penser à
quelqu’un ou à quelque chose. Les païens se trompaient en croyant que la
sépulture était nécessaire pour assurer aux âmes le repos qu’ils jugeaient
impossible pour elles, jusqu’à ce que leur corps ait été enseveli ; ce qui est
le comble du ridicule et de l’absurde.
La sépulture dans un lieu consacré à un saint peut être utile aux
défunts, non par l’œuvre opérée, mais par l’œuvre opérante, ce qui signifie que
l’utilité ne vient pas du fait même d’y être enseveli, mais du patronage et de
l’intercession du saint auquel les défunts, ensevelis chez lui, ont été comme
confiés ou encore des prières plus fréquentes et plus spéciales que les
personnes, chargées du soin de ce sanctuaire, font pour les âmes de ceux dont
les corps y reposent.
Ce qui contribue à la richesse et à l’éclat d’une sépulture est
utile aux vivants, comme une espèce de "consolation » ; mais peut encore
être utile aux morts, du moins indirectement, parce que les spectateurs sont
excités à la compassion et à la prière ou encore parce qu’une partie des frais
est consacrée à soulager les pauvres à orner l’église, la sépulture devenant
ainsi une espèce d’aumône.
Solution 1 :
L’huile et les cierges apportés aux tombeaux peuvent être utiles
aux défunts indirectement, s’ils sont donnés à l’église ou aux pauvres ; ou
encore si on les fait brûler comme un hommage à Dieu, et s’ils méritent ainsi
le nom d’ "holocauste" qui leur est donné.
Solution 2 :
Les Patriarches s’occupaient de leur sépulture, afin de montrer
"que la Providence veille sur les corps des défunts : non parce qu’ils
conservent la moindre conscience, mais pour affirmer la foi à la résurrection
», comme le dit saint Augustin. C’est aussi pourquoi ils voulurent être ensevelis
dans la Terre promise où ils croyaient que devait naître et mourir le Christ,
dont la résurrection est cause de la nôtre.
Solution 3 :
Le corps faisant partie de la nature humaine, il est naturel à
l’homme de l’aimer : « Jamais personne n’a haï sa propre chair. » Il lui est
naturel aussi de s’inquiéter de ce que deviendra son cadavre, et s’il prévoyait
que celui-ci dût subir quelque indignité, il en souffrirait. Ceux donc qui
aiment quelqu’un, aiment aussi ce qu’il aime et traitent son cadavre avec
affection et respect. En effet, comme le dit saint Augustin, « si le vêtement
ou l’anneau ou un objet quelconque dont s’est servi leur père est d’autant
plus cher à ses enfants que ceux-ci l’ont aimé lui-même davantage, il est donc
défendu de mépriser ce corps qui nous est plus étroitement uni que n’importe
quel vêtement. » Aussi, lorsque, partageant les sentiments d’un défunt, on
rend à son corps les derniers devoirs, ce dont il est lui-même incapable, c’est
vraiment une aumône qu’on lui fait.
Solution 4 :
La dévotion qui pousse les fidèles à faire ensevelir les corps de
leurs chers défunts dans un sanctuaire n’est point vaine, parce qu’elle procure
à leurs âmes les suffrages du saint auquel ce sanctuaire est dédié.
Solution 5 :
Etre enseveli dans un lieu saint ne nuit à un défunt qui fut un
impie que s’il a recherché par vaine gloire cette sépulture dont il était
indigne.
Objection 1 :
On peut comparer les suffrages à des lumières. Or, une lumière
spirituelle est encore plus communicable qu’une lumière corporelle ; et
cependant celle-ci, un cierge, par exemple, quand elle est allumée pour
quelqu’un, éclaire également tous ceux qui sont avec lui, quoiqu’elle n’ait pas
été allumée pour eux.
Objection 2 :
Les suffrages « sont utiles aux défunts dans autre vie, dit
saint Augustin, autant qu’ils l’ont mérité, pendant qu’ils étaient en cette vie.
» Or, il y en a qui l’ont mérité bien plus que ceux-là mêmes auxquels les suffrages
sont destinés. L’utilité des suffrages est donc aussi pour eux.
Objection 3 :
Il y a une grande disproportion entre les riches et les pauvres,
par rapport aux suffrages. Si donc les nombreux suffrages assurés aux premiers
n’étaient pas en même temps utiles aux seconds, ceux-ci seraient dans une
condition d’infériorité qui semble incompatible avec la promesse évangélique
"Bienheureux vous qui êtes pauvres, car le royaume des cieux est à vous! »
Cependant :
1° La justice humaine se modèle sur la justice divine. Or, chez
les hommes, celui qui paye la dette de quelqu’un ne libère que lui. Donc, comme
les suffrages sont en quelque sorte le payement d’une dette, ils sont utiles,
aux défunts auquel ils sont destinés.
2° Les suffrages sont une satisfaction applicable
aux vivants aussi bien qu’aux défunts. Mais dans le premier cas, celui à qui
ils sont destinés est le seul à en bénéficier. Il en va donc de même, quand il
s’agit des défunts.
Conclusion :
Cette question a reçu deux réponses. Les uns, parmi lesquels le
Prévôtin, ont dit que les suffrages destinés à un défunt ne lui sont pas plus
utiles à lui-même, mais à d’autres plus dignes. Et ils en donnaient deux
exemples : celui d’un cierge qu’on allume pour un riche, et qui n’éclaire pas
moins ceux qui sont avec lui, et même davantage ceux qui ont de meilleurs yeux
; celui d’une lecture faite spécialement pour quelqu’un, et dont profitent tous
les auditeurs autant et même plus que lui, s’ils ont l’esprit plus ouvert. Et,
si on leur objectait la coutume approuvée par l’Église de prier spécialement
pour tel ou tel défunt, ils répondaient que cette manière d’agir avait pour but
d’exciter la dévotion des fidèles qui sont plus portés aux suffrages
particuliers qu’aux suffrages communs et prient avec plus de ferveur pour leurs
parents que pour des étrangers. – D’autres au contraire ont dit que les
suffrages sont plus utiles aux défunts pour qui ils sont destinés.
Chacune des deux propositions contient une part de vérité. En
effet, l’utilité des suffrages dépend de deux choses. D’abord de l’union de
charité qui fait que tous les biens sont communs à tous. À ce point de vue, les
suffrages destinés à un défunt sont cependant plus utiles à un défunt dont la
charité est plus grande. Ainsi considérée, l’utilité des suffrages consiste
moins en une diminution de la peine qu’en une certaine consolation intérieure,
qui vient de la joie causée à celui qui a la charité par les bonnes œuvres du
prochain. Après la mort, en effet, celles-ci malgré l’union de charité ne
peuvent plus comme en cette vie, nous obtenir la grâce ou l’augmenter en nous.
Elle dépend, en second lieu, de la direction d’intention, par
laquelle les œuvres satisfactoires passent d’un vivant à un défunt. À ce point
de vue, il est hors de doute que les suffrages destinés à un défunt lui sont
non seulement plus utiles qu’aux autres, mais ne le sont qu’à lui. La
satisfaction, en effet, a pour but direct et unique la remise de la peine.
Ainsi considérés les suffrages sont utiles à celui-là surtout auquel ils sont
destinés. Sur ce point, la seconde opinion est plus vraie que la première.
Solution 1 :
Les suffrages agissent à la façon de la lumière, lorsqu’ils
parviennent aux défunts pour leur apporter une certaine consolation d’autant
plus grande que leur charité l’est aussi. Mais, comme satisfaction transmise à
un défunt par l’intention d’un vivant, ce n’est plus à la lumière qu’il faut
comparer les suffrages, mais au payement d’une dette. Or, il n’y a aucune
raison, si l’on paye les dettes de quelqu’un, pour que celles d’autres
personnes soient payées du même coup.
Solution 2 :
Ce mérite personnel est en même temps conditionnel : ces défunts
ont mérité que les suffrages leur soient utiles, s’il en est qui leur soient
destinés ; et en d’autres termes, ils n’ont fait autre chose que de se disposer
à les recevoir. Il est donc clair qu’ils n’ont pas mérité directement d’être
secourus par des suffrages, mais ils se sont seulement, par les mérites acquis
de leur vivant, préparés à et en recevoir le fruit. Il ne s’ensuit donc pas que
ce mérite soit nul et de nul effet.
Solution 3 :
Rien n’empêche que les riches soient plus favorisés que les
pauvres, à un certain point de vue, par exemple, celui de l’expiation. Mais
cela n’est rien ou presque rien en comparaison de la possession du royaume des
Cieux, par rapport à laquelle les pauvres sont les favoris, d’après le texte
évangélique lui-même.
Objection 1 :
Celui pour qui est faite une lecture n’en perd rien si un autre en
profite. Il en va de même pour les suffrages ; et ainsi, s’ils sont destinés à
plusieurs défunts, chacun en bénéficie autant que s’ils lui étaient uniquement
destinés.
Objection 2 : Selon l’usage
commun de l’Église, nous voyons que, dans une messe célébrée à l’intention
particulière d’un défunt, on ajoute des prières pour d’autres défunts. Cette
pratique n’aurait pas lieu si elle devait tourner au détriment de celui pour
lequel la messe est célébrée. Il faut donc conclure comme ci-dessus.
Objection 3 :
La valeur des suffrages, des prières surtout, dépend de la
puissance divine. Mais le nombre de ceux par lesquels il accorde son secours
est indifférent à Dieu, aussi bien que le nombre de ceux auxquels il l’accorde.
Donc, chacun des défunts pour lesquels une prière commune est faite en
bénéficie tout autant que celui à l’intention spéciale duquel la même prière
serait faite.
Cependant :
1° Mieux vaut secourir plusieurs personnes
qu’une seule. Si donc le suffrage destiné à plusieurs défunts était aussi
utile à chacun que s’il lui était uniquement destiné, il semble que l’Église
n’aurait pas dû instituer des messes ou des prières à l’intention spéciale d’un
défunt, mais que les unes et les autres dussent toujours être offertes pour
tous les défunts, ce qui est évidemment faux.
2° L’efficacité d’un suffrage est limitée.
Divisé entre plusieurs défunts, il est donc moins utile à chacun que s’il était
attribué en entier à un seul.
Conclusion :
Si l’on considère dans les suffrages la valeur provenant de la
vertu de charité qui unit tous les membres de l’Église, la réponse est
affirmative : Les suffrages destinés à plusieurs défunts donnent à chacun
autant que s’ils étaient destinés à lui seul. Car la charité n’est pas
diminuée, mais plutôt augmentée, par la diffusion de ses bienfaits ; la joie,
elle aussi, s’accroît en se communiquant, comme le dit saint Augustin. Ainsi
donc, la bonne œuvre destinée à plusieurs défunts réjouit chacun d’eux tout
autant que si elle était faite pour lui seul.
Au contraire, si l’on considère le suffrage comme une satisfaction
dont la valeur est transmise aux défunts par l’intention des vivants, il faut
répondre que le suffrage destiné à un seul défunt lui est plus utile que s’il
lui était destiné et même temps qu’à d’autres : car, en ce cas, la justice
divine attribue à chacun une part seulement de la valeur satisfactoire totale.
On voit par là que cet article est un corollaire du précédent ; et
l’on voit aussi la raison des suffrages individuels dans l’Église.
Solution 1 :
Les suffrages, considérés comme satisfaction, ne sont pas utiles
en agissant, comme le serait un enseignement dont l’efficacité, et il en est
ainsi de toute action, est proportionnée aux dispositions de celui qui le
reçoit ; ils sont utiles en acquittant une dette, comme on l’a expliqué. La
comparaison est donc défectueuse.
Solution 2 :
On a dit que les suffrages destinés à un défunt sont, d’une
certaine manière, utiles à d’autres ; rien n’empêche donc d’ajouter à une messe
célébrée pour un défunt certaines prières pour d’autres défunts ; car on ne
prétend point par là détourner à leur profit la valeur satisfactoire du
sacrifice, mais seulement les secourir par ces prières faites à leur intention.
Solution 3 :
Il faut considérer dans la prière celui qui prie et celui qui est
prié : l’effet dépend de tous les deux. Sans doute le Dieu tout-puissant peut
aussi facilement pardonner à plusieurs qu’à un seul ; mais celui qui prie n’est
pas capable, par une même prière, de satisfaire autant pour plusieurs que pour
un seul.
Objection 1 :
Dans l’autre monde, chacun est traité selon ses mérites. Mais,
celui à oui aucun, suffrage spécial n’est destiné peut avoir mérité d’être
secouru, après sa mort, autant qu’un admire qui bénéficie de pareils suffrages
: Donc les suffrages communs lui seront, à eux seuls, tout aussi utiles.
Objection 2 : De tous les
suffrages de l’Église, le principal, c’est l’Eucharistie. Mais celle-ci, du
fait qu’elle contient le Christ tout entier, a une efficacité en quelque sorte
infinie. Une seule oblation du sacrifice eucharistique, à l’intention de tous
les défunts, suffit donc à leur délivrance plénière, et au suffrage commun ne
laisse à désirer le secours d’aucun suffrage particulier.
Cependant :
Deux biens sont meilleurs qu’un seul. Les suffrages spéciaux
ajoutés aux suffrages communs sont donc plus utiles à un défunt que ces
derniers seuls.
Conclusion :
La réponse dépend de celle qui a été donnée à l’article 14. Si les
suffrages destinés à un défunt en particulier sont utiles à tous sans
distinction, tous les suffrages sont communs ; dès lors, un défunt privé de
tout suffrage spécial est secouru, s’il en est également digne, tout autant que
celui auquel des suffrages sont spécialement destinés. Au contraire, si la
valeur des suffrages n’est pas attribuée indifféremment à tous les défunts,
mais d’abord et surtout à ceux qui et en sont les destinataires, il n’est pas
douteux que les suffrages spéciaux ajoutés aux suffrages communs ne soient plus
efficaces que ces derniers seulement.
C’est pourquoi le Maître des Sentences signalait deux opinions. La
première soutient que les suffrages communs omis pour le pauvre une valeur
égale à celle qu’ont pour le riche les suffrages communs et les suffrages
particuliers : ce dernier a des secours plus nombreux, mais qui ne sont pas
plus efficaces. -La seconde opinion admet que celui à qui sont destinés des
suffrages particuliers reçoit un pardon plus rapide, mais non pas plus entier,
puisque riche et pauvre seront, en fin de compte, entièrement délivrés.
Solution 1 :
Le secours apporté par les suffrages ne dépend pas directement et
absolument du seul mérite mais, pour ainsi dire, conditionnellement, comme on
l’a expliqué à la solution 2 de l’article 13.
Solution 2 :
La puissance du Christ contenu dans l’eucharistie est infinie,
mais son efficacité est orientée vers le défunt à l’intention duquel le saint
sacrifice est offert. Il ne s’ensuit donc pas nécessairement qu’une seule
oblation eucharistique expie toute la peine des âmes du purgatoire, pas plus
qu’elle n’opère, pour un vivant, la satisfaction totale pour les péchés qu’il a
commis la preuve en est que plusieurs messes sont parfois imposées en
réparation d’un seul péché.
On peut croire cependant que, par un effet de la divine
miséricorde, le surplus des suffrages particuliers surabondants pour ceux
auxquels ils sont destinés, est appliqué à d’autres défunts qui sont privés de
tels suffrages et qui ont besoin de secours. » Parce que Dieu est juste, dit
saint Damascène, il n’exige de la faiblesse que ce qu’elle peut donner ; parce
qu’il est sage, il trouve le moyen de combler les indigences » ; et ce moyen,
c’est de transférer ce que les uns ont de trop à d’autres qui n’ont pas assez.
Dès
avant la résurrection des corps, les âmes en qui ne se trouve aucun obstacle dû
au péché sont introduites dans la vision de l’essence divine. Et c’est cette
vision qui est la substance même de la vie éternelle, selon saint Jean : « La
vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le véritable Dieu. » À propos
du paradis, nous avons déjà étudié la Vision béatifique (Questions 1 à 7). Il
nous reste à étudier la condition des âmes glorifiées par rapport à elles-mêmes
et par rapport aux autres.
D’abord
quelques noms attribués par l’Écriture au paradis :
Cinq
questions se posent :
1° Le
paradis céleste est-il la même chose que le paradis terrestre d’Adam et Ève ?
2° Est-il
le royaume de Dieu ?
3° La
terre promise aux Hébreux ?
4° La
Jérusalem céleste ?
5° Le
festin des noces de l’agneau ?
6° Serons-nous
prêtres ?
Objection 1 :
Il
semble que l’on doive répondre par l’affirmative. Dans le paradis terrestre,
l’homme voyait Dieu selon cette parole de la Genèse[1074] : « Dieu se promenait dans le Jardin
à la brise du jour. » Or il s’agit là de la récompense essentielle du paradis
céleste.
Objection 2 :
Après
la résurrection des corps et la glorification du monde, on doit, semble t-il
affirmer que l’homme retrouvera le paradis perdu par Adam et Ève. Isaïe décrit
ainsi le monde renouvelé[1075] : « le loup habitera avec l’agneau, la
panthère se couchera avec le chevreau, le nourrisson jouera sur le repère du
serpent. » Or il en était ainsi dans le paradis terrestre. Donc le monde
renouvelé sera le paradis terrestre.
Objection 3 :
Genèse
dit[1076] : « Dieu bannit l’homme et il posta
devant le Jardin d’Eden les chérubins et la flamme vive du glaive fulgurant
pour garder l’arbre de vie. » Or dans le paradis céleste, l’homme aura l’arbre
de vie puisqu’il vivra éternellement. Il semble donc que l’Eden n’est autre
chose que le paradis céleste.
Objection 4 :
L’Apocalypse
de saint Jean semble l’enseigner puisqu’elle annonce le règne de mille ans du
Christ sur la terre.[1077]
Cependant :
Saint
Paul écrit[1078] : « Nous vous annonçons ce que l’œil n’a
pas vu, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. » Or l’œil de
l’homme a vu le jardin d’Eden. Donc le paradis est autre chose.
Conclusion :
Comme
nous l’avons montré, ce qui est à considérer comme essentiel dans le paradis
céleste, c’est la vision de l’essence divine qui est communiquée aux élus dès
avant la résurrection de leur corps. C’est pourquoi, pris sous ce point de vue,
il n’y a pas de différence fondamentale entre le paradis céleste avant et après
la résurrection de la chair. Les textes de l’Écriture qui le décrivent peuvent
donc être appliqués aux deux états.
De
même, pour distinguer le paradis terrestre de celui qui nous est préparé par
Dieu, il faut regarder en premier lieu le rapport de l’âme à Dieu. Or, au
paradis terrestre, l’homme ne voyait pas Dieu face à face comme le prouve le
fait qu’il a pu se détourner de lui par la suite. Il ne le contemplait que de
loin selon deux modes complémentaires : une contemplation naturelle par
laquelle, en regardant les créatures, il reconnaissait la sagesse et la bonté
du Créateur ; une contemplation mystique appuyée sur la supériorité de la grâce
originelle qui l’établissait dans une amitié très proche avec Dieu. Sa
béatitude naturelle était parfaite mais pas sa béatitude surnaturelle qui
restait à espérer. Il n’en est pas de même dans le paradis céleste où la
béatitude finale sera atteinte en plénitude. Donc le paradis céleste est tout
autre chose que le paradis terrestre de nos premiers parents.
Solution 1 :
La
Genèse ne veut pas parler ici de la vision de l’essence divine mais seulement
de la permanence de sa présence spirituelle et ressentie, à cause de la grâce
mystique reçue par Adam et Ève. Le bonheur du paradis terrestre était donc
inférieur à celui de la vision béatifique.
Solution 2 :
Ces
textes et ceux qui leur ressemblent sont des manières de parler pour exprimer
la paix totale qui règnera au paradis céleste. Et, même lorsque ces textes se
réaliseront au sens propre, il ne s’ensuit pas que le paradis céleste soit
semblable au paradis terrestre car, dans le jardin d’Eden, le loup mangeait
l’agneau et le serpent pouvait mordre. Seule une disposition divine protégeait
l’homme en l’harmonisant totalement avec la nature.
Solution 3 :
Dans
le paradis terrestre, l’homme était immortel en ce sens que Dieu aurait devancé
la faiblesse de sa nature et l’aurait pris dans sa gloire avec son corps, sans
qu’il ait à passer par la mort. Mais, à cause du péché originel, cette
assomption ne put être réalisée sauf dans la Vierge Marie qui fut exempte par
une grâce toute particulière de cette tâche originelle. Dans le paradis
céleste, après la résurrection du corps, l’immortalité sera due au rejaillissement
perpétuel de la vision béatifique qui transfigurera notre corps mortel en corps
de lumière.
Solution 4 :
Ce
texte de l’Apocalypse, interprété littéralement, a été l’objet d’une longue
controverse théologique. Pour finir, son interprétation authentique a été
établie par le Magistère romain de manière définitive dans sa condamnation du
Millénarisme : il s’agit de l’annonce prophétique d’une réalité de la grâce
qui, quelles que soient les épreuves rencontrées par un homme ou une Église,
demeure toujours présente au secours de la fidélité. Les mille années
symbolisent la stabilité du Seigneur qui n’abandonne jamais ses amis. Il n’y a
pas à voir dans ces mille ans un sens littéral.
Objection 1 :
Cela
ne semble pas. Jésus dit en effet[1080] : « le Royaume de Dieu est au milieu de
vous. » Or ses disciples n’étaient pas encore glorifiés. Donc le Royaume des
Cieux n’est pas le paradis.
Objection 2 :
Il
ne semble pas que les hommes règneront avec Dieu. "Le Christ remettra la
royauté au Père"[1081]. Il n’y aura donc qu’un seul roi qui sera
Dieu lui-même.
Objection 3 :
Le
Royaume de Dieu est présent partout jusqu’en enfer puisque rien ne peut se
faire dans le monde contre la volonté de Dieu. Donc le paradis ne peut être appelé
le Royaume de Dieu plus que l’enfer.
Objection 4 :
Dieu
n’habite pas plus dans le Ciel que sur la terre puisqu’il est omniprésent. Le
paradis ne doit donc pas être appelé Royaume des Cieux.
Cependant :
Jésus
appelle dans l’Évangile le paradis du nom de Royaume de Dieu, Royaume des Cieux
ou encore Royaume éternel.[1082]
Conclusion :
On
dit qu’un homme règne sur un pays quand sa volonté est maîtresse de l’ordre qui
y est établi. De même, l’homme règne sur lui-même quand il domine pleinement
l’empire de ses sens et dirige ses actions par le seul ordre imposé par son
intelligence. De ces deux manières, on doit dire que le paradis céleste sera le
Royaume de Dieu puisque la volonté de tous les hommes sera pleinement soumise à
la sienne au point que nul n’aura de volonté propre qu’en conformité à la
sienne. En un autre sens, le paradis peut être appelé Royaume en tant que
chacun y sera roi :
1° N’ayant qu’une seule volonté avec Dieu,
l’homme sera par participation source de l’ordre de l’univers. Il régnera donc
avec Dieu, selon le livre de l’Apocalypse.[1083]
2° Chaque homme étant unifié en Dieu, tous
auront la même volonté que lui. Ainsi chacun sera dit régner sur tous car tous
feront la volonté d’un seul.
3° Après la résurrection, l’homme sera
pleinement maître de son corps au point que le corps glorieux est appelé un
corps spirituel. Il règnera donc sur lui-même. De tout cela, on peut conclure
que le paradis sera véritablement une communauté de rois.
Solution 1 :
Dans
la mesure où l’homme est uni à Dieu par la charité, il commence à entrer en
possession de la royauté. C’est en ce sens que l’on peut dire que le royaume de
Dieu est déjà commencé sur la terre. Cependant, Dieu ne règnera pleinement sur
nos âmes que lorsque tout péché aura été détruit en nous.
Solution 2 :
Toute
royauté trouve son origine première en Dieu, donc dans le Christ. Ce n’est que
par participation que l’homme peut régner sur le monde. C’est pourquoi le dogme
solennel de la foi catholique enseigne, dans le Credo du pape Paul VI
(1968) : « Nous croyons que la multitude [des âmes] qui sont rassemblées
autour de Jésus et de Marie au paradis forme l'Église du ciel, où elles sont, à
des degrés divers, associées avec les saints anges au gouvernement divin
exercé par le Christ en gloire, en intercédant pour nous et aidant notre
faiblesse par leur sollicitude fraternelle. »
Solution 3 :
Rien
ne peut se faire dans le monde qui aille contre l’ordre général de la
Providence divine. Ainsi, même le péché est en un sens voulu par Dieu de même
que Dieu veut pour l’homme la liberté de se séparer de lui. Cependant, ce n’est
pas ainsi que Dieu règne au Ciel mais par l’union de la charité.
Solution 4 :
C’est
en un sens métaphorique que le paradis est appelé Ciel. Le Ciel évoque en effet
plusieurs choses :
1° la clarté puisqu’il est libre de
l’opacité de l’atmosphère terrestre.
2° L’inaccessibilité puisque nul ne peut y
monter par ses propres forces. Il en est de même pour la vie surnaturelle.
3° La stabilité puisque l’ordre des astres
semble immuable. De même, la vision de Dieu qui est l’essence de la béatitude
du Ciel est claire puisque Dieu est lumière, inaccessible puisqu’il dépasse
tout ce que l’homme peut concevoir, stable puisque nul ne peut être déchu de la
possession de la gloire.
Objection 1 :
La
terre promise n’est autre que le pays de Canaan. Il fut montré à Abraham puis
promis à Moïse qui envoya des espions s’assurer que le peuple était capable de
le conquérir. Il ne s’agit en aucune façon du royaume des Cieux.
Objection 2 :
C’est
avec une extrême violence que les Hébreux prirent possession de la Terre
promise, comme on le voit dans le livre de Josué : après avoir franchi le
Jourdain, ils commencèrent par détruire la ville de Jéricho, ne laissant
subsister en elle ni femme, ni enfant, ni vieillards. Ils détruisirent ensuite
une à une les places fortes du pays. Au contraire, le royaume de Dieu
appartient aux doux et aux humbles (kénose). Il se conquiert par la charité.
Objection 3 :
La
terre promise fut enlevée aux Hébreux par le roi de Babylone, puis par le
général romain Titus. Il ne peut en être de même pour le paradis céleste
puisque l’âme, une fois établie dans la vision béatifique, ne peut la perdre.
Donc la Terre promise ne symbolise pas le paradis céleste.
Cependant :
L’épître
aux Hébreux[1084] dit qu’ « Abraham vint
séjourner dans la terre promise par la foi. » Or c’est par la foi que l’on
rentre au paradis ; d’autre part, le Seigneur dit en saint Matthieu[1085] : « heureux les doux, ils possèderont la
terre » ; La Terre promise est donc bien la préfiguration du paradis céleste.
Conclusion :
Le
peuple Hébreu a été choisi par Dieu dès l’origine pour être signe aux yeux de
toutes les nations du projet de Dieu sur les hommes. C’est pourquoi ce n’est
pas seulement l’Écriture qui lui a été communiquée qui doit être regardée, mais
aussi toute l’histoire de cette nation. Cette histoire doit être prise selon un
sens spirituel. Ainsi, la Terre qui fut promise à Abraham, à Moïse puis à
toutes les générations juives par la suite et qui est matériellement la
Palestine, signifie en fait la promesse du paradis éternel où coulent le lait
et le miel, c’est-à-dire la plénitude de la béatitude divine. De même,
l’histoire de la conquête de cette terre a un sens moral qui expose la lutte
que l’homme doit mener contre le péché pour accéder à la gloire, selon Matthieu[1086] : « le royaume des Cieux appartient aux
violents et seuls les violents l’emportent. »
Solution 1 :
Ce
n’est pas au sens propre mais au sens eschatologique que doit être compris ce
texte biblique.
Solution 2 :
Prise
en un sens eschatologique et moral, l’histoire de la conquête de la terre de
Canaan signifie le combat spirituel qui oppose l’homme à son péché en vue de la
croissance du Royaume de Dieu en lui. Ainsi, le peuple hébreu dût commencer par
vivre en Egypte où il s’installa tout en y vivant un dur esclavage. L’Egypte
est le symbole de la vie terrestre où l’homme s’installe souvent, bien qu’il y
soit dans une perpétuelle et aliénante course après sa nourriture et sa survie.
Puis
le peuple hébreu dût traverser le désert. Ce passage, qui aurait dû être
rapide, dura 40 ans du fait de son impréparation. Il y découvrit par une longue
errance la vanité de son ancien attachement à l’Egypte. Ainsi en est-il du passage
de la mort, entre ce monde et l’autre, qui est initié par le sacrement des
malades, et dure normalement peu de temps. Il ne se transforme en séjour, le
shéol, que lorsque l’âme n’est pas assez détachée de ce monde où effrayée à
l’idée d’entrer dans la lumière de l’autre monde.
Puis
le peuple enfin purifié dût traverser le Jourdain, qui symbolise l’entrée dans
l’autre monde, la justification par la communication de la grâce et le bain du
baptême. Cela se produit au moment de l’apparition du Christ glorieux lorsqu’il
annonce son évangile.
Puis
le peuple détruisit la ville de Jéricho, cette ville forte entre toute et plus
ancienne que les autres. Elle symbolise la tentation d’orgueil présentée par
Lucifer lors de sa venue. Nous devons rejeter ce projet en nous en premier lieu
si nous voulons construire une vie spirituelle avec Dieu. La manière dont
Jéricho fut détruite, à savoir après en avoir fait sept fois le tour et avoir
soufflé dans les trompettes, symbolise que seule la grâce de Dieu peut nous
faire franchir cet obstacle indestructible pour nos forces humaines. De même,
l’anathème réalise sur tout ce qui était dans la ville signifie qu’il ne doit
rien rester dans le cœur de l’homme qui se rattache à l’amour désordonné de
soi. La ville de Jéricho ne fut jamais reconstruite car celui qui reconstruit
ce qui est orgueilleux, après l’avoir détruit par la conversion ne peut rester
dans la terre promise. Une telle œuvre de destruction du péché doit donc être
faite avec intransigeance, ce que symbolise la violence des conquêtes.
La
lente conquête du pays de Canaan symbolise le long chemin qui nous fait
détruire en nous les restes du péché, dans les purgatoires mystiques, jusqu’au
jour où, l’homme étant complètement purifié, il voit la gloire de Dieu emplir
le Temple de son âme.
Solution 3 :
La
terre promise ne symbolise pas seulement la possession parfaite de la béatitude
qui est réalisée dans la vision de l’essence divine. Elle signifie aussi sa
possession imparfaite par la grâce, qui est possible dès cette terre mais qui
peut être perdue par n’importe quel péché mortel.
Objection 1 :
Cela
ne semble pas. L’Écriture décrit Jérusalem comme le lieu de l’infidélité, qui
met à mort les prophètes au point que Jésus a pu dire[1087] : « Il ne convient pas qu’un prophète
meurt hors de Jérusalem. »
Objection 2 :
Jésus
fut crucifié hors de Jérusalem. Si cette ville devait symboliser en premier
lieu l’union à Dieu et le paradis céleste, n’aurait-il pas fallu qu’il souffrit
sa passion près du temple qui est le lieu de la présence divine ?
Objection 3 :
Selon
les prophéties de Jésus[1088], « Jérusalem sera foulée par les païens.
» Une telle peine infligée à la ville sainte semble évoquer davantage l’enfer
ou le purgatoire que le paradis céleste.
Cependant :
Le
livre de l’Apocalypse dit à propos du paradis[1089] : « Je vis la Cité Sainte, la Jérusalem
nouvelle, qui descendait du Ciel, de chez Dieu. J’entendis une voix clamer du
trône : Voici la demeure de Dieu avec les hommes. » Donc le paradis est la
Jérusalem céleste.
Conclusion :
La
ville de Jérusalem, regardée selon un sens spirituel, symbolise en premier lieu
le cœur de l’homme. Quand Jérusalem est sainte, le temple de Dieu est placé au
centre des honneurs et des attentions du peuple qui y offre les différents
sacrifices exigés par la loi. Quand Jérusalem oublie Dieu et néglige le temple,
elle tue les prophètes envoyés selon cette parole de Jésus [1090] : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tue les
prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés. » Elle est alors soumise à la
ruine physique par des armées étrangères qui détruisent le temple et massacrent
son peuple comme on le vit quarante ans après la passion de Jésus. De même, le
cœur de l’homme, lorsqu’il est soumis à Dieu au point que la charité est au
centre de son intention, s’épanouit dans de multiples grâces spirituelles. Au
contraire, s’il se sépare de Dieu par le péché mortel, il détruit l’édifice de
la grâce et mérite de subir les peines qui le ramènent dans la voie du salut,
selon Osée[1091] : « Je la conduirai au désert et je
parlerai à son cœur. » Ainsi, si l’on regarde l’histoire de Jérusalem, on voit
sous forme matérielle le récit des diverses joies et épreuves liées à la vie de
la grâce qui peuvent marquer la vie.
Après
l’entrée au Ciel, l’âme des élus se trouve parfaitement unifiée en Dieu au
point que nul péché ne peut plus subsister. La vision de l’essence divine est
source de la vie de l’âme et l’établit dans une stabilité et une béatitude
parfaite. C’est pourquoi le livre de l’Apocalypse décrit le paradis de la
manière suivante[1092] : « la ville peut se passer de l’éclat du
soleil car la gloire de Dieu l’a illuminée et l’agneau lui tient lieu de
flambeau ; elle est entourée d’un rempart ; elle resplendit comme une pierre
très précieuse. » Le paradis céleste est donc comparable à Jérusalem quand elle
est sainte.
En
un second sens, la Jérusalem terrestre peut symboliser la communauté des
croyants à savoir l’Église dans son chemin terrestre pis céleste. En cette
terre, l’Eglise vit des succès et subira des épreuves de plus en plus intenses
de la part des Antéchrists, jusqu’à connaître une destruction extérieure, une
kénose purifiante à l’image de Jérusalem. Après le jugement dernier, l’Église
symbolisée par la Jérusalem céleste sera sans mélange d’aucune corruption
puisque la charité y sera parfaite sans défaut.[1093]
Solution 1 :
En
tant que corrompue, Jérusalem symbolise le cœur de l’homme lorsqu’il s’éloigne
de Dieu et la communauté ecclésiale lorsqu’elle oublie de fonder son culte sur
la charité. Mais le paradis est décrit à travers la ville de Jérusalem
considérée dans sa sainteté.
Solution 2 :
Il
convenait que Jésus meure hors de Jérusalem qui est la ville sainte, puisqu’il
s’était fait pour nous péché, selon le prophète Isaïe. Comme le bouc émissaire,
il a pris sur lui dans sa passion le péché de tous les hommes et l’a effacé par
sa mort en dehors de la Ville sainte.
Solution 3 :
Les
épreuves provisoires infligées à Jérusalem manifestent le gouvernement de Dieu
sur l’homme qui est frappé de peines temporaires pour son péché. Mais ces
peines doivent conduire l’homme à s’humilier et à réformer sa vie. En ce sens
Jérusalem est le symbole du purgatoire de cette vie ou de celui qui est imposé
après la mort. Ainsi, Jérusalem foulée par les païens symbolise ce temps où
l’Alliance leur est donnée et enlevée au peuple juif qui l’a rejetée. Jérusalem
rendue aux juifs signifie ces derniers moments du monde où les nations
apostasieront et où les Juifs reprendront dans leur foi l’Alliance du Christ.
Objection 1 :
On
ne peut comparer le paradis céleste à des noces. Le mariage implique le corps ;
la vision béatifique est une joie spirituelle.
Objection 2 :
De
même, le plaisir qui accompagne le festin est lié à la nourriture et à la
boisson. Or, au paradis céleste, l’homme n’aura plus besoin de manger puisque
son corps sera devenu inaltérable.
Objection 3 :
Dans
le paradis céleste, Dieu sera vu face à face, dans son essence. Ce n’est donc
pas en tant qu’il s’est fait chair qu’il sera notre béatitude. On devrait donc
parler plutôt des noces de la Trinité avec notre âme.
Objection 4 :
Le
jour des noces, s’il est le plus émouvant, n’est pas toujours celui où l’amour
des époux est le plus fort puisqu’il n’est qu’un commencement. On aurait donc
du comparer le paradis au bonheur des époux qui sont restés fidèles et ont
grandi dans l’amour toute une vie.
Objection 5 :
Nous
avons montré que la substance du bonheur éternel serait la vision de Dieu. Or
la vision est dans l’intelligence. Elle ne doit pas être comparée à des noces
dont la joie est dans l’affectivité.
Cependant :
Jésus
annonce à ses disciples à la cène[1094] : « Je ne boirai plus de ce vin jusqu’au
jour où je boirai le vin nouveau dans le Royaume de Dieu. » De même, le livre
de l’Apocalypse dit[1095] : « Heureux les gens invités au festin
des noces de l’agneau. »
Conclusion :
Le
paradis céleste est comparable à des noces éternelles dont l’épouse serait
l’âme et l’époux Dieu lui-même et ceci pour plusieurs raisons :
1° À cause de l’amour fervent et englobant
tous les degrés de la vie affective (mystique, spirituel, sensible et physique)
qui unit souvent les jeunes époux et qui est comparable à la charité brûlante
qui unira l’âme à Dieu pour l’éternité, s’épanouissant dans une délectation
spirituelle parfaite.
2° À cause de la possession réciproque sur
leur corps que se donnent les époux le jour de leur mariage. Elle symbolise la
possession réciproque que l’âme aura de son Dieu au Ciel.
3° À cause de la joie des noces qui doit
être sans nuages comme le montre Jésus à Cana en apportant du vin nouveau avant
que les époux s’aperçoivent qu’il n’y a plus de vin. De même, au Ciel, la joie
et la paix seront sans mélange puisque les fruits du Saint Esprit seront donnés
en plénitude.
On
peut trouver une autre signification à ce mariage spirituel que représente le
paradis : l’épouse est la communauté des élus célébrant ses noces éternelles
avec Dieu. C’est pourquoi l’Église est souvent comparée par l’Écriture à une
épouse. Cette interprétation complète la première en manifestant qu’au Ciel,
les noces ne seront pas seulement entre l’âme et Dieu, mais aussi, à cause de
Dieu, celles de toutes les âmes entre elles. Ainsi seront réalisés en plénitude
les deux commandements qui n’en font qu’un : « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur
et tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Remarque
: Cette analogie des noces est la plus grande toutes celles qui sont utilisées
dans l'Écriture car elle est celle qui parle le plus directement de la cause de
l'entrée dans la Vision de Dieu, à savoir l'amour de charité.
Solution 1 :
Dans
le mariage, il y a deux choses à considérer :
1° Ce qui est essentiel et qui donne au
mariage d’exister, à savoir une union indissoluble des esprits, union en vertu
de laquelle les époux sont tenus de se garder une fidélité inaltérable. En ce
sens, la vision béatifique est comparable au mariage comme une analogie propre
puisqu’elle implique une charité dont la stabilité est confirmée pour
l’éternité. Toutes les perfections de l’amitié consommée sont réalisées dans
ces noces, par la vision, la délectation et la fruition comme nous l’avons dit.
2° Ce qui est la perfection seconde du
mariage et qui permet à l’amour de prendre son extension jusque dans le corps
et dans une œuvre commune, à savoir l’union sexuelle des époux, le don de la
vie et l’éducation à des enfants. En ce sens, le mariage humain exprime d’une
manière métaphorique la joie et la fécondité spirituelle du Ciel. Cependant
après la résurrection des corps, le plaisir de la vision de Dieu s’étendra
jusque dans la chair puisque le corps participera à la gloire de l’âme. Il y
aura donc un réel plaisir physique. Dès maintenant, les élus étant liés à leur
vie psychique, ils vivent intensément dans leur sensibilité la joie de leur
union à Dieu.
Solution 2 :
De
même que la nourriture soutient la vie du corps, de même Dieu sera le seul
soutien de la vie spirituelle de l’âme ; de même que le vin rend joyeux et
ivre, de même la vision de Dieu réjouira l’âme au delà de tout ce que l’on peut
imaginer sur terre. Elle fera disparaître dans le bonheur tous les anciens
soucis.
Solution 3 :
On
peut parler au sens propre des Noces de l’agneau puisque c’est le Verbe incarné
qui nous a obtenus d’entrer dans cette béatitude, à cause de la constance de
son amour qui nous a poursuivis pour nous unir à lui "alors que nous
étions encore pécheurs" selon saint Paul[1096]. Le Verbe s’est fait chair "pour
venir parler à notre cœur, nous qui étions dans le désert"[1097]. Mais, en tant qu’il s’unira à nous comme
un époux à son épouse, on doit parler des Noces de la Sainte Trinité avec notre
âme.
Solution 4 :
L’amour
des jeunes époux exprime mieux le bonheur du paradis céleste car il apparaît
extérieurement selon toute sa nouveauté et sa ferveur. De même, l’amour du Ciel
aura l’intensité perpétuelle d’éternelles fiançailles ; mais l’amour des époux
au terme d’une vie, quand il a su vaincre les épreuves du temps, peut mieux
exprimer la force indestructible de l’union des âmes avec Dieu au Ciel, selon
le cantique[1098] : « l’amour est fort comme la mort. »
Solution 5 :
Il
est vrai que la comparaison des noces exprime davantage la charité qui est au
commencement de la béatitude et qui y introduit, ainsi que celle qui est au
terme et qui s’épanouit dans la joie spirituelle, que la substance de la
béatitude elle-même qui est la vision de Dieu. Cependant, dans les noces
humaines, l’amour des époux est source pour eux d’une véritable connaissance
puisqu’elle permet d’atteindre ce qu’il y a de plus profond en l’autre. Et
cette connaissance affective peut exprimer d’une manière lointaine la
connaissance contemplative que nous aurons de Dieu dans la vision.
Objection 1 :
Cela
semble insensé : Le sacerdoce naturel de la créature humaine adorante, le
sacerdoce lévitique, le sacerdoce ministériel catholique et le sacerdoce de la
charité sont les quatre formes de sacerdoce données par Dieu sur la terre. Or
aucun d’entre eux ne pourra subsister : 1° Le sacerdoce naturel de Noé sera
transfiguré dans le face à face de la vision. Il n’existera plus comme ce qui
est provisoire s’efface devant le définitif ; 2° Le sacerdoce lévitique est
déjà disparu, remplacé selon l’épître aux Hébreux, par l’unique sacerdoce du
Christ où l’on n’offre plus des animaux mais le Christ et son âme conjointement
; 3° Le sacerdoce ministériel n’aura plus lieu de s’exercer puisque d’une part,
Dieu sera vu face à face par tous ce qui rendra inutile la consécration
eucharistique et, d’autre part, les fidèles ne pècheront plus ce qui rendra
superficiel le sacrement de pénitence. De même, les autres sacrements seront
inutiles ; 4° Enfin, le sacerdoce de la charité disparaîtra selon ses trois
fonctions : prophétique, puisque chacun sera instruit par Dieu directement ;
royale, puisque le Père sera le berger unique et sans intermédiaire de chacun ;
et sacerdotale, puisque nul n’aura plus à intercéder pour autrui, chacun étant
comblé de tous les biens en plénitude.
Objection 2 :
Le
sacerdoce ordonné disparaîtra nécessairement même dans son caractère : À
l’heure de la mort, le corps disparaît et enlève au prêtre la capacité de faire
les gestes et de prononcer les paroles sacramentelles.
Cependant :
Lorsqu’un
prêtre est ordonné, on lui redit les paroles de l’épître aux Hébreux[1100] : « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre
de Melchisédech. » D’autre part, l’Apocalypse de saint Jean nous décrit le
monde nouveau comme "un Royaume de prêtres pour Dieu le Père"[1101]. Ailleurs[1102], ce livre dit que nous serons
"prêtre de Dieu et du Christ. »
Conclusion :
Tout homme qui exerce un ministère
d’intermédiaire entre Dieu et un homme ou entre un homme et Dieu, exerce une
forme de sacerdoce. C’est même là la définition du prêtre : il porte devant
Dieu les prières de ceux pour qui il est mandaté et, réciproquement, il
communique aux hommes les réponses de Dieu. 1° Ce mandat
peut lui venir de la nature, comme on le voit pour les parents lorsqu’ils
prient pour leurs enfants ou leur enseignent le Créateur. Ce sacerdoce parental
implique éducation, (dimension prophétique), autorité (dimension royale) et
intercession (dimension sacerdotale). Il implique aussi des rites comme une
forme de bénédiction, une adoration en famille etc. C'est le sacerdoce naturel, exercé jadis
par Noé. 2° et 3° Ce mandat peut venir d’une parole de Dieu
suivie d’une reconnaissance du peuple comme on le voit dans les sacerdoces
lévitiques et chrétiens. 4°
Enfin, il existe un sacerdoce dont la source
vient du contact intime avec Dieu par la charité : celui qui vit
de son baptême parle à Dieu dans un cœur à cœur qui le dispose surnaturellement
à être intercesseur entre Dieu et les hommes. Il prie pour
eux et, à l’occasion en paroles ou par le modèle de sa vie, il enseigne aux
hommes qui est Dieu. Ce sacerdoce est commun à tous les fidèles et il est le
plus grand de tous puisque tout les autres ne sont permis et voulus par Dieu
que pour conduire les hommes à la charité théologale.
Pour savoir
maintenant si ces sacerdoces demeureront dans le paradis, il suffit de se
demander si nous aurons encore, selon ses diverses formes, à exercer auprès de
nos frères un rôle d’intermédiaire avec Dieu. Au Ciel, nous le verrons face à face et nous
serons unis à lui comme une épouse dans l’amour de son époux ; De plus, nous
serons parfaitement comblés au point qu’il n’y aura plus ni péché ni
souffrance. Il est donc évident qu’il n’y aura plus la nécessité d’une
intercession. C’est ce qu’exprime l’Apocalypse [1103] : « Ils se passeront d’une lampe pour
s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière. » Il est
évident que les parents n’auront plus à éduquer leurs enfants devenus adultes
dans la Vision béatifique communiquée après leur vie terrestre ; De même, il
sera inutile d’offrir à Dieu en sacrifice des animaux, chaque âme s’offrant
elle-même à chaque instant. Enfin, la présence réelle dans les voiles de
l’eucharistie sera remplacée par la présence sans voiles. Il est donc évident
que les sacerdoces passagers que nous aurons connus sur terre seront devenus
inutiles et n’existeront plus.
Par
contre, il restera une place pour le sacerdoce de la charité. Comme nous
l’avons montré, ce ne sera pas une place de nécessité comme sur la terre où
Dieu ne peut être connu qu’à travers des images humaines de sa présence. Ce
sera un sacerdoce de la gratuité du don mutuel. Etant unis à Dieu, chacun
parlera à Dieu et à son prochain. De même, chacun sera pour son prochain une
image unique de la beauté de Dieu, n’ajoutant que surabondance à l’unique
vision de face. Enfin, nous l’avons déjà montré, chacun obéira à son prochain,
réalisant ainsi dans sa perfection le vrai culte qu’attend le créateur. Ce sera
donc un Royaume d’intercesseurs, c’est-à-dire de prêtres, de rois et de
prophètes.
Solution 1 :
Nous
l’avons montré, les différents sacerdoces ministériels disparaîtront, n’ayant
plus de matière où s’exercer, sauf pour aider les créatures spirituelles en
marche vers leur salut, sur terre et au purgatoire. Par contre, le sacerdoce de
la charité subsistera dans son rôle spécifique d’intermédiaire entre Dieu et
les hommes, non par nécessité mais dans l’exercice perpétuel de la charité par
la délicatesse des intentions gratuites. Chacun au Ciel sera devenu comme Dieu
pour son prochain, étant uni à Dieu dans un amour exclusif.
Solution 2 :
Le
sacerdoce ordonné est reçu à travers un caractère sacramentel qui s’inscrit
dans l’intelligence pratique du prêtre : Celui-ci sait très concrètement qu’il
a reçu mandat de Dieu d’exercer certaines actions sanctificatrices. Dieu
s’engage en réponse à réaliser ce pour quoi le prêtre a été mandaté. Au Ciel,
chaque prêtre saura qu’il est prêtre et que, si Dieu le demandait, les paroles
cultuelles prononcées seraient efficaces. Chaque prêtre sera donc prêtre en la
racine du sacerdoce qui se situe dans son intelligence pratique mais non plus selon
l’exercice de ce ministère devenu inutile. De même, s’il arrive qu’il y ait un
prêtre en enfer, il se saura tel et le sera en effet. Cependant, s’il advenait
qu’un prêtre de l’enfer prononce les paroles consécratoires, elles ne seraient
pas suivies d’effet, Dieu ne répondant évidemment pas à une intention
explicitement et nécessairement blasphématoire. De plus, le temps de l’Église
en voie étant passé, ces paroles n’auront plus de la part du chef de l’Église,
c’est-à-dire du Christ, d’autorité sur l’Esprit Saint.
En
conclusion, on doit dire que le sacerdoce ministériel est éternel quant à son
caractère mais non quant à son effet cultuel.
Au sujet
de la condition des âmes glorifiées par rapport à elles-mêmes, nous verrons :
1° La connaissance et l’amour naturels
demeurent-ils dans les âmes béatifiées ?
2° Peuvent-elles pécher ?
3° Peuvent-elles progresser en béatitude ?
4° Souffrent-elles de l’absence du corps ?
5° Le corps physique est-il requis pour la
béatitude ?
6° Les degrés de béatitude doivent-ils être
appelés demeures ?
7° Les demeures diverses se
distinguent-elles selon les degrés de charité ?
Objection 1 :
Nous lisons dans la première épître aux Corinthiens : « Quand
viendra ce qui est parfait, ce qui est imparfait disparaîtra. » Mais la
connaissance et l’amour naturels sont imparfaits par rapport à la connaissance
et à l’amour des bienheureux. Ils doivent donc disparaître dans la béatitude.
Objection 2 :
Là où une seule chose suffit, le reste est superflu. Or la
connaissance et la dilection de la gloire suffisent aux âmes bienheureuses.
Connaissance et amour naturels sont donc superflus.
Objection 3 :
La même
puissance ne peut produire en même temps deux actes, pas plus qu’une ligne ne
peut se terminer, à l’une de ses extrémités, par deux points. Mais les anges au
Ciel sont toujours en acte de connaissance et d’amour béatifiques : Car la
félicité n’est pas un habitus, mais un acte. Il n’y a donc pas de possibilité
pour eux de connaître et d’aimer naturellement.
Cependant :
Tant que
demeure une nature, demeure aussi son opération. Or la béatitude ne détruit pas
la nature dont elle est la perfection. Elle n’enlève donc pas non plus la
connaissance et l’amour naturels.
Conclusion :
Les
rapports qui existent entre les principes d’opération, se retrouvent dans les
opérations elles-mêmes. Or il est manifeste que la nature est première par
rapport à la béatitude qui est seconde : car la béatitude ajoute à la nature.
D’autre part ce qui est premier doit toujours être sauf dans ce qui est second.
Il faut donc que la nature soit sauvegardée dans la béatitude. Et il en est de
même de l’acte naturel par rapport à l’acte béatifique.
Solution 1 :
La perfection que l’on acquiert enlève l’imperfection qui lui est
opposée. Mais l’imperfection de la nature n’est pas opposée à la perfection de
la béatitude ; elle lui est seulement sous-jacente. Ainsi l’imperfection de la
puissance est sous-jacente à la perfection de la forme : en sorte que ce n’est
pas la puissance qui est enlevée par la forme, mais la privation, laquelle
s’oppose à la forme. Semblablement l’imperfection de la connaissance naturelle
ne s’oppose pas à la perfection de la connaissance de la gloire : rien
n’empêche en effet de connaître quelque chose par divers moyens de
connaissance, les uns démonstratifs, les autres simplement probables. Ainsi
l’âme peut connaître Dieu par l’essence divine, ce qui relève de la
connaissance de la gloire ; et connaître Dieu par sa propre connaissance qui
appartient à sa connaissance naturelle.
Solution 2 :
Les conditions de la béatitude se suffisent à elles-mêmes, mais,
pour être, il leur faut les conditions naturelles, car aucune béatitude ne
subsiste par elle-même si ce n’est la béatitude incréée.
Solution 3 :
Deux
opérations d’une même puissance ne peuvent exister en même temps qu’à la
condition d’être ordonnées l’une à l’autre. Or connaissance et amour naturels
sont ordonnés à la connaissance et à la dilection de la gloire.
Objection 1 :
La béatitude n’enlève pas la nature, on vient de le dire. Or il
est de l’essence de la nature créée d’être déficiente. L’âme bienheureuse peut
donc pécher.
Objection 2 :
Les facultés rationnelles sont capables de se porter sur des
objets opposés l’un à l’autre. Or la volonté de l’âme ne cesse pas d’être une
faculté rationnelle. Elle peut donc se porter sur le mal comme sur le bien.
Objection 3 :
Choisir
entre le bien et le mal relève du libre arbitre lequel n’est pas diminué dans
l’âme du fait de la béatitude. L’âme bienheureuse peut donc pécher.
Cependant :
D’après
saint Augustin, c’est dans les saints du Ciel que se trouve cette nature qui ne
peut pécher.
Conclusion :
La
béatitude consiste à voir Dieu dans son essence. Or l’essence de Dieu, c’est
l’essence même de la bonté. L’âme qui voit Dieu se trouve donc par rapport à
Dieu comme celui qui ne le voit pas par rapport à l’idée du bien comme tel. Or
personne ne peut vouloir ou agir qu’en vue du bien, et il lui est impossible de
se détourner du bien comme tel. L’âme bienheureuse ne peut donc vouloir ou agir
qu’en se référant à Dieu, et par le fait même ne peut pécher d’aucune manière.
Solution 1 :
Toute nature bonne créée, considérée en elle-même, est déficiente.
Mais, unie indéfectiblement au bien incréé, comme il arrive dans la béatitude,
elle ne peut plus pécher, comme nous venons de le dire.
Solution 2 :
Les facultés rationnelles peuvent se porter vers des objets
opposés quand elles ne sont pas ordonnées naturellement à ces objets ; si leur
ordre aux objets est naturel, ceux-ci ne peuvent s’opposer. L’intelligence en
effet ne peut pas ne pas assentir aux principes naturellement connus ; et de
même la volonté ne peut pas ne pas adhérer au bien en tant que tel, car elle
est naturellement ordonnée au bien comme à son objet propre. La volonté de
l’ange peut donc se porter en beaucoup de cas vers des déterminations opposées,
faire ou ne pas faire ceci ou cela. Mais pour ce qui est de Dieu, vu comme
l’essence même de la bonté, il n’y a pas d’alternative possible : Quelles que
soient les déterminations opposées auxquelles l’âme se résout. Elle les choisit
toujours selon Dieu ; et par le fait même, il ne pèche pas.
Solution 3 :
Le libre arbitre se trouve, en regard des moyens qui mènent à la
fin, dans le même rapport que l’intelligence en regard des conclusions. Or
l’intelligence peut, selon les principes donnés, déduire diverses conclusions ;
mais elle commet une faute lorsque, pour parvenir à une conclusion, elle ne
tient pas compte de l’ordre imposé par les principes. De même le libre arbitre
peut choisir divers moyens, du moment qu’ils sont ordonnés à la fin ; et cela relève
de la perfection de sa liberté ; mais s’il opère un choix sans tenir compte de
l’ordre de la fin, il pèche et cela représente pour sa liberté un défaut. C’est
pourquoi la liberté des âmes qui ne peuvent pas pécher, est supérieure à la
nôtre parce que nous, nous sommes susceptibles de pécher.
Objection 1 :
La charité est principe de mérite. Mais,
dans les âmes, la charité est parfaite. Les âmes bienheureuses peuvent donc
mériter, et à mesure que croît leur mérite, leur béatitude qui en est la
récompense grandit. Ils peuvent donc progresser en béatitude.
Objection 2 :
D’après saint Augustin, « Dieu se sert de nous à la fois pour
notre utilité et aux fins de sa bonté. » Ainsi en est-il des âmes qu’il emploie
dans divers ministères spirituels. Elles prient pour nous et peuvent parfois
utiliser la puissance divine dont elle dispose pour nous aider. Or ces prières,
n’auraient aucune utilité pour elles si elles n’en retiraient du mérite et ne
progressaient en béatitude.
Objection 3 :
C’est une imperfection pour celui qui
n’est pas au sommet, de ne pouvoir progresser. Or les âmes ne sont pas au
sommet de la béatitude. Il y aurait donc pour eux une imperfection à ne pouvoir
progresser en béatitude.
Cependant :
A l’heure de la mort, lorsque le Christ
paraît dans sa gloire, l’âme ne peut que l’aimer de tout son cœur, de toute son
âme, de toute sa force, ou au contraire le rejeter de la même façon. Or ce qui
est plénier ne peut progresser. Donc les âmes, au sortir de ce monde et après
la parousie sortent de l’état de voie. Elles ne peuvent donc ni mériter par un
plus grand amour, ni progresser en béatitude.
Conclusion :
Dans tout mouvement, l’intention de
l’agent moteur est de conduire le mobile à un point déterminé. L’intention se
porte en effet sur une fin et l’indéfini lui répugne. D’autre part, comme la
créature rationnelle ne peut atteindre par ses propres forces sa béatitude qui
consiste en la vision de Dieu, elle a besoin d’y être mue par Dieu lui-même. Il
faut donc que soit fixé un terme vers lequel elle se trouve conduite comme vers
sa fin ultime.
Ce terme de la vision divine ne peut être pris de l’objet
lui-même qui est vu, car la souveraine vérité est appréhendée par tous les
bienheureux selon les degrés divers. Il doit donc être pris du mode de vision
et fixé diversement d’après l’intention de celui qui conduit le bienheureux à
sa fin. Il n’est pas possible en effet qu’en étant élevée à la vision de la
suprême essence, la créature rationnelle parvienne au mode suprême de vision
qui est la compréhension. Ce mode ne peut appartenir qu’à Dieu, nous le savons.
Mais, puisqu’il faut une puissance d’une efficacité infinie pour comprendre
Dieu et que la créature ne dispose que d’une efficacité finie, il s’ensuit
qu’il y aura des degrés en nombre illimité entre un degré quelconque de vision
et l’infinie compréhension divine. La créature rationnelle peut donc saisir
Dieu plus ou moins clairement et selon des modes sans nombre. Et de même que la
béatitude consiste dans la vision, ainsi le degré de béatitude représente un
certain mode déterminé de vision.
En
définitive, toute créature rationnelle est conduite par Dieu à sa fin
bienheureuse et reçoit un degré de béatitude déterminé par la prédestination
divine.
Solution 1 :
C’est à
celui qui est mû vers la fin, qu’il appartient de mériter. Or la créature
rationnelle n’est pas mue vers la fin seulement d’une façon passive, elle l’est
aussi en son activité. Quand donc la fin se trouve à sa portée, c’est
l’opération de la créature rationnelle qui conquiert la fin : ainsi l’homme,
par la méditation, acquiert la science.
Quand la fin n’est pas en son pouvoir, mais doit être obtenue d’un
autre, l’opération est alors méritoire de la fin. De plus, quand on est parvenu
au terme ultime, il n’y a plus mouvement, le changement est acquis. C’est
pourquoi il appartient à la charité imparfaite, qui est celle de l’état de
voie, de mériter. Quant à la charité parfaite elle ne mérite plus, elle jouit
de la récompense. Ainsi en va-t-il des habitus acquis : l’activité qui les
précède nous les fait acquérir ; une fois possédés, ils nous font agir avec
perfection et joie. Semblablement l’acte de la charité parfaite n’a pas raison
de mérite, il relève plutôt de la récompense et de son accomplissement.
Solution 2 :
Une chose peut être utile de deux manières : d’abord comme un
moyen pour parvenir à une fin ; c’est en ce sens que le mérite de la béatitude
nous est utile. Ensuite, comme une partie est utile au tout, le mur à la maison
: sous ce rapport la prière des âmes bienheureuses leur sont utiles, car elles
font d’une certaine manière partie de leur béatitude : diffuser sa perfection
sur autrui appartient en effet à l’être parfait en tant qu’il est parfait.
Solution 3 :
Bien
qu’absolument parlant l’âme bienheureuse n’atteigne pas le degré suprême de la
béatitude, cependant, pour ce qui est d’elle et compte tenu de la
prédestination divine, elle est parvenue au terme ultime et au sommet de son
bonheur. Néanmoins, peut croître chez les âmes, la joie qu’elles éprouvent du
salut de ceux pour qui elles prient particulièrement, selon cette parole de
l’Évangile : « Il y a de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur
qui se repent. » Mais cette joie appartient à la récompense accidentelle, et
elle peut augmenter jusqu’au jour du jugement. D’où l’opinion de certains qui
admettent qu’au sujet de cette récompense les âmes peuvent mériter. Pourtant il
vaut mieux reconnaître que d’aucune façon un bienheureux ne peut mériter, à moins
d’être à la fois dans l’état de voie et dans l’état de béatitude, ce qui était
le cas du Christ sur la terre. La joie dont nous parlons en effet, les âmes
l’obtiennent en vertu de leur état bienheureux plutôt qu’ils ne la méritent.
Objection 1 :
Il semble que le corps physique soit requis nécessairement pour la
béatitude de l’homme. En effet, la perfection de la vertu et de la grâce
présuppose la perfection de la nature. Et c’est la béatitude qui est la
perfection de la vertu et de la grâce. Mais une âme sans corps ne possède point
la perfection de sa nature, vu qu’elle est naturellement une partie de la
nature humaine, et qu’une partie hors de son tout est imparfaite. Donc l’âme
sans le corps ne peut pas être heureuse.
Objection 2 :
D’autre part, la béatitude est une opération parfaite, ainsi que
nous l’axons dit. Or l’opération parfaite suit à l’être parfait, car rien
n’opère que pour autant qu’il est un être en acte. Ainsi donc, l’âme séparée du
corps n’ayant pas son être parfait, non plus que toute partie séparée de son
tout, il semble qu’elle ne puisse ainsi être heureuse.
Objection 3 :
D’autre part encore, la béatitude est la perfection de l’homme. Or
l’âme sans le corps, ce n’est pas l’homme.
Objection 4 :
En outre, selon le philosophe, l’opération de la félicité, en quoi
consiste la béatitude, n’a pas d’empêchement. Or l’opération de l’âme séparée a
un empêchement ; car, ainsi que le dit Augustin, « l’âme a comme un appétit
naturel de régir le corps, et par cet appétit elle est arrêtée en quelque sorte
dans son élan vers le Ciel suprême », c’est-à-dire vers la vision de la divine
essence. Donc l’âme sans le corps ne saurait avoir la béatitude.
Objection 5 :
Au surplus, la béatitude est un bien qui se suffit à lui-même et
apaise tous les désirs. Or cela ne convient pas à l’âme séparée, car elle
désire toujours s’unir à son corps, comme Augustin le rappelle.
Objection 6 :
Enfin, du fait de la béatitude, l’homme est l’égal des anges : or,
selon Augustin, l’âme séparée n’est pas l’égale des anges : donc elle n’a pas
la béatitude.
Objection 7 :
À propos de cela, on s’est demandé[1107]
si on peut l’admettre, étant donné que l’Écriture parle d’une résurrection
finale ; d’autre part l’Écriture ne conçoit pas la vie d’une âme séparée. On
émet donc l’hypothèse (toujours le P. Benoît) que l’homme qui meurt participe à
la vie du Corps ressuscité du Christ. Cette hypothèse du Père Benoît est
profonde et tend à coïncider avec l’affirmation de la résurrection immédiate.
En effet, ce qui subsiste dans l’éternité c’est la plénitude du Corps du Christ
unifié par l’Esprit du Père. Dès que l’homme communie à ce Corps, il vit par
l’Esprit ; dès qu’il entre, par sa mort, en communion plus plénière avec ce
Corps, on peut dire qu’il est vraiment ressuscité, participant de la vie
pascale de Jésus. Dans cette perspective, le dogme de l’assomption assume une
signification typologique exceptionnelle : la Vierge Marie est le type de tous
ceux qui se sont endormis dans le Christ pour vivre aussitôt après dans la
plénitude de sa vie[1108].
Objection 8 :
Le corps
physique est le siège des facultés de la vie végétative, respiration,
nutrition, reproduction. Il est pesant et sa disparition ne constitue pas un
inconvénient pour notre mode naturel de connaissance puisque, nous l’avons vu,
les facultés sensibles subsistent après la mort dans un corps psychique. Donc
le corps physique et sa résurrection ne sont pas requis pour la béatitude
plénière de l’homme.
Cependant :
On lit
dans l’Apocalypse : « Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur. » Donc
ceux qui sont dans une totale charité purifiée sont heureux sans attendre,
avant la résurrection de la chair.
Conclusion :
Il y a
deux sortes de béatitudes : L’une imparfaite et telle que nous pouvons l’avoir
dans la vie présente, l’autre parfaite et qui consiste dans la vision de Dieu.
Il est bien manifeste que pour la béatitude de cette vie, le corps est
nécessaire. En effet, la béatitude de la vie présente est une opération de
l’intellect soit spéculatif, soit pratique. Or l’opération de l’intellect, en
cette vie, ne peut avoir lieu sans images, lesquelles ne naissent qu’en un
organe corporel, comme nous l’avons montré. Et ainsi la béatitude possible en
cette vie dépend en quelque manière du corps.
Quant à la
béatitude parfaite, qui consiste dans la vision de Dieu, quelques-uns ont pensé
qu’elle ne peut non plus être accordée à l’âme en dehors de sa jonction avec le
corps, et ils disent que les âmes des saints, étant séparées de leurs corps, ne
peuvent parvenir à la béatitude avant le jour du jugement, jour où leurs corps
physique leur feront retour.
Mais cela
est faux du point de vue de l’autorité comme du point de vue de la raison. Au
point de vue de l’autorité ; car l’Apôtre écrit : « Aussi longtemps que nous
habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur », et voulant montrer de
quelle nature est cet éloignement, il ajoute : « car nous marchons par la foi
et non par la vue. » D’où il appert qu’aussi longtemps que quelqu’un marche par
la foi et non par la vue, n’ayant pas la vision de l’essence divine, il n’est
pas encore en la présence plénière de Dieu. Or les âmes des saints qui sont
séparées de leurs corps sont présentes à Dieu, ce qui fait que l’Apôtre ajoute :
« Dans cette assurance, nous aimons mieux déloger de ce corps et habiter auprès
du Seigneur. » Il est donc évident que les âmes des saints séparées de leurs
corps "marchent par la vue », c’est-à-dire voient l’essence de Dieu, ce
qui constitue la vraie béatitude.
Par raison
aussi, notre conclusion s’impose car notre intellect n’a besoin du corps pour
son opération qu’en raison des images sensibles, en lesquelles il voit, en même
temps que ces images, la vérité intelligible qu’elles lui représentent. Or il
est évident que l’essence divine ne peut pas être contemplée au moyen d’images,
ainsi que nous l’avons démontré dans la première partie de cet ouvrage. Donc,
puisque la parfaite béatitude de l’homme consiste dans la vision de l’essence
divine, cette béatitude ne peut dépendre du corps, et ainsi, même sans corps,
l’âme peut être bienheureuse.
Toutefois,
il faut savoir qu’une chose peut appartenir à la perfection d’une autre de deux
manières : D’abord pour constituer son essence même : ainsi l’âme est
nécessaire à la pleine constitution de l’homme. Ou, d’une autre façon, pour
concourir à son meilleur être : ainsi la beauté corporelle ou la promptitude
d’esprit appartiennent à la perfection de l’homme. Dans le premier sens, nous
avons dit que le corps n’est pas nécessaire à la perfection de la béatitude
humaine ; mais il l’est dans le second. En effet, comme l’opération d’un être
est dans la dépendance de sa nature, plus la nature de l’âme sera parfaite,
plus parfaite sera aussi sa propre opération, en laquelle consiste sa
béatitude. C’est pourquoi saint Augustin s’étant demandé si les âmes des morts
peuvent sans leurs corps acquérir la suprême béatitude, il répond : « Elles ne
peuvent voir la substance immuable de la même manière que les saints anges la
voient, soit pour une raison plus cachée, soit parce qu’il y a en elles un
désir de posséder et de régir leur corps. »
Solution 1 :
On veut que la nature de l’âme soit parfaite, afin que sa
béatitude soit aussi parfaite. Mais la béatitude est la perfection de l’âme quant
à l’intellect, par où l’âme s’élève au-dessus des organes corporels, et non pas
selon que l’âme est la forme naturelle du corps. Il s’ensuit que l’âme séparée
garde la perfection de nature selon laquelle lui est due la béatitude, bien
qu’elle n’ait plus sa perfection de nature en tant que forme du corps.
Solution 2 :
En ce qui
concerne la perfection de l’être, il faut savoir que l’âme n’est pas à cet
égard dans le cas d’une partie quelconque. Dans les cas ordinaires, l’être du
tout n’appartient à aucune de ses parties de là vient qu’à la destruction du
tout, la partie cesse d’être, comme les parties qui composent la plante à la
destruction de la plante ; ou, si les parties demeurent, elles ont un être
actuel différent : ainsi une partie de ligne a un être différent de celui de la
ligne entière.
Mais l’âme humaine, après la destruction du corps, conserve l’être
même du composé, et cela parce qu’il n’y a qu’un seul être de la matière et de
la forme et que cet être est celui du composé : or l’âme subsiste en raison de
son être propre, ainsi que nous l’avons démontré. Il reste donc qu’après sa
séparation d’avec le corps l’âme garde son être parfait, et qu’elle peut ainsi
avoir une opération parfaite, bien qu’elle n’ait plus la perfection de sa
nature spécifique.
Solution 3 :
On insiste en disant que la béatitude appartient à l’homme en son
unité. Mais la béatitude appartient à l’homme quant à son intelligence ; c’est
pourquoi, tant que son intelligence demeure, il est capable de béatitude, tout
comme les dents de l’Ethiopien, selon lesquelles il est appelé blanc, peuvent
continuer d’être blanches même quand on les arrache.
Solution 4 :
On craint que l’âme ne soit empêchée de jouir de sa béatitude par
l’absence du corps. Mais une chose peut être empêchée par une autre de deux
manières. D’abord par manière de contrariété, comme le froid empêche l’action
de la chaleur et un tel empêchement répugne à la béatitude. En second lieu, du
fait d’un certain manque, en ce sens que la chose empêchée n’aura pas ce qui
peut conférer à sa pleine et entière perfection et un empêchement de ce genre
ne répugne pas à la béatitude, mais seulement à sa perfection pleine et
entière. C’est ainsi que l’âme est dite retardée dans le plein élan qui
l’emporte vers la vision de la divine essence. En effet, elle désire jouir de
Dieu de telle manière, que sa jouissance dérive par une sorte de reflux vers le
corps lui-même, selon qu’il en est capable : C’est pourquoi, tant qu’elle jouit
de Dieu sans son corps, son appétit se repose en Dieu de telle sorte qu’elle
désire toujours voir son corps parvenir lui aussi à la participation de ce
bien.
Solution 5 :
Il ne résulte pas de là, comme on le croit, que l’âme reste dans
l’inquiétude et dans la recherche. Le désir de l’âme séparée est totalement en
repos en ce qui concerne l’objet désiré. Elle a ce qui lui suffit. Mais elle
n’est pas pleinement en repos en ce qui la concerne elle-même ; car elle ne
possède pas son bien de toutes les manières dont elle voudrait le posséder.
C’est pourquoi, son corps repris, sa béatitude croît, non pas en intensité,
mais en extension.
Solution 6 :
Quand donc Augustin dit que les âmes des morts ne voient pas Dieu
de la même manière que les anges, il ne faut pas l’entendre dans le sens d’une
inégalité quantitative ; car même maintenant certaines âmes bienheureuses sont
élevées aux ordres supérieurs du monde angélique et voient donc Dieu plus
clairement que les anges inférieurs. Il faut comprendre qu’il y a ici une
inégalité de proportion, en ce sens que les anges, même inférieurs, ont toute
la perfection de béatitude qu’ils doivent avoir à jamais, ce qui n’est pas
vrai des âmes des saints séparées de leur corps.
Solution 7 :
Cette thèse peut être interprétée en deux sens : Elle peut
s’entendre d’une participation au corps du Christ par mode mystique,
c’est-à-dire à travers l’intense relation de charité qui unit les élus au
Christ. Dans ce cas, il est évident que plus cette charité est intense, plus
l’absence du corps est chose secondaire pour l’âme dont les énergies sont happées
en dehors d’elle-même. Ainsi, dans la vision béatifique, l’absence du corps est
si peu sensible que l’âme est parfaitement et définitivement bienheureuse ;
Ceci ne signifie pas que la résurrection du corps sera inutile mais qu’elle
constituera un cadeau de surabondance d’un amour déjà comblé. Cependant cette
thèse peut être soutenue dans un sens ontologique, comme si le corps du Christ
devenait notre propre corps. Cette interprétation n’est pas raisonnable et
profondément en désaccord avec la foi. Elle s’opposerait à l’unité ontologique
de la personne humaine, à l’attente de l’évènement futur et historique de notre
résurrection. Mais nous avons suffisamment démontré que la vie de l’âme séparée
est naturelle et que l’Écriture, loin de le nier, nous invite à le croire.
Cette thèse provient d’une phobie excessive du dualisme platonicien âme-corps.
Solution 8 :
Le corps physique est substantiellement partie de l’homme. L’âme
est par nature faite pour s’unir non seulement à un psychisme mais à un corps
palpable doté du sens du toucher. C’est pourquoi, à la résurrection, pour que
l’homme redevienne lui-même, il sera rendu charnellement à chacun, selon un
mode de vie transfiguré car entièrement soumis aux impulsions de l’esprit.
Objection 1 :
Il semble que l’âme glorifiée souffre de l’absence du corps. En
effet le lien avec le corps est naturel. Car l’âme possède un habitus entitatif[1109]
à être unie à son corps. Etant séparée, elle se trouve dans un état qui va
contre sa nature donc elle souffre.
Objection 2 :
Si les âmes glorifiées ne souffrent pas de l’absence du
corps, on doit admettre que la résurrection finale est inutile. Elle n’apporte
rien de nouveau. Or ce n’est pas là la foi enseignée par notre Seigneur. Donc
l’âme souffre de l’absence du corps.
Cependant :
Le paradis est le lieu où Dieu essuiera toutes les larmes[1110].
Il ne peut donc y avoir de souffrance dans la béatitude parfaite. Donc les âmes
glorifiées ne souffriront pas de l’absence du corps.
Conclusion :
La source de la béatitude essentielle du paradis est la
vision de l’essence divine. Elle béatifie l’âme en plénitude selon saint
Augustin dans ses confessions : « Te posséder, c’est être riche de
toutes les richesses. » Il ne peut donc y avoir place pour aucune souffrance
chez les élus, même avant la résurrection de leur corps qui permettra à cette
béatitude de prendre son extension dans tout leur être.
Cependant on doit admettre que l’âme séparée du corps n’est
pas dans un état qui lui est naturel puisqu’elle est faite par nature pour lui
être uni.
Les disciples de Platon qui affirment le
contraire niaient la nécessité de la résurrection. La foi catholique affirme
qu’il demeure dans l’âme séparée un désir naturel qui appelle retour du corps.
Chez les élus, ce désir n’est pas source de souffrance car la béatitude
essentielle les comble totalement. S’il ne fait pas souffrir, ce désir demeure
sous la forme d’un habitus entitatif de l’âme dont l’acte est empêché par une disposition
de la providence divine. Les élus ne souffrent donc pas de l’absence du corps.
Solution 1 :
L’habitus naturel qui pousse l’âme à désirer son corps demeure
puisqu’il fait partie essentiellement de la nature humaine. Cependant le désir
qu’il suscite peut être empêché. Dans le cas des âmes glorifiées, la vision de
l’essence divine aspire à elle les énergies de l’âme au point de rendre
inopérant tout autre appétit naturel.
Solution 2 :
La résurrection finale des corps qui précédera le
jugement dernier n’apportera pas aux élus un bonheur essentiellement nouveau.
Le bonheur essentiel qui provient de la vision de Dieu pourra seulement
s’étendre jusque dans la chair et les plaisirs physiques du toucher et du goût
qui en seront transfigurés. Il est juste en effet que le corps physique
participe à la gloire, de la même manière qu’il a participé aux souffrances
lors de la vie terrestre. Quant aux plaisirs de la sensibilité, ils ne sont
aucunement enlevés par la mort comme nous l’avons montré[1111]. Dès avant la résurrection, ils
s’exercent dans les âmes séparées de la chair d’une manière sublime et détachée
des limites terrestres.
L’esprit est dans l’homme si totalement un avec le corps qu’on
peut lui appliquer de plein droit le terme de « forme ». Et
inversement : la forme de ce corps est telle qu’elle est esprit et fait donc de
l’homme une personne. Le cardinal Ratzinger écrit : « L’âme n’est pas une
substance qui serait, en outre, forme du corps, mais elle est substance en
tant que forme d’un corps et elle est forme du corps en tant que substance.
» « Une séparation de l’âme d’avec le corps est contre sa nature et réduit
sa similitude avec Dieu créateur. Le fait d’être dans le corps n’est pas une
activité, mais la perfection même de l’âme. Le corps est ce qui rend l’âme
visible car la réalité du corps c’est l’âme. » On touche là à l’apparence d’une
impossibilité philosophique, et les exigences, apparemment tout à fait
contradictoires, de la doctrine de la création, d’une part, et de la foi au
schéol dans son adaptation chrétienne, d’autre part, sont satisfaisantes :
l’âme fait partie du corps en tant que « forme », mais ce qui est « forme »
du corps est esprit et fait de l’homme une personne en lui ouvrant ainsi accès
à l’immortalité ».[1112]
Objection 1 :
Il semble que non. Car la béatitude contient l’idée de récompense,
et la demeure ne signifie rien qui ait trait à une récompense.
Objection 2 :
La demeure semble signifier un lieu. Mais le lieu dans lequel les
saints sont heureux n’est point corporel, mais spirituel : c’est Dieu,
indivisible. Il n’y a donc en lui qu’une demeure. Les divers degrés de
béatitude ne doivent donc pas être appelés demeures.
Objection 3 :
De même que dans le Ciel il y aura des hommes de mérites
inégaux, de même il en est ainsi actuellement dans le purgatoire, et il en fut
ainsi dans les limbes des Pères.
Cependant :
Nous lisons en saint Jean : « Dans la maison de mon Père,
il y a de nombreuses demeures. » Et saint Augustin l’explique par les divers
degrés de récompense.
En outre, dans toute cité organisée, il y a des différences de demeures.
Mais la patrie céleste est comparée à une cité, comme on le voit dans
l’Apocalypse. On doit donc y distinguer diverses demeures selon les divers
degrés de béatitude.
Conclusion :
Le mouvement local est le premier de tous les mouvements.
C’est pourquoi, selon Aristote, les noms de mouvement, de distance et des
autres choses connexes sont dérivés du mouvement local pour tous les autres
mouvements. La fin du mouvement local est le lieu dans lequel la chose une fois
parvenue demeure en repos et s’y conserve. C’est pourquoi, à propos de tout
mouvement, le repos auquel a abouti finalement le mouvement se nomme situation
ou demeure. Et puisque le nom de mouvement est appliqué même aux actes de
l’appétit sensible et de la volonté, le fait d’atteindre la fin de ces
mouvements s’appelle demeure ou situation dans la fin. On donne donc le nom de
diverses demeures aux diverses manières d’atteindre sa fin ultime. L’unité de
la demeure correspond à l’unité de la béatitude considérée en son objet, et la
pluralité des demeures correspond aux différences qui se trouvent dans la
béatitude, considérée dans les bienheureux. Nous voyons aussi dans les choses
naturelles que le lieu élevé vers lequel tendent les corps légers est le même
pour tous, mais chacun d’entre eux en approche plus ou moins selon son degré de
légèreté : ils ont donc des demeures différentes selon leur différence de
légèreté.
Solution 1 :
La demeure inclut la notion de fin et par conséquent celle de
récompense qui est la fin du mérite.
Solution 2 :
Bien qu’il n’y ait qu’un seul lieu spirituel, il y a divers degrés
de rapprochement à son égard : cela constitue les diverses demeures.
Solution 3 :
Ceux qui étaient dans les limbes ou sont
maintenant dans le purgatoire ne sont point parvenus à leur fin : il n’y a donc
pas de demeures mais plutôt un « passage » dans le purgatoire ou les limbes.
Les demeures sont seulement dans le paradis et l’enfer, où se trouve la fin
stabilisée (définitive) des bons et des méchants.
Solution de l’argument cependant :
Les demeures du paradis ne sont pas à prendre dans un sens
matériel, comme si les élus étaient séparés et vivaient dans plusieurs lieux.
L’expression « demeure » a une signification spirituelle et indique un degré de
vision béatifique.
Objection 1 :
Il semble que non, Puisque nous lisons en saint. Matthieu : « Il a
donné à chacun selon sa propre vertu. » Or la vertu de chaque chose est sa
puissance naturelle. Les dons de la grâce et de la gloire sont donc distribués
selon les divers degrés de vertu naturelle.
Objection 2 :
Le Psalmiste dit : « Tu rendras à chacun selon ses œuvres. » Mais
ce que Dieu rendra est la mesure de la béatitude. Les degrés de celle-ci sont
donc distingués selon la diversité des œuvres, et non selon celle de la
charité.
Objection 3 :
La récompense est due aux actes et non aux dispositions : c’est
pourquoi "ce ne sont pas les plus forts qui sont couronnés, mais ceux qui
luttent », comme dit Aristote dans les Ethiques, et saint Paul à
Timothée[1115] :
« Seul sera couronné celui qui aura combattu selon les règles. » La béatitude
est une récompense. Ses divers degrés correspondent donc à ceux des œuvres et
non à ceux de la charité.
Objection 4 :
Si la récompense se prend du degré de charité, certains seront
plus heureux que d’autres ce qui n’est pas possible puisque tous sont dans la
béatitude, c’est-à-dire, heureux sans partage avec du regret.
Cependant :
Plus quelqu’un sera uni à Dieu, plus il le verra. Mais la manière
d’adhérer à Dieu dépendra du degré de charité. La diversité de la béatitude
correspondra donc à la différence de charité.
En outre, « le simple suit le
simple et le plus suit le plus. » Posséder simplement la béatitude suit la
simple possession de la charité ; donc la possession d’une plus grande
béatitude suit celle d’une plus grande charité.
Conclusion :
Il y a deux principes qui distinguent les demeures ou degrés de
béatitude : l’un proche, l’autre éloigné. Le proche est la disposition
différente des bienheureux, selon laquelle s’établit en eux une diversité de
perfection dans l’opération de la béatitude ; tandis que le principe éloigné
est le mérite grâce auquel ils ont obtenu cette béatitude.
Selon la première manière, on distingue des demeures d’après la
charité dans le Ciel, qui plus elle est parfaite, plus elle rendra le bienheureux
capable de recevoir la divine clarté, dont l’augmentation accroît la perfection
de la vision de Dieu. Selon la seconde manière, on distingue des demeures
d’après la charité de la vie sur terre. Notre acte en effet n’est pas méritoire
dans sa substance même, mais à cause de la disposition de vertu qui le pénètre.
Or la puissance du mérite dans toutes les vertus provient de la charité qui a
pour objet notre fin même. C’est pourquoi la diversité de mérite revient tout
entière à la diversité de charité. Et ainsi notre charité d’ici-bas distingue
les demeures à la manière du mérite.
Solution 1 :
La vertu ne doit pas être prise ici seulement en tant que capacité
naturelle, mais en tant que capacité naturelle à laquelle s’ajoute l’effort
pour recevoir la grâce. Alors la vertu devient comme une disposition matérielle
à la mesure de la grâce et de la gloire future. Mais la charité constitue
formellement la mesure de la gloire. C’est pourquoi la distinction du degré de
gloire vient du degré de charité plutôt que de celui de la vertu naturelle.
Solution 2 :
Les œuvres ne méritent une récompense de gloire qu’en tant
qu’elles sont pénétrées par la charité. Les divers degrés de gloire
correspondent donc à ceux de la charité.
Solution 3 :
Bien que la disposition de la charité ou de toute vertu ne
constitue pas le mérite auquel est due la récompense, elle est cependant le
principe et toute la raison du mérite de l’acte. Les récompenses se distinguent
donc selon sa diversité, bien que l’on puisse attribuer un certain degré de
mérite d’après le genre même de l’acte, non pas pour la récompense essentielle,
qui est la jouissance de Dieu, mais pour une certaine récompense accidentelle.
Solution 4 :
Pauline, la sœur de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus répond à
cette objection[1116] :
« Une fois je m'étonnais de ce que le Bon Dieu ne donne pas une gloire égale
dans le Ciel à tous les élus, et j'avais peur que tous ne soient pas heureux,
alors Pauline me dit d'aller chercher le grand verre à Papa et de le mettre à
côté de mon tout petit dé, puis de les remplir d'eau, ensuite elle me demanda
lequel était le plus plein. Je lui dis qu'ils étaient aussi pleins l'un que
l'autre et qu'il était impossible de mettre plus d'eau qu'ils n'en pouvaient
contenir. Ma Mère chérie me fit alors comprendre qu'au Ciel le Bon Dieu
donnerait à ses élus autant de gloire qu'ils en pourraient contenir et qu'ainsi
le dernier n'aurait rien à envier au premier. »
Considérons maintenant les dots des bienheureux. Cinq questions
se posent à leur sujet :
1° Doit-on attribuer des dots aux bienheureux
?
2° La dot diffère-t-elle de la béatitude ?
3° Appartenait-il au Christ d’avoir des dots
?
4° Et aux anges ?
5° Convient-il d’assigner trois dots à l’âme
?
Objection 1 :
Il semble que non. La dot, selon le droit, est donnée à l’époux
pour supporter les charges du mariage. Mais les saints ne font pas figure
d’époux, mais plutôt d’épouses, en tant qu’ils sont membres de l’Église : ils
ne doivent donc pas recevoir de dot.
Objection 2 :
Les dots, selon le droit, ne sont point données par le père de
l’époux, mais par celui de l’épouse. Or tous les dons de la béatitude sont
remis aux bienheureux par le père de l’Epoux, c’est-à-dire du Christ. Nous
voyons en saint Jacques : « Tout don excellent et tout don parfait vient
d’en-haut, descendant du Pète des lumières. » Ces dons faits aux bienheureux
ne doivent donc pas être appelés des dots.
Objection 3 :
Dans le mariage charnel, on donne des dots pour faciliter les
charges du mariage. Dans le mariage spirituel, il n’y a point de charges,
surtout dans l’Église triomphante. Il n’y a donc pas à donner de dots.
Objection 4 :
Les dots ne sont données qu’à cause du mariage. Mais le mariage
spirituel est contracté avec le Christ par la foi, dans l’état de l’Église
militante. Si donc à cause de ce mariage des dots doivent être données aux
bienheureux, elles devraient l’être aussi tandis qu’ils sont sur terre. Mais
cela ne leur convient pas ; donc pas non plus aux bienheureux.
Objection 5 :
Les dots font partie de ces biens extérieurs qu’on nomme biens de
la fortune. Mais les récompenses des bienheureux sont des biens d’ordre
intérieur. On ne doit donc pas les appeler dots.
Cependant :
Saint Paul dit aux Ephésiens : « Ce sacrement est grand ; je vous
le dis dans le Christ et dans l’Église. » Cela montre que le mariage spirituel
est évoqué par le mariage charnel. Mais dans le mariage charnel, l’épouse est
dotée pour entrer dans la maison de l’époux. Donc, quand les saints pénètrent
dans la maison du Christ pour entrer dans la béatitude, il semble qu’ils
soient dotés de divers dons.
En outre, les dots dans le mariage corporel, sont données
comme agrément du mariage. Le mariage spirituel est plus délectable que le
mariage corporel. On doit donc lui joindre des agréments forts grands.
De plus, les parures des épouses font partie de la dot.
Mais les saints sont ornés pour entrer dans la gloire, comme dit Isaïe "Il
m’a revêtu des vêtements du salut, comme l’épouse ornée par ses servantes. » Les
saints auront donc des dots dans la patrie céleste.
Conclusion :
Il n’est pas douteux que les bienheureux, quand ils entrent
dans la gloire, reçoivent de Dieu des dons pour leur ornementation, et ces
dons honorifiques sont appelés dots par les maîtres spirituels. C’est pourquoi
on définit ainsi la dot dont nous parlons ici : « La dot est un ornement
perpétuel de l’âme et du corps, s’ajoutant à leur vie, et persévérant sans
interruption dans la béatitude éternelle. » Et cette description est comparée à
la dot corporelle qui orne l’épouse et apporte au mari de quoi pouvoir nourrir
l’épouse et les enfants ; cependant la dot de l’épouse est conservée sans
pouvoir disparaître, afin que si le mariage fût dissous, elle revienne à
l’épouse. Mais dans l’interprétation de ce nom, nous trouvons diverses
opinions.
Certains pensent que la dot ne doit pas être considérée en
comparaison avec le mariage corporel, mais que c’est là une manière de parler
par laquelle on désigne toute perfection ou ornement de n’importe quel homme
comme on dit de quelqu’un qu’il est doté de science parce qu’il brille par sa
science. Ovide s’est servi ainsi du mot dot, quand il dit : « Efforce-toi de
plaire par toute dot qui peut plaire. » Mais cela ne semble aucunement
convenir, car quand un nom est créé pour désigner principalement une chose, il
n’est pas d’usage de l’appliquer à autre chose qui n’a pas avec elle quelque
ressemblance. Puisque, dans son acception première la dot est liée au mariage
charnel, il est nécessaire que dans toutes ses autres acceptions il y ait une
ressemblance avec la première signification.
D’autres disent que cette similitude consiste en ce que la
dot signifie proprement le don qui, dans le mariage corporel, est donné à
l’épouse par l’époux quand elle pénètre en sa maison, don qui contribue à la
parure de l’épouse cela ressort de ce que Sichem dit à Jacob et à ses fils : « Augmentez
la dot et demandez des présents » et « Si quelqu’un a séduit une
vierge et a dormi avec elle, qu’il la dote, et la prenne comme épouse. » C’est
pourquoi l’ornement que le Christ donne à ses saints en les introduisant dans
la demeure de gloire est appelé dot. Cependant, cela est manifestement
contraire à ce que disent les juristes, auxquels il appartient de traiter ces
choses. Ils déclarent que la dot est, à proprement parler, « une donation faite
de la part de la femme à ceux qui sont du côté de l’homme, à cause de la charge
du mariage que l’homme doit supporter », tandis que ce que l’époux donne à
l’épouse est appelé "donation pour les noces. » C’est dans ce sens qu’il
est parlé de dot au livre des Rois, quand il est dit "Pharaon, roi
d’Égypte, prit Gazer et la donna en dot à sa fille, épouse de Salomon. » Les
auteurs cités ne s’opposent pas à cela. Car bien qu’il soit d’usage que des
dots soient données par les parents de la fille, cependant il arrive parfois
que l’époux ou son père donne des dots à la place du père de la fille. Cela se
produit de deux manières soit à cause d’un grand amour pour l’épouse, comme
cela eût lieu pour Hamor, père de Sichem, qui voulut donner la dot, qu’il
aurait dû recevoir, à cause de l’amour ardent de son fils pour la jeune fille ;
Ou bien cela a lieu comme une réparation de l’époux pour assigner une dot à la
vierge violée par lui, tandis que le père de cette vierge aurait dû la donner.
Et c’est de cela que parle Moïse dans le texte cité.
C’est pourquoi, selon une autre opinion, on doit dire que
la dot est proprement, dans le mariage corporel, ce qui est donné par ceux qui
sont du côté de la femme à ceux qui sont du côté de l’homme, pour supporter les
charges du mariage, comme nous l’avons dit. Mais alors il reste la difficulté
d’adopter cette signification au cas présent, puisque les ornements de la
béatitude sont donnés à l’épouse spirituelle par le père de l’époux. Cela sera
éclairé par la solution des objections.
Solution 1 :
Bien que des dots soient remises à l’époux, dans le mariage
charnel, pour son usage, cependant la propriété et le domaine en demeurent à
l’épouse, comme cela ressort du fait que, en cas de dissolution du mariage, la
dot demeure à l’épouse, selon le droit. Ainsi aussi dans le mariage spirituel.
Les ornements eux-mêmes qui sont donnés à l’épouse spirituelle, à savoir
l’Église dans ses membres, appartient à l’époux en tant qu’ils tendent à sa
gloire et à son honneur, et à l’épouse en tant qu’ils la parent.
Solution 2 :
Le père de l’époux, Jésus-Christ, est la personne même du Père. Or
le père de l’épouse est toute la Trinité les effets produits dans les créatures
remontent en effet à toute la Trinité. C’est pourquoi les dots, dans le mariage
spirituel, sont données à proprement parler plus par le père de l’épouse que
par celui de l’époux. Pourtant cette attribution, bien que faite par les trois
personnes, peut être appropriée à chacune d’elles de quelque manière à la
personne du Père, en tant qu’il donne, puisqu’en lui est l’autorité la
paternité lui est appropriée à l’égard des créatures de telle sorte qu’il est à
la fois père de l’épouse et de l’époux ; elle est attribuée à la personne du
Fils, en tant qu’elle est donnée à cause de lui et par lui ; elle est attribuée
au Saint-Esprit, en tant qu’elle est donnée en lui et selon lui, car l’amour
est la source de toute donation.
Solution 3 :
Ce qui est accompli par les dots, c’est-à-dire l’allégement donné
au poids du manage, convient par soi aux dots, tandis que lui convient
seulement par accident ce qui est écarté par elles, c’est-à-dire la charge du
mariage qu’elles réduisent ; de même qu’il convient par soi à la grâce de faire
un être juste, tandis que c’est par accident qu’elle transforme un impie en
juste. Donc, bien que dans le mariage spirituel il n’y ait point de charges,
cependant il s’y trouve une grande jouissance. Et les dots sont données à
l’épouse pour perfectionner cette jouissance, afin que par elles, elle soit
unie plus agréablement à l’époux.
Solution 4 :
Les dots n’étaient pas données à l’épouse à ses épousailles, mais
quand elle était amenée à la maison de l’époux pour y demeurer présente. Comme
dit saint Paul : « Tant que nous sommes en cette vie, nous sommes en marche
vers le Seigneur. » Les dons qui sont conférés aux saints en cette vie ne
s’appellent donc pas des dots, mais seulement ceux qui leur sont conférés quand
ils entrent dans la gloire où ils jouissent de la présence de l’époux.
Solution 5 :
Dans le
mariage spirituel, c’est l’ornement intérieur qui est requis. Le Psalmiste dit :
« La gloire de la fille du roi est au-dedans. » Mais dans le mariage corporel,
c’est l’ornement extérieur qui est requis. Il n’est donc pas nécessaire que ces
dots extérieures soient données dans le mariage spirituel comme dans le mariage
corporel.
Objection 1 :
Il semble que ce soit la même chose. La définition de la dot est,
avons-nous vu, « un ornement du corps et de l’esprit qui persévère sans
interruption dans la béatitude éternelle. » Mais la béatitude de l’âme est
déjà son ornement : elle constitue donc elle-même la dot.
Objection 2 :
La dot est quelque chose par quoi l’épouse est unie à l’époux
d’une manière agréable. Dans le mariage spirituel la béatitude joue ce rôle :
elle est donc elle-même une dot.
Objection 3 :
« La vision, selon saint Augustin, c’est la substance de la
béatitude. » Mais la vision est une des dots. La béatitude est donc une
dot.
Objection 4 :
La fruition rend heureux. Elle est une des dots. La dot rend donc
heureux : la béatitude est donc une dot.
Objection 5 :
Selon
Boèce, « la béatitude est un état rendu parfait par l’accumulation de tous les
biens. » Mais l’état des bienheureux est perfectionné par les dots : celles-ci
sont donc une partie de la béatitude.
Cependant :
La dot se
donne sans être méritée. La béatitude n’est pas donnée, mais elle est accordée
aux mérites. Elle n’est donc pas une dot.
En outre,
il n’y a qu’une béatitude, tandis qu’il y a plusieurs dots. Ce n’est donc pas
la même chose.
De plus,
la béatitude se trouve dans l’homme en ce qu’il y a de meilleur en lui, comme
dit Aristote. Mais la dot se trouve aussi dans le corps. Ce n’est donc pas la
même chose.
Conclusion :
À ce sujet
deux opinions sont émises : certains disent que la béatitude et la dot sont la
même chose en fait, mais diffèrent en leur notion, car la dot regarde le
mariage spirituel entre le Christ et l’âme, mais non la béatitude. Mais cela
n’est pas possible, car la béatitude consiste en une opération, tandis que la
dot n’est pas une opération mais plutôt une qualité ou une disposition. C’est
pourquoi d’autres disent que la béatitude et la dot diffèrent même dans la
réalité : la béatitude est l’opération parfaite grâce à laquelle l’âme
bienheureuse est unie à Dieu, tandis que les dots sont des manières d’être, des
dispositions ou d’autres qualités qui sont ordonnées à la perfection de cette
opération. De la sorte, les dots sont ordonnées à la béatitude, plutôt qu’elles
n’en sont des parties.
Solution 1 :
La béatitude proprement dite n’est pas un ornement de l’âme, mais
quelque chose qui provient de l’ornement de l’âme, puisqu’elle est une
opération, tandis que l’ornement est un embellissement du bienheureux lui-même.
Solution 2 :
La béatitude n’est pas ordonnée à l’union de l’âme avec le Christ
: Elle est cette union elle-même qui consiste en une opération, tandis que les
dots sont des dons qui disposent à cette union.
Solution 3 :
La vision peut être prise en deux sens. Comme acte, c’est l’acte
même de la vision, et ainsi elle n’est pas une dot, mais la béatitude
elle-même. Comme manière d’être, c’est-à-dire comme disposition qui contribue à
cette opération ou comme clarté de gloire par laquelle l’âme est éclairée par
Dieu pour le voir : ainsi elle est une dot, et le principe de la béatitude,
mais non la béatitude elle-même.
Solution 4 :
Cela vaut aussi pour la fruition.
Solution 5 :
La
béatitude rassemble tous les biens non comme parties de son essence, mais comme
ordonnés de quelque manière à la béatitude, comme il est dit plus haut.
Objection 1 :
Il semble que cela convienne. En effet, les saints dans la gloire
sont conformes au Christ. Saint Paul dit aux Philippiens : « Il restaurera
notre corps de faiblesse en le rendant conforme à son corps de lumière. » Le
Christ a donc aussi des dots.
Objection 2 :
Dans le mariage spirituel, des dots sont données par ressemblance
avec le mariage corporel. Dans le Christ, nous trouvons une sorte de mariage
spirituel d’un type unique, c’est-à-dire l’union des deux natures en une
personne, de sorte qu’on dit qu’en lui la nature humaine est épousée par le
Verbe. Cela résulte de la Glose au sujet du Psaume 18 : « Il a posé sa tente
dans le soleil », et de l’Apocalypse : « Voici que la tente de Dieu est parmi
les hommes. » Il convient donc que le Christ ait des dots.
Objection 3 :
Saint Augustin dit : « Le Christ, selon la règle de Ticonius, à
cause de l’unité du corps mystique entre la tête et les membres, se nomme
parfois époux et non seulement épouse », comme cela se voit dans Isaïe : «
Comme l’époux, orné d’une couronne, et comme l’épouse parée par ses servantes. »
Puisqu’on doit des dots à l’épouse, il faut en donner au Christ.
Objection 4 :
Une dot est due à tous les membres de l’Église, puisqu’elle est
épouse. Or le Christ est membre de l’Église, selon saint Paul aux Corinthiens :
« Vous êtes le corps du Christ, membre de ce membre. » La Glose interlinéaire
ajoute : « du Christ. » Des dots sont donc dues au Christ.
Objection 5 :
Le Christ
possède la vision parfaite, la fruition et la délectation : or ce sont là des
dots.
Cependant :
Entre
l’époux et l’épouse il y a nécessairement distinction de personnes. Mais dans
le Christ, il n’y a pas de distinction de personnes avec le Fils de Dieu, qui
est époux, comme cela se voit dans saint Jean : « Celui gui possède l’épouse
est l’époux. » Donc, puisque les dots sont données à l’épouse ou pour elle, il
semble qu’il n’appartienne pas au Christ d’avoir des dots. En outre, la même
personne ne peut avoir des dots et en recevoir. Mais le Christ est le donateur
des dots spirituelles. Il ne lui convient donc pas d’en avoir.
Conclusion :
Deux
opinions se manifestent à ce sujet. Certains disent que dans le Christ il y a
une triple union : une, qui est appelée consentie, qui l’unit à Dieu par un
lien d’amour ; Une autre, de dignité, par laquelle la nature humaine est unie à
la nature divine ; La troisième par laquelle le Christ lui-même est uni à
l’Église. Ils disent que, selon les deux premières unions, il convient que le
Christ ait des dots, à titre de dot ; mais selon la troisième union il lui
convient d’avoir une dot tout à fait excellente, mais pas à titre de dot : car
dans cette union, le Christ est comme l’époux, et l’Église comme épouse. Or, la
dot est donnée à l’épouse en tant que propriété et possession. Dans l’union par
laquelle le Christ est uni au Père par consentement d’amour, mais en tant que
Dieu, on ne peut dire qu’il y ait mariage, car il n’y a pas là cette soumission
qui doit exister entre l’épouse et l’époux. De même : dans l’union de la nature
humaine avec la nature divine, en union personnelle ou même par conformité de volonté,
il ne peut pas y avoir une raison de dot. Pour trois motifs : d’abord parce
qu’il doit y avoir conformité de nature entre l’époux et l’épouse pour le
mariage dans lequel sont données des dots ; et cela n’est pas réalisé dans
l’union de la nature humaine avec la nature divine ;-secondement, parce que la
distinction des personnes est exigée, et que la nature humaine n’est pas
personnellement distincte du Verbe ; - troisièmement, parce que la dot est
donnée quand l’épouse entre pour la première fois dans la maison de l’époux, et
ainsi elle est attribuée à l’épouse, qui n’étant pas auparavant conjointe, le
devient : mais la nature humaine qui est assumée par le Verbe dans l’unité de
la personne, n’a jamais existé avant de lui être parfaitement unie. C’est
pourquoi, selon d’autres, on doit dire ou bien que la notion de dot ne convient
nullement au Christ ou bien qu’elle ne lui convient pas à proprement parler
comme elle convient aux saints ; mais ce qu’on appelle dots lui convient à un
degré éminent.
Solution 1 :
Cette
conformité doit être entendue d’après ce qui est la dot, et non d’après la
notion même de dot qui serait dans le Christ. Il n’est pas nécessaire que ce
qui est dans le Christ, et à quoi nous serons rendus conformes, soit de la même
manière dans le Christ et en nous.
Solution 2 :
La nature humaine n’est pas appelée épouse dans cette union par
laquelle elle est unie au Verbe, puisqu’il n’y a point là cette distinction de
personnes qui est requise entre l’époux et l’épouse. Mais on dit parfois que la
nature humaine est épousée par le Verbe auquel elle est unie, dans ce sens
qu’il y a en elle quelque chose qui rappelle l’épouse puisqu’elle est unie
inséparablement, et que dans cette union elle est inférieure au Verbe, et est
régie par lui, comme l’épouse par l’époux.
Solution 3 :
Si le Christ est parfois appelé épouse ce n’est pas qu’il soit
lui-même vraiment épouse, mais en tant qu’il assume la personne de son épouse,
l’Église, qui lui est spirituellement unie. C’est pourquoi rien n’empêche qu’en
cette manière de parler on dise qu’il a des dots, bien qu’il ne les ait pas
lui-même, mais parce que l’Église les a.
Solution 4 :
Le nom d’Église peut être pris en deux sens : Quelquefois, il
désigne seulement le corps, auquel le Christ est uni comme tête, et alors
l’Église réalise la notion d’épouse. Ainsi le Christ n’est pas membre de
l’Église, mais il est la tète qui exerce son influence sur tous les membres de
l’Église. En un autre sens, on considère l’Église en tant qu’elle désigne avec
la tête, les autres membres qui lui sont unis. Et ainsi le Christ est dit
membre de l’Église, en tant qu’il exerce ce rôle distinct, à savoir de faire
descendre la vie dans tous les membres. Cependant, ce n’est pas très exact de
l’appeler membre, parce que le membre signifie une partie seulement, tandis que
dans le Christ le bien spirituel n’est pas seulement partiellement, mais se
trouve tout entier intégralement. Il est lui-même tout le bien contenu dans
l’Église, et les membres qui s’y ajoutent ne le rendent pas meilleur que quand
il est seul. En parlant de l’Église en ce sens, on ne doit pas l’appeler
épouse, mais époux en tant que l’union spirituelle des membres ne produit qu’un
seul effet. C’est pourquoi, si le Christ peut être dit de quelque manière
membre de l’Église, on ne peut aucunement le dire membre de l’épouse : et ainsi
la notion de dot ne lui convient pas.
Solution 5 :
Dans cet
argument, il y a une fausseté de présentation, car ces trois opérations du
Christ ne lui conviennent pas à titre de dot.
Objection 1 :
Ils semblent en avoir, puisque, au sujet du Cantique des Cantiques
: « Une seule est ma colombe », la Glose dit : « Il n’y a qu’une Église pour
les hommes et les anges. » Mais l’Église est épouse ; il convient donc que ses
membres aient des dots, y compris les anges.
Objection 2 :
À propos de saint Luc : « Et vous êtes semblables à des hommes qui
attendent que leur maître reviennent des noces », la Glose ordinaire dit : « Le
Seigneur est allé aux noces quand, après la résurrection, homme nouveau, il
s’est uni à la multitude des anges. » Cette multitude est donc épouse du
Christ, et, ainsi, il convient que les anges aient des dots.
Objection 3 :
Le mariage spirituel consiste en une union spirituelle. Mais
celle-ci n’est pas inférieure entre les anges et Dieu à ce qu’elle est entre
les hommes bienheureux et Dieu. Donc, puisque les dots sont assignées en raison
du mariage spirituel, il semble qu’elles conviennent aux anges.
Objection 4 :
Le mariage spirituel requiert un époux spirituel et une épouse
spirituelle. Mais les anges sont par nature plus conformes au Christ, esprit
suprême, que les hommes. Le mariage spirituel est donc davantage possible entre
les anges et le Christ qu’entre les hommes et lui.
Objection 5 :
Une plus
grande connexion est exigée entre la tête et les membres qu’entre l’époux et
l’épouse. Mais la conformité qui existe entre le Christ et les anges suffit
pour qu’on dise que le Christ est la tête des anges. Elle suffit donc plus
encore pour qu’on l’appelle leur époux.
Cependant :
Origène,
commentant le Cantique des Cantiques, au début du prologue distingue quatre
personnes, à savoir : « l’époux et l’épouse, et les adolescentes et les
compagnons de l’époux », et il dit que "les anges sont les compagnons de
l’époux. » Puisque les dots ne sont dues qu’à l’épouse, il semble que les anges
n’en doivent pas avoir.
En
outre, le Christ a épousé l’Église par l’incarnation et la passion. C’est à lui
qu’il est fait allusion dans l’Exode : « Tu es pour moi un époux sanglant. »
Mais dans son incarnation et sa passion, il ne fut pas uni aux anges autrement
qu’il ne l’était. Ceux-ci n’appartiennent donc pas à l’Église en tant
qu’épouse. Les dots ne leur conviennent donc pas.
Conclusion :
Il n’est
pas douteux que ce qui compose les dots de l’âme convient aux anges comme aux
hommes ; mais non en tant que dot, parce que la notion d’épouse n’appartient
pas aux anges comme aux hommes. Entre l’époux et l’épouse, il doit y avoir
conformité de nature, en tant qu’ils appartiennent à la même espèce. À ce
titre, les hommes sont en harmonie avec le Christ en tant qu’il a assumé la
nature humaine, et est par là devenu conforme à la nature de l’espèce humaine,
comme elle se trouve en tous les hommes. Il n’est pas conforme aux anges selon
l’unité de l’espèce, ni en sa nature divine, ni dans la nature humaine. C’est
pourquoi la notion de dot ne convient pas proprement aux anges comme aux
hommes.
Cependant,
dans les choses dites métaphoriquement, on n’exige pas une similitude sur tous
les points : on ne peut donc pas, à cause d’une dissemblance, conclure qu’il
n’est pas possible d’attribuer métaphoriquement une chose à une autre. On ne
peut donc pas dire, absolument, que les dots ne conviennent pas aux anges, mais
seulement qu’elles ne leur conviennent pas à proprement parler comme aux
hommes, à cause de la différence dite plus haut.
Solution 1 :
Bien que les anges appartiennent à l’unité de l’Église, ils n’en
sont pas les membres en tant que l’Église est dite épouse par conformité de
nature. Ainsi il ne leur convient pas à proprement parler d’avoir des dots.
Solution 2 :
Ces épousailles sont prises largement dans le sens d’une union qui
ne renferme pas la conformité de nature en espèce. Rien n’empêche donc, en
prenant au sens large le mot dot, d’en attribuer aux anges.
Solution 3 :
Bien que dans le mariage spirituel il n’y ait qu’une union
spirituelle, il convient que ceux qui sont unis selon la notion parfaite du
mariage appartiennent à la même espèce de nature.
Solution 4 :
Cette ressemblance par laquelle les anges sont conformes au Christ
en tant que Dieu n’est pas suffisante pour réaliser la notion parfaite de
manage : Car il n’y a pas de conformité d’espèce, mais il demeure plutôt une
infinie distance.
Solution 5 :
Le Christ
ne peut être dit tête des anges en tant que la tête exige une conformité de
nature avec le membre. Pourtant, on doit savoir que bien que la tête et les
autres membres soient les parties d’un individu d’une seule espèce, cependant,
si on les considère en eux-mêmes, ils ne sont pas de la même espèce, puisque la
main est une autre espèce de partie que la tête. Donc en parlant des membres en
eux-mêmes, on ne requiert qu’une convenance de proportion, de telle sorte
qu’ils reçoivent quelque chose l’un de l’autre et se servent l’un l’autre.
Ainsi la convenance qu’il y a entre Dieu et les anges suffit davantage pour
réaliser la notion de tête que pour celle d’époux.
Objection 1 :
Il ne semble pas qu’on doive attribuer à l’âme les trois dots, qui
seraient la vision, la délectation et la fruition. Car l’âme est unie à Dieu
selon son esprit, qui est l’image de la Trinité, en tant qu’il est mémoire,
intelligence et volonté. La délectation appartient à la volonté et la vision à
l’intelligence. On doit donc désigner quelque autre chose qui appartienne à la
mémoire. Or la fruition n’appartient pas à la mémoire, mais à la volonté.
Objection 1 :
Les dots de la béatitude correspondent aux vertus de la marche
terrestre, par lesquelles nous sommes unis à Dieu : ce sont la foi, l’espérance
et la charité, qui ont Dieu lui-même pour objet. La dilection correspond à la
charité et la vision à la foi. Il doit donc y avoir autre chose qui correspond
à l’espérance. Au contraire, la fruition correspond à la charité.
Objection 2 :
Nous ne jouissons de Dieu que par la dilection et la vision, comme
dit saint Augustin : « On dit que nous jouissons des choses que nous aimons
pour elles-mêmes. » La fruition ne doit donc pas être présentée comme une autre
dot que la dilection.
Objection 3 :
Pour la perfection de la béatitude, la prise de possession est
requise. Saint Paul dit aux Corinthiens : « Courez de telle sorte que vous
prenez possession du but. » On doit donc admettre une quatrième dot.
Objection 4 :
Saint Anselme dit que la béatitude contient : « la sagesse,
l’amitié, la concorde, le pouvoir l’honneur, la sérénité, la joie. » Il semble
donc qu’on doive substituer ces dots aux autres.
Objection 5 :
Saint Augustin dit que « Dieu dans la béatitude sera vu sans
fin, aimé sans lassitude, loué sans fatigue. » On doit donc ajouter la louange
aux dots citées.
Objection 6 :
Boèce dit
que cinq choses concourent à la béatitude : la suffisance, qu’assurent les
richesses, le plaisir, qu’assure la volupté, la célébrité, qu’assure la
renommée, la sécurité, qu’assure le pouvoir, la vénération, qu’assure la
renommée, la sécurité, qu’assure le pouvoir ; la vénération, qu’assure la
dignité. Il semble donc que ce sont plutôt ces choses qui devraient être données
comme dots.
Conclusion :
Tous s’accordent à accorder à l’âme trois dots, mais diversement.
Certains disent que ces trois dots de l’âme sont la vision, la dilection et la
fruition. D’autres disent que ce sont la vision, la prise de possession et la
fruition. D’autres que ce sont la vision, la délectation et la prise de
possession. Mais tous réduisent en fait ces dots à la même chose, et en donnent
le même nombre. Nous avons vu plus haut que la dot est quelque chose qui est
inhérent à l’âme, et qui l’ordonne à cette opération en laquelle consiste la
béatitude. Dans cette opération, deux choses sont requises : la substance
elle-même de l’opération qui est la vision, et sa perfection, qui est la
délectation. Car la béatitude doit être une opération parfaite. La vision est
délectable de deux manières : de la part de l’objet, en tant que ce qui est vu
est délectable, et de la part de la vision, en tant qu’il est délectable de
voir cet objet : comme nous nous réjouissons de connaître les maux, bien que
ceux-ci ne nous réjouissent pas. Puisque l’opération en laquelle consiste la
béatitude ultime doit être tout à fait parfaite, il faut qu’elle soit
délectable sous ces deux aspects. Pour que cette vision soit délectable de la
part de la vision, elle doit devenir connaturelle à celui qui voit, grâce à
quelque disposition. Mais pour qu’elle soit délectable de la part de l’objet
visible, il faut deux conditions : d’une part que cet objet visible convienne,
et d’autre part qu’il soit en fait en contact avec celui qui voit. Donc, pour
que la vision soit délectable en elle-même, il faut une disposition qui la
rende telle ; et c’est la première dot que tous appellent vision. Mais de la
part de l’objet visible, deux conditions sont requises dans la vision : qu’elle
convienne, et cela regarde l’affectivité ; et c’est pour cela que certains
appellent cette dot dilection. Tandis que d’autres l’appellent fruition, parce
que la fruition a trait à l’affectivité, car ce que nous aimons le plus nous
apparaît très digne d’estime. De la part de l’objet visible, le contact est
requis et c’est pourquoi certains donnent comme dot la prise de possession, qui
n’est pas autre chose que de prendre conscience de la présence de Dieu et de le
garder en soi. Mais selon d’autres, il y a une fruition qui est non dans
l’espérance, comme dans la marche terrestre, mais déjà dans la possession comme
dans la patrie. Et ainsi, les trois dots répondraient aux trois vertus
théologales. À la foi correspond la vision ; à l’espérance, la prise de
possession ou la fruition, selon une manière de la concevoir ; à la charité, la
fruition ou la délectation, selon une autre conception. La fruition parfaite,
comme elle sera dans la patrie, inclut la délectation et la compréhension.
C’est pourquoi certains la confondent avec l’une, et d’autres avec l’autre.
Certains, par contre, attribuent ces trois dots aux trois forces
de l’âme, c’est-à-dire la vision à la force rationnelle, la délectation au
concupiscible, et la fruition à l’irascible, en tant qu’elle est le fruit d’une
certaine victoire. Mais cela ne peut être admis à proprement parler, car
l’irascible et le concupiscible ne sont pas dans la partie intellective, mais
dans la partie sensitive, tandis que les dots de l’âme sont dans l’esprit
lui-même.
Solution 1 :
La mémoire et l’intelligence n’ont qu’une seule opération soit
parce que l’intelligence est l’opération de la mémoire soit, si on dit que
l’intelligence est une puissance, parce que la mémoire n’entre en action que
par l’intelligence, puisque la mémoire ne fait que garder la connaissance
acquise. C’est pourquoi il n’y a qu’une seule disposition de la mémoire et de
l’intelligence, à savoir la connaissance. À chacune de ces facultés correspond
une seule dot la vision.
Solution 2 :
La fruition correspond à l’espérance en tant qu’elle inclut la
prise de possession qui succède à l’espérance ou qu’on espère, on ne le possède
pas encore ; donc l’espérance est de quelque manière source de souffrance, à
cause de la distance de ce qu’on aime. Elle ne demeurera donc pas dans la
patrie céleste, mais sera remplacée par la prise de possession.
Solution 3 :
La fruition, en tant qu’elle inclut la prise de possession, se
distingue de la vision et de la dilection mais pas comme la dilection se
distingue de la vision. La dilection et la vision désignent des dispositions
différentes, dont l’une appartient à l’intelligence, l’autre à l’affectivité.
Mais la prise de possession ou la fruition entendue dans le sens de la prise de
possession n’inclut pas d’autre disposition que celle-là, mais elle comporte
l’éloignement des obstacles qui empêchaient l’esprit d’être uni à Dieu présent.
Et cela se réalise parce que la disposition de la gloire libère l’âme de tout
défaut. Elle rend aussi l’âme capable de connaître sans images, et de maîtriser
le corps, et d’accomplir d’autres choses semblables, qui écartent les obstacles
qui font que maintenant nous sommes seulement en marche vers le Seigneur.
Solution 3 :
La réponse résulte de ce que nous avons dit dans la conclusion.
Solution 4 :
Les dots sont proprement les principes immédiats de cette
opération en laquelle consiste la béatitude parfaite, par laquelle l’âme est
unie au Christ. Les choses que saint Anselme énumère ne sont point de cette
sorte, mais sont seulement des éléments qui accompagnent ou suivent la
béatitude, non seulement par comparaison avec l’époux, auquel seule appartient
la sagesse, parmi les choses énumérées par lui, mais par comparaison avec
diverses autres choses. Ce sont des éléments égaux, auxquels appartient
l’amitié quant à l’union des sentiments, et la concorde quant au consentement
dans les actes ; ou bien des éléments inférieurs, auxquels appartiennent le
pouvoir, en tant que les choses inférieures sont disposées par les choses
supérieures, et l’honneur, en tant qu’il est rendu aux supérieurs par les
inférieurs ; ou bien ce sont des éléments de comparaison avec soi-même, comme
la sécurité par l’éloignement du mal, et la joie par l’acquisition du bien.
Solution 5 :
La louange, que saint Augustin donne comme le troisième des
éléments qui seront dans la patrie, n’est pas une disposition à la béatitude,
mais plutôt une conséquence de la béatitude par le fait même que l’âme est unie
à Dieu en qui consiste la béatitude, il suit qu’elle s’épanouit en louange
celle-ci n’est donc pas une dot.
Solution 6 :
Ces cinq choses énumérées par Boèce sont des conditions de
béatitude, non des dispositions à la béatitude ou à l’acte de béatitude,
puisque celle-ci, à cause de sa perfection, possède elle-même, et elle seule,
tout ce que l’homme peut chercher dans les diverses choses, comme dit Aristote.
Boèce montre que ces cinq choses se trouvent dans la vraie béatitude, parce que
ce sont elles que les hommes cherchent pour leur bonheur temporel elles
appartiennent soit à l’exclusion de tout mal, comme la sécurité, soit à
l’acquisition du bien convenable, comme la joie ou du bien parfait, comme la
suffisance, soit à la manifestation du bien, comme la célébrité, en tant que le
bien de l’un est connu par beaucoup, et la révérence, en tant que quelque signe
manifeste cette connaissance et ce bien la révérence consiste en effet à rendre
honneur, ce qui est un témoignage de vertu. Il est donc clair que ces cinq
choses ne doivent pas être appelées dots, mais condition de béatitude.
Pour étudier les auréoles, nous poserons douze questions :
1° L’auréole diffère-t-elle de la récompense
essentielle ?
2° Diffère-t-elle du fruit ?
3° Le fruit est-il dû à la seule vertu de
continence ?
4° Convient-il d’assigner trois fruits aux
trois parties de la continence ?
5° Une auréole est-elle due aux vierges ?
6° Et aux martyrs ?
7° Et aux docteurs ?
8° Une auréole est-elle due au Christ ?
9° Et aux anges ?
10°
Convient-il de distinguer trois auréoles ?
11°
L’auréole des vierges est-elle la plus appréciable ?
12° Un
bienheureux possède-t-il la même auréole plus intensément qu’un autre ?
Objection 1 :
Il semble que non. La récompense essentielle est la béatitude
elle-même. Mais la béatitude, selon Boèce, « est un état rendu parfait par
l’union de tous les biens. » La récompense essentielle inclut donc tous les
biens que nous [aurons dans la patrie. L’auréole est donc comprise dans la
couronne d’or.
Objection 2 :
Le plus et le moins ne modifient pas l’espèce des choses. Ceux qui
gardent les conseils et les préceptes, sont davantage récompensés que ceux qui
gardent seulement les préceptes. Et leur récompense ne semble pas différer sauf
parce que l’une est plus grande que l’autre. Puisque l’auréole désigne une
récompense qui est due aux œuvres de perfection, il semble qu’elle ne signifie
rien de distinct de la couronne d’or.
Objection 3 :
La récompense répond au mérite. Mais la source de tout mérite est
la charité. Puisque la couronne d’or correspond à la charité, il semble que
dans la patrie il n’y aura pas de récompense distincte de la couronne d’or.
Objection 4 :
« Tous les hommes bienheureux seront
analogues aux ordres des anges », comme dit saint Grégoire. Mais chez les anges « bien
que certaines choses soient données davantage à certains, cependant, rien n’est
possédé seulement par certains ; toutes choses se retrouvent chez tous, non
certes également, parce que certains possèdent d’une manière plus sublime ce
que tous possèdent. » Chez les bienheureux, il n’y aura donc que des
récompenses communes. L’auréole n’est donc point distincte de la couronne
d’or.
Objection 5 :
Une récompense supérieure est due au mérite supérieur. Si donc la
couronne d’or est due aux œuvres qui sont de précepte, et l’auréole à celles
qui sont de conseil, l’auréole est plus parfaite que la couronne (en latin aurea), et alors on ne devrait pas la
désigner par un diminutif. Il semble donc que l’auréole ne soit pas une
récompense distincte de la couronne d’or.
Cependant :
À propos de l’Exode "Tu feras une autre couronne, qui soit
une auréole" la Glose dit : « À cette couronne appartient le cantique
nouveau, que seules les vierges chantent devant l’Agneau" Il en résulte
que l’auréole est une couronne donnée, non à tous, mais spécialement à
certains. La couronne d’or est donnée à tous les bienheureux. L’auréole est
donc autre chose que la couronne d’or.
En outre, la couronne est due au
combat suivi de la victoire. Saint Paul dit à Timothée : « Il ne
sera pas couronné s’il n’a pas lutté selon les règles. » Donc, là où il y a
une nature spéciale de combat, il doit y avoir une couronne spéciale. Mais,
dans certaines œuvres, il y a une espèce particulière de combat. Elles doivent
donc recevoir une couronne spéciale. Et c’est ce que nous appelons l’auréole.
De plus, l’Église militante est la partie inférieure de l’Église
triomphante, comme cela ressort de l’Apocalypse : « J’ai vu la cité
sainte, etc. » Mais dans l’Église militante, des récompenses spéciales, comme
la couronne des vainqueurs, le prix des coureurs, sont accordées à ceux qui ont
accompli certaines œuvres. Il doit donc en être de même de l’Église triomphante.
Conclusion :
La récompense essentielle de l’homme, qui est sa béatitude,
consiste dans une parfaite union de l’âme avec Dieu, en tant qu’elle jouit
parfaitement de lui, vu et aimé à la perfection. Cette récompense est appelée
métaphoriquement couronne ou couronne d’or, soit par considération du mérite
qui est acquis par une sorte de combat, puisque la vie de l’homme sur la terre
est une bataille, soit par considération de la récompenses par laquelle l’homme
devient de quelque manière participant de la divinité, et donc du pouvoir royal
; l’Apocalypse dit : « Vous nous avez faits rois pour notre Dieu. » La couronne
est le signe propre du pouvoir royal ; et pour ce motif, la récompense
accidentelle, ajoutée à l’essentielle, prend aussi une forme de couronne. La
couronne signifie aussi une certaine perfection, à cause de sa forme de cercle,
et à ce titre convient à la perfection des bienheureux. Mais comme on ne peut
rien ajouter à la récompense essentielle, qui ne lui soit inférieur, cette
récompense ajoutée est appelée : auréole.
A cette récompense essentielle, qu’on appelle couronne d’or (= aurea) une chose peut être ajoutée de
deux manières.
1° D’une première manière : à cause de la
condition de la nature de celui qui est récompensé : ainsi la gloire du corps
s’ajoute à la béatitude de l’âme ; cette gloire du corps est quelquefois nommée
auréole. Au sujet de l’Exode : « Tu feras une autre couronne, l’auréole », la
Glose dit : « À la fin, l’auréole est surajoutée, puisque l’Écriture dit qu’ils
recevront une gloire plus élevée lors de la reprise des corps. » Mais en ce
moment, il ne s’agit pas de cette auréole.
2° D’une seconde manière : à cause d’une œuvre
méritoire ; et ce mérite peut provenir de deux causes, qui sont aussi sources
de bonté : c’est-à-dire de la racine de la charité, par laquelle l’acte se
rapporte à la fin ultime ; et ainsi lui est due la récompense essentielle, à
savoir d’atteindre sa fin, ce qui est la couronne d’or - ou bien d’un genre
spécial de l’action bonne elle-même, qui est particulièrement digne de louange
à cause des circonstances ou d’une disposition dont elle émane ou de sa fin
prochaine, et ainsi cette action mérite quelque récompense accidentelle, qu’on
appelle auréole. Et c’est de cette auréole-là que nous parlons présentement.
Ainsi, on doit dire que l’auréole est quelque chose d’ajouté à la
couronne, c’est-à-dire une sorte de joie au sujet des œuvres accomplies qui
incluent une victoire plus grande ; et c’est là une autre joie que celle dont
jouit quelqu’un à cause de son union avec Dieu, et qui est appelée la couronne
d’or.
Cependant, certains disent que la récompense commune elle-même,
qu’on nomme la couronne, prend le nom d’auréole si elle est attribuée aux
vierges, aux martyrs ou aux docteurs, de même que le denier prend le nom de
dette du fait qu’il est dû à quelqu’un, bien que ce soit tout à fait la même
chose qu’on appelle dette et denier. La récompense essentielle ne serait pas
plus grande quand on la nomme auréole, mais elle correspondrait à un acte
meilleur non selon l’intensité du mérite, mais selon la manière de mériter. De
la sorte, bien qu’en deux bienheureux il y ait la même limpidité de vision de
Dieu, cependant dans l’un on l’appellerait auréole, parce que cela correspondrait
à un mérite supérieur dans la manière d’agir. Mais cela semble contraire à
l’intention de la Glose du texte de l’Exode. Si la couronne et l’auréole sont
la même chose, on ne peut dire que l’auréole est surajoutée à la couronne. En
outre, puisque la récompense correspond au mérite, il faut qu’à un mérite
meilleur provenant de la manière d’agir corresponde une supériorité de la
récompense. Et c’est cette supériorité que nous appelons auréole. Celle-ci doit
donc différer de la couronne.
Solution 1 :
La béatitude renferme tous les biens nécessaires pour la vie
parfaite de l’homme, qui consiste en son opération parfaite. Mais des choses
peuvent lui être ajoutées, qui ne sont point nécessaires pour cette opération
parfaite à ce point qu’elle ne pourrait pas exister sans elles, mais qui, par
leur addition, rendent la béatitude plus éclatante ; elles appartiennent donc à
une meilleure réalisation de la béatitude, et à. une sorte de décor de celle-ci
; de même que la félicité d’un gouvernant reçoit un ornement de sa noblesse et
de la beauté de son corps, et d’autres facteurs analogues, sans lesquels elle
existe quand même. L’auréole joue un rôle analogue par rapport à la béatitude
céleste.
Solution 2 :
Celui qui observe les conseils et les préceptes mérite toujours
plus que celui qui n’observe que les préceptes, si nous considérons le motif du
mérite dans les œuvres, selon leur espèce, mais non selon le degré de charité.
Quelquefois, quelqu’un observe seulement les préceptes, mais avec une plus
grande charité que celui qui observe à la fois les préceptes et les conseils.
Mais le plus souvent, c’est le contraire qui se produit, parce que « la
preuve de l’amour se manifeste dans les œuvres » comme dit saint Grégoire.
Ce n’est donc pas la récompense essentielle plus intense qui est appelée
auréole, mais ce qui lui est ajouté, d’une manière indifférente à l’égard du
fait que quelqu’un mérite davantage de récompense essentielle ou moins ou
également.
Solution 3 :
La charité est le premier principe du mérite, mais notre action
est comme l’instrument par lequel nous méritons. Pour obtenir un effet, il ne
suffit pas qu’il y ait la disposition requise chez le premier moteur, mais
aussi une juste disposition de l’instrument. C’est pourquoi, dans l’effet
produit, il y a quelque chose qui provient du premier principe, et c’est le
principal, et quelque chose qui provient de l’instrument, et qui est
secondaire. C’est pourquoi, dans la récompense, il y a quelque chose qui vient
de la charité : c’est la couronne, et quelque chose qui vient de la nature de
l’opération : c’est l’auréole.
Solution 4 :
Les anges ont tous mérité leur béatitude par le même genre d’acte,
c’est-à-dire par leur conversion vers Dieu. Il n’y a donc pas en eux une
récompense individuelle qui serait chez l’un sans être de quelque manière chez
l’autre. Les hommes ont mérité leur béatitude par des actes d’espèces
différentes : ce n’est donc point la même chose. Cependant, ce que l’un des
hommes semble posséder individuellement, appartient de quelque manière en
commun à tous, en tant que par la charité parfaite chacun considère comme sien le
bien d’autrui. Mais cette joie par laquelle l’un se réjouit du bonheur de
l’autre ne peut être appelée auréole : Car elle n’est pas donnée comme
récompense d’une victoire propre, mais plutôt de la victoire d’un autre. La
couronne est décernée aux Victorieux eux-mêmes, non à ceux qui se réjouissent
de leur victoire.
Solution 4 :
L’excellence du mérite qui découle de la charité est plus grande
que celle qui vient du genre d’acte accompli, de même que la fin de la charité
est plus élevée que les choses ordonnées à cette fin, comme sont nos actes.
C’est pourquoi la récompense qui répond au mérite acquis par la charité, si
petite soit-elle est plus grande que toute récompense qui correspond à un acte
à cause de sa nature. L’auréole est donc désignée par un diminutif de la
couronne d’or.
Objection 1 :
L’auréole ne paraît pas différente du fruit. Il ne convient pas de
donner plusieurs récompenses pour le même mérite. Mais l’auréole et le fruit au
centuple correspondent au même mérite, c’est-à-dire la virginité, comme cela
ressort de ce que dit la Glose au sujet de saint Matthieu. L’auréole est donc
la même chose que le fruit.
Objection 2 :
Saint Augustin dit que « le fruit au centuple est dû aux
martyrs et aux vierges. » Le fruit est donc une récompense commune aux vierges
et aux martyrs. Mais l’auréole leur est due aussi à tous deux : c’est donc la
même chose que le fruit.
Objection 3 :
Dans la béatitude on ne trouve que deux récompenses :
l’essentielle, et l’accidentelle qui lui est surajoutée. Mais cette récompense
surajoutée se nomme auréole, comme cela se voit dans l’Exode, où l’on dit que
l’auréole est placée au-dessus de la couronne d’or. Le fruit n’est pas la
récompense essentielle, sinon il serait dû à tous les bienheureux. Il est donc
la même chose que l’auréole.
Cependant :
Les choses qui ne se divisent pas de la même manière ne sont pas
de la même nature. Mais le fruit et l’auréole ne se divisent pas de la même
manière, car l’auréole se divise en celle des vierges, des martyrs et des
docteurs, tandis que le fruit se divise en fruit des époux, des veuves et des
vierges. Ce n’est donc pas la même chose.
En outre, si le fruit et l’auréole étaient la même chose, ceux à
qui est dû le fruit devraient aussi avoir l’auréole. Mais cela est faux,
puisque le fruit est dû au veuvage, mais non l’auréole.
Conclusion :
Les choses dites métaphoriquement peuvent être prises de diverses
façons, selon les considérations des diverses propriétés de ce à quoi on les
compare. Puisque le fruit est, au sens propre, ce qui se trouve dans les choses
corporelles nées de la terre, on peut parler des fruits spirituels selon les
diverses conditions que nous trouvons dans les fruits corporels. Le fruit
corporel possède la douceur, par laquelle il nous restaure quand il est à
l’usage de l’homme. C’est aussi le dernier effet auquel parvient l’œuvre de la
nature. C’est encore ce que nous espérons grâce à l’agriculture, par
l’ensemencement et tous les autres travaux. Le fruit spirituel est donc lui
aussi parfois considéré comme ce qui nous restaure totalement, comme fin
ultime. Dans ce sens, on dit que nous puisons notre fruit en Dieu, parfaitement
dans le Ciel, et imparfaitement sur terre. C’est dans ce sens qu’on prend la
fruition, qui est une dot. Mais ici nous ne parlons pas de fruits en ce
sens-là. D’autres fois, on désigne comme fruit spirituel ce qui nous restaure,
sans être notre fin dernière et ainsi on dit des vertus du fruit « qu’elles
refont l’esprit par une vraie douceur », comme dit saint Ambroise. C’est dans
ce sens que saint Paul dit aux Galates : « Les fruits de l’esprit sont la
charité, la joie, etc. » Nous ne parlons pas ici de fruits dans ce sens ; nous
en avons parlé ailleurs. On peut prendre en un autre sens le fruit spirituel,
par comparaison avec le corps, en tant que le fruit corporel est quelque chose
d’utile que l’on attend du travail d’agriculture : alors le fruit est la
récompense que l’homme obtient par le travail accompli en cette vie ; et ainsi
toute récompense que nous aurons dans la vie future grâce à nos efforts, est
appelée fruit. Et saint Paul parle en ce sens aux Romains : « Vous possédez
votre fruit dans la sanctification, mais votre fin dans la vie éternelle. » Ce
n’est pas non plus dans ce sens que nous parlons maintenant de fruits, mais en
tant que le fruit est ce qui naît de la semence. Dans saint Matthieu, c’est
ainsi que le Maître parle du fruit, qu’il divise en trente pour un ou soixante
pour un ou en centuple. Le fruit ne peut sortir de la semence que parce que la
force de la semence est efficace pour transformer en sa nature les humeurs de
la terre ; et, plus cette force est efficace et la terre bien préparée, plus le
fruit est abondant. La semence spirituelle semée en nous est la parole de Dieu
; et plus quelqu’un est converti en spiritualité par la libération de la chair,
plus le fruit de cette parole est abondant. Le fruit de la parole de Dieu
diffère de la couronne et de l’auréole, parce que la couronne consiste en la
joie que quelqu’un a de posséder Dieu, l’auréole en la joie qu’il a de la
perfection de ses œuvres, tandis que le fruit consiste dans la joie qu’il a de
sa disposition à accomplir ces œuvres selon son degré de spiritualité, grâce
auquel il a fait valoir la semence de la parole de Dieu.
Certains distinguent entre l’auréole et le fruit en disant que
l’auréole est due au lutteur, selon ce mot de saint Paul à Timothée : « Il ne
sera pas couronné s’il n’a pas lutté selon les règles », tandis que le fruit
est dû au travailleur, selon la Sagesse : « Le fruit des bons travaux est
glorieux. » Mais d’autres disent que la couronne concerne la conversion vers
Dieu, tandis que l’auréole et le fruit consistent dans les choses qui sont
ordonnées à cette fin : Le fruit regarderait surtout la volonté, et l’auréole
surtout le corps. Mais comme le travail et la lutte sont dans le même homme et
selon la même chose, et que la récompense du corps dépend de celle de l’âme,
selon l’opinion citée, il n’y aurait qu’une différence de raison entre le
fruit, la couronne et l’auréole. Cela n’est pas possible, car le fruit est
assigné à certains, à qui n’est pas assignée l’auréole.
Solution 1 :
Il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’on attribue diverses
récompenses au même mérite, selon des éléments divers qui sont en lui. Ainsi la
couronne est donnée à la virginité en tant qu’elle est gardée à cause de Dieu,
par suite d’un vouloir de charité. Tandis que l’auréole lui est ajoutée en tant
qu’elle est une œuvre de perfection qui comporte une forme de victoire
supérieure, et que le fruit lui est accordé parce que par la virginité l’homme
se dégage du charnel et passe à un certain état spirituel.
Solution 2 :
Le fruit, en son acception propre, comme nous en parlons ici,
n’est pas une récompense commune au martyre et à la virginité, mais qui
correspond aux trois degrés de continence. Cette Glose qui affirme que le fruit
au centuple convient aux martyrs, prend ce mot au sens large, en tant que toute
rémunération est appelée fruit. De la sorte, le fruit au centuple désigne la rémunération
due à n’importe quelle œuvre de perfection.
Solution 3 :
Bien que l’auréole soit une récompense accidentelle s’ajoutant à
l’essentielle, cependant toute récompense accidentelle n’est, pas une auréole,
mais seulement la récompense d’œuvres de perfection par lesquelles l’homme est
tout à fait conforme au Christ grâce à une victoire parfaite. Il n’y a donc pas
d’inconvénient à ce que quelque récompense accidentelle, appelée fruit, soit
accordée à la libération de la vie charnelle.
Objection 1 :
Il semble que non, car au sujet de saint Paul écrivant aux
Corinthiens : « Autre est l’éclat du soleil », la Glose dit que : « On compare
à la clarté du soleil la dignité de ceux qui reçoivent du fruit au centuple, à
celle de la lune ceux qui reçoivent soixante pour un, à celle des étoiles ceux
qui reçoivent trente pour un. » Mais cette diversité de clarté, dans
l’intention de l’Apôtre, correspond à toute différence de béatitude. Les divers
fruits ne doivent donc pas correspondre à la seule vertu de continence.
Objection 2 :
Les fruits sont ainsi nommes à cause de la fruition. Mais celle-ci
est liée à la récompense essentielle, qui correspond à toutes les vertus. Donc…
Objection 3 :
Le fruit est dû au travail, selon la Sagesse : « Le fruit des bons
travaux est glorieux. » Mais dans le travail, le rôle de la force est plus
grand que celui de la tempérance ou de la continence. Le fruit ne correspond
donc pas à la seule continence.
Objection 4 :
Il est plus difficile de ne pas dépasser la mesure dans les
aliments, nécessaires à la vie, que dans les plaisirs sexuels, sans lesquels on
peut conserver la vie. L’effort pour garder la tempérance est donc plus grand
que pour la continence. Le fruit correspond donc plus à la tempérance qu’à la
continence.
Objection 5 :
Le fruit apporte une restauration. Mais celle-ci existe surtout
dans la fin. Comme les vertus théologales ont comme objet la fin, c’est-à-dire
Dieu, il semble que le fruit leur corresponde davantage.
Cependant :
Dans la Glose au sujet de saint Matthieu, on assigne les fruits à
la virginité, au veuvage et à la continence conjugale, qui sont les parties de
la continence.
Conclusion :
Le fruit est une récompense due à l’homme parce qu’il est passé de
la vie charnelle à la vie spirituelle. Il correspond donc surtout à la vertu
qui libère l’homme de la domination de la chair. C’est ce qu’opère la
continence, parce que c’est surtout par les plaisirs sexuels que l’âme est
soumise à la chair. C’est à ce point que, selon saint Jérôme, dans l’acte
charnel l’esprit de prophétie ne touche plus le cœur des prophètes, et que,
selon Aristote, « dans ce plaisir il n’est pas possible à l’intelligence de
connaître. » Le fruit correspond donc mieux à la continence qu’à une autre
vertu.
Solution 1 :
Cette glose prend le fruit au sens large, selon lequel toute
rémunération est appelée fruit.
Solution 2 :
La fruition ne tire pas son origine du mot fruit dans le sens dans
lequel nous parlons de fruit, comme cela est évident.
Solution 3 :
Le fruit, dans le sens où nous en parlons ici, ne correspond pas
au travail à cause de la fatigue, mais en tant que c’est par le travail que les
semences donnent leur fruit. C’est pourquoi les moissons elles-mêmes sont
appelées travaux, parce que c’est à cause d’elles qu’on travaille ou parce que
c’est par le travail qu’on les acquiert. La comparaison avec le fruit, en tant
qu’il vient de la semence, est plus proche de la continence que de la force,
parce que l’homme n’est pas soumis à la chair par les passions qui sont l’objet
de la force comme par celles auxquelles s’oppose la continence.
Solution 4 :
Bien que les plaisirs des aliments soient plus nécessaires que
ceux qui viennent des choses sexuelles, ils ne sont pourtant pas aussi véhéments
; ils ne soumettent donc pas autant l’âme à la chair.
Solution 5 :
Le fruit n’est pas pris ici pour signifier le fruit que reçoit
celui qui est restauré par la fin, mais dans un autre sens. L’argument ne porte
donc pas.
Objection 1 :
Cela ne semble pas convenir, car saint Paul s’adressant aux
Galates énumère douze fruits de l’Esprit : la charité, la joie, la paix, etc.
Il semble donc qu’on ne doive pas les réduire à trois.
Objection 2 :
Le fruit indique une récompense spéciale. Mais la récompense
accordée aux vierges, aux veufs et aux époux, n’est point spéciale, puisque
tous les hommes sauvés appartiennent à l’une de ces trois catégories. En effet,
mil n’est sauvé s’il ne garde la continence ; et celle-ci est divisée en ces
trois catégories. Il ne convient donc pas d’assigner les trois fruits à ces
trois groupes.
Objection 3 :
De même que le veuvage dépasse la continence conjugale, ainsi la
virginité l’emporte sur le veuvage. Mais le soixante pour un ne dépasse pas le
trente pour un de la même manière que le centuple dépasse le soixante pour un -
ni selon la proportion arithmétique, puisque soixante dépasse trente de trente,
et cent dépasse soixante de quarante - ni selon la proportion géométrique,
puisque soixante est le double de trente, tandis que cent est dépassé par le
double de soixante, puisqu’il le contient une fois entier, plus ses deux tiers.
Il ne convient donc pas d’attribuer les fruits aux trois degrés de continence.
Objection 4 :
Les choses dites par l’Écriture sont immuables. Saint Luc dit : « Le
Ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. » Par contre,
les choses d’institution humaine peuvent changer chaque jour. On ne peut donc
pas interpréter les choses de l’Écriture Sainte d’après ce qui est
d’institution humaine. Il ne convient donc pas d’accepter le motif qu’apporte
Bède pour assigner les trois fruits, quand il dit : « Le fruit à trente pour
un, convient aux époux, parce que dans la représentation des chiffres que l’on
fait au jeu, trente est signifié par le contact entre le pouce et l’index à
leur sommet, de telle sorte qu’ils semblent s’embrasser, et ainsi le chiffre
trente évoque les baisers des époux. Soixante est signifié par le contact de
l’index avec le milieu de l’articulation du pouce, et de la sorte, comme
l’index repose sur le pouce et le domine, il signifie l’oppression que les
veuves supportent dans le monde. Quand on parvient au nombre cent, on passe de
la main gauche à la main droite donc la centaine désigne la virginité, qui
possède en partie la dignité des anges, qui sont à droite, c’est-à-dire dans la
gloire, tandis que nous sommes à gauche, à cause de l’imperfection de la vie
présente.
Conclusion :
La continence, à laquelle correspond le fruit, introduit l’homme
dans une sorte de spiritualisation, en rejetant la vie charnelle. On distingue
donc les divers fruits selon les divers modes de spiritualisation que la
continence constitue. Il y a une spiritualité indispensable et une autre qui
est une surabondance. La spiritualité indispensable consiste en ce que la
droiture de l’esprit ne soit point pervertie par la délectation chamelle : cela
se produit quand quelqu’un jouit des plaisirs de la chair dans la conformité à
l’ordre de la raison telle est la spiritualité des époux. La spiritualité
surabondante consiste pour l’homme à se détacher totalement des délectations
charnelles qui oppriment l’esprit. Cela peut s’accomplir de deux manières :
Soit à l’égard de tout temps, passé, présent et futur : et c’est la
spiritualité des vierges, soit pour un temps limité : Et c’est la spiritualité
des veufs. À ceux qui gardent la continence conjugale est donné le fruit à
trente pour un. À ceux qui gardent la continence des veufs est donné soixante
pour un, à ceux qui gardent la continence virginale est donné le centuple ;
selon le motif assigné plus haut par Bède.
Cependant, on pourrait donner à ces divisions un autre motif,
selon la nature des nombres. Le nombre trente vient de la multiplication de dix
par trois ; trois est le chiffre de toutes choses, comme dit Aristote, et il
contient en soi la perfection commune à tout : le commencement, le milieu et
la fin. Il convient donc que le nombre trente soit assigné aux époux chez eux,
à l’observation du Décalogue, qui est désigné par dix, ne s’ajoute que la
perfection commune sans laquelle n’y a pas de salut.
Le nombre six, dont la multiplication par dix fait soixante,
possède la perfection en vertu de ses parties, puisqu’il résulte du groupement
de toutes ses parties : il convient donc qu’il corresponde au veuvage, dans
lequel se trouve le parfait éloignement des plaisirs charnels, dans toutes les
circonstances, qui sont comme les parties de l’acte vertueux : En effet, le
veuf n’use des plaisirs charnels avec personne, en aucun lieu et dans aucune
circonstance, chose qui n’existait pas dans la continence conjugale. Le
centuple correspond parfaitement à la virginité, parce que le nombre dix, dont
la multiplication par lui-même donne cent, est la limite des nombres. De même,
la virginité atteint la limite de la spiritualisation, puisqu’on ne peut rien
lui ajouter quant à la spiritualité. Le nombre cent, en tant que nombre carré,
possède la perfection en vertu de sa figure en effet, la figure carrée est
parfaite parce qu’elle possède l’égalité de toutes ses parties, ayant des côtés
égaux : Elle convient donc à la virginité, dans laquelle l’incorruptibilité est
gardée en tous les temps passé, présent et futur.
Solution 1 :
En cette difficulté, le mot fruit n’est pas pris dans le sens où
nous le prenons ici.
Solution 2 :
Rien n’oblige à tenir que le fruit soit une récompense qui n’est
pas donnée à tous ceux qui seront sauvés. La récompense essentielle n’est pas
seule commune à tous les hommes. Mais aussi des choses accidentelles, comme la
joie des œuvres accomplies, sans lesquelles ou ne serait pas sauvé. On peut
dire cependant que les fruits ne conviennent pas à tous ceux qui seront sauvés,
comme cela est manifeste chez ceux qui se convertissent à la fin de la vie, et
n’ont pas vécu dans la continence : ils ont droit à la récompense essentielle,
mais non aux fruits.
Solution 3 :
La distinction des fruits est prise davantage selon les espèces
et les figures des nombres que selon les quantités désignées. Cependant, on
peut donner une justification même au sujet de la quantité. L’homme marié
s’abstient seulement de celle qui n’est pas sa femme, tandis que la veuve
s’abstient de son mari et de celui qui ne l’est pas. Et ainsi ou trouve cette
explication : comme soixante est le double de trente, cent ajoute à soixante le
nombre quarante, qui vient de la multiplication de dix par quatre. Le nombre
quatre est le premier nombre entier et cubique. Il convient donc à la virginité,
dans laquelle, à la perfection du veuvage s’ajoute l’incorruption perpétuelle.
Solution 4 :
Bien que cette désignation des chiffres pour le jeu soit
d’institution humaine, cependant elle est fondée de quelque manière sur la
nature des choses, en tant que les chiffres sont désignés graduellement selon
l’ordre des articulations et des contacts des doigts.
Objection 1 :
Il semble que non. Une plus grande récompense est due quand une œuvre
présente plus de difficulté. Mais les veuves souffrent plus que les vierges de
s’abstenir des jouissances charnelles. Saint Jérôme dit eau effet que plus
grande est la difficulté que certains rencontrent pour s’abstenir des voluptés
défendues, plus grande est leur récompense. Il dit cela en faisant l’éloge des
veuves. Aristote dit aussi que « les jeunes filles avant perdu leur
virginité désirent davantage l’acte charnel, à cause du souvenir de leur
jouissance. » L’auréole, qui est la plus grande récompense, est donc due
davantage aux veuves qu’aux vierges.
Objection 2 :
Si l’auréole était due à la virginité, elle devrait se trouver là
où se rencontre la plus parfaite virginité. Mais dans la Bienheureuse Vierge se
trouve la plus parfaite virginité, d’où son appellation de Vierge des vierges.
Et pourtant l’auréole ne lui est pas due, parce qu’elle n’a subi aucune lutte
pour garder la continence, puisqu’elle ne fut pas atteinte par les passions de
la corruption. L’auréole n’est donc pas due à la virginité.
Objection 3 :
On ne doit pas accorder une récompense très élevée à ce qui n’est
pas louable en tout temps. Mais il n’aurait pas été louable de garder la
virginité dans l’état d’innocence, puisque alors il avait été prescrit :
« Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre », ni même dans le
temps de la loi mosaïque, puisque les stériles étaient maudites. Une auréole
n’est donc point due à la virginité.
Objection 4 :
On ne doit pas donner la même récompense à la virginité gardée et
à la virginité perdue. Mais l’auréole est due parfois à la virginité perdue, si
par exemple une femme est violée malgré elle par un tyran parce quelle confesse
la foi au Christ. L’auréole n’est donc point due à la virginité.
Objection 5 :
Une récompense élevée ne doit pas être attribuée à ce qui est en
nous naturellement. Mais la virginité appartient de naissance, à tout homme,
bon et mauvais. L’auréole ne lui est donc pas due.
Objection 6 :
De même que le veuvage, dans la continence, reçoit un fruit de
soixante pour un, ainsi la virginité reçoit le centuple et l’auréole. Mais ce
fruit n’est pas dû à toute veuve, mais seulement à celle qui demeure vouée au
veuvage, comme on dit. Il semble donc que l’auréole ne soit pas due à toute
virginité, muais seulement à celle à laquelle on s’est voué.
Objection 7 :
On ne donne pas de récompense à ce qui existe nécessairement,
puisque tout mérite consiste en un acte de la volonté. Or, il y a des vierges
qui le sont par nécessité, comme les frigides et les eunuques. L’auréole n’est
donc pas toujours due à la virginité.
Cependant :
Dans l’Exode nous lisons : « Tu feras une autre couronne,
l’auréole. » Et la Glose ajoute : « À cette couronne-là appartient le cantique
nouveau, que les vierges chantent devant l’Agneau, ceux qui suivent l’Agneau
partout où il ira. » La récompense due à la virginité se nomme donc auréole.
En outre, Isaïe dit : « Le Seigneur Dieu dit ceci aux eunuques :
je leur donnerai le meilleur nom parmi les fils et les filles. » Et la Glose
ajoute : « Cela signifie une gloire spéciale et élevée. » Or, par les eunuques
"qui se sont mutilés pour le royaume des cieux », on désigne les vierges.
La virginité a donc droit à une récompense supérieure, qui est l’auréole.
Conclusion :
Là où est obtenue une forme supérieure de victoire, on a droit à une
couronne spéciale. Quand quelqu’un, en gardant la virginité, obtient une
victoire exceptionnelle sur la chair, contre laquelle il mène une lutte
incessante, comme dit saint Paul aux Galates : « L’esprit lutte contre la chair
», il a droit à une couronne spéciale, qui est appelée auréole. Tous
l’affirment communément ; mais ils ne sont pas d’accord pour préciser à quelle
virginité est due cette auréole. Les uns disent qu’elle est due à un acte :
elle sera donc donnée à celle qui garde, en acte, la virginité, si elle est du
nombre de ceux qui seront sauvés. Mais cela ne semble pas convenir, car alors
celles qui ont la volonté de se marier, mais meurent auparavant, posséderaient
l’auréole. D’autres disent que l’auréole est due à un état et non à un acte :
seules mériteraient l’auréole celles qui se sont mises par un vœu dans l’état
de virginité perpétuelle. Mais cela non plus ne semble pas convenir, car
quelqu’un peut garder la virginité sans l’avoir vouée, avec une volonté égale à
celle d’un autre qui en a fait le vœu. C’est pourquoi on peut dire, autrement,
que le mérite est dû à tout acte de vertu impéré par la charité. La virginité
est de l’ordre de la vertu, en tant que l’incorruption perpétuelle de l’esprit
et du corps est l’effet d’un choix, comme cela découle de ce que nous avons
dit. L’auréole n’est donc due à proprement parler qu’à ceux qui ont décidé de
garder la virginité perpétuelle, qu’ils aient exprimé ou non cette décision. Et
je dis cela en tant que l’auréole est prise, à proprement parler, comme une
récompense donnée au mérite, bien que cette résolution ait été quelquefois
interrompue, tout en gardant l’intégrité de la chair : pourvu que celle-ci
persévère jusqu’à la fin de la vie, car la virginité de l’esprit peut être
réparée, mais non celle de la chair. Mais si nous prenons l’auréole au sens
large, pour toute joie qui s’ajoute dans le Ciel à la joie essentielle, alors
l’auréole est donnée à ceux qui sont demeurés incorrompus dans leur chair, même
s’ils n’ont pas eu la volonté de garder perpétuellement la virginité. Il n’est
pas douteux en effet qu’ils jouissent de l’incorruption du corps, commue les
innocents qui sont demeurés exempts du péché, bien qu’ils n’aient pas eu la
possibilité de pécher, comme les enfants baptisés. Ce n’est point l’acception
propre de l’auréole, mais elle est très commune.
Solution 1 :
Dans la garde de la continence, une lutte plus forte est
soutenue, à un certain point de vue, par les vierges, à un autre point de vue,
par les veuves. Les vierges sont enflammées par la concupiscence et par le
désir d’expérimenter, qui provient d’une certaine curiosité, en vertu de
laquelle l’homme voit plus volontiers ce qu’il n’a pas encore vu. Et parfois
cette concupiscence augmente l’appréciation du plaisir au-delà de ce qu’il est
dans la réalité. Il y a aussi une absence de considération des inconvénients
qui sont liés à lin plaisir de ce genre. À ce point de vue, les veuves
obtiennent une lutte moindre, tandis que celle-ci est accrue, au contraire, par
le souvenir du plaisir éprouvé. Et en ces diverses choses, les hommes diffèrent
en leur jugement, selon leurs diverses conditions et dispositions, car certains
sont davantage mus par un point de vue, et les autres par un autre. Quoi qu’il
en soit de l’intensité de la lutte, il est certain que la victoire des vierges
est plus parfaite que celle des veuves : car c’est une victoire plus parfaite
et plus belle, de n’avoir jamais cédé à l’ennemi. La couronne n’est pas due à
la lutte, mais à la victoire dans la lutte.
Solution 2 :
À ce sujet, deux opinions sont émises. Certains disent que la
Bienheureuse Vierge ne reçoit pas l’auréole comme récompense de la virginité,
si l’auréole est considérée comme récompensant la lutte, mais qu’elle reçoit
quelque chose de plus grand que l’auréole, à cause de sa décision parfaite de
garder la virginité. D’autres disent qu’elle possède l’auréole, et même très
supérieure, sous la raison propre d’auréole : car, bien qu’elle n’ait pas
éprouvé le combat, elle a quand même connu une certaine lutte de la chair.
Mais, à cause de la puissance de sa vertu, sa chair était tellement soumise,
que cette lutte la laissait insensible. Pourtant, cela ne semble point
convenir, car on croit que la Bienheureuse Vierge fut tout à fait préservée de
l’inclination sensuelle, à cause de sa parfaite sanctification. Il n’est point
respectueux de dire qu’il y eût en elle quelque lutte de la chair, car celle-ci
ne vient que d’une inclination dépravée. La tentation qui vient de la chair ne
petit pas exister sans le péché, comme dit la Glose, à propos de saint Paul aux
Corinthiens : « J’ai reçu le stimulant de ma chair. » La Vierge doit donc
posséder à proprement parler l’auréole, pour que, en cela, elle soit conforme
aux autres membres de l’Église, qui possèdent la virginité. Bien qu’elle ne
connût pas la tentation qui vient de la chair, elle connut la lutte qui vient
de la tentation opérée par l’ennemi, qui n’a même pas respecté le Christ
lui-même, comme nous le voyons en saint Matthieu.
Solution 3 :
L’auréole n’est due à la virginité qu’en tant qu’elle ajoute une
certaine supériorité aux autres degrés de la continence. Si Adam n’avait pas
péché, la virginité ne posséderait pas une perfection supérieure à la
continence conjugale, car il y aurait eu alors des noces honorables, et une union
nuptiale immaculée, la perversion de la concupiscence n’existant pas. La
virginité n’aurait pas alors été gardée, et n’aurait pas droit à une auréole.
Mais la condition de la nature humaine étant changée, la virginité revêt une
beauté spéciale et mérite donc une récompense particulière. Au temps de la Loi
de Moïse, quand le culte de Dieu devait être propagé par l’acte charnel, il
n’était pas tout à fait louable de s’abstenir de l’acte de la chair : on ne
donnait donc pas une récompense spéciale à cette décision, sauf si elle venait
d’une inspiration divine : comme on le croit pour Jérémie et Élie, dont on ne
lit pas qu’ils aient été mariés.
Solution 4 :
Si une vierge a été violée par contrainte, elle ne perd pas pour
autant son auréole, dès lors qu’elle garde inviolablement sa volonté de
défendre à jamais sa virginité, cru ne consentant nullement à l’acte subi elle
ne perd pas pour cela sa virginité ; et cela vaut si elle a été violée à cause
de sa foi, pour n’importe quelle autre cause. Mais si elle souffre cela pour la
foi, cela augmentera son mérite, et lui donnera le mérite du martyre. C’est
pourquoi sainte Lucie dit : « Si tu me fais violer contre ma volonté, ma
couronne de chasteté sera doublée ». Non qu’elle ait deux auréoles de
virginité, mais parce qu’elle recevra une double récompense, une pour la garde
de la virginité, l’autre à cause de l’injustice subie. En supposant même
qu’une vierge ainsi violentée conçoive, elle ne perd pas polir alitant le
mérite de la virginité. Elle n’égalera cependant pas la Mère du Christ, qui
garda, avec l’intégrité de l’esprit, celle de la chair.
Solution 5 :
La virginité nous est donnée par la nature quant à ce qui est
physique en elle, mais la résolution de garder une incorruption perpétuelle,
qui donne le mérite de la virginité, n’est pas innée ; elle vient d’un don de
la grâce.
Solution 6 :
Le fruit de soixante pour un n’est pas dû à toute veuve, mais
seulement à celle qui a résolu de garder le veuvage, même si elle n en a pas
fait le vœu, comme nous l’avons dit pour la virginité.
Solution 7 :
Si les frigides et les eunuques sont résolus à garder une
incorruption perpétuelle, même s’ils recevaient la possibilité d’accomplir
l’acte de la chair, ils doivent être appelés vierges, et méritent l’auréole :
ils font en effet de nécessité vertu. Mais s’ils sont décidés à se marier s’ils
en deviennent capables, ils ne méritent pas l’auréole. C’est pourquoi saint Augustin
dit : « Pour ceux dont l’organe viril est malade, de sorte qu’ils ne peuvent
pas engendrer, comme sont les eunuques, s’ils deviennent chrétiens et gardent
les préceptes de Dieu, mais avec l’intention de se marier s’ils le pouvaient,
il suffit de les considérer comme semblables aux époux croyants. »
Objection 1 :
Il semble que non, car l’auréole est une récompense attribuée aux œuvres
surérogatoires. Bède dit à propos de l’Exode : « Tu feras une autre couronne »,
« Cette récompense vaut pour ceux qui dépassent les préceptes généraux, par un
choix spontané d’une vie plus parfaite. » Or, mourir pour la confession de sa
foi est quelquefois obligatoire et non surérogatoire comme nous le voyons dans
l’épître aux Romains : « Par le cœur nous croyons à la justice, mais par la
bouche nous confessons ce qui est requis pour le salut. » L’auréole n’est donc
pas toujours due au martyre.
Objection 2 :
Selon saint Grégoire et saint Augustin, « plus les services sont
libres, plus ils sont dignes de récompense. » Mais le martyre n’est aucunement
libre, puisqu’il est une peine imposée avec violence par un autre. L’auréole
n’est donc pas due au martyre, parce qu’elle correspond à un mérite supérieur.
Objection 3 :
Le martyre ne consiste pas seulement dans la souffrance de la
mort, mais aussi dans la volonté intime. C’est pourquoi saint Bernard distingue
trois espèces de martyrs : par la volonté et sans meurtre, comme saint Jean par
la volonté et le meurtre, comme saint Etienne par le meurtre sans la volonté,
comme les Saints Innocents. Si donc l’auréole était due au martyre, elle serait
due davantage au martyre de la volonté qu’au martyre extérieur, puisque le
mérite procède de la volonté. Or, ce n’est point ce que l’on dit. L’auréole
n’est don c pas due au martyre.
Objection 4 :
La souffrance du corps est moindre que celle de l’esprit provenant
de douleurs intimes et des passions de l’âme. La souffrance intérieure est une
sorte de martyre ; saint Jérôme dans son sermon sur l’assomption : « Je dirai à
bon droit que la Vierge Mère de Dieu fut aussi martyre, bien que sa vie se soit
achevée dans la paix. C’est pourquoi il est dit qu’un glaive transpercera ton
âme », à savoir la douleur de la mort de son Fils. » Puisqu’il n’y a pas
d’auréole pour la douleur intérieure, il ne doit pas y en avoir pour la douleur
extérieure.
Objection 5 :
La mortification elle-même est une sorte de martyre ; Saint
Grégoire dit : « Même sans avoir l’occasion d’être persécutés, notre
vie paisible connaît son martyre : car bien que nous n’inclinions pas sous le
fer notre cou de chair, nous exterminons en esprit les désirs de la chair, avec
le glaive spirituel. » L’auréole n’est point due à cette pénitence, qui
consiste en des œuvres extérieures. Elle n’est donc pas due non plus au martyre
extérieur.
Objection 6 :
L’auréole n’est pas due à une œuvre défendue. Or il est interdit
de se faire violence à soi-même, comme dit saint Augustin, et cependant
l’Église célèbre le martyre de certains qui se sont fait violence pour échapper
à la rage des tyrans, comme cela se voit dans l’Histoire d’Eusèbe, à propos de
certaines femmes d’Antioche. L’auréole n’est donc pas toujours due au martyre.
Objection 7 :
Il arrive parfois que quelqu’un soit blessé à cause de sa foi, et
survit cependant quelque temps. Il est manifestement martyr. Et pourtant
l’auréole ne lui est pas due, parce qu’il n’a pas souffert jusqu’à la mort.
L’auréole n’est donc pas toujours due au martyre.
Objection 8 :
Certains souffrent plus de la perte des biens temporels que de la
souffrance de leur propre corps : comme on le voit puisqu’ils se donnent tant
de mal pour acquérir des richesses. Si donc on leur enlève, à cause du Christ,
leurs biens temporels, il semble qu’ils soient des martyrs. Et cependant on dit
que l’auréole ne leur est pas due. Donc...
Objection 9 :
Il semble que le martyr soit seulement celui qui est mis à mort
pour la foi. C’est pourquoi Isidore dit : « On les appelle martyrs, selon le
terme grec, témoins en latin, parce qu’ils ont supporté leurs souffrances pour
apporter au Christ leur témoignage, et ont lutté jusqu’à la mort pour la vérité.
» Mais il y a des vertus supérieures à la foi, comme la justice, la charité,
etc., qui ne peuvent exister sans la grâce ; et cependant l’auréole ne leur est
point due. Il semble donc qu’elle ne le soit pas non plus au martyre.
Objection 10 :
De même que les vérités de foi, toute autre vérité vient de Dieu,
comme dit saint Ambroise, parce que "toute vérité, quel que soit celui
qui l’exprime, vient du Saint-Esprit. » Si donc on doit l’auréole à celui qui
supporte la mort pour la vérité de foi, on la devrait aussi pour ceux qui
supportent la mort pour toute autre vérité : et cela n’est évidemment pas
exact.
Objection 11 :
Le bien commun l’emporte sur le bien particulier. Si quelqu’un
meurt, dans une guerre juste pour la défense de l’Etat, on ne lui doit pas
l’auréole. Donc pas non plus s’il est tué pour la conservation en lui-même de
la foi.
Objection 12 :
Tout mérite procède du libre arbitre. Mais l’Église célèbre le
martyre que certains qui n’eurent pas l’usage du libre arbitre. Ils n’ont donc
pas mérité l’auréole, et dès lors, celle-ci n’est pas due à tous les martyrs.
Cependant :
Saint Augustin dit : « Personne, je pense, n’a osé mettre la
virginité au-dessus du martyre. » Mais la virginité a droit à une auréole. Donc
aussi le martyre.
En outre, la couronne est due au lutteur. Dans le martyre, il y a
une difficulté spéciale dans le combat. On lui doit donc une auréole spéciale.
Conclusion :
De même que l’esprit lutte contre les concupiscences intérieures,
ainsi l’homme lutte contre les passions qui viennent du dehors. De même que la
victoire la plus parfaite par laquelle l’homme triomphe des concupiscences de
la chair, c’est-à-dire la virginité, a droit à une couronne spéciale qui
s’appelle auréole, de même celui qui a remporté la plus parfaite victoire qui
se conquiert dans la lutte extérieure, a droit à une auréole. La victoire la
plus parfaite contre les passions extérieures peut être considérée sous deux
aspects : d’abord selon la grandeur de la passion vaincue ; parmi toutes les
passions provoquées du dehors, la peur de la mort tient le premier rang, de
même que dans les passions intérieures les principales sont les concupiscences
sexuelles. C’est pourquoi, quand quelqu’un parvient à la victoire sur la mort
et contre ce qui lui est rattaché, il est parfaitement vainqueur. La grandeur
de la victoire sur les passions peut aussi être considérée d’après la cause de
la lutte, quand par exemple on combat pour une cause très honorable, qui est le
Christ lui-même. Or ces deux choses sont contenues dans le martyre, qui est
l’acceptation de la mort à cause du Christ. » Ce qui constitue le martyre, ce
n’est pas la souffrance, mais sa cause" dit saint Augustin. L’auréole est
donc due au martyre comme à la virginité.
Solution 1 :
Supporter la mort à cause du Christ est en soi une œuvre
surérogatoire tous ne sont pas mis dans l’obligation de confesser leur foi
devant un persécuteur. Mais en certaines occasions cela est obligatoire pour se
sauver : ainsi quand quelqu’un arrêté par un persécuteur est interrogé sur sa
foi, il est obligé de la confesser. Mais il n’en suit pas qu’il ne mérite pas
l’auréole. Celle-ci en effet n’est pas due à l’œuvre surérogatoire en tant que
telle, mais en tant qu’elle contient une certaine perfection. Donc, si cette
perfection demeure, même sans qu’il y ait surérogation, on mérite l’auréole.
Solution 2 :
La récompense est due au martyre non en tant qu’il est infligé du
dehors, mais en tant qu’il est supporté volontairement, car nous ne méritons
que par les choses qui sont en nous. Plus ce que quelqu’un supporte
volontairement est difficile et de nature à répugner à la volonté, plus cette
volonté qui le supporte à cause du Christ, se montre fermement fixée dans le
Christ. On lui doit donc une récompense supérieure.
Solution 3 :
Il y a des actes qui possèdent en eux-mêmes une grande intensité
de jouissance ou de difficulté. Dans ces actes le fait de les accomplir
augmente toujours le mérite ou le démérite, car en les accomplissant la
volonté, à cause de cette intensité, a dû modifier profondément l’état dans
lequel elle se trouvait auparavant. C’est pourquoi, toutes choses restant les
mêmes, celui qui accomplit un acte de luxure pèche plus que celui qui ne fait
que consentir à l’acte, parce qu’en accomplissant l’acte, la volonté est intensifiée.
De même, puisque l’acte du martyre comporte une très grande difficulté, le
vouloir du martyre n’atteint pas le mérite qui est dû à l’acte même du martyre,
à cause de cette difficulté. Cependant cette volonté du martyre peut parvenir à
une plus haute récompense, en raison de son mérite, parce que quelqu’un peut
vouloir supporter le martyre, sans le subir, avec une plus grande charité que
celui qui le subit en fait. C’est pourquoi le martyr volontaire peut mériter,
par sa volonté seule, une récompense essentielle égale ou plus grande que celle
qui est due au martyr réel. Mais puisque l’auréole est due à la difficulté qui
se rencontre dans la lutte même du martyre, elle n’est pas due à ceux qui ne
sont martyrs que dans leur vouloir, mais non en fait.
Solution 4 :
De même que les plaisirs du toucher, auxquels est ordonnée la
tempérance, tiennent la première place parmi les plaisirs intérieurs et
extérieurs, de même les douleurs du toucher sont au-dessus de toutes les autres
douleurs. C’est pourquoi une auréole est due davantage à la difficulté qui se
manifeste dans le support des douleurs du toucher par exemple celles des coups
et autres choses semblables, qu’elle n’est due à la difficulté de supporter les
douleurs intérieures, à cause desquelles quelqu’un n’est pas appelé à
proprement parler martyr, sauf par comparaison ; Et c’est dans ce sens que
parle saint Jérôme.
Solution 5 :
Les souffrances de la mortification ne sont pas à proprement
parler un martyre, parce qu’elles ne consistent pas en des choses ordonnées à
causer la mort, mais seulement destinées à dominer la chair. Si quelqu’un
dépasse cette mesure, sa pénitence devient une faute. Cependant, on peut, par
comparaison, appeler la mortification un martyre, parce qu’elle peut l’emporter
en durée sur le martyre, tandis que celui-ci l’emporte en intensité.
Solution 6 :
Selon saint Augustin, nul ne peut attenter à sa vie pour aucune
cause, à moins qu’il ne le fasse sous l’action d’une inspiration divine, pour
donner un exemple de courage en méprisant la mort. On croit que ceux dont il
est parlé dans cette difficulté se sont donné la mort sous une inspiration
divine : C’est pourquoi l’Église célèbre leur martyre.
Solution 7 :
Si quelqu’un reçoit à cause de sa foi une blessure mortelle, mais
ne meurt pas aussitôt, il n’est point douteux qu’il mérite l’auréole, comme
cela est évident pour la bienheureuse Cécile, qui a survécu trois jours, et
pour de nombreux martyrs morts en prison. Même si quelqu’un reçoit une blessure
qui n’est pas mortelle, et qui est cependant suivie de mort, on croit qu’il
mérite l’auréole, bien que certains disent que celui qui aboutit à la mort à
cause de son insouciance ou de sa négligence, ne mérite pas l’auréole.
Cependant, cette négligence ne l’aurait pas conduit à la mort sans la blessure
antérieure, reçue pour la foi : Celle-ci est donc la première occasion de sa
mort ; il semble dès lors qu’il ne perde pas l’auréole, à moins que sa
négligence soit telle qu’elle comporte une faute mortelle, qui lui enlève la
couronne et l’auréole. Mais si quelqu’un ne meurt pas après avoir reçu une
blessure mortelle, à cause de quelque circonstance fortuite ou s’il n’a pas
reçu de blessure mortelle, mais qu’ensuite, étant en prison, il meurt, il
mérite encore l’auréole. C’est pourquoi l’Église célèbre de saints martyrs qui
sont morts en prison, longtemps après avoir subi des blessures, comme le pape
Marcel. Donc, toute souffrance infligée pour le Christ et s’achevant dans la
mort, que celle-ci suive immédiatement ou non, suffit à constituer le martyre
et à mériter l’auréole. Si elle ne va pas jusqu’à la mort, on ne considère pas
cet homme comme martyr : comme c’est le cas du bienheureux Sylvestre, que
l’Église ne fête pas comme martyr, parce qu’il a achevé sa vie dans la paix,
après avoir subi auparavant bien des tourments.
Solution 8 :
De même que la tempérance ne regarde pas les plaisirs de l’argent
ou des honneurs, mais seulement les jouissances du toucher, parce qu’elles sont
les principales, de même la force ne regarde que les menaces de mort, parce
qu’elles sont les plus graves, comme dit Aristote. C’est pourquoi l’auréole
n’est due qu’aux attaques qui menacent le propre corps, capables d’engendrer la
mort. Si donc quelqu’un, à cause du Christ, perd les biens temporels ou sa
réputation ou toute autre chose de ce genre, il n’est pas martyr pour autant,
et ne mérite pas l’auréole. On ne peut aimer d’une manière normale les choses
extérieures plus que le propre corps. Un attachement déréglé ne peut concourir
à faire mériter une auréole. La douleur de la perte des biens matériels ne peut
égaler celle de la mort du corps, ni d’autres souffrances semblables.
Solution 9 :
La cause suffisante pour constituer le martyre n’est pas seulement
le fait de confesser la foi, mais aussi toute autre vertu, non pas humaine,
mais surnaturelle, qui a le Christ comme fin. Par tout acte de vertu, on peut
devenir témoin du Christ, en tant que les œuvres qu’il opère en nous sont un
témoignage de sa bonté. C’est ainsi que des vierges furent tuées à cause de
leur virginité qu’elles voulaient garder, comme la bienheureuse Agnès et
quelques autres, dont le martyre est célébré par l’Église.
Solution 10 :
La vérité de foi a le Christ comme fin et comme objet : c’est
pourquoi sa confession mérite l’auréole, si une peine lui est infligée, non
seulement à cause de la fin poursuivie, mais aussi à cause de cette souffrance.
Mais la confession de toute autre vérité n’est pas une cause suffisante pour
constituer un martyre en raison d’une semblable souffrance : elle ne le serait
qu’à cause de la fin, si par exemple quelqu’un préférait être mis à mort pour
le Christ, plutôt que de dire n’importe quel mensonge qui est un péché contre
lui.
Solution 11 :
Le Bien incréé dépasse tout bien créé. Dès lors, toute fin créée,
qu’elle soit le bien commun ou un bien privé, ne peut conférer à une action
autant de bonté que le Bien incréé le fait quand quelque chose est accompli à
cause de Dieu. Donc, si quelqu’un subit la mort à cause du bien commun, sans
référence au Christ, il ne mérite pas l’auréole. Mais s’il rapporte cela au
Christ, il la mérite, et il est martyr s’il défend l’État contre les attaques
des ennemis qui veulent corrompre la foi au Christ, et qu’il meurt dans cette
lutte de défense.
Solution 12 :
Certains disent que chez les Innocents morts pour le Christ
l’usage de la raison fut anticipé par un miracle divin, comme chez saint Jean
Baptiste quand il était dans le sein maternel par là, ils furent de vrais
martyrs, en acte et en volonté ; Et ils possèdent l’auréole. Mais d’autres disent
qu’ils furent martyrs seulement en acte, mais non en volonté : telle semble
être la pensée de saint Bernard dans sa division des trois sortes de martyrs.
D’après cela, les Innocents, qui ne réalisèrent pas la notion parfaite du
martyre, mais y participèrent de quelque manière en souffrant pour le Christ,
ont aussi l’auréole, non dans sa parfaite définition, mais en une certaine
participation, en tant qu’ils se réjouissent d’avoir été tués au service du
Christ, comme nous l’avons vu au sujet des enfants baptisés qui jouissent de
leur innocence et de l’intégrité de leur chair.
Objection 1 :
Cela ne semble pas. Toute récompense dans l’au-delà correspond à
un acte de vertu. Prêcher ou enseigner n’en est pas un. On ne doit donc point
l’auréole à la prédication ou à l’enseignement.
Objection 2 :
Enseigner et prêcher sont le fruit de l’étude et de
l’enrichissement doctrinal. Les choses qui sont récompensées dans l’au-delà ne
s’acquièrent point par l’effort humain, car nous ne méritons pas par les choses
naturelles et acquises. Aucune auréole n’est donc promise pour l’au-delà à
l’enseignement et à la prédication.
Objection 3 :
L’exaltation dans le Ciel correspond à l’humiliation ici-bas, car « celui
qui s’humilie sera exalté. » Enseigner et prêcher n’humilient pas : ce
sont plutôt des occasions d’orgueil. La Glose dit, au sujet de saint Matthieu,
que « le diable trompe beaucoup d’hommes enflés par les honneurs du
magistère ». Il semble donc que la prédication et l’enseignement n’aient
pas droit à l’auréole.
Cependant :
À propos de saint Paul. Aux Ephésiens : « Pour que vous
sachiez quelle est l’éminence... », la Glose dit : « Les saints
docteurs recevront une augmentation de gloire supérieure à celle que tous
auront communément. »
En outre, la Glose ordinaire, commentant le Cantique des Cantiques,
« Ma vigne est devant moi », dit : « Il montre quelle récompense particulière
il prépare pour ses docteurs. » Ils auront donc une récompense spéciale, et
c’est ce que nous nommons auréole.
Conclusion :
Par le martyre et la virginité, l’homme remporte une très parfaite
victoire contre la chair et le monde. De même, il remporte une très parfaite
victoire contre le diable quand, non content de résister à ses assauts, il le
chasse non seulement de lui-même, mais aussi des autres. C’est ce qui se fait
par la prédication et l’enseignement. C’est pourquoi on leur doit une auréole,
comme à la virginité et au martyre. Qu’on ne dise pas, comme certains le font,
qu’elle est due seulement aux prélats, à qui il appartient, en vertu de leur
charge, de prêcher et d’enseigner : elle appartient à tous ceux qui exercent
licitement cette mission. Elle n’est due aux prélats, bien qu’ils aient la
charge de prêcher, que s’ils le font en fait, car la couronne n’est pas due à
une disposition, mais à une lutte en acte, selon ce mot de saint Paul à
Timothée : « Il ne sera pas couronné s’il n’a pas lutté selon les règles. »
Solution 1 :
Prêcher et enseigner sont les actes d’une vertu : la miséricorde.
On doit donc les ranger parmi les aumônes spirituelles.
Solution 2 :
Bien que la faculté de prêcher et d’enseigner vienne de l’étude,
le fait d’enseigner vient de la volonté, qui est enrichie par la charité
infusée par Dieu. Son exercice peut donc être méritoire.
Solution 3 :
L’exaltation en cette vie ne diminue la récompense de l’autre vie
que si quelqu’un cherche, à travers cette exaltation, sa propre gloire. Mais
celui qui transforme cette exaltation en bénéfice pour les autres, mérite une
récompense. Quand on dit que l’enseignement a droit à l’auréole, on doit
l’entendre de l’enseignement des choses du salut, qui chasse le diable du cœur
des hommes, comme une arme spirituelle. Saint Paul dit aux Corinthiens : « Les
armes de notre armée ne sont pas charnelles, mais spirituelles. »
Objection 1 :
Il semble que oui. Une auréole est due à la virginité, au martyre
et à l’enseignement. Ces trois choses existèrent excellemment dans le Christ. L’auréole
lui convient donc excellemment.
Objection 2 :
Tout ce qui est très parfait dans les choses humaines, doit être
attribué, à un degré supérieur, au Christ. La récompense de l’auréole est due
aux mérites les plus élevés. Elle est donc due au Christ.
Objection 3 :
Saint Cyprien dit que la virginité porte l’image de Dieu à son
type idéal est donc en Dieu. Il semble donc que l’auréole convienne au Christ
même en tant que Dieu.
Cependant :
L’auréole, avons-nous dit, est la joie de se sentir conforme au Christ.
Nul ne se conforme ni ne devient semblable à soi-même, comme dit Aristote.
L’auréole n’est donc pas due au Christ.
En outre, la récompense du Christ n’augmente jamais. Or il ne
posséda pas l’auréole dès l’instant de sa conception, car alors il n’avait
encore jamais lutté. Il ne l’eût donc pas davantage ensuite.
Conclusion :
Deux opinions se présentent à ce sujet certains disent que dans le
Christ il y a eu à proprement parler une auréole, parce qu’il a connu là lutte
et la victoire, et donc mérité la couronne proprement dite. Mais en y regardant
de près, s’il possède la couronne en sa notion propre, il ne possède pas celle
de l’auréole. Celle-ci en effet, par cela même qu’elle est un diminutif,
indique quelque chose qui est possédé seulement en participation et non en sa
plénitude. Elle ne convient donc qu’à ceux chez qui il n’y a qu’une
participation à la victoire parfaite, dans l’imitation de celui qui réalise
pleinement la notion de victoire parfaite. Dans le Christ au contraire nous
trouvons une réalisation parfaite de la notion de pleine victoire tous les
autres vainqueurs ne font qu’y participer, comme nous le voyons en saint Jean
"Ayez confiance, j’ai vaincu le monde », et dans l’Apocalypse "Voici
qu’a vaincu le lion de la tribu de Juda. » Il ne convient donc pas qu’il
possède l’auréole, mais plutôt une chose de laquelle jailliront toutes les
auréoles. C’est pourquoi l’Apocalypse dit : « Je ferai asseoir sur mon trône
celui qui aura vaincu, de même que j’ai vaincu et je siège sur le trône de mon
Père. » Aussi, d’autres estiment qu’on doit dire bien que ce qui se trouve dans
le Christ ne soit pas précisément une auréole, c’est mieux que toute auréole.
Solution 1 :
Le Christ fut très véritablement vierge, martyr et docteur. Mais
en lui, la récompense accidentelle correspondant à ces titres est très faible
en comparaison de la grandeur de sa récompense essentielle. Il ne possède donc
pas l’auréole en sa notion précise.
Solution 2 :
Bien que l’auréole soit due à une œuvre très parfaite, pourtant, en
tant qu’elle est désignée par un diminutif, elle signifie une participation
seulement à la perfection qui se trouve pleinement réalisée dans un autre. Par
là, elle marque une certaine infériorité. Elle ne se trouve donc pas dans le
Christ, en qui toute perfection existe en sa plénitude.
Solution 3 :
Bien que la virginité ait de quelque manière son modèle parfait en
Dieu, cependant ce modèle idéal n’est pas de la même nature que chez l’homme.
L’incorruption de Dieu, qu’imite la virginité, n’est pas de même nature en Dieu
et dans un homme vierge. Elle est pour eux de nécessité de salut, puisque pour
eux aucune réparation ne peut suivre la déchéance. Les actes par lesquels les
anges nous instruisent appartiennent à leur gloire et à leur état commun ils ne
méritent donc pas l’auréole pour cela.
Objection 1 :
Il semble que oui, d’après ce que dit saint Jérôme au sujet de la
virginité : « Vivre dans la chair en en étant dégagé, c’est plutôt
une vie angélique qu’une vie humaine », et la Glose, à propos d’un passage de
saint Paul, aux Corinthiens, dit que « la virginité est une part angélique.
» Puisque la virginité reçoit l’auréole, elle semble due aux anges.
Objection 2 :
L’incorruption de l’esprit est supérieure à celle de la chair.
Dans les anges nous trouvons l’incorruption de l’esprit, car ils n’ont jamais
péché. L’auréole leur est donc due plus qu’aux hommes qui seraient incorrompus
dans leur chair, mais qui ont parfois péché.
Objection 3 :
L’auréole est due à ceux qui enseignent. Les anges nous
instruisent en nous purifiant, nous illuminant et nous perfectionnant, comme
dit Denys. Ils doivent donc avoir au moins l’auréole des docteurs.
Cependant :
Saint Paul dit à Timothée : « Il ne sera pas couronné,
s’il n’a pas combattu selon les règles. » Dans les anges, pas de combat, donc
pas d’auréole.
En outre, l’auréole n’est pas due à un acte qui ne s’accomplit pas
avec coopération du corps. Pour ceux qui ont l’amour de la virginité, du
martyre et de l’enseignement, l’auréole ne leur sera pas donnée s’ils ne
réalisent pas ces choses extérieurement. Les anges étant incorporels, n’ont
pas d’auréole.
Conclusion :
L’auréole n’est pas due aux anges, car elle correspond à une forme
supérieure de perfection dans le mérite. Les choses qui chez l’homme
contribuent à la perfection de son mérite sont naturelles pour les anges ou
appartiennent à leur état commun ou font partie de leur récompense essentielle.
Le motif même pour lequel l’auréole est due aux hommes, fait que les anges n’en
ont pas.
Solution 1 :
La virginité est appelée vie angélique parce que les vierges
imitent, par l’effet de la grâce, ce que les anges possèdent par nature. Pour
ceux-ci, ce n’est point de la vertu que de s’abstenir complètement des plaisirs
de la chair, puisque ceux-ci ne pourraient pas exister chez eux.
Solution 2 :
L’incorruption perpétuelle de l’esprit mérite aux anges leur
récompense essentielle ; Elle est pour eux essentiel au salut, puisque pour eux
aucune réparation ne peut suivre la déchéance.
Solution 3 :
Les actes par lesquels les anges nous instruisent appartiennent à
leur gloire et à leur état commun : ils ne méritent donc pas l’auréole pour
cela.
Objection 1 :
Il ne semble pas qu’on ne doive distinguer que trois auréoles,
pour les vierges, les martyrs et les prédicateurs. Car l’auréole des martyrs
correspond à la vertu de force, celle des vierges à la vertu de tempérance et
celle des docteurs à la vertu de prudence. Il semble donc qu’il doit y avoir
une quatrième auréole correspondante à la vertu de justice.
Objection 2 :
À propos de l’Exode, la Glose dit que « la couronne est
donnée quand l’Évangile promet la vie éternelle à ceux qui gardent les commandements
», et à propos de saint Matthieu : « Si tu veux entrer dans la vie, garde les
commandements », la Glose dit "L’auréole lui est ajoutée quand il est dit
: si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres.
» L’auréole est donc due à la pauvreté.
Objection 3 :
Par le vœu d’obéissance, l’homme se soumet totalement à Dieu :
c’est donc en ce vœu que consiste la plus grande perfection ; dès lors, il
semble que l’auréole lui soit due.
Objection 4 :
Il y a beaucoup d’autres œuvres surérogatoires, à cause
desquelles l’homme dans la vie future aura une joie spéciale. Il n’y a donc
beaucoup d’auréoles outre les trois citées plus haut.
Objection 5 :
De même que répand la foi en prêchant et en enseignant, de même il
le fait en copiant des écrits. Une quatrième auréole lui est donc due.
Conclusion :
L’auréole est une récompense privilégiée correspondant à une
victoire exceptionnelle. C’est pourquoi on désigne trois auréoles en
considérant les victoires exceptionnelles dans les trois luttes qui menacent
tout homme. Dans la lutte contre la chair, celui qui remporte la plus grande
victoire est celui qui s’abstient tout à fait des délectations charnelles, qui
sont les principales en ce domaine : c’est l’homme vierge. Une auréole est donc
due à la virginité. Dans la lutte contre le monde, la victoire principale
consiste à soutenir la persécution du monde jusqu’à la mort : la seconde
auréole est donc due aux martyrs, qui remportent la victoire dans cette lutte.
Dans la lutte contre le diable, la principale victoire consiste à chasser le
démon non seulement de soi-même, mais même du cœur des autres : Ce qui s’opère
par l’enseignement et la prédication : La troisième auréole est donc due aux
docteurs et aux prédicateurs.
Cependant, certains distinguent trois auréoles selon les trois
puissances de l’âme : les trois auréoles correspondraient aux actes les meilleurs
de ces trois puissances. L’acte le meilleur de la puissance rationnelle est de
diffuser la vérité de foi chez les autres : à cet acte est due l’auréole des
docteurs. L’acte le meilleur de l’irascible est de supporter même la mort pour
le Christ : et cet acte a droit à l’auréole des martyrs. L’acte le meilleur du
concupiscible est de s’abstenir complètement des plus grandes délectations de
la chair : et cela donne droit à l’auréole de la virginité.
D’autres distinguent trois auréoles selon les choses par
lesquelles nous sommes rendus conformes au Christ de la manière la plus élevée.
Il fut médiateur entre le Père et le monde : il fut donc docteur, en tant qu’il
a manifesté au monde la vérité qu’il avait reçue du Père. Il fut martyr, en
supportant la persécution du monde. Il fut vierge, en gardant en lui-même la
pureté. Donc, les docteurs, les martyrs et les vierges lui sont très
parfaitement conformes : ils méritent donc l’auréole.
Solution 1 :
Dans l’acte de la justice, il n’y a point de lutte comme dans les
actes des autres vertus. Il n’est point vrai qu’enseigner soit un acte de
prudence : C’est plutôt un acte de charité ou de miséricorde, car c’est par ces
vertus que nous sommes portés à l’exercice de l’enseignement ou encore, c’est
un acte de sagesse, en tant qu’on dirige les autres. On pourrait dire, selon
d’autres, que la justice englobe toutes les vertus : On ne lui doit donc pas
une auréole particulière.
Solution 2 :
Bien que la pauvreté soit une œuvre de perfection, elle n’occupe
pas la première place dans une lutte spirituelle, car l’amour des biens
temporels est moins agressif que la concupiscence de la chair ou la persécution
infligée à son propre corps. On ne doit donc pas donner l’auréole à la
pauvreté, mais le pouvoir judiciaire, à cause de l’humiliation qui l’accompagne.
La Glose citée prend l’auréole au sens large, pour toute récompense accordée à
un mérite supérieur.
De même pour la troisième et la quatrième difficulté.
Solution 5 :
Une auréole est due à ceux qui écrivent la doctrine sacrée, mais
elle ne se distingue pas de celle des docteurs, car rédiger un écrit est une
manière d’enseignement.
Objection 1 :
Il semble que oui, car l’Apocalypse dit des vierges qu’ « elles
suivent l’Agneau partout où il ira » et que « personne d’autre ne
pouvait chanter le cantique qu’elles chantaient. » Elles auront donc pas une
auréole supérieure.
Objection 2 :
Saint Cyprien, dans un traité Des vierges, dit qu’elles sont « la
plus illustre portion du troupeau du Christ. » Elles ont donc droit à une
auréole plus élevée.
Objection 3 :
Il semble que l’auréole la plus élevée soit celle des martyrs,
car, à propos de l’Apocalypse : « et personne ne pouvait dire le cantique », Haymon
dit que "tous les vierges ne précèdent pas les personnes mariées, mais
spécialement les vierges qui dans le tourment de leur passion sont rendus égaux
aux martyrs mariés, en ayant gardé leur virginité. » Le martyre donne donc à la
virginité la prééminence sur tous les états. L’auréole serait donc plutôt due
au martyre.
Objection 4 :
Il semble quel l’auréole la plus élevée soit due aux docteurs, car
l’Église militante modèle l’Église triomphante. Dans l’Église militante, le
plus grand honneur est dû aux docteurs. Saint Paul dit à Timothée : « Les
prêtres qui gouvernent bien sont dignes d’un double honneur, surtout ceux qui
s’appliquent à la parole et à l’enseignement. » Donc, dans l’Église
triomphante, c’est à eux qu’est due davantage l’auréole.
Conclusion :
La supériorité d’une auréole à l’égard d’une autre peut être
appréciée de deux manières. D’abord en considérant la lutte : l’auréole plus
élevée est due à la lutte plus forte ; à ce point de vue, l’auréole des martyrs
l’emporte de quelque manière sur les autres, et celle de la virginité l’emporte
d’une autre manière. La lutte des martyrs est plus forte en elle-même, et
afflige plus violemment ; mais la lutte contre la chair est plus dangereuse,
parce qu’elle est plus durable et nous menace de plus près. Secondement, en
considérant les choses sur lesquelles porte la lutte : l’auréole des docteurs
l’emporte sur toutes, parce que leur lutte porte sur les biens intellectuels,
tandis que les autres luttes portent sur les passions sensibles. Mais cette
supériorité qui est considérée dans la lutte est plus essentielle à l’auréole,
puisque celle-ci regarde essentiellement la victoire et la lutte. La
difficulté de la lutte considérée en elle-même est supérieure à celle qui est
considérée en nous, en tant qu’elle est plus intime à nous. C’est pourquoi, à
parler absolument, l’auréole des martyrs est supérieure à toutes. Il nous est
dit sur saint Matthieu, dans la Glose ordinaire, que "dans la huitième
béatitude, qui concerne les martyrs, toutes les autres béatitudes se
perfectionnent. » C’est pour cela que l’Église, quand elle énumère les saints,
fait passer les martyrs avant les docteurs et les vierges. Mais à certains
points de vue, rien n’empêche que les autres auréoles soient plus parfaites.
D’où la solution des difficultés.
Objection 1 :
Il ne semble pas qu’un bienheureux possède plus qu’un autre
l’auréole de la virginité ou du martyre ou des docteurs car les choses
parvenues à leur achèvement ne connaissent plus d’augmentation ni de diminution.
Or l’auréole est due aux œuvres qui sont dans l’achèvement de la perfection.
L’auréole ne comporte donc pas de plus ou de moins.
Objection 2 :
La virginité ne connaît pas de plus ou de moins, puisqu’elle est
une privation : les privations ne peuvent augmenter ni diminuer. Donc la
récompense de la virginité, l’auréole des vierges, ne peut augmenter ni
diminuer.
Cependant :
L’auréole s’ajoute à la couronne, et celle-ci est plus riche pour
l’un que pour l’autre. Donc aussi l’auréole.
Conclusion :
Puisque le mérite est de quelque manière la cause de la récompense,
celle-ci doit varier selon les degrés du mérite une chose augmente ou diminue
selon l’augmentation ou la diminution de sa cause. Le mérite de l’auréole peut
être plus ou moins grand. Cependant, on doit savoir que le mérite d’une auréole
peut être considéré de deux manières d’une part en sa racine, d’autre part dans
l’œuvre accomplie. On peut rencontrer deux hommes dont l’un supporte le
tourment du martyre avec moins de charité ou se livre davantage à la
prédication ou s’écarte davantage des délectations de la chair. L’augmentation
du mérite qui vient de sa racine n’entraîne pas une augmentation de l’auréole,
mais de la couronne, tandis que l’augmentation du mérite qui vient de la nature
de l’acte entraîne l’augmentation de l’auréole. Il peut donc arriver que
quelqu’un qui mérite moins dans le martyre à l’égard de la récompense essentielle,
possède une auréole plus grande à cause de la nature de son martyre.
Solution 1 :
Les mérites qui comportent le droit à l’auréole ne parviennent pas
d’une manière absolue à l’achèvement de la perfection, mais seulement selon
leur nature, comme le feu est par nature le plus subtil des corps. Rien
n’empêche qu’une auréole soit plus élevée qu’une autre, comme un feu peut être
plus subtil qu’un autre.
Solution 2 :
Une virginité peut être plus grande qu’une autre, par un plus
grand éloignement de ce qui lui est contraire : comme on dit que la virginité
de quelqu’un est plus grande parce qu’il évite davantage les occasions de
corruption. On peut dire qu’une privation est plus totale qu’une autre, par
exemple si un homme est plus aveugle parce qu’il est davantage privé de la vue.
A ce sujet, dix questions :
1° Peuvent-elles voir les corps glorieux de
Jésus et Marie ?
2° Peuvent-elles en contact avec les autres
âmes glorifiées ?
3° Voient-elles les hommes qui sont sur la
terre ?
4° Connaissent-elles les prières que nous
leur adressons ?
5° Devons nous demander aux saints de prier
pour nous ?
6° Les prières des saints en notre faveur
sont-elles toujours exaucées ?
7° Les élus souffrent-ils en voyant les
péchés des hommes sur la terre ?
8° Voient-ils la souffrance des damnés ?
9° Ont-ils de la compassion pour la
souffrance des damnés ?
10° Se réjouissent-ils des peines des impies
?
Objection 1 :
Les corps de Jésus et de Marie restent des corps matériels. Ils ne
peuvent donc être vus que par un œil matériel. Donc les âmes glorifiées
séparées de leur corps ne verront pas les corps de Jésus et de Marie, du moins
avant leur résurrection corporelle.
Objection 2 :
Jésus dit
en saint Jean : « Nul ne vient au Père que par moi. » Il est donc nécessaire
que Dieu soit vu par l’âme à travers l’humanité sainte de Jésus. Donc l’âme
glorifiée voit le corps glorieux du Christ.
Cependant :
Il semble
qu’elles doivent pouvoir les voir. En effet, les âmes voient l’humanité sainte
de Jésus et de Marie lors de leur jugement individuel, alors qu’elles sont déjà
séparées de leur corps. Elles doivent donc en être encore plus capables après
leur glorification
Conclusion :
La vision
peut s’entendre de deux manières : ou bien il s’agit de la vision corporelle
qui passe par l’intermédiaire d’un organe ou bien il s’agit de la vision
intellectuelle qui pénètre l’essence des réalités.
Si l’on veut parler de la vision corporelle, alors on
doit admettre que les âmes glorifiées verront les corps glorieux de Jésus et de
Marie, comme d’ailleurs tous les corps, y compris les corps psychiques des
autres morts. Elles pourront aussi voir le corps de ceux qui sont encore sur la
terre. La raison en est que, si elles n’ont plus de corps physique et donc plus
d’organe charnel capable de saisir la lumière matérielle, elles conservent ce
qui est le principal dans l’exercice de la vie sensible, à savoir l’organisme
psychique qui est le siège de toutes ses facultés. Nous l’avons montré[1133], contre toute logique et à cause
des témoignages contrôlables de ceux qui ont approché la mort, on peut prouver
qu’il existe un corps psychique que les hindouistes appellent le corps astral
et que les Égyptiens anciens qualifiaient de « baï. » L’exercice de
ces sensations sera plus performant puisqu’il ne s’arrêtera plus à la
perception de ce qui est palpable dans la matière, mais aussi de manière
directe, il pourra voir ce qui est impalpable et qui est le domaine du
psychisme des hommes, des animaux et des morts. La raison de cette nouvelle
capacité tient à la fois de la disparition du poids invalidant, compte tenu du
péché originel, du corps physique, que de la nature du corps psychique qui,
étant fait de cette matière psychique, perçoit tout ce qui a rapport avec elle.
Si l’on veut parler de la vision intellectuelle, alors
les âmes glorifiées comprendront l’humanité Sainte de Jésus et de Marie ainsi
que tout ce qui est matériel dans le monde. Elles les comprendront de deux
manières :
1° Pour toutes les âmes, d’une manière naturelle grâce à l’exercice
nouveau de leur intelligence séparée de la chair et de ses lourdeurs qui, par la médiation des images des corps glorifiés, pénètrera
d’une manière intuitive l’essence des réalités.
2° Pour les âmes en état de béatitude, en
Dieu, c’est-à-dire à travers la vision de l’essence divine qui porte en elle
d’une manière simple la connaissance de tout ce qui existe.
Solution 1 :
Cela répond à la première objection.
Solution 2 :
Dans le
paradis, Dieu ne sera pas vu à travers une quelconque créature, même si c’est
de l’humanité sainte de Jésus que l’on parle. Dieu sera vu face à face, dans
son essence. Ce sera plutôt l’humanité sainte de Jésus qui sera rendue
intelligible par la vision de l’essence divine. Malgré cela, les âmes garderont
la possibilité naturelle de voir sensiblement les corps glorifiés. Ce surcroît
de perfection ne s’opposera pas mais viendra accomplir jusqu’aux sensations la
vision béatifiante de Dieu.
Objection 1 :
Cela ne semble pas possible. La vision de l’essence divine sera à
ce point béatifiante qu’elle absorbera en Dieu toutes les activités de l’âme
sans laisser aucune place à une vie en dehors du Verbe. Il n’y aura donc pas de
contact avec les autres âmes glorifiées, ni avec rien en dehors de Dieu.
Objection 2 :
Lorsqu’une intelligence porte son activité à la connaissance d’une
chose, elle ne peut en même temps penser à une autre chose. Si donc
l’intelligence humaine contemple l’essence divine, elle ne peut en même temps
communiquer avec quelqu’un d’autre, sans quoi on devrait admettre qu’elle sort
de la vision de Dieu ce qui est absurde.
Objection 3 :
La
communication des âmes glorifiées entre elles semble inutile puisqu’elles
sauront à l’avance toute chose dans la vision de la Vérité éternelle.
Cependant :
L’Écriture
affirme[1135]
: « ceux qui ont triomphé de la Bête chantent le Cantique de l’Agneau,
s’accompagnant sur les harpes de Dieu. » Or il est impossible à une communauté
d’offrir à Dieu une véritable liturgie s’il n’y a pas de contact entre les
membres de l’assemblée. Donc les âmes glorifiées peuvent entrer en contact les
une avec les autres.
Conclusion :
Comme nous
l’avons vu, les âmes séparées possèdent par nature la capacité de communiquer
entre elles, en échangeant directement les concepts dont elles veulent faire
part aux autres. Elles se servent pour cela de l’image de leur corps psychique
qui, de par ses qualités intrinsèques n’est plus un obstacle à la communication
mais un parfait instrument dévoilant les sentiments et les images accompagnant
les pensées. L’intellect agent du récepteur de ces images étant lui-même libéré
dans son exercice de toute contrainte, il lui est possible d’extraire sans
difficulté de ces images la connaissance de la pensée de l’autre. Ceci est non
seulement vrai pour les damnés ou les âmes du purgatoire, mais d’autant plus pour
les âmes glorifiées dont l’intelligence est surélevée par la puissance de Dieu
jusqu’à la contemplation de l’essence infinie. Vitalini Sandro écrit[1136]
: « La perfection de l’homme est atteinte dans la mesure où il se donne aux
autres. Loin de fermer l’individu dans un petit monde où il serait simplement
en contact privé avec Dieu, la vision l’associe à l’élan même de la vie
trinitaire. Et le bonheur ne résultera justement que du fait que l’homme sera
don-agapè pour les autres. »
Solution 1 :
Chez nous, une opération extérieure trouble la pureté de notre
contemplation, parce que nous nous livrons à cette action avec nos forces
sensibles dont les actes, lorsque nous y prêtons attention, paralysent les
actes de notre puissance intellectuelle. Mais l’âme séparée dirige ses
opérations sensibles sans difficulté pour le service de son opération
intellectuelle. En outre, chez les âmes glorifiées, chaque action sera réglée et
causée par la contemplation de l’essence divine. Si une action est la règle et
la raison de l’autre, celle-ci n’empêche pas la première, mais elle l’aide à se
réaliser.
Solution 2 :
Comme nous venons de le dire, l’âme glorifiée ne fera rien qui ne
soit immédiatement réglé et finalisé par la contemplation de l’essence divine.
Ainsi, les actes qu’elle posera à l’extérieur ne feront qu’un avec sa
contemplation intérieure. En communiquant avec les autres âmes ou avec les
autres anges, elle ne sera donc pas privée des joies de la contemplation
intime. C’est ce qu’on voit déjà chez les anges qui, étant envoyés en mission
auprès des hommes, n’en restent pas moins dans le face à face avec Dieu,
puisqu’ils ne font rien qui ne soit en lien direct avec la volonté de Dieu.
Solution 3 :
Dans la
vision béatifique, la communication sera inutile s’il s’agit d’apprendre
quelque chose sur Dieu puisque chacun sera immédiatement enseigné par Dieu.
Cependant, elle pourra être utile pour apprendre de l’âme elle-même certains détails
de la vie passée qui n’auront pas encore été manifestés par le jugement général,
ou quelque circonstance du présent. En définitive tout sera rapporté à la
louange de Dieu dont la gloire resplendira à travers chaque chose. C’est
pourquoi les âmes, par les échanges fraternels qu’elles auront, célèbreront
éternellement un culte de louange à Dieu.
Objection 1 :
On a vu que les âmes séparées étaient capables par nature de voir
les hommes qui sont sur la terre. Mais on a vu aussi que Dieu, dans sa sagesse,
a séparé totalement notre monde du leur. Son but est de maintenir
provisoirement les hommes face à la solitude de leurs actes. Donc les âmes
glorifiées n’ont pas la possibilité de voir ce que font les hommes sur terre.
Objection 2 :
Si les
âmes glorifiées sont rendues capables par la grâce de Dieu de voir ce que font
les hommes sur la terre, on ne voit pas pourquoi il n’en serait pas de même
pour toutes les âmes qui sont en état de grâce après la mort comme les âmes du
purgatoire.
Cependant :
L’Église
recommande d’adresser nos prières aux saints. Ce serait vain s’ils ne pouvaient
en aucune manière nous entendre. Donc les âmes glorifiées voient ce que les
hommes font sur terre.
Conclusion :
Comme on l’a vu, on peut parler de la vision en deux sens :
1° Il peut s’agir de la faculté sensible.
Dans ce cas, l’âme glorifiée est capable de voir ce que les hommes font sur
terre puisqu’elle est unie à son corps psychique, siège de toutes ses facultés
de vie sensible[1137].
Mais elle ne peut le faire que si elle se rend sur le lieu où nous sommes,
c’est-à-dire si elle confronte directement ses sens à notre image. Or elle vit
dans un autre monde, séparé du nôtre. Il reste donc à étudier s’il lui est
possible de se rendre sur terre. D’après la majorité des Églises réformées,
cela est impossible. Jésus étant le seul médiateur entre Dieu et les hommes,
cela ne leur paraît pas non plus convenable. L’abîme que signale Jésus entre
les diverses demeures du Ciel doit être aussi appliqué entre le Ciel et la
terre. Mais cette théologie n’est pas celle de l’Église catholique. À ses yeux
en effet, le Christ est bien le seul médiateur mais sa médiation[1138],
loin de nous rendre passif, fonde l’acte de notre charité qu’il veut agissante
et coopérante. Il nous invite donc aux œuvres de la foi qu’informe la charité.
Déjà ici-bas, il aime nous confier des missions de médiation. À fortiori
au Ciel, les âmes qui lui sont parfaitement unies ont la liberté de s’occuper de
nous. Leur volonté étant une avec Dieu, il leur laisse une totale liberté de
venir nous voir ou même d’agir ou plutôt de faire agir les anges ou Dieu lui-même
pour nous.
Si les âmes glorifiées qui nous entourent semblent agir rarement
de manière visible, c’est qu’elles sont en parfaite harmonie avec le désir de
Dieu qui veut cette distance provisoire. Bien qu’elles cachent leur action
jusqu’à l’heure de notre mort, il est par contre essentiel à notre vie de
charité de les prier. Le Concile Vatican II[1139]
rappelle à nouveau que la fréquentation des habitants du Ciel (nostram cum
caelitibus conversationem) « si elle est conçue selon la pleine
lumière de la foi, bien loin de diminuer le culte d’adoration rendu à Dieu le
Père par le Christ dans l’Esprit l’enrichit au contraire. »
2° Il peut s’agir de la vision
intellectuelle et dans ce cas, on doit dire que les âmes glorifiées voient ce
que font les hommes sur la terre et ceci d’une double manière : En premier
lieu, étant sans cesse en acte de vision de l’essence divine, elles voient en
Dieu tout ce qui les concerne, de la même manière que Dieu lui-même les voit.
Et cette science est simple à cause du médium de la connaissance qui est Dieu
lui-même. Elle est profonde à cause de la pénétration de la connaissance divine.
En second
lieu, elles peuvent voir par elles-mêmes ce que les hommes font sur terre. En
effet, les âmes glorifiées étant surélevées par Dieu jusqu’à la vision de
l’Eternelle gloire, la puissance de leur intelligence s’en trouve augmentée.
Elle peut donc se porter par elle-même à la connaissance des singuliers, d’une
manière analogue aux anges pour qui cependant cette capacité est naturelle et
n’a pas besoin d’une aide surajoutée de la grâce de Dieu. L’intelligence
humaine, quand elle est fortifiée par la lumière de gloire, est rendue capable
de recevoir des espèces intelligibles suffisamment lumineuses pour connaître
les choses en leur nature universelle et aussi dans leur singularité.
Solution 1 :
Les âmes de l’autre monde ne doivent pas intervenir de manière visible
sur la terre, au moins dans les cas généraux. Cela, les âmes non encore
glorifiées donc purifiées dans leur regard sur le projet de Dieu ne le
comprennent pas. C’est pourquoi Dieu établit avec puissance une séparation
entre leur monde et le nôtre pour qu’elles ne se manifestent pas. Les âmes
glorifiées ne sont pas dans un état d’imperfection par rapport aux volontés de
Dieu. Elles font un avec lui. Dieu leur obéit parce qu’elles lui obéissent.
Aussi, il n’y a aucune raison pour qu’elles soient éloignées de ce monde où
elles viennent selon leur désir. Elles voient ce que font les hommes, non
seulement corporellement mais aussi, par la puissance naturelle de leur
psychisme, psychologiquement. Etant dans la vision de Dieu, elles contemplent simultanément
l’avancée de la grâce ou du péché en nous, avec la même intention que Dieu, à
savoir notre salut éternel.
Solution 2 :
Quant aux âmes du purgatoire, leur état n’est pas assimilable à
celui des âmes glorifiées. Si elles sont en état de grâce, cette grâce
surnaturelle est empêchée de réaliser son plein effet dans l’intelligence et la
volonté à cause des restes du péché. Seule la parfaite union à Dieu permet une
totale liberté d’action sur terre. Ainsi, tant qu’elles ne sont pas glorifiées,
les âmes du purgatoire n’ont pas la liberté de voir quand elles veulent ce que
font les hommes sur terre
Objection 1 :
« Seigneur, vous êtes notre père, dit Isaïe,
car Abraham nous ignore et Israël ne nous connaît pas. » Ce qui fait dire à
saint Augustin que "les saints qui sont morts ignorent ce que font les
vivants, ce que font même leurs enfants. » Et il ajoute : « Si de tels
Patriarches n’ont pas su ce que faisait le peuple sorti d’eux, comment croire
que les morts sont en relation avec les vivants de façon à savoir ce qui leur
arrive, ce qu’ils font, et à les assister ? "Les saints ne peuvent donc
connaître nos prières.
Objection 2 :
Dieu fit dire au roi Josias : « Parce que tu as pleuré
devant moi, voici que je te recueillerai auprès de tes pères, et tes yeux ne
verront pas tous les malheurs que je ferai venir sur ce lieu. » Mais la mort
n’eût pas épargné à Josias ce douloureux spectacle, s’il en avait eu la connaissance
posthume. Les saints, après leur mort, ignorent donc et nos actes et nos
prières.
Objection 3 :
Plus la charité est parfaite, plus elle s’empresse au secours du
prochain. C’est ce que nous voyons que font les saints, lorsqu’ils sont sur la
terre. Mais, après leur mort, leur charité est encore plus grande et, s’ils
connaissaient ce qui se passe ici-bas, plus grand aussi serait leur
empressement à secourir ceux qui leur sont chers. Or, c’est ce que nous ne
voyons pas. C’est donc qu’ils ignorent et nos actes et nos prières.
Objection 4 :
Les saints du Ciel contemplent le Verbe, ainsi que les anges dont
il est écrit "qu’ils voient sans cesse la face de mon Père. » Or, cette
vision ne fait pas tout connaître aux anges, puisque l’une des fonctions des
anges supérieurs est d’apprendre aux anges inférieurs ce qu’ils ignorent. Les
saints voient donc le Verbe, mais ils ne voient en lui ni nos vies ni nos
prières.
Objection 5 :
Dieu seul « voit les cœurs. » Mais c’est dans le cœur surtout
qu’est la prière. Dieu est donc seul capable de la voir.
Cependant :
Ces paroles de Job : « Que ses enfants soient honorés,
il n’en sait rien ; qu’ils soient dans l’abaissement, il l’ignore », sont ainsi
commentées par saint Grégoire : « Il ne faut pas attribuer cette ignorance aux
âmes des saints. Elles dont la vue plonge dans les profondeurs lumineuses du
Dieu tout puissant, il ne faut absolument pas croire que rien de ce qui est en
dehors leur échappe. » Nos prières leur sont donc connues.
2° « Toute créature se rapetisse devant
l’âme qui voit le Créateur. À la lumière du Créateur, tout le créé lui apparaît
court. » Or, c’est la distance qui semble devoir empêcher les saints de
connaître nos prières et nos vies. Mais cette distance n’est rien pour eux :
saint Grégoire vient de le dire. Elle n’est donc pas un obstacle.
3° Si les saints ne connaissaient pas ce qui
se passe ici-bas, ils ne prieraient pas pour nous, puisqu’ils ignoreraient nos
besoins. Or, c’est là l’erreur de Vigilantius, comme l’explique saint Jérôme
dans la lettre qu’il écrivit contre lui.
Conclusion :
L’essence divine est un moyen suffisant pour connaître toutes
choses ; la preuve en est que Dieu voit tout en se voyant lui-même. Il ne
s’ensuit cependant pas que quiconque voit l’essence divine y voit tout. Il
faudrait pour cela la comprendre, la voir dans sa totalité ; de même qu’il faut
saisir toute la virtualité d’un principe pour en apercevoir toutes les
conséquences. Dès lors, comme les âmes des saints n’épuisent pas la compréhension
de l’essence divine, il ne faut donc pas dire qu’ils connaissent tout ce
qu’elle contient. C’est pour la même raison que les anges inférieurs ignorent
certaines choses dont les instruisent les anges supérieurs, quoique tous
jouissent de la vision de Dieu. Mais il est nécessaire que chaque bienheureux
voie en Dieu les choses de ce monde dans la mesure requise à la parfaite
béatitude. Or, celle-ci exige de savoir tout ce que l’on veut, sans rien
vouloir d’une volonté déréglée. Mais il est d’une volonté bien réglée que
chacun veuille connaître ce qui le concerne. Les saints, dont la rectitude est
parfaite, le veulent donc, et il faut donc qu’ils le voient dans le Verbe. Or,
c’est un élément de leur gloire que de prêter leur assistance à ceux qui on ont
besoin pour être sauvés ; ainsi deviennent-ils « les coopérateurs de
Dieu, la plus divine chose qui soit », selon l’expression de Denys. Il est donc
évident que les saints connaissent ce qui est exigé pour cet office ; évident,
par conséquent, qu’ils voient soit dans le Verbe, soit par eux-mêmes les vœux,
les prières, les pratiques pieuses des humains qui implorent leur secours. Ils
le voient aussi par eux-mêmes, en se déplaçant sur la terre.[1141]
Solution 1 :
Saint Augustin parle ici de la connaissance des âmes séparées
telles qu’elles étaient avant la venue du Christ. Il semble qu’à cette époque
les limbes d’Abraham étaient un lieu davantage séparé de la terre. Il ne parle
donc pas de la connaissance et de la possibilité de présence sur terre
résultant de la glorification dans la vision du Verbe, connaissance qu’Abraham,
à l’époque où Isaïe parlait ainsi de lui, ne pouvait avoir, puisque, avant la
Rédemption, personne ne fut admis à voir Dieu.
Solution 2 :
Quoique les saints connaissent les choses d’ici-bas et les
épreuves de ceux qui leur furent chers, il ne faut cependant pas croire qu’ils
en souffrent, car la joie de la béatitude les remplit tellement qu’elle les
rend incapables de toute souffrance. Ils savent d’autre part à quel point ces
épreuves permises ou voulues par Dieu servent au salut des hommes qui les
rejoindront bientôt. Donc, même s’ils connaissent ces épreuves survenues après
leur mort, la mort elle-même, qui les a devancés, a servi de remède à leur
douleur. Mais il se pourrait que les âmes non glorifiées fussent affligées de
ces épreuves, si elles les connaissaient, l’âme de Josias, par exemple, qui
était dans le Limbe des Patriarches. C’est pour cette raison que saint Augustin
s’efforce de prouver que les âmes des saints ignorent ce qui se passe chez les
vivants.
Solution 3 :
Les saints ont une volonté totalement conforme à celle de Dieu,
même quant à l’objet voulu par Dieu. Dès lors, tout en gardant leur affection
pour leurs proches, ils ne veulent cependant pas leur porter secours autrement
que la justice divine n’en a disposé. Il faut croire néanmoins que leur
intercession auprès de Dieu est d’un grand secours pour ceux auxquels ils
s’intéressent.
Solution 4 :
Quoique ceux qui voient le Verbe ne voient pas nécessairement
toutes choses en lui, ils y voient cependant tout ce qu’exige la perfection de
leur béatitude, ainsi qu’on l’a dit.
Solution 5 :
Dieu seul connaît par lui-même les pensées des cœurs ; mais
d’autres peuvent les connaître dans la mesure où elles leur sont révélées, soit
par la vision du Verbe, soit de tout autre manière.
Objection 1 :
On s’adresse aux amis de quelqu’un pour une faveur parce qu’on
croit l’obtenir plus facilement qu’en s’adressant à lui-même. Mais Dieu est
infiniment plus miséricordieux que n’importe lequel de ses saints. Il semble
donc superflu de les prendre pour intermédiaires entre Dieu et nous.
Objection 2 :
Nous demandons aux saints de prier pour nous parce que nous savons
leur prière agréable à Dieu. Mais plus ils sont près de Dieu, plus leur prière
lui est agréable. Il faudrait donc toujours prier les plus grands saints et
jamais les autres.
Objection 3 :
Le Christ, même en tant qu’homme, est appelé « le Saint des
saints », et son humanité lui permet la prière. Néanmoins, nous ne lui
demandons jamais de prier pour nous. Il ne faut donc pas plus le demander aux
autres saints.
Objection 4 :
En prenant les saints pour intermédiaires auprès de Dieu, nous les
chargeons de lui présenter nos requêtes. Mais à quoi bon ? puisque toutes
choses sont présentes à Dieu.
Objection 5 :
Il est inutile d’employer un moyen pour atteindre une fin qui en
est indépendante. Or, que nous les priions ou non, les saints prieront ou ne
prieront pas pour nous, selon que nous sommes dignes ou indignes de leurs prières.
Cependant :
« Appelle donc! Y aura-t-il quelqu’un qui te
réponde ? Vers lequel des saints te tourneras-tu ? » "Notre appel, dit
saint Grégoire, c’est notre humble prière adressée à Dieu. » Quand donc nous
voulons prier Dieu, nous devons nous tourner vers les saints et leur demander
de prier pour nous.
2° Les saints ont plus de crédit auprès de
Dieu après leur mort que pendant leur vie. Mais, de leur vivant, nous devons
les constituer nos intercesseurs, à l’exemple de saint Paul : « Je vous
exhorte, mes frères, par Notre Seigneur Jésus-Christ et par la charité du
Saint-Esprit, de m’aider par vos prières auprès de Dieu. » À plus forte raison
devons-nous demander aux saints du Ciel le secours de leurs prières.
3° C’est une coutume générale dans l’Église,
dès l’époque apostolique, que d’implorer les saints en récitant leurs litanies.
Conclusion :
Au Ciel, Dieu crée une Eglise, c’est-à-dire une communauté d’amis
qui collaborent et à qui il fait toute confiance, au point de leur confier la
gestion de grands biens. C’est une loi établie par Dieu que les êtres les plus
éloignés de lui soient ramenés à lui par les plus proches. Or, les saints du
Ciel sont toujours près de Dieu ; nous, au contraire, « aussi longtemps que
nous habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur » ; ils doivent donc
nous servir d’intermédiaires. Ils le sont, lorsque la divine bonté se répand
sur nous par eux ; et notre réponse doit suivre le même chemin. Ainsi donc, de
même que c’est par les suffrages des saints que les bienfaits de Dieu
descendent sur nous, de même, c’est par eux que nous devons remonter à Dieu
pour en recevoir de nouveaux bienfaits. C’est pour cette raison que nous
constituons les saints nos intercesseurs auprès de Dieu et comme nos
médiateurs, lorsque nous leur demandons de prier pour nous.
Solution 1 :
Ce n’est point par impuissance que Dieu se sert des causes
secondes, mais pour une plus grande perfection de l’univers et une
communication plus variée du bien divin, du fait que certains êtres reçoivent
de Dieu non seulement d’être bons en eux-mêmes, mais d’être cause que d’autres
le soient. De même, le recours aux prières des saints ne suppose point en Dieu
un défaut de miséricorde ; c’est simplement une application particulière de la
loi universelle.
Solution 2 :
Les plus grands saints - ceux qui aiment dans le plus grand oublie
d’eux-mêmes - ont, auprès de Dieu, plus de crédit que les autres ; il n’est
cependant pas inutile de prier également ceux-ci pour cinq raisons que cite
saint Thomas d’Aquin : 1°
Pour prier avec la ferveur plus grande qu’excitent en nous certains saints
moins hauts placés, et un succès correspondant à cette ferveur. 2° Pour
remédier au dégoût qu’engendre la monotonie ; s’adresser à différents saints,
c’est comme un moyen de renouveler la ferveur. 3° Pour obtenir les secours
particuliers dont certains saints semblent avoir le monopole ; par exemple, la
guérison de la maladie qu’on appelle « le feu infernal », en s’adressant à
saint Antoine ; 4° Pour qu’aucun saint ne soit frustré de l’honneur qui lui est
dû. 5° Pour que nos prières soient plus sûrement exaucées, étant recommandées
par de plus nombreux intercesseurs.
Solution 3 :
La prière est un certain acte, qui, comme tous les actes,
appartient au suppôt, à l’individu. Dès lors, si nous disions : « Christ, priez
pour nous », sans addition ni explication, nous semblerions attribuer cette
prière à la personne du Christ, ce qui sentirait le nestorianisme, qui distingue
dans le Christ une personne humaine à côté de la personne divine ou l’arianisme,
qui déclare la personne du Fils inférieure à celle du Père. Pour éviter ces
erreurs, l’Église ne dit donc pas : « Christ, priez pour nous », mais « Christ,
écoutez-nous » ou « ayez pitié de nous. »
Solution 4 :
Les saints ne présentent pas à Dieu nos prières comme pour lui
manifester ce qu’il ignore, mais pour lui demander de les exaucer ; ou encore,
pour les confronter avec la vérité qui est en Dieu et les décrets de la
Providence.
Solution 5 :
On se rend digne de la prière d’un saint par le fait de recourir à
lui, en cas de besoin, avec pureté d’intention. Ce recours n’est donc pas
inutile.
Objection 1 :
S’il en était ainsi, les prières qu’ils adressent à Dieu pour
eux-mêmes seraient, à plus forte raison toujours exaucées. Or, elles ne le sont
pas toujours ; d’après l’Apocalypse, aux martyrs qui crient vengeance, il est
répondu de se tenir en repos encore un peu de temps jusqu’à ce que soit complet
le nombre de leurs frères.
Objection 2 :
Même réponse négative suggérée par ce texte de Jérémie : « Quand
même Moïse et Samuel se tiendraient devant moi, mon âme ne se tournerait pas
vers ce peuple », dit le Seigneur.
Objection 3 :
Les saints sont "comme les anges de Dieu dans le Ciel. » Mais
la prière des anges n’est pas toujours exaucée. L’ange dit à Daniel : « Je
suis venu à cause de tes paroles, mais le chef du royaume des Perses s’est
opposé à moi pendant vingt et un jours », c’est-à-dire à l’effet de ma
prière.
Objection 4 :
Obtenir quelque chose par la prière, c’est en quelque façon le
mériter. Or, dans le Ciel, les saints ne sont plus en état de mériter.
Objection 5 :
La volonté des saints est en parfaite conformité avec celle de
Dieu. Ils ne veulent donc que ce qu’ils savent voulu par Dieu et ils ne
demandent donc que ce qu’ils veulent eux-mêmes et qui est aussi ce qu’ils
savent que Dieu veut. Mais ce que Dieu veut s’accomplirait tout aussi bien sans
leurs prières. Celles-ci sont donc de nul effet.
Objection 6 :
Les prières de toute la cour céleste, si elles sont efficaces, le
sont plus que tous les suffrages de l’Église de la terre. Mais ceux-ci peuvent
s’accroître jusqu’à la délivrance totale d’une âme du purgatoire. Or, les
saints prient non seulement pour les vivants, mais encore pour les défunts et,
si leurs prières étaient efficaces pour nous, elles le seraient aussi pour les
âmes du purgatoire, qu’elles délivreraient donc en totalité, ce qui est faux,
car, s’il en était ainsi, les suffrages de l’Église pour les défunts seraient
inutiles.
Cependant : [1144]
1° Il est écrit au livre des Macchabées : « Celui-ci est
l’ami de ses frères, qui prie beaucoup pour le peuple et pour la ville sainte,
Jérémie, le prophète de Dieu. » Et les paroles suivantes montrent l’efficacité
de sa prière. « Jérémie, étendant la main droite, donna à Judas une épée
d’or, en disant Prends cette épée, c’est un don de Dieu, etc.. »
2° Saint Jérôme interpelle ainsi Vigilantius : « Tu prétends, dans
ton méchant petit livre, que c’est pendant notre vie que nous pouvons prier les
uns pour les autres. » Et il le réfute en disant : « Si les Apôtres
et les martyrs peuvent prier pour les autres, quand ils sont encore mortels,
quand ils ont encore le souci, le prier pour eux-mêmes, combien plus le peuvent-ils
après leurs couronnes, leurs victoires, leurs triomphes ? »
3° C’est la coutume de l’Église de se recommander fréquemment aux
prières des Saints.
Conclusion :
On peut dire que les saints prient pour nous de deux manières par
des prières proprement dites, des désirs qu’ils expriment à Dieu eu notre
faveur ; par leurs mérites que l’on peut regarder comme des prières et qui,
devant Dieu, ne sont pas seulement une gloire pour eux-mêmes, mais deviennent
des suffrages et comme des prières pour nous ; c’est en ce sens que le sang du
Christ est dit implorer notre pardon. Les prières des saints, en l’un et
l’autre sens et à les considérer en elles-mêmes, ont le pouvoir d’obtenir ce
qu’elles demandent. Mais, s’il s’agit des prières que sont leurs mérites, il
peut y avoir en nous-mêmes un empêchement à recevoir les grâces qu’elles
obtiennent. S’il s’agit de leurs prières proprement dites, elles sont toujours
exaucées, car les saints ne demandent que ce qu’ils veulent et ils ne veulent
que ce que Dieu veut. Or, ce que Dieu veut absolument s’accomplit toujours ; à
moins qu’il ne s’agisse de cette volonté que nous appelons antécédente, selon
laquelle, par exemple, « il veut le salut de tous les hommes », et qui ne
s’accomplit pas toujours. Il n’est donc pas étonnant que ce que les saints
veulent de cette même espèce de volonté ne s’accomplisse pas non plus toujours
Solution 1 :
Cette prière des martyrs, comme le dit la Glose, n’est pas autre
chose que leur désir de voir leur corps glorifié, de jouir de la société des
futurs élus, et leur acquiescement à la justice divine qui punira les méchants.
Solution 2 :
Dieu parle ici de Moïse et de Samuel tels qu’ils étaient de leur
vivant, « alors que, par leurs prières, ils détournèrent de leur peuple la
colère de Dieu. » S’ils avaient vécu au temps de Jérémie, la malice des Juifs
aurait réduit leurs prières à l’impuissance. Tel est le sens littéral du texte.
Solution 3 :
Ce combat entre les bons anges ne vient pas de ce qu’ils adressent
à Dieu des prières opposées, mais de ce qu’ils soumettent les mérites opposés
des deux parties au jugement de Dieu dont ils attendent la sentence. C’est le
sens donné par saint Grégoire à ce texte de Daniel : « Les esprits
angéliques préposés aux nations ne combattent jamais pour l’injustice, mais
examinent et apprécient les actes conformément à la justice. Quand une nation
est présentée au tribunal suprême comme ayant agi bien ou mal, c’est alors que
l’ange qui en est le chef est dit avoir gagné ou perdu la bataille. Mais la
volonté suprême du Créateur remporte toujours la victoire sur eux tous ; Car,
ils la contemplent toujours et ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent pas
obtenir. » Ils ne le demandent jamais non plus ; c’est pourquoi leurs prières
sont toujours exaucées.
Solution 4 :
Les saints, lorsqu’ils sont au Ciel, ne peuvent plus mériter pour
eux-mêmes, mais ils le peuvent pour les autres ou plutôt ils peuvent les aider
par le mérite qu’ils ont acquis pendant leur vie, à savoir, que leurs prières
seraient agréées de Dieu après leur mort. On pourrait dire encore que ce n’est
point un seul et même principe qui donne à la prière son mérite et son
efficacité. Le mérite consiste en une certaine proportion entre un acte et la
fin qui lui correspond et qui en est comme le salaire. L’efficacité de la
prière dépend de la libéralité de celui à qui elle est adressée et qui veut
bien accorder parfois ce que l’on n’a pas mérité. Ainsi, les saints peuvent
n’être pas en état de mériter, mais être cependant en état d’obtenir.
Solution 5 :
Les saints et les anges ne veulent que ce qu’ils voient conforme à
la volonté de Dieu, et ils ne demandent jamais que cela. Il ne s’ensuit pas que
leur prière soit inutile ; car, ainsi que le remarque saint Augustin, Dieu peut
avoir décrété que les prédestinés lui devront leur salut ; De telle sorte que
Dieu veut que soit accompli par les prières des saints cela même que les saints
voient voulu par Dieu.
Solution 6 :
Les suffrages de l’Église consistent en certaines satisfactions
accomplies par les vivants au nom et à la place des défunts dont la dette est
ainsi, en tout ou en partie, payée par d’autres que par eux-mêmes. Mais les
saints du Ciel ne sont plus en état de satisfaire. On ne saurait donc mettre en
parallèle leurs prières et les suffrages de l’Église
Objection 1 :
D’après le Seigneur[1145] :
« il y a plus de joie au Ciel pour un seul pécheur qui se repend que pour
quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentir. » Or, s’il y a
de la joie, il peut aussi y avoir de la tristesse. Donc les élus souffrent en
voyant les péchés et les malheurs des hommes qui sont sur la terre.
Objection 2 :
Saint Augustin dit que la tristesse naît « des choses qui
arrivent contre notre volonté »[1146].
Or la perte de l’homme arrive contre la volonté des élus, à cause de la charité
fraternelle qui est en eux. Ils s’attristent donc de la perte des hommes par le
péché.
Objection 3 :
Dieu ne peut se réjouir du péché contre l’Esprit Saint mortel qui
est le mal absolu puisqu’il conduit au choix lucide de la damnation éternelle.
C’est pourquoi on dit qu’il ne veut pas du péché mais seulement le permet.
Donc...
Objection 4 :
Dans ses
apparitions, la Vierge apparaît en larmes, parfois en larmes de sang. Il y a
donc en elle de la souffrance face à nos péchés.
Objection 5 :
La peine des damnés, plus terrible que tout ce qu’on peut voir
ici-bas, ne sert en rien à leur guérison puisqu’ils sont obstinés. De cela, les
saints ne peuvent se réjouir.
Cependant :
Il n’y a
point de bonheur parfait là où l’on trouve de la tristesse et de la douleur.
L’Apocalypse[1147]
dit du Ciel : « Il n’y aura plus de mort, ni d’affliction, ni d’appels, ni de
douleurs. » Les âmes glorifiées, qui sont parfaitement bienheureuses ne
souffrent donc plus de rien.
Conclusion :
Les âmes
glorifiées ne souffrent pas des péchés ni des peines des hommes. Car la
tristesse et la douleur, selon saint Augustin, ne proviennent que de ce qui est
contraire à la volonté des bienheureux ; or leur volonté adhère pleinement à
l’ordination de la justice divine et rien ne se produit dans le monde qui ne
soit accompli ou permis par la justice divine. Donc, absolument parlant, rien
n’arrive dans le monde contre la volonté des bienheureux. Selon Aristote, on
dit d’une chose qu’elle est volontaire "simpliciter"
en ce sens que quelqu’un la veut dans un cas particulier, telle qu’elle se
présente alors, en considérant toutes les circonstances, bien que, considérée
en elle-même d’une manière générale, il ne la voudrait pas : Par exemple, le
navigateur ne veut pas, s’il considère la chose en soi et d’une manière
générale, jeter ses marchandises à la mer ; mais sous la menace d’un danger de
se perdre, il le veut. Ce geste est donc plutôt volontaire qu’involontaire.
Ainsi donc les élus en parlant d’une manière générale et absolue ne veulent pas
les péchés et les peines des hommes. Mais ils veulent qu’à ce sujet soit
observé l’ordre de la justice divine, selon laquelle certains peuvent subir des
peines et peuvent pécher. Ainsi que la mère est émerveillée par tout le bien
qu’elle découvre chez son enfant, de même la pénétration opérée par la charité
fait vraiment découvrir l’action de Dieu dans chaque individu ; le concert de
la bonté et du bien est moins bruyant que celui du mal, mais il s’étend bien
au-delà de celui-ci.[1148]
Solution 1 :
Aussi bien dans la pénitence des hommes que dans leur péché, il
demeure pour les élus un motif de joie, à savoir l’accomplissement de l’ordre
de la divine providence. En effet, le fait qu’un homme puisse pécher manifeste
la libéralité de Dieu qui accepte que chacun se détourne de lui ; le fait
qu’un homme puisse souffrir sur terre manifeste la charité de Dieu qui
s’efforce de ramener vers le salut éternel tous les hommes ; le fait qu’un
homme puisse choisir la damnation éternelle en se révoltant lucidement contre
Dieu manifeste qu’il a créé des personnes libres.
Solution 2 :
Cette difficulté est résolue par ce que nous avons dit dans la
conclusion.
Solution 3 :
Le péché contre l’Esprit Saint, comme tel n’est pas cause de joie
chez les élus puisqu’il est un mal. Mais, regardé avec la lumière de Dieu, il
est cause de joie puisqu’il témoigne de la grandeur de l’œuvre créatrice qui a
donné à l’homme d’agir selon les choix de son libre arbitre. C’est pourquoi le
choix ultime qui conduit à l’enfer est regardé dans la paix par les élus du
Ciel.
Solution 4 :
Les habitants du Ciel, pour se faire comprendre de ceux de la
terre, sont obligés d’adapter leur langage au mode de la connaissance humaine.
En vérité, au Ciel, l’exercice de la vie avec Dieu se fait sans aucun mélange
de peine. Il s’agit de la béatitude de Dieu et des saints. Pourtant, la Bible
ne cesse de parler de la colère, du repentir, de la douleur et de toutes sortes
de passions en Dieu. Elle ne le fait pas pour dire que Dieu souffre ou pleure
mais pour signifier cette charité parfaite et infinie qui le pousse à vouloir
le salut des hommes. De même pour les saints, il ne faut pas opposer ce langage
analogique avec la paix et la joie qui règnent en vérité dans le Ciel. Paix et
joie réelles et langage terrestre de larmes et douleur sont une seule réalité
qui font comprendre la source de tout : l’amour intense de Dieu et des saints.
Solution 5 :
Les damnés en se coupant de Dieu, en connaissent parfaitement les
conséquences spirituelles et psychologiques et sont déterminés à chaque instant
à maintenir leur choix. Les élus du Ciel respectent leur volonté et n’ont
aucune velléité de prosélytisme face à ces adultes stabilisés dans un mode de
vie qu’ils respectent.
Objection 1 :
Il semble qu’ils ne les verront pas. La distance entre les damnés
et les bienheureux est plus grande que celle qui sépare ceux-ci des hommes de
la terre. Mais les bienheureux ne voient pas les événements des hommes de la
terre, puisque, à propos d’Isaïe : « Abraham nous a ignorés », la Glose dit : «
Les morts, même saints, ignorent ce que font les vivants, fussent-ils leurs
propres fils. » Ils voient donc moins encore les souffrances des damnés.
Objection 2 :
La
perfection de la vision dépend de l’objet à voir. Aristote dit que "la
plus parfaite opération du sens de la vue est celle de ce sens quand il est le
mieux disposé à voir le plus bel objet visible. » Donc, au contraire, la
laideur de l’objet à voir produit une imperfection dans la vision. Il n’y auna
aucune imperfection chez les bienheureux : ils ne verront donc pas les misères
des damnés, dans lesquelles il y a une extrême laideur.
Objection 3 :
La vue des
saints et des autres damnés sera pénible aux damnés. En effet, la clarté du
corps glorifié des saints les horripilera en leur rappelant la vérité de ce
qu’ils perdent ; l’aspect repoussant des autres damnés ne leur apportera
que des inconvénients. Si bien que, pour fuir, ils s’éloigneront dans les
endroits les plus déserts. Donc les élus ne pourront les voir.
Cependant :
Isaïe dit :
« Ils sortiront et verront les cadavres des hommes qui se sont révoltés contre
moi. » Et la Glose ajoute : « Les élus sortiront par leur intelligence ou par
une vision directe, pour être davantage enthousiasmés dans la louange de Dieu.
»
Conclusion :
Le choix
des damnés est libre et obstinée. Le livre de Job le montre de manière claire
lorsqu’il présente Satan, digne dans son option, se présentant au conseil de
Dieu[1150].
Les bienheureux respectent leur choix et le prennent comme ce qu’il est : une
glorification du Créateur qui a fait les hommes et les anges libres. Rien ne
doit être enlevé aux bienheureux de ce qui appartient à leur béatitude.
L’expérience visible du respect de Dieu devant le choix des damnés en fait
partie. C’est pourquoi, il leur est donné de voir parfaitement à la fois le
choix et les conséquences de ce choix dans les impies.
Solution 1 :
La Glose parle ici des saints qui habitent encore dans le shéol ou
dans les divers purgatoires, selon leur possibilité naturelle. Par celle-ci, il
n’est en effet pas nécessaire qu’ils parviennent à la connaissance de tout ce
qui se passe chez les vivants. Mais les saints qui sont dans la vision
béatifique connaissent clairement tout ce qui arrive chez les hommes de la
terre, dans les purgatoires et chez les damnés. C’est pourquoi saint Grégoire
dit : « À propos des âmes des saints, on ne peut point penser ce que dit Job, à
savoir : « que ses fils soient nobles ou misérables, il ne connaîtra pas », parce
que pour ceux qui possèdent la clarté de Dieu, on ne peut en aucune manière
croire qu’il y ait en dehors de Dieu quoi que ce soit qu’ils ignorent. »
Solution 2 :
Bien que
la beauté de l’objet vu contribue à la perfection de la vue, cependant la
laideur de l’objet peut ne pas entraîner d’imperfection de la vision. Les
représentations des choses, par lesquelles on connaît les contraires, ne sont
pas contraires dans l’âme. C’est pourquoi Dieu, qui a la plus parfaite des
connaissances, voit toutes les choses, belles comme laides.
Solution 3 :
Il est vrai que, après le jugement général, les saints éviteront
de fréquenter les mêmes lieux que les damnés, par respect pour leur choix de
solitude. Mais, s’il arrive que le gouvernement du monde exige une rencontre,
elle se fera comme on le voit avec Satan au début du livre de job.
Objection 1 :
Cela semble. La compassion procède de la charité. Les bienheureux
auront une très parfaite charité. Ils compatiront donc pleinement aux
souffrances des damnés.
Objection 2 :
Les bienheureux ne seront jamais aussi éloignés de la compassion
que Dieu peut l’être. Mais Dieu a de quelque manière de la compassion pour nos
misères (d’où son titre de miséricordieux), et aussi les anges. Les
bienheureux ont donc de la compassion pour les souffrances des damnés.
Cependant :
Toute personne qui compatit devient de quelque manière
participante à la souffrance d’autrui. Mais les bienheureux ne peuvent point
participer à aucune souffrance. Ils n’ont donc point de compassion pour les
souffrances des damnés.
Conclusion :
La miséricorde ou compassion peut se trouver en quelqu’un de deux
manières soit par passion, soit par un acte de choix de la volonté. Chez les
bienheureux il n’y aura pas de passions dans la partie inférieure de leur
nature, sauf à la suite d’un choix de la raison. Il n’y aura donc chez eux de
compassion ou de miséricorde qu’à la suite d’un tel choix de la raison. Une
telle élection de la raison ne peut faire naître la miséricorde ou la
compassion que si quelqu’un veut que le mal d’autrui soit écarté. Tant que les
pécheurs sont en ce monde, ils se trouvent dans un tel état qu’ils peuvent être
libérés de leur misère et de leur péché sans préjudice pour la justice divine,
et être introduits dans la béatitude. La compassion est donc possible envers
eux, par choix de la volonté (comme Dieu, les anges et les saints compatissent
en voulant leur salut) ou par passion, comme les hommes bons compatissent aux
pécheurs qui sont encore dans la vie terrestre. Nous avons montré que cette
compassion, fruit de la charité, s’exerce sans aucune douleur au Ciel. Mais
dans l’au-delà, les pécheurs ne voudront plus, lucidement, sortir de leur
misère. Il n’y aura donc plus de possibilité d’une compassion, voulue avec
rectitude, à l’égard de leurs souffrances qui, rappelons le, procéderont toutes
d’une seule racine, à savoir leur blasphème actif et à chaque instant rechoisi,
contre l’Esprit Saint. Les bienheureux qui seront dans la gloire n’auront donc
aucune compassion pour les damnés.
Solution 1 :
La charité est source de compassion quand nous pouvons à cause
d’elle vouloir l’éloignement de la souffrance d’autrui. Mais les saints ne
peuvent pas vouloir cela par charité à l’égard des damnés, puisque ce serait
contraire à la justice divine.
Solution 2 :
Dieu est miséricordieux en tant qu’il va au secours de ceux qui,
selon l’ordre de sa sagesse et de sa justice, peuvent être libérés légitimement
il ne peut pas avoir pitié des damnés, sauf en les permettant qu’ils ressentent
moins qu’ils ne le devraient, les souffrances de la viduité de leur vie.
Objection 1 :
Cela ne semble pas : se réjouir du mal d’autrui se rattache à la
haine. Dans les bienheureux, il n’y en aura pas. Ils ne se réjouiront donc pas
des souffrances des damnés.
Objection 2 :
Les bienheureux au Ciel seront tout à fait conformes à Dieu. Mais « Dieu
ne se réjouit pas de nos peines. » Donc pas davantage les bienheureux.
Objection 3 :
Ce qui est réprouvable chez l’homme de la terre ne peut aucunement
se trouver en celui du Ciel. Mais ici-bas il est tout à fait condamnable de se
réjouir des peines d’autrui, et très louable de s’en affliger. Donc, les
bienheureux ne se réjouiront aucunement des peines des damnés.
Cependant :
Le Psalmiste dit : « Le juste se réjouira en voyant la vengeance.
»
En outre, Isaïe dit que les cadavres des révoltés « donneront
une vision de satiété à toute chair. » Mais la satiété signifie l’assouvissement
de l’esprit. Les bienheureux jouiront donc des peines des impies.
Conclusion :
Une chose peut être occasion de joie de deux manières : ou bien,
par soi, quand on se réjouit d’une chose pour elle-même ; et de cette manière
les saints ne se réjouiront pas des peines des impies. Ou bien par accident,
c’est-à-dire à cause de quelque chose qui s’y ajoute ; et ainsi les saints se
réjouiront des peines des impies en considérant l’ordonnance de la divine
justice pour ceux-ci, et leur libération personnelle, source de joie. Ainsi la
justice divine et la libération des bienheureux seront par elles-mêmes cause de
joie, tandis que la peine des damnés ne le sera que par accident.[1152]
Solution 1 :
Se réjouir du mal d’autrui en soi, appartient à la haine, mais non
pas se réjouir de ce mal à cause d’une autre circonstance qui s’y rattache. De
cette manière, il arrive même que quelqu’un se réjouisse de son propre mal si,
par exemple, quelqu’un se réjouit de ses propres souffrances en tant
qu’elles lui procurent du mérite pour le Ciel. Saint Jacques dit : « Frères,
quand vous tombés en diverses tentations, considérez-le comme une joie. »
Solution 2 :
Bien que Dieu ne se réjouisse pas des peines en tant que telles,
il s’en réjouit en tant qu’elles sont ordonnées à sa justice.
Solution 3 :
Chez les élus du Ciel comme chez les hommes qui vivent de la
charité sur la terre, il n’est pas louable de se réjouir des peines des autres
en tant qu’elles font souffrir. Mais cela devient louable s’il s’en réjouit en
tant qu’elles sont liées à quelque bien. On le voit aussi dans l’amour
parental. On se réjouit d’une épreuve subie par un enfant, non parce qu’elle
l’a fait souffrir mais parce qu’elle l’a fait mûrir. Ainsi, au Ciel, on se
réjouit de la souffrance des damnés non parce qu’elle les torture mais parce
qu’elle est le signe de la liberté de leur choix et du respect de Dieu pour
ceux qui, pourtant créés pour l’amour, préfèrent subir le feu de leur nature
coupée de sa fin que de se repentir de l’orgueil. Cependant, il y a cette
différence entre l’homme de la terre et celui du Ciel : en celui du Ciel, les
passions naissent fréquemment sans jugement de sa raison ; et pourtant, elles
sont parfois louables en tant qu’elles indiquent une bonne disposition de
l’esprit, comme les mouvements de la honte ou de miséricorde ou de regret du
mal. Chez les hommes du Ciel, il ne peut y avoir de passion qui ne suive pas un
mouvement de la raison.
Après avoir vu le destin individuel de chaque homme avant la
résurrection et le jugement individuel de l’homme, il nous faut voir le destin
de l’humanité dans son ensemble. Un certain nombre d’évènements doivent
précéder la fin du monde et conduire, en vue du salut, les communautés humaines
à l’humilité (kénose) puis à la charité. Nous verrons donc : 1° Le retour du
Christ ; 2° les signes précurseurs de la fin du monde ; 3° La fin du monde ; 4°
la conflagration de l’univers.
À partir
de la question 27, nous allons essayer de comprendre, en suivant les prophéties
de l’Écriture Sainte, ce que Dieu a réservé à ses enfants lorsqu’approchera la
fin de ce monde terrestre (Question 34°. Il prépare pour la dernière
manifestation de son amour un spectacle où son projet secret (nous donner la
vision béatifique) sera manifesté non plus à travers la douleur de la
crucifixion mais à travers la lumière douce et forte de son retour glorieux
(Question 27). Après avoir multiplié les signes pour que l’homme se convertisse
(Question 28 à 34), il permettra une victoire temporaire de l’esprit de
l’égoïsme. Les hommes se sépareront en grande majorité de lui et, à la suite de
l’Antéchrist, ne l’attendront plus. Quelques-uns seulement garderont la foi, à
l’image de Marie au pied de la croix. C’est alors qu’il apparaîtra,
accompagnant sa venue de la proposition de son pardon. Ce sera la dernière
manifestation de son amour, la preuve tangible qu’il nous aime puisqu’il se
manifestera à des hommes indifférents et centrés sur eux.[1154]
A propos
du retour du Christ tel qu’il se produira à la fin du monde pour la dernière
génération de l’humanité, nous nous poserons cinq questions :
1° Le Christ doit-il revenir dans la gloire
à la fin du monde ?
2° Prépare-t-il pour sa venue un spectacle
qui manifestera glorieusement à tous l’amour de Dieu ?
3° Pourquoi Dieu permettra-t-il des maux
dans l’humanité avant le retour du Christ ?
4° Reviendra-t-il comme un voleur alors que
le monde sera en paix ?
5° La date du retour du Christ est-elle
inconnue ?
Objection 1 :
Cela semble inutile. La manifestation de la croix glorieuse[1155]
semble suffire puisqu’elle provoquera la terreur des hommes pervertis et la
conversion de ceux qui sont bien disposés.
Objection 2 :
La gloire du Christ est une vision insoutenable pour l’homme. C’est
ce que montre l’Apocalypse quand elle dit que Jean tomba comme mort à la vision
du fils de l’homme[1156].
Il est donc improbable que le Christ apparaisse dans sa gloire.
Objection 3 :
D’après les anges qui parlèrent aux disciples au jour de
l’Ascension du Seigneur[1157]
: « Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela de la même
manière dont vous l’avez vu monte au Ciel. » Or il n’est pas dit que le Christ
est monté au Ciel avec son corps transfiguré. Donc il semble que, à la fin du
monde, le Christ reviendra en descendant du Ciel au-dessus de Jérusalem, dans
son aspect habituel et non selon son aspect glorieux.
Objection 4 :
La parousie est moins le fait du retour du Christ vers nous, que
notre découverte de ce qu’il est en vérité. Le retour du Christ en gloire n’est
donc pas une apparition sensible mais plutôt une découverte par l’intelligence
de son mystère.
Objection 5 :
Le Christ
revient pour chaque individu à l’heure de sa mort. C’est ainsi que Jésus peut
annoncer son retour à la génération qui l’a connu, alors qu’il n’est pas revenu
pour tous en même temps mais pour tous après la mort de chacun. C’est donc
ainsi qu’il faut entendre le retour du Christ et non comme un événement
historique datable.
Cependant :
Le Credo
de la foi catholique enseigne que Jésus reviendra "dans la gloire pour
juger les vivants et les morts".[1158]
Conclusion :
Le retour
du Christ dans la gloire à la fin du monde est contenu dans la foi catholique
comme un élément essentiel. En effet, le fait que la rédemption opérée par le
Seigneur sur la croix a efficacement détruit le péché originel et ses
conséquences n’est pas évident car la résurrection du Seigneur par laquelle
"il a vaincu la mort" n’a pas été constatée par tous les hommes mais
seulement par quelques témoins. Dieu a retardé cette manifestation pour qu’à
travers ce délai, plusieurs générations de croyants puissent sanctifier leur
âme en vivant dans l’obscurité de la foi la certitude intérieure de ce salut
déjà réalisé. Cependant, il est nécessaire qu’au temps voulu, la rédemption
s’applique efficacement à chaque homme. Par sa venue, le Christ manifestera
donc puissamment sa victoire sur le péché.
Et ce retour glorieux se réalise au sens
littéral de trois manières, qui toutes forment un seul mystère.
1-
La mort des individus[1159].
2-
La
fin des sociétés humaine (la fin d’un monde).
3-
La fin du monde, (les évènements de la dernière
génération qui vivra sur terre).
On trouve une preuve de ces sens multiples
dans un texte de l’évangile de Matthieu 24, 37-42. Il s’agit d’un passage où
Jésus parle de son retour dans la gloire, mystère habituellement réservé à la
fin du monde. Or il y décrit aussi dans le même passage, sans qu’il y ait
rupture du texte, la mort individuelle d’un homme, puis d’une femme : « Comme
les jours de Noé, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme. En ces jours qui
précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari,
jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche, et les gens ne se doutèrent de rien
jusqu'à l'arrivée du déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement
du Fils de l'homme. Alors deux hommes seront aux champs : l'un est pris,
l'autre laissé ; deux femmes en train de moudre : l'une est prise, l'autre
laissée. »
Il faut donc veiller à ne jamais interpréter les textes eschatologiques
comme s’ils annonçaient exclusivement
la fin des fins. C’est ce sens qui fascine le plus les théologiens débutants,
sans doute à cause de sa dimension à la fois politique et théologique. Or il
existe deux autres sens concrets et éducatifs : « Prépare-toi à la venue de
ton Juge. Ta mort est proche. » « Ne mets pas trop ton espoir dans ton
système politique. Elle passe, la figure de ton monde. »
Le retour
du Christ dans la gloire, qui s’accomplit pour chaque homme individuellement au
moment de la mort, doit de la même manière sanctifier chaque génération,
lorsque son dernier membre meurt. Enfin, elle se produira d’un seul coup pour
la dernière génération humaine à la fin du monde. C’est pourquoi tout ce que
nous avons dit précédemment[1160]
sur la mort de l’homme et sur la vision du Seigneur accompagné des saints, des
anges, des proches et du démon accusateur est valable pour ce qui concerne la
venue glorieuse dont nous parlons maintenant. En conséquence, on peut dire que
la fin du monde verra se réaliser pour la dernière génération de l’humanité ce
qui s’accomplit déjà aujourd’hui pour chaque homme individuellement à sa mort.
Solution 1 :
L’apparition de la croix glorieuse, c’est-à-dire du signe du Fils
de l’homme selon Matthieu, doit d’abord être comprise dans son sens spirituel,
qui n’exclut pas d’ailleurs une certaine réalisation littérale à la fin du
monde. Elle signifie la souffrance que chaque homme subit malgré lui durant la
vie terrestre. Il en ignore le sens jusqu’à l’heure de sa mort. La croix est alors
pour lui sans gloire. C’est le Christ qui explique le sens de la souffrance
dans sa parousie. Cette souffrance prend alors son sens glorieux. Il en est de
même à la fin du monde. La venue du Christ n’aura pas seulement pour finalité
le repentir de l’homme, ce que peut initier la croix, c’est-à-dire de la
souffrance en tant qu’elle produit dans le cœur de l’humilité. Elle aura
surtout pour but de provoquer sa conversion au Bien éternel, ou au contraire
son rejet éternel de ce bien. Ainsi, lors de la venue en gloire du fils de
l’homme, chacun sera conduit à choisir dès cette terre et dans sa chair d’une
manière définitive entre le péché ou l’amour de charité.
Solution 2 :
Comme nous l’avons montré à propos de la révélation qui accompagne
la mort de chaque homme, le Christ qui veut que tout homme soit sauvé adapte la
vision qu’il donne de son corps glorieux à la sensibilité de chaque homme.
Chacun reçoit cette vision accompagnée d’une parole intérieure qui manifeste
suffisamment l’amour et la justice de Dieu pour que toute ignorance disparaisse
de l’intelligence. De même, les hommes qui vivront le retour du Christ
tomberont dans une sorte d’extase de leur sens de telle manière qu’ils se
sentiront libérés du poids de leur corps. Toute faiblesse aura donc disparu,
leur permettant un choix entièrement libre concernant leur destin éternel.
Solution 3 :
Le Seigneur répond lui-même à cette objection[1161]
: « si donc on vous dit : « le voici au désert », n’y allez pas ; "le
voici dans les retraites », n’en croyez rien. Comme l’éclair en effet, part du
levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera t-il à l’avènement du fils de
l’homme. » Il est donc évident que le Christ n’apparaîtra pas selon son aspect
terrestre mais avec son corps transfiguré et glorieux. Or, à cause de ses
propriétés liées à la puissance de Dieu, le corps glorieux du Christ peut
apparaître en plusieurs endroits à la fois. Ainsi chaque homme individuellement
le verra, comme si le Christ revenait pour lui seul. Et cette apparition sera
accompagnée d’une telle grâce de lumière que chacun saura avec certitude qu’il
s’agit du Dieu fait homme. En conséquence, on doit affirmer que si un homme
arrivait à descendre du Ciel aux yeux de tous comme s’il volait, de la même
manière que le fit, dit-on, Siméon le magicien[1162],
ce ne peut être le Christ mais seulement un faux prophète. Car les imitations
de ce retour ne sont rien en comparaison de la vision du Verbe fait chair
devant qui tout genou fléchira.
Solution 4 :
Cette interprétation des Écritures est vraie à condition que son
niveau de sens portant sur le contenu de révélation intellectuel de toute venue
du Christ ne soit pas enseigné par opposition au sens, littéral celui-là, et
qui annonce avec certitude l’événement futur et historique du retour glorieux,
visible, sensible, du Christ à la fin du monde. Il vaut mieux d’ailleurs, pour
éviter de réduire le retour en gloire à la venue quotidienne du Christ par la
grâce, illustrer la grâce par les textes nombreux qui en parlent au sens
littéral : « Si deux hommes sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux.
» De même, ce retour final pour tous à la fois doit être distingué de celui
dont nous avons parlé à l’heure de la mort, selon l’Église[1163]
: « L’Église, conformément à l’Écriture, attend la manifestation glorieuse de
Notre Seigneur Jésus-Christ et différée par rapport à la situation qui est
celle des hommes immédiatement après leur mort ».[1164]
Solution 5 :
Dans son discours eschatologique, Jésus mêle volontairement quatre
réalités : la destruction du temple de Jérusalem, la mort individuelle, la fin
de sa génération et son retour visible et "politique" à la fin du
monde. C’est que ces quatre réalités forment un même mystère, la première étant
le signe des trois autres, au plan de l’individu, d’une génération et du monde
entier. Il ne doit jamais y avoir d’opposition entre ces diverses
interprétations mais contemplation commune de ce qui n’est que l’application de
la kénose (la passion) du Christ à toutes les réalités de cette terre.
Objection l :
Pour prouver d’une manière définitive et grandiose l’amour de
Dieu, il semble que le meilleur scénario possible consiste à multiplier à
l’envie les miracles dans le temps qui précède le retour du Christ : rien ne
peut, semble-t-il, conduire davantage les hommes à reconnaître la puissance
suprême de Dieu et donc à se tourner vers lui qu’un impressionnant spectacle
céleste. C’est d’ailleurs ce qu’annonce l’Écriture sainte[1165]
: « Aussitôt après la tribulation, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera
plus sa lumière, les étoiles tomberont du Ciel et les puissances des cieux
seront ébranlées. Et alors apparaîtra dans le Ciel le signe du fils de l’homme
; et alors toutes les races de la terre se frapperont la poitrine ; et l’on
verra le Fils de l’homme venant sur les nuées avec puissance et grande gloire.
»
Objection 2 :
En saint Matthieu[1166],
nous lisons : « L’Évangile sera proclamé dans le monde entier en témoignage à
la face des nations, puis viendra la fin. » Il semble donc que le Christ fera
précéder son retour par une victoire universelle et mondiale de l’Évangile :
L’Église catholique qui en garde le message en plénitude sera donc établie à la
tête des nations. La Royauté sociale du Christ étant partout reconnue, son
retour sera le couronnement de cette victoire mondiale.[1167]
Objection 3 :
Le meilleur scénario préparatoire du retour du Christ semble être
le suivant : Lorsque le monde aura atteint un haut niveau de paix et de justice
sociale, bannissant toute guerre et toute pauvreté par l’attention au prochain,
alors l’humanité sera prête à accueillir le Christ à son retour : « À ceci on
reconnaîtra que vous êtes mes disciples, dit Jésus, si vous vous aimez les uns
les autres ».[1168]
Objection 4 :
Au contraire, si l’on suit la lettre des Écritures saintes, il
semble que Dieu préparera le retour du Christ de la manière suivante : il
laissera les hommes vivre dans leur péché et ceux-ci, loin de produire la
concorde, seront une source de multiplication des guerres et des malheurs.
Matthieu rapporte ainsi les paroles du Christ[1169]
: « Il y aura une grande tribulation telle qu’il n’y en a
pas eu depuis le commencement du monde. » Ces catastrophes matérielles, en
humiliant l’orgueil insensé des hommes, les disposera à la conversion lors du
retour du Christ et de la manifestation de son pardon offert. [1170]
Objection 5 :
Comme
l’annonce l’Apocalypse 2, le Christ préparera sa venue en suscitant des apôtres
brûlants de charité, semblables à ceux des premiers temps de l’Église. Il leur
donnera de grands charismes comme ceux de faire des miracles capables de
stupéfier le cœur des hommes et de les disposer à recevoir l’Évangile. Ainsi,
en quelques années, la bonne nouvelle sera reçue par tous. Le Christ reviendra
alors très vite pour ne pas laisser cette sainteté universelle se corrompre.[1171]
Cependant :
Le Catéchisme de l’Église Catholique[1172]
rappelle l’enseignement constant des Écritures à ce sujet[1173]
dans un paragraphe intitulé L’Épreuve ultime de l’Église : « Avant l’avènement
du Christ, l’Église doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de
nombreux croyants. La persécution qui accompagne son pèlerinage sur la terre
dévoilera le "mystère d’iniquité" sous la forme d’une imposture
religieuse apportant aux hommes une solution apparente à leurs problèmes au
prix de l’apostasie de la vérité. L’imposture religieuse suprême est celle de
l’Antéchrist, c’est-à-dire celle d’un pseudo-messianisme où l’homme se glorifie
lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans la chair. Cette
imposture Antéchristique se dessine déjà dans le monde chaque fois que l’on
prétend accomplir dans l’histoire l’espérance messianique qui ne peut s’achever
qu’au-delà d’elle à travers le jugement eschatologique même sous sa forme
mitigée, l’Église a rejeté cette falsification du Royaume à venir sous le nom
de millénarisme, surtout sous la forme politique d’un messianisme sécularisé, «
intrinsèquement perverse. »
L’Église n’entrera dans la gloire du
Royaume qu’à travers cette ultime Pâque où elle suivra son Seigneur dans sa
mort et sa Résurrection. Le Royaume ne s’accomplira donc pas par un triomphe
historique de l’Église selon un progrès ascendant mais, par une
victoire de Dieu sur le déchaînement ultime du mal qui fera descendre
du Ciel son Epouse. Le triomphe de Dieu sur la révolte du mal prendra la forme
du Jugement dernier après l’ultime ébranlement cosmique de ce monde
qui passe. »
Conclusion :
Nous
l’avons montré au long de la première question, Dieu a créé les êtres
spirituels en vue de communiquer à ceux qui l’aiment la vision de son essence.
Ceci ne peut se réaliser qu’à travers des épousailles spirituelles, selon le
choix mutuel d’une charité qui, plus elle est fervente, permet d’entrer avec
plus de profondeur dans la contemplation béatifique. Or la charité naît avec
puissance dans les cœurs lorsqu’ils sont bien disposés, selon cette parole des
anges[1174] : «
Paix sur la terre aux hommes de volonté droite. » Et la plus proche préparation
dispositive à la charité est l’humilité, comme l’humus est une disposition à la
vie pour une plante. Toute l’ampleur du gouvernement de Dieu sur les hommes
doit se comprendre à cette lumière : Il rend humble les orgueilleux à travers
les diverses épreuves de cette vie terrestre. Il est difficile de rester
orgueilleux face aux humiliations de la souffrance et de la mort. Il rend
assoiffés d’un salut futur les humbles à travers ces mêmes épreuves car celui
qui tel Job souffre injustement durant sa vie voit son désir d’une réponse
salvifique s’approfondir. Enfin, par cette même croix, il permet à ceux qui
l’aiment déjà d’approfondir leur charité à travers l’offrande de leur vie.
Ainsi disposés, il est certain que la majorité des hommes accueillent à l’heure
de leur mort la venue de Jésus et la vision de son Évangile car il faut un
orgueil et un égoïsme puissants pour résister à une telle Théophanie.
Ce qui est vrai pour les hommes individuels n’est pas différent
pour chaque génération puis pour la dernière génération. En effet, la vie
éternelle n’est pas seulement l’union d’individus avec la Trinité mais aussi
l’union d’une communauté de saints, d’une "Eglise" avec la Trinité.
C’est pourquoi, de même que Dieu dispose les individus au salut, il dispose les
communautés et les générations humaines à ce même salut. Il le fera jusqu’à la
dernière génération, à la différence cependant que ce qui se voyait à travers
l’histoire individuelle et l’histoire de chaque génération prendra de plus en
plus une dimension universelle jusqu’à devenir à la fin un spectacle mondial.
Ainsi, vers la fin du monde[1175],
l’Esprit de Dieu qui conduisait Jésus à travers sa vie terrestre conduira
l’humanité, à travers les forces de ses propres lois, sur le chemin de la
Rédemption. Dans l’enfantement qui précèdera le retour du Christ, il y aura
dans l’humanité, comme jamais au cours de l’histoire, un spectacle comparable à
celui de la croix de Jésus. Extérieurement, l’orgueil de l’Homme semblera
vainqueur, à l’image de ces gens qui ricanaient en disant au Christ [1176]
: « Toi qui détruis le Sanctuaire et en trois jours le rebâtis, sauve-toi
toi-même, si tu es fils de Dieu, et descends de la croix! » C’est ce que
rappelle saint Paul en parlant dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens de
la réussite quasi-universelle d’un antéchrist qui ne sera même pas
nécessairement violent puisqu’il établira "une fausse paix selon le
monde" [1177].
En même temps, l’humanité connaîtra au plan intérieur une détresse et une
angoisse comme jamais, à l’image de ce qui est rapporté à la croix [1178]
: « A la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis d'une grande
frayeur et dirent : « Vraiment celui-ci était fils de Dieu! ». » L’union entre
une victoire extérieure puissante de l’orgueil et le mal-être intérieur des
peuples sera une nouvelle forme de l’universelle éducation de Dieu. Dans ce
drame, Dieu donnera à son Église chrétienne et à tout ce qui porte le nom de
Dieu[1179] (à
savoir les religions et, parmi elles, de manière particulière, le judaïsme et
l’islam, comme nous le montrerons) un rôle analogue à celui du Christ lorsqu’il
nous sauva. Il mènera les religions et particulièrement son alliance sainte[1180],
étape par étape jusqu’à la passion.
En résumé, pour la fin du monde, Dieu annonce en préparation du
retour du Christ une humanité confrontée à un nouveau Golgotha. Il sera cette
fois de nature politique et mondial. Il est annoncé pour son peuple saint un
scénario de souffrance extérieure et d’humilité intérieure. Pour les autres, la
disposition au salut se fera à travers l’expérience d’une victoire extérieure
accompagnée d’une vraie famine intérieure. Il est clair que ce succès extérieur
et provisoire de ce qui s’oppose au Christ sera permis par Dieu et entrera au
centre même de son projet grandiose. S’il avait voulu autre chose, il lui
aurait suffit d’agir, lui qui "peut faire naître à partir des pierres des
fils à Abraham"[1181].
Tout cela ressemblera à s’y méprendre à la croix de Jésus. Pour nous prouver
son amour, il est mort pour nous alors que nous ne l’aimions pas encore. À la
fin du monde, il nous prouvera son amour en revenant glorieux et disposé à nous
pardonner alors que la majorité des hommes ne l’aimera plus. Il y aura certes
un petit reste de croyants selon saint Matthieu 24, 22 : « si ces jours-là
(ceux de l’Antéchrist) n’avaient été abrégés, nul n’aurait eu la vie (la foi)
sauve. » Mais la majorité des hommes auront, d’après les Écritures, suivi la
voie de l’oubli de Dieu.
Solution 1 :
Le sens de ces textes est 1° spirituel car "la venue du
Royaume de Dieu ne se laisse pas voir de l’extérieur" [1182]
; 2° littéral et même matériel car Dieu réalisera à la lettre tout ce qui est
écrit.
1° Il est vrai qu’un tel spectacle, pris au
sens littéral, supprimerait l’athéisme mais qu’en serait-il de la charité, la
seule réalité importante avec l’humilité (kénose) pour la vie éternelle ?
Jésus, dans l’évangile de saint Jean[1183],
nous montre les effets ambigus des miracles sur les hommes. Il multiplie à
l’intention d’une foule des pains ; les gens croient et applaudissent puis
décident de couronner roi d’Israël pour qu’il chasse les Romains. Jésus est
obligé d’aller se cacher dans la montagne. C’est pourquoi on doit affirmer que
le sens premier et certain de ces textes des évangiles comme de tous les textes
apocalyptiques est spirituel, le soleil obscure signifiant l’absence de Dieu et
de toute sagesse du sens ultime de la vie, la lune symbolisant la disparition
de ce qui reflète la lumière de Dieu pour les hommes sur la terre (l’humanité
de Jésus, Marie et les saints, l’Église et les religions qui portent le nom de Dieu
et de la vie éternelle). De même, le signe du Fils de l’homme n’est pas à
prendre en premier lieu comme une croix matérielle dans le Ciel mais comme un
temps de crucifixion et de sépulcre de l’Église.
2° Un deuxième sens matériel n’est cependant
pas à exclure, au contraire, car Dieu ne négligera rien de ce qui a été écrit.
Il donnera ses signes même aux hommes charnels. Lorsque tous les évènements
spirituels auront été accomplis, il est certain que Dieu mettra fin au monde et
que le Christ reviendra à travers un spectacle cosmique comparable en grand à
celui du Golgotha [1184]
: « Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas ; la
terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s'ouvrirent et de
nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent : ils sortirent des tombeaux
après sa résurrection, entrèrent dans la Ville sainte et se firent voir à bien
des gens. »
Solution 2 :
Le fait que l’Évangile sera proclamé devant toutes les nations ne
signifie pas qu’il sera reçu. C’est ce que nous montre toute l’histoire de
l’Église, même dans ses périodes de succès. L’idée d’une Royauté sociale du
Christ sur le monde par l’intermédiaire de l’Église ne pose qu’un seul problème
mais de taille : S’est-il trouvé une seule période de l’histoire où l’on ait vu
une religion à la fois puissante politiquement et humble dans son cœur ? Dieu a
permis que toutes les périodes de gloire humaine de l’Église se terminent
tragiquement. Cette solution ne semble donc pas être la meilleure, au moins en
ce qui concerne l’humilité.
Solution 3 :
Cette idée de concorde mondiale n’est pas sans poser d’autres
problèmes du côté de la charité cette fois : l’homme manifeste à travers toute
son histoire une immense capacité à s’installer douillettement sur la terre dès
que vient la prospérité matérielle. Il en vient à oublier Dieu et la vie
éternelle, se trouvant bien dans une routine quotidienne. L’histoire de la tour
de Babel[1185]
est significative d’une humanité devenue préoccupée de ses seuls conforts et
réussites. On peut souvent reprocher au catholicisme social d’être tourné vers
les hommes au point d’en oublier le cœur à cœur de la vie avec Dieu, jugé comme
une perte de temps pour l’action. L’Ecriture sainte donne la paix politique
comme une marque de l’homme sans Dieu si elle est fondée sur une concorde des
égoïsmes fondés sur la recherche des plaisirs et non sur la charité.
Solution 4 :
Il n’est pas du tout sûr que, vers la fin du monde et dans les
années qui précèderont le retour du Christ, il y ait encore des guerres et de
grands malheurs matériels. En effet, le Seigneur présente sa venue comme suit :
« lorsqu’on dira paix et sécurité »[1186].
Le règne de l’Antéchrist sera, comme nous le verrons, une réussite mondiale
grâce aux bienfaits matériels qu’il accomplira. Vers la fin du monde, il est
probable que la guerre et les tremblements de terre seront avant tout dans les
cœurs, c’est-à-dire à travers les angoisses et les désespoirs d’hommes vivants
loin de Dieu qui seul donne un sens à la vie.
Solution 5 :
Dieu ne
manquera pas d’utiliser tous les moyens cités ici. Cependant, vers la fin, la
prédication des apôtres évoluera de la même manière que celle du Christ durant
sa vie apostolique. De glorieuse et puissante en signes jusqu’à sa triomphale
entrée à Jérusalem, elle deviendra, face aux luttes, plus brève mais intense,
voire silencieuse et réservée à l’amour intense de quelques uns, aux rires des
autres, comme le furent les sept paroles du Christ crucifié.
Objection 1 :
Les prophéties concernant l’apostasie généralisée de l’humanité,
le règne de l’Antéchrist, le martyre de l’Église et la disparition de ce qui
porte le nom de Dieu sur la Terre semblent contradictoires avec la Sagesse et
l’Amour de Dieu. Comment parler autrement si l’on considère l’histoire du
monde, du peuple hébreu et de l’Église : Dieu n’a jamais laissé à l’iniquité
une telle victoire de peur que beaucoup, se complaisant dans leur péché, ne se
séparent de lui totalement et à jamais.
Objection 2 :
Un tel enseignement ne peut que conduire au désespoir, à quoi bon
évangéliser s’il est prévu à l’avance que les efforts n’aboutiront à rien ? À
quoi bon ordonner des prêtres si l’on sait que l’Église sera détruite ?
Objection 3 :
Le fait
que quelques contemplatifs pourront vivre de l’intérieur les mystères de la fin
de l’Église est de bien peu de consolation si le reste du peuple se perd pour
l’éternité.
Cependant :
« Dieu peut, s’il le veut, faire de ces pierres des enfants à
Abraham »[1187].
Par la puissance de ses miracles, il pourrait convaincre de l’Évangile tout
homme dont la volonté n’est cas totalement pervertie par le blasphème contre le
Saint Esprit. S’il ne le fait pas, c’est qu’il aura ses raisons. Or Dieu ne
fait rien ou ne permet rien sur la terre qu’en raison de son amour débordant
qui veut sauver tous les hommes. C’est donc son amour qui permettra ces
mystères douloureux de la fin du monde.[1188]
Conclusion :
Pour Dieu, la vie terrestre consiste en un purgatoire bien adapté
au salut du plus grand nombre des hommes. Toutes les créatures passagères qu’on
y rencontre, personnes et biens matériels, bonheurs et malheurs, péchés et
bonnes actions, vie et mort, y sont utilisées par Dieu en vue de la croissance
de l’humilité qui dispose à la naissance de la charité. A son terme, cette vie
atteint d’autant plus son but que, confronté à l’apparition glorieuse du
Messie, l’homme se tourne vers lui avec force. Or parmi tous les hommes, il en
est d’après Jésus deux catégories qui se tournent avec intensité vers le salut
lorsqu’il leur est présenté : 1° Les pécheurs comme Marie Madeleine[1189]
parce qu’"ils ont montré beaucoup d'amour, leurs nombreux péchés leur
ayant été remis. Mais celui à qui on remet peu montre peu d'amour. » 2° Les
saints comme la Vierge Marie parce qu’ils suivent le Christ dans son humilité
(kénose) et amour jusqu’à sa passion.
Ce qui est vrai pour les individus est vrai au plan des
communautés politiques. Toute génération humaine peut être divisée en plusieurs
sphères d’influence auxquelles les personnes sont plus ou moins soumises au
long de leur existence : 1° Une partie mondaine, souvent dominante, faite des
sages et des intelligents de l’époque. Sa sagesse est celle du monde à savoir
celle d’une gestion intelligente des plaisirs, richesses et honneurs. 2° Une
partie sainte et toujours persécutée puisqu’elle vit essentiellement de la
Sagesse d’en haut qui, puisqu’elle porte sur l’abaissement de soi et la vie de
l’esprit, n’est jamais le fait du grand nombre. 3° La masse des hommes qui,
tout en suivant l’idée dominante du temps, est tantôt sensible à sa partie
mondaine, tantôt à sa partie spirituelle selon qu’elle est plus ou moins proche
du malheur. Souvent, cette masse rejette Dieu quand tout va bien et revient
vers lui quand le malheur approche car elle ne l’aime qu’en vue de biens
qu’elle en attend. Cette distinction est valable pour toutes les époques, même
celles où la religion domine car la victoire extérieure de l’Eglise comme sa
défaite ne signifient que peu de chose quant à l’état intérieur des âmes.
Lorsque ces générations humaines sont confrontées, à travers la mort successive
des individus, à la parousie du Christ, elles vivent en toute vérité des
paroles prophétiques de Jésus. 1° La partie dominante et mondaine se trouve confrontée,
face à la lumière glorieuse du Christ, à sa vraie nature [1190]
: « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui bâtissez les
sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes, tout en disant : Si
nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux
pour verser le sang des prophètes. Ainsi, vous en témoignez contre vous-mêmes,
vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes! Eh bien! Vous,
comblez la mesure de vos pères! Serpents, engeance de vipères! Comment
pourrez-vous échapper à la condamnation de la géhenne ? » 2° Les saints,
toujours peu nombreux, entrent rapidement dans la Vision béatifique. 3° Quant à
la majorité du peuple, elle se reconnaît dans cette autre parole prophétique : «
Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et
pécheresse, le Fils de l'homme aussi rougira de lui, quand il viendra dans la
gloire de son Père avec les saints anges. » La vérité de ce jugement est
d’autant plus tranchante qu’elle vient de la norme du Christ qui est celle de
l’amour et du pardon proposés. En conséquence, l’apparition glorieuse du Christ
provoque dans le grand nombre des pécheurs un grand repentir, donc un grand
amour à la mesure de l’immensité du pardon proposé. Elle provoque aussi chez
les vrais pervers un rejet définitif du pardon et une damnation éternelle.
Mais, au plan de la génération entière, la parousie du Christ provoque une
véritable entrée dans l’humilité (kénose) tant elle vit avec larmes, elle qui
se croyait sage, l’expérience de sa folie, selon saint Paul [1191]
: « Je détruirai la sagesse des sages, et l'intelligence des intelligents je la
rejetterai. Où est-il, le sage ? Où est-il, l'homme cultivé ? Où est-il, le
raisonneur de ce siècle ? Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde
?. »
A la fin du monde, cette division de l’humanité en trois sphères
d’influence sera réalisée de manière ultime, mondiale et explicitement en rejet
du mystère du salut. Dieu saura utiliser la victoire de l’Antéchrist et la souffrance
de ses saints de telle manière qu’il en sorte des fruits de salut pour la
majorité du "troupeau sans berger"[1192].
En effet, à cette époque, Dieu s’étant pourtant efforcé de ramener l’humanité à
lui, multipliant la venue d’apôtres, le don de miracles et de signes
avertisseurs, permettra que l’iniquité s’installe, jusqu’à laisser l’Antéchrist
vaincre extérieurement les religions qui portent extérieurement le nom de Dieu.
1° la partie mondaine et dominante sera représentée par la puissance et l’idéologie
d’un antéchrist inouï dont le combat mondial portera sur une nouvelle
conception du salut éternel fondé sur la liberté et d’amour de soi, par
opposition à l’humilité (kénose) et à l’amour. L’Eglise, les saints et toutes
les religions auront vécu une telle tribulation que leur parole paraîtra
éteinte. De fait, jamais la sainteté cachée n’aura été aussi grande, sauf à la
croix en Marie. 3° La masse des hommes, confrontée à ce monde de l’Antéchrist
vivra à la fois d’un bien-être matériel unique et d’une détresse spirituelle
totale.
Cette
permission ne sera pas vaine car Dieu saura, au moment choisi, en tirer un bien
supérieur qui tournera à la gloire pour la plupart et à la confusion pour les
artisans de ce mal. En effet, lors de son ultime révélation, de même qu’à la
croix il avait prouvé[1193]
"qu’il nous aime, en mourant pour nous alors que nous étions pécheurs », de
même lors de sa parousie, il prouvera qu’il nous aime en revenant alors que la
majorité de l’humanité ne l’attendra plus. En définitive, les circonstances
tragiques de la fin du monde démuliplieront la manifestation de l’amour de
Dieu. Ce jour-là, « il dépouillera les Principautés et les Puissances et les
donnera en spectacle à la face du monde, en les traînant dans son cortège
triomphal".[1194]
Ce sera la dernière manifestation de ce qui a été commencé à la croix.
Il
réalisera cela au moment connu de lui seul, lorsque la prière des saints des
derniers temps sera devenue si pressente par sa charité qu’il ne pourra plus
que l’exaucer sans retard. C’est donc le martyre de l’Église, vécu avec une
charité intense par le reste de ses membres, qui provoquera le retour du
Christ.
Solution 1 :
Au
contraire, la Bible nous apprend que bien des hommes moururent alors qu’ils
étaient encore profondément plongés dans leur iniquité : Ainsi, le déluge
détruisit l’humanité pervertie ; Sodome et Gomorrhe furent ravagées par le feu
en un jour ; Le peuple hébreu conduit par Moïse mourut tout entier au désert
sans entrer dans la terre promise. De même, Dieu attendit avant de laisser les
armées de Josué envahir la Palestine "que la mesure de leurs iniquités
soit comble".[1195]
Quelle est la raison de ces actes de Dieu ? Faut-il affirmer que ces pécheurs
furent tous damnés ? Bien au contraire, par cette mort, Dieu les sauvait en masse
de la mort éternelle. Car la mort violente, en les frappant, leur manifestait
la misère de leur condition et la vanité de leur péché. Frappés, ils criaient
de toute leur âme vers un Sauveur. Ainsi, de l’humiliation naissait en eux
l’humilité. L’apparition de l’ange de Dieu qui les accueillait dans l’autre
monde en leur révélant la miséricorde infinie les amenait à la conversion avec
d’autant plus de force qu’ils avaient reçue davantage en pardon. Quant aux
obstinés, aux orgueilleux inconvertissables, ils se séparaient définitivement
de Dieu librement. En tout cela, l’amour de Dieu resplendit puissamment
puisqu’il n’aura rien négligé pour éviter à l’homme la mort éternelle.
A la fin du monde, Dieu n’agira pas différemment hormis le fait
qu’il délivrera la dernière génération de la souffrance de la mort, La gravité
de la douleur spirituelle chez les hommes en sera augmentée tant l’apparition
de la douceur de Dieu manifestée en Jésus sera bouleversante. Chacun, voyant la
gravité de son péché et la grandeur de la miséricorde se frappera la poitrine.
Solution 2 :
Il faut
distinguer l’espoir humain de l’espérance qui est une vertu théologale.
L’espoir est finalisé par un bien de cette terre ; l’espérance ne désire que
les biens éternels et elle les attend avec certitude du seul secours divin.
Ainsi, prises au plan de l’espoir, ces révélations sur la fin du monde sont
totalement désespérantes. Celui qui attend un royaume de Dieu sur la terre, une
Église triomphante ne peut qu’être scandalisé, de la même manière que les Juifs
à qui Jésus annonçait la ruine du temple de Jérusalem. Cela parait même
blasphématoire puisque ce temple, étant voulu par Dieu, semble nécessairement
indestructible. Trop d’apôtres, vivant d’espoir humain et déçus par le peu de
résultat de leur moisson, se sont découragés : c’est oublier que Dieu lui-même
dirige toute chose en vue du salut du monde, selon Luc 3, 8.
L’espérance théologale attend quant à elle le Royaume de Dieu tel
que Dieu le veut et quand Dieu le veut. Elle sait que la glorification de
l’Église se fera dans l’autre monde et que Dieu, selon des voies mystérieuses
mais pleinement efficaces, conduira le plus grand nombre possible à la Vie, de
telle façon que ne seront damnés que ceux qui, résistant à tous ses moyens,
l’auront voulu. Fondé sur une telle certitude, l’effort apostolique, loin de se
taire, doit reprendre avec une totale liberté de cœur. L’apôtre, tel un
serviteur quelconque, continue son effort sans se soucier d’autre chose que
Dieu seul, sûr de la victoire finale de l’amour.
Solution 3 :
« Elle est certes large la voie qui mène à la perdition et beaucoup
s’y engagent », selon les paroles du Seigneur lui-même[1196].
Cependant il ne faut pas conclure que tous ceux qui y sont engagés se perdent
en définitive : Lorsqu’un peuple est adonné au péché, il ne faut pas croire que
tous le sont avec pleine conscience, volonté et liberté. De même, lorsqu’une
nation se dit chrétienne, cela ne signifie pas que chacun de ses membres aime
Dieu pour le seul motif qu’il est Dieu. Bien d’autres motivations moins
spirituelles animent beaucoup : conformisme, peur de la mort, peur de l’enfer.
Aristote manifeste cette vérité ainsi : « la plupart demeurent dans le sensible
» ; Jésus regardait avec miséricorde les foules égarées de son temps, « comme
un troupeau sans berger » [1197]
; Mais de toute cette ivraie que Dieu laisse pousser, il sait au moment de la
récolte retirer le bon grain. Chaque génération a pu en faire l’expérience au
moment de la mort ; il en sera de même à la dernière génération. Cependant, la
sainteté de ceux qui auront vécu de l’intérieur ces mystères sera la plus
grande qu’ait connue l’humanité, la plus proche de celle de Marie tant la foi
nécessaire pour rester fidèle devra être confiante.
Objection 1 :
Nous avons montré que le sépulcre subi par l’Église constituera un
signe absolument certain de la proximité de la venue du Christ. Donc le Christ
ne viendra pas comme un voleur.
Objection 2 :
Le monde avant le retour du Christ ne pourra être en paix
puisqu’il sera dominé par la tyrannie matérielle et idéologique de
l’Antéchrist.
Objection 3 :
Que le
Christ revienne comme un voleur, cela parait incompatible avec sa dignité et
inconciliable avec la gloire qu’il manifestera.
Cependant :
Saint Paul
dit[1198] : «
quand les hommes se diront paix et sécurité, c’est alors que tout d’un coup
fondra sur eux la perdition, comme les douleurs de la femme enceinte et ils ne
pourront y échapper. »
Conclusion :
Comme nous
l’avons dit, la venue du Christ à la fin du monde est en tout semblable à celle
qui accompagne la mort de chaque homme. C’est pourquoi, dans les prophéties du
Seigneur, ces deux venues sont regardées comme une seule et même chose. Dieu
qui est au dessus du temps, voit en un seul retard le retour du Christ qui
s’accomplit pour chacun au moment de la fin de sa vie terrestre. C’est pourquoi
en parlant de la fin du monde, le Seigneur dit[1199]
: « Alors deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre sera laissé ;
Deux femmes seront en train de moudre : l’une sera prise, l’autre laissée.
Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure ou va venir notre maître.
» Or ces textes semblent s’appliquer en premier lieu à la mort individuelle de
chacun.
A la fin
du monde, le retour du Christ sera précédé de nombreuses alertes venant de
catastrophes naturelles, de paroles prophétiques proclamées par des témoins et
d’autres signes suffisamment clairs pour ceux qui seront attentifs. Il en sera
donc de même pour le monde que pour un homme dont la mort prochaine est
annoncée par des malaises successifs et par les diagnostics de médecins.
Cependant, l’humanité aveuglée par ses intérêts matériels et par le bonheur
illusoire établi par le règne de l’Antéchrist ne prendra pas garde à ces
signes. Elle sera donc surprise par la venue du Messie de la même manière qu’un
homme insouciant l’est par la mort. C’est ce qui ressort des nombreuses
prophéties concernant au sens littéral cette fin du monde[1200]
: « Comme les jours de Noé, ainsi sera l’avènement du fils de l’homme. En ces
jours précédant le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari,
jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et les gens ne se doutèrent de rien
jusqu’à l’arrivée du déluge qui les emporta tous. »
Solution 1 :
Très peu d’hommes seront capables de vivre d’une manière
contemplative et prophétique le sépulcre où sera plongé l’Église à la fin du
monde, la plupart considérant ce fait comme la preuve définitive du caractère
purement humain de la religion chrétienne, de même qu’à la croix les hommes
crurent avoir la preuve de la présomption de Jésus Christ par le fait qu’il ne
pouvait se sauver lui-même. Mais pour les hommes qui vivront de l’esprit de foi
de la Vierge Marie, qui attendait avec certitude la résurrection du Christ,
comme il l’avait annoncé, il n’y aura pas de surprise. Ils feront partie de
ceux qui auront veillé. Selon cette parole du Seigneur "là où sera le
cadavre, là seront les aigles"[1201],
c’est à dire les contemplatifs.
Solution 2 :
Il s’agira d’une fausse paix, de cette paix que donne le monde et
qui est fondée sur l’équilibre des lois du commerce. C’est pourquoi le retour
du Christ qui marquera le caractère illusoire des richesses matérielles sera
l’objet de lamentation chez les hommes adonnés à la matière, selon l’Apocalypse[1202]
: « Ils pleurent et se désolent sur elle, les trafiquants de la terre ; les
cargaisons de leurs navires, nul désormais ne les achète! »
Solution 3 :
Le Christ
ne reviendra pas comme un voleur en ce sens qu’il s’introduira dans le monde
par la ruse mais en ce sens qu’il viendra au moment où le monde ne l’attendra
plus.
Objection 1 :
Cela ne parait pas. De même que les Pères saints attendaient le
premier avènement du Christ, ainsi nous attendons le second. Or ces Pères
connurent la date du premier avènement ; ainsi que nous le voyons grâce au
nombre de semaines annoncé par Daniel. C’est à cause de cela que le Christ
reproche aux Juifs de n’avoir pas reconnu le temps de sa venue : « Hypocrites,
vous voulez sonder le Ciel et la terre ; comment n’avez-vous pas recherché le
temps de l’avènement du Messie ? » Il semble donc que le temps du second
avènement par lequel Dieu viendra juger nous sera aussi indiqué.
Objection 2 :
À travers les signes, nous parvenons à la connaissance de ce
qu’ils signifient. L’Écriture nous propose de nombreux signes de l’approche du
jugement futur. Nous pouvons donc parvenir à la connaissance de sa date.
Objection 3 :
Saint Paul dit : « C’est pour nous que viendra la fin
des siècles. » Et saint Jean : « Mes petits enfants, c’est la
dernière heure. » Puisqu’un long espace de temps s’est écoulé depuis lors, il
semble que nous pouvons maintenant savoir que le dernier jugement est proche.
Objection 4 :
Le temps du jugement ne doit être caché que pour que chacun s’y
prépare avec sollicitude, puisqu’il en ignore la date fixe. Mais cette
sollicitude demeurerait même si on connaissait cette date, parce que pour
chaque homme la date de sa mort personnelle est incertaine, « date, comme dit
saint Augustin, à laquelle chacun vit son dernier jour, qui est en fait pour
lui le dernier jour de ce monde. » Il n’est donc pas nécessaire que la date du
jugement soit cachée.
Cependant :
Il est dit en saint Marc : « Ce jour où cette heure nul
ne le sait, ni les anges dans le Ciel, ni le Fils, sauf le Père. » Le Christ ne
le sait pas en ce sens qu’il ne nous le fait pas savoir.
En outre, saint Paul dit aux Thessaloniciens : « Le jour du
Seigneur viendra comme le voleur vient la nuit. » Il semble donc que, comme la
venue du voleur la nuit est tout à fait incertaine, ainsi le jour du jugement
dernier soit tout à fait incertain.[1203]
Conclusion :
Dieu est cause des choses par sa science. Il communique aux
créatures soit la puissance de produire d’autres choses dont elles sont causes,
soit la connaissance des autres choses. Dans ces deux sortes de communications,
il se réserve certains pouvoirs. En effet, il accomplit certaines choses sans
aucune coopération de créatures, et il connaît aussi certaines choses qu’il ne
communique à aucune pure créature. Parmi celles-ci, il n’y en a pas qui doive
être plus secrète que celles qui dépendent du seul pouvoir divin, sans aucune
coopération de créature. Telle est la fin du monde, avec le jour du jugement.
Le monde en effet finira sans l’action d’aucune cause créée, de même qu’il a
été commencé par l’action immédiate de Dieu. Il convient donc que la
connaissance de la fin du monde soit réservée à Dieu seul. C’est cette raison que
le Seigneur lui-même semble apporter quand il dit "Il ne vous appartient
pas de connaître les temps et les moments que le Père a placés en son
pouvoir" comme pour signifier qu’ils sont réservés à son seul pouvoir.
Solution 1 :
En son premier avènement, le Christ vint caché, selon ce mot
d’Isaïe : « Tu es vraiment un Dieu caché, Dieu sauveur d’Israël. » Pour qu’il
puisse être reconnu par les croyants, il fallait prédéterminer une époque fixe.
Mais dans le second avènement, il viendra manifestement. Le Psalmiste assure :
« Dieu viendra manifestement. » Il n’y a donc point de possibilité
d’erreur au sujet de cet avènement. Le cas est donc différent.
Solution 2 :
Parmi les signes que Jésus annonce, certains sont universels et
concernent chaque génération comme les tremblements de terre, les guerres, les
persécutions, les faux prophètes. Ils sont donc tout à fait inutiles pour
discerner la fin des fins mais seulement la fin de telle génération donnée.
Saint Augustin dit : « Les signes précurseurs indiqués dans
l’Évangile n’ont pas tous trait à la seconde venue qui aura lieu à la fin du
monde. Certains nombreux, ont trait à la venue quotidienne du Christ dans
l’Église, qu’il visite spirituellement en habitant en nous par la foi et
l’amour. Les signes qui sont dans les Evangiles, concernant la dernière venue,
ne suffisent pas pour permettre de reconnaître d’une manière précise le temps
du jugement. Les malheurs qui sont prédits comme annonçant le proche avènement
du Christ ont existé dès l’époque de l’Église primitive, tantôt plus, tantôt
moins. C’est pourquoi les jours des apôtres furent déjà appelés les derniers
jours, comme nous le voyons dans les Actes, là où saint Pierre expose, en
l’appliquant à son temps, le mot de Joël : « Il y aura dans les
derniers temps. »
D’autres sont plus précis et moins généraux comme certains détails
sur le dernier Antéchrist (mondial), sur le destin d’Israël (destruction du
Temple, dispersion, retour en Palestine, destin de Jérusalem, conversion des
Juifs au Messie), sur l’Eglise et sa passion finale. Saint Augustin en parle : «
Certains signes se rapportent à l’époque de la destruction de Jérusalem, qui a
déjà eu lieu." Depuis lors, beaucoup de temps s’est écoulé, et d’autres
signes se sont réalisés. En ce qui concerne le calcul de la date de la fin du
monde, deux choses doivent être affirmées : 1° Tant que tous les signes
annoncés ne sont pas réalisés, on peut être sûr que la fin des fins n’est pas
proche selon ce que dit saint Paul à des chrétiens qui ne se mariaient plus[1204]
: « Nous vous le demandons, frères, à propos de la venue de notre Seigneur
Jésus Christ, ne vous laissez pas trop vite mettre hors de sens ni alarmer par
des manifestations qui vous feraient penser que le jour du Seigneur est déjà
là. Auparavant doit venir l'apostasie et etc.. » 2° Même quand ces signes
seront tous réalisés, il sera impossible de conclure de manière certaine car
aucune révélation explicite, confirmée par le Magistère, ne donne une
indication sur la durée de son règne. On peut conjecturer que ce règne sera
court. Mais l’expérience montre que le "bientôt" de Dieu, s’il dure
au maximum 120 ans quand il s’agit d’un individu, peut durer un nombre
indéterminé de mois, d’années, de centaines ou de milliers d’années quand il
s’agit d’un évènement mondial, comme dit saint Augustin.
Solution 3 :
On ne peut pas tirer une période déterminée de temps à partir
d’expressions comme "Le dernier jour est venu" ou d’autres semblables,
qu’on lit dans l’Écriture. Elles n’ont point pour but de signifier une période
brève, mais d’indiquer la dernière phase du monde, qui sera comme un âge
nouveau. On ne précise pas la durée de cet espace de temps, de même que la
vieillesse, dernier âge de l’homme, n’est pas une période nettement marquée,
puisque parfois elle dure autant que tous les âges précédents, et même plus,
comme dit saint Augustin. C’est pourquoi, saint Paul écarte cette idée fausse
que quelques-uns ont tirée de ses paroles, croyant que « le jour du
Seigneur était déjà tout proche. »
Solution 4 :
Même en reconnaissant l’incertitude de la date de notre mort,
l’incertitude de celle du jugement nous incite doublement à la vigilance :
d’abord parce que nous ne savons pas s’il tardera jusqu’au delà de la fin de
notre vie d’où une deuxième raison d’être vigilants. Ensuite parce que l’homme
n’a pas seulement le souci de sa personne, mais aussi de sa famille, de sa
cité, de son pays et de toute l’Église, qui durent au-delà de la limite d’une
vie humaine. Or il faut disposer chacune de ces collectivités de sorte que le
jour du Seigneur ne la trouve pas mal préparée.
La fin du
monde sera immédiatement précédée du retour du Christ dans sa gloire. Et cette
venue sera elle-même, semble-t-il, annoncée par des signes.
A cet égard quatre questions se posent :
1° Y aura-t-il des signes précurseurs de
l’avènement du souverain Juge ?
2° Ces signes seront-ils donnés à tous les
hommes ou seulement aux croyants ?
3° Quels sont ces signes ?
4° Peut-on discerner un ordre chronologique
dans l’apparition de ces signes ?
Objection 1 :
La réponse négative semble imposée par cette parole de saint Paul :
« quand les hommes diront paix et sécurité! C’est alors qu’une ruine soudaine
fondra sur eux ».[1206]
En effet cette paix et cette sécurité n’existeraient pas, si des signes avant
coureurs venaient semer l’inquiétude.
Objection 2 :
Des signes sont nécessaires quand une chose doit être rendue
manifeste. Mais l’avènement du Seigneur doit être caché "le jour du
Seigneur vient ainsi qu’un voleur dans la nuit".[1207]
Objection 3 :
Le premier
avènement du Seigneur fut connu à l’avance par les prophètes, et cependant il
ne fut précédé d’aucun signe. À plus forte raison, ainsi en sera-t-il du second
que personne ne connaît.
Cependant :
Il est dit
en saint Luc[1208]
: « Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et les étoiles. » D’autre
part, le Seigneur dit à propos de sa venue[1209]
: « Du figuier apprenez cette parabole. Dès que sa ramure devient flexible et
que ses feuilles poussent, vous comprenez que l’été est proche. Ainsi, lorsque
vous verrez tout cela, comprenez que le fils de l’homme est aux portes. » Donc
il y aura des signes précédant la fin du monde.
Conclusion :
Quand le Christ viendra juger tous les hommes, il apparaîtra dans
sa gloire, comme il convient à la dignité de sa fonction. Mais celle-ci doit
être manifestée par certains indices capables d’inspirer humilité, repentir et
même charité. En effet, avant sa venue, Dieu s’efforcera de convertir à lui les
hommes de telle façon que le plus possible soient disposés à ce que sa venue
provoque un bon effet, à savoir l’entrée dans la béatitude. L’avènement du
Sauveur sera donc précédé de signes multiples destinés à avertir. L’Écriture
nous annonce avec force un certain nombre d’événements qui se produiront avant
la fin. Cependant, on doit reconnaître qu’on ne peut savoir avec précision de
quelle manière ils se produiront quand ils sont annoncés et ce pour deux
raisons : 1° Comme le remarque saint Augustin, beaucoup de ces signes se
rapportent non seulement au jugement dernier, mais encore à la destruction de
Jérusalem qui a été opérée par l’empire Romain, et à cet avènement continuel
par lequel le Christ visite et éprouve son Église. Comme le dit saint Augustin,
les combats, les épouvantes etc. mentionnés dans l’évangile se rencontrent tout
au long de l’humanité. De même, bien des antéchrists sont déjà venus et ont
répandu le malheur sur la terre. 2° D’autre part, il est difficile de savoir
quand les signes rapportés par le livre de l’Apocalypse et les autres
prophéties sont à prendre au sens propre ou au sens symbolique.
Ces deux
ambiguités ne sont pas toujours enlevées par le Magistère de manière aussi
précise que pour la condamnation du millénarisme[1210].
Cette imprécision est voulue par le Seigneur afin que nous soyons chaque jour
vigilants.
De tout ceci, on doit retenir la nécessité
d’une grande prudence dans l’interprétation des signes de l’avènement du
Sauveur. Un principe doit être retenu. Plus on s’approche du concret, plus
l’erreur est possible. Plus on reste dans des généralités, abordant par exemple
les questions du projet de Dieu, de la croix qu’il maintient dans l’histoire
pour sauver l’humanité, plus on est infaillible…
Solution 1 :
Saint Augustin[1211]
dit que, à la fin des temps, les méchants persécuteront les bons ; ceux-ci
craindront donc, tandis que ceux là seront tranquilles. Ce sont donc les
méchants qui diront "paix et sûreté" parce qu’ils négligeront les
signes annonciateurs du jugement. Tandis que "les bons sècheront de
frayeur etc." comme en parle saint Luc. On peut dire encore que ces signes
avant coureurs sont compris dans le temps et le jour du jugement. Avant leur
apparition, les impies se croiront en paix et sécurité, le monde étant plongé
dans une tranquillité extérieure rassurante.
Solution 2 :
Le jour du Seigneur viendra "comme un voleur" parce que
la date précise en est inconnue, les signes précurseurs étant insuffisants à le
manifester. Quant aux signes indubitables qui précèderont immédiatement le
jugement, on peut dire qu’ils font partie de ce jour même.
Solution 3 :
Quoique
les prophètes connaissent d’avance le premier avènement du Christ, cet
avènement eut lieu en secret. Il ne devait donc pas être annoncé par des signes
grandioses, à la différence du second, dont la date reste mystérieuse, mais où
le Christ viendra dans sa gloire. Il sera donc immédiatement précédé par des
signes terrifiants. Mais bien avant ce jour, il y aura d’autres signes plus mystérieux
que seuls quelques-uns sauront discerner[1212].
Objection 1 :
Il semble que seuls les croyants recevront de tels signes En
effet, seuls les croyants pourront en découvrir la signification prophétique.
Il est inutile que les autres les reçoivent selon cette parole du Seigneur
"même si un mort ressuscitait, ils ne croiraient pas".[1213]
Objection 2 :
Si tous les hommes reçoivent des signes suffisamment explicites
pour le retour du Christ, celui-ci ne surprendra personne par sa venue ce qui
semble contradictoire avec l’Écriture.
Objection 3 :
Il semble
que seuls les païens recevront des signes de la fin du monde. Les croyants n’en
ont en effet pas besoin puisque, par l’espérance et la charité, ils sont
constamment dans l’attente du retour du Christ.
Cependant :
Il y aura
des grands signes dans le soleil, dans la lune et les étoiles, selon saint Luc[1214].
Or de tels signes pourront être vus par tous. Donc ils seront donnés non seulement
aux croyants mais aussi aux païens.
Conclusion :
La
finalité des signes donnés avant la fin est de frapper la connaissance des
hommes de telle façon qu’amenés à réfléchir, ils changent leur cœur avant qu’il
ne soit trop tard. Or il est certain que Dieu désire proposer le salut à tous
les hommes sans exception, de telle manière que ne soit damné que celui qui
obstinément sera resté dans le péché. Nous avons suffisamment montré cela
précédemment. Nous pouvons en déduire qu’il donnera ses signes non seulement
aux croyants mais aussi aux païens, non seulement pour les individus mais aussi
aux nations, avant comme après la première venue du Christ. Dans ce but, il
convient que Dieu adapte ses signes à la capacité de chacun. Le propre de la
connaissance humaine est de partir du sensible pour remonter à l’intelligible.
Dieu s’adapte à la manière humaine de connaître. Nous le voyons dans les
Écritures Saintes où Dieu révèle son mystère à travers des mots humains, et
davantage encore dans l’Incarnation du Verbe. De même, les signes annonçant la
fin seront fondamentalement sensibles, au point que tout homme pourra les voir
dans leur matérialité.
Cependant, le signe ne consiste pas seulement dans un évènement
matériel. Par définition, il symbolise et révèle une réalité d’ordre
intelligible. Or il est évident que tous les hommes n’ont pas la même la
capacité à comprendre les choses spirituelles : tous n’ont pas une égale
perspicacité intellectuelle ni même une égale illumination du Saint Esprit. Les
hommes charnels comprennent de façon charnelle ; les hommes spirituels savent
remonter, à partir des signes sensibles à leur signification spirituelle. Il en
est ainsi pour les signes donnés par Dieu concernant la fin, quelque soit le
sens où l’on entend ce mot :
1° Il peut s’agir, même dans la pensée de
Jésus[1215]
de la fin de chaque homme à l’heure de sa mort. Les signes qui précèdent et
annoncent notre propre mort sont nombreux : Mort d’un proche, atteinte de la
maladie, vieillesse. Les hommes excessivement adonnés aux choses de ce monde
réagiront en s’efforçant de ne pas y penser ou encore par la peur ; les hommes
de bonne volonté s’interrogeront ; ceux qui espèrent en Dieu penseront à la
proximité de leur rencontre avec le Christ et se "redresseront, plein de
joie car leur délivrance est proche".[1216]
2° Il peut s’agir de la proximité de la fin
de chaque génération humaine, selon cette parole de Jésus[1217]
: « En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout ne soit
arrivé. » Ainsi les guerres, les tremblements de terre, les famines, tout ce
qui rappelle à chaque époque la précarité de tout sont des signes de la fin. De
la même manière, chacun les interprète selon le degré d’intelligence et de foi
qui est le sien ; mais nul ne peut y rester totalement indifférent.
3° Il en sera de même à la fin du monde
telle que nous la regardons dans ce traité. Dieu donnera des signes multiples
qui pourront être vus par tous car ils se réaliseront dans les réalités
visibles de cette époque : certains seront visibles dans le monde physique
(dans les astres par exemple), d’autres dans les réalités sociales (apostasie,
gouvernement de l’Antéchrist). Mais peu d’hommes comprendront dans toute son
intensité la signification spirituelle de ces signes. Il en ressortira
cependant du bien pour tous : les mauvais, saisis d’inquiétude, se rappelleront
la temporalité de leur vie selon la parole employée le mercredi des Cendres : «
Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière. » S’ils
ne sont pas totalement obstinés dans leur péché, à l’inverse de ces gens que
décrit l’Apocalypse[1218],
ils seront quelque peu disposés au salut, leur orgueil se trouvant humilié par
la peur. De même, les hommes de bonne volonté, ceux qui ne connaissent pas le
Christ, seront amenés à l’exemple de Job à s’interroger sur le sens de leur
vie. Ils progresseront en humilité. Lors du retour du Christ ils s’écrieront[1219]
: « Je ne te connaissais que de loin, mais maintenant mes yeux ont vu. » Quant
aux saints, ils ne cesseront de grandir dans la charité, à cause de leur
espérance sans cesse plus sûre de la proximité de la fin.
Solution 1 :
Même les païens peuvent être amenés par des signes à penser au
retour du Christ. Mais, chez eux, cette pensée ne peut être explicite
puisqu’ils n’ont pas entendu parler de ce retour. Elle est suggérée de loin,
par la pensée de la mort. Chaque homme est averti qu’il mourra, soit en
observant la mort des autres, soit en subissant les signes avant-coureurs de sa
propre mort, comme la maladie ou la vieillesse. Et cela est valable
universellement à chaque époque. Mais à la fin du monde, les signes extérieurs
de la vanité de ce monde se multiplieront, tels les épidémies, les tremblements
de terre et les guerres. Par ces moyens, Dieu s’efforcera de convertir tous les
cœurs avant qu’il ne soit trop tard.
Solution 2 :
Le propre du signe n’est pas de démontrer la vérité d’une chose
mais de la suggérer de telle façon que l’intelligence soit conduite à
s’interroger. Il ne peut en être autrement quand il s’agit des choses de Dieu
sans quoi la foi disparaîtrait pour faire place à la science. C’est pourquoi
les plus grands signes et miracles n’obligent à la conversion que ceux dont la
volonté est disposée favorablement en vue du bien. Quant aux autres ils
s’aveuglent eux-mêmes par leur volonté de ne pas changer leur vie.
Solution 3 :
Il
convient que même les croyants reçoivent des signes du retour du Christ. En
effet, par la grâce qu’ils ont reçue, ils sont collaborateurs de l’œuvre
divine. Il convient donc qu’ils associent leurs prières et leurs sacrifices au
grand mystère de l’enfantement que connaîtra le monde lors de sa fin.
Objection 1 :
Il semble qu’on ne doive pas distinguer des signes valables pour
toutes les époques d’un côté et des signes valables une seule fois de l’autre.
En effet, tous les signes qui précèderont le retour du Christ seront
nécessairement valables pour toutes les générations, puisque le propre du signe
est de manifester sous un sens symbolique plusieurs niveaux de réalisation.
Objection 2 :
Certains signes annonciateurs sont déjà réalisés, comme par
exemple la destruction du Temple de Jérusalem. Ils ne doivent donc pas être
comptés parmi les signes de la fin du monde.
Objection 3 :
Certains signes qui apparaissent au sens propre comme matériels
semblent devoir plutôt être interprétés dans un sens spirituel. Ainsi, on sait
qu’il est impossible que de vraies étoiles tombent sur la terre. Il doit donc
plutôt s’agir d’un symbole.
Objection 4 :
L’Antéchrist,
quand il viendra, apparaîtra comme un homme bien réel et prendra le pouvoir sur
un grand empire. Mais beaucoup d’Antéchrists ont déjà fait cela comme Hitler.
On ne doit donc pas le classer parmi les signes de la fin des fins mais plutôt
parmi les signes concernant toutes les générations.
Conclusion :
L’Écriture décrit une multitude de signes
qu’elle présente comme annonciateurs du retour du Christ. En y regardant de
plus près, on s’aperçoit qu’il est difficile de les classer de manière
satisfaisante. En effet, Dieu a voulu que leur sens soit multiple, littéral ou
métaphorique. On en a un exemple dans l’Ancien Testament [1221]
: « Voici que la vierge est enceinte. Elle donne naissance à un fils. »
Les théologiens juifs ne se trompèrent pas en annonçant, au sens premier et
littéral, la grossesse future de la mère du Messie. Mais ils ne se trompaient
pas non plus en parlant de la grossesse symbolique d’Israël, de l’humanité, de
l’Univers selon saint Paul : « La création toute entière attend la révélation
des fils de Dieu. »
Malgré cela, et sans se départir d’une certaine prudence, il est
possible de classer en deux catégories les signes donnés par Jésus :
1° Les prophéties valables pour plusieurs
générations. Le propre de ce type de prophéties est qu’elles décrivent les
épreuves vécues par toutes les générations de tous les temps. Elles parlent non
seulement de la fin du monde, mais de la fin de chaque génération, de chaque
humain individuel, de la fin des cités, des entreprises humaines etc. Inutile
donc de vouloir appliquer les passages qui la composent à tel ou tel événement
historiquement daté à l’exclusion des autres.
- Leurs sens multiples sont parfois donnés
sous le langage d’analogies métaphoriques. Exemple : « Une bête apparut. Elle
avait sept têtes et dix cornes »[1222].
La bête, signifie aussi bien l’Empereur romain Néron, qu’Hitler, que
l’idéologie marxiste, que nos propres péchés capitaux etc. A travers
l’Ecriture, l’utilisation de tels symboles est si fréquente qu’il est difficile
d’en faire la liste.
- D’autres sont écrites sous le langage
d’analogies propres. Exemple : « Il y aura des guerres et des bruits de guerres.
» Les guerres furent réelles au sens militaire du terme. Mais ces textes ont
plusieurs autres sens comme la guerre entre individus, contre soi-même etc.
La liste de ces prophéties est longue. Il s’agit essentiellement
de l’annonce générale de fléaux comme les tremblements de terre[1223],
de guerres[1224],
de fausses paix[1225],
de famines[1226],
de maladies[1227],
de persécutions, de meurtres d’innocents, de faux prophètes[1228],
d’hérésies, d’Antéchrists, de passions mauvaises, de vices, de matérialisme[1229],
de mort et de signes cosmiques : « Le soleil s’obscurcira, la lune deviendra
comme du sang, les étoiles tomberont du Ciel"[1230].
2° Les prophéties valables pour une seule
époque[1231].
Pourtant, parmi tout ce qui est annoncé, on doit maintenir que certains signes
ont un sens premièrement littéral et historique. Ils ne se réaliseront qu’une
fois, en vue du scénario qui aboutira à la fin des fins (ce qui n’exclut pas
leur interprétation métaphorique). Exemple : « De ce temple, il ne restera pas
pierre sur pierre."[1232]
Le Temple de Jérusalem fut physiquement détruit en 70 après Jésus-Christ comme
Jésus l’avait annoncé. C’est le premier sens. Pourtant, ce sens historique
n’exclut pas l’autre, Jésus lui-même en informe ses disciples. "Le vrai
temple était son corps qui devait mourir et, trois jours plus tard,
ressusciter"[1233].
Toutes les prophéties de Jésus concernant le peuple juif sont de cette
catégorie.
La liste de ces prophéties peut être réalisée comme suit [1234]
:
1° La fin du monde sera provoquée par le
retour glorieux du Christ. Il viendra accompagné des saints et des anges.
2° Avant sa venue, il y aura une apostasie
générale[1235]
dans l’humanité. Dieu sera rejeté des cœurs.
3° Puis viendra un antéchrist qui établira
son règne mondial contre la sagesse de Dieu. Il instaurera la paix et la
sécurité, imposant une religion de l’homme et se proclamant lui-même Dieu.
4° Il mettra fin aux religions qui portent
le nom de Dieu. Une dernière prédication leur sera accordée, sous la forme
mystérieuse de deux témoins. La vierge Marie qui aura un rôle particulier[1236].
5° L’Eglise suivra le Messie dans son
anéantissement. Pierre subira le martyre tandis que Jean, l’Eglise priante,
subsistera jusqu’au retour du Messie. Ce martyre sera un acte de sainteté et le
signe de Jonas sera de nouveau donné à l’humanité[1237].
6° Le peuple juif perdra son Temple, sera
dispersé, massacré. Puis il reviendra dans sa terre, reprendra possession de
Jérusalem et reconnaîtra le Christ comme Messie.
Solution 1 :
Tous les signes ont effectivement un sens allégorique valable pour
chaque génération. Mais certains d’entre eux, selon la lettre, annoncent un
évènement précis qui ne peut se réaliser qu’une fois comme la destruction du
Temple de Jérusalem que Jésus annonça pour l’époque de sa génération. Ceci
n’empêche pas une signification plus profonde, allégorique celle-là qui n’est
comprise que par des hommes spirituels.
Solution 2 :
Si la destruction du Temple de Jérusalem est déjà réalisée dans sa
matérialité, elle n’en reste pas moins, en soi, un signe puissant de la fin du
monde. En effet, elle introduit une série de cinq prophéties concernant le
peuple juif qui doivent se réaliser à la lettre. Ceci n’empêche pas un autre
niveau de sens, allégorique celui-là, comme une autre destruction qui aura lieu
à la fin des temps, à savoir celle du nouveau temple qui est l’Église, comme la
mort individuel de chaque corps humain, vrai temple de Dieu.
Solution 3 :
La chute des étoiles sur la terre a d’abord un sens spirituel
puisqu’elle annonce la perversion de ceux qui sont les étoiles pour le monde
puisqu’ils l’éclairent de leur intelligence. Ainsi, à la fin des temps, il
semble que beaucoup d’intellectuels et de théologiens ne seront plus pour les
autres sources de vérité mais les entraîneront dans l’erreur. Il n’en reste pas
moins que, pour les gens plus simples, de réelles chutes d’étoiles filantes
pourront se produire avant l’avènement du Christ, ce qui sera pour eux un signe
adapté.
Solution 4 :
Il y aura
un dernier Antéchrist qui réalisera en plénitude le mystère d’iniquité déjà
amorcé par les autres. Il sera réellement un homme mais son mystère ne sera
compris que par ceux qu’éclairera l’Esprit Saint puisqu’il s’opposera, en
trouvant son inspiration auprès du Démon, au mystère de la charité du Christ.
En un sens, sa lutte sera contre Dieu plutôt que contre l’homme. Il sera donc
un signe spirituel.
Objection 1 :
Il semble difficile sinon impossible de discerner un ordre dans
les signes qui précèderont la fin du monde. En effet, la grande destruction
subie par Jérusalem au temps du général Romain Titus qui brûla le Temple et
construisit à sa place un temple aux idoles a eu lieu au tout début de
l’Église. Or elle est présentée dans le discours eschatologique comme un signe
qui précèdera de peu la fin.
Objection 2 :
De tout temps, il y a eu des martyrs et il y en aura toujours. Il
semble donc inadapté de mettre le martyr comme signe du début des douleurs de
l’enfantement.
Objection 3 :
Le livre de l’Apocalypse donne un ordre très différent concernant
le déroulement de l’histoire du monde, jusqu’à la venue glorieuse du Christ et
le jugement des nations. Il est presque impossible de faire concorder cet ordre
avec celui du discours eschatologique donc…
Objection 4 :
S’il
existe un ordre chronologique dans l’apparition des signes annoncés, on devrait
déjà le discerner à travers le cours de l’histoire, depuis 2000 ans que dure
l’Église.
Cependant :
Le
Seigneur compare la fin du monde à un enfantement[1238].
Or, dans un enfantement, on peut discerner un ordre chronologique dans les
signes qui l’annonce : d’abord les douleurs des premières contractions, puis la
douleur maximale qui précède la naissance, et la naissance elle-même. Il doit
en être de même pour l’humanité.
Conclusion :
Dans son
discours eschatologique[1239],
le Seigneur propose un ordre génétique par rapport aux signes de la fin du
monde. Ces signes s’amplifient avec la proximité de la fin. Et ceci est
convenable pour plusieurs raisons.
-- À cause
de la haine du démon qui, sentant son temps compté, multipliera ses attaques
contre l’humanité, sa perversion allant jusqu’à espérer la séparer complètement
de Dieu par l’action de son serviteur, l’Antéchrist.
-- À cause
de la sagesse de Dieu qui gouverne l’homme de telle manière qu’il soit disposé
au mieux à l’obtention de la béatitude éternelle. Il convient donc qu’il
multiplie les signes de sa venue à mesure que le temps disponible pour se
convertir diminue.
-- À cause
de la condition de l’homme qui ne peut remonter à l’intelligible qu’en
s’appuyant sur le sensible. Il a donc besoin de recevoir des signes plus
explicites à mesure que la conscience de sa fin prochaine demande à être
amplifiée. Il en est ainsi dans l’ordre habituel de la vie humaine : l’enfant
qui a la vie devant lui ne pense pas à la mort car rien n’est là pour la lui
rappeler. Mais le vieillard dont le temps est compté reçoit dans sa chair des
stigmates qui la lui rappelle à chaque moment.
Dans le discours eschatologique, on peut discerner quatre temps.
1° Le Seigneur parle d’abord du commencement
des douleurs caractérisé par la venue de nombreux faux prophètes qui produiront
des hérésies ; par des guerres et des rumeurs de guerre, de famines et des
tremblements de terre. En cette époque. Il y aura beaucoup de persécutions
contre l’Église et de nombreux martyrs[1240],
ce qui n’empêchera pas l’évangile d’être proclamé par toute la terre.[1241]
2° Dans un second temps, le Seigneur annonce
un chemin qui conduira l’humanité vers l’apostasie. Il dit que la charité se
refroidira chez le grand nombre,
3° Dans un troisième temps, viendront les
signes de la fin[1242].
Le Seigneur dit que "l’abomination de la désolation sera dans le lieu
saint. » Ceci semble se rapporter à une grande tribulation que devra subir
l’Église puisqu’elle est le Temple de Dieu, à la manière dont le Temple de
Jérusalem devint le Temple des idoles au temps du roi Antiochus[1243].
Le temps de la fin sera donc celui de l’Antéchrist et de la lutte ultime contre
les saints.
4° En dernier lieu viendra la fin elle-même[1244].
Ce sera le temps du dernier Antéchrist. Il y aura des signes dans le soleil qui
s’obscurcira, dans la lune qui ne donnera plus sa lumière, dans les étoiles et
les puissances des cieux. Puis apparaîtra le signe du fils de l’homme qui
provoquera la terreur des méchants et sera suivi immédiatement par la glorieuse
apparition du Messie, sur les nuées du Ciel. "Quant à l’Antéchrist, le
Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa venue".[1245]
Alors la fin du monde sera consommée et le jugement général de l’humanité aura
lieu[1246].
Solution 1 :
La destruction du Temple de Jérusalem n’est elle-même que la
préfiguration de la destruction du vrai Temple de Dieu qui est l’Église et qui
sera tentée à la fin du monde par l’Antéchrist. Cette lutte du démon contre les
saints de Dieu, si elle est commencée depuis la naissance de l’Église, prendra
une proportion inimaginable en ces jours là, selon le Seigneur, « si ces jours
n’avaient pas été abrégés, nul n’aurait eu la vie sauve »[1247].
Solution 2 :
Les signes liés à la première phase ne disparaîtront pas dans les
suivantes mais au contraire s’amplifieront, de la même manière que dans
l’enfantement où les premières contractions ne disparaissent pas tant que la naissance
n’est pas complètement accomplie. Il en sera de même pour les tremblements de
terre, les épidémies, les famines.
Solution 3 :
Quant au livre de l’Apocalypse, il ne donne pas en premier lieu
aux hommes un regard chronologique sur l’histoire du monde. Son but est de
révéler les intentions et les modes d’action de Dieu par rapport à la conduite
qu’il exerce sur l’humanité[1248].
Il manifeste que Dieu est cause de tout ce qui arrive ici-bas : « Du trône
partent des éclairs, des voix et des tonnerres" [1249],
que le Christ peut seul rendre le monde intelligible à l’homme : « L’agneau
ouvrira les sept sceaux »[1250]
; que l’univers entier jusque dans la souffrance qu’il cause à l’homme est
utilisé par Dieu : « les sept trompettes »[1251]
; que le démon lui même est utile, sans qu’il le veuille, au bien de l’homme
selon son âme "le Dragon et la bête" [1252]
; Et qu’en définitive tout se terminera par « le triomphe de l’agneau », de
la charité et la réprobation de l’orgueil[1253].
S’il existe des prophéties applicables à l’histoire dans ce livre, elles ne
sont utilisables qu’en dernier recours, dans la lumière du discours
eschatologique de Jésus.
Solution 4 :
L’histoire
de l’humanité est sainte, dirigée de l’intérieur par Dieu. Son but unique et
simple est, rappelons-le, de rendre chaque âme humble (kénose) pour qu’elle
puisse aimer et entrer dans la salle des noces avec l’époux. Il dirige chaque
personne individuellement par le travail de son ange gardien. Mais il dirige
aussi l’humanité dans son ensemble à travers l’histoire des groupes humains.
Pour cela, il dispose d’une communauté d’anges appelés "Princes" qui
connaissent parfaitement ce qu’il faut faire pour diminuer l’orgueil des
peuples. Cette histoire se déroule en sept temps, « sept étapes » que
l’Ecriture appelle « sept jours. »
Après la chute d’Adam et Ève et avant la venue du Christ,
l’humanité a connu trois premiers temps :
1° Le temps où Dieu se taisait, d’Adam à
Abraham.
2° Le temps où, à partir d’Abraham, il
promit à quelques-uns un sauveur (d’Abraham à Jésus).
3° Celui enfin où il se fit chair et annonça
l’Évangile à ses disciples (de l’annonciation à la pentecôte). Chacune de ces
périodes était bonne et disposait les cœurs au salut. Mais, Jésus le reconnaît,
parmi les hommes qui vécurent les deux premières et ceux qui aujourd’hui
ignorent toujours le Christ, ils furent des milliers à désirer voir un seul de
ses jours et ne le virent pas.
Jésus annonce à quatre nouveaux temps, quatre étapes de l’histoire
durant lesquelles il préparera les nations à la Vision de Dieu. On peut les
discerner à la lecture de son discours eschatologique[1254]
et des multiples prophéties dispersées ici et là dans les lettres des apôtres.
Ils peuvent être en partie datés, tout autant que ceux qui précédèrent son
incarnation.
4° Le premier de ces temps est celui de
l’extension de l’évangile dans le monde. C’est une période accompagnée de
luttes et de souffrances nombreuses. Il se caractérise par l’extension de la
chrétienté à travers le monde et par des luttes que le Seigneur appelle
"des guerres et des rumeurs de guerre"[1255].
Ce temps commence avec le jour de la Pentecôte et dure jusqu’à aujourd’hui.
5° Le second est celui du rejet de
l’évangile par le monde. Ce temps trouve ces racines dans des idées de la fin
du Moyen Age et du siècle des Lumières. Mais il commence au plan politique avec
les soubresauts antichrétiens de la Révolution française. Il continue à
s’étendre jusqu’à aujourd’hui.
6° Le troisième est le temps de sa
disparition quasi complète du monde. Jésus conduit son Église de la même façon
qu’il le fit pour sa vie apostolique de trois années. D’abord écouté, il fut
ensuite rejeté puis mis à mort. Il s’agit du temps du règne mondial d’un
antéchrist, de la disparition politique de tout ce qui porte le nom de Dieu[1256].
En ce début de millénaire, ce temps n’est pas encore commencé : L’Antéchrist
n’est pas là même si divers courants antichrétiens œuvrent.
7° Enfin, à la fin de ce troisième temps,
alors que l’Antéchrist sera au sommet de son règne et aura établi sur le monde
une paix extérieure, le Messie reviendra, faisant disparaître cette fausse paix
"par le souffle de sa venue"[1257].
Ainsi, la fin des temps, c’est-à-dire la fin du temps de l’Antéchrist,
coïncidera avec la fin du monde : les morts ressusciteront et le monde nouveau
sera formé par Dieu.
Ces quatre
temps ainsi que le règne de l’Antéchrist ne sont pas des évènements
symboliques. Chaque prophétie de Jésus a un sens symbolique[1258],
c’est certain, mais aussi un sens historique : « le Ciel et la terre passeront
mais mes paroles ne passeront pas ».[1259]
A propos des signes matériels de la fin de la fin du monde, nous
devons nous demander :
1° Y aura-t-il des signes dans le soleil, la
lune et les étoiles ?
2° Y aura-t-il des signes sur la terre, tels
des tremblements de terre et des catastrophes naturelles (maladie, famine) ?
3° Y aura-t-il des guerres et de fausses
paix ?
4° Y aura-t-il de faux prophètes ?
5° Y aura-t-il une grande apostasie ?
6° Le monde sombrera-t-il dans le péché ?
Objection 1 :
Il semble qu’on ne puisse l’admettre sans quoi la science des
astrologues pourrait prévoir le retour du Christ ce qui est contradictoire avec
l’Écriture qui affirme que le Christ viendra comme un voleur.
Objection 2 :
Il est impossible que le soleil perde de son éclat sans quoi la
vie serait immédiatement détruite sur la terre par le froid.
Objection 3 :
Selon Apocalypse 6, 12, la lune deviendra rouge comme du sang.
Cela ne semble pas un signe convenable, ni au sens propre ni au sens spirituel.
Objection 4 :
Selon l’Apocalypse, un tiers du soleil s’obscurcira, un tiers de
la lune s’éteindra et un tiers des étoiles tomberont sur la terre. Le chiffre
paraît hors de proportion.[1260]
Objection 5 :
D’après
Isaïe[1261] : «
Ce jour là, le Seigneur interviendra : là haut contre l’armée d’en haut et sur
terre contre les rois de la terre. Ils seront entassés, captifs, dans la fosse.
La lune sera humiliée, le soleil sera confondu. Oui, le Seigneur, le tout-puissant,
est roi. » Or ce texte semble suggérer un sens symbolique aux signes du Ciel
qui précèderont le retour du Christ.
Cependant :
L’Écriture
affirme que "Le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus son éclat,
les étoiles tomberont du Ciel et les puissances des Cieux seront
ébranlées".[1262]
Conclusion :
Dans
l’Écriture Sainte, Dieu utilise les réalités sensibles de telle façon qu’il ne
s’arrête pas à leur matérialité mais leur assigne un sens spirituel qu’il est
nécessaire de découvrir. Ainsi, par exemple, quand il demande aux Hébreux de
manger un agneau et de mettre le sang sur les piliers de la maison pour se
protéger la mort, il le leur fait faire réellement mais il veut surtout
annoncer et préfigurer la véritable rédemption qui doit être accomplie par son
Fils, l’Agneau de Dieu, à la croix. Il en est de même pour les signes qui
précèderont la fin du monde. Ils ont d’abord une signification spirituelle qui
doit être perçue par l’inspiration du Saint Esprit. Ainsi, le soleil symbolise
la lumière éternelle de Dieu, que nul ne peut regarder en face, la lune
symbolise l’humanité Sainte de Jésus et la Vierge Marie qui reflètent pour nous
l’image de Dieu au point de nous le rendre connaissable ; les étoiles du Ciel
symbolisent les apôtres et les docteurs car il appartient à leur Ministère
d’indiquer aux hommes la route qui mène vers la vérité. Ainsi, que le soleil
s’obscurcisse, que la lune cesse de briller, que les étoiles tombent du Ciel,
cela signifie en premier lieu, que, vers la fin des temps, les hommes seront à
ce point plongés dans le péché, que leur intelligence ne percevra plus rien du
Mystère divin. Les apôtres eux-mêmes, au lieu d’élever l’Homme vers le Ciel, le
conduiront à la terre, incapables de se souvenir qu’ils sont la lumière du
monde.
Cette
signification spirituelle ne signifie pourtant pas qu’il faille exclure une
réalisation matérielle de ces prophéties. Les symboles de Dieu ont ceci en
propre que, très souvent, ils se réalisent à la lettre. Un paléontologue
faisait remarquer que la parole de l’Ecriture adressée à Satan "Tu
ramperas sur ton ventre tous les jours de ta vie"[1263],
et dont la signification est évidement purement spirituelle puisqu’elle
s’adresse à un ange dépourvu de corps, s’était aussi réalisée de manière
matérielle, comme dans une image préfiguratrice puisque, sans qu’on n’en trouve
aucune raison, seuls les reptiles rampants avaient survécu à l’extinction du
crétacé, éliminant les dinosaures que la Bible considère comme l’image de
Lucifer (le dragon). De même, il est possible que la signification symbolique
des étoiles qui tombent sur la terre soit accompagnée à la fin du monde par la
réalisation matérielle de ces signes de telle manière que chacun comprenne la
gravité de sa perversion spirituelle. Peut-être la pollution produite par
l’activité démesurée de l’homme obscurcira-t-elle à ce point l’atmosphère
qu’elle diminuera la lumière du soleil et de la lune. Quant aux étoiles qui
tomberont du Ciel, rien n’empêche, par exemple, qu’elles soient produites par
une quantité impressionnante de météores qui s’abattront sur la terre, l’ordre
de l’univers ayant été atteint par le péché de l’homme jusque dans le cosmos.
Solution 1 :
De tels phénomènes liés aux astres et qui précèderont le retour du
Christ ne seront pas prévisibles. Il est donc impossible de prévoir à l’avance
la date du retour du Christ. Ce retour échappant aux lois de ce monde, il ne
sera pas provoqué par l’ordre des astres, de la même façon que la première
venue de Jésus qui dut être rendue visible aux astrologues par la création
d’une nouvelle étoile qui se déplaçait dans le Ciel et indiquait l’endroit où
se tenait l’enfant Jésus.
Solution 2 :
Ce n’est pas le soleil lui-même qui perdra son éclat mais c’est
l’homme qui par les effets de son péché ou de son imprudence, empêchera sa
lumière de passer. Et cela convient même au sens spirituel que devra signifier
cette catastrophe extérieure car Dieu ne cesse de briller pour l’âme des hommes
mais c’est à cause de leur méchanceté qu’ils ne reçoivent plus sa lumière.
Solution 3 :
Pris au sens spirituel, le fait que la lune deviendra rouge comme
le sang signifie que les méchants, à la fin du monde seront incapables à cause
de leur péché, de contempler les mystères de Jésus et de Marie comme des
lumières qui éclairent leur nuit, mais plutôt comme quelque chose de nuisible
qu’ils rejetteront. Rappelons que la lune symbolise l’humanité de Jésus et la
présence de tous les saints comme Marie, car ils reflètent et tamisent la
Lumière de Dieu comme la lune le fait pour le soleil. Les bons, au contraire,
vivront ces temps de la fin en s’unissant par leurs souffrances au sang de
Jésus versé pour eux sur la croix. Nous en avons l’image dès maintenant, de
manière cependant individuelle, alors qu’à cette époque, il s’agira d’un
phénomène mondial. Pour ceux qui aiment leur liberté et le plaisir de jouir de
leur vie plus que l’amour d’autrui, le message évangélique devient
insupportable. Pour ne pas avouer son propre égoïsme, on le qualifie lui-même
d’insupportable car liberticide.
Solution 4 :
Pris au sens spirituel, le chiffre d’un tiers signifie que
l’épreuve des derniers temps sera mesurée selon l’ordre de la sagesse de Dieu
"à cause des élus, qui auront la vie sauve".[1264]
Solution 5 :
Si l’on
suit le texte d’Isaïe, le symbolisme présent dans le soleil et la lune ne
concerne pas Dieu et le Christ mais plutôt l’orgueil de l’homme qui s’exalte
comme le soleil et à ses œuvres qui reflètent cet orgueil comme leur
manifestation. Et cela n’est pas étonnant car les symboles de l’Écriture
peuvent toujours être pris selon un double sens. Ainsi, l’eau signifie à la
fois la vie comme on le voit dans le baptême et la mort dans le déluge. Mais ce
sens symbolique ne s’oppose pas au fait que le soleil et la lune perdront
réellement leur éclat à la fin du monde.
Objection 1 :
De tels phénomènes naturels ont toujours existés et existeront
toujours. Ils ne doivent donc pas être considérés comme des signes de la fin du
monde.
Objection 2 :
De tels malheurs, s’ils ont lieu, frapperont indifféremment les
méchants et les bons ce qui paraît inconvenant à la sagesse de Dieu.
Objection 3 :
Certaines catastrophes naturelles concernent parfois un seul
individu, comme par exemple la maladie et la mort de chacun. Elles ne doivent
donc pas être regardées comme un signe de la fin du monde en général.
Objection 4 :
La famine
n’est pas toujours une catastrophe d’origine naturelle. Elle peut parfois avoir
son origine dans l’incapacité des hommes à gérer les terres et à distribuer
équitablement les productions. Elle ne doit donc pas être regardée comme un
signe de la fin du monde, mais plutôt comme un effet du péché de l’homme.
Cependant :
Le
Seigneur affirme en saint Matthieu[1265]
: « Il y aura par endroit des famines et des tremblements de terre. Et tout
cela ne fera que commencer les douleurs de l’enfantement. »
Conclusion :
La fin du
monde sera précédée par des catastrophes naturelles. Les hommes subiront
diverses peines dont l’origine sera dans le désordre de la nature ou de la
société. Et cela est nécessaire pour mieux les disposer à la rencontre qui aura
lieu avec le Christ lors de son retour glorieux. Or, certaines conditions sont
présupposées pour cette fin dans la volonté, à savoir la pénitence qui fait
rejeter le mal et adhérer au bien, l’humilité qui dispose l’âme à l’action de
Dieu et la charité qui lui fait désirer Dieu. Les peines temporelles seront
donc infligées par Dieu à l’homme de telle manière que son âme soit ainsi
disposée "afin que le plus possible soient sauvés. » Elles seront utiles
aux méchants, dont l’intention est finalisée par les biens de ce monde. Par les
peines naturelles, ils découvriront la vanité de ce qui est passager selon la
parole du Seigneur[1266]
: (Le riche qui n’emporte rien dans la tombe). « Insensé, cette nuit même
on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l’aura ? » Ils seront
ainsi disposés à la conversion vers le bien éternel qui demeure.
Elles
seront utiles aux hommes de bonne volonté qui en les subissant, grandiront dans
l’humilité selon cette parole de Job[1267]
: « Tu es tout puissant, Seigneur. Maintenant mes yeux t’ont vu, aussi je
m’afflige sur la poussière et sur la cendre. »
Enfin
elles seront utiles aux saints dont elles purifieront la charité selon saint
Pierre[1268] : «
Il vous faut être quelque temps affligés par diverses épreuves, afin que, bien
éprouvée, votre foi, plus précieuse que l’or périssable, devienne un sujet de
louange, lors de la révélation de Jésus Christ. »
Quant à
ceux qui ne sont pas inscrits sur le livre de vie, la perversité de leur cœur
sera dévoilée par le feu de la souffrance selon l’Apocalypse[1269]
: « Ils blasphémèrent Dieu, à cause de cette grêle désastreuse. » En résumé,
les catastrophes naturelles des derniers temps seront l’introduction au
jugement dernier, quand les anges sépareront les mauvais des bons. [1270]
Dans de
très belles pages, où il a résumé pour le grand public ses travaux de géologue,
Pierre Termier présente l’univers comme un magnifique ensemble de ruines
géologiques. Ce qu’il y a de plus stable ici-bas, ce qui nous semble presque
éternel est rongé par le temps. Les chaînes de montagnes les plus
orgueilleuses, celles qui survivent aux civilisations sont lentement minées par
l’érosion ; ici, une pierre se détache, là, une paroi s’effrite. Ces blessures
multiples finissent par ravager la face de la terre. Le temps destructeur finit
par avoir raison des entreprises les plus audacieuses. "Praeterit figura hujus mundi"[1271]. La souffrance et la mort prennent du même
coup un visage nouveau. Elles ne cessent pas d’être pour nous un châtiment,
mais elles deviennent aussi un instrument de rédemption, un moyen de
divinisation. L’univers tout entier est ainsi tendu vers la glorification des
fils de Dieu, attendant lui aussi d’être arraché à sa misère congénitale.
"La création, dit saint Paul, gémit dans l’attente de sa rédemption"[1272].
La mort
indéfiniment répétée de millions d’êtres vivants dont Aristote disait qu’ils se
sacrifient à la perpétuité de l’espèce, prennent pour le chrétien une valeur de
symbole et de préfiguration. Elles sont comme l’aurore tragique de la
souffrance humaine, une image de la peine des hommes du martyre des saints, et
finalement elles culminent dans la passion et dans la mort du Fils de Dieu.
L’univers apparaît ainsi, non comme un universel massacre, mais comme un
sacrifice immense, une liturgie cosmique dont le sens nous est révélé par la
mort d’un Dieu".[1273]
Solution 1 :
Les malheurs dont nous parlons s’appliquent aux trois niveaux de
l’eschatologie. 1° Ils frappent effectivement les individus tous les temps et
lieux. Depuis le péché originel, tout homme est frappé dans sa chair par des
peines naturelles telles la maladie, la vieillesse, la fatigue, la mort. Mais
ces peines imposées par Dieu au corps de l’homme sont finalisées par le bien de
son âme selon le Seigneur[1274]
: « Mieux vaut entrer manchot dans le Royaume des Cieux que d’être précipité
avec tout son corps dans la géhenne. » 2° Ils frappent aussi les communautés
humaines, toutes sans exception, même le peuple de Dieu. 3° A la fin du monde,
de même que pour la plupart des individus de tels phénomènes se multiplient
dans le temps qui précède la mort, de même ils se feront plus nombreux.
Ils sont donc pour tous les temps signes de la proximité de la fin
du monde puisqu’ils sont là pour la préparer.
Solution 2 :
Par la souffrance, les bons sont conduits à devenir meilleurs et
les méchants pires puisque chacun fortifie sa détermination dans la souffrance.
Mais la majorité des hommes, ni tout à fait bons ou mauvais, apprend simplement
l’humilité. Ce qui est vrai pour les individus l’est aussi pour les communautés
comme nous l’avons dit. Voici quelques exemples historiques du tremblement de
terre qui frappe l’orgueil des générations : Exemple 1 : A Babel[1275],
l’humanité unie disait : « Allons! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le
sommet pénètre les cieux! Faisons-nous un nom et devenons comme un dieu! »
Alors Dieu confondit le langage des hommes pour qu'ils ne s'entendent plus les
uns les autres. Il les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils
cessèrent de bâtir la ville. »
Dieu ne renverse pas les systèmes politiques à chaque génération.
Il ne le fait qu’à chaque fois que les limites de l’orgueil mettent le salut en
danger. Exemple 2 [1276]
: « Salomon devenu vieux s’enorgueillit tant qu’il prit 700 épouses de rang
princier et 300 concubines. Salomon adora d’autres dieux que Dieu. Yahvé
s'irrita contre lui parce, dans sa gloire, son cœur s'était détourné du Dieu
qui lui était apparu deux fois. Alors Yahvé dit à Salomon : « Parce que tu t'es
comporté ainsi et que tu n'as pas observé mon alliance, je vais sûrement
t'arracher le royaume et le donner à l'un de tes serviteurs. Yahvé suscita un
adversaire à Salomon : l'Edomite Hadad, de la race royale d'Edom. »
Cette
façon d’agir de Dieu n’est nullement périmée avec la venue du Messie. Lorsque
Dieu rencontre l’orgueil, il continue de le frapper. Exemple 3 : Au VIIème
siècle, en Afrique du Nord et en Asie, le christianisme était devenu la
religion d’Etat. On discutait religion comme on discute politique et la
puissance des clercs était telle qu’il arrivait souvent qu’on assassine pour
une thèse thé logique. Alors Dieu divisa la puissance de la sainte Eglise, sans
pourtant lui arracher tout. A Mohamed, il donna en quarante ans la moitié du
royaume chrétien d’Orient, puis l’islam s’étant lui-même exalté d’orgueil, Dieu
fit cesser son extension. Dès le début du christianisme, saint Jean Chrysostome
affirmait : « Donnez-moi deux attelages
pour une course de chars. Que les chevaux du premier s’appellent Vérité
(christianisme) et Orgueil, ceux du second s’appellent Hérésie et Humilité. Et
bien vous verrez le second attelage remporter la victoire, non à cause de
l’erreur mais à cause de la force du cheval Humilité." Concrètement,
il importe moins pour Dieu qu’un homme soit chrétien si, parallèlement, il se
conduit comme un égoïste ou avec la morgue d’un pharisien. C’est, semble-t-il,
l’explication de la bénédiction de l’islam par Dieu.
La même sagesse prévalut en Occident avec la Réforme protestante
face à la puissance de la catholicité romaine. Plus récemment, on peut citer
l’orgueil de la génération de la grande guerre (1914) qui apprit l’humilité
dans le sang des tranchées, puis dans la révolte de ses petits-enfants de mai
68. Il n’en sera pas autrement pour l’orgueil de mai 68. Certaine d’avoir
trouvé plus que ses pères la vérité, à travers la liberté et la luxure, cette
génération sera disposée au salut en comprenant, avant de passer, son échec.
Solution 3 :
La maladie d’un individu est pour lui d’une manière personnelle,
signe de la proximité de sa propre fin qui est d’une certaine manière la fin du
monde ; mais elle l’est aussi pour tous puisque qu’elle rappelle à l’humanité
qu’elle est elle-même passagère.[1277]
Solution 4 :
La famine
peut être spirituelle chez ceux qui oublient Dieu ou matérielle chez ceux qui
sont dans la misère. En tant qu’elle trouve son origine dans le péché de
l’homme, elle est signe du désordre qui règne dans le monde ; En elle-même,
elle manifeste à l’homme la fragilité de sa vie terrestre et annonce sa fin
prochaine et la venue du jugement dernier.
Objection 1 :
Il semble qu’on ne doit pas compter les guerres parmi les signes
de la fin du monde mais plutôt parmi ceux qui manifestent la dureté du cœur de
l’homme dont elles sont l’effet.
Objection 2 :
La paix civile est un fruit de la concorde des volontés. Elle est
donc un bien tant par sa cause que par ses effets puisqu’elle permet à chacun
de vivre harmonieusement. Il n’est donc pas juste de parler de fausse paix.
Objection 3 :
Une fausse
paix ne doit pas être considérée comme le signe du retour du Christ. Comme on
l’a vu, les signes seront donnés à l’homme principalement pour qu’il s’amende
avant qu’il ne soit trop tard. Or la paix du monde fait oublier aux hommes
l’existence de Dieu, puisqu’ils peuvent vivre heureux sur la terre en se
passant de son aide.
Cependant :
Le
Seigneur dit en saint Matthieu[1278]
: « Vous aurez aussi à entendre parler de guerres et de rumeurs de guerres :
voyez, ne vous alarmez pas, il faut que cela arrive, mais ce n’est pas encore
la fin ».[1279]
Et
ailleurs[1280] : «
Lorsque l’on dira paix et sécurité, c’est alors que fondra sur eux tout d’un
coup la perdition, comme les douleurs de la femme enceinte, et ils ne pourront
y échapper. » Donc...
Conclusion :
Le mot guerre peut prendre deux significations, selon qu’elle est
extérieure ou invisible. 1° Si l’on parle des guerres extérieures, on peut dire
ceci. Il y a toujours eu des guerres et il y en aura toujours puisqu’elles
trouvent leur origine dans la convoitise du cœur de l’homme par rapport aux
biens de ce monde[1281].
Dans l’histoire de l’humanité, il y eut un seul moment d’accalmie provisoire,
lors de la naissance du Christ ; grâce à une paix imposée par la force des
armes. Mais cette paix ne fut qu’apparente et fondée sur la puissance de
l’Empire romain. Si l’on en croit les prophéties, la guerre ira en empirant
jusqu’à la fin du monde, au point de devenir mondiale, selon l’Apocalypse[1282]
: « Des esprits démoniaques, des faiseurs de prodiges iront rassembler les rois
du monde entier pour la guerre. » Il y aura, vers la fin du monde, une dernière
guerre plus terrible que les autres. Elle sera terrible par son ampleur
puisqu’il semble qu’elle doive opposer le monde séparé en deux camps[1283].
Elle le sera aussi par ses motifs puisque celui qui la déclenchera ne visera
pas seulement à imposer au monde une suprématie politique, mais aussi une
suprématie idéologique. Ce sera donc la guerre de l’Antéchrist, comme nous le
verrons plus loin.[1284]
Il semble que cette dernière lutte orchestrée par le démon et
dirigée par l’Antéchrist, réussira provisoirement, au point de faire régner sur
le monde un ordre nouveau où Dieu sera absent[1285]
: « Par ses manœuvres, tous, petits et grands se feront marquer sur la main
droite et sur le front, et nul ne pourra rien acheter ni vendre s’il n’est
marqué au nom de la Bête ou au chiffre de son nom. » Il y aura donc une fausse
paix, fondée sur l’ordre des intérêts communs et non sur l’ordre de la charité.
Alors le Christ reviendra dans sa gloire, surprenant les hommes qui l’auront
oublié.
2° C’est pourquoi, il faut parler vers la
fin du monde d’une absence de guerre extérieure et d’une fausse paix qui sera
en fait une autre guerre. L’Antéchrist, pour imposer son monde parfait d’où
Dieu sera absent, fera une guerre "politique" efficace à ce qui porte
le nom de Dieu. Il devra pour cela commencer par étouffer l’instinct de Dieu
qui subsiste dans tous les cœurs. Dans un monde en apparence paisible, il
règnera donc la pire des guerres puisqu’elle sera déclarée contre Dieu et l’âme
humaine.
Solution 1 :
La guerre extérieure manifeste par soi la proximité de la fin du
monde, non seulement à chaque individu qui est amené à penser à sa propre mort[1286]
mais aussi pour les nations dont le destin dépend du sort des armes. Mais la
dernière de toutes les guerres, celle qui sera conduite par l’Antéchrist sera
signe de la fin du monde jusque dans le péché qui en sera la cause puisqu’il
désirera faire disparaître de la terre entière les religions qui adorent Dieu,
pour les remplacer par le culte de la puissance de l’homme, de la matière et du
démon[1287] : «
On lui donna de mener campagne contre les Saints et de les vaincre. On lui
donna pouvoir sur toute race, peuple ou nation. Et ils l’adoreront, tous les
habitants de la terre. » Il n’est cependant absolument pas évident, à cause des
paroles mêmes de Jésus, qu’il faille interpréter cette dernière guerre comme
une guerre extérieure et armée. En cela, les témoins de Jéhovah et les
protestants fondamentalistes oublient que les paroles de Dieu, même si elles
prennent la plupart du temps un sens matériel, sont d’abord des paroles qui
concernent la lutte de la damnation et du salut.[1288]
Solution 2 :
La paix civile n’est pas toujours la paix selon Dieu. Au plan
politique, elle peut être une vraie paix comme on le vit à Babel où les hommes
s’entendaient, tout en constituant un danger au plan du salut éternel. C’est le
cas lorsque les hommes, se trouvant grâce à la paix invulnérables, se mettent à
se croire quelque chose. Dans ce cas, une certaine concorde des volontés peut
exister et conduire à une paix civile, sans pour autant mener à la vraie paix
qui est fondée sur la charité. Il en sera ainsi, grâce à des accords mondiaux,
vers la fin du monde. Mais une telle paix est fausse aux yeux de Dieu si elle
conduit une génération à sa perte.
Solution 3 :
La fausse
paix peut conduire l’homme à oublier provisoirement l’existence de Dieu,
puisque, grâce à la prospérité matérielle qu’elle amène, elle lui permet de se
passer du secours de la Providence en ce qui concerne son être charnel.
Cependant, selon qu’il est un être spirituel, l’abondance des biens de ce monde
ne peut le rassasier. Il peut donc être amené par le vide spirituel qu’il
ressent en lui, à chercher Dieu. Cependant, une telle recherche de Dieu dans la
prospérité étant exceptionnelle, à cause de la nature sensible de l’homme, la
paix extérieure n’est jamais de longue durée. Il en sera de même pour la
dernière paix, celle qui précèdera immédiatement la venue glorieuse du Christ.
Elle sera brisée par l’apparition de signes célestes puis du signe du Fils de
l’homme, qui provoqueront l’effroi chez beaucoup et les amèneront à se
convertir de leurs péchés ou, au contraire, à s’obstiner dans leur orgueil.
Objection 1 :
Selon saint Jean[1289]
: « Beaucoup de faux prophètes sont venus dans le monde. À ceci reconnaissez
l’Esprit de Dieu : Tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est
de Dieu et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n’est pas de Dieu, c’est là
l’esprit de l’Antéchrist. » Il y a toujours eu des faux prophètes. On ne doit
donc pas les considérer comme un signe de la fin du monde.
Objection 2 :
Il semble que seul l’Antéchrist sera signe de la fin du monde à
cause de la passion qu’il fera subir à l’Église de Dieu. On ne doit pas en dire
autant des autres faux prophètes.
Cependant :
Le
Seigneur dit[1290]
: « Il surgira des faux Christ et des faux prophètes qui produiront de grands
signes et des prodiges, au point d’abuser, s’il était possible même les élus. »
Conclusion :
De même
que les souffrances sont là pour éprouver la qualité de la charité, de même les
faux prophètes sont nécessaires pour vérifier la qualité de la foi. Par les
enseignements qu’ils donnent, ils obligent l’Église à préciser le contenu du
message dont le dépôt a été confié par le Seigneur ; Par la séduction qu’ils
opèrent sur les esprits, ils manifestent la fidélité de ceux qui sont prêts à
tout plutôt que d’adhérer à un autre évangile que celui du Seigneur, selon
saint Paul[1291] : «
Si un ange venu du Ciel vous annonçait un évangile différent de celui que nous
avons prêché, qu’il soit anathème. »
Cependant,
vers la fin du monde, on doit admettre en suivant les prophéties, que les
hérésies se multiplieront. Cela sera possible à cause de l’action cachée du
démon qui aura auparavant refroidi la charité chez le grand nombre, selon saint
Matthieu[1292],
laissant dans l’âme des hommes un vide spirituel que pourront remplir diverses
sectes. Quant aux prodiges qui accompagneront la prédication des faux
prophètes, ils auront leur origine dans la technique humaine ou encore dans la
puissance des démons et non dans l’action de Dieu. Il sera donc possible, à
ceux qui auront la foi, d’en déjouer la séduction.
Solution 1 :
Il peut exister deux manières de ne pas confesser Jésus venu dans
la chair :
1° Par simple ignorance, parce qu’on n’en a
pas reçu la prédication ou qu’on ne l’a pas comprise et alors on n’est pas faux
prophète.
2° Par un refus de la volonté, à cause du
contenu du message qui s’oppose à l’amour désordonné de soi. Alors il s’agit
bien de l’esprit de l’Antéchrist, c’est à dire de celui qui s’oppose au Christ
et à la charité. Un tel faux prophète est signe de la fin du monde car il
manifeste l’imminence du combat final opéré par le Christ lorsqu’il séparera le
méchant des bons.
Solution 2 :
L’Antéchrist
réunira par sa doctrine l’essence de toutes les hérésies. En ce sens, il sera le
plus grand des faux prophètes. Comme les autres faux prophètes, il sera signe
de la fin du monde puisqu’il manifestera à ceux qui croient, la présence cachée
mais agissante du démon qui, sentant son temps compté, s’efforce de détourner
les hommes du salut par tous les moyens.
Objection 1 :
L’apostasie peut atteindre divers degrés de gravité : On peut se
retirer de Dieu en perdant la charité mais en gardant la foi ; on peut se
retirer de lui en perdant à la fois la charité et la foi ce qui semble être la
pire des apostasies puisqu’il ne reste rien de l’union à Dieu. Il ne peut donc
y avoir d’apostasie plus grande que celle là.
Objection 2 :
Il semble qu’une apostasie générale à la fin du monde est peu
probable, Le Seigneur annonce en effet qu’au même moment l’évangile sera prêché
à toutes les nations.
Objection 3 :
L’apostasie
consiste, alors qu’on a adhéré à Dieu, à le rejeter. Elle ne semble donc pas
être un signe du retour du Christ qui devrait revenir au contraire au moment où
tous les hommes seront prêts à le recevoir.
Cependant :
L’apôtre
écrit dans l’épître à Timothée[1293]
: « L’Esprit dit expressément que, dans les derniers temps, certains renieront
la foi pour s’attacher à des esprits trompeurs et à des doctrines diaboliques,
séduits par des menteurs hypocrites marqués au fer rouge dans leur conscience.
»
Conclusion :
La charité
est le lien qui maintient solidement l’édifice de la vie chrétienne. Or, elle
est une vertu théologale dont l’exercice s’entretient par la ferveur de la
prière qui unit à Dieu et de l’attention aux frères qui unit au prochain.
Lorsque la charité est forte dans le peuple, la foi est inébranlable. Mais
lorsque la charité s’attiédit, c’est l’Église tout entière qui devient
vulnérable.
Or,
d’après le Seigneur, la charité se refroidira chez le grand nombre vers la fin
du monde. La perte du sens de Dieu et du prochain aimé comme enfant de Dieu
amènera donc la perte du sens de la foi et les faux prophètes en profiteront
pour introduire leurs doctrines nouvelles. Cependant, dans la première Epître à
Timothée, l’apôtre parle de doctrines diaboliques. On peut donc penser qu’il ne
s’agira pas seulement de nouvelles hérésies concernant la foi mais aussi des
doctrines de l’Antéchrist qui s’opposeront directement à la vie de la grâce
puisqu’elles proposeront à l’homme comme unique finalité le culte de soi-même.
L’histoire de l’Église nous montre que cela s’est réellement passé ainsi,
jusqu’à la disparition de certaines chrétientés. Le premier travail du démon
pour détruire une chrétienté consiste à remplacer la prééminence des deux
commandements de la charité par autre chose : Le zèle de la vérité, la vertu,
l’obéissance, le social, la mystique etc. tout sauf ces deux commandements qui
en font un.
Solution 1 :
L’apostasie qui consiste à rejeter de son esprit toute union à
Dieu, à la fois par la charité et la foi, est la pire qui puisse exister.
Cependant, une telle apostasie ne vient jamais seule. Elle est motivée par un
amour des biens de la terre qui mène d’abord à la négligence par rapport aux
devoirs de la prière, puis à la perte du goût de Dieu et de ses commandements.
Elle ne vient pas non plus d’un coup. Dans les chrétientés, la dégradation
commence toujours par un zèle de Dieu faussé de la manière suivante : la
charité des deux commandements, insensiblement, n’est plus la fin première de
la vie. On la remplace par quelque chose qui lui ressemble. On oppose par
exemple, les deux commandements, en donnant plus de place à l’un et en
négligeant l’autre. On assiste en général, au balancement d’hésitation entre la
recherche de l’ordre et celle de la liberté. Dans les deux cas, ce n’est plus
l’Évangile qui est servi, mais sa caricature à travers des valeurs évangéliques
certes, mais dont la vie venait de la charité théologale. Alors la voie est
ouverte à d’autres décadences bien plus graves et, surtout, au rejet opposé par
les générations suivantes, des excès faits dans un sens. Au terme de cette
évolution qui peut prendre plusieurs siècles, lorsque la conversion aux biens
de la Terre est parfaite, l’apostasie trouve son achèvement dans le mépris
volontaire de Dieu.
Solution 2 :
L’histoire de l’Église montre que lorsque l’Évangile devient
religion officielle d’un État, la qualité de la charité du mal à ne pas en être
affectée. La raison en est que la plupart des hommes vivent dans le sensible.
En conséquence, le sel de l’évangile s’affadit. L’apostasie des élites peut
conduire rapidement à l’apostasie des masses, surtout, si le visage de la
religion apparaît déformé à cause de la tiédeur de ceux qui la pratiquent. Dans
cette situation, la prédication des apôtres porte peu de fruits, les gens étant
comme immunisés à la nouveauté du message. Nous en avons l’exemple dans
l’Évangile[1294] : «
En ce lieu, Jésus ne pouvait faire aucun miracle. »
Solution 3 :
Il
convient que le Christ revienne à un moment où l’humanité l’aura en grande
partie oublié. De cette façon, la grandeur de la miséricorde de Dieu sera
manifestée avec puissance puisqu’il réalise ses promesses alors que l’homme ne
le mérite pas. Dieu est fidèle à son Alliance car il aime l’homme, selon saint
Paul : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous
étions encore pécheurs, est mort pour nous. » De même, alors que l’homme sera
retombé dans son péché, il reviendra et se révèlera à lui.
Objection 1 :
Il ne semble pas que l’humanité à la fin du monde sombrera dans le
péché. Au contraire, il est dit que l’Évangile sera prêché à toutes les
nations.
Objection 2 :
Que l’homme puisse oublier sa foi jusqu’à apostasier est une chose
mais qu’il aille jusqu’à diriger son intention vers le péché est pire et paraît
improbable pour un peuple que le levain chrétien a longuement mûri.
Objection 3 :
L’Église mûrit l’humanité au point de l’amener à une morale de vie
qui est surnaturelle. Si donc le monde doit sombre dans le péché, cela ne
viendra pas des nations chrétiennes mais d’ailleurs.
Cependant :
Saint Paul
affirme dans la seconde épître à Timothée[1295]
: « Les hommes seront égoïstes, cupides, vantards, orgueilleux, diffamateurs,
rebelles à leurs parents, ingrats, sacrilèges, sans cœur, sans pitié,
médisants, intempérants, intraitables, ennemis du bien, délateurs, effrontés,
aveuglés par l’orgueil, plus amis de la volupté que de Dieu, ayant les
apparences de la piété mais reniant ce qui en est la face ».[1296]
Conclusion :
Si l’on en croit les prophéties, la fin du monde sera précédée par
des moments difficiles. L’humanité, entraînée par l’esprit de l’Antéchrist,
sombrera dans le péché. Or, auparavant, l’histoire nous enseigne que l’humanité
a connu un état de perfection spirituelle[1297].
Aucune communauté humaine passe d’un état où la charité est le tien social à
l’état inverse, cela ne peut se faire que progressivement. Selon Origène[1298]
: « Celui qui atteint un état de perfection de la charité ne va pas abandonner
et tomber subitement ; mais il est nécessaire qu’il descende peu à peu et
graduellement. » On peut distinguer quatre étapes, dont trois sont déjà réalisées
:
1° Ce qui est atteint en premier lieu dans
une telle dégradation, c’est le lien qui donne cohésion au tout, c’est-à-dire
la charité. C’est ce que veut dire le Seigneur quand il annonce que la charité
du grand nombre se refroidira.
Cela peut
venir d’un excès de soucis pour les plaisirs et les activités du monde qui
amènent la communauté à négliger la prière et la pratique des sacrements. C’est
ce que la Bible rapporte du peuple d’Israël qui, lorsqu’il était dans la
prospérité, était amené insensiblement à négliger le Temple. Et la somme de ces
négligences qui sont des péchés véniels en arrive à atteindre la ferveur de
l’espérance car l’homme espère moins posséder ce qu’il aime moins Ainsi, celui
qui est tout à fait heureux oublie l’au-delà puisque la béatitude du Ciel ne
lui paraît pas désirable comparée à celle qu’il a déjà. En troisième lieu,
c’est la foi qui se trouve fragilisée puisque celui qui néglige de fréquenter
Dieu par la prière perd la confiance absolue en celui qu’il aime moins. Ainsi,
le doute peut s’introduire et par le doute, la voix des faux prophètes peut
progressivement achever l’œuvre de destruction ainsi commencée.
Mais cela peu venir aussi de l’orgueil et de la soif du pouvoir.
On met son zèle mauvais pour Dieu, mais on ne sert en fait que soi-même. La
religion devient le prétexte pour s’imposer aux nations ou au prochain. Dans ce
cas, loin de produire des fruits de paix. L’image de la charité devient celle
d’un amour pervers et la méfiance des peuples à l’égard de la religion devient
naturelle[1299].
2° C`est ainsi que, parvenus à cette étape,
l’humanité se trouve préparée à subir des attaques plus directes de la part de
l’Esprit de l’Antéchrist. De même que, chez un individu, la somme des péchés
véniels dispose au péché mortel, de même, pour une société humaine, le démon
s’efforce de totalement couper ses liens qui la maintiennent unie aux restes de
la morale et de la foi enseignée par Dieu. C’est ainsi que le démon qui inspire
les faux prophètes, s’efforçant, en premier lieu de rendre insupportables les
jougs de Dieu : la charité est présentée sous l’image de ses caricatures comme
un lien insupportable pour la vie humaine ou sous sa vraie image comme
anti-humaine puisqu’elle exige de chacun qu’il soit disposé à donner sa vie
pour son prochain ; de même, la foi est rejetée puisqu’elle est présentée comme
s’imposant de l’extérieur à l’intelligence sans qu’elle soit capable par
elle-même d’en démontrer le contenu. Quant à l’espérance, elle est présentée
comme un moyen habile de faire oublier à l’homme sa misère d’ici-bas par la
présentation d’un hypothétique mirage de l’au-delà. Quand les paroles des faux
prophètes sont écoutées et acceptées par les élites, le grand nombre suit et
c’est l’apostasie généralisée.
3° Dans cet état, l’humanité est
immédiatement disposée pour entendre la prédication de divers
antichristianismes, c’est-à-dire de nouveaux évangiles qui puissent remplacer
l’ancien. Plusieurs recettes du bonheur peuvent être proposée au plan
politique, selon l’état des sociétés. Que ce soit l’argent (capitalisme,
marxisme), la gloire (nationalismes, nazisme), le plaisir (hédonisme de la
consommation ou du sexe), le mondialisme qui soient exaltés, le point commun à
tous ces Évangiles est que l’amour de soi est présenté comme le bien qui conduit
au salut de l’homme[1300].
Il s’agit du message opposé à celui du Christ qui disait[1301] :
« qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera. » Car en définitive
l’œuvre du démon dans sa destruction de l’humanité consiste créer un monde où
l’amour de soi est exalté jusqu’au mépris de Dieu. C’est ce que veut dire
l’Apôtre quand il affirme que les hommes seront égoïstes. Leurs tentatives
finissent par aboutir à une meilleure compréhension de ce qu’il convient de
faire pour réussir. Un tel monde est montré par l’Écriture d’une manière
préfigurative avec la tour de Babel[1302],
qui est la construction de l’homme qui se fait Dieu. Cependant, un tel monde
fondé sur l’équilibre des individualismes ne peut connaître qu’une fausse paix.
En effet, chacun cherchant son bien propre, s’oppose à la propre recherche
individualiste des autres. Comme nous l’avons montré, les biens de la terre
sont principalement les plaisirs, les richesses et les honneurs. C’est ce que
veut signifier l’apôtre à propos de la fin du monde lorsqu’il dit que les
hommes seront amis de la volupté, cupides, vantards et orgueilleux. Tous les
autres péchés décrits par l’apôtre ne sont que les conséquences de ces péchés
principaux car celui qui recherche un bien d’une manière égoïste est conduit
insensiblement à utiliser des moyens mauvais comme la diffamation la rébellion
à l’autorité des parents, l’ingratitude, le sacrilège, la dureté du cœur, le
mensonge, etc.
4° Enfin, les générations passant, si l’on
en suit l’Apôtre, une dernière étape peut venir, ultime celle-là, révélant de
manière explicite dans l’humanité devenue incapable de résister le Mystère de
l’iniquité, c’est-à-dire la présence et le motif de la révolte de Satan lors de
la fondation du monde. Saint Paul semble affirmer que Dieu permettra, à la fin
du monde, la prédication d’un nouvel Evangile, celui de Satan, à travers un
ultime antéchrist[1303]
: « Avant la venue du Christ doit venir l'apostasie et se révéler l'Homme
impie, l'Etre perdu, l'Adversaire, celui qui s'élève au-dessus de tout ce qui
porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu'à s'asseoir en personne
dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. Et vous savez ce
qui le retient maintenant, de façon qu'il ne se révèle qu'à son moment. Alors
l'Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa
bouche, l'anéantira par la manifestation de sa venue. »
Solution 1 :
Que l’Évangile doive être prêché à toutes les nations ne veut pas
dire qu’il sera accepté. De même, s’il est accepté cela ne signifie pas qu’il
sera universellement gardé. C’est ce qu’enseigne le Seigneur par la parabole du
semeur[1304] : «
La semence qui est tombée dans les épines, ce sont ceux qui ont entendu, mais
en cours de route les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie les étouffent
et ils n’arrivent pas à maturité. » Mais cette parole peut signifier que, pour
en manifester la vérité, Dieu permettra vers la fin du monde que tout homme ait
physiquement entendu prêcher l’Évangile, grâce au travail d’un ou plusieurs
apôtres médiatique.
Solution 2 :
Il est vrai que la foi et la morale chrétienne mûrissent
l’humanité à cause de leur perfection. Mais elles ne peuvent être vécues que si
la charité les vivifie de l’intérieur. Quand la charité disparaît, et avec elle
la grâce efficace de Dieu, l’homme ne peut plus vivre des exigences du Christ.
C’est ce qu’on voit lorsque les États chrétiens sont conduits par une nécessité
populaire à adopter des lois qui sont moins évangéliques mais plus adaptées à
la faiblesse humaine, comme la possibilité de divorcer, de se remarier et
d’autres choses du même genre. Cependant, l’individualisme progressant, les
États peuvent être conduits à sombrer dans une morale qui n’est plus simplement
humaine, mais proprement païenne : ainsi voit-on parfois des nations légaliser
à nouveau des pratiques depuis longtemps disparues, poussée par la nécessité
populaire (élimination, par exemple, des individus gênants comme les enfants
non désirés, les handicapés, les improductifs). Mais une telle évolution se
fait progressivement. Il faut en effet une lente préparation des esprits pour
passer d’une morale chrétienne fondée sur la charité à une morale humaine
réglée par les exigences de l’amitié ou de la justice et enfin tomber dans les
excès de l’individualisme païen. Ainsi, concernant les enfants, la pratique de
l’avortement précède celle de "l’exposition" car il faut une plus
grande insensibilité pour être capable de supprimer un être qui est déjà né.
Solution 3 :
La
maturation apportée par l’Évangile n’est jamais achevée tant que l’homme est
sur la terre. Elle toujours à lutter contre quelque reste du péché. Et c’est
cette maturité elle-même qui conduit l’homme à pécher plus gravement lorsqu’il
détourne son cœur des exigences de la charité. Il le fait en effet avec plus d’intelligence
et de maîtrise de soi. C’est pourquoi saint Jean écrit à propos des antéchrists[1305]
: « Ils sont sortis de chez nous. » On doit conclure de tout cela que la
perversion qui conduira le monde au péché viendra en premier lieu des nations
chrétiennes.[1306]
Il nous
faut maintenant voir en détail les signes de la fin des fins, c’est-à-dire ceux
annoncent non seulement la fin de chaque génération mais la fin de la dernière
génération. Ils concernent d’abord les diverses religions et en particulier le
judaïsme ; ils concernent aussi l’Église catholique et les Églises chrétiennes
séparées ; ils concernent enfin la Vierge Marie, l’Antéchrist et le signe du
fils de l’homme.
A propos des différentes religions, nous verrons neuf questions :
1° Les autres religions sont-elles bonnes ?
2° Viennent-elles de Dieu ?
3° À la fin du monde, y aura-t-il d’autres
religions que celle du Christ ?
4° Y aura-t-il des signes dans les diverses
religions ?
5° La religion islamique vient-elle de Dieu
?
6° Y aura-t-il des signes concernant l’islam
?
7° Fallait-il que le judaïsme subsiste après
la venue au Christ ?
8° À la fin du monde, y aura-t-il des signes
concernant le judaïsme ?
9° Peut-on savoir de quelle manière Israël
se convertira au Christ ?
Objection 1 :
Cela ne semble pas d’après la sagesse[1307],
« les idolâtres vont jusqu’à adorer les bêtes les plus odieuses. » C’est
pourquoi ils sont qualifiés d’insensés. Or il ne peut y avoir aucun bien dans une
religion qui adore du bois, de la pierre ou même des démons.
Objection 2 :
Le Seigneur dit que celui qui ne croira pas sera condamné[1308].
Or celui qui ne croit pas au Christ peut appartenir à une autre religion. Il ne
sera donc pas sauvé. Donc une religion qui ne mène pas au salut ne peut être
bonne.
Objection 3 :
Les religions comme l’Hindouisme ne peuvent être bonnes
puisqu’elles adorent de multiples dieux et non le Dieu unique. D’autre part,
elles enseignent de multiples hérésies comme la réincarnation et la loi du
Karma qui plongent les hommes dans un fatalisme et empêchent les efforts contre
la misère.
Objection 4 :
Les religions qui prétendent remonter à Dieu par le seul effort de
l’homme ne peuvent être bonnes puisqu’il appartient à Dieu de se révéler à qui
il veut, par le don de sa grâce et de sa gloire. Elles conduisent l’homme à la
présomption puisqu’il croit pouvoir atteindre par lui-même ce qui est hors de
sa portée.
Objection 5 :
Etablir une hiérarchie des religions paraît bien présomptueux et
loin du jugement de Jésus lui-même qui, face aux Docteurs arrogants montrait
une femme païenne en disant[1309]
: « En vérité, je vous le dis, chez personne je n'ai trouvé une telle foi en
Israël. »
Objection 6 :
L’athéisme
est parfois comme une forme de religion. Des gens croient, comme mus par une
foi, que Dieu ne peut exister puisqu’il est caché et que la mort triomphe en
fin de compte. Or ces gens sont conduits soit à vivre au jour le jour dans un
bonheur immédiat, soit à être rongés d’angoisses sur leur sort final. Donc
cette forme de religion là est mauvaise.
Objection 7 :
Le dernier
Antéchrist établira sur terre le culte lucide de Lucifer, comme Dieu de la
liberté et de la fierté solitaire. C’est la religion de l’enfer. Quel bien
peut-il y avoir en elle puisqu’elle conduit en enfer.
Cependant :
Le
Seigneur dit en saint Jean[1310]
: « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas dans cet enclos. » Il
sous-entend donc qu’il existe d’autres enclos où ses brebis sont gardées en
attendent sa venue. Donc les autres religions ont quelque chose de bon.
Conclusion :
D’après le
concile Vatican II[1311],
il existe une bonté réelle dans les autres religions puisque les hommes « en
attendent la réponse aux énigmes cachées de la condition humaine, qui, hier
comme aujourd’hui troublent leur cœur. »
On peut établir d’une certaine manière une hiérarchie entre les
religions en fonction de ce qu’elles enseignent du mystère de Dieu, et de la
proximité qu’elles permettent avec Dieu. Ce sont ces deux critères, en effet,
qui rendent, en soi, une religion supérieure à une autre. Il convient de
remarquer que ce critère ne signifie pas que les membres de cette religion
supérieure en soi sont plus grands aux yeux de Dieu parce qu’ils appartiennent
à cette religion. Dieu juge le cœur des hommes et un païen humble est plus
grand à ses yeux qu’un chrétien pervers.
1° Le degré le plus bas des religions se
trouve dans les sectes, c’est-à-dire dans ces religions dont le chef se fait
Dieu, allant jusqu’à confisquer le libre arbitre de ses fidèles. Toutes les
religions, et même les sectes, ont en commun le sens de l’existence de quelque
chose qui dépasse l’homme et peut le sauver de la mort. En ce sens, toutes ont
un fondement qui est bon puisqu’il répond à la soif naturelle de l’homme vers
l’éternité.
2° Ce sens du sacré qui demeure à travers
toutes les religions peut être perverti et conduire à l’adoration de réalités
qui ne sont pas Dieu comme on le voit dans l’idolâtrie ou dans le culte des
esprits. Les anciennes religions liées à la sorcellerie et les sectes rendent
l’homme esclave. Mais elles gardent au plan du salut deux vestiges du bien : En
maintenant l’homme en esclavage, elles le disposent à se tourner avec joie vers
la liberté de l’Esprit quand elle sera révélée. D’autre part, elles lui
apprennent à se garder de l’orgueil face à la puissance de forces qui les
dépassent. C’est ainsi que Dieu permet l’existence provisoire de certaines
sectes idolâtres.
3° Bien au-dessus de ces idolâtries, on peut
classer les panthéismes. Le sens religieux de l’homme peut le conduire à une
recherche plus affinée, exprimée à travers un langage plus élaboré. Certaines
religions, sans comprendre l’existence d’un Dieu personnel, n’en ont pas moins
deviné la grandeur du transcendant. Ainsi, « dans l’Hindouisme, les hommes
scrutent le "mystère" et l’expriment par la fécondité inépuisable des
mythes et par les efforts pénétrants de la philosophie ; ils cherchent la
libération des angoisses de notre condition, soit par les formes de la vie
ascétique, soit par la méditation profane, soit par le refuge en Dieu avec
confiance et amour. Dans le Bouddhisme, selon ses formes variées,
l’insuffisance radicale de ce monde changeant est reconnue et on enseigne une
voie par laquelle les hommes, avec un cœur dévot et confiant, pourront acquérir
l’état de libération parfaite ou encore atteindre l’illumination suprême par
leurs propres efforts ou par un secours venu d’en haut".[1312]
Ces religions sont grandes et protégées par Dieu car elles disposent leurs
fidèles au salut en leur apprenant une humilité et une droiture volontaire.
4° Elles ont le défaut de ne pas connaître
l’existence du Créateur et son salut. C’est pourquoi, leur est supérieure la
religion naturelle qui trouve son origine dans la découverte personnelle, à
partir de l’ordre étonnant de l’univers, de l’existence d’un Créateur. Ainsi
les philosophes Platon, Aristote, et même Albert Einstein furent-ils conduits à
contempler l’Être Premier dans sa simplicité, sa perfection et sa bonté.
5° Au-dessus, on trouve des religions qui,
ne s’appuyant pas sur la seule raison, dépassent certaines obscurités
inaccessibles. Elles cherchent et proposent quelque explication aux mystères
comme la souffrance et le silence de Dieu. Toutes ne sont pas révélées,
beaucoup sont un mixe d’inspirations divine et d’inventions imaginaires. La
religion de l’Égypte antique, par exemple, au moins dans sa conception
sacerdotale et avant sa décadence en superstition, allait jusqu’à comprendre
l’existence d’une rétribution après la mort pour les actes commis (paradis et
enfer), d’un jugement dernier à la mesure de la droiture du cœur (Maât). Parmi ses dieux multiples,
l’imitation d’Osiris et d’Isis à travers leur amour, la passion et la
résurrection d’Osiris, n’était pas sans rappeler certains aspects du mystère du
Christ et de la Vierge. Elle n’est pas la seule.
6° Au-dessus, enfin, on trouve les trois
religions issues d’Abraham, l’homme qui eut la première Révélation sur le
mystère de Dieu. Elles sont essentiellement le judaïsme qui adore Dieu comme
celui qui est, le Dieu transcendant et unique qui s’engage à conduire
l’humanité vers un salut éternel, grâce à la promesse d’un Messie ; l’islam qui
adore le Dieu unique et miséricordieux qui a parlé en dictant son message à un
prophète. Le Dieu d’Abraham est adoré comme le créateur et aimé comme le
miséricordieux. Mais aucune de ces deux religions n’ose parler de la
possibilité de devenir l’ami de Dieu. Elles arrêtent leur amour, par respect
pour la transcendance, à la vénération que peut avoir le serviteur devant son
maître.
7° C’est pourquoi, au sommet de toutes les
religions de cette terre, le catholicisme et l’orthodoxie, et probablement la
Réforme telle que la pensa Luther[1313]
confessent la possibilité d’un amour réciproque, celui d’une créature libre et
active qui peut répondre d’égalité à l’amitié du Créateur, dans une intimité
due à la communion de la grâce.
On doit
donc s’efforcer de reconnaître ce qui est vrai et saint dans les religions,
même si les manières d’agir et de vivre, les règles et les doctrines diffèrent
beaucoup de ce que l’Église enseigne et propose. Cependant, malgré ces rayons
de la vérité qui sont présents dons les religions, l’Église est tenue
d’annoncer sens cesse le Christ qui est "le chemin, la vérité et la
vie".[1314]
Solution 1 :
Les idolâtres font de statues de pierre ou de bois, fabriquées par
leurs soins, leurs dieux. Les adorateurs du démon subissent la tyrannie des
esprits mauvais qui les maintiennent sous l’esclavage des superstitions. Ces
religions sont donc mauvaises puisqu’elles soumettent l’homme à quelque chose
qui lui est inférieur. On doit donc s’efforcer d’en libérer leurs adeptes par
un enseignement qui manifeste la vanité de ces dieux et par la prédication de
la religion du vrai Dieu. Cependant en tant qu’il demeure par elles une
certaine sensibilité à cette force cachée qui est présente au cours des choses
et aux événements de la vie humaine, il existe dans le paganisme une certaine
bonté qui est un vestige du Verbe éternel illuminant tous les hommes.
Solution 2 :
Les religions ne peuvent en elles-mêmes apporter le salut aux
hommes puisque seul Dieu fait homme peut introduire dans la vie éternelle.
Cependant, par la bonté qui est en elles, elles peuvent disposer favorablement
le cœur de l’homme à recevoir la prédication de l’Évangile du Christ, soit par
la parole des apôtres missionnaires, soit par Jésus lui-même au moment de la
mort. C’est de la même façon que le judaïsme, sans introduire dans le salut,
disposait les hommes à le recevoir. Quant aux hommes dont parle l’objection, ce
sont ceux qui méprisent la parole de Jésus alors même qu’ils savent qu’elle
vient de Dieu, ce qui est le péché contre le Saint Esprit dont nous avons
parlé.
Solution 3 :
À travers les multiples dieux des polythéismes peut demeurer
quelque chose de l’essence de l’unique Dieu et de ses attributs principaux. De
même les erreurs théologiques présentes dans l’hindouisme disposent malgré tout
au développement d’un sens de l’humilité (kénose) de la condition humaine
pécheresse, ce qui est essentiel comme disposition au salut éternel.
Solution 4 :
Le désir qui fait chercher Dieu vient lui-même de Dieu. Ainsi
l’effort du philosophe qui établit l’existence d’un Être Premier et celui de
l’ascète qui essaie de s’unir à lui, est bon. La présomption est autre chose :
Elle consiste à mépriser toute aide surajoutée par Dieu, même quand elle est
proposée durant la vie ou à l’heure de la mort. Au contraire, Dieu aime la
bonne volonté des volontaristes. Il la taille en la laissant s’user dans la
faiblesse des résultats, jusqu’au jour où, quand il se révèle, il sait être
accueilli avec soulagement par le chercheur.
Solution 5 :
Une religion peut être regardée de deux manières : en soi et à
travers ses membres. En soi, une religion est d’autant plus grande qu’elle
s’approche du vrai Dieu, de son humilité (kénose) et de son amour. Selon ses
membres, une religion sera d’autant plus grande aux yeux de Dieu que ses
membres seront humbles et assoiffés d’amour. Face à la parousie du Messie,
c’est cet ordre là qui plait à Dieu. Dans sa vie apostolique, Jésus ne cessait
de distinguer ces deux niveaux puisqu’il disait à la Samaritaine[1315]
: « Le salut vient des Juifs », montrant la supériorité du judaïsme, tout en
disant à ses disciples[1316]
: « Méfiez-vous du levain des pharisiens », manifestant l’infériorité
personnelle de beaucoup des docteurs du judaïsme de cette époque.
Solution 6 :
L’athéisme
est en lui-même un mal puisqu’il prive totalement l’homme de la connaissance de
la cause et du Principe qui pourrait donner sens à sa vie. Cependant et par
accident, il n’est permis voire voulu par Dieu que parce qu’il peut produire un
bien plus grand : en coupant l’homme de ses racines et de sa fin, il produit un
feu, qui comme dans un purgatoire de silence, creuse le désir inconscient d’un
salut. Saint Augustin exprime l’effet de cet amour de Dieu non encore conscient
de lui-même dans ses Confessions : « Avant de te connaître, je t’ai aimé. »
Cet amour vient de l’essence de l’âme humaine qui est, par nature, faite pour
recevoir la grâce sanctifiante puis la gloire. Lorsque le Seigneur paraît, le
manque spirituel trouve donc son explication lucide et ceux qui sont de bonne
volonté aiment Celui qu’ils attendaient sans le deviner.
Solution 7 :
On peut
raisonner de la même manière pour la religion du dernier Antéchrist. Elle est
mauvaise dans la proposition du faux Dieu qu’elle donne. Mais elle ne pourra
apparaître qu’à cause d’une racine bonne dans l’âme humaine -la soif pour un
salut-. Elle sera permise par Dieu car elle produira accidentellement un effet
positif : ne comblant pas l’esprit humain qui est fait, par sa nature et
l’orientation de la syndérèse, pour le vrai Dieu, elle n’en manifestera que
davantage la grandeur de l’apparition glorieuse du Messie.
Objection 1 :
Cela ne semble pas. La sagesse montre en effet comment naît le
paganisme[1317]. « Voici
un bûcheron : il prend un bois tordu et tout en nœuds. Il le prend et le
sculpte avec l’application des heures de loisir, il lui donne figure humaine.
Puis il lui fait une habitation convenable, le place dans un mur et l’assure
avec du fer pour qu’il ne tombe pas. Puis, s’il veut prier pour ses biens, son
mariage, ses enfants, il ne rougit pas d’adresser la parole à cet objet sans
vie. » Donc l’idolâtrie vient des hommes.
Objection 2 :
Après le péché originel, l’homme a été livré au pouvoir du démon.
C’est pourquoi certains se sont mis à adorer des idoles qui leur répondaient
par l’action cachée des démons. Il semble donc que les diverses religions
viennent du démon.
Objection 3 :
D’après le philosophe Feuerbach le désir naturel présent au fond
du cœur de l’homme le pousse à inventer l’existence d’un Dieu infini et
immortel sur lequel il projette ses idéaux inconscients. Or ce Dieu n’est autre
que le Dieu des chrétiens. En effet, que désire plus l’homme que l’idéal d’un
paradis de Lumière et d’amour avec sa famille ? Donc on ne doit pas dire que la
religion du Christ vient de Dieu.
Objection 4 :
L’Écriture Sainte rapporte que bien des révélations furent données
par les bons anges aux nations païennes. Ainsi le pharaon reçut-il l’annonce de
la grande sécheresse qu’allait subir pendant sept ans son pays[1318].
De même on rapporte que la Pythie de Delphes reçut de nombreux oracles sur la
venue prochaine au Christ. Donc les diverses religions viennent des bons anges.
Objection 5 :
Le
Seigneur dit à propos des brebis qui ne sont pas dans l’enclos de l’Église[1319]
et qui sont donc dans d’autres religions : « Celles-là aussi il faut que je les
mène et elles écouteront ma voix, et il y aura un seul troupeau un seul pasteur.
» Le Seigneur ne veut donc pas qu’il y ait d’autres religions que la sienne.
Donc les autres religions ne viennent pas de Dieu.
Cependant :
Dieu est
cause première des désirs de l’homme. Or l’homme est par nature un être
religieux. Donc les religions ont leur origine première en Dieu.
Conclusion :
Pour discerner l’origine des multiples religions du monde, il faut
considérer deux choses :
1° Ce qu’elles ont de commun, et qui est une
recherche de ce qui est au-dessus de l’homme.
2° Ce qui les différencie et qui est la
forme particulière de chacune d’elles.
Si l’on
regarde ce qu’elles ont de commun, alors on doit dire que toutes les religions
ont leur origine première en Dieu. En effet, c’est Dieu qui a créé l’homme et
est cause première du désir naturel de son âme qui le pousse à le rechercher.
Et ce désir naturel de Dieu qui est fondé dans un habitus entitatif de l’âme,
fait que l’homme est par nature un animal religieux. Il ne trouve de repos
quant à son esprit que lorsque son intelligence connaît la Vérité éternelle et
lorsque sa volonté adhère au Bien absolu.
Si l’on
regarde maintenant les diverses manières par lesquelles l’homme s’efforce de
satisfaire son appétit religieux, alors on doit parler autrement. Si l’on en
croit les Écritures, l’homme et la femme reçurent au jour de leur création, la
révélation du Dieu unique dont ils connurent d’une manière contemplative les
attributs principaux. Cependant, après le péché originel, le sens de la
présence de Dieu disparut peu à peu, étouffé par les soucis du monde et par les
péchés actuels. L’humanité éprouva donc les tiraillements du désir spirituel.
L’intelligence des hommes ne trouva plus de réponses aux questions fondamentales
: - Qu’est ce que l’homme ? - Quel est le sens et le but de sa vie ? - Qu’est
ce que le bien, qu’est ce que le péché ? - Quels sont l’origine et le but de la
souffrance ? - Quelle est la voie pour parvenir au vrai bonheur ? - Qu’est ce
que la mort et ce qui la suit ? L’intelligence de l’homme n’étant plus
éclairée, l’existence humaine fut soumise à l’angoisse qu’est la peur d’un mal
possible et futur dont on ne connaît pas la nature et qui s’incarne en premier
lieu dans la peur de la mort. C’est pourquoi, étant à la recherche d’un certain
repos, et pour se rassurer, l’homme se donna à lui-même divers dieux
immédiatement adaptés à sa sensibilité. C’est ce qui est signifié dans le livre
de l’exode[1320] : «
Aaron fit fondre l’or dans un moule et en fit une statue de veau. Alors ils
dirent : Voici ton Dieu, Israël, celui qui t’a fait sortir du pays d’Égypte. »
Dans un
second temps, parce qu’il s’affinait et se cultivait, l’homme ne put plus se
contenter de réponses aussi grossières. Cherchant une réponse plus
satisfaisante aux questions de l’existence, il fit des puissances de la nature
-comme les astres du Ciel et les esprits angéliques- ses dieux, à cause de
l’efficacité qu’ils manifestaient sur sa vie.
Dans un
troisième temps, et pour expliquer l’origine de l’existence de ces divers dieux
qu’il s’était donné, l’homme construisit des explications en se servant de son
imagination ou encore des enseignements des esprits. C’est ainsi qu’apparurent
le foisonnement des mythologies, où les dieux sont présentés et adorés comme
des hommes supérieurs. Il y eu même quelques hommes pour inventer l’existence
d’un Dieu unique, incarné dans par le soleil. Il s’agit du pharaon Akhenaton.
De ce qui
précède, on doit conclure que les religions qui adorent des idoles, des puissances
de la nature ou des dieux mythiques, ont leur origine dans l’homme, à cause de
son désir religieux naturel ou encore dans les démons qui s’appuient sur ce
désir pour se faire adorer eux-mêmes comme Dieu.
D’autres
hommes cependant, s’efforcèrent de chercher s’il existait réellement un absolu
capable de donner sens à la vie humaine, sans se laisser emporter par les
aveuglements de la passion. Par le raisonnement, ils remontèrent
progressivement à l’existence d’un Dieu unique, Créateur du Ciel et de la terre
et source de l’immortalité de l’âme. C’est ainsi qu’apparurent les religions
philosophiques. De telles religions ont leur origine à la fois dans l’homme
dont l’intelligence a la capacité naturelle de découvrir l’existence de Dieu
selon les paroles du Concile Vatican I, et de Dieu qui éclaire de sa lumière
toute recherche sincère.
Enfin, il
existe certaines religions dont l’origine est en Dieu seul, en tant qu’il prend
l’initiative de se révéler à l’homme. Telle est la religion d’Abraham qui se
soumit à la parole d’un Dieu encore inconnu ; Telle aussi la religion juive
fondée sur la parole communiquée à Moïse et la religion chrétienne révélée par
Dieu en tant qu’il s’est fait homme.
Solution 1 :
Comme on l’a dit, l’idolâtrie a son origine dans le désir de
l’homme qui fuit le mal de la peur. Elle est une perversion d’un désir
religieux naturel qui vient de Dieu.
Solution 2 :
Il est vrai que le démon profita de la faiblesse de l’homme pour
lui révéler diverses religions dont il se faisait lui-même Dieu, espérant ainsi
conduire plus efficacement le plus grand nombre à la perte. C’est ce que montre
l’Écriture quand elle décrit les cultes dépravés offerts par les Syriens aux
dieux Baal ou Astarté. Cependant, on doit admettre que cette faiblesse trouvait
son origine première dans l’absence de Dieu qui laissait vide le cœur de
l’homme.
Solution 3 :
L’homme n’étant pas cause de lui-même, il est impossible que le
désir naturel qui le pousse vers le Dieu unique et transcendant vienne de lui.
Il vient donc de celui qui est cause de sa nature et de l’existence de
l’humanité tout entière, c’est-à-dire Dieu. Quant à l’argument de Feuerbach, on
peut le retourner de cette manière : comme l’existence d’un appétit naturel
n’est jamais vain, on peut dire que le désir naturel de Dieu est signe de
l’existence de Dieu.
Solution 4 :
Parmi les mythes innombrables des religions antiques, certains ont
des fondements historiques. C’est ainsi que presque toutes les traditions
parlent du terrible déluge subi par l’humanité dans le passé ; D’autres
annoncent ou préfigurent les mystères divins. Ceux-là peuvent être considérés
comme en partie inspirés par les anges du Seigneur. Cependant, il est difficile
de les séparer des ajouts de l’imagination humaine.
Solution 5 :
Les autres
religions, y compris le judaïsme, ne sont que des dispositions qui doivent
conduire les hommes à recevoir ce qu’elles espèrent, c’est-à-dire le Salut de
Dieu.
La
religion du Christ, bien qu’elle soit la seule à permettre dès cette terre un
cœur à cœur avec Dieu (ce qui est déjà le salut) disparaîtra aussi sous sa
forme passagère. Cela se produira en deux étapes : 1- d’abord, à l’heure de la
mort, parce que Dieu se montrera dans son humanité glorieuse. A cette heure-là,
il n’y aura plus qu’une seule religion, celle du christ glorieux, parce que
chaque homme recevra ou rejettera son apparition dans les Nuées du Ciel ; 2-
Enfin, lorsque Dieu se montrera sans voile sous la forme de sa divinité. Alors
il y aura un seul troupeau, un seul pasteur.
Objection 1 :
Il semble que toutes les religions auront disparues pour laisser
place à l’unique religion du Christ, selon Jean[1321]
: « Il y aura un seul troupeau un seul pasteur. »
Objection 2 :
Selon l’Apocalypse[1322] :
« On donna à la Bête le pouvoir de mener campagne contre les saints et de
les vaincre ; on lui donna pouvoir sur toute race, peuple, langue ou nation. » Il
semble donc, que vers la fin des temps, le démon et l’Antéchrist s’attaqueront
à tout ce qu’il y a de saint dans les religions du monde et réussira. Donc il
ne subsistera pas de religion en dehors de celle du Christ qui résistera selon
le Seigneur "les portes de l’enfer ne l’emporteront contre elle »[1323].
Objection 3 :
Lorsque le
Christ viendra dans sa gloire, l’Évangile aura été prêché à toutes les nations,
selon ce qui est écrit[1324].
Il n’y aura donc pas d’autres religions que celle du Christ.
Cependant :
Le
Seigneur a dit à ses apôtres[1325]
: « En vérité, je vous le dis, vous n’achèverez pas le tour des villes d’Israël
avant que le Fils de l’Homme ne vienne. » Il semble donc qu’il restera encore
des hommes qui pratiqueront d’autres religions.
Conclusion :
Lorsque le Christ reviendra, il semble qu’il subsistera encore
d’autres religions que celle qu’il révéla aux hommes. Et on peut en donner
plusieurs arguments, bien qu’il soit impossible de conclure d’une manière
définitive en ces matières qui relèvent essentiellement de l’ordination de
Dieu.
1° De même que le levain de l’évangile ne
finit jamais de transformer le cœur d’un homme, mais garde toujours quelque
chose à convertir en nous, de même il ne peut jamais exister une communauté
humaine pleinement gagnée au Christ. C’est ce que montre le livre de
l’Apocalypse, dans la lettre aux sept églises[1326]
: Le Seigneur trouve à chacune un reproche ou une recommandation. Et il est
nécessaire qu’il en soit ainsi car l’amour de la charité ne doit jamais
s’arrêter dans sa lutte contre les restes du péché sans quoi il court le risque
de s’attiédir. De même, il est convenable que le zèle apostolique des chrétiens
soit sans cesse excité par l’existence des païens car l’Église, quand elle
oublie les exigences missionnaires données par le Seigneur, s’affadit dans son
élan vers le Royaume des cieux. Il demeurera donc toujours des religions
différentes de celle du Christ.
2° Comme nous l’avons montré, il y aura vers
la fin du monde un attiédissement de la charité chez le grand nombre, suivi
d’une grande apostasie et d’un retour des péchés des nations antiques. Or l’expérience
montre que lorsque l’homme oublie le Dieu unique, il cherche à combler son
désir religieux naturel en se façonnant d’autres dieux. Ainsi le peuple Hébreu
retournait-il sans cesse "à ses prostitutions avec les idoles" selon
Ezéchiel[1327].
On peut donc penser que, vers la fin du monde, les hommes ne se contenteront
pas du monde individualiste et matérialiste mais que l’Antéchrist leur
proposera une nouvelle religion apte à combler leur soif de survie après la
mort, selon l’Apocalypse[1328]
: « Les hommes ne renoncèrent même pas aux œuvres de leurs mains : ils ne
cessèrent d’adorer les démons. Ces idoles d’or et d’argent, de bronze et de
bois. » Il se pourrait, si l’on suit saint Paul, que l’Antéchrist propose la
vie éternelle à travers la religion de Lucifer, l’ange qui exaltait la dignité
t la liberté plutôt que l’amour et l’humilité (kénose).
Solution 1 :
À la fin du monde, lorsque le Christ reviendra dans sa gloire, il
illuminera les hommes de la révélation de son salut et tous les élus seront
réunis dans la cité Sainte, que la gloire de Dieu illuminera et où tous les
peuples marcheront à sa lumière. Ainsi, il n’y aura plus qu’un seul troupeau et
un seul pasteur. Mais, auparavant, il convient qu’il demeure diverses religions
comme on l’a montré.
Solution 2 :
La puissance de l’Antéchrist et de ses armées peut vaincre les
religions selon leurs institutions extérieures. Mais il ne peut arracher
totalement du cœur le désir intérieur infusé par Dieu et qui pousse à adorer en
secret ce qu’on ne peut adorer ouvertement. Et si l’on objecte qu’il peut
arriver par ses séductions à utiliser ce désir naturel en faisant que l’homme
adore les biens de ce monde ou encore les démons, on doit répondre qu’un tel
culte, à cause de son caractère insatisfaisant, ne peut séduire tout le monde,
selon Ezéchiel[1329]
: « Ainsi parle le Seigneur Yahvé : bien que j’envoie mes quatre fléaux
terribles, épée, famine, bêtes féroces et peste, vers Jérusalem pour en
retrancher bêtes et gens, voici qu’il s’y trouve un petit reste de survivants.
»
Solution 3 :
Selon le
Seigneur[1330]: « Les
apôtres seront haïs de toutes les nations à cause de son nom et beaucoup
succomberont. » Il semble donc que, si l’évangile doit être prêché partout, il
ne sera pas accepté partout.
Objection 1 :
Cela semble improbable : ceux qui ignorent complètement
l’existence du Christ ne peuvent en aucune façon recevoir des signes de son
retour. Il ne convient donc pas qu’il y ait des signes dans les religions
païennes.
Objection 2 :
Le signe
principal de la venue du Christ sera apporté par les apôtres de l’Église qui
prêcheront dans toutes les nations. Il semble donc qu’il est inutile qu’il y
ait des signes à l’intérieur même des diverses traditions religieuses du monde.
Cependant :
Ninive la
païenne fut avertie de se convertir à la voix du prophète Jonas. Il semble
qu’il en sera de même pour toutes les races de la terre à la fin du monde.
Conclusion :
Comme on
l’a dit, il convient que tous les hommes soient avertis d’une manière ou d’une
autre de leur fin prochaine et de la nécessité qui leur incombe de se
convertir. Ainsi Dieu adapte-t-il ses signes à la façon de penser de chacun.
Aussi donna-t-il aux mages de Chaldée qui étaient habitués à scruter les
étoiles, un signe astral par la création d’une nouvelle étoile qui se déplaçait
pour les conduire vers le Messie.
De même à
la fin des temps, les adeptes des diverses religions seront avertis par la
réalisation de certaines prophéties contenues dans leurs traditions. Ces
prophéties et ces signes leur auront été préalablement donnés par
l’intermédiaire du ministère des anges dont le rôle est de veiller sur toutes
les nations de la terre.
Il existe des exemples modernes de ce genre de prophéties. Ils se
multiplieront au temps de la fin. Les Incas du XVIème siècle
reçurent semble-t-il jadis une prophétie à la fois proche de la réalité et
trompeuse[1331] : «
Des dieux portant la barbe, montés sur de grands cerfs viendront de l’Orient et
apporteront le salut. » Lorsqu’une armée de 200 espagnols apparut, il semble
qu’ils crurent un temps être face à la réalisation de ce texte. Les Indiens
d’Amérique du sud sont heureux d’avoir reçu le christianisme. Ils ont été
délivrés à la fois des sacrifices humains et du culte des démons. Mais le dieu
de Pissarro était l’or. Caché dans ce sillage de sang, le Christ se donna aux
indiens. La prophétie se réalisa spirituellement à la lettre mais, politiquement,
elle aboutit à la ruine d’une nation, donc à son humiliation en vue de son
salut.
Solution 1 :
Ce qui est commun à toutes les religions, c’est selon l’épître aux
Hébreux[1332] « que
Dieu existe et qu’il se fait rémunérateur de ceux qui le cherchent. » Et cela
peut être considéré comme une foi implicite, dans ce sens que, lorsque la
révélation leur sera donnée par le Christ, ils y adhéreront explicitement. Il
peut donc y avoir dans les religions païennes des signes donnés par Dieu ou les
anges, de la fin du monde et du jugement.[1333]
Solution 2 :
La
prédication des apôtres constituera un grand signe pour les nations du monde
entier. Cependant, elle ne sera pas suffisante pour ceux qui ne recevront pas
leurs paroles comme une parole de Dieu. Il convient donc qu’ils
soient avertis par des moyens adaptés à leur sensibilité.
Objection 1 :
Cela n’est pas possible. L’islam enseigne en effet des hérésies
concernant en particulier le mystère de Jésus-Christ dont 1e divinité est niée
explicitement. Or Dieu qui ne trompe personne, ne peut avoir dicté dans le
Coran quelque chose de faux.
Objection 2 :
L’islam s’est implanté dans des nations qui avaient été
originellement gagnées au Christ, supprimant les Églises patriarcales en
convertissant ses fidèles. Dieu ne peut avoir béni un tel désastre pour son
Évangile.
Objection 3 :
D’après saint Jean[1334],
« le voilà l’Antéchrist : il nie le Père et le Fils. Quiconque nie le Fils ne
possède pas non plus le Père. » Or l’islam nie que Dieu ait un Fils donc il
vient de l’Antéchrist.
Objection 4 :
L’islam prêche la guerre sainte qui lui permet d’implanter ses
croyances par la force. Or Dieu ne convertit personne par la force. C’est
plutôt la méthode du démon selon l’Apocalypse[1335]
: « Nul ne pourra rien acheter ni vendre s’il n’est marqué du nom de la Bête. »
Objection 5 :
L’histoire de l’Église montre qu’il y a toujours eu des rivalités
et des luttes entre les chrétiens et les musulmans. Ainsi les papes durent-ils
lever de nombreuses croisades. Ce qui n’aurait pas eu lieu si l’islam venait de
Dieu.
Objection 6 :
Les
musulmans refusent le mystère de la charité qui fait de l’homme un ami et même
un époux de Dieu. Or, celui qui n’aime pas Dieu ne peut entrer dans la gloire.
Donc l’islam est une religion mauvaise.
Cependant :
Le docteur de la loi Gamaliel, qui était un sage, disait aux membres
du Sanhédrin à propos de l’Église qui venait de naître : « Ne vous occupez sas de ces
gens là, laissez-les. Car si leur propos ou leur œuvre vient des hommes, il se
détruira de lui-même. Mais si vraiment il vient de Dieu, vous n’arriverez pas à
le détruire. Ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » Attention donc, dans ce débat théologique,
aux passions politiques. Ce dont nous parlons ici, c'est du salut
éternel.
Conclusion :
À propos de
l’origine de l’islam, on
serait, en tant que chrétien, tenté de répondre de manière simple et définitive
: « non. » Comment Dieu pourrait-il enseigner quelque chose de faux ? Dieu
pourrait-il livrer des pans entiers de la chrétienté à une telle chute de
civilisation ? Cependant, nous allons le voir, une réponse plus nuancée semble
s'imposer. Comme dit saint Paul (Romains 11, 33) : « Dieu est un abîme de richesse et nul n'a
saisi la profondeur de ses voies." Car son seul but n'est pas la victoire, ici-bas, mais le
salut très concret, dans l'éternité, du plus grand nombre de ses enfants
bien-aimés, quelque soit le troupeau provisoire où il vit ici-bas.
Pour répondre
à la question de l’origine de l’islam, il est très difficile d’être absolument
concluant car l’Écriture sainte et le Magistère de l’Église ne donnent pas
d’enseignements définitifs sur ce point. Cependant, depuis le concile Vatican
II, l’Église a reconnu la riche valeur de la foi et de la morale musulmane. Donc écoute humble et ouverture.
Il faut donc s’efforcer de voir s’il
existe des prophéties bibliques à propos de cette religion et si l’islam se
reconnaît dans ces prophéties. Or il est remarquable de constater que la
référence première des musulmans est le patriarche Abraham, et ils désirent se
soumettre à Dieu comme lui-même s’est soumis. Ils se disent Fils d’Abraham en
Ismaël. C’est donc du côté
des promesses faites à Abraham qu’il faut chercher.
L’Écriture
Sainte nous rapporte qu’Abraham a eu deux fils et c’est par ces deux fils que
fut réalisée la promesse faite par Dieu de multiplier à l’extrême sa
descendance, au point de la rendre nombreuse comme les étoiles du Ciel[1336].
Le premier fut appelé Ismaël et fut conçu sans que Dieu en prenne l’initiative,
mais par la volonté d’Abraham et de Sara qui pensaient ainsi faire sa volonté.
Il fut donné à Abraham par l’intermédiaire d’une servante égyptienne nommée
Agar. Le second fils, appelé Isaac, fut annoncé par Dieu lors de son apparition
au chêne de Mambré sous la forme de trois personnes. Il fut conçu par la femme
libre d’Abraham, c’est-à-dire par Sara. Et Dieu dit à propos d’Isaac et
d’Ismaël[1337] : «
C’est par Isaac qu’une descendance perpétuera ton nom mais du fils de la
servante je ferai aussi une grande nation car il est de ta race. » Il y a là
une allégorie qui concerne les deux religions issues du Judaïsme, à savoir
l’islam et le christianisme. En effet, le christianisme fut créé immédiatement
par Dieu et reçut la révélation au Mystère de la Trinité symbolisé au chêne de
Mambré par les trois personnes qui étaient un seul Dieu. Les chrétiens sont
appelés enfants de Dieu puisqu’ils sont issus d’Abraham à travers son épouse
sans passer par la servante. Quant à l’islam, si on en croit cette prophétie il
vient de l’initiative des hommes mais Dieu le bénit et le rendit extrêmement
fécond à cause de la foi dont faisaient preuve les musulmans, suivant en cela
l’exemple de leur Père Abraham. Les musulmans se nomment les esclaves de Dieu,
ce qui est symbolisé par leur mère qui est l’esclave égyptienne Agar. Donc,
d’après cette prophétie biblique, l’islam, même s’il vient d’une initiative
humaine, est béni par Dieu.
Solution 1 :
Il est
vrai que l’islam enseigne des choses parfois insuffisantes et souvent fausses
sur le mystère du Christ, de la Trinité et de la charité. En ce sens, on peut
dire que cette religion n’a pu être directement dictée par Dieu, quoiqu’en dise
Mohamed. Cependant, les musulmans vénèrent Jésus comme prophète et ils pensent
qu’il est le Messie annoncé par Dieu. Ils honorent sa mère virginale, Marie, et
parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le retour du Christ
et le jour du jugement où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Ils sont
donc disposés à accueillir favorablement la plénitude de la révélation
chrétienne, lorsqu’elle leur apparaîtra à fin du monde.
Et le fait que l’islam n’a pas son origine première en Dieu ne
signifie pas qu’il n’a pu être béni par la suite. Au contraire, comme le montre
l’histoire d’Ismaël, il est convenable de penser que cette religion a été bénie
à cause d’Abraham, c’est-à-dire à cause de sa foi très pure dans le Dieu un,
vivant et subsistant, miséricordieux et tout puissent, créateur du Ciel et de
la terre, qui a parlé aux hommes.
Solution 2 :
Dieu peut parfois bénir ce qui apparaît à un regard superficiel
comme un désastre, à cause d’un bien plus profond qu’il en fait sortir et qui a
rapport avec le salut éternel des hommes. Or, comme le rapporte l’histoire,
l’Église chrétienne, au moment de la naissance de l’Islam, dans sa partie
située en Orient, s’enlisait dans des discussions théologiques sans fin qui
avaient abouti à l’apparition de multiples hérésies et schismes. De plus, étant
la religion officielle de l’Empire Romain, elle attiédissait le feu de la
charité par un souci trop grand des choses de la politique. L’islam eut donc
peu de peine à amener à elle les foules, à cause de la ferveur de sa jeunesse.
Le monde fut donc divisé en deux religions qui, ni elles voulaient subsister,
devaient sans cesse réformer leurs mœurs et convertir leurs regards vers Dieu.
C’est de cette façon là que la division peut être parfois voulue par Dieu, comme
on le voit pour la nation d’Israël après la mort de Salomon. Quant à la genèse
de l’Islam elle est la réalisation de la prophétie faite par Dieu à propos
d’Ismaël[1338] : «
Il s’établira à la face de tous ses frères. »
Solution 3 :
L’islam
nie que Dieu ait un fils, non par haine de Dieu mais à cause de leur zèle de
Dieu : la raison en est qu’ils n’ont pas compris l’essence du dogme de la
Trinité. Selon eux, les chrétiens croient en trois Dieux, ce qui s’oppose à la
foi au Dieu unique révélée en Abraham.
Cependant, on doit admettre avec saint Jean que puisqu’ils n’ont
pas compris le mystère du Fils de Dieu fait homme, ils ne connaissent pas non
plus le Père dont il est l’image. Ils adorent donc un Dieu qu’ils ne
connaissent pas, de la même manière que les Juifs selon la parole de Jésus.
Solution 4 :
Selon le
Coran, la guerre Sainte est d’abord une guerre militaire[1339].
Mais comme les musulmans n’ont pas de Magistère unifié, il semble difficile
d’être totalement définitif sur son interprétation et ses conditions. Le Djihad
au sens strict du mot tend à proscrire toute autre adoration que celle de Dieu,
l’unique, à se dresser contre la violence et le mal, à sauvegarder la vie, les
biens et l’équité, à généraliser le bien et à répandre la vertu. Dieu dit : « Combattez-les
afin que plus aucun croyant ne soit tenté d’abjurer et que le culte tout entier
soit rendu à Dieu.[1340] »
Mais cette guerre ne se pratique pas n’importe comment. Le djihad
est soumis à des règles venant de Dieu.
1° En conséquence, en premier lieu, aucune
guerre sainte n’est légitime si elle n’est pas commandée par l’autorité du
calife légitime.
2° Ensuite, le combat ne se fait pas
n’importe comment. Il ne ressemble en rien aux guerres barbares et sans limites
qui caractérisent la colère humaine. Il est précédé par un avertissement
chevaleresque : 1- Avant l’engagement, il faut convier l’ennemi à la conversion
l’islam. Cette première étape se fait par la discussion, l’exposition de la foi
musulmane. 2- S’il refuse, on lui propose une seconde solution : il lui est
possible de se soumettre aux codes des lois civiles Musulmanes et de payer un
tribut, sans qu’il ait besoin de devenir musulman. 3- S’il le refuse encore, on
recourt alors aux armes. On lui impose par la force les lois civiles et morales
justes, tout en le laissant libre de garder sa propre conviction religieuse.
3° Enfin, et c’est le plus important, le but
du djihad n’est pas de convertir de force à la religion. La foi ne s’impose
jamais. Elle est affaire de conscience et de don de Dieu. Il ne s’agit pas
d’abord de s’enrichir ou de capturer des esclaves. Il s’agit de tout autre
chose. Deux buts sont visés : 1- Proposer la vérité de la révélation de
Mohamed. 2- Répandre et imposer la droiture et la justice morales et civiles
dans des nations soumises à la perversion, à l’injustice, au meurtre.
Historiquement,
s’est très souvent ainsi que l’islam s’est répandu à travers le monde. Ils
réalisent aussi les prophéties données par Dieu sur Ismaël[1341]
: « Il portera un arc », c’est-à-dire qu’elle sera une religion des armes. » Il
sera comme un âne sauvage et indomptable, sa main contre tous, la main de tous
contre lui », c’est-à-dire qu’elle aura partout tendance, dès qu’elle est en
position de force, à s’imposer et à réduire les autres religions en soumission.
Solution 5 :
Certaines croisades furent rendues nécessaires à cause du massacre
des chrétiens d’Orient perpétré par des extrémistes islamiques et surtout par
ce perpétuel danger militaire qu’a constitué l’islam face au christianisme.
Sans défense armée, il est certain que la civilisation chrétienne aurait
disparu tout entière. Cependant, comme dans toute guerre, il y eut de nombreux
excès du côté des nations chrétiennes elles-mêmes. C’est ce qu’exprime le
concile Vatican II[1342]
: « Si au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont
manifestées entre chrétiens et musulmans, le concile les exhorte tous à oublier
le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle. »
Solution 6 :
Ce n’est
pas par haine de Dieu que les musulmans refusent le mystère de la charité.
C’est à cause de leur sens de la grandeur et de la transcendance de Dieu et il
leur semble blasphématoire de la part de l’homme qu’il prétende parler à Dieu
comme à quelqu’un qui lui est égal. Selon eux, l’homme doit toujours approcher
Dieu en l’adorant ce qu’exprime leur façon de prier prosternés sur le sol.[1343]
Cependant,
les musulmans ne se contentent pas de se dire esclaves de Dieu mais ils mettent
en lui leur confiance, ce qui constitue déjà pour eux une disposition à l’entrée
dans la gloire. Selon Notre Seigneur[1344]
: « En vérité, je vous le dis, quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en
petit enfant n’y entrera pas. »
Objection 1 :
On ne voit pas quels signes pourraient être donnés puisqu’il
n’existe rien dans la révélation chrétienne à ce sujet.
Objection 2 :
Les musulmans sont par rapport aux chrétiens comme les frères d’un
même père, puisque les deux religions trouvent leur origine commune dans le
judaïsme. Il semble donc que les signes qui seront donnés aux chrétiens seront
donnés aussi aux adeptes de l’islam.
Objection 3 :
Pour
savoir comment sera attaqué l’islam, le plus simple consiste à regarder ses
propres prophéties. Dieu ne peut manquer d’avoir donné aux musulmans quelque
révélation sur leur avenir, à cause d’Abraham leur modèle et père.
Cependant :
Les
musulmans, qui sont fils d’Abraham attendent comme les chrétiens le retour du
Messie qui est Jésus Christ. De même que cette espérance ne sera pas déçue, de
même elle sera précédée de signes qui leur seront adaptés.
Conclusion :
L’Écriture
sainte des juifs et des Chrétiens ne donne rien de significatif à propos des
signes qui seront visibles dans l’islam. On peut savoir cependant que cette
religion subira au cours de son histoire les attaques du démon. Vers la fin du
monde, l’Antéchrist la détruira puisqu’il s’attaquera avec succès, dit
l’Écriture[1345], «
à tout ce qui porte le nom de Dieu. »
Quant à
savoir comment il s’y prendra, on peut dire la chose suivante. Le démon s’en
prend toujours aux êtres et aux communautés par ce qui constitue leur
faiblesse. Par exemple, le christianisme étant une religion d’amour et de
liberté, il trouve dans sa force première sa première faiblesse. Il s’efforce
de caricaturer ce qui est le plus noble en ces deux valeurs. Il s’attaque à
l’amour. Sa plus grande réussite consiste à faire appeler "amour" par
les fidèles, ce qui n’est en fait que « l’amour de soi. » Le jansénisme
disait qu’aimer son prochain consistait à être vertueux ; le progressisme dit
qu’aimer son prochain consiste d’abord et exclusivement dans son bien être
matériel et psychologique. De même, il pousse les chrétiens à abuser de la
liberté qui leur est laissée jusqu’à la revendiquer en elle-même, par
opposition aux exigences de l’amour qui se sacrifie pour le prochain.
On peut
faire le même type de raisonnement pour l’islam. D’après le livre de la Genèse,
Ismaël qui symbolise l’islam est caractérisé de la manière suivante : « Il vit
dans les déserts. Il est tireur d’arc. Il est un homme indomptable. Sa main est
contre tous et la main de tous contre lui ».[1346]
L’observation de l’islam confirme ces prophéties. Né dans les déserts d’Arabie
d’un peuple sémitique primitif, l’islam s’est structuré de manière militaire.
Dès qu’il s’est senti suffisamment fort pour le faire, il s’est imposé par la
guerre face aux nations qu’il a conquises. Les musulmans sont intransigeants
sur leur foi. L’apostat est mis à mort. Pour résumer, l’islam se structure
autour de deux valeurs : la foi intransigeante et le service efficace de Dieu.
C’est grâce à ces propriétés que l’islam s’est imposé. C’est sur
ses propriétés qu’il sera attaqué vers la fin du monde par le démon et son
homme, l’Antéchrist.
1° La première tentation de l’islam lui
viendra de l’orgueil (dû à sa puissance) et du pouvoir. Cette religion diffère
du christianisme par le fait que des éléments politiques sont intimement et
indissociablement mêlés à l’aspect religieux. Née dans les tribus arabes du
désert, son histoire est emprunte des restes de sa mentalité sémitique, à des
traditions antiques de la guerre liées aux razzias, à l’esclavage telles qu’on
les voit décrites dans la Bible. De plus, à cause de ses conquêtes militaires,
de son intransigeance, toute l’histoire de l’islam est tâchée par des fautes
contre la liberté humaine et la paix. Certains crimes contre l’humanité ont été
commis, particulièrement en Inde où cette religion s’est fait un devoir
d’exterminer les idolâtres en même temps que les idoles. Vers la fin du monde, elle
aura à subir directement les attaques de l’esprit de l’Antéchrist
particulièrement sur ce qui constitue ses fautes[1347].
Ainsi, parce que des musulmans parmi les plus zélés confondent religion et
politique de conquête, ils saliront de manière définitive et beaucoup plus
forte encore que ne l’ont fait les zélateurs chrétiens l’image de la religion.
Ce reproche, qui fit la force de l’islam, sera sa perte au temps de
l’Antéchrist.
Il lui sera reproché ses crimes. Ces attaques lui viendront aussi
bien de l’extérieur que de l’intérieur, par ses propres fidèles. Ayant pris
l’épée, il est probable que selon la parole de Jésus[1348],
l’islam périra par l’épée. Exaspérant le monde par ses attaques et son
intransigeance, il finira par être attaqué et écrasé par des forces militaires
supérieures.
2° L’islam étant une religion du service de
Dieu, il sera aussi attaqué par ses fidèles et par l’esprit de l’Antéchrist sur
le point de son manque de sens de la liberté par ses fidèles, lorsque le désir
de vivre dans l’instant les plaisirs de la vie terrestre sera plus fort.
L’islam connaîtra un refroidissement du zèle pour le service de Dieu. Cette
dégradation ne peut venir que d’un autre zèle qui la dominera et qui sera,
comme toujours, lié aux trois convoitises de l’homme : l’orgueil, le pouvoir et
les plaisirs.
Fondé sur
ces deux attaques fondamentales, les autres prendront davantage de force. Il y
aura des attaques directes contre la foi et la morale musulmanes. La croyance
dans le fait que le Coran est dicté directement par Dieu sera la première à
subir les assauts puisqu’elle fonde toute cette religion ; Puis les exigences
morales du Coran et politiques de la loi seront jugées insupportables et
archaïques. Enfin, viendra la lutte finale qui précédera le retour du Christ et
qui sera menée par les armées de l’Antéchrist lui-même.
Solution 1 :
Le Seigneur nous demande d’être attentifs aux signes des temps
afin que notre espérance portant sur le retour du Christ ne diminue pas. C’est
pourquoi, l’Église par le Concile Vatican II, invite les chrétiens à être
attentifs aux traditions musulmanes et à en scruter la richesse. Les signes de
la fin du monde que les musulmans attendent doivent donc être objet d’un
intérêt particulier. Ils sont au nombre de dix :
1° Le soleil se levant à l’Ouest[1349].
"Le jour où Nous plierons le ciel comme on plie le rouleau des
livres." Cette prophétie signifie probablement que, lors de ces
événements, la puissance mondiale appartiendra, à tous les plans, à l’Occident.
2° Un phénomène sismique en Occident, un autre
en Orient, un troisième en Arabie[1350]. La terre sera secouée par un grand séisme, le ciel se
fendra, les planètes se disperseront, les mers seront projetées, les sépulcres
bouleversés, les montagnes voleront comme des flocons de laine cardée.
3° L’apparition de la fumée qui restera 40 jours
sur terre[1351]. Le Coran en parle (sourate 44, La Fumée) et raconte
comment elle va s’étendre sur Terre. Selon certains exégètes dont Abi Massoud,
ce serait un temps terrible de faim, de misère semblable à ce qui est arrivé à
la tribu de Quoraïch au temps de Mohamed.
4° La venue du Mahdi, le dernier grand imam (Docteur et chef politique) de l’islam. Le temps de la fin
commencera par la venue d’un grand imam dont la mission consistera à préparer
le peuple musulman à l’épreuve. Au sens étymologique, le Mahdi signifie « celui qui est bien
guidé. » Le prophète Mohamed s'est servi de ce mot dans son sens littéral quand
il dit : « je vous recommande ma
tradition et la tradition de mes califes orthodoxes et bien guidés après moi. »
5° La venue de Dajjal, l’Antéchrist : C’est l’étape suivante, terrible. Un Hadith, rapporté par de nombreux traditionalistes, nous informe
que, avant la grande bataille de Gog et Magog et le retour de Jésus, viendra le
Dajjal, l’Antéchrist. Le Prophète s’en
préservait par un signe quand il en parlait. Il disait : « Il se comparera à Dieu. Dans son mensonge, il prétendra être Dieu. » Selon
Mohamed, le Dajjal sera d’origine
juive. Il sera borgne. Il sera à l’image de Abd Al Ozza Ibnou Ouatane, un grand
ennemi de l’islam.
6° La sortie de la Bête qui écrira
"croyant" entre les yeux des croyants et "infidèle" entre
les yeux des infidèles[1352]. C’est une bête de taille gigantesque, ayant une ressemblance avec
beaucoup d’animaux, douée de parole, qui surgira de la terre et s’adressera aux
gens pour les blâmer d’être mécréants. Pour les Musulmans, elle est décrite non
comme une bête réelle mais comme l’image d’une monstrueuse idéologie, d’une
tyrannie politique, celle de l’Antéchrist.
7° La grande guerre contre l’islam, Gog et
Magog. Il
s’agit de la grande guerre de la fin du monde, prophétisée par Ezéchiel. Anas-ben-Mâlik
rapporte que le Prophète a dit : « l’Antéchrist
viendra et ira dans le voisinage de Médine. La ville éprouvera trois secousses
et, après cela, les infidèles et les hypocrites iront trouver
l’Antéchrist." Hadith 92, 26
(Point 2). Il viendra de la région du Khorassan, en Asie, et 70000 juifs armés
le suivront. Les diables que le Prophète Soulaïman a enchaînés dans les mers le
suivront. Il attirera beaucoup de monde à lui car il donnera à boire et à
manger. Les musulmans seront tentés de le suivre et d’apostasier
leur foi. Mais, selon le Prophète, les Musulmans fidèles mangeront (seront
nourri) par le dikrh, le Rappel
d’Allah, la prière récitée cinq fois par jour. (Soubhannallah ! Hamdoulillah ! Allahouakbar !).
Le monde entier, accompagné des démons, se liguera contre le
peuple musulman, mené par l’Antéchrist. Le passage coranique parlant de la
guerre se réfère à un épisode biblique, lié à une prophétie d’Ezéchiel[1353].
L’Apocalypse 20, 7-9 en fait le symbole de la guerre finale : « Les mille ans écoulés, Satan, relâché de sa
prison, s'en ira séduire les nations des quatre coins de la terre, Gog et
Magog, et les rassembler pour la guerre, aussi nombreux que le sable de la mer
; ils montèrent sur toute l'étendue du pays, puis ils investirent le camp des
saints, la Cité bien-aimée. Mais un feu descendit du ciel et les dévora. Selon
certains théologiens musulmans, dont Acha’Raoui, ce malheur viendra du fait de
la provocation d’une communauté de musulmans malfaisants.
8° Un feu naissant à Aden (au Yémen), qui
chassera les habitants puis la destruction de la Kaaba par les Abyssins. Il s’agit de la destruction physique de
tous les lieux saints de l’islam, prophétie étonnante et pourtant explicitement
enseignée par Mohamed. Cette destruction finale de l’islam visible par les
armes du Dajjal fait explicitement partie de la foi
eschatologique des Musulmans.
9°
L’apostasie : Après ces événements graves, le Coran
sera enlevé des lèvres et des cœurs, l’incroyance deviendra générale. Bismilahi Rahmani Rahimi l’explique
: « Retenez chères sœurs et frères, que quatre femmes qui
fréquentaient le Messager d’Allah nous rapportent qu’il a dit : « Malheur aux arabes[1354] ! » Les compagnons questionnèrent alors
: « Dieu nous détruira-t-il, alors que
parmi nous il y aura des bienfaisants ? » - Oui, c’est parce qu’en vous se
multiplieront les péchés (fornication et autres)". » Une dernière
prophétie, tirée des Hadith, est
importante à citer. Elle semble donner la clef des autres : « L’islam a commencé étranger et finira
étranger.” Le sens en paraît évident : il s’agit de l’annonce explicite
d’une diminution de puissance, d’un cheminement de la religion islamique vers
la pauvreté, la petitesse et la faiblesse. Cette prophétie ressemble fort à
celle qui s’applique au christianisme.
10° La descente de Issa (Jésus, fils de Marie). Un Hadith de Muslim
rapporte que malgré ces épreuves, il subsistera toujours, jusqu’à la fin du
monde un petit reste de croyants. Ils seront de fidèles Musulmans comme au
temps béni de Médine. "Il y aura
toujours une partie de ma communauté qui combattra ouvertement dans la voie de
la vérité jusqu’à la fin des temps. Issa le fils Maryama (Jésus) descendra et
le Commandeur de ses croyants lui dira : vient diriger notre prière et Issa
répondra : non continue à diriger la prière car vous êtes de la communauté de
Mohamed chacun peut présider la prière de l’autre. »
Ces prophéties annoncent visiblement une fin douloureuse de
l’islam, puis une victoire définitive sur les forces du mal, grâce à la
sainteté des cœurs et par le retour du Christ. Mais il convient de remarquer
qu’une partie des docteurs musulmans, comme les wahhabites d’Arabie, en lisent
le dénouement d’une façon toute autre : Selon eux, il n’y a rien de mystique
dans les annonces de Mohamed. Pour eux, alors que tout semblera perdu, Dieu
donnera la victoire militaire totale à la Communauté Sainte. Allah va livrer ses ennemis à l’islam, dans
un dernier combat. Les Juifs et leurs allés impies seront exterminés de la
surface de la terre. On mettra sept mois à enterrer leurs cadavres[1355]. Allah remportera cette grande victoire par
toutes sortes de fléaux : la guerre, la peste, la grêle etc. La Palestine
redeviendra la terre bénie de l’islam. Le monde deviendra un seul Califat,
soumis à la sainte loi d’Allah. Ceux qui refuseront de se convertir
disparaîtront. Alors Jésus reviendra et balayera le reste des Chrétiens.
Le monde entier sera, sous son commandement, musulman. L’Antéchrist, qui est né
en Occident, sera vaincu et la gloire d’Allah sera exaltée pour toujours.
Les islamistes Wahhabites appuient leur vision apocalyptique sur
un texte du prophète Ezéchiel qui est considéré comme un prophète d’Allah. Il
parle de ce combat de Gog et Magog contre le peuple saint. Il est étonnant de
constater cette ironie de l’histoire qui peut-être, se reproduira. C’est
exactement le même texte qui nourrissait l’endurance incroyable des zélotes
Juifs, en 70 ap. JC, les poussant à combattre jusqu’à la mort, alors que tout semblait perdu. Résultat
: La guerre des Juifs contre les Romains, fit un million cent mille morts, un
tiers des Juifs de l’époque, et aboutit à la ruine du Temple, à la dispersion
du peuple et à un judaïsme devenu humble (kénose), modeste et bénit de Dieu. Il
est possible que la partie intransigeante et fanatique de l’islam provoque vers
la fin du monde, à partir des mêmes causes, les mêmes effets.
Solution 2 :
Les musulmans ne sont pas aussi bien préparés par leur foi à
comprendre les signes liés à l’anéantissement en vue de l’humilité (kénose).
Les chrétiens eux-mêmes, malgré le mystère de la souffrance et de la mort du
Christ, ont beaucoup de mal à comprendre que cela sera appliqué à eux-mêmes et
à l’Eglise. Pour les musulmans, le mystère de la mort qui conduit à la
résurrection est très étranger. Leur psychologie est plutôt orientée vers la
gloire militaire, du moins depuis la révélation à Médine des versets de la
guerre. Vers la fin du monde, il leur faut donc des signes très forts où
l’expérience du malheur les laissera dans l’incompréhension totale des volontés
de Dieu. Cela peut venir de la Vierge Marie qui est pour eux une des femmes
saintes qu’ils vénèrent beaucoup. Peut-être aura-t-elle la mission de les
préparer à cela. Cela peut venir aussi de leur patriarche principal, à savoir d’Ismaël
le fils d’Abraham. En effet, un point prophétique important doit être ici souligné.
Il s’agit d’une ‘erreur’ apparente du Coran dont la signification est sans
doute très profonde. Les Juifs riaient souvent de Mohamed en lui disant : « Tu te trompes. Le livre de la Genèse est net
sur ce point. Ce n’est pas Ismaël qui faillit être immolé par Abraham à Yahvé.
C’est Isaac. » Alors le Prophète se mettait en colère. Il disait[1356]
qu’Abraham avait des fils, dont le plus connus était Ismaël, « l’égorgé », le fils aîné d’Abraham, qu’il eut de
Agar l’égyptienne copte. Mohamed
précise : « Qui dit que l’égorgé était
Isaac, doit avoir reçu cette prétention des fils d’Israël, qui ont altéré et
faussé la Torah et l’Evangile, et intentionnellement changé les informations
qu’ils possédaient. Car Abraham avait reçu l’ordre d’égorger son fils aîné. »
Dieu dit : « Nous annonçâmes
à Abraham qu’il aurait un fils d’une grande douceur de caractère. Lorsque son
fils fut en âge de se diriger, Abraham lui dit : « O mon fils, j’ai rêvé que je
t’immolais en sacrifice. Qu’en penses-tu " "O mon père, lui dit son
fils, exécute ce qui t’est ordonné. Je serai courageux s’il plaît à Dieu[1357]. » Il accepta l’ordre donné à son père
et lui promit de se résigner. Le couteau du père allait s’abattre mais Dieu
retint son bras. Alors Ismaël fut sauvé. La descendance d’Abraham ne périt pas.
Les musulmans fêtent depuis ce jour le salut d’Ismaël dans la grande fête du
Sacrifice. Dieu dit : « Mentionne Ismaël
dans le Livre. Il respectait la foi jurée. Ce fut un Prophète. Il recommandait
la prière et la charité aux siens. Il était l’élu de son Seigneur[1358]. »
En quoi cette erreur coranique peut-elle avoir une quelconque
importance ? C’est que dans cette histoire, rien n’est laissé au hasard. Nous
avons affaire à des allégories peut-être inspirées par Dieu. Chaque détail est
important car il signifie quelque chose de l’avenir. Les Chrétiens pensent avec
les Juifs que c’est Isaac qui faillit être sacrifié[1359]
par Abraham. Au dernier moment, Dieu refusa qu’Abraham aille jusqu’au bout de
son geste. L’enfant fut sauvé et remplacé par un bélier[1360].
Ils y voient une allégorie portant sur leur eschatologie[1361].
La conséquence est que les Chrétiens croient que, vers la fin du monde, leur
destin ressemblera à celui d’Isaac. Ils subiront de la part d’un antéchrist un
abaissement et un martyre. L’islam a reçu la même prophétie sous les traits
d’Ismaël, son archétype biblique. Ce fait
semble indiquer que le destin de cette religion est identique. Il semble
qu’un musulman sincère peut donc trouver dans sa propre révélation une
compréhension de ce mystère. Quant à la souffrance elle-même, qui les frappera
avant le retour du Christ, elle leur fera comprendre que l’humilité (kénose) et
l’amour étaient plus grands que l’islamisation du monde entier.
Objection 1 :
La religion juive n’avait de sens que parce qu’elle préparait et
annonçait la venue du Messie. Elle aurait donc du disparaître après sa venue,
les prophéties n’ayant plus de raison d’être.
Objection 2 :
De même que le rideau du temple se déchira en deux de bout en bout
à l’heure de la mort du Christ, de même que le temple fut détruit quelques
années plus tard signifiant ainsi la fin de l’ancienne alliance, de même le
judaïsme dispersé à travers le monde aurait dû disparaître et s’assimiler aux
autres religions.
Objection 3 :
Que les Juifs se soient obstinés jusqu’à maintenant à ne pas
croire en Jésus, cela vient de leur certitude d’être le peuple élu et cette
certitude semble être liée à un grand orgueil selon l’Exode[1362]
: « Ce peuple à la nuque raide. » Mais cela ne peut venir d’une volonté
de Dieu.
Objection 4 :
Dieu a promis de donner à Israël un Messie. Si donc Dieu est
responsable de l’endurcissement du cœur d’Israël, c’est que sa parole a failli
sur ce point, ce qui est inacceptable.
Objection 5 :
Israël en
rejetant le Messie, a trahi son alliance avec Dieu. Il a donc été rejeté et
maudit, d’où les persécutions et massacres subis de la part des chrétiens comme
des musulmans.
Cependant :
Saint Paul écrit dans l’épître aux Romains[1363]
: « Dieu fait miséricorde à qui il veut et il endurcit qui il veut. » Il
veut signifier par là que l’aveuglement intellectuel d’Israël qui refuse la foi
au Christ est voulu par Dieu, à cause d’un plus grand bien qui doit en sortir.
Il dit aussi en parlant d’Israël qu’il est un[1364]
: « abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses
décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles! » C’est donc qu’en
Israël, sous la forme politique d’un peuple, se trouve symbolisé la totalité du
mystère du gouvernement de Dieu sur les hommes.
Conclusion :
D’après l’enseignement de saint Paul aux Romains, le fait que le
Peuple d’Israël n’ait pas reçu le Messie qui lui avait été envoyé, malgré les
nombreuses prophéties qu’il avait reçues à ce sujet, tient à deux choses :
1° à la responsabilité des chefs du peuple
qui dirigeaient ses destinées à cette époque. Et la raison en est, selon lui,
qu’ils avaient un zèle mal éclairé pour Dieu. Car ils désiraient servir Dieu
selon la manière qui leur paraissait juste, selon leur compréhension de la Loi,
c’est-à-dire à travers la soumission aux préceptes matériels, comme
l’observation du sabbat et d’autres choses du même genre. Mais ils refusèrent
de servir Dieu selon la manière voulue par Jésus, c’est-à-dire à travers la
justice du cœur[1365]
donnée par la foi, l’espérance et la charité. Et ils préférèrent tuer le Messie
malgré les signes évidents de son identité, plutôt que de réformer leur cœur.
Selon, Jésus, un autre motif plus caché motiva leur action : l’amour du
pouvoir.
Cependant, après la résurrection du Seigneur, une partie du peuple
reconnut Jésus pour le Messie et c’est eux qui devinrent le nouvel Israël de
Dieu qui prêcha l’Évangile par le monde entier, car les apôtres, fondement et
colonnes de l’Église furent tous Juifs. Ainsi furent réalisées dès cette époque
les prophéties qui annonçaient qu’un Messie douloureux serait donné à Israël et
règnerait sur les nations du monde entier.
2° Cela relève aussi et surtout, selon saint
Paul, d’une volonté mystérieuse de Dieu, selon l’Écriture sainte[1366]
: « Dieu leur a donné un esprit de torpeur : ils n’ont pas d’yeux pour voir,
pas d’oreilles pour entendre jusqu’à ce jour. » Or Dieu ne peut vouloir
directement et par soi un mal de peine tel que celui-ci. Il est donc évident
qu’il n’a pas voulu l’endurcissement de ce peuple par vengeance à cause de la
mort du Messie mais à cause d’un bien plus grand qui devait en sortir par la
suite. Et on ne peut en donner que quelques-uns uns des motifs cachés :
1° Un motif pratique : Par son
endurcissement, le peuple juif a permis que l’Évangile soit prêché à toutes les
nations, selon saint Paul[1367]
: « Leur faux pas a fait la richesse du monde. » En effet, les Juifs
ayant refusé l’enseignement des apôtres, ceux-ci furent conduits dès le début à
adresser leur prédication aux nations païennes. C’est ce qui est rapporté par
les actes des apôtres. Et il est probable que si les Juifs dans leur ensemble
s’étaient convertis au Seigneur, ils auraient été tentés de garder pour eux
cette nouvelle alliance à cause de leur sens trop aigu de leur préséance. De
même, il semble que vers la fin du monde, l’apostasie des nations permettra le
retour de l’alliance chrétienne en Israël.
2° Un motif de témoignage : il convenait
qu’une partie du peuple d’Israël reste endurci dans l’Ancienne Alliance afin de
demeurer aux yeux du monde un témoignage vivant de la lente maturation à la
venue du Christ qui avait été commencée en Abraham et continuée à travers Moïse
et les prophètes de ce peuple. Et ils témoignèrent de cette Ancienne Alliance
sur la terre entière après leur dispersion opérée par les Romains. Ils furent
pour les chrétiens et les musulmans les témoins vivants de l’Ancienne Alliance.
3° Une mission allégorique : Israël devait
demeurer pour les nations un signe important du mode d’action de Dieu sur tous
les hommes et toutes les nations. Par toute son histoire faite d’exil, de
dispersion et d’errance, cette nation constituait une image du sort de chaque
homme sur terre, qui erre loin de sa patrie jusqu’à l’entrée dans la vie
éternelle. Sans cesse attaquée par Satan, jusqu’à l’extrémité, son âme est en
danger perpétuel. Tel est en particulier le signe d’Auschwitz.[1368]
4° Une mission de révélateur : Ce petit
peuple, peu nombreux et dispersé dans le monde entier fut placé par Dieu devant
les nations comme un révélateur de l’orgueil. Il en fit une pierre
d’achoppement pour les arrogants. En effet, à chaque fois qu’une nation, une
religion, un groupe humain fut saisi par la certitude d’être la meilleure, elle
persécuta infailliblement les Juifs. Sans doute l’orgueil ne supporte-il pas
celui qui, peu nombreux et faible dans son sein, est différent. Infailliblement
aussi, le peuple en question fut frappé par la suite par le destin et ramené à
plus d’humilité.
4° Une mission eschatologique : Enfin et
surtout, Israël est un signe grandiose gardé jusqu’à la fin pour annoncer le
retour du Christ et la fin du monde. C’est ce que veut signifier l’apôtre quand
il dit que "La conversion d’Israël sera une résurrection d’entre les morts".[1369] On peut même dire que le peuple d’Israël
sera l’un des signes les plus importants à la fin du monde, lorsque la
proximité du retour du Christ sera annoncée. En effet, les signes concernant
Israël sont explicitement annoncés dans l’Écriture et se réaliseront de manière
visible dans l’histoire[1370],
et non seulement de manière spirituelle pour les contemplatifs. Israël reste le
peuple élu pour annoncer la terre promise.
Solution 1 :
Les prophéties contenues dans le Testament juif n’ont plus de
raison d’être en tant qu’elles annoncent la venue prochaine du Messie
puisqu’elles sont réalisées. Il convient cependant qu’elles demeurent vécues
par un peuple qui sert aux autres de mémorial de l’état ancien de l’humanité.
Cependant, certaines prophéties de l’Ancien Testament demeurent partiellement
inaccomplies comme celles qui annoncent la venue du Messie glorieux qui
manifestera sa lumière à toutes les nations, selon Isaïe[1371].
"Alors la gloire de Yahvé se révélera et toute chair, d’un coup, la
verra, car la bouche de Yahvé a parlé. »
Solution 2 :
Le judaïsme devait être dispersé à la face des nations, jusqu’à la
fin des temps, pour témoigner de la promesse de Dieu faite à Abraham et dont
toutes les nations bénéficiaient grâce à Jésus Christ d’un côté et à l’islam de
l’autre. Mais cette dispersion cessera vers la fin au monde pour que ce peuple
témoigne du retour prochain du Messie, comme nous le verrons.
Solution 3 :
Il est vrai que le peuple d’Israël est un peuple entêté. Pourtant,
cette force qui le caractérise n’aurait pas suffi pour résister à plusieurs
siècles d’exode parmi d’autres nations qui, sans cesse, l’a persécutés à cause
de sa religion jusqu’à le massacrer. C’est ce qu’on peut déduire du fait que
certaines tribus d’Israël disparurent complètement, en quelques siècles, en
s’assimilant au peuple babylonien chez qui ils s’étaient exilés avant la venue
du Christ. Seules les tribus de Judas, de Benjamin et de Lévi subsistent encore
aujourd’hui. Cela ne peut s’expliquer sans un secours de Dieu.
Solution 4 :
Saint Paul écrit aux Romains[1372]
: « La parole de Dieu n’a point failli. Car tous les descendants d’Israël ne
sont pas Israël. » Les véritables fils d’Abraham sont ceux qui ont la foi
comme lui et non ceux qui descendent de lui selon la chair. C’est pourquoi on
peut dire que le nouvel Israël de Dieu est l’Église.
Solution 5 :
La révélation chrétienne tout entière n’a qu’un but ultime :
montrer que Dieu, lui, ne trahi jamais une Alliance conclue. Affirmer qu’Israël
aurait été rejeté par Dieu des suites de la passion du Christ est donc la plus
parfaite contradiction qu’on puisse imaginer avec le contenu de la foi
chrétienne. De même, les persécutions et massacres subis sont loin d’être un
signe de malédiction de la part de celui qui a dit [1373]
: « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je
vous soulagerai, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez
soulagement pour vos âmes. » Il est donc essentiel de chercher ailleurs le
sens des malheurs d’Israël.
Objection 1 :
Il semble qu’il n’y aura pas de signes concernant le Judaïsme à la
fin des temps. En effet, en tuant le Christ, les chefs de cette religion se
sont séparés de Dieu. Ils sont rejetés pour toujours de l’Alliance, selon cette
parole de Jésus[1375]
: « Ils t’écraseront sur le sol, toi et tes enfants au milieu de toi. Ils ne
laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le temps
où tu fus visité. »
Objection 2 :
Le peuple d’Israël servit, avant la venue du Christ, de signe pour
les nations du monde entier auxquelles devait être révélé le Messie douloureux
et crucifié. Il convient que ce soit l’Église qui soit, après sa venue, le
nouvel Israël qui serve de signe pour le retour glorieux du Christ.
Objection 3 :
La destruction du Temple de Jérusalem ne peut être considérée
comme un signe du retour du Christ puisqu’elle a eu lieu il y a bien longtemps,
sans que rien ne se soit passé.
Objection 4 :
De même, la dispersion est plus signe de la punition du péché
d’Israël que de la proximité de la venue du Christ. C’est ce au affirme le
Deutéronome[1376]
: « Puisque tu n’auras pas obéi à la voix de Yahvé ton Dieu, vous serez
arrachés à la terre où tu vas entrer pour en prendre possession. Yahvé te
dispersera dans toutes peuples, d’un bout du monde à l’autre. »
Objection 5 :
De même, les persécutions doivent être considérées comme des
peines justifiées par le grave péché commis contre Jésus selon le souhait
imprudent du peuple[1377]
: « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants. » C’est, ce
qu’annonce Moïse dans le Deutéronome[1378]
: « Puisque tu n’auras pas servi Yahvé ton Dieu, il suscitera contre toi une
nation lointaine, des extrémités de la terre, comme l’aigle qui prend son
essor. Elle mangera le fruit de ton bétail, jusqu’à te détruire. »
Objection 6 :
Le retour au peuple juif dans sa terre ne peut être considéré
comme un signe donné par Dieu. En effet, il ne fut pas produit en 1948 par la
foi mais par la nécessité d’en finir avec les persécutions et il fut conduit
par des hommes qui ne croyaient pas en Dieu. Il fut d’ailleurs porté par des
idéologies politiques discutables comme le marxisme et le sionisme.
Objection 7 :
N'y a-t-il pas une huitième prophétie de
Jésus sur le peuple juif ? [1379] : « Je suis venu
au nom de mon Père, et vous ne m'avez pas reçu ; un autre viendra en son nom et
vous le recevrez. »
Autrement dit : Jésus prophétise que les Juifs acclameront l'Antéchrist
comme leur Messie...
Cependant :
L’Apocalypse écrit[1380]
: « Un signe grandiose apparut au Ciel : une Femme! Le soleil l’enveloppe,
la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête. Elle est
enceinte et crie dons les douleurs et le travail de l’enfantement. » Or
Israël est semblable d une femme puisqu’elle est l’épouse de Dieu qui est comme
le soleil et qui l’entoure. Et les douze étoiles sont les douze fils de Jacob
qui l’ont fondé. Donc il y aura des signes concernant le judaïsme à la fin du
monde.[1381]
Conclusion :
À cause de la mission unique qui fait du peuple d’Israël le peuple
élu, celui qui annonce et prépare la venue du Messie, on doit admettre qu’il
sera pour le monde entier un signe important de la venue du Christ à la fin du
monde. Ce qui est particulier dans ce peuple, c’est que Dieu à fait des
évènements profanes de son histoire politique une parabole du salut, quelles
que soient ses fidélités ou infidélités. Et le Seigneur, dans les évangiles ou
dans l’épître de saint Paul aux Romains, donne cinq prophéties concernent
l’avenir de ce peuple et le retour du Christ :
1° Il annonce que le Temple de Jérusalem sera
détruit[1382]
: « En vérité, je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui
ne soit jetée bas. » Et le temple sera remplacé par un temple consacré aux
idoles[1383]
: « Vous verrez l’abomination de la désolation installée dans le lieu saint.
»
2° En second lieu, le Seigneur annonce que le
peuple juif sera déporté parmi toutes les nations[1384]
: « Il y aura grande détresse sur la terre et colère contre ce peuple. Ils
tomberont sur le tranchant du glaive et ils seront emmenés captifs dans toutes
les nations. »
3° En troisième lieu, il y aura des malheurs
et des massacres perpétrés contre ce peuple[1385]
: « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi! Pleurez plutôt sur
vous-même et sur vos enfants! Car voici venir des jours où l’on dira :
heureuses les femmes stériles, les entrailles qui n’ont pas enfanté, et les
seins qui n’ont pas nourri! Alors, on se mettra à dire aux montagnes : Tombez
sur nous! Et vous, collines, couvrez-nous. »
4° -En quatrième lieu, ce peuple reviendra
dans la terre d’Israël et prendra à nouveau possession de la ville sainte[1386]
: « Jérusalem sera foulée par les païens jusqu’à ce que soient accompli le
temps des païens. » Le retour d’Israël marquera donc la fin du temps
accordé aux païens pour inaugurer un temps de grâces accordées à Israël[1387].
5° Enfin Saint Paul annonce un dernier signe
qui précèdera immédiatement le retour du Christ dans sa gloire : Israël se
convertira et reconnaîtra Jésus comme étant le Messie[1388]
: « leur mise à l’écart de l’Alliance fut une réconciliation pour le monde,
que sera leur admission, sinon une résurrection d’entre les morts. » De
même Jésus annonce[1389]
: « Vous ne verrez plus jusqu’à ce qu’arrive le jour où vous direz : Béni
soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Ce qui signifie que, le jour où
ils accepteront le Messie, celui-ci se montrera a eux à nouveau.
Ces cinq prophéties seront d’une façon grandiose signe du retour
du retour du Christ car elles ne se réaliseront pas seulement d’une manière
perpétuelle comme on l’a dit pour les guerres et les tremblements de terre.
Elles se réaliseront d’une manière matérielle, à une date fixée par Dieu, de la
même manière que les premières qui sont déjà réalisées. 1° Ainsi, vit-on en 70 après Jésus Christ, le général romain Titus
raser complètement le Temple de Jérusalem. 2°
Puis au IIème siècle, à la suite d’une dernière révolte juive,
le reste de la population d’Israël fut déportée ; L’empereur fonde une nouvelle
ville à la place des ruines de Jérusalem : « Hélia Capitolina. » Sur le
lieu du temple, un temple dédié à Jupiter est construit. Pour les Juifs, « l’abomination
de la désolation » dont parle le prophète Daniel 9, 27, est dans le
lieu saint. 3° Les malheurs et les
persécutions ne cessèrent de s’abattre sur les communautés juives dispersées
jusqu’à la persécution la plus récente et les massacres de millions de juifs à
Auschwitz[1390].
4° Enfin en 1948, la création du
nouvel Etat d’Israël en Palestine marque une nouvelle étape, non encore
pleinement réalisée puisque Jérusalem n’est pas entièrement redevenue une ville
juive. Les prophéties se réalisant ici matériellement, on peut savoir avec
certitude que lorsque Jérusalem deviendra la capitale du seul Etat juif, c’est
que, de manière concomitante, le temps des nations sera terminé pour laisser
place à une autre période, mondialiste.
Ces
prophéties politiques, adaptées à la vision de tous les hommes, y compris des
hommes charnels, n’ont rien de superficiel. C’est toute l’économie du salut qui
est signifiée ici, avec la même force qu’elle l’était dans l’histoire sainte de
l’Ancien Testament.
Solution 1 :
Il est faux et gravement hérétique à cause des conséquences qu’une
telle affirmation a historiquement eu, d’affirmer que le peuple d’Israël est
maudit, car Dieu ne fait pas payer aux enfants la faute de leur père. Saint
Paul affirme en effet[1391]
: « Dieu aurait-il rejeté son peuple ? Certes non. » Et selon lui, le
gouvernement de Dieu sur Israël est l’un des « abîmes de richesse, de
la sagesse et de la science de Dieu ».[1392]
Il veut signifier qu’il s’agit d’un mystère que l’homme ne peut qu’approcher et
dont l’explication finale sera donnée en plénitude après la venue du Christ,
lors jugement général de l’humanité[1393].
Solution 2 :
Dieu ne se repent pas de ses choix. Israël reste donc, même après
la première venue du Christ, signe des temps pour les nations. De même
qu’actuellement l’Église révèle au monde le Messie douloureux mort pour le
salut de tous, de même Israël, coopère avec l’Église pour révéler au monde
l’espérance d’un Messie glorieux qui viendra régner sur le monde et sauver son
peuple des holocaustes successifs qu’il a subis. En dans cette espérance, le
judaïsme rejoint le christianisme et l’islam, avec des nuances cependant : Pour
l’islam, le Messie Jésus n’est qu’un homme saint, pour les chrétiens, il est le
Verbe fait homme, pour les Juifs, son identité est ignorée.
Solution 3 :
La
destruction du Temple d’Israël marque l’entrée dans un nouveau temps qui est
celui de la nouvelle Alliance, où Dieu ne sera plus adoré sur une montagne,
mais au fond des cœurs, en esprit et en vérité. Et ce temps est le dernier qui
sera accordé à l’humanité car il n’y aura pas d’autre alliance avant celle de
la vision béatifique.
Cependant, prise en un sens symbolique, cette destruction
préfigure celle que devra subir le nouveau temple qui est l’Église dans un
holocauste final qui précèdera la glorification du monde.
Solution 4 :
La
dispersion du peuple d’Israël ne doit pas être considérée comme une punition
pour l’acte commis par ceux qui ont tué Jésus car ce péché leur a été imputé
personnellement lors de leur jugement particulier. Cette dispersion est donnée
aux nations comme un signe prophétique qui manifeste les conséquences
auxquelles aboutit tout péché. C’est donc un signe apocalyptique de la
dispersion que connaîtront les pécheurs à la fin du monde lorsqu’ils passeront
en jugement. En subissant une telle épreuve, le peuple d’Israël réalise pour
Dieu son rôle de peuple de prophètes donnés à toute la terre.
Le Christ n’a pas été tué par les seuls Juifs ou par quelques
soldats romains. Il l’a été par chacun de nous, dans la mesure où il est mort
pour le péché de nous tous. Aussi il serait vain d’affirmer que les persécutions
que subissent les Juifs sont des punitions du meurtre de Jésus. Il faut plutôt
affirmer qu’Israël est donné aux nations comme un témoignage prophétique des
conséquences terribles auxquelles aboutissent les péchés puisqu’ils tuent la
vie de l’âme, d’une manière analogue à la barbarie des persécuteurs lorsqu’ils
massacrent un peuple innocent. Le peuple d’Israël persécuté est donc signe de
la fin du monde où se manifestera la haine implacable du démon contre les
enfants de Dieu.[1394]
Solution 6 :
Le peuple juif n’est pas signe des temps par sa volonté propre
mais par la volonté de Dieu qui fait de son histoire une histoire sainte dont
le sens symbolique témoigne des mystères présents dans toute l’humanité et dans
l’âme de chacun. C’est pourquoi, le retour dans la terre d’Israël doit être
considéré comme un signe des temps en soi, même si les circonstances politiques
sont humaines.
Il en est
de même pour les cinq prophéties rappelées dans la conclusion. Leur
signification spirituelle apparaît avec évidence à celui qui est habitué à lire
de l’intérieur le reste de l’Histoire Sainte rapporté par la Bible : On y voit
symboliquement manifestées une multitude de choses spirituelles. Toute
l’histoire du Salut y est inscrite à travers des allégories proches de celles
du livre de l’exode. Comme aux temps anciens, ce peuple est et demeure un signe
grandiose établi par Dieu à la face des nations.[1395]
Solution 7 :
Dans ce texte, Jésus s'adresse non au
peuple juif dans son ensemble mais au deuxième sens de ce mot dans les évangiles
: à savoir aux autorités Juives (pharisien, lévites etc.) qui le rejetaient.
Le peuple Juif dans son ensemble est à
l'image de tous les peuples. Jamais il ne trahit entièrement. Certains Juifs
choisissent les Antéchrists de chaque époque, d'autres les refusent. Et
l'antisémitisme est juste la généralisation que font les non juifs, dans un
mécanisme de bouc émissaire décrit par René Girard : chacun est tenté
d'identifier le tempérament ou l'action de tel Juif qu'il n'aime pas, à la
totalité des Juifs. C'est une attitude liée à l’orgueil.
Pour en revenir à cette prophétie, elle
s'est donc réalisée une première fois en 70 ap. JC : Un tiers du peuple juif a
suivi la folle révolte militaire des prêtres et des zélotes, précipitant la
nation entière dans la ruine. Ils ont suivi « un autre. » Au cours
des temps, de même, des parties du peuple Juif ont suivi divers Antéchrist
(capitalisme pur, puis Marx, Lénine, etc.) A la fin du monde, il est certain
qu'une partie du peuple Juif, imitant le monde entier, suivra avec enthousiasme
le dernier Antéchrist.
Mais attention : Les autorités Juives
d’Israël, à cette époque là, se comporteront héroïquement et pour le vrai Dieu,
comme le firent les frères de Joseph lors de la terrible épreuve de la coupe
volée (livre de la Genèse).
Comment cela se réalisera-t-il dans les
détails ? On l'ignore. Mais c'est une certitude théologique rapportée par saint
Paul.
Objection 1 :
Il semble difficile d’affirmer que l’histoire de Joseph, rapportée
par la genèse 37, est une allégorie annonçant la manière dont le Christ se
révélera aux Juifs à la fin au monde. En effet l’Écriture rapporte que Joseph
mit ses frères à l’épreuve avant de leur manifester son identité. Il fit
accuser le plus jeune frère Benjamin d’un vol qu’il n’avait pas commis. On ne
voit pas à quoi peut correspondre une telle épreuve si elle doit être appliquée
su peuple Juif à la fin du monde.
Objection 2 :
L’histoire d’Israël montre que les conversions qui eurent lieu
furent provoquées par la vision de miracles incontestables tels ceux opérés par
saint Vincent Ferrier ou par des apparitions comme celle que reçu le Père
Ratisbonne. Il semble donc qu’il en sera de même à la fin du monde.
Objection 3 :
Lorsque le Christ apparaîtra dans le Ciel, entouré de lumière et
de gloire, les Juifs reconnaîtront le Messie douloureux. En effet, ils le
refusent à cause de sa douleur et ne veulent espérer qu’un Messie glorieux. Ils
seront donc convaincus par un miracle de ce genre et non par autre chose. C’est
d’ailleurs de cette manière que les Juifs reconnaissent le Messie à l’heure de
leur mort depuis la résurrection du Christ.
Objection 4 :
Il semble
qu’on doive plutôt admettre que le peuple d’Israël, à force de lire les
prophéties explicites de la Bible, parlant du serviteur douloureux seront
convaincus de la réalité de la mission messianique de Jésus crucifié.
Cependant :
Au sens
littéral, l’Écriture ne dit rien sur la manière dont Israël sera réintégré dans
l’Alliance divine. On ne peut rien affirmer de définitivement concluant en ce
domaine mais il est possible, de plusieurs manières, connaissant la manière
divine d’agir, d’inférer les grandes lignes de cette histoire.
Conclusion :
À propos de la manière dont Israël découvrira le Christ,
il n’y a rien de pleinement certain si ce n’est ceci : la conversion d’Israël
en tant que peuple aura lieu. Elle sera un signe de la résurrection des morts.
Elle sera opérée par Dieu, à
l’heure de sa sagesse, puisqu’il est seul capable d’ouvrir le cœur par sa grâce[1397].
Quant au mode de ce changement, rien n’est pleinement certain car on ne peut fonder
une théologie que sur des textes de l’Écriture ou du Magistère qui parlent
d’une manière littérale de ces choses.
Lorsqu’on se
trouve devant une telle question, il faut chercher s’il n’existe pas une
allégorie biblique où Dieu manifeste comment il se réconcilie un ancien ami[1398]. Or il en
existe deux au moins dont le récit peut éclairer ce mystère[1399]. Le premier est
une parabole de Jésus racontant l’histoire d'un homme qui avait deux fils[1400]. Le deuxième
concerne ce chapitre puisqu’il raconte la manière dont Dieu peut préparer,
longtemps à l’avance une réconciliation. Il s’agit de l'histoire de Joseph[1401] et chacune des
péripéties de cette histoire semble constituer une annonce du Christ face à ses
frères Juifs. Il était le fils préféré de son père Jacob car il était le seul
enfant de l’épouse qu’il aimait, Rachel. Pour le lui prouver, il lui avait fait
faire une tunique bariolée, signe extérieur de sa préférence. Or ses dix frères
se mirent à le jalouser. Ils ne cessaient de l'importuner, se moquant des rêves
prémonitoires qu’il faisait et leur racontait. Un jour, son père l’envoya
porter de la nourriture aux champs pour ses frères qui y gardaient les
troupeaux. Ceux-ci le virent venir de loin et décidèrent de le tuer. Ils se
saisirent de lui, le jetèrent dans un puits et, avisant une caravane de
marchands qui passait, le vendirent pour la somme de 20 pièces d'argent. Ils
égorgèrent un agneau, mirent le sang sur sa tunique, et la montrèrent au père
en disant : « certainement, un fauve l'aura dévoré ”. Jacob fut
inconsolable. Il reporta son affection sur un second fils de Rachel, né
pendant sa vieillesse. Benjamin naquit et sa mère mourut en le mettant au
monde. Joseph fut vendu comme esclave en Égypte. Le roi du pays remarqua ses
talents. Il l’éleva et en fit le premier de ses serviteurs. Il lui confia la
responsabilité de nourrir le pays tout entier.
Cette histoire,
pourtant réelle, est aussi une allégorie. Joseph vendu par ses frères puis
établi comme maître du pain de toute la terre d'Égypte n’est autre que la
figure de Jésus qui, après sa mort douloureuse, put donner le pain du Ciel à
toutes les nations païennes. Rachel sa mère, préférée de Jacob et morte en
mettant au monde le petit Benjamin symbolise et annonce Marie, la mère de
Jésus, morte dans son cœur de mère au pied de la croix en mettant au monde
l'Église. Il suffit de lire le texte pour s'apercevoir des correspondances
étonnantes.
En gardant la
même méthode et en remplaçant le personnage de Joseph par Jésus, celui de
Pharaon par Dieu, de l’Égypte par les nations chrétiennes, de Rachel par Marie,
de Benjamin par l’Église, des dix frères pécheurs par le peuple juif, on
assiste comme dans une prophétie à la suite des temps. En effet, le récit
raconte ensuite comment Joseph, devenu maître du pays d'Égypte, se réconcilia
avec ses dix frères criminels. "Puis il advint une grande famine sur toute
la terre. L'Égypte (les peuples), gardée par l'intelligence de Joseph, ne
manquait de rien. Jacob et ses fils (Israël) n’eurent bientôt plus rien et,
apprenant que l'Égypte vivait dans l'abondance, ils décidèrent de s’y rendre et
d'acheter à prix d'or du pain. Mais Jacob ne voulut pas que son fils Benjamin
accompagne les dix autres frères, redoutant quelque chose pour sa vie. Arrivés
en Égypte, ils furent reçus par Joseph qui les reconnut. Mais eux ne le
reconnurent pas car il était vêtu en Égyptien. Alors, volontairement, Joseph
leur parla mal et dit les soupçonner d'être des espions venus observer la
faiblesse du pays. Eux nièrent et se proclamèrent onze frères fils d'un même
père et poussés par la famine vers l'Égypte pour y acheter du pain. Joseph fit
semblant de ne pas les croire. Il garda Siméon en otage exigeant d'eux qu’ils
reviennent avec leur plus jeune frère Benjamin pour prouver leur bonne foi. Ils
partirent donc, inquiets et mortifiés, se demandant si Dieu ne leur faisait pas
ainsi payer leurs crimes envers Joseph. Arrivés devant Jacob, il leur raconta
les exigences du maître de l'Égypte mais lui ne voulut pas laisser partir
Benjamin, effrayé pour sa vie. La famine se fit plus dure sur le pays. Il
fallut, sous peine de mort, retourner en Égypte. Alors Jacob (que Dieu appelle
aussi Israël) laissa partir son fils Benjamin avec eux. Les fils d’Israël
arrivèrent donc devant Joseph qui les reçut bien, fit libérer Siméon et les
invita à sa table. Ils ne le reconnurent toujours pas. Alors qu'ils
s’apprêtaient à partir, Joseph dit à son intendant : « Tu cacheras la coupe
en argent, celle dont je me sers pour lire l’avenir, dans le sac du plus jeune.
» Les fils d’Israël étaient partis depuis peu, lorsque Joseph dit à son
intendant : « Rattrape-les, reproche-leur le vol. » L'intendant le fit.
Mais eux nièrent en disant : « fouille nos sacs. Celui chez qui on trouvera
la coupe, mourra et nous, nous serons tes esclaves. » « Soit,
répondit l'intendant, celui chez qui on trouvera la coupe sera mon esclave et
les autres seront libres de partir. » On fouilla les sacs et on trouva la
coupe chez Benjamin. Alors les fils d’Israël déchirèrent leurs vêtements et
revinrent vers la ville. Ils entrèrent dans la maison de Joseph et Judas,
celui-là même qui avait pris la décision de le vendre aux marchands[1402] lui dit en
substance : « Benjamin est le seul fils qui reste à notre père depuis que
Joseph a disparu. S'il ne revient pas, notre père mourra et je porterai la
culpabilité de sa mort. Alors laissez partir l’enfant et prends-moi comme
esclave à sa place. » Devant cette attitude de ses frères, Joseph ne put se
contenir plus longtemps. Il fit sortir tous les Égyptiens présents et éclata en
sanglots. Il leur dit : « Je suis Joseph, mon père vit-il encore ? » et
ses frères ne purent lui répondre car ils étaient bouleversés de le voir. Alors
Joseph dit à ses frères : « approchez-vous de moi. Ne soyez pas triste de
m’avoir vendu ici en Égypte car c’est pour préserver vos vies que Dieu m’a
envoyé devant vous. »
Tel est le
résumé des épreuves que Joseph imposa à ses frères avant de se révéler à eux.
Il voulut voir de ses yeux s'ils avaient changé, s'ils se comporteraient avec
Benjamin comme ils s’étaient comportés avec lui. Or ils ne voulurent pas le
livrer. Au contraire, Judas le plus coupable de tous se proposa pour être
esclave à sa place.
Il s’agit aussi
d'une allégorie nous racontant la manière dont Jésus procédera vers la fin du
monde avec le peuple juif. Elle indique de quelle manière Jésus mettra à
l’épreuve ses frères juifs. Benjamin semble symboliser l'Église, du moins ses
restes à la fin du monde. Sera-t-elle protégée un temps par les chefs du peuple
d’Israël ? Prendront-ils la décision d'empêcher sa destruction totale par les
forces de l’Antéchrist ? Il semble en tout cas, si l’on suit cette allégorie
prophétique, qu’ils ne se comporteront plus de la même manière qu’au temps de
Jésus. Certains théologiens de jadis affirmèrent que le dernier pape
reviendrait mourir à Jérusalem : « Il ne
convient pas qu’un prophète meure en dehors de Jérusalem », disait Jésus[1403]. Dieu se plaît
en effet à réaliser de manière historique ce qu’il veut signifier au sens le
plus spirituel. Alors, bouleversé par le changement des Juifs, Jésus se
révélera à eux dans toute sa gloire de Roi de la Terre. Ainsi se réalisera la
parole donnée au Sanhédrin par le Christ douloureux : « Vous verrez le Fils
de l’homme siégeant à la droite de la puissance et venant avec les nuées du
Ciel ».[1404]
Solution 1 :
D’après certains auteurs[1405],
Benjamin symbolise l’Église. En effet, de même que Rachel a eu deux fils,
Joseph et Benjamin et qu’elle est morte en mettant au monde Benjamin, de même
la Vierge Marie a deux fils, Jésus et l’Église. Elle mit au monde l’Église à la
croix en mourant dans son cœur avec son fils aîné. Selon eux, l’allégorie de
Joseph doit donc être interprétée comme il suit : Vers la fin du monde, Dieu
permettra que l’Église soit persécutée de telle façon que son petit reste sera
obligée de s’exiler vers Jérusalem. Sa survie sera donc dépendante du peuple
juif qui acceptera de la protéger, effaçant du même coup l’acte par lequel ses
ancêtres avaient éliminé le Christ qui venait les sauver. Alors la grâce de la
conversion leur sera accordée par Dieu.[1406]
Solution 2 :
Il dépend de Dieu seul de convertir les cœurs. Il peut le faire en
disposant l’âme à la réception de la grâce par les signes ou par des miracles
ou encore par l’infusion sensible du Saint Esprit. Il peut aussi le faire par
la seule prédication de ses apôtres, qu’il rend efficace avec les charismes.
C’est ce que veut exprimer cette parole du Seigneur : « Dieu peut de ces
pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham. » Seules les âmes
définitivement perverties dans le péché peuvent résister à la manifestation du
seigneur et à la conversion. Ainsi, s’il ne le fait pas, c’est qu’il ne le veut
pas. C’est pourquoi on doit dire que Dieu se réserve la conversion d’Israël
pour la fin du monde.
Solution 3 :
Il est vrai que l’apparition glorieuse du Messie à la fin du monde
réalisera la conversion de la totalité d’Israël, parce qu’elle prouvera à
toutes les intelligences la vérité de sa mission. Cependant, on peut se
demander si cette conversion se fera juste avant cette parousie ou en même
temps qu’elle. Les deux opinions sont soutenables car toutes deux auront un
sens très profond. Je penche pour ma part pour la première opinion pour la
raison suivante : c’est en ce monde, dans la nuit de l’errance et non dans la
pleine lumière que la totalité des Écritures sera accomplie.
Solution 4 :
L’expérience
montre que la lecture des Écritures na suffit pas à convaincre les Juifs de la
nature de Jésus Christ si elle n’est pas accompagnée de la grâce de Dieu qui
seule peut ouvrir le sens caché des Écritures selon Luc[1407].
De tout cela, on doit conclure que la conversion d’Israël est repoussée jusqu’à
la fin du monde à cause de la volonté de Dieu qui veut inscrire son salut
jusque dans l’aventure de l’histoire des nations.
A propos de l’Église, nous nous poserons huit questions :
1° Y aura-t-il des martyrs ?
2° L’évangile doit-il être prêché à toutes
les nations ?
3° L’Église doit-elle subir un martyre vers
la fin du monde ?
4° Peut-on savoir comment se produira ce
martyre ?
5° L’heure de l’Église sera-t-elle annoncée
par la papauté ?
6° Sera-t-elle annoncée par la liturgie ?
7° L’Abomination de la désolation doit-elle
s’installer dans le siège Apostolique ?
8° Le Christ, lorsqu’il viendra,
trouvera-t-il la foi sur la terre ?
9° Pourquoi Dieu permettra-t-il ce mal avant
le retour du Christ ?
Objection 1 :
Il ne convient pas qu’il y ait des martyrs sanglants. En effet, le
Seigneur a donné à ses apôtres le pouvoir de chasser les démons, d’accomplir
des miracles. Ils doivent donc pouvoir se défendre, selon ce texte de l’Apocalypse[1408]
: « Si l’on s’avisait de les malmener, un feu sortirait de leur bouche pour
dévorer leurs ennemis. »
Objection 2 :
Le Christ
a donné par son martyr un témoignage suffisant aux nations. Il paraît donc
inutile que d’autres donnent leur vie à sa suite.
Cependant :
« Avant tout cela, on portera la main sur vous, on vous
persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous traduira
devant des rois et des gouverneurs à cause de mon Nom, et cela aboutira pour
vous ou martyr ».[1409]
Conclusion :
Les
martyrs sont pour le monde signes de sa fin prochaine puisqu’ils manifestent
par le don de leur vie le peu de prix qu’ils accordent aux choses de la terre
en comparaison de la gloire spirituelle qui est préparée aux hommes pour
l’au-delà. C’est pourquoi il convient que chaque génération ait des martyrs.
Vers la fin du monde, les martyrs seront plus nombreux à cause de la
persécution du démon qui, sentant son temps compté, suscitera un homme perverti
qui luttera contre les saints. C’est pourquoi les martyrs des derniers temps
seront encore plus immédiatement signes de la fin du monde.
Il se peut
cependant qu’ils ne soient pas tous des martyres sanglants. Les méthodes de
l’Antéchrist seront plus efficaces et plus subtiles. L’Apocalypse en donne une
idée[1410]
: « Nul ne pouvait plus ni acheter ni vendre s’il n’était marqué de du signe
de la Bête. » Ce martyr, s’il ne va pas jusqu’au don de la vie, peut
nécessiter une plus grande force car il est donné goutte à goutte, jour après
jour. L’ennemi est plus difficile à identifier et s’insinue plus dangereusement
dans les pensées qu’un tyran bien repéré. S’il en est ainsi, l’Église réalisera
à la fin de son histoire l’image première de son martyre : Jésus fut crucifié
et Marie, reine des martyres, ne le fut que dans son âme.
Solution 1 :
Le pouvoir donné par le Seigneur à ses apôtres et à son Église
tout entière, rend invincible face aux attaques de ceux qui veulent contredire
la parole de Dieu, selon le Seigneur[1411] :
« Mettez-vous dans l’esprit que vous n’aurez pas à préparer d’avance
votre défense : Car moi je vous donnerai un langage et une sagesse, à quoi nul
de vos adversaires ne pour résister ni contredire. » Et le martyr sanglant
lui-même parachève cette victoire. C’est pourquoi le Seigneur disait à sainte
Jeanne d’Arc, pour lui annoncer son martyr : « Tu seras délivrée de tes
agresseurs par grande victoire. »
Solution 2 :
Par leur
martyr, les saints rendent visible à travers la durée de tous les temps
l’unique martyr accompli par le Christ. D’autre part, ils appliquent à leur
génération d’une manière efficace les grâces obtenues par la passion du
Seigneur. En ce sens, ils peuvent être nommés co-rédempteurs. C’est ce que veut
exprimer saint Paul[1412]
: « Je complète dans ma chair par les souffrances que j’endure pour vous ce
qui manque aux épreuves du Christ. » Par son efficacité, le sang des
martyrs est semence de chrétiens.
Objection 1 :
Il semble que l’Évangile ne sera pas prêché à toutes les nations
puisque le Seigneur dit à ses apôtres[1413]
: « qu’ils n’achèveront pas le tour des villes d’Israël avant que ne vienne
le fils de l’homme. »
Objection 2 :
Le Seigneur lui-même ne semble pas vouloir que toutes les nations
entendent l’annonce de l’Évangile, selon les Actes des apôtres[1414]
: « Le Saint Esprit les empêcha d’annoncer la Parole en Asie. Ils tentèrent
d’entrer en Bithynie, mois l’Esprit de Jésus, ne le leur permis pas. »
Objection 3 :
Il semble que la prédication de l’Évangile à toutes les nations ne
soit pas un signe de la fin du monde. En effet, dès les temps apostoliques,
cette prophétie fut réalisée selon saint Paul[1415]
: « l’Évangile que vous avez entendu a été prêché à toutes les créatures
sous le Ciel. »
Objection 4 :
La
réflexion théologique a désormais donné à ce signe sa vraie dimension : on
admet en effet que l’annonce du Christ intéresse chaque individu qui est appelé
à s’ouvrir à lui, même si c’est seulement d’une manière implicite. Depuis
toujours, le drame de l’accueil ou du refus de la Vérité est universel, et ce
signe, loin d’être interprété d’une façon purement géographique, doit être
conçu comme l’affirmation que tout homme, lors de la venue du Christ, sera jugé
selon ses œuvres d’adhésion ou de rejet de la vérité ; il n’y a pas de possibilité
de rester neutre.[1416]
Cependant :
Le
Seigneur annonce[1417]
: « Il faut d’abord que l’Évangile soit proclamé à toutes les nations. »
Conclusion :
Il est
nécessaire que la bonne nouvelle du salut proposé par Dieu soit prêchée à
toutes les créatures spirituelles. En effet, comme on l’a vu, Dieu a créé les
anges et les hommes en vue de communiquer sa gloire à ceux qui l’aiment. Or nul
ne peut être introduit dans la gloire s’il ne la veut et nul ne peut la vouloir
comme sa fin dernière s’il n’en connaît l’existence. C’est pourquoi, tous les
hommes de tous les temps, les anges eux-mêmes et, s’il existe d’autres formes
de vie spirituelle, tous ces êtres reçoivent l’annonce de l’Évangile, chacun
cependant selon le mode de sa nature.
C’est
pourquoi les anges reçurent au jour de leur Création la prédication de
l’Évangile, selon le mode qui leur est connaturel, c’est-à-dire par l’infusion
dans leur âme du contenu intelligible de cette parole de Dieu.
Quant à
l’homme, pour la même raison, il reçoit depuis toujours la prédication
explicite de la venue du Messie de la charité pendant sa vie terrestre. Nous
avons montré que cette prédication était la plupart du temps réalisée à l’heure
de la mort par l’ange du Seigneur. Mais il existe bien d’autres modes, selon
l’époque où il vit.
Les
premiers humains reçurent la prédication de l’Évangile à travers le premier
père et la première mère Adam et Ève, qui le tenaient eux-mêmes de la
grâce originelle. Ceux-ci
devaient transmettre l’amour du salut éternel à leurs enfants. Mais, par leur
péché, ils se révoltèrent contre l’humilité de leur condition et séparèrent de
l’évangile l’humanité qui devait sortir d’eux. Ainsi, le contenu de l’Évangile
fût-il perdu par l’homme. Il n’en demeura plus qu’un vestige à travers la
promesse du Seigneur d’une rédemption future, selon la Genèse[1418]
: « Ta descendance écrasera la tête du serpent. » Et, jusqu’à la venue
du Christ, les hommes furent disposés à recevoir le salut par la foi en la
promesse d’une rédemption future. Une telle promesse qu’ils recevaient dès
cette terre ou au moment la mort ne pouvait, si elle était reçue par une âme
favorablement disposée, les introduire immédiatement dans la gloire éternelle.
Les morts devaient attendre dans les limbes la venue du Nouvel Adam et de la
nouvelle Ève qui annuleraient la révolte des premiers parents et effacerait la
dette des péchés commis par le monde entier. C’est ce qui fut accompli à
l’heure de la mort du Christ. C’est pourquoi le rideau du Temple se déchira et
le cœur du Christ fut ouvert, ce qui symbolise que désormais, l’entrée dans la
vision béatifique qui est le Saint des saints était possible à tout homme
aimant Dieu. Selon saint Pierre, durant les trois jours du sépulcre, le Christ
descendit aux enfers[1419]
: « Il s’en alla prêcher aux esprits en prison, à ceux qui jadis avaient
refusé de croire lorsque temporisait la longanimité de Dieu, aux jours où Noé
construisait l’Arche. » C’est donc à cette heure que l’humanité qui avait
vécu avant le Christ reçut la plénitude de la révélation. Déjà ces générations
avaient été jugées et les méchants ne firent que s’obstiner dans leur
perversité, recevant la confirmation de leur condamnation à l’enfer éternel.
Les âmes de bonne volonté adhérèrent à la personne du Christ enfin présente
devant eux. Ils furent introduits dans la vision béatifique.
Quant aux
hommes qui vivent encore sur la Terre après la passion du Christ, ils
continuent de recevoir tous sans exception la prédication de l’Évangile. Pour
tous, la prédication est donnée par le Christ lui-même, accompagné des saints
et des anges lors de son apparition au moment de la mort. Et cette prédication
est par elle-même signe invisible pour nous mais réel du retour du Christ et de
la fin de ce monde puisque son objet propre est d’annoncer la vie éternelle.
C’est
pourquoi, on doit dire que cette prophétie de Jésus sur l’annonce de l’Évangile
à toutes les nations s’est toujours réalisée. Mais, pour le signifier de
manière visible, Dieu n’hésite pas à la rendre visible à travers le monde
politique et médiatique. Ainsi, les douze apôtres allèrent dès les premiers
temps de l’Église prêcher par toute le terre, depuis l’Inde jusqu’à l’Égypte,
aidés des divers charismes divins qui rendaient leur parole efficace. Vers la
fin du monde, il en sera de même. La parole du Christ sera de nouveau
matériellement réalisée par une prédication visible à chacun des pays de
la terre[1420].
Ce signe médiatique sera donné pour les hommes et ceux qui savent lire les
signes des temps comprendront sa signification apocalyptique. Cela ne veut pas dire
que l’Évangile sera accepté par toutes les nations.
Solution 1 :
Il est vrai que les apôtres envoyés par Dieu à chaque génération
n’ont jamais eu le temps de faire entendre leur parole à tous les hommes sans
exception. Cependant, ils ont pu annoncer l’Évangile à toutes les nations du
monde connu. De cette manière, ils ont réalisé symboliquement le commandement
du Seigneur leur enjoignant d’aller par toutes les nations. Ils ont donné à
l’humanité un signe suffisant de l’imminence du retour du Christ.
Solution 2 :
Saint Paul montre que la conduite de l’Esprit Saint sur l’humanité
dépasse les pensées limitées des hommes. Ainsi, que Jésus lui-même empêche ses
apôtres d’évangéliser certaines nations, ce ne peut être qu’à cause d’un bien
supérieur, en rapport avec le salut éternel de toute l’humanité. C’est de cette
façon que l’on doit expliquer les échecs successifs des apôtres pour
évangéliser 1e Chine. Selon le Psaume[1421]
: « Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain peinent les maçons. » Selon
certains, de tels échecs s’expliquent par le péché des nations à convertir ou
encore par celui des apôtres. Mais de tels arguments ne suffisent pas car
l’évangile est fait pour les pécheurs. On doit donc parler autrement :
1° Il convient que certaines nations restent
païennes afin que le zèle de l’Église à les convertir ne s’arrête jamais et
qu’elle ne soit pas tentée de s’assoupir dans son attente du retour du Sauveur.
2° Les nations païennes témoignent pour
celles qui sont chrétiennes de l’état de l’homme quand il ne reçoit pas la
liberté de l’Évangile.
Solution 3 :
Nous avons suffisamment répondu à cette objection dans la
conclusion.
Solution 4 :
L’accueil implicite du Christ par la bonne volonté des actes
humains réalisés au quotidien par les païens ne saurait en aucun cas être
identifié au signe dont nous parlons ici. L’Écriture sainte et l’Église ont
suffisamment manifesté la place de ces actes bons[1422]
: Ils disposent au salut, c’est-à-dire à l’accueil amoureux de la vie
surnaturelle mais ils ne sont pas le salut. Jésus lui-même, face à Nicodème
venu le voir[1423]
avec toute la volonté droite, la foi et l’espérance d’Israël lui signale qu’il
ne peut entrer dans le Royaume sans renaître d’en haut. Cette naissance est
réalisée par la venue du Saint Esprit dans le cœur à cœur explicite que permet
la grâce sanctifiante. La présence d’une grâce actuelle dans tout acte bon même
chez les païens est sans comparaison avec cette amitié. C’est pourquoi on doit
affirmer que l’Évangile sera réellement prêché à toutes les nations, c’est-à-dire
à chaque homme avant la fin. Ce signe se réalise de trois manières principales
: 1° Au cours de l’histoire par les
apôtres et les autres moyens de l’Église terrestre ; 2° À l’heure de la mort par le Christ glorieux ; 3° À la fin du monde pour la dernière
génération face au Christ glorieux.
Objection 1 :
L’Église ne doit pas être détruite à la fin du monde. Notre
Seigneur affirme en effet : « que les portes de l’enfer ne l’emporteront pas
sur elle"[1425].
Objection 2 :
Le Seigneur dit à Pierre à propos de Jean[1426]
: « S’il me plaît qu’il demeure sur la terre jusqu’à ce que je vienne, que
t’importe. » Or Jean symbolise les disciples que Jésus aime
particulièrement à cause de la pureté de leur foi. Donc l’Église subsistera au
moins dans ces disciples lors au retour du Christ.
Objection 3 :
L’Église est appelée par l’Apocalypse[1427]
« l’épouse du Christ. » Or le Christ est mort pour son épouse,
afin de la rendre immaculée. Il est donc inconvenant que cette épouse subisse à
son tour la mort.
Objection 4 :
On a
montré précédemment qu’Isaac était un symbole de l’Église. Or le sacrifice
d’Isaac ne fut pas consommé jusqu’au bout. Un ange arrêta le bras
sacrificateur. Il doit donc en être de même à la fin du monde pour l’Église.
Cependant :
L’Apocalypse
affirme[1428]
: « On donna à la Bête de mener campagne contre les saints et de les vaincre
» ; De même, le Seigneur regardant la beauté du Temple de Jérusalem annonce
sa destruction et en fait un signe de la fin du monde. Or le véritable temple,
c’était son corps qui devait être broyé sur 1e croix et ressusciter trois jours
plus tard. C’est aussi l’Église qui est le corps mystique du Christ.
Conclusion :
L’Église
qui est née après la mort de Jésus sur 1e croix et le don du Saint Esprit, n’a
d’autre mission que de rendre présent pour tous les lieux et tous les temps la
rédemption des péchés opérée par Jésus Christ, sa parole et l’espérance de la
gloire promise. Elle a donc la même mission que Jésus lui-même.
D’autre
part, c’est par le même Esprit Saint qu’elle est conduite invisiblement à
travers les temps pour accomplir cette fin. Ainsi, ce que fit le Christ poussé
par l’Esprit, c’est ce que fera l’Église poussée par le même Esprit. Ce
principe doit être constamment à l’esprit pour comprendre les évènements de la
fin du monde. Les évangiles montrent que Jésus fut conduit par l’Esprit Saint
durant sa vie terrestre de telle façon que sa mission ne s’arrête pas par la
seule prédication mais aille jusqu’au don personnel et volontaire de sa vie sur
la croix. De même, l’Église qui est le Christ continué sur la terre, après
avoir prêché l’Évangile à toutes les nations, sera conduite de l’intérieur pour
se préparer à un martyre sanglant, à un temps de sépulcre puis à une
résurrection qui sera appliquée glorieusement à tous les hommes selon cette
parole de Jésus[1429]
: « Si le grain tombé en terre accepte de mourir, il porte beaucoup de
fruits. »
C’est ce
qu’exprime le Magistère ordinaire et sûr du Catéchisme de l’Église catholique[1430]
: « Avant l`avènement du Christ, L’Église doit passer par une épreuve finale
qui ébranlera la foi de nombreux croyants. La persécution qui accompagne son
pèlerinage sur la terre dévoilera le "mystère d’iniquité" sous la
forme d’une imposture religieuse apportant aux hommes une solution apparente à
leurs problèmes au prix de l’apostasie de la vérité. L’imposture religieuse
suprême est celle de l’Anti-Christ, c’est-à-dire celle d’un pseudo messianisme
où l’homme se glorifie lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans
la chair. L’Église n’entrera dans la gloire du Royaume qu’à travers cette
ultime Pâque où elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa Résurrection. Le
Royaume ne s’accomplira donc pas par un triomphe historique de l’Église selon
un progrès ascendant mais par une victoire de Dieu sur le déchaînement ultime
du mal, qui fera descendre du Ciel son Epouse. Le triomphe de Dieu sur la
révolte du mal prendra la forme du jugement dernier, après l’ultime ébranlement
cosmique de ce monde qui passe. »
Solution 1 :
Il faut se garder d’interpréter de telles
paroles de Jésus de manière extérieure et politique. Elles sont avant tout
spirituelles et concernent la victoire de la vie éternelle. Il ne faut pas se
tromper sur le sens réel des paroles de Dieu. Qu’on se souvienne du trouble
analogue qui saisit la réflexion juive de l’Ancien
Testament dans la tension d’une foi enseignant sans ambiguïté que "Dieu comble de biens les hommes droits et
renvoie les riches les mains vides" et la constatation quotidienne de l’inverse.
Cette dramatique expérience fut source d’une mutation spirituelle majeure
depuis le livre de Job vers celui de la Sagesse, en préparation de la venue de
Jésus. Au temps de leur gloire, les Juifs tuaient comme hérétiques les
prophètes qui osaient annoncer, chose impossible en raison de la présence
réelle de Dieu, la destruction du Temple. Il fallut plusieurs ruines et
déportations d’Israël pour que certains comprennent que ce qui importait à
Dieu, c’était le temple spirituel du cœur de chaque homme. Il est à remarquer
que Dieu se plaît dans d’apparentes contradictions. Nous en sommes frappés à
l’évocation des nombreux exemples qui jalonnent l’Écriture ou la vie des saints
: Jeanne d’Arc, demandant à ses voix si elle serait sauvée s’entendit répondre :
« Oui, par grande victoire! »
Deux jours plus tard, elle était brûlée vive. Pour le théologien, l’opposition
apparente entre foi et réalité, loin d’être une torture, constitue le lieu
théologique par excellence, le lieu des découvertes. Deux vérités apparemment
contradictoires, dont l’une procède de la foi (les portes de l’enfer ne l’emporteront pas sur l’Église) et l’autre
de l’expérience (l’Église disparaîtra de
façon visible de la surface du monde) et qui sont comparables à deux silex
durs qu’on frotte : la lumière en jaillit. Quand nous voyons horreur, martyre
sanglant ou échec politique, il voit victoire, règne éternel et gloire. Pour
lui, la victoire réelle est celle qui se termine en Vie éternelle (donc, encore
et toujours humilité (kénose) et charité). Elles le seront de fait car le pape
et le clergé de cette époque seront disposés à faire de leur sacerdoce et de
leur vie une offrande d'amour, une dernière messe unie à la Messe éternelle de
Jésus. Le Ciel entier sera ébranlé devant leur sainteté et le retour du Christ
ne sera plus lointain.
Ainsi, de même que, à la croix, les portes de l’enfer n’ont pas
vaincu Jésus malgré ce qui apparaissait extérieurement, mais ont au contraire
été détruites par le Messie, de même, à la fin du monde, le martyr sanglant et
volontaire de l’Église à travers ses saints marquera la victoire définitive et
sera suivi, après un temps que Dieu connaît, par le retour du Christ et la
résurrection des morts.
Solution 2 :
Par une partie d’elle-même, qui sera la partie visible symbolisée
par Pierre[1431],
l’Église imitera la passion du Christ jusque dans le sacrifice total.
Cependant, par une autre partie symbolisée par Jean, l’Église imitera la
compassion vécue par la Vierge Marie au pied de la croix. C’est pourquoi, vers
la fin des temps, la Vierge Marie préparera elle-même une partie de l’Église en
vue de la rendre capable d’assister au martyre de l’Église hiérarchique et
visible sans perdre la foi ou sombrer dans le désespoir.[1432]
Solution 3 :
Même l’analogie de l’épouse quand elle est appliquée à l’Église
peut permettre de comprendre les convenances de ce martyre annoncé par Dieu
pour la fin des temps. En effet, une épouse, lorsque l’amour de son époux a
pleinement pris sa vie suit son époux partout où il va. S’il est condamné a
mort, elle est prête à l’assister dans son martyr et à s’unir à lui par la
volonté ce qui est la compassion. Mais si elle est condamnée à mort avec
son époux, elle le suit et l’imite jusque dans sa passion. C’est ainsi que, à
la fin des temps, l’Église dans sa partie visible s’offrira elle-même pour le
salut du monde, unie par la charité de façon unique et jamais vue au sacrifice
du Messie. Ce sera la dernière Messe d’une rédemption et de la coopération de
l’humanité.
Solution 4 :
À la fin
au monde, une partie de l’Église subira réellement le martyr sanglant et en
particulier sa partie visible qui est essentiellement représentés par la
hiérarchie. C’est ce qu’annonce Jésus à Pierre qui symbolise cette Église
hiérarchique[1433]
: « Il signifiait, en parlant ainsi, par quel genre de mort Pierre devait
glorifier Dieu. » Cependant, le sacrifice de l’Église ne sera pas consommé
au point de faire disparaître du monde tous les chrétiens. C’est ce que le
Seigneur annonce en saint Matthieu[1434]
: « Il y aura alors une grande tribulation, telle qu’il n’y en a pas eu
depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour, et qu’il n’y en aura jamais
plus. Et si ces jours là n’avaient pas été abrégés, nul n’aurait eu la vie
sauve. Mais à cause des élus, ils seront abrégés ces jours-là. »
Objection 1 :
Il semble que la passion de Jésus ne doive pas être considérée
comme une allégorie préfigurant la manière dont l’Église sera conduite au
martyre. En effet, le Christ est mort crucifié. Il est impossible que les
chrétiens le soient à la fin du monde.
Objection 2 :
Ce qui est exprimé par mode d’allégorie ne peut suffire à fonder
une véritable théologie. Mais seuls les textes qui expriment au sens littéral
les mystères divins peuvent faire autorité. Si l’on sort de cette règle, on
risque de sombrer dans l’imaginaire. Donc on ne peut savoir comment se fera le
martyre de l’Église.
Objection 3 :
Dans les Actes des apôtres, le Seigneur dit[1435]
: « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le
Père a fixé de sa propre autorité. » De même, ne doit-on pas dire qu’il
n’appartient pas à l’homme de connaître comment se produira la fin.
Objection 4 :
La
destruction du Temple de Jérusalem ne peut être une allégorie de celle de
l’Eglise à la fin du monde. Le Temple fut détruit car périmé. L’Église le sera
comme martyre sainte, à l’image du Christ.
Cependant :
Le
Seigneur ne fait rien sans en parler d’abord à ses prophètes. En outre, il a
laissé à l’Église certaines prophéties contenues dans les évangiles, les
épîtres et l’Apocalypse. Il est donc possible de savoir comment se fera le
martyre de l’Église.
Conclusion :
Comme on
l’a dit, l’Église devra subir le martyre à la fin des temps parce qu’elle est une
avec le Christ. Cependant, s’il s’agit de savoir comment se produira ce
martyre, il faut reconnaître qu’on ne peut rien dire de définitif. En effet,
les prophéties de l’Écriture à ce propos s’appliquent aussi à d’autres
événements comme la ruine de Jérusalem et la destruction du temple. De même
l’Apocalypse révélée à saint Jean a une signification universellement valable à
toutes les époques du monde puisqu’elle explique à la fois à la conduite de
Dieu sur notre âme, sur l’humanité et sur l’Église.
Il reste cependant des textes dont la signification allégorique ne
fait pas de doute par rapport à la fin de l’Église. Ils peuvent donner une
certaine idée des événements qui se produiront :
1° Et le premier d’entre eux est le récit de
la passion rapporté par les évangiles. Comme nous l’avons montré, l’Église est
invisiblement menée dans son pèlerinage terrestre par le même Esprit que celui
de Jésus. La vie de Jésus est donc l’image préfiguratrice de celle de l’Église
en tant qu’elle est sainte. C’est ce que Jésus veut signifier à saint Pierre
quand il lui dit : « Suis-moi », après lui avoir annoncé la manière dont
il mourrait[1436].
La fin de l’évangile de Jean est à cet égard, le texte allégorique le plus
explicite sur le rapport entre la passion de Jésus, celle de Pierre et celle de
Jean imitant la Vierge Marie qui lui avait été donnée pour mère à la croix.
2° En second lieu, l’annonce de la ruine du temple de Jérusalem
signifie prophétiquement celle du nouveau temple qu’est l’Église. Il faut
remarquer que les récits concernant Jérusalem sont présents non seulement dans
le discours eschatologique de Jésus[1437]
mais aussi dans le livre du prophète Daniel qui reçut la révélation des
événements tragiques qui se préparaient.[1438]
3° En troisième lieu, le livre de
l’Apocalypse peut être éclairant puisqu’il révèle ce qui est caché dans cette
lutte à savoir 1e présence du démon qui, tel un dragon, poursuit la femme et sa
descendance sur la terre, et la présence de Dieu qui conduit par ces épreuves
les hommes vers la Jérusalem céleste.
Solution 1 :
La passion du Christ ne doit pas être
vécue par l’Église d’une manière matérielle. Mais elle est une analogie dont le
sens allégorique annonce et préfigure dans quel esprit se fera cette passion.
Ainsi, la mort sur la croix ne sera pas appliquée matériellement à l’Église
comme si les clercs devaient être crucifiés à la fin du monde. Mais elle le
sera réellement d’une manière que Dieu connaît puisque l’Antéchrist fera
disparaître dans l’infamie d’une mise à mort méprisante les serviteurs de Dieu.
C’est ce qu’exprime symboliquement l’Apocalypse[1439]
: « Quand ils auront fini leur témoignage, la Bête qui surgit de l’abîme
viendra guerroyer contre eux, les vaincre et les tuer. Et leurs cadavres, sur
la place de la grande cité, Sodome ou Égypte comme on l’appelle symboliquement,
Leurs cadavres demeurent exposés au regard des peuples, sans qu’il soit permis
de les mettre au tombeau. Les habitants de la terre s’en réjouissent et s’en
félicitent. » C’est ce que semble aussi annoncer le troisième secret de
Fatima : « Et nous vîmes, dans une lumière immense qui est Dieu quelque
chose de semblable à la manière dont se voient les personnes dans un miroir, un
évêque vêtu de blanc, nous avons eu le pressentiment que c’était le
Saint-Père. Nous vîmes divers autres évêques, prêtres, religieux et religieuses
monter sur une montagne escarpée, au sommet de laquelle il y avait une grande
croix en troncs bruts, comme s’ils étaient en chêne liège avec leur écorce.
Avant d’y arriver, le Saint-Père traversa une grande ville à moitié en ruine
et, à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de souffrance et de peine,
il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait sur son chemin. Parvenu au
sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la grande croix, il fut
tué par un groupe de soldats qui tirèrent plusieurs coups avec une arme à feu
et des flèches. Et de la même manière moururent les uns après les autres les
évêques, les prêtres, les religieux et religieuses et divers laïcs, hommes et
femmes de classe et de catégories sociales différentes. Sous les deux bras de
la croix, il y avait deux anges, chacun avec un arrosoir de cristal à la main,
dans lequel ils recueillaient le sang des martyrs et avec lequel ils
irriguaient les âmes qui s’approchaient de Dieu. »
Solution 2 :
Il
convient que les mystères du futur soient en partie cachés sous les voiles de
l’allégorie. En effet, si les hommes connaissaient avec certitude tous les
détails accompagnant la fin au monde, ils risqueraient de s’appesantir dans
leur espérance, se tenant l’un à l’autre ce langage : « la fin du monde n’est
pas pour notre temps. »
Par contre, il est essentiel que certains hommes connaissent d’une
manière générale les raisons et les causes de la tribulation qu’ils vivent : De
cette manière, ils peuvent s’unir spirituellement au mystère dont ils pénètrent
en partie l’essence. C’est pourquoi le livre de l’Apocalypse, dont le style est
allégorique, a été donné aux hommes. Il permet de fonder une théologie de
l’espérance puisqu’il annonce la fin du monde et la Jérusalem céleste. D’autre
part, il invite l’homme à scruter les signes des temps qui annoncent le retour
du Christ. Cependant, on doit admettre que les textes symboliques de
l’Apocalypse doivent être éclairés par d’autres textes tirés des évangiles ou
des épîtres.
Solution 3 :
Et cela
répond à la troisième objection. Mais on doit admettre que nul ne peut
connaître l’heure de l’Église, c’est-à-dire le moment où son martyre sera
consommé. Il est possible, avec beaucoup de prudence, d’en donner un scénario
général. L’Antéchrist final installera dans les cœurs humains et sur les
nations son royaume de l’homme sans Dieu par des méthodes qui ne laisseront
place à aucune ambiguïté. Au contraire, le vrai pape et la vraie Église de
cette époque auront à subir un martyre, très souvent annoncé par l'Écriture.
"Quand tu étais jeune, dit Jésus
au pape Pierre[1440],
tu mettais toi-même ta ceinture et tu
allais où tu voulais ; quand tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et un
autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas. Il indiquait ainsi, commente
saint Jean, par quel genre de mort Pierre
devait glorifier Dieu. Ayant dit cela, il lui dit : « suis-moi. » Se
retournant, Pierre aperçoit, marchant à leur suite, le disciple que Jésus
aimait, celui-là même qui, durant le repas, s’était penché sur sa poitrine et
avait dit : « Seigneur, qui est-ce qui te livre ? Le voyant donc, Pierre dit à
Jésus : Seigneur, et lui ? Jésus lui dit : « S'il me plaît qu’il demeure
jusqu'à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi. » Le bruit se répandit
parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. Or Jésus avait dit à Pierre :
« Si Je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne. » Et non : il ne mourra
pas. »
Ce texte est bien évidemment adressé non seulement à Pierre et à
Jean individuellement mais à toutes les Églises de tous les temps. Il s’agit
d'un exemple typique du style des prophéties de Jésus : Pierre est vraiment
mort martyrisé et Jean de vieillesse, le jour où le Seigneur est venu le
chercher par son apparition à l'heure de sa mort. Mais il s’agit aussi d'une
allégorie racontant la fin de l'Église. Ainsi, le texte de saint Jean nous
apprend comment se produira le martyre final de l’Église. Appuyé sur ses succès
antérieurs, l’Antéchrist rendra illégales dans le monde entier les religions.
Il fera adopter par toutes les nations "une interdiction définitive de
prêcher ou de rendre un culte public à Dieu ou à n’importe quelle divinité
inventée par le passé. » Chacun sera invité à consacrer son temps à la
construction du monde d’ici-bas, au-delà des superstitions que la peur
suscite. Le culte du vrai Dieu ne sera autorisé qu’au fond de sa conscience
individuelle, domaine incontrôlable par définition aux autorités politiques.
L'Écriture est nette sur ce point[1441]
: « La corne (la puissance de
l’Antéchrist) grandit et s'étendit en
direction du pays de la Splendeur (le
pays où l’on adore Dieu, à savoir les religions et en premier celle du Christ). Elle grandit jusqu’aux armées du Ciel (ceux qui servent Dieu), précipita à terre des armées (les
apôtres qui luttent pour l’Évangile) et
des étoiles (des docteurs qui enseignent la bonne direction à suivre) et les foula aux pieds. Elle s’exalta même
contre le Prince de l'armée (le Christ), elle abolit le sacrifice perpétuel (pour les Juifs, il s’agit de
l’holocauste du Temple et, pour les chrétiens, la messe et tous les sacrements
de l’Église), et renversa le fondement de
son autel (le pape sur qui l'Église est bâtie) et l'armée. Sur le sacrifice elle posa l'iniquité (c’est-à-dire qu’elle
déclara mauvais tout culte divin) et
renversa à terre la vérité ; Elle agit et elle réussit. » Ce texte comme
tous les autres du même sujet ne laisse aucun doute sur l'ampleur de la
destruction opérée par l’Antéchrist. Il ne laissera rien subsister de l'Église
visible, surtout pas le sacerdoce. Rien ne nous permet d'être définitif sur les
méthodes qu'il emploiera. Beaucoup de théologiens du passé affirmèrent à partir
de ces textes et de la vie de saint Pierre qu’il s’agirait d'un martyre
sanglant : une mise à mort physique des quelques milliers d’hommes que sont
dans le monde le pape, les évêques et les prêtres. C'est une chose en
définitive assez facile à réaliser dans un monde confiant devant sa liberté.
Mais ce sens littéral du martyre n'est pas une certitude. Pour faire
disparaître le sacerdoce de la vie des peuples, il suffit, après l’avoir vu
s’affaiblir durant des siècles, de l’empêcher de s’exercer : surveillance,
emprisonnement, déportation, toutes méthodes policières dans un monde où rien n’est
laissé au hasard[1442].
Nous ne pouvons affirmer qu’une chose de manière certaine : vers la fin du
monde, de par l'action de l’Antéchrist, le dernier pape vivra un sacrifice
total dans son ministère désormais banni de la terre. Il sera crucifié comme
saint Pierre dans son âme de pasteur (et peut-être aussi dans son corps). Afin
que le caractère qui fait le prêtre ne subsiste en personne, il est possible
que son martyre s’accompagne de celui des prêtres.
Solution 4 :
Il n’y a pas à opposer le Temple de Jérusalem
et l’Eglise mais au contraire à les comparer. Ainsi, il est vrai que le Temple
était périmé ; de même, à la fin du monde, l’Eglise sous sa forme terrestre
devra disparaître pour être glorifiée. Il est vrai que le Temple fut détruit à
cause des nombreux péchés qui y furent commis ; de même l’Eglise, faite
d’hommes pécheurs, sera martyrisée en vue de la correction de ses péchés. De
plus, vers la fin du monde, il semble que le Temple sera rebâti par les Juifs à
sa place ancienne ; de même, l’Eglise ressuscitera sainte et définitive dans la
gloire de Dieu.
Objection 1 :
L’heure de l’Église ne pourra pas être annoncée par le pape
puisqu’il ne la connaîtra pas lui-même : « Il ne vous appartient pas de
connaître les temps et les moments », dit le Seigneur à ses apôtres.
Objection 2 :
Il semble incroyable que la papauté elle-même puisse subir le
martyre jusqu’à disparaître. Le Seigneur dit en effet : « Tu es Pierre et
sur cette pierre je bâtirai mon Église. Et les portes de l’Hadès ne
l’emporteront pas sur elle ».[1443]
Objection 3 :
La papauté ne peut disparaître définitivement sans présupposer la
disparition de l’Église hiérarchique toute entière sans quoi les prêtres
survivants n’auraient qu’à élire un autre pape.
Objection 4 :
D’après
l’évangile, la papauté ne peut être atteinte par le démon dans sa fidélité à la
foi apostolique salon cette parole de Jésus : « J’ai prié pour que ta foi ne
défaille pas. » Donc, il est impossible qu’elle soit vaincue par le démon
dans l’essence même de son ministère.
Cependant :
Il
appartient au pape de conduire l’Église dans son pèlerinage terrestre selon
cette parole du Seigneur à Pierre : « Sois le berger de mes brebis"[1444].
Il lui appartient donc en premier lieu d’annoncer prophétiquement
l’approche de l’heure da l’Église.
Conclusion :
C’est sur
Pierre et ses successeurs qu’a été fondée l’Église du Christ. Et le Seigneur a
remis au pape la responsabilité du ministère prophétique, royal et sacerdotal.
À cause de la charge prophétique qui lui incombe, le successeur de Pierre
reçoit personnellement un charisme d’infaillibilité qu’il exerce d’une manière
habituelle lorsqu’il exprime de sa chaire apostolique les doctrines concernant
de qu’on doit croire et la manière dont on doit vivre, c’est-à-dire la foi et
la morale[1445].
De par sa charge sacerdotale, le pape reçoit la responsabilité de veiller au
sacrifice de la messe et aux autres sacrements qui lui sont ordonnés, ainsi
qu’à la liturgie qui entoure ces sacrements. Enfin, la charge royale fait du
pape celui qui veille sur l’Église toute entière et la mène vers son destin
éternel qui est l’entrée dans la béatitude éternelle.
A propos du martyre de l’Église, on doit dire deux choses :
1° Le fait que l’Église doive subir un
martyre relève en tant qu’il s’agit d’une doctrine théologique, du ministère
prophétique et du charisme de la foi. Il est donc probable que vers la fin des
temps, les papes annonceront ce martyre futur ou sa possibilité, de la même
façon que Jésus l’a annoncé à ses disciples. Cependant, il faut remarquer
qu’une telle annonce est difficilement compréhensible pour ceux qui n’ont pas
le sens de la manière dont Dieu conduit ses fidèles. Elle provoque le scandale
et aucun de ceux qui suivaient Jésus quand il parlait ainsi ne compris
vraiment, excepté bien sûr la Vierge Marie. De la même façon, vers la fin des
temps, il est probable que seules quelques âmes contemplatives, vivant de
l’esprit de la Vierge Immaculée, comprendront le contenu prophétique des avertissements
des papes.
2° Le martyre de l’Église, en tant qu’il sera
un événement historique, et qu’il se réalisera à une heure voulue par Dieu,
concerne plutôt le ministère royal du pape, c’est-à-dire celui par lequel il
conduit le troupeau de Dieu vers son sacrifice et sa glorification. Si l’on
suit les Écritures, il semble que la papauté sera signe de la proximité de
cette heure sans le vouloir et qu’elle essayera d’y échapper. C’est ce que
signifie ce texte de l’évangile qui exprime allégoriquement les dernières
heures du pape : « En vérité, en vérité je te le dis. Quand tu étais jeune,
tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais ; quand tu auras
vieilli, tu étendras les mains et un autre te ceindra et te mènera où tu ne
voudras pas ».[1446]
Il signifiait en parlant ainsi, Le genre de mort par lequel Pierre devait
glorifier Dieu. Et nous avons dans l’histoire de la papauté une illustration de
ce texte. Il est clair que pendant des siècles, la papauté fut maîtresse du
monde au point de pouvoir déposer les rois. Elle allait donc où elle voulait.
Puis, depuis quelques siècles, son pouvoir fut contesté et diminué sans qu’elle
puisse s’y opposer, étant conduite malgré elle jusqu’au dépouillement des états
pontificaux. Les papes se firent alors prisonniers volontaires au Vatican,
refusant ce qui leur paraissait être une injustice. Saint Jean Bosco n’était
pas entendu, lui qui avertissait en disant : « Ceci vient de Dieu. » Cette
histoire préfigure un autre dépouillement qui ira jusqu’à la mort. Mais ce
dépouillement final sera difficilement accepté par le pape. On peut en avoir un
signe de cette réticence au martyre dans le document qui accompagne la
publication de la troisième prophétie de Fatima citée plus haut : « ce texte
est déjà réalisé dans l’attentat de 1981 contre Jean-Paul II », dit le Cardinal
Ratzinger.
Solution 1 :
Il peut arriver qu’un homme soit prophète sans le vouloir. Ainsi
Caïphe qui était alors grand prêtre dit-il à ses confrères : « Vous ne voyez
même pas qu’il est de votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple et
que la nation ne périsse pas tout entière ».[1447]
Et l’évangéliste commente cette parole en disant : « il ne dit pas ceci de
lui-même mais, étant grand prêtre cette année là, il prophétisa que Jésus
devait mourir pour la nation. » De même, à la fin des temps, la papauté
sera conduite par le Saint Esprit à prononcer des paroles et à subir des
événements qui seront signe de la fin prochaine. Et qu’elle le veuille ou non,
elle imitera Jésus qui eut un comportement significatif vers sa dernière heure
: Il accepta de parler aux grecs, alors qu’il réservait jusqu’ici son ministère
aux seuls Juifs[1448]
; il fut acclamé une dernière fois par les foules enthousiastes lors de son
entrée à Jérusalem[1449],
il s’humilia jusqu’à laver les pieds de ses disciples[1450]
et fit bien d’autres choses surprenantes pour ses disciples. De même, vers la
fin de l’Église, la hiérarchie ecclésiale aura un comportement qui tranchera
avec ce qui se faisait précédemment ou point d’en scandaliser quelques-uns uns
qui imiteront en cela le comportement généreux mais mal éclairé de Pierre
lorsqu’il refusa de se faire laver les pieds par le maître[1451].
Solution 2 :
Comme nous l’avons montré, de telles paroles de Jésus ont d’abord
une signification spirituelle : elles montrent que jamais le démon ne pourra
faire dériver la foi du Magistère de Pierre ou faire que les papes dirigent
l’Église vers une autre fin que l’unique possession de Dieu. Elles ne
signifient pas que la papauté ne puisse pécher ou subir des échecs extérieurs
et des persécutions. L’histoire montre que bien des papes sont morts martyrs.
Et qu’à la fin du monde la papauté soit attaquée par l’Antéchrist au point de
disparaître, ce ne sera pas un échec mais la victoire définitive qui précèdera
le retour du Christ.
Solution 3 :
La fin de l’Église vécue par la papauté sera comparable à celle du
Christ qu’elle doit imiter et achever. Or on voit que parmi les disciples, la
plupart eurent peur et s’enfuirent tandis que quelques uns trahirent comme
Judas ou renièrent comme Pierre. Dans la dernière lutte de l’Église,
l’Antéchrist fera régner une telle terreur qu’il en sera ainsi parmi les
prêtres. Ceux qui seront fidèles seront mis à mort, les autres abandonneront
leur sacerdoce. C’est pourquoi Daniel prophétise[1452] :
« Des forces viendront de sa part profaner le sanctuaire-citadelle, ils
aboliront le sacrifice-perpétuel, et y mettront l’Abomination de la désolation.
» Ce sera pour l’Église, à travers les générations qui vivront cela, une
époque de sépulcre et pour les chrétiens un moment de tentation spirituelle
intense que seules une foi et une espérance comparables à celles de la Vierge
au samedi saint pourra vaincre.
Solution 4 :
Le
successeur de saint Pierre reçoit de la part de l’Esprit Saint un charisme
personnel d’infaillibilité lorsqu’il enseigne, en tant que Prince des apôtres,
une doctrine concernant la foi ou la morale. Il est donc impossible, à cause de
la puissance du Saint Esprit, que le pape soit vaincu sous ce rapport.
Objection 1 :
On ne voit pas comment la liturgie sacramentelle pourrait être
signe de la proximité du martyre de l’Église et du retour du Christ puisqu’elle
demeure inchangeable, étant instituée par le Christ.
Objection 2 :
Lorsque les papes changent la manière dont est célébré le rite
préparatoire au sacrement, ils ne veulent pas annoncer le retour du Christ mais
seulement adapter à la sensibilité du peuple la manière de célébrer Dieu.
Objection 3 :
Le peuple
des fidèles par la manière dont il préfère vivre la liturgie ne peut être
considéré comme un signe des temps. Car la sensibilité dépend plus de la
culture ambiante et de la mode que de l’Esprit Saint.
Cependant :
L’Apocalypse
écrit[1453]
: « La femme criait dans les douleurs de l’enfantement ? » Or cette
femme symbolise l’Église dans son cheminement vers la gloire. Et le cri de
l’Église, c’est la liturgie. Donc il y aura des signes dans la liturgie.
Conclusion :
La liturgie est la prière par laquelle l’Église rend un culte à
Dieu. 1° Or parmi les actes
liturgiques, il en est qui sont institués par le Seigneur lui-même. Ceux-là ne
peuvent en aucune façon évoluer ou être changés puisqu’ils dépendent de la
volonté de Dieu et non de celle de l’Église. Par exemple, les paroles et les
gestes consécratoires de l’eucharistie sont essentiels au sacrement au point
qu’ils ne peuvent être changés.
2° D’autres actes liturgiques sont
entièrement dépendants de la volonté de l’Église puisque le Seigneur n’a rien
fixé les concernant. Il dépend donc du pape et des évêques unis au pape d’en
déterminer les règles. Ainsi, la forme des vêtements liturgiques, les prières
préparatoires à la consécration eucharistique, la forme de l’autel ou de la
table du sacrifice et d’autres choses du même genre fixées par les rituels.
3° Enfin, certains aspects de la liturgie
sont laissés à la libre initiative des prêtres et des fidèles : la manière de
chanter et le contenu des psaumes de libre louange, les offrandes données à
l’Église lors de l’offertoire.
Et, selon ces trois aspects, la liturgie est signe de la fin au
monde.
1° Ce qui est institué par le Seigneur est
sar essence signe du retour du Christ puisque, à chaque fois qu’un sacrement
est conféré, le Christ vient dans l’âme et préfigure par là sa venue définitive
accomplie à la mort de chacun.
2° Ce qui dépend de l’Église et de la papauté
peut être plus particulièrement encore signe de la proximité du retour du
Christ tel qu’il se produira à la fin au monde. En effet à chaque fois qu’un
pape change la liturgie de l’Église, il est mu invisiblement par le Saint
Esprit qui donne à sa réforme une signification prophétique. De la même manière
que le Christ a été honoré diversement par les hommes selon qu’il était plus ou
moins proche de l’heure de sa passion, de même l’Église offrira à Dieu le
sacrifice eucharistique selon des modes différents jusqu’à la fin.
3° Ce qui dans la liturgie dépend du peuple
de Dieu peut aussi être signe des temps car les fidèles sont invisiblement mus
par un sens prophétique qui vient du Saint Esprit.
Solution 1 :
On a vu de quelle manière la liturgie sacramentelle, en tant
qu’elle est instituée par le Christ, est pour chaque homme signe de la fin du
monde. Cependant, vers la fin du monde, cette liturgie sera plus
particulièrement encore signe de son retour selon Daniel[1454]
: « Ils aboliront le sacrifice perpétuel. » Il est en effet probable que
les armées de l’Antéchrist feront disparaître la célébration de l’eucharistie.
Et cette terreur qui semblera marquer la victoire définitive du démon sera pour
l’Église un temps de sépulcre qui précédera une résurrection glorieuse et
définitive dans la gloire du retour du Christ.
Solution 2 :
De même que le peuple d’Israël était un signe prophétique à
travers chacun des événements de son histoire, de même l’Église qui est le nouvel
Israël. On doit donc apprendre à lire avec le regard de l’Esprit Saint
l’histoire de l’Église selon se signification eschatologique. Et cette histoire
peut être comparée à celle de Jésus lors de son pèlerinage terrestre. Ainsi, on
peut lire dans les évangiles que Jésus fut honoré diversement au cours de sa
vie apostolique : il y eut un moment plus caché lorsque les Juifs commencèrent
à entendre parler de lui, il y eut ensuite un moment de gloire extrême où il
fut honoré par la majorité au peuple ; il y eut enfin un moment douloureux,
accompagné de luttes qui aboutirent à la dernière liturgie, celle au sépulcre,
accomplie par des laïcs qui n’étaient même pas ses compagnons de route. De
même, la liturgie de l’Église connut des phases analogues depuis les premières
maisons de prière dans l’Empire romain. Elle ne cessera d’être signe des temps
jusqu’à la dernière liturgie. Lorsque le sacerdoce sera effacé de la terre.
Alors viendra la liturgie du silence, jusqu’au retour du Christ.
Solution 3 :
Les fidèles sont mus intérieurement par
l’Esprit Saint qui oriente leur cœur en y inspirant ses volontés. Et plus les
fidèles sont proches de Dieu, plus cette motion est accomplie facilement, selon
le livre des Proverbes[1455]
: « Le cœur du roi est aux mains du Seigneur comme l’eau courante qu‘on
oriente partout à son gré. » Ainsi, on doit être attentif à la spiritualité
des fidèles, selon qu’il y a de saint en eux. L'art a de tout temps été signe
de la mentalité des époques. Ainsi, le XIIIème siècle, époque de la
civilisation chrétienne où tout s'unifie autour du Christ, brille par
l'harmonie des cathédrales gothiques qui ressemblent à des vaisseaux en marche
vers la lumière. La Renaissance qui est le siècle de la redécouverte de valeurs
humaines autonomes du christianisme et trop oubliées se caractérise par ses œuvres
profanes aux lignes classiques ; l'époque moderne et contemporaine qui se
caractérise par l’oubli progressif de Dieu a été source d'un art de plus en
plus profane et aujourd’hui torturé, non figuratif et parfois même sans vie
apparente, marqué du même désespoir que le monde qui ne croit plus devoir
espérer un salut après la mort. L’art est donc un signe philosophique de chaque
époque. Il en est de même au plan théologique mais l’art s’appelle liturgie, et le temps se déroule vers le
retour du Christ. Durant sa vie terrestre, Jésus reçut de la part de ceux qui
l’entouraient des marques qui étaient des signes de leur attachement à son
égard. Il fut honoré diversement au cours de sa vie apostolique. Il y eut un temps
plus caché au moment où les Juifs commencèrent à entendre parler de lui. De
même, l'Église à ses débuts dans l'Empire romain, encore soupçonnée et objet de
méfiance, se réunissait dans des maisons individuelles et, comme aux noces de
Cana, ne donnait qu'en privé le vin de la Parole. Au cours de sa vie, Jésus
connut ensuite un moment de gloire extérieure. Les gens venaient de tout Israël
pour écouter sa parole et voir ses miracles. On voulait le toucher, le faire
roi. De même, l'Église connut une époque de gloire. Elle dominait le monde,
pouvant excommunier les rois et leur enlever leur trône. Sa liturgie devint
somptueuse, riche et solennelle, à l'image du pouvoir spirituel (et matériel)
qu’elle possédait. Dans une troisième phase de sa vie apostolique, Jésus connut
la lutte et les abandons. On vint moins l'écouter. Il fut souvent seul. Il en
est de même pour l'Église depuis le siècle des Lumières et de plus en plus
actuellement. Alors, poussée par l'Esprit saint, elle changea de liturgie.
Après le Concile Vatican II, elle l'appauvrit, la rendit plus familiale en
insistant davantage durant la Messe sur l'aspect "repas intime" de la
Cène de Jésus et moins sur la gloire du Sacrifice universel de la croix.
L'Église avait bien sûr le droit d'agir ainsi, puisant dans l'immense richesse
des trésors de l'Évangile. Mais elle fut contestée. Pourtant, elle donnait aux
chrétiens l'un des plus grands signes des temps de la fin. Nous pouvons être
sûrs que d'autres signes seront donnés par la liturgie dans le futur, à mesure
que s’approchera l'Heure de l'Église. Les chrétiens de ces époques futures
devront y être attentifs et, chaque fois que les signes de petitesse
s'approfondiront, se réjouir « et
redresser la tête car leur Rédemption s'approche »[1456].
Cette liturgie de pauvreté sera poussée très loin, à l'image de Jésus. Sa
dernière liturgie, celle de son sépulcre, fut accomplie par des laïcs qui
n’étaient même pas ses compagnons de route mais de simples admirateurs[1457].
Il en sera donc de même pour l’Église.
Objection 1 :
Judas trahit
Jésus par convoitise. L’attitude de cet apôtre ne peut être le type du
comportement de certains clercs vers la fin du monde. En effet, s’il s’agit de
s’enrichir, les hommes n’ont pas intérêt à entrer dans les ordres.
Objection 2 :
De même,
l’attitude de Pierre fut tout de générosité proclamée puis de lâcheté devant la
réalité. Il s’agit d’une psychologie très particulière et non le prototype
d’une tendance ecclésiale vers la fin du monde.
Objection 3 :
Jean fut le seul
apôtre au pied de la croix. Mais il fut présent plus par amitié humaine que par
foi puisque l’Écriture nous dit qu’il crut quand il vit le tombeau vide, ce qui
sous-entend qu’il ne croyait plus avant.
Objection 4 :
La plupart des
autres apôtres s’enfuirent, dont certains "tout nus"[1458].
Il est inimaginable que, face aux évènements de la fin, il y ait une telle
lâcheté. L’Esprit de force n’a-t-il pas été donné ?
Cependant :
La vie et la
mort de Jésus sont l’archétype de la vie et la mort de l’Église. Les tentations
connues par ses apôtres se retrouveront à la fin de l’Église chez les clercs.
Conclusion :
En contemplant
la vie de Jésus, on s’aperçoit que, plus encore que des luttes extérieures, il
eut à souffrir d'oppositions sourdes à l'intérieur du cercle de ses amis. La
plus terrible d'entre elle fut le fait de son apôtre Judas. Sa révolte éclate
en saint Jean, après qu'une femme pleurant ses péchés et pleine de
reconnaissance pour la douceur de Jésus à son égard eût versé sur ses pieds un
parfum de grand prix[1459] : « Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été vendu
trois cents deniers qu’on aurait donnés à des pauvres ? Jésus lui répondit :
Laissez-la : c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce
parfum. Les pauvres en effet, vous les aurez toujours avec vous ; mais moi,
vous ne m'aurez pas toujours. » L'attitude de Judas est compréhensible
: trois cents deniers représentent un salaire ouvrier d'une année. Le geste
d'amour gratuit de la femme lui parut une perte considérable par rapport à
l'annonce de l’Évangile, qui est un message d'attention aux plus pauvres et par
rapport à sa propre bourse puisqu’il "volait"[1460]. Il oppose donc
de fait l'amour de Jésus et l'amour des pauvres, deux commandements pourtant
unis par Dieu en un seul. Il s’agit là sans aucun doute d'un signe des temps
qui apparaîtra dans l'Église vers la fin du monde. Nous montrerons que le
dernier antichristianisme séduira le monde entier en raison des riches valeurs
d’humanisme sans Dieu qu'il intégrera. S'il y eut jadis des chrétiens généreux
mais peu clairvoyants pour se laisser séduire au nom de l'amour de Dieu, par le
fanatisme religieux ou encore par le nationalisme et le marxisme, comment
pourrait-il en être autrement de l'Humanisme qui ressemble beaucoup plus à
l’Évangile du Christ ? L'humanisme fait même partie du christianisme mais
celui-ci sait le consacrer au Dieu aimé.
Solution 1 :
De nos jours,
nous avons vu apparaître dans l'Église un courant de pensée très puissant qui
réduit l’Évangile à la lutte pour le bien social. Ses membres sont
familièrement qualifiés sous l’étiquette de progressistes
parce qu’ils semblent en harmonie avec le progrès du monde. Ils se
caractérisent par une sourde opposition aux décisions des papes jugées en
décalage par rapport à notre temps. Ils critiquent en particulier ses positions
en matière de comportement sexuel. La liberté, telle est sans doute aux yeux de
ce courant le qualificatif le mieux choisi pour résumer l’Évangile. « Il
est l’Évangile de la liberté ».Il est surprenant comme une petite
variation d’interprétation peut avoir de conséquences. Nous disions
précédemment que l’Évangile se spécifie d’abord dans l’amour de Dieu et du
prochain... L’amour de Dieu et du prochain est premier, la liberté conséquence.
Ainsi, pour le courant progressiste, l’encouragement de l’Église pour la vie
consacrée à la prière paraît être une perte de temps et d'énergie pour l'action
sociale. L'amour gratuit de Jésus aimé et servi comme un époux au jour le jour
paraît n’être le fruit que d'une fuite du monde. Ce courant de pensée ne se
séparera jamais de l'Église par un schisme bien qu'il le soit par le cœur. Ne
constitue-t-il pas un signe des temps très significatif car analogue à ce qu'on
voit dans la vie de Jésus ? Vers la fin du monde, il est probable que le
progressisme humaniste ira en s'approfondissant. Il supportera de moins en
moins l'infaillible fidélité des papes à l'Évangile. À l’image de Judas au
moment de sa tentation, il aura sans doute un rôle de coopération dans l’œuvre
qui aboutira à la fin de l'Église visible.
Solution 2 :
Un autre signe
des temps, tout aussi significatif, mérite d'être rapporté. Quelques jours
avant sa mort, Jésus voulut se comporter avec eux comme s'il était leur
esclave. Il se mit à laver les pieds de ceux qui étaient à table. Mais Pierre
ne voulut pas se laisser faire : « Seigneur
toi, me laver les pieds ? Jésus lui répondit : Ce que je fais, tu ne le sais
pas à présent ; par la suite tu comprendras. Pierre lui dit : Non, tu ne me
laveras pas les pieds, jamais! Jésus lui répondit : Si je ne te lave pas, tu
n'as pas de part avec moi »[1461]. Pierre n'agit
ainsi qu'à cause de son amour pour Jésus, du sens de sa dignité de Maître et
Seigneur. Son cœur était généreux mais absolument incapable de pensées divines.
Pour lui, un Messie est fait pour devenir un roi politique. Un maître de vérité
est fait pour avoir raison. Mais pour Jésus, un Messie est fait pour être le
serviteur de tous jusqu'à en mourir. Là encore il convient d'être attentif car
l'Église, conduite sur le même chemin d'abaissement que Jésus, connaîtra
nécessairement de la part de certains de ses membres la même réaction. Il
existe d'ailleurs depuis le Concile Vatican II un courant de pensée qui
ressemble à s'y méprendre à saint Pierre le jour du lavement des pieds.
Familièrement, il est qualifié de mouvement intégriste
car il rêve de voir l'Église avec l’intégrité des traditions qui firent sa
force au temps passé. Ils rêvent d'une Église sûre de sa Vérité, ne s’abaissant
pas à s'adresser aux autres religions en courant le risque qu'ils considèrent
comme actuel, d'être mis au même niveau qu'elles. Ils voudraient une liturgie
de gloire, comme au temps des fastes, et non celle instaurée par les papes
après le Concile. La défense de la liberté religieuse, selon la conscience de
chacun, leur parait s'opposer aux décrets faisant du christianisme la religion
des Etats du temps où ceux-ci étaient catholiques. Alors, tel saint Pierre
devant Jésus ceint d'un tablier, ils ne reconnaissent plus leur Église en tenue
de servante. Ils vont jusqu'à enseigner : « Les papes depuis Jean XXIII et le
Concile sont peut-être des antipapes. L'abomination
de la désolation[1462] est dans le
Temple Saint, c'est-à-dire aux sommets de l'Église atteints par l'apostasie. » Ils
oublient qu'il est impossible que ce texte des Evangiles se réalise de cette
manière à cause de la promesse solennelle de Jésus faite aux papes : « J'ai prié pour que ta foi ne défaille pas. »
Ils interprètent mal des textes qu'ils savent pourtant adressés à tous les
papes légitimement élus. Cette contradiction torture leur esprit. Mais, si l’on
compare leurs agissements au comportement de saint Pierre qui les prophétise,
on ne peut nier que leur révolte soit liée à leur bonne volonté et à leur amour
(mal éclairé) du Seigneur. Saint Pierre se laissa finalement laver les pieds
mais sa foi, sa confiance ne fut pas assez forte pour tenir face à la croix. Il
en sera de même à la fin du monde pour ceux parmi les chrétiens qui rêveront
encore d'une Église intègre et glorieuse. Ils ne tiendront pas. Ils s’enfuiront
à la vue de la destruction spirituelle à venir. Ils n'auront pas comme ceux
parmi les chrétiens qui se seront laissés formés par Marie, la capacité d'avoir
part à la victoire finale de l'Église enfin devenue grande aux yeux de Dieu.
Ils se diront plutôt, relisant fiévreusement les promesses de Jésus : « les portes de l’enfer ne l'emporteront pas
sur elle! »[1463] que tout cela
n’était peut-être que vanité... Ils passeront par les mêmes doutes que Pierre
après l'arrestation et la mort de Jésus, doutes qui l'amenèrent à renier trois
fois. Il y aura dans leur souffrance un signe des temps important.
Solution 3 :
Au pied de la croix, seule Marie croyait et vivait de l'intérieur,
debout, la mort de Dieu. Elle ne douta pas un seul instant que Dieu
transformerait cela en salut pour toutes les nations. Cette confiance unique ne
se retrouve pas chez saint Jean pourtant présent à la croix et appelé « le
disciple que Jésus aimait. » Il en sera de même à la fin du monde lorsque
l’Antéchrist triomphera : l'Église sera petite, réduite aux seuls domaines des
cœurs et sans vie extérieure et politique. On la croira morte pour toujours, en
reprenant la promesse visiblement manquée de Jésus. Qui pourra songer qu'au moment
même où les portes de l’enfer sembleront avoir extérieurement tout détruit,
comme à trois heures le jour de la mort de Jésus, que c'est absolument
l'inverse aux yeux de Dieu, que tout est accompli et que le retour glorieux du
Christ sera aussi rapide que les trois jours de son sépulcre. Personne ne
pourra imaginer cela sauf ceux qui auront la même foi que Marie. Seule une foi
invincible, digne de la mère de Dieu, tiendra en ces heures dernières. Tous les
autres faibliront aussi sûrement que Jean face à ce qu'il ne comprit pas.
Solution 4 :
L’espérance théologale ne doit pas être confondue avec l’espoir
qui attend un bien terrestre d’une puissance terrestre. À la fin du monde,
seule l’espérance qui attend avec certitude la victoire de Dieu, qui est un bien
de la vie éternelle, de la puissance divine, pourra vivre dans la joie les
évènements selon cette parole[1464]
: « Quand vous verrez tout cela, redressez-vous et relevez la tête car votre
rédemption est proche. »
Objection 1 :
Cela semble impossible. À la différence du Temple de Jérusalem qui
était un lieu précis et pouvait facilement être transformé en temple de la
violence (ainsi devint-il juste avant sa destruction, de la faute des zélotes
en 70 après JC) ou des idoles, le Siège apostolique peut changer de lieu
puisqu’il est là où est le Pape. C’est ce que nous apprend l’histoire : le
Siège apostolique fut souvent déplacé en Avignon.
Objection 2 :
Le Siège Apostolique est un lieu matériel. Il ne peut donc être
profané puisque le culte du Nouveau Testament est spirituel, selon cette parole
du Seigneur[1465]
: « L’heure vient ou ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous
adorerez le Père ?. »
Objection 3 :
Ce texte
doit, semble-t-il, être interprété de toute autre façon : l’abomination de la
désolation dans le temple saint signifiait et annonçait la venue d’un grand
prêtre perverti qui collaborerait avec les Grecs pour installer une autre
religion que celle du Dieu unique. Il s’agit du grand prêtre Jason[1466]
et de ses successeurs. De même, à la fin du monde, il semble que l’on assistera
à la venue d’un antipape sur le siège de Pierre. Il prêchera un
anti-christianisme et entraînera un grand nombre à sa suite.[1467]
Cependant :
Le
Seigneur annonce en saint Matthieu[1468]
: « Lors donc que vous verrez l’Abomination de la désolation dont a parlé le
prophète Daniel installée dans le Saint lieu (que le lecteur comprenne) alors
que ceux qui seront en Judée s’enfuient dans les montagnes que celui qui sera
sur la terrasse ne descende pas dans sa maison pour prendre ses affaires, et
que celui qui sera aux champs ne retourne Pas en arrière Pour prendre son
manteau! Malheur à celles qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ce
jour là. »
Conclusion :
Comme on
l’a montré, la ruine de Jérusalem et la destruction du temple perpétrée par les
Romains sont des signes prophétiques de ce que subira le nouveau temple qui est
l’Église à la fin des temps. Or d’après le Seigneur le signe symbolisé par "l’abomination
de la désolation dans le lieu saint" sera ensuite donné.
Historiquement, il s’agit d’une prophétie du prophète Daniel. Elle fut réalisée
une première fois par le roi Antiochos Epiphane qui enjoint aux Juifs des
pratiques païennes. La fidélité à la loi de Moïse devint un acte de rébellion
politique. Et ce roi alla jusqu’à construire l’autel du Baal Shamem ou
Zeus Olympien sur le grand autel des holocaustes au Temple de Jérusalem. Elle
fut réalisée une deuxième fois par les Romains qui incendièrent le Temple et
construisirent à la place un Temple consacré à leur Panthéon. La résistance
juive qui se dressa alors ne réussit pas et fut définitivement anéantie en 135
après J. C.
De même,
vers la fin du monde, l’Église subira une grande tribulation menée par
l’Antéchrist. Elle aboutira, comme on l’a vu, à la destruction de l’Église
visible et à l’arrêt du sacrifice eucharistique et il est certain que
l’Antéchrist, pour manifester en plénitude sa victoire sur le culte divin,
établira une nouvelle Église consacrée au culte du Dieu de la liberté égoïste,
Lucifer et à l’adoration de l’homme. Tout au long de l’histoire, nous avons eu
des préfigurations de ces antichristianismes. Mais le dernier aura la
particularité d’être mondial et pacifiant au point de "séduire les
saints eux-mêmes".[1469]
Quant à
l’hypothèse de l’installation du Siège de cette nouvelle Église anti-chrétienne
sur le lieu même où gouvernait auparavant l’Église romaine, c’est-à-dire dans
la cité du Vatican où fut crucifié Pierre, il est possible qu’elle se réalise
matériellement. Cependant d’autres estiment que le siège de l’Antéchrist sera
la Ville Sainte, c’est-à-dire Jérusalem puisque l’Église de la fin des temps
avant son martyre, aura un rapport avec le peuple d’Israël. Il est impossible
d’être définitif sur de tels signes, au moins en ce qui concerne la matérialité
de leur réalisation puisque leur signification est d’abord celle de la réalité
spirituelle.
Solution 1 :
Le
symbolisme du Temple a plusieurs sens dont le profond se rapporte au corps de
l’homme, temple de son esprit que Dieu veut habiter. Comme on l’a montré, vers
la fin du monde, la papauté sera détruite par l’Antéchrist. Celui-ci établira
pour le monde entier un culte qu’il qualifiera d’universel, c’est-à-dire de catholique
et il se proclamera seul sauveur du monde. Beaucoup d’hommes adhèreront à cette
nouvelle religion, séduits par cette perspective d’unité mondiale à travers un
seul culte. En ce sens, on peut dire que l’Antéchrist établira son temple au
fond des cœurs qui sont le véritable temple de Dieu.
En un second sens, la présence de l’abomination dans le Temple
saint peut signifier matériellement que les églises, les mosquées et tous les
lieux où l’on adore le Dieu unique seront transformés en temple du démon. De
même il est permis de penser que le Siège Apostolique deviendra celui du
nouveau culte.
Solution 2 :
Comme tous les lieux saints, le Siège apostolique est consacré à
Dieu et rien de profane ne peut s y installer sans que cette consécration en
soit souillée. C’est pourquoi, on avait l’habitude de purifier les églises où
un crime avait été commis. De même, Judas Maccabées fit purifier le Temple de
Jérusalem après sa profanation par les idoles grecques[1470].
De ce fait, l’installation de l’abomination du culte des idoles dans le Siège
Apostolique constituera, s’il a lieu, un suprême blasphème et un défi à Dieu.
Et il y aura grande désolation et douleur chez les croyants à cette époque.
Solution 3 :
Quoiqu’il arrive dans le futur, il est impossible qu’un pape légitimement
élu se mette à enseigner en tant qu’il est pape autre chose que l’Évangile de
Jésus. Toute l’histoire de l’Église le montre : nous avons eu des papes
assassins, adultères ou polygames mais jamais de pape hérétique. La seule
exception à ce fait, Honorius I qui enseigna un temps le monothélisme (Jésus
n’aurait eu qu’une volonté divine, pas de volonté humaine) n’est pas
significative puisque son affirmation dont il se rétracta par la suite, relève
du domaine privé de ses opinions. La raison de ce fait est simple : en tant
qu’homme, les papes ne sont pas impeccable (incapables de péchés) mais en tant
que successeurs de Pierre, ils sont infaillibles au plan doctrinal non de leur
propre force mais parce que Jésus a promis[1471]
: « J’ai prié pour que ta foi ne défaille pas. » Il est donc certain
que, quelles que soient les décisions des papes du futur, non seulement en tant
qu’ils exercent leur fonction de Magistère mais aussi, à un autre degré, en
tant qu’ils sont Pasteur suprême, elles seront de Dieu. Pour illustrer ce fait,
saint Jean Bosco fit un rêve concernant les épreuves de la fin du monde : Il
voyait l’Église comme un navire secoué par la tempête. Mais seuls survivaient
au naufrage ceux qui s’appuyaient sur trois blancheurs : la Vierge Marie pour son
espérance inébranlable à la croix, Jésus pour son eucharistie et son
inhabitation dans l’oraison, le pape enfin pour sa foi toujours vraie. Ceci
dit, nous avons vu (article 5) en
quel sens la papauté sera signe de la fin du monde.
Objection 1 :
Le Christ ne trouvera pas la foi sur terre En effet, l’Écriture
affirme que la Bête aura le pouvoir de vaincre les saints. Or sa victoire ne
serait pas totale s’il restait la foi sur la terre.
Objection 2 :
À la mort de Jésus, qui est la préfiguration de celle de l’Église
à la fin du monde, il ne resta personne pour croire excepté la Vierge Marie. Or
la Vierge Marie était immaculée dans sa conception ce qui la rend différente du
reste de l’humanité. Donc à la fin du monde, il n’y aura personne pour croire
alors que tout semblera perdu.
Objection 3 :
Une foi
comme celle de Marie est réservée aux contemplatifs mais ne peut appartenir à
la masse des chrétiens. Or, les ordres contemplatifs seront détruits Par
l’Antéchrist à la fin des temps. Donc la foi ne subsistera pas sur la Terre.
Cependant :
Le
Seigneur dit à propos de saint Jean[1472]
: « S’il me plait qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne ?. » Et
l’évangéliste commente ainsi cette parole mystérieuse : « le bruit se
répandit alors chez les frères que ce disciple ne mourrait pas. » Or Jésus
n’avait pas dit à Pierre : « Il ne mourra pas" mais : « si je
veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne. » Donc, lors au retour bu
Christ, il restera sur la terre des croyants dont la foi est symbolisée d’une
manière allégorique par celle de saint Jean, le disciple bien-aimé.
Conclusion :
De même
qu’à la croix subie par Jésus, il est resté quelques personnes (surtout des
femmes) qui ont cru et n’ont jamais douté, de même lors de la passion que
subira l’Église, et pendant le temps de sépulcre qui s’en suivra et qui
précèdera immédiatement le retour du Christ, la foi demeurera sur la terre.
Or il est
remarquable de voir que la seule personne à avoir infailliblement cru, d’une
foi divine appuyée sur la seule confiance en la parole de Dieu, est la Vierge
Marie. En effet, l’apôtre saint Jean lui-même fut davantage présent à la croix
par amitié envers Jésus que par véritable foi divine comme le prouve le fait qu’il
retrouva une foi plus assurée en voyant le sépulcre vide et le linceul posé à
sa place[1473].
Quant à Marie Madeleine, sa fidélité n’était pas exempte d’un motif humain
comme l’indique la passion qu’elle éprouvait pour Jésus ; Joseph d’Arimathie et
Nicodème exprimèrent leur respect à un homme qu’ils admirèrent et non à un
Dieu.
De même, à
la fin du monde, seuls les croyants ayant une foi à l’image de celle de Marie
pourront rester fidèlement dans l’attente de la résurrection finale. Et si l’on
en croit les paroles de Jésus, une telle foi existera. C’est ce qu’il indique
dans le texte cité à propos de saint Jean : ce disciple en effet, symbolise
celui qui croit comme la Vierge Marie puisqu’il la prit chez lui à l’heure de
la passion[1474].
Mais il existera d’autres hommes à pleurer le grand malheur subi par l’Église,
à l’image de Joseph d’Arimathie. Ceux-là auront le courage d’exprimer face à
l’Antéchrist leur tristesse.
Solution 1 :
Cette victoire de l’Antéchrist ne sera pas totale puisque les
temps de se lutte seront limités "à cause des élus qui devront avoir la
vie sauve".[1475]
Quant à la victoire de l’Antéchrist, elle ne sera qu’apparente. Par ses
manœuvres et la séduction appuyée sur l’efficacité des résultats dont il pourra
se valoir, il fera disparaître toute apparence de culte extérieur et les
remplacera par le culte d’un nouveau Dieu, prêchant un nouvel Evangile de la
liberté et de la fierté. Mais il ne pourra jamais arracher de la nature humaine
son orientation faite pour le vrai Dieu de l’humilité (kénose) et de l’amour,
ni la foi et la charité de ceux qui prient dans le secret. Le monde qu’il
créera sera donc en apparence en paix sans Dieu et en réalité en état
d’inanition spirituelle. Nous en avons une image dans le martyre subi par
l’Église de Russie sous la violence de Staline.
Solution 2 :
La Vierge Marie n’était pas seule à croire. D’autres femmes
restèrent fidèles, en s’appuyant sur elle. Mais la pureté de la foi de Marie,
pour laquelle elle fut proclamée bienheureuse[1476],
fut unique. Elle n’est pas hors de portée du reste des chrétiens. Cependant,
elle ne peut être acquise que par une patiente éducation réalisée par la mère
de Dieu. C’est pourquoi Jésus à confié sa mère à son disciple bien-aimé,
invitant par la même occasion les autres à l’imiter. De même, la prière du
Rosaire qui est une contemplation accompagnée de Marie de la vie de Jésus est
une pratique essentielle pour l’acquisition de l’esprit de Marie.[1477]
C’est pourquoi aussi, nous le verrons, Marie recevra de Jésus vers la fin du
monde une concrète mission apostolique pour l’Eglise de la terre.
Solution 3 :
La vie
contemplative n’est réservée aux ordres contemplatifs mais elle est donnée à
tous les chrétiens selon cette parole du Christ "Tu as caché cela aux
sages et aux savants mais tu l’as révélé aux tout-petits".[1478]
Vers la fin du monde, la Vierge aura d’après saint Louis-Marie Grignon un rôle
particulier puisqu’elle préparera en vue du martyre de l’Église une Église qui
lui sera consacrée et qui sera rendue prête à vivre du mystère de se compassion
A propos de la Vierge Marie, qui est appelée Reine de l’Église,
nous nous demanderons :
1° La Vierge doit-elle avoir un rôle,
particulier à la fin du monde ?
2° Apparaîtra-t-elle aux hommes ?
3° Y aura-t-il des apparitions d’anges ?
4° Deux témoins doivent-ils venir vers la fin
du monde ?
Objection 1 :
Le culte de la Vierge Marie ne peut être particulier à la fin du
monde au point de devenir indispensable pour garder la foi. En effet, la foi
des chrétiens s’appuie en premier lieu sur le Seigneur Jésus, qui est l’unique
médiateur entre Dieu et les hommes.
Objection 2 :
La Vierge
Marie s’est toujours effacée derrière le Seigneur Jésus. On ne voit pas
pourquoi elle devrait agir autrement à la fin du monde.
Cependant :
Saint
Bernard écrit : « de même que le Christ nous a été donné par la Vierge Marie
une première fois, de même a la fin du monde il nous sera donné par elle une
deuxième fois. » Donc la Vierge Marie aura un rôle particulier à la fin du
monde.
Conclusion :
D’après
saint Louis-Marie Grignon, la Vierge prendra une importance de plus en plus
essentielle vers la fin du monde[1479].
Et il est facile d’en trouver la raison d’après ce que nous avons dit : lorsque
l’Esprit de l’Antéchrist commencera à répandre sa séduction sur le monde, il
deviendra très difficile de rester fidèle à son baptême car les attaques du
démon porteront sur la légitimité même de la foi en Dieu qui est le fondement
de tout l’édifice chrétien. Viendra donc un temps où seule une foi fondée sur
le Roc qui est Jésus Christ lui-même pourra tenir. Et une telle foi n’est autre
que celle de Marie. Il est donc probable que vers la fin des temps, elle sera
expressément et de plus en plus recommandée aux chrétiens comme le modèle et
l’éducatrice indispensable. Elle sera recommandée à la fin par la papauté dont
le rôle est d’orienter la piété ces fidèles, et par les saints qui seront
intimement mus par l’Esprit Saint à proclamer l’urgence d’une telle dévotion.
Lorsque
viendra l’Antéchrist et ses armées matérielles, il détruira la papauté et
empêchera la célébration de l’eucharistie. Alors la Vierge restera le seul
support intérieur des fidèles dans leur désir de rester fidèles au Seigneur
Jésus. Elle aura donc un rôle indispensable dans ces moments difficiles. C’est
ce qu’exprime C’est ce qu’exprime le verso de la médaille donnée par la Vierge
à sainte Catherine Labouré lors de son apparition à la rue du Bac (1830) : Elle
représente une croix qui est portée par un M symbolisant que vers la fin du
monde, la foi dans la rédemption de la croix ne tiendra que chez ceux qui
auront la Vierge au centre de leur vie de prière.
Solution 1 :
Une chose peut être indispensable de deux manières : 1. D’une
manière absolue au point qu’on ne peut rester croyant sans l’avoir. En ce sens,
la Vierge Marie ne sera cas indispensable à la fin du monde mais seulement
l’esprit intérieur dont elle a vécu jusque dans l’attente du sépulcre où tout semblait
perdu. 2. D’une manière relative, en tant qu’elle permet de mieux réaliser la
fin désirée. De cette manière, on peut dire que des ailes sont utiles pour
monter vite. Pris en ce sens, la Vierge Marie sera indispensable puisqu’elle
enseignera aux chrétiens à vivre de cet esprit de foi dont elle a elle-même
vécu. Elle représentera un moyen surajouté par la miséricorde de Jésus pour
ceux qu’il a choisis pour vivre dans la compassion ces dernières heures du
monde.
Solution 2 :
Vers la
fin du monde, lorsque le temps sera compté, le Seigneur demandera à la Vierge
de préparer une Église sainte et immaculée à son image. Quant à la Vierge, elle
ne recevra pas un culte finalisé par elle-même mais elle n’aura pas d’autre but
que de conduire les hommes vers Jésus. C’est ce qu’exprime saint Louis-Marie : «
Lorsque l’on crie Marie, elle répond Jésus ».[1480]
Objection 1 :
Cela ne semble pas. Si elle apparaît aux hommes, elle supprimera
la foi puisque tous auront vu la vérité du message évangélique. Or la vertu de
foi est nécessaire au salut à cause de l’humilité qu’elle entretient dans le
cœur de l’homme.
Objection 2 :
Le signe donné par l’Apocalypse au chapitre 12 doit être pris au
sens symbolique puisqu’il peut signifier plusieurs choses comme l’Église,
Israël, et l’âme des saints. Donc il ne signifie pas que la Vierge apparaîtra
réellement.
Objection 3 :
D’après
l’Apocalypse, la femme est enceinte et crie dans les douleurs de l’enfantement.
Or la Vierge Marie est déjà glorifiée. Elle ne peut donc souffrir, donc cette
parole de l’Apocalypse ne parle pas d’elle.
Cependant :
L’Apocalypse
12 annonce "un signe grandiose apparut dans le Ciel : une femme! Le
soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa
tête. Elle est enceinte et crie dans les douleurs de l’enfantement. » Et
d’après les saints, ce signe est celui de l’Église, d’Israël et de la Vierge
Marie. Donc la Vierge se rendra visible à la fin du monde.[1481]
Conclusion :
La Vierge
a reçu au pied de la croix Jean pour fils. Et cette nouvelle maternité signifie
qu’elle est rendue responsable de mener le disciple bien aimé par un
enseignement intérieur vers le Christ et son apparition glorieuse. Saint Luc
confirme cette profondeur de la Vierge puisqu’elle "gardait tous les
enseignements de son fils dans son cœur".[1482]
C’est pourquoi on doit affirmer que la mission de Marie est d’abord intérieure.
Cependant,
les attaques du démon sur la foi surabondant, les grâces de Dieu surabonderont
de la même façon. Et comme l’homme est un être sensible, il convient qu’il
reçoive par des signes sensibles extérieurs, certaines révélations selon
l’urgence des temps qu’il vit. C’est pourquoi il convient que la Vierge
apparaisse vers la fin du monde, attirant ainsi l’attention des hommes vers la
nécessité d’une conversion avant qu’il ne soit trop tard et que l’Antéchrist
paraisse.
Cependant
le signe de la femme revêtue du soleil, c’est-à-dire de l’amour de Dieu, quant
à la lune sous ses pieds (ce qui signifie la pureté de son âme immaculée) et
douze étoiles (ce qui signifie sa maternité sur l’Église), ne sera donné d’une
façon glorieuse qu’au moment du retour du Christ dont il accompagnera
l’apparition.
Solution 1 :
Dans les temps qui précéderont la fin du monde, la Vierge
n’apparaîtra pas à tous les hommes mais seulement à quelques-uns qui recevront
la mission de proclamer au monde le contenu de ses paroles. Et elle
accompagnera ses apparitions de certains signes et miracles suffisants pour
manifester aux fidèles et à la hiérarchie ecclésiale la vérité de sa venue.
Cependant, même chez ceux qui l’auront vu, La foi ne disparaîtra pas tout à
fait puisqu’elles n’auront pas en même temps la vision de l’essence divine qui
seule peut supprimer toute obscurité dans l’intelligence.
Solution 2 :
Il est vrai que les signes annoncés par l’Apocalypse ont un sens
symbolique. Cependant, rien n’empêche que Dieu les donne matériellement aux
hommes vers la fin du monde afin de marquer leur imagination et de mieux les
convaincre de la proximité de l’épreuve. C’est ce qu’on voit dans l’apparition
de la rue du Bac à sainte Catherine en 1830 et où la Vierge donna sur une
médaille le signe annoncé par l’Apocalypse.
Solution 3 :
Les
douleurs se l’enfantement ne signifient pas que la Vierge souffre mais qu’elle
a reçu mission de conduire l’Église dans l’enfantement qui l’introduira tout
entière dans la gloire de l’autre monde.
Objection 1 :
L’ange de l’Apocalypse est présenté comme "debout sur le
soleil"[1483]
ou encore "avec le pied droit sur la mer, le gauche sur la terre".[1484]
Et il est évident que ces textes ont un sens symbolique. Ils veulent simplement
montrer que les décisions viennent de Dieu qui est comme le soleil et qu’elles
concernent le monde entier symbolisé par la terre et la mer. Donc il n’y aura
donc pas d’apparitions d’anges.
Objection 2 :
L’ange est
une créature spirituelle. S’il apparaît, ce ne peut être qu’en se façonnant une
apparence de corps. Or ce qui est une apparence n’est pas la vérité. Il ne
convient donc pas que des anges apparaissent à la fin du monde.
Cependant :
L’Apocalypse
annonce[1485]
: « L’ange que j’avais vu, debout sur la mer et sur la terre, leva la main
droite au Ciel et jura par celui qui vit dans les siècles des siècles »
« Plus de délai! Mais aux jours où l’on entendra le septième ange, quand
il sonnera de la trompette alors sera consommé le mystère de Dieu. » Donc
il y aura des apparitions d’anges.
Conclusion :
Si l’on
regarde attentivement les textes de l’Apocalypse, on doit admettre que leur
sens est d’abord symbolique. Ils signifient sous un mode allégorique l’ordre
des décisions de Dieu concernant l’humanité. Cependant, comme on l’a vu, Dieu
rend parfois visible d’une façon matérielle de telles décisions. Ainsi il n’est
pas indispensable qu’avant la fin du monde il y ait de réelles apparitions
d’anges. Car ces anges, dont le nom signifie "missionnaires" peuvent
signifier l’envoi de prophètes humains dont la parole puissante rappellera à
l’humanité la proximité de la fin du monde, puisque, au sens étymologique, le
mot ange signifie envoyé de Dieu.[1486]
Solution 1 :
Et cela répond à la première objection. Cependant on doit dire que
l’ange de l’Apocalypse est déjà venu sur la terre et a parlé par la bouche d’un
grand prophète canonisé par l’Église, saint Vincent Ferrier. Ce dernier annonça
qu’il était cet ange que saint Jean vit voler par le milieu du Ciel, criant à
haute voix "peuples, craignez le Seigneur et rendez-lui gloire, parce
que le jour du jugement approche. » Et ce saint confirma la vérité de ses
paroles en ressuscitant un mort et en faisant bien d’autres miracles. C’est
pourquoi l’Église en le canonisant au XVème siècle, lui a donné le
titre d’ « ange de Dieu. » Saint Vincent Ferrier annonça la venue
après lui d’autres envoyés qui parleront de la fin du monde.
Solution 2 :
Lorsque
les anges se rendent visibles, ils ne veulent pas faire croire aux hommes
qu’ils ont un corps qui leur est personnel mais ils veulent adapter leur
langage à l’homme en manifestant par des signes sensibles le contenu de leur
message. C’est pourquoi l’Écriture montre de nombreuses apparitions d’anges.
Ainsi le deuxième livre des Macchabées[1487]
raconte qu’au cours d’un combat « les ennemis virent apparaître cinq
hommes magnifiques qui se mirent à la tête des Juifs et les adversaires,
bouleversés par l’éblouissement se dispersèrent dans le plus grand désordre. » De
même, avant la fin du monde, il pourra y avoir des signes semblables. Mais de
tels miracles, s’ils ont lieu, ne suffiront pas à retourner le cœur des
incrédules qui sauront trouver des explications naturelles au phénomène. Par
contre, si l’on regarde l’apparition des anges selon le premier sens que
prennent tous les textes eschatologiques, c’est-à-dire l’heure de la mort
individuelle, alors on doit dire que tous les hommes auront une apparition
d’ange. En effet, dans la mort, le Christ est précédé ou suivi par l’ange de
l’heure de la mort comme nous l’avons montré (question 8).
Objection 1 :
Il semble difficile d’affirmer que deux témoins viendront à la fin
du monde. En effet, le texte de l’Apocalypse dont on parle est allégorique. On
doit donc dire qu’il s’agit d’une image représentant un témoignage spirituel de
l’Église.
Objection 2 :
Les deux témoins ne peuvent signifier l’Église et l’islam puisque
ces deux religions sont par essence en opposition à cause de leur foi
différente sur le mystère du Christ.
Objection 3 :
Les deux
témoins semblent être l’Église et Israël et non l’Église et l’islam. C’est ce
que suggère le texte de saint Paul qui parle de l’olivier franc et de l’olivier
sauvage[1489].
Cependant :
L’Apocalypse[1490]
annonce la venue de deux témoins qui prophétiseront avant d’être mis à mort
puis de ressusciter.
Conclusion :
Traditionnellement,
on considère que les deux témoins qui doivent venir à la fin des temps sont
Énoch et Élie, les deux hommes justes dont l’Écriture raconte qu’ils ne
moururent pas mais turent enlevés au Ciel. Énoch fut le septième patriarche après
Adam[1491]
: « Énoch marcha avec Dieu, puis il disparut car Dieu l’enleva. » Quant à
Élie, il disparut dans un char de feu sous les yeux du prophète Elisée[1492].
Certains théologiens juifs et chrétiens pensèrent donc que ces deux prophètes
attendaient dans le paradis terrestre et devaient revenir à la fin du monde
annoncer la venue ou le retour du Christ. Cependant, si l’on regarde les
Écritures, on doit parler autrement. En effet, le Seigneur affirme que le
prophète Élie qui devait revenir n’était autre que Jean-Baptiste, le fils
d’Elisabeth[1493].
Il ne peut donc s’agir matériellement de cet Élie qui a vécu au temps de la
reine Jézabel, mais il s’agit plutôt d’un homme revêtu de l’esprit d’Élie,
c’est-à-dire de sa spiritualité.
Il en sera
donc de même à la fin du monde. Et pour connaître ce que peuvent représenter
les spiritualités d’Énoch et d’Élie, il suffit de regarder leur vie. Ainsi
Énoch représente la fidélité intérieure puisqu’il marcha avec Dieu. Il est
l’esprit de l’amour de Dieu. Quant à Élie, il est remarquable par le zèle qui
le brûlait à l’égard du Seigneur. Il n’hésita pas à faire cesser toute pluie
durant son ministère pour conduire les hommes à la conversion. De même, il leur
prouva la vanité du Dieu Baal en ridiculisant ses prophètes par un défi où le
vrai Dieu devait répondre. Il fit mettre à mort les serviteurs de Baal.
L’esprit d’Élie est donc celui de l’intransigeance de la foi, celui de la
fidélité extérieure au Seigneur. Et Jean-Baptiste, qui n’hésita pas à reprocher
au roi Hérode son péché avec la femme de son frère jusqu’à en perdre la vie fut
réellement rempli de ce zèle de l’honneur de Dieu.[1494]
Ainsi, les
deux témoins qui doivent venir à la fin du monde pour témoigner extérieurement
de Dieu peuvent représenter en un sens spirituel, la vie contemplative qui est
l’esprit d’Énoch et la vie apostolique qui vit du zèle d’Élie. Pris en ce sens,
Énoch et Élie doivent être considérés comme présents à chaque époque à travers
les moines et les apôtres.
Selon une
autre interprétation, si l’on suit le texte de l’Apocalypse, ils sont les deux
oliviers, c’est-à-dire selon sont Paul l’Église et Israël d’un côté, qui ne
formeront qu’un seul olivier à la fin du monde lorsque Israël se convertira au
Christ, et l’islam de l’autre. Ainsi, vers la fin du monde, l’Église du Christ
sera aux yeux du monde témoin de l’amour de Dieu tandis que l’islam proclamera
avec l’intransigeance de sa foi le Dieu unique et leur témoignage uni sera pour
le monde insupportable. C’est pourquoi l’Apocalypse parle de la guerre que leur
fera le démon, jusqu’à les détruire.
Une
troisième interprétation n’est pas exclue : Celle qui pense que les deux
témoins seront deux prophètes suscités par Dieu à la fin du monde et dont
l’efficacité apostolique sera immense à cause des nombreux charismes dont ils
seront revêtus. Ces deux hommes, revêtus avec puissance de la confiance d’Énoch
et du zèle d’Élie, ramèneront à Dieu de nombreux hommes.[1495]
Pour
confirmer ce double témoignage d’un envoyé de l’amour chrétien et du zèle
musulman, on peut trouver dans les enseignements de l’islam une théologie
analogue concernant les signes de la fin du monde à propos du "Mahdi".[1496]
Le Mahdi est évoqué dans des hadiths authentiques. Le Prophète a annoncé
l’apparition d’un homme parmi sa communauté. Le Mahdi (le bien guidé)
répandra la justice sur toute la terre qu’il trouvera dominée par le despotisme
et l’injustice. Le Prophète a affirmé que son nom correspondra au sien et que
le nom de son père correspondra à celui du père du Prophète. Il sera de la
tribu de Quraich. Il restera sur terre sept ans. Dieu le fera intègre et
vertueux car il est bien guidé. En son époque apparaîtra l’imposteur,
l’Antéchrist. C’est le Mahdi qui sera l’imam (guide de la prière). Il vivra à
l’époque où descendra Jésus, tous deux s’activeront pour réparer ce qui a été
détruit et remettre cette communauté, qui s’est éloignée des prescriptions
islamiques, sur le droit chemin.
Solution 1 :
Le texte de l’Apocalypse n’est pas d’abord à prendre au
sens matériel. Ainsi, que la mission des deux témoins doive durer 1060 jours,
c’est-à-dire trois ans et demi, cela signifie qu’ils auront la même mission que
le Christ dont la prédication a duré trois ans et demi ; De même, que leurs
cadavres doivent rester sans vie trois jours et demi signifie qu’ils vivront la
même passion que le Christ puis ressusciteront comme lui. Cependant, le sens
spirituel de ces textes n’exclut pas forcément une certaine littéralité. Il
est donc possible que les deux témoins représentent l’Église et Israël ou
encore l’Église et l’islam qui subiront comme nous l’avons dit, les attaques de
l’Antéchrist à la fin au monde ; Ils peuvent aussi représenter deux hommes
aussi réels que Jean Baptiste lors de la première venue du Christ. Et la raison
de cette multiplicité des sens de ces textes vient de Dieu qui peut manifester
aux hommes le même mystère de multiples manières.
Solution 2 :
Vers la fin du monde, lorsque l’Antéchrist commencera ses attaques
contre Dieu, les divisions et les oppositions entre le christianisme et l’islam
paraîtront moins importantes devant la gravité du danger. Aussi, il est
probable qu’il y aura un rapprochement entre tous les adorateurs de Dieu qui
donneront ainsi un seul témoignage.
Solution 3 :
En un
certain sens, les deux témoins peuvent représenter l’Église et Israël. C’est
ainsi que durant des siècles, dans les nations chrétiennes où habitait une
partie du peuple d’Israël en en exil, Dieu fut adoré par ces deux religions.
Cependant,
vers la fin du monde, lorsqu’Israël adhérera à la foi au Christ, il ne fera qu’un avec
l’Église. Le monde n’aura donc plus que deux religions issues d’Abraham et ces
deux religions témoigneront devant l’Antéchrist.
Selon
saint Paul, il faut tenir comme une certitude que le retour du Christ sera
précédé par la venue de l’Antéchrist[1497]
: « Je vous en supplie, mes frères, que personne ne se laisse troubler comme
si le jour du Seigneur était près d’arriver. Car le Fils de Dieu ne descendra
pas une seconde fois qu’on n’ait vu paraître l’Homme de péché, le fils de perdition,
celui qui doit se déclarer l’adversaire, s’élever au-dessus de tout ce qui est
appeler Dieu ou qui est adoré, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, s’y
montrant comme s’il était Dieu. »
A propos
de l’Antéchrist, il faut étudier :
1 : Pourquoi Dieu permettra-t-il ce mal avant le retour
du Christ ?
2 :
Qu’est-ce que l’esprit de l’Antéchrist dont parle saint Jean ?
3 :
L’Antéchrist sera-t-il un homme ou un démon fait homme ?
4 : Qu’est
ce que le chiffre de la Bête ?
5 :
Peut-on savoir quelle sera l’idéologie de l’Antéchrist ?
6 : Peut-on savoir quelle sera l’œuvre de
l’Antéchrist ?
Voir la
Question 27, article 3
Objection 1 :
Il semble que l’esprit de l’Antéchrist n’est pas l’amour de soi
poussé jusqu’au mépris de Dieu. En effet, saint Jean montre qu’il est un esprit
qui s’oppose à la foi dans l’incarnation du Christ[1498].
Objection 2 :
D’après saint Jean, l’Antéchrist est un homme qui doit venir[1499].
Il semble qu’il sera animé par un démon qui inspirera tous ses actes. Donc
l’esprit de l’Antéchrist est Lucifer lui-même.
Objection 3 :
Dans l’ordre, la hiérarchie des valeurs morales du christianisme
sont 1° la charité (α et
Ω de la loi), 2° l’humilité
(kénose) (fondement et effet de la charité), 3° la vertu (observation des commandements). Donc, au sans moral,
l’esprit de l’Antéchrist n’est réductible à l’amour de soi poussé jusqu’au
mépris de Dieu.
Cependant :
Saint Jean
écrit : « À ceci reconnaissez l’esprit de Dieu : tout esprit qui confesse
Jésus-Christ venu dans la chair est de Dieu et tout esprit qui ne confesse pas
Jésus n’est pas de Dieu. C’est là l’esprit de l’Antéchrist. »
Conclusion :
Comme son
nom l’indique, l’esprit de l’Antéchrist est l’inverse de l’esprit du Christ.
Comme le Christ est l’image de la sagesse de Dieu, on peut déduire que l’esprit
de l’Antéchrist s’oppose directement à la sagesse de Dieu dans ce qu’elle a
d’essentiel.
Il faut
donc chercher à savoir quelle est la valeur première de la sagesse de Dieu.
Comme nous l’avons montré, Dieu a créé les êtres spirituels en vue de les
introduire dans la vision de son essence. Mais cette béatitude suprême ne peut
être communiquée qu’à ceux qui l’aiment. Parce que Dieu est amour, sans aucun
mélange d’égoïsme, il désire créer un monde où, unis à lui par l’amour
d’amitié, tous les hommes s’aiment au point de former une communion de saints.
C’est pourquoi la sagesse de Dieu considère la charité et ses deux
commandements, comme la plus haute vertu. C’est ce qu’exprime saint
Augustin lorsqu’il dit qu’être dans la cité de Dieu, c’est aimer Dieu jusqu’au
mépris de soi.
En
conséquence, on peut dire que l’esprit de l’Antéchrist consiste dans l’opposé
de cet amour oblatif : c’est "l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de
Dieu et du prochain".[1500]
Il s’agit donc d’une révolte contre l’ordre de Dieu. Son premier effet
s’appelle l’orgueil (l’exaltation de sa propre volonté comme source du bien et
du mal) de même que la disposition comme le premier effet de la charité est son
contraire, l’humilité (kénose). Cet esprit de révolte s’est manifesté dès le
commencement de la création, quand une partie des esprits angéliques se
détourna de Dieu, refusant de servir comme le Seigneur le leur avait demandé,
et s’exaltant en eux-mêmes à cause de l’amour excessif de leur dignité. C’est
pourquoi l’on peut dire que l’esprit de l’Antéchrist trouve son origine
première dans l’orgueil luciférien, symbolisé dans l’Apocalypse par le dragon[1501].
Dans
l’humanité, l’esprit de l’Antéchrist qui s’oppose à la charité est symbolisé la
première fois par l’arbre de la connaissance du bien et du mal parce qu’Adam et
Ève, à cause d’un amour désordonné d’eux-mêmes, refusèrent de se soumettre aux
commandements de Dieu mais se donnèrent à eux-mêmes une morale d’où la charité
était exclue. L’orgueil humain est symbolisé dans l’Apocalypse[1502]
par la bête de la mer avec sept têtes et dix cornes. L’une des têtes,
blessée à mort, et qui avait été guérie, symbolise cet orgueil qui est
vaincu sans cesse par la faiblesse de la condition humaine mais renaît malgré
tout sans cesse. Les autres têtes sont les six autres péchés capitaux par
lesquelles les hommes cherchent leur bien individuel : la gourmandise (au sens
d’une convoitise de nourriture pour sa survie individuelle), l’avarice, la
luxure, l’envie, la paresse, la colère. Ainsi, on peut dire que l’esprit de
l’Antéchrist qui est l’amour égoïste de soi est source de tous les péchés
intérieurs qui sont dans le monde (les sept têtes), et de tous les actes
extérieurs mauvais (les dix cornes).
Solution 1 :
Puisque l’esprit de l’Antéchrist est l’opposé de la charité, il
lutte contre tout ce qui conduit à la charité et il essaye de construire tout
ce qui va dans le sens de l’amour de soi et de l’orgueil. C’est pourquoi les
orgueilleux rejettent le Christ et sont prêts à nier sa mission, même si elle
leur est démontrée par les miracles les plus éclatants. Lors du jugement
dernier, l’esprit de l’Antéchrist sera donc manifesté à tous par ce péché dont
parle saint Jean ou par tout autre blasphème contre le Saint Esprit.
Solution 2 :
Au sens moral, on peut dire que l’esprit de l’Antéchrist est
Lucifer. En effet, comme nous l’avons montré, l’Ange révolté est celui qui
inspire à tout homme la révolte contre Dieu et l’amour de soi. Cependant, au
sens ontologique, Lucifer ne peut être l’esprit de l’Antéchrist puisque il est,
quant à son être, créé car Dieu et bon. Seul son choix a fait de lui un ange
révolté. Il est donc plus correct de parler de la spiritualité de l’Antéchrist.
En ce sens, elle vient de Satan et lui est commune avec les hommes pervertis.[1503]
Solution 3 :
Ces trois
valeurs morales sont résumées dans une seule : la charité. De même, l’esprit de
l’Antéchrist qui au cours des temps s’est incarné dans des milliers de nuances,
depuis les simples convoitises aux idéologies les plus sophistiquées comme
celle de Freud, Sartre, peut se résumer en son fondement selon Augustin :
l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu et des autres.
A l’argument Cependant :
On peut
répondre : le vrai Dieu, celui de Jésus Christ est, au plan de ses attributs
intérieurs, amour, humilité (kénose) et perfection. Celui donc qui rejette
Jésus Christ, en sachant pleinement cela, ne peut le faire qu’à cause
d’une contradiction interne qu’il trouve en lui. Mais attention : le rejet de
Jésus Christ connu superficiellement ou à travers les péchés des chrétiens peut
être un signe que la personne est disposée à vivre du véritable esprit du
Christ. On raconte qu’avant d’être exécuté, l’empereur inca Atahualpa se vit
proposer le baptême par l’aumônier. Il le refusa en disant que si le paradis
était dirigé par Jésus Christ, dieu de ces guerriers adorateurs de l’or, il
préférait aller en enfer avec ses idoles[1504].
Donc, au moins avant l’apparition glorieuse du Christ qui supprimera l’erreur,
ce texte doit être interprété non selon la lettre mais selon l’esprit.
Objection 1 :
Il semble que l’Antéchrist sera plutôt un homme qu’un démon. La
Vierge annonce dans son apparition de la Salette qu’il naîtra de l’union d’une
fausse religieuse juive et d’un évêque.
Objection 2 :
Saint Jean affirme[1505]
: « C’est que beaucoup de séducteurs se sont rependus dans le monde, qui ne
confessent pas Jésus venu dans la chair. Voilà bien le séducteur, l’Antéchrist.
» Il semble que l’Antéchrist sera une secte et non un homme.
Objection 3 :
Les textes
qui parlent de l’Antéchrist semblent être des mythes signifiant par allégorie
l’universalité des tyrans et des persécuteurs qui viendront dans le monde. Il
s’agit donc non d’un homme mais de l’image collective de tous les impies et les
hérésiarques qui combattent Dieu. [1506]
Cependant :
Saint Paul
écrit aux Thessaloniciens[1507]
: « Auparavant doit venir l’apostasie et se révéler l’homme impie, l’Être
perdu, l’Adversaire, celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de
Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le
sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. »
Conclusion :
En suivant les textes prophétiques de l’Écriture sur l’Antéchrist,
on doit admettre qu’il ne s’agit pas seulement d’une spiritualité, ni de Satan
lui-même bien que l’apôtre montre que l’impiété est déjà à l’œuvre ; il ne s’agit
pas seulement des nombreux faux prophètes qui sont venus[1508]
; il s’agit en définitive d’un homme qui viendra à la fin du monde et résumera
en lui avec perfection tout le mystère du péché : il prêchera une idéologie
bien adaptée à l’orgueil humain dont l’inspiration viendra du démon et séduira
des foules de ses serviteurs.
1° Quant à son intelligence, il adoptera
l’esprit de l’opposition au Christ d’une manière parfaite et il saura enseigner
cette doctrine avec logique et persuasion. Il s’opposera par son enseignement à
tout ce qui est respectable et sacré[1509].
« Il s’exaltera avec audace contre le Dieu des dieux et réputera comme
néant le Dieu de ses pères. »
2° Quant à l’efficacité, il recevra en don de
la part du démon le pouvoir d’accomplir toute sorte de prodiges séducteurs qui
sembleront confirmer la vérité de ses dires. Certains Pères, s’appuyant sur le
livre de l’Apocalypse au chapitre 13 n’hésitent pas à affirmer qu’il ira
jusqu’à s’élever dans les airs comme Siméon le Magicien et qu’il opérera une résurrection
apparente. Il sera donc pour le monde d’une grande séduction, plus que tous les
autres antéchrists venus précédemment. Saint Thomas affirme que, de même que la
plénitude de la divinité habite corporellement dans le Verbe Incarné, ainsi la
plénitude de tout mal habitera dans l’Antéchrist dont la mission et les œuvres
seront une copie inversée de la mission et des œuvres de Jésus Christ.
La raison
qui explique l’humanité charnelle de l’Antéchrist tient à ceci : la
connaissance et l’action de l’homme étant liées au corps, il ne convient pas
que ce qui le conduit à la connaissance et à l’action reste purement spirituel
ou abstrait. C’est pourquoi le Verbe éternel de Dieu, voulant s’adresser
parfaitement aux hommes, s’est fait chair. C’est pourquoi, à l’heure de la
mort, la parole de Dieu et celle du démon seront données à travers des
apparitions sensibles. C’est pourquoi aussi les antichristianismes, lorsqu’ils
réussissent, s’incarnent toujours dans la personne d’un leader politique qui
les prêche. Aussi en fut-il pour le racisme avec Hitler, Staline, Pol Pot.
Ceux qui
tiennent l’opinion selon laquelle l’Antéchrist sera un démon fait homme ne
doivent pas être suivis. En effet, Le démon n’a pas le pouvoir d’assumer une
nature humaine au point de former un seul être avec elle, tel que le fit Dieu
dans l’humanité du Christ. En effet, la puissance naturelle du démon n’est
autre que celle de la nature angélique. Elle est donc limitée à certains effets
secondaires mais ne peut atteindre la substance des réalités. Un tel pouvoir
sur l’être des choses appartient par essence à Dieu qui est cause de l’être. En
conséquence, le démon ne peut s’unir à un homme que de deux manières : 1- En
assumant son corps à la manière d’un moteur extérieur, comme on le voit dans certaines
possessions démoniaques. Mais dans ce cas, ce n’est pas vraiment l’homme qui
agit. C’est le démon qui agit par l’intermédiaire des actes corporels du
possédé. Il ne semble pas que cela puisse correspondre à l’Antéchrist qui agira
de lui-même puisqu’il sera l’homme impie, selon saint Paul. 2- En coopérant
avec l’homme par une union morale en vue d’une œuvre commune. Et une telle
unité qui est celle que l’on trouve dans les contrats de sorcellerie semble
davantage convenir à la perversité de l’Antéchrist. Il semble donc qu’il sera
un sorcier.
Solution 1 :
Cette
parole de l’apparition de la Salette peut être prise en divers sens selon que
l’on regarde l’Antéchrist comme une spiritualité ou comme un homme : en tant
que spiritualité, l’esprit de l’Antéchrist naîtra du judéo-christianisme. C’est
ce que saint Jean signifie[1510]
: « il est sorti de chez nous. » Et la raison en est que la foi et la
charité, qui mûrissent à l’extrême l’intelligence et le cœur de l’homme jusqu’à
l’absolu du don de soi et de la vraie liberté adulte, s’ils sont rejetés,
conduisent à l’inverse qui est l’absolu de l’amour de soi choisi librement. Et
nous avons une image de cela dans le fait que tous les prophètes des athéismes
contemporains étaient soit chrétiens soit juifs d’origine et étaient tous de
culture occidentale judéo-chrétienne.
Cependant, si l’on regarde l’Antéchrist en tant qu’il sera un
homme, on peut présumer qu’il singera jusque dans son origine la naissance du
Christ qui a eu pour mère la Vierge immaculée. Ainsi on peut supposer par
analogie que son adversaire déclaré, suscité par Satan, naîtra d’une union
impure et sera le fruit d’une femme d’impudicité. "Il sera fils de la
fornication" dit saint Jean Damascène[1511].
Solution 2 :
Comme nous l’avons montré, il viendra avant le dernier Antéchrist,
d’autres antéchrists qui en seront les préfigurations. Mais, au fur et à mesure
que l’humanité progresse, on constate que leur influence sur les hommes se fait
de plus en plus profonde. Au commencement, tous les antéchrists ne visaient
qu’une convoitise matérielle : plaisirs, conquêtes et richesses. Ils imposaient
leur pouvoir aux corps ; puis ils devinrent des messianismes politiques
c’est-à-dire que leur conquête visait à imposer le bonheur par une idéologie et
une transformation de la nature humaine. Ils prétendaient s’imposer aux intelligences
(voir les sept confessions politiques successivement mises en place à l’époque
moderne). Vers la fin du monde, le dernier Antéchrist sera une religion,
c’est-à-dire qu’il imposera jusqu’au fond des consciences l’adoration
d’un nouveau dieu et d’une nouvelle espérance après la mort.
Solution 3 :
Il est
permis de lire dans un sens allégorique les textes concernant l’Antéchrist
puisqu’ils sont universellement donnés pour les hommes de tous les temps qui
auront à subir la violence injuste des tyrans. Cependant, le sens allégorique
ne s’oppose pas à une lecture littérale du texte.[1512]
Objection 1 :
Dans diverses langues, les chiffres peuvent se traduire en
caractères alphabétiques, et réciproquement les lettres alphabétiques en
caractères chiffrés. Il semble donc que le chiffre 666 signifie le nom de
l’Antéchrist, dans une langue inconnue qu’on ne pourra discerner qu’au jour de
sa venue.
Objection 1 :
On a pu
calculer que ce chiffre le nom du roi à l’époque où fut écrit l’Apocalypse.
Donc 666 signifie Néron qui est le symbole des persécuteurs impies.
Cependant :
L’Apocalypse
écrit[1513]
: « Tous, petits et grands, se feront marquer sur la main droite et sur le
front du nom de la Bête ou au chiffre de son nom. C’est ici qu’il faut avoir de
la finesse! Que l’homme doué d’esprit calcule le chiffre de la Bête, c’est un
chiffre d’homme : son chiffre, c’est 666. »
Conclusion :
La parole
de Dieu est donnée à tous les hommes, de telle façon que son sens n’échappe pas
complètement à ceux qui la lisent et s’en imprègnent. Il est donc impossible
que son premier sens appartienne aux savants calculateurs. Il doit exister une
signification plus simple et plus proche du commun des fidèles.
Dans l’Écriture, on voit que certains chiffres sont donnés avec
une signification symbolique qui revient toujours. Ainsi, le chiffre trois
signifie la plénitude de la divinité puisque Dieu est en trois personnes ; de
même, le chiffre sept signifie la perfection de la création puisque le monde
fut achevé le septième jour par le repos de Dieu qui dit que tout était très
bon. C’est de cette manière qu’il faut regarder le chiffre de la Bête. Et
plusieurs interprétations peuvent être données qui se rejoignent en une seule :
1° Dans l’Écriture Sainte, Dieu affirme sans
cesse à l’homme qu’il lui a donné six jours pour travailler[1514]
: « Pendant six jours tu travailleras et feras tout ton ouvrage. Mais le
septième jour est un sabbat pour Yahvé ton Dieu. » Ainsi, si l’homme oublie
le septième jour qui est consacré à Dieu, il se marque lui-même de la marque du
chiffre six qui signifie qu’il vit sans Dieu.
2° Dans la loi[1515],
Dieu commande aux maîtres qui s’achètent la main d’œuvre d’un esclave Hébreu, de
le garder six années puis de le laisser aller libre la septième année sans
qu’il doive rien payer. Si le maître n’agit pas ainsi la septième année,
n’obéissant pas à la loi de Dieu, il se marque lui-même du chiffre six qui
signifie l’homme sans Dieu.
3° Selon le philosophe Aristote, il existe
sept axes par lesquels l’homme peut être étudié selon tout ce qu’il est. En
effet, on peut connaître l’homme en tant 1°
qu’il existe, par la métaphysique ; 2°
qu’il possède une nature humaine et c’est la philosophie de la nature et de
la vie ; 3° qu’il est capable de
transformer l’univers et c’est la philosophie du travail ; 4° qu’il est capable de connaître ce qui existe et c’est la
philosophie critique ; 5° qu’il peut
être en rapport avec un autre homme et c’est la philosophie morale ; 6- qu’il
vit en communauté et c’est la philosophie politique ; 7- qu’il dépend de l’Être
Premier et c’est la théologie naturelle. Ainsi, celui qui supprime de la
connaissance humaine le rapport avec Dieu, ne voulant étudier l’homme qu’en
tant qu’il se possède lui-même, se marque du chiffre de la Bête qui est six.
En
conclusion, on peut dire que le chiffre de la Bête signifie l’acte par lequel
l’homme s’exalte contre Dieu. C’est pourquoi l’Apocalypse l’appelle un chiffre
d’homme. Et si le chiffre six est répété trois fois, c’est parce que
l’Antéchrist réalisera un monde où l’homme vivra parfaitement, quoique séparé
de Dieu. Il pensera avoir établi un ordre divin dans une humanité sans Dieu.
Solution 1 :
Cette interprétation n’exclut pas d’autres lectures plus savantes
du chiffre de la Bête. Il n’est donc pas exclu que la Bible qui est l’œuvre
parfaite de la révélation de Dieu renferme d’une manière codée le nom des
tyrans qui opprimeront le monde et principalement du dernier d’entre eux qui
détruira provisoirement sur la terre le règne de Dieu.
Solution 2 :
L’Empereur
Néron est une image prophétique quoique imparfaite de l’Antéchrist qui viendra
à la fin du monde. Il n’est donc pas exclu que son nom soit présent sous le
chiffre de la Bête, de la même façon que la Bible a coutume de symboliser le
monde en tant qu’il dépend du péché par des noms de lieux comme Babylone ou
l’Égypte.
Objection 1 :
Il ne se peut pas que l’Antéchrist conduise l’humanité non
seulement à une apostasie des religions révélées mais aussi à un rejet
explicite de Dieu et de ses volontés alors même que son existence sera
reconnue. Ce serait un blasphème contre l’Esprit, et Dieu ne pourrait tolérer qu’une
génération entière se damne.
Objection 2 :
Il n’est pas possible que l’Antéchrist réussisse dans ses œuvres
et crée un monde sans Dieu, selon la signification de son chiffre. En effet, un
tel monde est impossible à cause du cœur de l’homme qui est fait pour
l’éternité.
Objection 3 :
Il ne semble pas que l’Antéchrist sera détruit par le retour du
Christ. En effet, l’Apocalypse parle d’un temps de mille années pendant lequel
l’humanité vivra en paix avec Dieu tandis que le démon sera provisoirement
enchaîné en enfer, au point qu’il ne pourra plus fourvoyer les nations[1517].
Le retour du Christ aura donc lieu ultérieurement, après ces milles années et
non au temps de l’Antéchrist.
Objection 4 :
Il est
hors de sens d’imaginer, vers la fin du monde, une humanité unifiée autour du
culte religieux de Lucifer. Le texte de saint Paul parle de l’esprit caché sous
le dernier antichristianisme et non d’une adoration explicite.
Cependant :
Les
Écritures donnent certaines prophéties générales suffisantes pour avoir une certaine
idée de l’idéologie de l’Antéchrist. Saint Paul écrit aux Thessaloniciens[1518]
: « Il s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un
culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne sur le trône de Dieu, se produisant
lui-même comme Dieu. »
Conclusion :
Si l’on suit l’Écriture, on doit affirmer que l’Antéchrist, à la
fin du monde établira son projet insensé d’humanité sans Dieu. Car il
s’agit bien là, selon les textes les plus explicites de l’Écriture, du projet
de l’Antéchrist. Mais, pour mieux comprendre ce qui est présent à la racine de
son idéologie, on doit considérer deux choses : 1° la finalité qu’il visera : étant au service de Lucifer, il
cherchera en premier lieu non à construire mais à détruire le bien réel que
sont l’humilité (kénose) et l’amour ; 2°
la manière dont il l’établira à la fin du monde. Pour établir fortement
l’homme dans l’individualisme et l’orgueil, de telle façon qu’ils maintiennent
ce choix à l’heure de la mort, il s’efforcera d’établir dès cette terre la
grandeur du « mystère de l’iniquité », c’est-à-dire de la révolte de
Lucifer. Il utilisera des moyens politiques et réalisera un nouvel ordre du
monde[1519].
1° Pour comprendre quel bien qu’il réussira à
détruire, il faut se
rappeler ce qui constitue la racine première de la révolte contre Dieu. C’est
en effet en comprenant la cause originelle que l’on peut en saisir l’effet
ultime dans l’humanité. La révolte est fondamentalement celle de Lucifer. Il
est dit dans le livre de la Genèse[1520]
qu’il "rampe sur son ventre" en ce sens qu’il passe
aujourd’hui son temps, aidé de l’armée des anges déchus, à tenter l’homme et la
femme sur des péchés matériels. C’est un travail étrange pour des créatures
purement spirituelles. Mais c’est aussi une œuvre très intelligente car très adaptée
à l’homme. Il éduque l’homme par où il est le plus accessible à l’apprentissage
de l’amour égoïste de soi. Il s’efforce de l’entraîner là où il peut le mieux
le saisir. Mais tout cela ne constitue qu’une première étape. Il espère qu’à
l’heure de la mort, devenu individualiste, chaque homme le suivra dans le péché
qui motive son action et qui n’a plus de rapport avec la chair, si ce n’est sa
racine d’égoïsme et d‘orgueil exalté. La vraie révolte de Lucifer n’est pas le
péché de la chair, la convoitise de l’argent ou de la vanité. Elle est un refus
total, face à la parole de Dieu suffisamment manifestée, de son projet
d’établir l’univers selon l’ordre de l’amour et de l’humilité (kénose). Lucifer
désire un autre ordre, celui que donnent l’intelligence et la puissance
naturelle. C’est ainsi que, à l’heure de la fin, chaque homme reçoit de manière
objective et face à sa liberté, la prédication par Satan du bien qui se trouve
en enfer.
2° Quant à la manière dont Lucifer et de son
serviteur l’Antéchrist établiront le système politique, vers la fin du monde,
c’est à cette lumière qu’elle doit être comprise. De même qu’il fait tomber les
individus dans les actes de l’égoïsme charnel dans le seul but du blasphème
contre l’Esprit Saint, de même il s’efforce de conduire l’humanité dans divers
péchés politiques pour en arriver, au terme, par étape, au rythme lent des
générations humaines, à la révolter explicitement contre Dieu.
Concrètement, le dernier antichristianisme
sera une religion, avec un dieu et une promesse de vie éternelle. Il instaurera
sur terre le "mystère de l’iniquité », c’est-à-dire le motif premier et
initial de toute révolte dans l’acte de Lucifer. On peut, en suivant les
textes, décrire la prédication du dernier Antéchrist ainsi : « Arrivée
à la plénitude du savoir et de l’expérience, l’heure est venue pour l’humanité
d’adhérer à la sagesse qui peut la combler tout entière. Après des siècles
d’errance, le monde est mûr pour se donner à la vraie religion, l’Évangile
éternel voulu par le Créateur, celui qui libère l’homme de toutes ses peurs.
L’humanisme sans Dieu disait que la vie s’arrête
avec la mort, plongeant l’humanité dans l’exclusive recherche du bonheur
immédiat et dans la désespérance. Les faux Évangiles affirmaient que l’homme
devait être un serviteur, humble et soumis aux autres. Le vrai affirme qu’il a
été créé pour être un dieu. Il a été fait pour la liberté et la puissance, pas
pour la dépendance. Il le peut dès ici-bas.
Cette vie n’est qu’un commencement. Après la mort,
l’homme vit[1521].
De l’autre côté du voile, il lui est proposé, pour l’éternité, liberté et
dignité. Cela se réalise très concrètement par l’apparition du dieu suprême, « celui
qui porte toute vraie lumière », Lucifer[1522].
L’homme qui choisit la liberté, qui refuse librement la dépendance que lui
propose le faux dieu[1523],
prolongera sa puissance dans l’autre monde pour l’éternité, dans la communion
intellectuelle avec le projet grandiose de l’Ange de Lumière.
Ainsi pacifiée et maîtresse d’elle-même, l’humanité
va enfin s’appartenir. Elle va se mettre debout. Libérée de l’angoisse du
néant, en contact spirite avec l’autre monde, elle va connaître la pleine
possession d’elle-même[1524].
Rien ne lui sera plus impossible. L’humanité deviendra maîtresse de son destin,
décidant elle-même ce qui est bien ou mal. »
Ce discours
ressemble beaucoup à l’Évangile du Christ. On y parle même d’un Dieu, d’une vie
après la mort. Il n’y a plus d’athéisme. Il est aisé de se laisser abuser, même
en étant chrétien. Pourtant, le vrai créateur est humble (kénose) et aimant,
jusqu’à la mort et la mort sur une croix.
Il semble que c’est ainsi que parlera le dernier Antéchrist à la
fin du monde, conduisant l’humanité à certains comportements ultimes et
limites. Ces événements, terribles au plan spirituel, ressembleront fortement
au blasphème contre l’Esprit Saint tel que nous l’avons défini. Pourtant, il ne
faut pas confondre. Une apparence de blasphème contre l’Esprit n’est pas
nécessairement sa réalité. Il peut arriver qu’un groupe d’homme se mette à
rejeter Dieu tout en sachant qu’il existe, mais sans savoir ce qu’il fait
vraiment, à cause de l’entraînement d’une folie collective [1525]
: « Père, pardonne leur, ils ne savent
pas ce qu’ils font », disait Jésus à propos de ce peuple qui avait vu ses
miracles, l’acclamait quelques jours plus tôt avant de rire devant sa mort.
C’est pourquoi, même lorsque ces événements arriveront, il ne faudra pas douter
de la puissance de Dieu qui ne permet le mal que pour un bien supérieur, lié au
salut éternel du plus grand nombre.
Solution 1 :
La lettre des Ecriture oblige à affirmer que Dieu permettra cela.
L’observation des comportements humains dans les sociétés occidentales au XXème
siècle donne une certaine idée de ce que sera l’orgueil collectif de la fin.
Une humanité attachée à sa liberté au nom de ses plaisirs égoïstes peut aller
jusqu’à rejeter l’idée même de Dieu, alors même qu’elle en connaît l’existence.
Jésus disait [1526] : « Même si un mort ressuscitait, ils ne
croiraient pas. » Ils ne croient pas parce qu’il leur est pénible de croire
et d’en tirer les conséquences morales. Mieux vaut ne pas se poser de questions
plutôt que de perdre la liberté de profiter du quotidien. Il en sera de même à
la fin du monde. Pour l’illustrer, on peut se rappeler les évènements de
Fatima. En 1917, cent mille portugais virent le soleil danser, comme l’avait annoncé
la Vierge. Le reste de l’Europe, en guerre, ne considéra pas le phénomène,
d’avance considéré comme impossible. De même, à la fin du monde, il est
possible que l’humanité dans son ensemble accepte intellectuellement la réalité
de l’existence d’un Créateur et d’un jugement dernier, mais prenne
volontairement la résolution de lutter contre. En tout état de cause, la voie
d’un aveuglement volontaire entretenu par ses élites est un phénomène
sociologique possible.
Solution 2 :
Selon
saint Paul[1527],
la persécution ultime perpétrée par l’Antéchrist sera permise par Dieu "parce
que les hommes n’ont pas reçu l’amour de la vérité pour être sauvés. En
punition, Dieu leur enverra un esprit qui donnera l’efficacité à l’erreur, en
sorte qu’ils croiront à l’erreur, afin que tous ceux qui n’ont pas cru à la
vérité, mais qui se sont plus dans l’injustice, soient condamnés. » Ce
texte doit être interprété comme suit : « en punition », c’est-à-dire par mode
d’éducation. « Il leur enverra un esprit de sorte qu’ils
croiront à l’erreur », en ce sens qu’ils vivront jusqu’à l’absurde
de la logique de leur péché, collés au temps présents, incapable de discerner
la destruction à long terme qui sort toujours de l’amour égoïste. Ils recevront
dès cette terre le salaire de leur péché sous la forme des diverses souffrances
et angoisses qui en sont le salaire naturel. Ainsi, celui qui se croit immortel
dans sa jeunesse souffre davantage quand arrive la vieillesse ; celui qui
construit sa vie sur les plaisirs immédiats demande la mort quand il ne peut
plus jouir. Ils vivront jusqu’à leur mort l’absence de Dieu dans les misères
spirituelle, jusqu’à qu’il révèle sa vérité et son amour et leur propose son
pardon. Alors beaucoup se tourneront vers lui, dans la confusion, mais avec
beaucoup d’amour puisqu’ils auront été beaucoup pardonnés.
En outre l’Antéchrist est destiné à faire ressortir et à
manifester avec éclat la fidélité et la constance de ceux dont les noms sont
écrits dans le livre de vie et que toutes ses violences et ses artifices
n’auront pu parvenir à ébranler. En tout cela, l’homme ne sera pas tenté plus
qu’il ne peut en supporter car la grâce de Dieu sera donnée en abondance à
cette époque. On doit aussi affirmer que tout cela aboutira en une victoire
finale, jusque dans la politique, de Dieu grâce à la parousie du Christ.
Solution 3 :
Selon saint Augustin, les mille années ont un sens symbolique et
ne doivent pas être prises au sens matériel comme un temps qui suivrait la
venue de l’Antéchrist. Elles signifient que, quoiqu’il arrive dans le monde par
la faute du démon, il s’agit avant tout d’une volonté de Dieu qui prépare ainsi
dans l’épreuve la charité des fidèles, en vue de leur bonheur éternel. Cela est
important pour l’espérance des fidèles qui vivront ces moments difficiles.
Comme la Vierge Marie, ils devront vivre de l’espérance certaine de la
résurrection finale.
Solution 4 :
Tout cela
ne peut se faire que par étape, au fur et à mesure du renouvellement des générations.
L’histoire moderne révèle d’ailleurs sans cesse de nouveaux antichristianismes
que la génération précédente ne pouvait pas imaginer. Ainsi, les soldats de la
grande guerre auraient-ils imaginé que leurs petits enfants avorteraient, au
nom du bonheur adulte, un enfant à naître sur quatre ? En y regardant de plus
près, on remarque que l’histoire des antichristianismes, commencée avec
l’orgueil de la chrétienté du XIIIème siècle, suit une certaine
logique de progressivité. Ils ont d’abord corrompu la place de la charité et de
l’humilité (kénose) comme fondement de la vie chrétienne (hérésies rigoristes
ou piétistes, culte de la puissance des l’Eglises etc.). Une fois le vrai
évangile dénaturé ou discrédité par ses guerres, les antichristianismes devinrent
des évangiles politiques (capitalisme, marxisme, nationalisme, nazisme,
consumérisme, hédonisme, société des loisirs). Rien n’empêche donc que dans les
générations à venir, « ce qui le retient ayant été enlevé [1528]
», la place laissée vide par les anciennes religions laisse un vide que
viendra remplir la religion de l’Antéchrist.
Objection 1 :
Il s’agit de regarder maintenant non plus l’esprit de
l’Antéchrist, mais les œuvres de puissance qu’il réalisera pour séduire les
hommes. Il ne semble pas qu’il fera disparaître les guerres, les famines et les
maladies. Le livre de l’Apocalypse montre que ces fléaux sont envoyés par Dieu
pour éviter à l’homme un mal pire : l’orgueil et sa conséquence, la damnation
éternelle. Dieu qui veut le salut de tous ne pourra permettre que de tels
remèdes disparaissent.
Objection 2 :
De même, il ne pourra réaliser l’unification de l’humanité, la
disparition des nations, des langues. Cette division vient de Dieu et date du
début de l’humanité, à la tour de Babel[1529]
: « Allons! Descendons et confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent
plus les uns les autres. » Il empêcha ainsi que l’humanité ne se prenne
pour Dieu, dans sa puissance. Puisqu’il s’agit du salut éternel, Dieu divisera
de nouveau les hommes et ne laissera pas l’Antéchrist réussir.
Objection 3 :
Dieu ne permettra pas qu’il fasse disparaître toutes les
religions.
Objection 4 :
C’est a fortiori vrai pour la maîtrise de l’arbre de vie : «
Dieu posta devant le jardin d’Eden les chérubins et la flamme de leur glaive
fulgurant pour garder le chemin de l’arbre de vie. » Si l’homme trouvait le
moyen de rendre éternelle sa vie sur la terre, loin de Dieu, une telle
permission de Dieu dépasserait l’entendement.
Objection 5 :
Il n’est pas crédible qu’à la fin, le dernier Antéchrist révèle de
manière explicite l‘existence de Satan et le projet de révolte universelle de
l’humanité à sa suite contre Dieu et le mystère de la charité. Il sera un homme
intelligent. Il comprendra que les hommes, une fois éclairés, rejetteront une
telle révolte comme suicidaire.
Objection 6 :
Selon l’Apocalypse[1530],
l’Antéchrist ne réussira pas dans ses œuvres : « Les rois de la terre se
mettront tous d’accord pour remettre à la Bête leur puissance et leur pouvoir.
Ils mèneront campagne contre l’Agneau mais l’Agneau les vaincra. »
Objection 7 :
Au cours
de l’histoire, les divers antéchrists ont eu en commun de manifester un grand
mépris pour la vie humaine. Ils tuèrent des hommes par tous les moyens
possibles, depuis la guerre jusqu’aux actes qualifiés de libératoires de la
souffrance comme l’avortement, l’euthanasie ou le suicide. Il semble donc que
l’Antéchrist final, pour montrer à Dieu le peu de valeur de l’humanité, la
conduira à s’autodétruire dans une dernière guerre mondiale.
Cependant :
Le texte
de saint Paul aux Théssaloniciens[1531]
manifeste avec d’autre la réussite de l’Antéchrist, mais sa réussite éphémère :
« Dès maintenant oui, le mystère de l’impiété est à l’œuvre. Mais que seulement
celui qui le retient soit d’abord écarté. Alors l’Impie se révèlera. Le
Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa bouche, l’anéantira par la
manifestation de sa venue. Sa venue à lui, l’Impie, aura été marquée par
l’influence de Satan, de toute espèce d’œuvres de puissances, de signes et de
prodiges mensongers, comme de toutes les tromperies du mal. »
L’Antéchrist réussira car Dieu le laissera
réussir. Pour comprendre son œuvre, Jésus invite à se référer aux prophéties de
Daniel[1532].
Voici les trois principales : « Quatre
royaumes viendront qui n'auront pas la force du précédent. Et, au terme de leur
règne, au temps de la plénitude de leurs péchés, se lèvera un roi au visage
fier, sachant pénétrer les énigmes. Sa puissance croîtra en force (non en raison
de sa propre puissance), il tramera des choses inouïes, il prospérera dans ses
entreprises, il détruira des puissants et le peuple des saints. Et, par son
intelligence, la trahison réussira entre ses mains. Il s'exaltera en son cœur
et détruira un grand nombre par surprise. Il s'opposera au Prince des princes
(le Christ) mais, sans acte de main, il sera brisé. Elle est vraie la vision
qui a été dite. »[1533]
« (...). Et après soixante-deux semaines, un messie sera supprimé, et il n’y a
plus pour lui (de place). La ville et le sanctuaire seront détruits par un
prince qui viendra. Sa fin sera dans le cataclysme et, jusqu'à la fin, la
guerre et les désastres décrétés. Et il consolidera une alliance avec un grand
nombre. Le temps d'une semaine ; Et le temps d'une demi-semaine, il fera cesser
le sacrifice perpétuel et l'oblation et sur l'aile du temple sera l'abomination
de la désolation jusqu’à la fin, jusqu’au terme assigné pour le désolateur. »[1534]
« Je
regardais, moi Daniel, et voici : deux anges se tenaient debout, de part et
d'autre du fleuve. L'un dit à l’homme vêtu de lin (le Christ) qui était en
amont du fleuve : quand se produiront ces choses inouïes ? J'entendis l'homme
vêtu de lin, qui se tenait en amont du fleuve : il leva la main droite et la
main gauche vers le Ciel et attesta par l'Eternel Vivant : « pour un temps, des
temps et un demi-temps, et toutes ces choses s'achèveront quand sera achevé
l’écrasement de la force du Peuple Saint." J'écoutais sans comprendre ;
puis je dis : Mon Seigneur, quel sera cet achèvement ? Il dit : Va, Daniel ;
ces paroles sont écrites et scellées jusqu'au temps de la Fin ; Beaucoup seront
lavés, blanchis et purifiés ; les méchants feront le mal, les méchants ne
comprendront point ; les savants comprendront. À compter du moment où sera
aboli le sacrifice perpétuel et posée l'abomination de la désolation : 1290
jours. Heureux qui tiendra et atteindra 1335 jours. Pour toi, va, prend ton
repos ; et tu lèveras pour ta part à la fin des jours. »[1535]
Conclusion :
Les textes
de l’Écriture révèlent que l’Antéchrist, par des manœuvres diverses, sera
efficace. À la fin du monde établira son projet insensé d’humanité séparée
du vrai Dieu humble (kénose) et amour et debout face au faux dieu libre et
orgueilleux. Il pourra être reconnu comme le dernier Antéchrist par le fait
qu’il réalisera de manière mondiale ce projet désiré par nombres
d’hommes avant lui.
Voulant
établir la puissance de l’égoïsme et de l’orgueil, ces deux valeurs
essentielles dans le service de la révolte du démon caché sous cette lutte, il
saura agir pour proposer aux hommes la réalisation concrète de l’humanité
égoïste, orgueilleuse et sans Dieu. Pour comprendre son œuvre, il faut se
demander jusqu’où il est possible de réaliser un monde sans Dieu et sans
véritable amour, de telle manière que les hommes s’y complaisent au moins dans
la partie sensible de leur être.
En regardant l’histoire de l’humanité, on peut discerner diverses
étapes dans la réalisation de l’œuvre des antéchrists. De même que l’égoïsme et
l’orgueil d’un enfant ne sont pas les mêmes que celui d’un homme libre arrivé à
la plénitude de la maîtrise de soi, de même l’antichristianisme du début
portant sur les plaisirs charnels et les guerres de domination paraîtra
enfantin par rapport à celui de l’humanité lorsqu’elle aura mûri. Quand on
regarde l’histoire de l’humanité, on constate que les antichristianismes ont
empiré par étapes, de manière analogue à ce qui est visible dans la vie d’un
individu quand il mûrit dans le péché. Ainsi, les péchés peuvent, chez celui
qui se damne, empirer en trois étapes selon que l’égoïsme est du à la faiblesse
de leur chair, à l’ignorance de l’amour de Dieu ou au contraire à la lucidité
d’une volonté obstinée dans le mal. De même, on peut discerner trois étapes du
péché dans l’histoire de l’humanité :
1° Le péché contre le Père (faiblesse) : Les tyrans du commencement de
l’humanité sont, à l’image de Néron, des hommes exaltés dans leur pouvoir ou
par leur plaisir. Ils suivent leurs convoitises. Ils sont souvent les esclaves
de leurs passions qu’ils appliquent à la politique, pour le malheur de leur
peuple. Leur motivation n’est pas l’ignorance de l’existence de Dieu mais le
plus souvent, le péché contre le Père, c’est-à-dire une certaine faiblesse due
à l’emprise des trois convoitises (plaisirs, argent, pouvoir). Puisque c’est au
Père éternel qu’on attribue la force, ces antéchrists s’opposent au Père. C’est
aussi à de genre de péché que se rendirent coupable bien des chrétiens lors des
guerres de religion, salissant l’Église d’une tâche définitive.
2° Le péché contre le Fils (ignorance) : Après la révolution française, l’humanité
entra dans une nouvelle étape puisqu’il ne s’agit plus seulement de convoitise
mais, pour la première fois, de la conviction que le christianisme et les religions
révélées ne sont que des inventions de la superstition. Il y eut chez ces
hommes, à partir de cette époque, une véritable ignorance de l’existence de
Dieu. On l’appelle péché contre le Verbe puisque c’est au Verbe qu’est attribué
par appropriation, la connaissance en Dieu pour le bien des hommes. Les
antichristianismes de cette époque s’efforcèrent donc de construire un système
nouveau, une idéologie capable de donner à l’humanité le bonheur "sans
référence à Dieu. » On tâtonna tragiquement. Mais les diverses tentatives
d’humanisme sans Dieu, -le nationalisme (exaltation du pouvoir), le capitalisme
et son opposé le marxisme (exaltation de l’argent), l’hédonisme (exaltation des
plaisirs)-, ont tous en commun la croyance, souvent sincère, que Dieu n’existe
pas et qu’une nouvelle humanité doit naître. Le XXème siècle est à
cet égard significatif de la manipulation du démon caché sous l’histoire
puisqu’il inspira à l’homme des idéologies effrayantes aboutissant aux
massacres de masse, d’Auschwitz à l’avortement[1536].
3° Le péché contre l’Esprit Saint (lucidité,
maîtrise de soi, face à Dieu) : Arrivé à ce point, il y aura une dernière
étape pour que la plénitude du mystère de l’iniquité soit révélée. Il est déjà
venu beaucoup d’Antéchrist,
mais ils n’ont jamais été que des préfigurations du dernier puisqu’ils n’ont
jamais osé ou pu proclamer de manière explicite sur la terre la grandeur du
blasphème contre l’Esprit Saint. Cela leur était impossible car l’orgueil
humain ne l’aurait pas reçu. Mais, vers la fin du monde, une troisième étape
doit être franchie, si l’on en croit la lettre des Écritures. L’existence de Dieu étant reconnue, il est probable qu’on
verra l’humanité lutter explicitement contre lui. Il semble donc que les hommes se révolteront contre un Dieu dont ils connaissent l’existence.
S’agit-il d’un péché contre l’Esprit
Saint, devenu la manière de vivre de l’humanité entière ? Nous avons vu dans la première partie
qu’un individu peut aller très loin dans le péché. Il peut aller jusqu’au refus
libre et conscient de tout amour oblatif, quitte à se séparer pour l’éternité
de Dieu en enfer. Il n’existe pas de plus grand péché. Mais l’humanité dans son ensemble ne peut aller jusque
là parce que le blasphème contre l’Esprit Saint est le fait d’un individu libre
et non d’une communauté. Chaque être humain est unique et il n’existe pas sur
terre d’unanimité totale ni pour le mal ni pour le bien. Il est inimaginable
que l’humanité choisisse comme un seul homme de lutter contre Dieu de manière
libre et consciente, c’est-à-dire en sachant qu’il existe et ce qu’il veut.
Il est cependant possible à l’humanité de commettre un tel péché,
en tant que ses autorités politiques la structure autours de lui. L’humanité dans son ensemble constitue une
structure où chaque individu peut être conditionné et entraîné vers des actions
qu’il ne ferait pas seul. Dans certaines conditions, une communauté, ses
dirigeants et ses médias peuvent prendre un tel ascendant sur les individus,
qu’ils semblent unanimement d’accord avec la direction de l’ensemble. Jean-Paul
II appelait ce mécanisme « une
structure du péché. » Il employait cette expression dans l’analyse
sociologique du nazisme en Allemagne. Chaque allemand, pris individuellement se
serait sans doute révolté à l’idée de l’extermination par la guerre de millions
d’hommes innocents. Pourtant, le peuple tout entier, entraîné dans un
enthousiasme communicatif (désir de revanche nationale, misère matérielle et
morale, charisme de son guide), applaudit l’idée d’une guerre. Il en sera ainsi
à la fin du monde. Mais, de même que le nazisme des allemands pris
individuellement ne résista pas à la manifestation de sa vraie nature, de même,
il ne faut pas croire que chacun de ceux qui soutiendra avec enthousiasme
l’Antéchrist à la fin du monde se damnera à l’heure de la mort, quand le Christ
dévoilera la vérité.
La
victoire de l’Antéchrist sera de courte durée. D’après l’Apocalypse[1537],
elle durera trois jours et demi, c’est-à-dire le temps d’un sépulcre, le temps
que les fidèles qui resteront en vie à cette époque puissent être l’image de la
Vierge Marie après la mort de son Fils, vivre de l’attente de la résurrection
finale de l’Église. Selon saint Paul, l’Impie sera anéanti d’un seul coup par
la manifestation de la venue du Seigneur, par le souffle de sa bouche[1538].
Solution 1 :
La victoire de l’Antéchrist final sera extérieure, c’est-à-dire
médiatique et politique. Mais elle ne pourra jamais atteindre le fond même de
la nature humaine, faite par essence pour l’infini du vrai Dieu. C’est
pourquoi, s’il lui est possible avec un minimum d’organisation et
d’intelligence politique de faire disparaître les fléaux cités en ce qui
concerne leur signification matérielle, il lui et impossible de le faire au
plan de leur signification psychologique et spirituelle. C’est pourquoi, malgré
tous ses efforts, il ne réussira pas à supprimer les fléaux intérieurs, voulus
par Dieu et qui continueront à façonner l’humilité (kénose) de l’humanité. Ce
sera vrai bien avant la venue du dernier Antéchrist.
1° Dans une étape qui précèdera la naissance
de l’Antéchrist, il apparaître une génération qui rejettera violemment toute
référence à toute religion. Les péchés passés des religions (peut-être la
grande guerre annoncée dans l’islam) et le confort matériel provoqueront ce rejet.
Les générations suivantes, privées de toute religion, vivront donc dans un
grand vide spirituel (le soleil
s'obscurcira etc.). Peu d’hommes penseront encore à la possibilité d'une
vie après la mort. Le monde dans son ensemble, c’est-à-dire la très grande
majorité des hommes, se retrouvera sur une terre habitable et correctement
gérée. On n'y manquera de rien au plan matériel mais il n’y aura plus de
nourriture pour les âmes. Ainsi, simultanément, il y aura une grande paix
extérieure et sociale (quand on dira paix
et sécurité) ainsi qu’une grande souffrance intérieure à cause de la
disparition de l’espérance (les nations
de la terre seront dans l'angoisse).
2° Comme "l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de
la bouche de Dieu”[1539], à l’époque du dernier Antéchrist,
il y aura sa nouvelle religion. Pourtant,
rien n’y fera, elle n’aura pas le pouvoir de supprimer le feu dans le cœur de
l’homme. Fait pour le vrai Dieu qui est amour, le cœur de l’homme ne peut se
satisfaire, même dans l’espoir de vivre éternellement, d’un dieu de l’égoïsme.
Devant cette soif, la majorité des hommes ne comprendront pas que c’est
l'absence du vrai Dieu qui les consume. Comment pourra-t-il en être autrement
puisque nul prophète ne sera là pour le leur révéler. Il y aura en ce temps une
multiplication des angoisses, des névroses et des suicides. On cherchera la
lumière mais on ne la trouvera pas car, ajoute saint Matthieu[1540]
: « Aussitôt après la tribulation, le
soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont
du Ciel et les puissances des cieux seront ébranlées."
Solution 2 :
En sens contraire, la lettre de l’Ecriture
dit que l’Antéchrist réussira à créer une paix mondiale. De fait, il est
probable que l’Antéchrist ne triomphera que par des armes intellectuelles,
celles de ses idées, de sa connaissance de la nature humaine, de ses ruses[1541].
C'est ainsi : plus l’humanité approchera de son terme et se spiritualisera,
plus ses guerres seront celles de l'Homme sans Dieu contre l'Homme au service
de Dieu. Ce sont deux conceptions du monde opposées et qui l'emportent plus par
la parole que par les armes. L’Antéchrist l'aura compris, lui qui connaît
l'Histoire.
Très vite, porté par l'enthousiasme des nations devant son projet
politique, l’Antéchrist étendra son pouvoir sur le monde entier : « Il consolidera une alliance avec le grand
nombre »[1542].
Intelligemment et avec respect des différentes mentalités humaines, il
centralisera le gouvernement du monde et saura mettre les sciences et les techniques
au service de tous. Il supprimera définitivement la famine. De même, la
médecine fera reculer la maladie dans les nations les plus reculées. Il
multipliera les lois de ce genre et il réussira. Il établira pour la première
fois dans toute l'histoire de l'Humanité une paix universelle. Chacun pourra le
constater. À cause des forces armées intelligemment utilisées au service de la
paix, il saura séparer et pacifier les ennemis d'hier. « Quand les hommes diront paix et sécurité
(...) », commente saint Paul[1543].
Solution 3 :
L’Antéchrist saura discerner le risque considérable que représentent les restes des
religions pour la durée de son œuvre. Il sera intelligent et ne négligera pas
la puissance des idées. A l’image du philosophe Feuerbach, il connaîtra la
faille de son système d'humanité sans Dieu : cette soif insatiable du cœur de
l'homme vers l'absolu, le tout-autre, l’Amour, la Lumière, en un mot vers le
vrai Dieu. Sans doute ce danger lui paraîtra-t-il d’autant plus réel que
l’Église, dans un dernier sursaut, aura su prêcher avec un certain succès les
failles présentes dans l’humanisme sans Dieu (les deux témoins) puis dans la
nouvelle religion fondée sur l’adoration du Dieu de la liberté et de l’amour de
soi. L’Antéchrist entreprendra donc une lutte contre le peuple de Dieu et
réussira. Il le fera de deux manières :
1° pour ceux qui ne seront pas assez fixés
sur le Christ, il séduira. Plus
encore que les autres, une partie des chrétiens de cette époque se mettra au
service de ce grand projet. Leur sens de l'amour du prochain les poussera à
cela. « C’est l'Évangile de Jésus », les entendra-t-on proclamer partout. Le
texte de Daniel décrit cette séduction exercée sur le peuple de Dieu en ces
termes : « Il détruira des puissants et
le peuple des saints. Et, par son intelligence, la trahison réussira entre ses
mains »[1544].
Sûr de sa force, « l’Antéchrist s'exaltera dans son cœur et détruira un grand nombre par
surprise »[1545].
2° Pour ceux qui seront lucides et
distingueront bien le vrai Dieu de l’humilité (kénose) et de l’amour du faux
Dieu de la liberté et de l’égoïsme, l’Antéchrist interdira ou détruira. C'est
même, si l'on suit saint Paul et Daniel, le signe majeur qui devra précéder le
retour du Christ : « Toutes ces choses
s'achèveront quand sera achevé l’écrasement du Peuple Saint »[1546]. Pourtant, nous
l’avons dit, il subsistera toujours, en secret, des fidèles de toutes les
religions et ce jusqu’au retour du Christ. Ils seront même devant Dieu d’une
telle qualité qu’on n’aura rien vu de tel, sauf en Marie à la croix.
Solution 4 :
Le jardin
d’Eden et l’arbre de vie sont le symbole du rêve ultime de l’homme. Puisqu’il
désire vivre éternellement, dans la maîtrise de sa liberté, il ne cesse d’en
rechercher le moyen. Ainsi vit-on l’empereur Chin avant Jésus Christ et Staline
plus récemment expérimenter des recettes de vie éternelle. On voit des hommes
faire congeler leur corps dans l’espoir d’être ramenés à la vie un jour. Vers
la fin du monde, l’homme percera certains secrets génétiques de la
programmation de la vie humaine à ne jamais dépasser 120 ans, selon la lettre
de la Genèse[1547]
: « Puisque l’homme n’est que chair, sa vie ne sera que de 120 ans. » Il
ne résistera pas à la tentation de modifier cela.
Si l’on
suit la lettre du livre de la Genèse, avant cette décision divine due à l’abus
du péché, les hommes vivaient sept cent, huit cents ans[1548].
Il n’est pas aberrant de croire que ces chiffres ont une valeur réelle. Vers la
fin du monde, il est probable que l’Antéchrist réalisera cela, revenant ainsi
aux sources de l’humanité. L’Apocalypse rejoindra la Genèse, de même que le
péché premier d’Adam et Ève[1549]
: « Vous serez comme des dieux, maître du bien et du mal », sera celui
de la fin de manière explicite.
Mais cette œuvre butera sur une limite infranchissable : celle de
la mortalité de toute chair. Il sera impossible à l’Antéchrist, malgré toute sa
science, de rendre immortels les individus. Il ne pourra que les faire paraître
immortels en allongeant leur vie. En effet, si Dieu ne réalise pas l’assomption
de l’homme dans l’éternité, son corps est finalement toujours détruit car
l’état de sa matière n’est pas entièrement soumis à son esprit.
Solution 5 :
Nous l’avons montré dans l’article
précédent, l’humanité ne se comprend pas seulement comme la somme des libertés individuelles.
Elle est aussi une structure sociologique parce que la plupart des hommes
suivent le courant qui domine. En ce sens, il peut y avoir un acte politique et
mondial de défi à Dieu, qui est le fait de la grande majorité, quoique très peu
en saisissent la profondeur. Lors de la passion de Jésus, le peuple entier,
c’est-à-dire sa partie bruyante, visible dans la rue, réclama sa mort, allant
jusqu’à dire[1550]
: « Son sang, qu’il retombe sur nous et sur nos enfants. » De même, à la
fin du monde, il y aura une révolte explicite, politique et médiatique contre
Dieu qui ressemblera, extérieurement, à un blasphème contre l’Esprit. Mais,
intérieurement, il ne sera que médiatisation et phénomène sociologique.
En agissant ainsi, l’Antéchrist
réalisera en plénitude les nombreuses prophéties de l’Écriture : « Il s’élève au-dessus de tout ce qui porte le
nom de Dieu, il s'assoit en personne dans le sanctuaire de Dieu, il se produit
lui-même comme Dieu »[1551] puisqu'il se
juge digne d'établir sur l'univers les lois décidant de toutes choses, le bien
et le mal, l’origine de la vie, son but et la manière de la vivre. Lorsque
l'Écriture affirme qu’il établira son siège dans le sanctuaire de Dieu, elle ne
veut pas signifier autre chose. Il se produira comme le Maître suprême de la
vérité (Magister), comme le berger de
tous (Pastor Oves) et même comme
l’organisateur de toutes les fêtes et réjouissance de l'humanité nouvelle (Pontifex maximus). Ces trois titres,
attribués traditionnellement aux papes de l'Église catholique, sont une
délégation des titres de Dieu. En ce sens là, l’Antéchrist sera l’Antivicaire du Christ. On voit que celui
qui, à cette époque, vivra profondément de sa foi chrétienne n'aura aucun
risque de le confondre avec un vrai pape. C'est aussi en ce sens qu’il faut
interpréter les prophéties de Jésus annonçant "l'Abomination de la désolation dans le temple saint".[1552]
Solution 6 :
La victoire de l’Antéchrist ne sera qu’apparente et provisoire (un
temps dont, nous le verrons, il est impossible de calculer la durée réelle).
Elle sera anéantie en un instant par la Vérité glorieuse de l’apparition du
Christ que saint Paul appelle le souffle de la bouche du Seigneur. Cela se
passera soit par la mort individuel des hommes soit, plus probablement, par le
retour définitif et final du Messie, la fin des fins. Et cette victoire finale
sera inaugurée par divers signes cosmiques effrayant, peut-être même par
l’apparition visible dans le Ciel du signe de la croix sur lequel l’Agneau fut
immolé[1553].
Les hommes auront soif, ils brûleront sans aucune possibilité d’identifier
qu’il s’agit de l’absence du vrai Dieu.
Solution 7 :
Le démon inspire aux hommes de tuer parce que l’homicide est l’un
des péchés les plus mortels pour l’amour. Mais il ne le fait que dans un seul
but : qu’à l’heure de sa mort le criminel choisisse dans sa perversion de le
suivre dans la révolte de l’enfer. C’est pourquoi, plutôt que de tuer les
corps, il cherche à tuer les âmes selon la parole de Jésus[1554].
C’est pourquoi, à la fin, il ne cherchera pas à détruire l’humanité mais à la
convaincre de se révolter contre Dieu lucidement dans un blasphème contre le
Saint Esprit.
A l’argument du cependant :
Il faut répondre : la réussite de l’Antéchrist sera certes éphémère.
Mais il faut se garder d’être trop affirmatif pour l’interprétation de ce mot.
Certains disent que (et je l’ai enseigné aussi longtemps), lorsque
l’antichristianisme mondial paraîtra, alors le retour du Christ sera
nécessairement réalisé dans les quelques années qui suivront, puisque toutes
les prophéties auront été réalisées. Mais tout cela n’est pas certain, au moins
si l’on parle du sens politique de ce retour. De même, Jésus annonça son
retour "avant que cette génération ne passe".[1555]
Les chrétiens crurent interpréter à bon droit sa parole comme l’annonce du
retour visible et général, avant la mort du dernier de ceux qui l’avaient
connu. Or il revint effectivement avec puissance pendant cette génération. Mais
cela se produisit de manière invisible pour les habitants de la terre, à la
mort de chacun et non pour tous en même temps. De même, il se peut que Dieu
laisse l’humanité vivre des siècles ou des millénaires dans son
antichristianisme. Dans cette hypothèse, il laissera l’homme construire dans sa
liberté le monde qu’il souhaite. Tout sera alors réalisable par l’Antéchrist et
ses successeurs, selon cette parole de la Genèse[1556]
: « Maintenant, aucun dessein ne leur sera impossible. » Tout peut être
imaginé au plan des réussites techniques de l’humanité, aussi bien dans le
domaine de la maîtrise de la vie et de sa transformation que de la colonisation
de l’univers. Une seule limite restera par décret divin infranchissable : celle
de l’immortalité car améliorer la longévité humaine ne signifie pas le rendre
immortel. Il y aura une grande gloire matérielle et une grande misère
spirituelle qui préparera efficacement la venue du Messie.
Quatre questions :
1 : Le
signe du fils de l’homme est-il le signe de la croix ?
2 : Est-il
le signe de Jonas ?
3 : La
croix apparaîtra-t-elle réellement dans le Ciel à la fin du monde ?
4 : Les
hommes seront-ils terrorises par l’apparition du signe du Fils de l’Homme ?
Objection 1 :
Il ne semble pas : Lorsque Jean demande à Jésus s’il est le Messie
attendu, celui-ci lui fait répondre[1557]
: « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : Les aveugles
voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds
entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres.
» Il semble donc que le signe du Fils de l’homme consiste avant tout en la
puissance des miracles opérés par Dieu.
Objection 2 :
Lors de sa passion, le Christ donna des signes de sa mission : la
terre trembla, les rochers se fendirent, des morts ressuscitèrent et se
montrèrent à beaucoup de gens. Il semble donc que le signe du fils de l’homme
ne consiste pas dans la croix mais dans des phénomènes effrayants comme
ceux-là.
Objection 3 :
Au début
de l’Église, les chrétiens se donnaient comme signe de reconnaissance de leur
foi un poisson. Il semble qu’il s’agit donc ici du signe du fils de l’homme.
Cependant :
Le
Seigneur dit[1558]
: « Lorsque vous aurez élevé le fils de l’homme, alors vous saurez que Je
Suis. » Or le Christ qui est Dieu fut élevé sur la Croix. Donc la croix est
le signe de l’homme fait Dieu ; de même, à la fin du monde, il convient que le
signe qui manifestera la prochaine élévation de l’homme à la vision de Dieu
soit la croix.
Conclusion :
La mission
du Christ sur la terre consiste essentiellement dans la manifestation de
l’amour qui se communique en profusion à ceux qui l’aiment. C’est en mourant
pour nous que Jésus a manifesté avec puissance son amour pour les hommes. Il a
montré que pour accéder à la vie éternelle et aux qualités intérieures qui lui
sont présupposées, il n’y a pas de meilleur moyen que la souffrance de la vie
terrestre. Et cet amour est l’article de foi le plus important, selon la parole
de saint Jean : « Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous
et nous y avons cru »[1559].
C’est pourquoi les chrétiens se sont donnés pour signe de reconnaissance la
croix dont ils tracent le signe sur leur corps, manifestant ainsi leur foi dans
le salut opéré par le Christ à la croix. C’est pourquoi l’Église chante à
Pâques : « Bénie sois-tu, Croix! C’est par toi que le salut est entré dans
le monde. » Le terme ultime de la croix, c’est-à-dire de l’humilité
(kénose) du Christ fut son séjour au tombeau. C’est pourquoi le Christ dit aux
Lévites qui demandent un signe de sa puissance[1560]
: « Vos n’aurez pas d’autre signe que celui de Jonas. De même que Jonas est
resté dans le ventre du poisson pendant trois jours, ainsi le Fils de l’homme
sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits. »
Solution 1 :
Les miracles et la prédication de l’Évangile ne sont pas les
signes spécifiques du fils de l’homme mais ils témoignent aux yeux des hommes
de la mission divine qui l’anime jusque dans son anéantissement. De la même
façon, pour les prophètes et apôtres, les miracles ont ce rôle. C’est pourquoi
l’Écriture rapporte de Josué, lorsqu’il arrêta le soleil[1561]
: « Il n’y a pas eu de fournée pareille, ni avant ni depuis, où Dieu ait
obéit à la voix d’un homme. » Et un tel miracle manifesta à tous que Dieu
était avec le peuple d’Israël.
Solution 2 :
La croix en elle-même est signe de la condition du fils de l’homme
puisqu’il fut dans la misère sur cette terre. Quant aux miracles qu’il
accomplit, ils signifient que Jésus est aussi Fils de Dieu et qu’il est plus
fort que le péché et ses conséquences dont il ébranle l’empire. C’est pourquoi
des morts ressuscitèrent manifestant sa victoire sur la mort. Le signe du Verbe
fait chair est donc la croix glorieuse. Cependant, le signe du fils de l’homme
est la croix douloureuse.
Solution 3 :
Le signe
du poisson permettait aux chrétiens de se reconnaître entre eux alors que les
persécutions sévissaient. En effet, ils ne pouvaient arborer extérieurement le
signe de la croix qui les aurait trop facilement fait repérer par les
persécuteurs romains. Quant au signe du poisson, il convenait car son
orthographe grecque (ICHTUS) donne en grec les initiales du nom de
Jésus-Christ, fils de Dieu. Un tel signe disparut de la tradition chrétienne à
la fin des persécutions. Il ne s’agit donc pas là du signe du fils de l’homme
mais simplement d’un signe provisoire adopté par les chrétiens à une certaine
époque de leur histoire.
Objection 1 :
Le propre
d’un signe est de manifester ce qui est signifié. Or le signe de Jonas, qui est
le sépulcre, manifeste plutôt l’échec de la condition humaine que la victoire
du ressuscité. Donc il ne peut être le signe du Fils de l’homme.
Cependant :
Le
Seigneur dit aux Juifs incrédules[1562]
: « Cette génération réclame un signe, et de signe il ne lui sera donné que
celui de Jonas. De même en effet que Jonas fut dans le ventre du monstre marin
trois fours et trois nuits, de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la
terre durant trois Jours et trois nuits. » Le signe de Jonas signifie donc
le mystère du sépulcre.
Conclusion :
Le signe
de Jonas symbolise et annonce dans l’Évangile la future passion du Seigneur :
Il a pris sa croix en vérité, subissant jusqu’à la mort les souffrances. La
baleine qui engloutit Jonas signifie la mort que le Christ a endurée ; le salut
de Jonas qui fut rejeté sur le rivage vivant signifie la résurrection du
Sauveur. Le signe de Jonas rappelle donc aux croyants la prophétie d’Isaïe sur
le Christ[1563]
: « Homme de douleur, familier de la souffrance, comme quelqu’un devant qui
on se voile la face, méprisé, nous n’en faisions aucun cas. Or ce sont nos
souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il était chargé. » Le
sépulcre est avec la croix le plus grand signe de l’amour de Dieu. Il peut être
considéré avec elle comme le signe du Fils de l’homme. Il marque tout ce qui
est fait ici-bas par les fils des hommes puisque la finalité de la vie
terrestre, loin d’être en elle-même, consiste à s’achever dans la mort. L’homme
doit découvrir alors sa limite et sa misère et, par là même, se tourner vers
Dieu et son salut.
Solution 1 :
Le
sépulcre vécu par le Christ n’était pas la fin de sa mission puisqu’il est
ressuscité d’entre les morts. Mais ce temps de sépulcre manifeste aux hommes
l’intensité de son amour qui, pour nous sauver, ne nous impose pas d’en haut
une vie de purification, mais la vit lui-même alors qu’il n’en a pas besoin.
Pendant
que son corps reposait au tombeau, son âme descendait dans le séjour des morts.
Comme l’enseigne Urs von Balthazar[1564].
Il est certain que le Christ accepta de vivre pendant ce séjour dans l’Hadès
notre condition humaine. Il sauva tout l’homme en vivant tout de la vie de
l’homme excepté le péché. Nous comprenons ainsi que le signe de Jonas,
c’est-à-dire le sépulcre, manifeste conjointement à la croix l’amour excessif
de Dieu.
Objection 1 :
Il semble que la croix n’apparaîtra pas comme un signe glorieux du
retour du Christ à la fin du monde. En effet, une telle apparition supprimerait
le mérite de la foi ce qui ne convient pas à la sagesse de Dieu.
Objection 2 :
On voit mal pourquoi la croix devrait apparaître avant celui qui
fut crucifié. En effet, elle est le signe du supplice et n’a de valeur qu’à
cause de la charité du Sauveur.
Objection 3 :
La croix ne signifie pas pour tous les hommes le salut : pour les
musulmans par exemple, il est plutôt signifié par le croissant. Or on a dit que
le Seigneur adapte ses signes à la sensibilité de chacun. Donc elle ne doit pas
apparaître à la fin du monde.
Objection 4 :
La fin du
monde est semblable, comme nous l’avons montré, à la fin de chaque individu en
particulier. Or la croix glorieuse n’apparaît pas à la mort de chacun.
Cependant :
Matthieu écrit [1565] :
« Et alors apparaîtra dans le Ciel le signe du Fils de l’homme ; et alors
toutes les races de la terre se frapperont la poitrine et l’on verra le Fils de
l’homme venant sur les nuées du Ciel avec puissance et grande gloire. »
Conclusion :
L’apparition du signe du Fils de l’homme, à la fin des temps peut
être prise en deux sens.
1° Le premier sens est le plus certain car il
touche l’aspect spirituel, quoique réel du mystère. Il s’agit de la passion et
du sépulcre que devra subir l’Église à l’image de son Seigneur, l’Oumma
(l’islam) à l’image du sacrifice d’Ismaël, et toutes les religions. Dans ce
sens, le signe du Fils de l’homme est la croix douloureuse ou encore le signe
de Jonas. L’Église, en vivant du même mystère que le Christ manifestera
profondément aux yeux du monde le mystère de la charité quand elle pousse
l’homme à donner sa vie pour son frère. Seuls quelques-uns comprendront en ces
heures douloureuses le signe de Jonas ainsi donné, à l’image de la Vierge Marie
durant les trois jours du sépulcre. Et ce signe de Jonas sera pour les croyants
qui resteront le signe certain et définitif sur lequel ils pourront fonder leur
foi en l’imminence du retour du Christ[1566]
: « Relevez-vous et redressez la tête car votre Rédemption est proche. » Tout
sera accompli.
2° En un second sens qui complète et
manifeste sensiblement le premier pour les hommes plus charnels, il s’agit de
l’apparition de la croix glorieuse qui précédera le retour du Christ et
marquera la fin du sépulcre de l’Église. Cette apparition manifestera au monde
entier la victoire du Christ et celle de l’Église à sa suite. Devant la lumière
de la croix, l’humanité sera obligée de reconnaître la valeur salvatrice de la
passion du Christ et de l’Église à sa suite, d’une manière analogue au
centurion romain à la croix[1567]
: « Vraiment, celui-ci était le fils de Dieu. »
Solution 1 :
Comme nous l’avons dit, l’apparition de la croix glorieuse, ni
même celle du Christ ne suppriment totalement la foi. Certes les hommes seront
obligés de reconnaître l’existence de Dieu et de son Messie, à cause de
l’évidence de ces signes. Cependant, ils seront amenés à adhérer par la foi en
la possibilité de la gloire qui est la vision de l’essence divine. Et il est
probable que certains, à cause de la perversité de leur cœur, refuseront
volontairement de croire à cette promesse, se plongeant ainsi dans la damnation
éternelle. D’autres se contenteront de noter le phénomène, sans en tirer les
conséquences, mais comme on prend un miracle quand on ne s’attache qu’à son
caractère merveilleux. Ainsi furent dans le passé les réactions humaines face
au miracle de Fatima (1917). Seuls quelques-uns ressentiront en profondeur la
gravité des événements de cette époque et le drame profond qu’aura été l’éradication
des religions et de l’Église.
Solution 2 :
Il convient que la croix apparaisse dans la lumière véritable de
son mystère. En effet, c’est par elle que le Sauveur a effacé la cédule de
notre péché et a ouvert pour nous la porte du Ciel. De même, c’est par elle que
l’Église unie à la passion du Christ a mérité pour l’humanité tout entière la
manifestation glorieuse et définitive de ce salut ; enfin, c’est par elle que
tout homme est introduit dans la gloire puisque tous doivent mourir à eux-mêmes
pour renaître à la vie éternelle.
Solution 3 :
Comme nous l’avons dit, à la fin du monde, l’Évangile aura jadis
été prêché partout, de telle façon que nul n’ignorera complètement, au moins
dans un fond culturel lointain, la signification de la croix. Cependant, même
si certains l’oublient complètement, ils comprendront à ce moment sa
signification puisque l’apparition de la croix glorieuse sera accompagnée par
une intuition intérieure infusée par Dieu qui enlèvera dans l’intelligence de
chacun l’ignorance quant à ce mystère. C’est pourquoi « toutes les
races de la terre se frapperont la poitrine. »
Solution 4 :
Chaque individu, à l’heure de sa mort, s’il ne voit pas
sensiblement apparaître la croix glorieuse, n’est pas moins conduit de deux
manière à vivre de ce signe : 1° Physiquement
puisqu’il meurt ; 2° Intérieurement
par la grâce du Seigneur puisqu’il reçoit la révélation de l’amour qui est allé
jusqu’à s’offrir en sacrifice pour le sauver. D’autre part, il comprend qu’il
lui faut lui-même renoncer à l’amour égoïste de soi-même, à la manière du grain
de blé qui meurt, s’il veut entrer dans la béatitude éternelle.
Objection 1 :
On ne peut craindre ce qui est un bien. Or la venue du Seigneur
sera un bien puisqu’elle manifestera la victoire sur le péché et sur la mort
qui sont les deux maux principaux.
Objection 2 :
Le Seigneur dit que tous les hommes se frapperont la poitrine. Un
tel geste semble figurer davantage le repentir que la peur. Donc les hommes ne
seront pas terrorisés par l’apparition du signe du signe du Fils de l’homme.
Objection 3 :
Le signe
de la croix précèdera de peu l’apparition glorieuse de Christ lui-même. Or nul
ne peut avoir peur du Christ qui est l’essence même de la bonté.
Cependant :
Isaïe, en
parlant de la manifestation de Dieu dit aux hommes[1568]
: « Va dans le rocher, terre-toi dans la poussière devant la terreur de
Dieu, devant l’éclat de sa majesté, quand il se lèvera pour faire trembler la
terre. L’orgueil humain baissera les yeux. »
Conclusion :
La crainte
est une passion qui a pour objet un mal que l’homme fuit. Or, que la venue du
Christ manifestée par la croix puisse être vécue par l’homme comme un certain
mal, cela ne peut tenir à la personne du Christ lui-même puisque, étant l’image
de Dieu, il n’y aura rien en lui qui ne soit bonté. Or nul ne peut haïr la
bonté en tant que telle. Il la fuit à cause d’autre chose qui l’accompagne.
Ainsi, les pécheurs dont l’intention de vie se porte vers les biens de ce
monde, seront terrorisés à l’idée de perdre leurs richesses. Et cette crainte
mondaine les conduira à rejeter la venue du Christ comme un mal. C’est ce qu’on
voit très concrètement à la mort des mondains. L’apparition pour eux de la
proximité de cet événement est source des plus grandes terreurs.
Ceux qui
serviront Dieu sans toutefois l’aimer avec l’amour de charité éprouveront
devant la croix du Seigneur de la peur à cause des peines qu’ils sauront devoir
subir pour leurs fautes. Il s’agit d’une crainte servile. Ainsi, certains
hommes se convertissent-ils vers Dieu à l’approche de leur fin par peur du
jugement.
Ceux enfin
qui aimeront Dieu éprouveront lors de sa venue de la crainte à cause des péchés
qui resteront en eux. Leur amour du Seigneur provoquera la crainte de ne pas
paraître purs en sa présence. Il s’agit d’une crainte filiale ou encore, pour
ceux dont la charité sera parfaite, d’une crainte chaste semblable à celle
qu’éprouvent les époux entre eux lorsque leur amour réciproque atteint une
grande délicatesse dans sa forme.
Ainsi, on
doit dire que tous les hommes éprouveront une grande crainte lors de la
manifestation glorieuse du Seigneur par la croix, même si la crainte des bons
sera d’une autre nature que celle qu’éprouveront les méchants.
Solution 1 :
La victoire sur le péché n’est pas un bien pour ceux qui vivent
dans le péché. Elle représente plutôt la ruine de leurs espérances puisque
personne n’emporte dans l’au-delà le fruit de ses rapines. De même, en tant
qu’il reste dans le cœur de tout homme vivant sur la terre des restes du péché,
les saints eux-mêmes craindront la venue du Seigneur. Toutefois, cette crainte
ne portera pas sur la victoire du Christ elle-même mais plutôt sur le fait que
cette victoire n’a pas encore tout pris dans leur âme.
Solution 2 :
Le geste
qui consiste à se frapper la poitrine représente simplement le regret. Or il
est possible que l’homme regrette plusieurs choses : la perte de ses biens,
l’obligation de subir une peine ou encore le fait de ne pas avoir assez aimé.
Solution 1 :
L’apparition
du Christ qui suivra celle de la croix manifestera pleinement la bonté de Dieu
qui est miséricordieux et lent à la colère. Elle fera disparaître toute crainte
servile chez les bons puisqu’ils aimeront Dieu et désireront subir les peines
du purgatoire avec joie pour se rendre conforme à leur Sauveur. Cependant,
cette apparition glorieuse ne supprimera en rien la crainte mondaine chez ceux
qui seront donnés au péché et perdront tout. De même elle ne supprimera pas la crainte
filiale mais aura tendance à la transformer en une crainte chaste à cause de la
grandeur de l’amour que les saints éprouveront pour Dieu.
La fin du monde sera provoquée par l’apparition du Christ
glorieux. Nous avons déjà étudié le mystère du retour du Christ à propos de la
mort individuelle (Question 8). Comme nous l’avons dit au début de cette
section, ce sera le même mystère sauf que tous les hommes le verront en même
temps. Il nous reste à étudier la fin du monde qui suivra immédiatement le
retour du Christ, nous nous poserons six questions :
1° Dieu mettra-t-il fin au monde tel qu’il
est ici-bas ?
2° La fin des temps se distingue-t-elle de la
fin du monde ?
3° Peut-on distinguer sept temps dans
l’histoire de l’humanité ?
4° Connaît-on la date de la fin du monde ?
5° Peut-on dire au moins que nous sommes dans
les derniers temps ?
6° La fin du monde consiste-t-elle dans le
retour glorieux du Christ ?
7° Tous les hommes mourront-ils ?
8° La fin du monde sera-t-elle une
destruction ou une transformation dans un autre monde ?
Objection 1 :
Cela ne semble pas. Dans le livre de la Genèse, après avoir
détruit le monde par le déluge, Dieu dit [1569]
: « plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. Tant
que durera la terre, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver,
jour et nuit ne cesseront plus. » Donc Dieu ne mettra pas fin à l’ordre du
monde tel qu’il est ici-bas.
Objection 2 :
Dieu fait tout avec ordre, poids et mesure. Il a donc créé
l’univers parfait. Il n’y a donc pas de raison à ce qu’il lui donne un terme.
Objection 3 :
Par la faculté de génération, les espèces vivantes sont ordonnées
par Dieu à durer sans fin, puisque les parents engendrent un être semblable à
eux-mêmes, que lui-même donne la vie à un semblable. Or ce que Dieu a ordonné à
la durée ne peut manquer à sa finalité. Donc l’ordre du monde ne cessera
jamais.
Objection 4 :
Le monde
matériel a été crée par Dieu pour que l’homme se prépare à entrer en possession
de la gloire éternelle. Une telle œuvre divine a son origine dans son infinie
bonté qui veut se communiquer. Or il ne convient pas que cette bonté trouve une
limite en s’arrêtant à un nombre fini d’élus. Il convient donc que la terre
dure toujours pour que, éternellement, des hommes nouvellement créés se
préparent à entrer dans la gloire.
Cependant :
Le
Seigneur annonce en saint Matthieu[1570]
: « Ainsi en sera t-il à la fin du monde : Les anges se présenteront et
sépareront les méchants d’avec les justes. » Or actuellement, la méchanceté
est unie à la justice donc l’ordre du monde tel qu’il est ici-bas ne durera pas
toujours.
Conclusion :
Le monde d’ici-bas doit avoir une fin. Et cela peut être prouvé
aussi bien par la raison naturelle que par la foi.
1° Par la raison naturelle, l’homme peut se
rendre compte que les éléments du monde courent à leur destruction. C’est ce
que démontrent les scientifiques à propos de toutes les réalités matérielles,
depuis les atomes, les astres, jusqu’aux vivants individuels et aux espèces.
Tout est soumis à la loi de l’entropie. Tout se dégrade. Ainsi, le soleil qui
est un corps d’énergie limitée, doit cesser son rayonnement par épuisement de
sa capacité réactive ; de même le mouvement atomique des éléments qui composent
la matière tend à se dégrader insensiblement. En conséquence, on doit dire que
l’univers matériel qui est notre milieu vital finira nécessairement, s’il reste
soumis aux seules lois naturelles qui le dirigent, par devenir impropre à la
vie. Seul Dieu est capable de le rendre éternel, à condition qu’il lui infuse à
partir de sa propre puissance, une énergie capable de renouveler son activité.
Saint Paul le confirme[1571]
: « Elle passe la figure de ce monde. »
2° Par la foi, il est évident que l’ordre du
monde tel qu’il est ici-bas ne durera pas, puisque la terre n’est pour l’homme
qu’un séjour temporaire où il subit l’épreuve et est éduqué en vue d’entrer en
possession de la béatitude éternelle qui consiste en la vision de Dieu. Ainsi,
lorsque tous les hommes dont Dieu a décidé la naissance, auront terminé leur
vie terrestre, le monde tel qu’il est ici-bas n’aura plus aucune utilité. C’est
ainsi que, dès maintenant, la mort de chaque individu est comparable pour lui à
la fin du monde puisqu’il entre dans une autre dimension de l’univers crée par
Dieu. Le Christ reviendra et son apparition, comme l’éclair de l’Orient à
l’Occident, mettra fin au cycle des générations et à la nécessité du purgatoire
de cette terre.
Le
cardinal Ratzinger commente[1572]
: « Le monde qu’elles observent est caractérisé par un antagonisme qui lui est
propre : d’une part, c’est un monde qui s’use, en vertu du principe de
l’entropie, qui par conséquent est engagé dans un mouvement vers un néant
insipide ; d’autre part, c’est un monde qui apparaît emporté dans un devenir
vers des unités de plus en plus complexes et donc dans un mouvement
ascensionnel. La question de savoir où s’achèvera ce mouvement, pris au dilemme
du déclin et de l’épanouissement, ne reçoit pas de réponse évidente, même si
elle penche davantage dans le sens du déclin que de l’épanouissement. Seul un
principe qui viendrait de l’extérieur peut permettre ici une affirmation
nouvelle. Le message chrétien attend à la fois l’un et l’autre : le déclin par
le déroulement du cours normal du monde, et l’épanouissement par cette
puissance nouvelle, venue de l’extérieur, qui s’appelle le Christ. D`ailleurs,
la foi ne voit pas dans le Christ une réalité vraiment extérieure, mais le
point de départ véritable de tout l’être créé qui, par suite, venant de
l’extérieur, peut épanouir ce qu’il y a de plus intime dans le cosmos. »
Solution 1 :
Dans ce passage de la Genèse, Dieu s’engage à ne plus soumettre le
monde à une destruction massive comme celle qui frappa les hommes lors du
déluge. Mais il ne prétend pas que le monde n’aura pas de fin. Cette fin est au
contraire suggérée par le texte : « Tant que durera la terre. » C’est
donc que la fin du monde ne sera pas provoquée par une catastrophe de la nature
mais par la venue glorieuse de Dieu qui mettra un terme au cycle des
générations.
Solution 2 :
L’univers a été crée parfait, selon le livre de la Genèse. Cela
était "très bon. » Cependant, il s’agit d’une perfection relative et
provisoire et non de la perfection plénière de la fin qui sera atteinte lorsque
l’univers sera glorifié. Ainsi, on dit qu’un enfant est parfait relativement à
son âge et non selon la perfection essentielle de la nature humaine qui n’est
atteinte qu’à l’âge adulte.
Solution 3 :
Tout ce qui est dans cet univers, les astres et la matière
atomique eux-mêmes est soumis à une loi de corruption, une forme d’entropie.
Les espèces vivantes ne durent en moyenne que 4 millions d’années et, même si
elles portent en elles-mêmes par la génération une apparente capacité de durer
toujours, cela ne signifie pas qu’il doit en être ainsi. Soumises aux lois de
la génération, elles perdent la détermination de leur richesse génétique. Elles
finissent par se dégrader et disparaître. Une telle corruptibilité de ce monde
est voulue par Dieu comme un moyen en vue du bien de l’homme qui trouve dans la
constatation de sa propre corruptibilité un motif de ne pas s’enorgueillir.
Dans l’au-delà aucun homme, élu ou damné n’aura plus besoin de l’expérience de
la vanité des choses puisque chacun sera à jamais déterminé. La corruptibilité
des choses telles qu’elles sont ici-bas sera donc inutile.
Solution 4 :
Le nombre
des hommes a été fixé par Dieu et c’est un nombre fini. La raison en est qu’une
société dont les membres seraient infinis en nombre ne peut être ordonnée et
est ingouvernable. Or l’univers recrée pour les élus proclamera la gloire de
Dieu par l’ordre qui y règnera selon la hiérarchie de la charité. C’est
pourquoi l’Écriture affirme[1573]
: « le temps viendra où seront au complet leurs compagnons de service. »
Objection 1 :
Il semble que ce soit la même chose. Le prophète Daniel[1575]
parle « du temps de la fin » ce qui parait être synonyme de la
« fin des temps. »
Objection 2 :
Quand les
temps seront accomplis, il n’y aura plus de délai avant la venue du Christ ; Il
en a été déjà ainsi lors de sa première venue selon Jean-Baptiste « le
temps est accompli et le royaume des cieux est proche : repentez vous et croyez
à l’Évangile »[1576].
Il est donc inutile de distinguer la fin des temps et la fin du monde.
Cependant :
Dans l’Évangile, Jésus parle de la fin du temps des nations. Mais
il ne dit pas que la fin du monde viendra immédiatement, donc il y a une différence
entre les deux.
Conclusion :
Chaque individu, chaque communauté humaine ainsi que le monde dans
son ensemble, a reçu de la part de Dieu un certain délai de vie, et une série
de périodes pour accomplir son pèlerinage terrestre. Toute chose est mortelle.
Et c’est la comparaison entre la vie humaine et la vie de l’humanité qui permet
de comprendre de la plus simple manière les expressions derniers temps,
temps de la fin, fin des temps, fin du monde.
1° Ainsi, pour chaque individu, la mort
représente la fin du monde. Mais auparavant, Dieu dans sa providence,
assigne à l’homme une durée de vie faite de plusieurs étapes, plusieurs temps,
selon la parole de Qohelet[1577]
: « Il y a un temps pour toutes choses sur la terre : un temps pour enfanter
et un temps pour arracher le plant. » Le premier de ces temps est vécu par
chacun dans le sein de sa mère puisqu’il suit la conception. Il est suivi
normalement par le temps de l’enfance (temps du commencement), puis par
d’autres périodes comme l’adolescence, l’âge adulte. Pour ceux qui y
parviennent, la vieillesse représente toujours le dernier temps, qu’on
peut appeler le temps de la fin. La vieillesse dure souvent très
longtemps. Certains y entrent à 60 ans et en sortent par la mort à 90 ans. Les
quelques mois qui précèdent la mort pourraient être qualifiés de fin des
temps puisqu’ils précèdent la mort, la fin des fins.
2° Ce qui est vrai des individus l’est aussi
pour les diverses sociétés humaines. Chaque civilisation reçoit un temps pour
durer avant de sombrer dans la décadence. Ainsi, la civilisation romaine vécut
le premier temps de sa petite enfance avec Romulus et Remus ; le temps de sa
vie adulte avec ses conquêtes ; elle entra dans le temps de la fin quand
ses citoyens furent plus adonnés aux plaisirs qu’au sens civique ; la fin
des fins, la fin du monde fut accomplie en Occident par la mort du dernier
empereur, Romulus Augustule.
3° De même, l’humanité dans son ensemble
connaîtra un jour un terme définitif dans son pèlerinage terrestre. Mais
auparavant, Dieu lui accorde des temps : A un certain moment, après l’épisode
court de la grâce originelle, aucun homme (sauf les exceptions d’Énoch,
Abraham, Moïse et Élie) ne s’approchait intimement de Dieu. Cette première
période est le temps du silence de Dieu. Puis vint, à partir de la
Pentecôte, la dernière, le temps de la grâce. Il correspond à l’entrée
dans la vieillesse puisque, nous le savons avec certitude dans la foi, il n’y
aura pas d’autre Alliance de Dieu avec l’homme avant la fin du monde. Il dure
pourtant depuis de nombreux siècles, de la même manière que la vieillesse d’un
homme peut durer de longues années. Jésus divise ce dernier temps en trois
distincte : le temps de l’annonce de l’Evangile, suivi du temps de sa
contestation, suivi du temps de son rejet définitif (l’apostasie généralisée).
Ainsi, depuis la résurrection du Christ, nous sommes dans le dernier temps.
Lorsque certains signes précis annoncés par Jésus seront accomplis, nous
saurons que la fin de cette période sera arrivée. Ce sera donc la fin du
monde ou la fin des fins puisqu’il n’y aura pas d’autre période de
délai terrestre. La fin du monde est donc le "terminus ad quem" du
dernier temps. Le Christ reviendra dans sa Gloire suivi immédiatement par la
destruction du cosmos et par sa transfiguration.
Solution 1 :
Immédiatement avant la fin du monde, il y aura un temps
particulièrement difficile pour l’humanité puisqu’il sera lié à des guerres
"entre le roi du nord et du midi" selon Daniel[1578],
à des tremblements de terre et à beaucoup d’autres malheurs. Ce temps de la fin
précèdera de peu la fin du monde mais n’est pas identifiable à la fin du monde
elle-même, de même que la dernière phase d’un mouvement n’est pas identifiable
à son terme final.
Solution 2 :
Si l’on
regarde la fin des temps comme le moment où les prophéties de l’Écriture seront
toutes accomplies, alors nous pouvons dire que nous sommes déjà dans la fin des
temps, de la même manière que saint Paul[1579]
: « Nous touchons à la fin des temps. » En effet, le Christ a accompli
l’Écriture en plénitude par sa venue, sa prédication, sa mort et sa
résurrection. Toutes les prophéties furent réalisées d’une manière ou d’une
autre puisque les premiers apôtres, après avoir prêché dans le mode connu de
leur époque, furent mis à mort. Cependant, l’expérience nous montre qu’après la
venue du Christ qui était le dernier des temps de l’humanité, Dieu a laissé à
l’humanité un autre temps pour se convertir. C’est pourquoi la fin des temps ne
doit pas être confondue avec la fin du monde, même si elle annonce l’imminence
de cette fin ultime, selon l’Apocalypse[1580]
: « Il n’y aura plus de délai! »
«
Jérusalem sera foulé par les nations
jusqu’à ce que soit terminé le temps des nations. »[1581] La fin du temps des nations a deux sens
possibles :
1° La fin du
temps où les non-juifs porteront le flambeau de la foi au Christ selon ce
texte des Actes des Apôtres[1582] : « S'enhardissant alors, Paul et
Barnabé déclarèrent : « C'était à vous les Juifs d'abord qu'il fallait annoncer
la parole de Dieu. Puisque vous la repoussez et ne vous jugez pas dignes de la
vie éternelle, eh bien! Nous nous tournons vers les païens. Car ainsi nous l'a
ordonné le Seigneur : Je t'ai établi lumière des nations, pour que tu portes le
salut jusqu'aux extrémités de la terre. » Il est donc probable que, vers la
fin du monde, les non juifs ayant rejeté le Christianisme, le flambeau serait
pris par les Juifs.
2° Mais il
signifie aussi un sens plus politique : la fin du temps des nations est la fin
du temps des gouvernements nationaux (France, Allemagne) et le début d’un
gouvernement mondial. Ce deuxième sens est tout à fait complémentaire. En
effet, habituellement, toutes les prophéties concernant Israël sont charnelles.
En effet, tout ce que vit ce peuple dans sa vie politique est établi par Dieu
signe des choses spirituelles. Il leur est promis par exemple une terre (une
vraie terre, la Palestine), et c’est pour signifier le paradis céleste...
Ainsi, il est
probable que, avant la fin du monde, seront donnés quatre signes :
- Apostasie
des païens ; Fin des gouvernements nationaux ; Jérusalem Juive ; Reprise du
flambeau de la foi par les Juifs. Ils seront concomitants, à savoir sur deux ou
trois générations.
Objection 1 :
Le chiffre sept semble davantage lié à une volonté de concorder
avec les sept jours de la création qu’à une véritable nécessité liée à la
révélation. On aurait pu diviser tout autrement les phases de l’histoire, comme
on le voit chez Joachim de Flore.
Objection 2 :
Pour parler de sept temps, il faut pouvoir dater. C’est possible
pour les trois premières phases. Mais la phase d’évangélisation, celle du rejet
de l’Évangile et de l’apostasie sont des phases vécues en permanence dans
l’Église et non des événements datables comme la révélation faite à Moïse ou
l’incarnation du Verbe.
Objection 3 :
Il ne semble pas qu’on doive compter sept "jours" après
la venue du Christ. En effet, encore aujourd’hui, chacune de ces sept phases
est vécue par une ou plusieurs parties de l’humanité. Ainsi, certaines tribus
reculées vivent séparées de toute révélation comme au temps du silence de Dieu.
Elles adorent encore des idoles et des démons ; Les juifs, quant à eux, vivent
de la deuxième phase puisqu’ils attendent le Messie ; Certaines chrétientés ont
déjà apostasié et bien des antéchrists sont déjà venus. D’autre part, des
civilisations entières ont déjà vécu le retour du Christ puisque tous leurs
membres sont morts.
Cependant :
Jésus parle dans le discours eschatologique[1583]
de trois temps qui sont comparables aux trois phases de l’accouchement.
Conclusion :
L’histoire
de l’humanité peut être regardée selon plusieurs points de vue. Les
paléontologues l’observent à travers les vestiges matériels comme les tombes,
l’art et les outils. Ils distinguent sous ce rapport divers temps qu’ils
divisent habituellement en deux périodes selon l’existence ou non de documents
écrits. La préhistoire leur paraît divisible en quatre temps comme l’âge de la
pierre taillée (paléolithique), l’âge de la pierre polie (néolithique), l’âge
du bronze, l’âge du fer. Mais lorsqu’il s’agit de l’histoire documentée, la
division des périodes est beaucoup plus complexe et discutée tant les critères
possibles sont divers : armes, taille des cités, structures sociologiques etc.
On constate que, ici où là sur terre, quelque soient les critères retenus, tous
les âges de l’humanité subsistent de quelque manière. On trouve encore des
tribus vivant comme au néolithique.
Dans le
domaine de la théologie, les divisions se prennent du rapport de l’humanité
avec la grâce. En effet, il n’a pas toujours été possible à la foule des hommes
d’approcher Dieu. En fonction de ce critère, on peut discerner sept étapes de
l’histoire sainte, sept temps de l’humanité qui subsistent encore ici ou
là dans certaines parties de l’humanité :
Les trois premiers temps de l’humanité qui suivirent la chute
d'Adam et Ève.
1° Le temps où Dieu se taisait,
2° le temps où il promit à quelques-uns un
sauveur,
3° celui enfin où il se fit chair et annonça
l'Évangile. Chacune de ces périodes dispose les cœurs au salut. Ces trois
temps, commencés après le péché originel, sont toujours d’actualité. Ils sont
vécus de nos jours par des milliers d’hommes qui n’ont jamais entendu parler du
Christ.
Après son ascension, Jésus annonce de nouveau trois temps, trois
étapes de l'histoire durant lesquelles il préparera les nations à son retour
glorieux. On peut les discerner à la lecture de son discours eschatologique[1584]
et des multiples prophéties dispersées ici et là dans les lettres des apôtres.
4°
Le premier de ces temps est celui de l'extension de l'Évangile
dans le monde. C'est une
période accompagnée de luttes et de souffrances nombreuses.
5° Le second est celui du rejet de l'Évangile
par le monde.
6° Le troisième est le temps de sa
disparition quasi complète du monde. C’est le temps de l’Antéchrist.
Solution 1 :
Nous accordons cette objection. On pourrait par exemple mettre
l’époque qui précède le péché originel sous un jour et unifier le temps qui
précède la venue du Christ en un seul puisque l’annonce d’un salut fut donné
dès le départ, quoique de manière imprécise[1585]
: « Ta descendance écrasera la tête du serpent. » De même, les temps qui
suivent la venue du Christ pourraient être divisés autrement, par exemple comme
le fait Jésus quand il les décrit à la manière d’un accouchement avec ses
premiers signes, les douleurs et l’accouchement lui-même.
Solution 2 :
Ces trois temps ainsi que le règne de l’Antéchrist ne sont pas
uniquement des événements symboliques ou spirituels. Leur réalisation est aussi
certaine que l'étaient pour les Juifs les prophéties de l'Ancien Testament.
Quand un prophète annonçait qu'une jeune fille vierge serait enceinte, les
Juifs n'y voyaient pas seulement un symbole, une image d'Israël en attente de
la manifestation de Dieu. Il en est de même pour les événements de la fin du
monde. Chaque prophétie de Jésus a un sens symbolique, c'est certain, mais
aussi un sens historique : « Le Ciel et
la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas. »[1586].
La
raison en est que l’homme n’est pas fait que d’esprit, mais que ce qui est
spirituel en lui se réalise toujours de quelque manière dans son corps, sa
psychologie et dans le monde qui l’entoure. C’est ce que l'Esprit saint veut, et
cela sera.
Toute la difficulté consiste à démêler leur écheveau. Les trois temps qui
précéderont le retour du Christ peuvent déjà être en partie datés. Le premier,
celui de l'annonce de l’Évangile, commence avec le jour de la Pentecôte et dure
jusqu’à aujourd'hui. Il se caractérise par l'extension de la chrétienté à
travers le monde et par des luttes que le Seigneur appelle « des guerres et des rumeurs de guerre »[1587].
Le second, le temps de l'apostasie qui se généralise, trouve des racines dans
les idées de la fin du Moyen Age et de l’excès de la domination du pouvoir
chrétien (guerres de religion en particulier) et de son rejet au siècle des
Lumières. En effet, nul ne peut apostasier ce qu’il n’a d’abord reçu[1588].
Mais il commence au plan politique avec les soubresauts antichrétiens de la
Révolution française. Il continue à s'étendre jusqu'à aujourd'hui. Quant au
troisième temps, celui du règne mondial d'un antéchrist, de la disparition
politique de tout ce qui porte le nom de Dieu[1589],
il n'est pas encore commencé. Nous pouvons l'affirmer avec certitude en cette
fin de millénaire. L’Antéchrist n’est pas là même si divers courants
antichrétiens œuvrent puissamment, même si de nombreux antéchrist sont déjà
venus. On constate la proximité de sa réalisation à travers les courants
humanistes qui rêvent de plus en plus, depuis les deux guerres mondiales, d’un
monde unifié en une seule nation et langue. Nous montrerons que pour saint
Paul, c'est la preuve que le retour glorieux du Christ n'est pas imminent[1590].
Il ne reviendra pas se montrer à l’humanité tant que les dernières prophéties
n'auront pas été réalisées.
Solution 3 :
La signification historique de ces trois
temps ne s’oppose pas aux autres sens. Il faut se rappeler que les paroles
prophétiques de Dieu ne parlent jamais en premier lieu de l’histoire ou de la
politique mais d’abord de ce qui concerne le salut des âmes dans leur rapport
personnel avec Dieu. Cependant, appliquées à l’histoire, les trois temps qui
précéderont le retour du Christ peuvent être datés comme nous l’avons vu. Dieu
maintient à chaque époque un témoignage vivant de ces phases afin que chacun
comprenne que chacune lui sert pour le salut. Le règne de l’Antéchrist, quoique
maintenant les hommes séparés de Dieu, n’en disposera pas moins au salut que la
phase primitive où l’humanité vivait de sauvagerie. En effet, par la souffrance
et la mort qui de toute façon révèlent à l’homme ce qu’il est, chacun est
éduqué dans la voie de l’humilité (kénose) et de l’appel du salut. C’est ce que
signifie cette parole de l’Opéra Starmania : « Y a-t-il quelqu’un dans
l’univers, qui puisse entendre nos appels ? »
Objection 1[1591]
:
Si le commencement d’une chose est connu avec précision, sa fin
peut l’être aussi, « puisque toute chose a sa mesure temporelle. » Or, il en
est ainsi du commencement de l’univers, il en sera de même par conséquent de sa
fin, de la résurrection et du jugement qui doivent l’accompagner.
Objection 2 :
Il est dit, dans l’Apocalypse, de « la femme », symbole de
l’Église, que « Dieu lui avait préparé une retraite, afin qu’elle y fût
nourrie pendant 1260 jours. » Daniel, lui aussi, assigne un nombre déterminé de
jours qui semblent bien être des années, comme dans Ezéchiel : « Je
t’ai compté un jour pour un an. » L’Écriture nous fait donc connaître
exactement l’époque de la fin du monde et de la résurrection.
Objection 3 :
L’Ancien Testament est la figure du Nouveau, et nous en
connaissons exactement la durée. Nous connaissons donc, par là même, celle du
Nouveau Testament et, du même pour l’époque de la fin du monde et de la
résurrection, puisqu’il doit durer jusque-là : « Voici, je suis avec vous
jusqu’à la fin du monde. »
Objection 4 :
L’Écriture affirme que Dieu ne fait rien sans en parler à ses serviteurs
les prophètes. Il semble donc que certains connaissent la date de la fin du
monde, au moins les prophètes.
Objection 5 :
Il en est de la date de la fin du monde comme de celle de la mort
de chaque homme en particulier, puisque les prophéties de l’Écriture unissent
dans un seul regard ces deux évènements. Or il peut arriver qu’un homme
connaisse l’heure de sa mort, soit parce que Dieu lui a dit, comme on le voit
pour certains saints, soit parce qu’il la conjecture avec l’art médical ; soit
qu’il la provoque par le suicide. Donc il doit être possible de connaître la
date de la fin du monde.
Objection 6 :
Il semble que le Christ au moins connaisse la date de la fin du
monde puisque tout jugement lui a été remis[1592].
Objection 7 :
Que la fin du monde doive avoir lieu, c’est une certitude de foi
puisque c’est une prophétie de prédestination. Il doit en être |de même pour la
date de cet évènement. Elle doit donc être connaissable par certains et
annoncée d’une manière cachée par les Écritures.
Objection 8 :
Il semble
que la fin du monde ne se produira pas aussitôt après le retour du Christ mais
après 1000 années de règne qu’il aura passé en paix sur la terre d’après le
livre de l’Apocalypse 20.
Cependant :
Jésus
affirme[1593]
: « Quant à la date de ce jour, et à l’heure, personne ne les connaît, ni
les anges des cieux, ni le fils, personne que le Père seul. » C’est
pourquoi tout prophète qui prétend annoncer une date ou une année fait œuvre de
présomption et ne doit pas être suivi. Il ne peut dire qu’une chose, c’est que
la fin est pour « bientôt »[1594],
puisque, chacun le sait, la mort individuel ne tarde jamais à arriver, en
général moins d’un siècle après le moment où l’on parle.
Conclusion :
Si la fin du monde n’a pas eu lieu juste après la première venue
du Christ, c’est que Dieu a décidé de laisser un temps à l’homme pour qu’il
puisse se convertir, selon saint Pierre[1595]
: « Le Seigneur ne retarde pas l’accomplissement de ce qu’il a promis, comme
certains l’accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que
personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir. » Il en sera
peut-être de même lorsque l’Antéchrist sera là et que les derniers chrétiens
observeront un nouveau retard. C’est pour cette raison que la date de la fin du
monde est absolument inconnaissable par personne. Dieu peut la retarder comme
il le veut, dans sa sagesse qui prévoit le salut du plus grand nombre. Pour
mieux le comprendre, il faut se souvenir qu’il existe en effet deux sortes de
prophéties :
1° Les prophéties de prédestinations qui sont
données lorsque Dieu annonce un événement qui est fixé d’une façon immuable par
sa providence. Ainsi, qu’une Vierge doive enfanter, que le Messie doive
souffrir, que la fin du monde doive avoir lieu précédée par la venue d’un
antéchrist, voici des prophéties qui se réalisent infailliblement, selon cette
parole de Jésus[1596]
: « Pas un iota de la loi ne sera enlevée sans qu’elle soit accomplie. »
2° Les prophéties de menaces ou de promesses.
Elles ne se réalisent que sous condition. Ainsi, lorsque le prophète Jonas
annonçait la destruction de la ville de Ninive, il était sous-entendu qu’elle
n’aurait lieu que si le peuple restait dans son péché. La ville s’étant
convertie, la destruction n’eut pas lieu. Il en est de même de la date de la
fin du monde : étant dépendante d’une condition à savoir le temps que Dieu
laisse à l’homme pour se convertir, elle peut être reculée ou avancée selon sa
miséricorde et à la prière de ceux qui sont proches de lui par la charité.
Ainsi, nul ne peut connaître à l’avance une telle date car elle est, en ce qui
concerne l’homme inconnaissable. On le voit parfois dans la vie des saints pour
la fin des individus. Ainsi, le Padre Pio provoqua à sa prière de nombreuses
fois la mort de ses pénitents juste après leur confession.
Solution 1 :
Pour connaître la fin des choses dont nous connaissons le
commencement, il est nécessaire d’en connaître aussi la mesure. C’est pourquoi,
si nous connaissons le commencement d’une chose dont la durée est mesurée par
le mouvement du ciel, nous pouvons en connaître la fin, parce que le mouvement
du Ciel nous est connu. La durée physique du mouvement du ciel est
connaissable par la science positive à travers de simples calculs. On sait que
le soleil aura brûlé la totalité de son énergie dans quatre à cinq milliards
d’années. Par contre, la durée théologique de ce monde a pour unique mesure la
volonté divine qui nous est cachée. Dès lors, nous avons beau connaître le
commencement, il nous est impossible d’en connaître la fin.
Solution 2 :
Les 1260 jours dont parle l’Apocalypse représentent la vie de
l’Église dans sa totalité plutôt qu’un nombre déterminé d’années. La raison en
est que la prédication du Christ, sur laquelle est fondée l’Église, a duré
trois ans et demi, c’est-à-dire, un nombre de jours sensiblement égal au
précédent. Le nombre cité par Daniel ne se rapporte pas aux années qui doivent
s’écouler jusqu’à la fin du monde ou à la prédication de l’Antéchrist, mais à
la durée de sa prédication même et de sa persécution.
Solution 3 :
L’Ancien Testament est la figure du Nouveau, d’une manière
générale et sans correspondance nécessaire des détails, d’autant plus que le
Christ en a réalisé tous les symboles. C’est pourquoi saint Augustin répond à
ceux qui voulaient compter les persécutions de l’Église en se basant sur les
plaies d’Égypte : « À mon avis, ce qui se passe en Égypte ne figurait point
prophétiquement ces persécutions. Il est vrai que les partisans de cette
opinion font à ce sujet des rapprochements d’une ingénieuse habileté, mais ils
ne sont point appuyés sur l’esprit prophétique, et, si l’esprit de l’homme
parvient quelquefois à la vérité, quelquefois aussi il se trompe. » Ce mélange
de vérités et d’erreurs se retrouve dans les prophéties de l’abbé Joachim. Nul
ne connaîtra la date de la venue du Christ. C’est pourquoi le Seigneur met en
garde contre les faux prophètes, à la fin des temps[1597]
: « Prenez garde de vous laisser abuser, car il en viendra beaucoup sous mon
nom qui diront "c’est moi" et "le temps est tout proche" N’allez
pas à leur suite. » À la fin du monde, certains pourront cependant
conjecturer la proximité du retour du Christ s’appuyant sur la réalisation des
signes annoncés par l’Écriture sainte. Il reste que très peu seront capables de
les interpréter selon leur vrai sens qui est d’abord esprit.
Solution 4 :
S’il arrive que certains saints reçoivent avec joie la révélation
de la date de leur mort, comme sainte Thérèse de l’Enfant Jésus lors de son
premier crachat de sang, c’est parce qu’ils espèrent voir Dieu et le rapprochement
du temps excite leur désir d’être bientôt en présence de la Sainte Trinité.
Dieu sait, à travers une telle révélation, augmenter leur charité. Pour
d’autres, la peur de la mort est utilisée pour l’augmentation de leur humilité
et pour les inciter à se repentir de leurs péchés. Dans tous les cas, ces
révélations ont pour finalité le salut éternel de chacun. Une telle révélation
les concerne donc personnellement. Il n’en est pas de même pour la fin de
l’humanité en général dont la date précise ne concerne que Dieu seul, et dont
l’approche en tant qu’elle est un événement général valable à chaque époque de
l’univers suffit à effrayer les méchants et à provoquer l’espérance des saints.
Solution 5 :
Par contre, il est vrai qu’à la fin des temps, certaines personnes
éclairées par le Saint Esprit conjectureront la proximité de l’évènement, en
s’appuyant sur des signes décrits par l’Écriture. Mais là encore, leur
raisonnement pourra être mis en défaut par Dieu s’il estime nécessaire de
laisser un délai au monde de l’Antéchrist afin qu’il aille jusqu’au bout de sa
perversité et de l’apprentissage spirituel des âmes privées de l’espérance.
Quant au suicide, qui permet à l’homme de décider lui-même de la date de sa
mort, il ne peut être comparé à la fin du monde dont l’initiative viendra de
Dieu. Il est probable que l’Antéchrist s’efforcera de provoquer cette
autodestruction de l’humanité mais il n’y réussira pas, selon Daniel[1598]
: « Par son intelligence l’Antéchrist réussira dans la trahison. Il
s’exaltera dans son cœur et détruira un grand nombre par surprise. Il
s’opposera au Prince des Princes, mais, sans acte de main, il sera détruit. »
Solution 6 :
Saint Grégoire le Grand écrit, en
réponse à une question d’Euloge d’Alexandrie sur le passage de l’Écriture selon lequel « ni le
Fils ni les anges ne connaissent le jour et l’heure »[1599]
: « Votre Sainteté pense très justement qu’il n’est pas à rapporter au
Fils, considère comme tel, mais considéré comme corps, ce que nous sommes.
Augustin dit aussi qu’on peut l’entendre du Fils en personne, parce que le Dieu
tout-puissant parle parfois comme un homme, par exemple lorsqu’il dit à Abraham
: « Maintenant, je sais que tu crains Dieu »[1600].
Non que Dieu ait alors appris qu’il était craint, mais parce que, par lui
Abraham a reconnu alors qu’il craignait Dieu comme nous parlons d’un jour
heureux, non parce que le jour lui-même est heureux, mais parce qu’il nous rend
heureux, de même le Fils tout-puissant dit qu’il ignore le jour que lui-même
fait ignorer, non qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne permet absolument pas
qu’on le connaisse. »
Solution 7 :
Il peut y avoir des avènements qui, pour une part sont annoncés
par une prophétie de prédestination et pour une autre par une prophétie
conditionnelle. Ainsi, le fait qu’une Vierge devait enfanter était connu par la
foi juive d’une façon certaine à cause de la parole de Dieu en Isaïe[1601].
Mais la date de cet évènement n’était connue de personne sinon Dieu puisqu’elle
était liée à certaines conditions. Il en est de même pour la fin du monde qui
aura lieu avec certitude mais à une date que Dieu seul connaît. Quant à ceux
qui s’efforcent de la calculer en s’appuyant sur des savantes combinaisons des
Écritures, ils font fausse route. Dieu peut en effet avancer ou reculer la date
de la fin du monde en fonction de la prière des saints, de l’humilité (kénose)
des religions.
Solution 8 :
Le IVe
Livre d’Esdras[1602]
imaginait que les élus de la dernière génération mèneraient sur terre avec le
Messie une vie bienheureuse de quatre cents ans. Cette idée était dans l’air,
seule la durée du règne messianique variait selon les fantaisies de
l’imagination. Elle subsistera longtemps dans la pensée juive. Le Millénarisme
chrétien se rattache à une interprétation littérale du chapitre 20 de
l’Apocalypse. Il a revêtu plusieurs formes. Cérinthe, que le disciple bien-aimé
avait en particulière horreur, promettait aux justes des derniers temps des
jouissances toutes charnelles. Chez Papias, dont Bossuet a dit qu’il fut un
très vieil auteur mais un très petit esprit, le rêve millénaire s’exprime avec
une naïveté déconcertante. Rapportant les dires des presbytres, il imagine une
terre nouvelle où l’on verra des vignes porter dix mille ceps, chaque cep ayant
dix mille sarments, chaque sarment dix mille rameaux, chaque rameau dix mille
grappes, chaque grappe dix mille grains de raisin dont chacun se disputera
l’honneur de devenir la nourriture d’un élu. De nos jours, les Témoins de
Jéhovah sont les plus célèbres des Millénaristes. Les textes cités de
l’Apocalypse doivent être confrontés à tous les autres annonçant le retour du
Christ. De cette confrontation, il ressort que sa signification n’est pas celle
d’un texte de type historique mais symbolique. De fait, il annonce la
possibilité pour l’homme ou l’Église fidèle d’un règne de paix permanent au
fond de l’âme par la présence fidèle du Messie quelles que soient les épreuves
vécues extérieurement. C’est ce qu’expérimentait Sainte Thérèse de l’Enfant
Jésus qui, soumise à l’agonie d’une maladie incurable disait[1603]
: « Je ne regrette pas de m’être livré à l’amour. »
Objection 1 :
Si l’homme ne peut en aucune manière connaître la date de la fin
du monde, il semble présomptueux de sa part de dire que les derniers temps sont
arrivés.
Objection 2 :
Saint Paul met en garde les fidèles contre ceux qui les effraient
par l’annonce de l’imminence du retour du Christ et qui les poussent à tout
vendre et à ne plus se marier pour être bien prêts selon cette parole du
Seigneur[1604]
: « Malheur à celle qui sera enceinte ce jour-là. »
Objection 3 :
Il semble que nul ne puisse dire si nous sommes dans les derniers
temps selon cette parole du Seigneur[1605]
: « comprenez-le bien : si le maître de la maison avait su à quelle heure de
la nuit le voleur devait venir, il aurait veillé et n’aurait pas permis qu’on
perçât le mur de sa demeure. Ainsi donc, vous aussi, tenez-vous prêt car c’est
à l’heure que vous ne pensez pas que le fils de l’homme va venir. »
Objection 4 :
Saint Paul
lui-même, ainsi que saint Jean se sont trompés sur la date du retour du Christ
puisqu’ils écrivent qu’« il revient bientôt »[1606].
Or, voici des siècles que nous attendons. Donc nul ne doit dire que nous
sommes dans les derniers temps.
Cependant :
L’épître
aux Hébreux dit[1607]
: « Encore un peu, bien peu de temps et celui qui vient arrivera et il ne
tardera pas. » De même, le livre de l’Apocalypse[1608]
: « Ne tiens pas secrète les paroles prophétiques de ce livre car le temps
est proche. » Donc nous sommes dans les derniers temps.
Conclusion :
Comme nous l’avons montré précédemment, dire que nous sommes dans
les derniers temps avant la fin du monde peut avoir plusieurs sens.
1° En un premier sens, l’Écriture peut
entendre la dernière phase de l’humanité dans son pèlerinage terrestre avant le
jugement général du monde. En ce sens, nous pouvons dire que nous sommes dans
le dernier temps depuis que le Christ est mort et ressuscité pour nous. En
effet, le temps de la grâce sanctifiante est le dernier de la terre puisqu’il ne
peut être suivi, selon le critère du rapport à Dieu, que par un seul état
supérieur qui n’est pas de ce monde, la gloire.
2° En un second sens, l’Écriture peut
entendre par derniers temps les derniers moments de cette quatrième phase de
l’humanité, ceux que vivra la génération qui connaîtra le retour du Christ dans
sa gloire. Là encore, deux interprétations sont possibles. La première consiste
à dire que chaque génération de l’humanité est dans ce moment ultime puisque
chaque homme de cette génération connaît à l’heure de sa mort le retour du
Christ dans sa gloire. C’est pourquoi Jésus pouvait dire en vérité aux Juifs de
sa génération[1609]
: « En vérité, en vérité, je vous le dis, cette génération ne passera pas
que tout cela ne soit arrivé. » De même, saint Vincent Ferrier et d’autres
saints pouvaient en vérité proclamer le retour du Christ dans sa gloire comme
imminent.
La seconde
interprétation consiste à regarder le retour du Christ glorieux que connaîtra
la dernière génération de la terre au sens politique et médiatique du terme,
quand selon Saint Paul[1610] :
« la trompette finale sonnera et que ceux qui sont encore en vie sur la
terre seront transformés sans passer par la mort. » En ce sens, on peut
dire avec certitude que nous serons à la fin des temps quand tous les signes
donnés de manière explicite par l’Écriture, confirmés par la
Tradition et le Magistère de l’Église seront réalisés. Or ceux qui concernent
Israël dans son histoire visible, jusqu’à sa conversion au Christ, ceux qui
concernent l’Église et son martyre finale, la politique et le gouvernement
mondial de l’Antéchrist[1611]
ne sont pas accomplis. Donc, au moment où j’écris, nous ne sommes pas dans la
fin des fins mais seulement dans le dernier temps.
De plus,
quand l’Écriture sera entièrement accomplie, il restera encore une incertitude
: celle du délai que Dieu lassera à l’Antéchrist avant de le faire disparaître
par le souffle de sa venue. De ce délai, nous ne savons rien. Il peut durer
trois ans et demi ou trois millénaires, comme nous l’avons dit.
Solution 1 :
Comme nous l’avons montré, il est impossible de dire avec
certitude que nous sommes dans les derniers temps selon la dernière
interprétation. Mais selon les deux premières, cela peut être proclamé sans
qu’il y ait de présomption.
Solution 2 :
Les faux
prophètes dont parle saint Paul accompagnaient leurs annonces de dates
précises, comme on le voit encore aujourd’hui dans certaines sectes
religieuses. En cela, ils faisaient œuvre de présomption. Ils poussaient leurs
fidèles à attendre le retour du Christ d’une manière fiévreuse en leur faisant
davantage vivre du merveilleux de l’évènement que de la charité et de
l’espérance qui lui donnent sens. De plus, ils parlaient ainsi dans leur
orgueil mégalomaniaque de se faire passer pour des intimes de Dieu. C’est ce à
quoi voulait s’opposer saint Louis quand on lui demandait "ce qu’il ferait
si on lui annonçait pendant la messe que le Christ était en train d’apparaître
dehors. » Il répondait : « Je resterai à prier, là où je suis. »
Quant aux femmes enceintes, elles seront malheureuses au jour du
retour du Christ non à cause de leur état mais à cause de l’attachement aux
biens de la terre que symbolise ici la grossesse. De même, ceux qui possèdent
quelque bien et s’y attachent en souffriront puisqu’ils n’emporteront rien dans
l’autre monde.
Solution 3 :
De même que la mort peut frapper chaque individu n’importe quand,
à la manière d’un voleur dans la nuit, de même le retour du Christ se fera sans
prévenir.
Solution 4 :
Quand le
Christ annonce qu’il revient bientôt ou quand les saints proclament la même
chose, ils ne se trompent pas puisque chaque homme ne dispose que de quelques
années avant la mort qui correspond pour lui au retour du Christ dont
l’apparition le surprend à ce moment.
Mais si
l’on entend ces prophéties par rapport au retour ultime de Jésus, selon le
troisième sens alors il faut répondre comme saint Pierre[1612]
: « Devant le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans sont comme
un jour. » Le bientôt de Dieu n’est donc pas comme notre bientôt.
Enfin
lorsque le Seigneur annonce à ses disciples[1613]
: « En vérité je vous le dis, il en est ici présents qui ne goûteront pas la
mort avant d’avoir vu le fils de l’homme venant avec son royaume », il ne
parle visiblement pas de sa venue définitive mais à la fois des signes glorieux de sa venue (comme le
don de l’Esprit Saint fait à la Pentecôte, la prédication opérée par les
apôtres jusque dans la capitale du monde qui était Rome et la ruine de
Jérusalem qui scelle la fin de l’Ancienne Alliance) et à l’apparition
glorieuse qu’il a effectivement donné à tous lorsqu’ils sont morts.
Objection 1 :
La fin du monde ne peut consister dans
le retour du Christ. Selon les témoins de Jéhovah, qui lisent l’Écriture Sainte
dans sa lettre, c’est par la guerre, les catastrophes de toutes sortes que se
terminera le monde.
Objection 2 :
Le retour du Christ pourra être daté à
partir du moment où l’Antéchrist paraîtra avec son gouvernement mondial
humaniste et adonné à l’ange révolté. En effet, le délai entre la réalisation
de ces deux prophéties sera de trois ans et demi, d’après Daniel. Ceci semble
confirmé par saint Matthieu[1615]
: « si ces jours-là (ceux de l’Antéchrist) n’avaient été abrégés, nul
n’aurait eu la vie (la foi) sauve. »
Cependant :
Alors, le Christ reviendra dans sa gloire accompagné des
saints et des anges. Et il enverra ses anges avec une trompette sonore, pour
rassembler ses élus des quatre vents, des extrémités des cieux à leur
extrémité. La preuve suprême que Dieu nous aime sera donnée puisque le Christ
reviendra alors que nous ne l’attendrons plus.
Conclusion :
Après le
retour du Christ, le temps sera comme suspendu. Ceux qui auront choisi de
l’aimer vivront ces heures en sa présence dans une extase perpétuelle. Ils ne
pourront détacher leur âme de sa vue Ils ne verront pas seulement sa beauté
physique mais aussi celle de son cœur : tous les symboles utilisés jadis par le
Seigneur auprès de sainte Marguerite-Marie prendront sens. Au même moment, ceux
parmi les sauvés qui auront à purifier quelque chose seront éloignés pendant un
moment de sa vue. Cela ne durera qu’un instant mais cela pourra leur paraître
des heures tant ils aimeront et ne supporteront pas son absence. Le purgatoire
est fait ainsi : il ne dure sans doute pas longtemps en temps objectif mais sa
durée intérieure peut sembler aussi longue que des siècles[1616]
: « Avez vous vu mon Bien-aimé ? » Ceux qui auront refusé le
Christ seront aussi sur la terre en ces instants mais ils fuiront. Ils ne se
sauveront pas dans d’autres lieux, le Christ étant présent partout à la fois.
Ils fuiront en eux-mêmes, essayant de détourner leurs pensées de son regard
insupportable. Ils crieront : « Va-t-en! Ne vois tu pas que nous ne voulons pas
de toi ni d’aucun de ceux qui sont avec toi. Pourquoi restes-tu ainsi à nous
regarder. Veux-tu donc nous torturer ? » Leur choix de solitude sera, on le
voit à travers ces mots, définitif.
Lorsque la
dernière âme du purgatoire sera sortie de sa solitude entrant avec tous les
autres élus dans la vision de la Splendeur, alors tout sera accompli sur la
terre et la fin du monde d’ici-bas sera proclamée. La terre telle qu’elle est
n’aura plus de sens ni d’utilité, les hommes ayant tous sans exception fait
leur choix pour l’éternité.
Solution 1 :
Les malheurs précéderont la fin du
monde mais ne seront pas par eux-mêmes la cause de la fin. Ils seront plutôt
une préparation de l’esprit des hommes pour qu’ils désirent la venue du
Sauveur. D’autre part, l’interprétation des malheurs est trop littérale chez
les témoins de Jéhovah comme chez beaucoup de confessions millénaristes. Le
sens des textes de l’Apocalypse est symbolique, ce qui ne veut pas dire qu’il
n’ait pas une réalisation littérale, mais que sa signification est bien plus
universelle et multiple. Le premier des sens est spirituel. Cela signifie que
Dieu peut très signifier par le symbolisme des monstres grouillants un temps de
paix civile et de concorde sociale, accompagné de l’individualisme, donc du
danger le plus grave pour le salut des âmes.
Solution 2 :
Trois ans et demi ne symbolisent pas
autre chose que le temps de la prédication du Christ. Cela signifie que
l’Antéchrist singera le Messie pour réaliser, comme lui, la prédication et la
réalisation d’une humanité renouvelée.
Quant à l’interprétation de la durée
réelle de ce temps, il est impossible de la faire. Si telle est la volonté de
Dieu, le monde de l’Antéchrist durera des siècles. Ceci est peu probable à
cause de la nature humaine dont la fragilité est telle que, séparée de Dieu,
elle finit par se détruire elle-même. Mais ce n’est pas impossible tant
l’intelligence politique de l’Antéchrist et de ses successeurs peut réussir à
structurer dans un équilibre fragile entre loi et liberté, une vie où la
recherche du bonheur individuel est l’unique valeur. Un tel monde,
spirituellement vide, pourra tout de même disposer les hommes au salut. En
effet, les souffrances spirituelles et psychologiques seront telles que jamais
on aura vu un désir plus grand d’un salut.
La foi demeurera, même si ce n’est
que d’une manière privée et chez un petit nombre dispersé. En effet,
l’Antéchrist n’aura pas accès au domaine secret de la conscience où l’appelle
de Dieu seul peut entrer.
Objection 1 :
Il semble que tous les hommes doivent mourir après la venue du
Christ et avant de résurrection. En effet la justice de Dieu a condamné la
nature humaine toute entière, en punition du péché d’Adam dont tous les
descendants contractent la souillure du péché originel. Or la punition du péché
originel, c’est la mort.
Objection 2 :
La sainte Écriture enseigne la résurrection universelle. Or
ressusciter ne se dit proprement que d’un corps tombe en dissolution, comme le
déclare saint Damascène.
Objection 3 :
Les lois
naturelles montrent que les choses viciées et corrompues ne peuvent être
régénérées qu’en passant par la mort : le vinaigre ne peut devenir vin qu’en
cessant d’être pour se retrouver liqueur de la vigne. Dès lors, puisque la
nature humaine a subi une altération entraînant la nécessite de mourir, la mort
est pour elle le moyen nécessaire pour parvenir à l’immortalité.
Cependant :
Le texte
du credo dit que le Seigneur viendra juger les vivants et les morts. Donc il y
aura des hommes encore vivants lors de son retour. En outre, saint Paul[1617]
dit explicitement : « Je vais vous dire un mystère : nous ne mourrons pas
tous mais nous serons tous transformés, au son de la trompette finale, car elle
sonnera la trompette, et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous
serons transformés. » Donc ceux qui seront encore vivants lors du retour du
Christ ne mourront pas.
Conclusion :
Les Pères se sont partagés sur cette question. Mais l’opinion la
plus sûre, si l’on s’en tient à l’Écriture selon son texte grec, c’est que les
hommes de la dernière génération, ceux qui verront le retour du Seigneur ne
mourront pas. Ils seront « revêtus d’immortalité comme d’un vêtement
surajouté » et cela est conforme à la sagesse de Dieu :
1° par sa passion, le Christ a opéré une
rédemption totale du péché originel. Il a pris sur lui le péché des hommes, se
faisant péché pour nous. Il a payé dans sa chair la totalité de la dette de
peine due pour ce péché. Il a donc libéré l’homme de la mort selon cette parole
du Seigneur[1618]
: « Celui qui vit et croit en moi ne mourra jamais. » Et s’il s’avère
qu’après la rédemption opérée par le Christ, les hommes régénérés par le
baptême meurent tout de même, c’est à cause d’un bien supérieur qui en sort. Il
s’agit d’un bien de l’âme puisque celui qui meurt découvre l’humilité de sa
condition et peut offrir sa mort en union de charité avec celle du Christ. À la
fin du monde, lorsque la puissance de la rédemption opérée par le Seigneur sera
manifestée en plénitude, il convient que la peine de la mort disparaisse aussi.
C’est pourquoi la dernière génération ne mourra pas.
2° Et on peut donner une deuxième raison à
cela ; un désir naturel et universel doit être réalisé en quelques individus.
Or ce que nous voulons tous, « c’est de n’être pas dépouillés mais revêtus.
» Quelques hommes au moins seront donc revêtus de l’immortalité, sans que
la mort les ait dépouillés de leur corps, à l’image de la Vierge Marie.
Solution 1 :
Les quatre dernières demandes de l’oraison dominicale se
rapportent à la vie présente et, par l’une d’elle, l’Église demande pour cette
vie, la remise de toutes les dettes. Cette prière ne saurait être vaine[1619]
: « tout ce que vous demanderez au Père en mon non, il vous l’accordera. » Or
une de ces dettes, contractées par le péché d’Adam, c’est de naître avec le
péché originel. Dieu a remis cette dette à la Vierge Marie en prévision de sa
maternité divine ; de même il remettra la mort qui est la peine du péché
originel à quelques-uns à la fin du monde.
Solution 2 :
Lorsque Jésus dit que[1620]
« tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du fils de
Dieu et ressusciteront », il ne l’entend pas que tous les hommes sans
exception seront dans les tombeaux. Il exclut en particulier la Vierge Marie
qui n’a pas connu la mort et la dernière génération humaine lors de la fin du
monde.
Solution 3 :
La
résurrection ne suit pas les lois naturelles. Elle est une œuvre de la
puissance divine qui peut réaliser la même chose à partir de plusieurs points
de départ. Ainsi, les morts ressusciteront à partir d’une matière décomposée ;
les vivants seront transformés dans leur corps, qui sera revêtu d’un nouveau
mode d’être.
Objection 1 :
Il en est de la glorification du monde dans son ensemble comme de
celle du corps de l’homme pris en particulier. Or Dieu utilisera deux manières
pour élever le corps à la gloire : en le transfigurant immédiatement dans une
forme supérieure, comme on le voit pour le corps de Marie ; en le détruisant
par la mort puis en le ressuscitant, comme c’est le cas pour le reste de
l’humanité soumise au péché originel. Or le monde matériel n’a pas commis le
péché originel puisqu’il en est incapable. Il est donc inutile qu’il soit
d’abord détruit par le feu.
Objection 2 :
Dieu dit à Noé[1621]
: « Plus jamais je ne frapperai les vivants comme je l’ai fait. » Si
donc Dieu détruit le monde avant de le transformer, il fera mentir sa parole.
Objection 3 :
Certaines
parties de l’univers matériel sont trop éloignées de la terre pour avoir pu
être rendues impures par le péché de l’homme. Il semble que celles-là au moins
seront glorifiées dans un autre monde sans passer par la destruction.
Cependant :
Saint
Pierre écrit[1622]
: « Il viendra le jour du Seigneur, comme un voleur ; en ce jour-là, les
cieux se dissiperont avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, la
terre avec les œuvres qu’elle renferme seront consumes. Ce sont des nouveaux
cieux et une terre nouvelle que nous attendons selon sa promesse, où la justice
habitera. »
Conclusion :
Pour
répondre à cette question, il faut considérer la fin du monde à la manière d’un
mouvement. Dans tout mouvement, il y a un terme de départ, un terme final et,
entre les deux, un devenir. À la fin du monde, le point de départ sera le monde
terrestre tel qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire un monde adapté à l’état de
l’homme, corruptible et soumis au changement ; le terme final sera un monde
nouveau adapté au corps de l’homme après sa résurrection, c’est-à-dire un monde
glorifié, incorruptible et immuable. Il y aura donc entre ces deux mondes une
différence radicale de nature. La matière devra être transformée par Dieu au
point d’assumer une nouvelle forme sans commune mesure avec l’ancienne, selon
saint Paul : « Ce qui est corruptible revêtira l’incorruptibilité », afin
de devenir un monde adapté nouvel état de l’homme.
Or, qu’une matière assume une autre forme, cela peut se faire de
deux manières :
1° par destruction de la forme antérieure.
Ainsi, l’artiste qui veut à partir du bronze d’une statue faire une autre
statue différente est obligé de faire fondre la première et donc d’en détruire
la forme.
2° En surélevant la forme antérieure à une
autre forme supérieure. Ainsi l’homme est capable d’assumer la matière physique
extérieure pour en faire le corps humain. C’est ce qu’on voit dans
l’assimilation nutritive.
En ce qui concerne la fin de notre univers corruptible, elle se
produira selon ces deux manières :
1° De la première manière pour les parties de
l’univers physique qui auront été souillées par les péchés de l’homme. C’est ce
que nous enseigne saint Pierre. Et cela est convenable à cause du désordre lié
au péché dont la marque est visible sur la terre entière. De même que, après le
péché originel, le corps de l’homme est soumis à la mort, de même il convient
que notre monde soit détruit par le feu avant d’être renouvelé. Le feu
purificateur doit effacer toute trace des œuvres de péché, aussi bien dans
l’univers que, analogiquement, dans le corps humain par la mort et dans son âme
que purifie le feu du purgatoire. C’est donc à partir d’une matière revenue à
son état virginal que Dieu façonnera un monde nouveau.
2° De la seconde manière pour les parties de
l’univers qui, étant trop éloignées de l’homme, n’ont pas subies les influences
négatives de sa présence. Cette partie du monde sera simplement revêtue
d’incorruptibilité, sans subir auparavant la nécessité d’une purification par
le feu. Ce sera le cas des astres que nous pouvons observer, bien qu’ils soient
situés à des distances considérables.
Solution 1 :
Le monde doit être transfiguré pour deux raisons :
1° La première, et la plus fondamentale est
qu’il a été créé dans une structure d’entropie. La loi de dégradation de la
matière n’a pas pour cause le péché originel mais quelque chose de plus radical
: c’était un séjour provisoire pour Adam et Ève et leurs enfants, péché ou non.
Cette corruptibilité n’aura plus d’utilité dans l’éternité.
2° La seconde raison concerne non l’univers
dans son ensemble mais notre terre. Ce monde matériel n’a pas commis le péché
originel mais a été marqué par ses conséquences. Ce monde avait en effet été
créé pour l’homme et en dépendance harmonieuse de sa sainteté. Par le péché
originel, cet ordre a été détruit et les éléments se sont désorganisés : le
vice a corrompu les choses bonnes et, partout où est passé l’homme, il reste les
vestiges de quelques cadavres de son impureté. Même les plus belles œuvres de
l’homme, parfois faites pour Dieu comme le Temple de Jérusalem et les
cathédrales, ne sont pas exemptes de ce nouvel ordre fondé sur les vanités. Il
convient donc que ces œuvres soient détruites par un feu, de la même manière
que la mort détruit le corps des pécheurs.
Solution 2 :
Cette destruction du monde et son renouvellement auront lieu après
le retour glorieux du Christ sur la terre, lorsque tous les hommes auront été
jugés et de manière concomitante à la résurrection ou à la transfiguration de
leur corps. Ce n’était pas le cas pour le déluge. Pour chaque homme, la fin du
monde aura donc déjà eu lieu.
Solution 3 :
Comme on
l’a montré, le feu ne purifiera la terre et les lieux touchés par l’homme qu’à
cause de l’influence de son péché qui doit être purifiée. Il n’est donc pas
nécessaire que le reste de l’univers soit détruit avant d’être transformé.
Nous avons
à considérer maintenant la résurrection et les circonstances qui doivent
l’accompagner. Il nous faudra étudier la résurrection du corps des hommes et la
transformation de l’univers qui l’accompagne pour aboutir à un monde matériel
nouveau.
A partir
de cette question 36, nous abordons les grâces supplémentaires que Dieu nous a
préparé en plus de l’unique grâce, celle qui seule nous rendra heureux, la
vision béatifique. Dieu (question 37) a préparé pour nous des bienfaits
inimaginables, jusque dans notre sensibilité et notre corps, jusque dans le
monde physique qu’il transformera (questions 49, 50) pour que nous puissions
l’admirer éternellement dans sa richesse et sa beauté. Quant à ceux qui auront
choisi de se séparer de Dieu, Dieu qui respecte leur liberté leur rendra aussi
l’intégrité de leur corps. Pourtant, la perversité de leur choix égoïste ne
sera pas sans conséquences, par somatisation (question 48).
A propos
de la résurrection du corps de l’homme, il nous faut voir son fait, sa cause,
son temps et sa manière, son point de départ et l’état des ressuscités[1623].
La première question suggère les demandes suivantes :
1° La résurrection des corps doit-elle avoir
lieu ?
2° Sera-t-elle universelle ?
3° naturelle ou miraculeuse ?
Objection 1 :
Elle est inutile. Nous avons vu que les morts gardent la partie
essentielle de leur corps, à savoir leur psychisme. La chair en elle-même ne
peut apporter qu’un poids supplémentaire, donc un moins, à l’âme.
Objection 2 :
Job déclare : « L’homme se couche et ne se réveillera pas tant
que subsistera le Ciel. » Mais le Ciel subsistera toujours puisque la terre
elle-même, au dire de l’Ecclésiaste, « subsiste toujours. » Il n’y a
donc pas de résurrection après la mort.
Objection 3 :
Notre Seigneur prouve la résurrection par ces paroles de Dieu même
: « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob », et
ajoute : « Or Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » Mais,
lorsqu’il parlait ainsi Abraham, Isaac et Jacob ne vivaient plus que par leurs
âmes. Ce ne sont donc pas les corps, qui ressusciteront, mais seulement les
âmes.
Objection 4 :
Saint Paul semble prouver la résurrection par la récompense due
aux saints pour leurs labeurs d’ici-bas : « Si nous n’avons d’espérance que
pour cette vie seulement, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes. »
Mais une récompense accordée à l’âme seule peut suffire, le corps n’est que
son instrument, et l’instrument ne doit pas être récompensé comme celui qui
s’en est servi. La preuve en est que l’âme seule est punie en purgatoire où pourtant
chacune reçoit "ce qu’elle a mérité étant dans son corps. » Il
n’est donc pas nécessaire d’admettre une résurrection des corps, mais seulement
des âmes ce qui veut dire leur passage de la mort du péché et de la souffrance
à la vie de la grâce et de la gloire.
Objection 5 :
Le terme dernier d’un être marque son apogée ; c’est alors qu’il
atteint sa fin. Mais l’état le plus parfait pour l’âme, c’est d’être séparée du
corps : elle est plus semblable à Dieu et aux anges ; plus pure aussi, étant
dégagée de tout ce qui n’est pas elle-même. L’état de séparation d’avec le
corps est donc dernier pour l’âme. Elle ne reprendra donc pas son corps, pas
plus que l’homme fait ne redevient enfant.
Objection 6 :
La mort corporelle est le châtiment du péché originel, de même que
la mort, séparation de l’âme d’avec Dieu, est le châtiment du péché mortel.
Mais, après la sentence de damnation, le retour à la vie spirituelle est
impossible. Il n’y a donc pas non plus de retour à la vie corporelle, de
résurrection.
Objection 7 :
L’apôtre
écrit[1625]
: « Le corps semé animal ressuscitera spirituel. » Puis il dit : « La
chair et le sang n’entreront pas en possession du royaume de cieux. » Donc
il semble que la matière n’aura aucun rôle dans la résurrection.
Cependant :
1° L’Ecriture : « Je sais, dit Job[1626],
que mon Rédempteur est vivant et qu’au dernier jour, je me relèverai de la
terre et de nouveau je serai recouvert de ma peau. » En 2 Tm 2, 8, on lit :
« [Les faux docteurs] se sont écartés de la vérité en prétendant que la
résurrection avait déjà eu lieu, renversant ainsi la foi de plusieurs”. Il
y aura donc une résurrection des corps.
2° Ce que l’Église enseigne par son Magistère[1627] : « Il faut d’abord que tous ceux qui ont
à enseigner discernent bien ce que l’Église considère comme appartenant à
l’essence de sa foi, la recherche théologique ne peut avoir d’autres vues que
de l’approfondir et de le développer. Cette sainte Congrégation, qui a la
responsabilité de promouvoir et de protéger la doctrine de la foi, veut ici
rappeler l’enseignement que donne l’Église au nom du Christ, spécialement sur
ce qui advient entre la mort du chrétien et la résurrection générale. »
1° L’Église croit (cf. Credo) à une
résurrection des morts.
2° L’Église entend cette résurrection de
l’homme tout entier ; celle-ci n’est pour les élus rien d’autre que l’extension
aux hommes de la résurrection même du Christ.
3 L’Église affirme la survivance et la subsistance après la mort
d’un élément spirituel qui est doué de conscience et de volonté en sorte que le
"moi" humain subsiste. Pour désigner cet élément, l’Église emploie le
mot « âme », consacré par l’usage de l’Écriture et de la Tradition. Sans
ignorer que ce terme prend dans la Bible plusieurs sens, elle estime néanmoins
qu’il n’existe aucune raison sérieuse de le rejeter et considère même qu’un
outil verbal est absolument indispensable pour soutenir la foi des chrétiens.
4° L’Église exclut toute forme de pensée ou
d’expression qui rendrait absurdes ou inintelligibles sa prière, ses rites
funèbres, son culte des morts, lesquels constituent, dans leur substance, des
lieux théologiques.
Conclusion :
On affirme ou l’on nie la résurrection selon que l’on définit
différemment la fin dernière de l’homme. Cette fin dernière, que tous désirent
naturellement, c’est le bonheur. Certains ont pensé qu’il était possible d’en
jouir en cette vie ; dès lors, point n’était besoin pour eux d’en admettre une
autre dans laquelle l’homme atteindrait sa perfection dernière ils niaient donc
la résurrection.
Mais cette opinion ne tient guère devant la variété des conditions
humaines, la fragilité de notre organisme, l’imperfection et l’instabilité de
la science et de la vertu... toutes choses qui empêchent le bonheur d’être
parfait, comme saint Augustin le
développe aux derniers chapitres de la Cité de Dieu.
Une seconde opinion admet donc une survie, mais pour l’âme seule,
ce qui semble suffisant à satisfaire le désir du bonheur naturel à l’homme.
Saint Augustin cite cette parole de Porphyre : « L’âme ne peut
être heureuse qu’en fuyant toute espèce de corps. » Donc il n’y aura pas de
résurrection. Cette opinion n’était pas, chez tous ses tenants, conclusion des
mêmes principes. Certains hérétiques prétendaient que tous les êtres corporels
venaient d’un principe mauvais, tous les êtres spirituels, d’un principe bon.
Le seul moyen, pour l’âme, d’atteindre sa perfection suprême, c’était donc de
quitter définitivement son corps, afin de pouvoir s’unir à son principe et y
trouver sa béatitude. C’est pourquoi toutes les sectes manichéennes qui
professent que c’est le diable qui a créé ou formé les êtres corporels nient la
résurrection des corps. La fausseté de cette doctrine des deux principes a été
établie au commencement du second livre des Sentences. D’autres ont prétendu
que l’âme, elle seule, constitue toute la nature humaine, et qu’elle se sert du
corps comme d’un instrument ou qu’elle est en lui comme le pilote dans le
navire. Ainsi du moment que l’âme seule est béatifiée, le désir du bonheur,
naturel à l'homme, est satisfait, sans qu’il soit besoin d’admettre la
résurrection des corps. Aristote a suffisamment réfuté cette théorie de Platon
en démontrant que l’âme est unie au corps comme la forme l’est à la matière.
L’âme, privée de son corps charnel, est en état d’imperfection naturelle. Sa
puissance vitale aspire à retrouver la perfection de l’être. Il est donc de
toute évidence que, puisque l’homme ne peut trouver le bonheur en cette vie, il
est nécessaire d’affirmer la résurrection de sa chair.
Solution 1 :
Saint Thomas d’Aquin pensait que l’âme
subsistait en se séparant de tout ce qui a un rapport quelconque avec la
matière. Mais le fait que le
mort conserve son psychisme à travers un corps subtil dont nous avons établi
l’existence[1628],
ne change rien à la question de la résurrection de la chair. Nous en avons la
preuve dans les évangiles. En voyant Jésus ressuscité, les disciples crurent
voir un fantôme, c’est-à-dire justement un corps psychique séparé de sa chair.
Pour démentir, Jésus se fit toucher d’eux et mangea avec eux du poisson, ce que
ne peut pas faire un fantôme. Quant au fait de retrouver son corps physique, il
est loin d’être inutile pour l’homme ressuscité, tant au plan de sa perfection
naturelle que surnaturelle. Il lui rend la plénitude de son être et le sens du
toucher et du goût adapté aux choses matérielles faites d’atomes et de
molécules. Il permet donc que les élus reçoivent des joies et des plaisirs
jusque dans leur chair. Il leur permet un contact avec les différents niveaux
de l’univers, y compris celui qui est composé de matière atomique. Pour les
damnés, il leur rend la liberté de jouir physiquement de leur choix, bien que
cette liberté ne puisse pas produire en eux de vrais plaisirs physiques, leur
âme et leur esprit étant perpétuellement dans le malheur.
Solution 2 :
Le ciel ne cessera jamais de subsister quant à sa substance, mais
seulement quant à sa forme et aux lois de la corruption qui s’exercent sur les
transformations des êtres terrestres ; c’est ce sens qu’il faut donner à la
parole de saint Paul : « La figure de ce monde passe. »
Solution 3 :
À proprement parler, l’âme spirituelle d’Abraham, même unie à son
psychisme mais privée de sa chair n’est pas Abraham, mais seulement une partie
de lui-même ; et ainsi des autres. La vie de son âme ne suffirait donc pas pour
qu’Abraham soit vivant en perfection ou pour que le Dieu d’Abraham soit le Dieu
d’un vivant parfait, c’est-à-dire pleinement lui-même ; il y faut la vie du
composé tout entier, de l’âme et du corps. Cette vie n’existait pas, à l’état
de réalisation, au moment où Jésus prononçait ces paroles ; elle existait
cependant potentiellement dans la réunion à venir de l’âme et du corps par la
résurrection. Ces paroles de Notre Seigneur sont donc un argument très
ingénieux, non moins qu’efficace en faveur de la résurrection.
Solution 4 :
L’âme est unie au corps, non seulement comme l’agent à
l’instrument, mais comme la forme à la matière ; c’est pourquoi l’opération est
du composé, et non de l’âme seule. Or, comme la récompense de l’œuvre est due à
l’ouvrier, c’est l’homme lui-même, composé d’âme et de corps, qui doit recevoir
la récompense de ce qu’il a fait. Les péchés véniels sont appelés péchés, moins
parce qu’ils ont absolument la nature du péché que parce qu’ils y prédisposent
; de même, les peines du purgatoire sont moins une punition qu’une purification
; le corps et l’âme sont purifiés séparément le corps par la mort et la
dissolution, l’âme par le feu, l’esprit par l’absence de Dieu, le psychisme par
le désir et la tristesse.
Solution 5 :
Toutes choses égales d’ailleurs, l’état de l’âme unie au corps est
plus parfait, parce qu’elle est une partie d’un tout et qu’une partie intégrale
est faite pour le tout. Ce qui ne l’empêche pas d’être plus semblable à Dieu, à
un certain point de vue. En effet, absolument parlant, un être ressemble le
plus à Dieu, quand il a tout ce qu’exige sa nature, parce qu’alors il reflète
le mieux la divine perfection. L’organe, qu’on appelle le cœur, est plus
semblable à Dieu, qui est immuable, quand il est en mouvement que lorsqu’il
s’arrête, car son mouvement, c’est sa perfection, son arrêt, c’est sa mort.
Solution 6 :
La mort corporelle est la conséquence du péché d’Adam qui fut
effacé par la mort du Christ elle doit donc disparaître, elle aussi ; Tandis
que la mort spirituelle est la conséquence d’un péché dont on ne s’est pas
repenti, et dont on ne pourra plus jamais se repentir, elle est donc éternelle.
Solution 7 :
Il est
parfaitement impossible de supposer que le corps se transformera en esprit. Il
n’y a de passage réciproque qu’entre des êtres qui sont unis dans la matière.
Or il ne peut y avoir participation commune à la matière entre êtres spirituels
et êtres corporels, les substances spirituelles étant totalement immatérielles.
Il est donc impossible que le corps se transforme en substance spirituelle.
Et la
fausseté de ces opinions est évidente. Notre résurrection en effet semblable à
la résurrection du Christ, comme l’écrit Paul aux Philippiens : « Il
restaurera notre corps misérable à la ressemblance de son corps glorieux. » Mais
le Christ après sa résurrection a eu un corps qu’on pouvait toucher, fait de
chair et d’os. Au témoignage de saint Luc, il dit à ses disciples, après sa
résurrection : « Touchez et voyez, un esprit n’a ni chair ni os
comme vous voyez que j’en ai. » Les autres hommes, quand ils
ressusciteront, auront donc des corps que l’on pourra toucher faits de chairs
et d’os. L’âme est unie au corps comme la forme à la matière. Or toute forme
possède une matière déterminée ; il doit y avoir proportion en effet entre
l’acte et la puissance. Mais l’âme étant spécifiquement identique, il semble
qu’elle doive y avoir une matière spécifiquement identique. Le corps sera donc
après la résurrection spécifiquement le même qu’avant. Il devra donc être fait
de chairs, d’os et d’autres éléments semblables.
Objection 1 :
La résurrection n’aura lieu qu’à l’heure du jugement Mais il est
dit dans les Psaumes : « Les impies ne ressusciteront pas au
jugement. » Tous les hommes ne ressusciteront donc pas.
Objection 2 :
La même conclusion négative semble ressortir de ce texte de
Daniel qui contient une certaine restriction : « Beaucoup de ceux
qui dorment dans la poussière se réveilleront. »
Objection 3 :
La résurrection rendra les hommes semblables au Christ ressuscité
; c’est pourquoi l’Apôtre conclut que, puisque le Christ est ressuscité, nous
aussi nous ressusciterons. Mais ceux-là seulement doivent devenir semblables au
Christ ressuscité, qui ont porté son image, c’est-à-dire les bons.
Objection 4 :
La remise de la peine exige la disparition de la faute. Or, la
mort corporelle est la peine du péché originel, qui n’est pas effacé chez tous
les hommes. Tous ne ressusciteront donc pas.
Objection 5 :
C’est par la grâce du Christ que nous renaissons, et par elle
aussi que nous ressusciterons. Mais les enfants qui meurent dans le sein
maternel sont incapables de renaître, donc de ressusciter.
Cependant :
Saint Jean écrit : « Tous ceux qui sont dans le
tombeau entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue
vivront. »
2° De même, saint Paul "Nous
ressusciterons tous, etc.. »
3° La résurrection est nécessaire pour que les
ressuscités reçoivent la peine ou la récompense qu’ils ont méritée. Or tous en
sont là. Tous doivent donc ressusciter.
Conclusion :
Ce qui a sa raison d’être dans la nature même d’une espèce doit se
retrouver également en tous ceux qui en font partie. Telle est la raison d’être
de la résurrection, c’est que l’âme séparée du corps est incapable de réaliser
la perfection dernière de l’espèce humaine. Aucune âme ne restera donc
éternellement séparée de son corps. Il est donc nécessaire que tous les hommes
ressuscitent, aussi bien qu’un seul.
Solution 1 :
Il s’agit ici de la résurrection spirituelle, qui ne sera pas le
partage des impies, lorsque les consciences seront examinées au jugement. On
pourrait dire encore qu’il s’agit des impies tout à fait infidèles, qui ne
ressusciteront pas pour être jugés, puisqu’ « ils sont déjà jugés. »
Solution 2 :
« Beaucoup, c’est-à-dire, tous », comme l’explique saint Augustin. Cette
manière de parler se rencontre souvent dans l’Écriture.
Solution 3 :
En cette vie, les méchants comme les bons sont conformes au Christ
par l’humanité, mais non par la grâce. Tous aussi lui seront conformés par la
vie naturelle qui sera rendue à tous. Mais les bons seuls lui ressembleront par
la gloire.
Solution 4 :
Ceux qui sont morts avec le péché originel en ont subi la peine en
mourant. Quant à ce péché lui-même, il leur est remis par la miséricorde de Dieu et
à la prière d’adoption des parents du Ciel qui les accueille. Leur cas n’est
donc pas différent des autres hommes.
Solution 5 :
Nous renaissons par la grâce du Christ qui nous est donnée ; nous
ressuscitons par la grâce qui lui a fait prendre notre nature et notre
ressemblance. Ceux qui meurent dans le sein maternel, quoique la grâce du
Christ ne leur ait pas infusé la vie surnaturelle, du moins en ce monde,
peuvent la recevoir au moment de leur entrée dans l’autre. Et, puisqu’ils ont
la même nature humaine que le Christ, du fait qu’ils possèdent tous les
éléments essentiels de cette nature, ils ressuscitent comme lui.
Objection 1 :
« L’universalité, dit saint Damascène, est
le caractère de ce qui est naturel dans les individus qui ont la même nature. »
Or, la résurrection doit être universelle ; elle est donc naturelle.
Objection 2 :
« Ceux qui ne veulent pas croire docilement
à la résurrection, dit saint Grégoire, devraient en être convaincus par leur
raison. L’univers ne nous montre-t-il pas partout et tous les jours des images
de notre résurrection ? » Et il cite la lumière, dont la disparition est comme
l’impie mort, et le retour, comme une résurrection ; les arbres, qui ne perdent
leur verdure que pour la voir renaître ; les graines qui pourrissent et
meurent, mais ensuite germent et revivent. Or, la raison ne peut apprendre des
phénomènes naturels rien que de naturel. La résurrection l’est donc aussi.
Objection 3 :
Ce qui n’est pas naturel est l’effet d’une certaine violence, et
ne dure pas. Or, ce que la résurrection aura refait durera éternellement. Elle
est donc naturelle.
Objection 4 :
L’unique fin à laquelle tend la nature est ce qu’il y a de plus
naturel. Mais cette fin, c’est la résurrection et la glorification des saints,
comme le dit saint Paul.
Objection 5 :
La résurrection est un mouvement dont le terme est la perpétuelle
union de l’âme et du corps, et un mouvement est naturel, quand son terme l’est
aussi. Or, la perpétuelle union de l’âme et du corps est naturelle : l’âme
étant faite pour le corps, il est naturel à celui-ci (l’être toujours vivant
par l’âme, comme à l’âme de vivre toujours en lui. La résurrection sera donc
naturelle.
Cependant :
« De la privation à la possession, il n’y a
pas de retour naturel. » Or, la mort est la privation de la vie. Donc, la
résurrection ou retour à la vie, n’est pas naturelle. D’autre part, le mode
naturel à l’homme, c’est d’être engendré par un autre homme. La résurrection ne
sera donc point naturelle, puisque le procédé sera tout différent.
Conclusion :
On peut considérer trois espèces de mouvement ou action dans un
être par rapport à sa nature. 1° Le
mouvement ou action dont la nature n’est ni le principe ni le terme, et qui peut
provenir soit d’un principe surnaturel, comme dans la glorification du corps,
soit d’un principe quelconque, comme dans la pierre lancée en l’air par un
mouvement violent et ayant pour terme un repos qui ne l’est pas moins. 2° Le mouvement dont le principe et le
terme sont tous les deux naturels, telle la pierre qui descend de son propre
poids. 3° Le mouvement, dont le
terme est naturel, quoique le principe ne le soit pas ; ce principe est tantôt
supérieur à la nature : par exemple, dans la vue miraculeusement recouvrée, le
terme est naturel, mais le miracle ne l’est pas ; tantôt simplement extérieur,
comme dans le forçage des fleurs et des fruits. En aucun cas, le principe ne
saurait être naturel sans que le terme le soit aussi, parce que les principes naturels
sont déterminés à certains effets, au delà desquels ils sont inopérants.
- Le mouvement ou action de la première espèce ne peut en aucune
façon être dit naturel, mais miraculeux ou violent. - Celui de la seconde est
absolument naturel. - Celui de la troisième ne l’est que relativement au terme
naturel auquel il aboutit ; par ailleurs, il est miraculeux, artificiel ou
violent. Est « naturel », à proprement parler que "ce qui est selon
la nature », c’est-à-dire ce qui possède cette nature et les propriétés qui en
découlent. Donc, à moins d’une restriction, un mouvement ne peut être dit
naturel, s’il n’a pas la nature pour principe.
Quoique le terme de la résurrection soit naturel, il est
impossible que son principe le soit. La nature, en effet, est "principe de
mouvement dans l’être où elle est » ; principe actif, comme dans le déplacement
des corps lourds ou légers, les changements naturels des corps vivants ;
principe passif, comme dans la génération des corps simples. Le principe passif
d’une génération naturelle est une puissance passive naturelle, à laquelle
correspond toujours une puissance active naturelle aussi, peu importe
d’ailleurs, quant à la question présente, que ce principe actif ait pour objet
la perfection dernière, c’est-à-dire, la tomme ou seulement une prédisposition
nécessaire, comme pour l’âme humaine, selon la doctrine catholique ou même pour
toutes les formes, selon l’opinion de Platon et d’Averroès.
Or, il n’existe aucun principe actif naturel de la résurrection,
ni pour unir le corps et l’âme, ni pour préparer cette union, puisque la seule
prédisposition qui soit naturelle, c’est l’évolution du germe humain. Donc,
même en admettant qu’il y ait dans le corps une certaine puissance passive, une
inclination quelconque à sa réunion avec l’âme, elle serait hors de toute
proportion avec ce qu’exige un mouvement pour être naturel. Dès lors,
absolument parlant, la résurrection est un miracle ; on ne peut l’appeler
naturelle que relativement à son terme, ainsi qu’on l’a expliqué.
Solution 1 :
Saint Damascène parle des caractères communs à tous les individus
et qui ont leur nature pour principe. En effet, si, par miracle, tous les
hommes devenaient blancs ou se trouvaient réunis dans le même lieu comme au
temps du déluge, cela ne ferait ni de la blancheur, ni de cette localisation,
des caractères naturels de l’homme
Solution 2 :
Les phénomènes naturels ne peuvent aller jusqu’à démontrer ce qui
n’est pas naturel, mais ils peuvent servir à en persuader ; car la nature est
comme un symbole du surnaturel, par exemple, l’union du corps avec l’âme
représente l’union de l’âme béatifiée avec Dieu. De même, les exemples allégués
par saint Paul et saint Grégoire servent à nous persuader de la résurrection
qui est un article de foi.
Solution 3 :
Il s’agit ici d’un mouvement dont le terme est contraire à la
nature. Or, il n’en sera point ainsi dans la résurrection. L’argument ne porte
donc pas.
Solution 4 :
L’action de la nature tout entière est subordonnée à celle de
Dieu. Or, de même qu’un art inférieur tend toujours à une fin que peut seul
réaliser l’art supérieur qui achève l’œuvre ou se sert de l’œuvre déjà achevée,
de même, la nature, à elle seule, est impuissante à réaliser la fin dernière à
laquelle elle aspire. La réalisation de cette fin ne peut donc pas être
naturelle.
Solution 5 :
S’il ne peut y avoir de mouvement naturel qui ait pour terme un
repos violent, il peut cependant y avoir un mouvement qui ne soit pas naturel
et qui ait pour terme un repos naturel.
Trois demandes :
1° La résurrection du Christ est-elle la
cause de la nôtre ?
2° La voix de la trompette ?
3° Les anges ?
Objection 1 :
« Poser la cause, c’est poser l’effet. » Mais
la résurrection du Christ n’a pas été aussitôt suivie de celle des autres
hommes. Elle n’est donc pas la cause de notre résurrection.
Objection 2 :
Un effet exige la préexistence de sa cause. Or, la résurrection
aurait eu lieu même si le Christ n’était pas ressuscité, car Dieu aurait pu
sauver les hommes d’une autre manière. La résurrection du Christ n’est donc pas
la cause de la nôtre.
Objection 3 :
Un même phénomène, commun à tous les êtres d’une même espèce, a
une seule et même cause. Or, la résurrection est commune à tous les hommes.
Donc, comme celle du Christ n’est pas la cause d’elle-même, elle ne l’est pas
non plus de la résurrection des autres hommes.
Objection 4 :
L’effet doit avoir une certaine ressemblance avec sa cause. Mais
la résurrection des méchants ne ressemblera en rien à celle du Christ. Elle ne
l’aura donc point pour cause.
Cependant :
« Dans un genre quelconque, ce qui est
premier est cause de tout le reste. » Or, la résurrection corporelle du Christ
le fait appeler "les prémices de ceux qui dorment » ; « le
premier-né d’entre les morts. » Sa résurrection sera donc la cause de celle des
autres hommes.
2° La résurrection du Christ a plus de rapport avec
notre résurrection corporelle qu’avec notre résurrection spirituelle ou justification.
Or, la résurrection du Christ est la cause de celle-ci. « Il est
ressuscité pour notre justification. » Donc elle est la cause de celle-là.
Conclusion :
Le Christ est appelé le Médiateur entre Dieu et les hommes, en
vertu de sa nature humaine ; aussi est-ce par l’entremise de celle-ci que les
dons de Dieu parviennent aux hommes. L’unique remède à la mort spirituelle,
c’est la grâce donnée par Dieu ; l’unique remède à la mort corporelle, c’est la
résurrection opérée par Dieu. Ainsi, de même que le Christ a reçu de Dieu les
prémices de la grâce, et que sa grâce est cause de la nôtre : « C’est de sa
plénitude que nous avons tous reçu, et grâce sur grâce » ; de même, le
Christ est le premier ressuscité et sa résurrection est cause de la nôtre. Comme
Dieu, il en est la cause, pour ainsi dire, équivoque ; comme Dieu-homme
ressuscité, il en est la cause prochaine et, en quelque sorte, univoque.
La cause efficiente univoque
produit un effet dont la forme est semblable à la sienne. Mais il faut
distinguer. En certains cas, la forme même, par laquelle l’effet ressemble à sa
cause, est le principe direct de l’action productrice de l’effet telle la
chaleur du feu. En d’autres, ce n’est pas cette forme elle-même, mais les
principes dont elle est issue : par exemple, si un homme blanc engendre un
homme blanc, la blancheur n’est pas le principe actif, mais on peut dire
néanmoins qu’elle est la cause de ce caractère, parce que c’est en vertu des
principes par lesquels il est blanc que le père engendre un fils qui l’est
aussi.
C’est de cette manière que la résurrection du Christ est cause de
la nôtre. Ce qui a ressuscité le Christ, cause efficiente univoque de notre
résurrection, nous ressuscitera également, et c’est la puissance divine qu’il
partage avec son Père : « Celui qui a ressuscité Jésus-Christ
d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels. »
La résurrection même du Christ,
Homme-Dieu, est pour ainsi dire, la cause instrumentale de la nôtre. En effet,
le Christ agissait divinement en usant de son corps comme d’un instrument :
saint Damascène en donne comme exemple le lépreux que Jésus guérit en le
touchant.
Solution 1 :
Une cause suffisante produit aussitôt son effet direct et immédiat
; mais il en va autrement de l’effet dont un intermédiaire la sépare : par
exemple, la chaleur, si intense soit-elle, ne se communique pas tout d’un coup,
mais peu à peu, en faisant passer l’objet du froid au chaud, parce que son
moyen d’action, c’est le mouvement. La résurrection du Christ ne cause pas la
nôtre directement, mais moyennant le principe qui l’a causée elle-même,
c’est-à-dire, la puissance divine, qui nous ressuscitera comme elle a
ressuscité le Christ. La puissance divine elle-même agit toujours par le moyen
de la volonté divine, qui est en rapport immédiat avec l’effet à produire. La
résurrection des hommes ne devait donc pas suivre sans délai celle du Christ,
mais elle la suivra à l’heure marquée par la volonté de Dieu
Solution 2 :
La puissance divine ne dépend pas de telles ou telles causes
secondes au point de mie pouvoir produire leurs effets sans elles ou au moyen
d’autres causes. Elle pourrait, par exemple, entretenir la vie sur la terre
indépendamment des influences célestes, qui, cependant, selon l’ordre
providentiel, en sont la cause normale. De même, la divine Providence a voulu
que, dans le plan choisi par elle pour l’humanité, la résurrection du Christ
fût la cause de la nôtre. Elle aurait pu choisir un autre plan, et alors, la
cause de notre résurrection eût été celle que Dieu lui aurait assignée.
Solution 3 :
Cet argument suppose des êtres de même espèce, ayant tous le même
rapport avec la cause première de tel effet auquel l’espèce tout entière doit
participer. Il n’en est pas de même ici. L’humanité du Christ est plus proche
que la nôtre de la divinité dont la puissance est la cause première de la vie.
La résurrection du Christ a donc pour cause immédiate la divinité, qui n’est
cause de la nôtre que par l’intermédiaire du Christ ressuscité.
Solution 4 :
La résurrection de tous les hommes aura une certaine ressemblance
avec celle du Christ par la vie naturelle, que tous partagèrent avec lui et que
tous retrouveront pour ne plus la perdre. Mais les saints, qui ressemblèrent au
Christ par la grâce, lui ressembleront aussi par la gloire
Objection 1 :
« Croyez, dit saint Damascène, que la
résurrection aura pour causes la volonté, la puissance, l’intelligence divines.
» Ces causes étant suffisantes, il n’y a pas lieu d’en ajouter une autre.
Objection 2 :
À quoi bon la voix de la trompette, puisque les morts sont
incapables de l’entendre ?
Objection 3 :
Si une voix est cause de la résurrection, cela ne peut être qu’en
raison d’une puissance qu’elle a reçue de Dieu : « Il donnera à sa voix la
puissance », dit le Psaume ; et la Glose ajoute : « de ressusciter les
morts. » Mais lorsqu’une puissance est donnée à un être, même par miracle,
l’acte qui s’ensuit n’en est pas moins naturel ; par exemple, la vision de
l’aveugle-né est naturelle, quoiqu’il ait recouvré la vue par un miracle. La
résurrection serait donc naturelle ; ce qui est faux.
Cependant :
1° « Au son de la trompette divine, écrit saint Paul, le Seigneur lui-même
descendra du Ciel, et ceux qui sont morts clans le Christ ressusciteront
d’abord. »
2° « Ceux qui sont dans les tombeaux, dit saint Jean, entendront la voix du
Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront. » Or, cette voix, le
Maître des Sentences l’appelle une trompette.
Conclusion :
La cause doit être, d’une manière ou d’une autre, jointe à son
effet : le moteur et le mobile, l’ouvrier et l’œuvre, sont ensemble, dit
Aristote. Or, le Christ ressuscité est la cause univoque de notre résurrection.
Il faut donc qu’il l’opère par quelque signe sensible.
Certains disent que ce signe sera la voix même du Christ
commandant la résurrection, comme « il commanda à la mer et calma la
tempête. »
D’autres disent que ce sera l’apparition du Fils de Dieu dans le
monde : « Comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident,
ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme. » Ils s’appuient sur
l’autorité de saint Grégoire, d’après lequel le son de la trompette signifie
simplement la manifestation du Fils de Dieu comme juge. Cette apparition est appelée
sa "voix" en tant qu’elle aura la puissance d’un commandement ; car
aussitôt la nature entière s’empressera de refaire les corps des hommes. Aussi
l’Apôtre, quand il décrit l’avènement du Christ, parle-t-il d’un « ordre
donné. »
Cette voix, quelle qu’elle soit d’ailleurs, est appelée parfois « un
cri », comme celui du héraut qui cite à comparaître. - Ailleurs elle est
appelée le son de « la trompette », soit à cause de son éclat, soit par
comparaison avec ce qui se passait sous l’Ancien Testament : la trompette
annonçait l’assemblée, excitait au combat, conviait aux fêtes ; de même, les
ressuscités seront convoqués au grand conseil du jugement, au combat que
"l’univers livrera aux insensés », à la célébration de la fête éternelle
Solution 1 :
Saint Damascène mentionne trois choses : la volonté divine qui
commande, la puissance qui exécute, la facilité de l’exécution qu’il exprime
par le mot « signe », par une comparaison empruntée aux actions humaines.
Une chose semble facile, quand une parole suffit pour qu’elle soit faite ;
mais, combien plus, lorsque, sans même ouvrir la bouche, au premier signe de
notre volonté, celle-ci est exécutée par ceux qui eu sont chargés. Le signe
fait par nous est cause de l’exécution, parce que c’est l’expression de notre
volonté. Le signe fait par Dieu, dont l’exécution sera la résurrection, sera le
signal donné par lui, auquel toute la nature obéira eu ressuscitant les morts.
Ce signal est identique à « la voix de la trompette », comme on le voit
par ce qui a été dit.
Solution 2 :
Il en sera de cette voix, quelle qu’elle soit, comme des paroles
qui sont la forme des sacrements et qui ont le pouvoir de sanctifier, non parce
qu’elles sont entendues, mais parce qu’elles sont proférées ; De même encore,
la voix réveille le dormeur par le mouvement de l’air dont elle frappe son
oreille et non par la connaissance qu’il en a, puisque celle-ci suit le réveil
et n’en est donc pas la cause.
Solution 3 :
Cet argument porterait si la puissance donnée à cette voix était
venait de son propre être achevé, car alors ce qui viendrait d’elle aurait pour
principe une puissance devenue naturelle. Mais il n’en sera pas ainsi, et la
puissance qu’elle aura sera semblable à celle des paroles sacramentelles.
Objection 1 :
La résurrection est l’œuvre d’une puissance plus grande que la
génération. Or, en celle-ci, l’âme est unie au corps sans le ministère des
anges. Il en sera donc de même pour la résurrection.
Objection 2 : Si certains anges devaient y coopérer, ce
seraient les Vertus, qui ont pour fonction d’opérer les miracles. Or, mention
est faite des Archanges. C’est donc qu’aucune coopération ne sera requise.
Cependant :
« Le Seigneur descendra du Ciel à la voix de
l’Archange, et les morts ressusciteront. »
Conclusion :
« De même, dit saint Augustin, que les corps
plus grossiers et inférieurs sont régis, d’après certaines lois, par ceux qui
sont plus subtils et plus puissants, de même Dieu gouverne tous les corps par
les esprits cloués de la vie raisonnable. » Saint Grégoire dit aussi quelque
chose de semblable. D’où il suit que Dieu se sert du ministère des anges pour
tout ce qui regarde le monde matériel. Or, la résurrection comporte quelque
chose de matériel, à savoir, la préparation de la matière destinée à la
reconstruction des corps humains. Dieu en chargera ses anges. Mais c’est sans
leur ministère qu’il réunira à leurs corps les âmes que lui seul aussi a
créées, et qu’il glorifiera les corps comme lui seul glorifie les âmes. C’est à
ce ministère angélique que certains appliquent le mot « voix », d’après le
Maître des Sentences
Solution 1 :
Elle vient d’être donnée.
Solution 2 :
C’est surtout l’archange saint Michel qui remplira ce ministère,
lui qui est le prince de l’Église ; Après l’avoir été de la Synagogue, Comme le
dit Daniel. Mais il agira sous l’influence des Vertus et des Ordres angéliques
supérieurs. De même, les anges gardiens coopéreront à la résurrection de ceux
qui leur étaient confiés. Cette voix peut donc être dite celle d’un ange ou de
plusieurs.
Il s’agit maintenant du temps et du mode de la résurrection.
Quatre demandes :
1° La résurrection doit-elle être différée
jusqu’à la fin du monde ?
2° Doit-elle avoir lieu immédiatement après
le retour du Christ ?
3° En un instant ?
Objection 1 :
Il y a une plus grande harmonie entre la cause et les effets
qu’entre les effets eux-mêmes, comme aussi entre la tête et les membres
qu’entre les membres eux-mêmes. Or, le Christ, tête de l’humanité, n’a pas
différé sa résurrection jusqu’à la fin du inonde. Donc les saints qui meurent
avant cette date doivent faire de même.
Objection 2 :
La résurrection du Christ est la cause de la nôtre. Or, certains
membres, plus unis au chef, sont ressuscités sans délai ; on croit que ce
privilège fut accordé à la Sainte Vierge. On peut donc croire aussi que la promptitude
de la résurrection dépend de la conformité au Christ par la grâce et le mérite.
Objection 3 :
L’état du Nouveau Testament est plus parfait, représente mieux
l’image du Christ, que celui de l’Ancien Testament. Or, plusieurs saints, morts
avant le Christ, sont ressuscités en même temps que lui : « Plusieurs
saints, qui dormaient dans leurs tombeaux, ressuscitèrent. » À plus forte raison, les saints du
Nouveau Testament doivent donc ressusciter sans attendre la fin du monde.
Objection 4 :
Après la fin du monde, il n’y aura plus d’années. Mais il doit y
en avoir un grand nombre entre la résurrection des premiers ressuscités et
celle des autres : « Je vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à
cause du témoignage de Jésus et de la parole de Dieu... Ils eurent la vie et
régnèrent avec le Christ pendant mille ans ; mais les autres morts n’eurent
point la vie, jusqu’à ce que les mille ans furent écoulés. » Tous les morts
n’attendront donc pas la fin du monde pour ressusciter ensemble.
Objection 5 :
À propos
de cette résurrection immédiate on s’est demandé[1630]
si on peut l’admettre, étant donné que l’Écriture parle d’une résurrection
finale ; d’autre part l’Écriture ne conçoit pas la vie d’une âme séparée. On
émet donc l’hypothèse que l’homme qui meurt participe à la vie du corps
ressuscité du Christ. Cette hypothèse du Père Benoît est profonde et tend à
coïncider avec l’affirmation de la résurrection immédiate. En effet, ce qui
subsiste dans l’éternité c’est la plénitude du corps du Christ unifié par l’Esprit
du Père. Dès que l’homme communie à ce corps, il vit par l’Esprit ; dès qu’il
entre, par sa mort, en communion plus plénière avec ce corps, on peut dire
qu’il est vraiment ressuscité, participant de la vie pascale de Jésus. Dans
cette perspective, le dogme de l’assomption assume une signification
typologique exceptionnelle : la Vierge Marie est le type de tous ceux qui se
sont endormis dans le Christ pour vivre aussitôt après dans la plénitude de sa
vie. L’attente ne se porterait donc pas sur la résurrection du corps, mais sur
le renouvellement cosmique, achèvement de l’œuvre du Père par son Fils dans
l’Esprit. Mais si cette thèse, que l’on reprendra à propos de la résurrection
de la chair (c. 7), reste au niveau de la recherche, elle peut néanmoins corriger
ce qui est trop humain dans la position qu’affirme l’immortalité naturelle.
Dans celle-ci, la créature parait atteindre la vie d’une façon presque
autonome. Il faudra alors rappeler que même l’immortalité n’est qu’un don
purement gratuit de la part de Dieu. Si Dieu nous a voulus capables de vaincre
la mort, c’est justement parce qu’il nous a crées pour nous associer a sa vie à
jamais.[1631]
Cependant :
1° « L’homme, dit Job, ne se réveillera pas
tant que subsistera le Ciel, on ne le fera pas sortir de son sommeil. » Or, le Ciel doit subsister jusqu’à la fin
du monde.
2° « Tous les saints que leur foi a
rendus recommandables n’ont pas obtenu l’objet de la promesse », c’est-à-dire, la béatitude complète
de l’âme et du corps, « parce que Dieu nous a fait une condition meilleure
pour qu’ils n’obtinssent pas sans nous la perfection du bonheur », qui
consistera, ajoute la Glose, « dans l’accroissement de la joie de chacun des
élus par celle de tous les autres. » Mais la glorification du corps aura lieu
eu même temps que leur résurrection : c’est alors que « le Christ
transformera notre corps si misérable, en le rendant semblable à son corps glorieux
» ; c’est alors que « les fils de la résurrection seront comme les
anges de Dieu dans le Ciel. » Tous les hommes doivent donc ressusciter
ensemble, à la fin du monde.
Conclusion :
Lors de sa passion, le Christ a sauvé l’homme tout entier, selon
qu’il est corps et âme. Et l’on peut distinguer deux manières dont cette
rédemption est appliquée à l’homme :
1° Selon qu’il participe à la nature humaine,
en le libérant de la faute originelle et de ses conséquences comme la maladie
et la mort.
2° Selon qu’il est une personne
individuellement appelée au salut, en ouvrant à chacun les portes du Ciel.
Il
convenait sous ces deux aspects que la pleine réalisation de ce salut soit
différée et ne soit pas communiquée à l’homme aussitôt après la résurrection du
Christ. En ce qui concerne chaque personne humaine prise en particulier, la
vision de l’essence divine n’est communiquée qu’au terme d’une vie terrestre
éprouvante et d’un purgatoire dont la finalité est de libérer l’âme de ses
péchés. Et ce gouvernement de Dieu sur l’homme est convenable puisqu’il permet
à beaucoup d’être sauvés. En ce qui concerne la nature humaine le péché originel
a été effacé dès l’achèvement de la passion du Christ dont les fruits sont
communiqués à chacun par le bain du baptême mais les conséquences de ce péché
ne devaient pas disparaître avant la fin du monde. Ces conséquences sont
principalement le désordre qui règne dans la nature humaine et dans l’univers
matériel qui, originellement, étaient parfaitement en harmonie. Ce désordre qui
manifeste à l’homme son impuissance et sa condition de créature, évite à
beaucoup le péché de l’orgueil et dispose à l’humilité et au désir de Dieu.
Il convient que les conséquences du péché originel soient
détruites d’un seul coup, au dernier jour, lorsque Dieu ressuscitera nos corps
et transformera l’univers en un monde nouveau et cela pour trois raisons :
1° Parce que le monde passager et son
désordre n’auront plus aucune utilité au bien de l’homme après le retour du
Christ.
2° Parce que la gloire de Dieu et son salut
en seront manifestés d’une façon digne du rédempteur qui sera exalté dans la
mesure même ou il a été abaissé lors de sa passion. Selon Isaïe[1632]
: « Les lieux accidentés se changent en plaine et les escarpements en large
vallée. Alors la gloire de Yahvé se révèlera et toute chair, d’un coup, la
verra, car la bouche de Yahvé a parlé. » Selon saint Augustin, la gloire de
Dieu consiste dans le salut de l’homme.
3° Parce que la puissance du démon sur la
nature humaine sera elle-même devenue inutile. Dieu la permettait pour le bien
de l’âme dont la droiture en était éprouvée dans le temps de la vie terrestre.
En conséquence cette puissance du mal, devra être détruite complètement selon
Isaïe[1633]
: « Comment a fini le tyran, a fini son arrogance lui qui frappait de coups
les peuples avec emportement et sans relâche ? Il s’est couché, on ne monte
plus pour nous abattre. »
Solution 1 :
Entre la tête et les membres, une plus grande harmonie qu’entre
les membres eux-mêmes est nécessaire pour qu’elle agisse sur eux, par contre,
la causalité quelle exerce sur les membres, qui ne l’exercent pas les uns sur
les autres, rend ceux-ci différents de la tête et ressemblants entre eux ; D’où
il suit que la résurrection du Christ, et on ne peut le dire d’aucune autre,
est comme le type de notre résurrection ; Et la foi au Christ ressuscité nous
donne l’espoir de ressusciter nous-mêmes. Sa résurrection devait donc précéder
celle des autres hommes, qui ressusciteront ensemble à la fin du monde.
Solution 2 :
Certains membres du Christ peuvent être plus dignes, plus
conformes à celui qui est la tête, mais sans partager ni son titre ni son influence.
Leur conformité au Christ ne leur donne donc aucun droit à une résurrection
anticipée et typique. Si ce privilège a été accordé à quelques-uns, c’est
seulement par une grâce toute spéciale.
Solution 3 :
Saint Jérôme hésite, à ce sujet, entre une résurrection
temporaire, comme celle de Lazare destinée simplement à leur permettre de
rendre témoignage au Christ ressuscité, et une résurrection définitive, suivie
d’une « ascension en corps et en âme à la suite du Christ montant aux cieux. » Cette
seconde alternative paraît plus probable. Une vraie résurrection semble mieux
en harmonie avec un vrai témoignage au Christ vraiment ressuscité. D’ailleurs,
ce n’est point à cause d’eux-mêmes que leur résurrection fut aussi prompte,
mais afin de témoigner de celle du Christ et fonder ainsi la foi du Nouveau
Testament. Il convenait donc mieux aussi que ces ressuscités fussent des justes
de l’Ancien Testament. Il faut ajouter que si l’Évangile mentionne leur
résurrection avant celle du Christ, c’est par une anticipation dont les
historiens sont coutumiers. De fait, personne n’est définitivement ressuscité
avant le Christ, « prémices de ceux qui dorment du dernier sommeil » ;
quoiqu’il y ait eu des résurrections temporaires comme celle de Lazare.
Solution 4 :
Comme saint Augustin le rapporte, certains hérétiques prirent
occasion de ces paroles pour admettre que certains doivent ressusciter avant
les autres et régner mille ans sur la terre avec le Christ : de là, leur nom de
Chiliastes ou de Millénaires. Il montre donc qu’il faut les interpréter
autrement et les entendre de la résurrection spirituelle par laquelle les
pécheurs recouvrent la vie de la grâce. La seconde résurrection sera celle des
corps. « Le royaume du Christ », c’est l’Église, dans laquelle règnent
avec lui non seulement les martyrs, mais tous les élus, « une partie étant
prise ici pour le tout. » -Ou encore, s’il s’agit du royaume glorieux du
Christ, les martyrs sont spécialement nommés, « parce que ceux-là surtout
règnent après leur mort qui ont combattu jusqu’a la mort pour la vérité. » Le
mot "millénaire" ne signifie point un nombre déterminé, mais désigne
tout le temps qui s’écoule maintenant, et pendant lequel, maintenant, les
saints règnent avec le Christ. Le nombre mille désigne l’universalité mieux que
le nombre cent : cent, c’est le carré de dix ; mais mille, c’est un nombre
achevé, le produit de dix multiplié deux fois par lui-même, dix fois dix
dizaines. Les Psaumes emploient ce mot dans le même sens : « La parole que
Dieu a affirmée pour mille générations », c’est-à-dire, pour toutes.
Solution 5 :
Cette
hypothèse méconnaît la différence entre l’être et l’amour. Notre union au
Christ après notre mort sera une union d’amour. Dès cette terre, pour signifier
ce que réalise la charité, le Christ nous compare à son corps dont nous ne
faisons, par analogie avec l’unité vitale qui est celle du corps, partie à
titre de membres. Mais cette analogie ne prétend pas dire autre chose que cette
profondeur mystique de la grâce. Nous expérimentons qu’au plan de notre être,
nous sommes créés par Dieu de telle façon que nous continuons d’exister avec ou
sans la charité. Notre existence est naturelle, même si elle est déjà un don
gratuit de Dieu. De même, après la mort, la survie et l’exercice des activités
spirituelles de notre âme seront naturels. Il est inutile de poser une
quelconque intervention supplémentaire du Christ pour expliquer la survie des
âmes, voulue par Dieu de par la nature de sa création. Les objections modernes
à cette survie viennent d’une phobie du risque de dualisme âme-corps, phobie
démontée largement par le Cardinal Ratzinger[1634].
C’est pourquoi les âmes de l’enfer, pourtant séparées tant au plan de l’amour
que de la présence du corps physique du Christ, survivent et choisissent à
chaque instant leur destin sans amour.
Cette
hypothèse n’est pas raisonnable au plan métaphysique puisqu’elle donne au corps
du Christ un rôle qui n’est pas le sien, à travers une compénétration des
essences très opposée à l’autonomie ontologique voulue par Dieu pour chacune de
ses créatures spirituelles ; D’autre part, elle rend inutile la résurrection
finale et son caractère très concret, démontré par Jésus lors de ses
apparitions au lac de Tibériade. Elle en arrive en fait à confondre fusion
(donc au plan de l’être) et union (d’amour). Par contre, si elle est
réinterprétée pour les âmes des élus comme une participation d’ordre amoureuse
comparable à l’unité harmonieuse du corps et de ses membres, elle retrouve un
sens acceptable : acceptable seulement car ce n’est pas au corps du Christ que
nous participerons mais à la Trinité tout entière, Père, Verbe fait chair et
Saint Esprit.
Objection 1 :
Cela ne semble pas. Après le retour du Christ certains seront
encore au purgatoire où ils n’auront pas fini leur temps. Il est nécessaire que
la résurrection soit différée jusqu’à ce qu’ils soient complètement purifiés.
Objection 2 :
Ce qui est ignoré des anges l’est aussi, et à plus forte raison,
des hommes ; car ce que ceux-ci peuvent découvrir par leur raison, les anges en
ont une connaissance naturelle beaucoup plus nette et certaine. D’autre part,
s’il s’agit de révélations, elles sont faites aux hommes par le ministère des
anges. Or, « quant au jour et à l’heure, nul ne les connaît, pas même les
anges du Ciel. »
Objection 3 :
Plus que tous les autres, les apôtres furent mis dans les secrets
de Dieu, eux qui, selon saint Paul, « eurent les prémices de l’Esprit », c’est-à-dire,
explique la Glose, qu’ils l’eurent « avant les autres et en plus grande
abondance. » Cependant à leur question Jésus fit cette réponse : « Ce n’est
pas à vous de connaître les temps et les moments que le l’ère a fixés de sa
propre autorité. »
Objection 4 :
Si déjà la
philosophie et la médecine nous montrent la difficulté d’admettre que
l’activité de l’âme puisse se poursuivre après la mort sans le corps physique,
nous ne voyons pas de raison pour penser, d’un point de vue théologique, à un
retard jusqu’à la fin de ce monde, avant que la personne puisse se réaliser
dans la vie du Christ. Rien n’empêche la Toute Puissance divine d’opérer la
résurrection au moment même de la mort. Nous arrivons alors à cette analogie :
de même que le Christ-Tête ressuscite pleinement dans sa personne, ainsi l’âme
de chaque individu au moment de sa mort communie à la Tête, recevant d’elle sa
corporéité, se relie comme membre d’une façon nouvelle à l’humanité de Jésus,
médiation irremplaçable pour le contact plénier avec Dieu ; cette insertion
implique donc la reconstitution immédiate de la corporéité personnelle qui met
à la personne d’épanouir sa vie dans le pneuma du Ressuscité.[1635]
Cependant :
Saint Paul
dit[1636]
: « Le Seigneur descendra du Ciel et les morts qui sont dans le Christ
ressusciteront en premier lieu ; après quoi nous les vivants, nous qui seront
encore là, nous serons réunis à eux et emportés sur des nuées pour rencontrer
le Seigneur dans les airs. » Donc la résurrection suivra immédiatement le
retour du Christ.
Conclusion :
Comme nous
l’avons montré, la résurrection des corps est différée chez les élus comme chez
les damnés pour que la gloire de Dieu soit manifestée d’un seul coup dans
l’humanité à la fin du monde. Or cette fin du monde terrestre sera inaugurée
par le retour du Christ. Après cette venue, quand tous les hommes auront été
jugés individuellement, il n’y aura plus à attendre aucun évènement dans le
monde terrestre qui sera devenu inutile. Tous les hommes dont Dieu avait prévu
la naissance seront arrivés au terme de leur épreuve. Il n’y aura donc plus
aucun obstacle à ce que la résurrection soit réalisée immédiatement. En
conséquence, on doit dire que cet évènement suivra immédiatement le retour du
Christ.
Solution 1 :
Le purgatoire n’est pas un temps extérieur comparable à celui de
la terre. Il est plutôt une souffrance dont la durée intérieure parait à l’âme
d’autant plus longue qu’elle désire Dieu. Dieu peut donc faire subir à une âme
toute sa purification en un instant. L’âme n’en éprouve pas moins l’impression
d’avoir subit le purgatoire pendant un long temps.
Solution 2 :
Cette
objection s’applique à la date du retour du Christ que personne ne connaît. En
effet, selon saint Augustin : « Le dernier âge de l’humanité qui s’étend de
l’avènement du Seigneur jusqu’à la fin du monde, comprendra un nombre de
générations qu’on ne saurait déterminer » ; de même que le dernier âge de
l’homme, la vieillesse, n’a point de limites aussi fixes que les autres, mais
parfois, à lui seul, « dure autant que tous les autres ensemble. » Il n’y a, en
effet, que deux moyens de connaître l’avenir : la raison ou la révélation. Or,
la raison est impuissante à supputer le temps qui doit s’écouler jusqu’à la
résurrection, celle-ci devant coïncider avec l’arrêt du mouvement du ciel.
C’est par le mouvement que la raison peut calculer et aussi prévoir, pour un
temps déterminé, ce qui doit arriver. Or, le mouvement du ciel ne permet pas
d’en connaître le terme ; car il est circulaire, et donc de telle nature qu’il
puisse durer plusieurs milliard d’années.
D’autre
part, aucune révélation n’est faite à ce sujet, afin que tous les hommes se
tiennent toujours prêts à paraître devant le Souverain Juge. Aux apôtres qui
l’interrogeaient Jésus répondit : « Ce n’est pas à vous de connaître les
temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. » "Par
cette parole, dit saint Augustin, il coupe, pour ainsi dire, les doigts à tous
1es "calculateurs et leur ordonne de se tenir tranquilles. » Ce qu’il a
refusé de révéler à ses apôtres qui le lui demandaient, il ne le révélera à
personne.
C’est
pourquoi tous ceux qui jusqu’ici ont voulu calculer se sont trompés. "Les
uns, dit saint Augustin, parlent de quatre cents, d’autres de cinq cents, et
même de mille ans, à partir de l’ascension du Seigneur jusqu’à son dernier
avènement. » Leur erreur est flagrante, telle sera toujours celle de leurs
imitateurs.
Mais, si l’on ne connaît pas la date de la fin du monde qui sera
marquée par le retour du Christ, on sait par contre que cette venue sera suivie
immédiatement par deux évènements : 1° La
résurrection des corps et la transformation du monde ; 2° le jugement général de l’humanité.
Solution 3 :
Lorsque le Christ sera revenu dans sa gloire accompagné des saints
et des anges, chacun saura avec certitude que la résurrection est imminente.
Ainsi, ce ne seront pas seulement les apôtres qui seront dans le secret de Dieu
mais tous les hommes.
Solution 4 :
Nous avons déjà répondu à cette hypothèse[1637].
Rappelons seulement que l’humanité du Christ est médiatrice irremplaçable pour
le cœur à cœur avec Dieu tel que nous pouvons le réaliser ici-bas. En effet, il
n’existe pas d’autre Médiateur de la grâce si ce n’est à travers lui.
Cependant, dans la vision béatifique, nous verrons cette fois sa divinité face
à face, sans l’intermédiaire de son humanité qui nous sera plutôt rendue
visible par sa divinité[1638].
C’est pourquoi, dit saint Paul, le Christ remettra toute Royauté à son Père,
c’est-à-dire à la Sainte Trinité tout entière. Cette objection confond donc la
Vie surnaturelle du cheminement d’ici-bas avec celle du Ciel.
Objection 1 :
Le prophète Ezéchiel la décrit ainsi : « Les os se
rapprochèrent les uns des autres ; et je vis : voici que des muscles et de la
chair avaient crû au-dessus d’eux, et qu’une peau les recouvrait, mais il n’y
avait point d’esprit en eux. » La résurrection ne sera donc point
instantanée, puisque les corps devront être refaits avant que les âmes leur
soient réunies.
Objection
2 :
Ce qui exige plusieurs actions successives ne peut être
instantané. Or, la résurrection en exige trois : la collection de la matière,
la reconstruction du corps, l’infusion de l’âme.
Objection
3 :
Le son est toujours mesuré par le temps. Or, le son de la
trompette sera cause de la résurrection.
Objection
4 :
Aucun mouvement local n’est instantané. La
préparation de la matière ne peut donc pas l’être, et pas davantage la
résurrection :
Cependant
:
1° « Nous ressusciterons tous, écrit saint
Paul, en un instant, en un clin d’œil. »
2° L’action d’une
puissance infinie est instantanée. Or, « croyez, dit saint Damascène, que la résurrection sera l’œuvre de la puissance
divine », qui est infinie.
Conclusion
:
Dans la résurrection, certaines choses
seront confiées au ministère des anges ; d’autres seront réservées à la
toute-puissance divine. Les premières ne seront pas faites en un instant, au
sens philosophique du mot, un temps indivisible, mais en un temps
imperceptible. Les secondes seront instantanées, c’est-à-dire, accomplies par
Dieu à l’instant même où les anges auront achevé leur œuvre. L’activité
inférieure reçoit, en effet, de l’activité supérieure sa dernière perfection.
Solution
1 :
Ezéchiel s’adressait à un peuple grossier ; aussi a-t-il décrit
l’une après l’autre les phases de la résurrection, quoique tout doive être
instantané : tout comme Moïse, pour se rendre intelligible au même peuple,
avait divisé en six jours la création du monde, qui a de fait été faite en
plusieurs ères géologiques.
Solution
2 :
Ces opérations sont successives, si l’on regarde leur nature, mais
elles ne le sont pas au point de vue du temps soit qu’elles aient lieu au même
instant, soit que, à l’instant même où l’une s’achève, l’autre soit faite.
Solution
3 :
Il en est ici comme des paroles sacramentelles : c’est au dernier
instant que l’effet se produit.
Solution
4 :
La collection de la matière qui exige le
mouvement local, sera faite par les anges, mais en un temps imperceptible, à
cause de la facilité d’action qui est leur privilège.
Deux demandes :
1° Certains hommes n’auront-ils pas à
ressusciter parce qu’ils ne mourront pas ?
2° L’homme doit-il nécessairement ressusciter
à partir de ses cendres ou n’importe quelle autre matière peut-elle convenir ?
Objection 1 :
C’est contre tous ceux qui naissent avec le péché originel qu’a
été portée la sentence : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière. »
Or, tous ceux qui doivent ressusciter au dernier jour, sont nés, nés
vivants ou mort-nés, avec le péché originel. Tous doivent donc ressusciter
après être morts.
Objection 2 :
Le corps humain contient de nombreux éléments étrangers à la vraie
nature humaine. Or, tous ces éléments doivent disparaître. Il faudra donc que
tous les corps soient réduits en cendres.
Objection 3 :
La sainte
Écriture, qui enseigne la résurrection des corps, enseigne aussi "leur
reformation. » Or, de même que tous les hommes doivent mourir afin de pouvoir
vraiment ressusciter, de même tous les corps doivent être dissous afin de
pouvoir être refaits. De plus, la justice divine n’a pas seulement infligé à
l’homme la peine de mort, mais encore la dissolution de son corps : « Tu es
poussière et tu retourneras en poussière. » De son coté, l’ordre naturel
exige non seulement la séparation de l’âme et du corps mais encore la
dissociation des éléments dont celui-ci est composé : le vinaigre ne peut
redevenir vin qu’après une décomposition radicale.
Cependant :
À la fin
du monde, certains seront trouvés vivants et ne mourront pas d’après saint Paul[1640]
: « Nous ne mourrons pas tous. » Donc ceux là ne ressusciteront pas de
leurs cendres.
Conclusion :
Les mêmes
raisons qui démontrent que certains hommes ne doivent pas mourir avant de
ressusciter, démontrent aussi que certains ne ressusciteront pas mais seront
simplement transformés dans leur manière d’être. Cependant, pour ceux qui
seront morts lors du retour du Christ, on doit affirmer qu’ils ressusciteront à
partir de la matière de la terre.
Solution 1 :
Par exception, la dernière génération de l’humanité échappera à la
mort, manifestant par là la victoire totale réalisée par le Christ à la croix
et qui a détruit non seulement le péché mais aussi ses conséquences.
Solution 2 :
Un effet peut être obtenu par des actions différentes. Ainsi
peut-on aller à Rome en passant par plusieurs routes. De même, la
transformation du corps de l’homme en un corps impassible peut provenir de la
résurrection des corps à partir d’une matière minérale, pourquoi pas à partir
des cendres du cadavre comme semble l’indiquer la tradition antique du culte
des reliques ou de la transformation qualitative pour ceux qui seront trouvés
en vie.
Solution 3 :
En stricte
justice, l’homme qui naît en état de péché originel mérite non seulement la
mort pour son corps mais aussi la séparation éternelle d’avec Dieu puisqu’il
s’en est sépare en Adam. Mais la justice de Dieu est miséricordieuse. C’est
pourquoi il libère chaque homme du péché originel par le baptême issu de la
rédemption de son fils. De même, il libérera certains hommes de l’exigence de
la mort, à la fin du monde, en l’honneur de la victoire opérée par le Christ et
manifestée par son retour.
Objection 1 :
La pratique liturgique de l’Église a été, dès les temps
apostoliques, de conserver pieusement les reliques en vue de leur résurrection
future. Si ces restes du corps des saints ne devaient pas ressusciter, ce
serait toute la tradition la plus profonde de l’Église qui aurait failli.
Objection 2 :
Si Dieu n’utilise pas les cendres du corps décomposé, l’homme ne
retrouvera pas à la résurrection son propre corps, mais un autre, ce qui
s’oppose à la foi.
Objection 3 :
Le Christ
est le modèle de notre résurrection. Or la matière de son cadavre qui a été
utilisée pour ressusciter. Donc il en sera de même pour nous.
Cependant :
Il est facile, à partir d’arguments de la simple raison, de
prouver que Dieu n’utilise pas les cendres du cadavre.
1° Au cours de sa vie, le corps humain
renouvelle sans cesse sa matière. Si toute cette matière devait ressusciter,
les corps pèseraient plusieurs tonnes.
2° Le corps humain peut être décomposé en ses
éléments ou devenir la chair d’autres animaux. Or les éléments sont homogènes.
La chair du lion ou de tout autre animal l’est aussi. Puisque, ni dans
celle-ci, ni dans ceux-là, il n’y a d’inclination naturelle à une âme déterminée,
il n’y en a donc pas non plus dans le corps après sa dissolution.
3° À toute inclination naturelle correspond
un agent naturel, autrement, « la nature ferait défaut dans une chose
nécessaire. » Or, il n’existe aucune puissance naturelle capable de réunir des
cendres à l’âme qui les animait. Donc il n’y a pas en elles d’inclination
naturelle pour cette âme.
Conclusion :
Le terme de cendres est employé dans la tradition chrétienne en
référence à des pratiques plus anciennes. On donne le nom de cendres à tout ce
qui reste du corps humain après sa dissolution pour deux raisons :
1° C’était une coutume générale, chez les
certains peuples de l’Antiquité, de brûler les cadavres et d’en conserver les
cendres. D’où l’emploi de ce mot pour désigner les restes des mortels.
2° Ce qui rend nécessaire cette dissolution,
c’est le foyer de convoitise dont le corps humain est infecté tout
entier et qui exige une purification non moins radicale, puisque celle-ci est
due à un foyer, le nom de cendres convient donc bien à son résidu, à ce qui
reste du corps humain après sa décomposition.
Les anciens des diverses civilisations ont eu trois opinions au
sujet du rapport entre l’âme et les cendres de la décomposition de son cadavre.
1° Pour les Égyptiens anciens, le corps humain
ne devait jamais être réduit à ses premiers éléments car il restait toujours
dans les momies une certaine force de cohésion qui leur donnait non seulement
une inclination naturelle pour l’âme qui fut la leur –ils croyaient comme les
chrétiens à la résurrection de la chair-, mais qui en outre permettait par sa
force à l’âme de ne pas se décomposer elle-même. De là venait leur volonté de
conserver intacte la forme des cadavres et la pire des vengeances consistait à
détruire une momie. Cette opinion, comme d’ailleurs celle des témoins de
Jéhovah qui disent que l’âme est le sang de l’homme, est facilement battue en
brèche par la simple étude philosophique de la nature de l’âme humaine. L’âme
ne peut dépendre dans sa survie de l’état du corps car elle est d’une nature
différente. « Etant douée d’actes qui dépassent la matière, elle est
nécessairement au delà de toute matière », dit Aristote. De même, si l’on
objecte que c’est la partie psychique –le Kâ des anciens égyptiens- que
l’âme spirituelle emmène avec elle qui ne peut subsister qu’en s’appuyant sur
la matière du corps, il faut répondre que c’est impossible. Si le psychisme est
capable de survivre et de s’exercer avec une nouvelle plénitude dans les heures
qui suivent la mort alors que l’organe du cerveau est déjà irrémédiablement
détruit, c’est qu’il trouve sa force ailleurs, c’est-à-dire dans l’âme
elle-même.
2° La seconde opinion prétend que les
éléments résultant de la décomposition du corps humain, ayant été unis à une
âme humaine, en gardent plus d’énergie et, par conséquent une certaine
inclination à lui être réunis. C’est une opinion de nouveau mise à la mode dans
les courants du Nouvel Age. On en retrouve les principes dans l’homéopathie qui
attribue à la matière minérale une "mémoire" de son passé. Cette
théorie est loin d’être démontrée. En tout état de cause, si une telle
inclination existe, elle ne peut être que très faible. Elle ne peut pas
justifier la nécessité pour Dieu d’utiliser pour la résurrection exclusivement
les cendres du cadavre. On peut le découvrir à la simple observation de la
puissance de l’âme humaine telle que nous l’observons ici-bas. Au cours de la
vie, elle est capable d’unir dans un seul être une matière, puis une autre et
de renouveler sans cesse sa matière.
La
troisième opinion n’admet dans les cendres humaines, aucune inclination
naturelle à ressusciter, mais seulement une loi providentielle en vertu de
laquelle elles seront réunies à l’âme de préférence aux autres éléments. C’est
cette opinion qui est la vraie. C’est pourquoi on doit dire qu’à la
résurrection, Dieu utilisera indifféremment telle ou telle matière pour rendre
à l’homme son vrai corps, car ce qui fait que tel corps est le sien, ce n’est
pas l’identité des atomes, mais leur organisation vitale par l’âme.
Solution 1 :
Il est convenable que certains restes qui ont été matière du corps
humain soient plus particulièrement utilisés par Dieu lors de la résurrection.
C’est en effet cette matière qui a été instrumentalement utilisée pour la vie
humaine terrestre. Elle a été utile à l’homme dans l’épreuve. Il convient
qu’elle lui soit utile dans l’obtention de sa fin. C’est pourquoi la coutume
générale de l’Église vénère les reliques des saints qu’elle considère comme des
signes de leur future résurrection. Mais il ne s’agit pas d’une nécessité
venant de la matière elle-même, mais d’un acte volontaire de Dieu qui, parfois,
se plait à honorer matériellement la chair de ses serviteurs. Ainsi permet-il
aussi de manière exceptionnelle, à titre de témoignage d’une particulière
pureté du corps, la conservation miraculeuse du cadavre de certains saints.
Solution 2 :
De même que le corps enfant et le corps devenu adulte sont
parfaitement le corps de tel homme alors qu’ils ne possèdent parfois plus un
seul atome en commun, de même pour la résurrection. En effet, l’identité du
corps vient de deux choses : 1° De
l‘âme qui est sa forme et qui lui donne d’être ; 2° Du chiffre biologique transmis par les parents et qui détermine
la matière. Ainsi, pour ressusciter identique, le corps n’a pas besoin
d’assumer les atomes lui ayant un jour appartenu, ce qui serait impossible vu
la quantité de matière que nous assimilons au cours d’une vie et ce qui élimine
définitivement toute question comme celle du cannibalisme etc.
Solution 3 :
Le Christ est
ressuscité de son propre cadavre. Cela n’était pas nécessaire pour qu’il soit
vraiment ressuscité mais pour que nous croyions en sa résurrection.
A l’argument Cependant :
Dieu ne se
sert pas nécessairement des cendres. Cela ne signifie pas qu’il les méprises
toutes. Ce n’est pas par nécessité mais par respect pour le corps que Dieu
utilise une certaine partie de la matière qui, jadis, a composé le corps.
Il s’agit
maintenant de l’état des ressuscité : tous les hommes ressusciteront, qu’ils
soient bons ou mauvais. Certains caractères corporels seront communs aux bons
et aux mauvais : l’identité, l’intégrité, la qualité. C’est ce que
considérerons dans un premier temps.
Nous
verrons dans un deuxième temps les caractères propres au corps des élus :
l’impassibilité, la subtilité, l’agilité et la clarté. Nous verrons enfin ce
qui concerne le corps des damnés.
Au sujet du premier, on demande :
1° L’âme reprendra-t-elle le même corps ?
2° L’homme ressuscité sera t-il le même avant
et après la résurrection ?
Objection 1 :
Saint Paul semble nier cette identité dans la comparaison qu’il
emploie à ce sujet : « Ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps qui sera un
jour, c’est un simple grain. »
Objection 2 :
Toute forme exige une matière, et tout agent, un instrument, en
harmonie avec leur commune condition ; le corps est, par rapport à l’âme,
matière et instrument. Or, après la résurrection, l’âme ne sera plus la même,
mais ou toute céleste ou toute animale, selon la vie qu’elle aura menée
ici-bas. Elle devra donc reprendre un corps, qui, comme elle, ne soit plus le
même.
Objection 3 :
La mort résout le corps humain en ses éléments, qui, dès lors,
n’ont plus rien de commun avec lui que leur caractère de matière première,
caractère qu’ils partagent avec tous les autres principes matériels. Le corps
humain refait avec les éléments qui lui ont appartenu n’est donc pas plus
identique à lui-même que s’il était refait avec des éléments quelconques.
Objection 4 :
Il est impossible qu’une chose soit la même quand ses parties
essentielles ne sont plus les mêmes. Or, la forme du composé humain ne peut pas
se retrouver la même. Donc le corps humain ne sera plus le même. –La mineure se
prouve ainsi : Ce qui tombe dans le néant ne peut en sortir identique à
lui-même ; en effet, il en va de l’existence, qui est l’acte de l’être, comme
de tout autre acte : s’il est interrompu, c’est un acte nouveau et différent
qui lui succède. Or la forme du composé humain, étant corporelle, est réduite à
néant par la mort, comme aussi les qualités contraires qui entrent en
composition. La forme qui réparait n’est donc pas identique à la première.
Objection 5 :
L’opinion
du Cardinal Gouyon est la suivante[1643]
: « Le comment de cette résurrection que l’Église a dès les premiers temps
intégré à son Credo reste un mystère. On peut penser toutefois à en
approcher. Au cours de notre vie, ce qui fait le caractère personnel de notre
corps, ce ne sont ni ses tissus ni ses cellules qui sont en perpétuel
renouvellement, mais sa relation à son histoire et ses relations au monde
inscrites au plus profond de la partie spirituelle de notre être. Notre corps
ressuscité devra se trouver ajusté à ces empreintes en même temps qu’au monde
des hommes et des choses que nous retrouverons lui-même transformé. » Donc pour
ressusciter semblable, il suffit de retrouver ses souvenirs et relations, pas
l’identité de sa chair.
Cependant :
1° « Dans ma chair je verrai Dieu, mon Sauveur.
» Ainsi s’exprime Job ;
et il parle de la vision qui suivra la résurrection : « Au dernier jour, je me
relèverai de terre. » C’est donc bien le même corps qui
ressuscitera.
2° « La résurrection, c’est le relèvement de ce
qui est tombé » dit saint Damascène. Or, ce qui tombe par la mort, c’est
le corps que nous avons maintenant. C’est donc bien lui aussi, le même, qui
ressuscitera.
Conclusion :
Certains
philosophes admettaient la réunion de l’âme et du corps, mais ils commettaient
deux erreurs. La première portait sur le mode de réunion qui, d’après
quelques-uns, n’était autre que la voie ordinaire de génération. La seconde
portait sur le corps repris par l’âme qu’ils prétendaient n’être pas le même,
mais un autre : soit d’une espèce différente (hindouisme), corps de l’animal,
chien, lion, etc., auquel l’âme avait ressemblé par ses mœurs bestiales ; soit
de la même espèce (bouddhisme), un corps humain auquel, après avoir vécu
moralement ici-bas et après des siècles de félicité posthume, l’âme désirerait
être réunie et le serait.
Cette opinion suppose deux principes également faux. 1° Dans ces hypothèses, l’âme n’est pas
unie au corps essentiellement, comme la forme l’est à la matière, mais
accidentellement comme le moteur l’est au mobile ou l’homme au vêtement Dès
lors, on peut regarder l’âme comme préexistant au corps, avant que la
génération ait rendu possible son union avec lui ; comme capable aussi de
s’unir à différents corps. 2° Il n’y
a entre l’intelligence et la sensibilité qu’une différence de degré : le
privilège de l’intelligence attribué à l’homme signifie simplement une
sensibilité plus excellente résultant d’un organisme parfait. Une âme humaine
pourrait donc passer dans le corps d’un animal, surtout si elle en a vécu la
vie (opinion évolutionniste moderne). - Mais Aristote, dans son traité de
l’âme, a montré la fausseté de ces deux principes, et, par conséquent, de
l’opinion qui repose sur eux.
Certains
hérétiques ont partagé les mêmes erreurs philosophiques et sont donc réfutés,
eux aussi. -D’autres, parmi lesquels un évêque de Constantinople cité par saint
Grégoire, ont prétendu que les âmes seraient unies à des corps célestes ou à
des corps subtils comme l’air. -D’ailleurs, toutes les affirmations de ces
hérétiques sont erronées parce qu’elles sont incompatibles avec une vraie
résurrection telle que l’Écriture l’enseigne. Il ne peut y avoir résurrection
que si l’âme reprend le même corps : ressusciter, c’est se relever ; c’est
celui-là même qui est tombé qui doit se relever. La résurrection concerne donc
le corps qui tombe par la mort plutôt que l’âme qui continue de vivre. Dès
lors, si l’âme ne reprend pas le même corps, il ne s’agit plus de résurrection,
mais de son union avec un nouveau corps
Solution 1 :
Une comparaison est toujours imparfaite. Le grain qui sort de
terre n’est pas le même que celui qui y fut jeté : il ne lui est pas non plus
semblable, puisqu'il a des feuilles que l’autre n’avait point. Le corps
ressuscité sera bien le même corps, mais transformé ; non plus mortel, mais
devenu immortel.
Solution 2 :
Après la résurrection, l’âme ne sera pas essentiellement
différente de ce qu’elle était ici-bas ; elle sera glorieuse ou malheureuse, ce
qui ne constitue qu’une différence accidentelle. Il n’est donc pas nécessaire
qu’elle soit unie à un corps nouveau ; il suffit qu’elle soit réunie au même
corps, mais transformé, de façon qu’il s’harmonise avec l’âme.
Solution 3 :
Ce qui est
essentiel pour que le corps de l’homme soit le même après la résurrection, ce
n’est pas que la matière qui le compose soit matériellement la même. Cela est
d’ailleurs impossible car, au cours de la vie humaine, la matière qui compose
le corps humain se renouvelle sans cesse, au point que si le corps glorieux
devait assumer tous les éléments matériels qui ont à un moment donné fait
partie du corps humain, ses dimensions seraient énormes. Ainsi, l’identité du
corps humain se prend non de la matière mais de la forme. Et cette forme
est substantiellement l’âme elle-même ; en second lieu elle est la forme du
corps, c’est-à-dire l’organisation intime que l’âme assume au moment de la
conception par les parents. Cette forme organique ne subsiste dans son
organisation que par la vertu de l’âme. À la mort, elle se décompose avec le
corps.
Ceci posé, pour comprendre de quelle manière la résurrection
permet à l’âme d’assumer le vrai corps de l’homme, il suffit d’affirmer deux
choses : 1° Il faut que la forme
substantielle soit la même. Il faut donc que ce soit la même âme. D’ailleurs,
l’âme ne peut en aucune manière assumer un autre corps que le sien puisqu’elle
est créée par Dieu en vue de tel corps préparé par les parents dans l’acte de
génération. 2° Il faut en outre que
l’âme soit unie au même corps. C’est pourquoi, puisque ce qui commande au plan
physique tout l’ordre de cette structure organique est le programme génétique,
c’est que celui-ci est reconstitué par Dieu et ses serviteurs les anges.
Celle-ci est source de la même structure organique : deux bras, deux jambes
etc.
Solution 4 :
De même que la qualité simple n’est pas la forme substantielle de
l’élément ou corps simple, mais sa propriété et la disposition qui rend la
matière apte à telle forme, de même la forme qui résulte de l’équilibre des
qualités simples n’est pas la forme substantielle du corps composé, mais une
propriété et une disposition à la forme substantielle. Celle-ci, pour le corps
humain, est l’âme raisonnable elle-même. En effet, si l’on admettait une forme
substantielle préalable, elle donnerait au corps humain son être substantiel,
en ferait une substance ; et l’âme ne jouerait plus vis-à-vis de lui que le
rôle d’une forme artificielle et son union avec lui ne serait plus
qu’accidentelle, ce qui est l`erreur des anciens philosophes réfutée par
Aristote, dans son Traité de l’âme.
Il s’ensuivrait aussi que les termes qui désignent le corps et ses divers
organes pendant et après leur union avec l’âme, ne seraient plus de purs
homonymes, comme le dit cependant Aristote. Donc, du moment que l’âme
raisonnable subsiste, aucune forme substantielle du corps humain ne tombe dans
le néant. Quant aux formes accidentelles, elles peuvent varier dans une
certaine mesure sans compromettre l’identité foncière. Ainsi, s’il est
nécessaire pour que le corps ressuscité soit le même, que sa racine qui est son
organisation biologique profonde soit la même, il n’est pas nécessaire qu’il
existe sous le mode biologique actuel.
Solution 5 :
Notre âme,
notre esprit et les acquis de notre histoire qui sont gardés dans notre mémoire
sensible font notre personne dans sa partie la plus essentielle puisqu’elle
choisi notre destin éternel. C’est pourquoi, tout cela est conservé et non
détruit avec la mort. Nous avons montré que Dieu a créé l’âme de telle manière
qu’elle permette la survie non seulement de l’esprit mais de la vie sensible,
malgré la mort du corps et de l’organe du cerveau. C’est pourquoi il n’y a pas
de résurrection du psychisme mais seulement de la chair[1644],
c’est-à-dire de la partie végétative de notre être, qui cependant ne gardera
plus dans l’autre monde un mode de vie végétative. C’est donc le corps, dans
son identité et non dans son mode d’exercice qui doit ressusciter. L’identité
de notre corps vient de l’âme, mais d’une manière cependant insuffisante : il
existe un support fondamental qui demeure toujours, depuis notre conception à
notre mort et dont certains éléments essentiels constituent notre
individualité. C’est pourquoi, selon mon opinion, ce qui dans notre chiffre
biologique est essentiel à notre individuel ressuscitera, doté cependant d’un
nouveau mode de stabilité qui ne sera plus biologique mais porté par l’âme
spirituelle.
Objection 1 :
« Dans une nature incorruptible sujette au
changement, ce n’est jamais le même individu qui reparaît », dit Aristote. Or,
telle est la condition présente de l’homme. Donc, après le changement apporté
par la mort, ce n’est pas le même homme qui revivra.
Objection 2 :
Avec deux humanités différentes, il est impossible d’avoir le même
homme. Socrate et Platon ne sont pas un seul et même homme mais deux hommes,
parce que leur humanité est différente. Or, l’humanité de l’homme vivant et
celle de l’homme ressuscité sont différentes. Donc ce n’est pas le même homme.
-Deux arguments prouvent la mineure. 1° l’humanité,
forme du composé humain, n’est pas, comme l’âme, une forme substantielle ; elle
tombe donc dans le néant, et c’est une autre qui lui succédera. 2° L’humanité résulte de l’union des
parties qui composent l’homme. Or, cette union sera nouvelle, ce sera une
seconde union, donc pas la même, ni la même humanité, ni le même homme.
Objection 3 :
Pour que l’homme soit le même, il faut que l’animal, en lui, soit
le même, et, pour cela, il faut que la sensibilité soit la même, puisque
l’animal se définit par la sensibilité tactile. Or, les sens ne demeurant pas
dans l’âme séparée, ce ne sera donc pas la même sensibilité qui reparaîtra ni
le même animal, ni le même homme.
Objection 4 :
La matière
de la statue est plus importante dans la statue que celle de l’homme dans
l’homme puisque les êtres artificiels sont substance par leur matière, tandis
que les êtres naturels le sont ; par leur forme. Mais, si une statue est
refaite avec le même airain, ce n’est plus la même statue. Donc, à plus forte
raison, même si l’homme est refait avec les mêmes cendres, ce ne sera plus le
même homme.
Cependant :
1° Job, parlant de la vision qui suivra la
résurrection, dit : « Moi-même je le verrai, moi-même et non un autre. » L’homme
ressuscité sera donc bien le même.
2° « Ressusciter, dit saint Augustin, ce n’est
pas autre chose que revivre. » Mais, si ce n’était pas le même homme qui était
mort et qui revient à la vie, on ne pourrait pas dire qu’il revit. Il n’y
aurait donc pas de résurrection : ce qui est contraire à la foi.
Conclusion :
La
résurrection est nécessaire pour que l’homme atteigne sa fin dernière, qu’il ne peut
atteindre ni en cette vie ni par la survivance de l’âme et du psychisme seuls.
En effet, l’homme aurait été créé avec un corps charnel en vain, s’il lui était
impossible d’atteindre la fin pour laquelle il a été créé. La même raison exige
que ce soit le même homme qui atteigne la fin pour laquelle il a été fait. Il
faut donc que l’homme ressuscité soit le même, et il sera le même par la
réunion de la même âme au même corps. Il n’y aurait pas vraiment résurrection,
si l’homme qui revit n’était pas le même. Nier cette identité est donc
hérétique, parce que contraire à la vérité de l’Écriture qui enseigne la
résurrection.
Solution 1 :
Aristote parle de la réapparition causée par un mouvement
ou changement naturel. En effet, il montre la différence qui existe entre le
mouvement de translation qui ramène le Ciel, identique à son point de départ,
et le mouvement de génération qui, dans les êtres corruptibles, ramène la même
espèce, mais dans des individus différents l’homme, par exemple, engendre un
homme, mais différent de lui-même ; ou encore, le feu engendre l’air, qui
devient eau, qui devient terre, qui devient feu, mais un feu différent du
premier. Cet argument est donc étranger à la question.
On pourrait dire encore que, parmi toutes les formes des
êtres corruptibles, l’âme raisonnable seule subsiste par soi : l’être qu’elle
avait inauguré dans le corps charnel, elle le conserve après sa séparation
d’avec le corps charnel, et y fera participer le corps charnel à la
résurrection ; puisque, dans l’homme, l’âme et le corps n’ont qu’un seul être,
autrement, leur union serait accidentelle. L’être substantiel de l’homme ne
subit donc jamais cette interruption qui empêcherait l’identité humaine avant
et après elle ; tandis que l’interruption de l’être est complète dans les
autres choses, dont la forme est abolie et dont la matière passe à un autre
être
Ajoutons que la génération humaine ne
saurait aboutir à l’identité numérique. Le père, en effet, contribue seulement
à former un nouveau corps, qui possède sa matière à lui, son âme à lui, et
constitue donc un autre homme.
Solution 2 :
Au sujet de l’humanité, forme du
composé humain, et de toute forme d’un composé quelconque, il y a deux
opinions. Les uns disent que la même réalité est forme de la partie, en achevant
sa matière, et forme du tout, en lui donnant sa nature spécifique. D’après
cette opinion, la réalité qui correspond à l’humanité, c’est l’âme raisonnable
elle-même ; et comme l’homme ressuscité aura la même âme, il aura donc aussi
la même humanité. - L’opinion d’Avicenne est différente et semble plus vraie.
D’après lui, la forme du composé ne peut être ni celle d’une seule partie, ni
une forme qui ne soit pas celle d’une partie ; mais c’est un tout, résultant de
l’union de la forme avec la matière et comprenant l’une et l’autre. Dès lors,
puisque le ressuscité aura la même âme et le même corps, il aura donc la même
humanité. - L’argument supposait que l’humanité était une forme nouvelle,
surajoutée à la forme et à la matière : ce qui est faux.
La seconde preuve de la mineure n’est
pas plus concluante. L’union (de l’âme et du corps) désigne une action ou
passion ; mais le fait que celle-ci n’est pas la même n’empêche pas que
l’humanité ne le soit. En effet, cette action ou passion ne fait pas partie de
l’essence de l’humanité qui résulte d’elle. La génération et la résurrection
ne sont évidemment pas un seul et même mouvement, ce qui n’empêche pas le
ressuscité d’être le même. Verra-t-on dans l’union la relation même entre le
corps et l’âme ? Mais cette relation ne constitue pas l’humanité, elle l’accompagne.
L’humanité, en effet, n’est pas la forme d’un être artificiel, qui consiste
simplement dans l’assemblage et l’ordonnance, lesquels, en se renouvelant, font
un être nouveau, par exemple, une nouvelle maison.
Solution 3 :
Nous avons vu que les puissances et
les actes des puissances sensibles demeurent dans l’âme séparée. Mais même s’il
n’en était pas ainsi, il n’y aurait pas de difficulté pour dire que l’homme
ressuscité serait le même. En effet, dans l’homme, l’âme sensitive et l’âme
raisonnable ne sont pas deux âmes distinctes mais deux effets de la seule âme ;
Après la mort, l’âme sensitive humaine demeure substantiellement, comme l’âme
raisonnable elle-même. Certains n’admettent pas que les puissances sensitives
demeurent. Mais, puisqu’elles ne sont que des propriétés accidentelles, leur
défaut d’identité ne porte aucun préjudice à l’identité de l’animal considéré
dans son ensemble ni même à celle de ses parties organiques les puissances, en
effet, ne sont des perfections ou actes des organes que comme principes
d’action, comme la chaleur dans le feu.
Solution 4 :
Tout au long de la vie terrestre, la
matière qui compose le corps de l’homme ne cesse de changer et d’être
remplacée par une autre matière assimilée par nutrition. Or c’est le même homme
qui vit lorsqu’il a 5 ans ou lorsqu’il à 30 ans. Ceci manifeste que même si,
lors de la résurrection, Dieu utilise une autre matière que les cendres issues
de la décomposition, il peut donner à l’homme un corps substantiellement
identique. C’est pourquoi l’on doit concéder avec l’objection, que les êtres
naturels sont substantiellement les mêmes par leur forme.
L’identité du corps se prend davantage de la forme que de la
matière. Il n’est pas requis pour que le corps soit le même, qu’il reprenne
exactement les mêmes éléments matériels qui ont jadis servi. Si Dieu se sert de
certains éléments recueillis parmi les cendres du corps décomposé, c’est
uniquement pour une raison de convenance afin que l’identité du corps
ressuscité soit clairement manifestée à tous. Par contre, l’utilisation d’une
matière préexistante pour façonner le corps ressuscité est absolument nécessaire
puisqu’il s’agit d’un corps matériel et non d’un corps spirituel ou même
psychique comme le pensaient certains qui interprétaient mal les écrits de
saint Paul. C’est pour nous éviter cette erreur que Jésus s’est non seulement
laissé voir par ses disciples mais aussi toucher par Thomas ; il a mangé avec
eux pour leur montrer que son corps quoique doué de nouvelles propriétés
mystérieuses était un véritable corps matériel.
Nous avons à étudier maintenant
l’intégrité du corps ressuscité. On se demande si :
1° Tous les membres du corps humain
ressusciteront ?
2° Tout ce qui, dans le corps de l’homme fut
vraiment humain ressuscitera ?
Objection 1 :
La disparition de la fin entraîne
celle du moyen. Or, la fin des membres, c’est leur acte. Dès lors, certains actes n’avant plus à
être produits, les membres qui leur correspondent ne ressusciteront donc pas,
puisque la providence ne fait rien d’inutile. Ainsi doit-il en être des organes
de la vie végétative, reproduction et nutrition.
Objection 2 :
Le corps
doit ressusciter afin d’être récompensé ou puni pour le bien ou le mal que
l’âme accomplit par lui. Mais, la main coupée à un voleur, repentant ensuite et
sauvé, ne peut être ni récompensée du bien auquel elle n’a pas coopéré, ni
punie du mal qu’elle a fait et dont la punition atteindrait l’homme lui-même.
Tous les membres ne ressusciteront donc pas.
Cependant :
« Les œuvres de Dieu sont parfaites. » Or la résurrection sera l’œuvre de Dieu.
L’homme en sortira donc parfait en tous ses membres.
Conclusion :
L âme dans
ses relations avec le corps, n’est pas seulement cause formelle et finale, mais
encore cause efficiente. Il y a donc entre elle et lui les mêmes rapports
qu’entre l’art et l’œuvre d’art : tout ce que celle-ci manifeste et développe,
celui-là le contient en germe et en est le principe. De même, tout ce qui se
révèle dans les parties du corps a son origine dans l’âme, qui le possède, pour
ainsi dire, implicitement. L’œuvre d’art serait imparfaite, s’il lui manquait
quelque détail que l’art avait prévu ; L’homme, lui aussi ne saurait être
parfait si toute la virtualité de l’âme ne s’épanouissait pas dans le corps,
s’il n’y avait pas pleine correspondance entre l’un et l’autre. Dès lors, comme
la résurrection doit établir ce parfait accord, le corps ne devant ressusciter
que parce qu’il est fait pour l’âme raisonnable, il faut donc que rien ne
manque à l’homme ressuscité et qui ressuscite pour atteindre sa perfection
suprême ; il faut donc que tous les membres qu’il possède actuellement
ressuscitent avec lui.
Solution 1 :
Les membres peuvent être considérés comme la matière dont l’âme
est la forme ou comme l’instrument dont elle se sert ; la comparaison est, en
effet, la même entre le corps tout entier et l’âme tout entière qu’entre les
parties de l’un et celles de l’autre. Considéré comme matière, la fin d’un
membre n’est pas l’opération, mais plutôt la perfection spécifique, que la résurrection
doit respecter. Considéré comme instrument, sa fin, c’est l’opération. Mais,
même alors, quand l’opération cesse, il ne s’ensuit pas que l’instrument perde
toute utilité, car il peut servir à manifester, sinon l’activité, du moins la
puissance d’agir. Ainsi, les puissances de l’âme dont l’énergie, sinon
l’activité, se manifestera par les organes corporels, comme une louange à la
Sagesse du créateur.
Solution 2 :
À
proprement parler, les actes méritoires n’appartiennent ni à la main ni au pied
mais à l’homme tout entier ; de même que l’œuvre d’art n’est pas attribuée à la
scie mais à l’ouvrier, comme à son principe. C’est donc l’homme tout entier qui
ressuscite, tel qu’il est dans sa nature spirituelle, psychique et corporelle.
Objection 1 :
Les aliments, par l’assimilation, deviennent quelque chose de
vraiment humain. Or, la chair du bœuf sert d’alimentation. Elle devrait donc
ressusciter.
Objection 2 :
Les mêmes éléments peuvent avoir vraiment appartenu à différents
corps humains, par exemple, dans le cas d’anthropophagie. Il est cependant
impossible qu’ils se retrouvent en chacun d’eux, après la résurrection.
Objection 3 :
Comment résoudre les deux cas vraiment étranges, et d’ailleurs
purement hypothétiques, de l’enfant dont le père se serait nourri exclusivement
de chair humaine ou, qui pis est d’embryons humains ?
Objection 4 :
Le corps
humain n’est pas le fruit de son seul patrimoine génétique. Il est aussi le
fruit d’une histoire, d’une éducation et d’actes libres posés au cours d’une
vie. C’est pourquoi des jumeaux homozygotes peuvent devenir physiquement très
différents.
Cependant :
S’il
manquait au corps quelque chose, qui, en lui, appartint vraiment à la nature
humaine, il serait imparfait. Or, la résurrection doit, au contraire, remédier
à toutes les imperfections, surtout dans les élus : « Pas un cheveu de votre
tête ne se perdra », dit Jésus.
Conclusion :
Toute
chose est vraie dans la mesure où elle est être. En effet, une chose est vraie
quand elle est en elle-même, en acte, telle qu’elle est en celui qui la
connaît. Ce qui fait dire à Avicenne : « La vérité de toute chose est une
propriété de son être, tel qu’il lui a été fixé. » Dès lors, une chose est
vraiment humaine, appartient à la vérité de la nature humaine, quand elle
appartient proprement à l’être de la nature humaine, quand elle participe à la
forme de la nature humaine : de l’or vrai, c’est celui qui possède la vraie
forme de l’or, qui lui donne de posséder l’être propre à l’or.
La question reste de savoir ce qui appartient vraiment à la nature
du corps humain. La science montre que dès le premier instant de la conception,
tout ce qui appartient vraiment et essentiellement au corps de l’enfant est
communiqué par les parents. Ainsi, le chiffre biologique du nouvel homme conçu,
porté dans ses gènes, contient en germe tout ce que sera son corps par la
suite. Ce principe matériel se multiplie par lui-même, par division cellulaire
pour aboutir, par étapes, à l’être humain adulte. En conséquence, la matière
apportée par la nutrition et qui sert à la croissance et à la conservation du
corps ajoute quelque chose qui n’est pas premièrement humain, (et qui consiste
dans le chiffre biologique de chacun) mais quelque chose de secondairement
humain. Cette matière surajoutée ne demeure pas identique à elle-même durant
toute la vie mais elle est soumise à un flux constant quant à ce qu’elle a de
matériel. En conséquence, on doit dire ceci à propos de la résurrection qui
doit rétablir le corps humain selon ce qu’il est substantiellement :
1° Il est essentiel que le principe
constitutif de l’individu corporel, communiqué par les parents et qui amène
par multiplication le corps sa perfection, ressuscite. C’est pourquoi on doit
affirmer que l’homme retrouvera son corps selon son chiffre biologique
individuel. Il faut cependant remarquer que tout, dans le domaine génétique n’a
pas le même rapport à l’essence du corps humain réalisée dans un être
individuel. On doit trouver une distinction dans les gènes.
Certains
gènes déterminent des fonctions essentielles, communes à tous les hommes, donc
liés à la définition même de l’homme, comme par exemple le développement d’un
organe ou d’un membre. Ces gènes là demeurent.
D’autres
sont communs à tous les hommes mais uniquement de manière provisoire, compte
tenu de l’étape terrestre de la purification. Ainsi, la nécessité de mourir est
programmée d’après l’Écriture à 120 ans. Le renouvellement des cellules est
déterminé à se ralentir en proportion de l’âge. De tels gènes ne seront plus
actifs. Leur utilité ne sera plus.
D’autres
gènes déterminent la qualité propre à tel individu, ce qui le distingue des
autres hommes qui portent la même nature. Par exemple, la couleur des yeux, la
forme du visage, les racines de son tempérament et toutes ces qualités
accidentelles qui font une personne unique. Ceux-là aussi doivent être
refaçonnés puisqu’ils appartiennent en propre à l’individu.
D’autres enfin sont liés à des erreurs et des dégradations de la
nature humaine au cours des générations. Il s’agit des mutations génétiques
dues au hasard de la division cellulaire et qui affectent le patrimoine
héréditaire transmis aux enfants. Elles ne demeureront pas. Il leur sera
apporté remède par Dieu lors de la résurrection de telle façon qu’il ne
subsiste dans l’au-delà aucune tare génétique. Tous les handicaps génétiques
disparaîtront.
2° Le corps humain se développe et se
renouvelle grâce à la nutrition qui lui apporte chaque jour une certaine quantité
de matière. Ces éléments qu’il doit à la nutrition ne
ressusciteront pas en totalité, étant secondaires, mais dans la mesure
nécessaire à la quantité qu’il doit avoir. Ils ressusciteront pour former
toutes les parties de l’individu, la chair, les os et tous les autres tissus
propres au corps humain, dont le Seigneur a clairement montré la présence à ses
disciples après sa propre résurrection. Car la chair et les os appartiennent
vraiment et également à la nature humaine, quant à leur forme spécifique, car,
à ce point de vue, elles demeurent, mais non quant à leur matière, car, à ce
point de vue, elles sont soumises au changement. Il en est du corps humain
comme d’une cité. Certains citoyens, enlevés par la mort, sont remplacés par
d’autres, de telle sorte que les individus changent individuellement, mais
demeurent formellement, en ce sens que les mêmes fonctions et les mêmes
places, laissées vides par les uns, sont occupées par d’autres, et la société
conserve son unité et son identité. De même, des parties semblables se
substituent à d’autres dans le corps humain les éléments matériels changent,
mais la forme spécifique demeure et l’on a donc toujours identiquement le même
homme.
Solution 1 :
Les êtres sont ce qu’ils sont par leur forme et non par leur
matière. Quand les éléments matériels, qui furent d’abord dans le bœuf et
ensuite dans l’homme, ressusciteront en celui-ci, ce ne sera pas de la chair
bovine mais de la chair humaine qui ressuscitera. On pourrait tout aussi bien
conclure à la résurrection du limon, c’est-à-dire sans doute de la nature
animal préexistante, dont fut formé le corps d’Adam.
Solution 2 :
La matérialité de l’élément n’est pas essentielle pour que
ressuscite le vrai corps de chacun. Ce qui est essentiel, c’est que la forme
génétique de chacun soit rendue dans ses aspects fondamentaux. La question est
donc sans objet.
Solution 3 :
Le premier
et deuxième cas ont été résolus par ce qui a été dit. Quant au cas de l’enfant
atteint de mongolisme ou de toute autre tare génétique aussi grave, il semble
que l’on doit dire ceci : ou bien le chromosome supplémentaire ne fait pas
partie essentiellement de sa nature corporelle et dans ce cas il ne
ressuscitera pas. Ou bien -et cela parait théologiquement plus probable- il en
fait partie et, dans ce cas, il ressuscitera ; Mais ce caractère anormal ne
nuira en aucune manière à son bonheur puisque la vision de Dieu est donnée à
l’âme et non au corps. Quant à la présence au Ciel de ces êtres qui si souvent
ont été méprisés et rejetés sur la terre, elle manifestera à quel point est
vraie cette parole de l’Écriture[1648]
: « Béni sois-tu, Père, Seigneur du Ciel et de la terre, d’avoir caché ceci
aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux tout-petits. »
C’est ce
que Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus exprimait par ces mots[1649]
: « Longtemps, je me suis demandé pourquoi le Bon Dieu avait des
préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas un égal degré de grâce.
Je m’étonnais en le voyant prodiguer des faveurs extraordinaires aux saints qui
l’avaient offensé comme saint Paul, saint Augustin (…) Je me demandais pourquoi
les pauvres sauvages, par exemple, mouraient en grand nombre avant d’avoir même
entendu prononcer le nom de Dieu. Jésus a daigné m’instruire de ce mystère. Il
a mis devant mes yeux le livre de la nature et j’ai compris que toute les
fleurs qu’il a créées sont belles, que l’éclat de la rose et la blancheur du
lys n’enlèvent pas le parfum de la petite violette ; (…) J’ai compris que
l’amour de Notre Seigneur se révèle aussi bien dans l’âme la plus simple qui ne
résiste en rien à sa grâce que dans l’âme la plus sublime. En descendant ainsi,
le Seigneur montre sa grandeur infinie. »
Solution 4 :
Nous
traitons dans cette question du retour de la chair, c’est-à-dire de la partie
végétative de l’homme, celle qui a subi la mort. Les autres choses citées
façonnent certes l’individualité du corps humain. Mais ils n’ont pas à
ressusciter puisqu’ils sont conservés intacts après la mort par l’âme. Nous
avons montré que l’esprit et le corps psychique ne disparaissaient pas avec le
corps charnel[1650].
À la résurrection, ils assumeront naturellement le corps rendu parfait et lui
donneront cette individualité dont parle l’objection. C’est ainsi que, dans
l’hypothèse, de deux jumeaux homozygotes, dont l’un aurait choisi l’enfer et
l’autre la vision de Dieu, le corps prendra une individualité très différente.
Il sera rendu aussi parfait à l’un qu’à l’autre. Mais chez le premier, il sera
immédiatement contaminé par la lourdeur et la difformité de l’âme, par un
phénomène de somatisation venant des passions mauvaises. Chez le second, il
sera assumé par l’âme glorifiée et transfiguré jusqu’à des propriétés qui
dépasseront sa nature.
Nous avons
à considérer maintenant les qualités naturelles des corps après la
résurrection, qualités qui seront communes aux damnés comme aux élus.
On se demande :
1° Les ressuscités seront-ils immortels ?
2° Le corps ressuscité aura t-il besoin de se
nourrir ?
3° Le corps des ressuscités sera t-il sexué ?
4° Les ressuscités auront-ils entre eux des
actes sexuels ?
5° Tous les ressuscités auront-ils le même
âge, celui de la pleine jeunesse ?
Objection 1 :
Cela ne semble pas. Le corps humain est par nature mortel
puisqu’il porte en lui, dans son chiffre biologique, sa durée, selon la parole
de la Genèse[1651]
: « L’homme n’est que chair, sa vie ne sera que de 120 ans. » Or c’est
le même corps qui doit ressusciter. Donc il portera aussi en lui la capacité de
mourir.
Objection 2 :
Dans le paradis terrestre, l’immortalité du corps venait d’une
grâce de Dieu qu’on appelle grâce originelle et surtout de la promesse d’une
assomption. Or les damnés ne participeront à aucune grâce divine. Il semble que
ceux là au moins doivent mourir.
Objection 3 :
L’intention
de la nature inférieure, dans son action tend à la perpétuité. Toutes les
actions d’une nature inférieure sont ordonnées à la génération, celle-ci ayant
pour fin de sauvegarder la perpétuité de l’espèce. La nature ne considère donc
pas tel individu comme sa fin suprême ; ce qu’elle considère en lui, c’est la
conservation de l’espèce. Cela, la nature le fait en tant qu’elle agit par le
pouvoir de Dieu, racine première de la perpétuité. La fin de la génération,
telle que l’expose le Philosophe est de faire participer les êtres au divin. Si
l’immortalité est une propriété de l’espèce, il n’est pas nécessaire que les
individus de cette espèce ressuscitent et demeurent éternellement.
Cependant[1652]
:
L’effet
prend la ressemblance de sa cause. Or la résurrection du Christ est cause de la
résurrection à venir. Si donc le Christ est ressuscité de telle manière qu’il
ne doit plus mourir, -le Christ ressuscité des morts ne meurt plus[1653]-,
les hommes ressusciteront tels qu’ils ne mourront plus.
Conclusion :
À la
résurrection, les hommes ressusciteront tels qu’ils n’auront plus de nouveau à
mourir. La nécessité de mourir est une déficience qui affecte la nature humaine
comme conséquence du péché. Or le Christ, par le mérite de sa passion a réparé
les déficiences que cette nature avait contractées en fonction du péché. C’est
ce que dit l’apôtre dans l’épître aux Romains : « Il n’en va pas du don
comme de la faute ; si par la faute d’un seul, beaucoup sont morts, bien plus
la grâce de Dieu, dans la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ, a-t-elle abondé
en beaucoup. » Autrement dit, le mérite du Christ peut abolir plus
efficacement la mort que le péché d’Adam ne pouvait y entraîner. Ceux donc qui
par le mérite du Christ ressusciteront libérés de la mort, n’en seront jamais
plus victimes.
En outre,
ce qui doit durer pour toujours n’est pas sujet à destruction. Si donc les
hommes en ressuscitant avaient encore à mourir, de telle sorte que la mort
durerait toujours, celle-ci ne serait aucunement détruite par la mort du
Christ. Or elle a été détruite, dans sa cause au moins pour le moment, selon la
parole du Seigneur rapportée par Osée : « O mort, je serai ta mort. » Détruite,
elle le sera finalement en fait, selon cette autre parole de la première Epître
aux Corinthiens : « En dernier lieu, la mort sera détruite. » Il faut
donc tenir, avec la foi de l’Église, que les ressuscités ne mourront plus.
Quant à la
cause de cette immortalité des corps ressuscités, qui sera commune aux élus
comme aux damnés, elle viendra en premier lieu de Dieu puisque Dieu seul peut
communiquer aux êtres la perpétuité. Et son action rendra l’âme humaine apte à
assumer le corps en plénitude de telle manière qu’elle lui communique un
nouveau mode d’exercice. Surélevée par Dieu dans sa puissance naturelle, l’âme
deviendra forme parfaite du corps et elle assumera toutes les virtualités de la
matière à tel point qu’aucune corruption ne pourra s’introduire dans l’ordre de
sa constitution. En ce sens, on peut dire que le corps des ressuscités est
absolument impassible.
L’âme deviendra parfaitement acte du corps de telle manière qu’il
ne sera plus nécessaire que celui-ci reçoive un complément de nourriture
extérieure pour se maintenir dans sa vitalité. Toute cause de corruption ou
d’usure supprimée par l’âme, à cause de sa seule vitalité. Le corps participera
à l’immortalité de l’âme qui est source de sa vie, L’homme ressuscité ne sera
donc pas immortel pour la raison qu’il aura repris un autre corps incorruptible,
mais parce que ce corps, qui est maintenant corruptible, deviendra
incorruptible. Quant à la convenance te cette immortalité, chez les bons comme
chez les mauvais, on peut en donner trois raisons :
1° La première vient de la fin même de la
résurrection. Les bons comme les mauvais ressusciteront pour recevoir dans leur
propre corps la récompense ou le châtiment de ce qu’ils auront fait durant leur
vie terrestre. La récompense des bons, la béatitude, sera éternelle ; éternelle
également la peine due au péché mortel. Il faut donc que les corps des uns et
des autres soient incorruptibles.
2° Une deuxième raison peut se tirer de la
cause formelle de la résurrection. On l’a dit déjà, c’est pour ne point
demeurer éternellement séparée que l’âme reprendra un corps à la résurrection.
Aussi bien, puisque c’est en vue de la perfection de l’âme que celle-ci
recouvre un corps, convient-il que ce corps connaisse la condition qui est
propre à l’âme. Or l’âme est incorruptible. On doit en conclure qu’il lui sera rendu
un corps incorruptible.
3° La troisième raison est à prendre du côté
de la cause efficiente. Dieu qui restaurera pour la vie les corps déjà
corrompus, pourra à plus forte raison donner à ces corps de conserver pour
toujours la vie qui leur sera rendue. C’est ainsi, à titre de figure, qu’il a
conservé intacts, quand il l’a voulu, des corps pourtant corruptibles, tels
ceux des trois enfants dans la fournaise[1654].
Solution 1 :
Ici bas, le corps humain est disposé de l’intérieur par Dieu pour
qu’il devienne au terme d’un certain nombre d’année inadapté à l’action de
l’âme qui l’informe. Ainsi voit-on la division cellulaire se ralentir avec
l’âge jusqu’à devenir incapable de rétablir ce qui est usé dans le corps. Mais
une telle déficience ne fait pas partie de la substance du corps humain. Elle
est une condition de son mode d’exercice qui est temporaire et ne demeurera pas
après la résurrection. Dans l’au-delà, le corps subsistera semblable à lui-même
et échappera au devenir permanent lié aux divisions cellulaires et à la
nutrition. Il trouvera sa vitalité dans l’âme seule. Ce sera pourtant le même
corps qu’ici-bas, selon ce qui lui est essentiel. Mais on devine la radicale
différence de l’exercice de la vie végétative.
Solution 2 :
Certaines grâces divines ont pour objet direct la vie surnaturelle
: telles la grâce habituelle, la grâce actuelle ou, dans l’au-delà, la lumière
de gloire. Les damnés n’auront aucune part à ce type de grâces puisqu’ils les
rejetteront éternellement. D’autres grâces divines sont données pour le
maintient de la vie naturelle. Elles le sont à tout homme, les bons comme les
mauvais selon cette parole[1655]
: « Dieu fait briller son soleil pour tous, les bons comme les méchants. » La
grâce de l’immortalité qui accompagnera les corps ressuscités sera de celles
là.
Solution 3 :
La
résurrection n’a pas pour fin la perpétuité de l’espèce. Celle-ci peut-être
assurée par la génération. Il faut donc qu’elle ait pour fin la perpétuité de
l’individu, perpétuité qui n’est pas à concevoir du côté de l’âme, puisque
l’âme l’avait déjà avant la résurrection, perpétuité qui est donc à concevoir
du côté du composé. L’homme ressuscité vivra donc perpétuellement.
Objection 1 :
Adam, qui était en possession d’une vie immortelle avant son
péché, eut, en cet état, besoin de se nourrir et d’entretenir des rapports
charnels ; c’est avant le péché qu’il lui a été dit : Croissez et
multipliez-vous, et encore : Mangez de tout arbre qui est dans le jardin.
Objection 2 :
Le Christ lui-même a mangé et bu après sa résurrection. Lorsqu’il
eut mangé, devant ses disciples, nous dit saint Luc, « prenant ce qui
restait, il le leur donna. » Saint Pierre dit également, dans les Actes : «
Ce Jésus Dieu l’a ressuscité le troisième jour et lui a donné de se faire
voir, non à tout le peuple mais aux témoins choisis d’avance par Dieu, à nous
qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. »
Objection 3 :
Il existe encore certains textes qui semblent promettre à l’homme,
pour cet état futur, l’usage des aliments. « Le Seigneur des armées,
lit-on en Isaïe, préparera pour tous les peuples sur la montagne un festin
de viandes grasses et de vin pris sur la lie. » Qu’il faille entendre ce
passage de l’état des ressuscités, la suite le montre clairement : « Il
détruira la mort pour toujours et le Seigneur essuiera toutes les larmes de
tous les visages. » On lit encore en Isaïe : « Voici que mes serviteurs
mangeront et vous, vous aurez faim ; voici que mes serviteurs boiront et vous,
vous aurez soif. » Que ceci se rapporte à l’état de la vie future, ce qui
suit le montre clairement : « Voici que je vais créer des cieux nouveaux et
une terre nouvelle. » Le Seigneur dira aussi, au chapitre 24 de saint
Matthieu : « Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au
jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père » ; et
encore, en saint Luc : « Et moi, je vous prépare un royaume, comme mon Père
me l’a préparé, afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume. » L’Apocalypse
nous dit encore que de chaque coté du fleuve, dans la cité des Bienheureux, il
y aura des arbres de vie qui donneront douze fois leurs fruits et aussi : « Je
vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus ;
ils eurent la vie et régnèrent avec le Christ pendant mille ans. Les autres
morts n’eurent point la vie, jusqu’à ce que les mille ans fussent écoulés. » Tout
ceci semble bien confirmer l’opinion dont nous avons parlé.
Objection 4 :
L’homme ressuscitera avec tous ses organes : il exercera donc les
fonctions auxquelles ils sont destinés.
Objection 5 :
L’homme tout entier doit être béatifié, dans son âme et dans son
corps. Or, la béatitude consiste en une action parfaite. Chez les bienheureux,
les puissances de l’âme et les organes du corps ne seront donc pas inactifs.
Objection 6 :
La
béatitude est un état rendu parfait par la somme totale de tous les biens ;
Parfait, c’est-à-dire que « rien n’y manque. » Les plaisirs du corps n’y
feront donc pas défaut.
Cependant :
Les
fonctions végétatives de la nutrition et de la respiration ont pour but la
conservation de l’individu. Or, après la résurrection, l’âme sera par sa propre
puissance cause de la conservation du corps. Donc ces fonctions seront
inutiles.
Conclusion :
Ce qu’on
vient de dire montre comment les ressuscités n’auront plus besoin de se nourrir
et de respirer, c’est-à-dire d’assimiler un élément extérieur qui vient
remédier à la perte d’énergie de tout corps tel qu’il fonctionne ici-bas. La
vie corruptible évacuée, ce qui est au service de cette vie devra être
nécessairement évacué. Or il est évident que l’usage de la nourriture et de
l’air sont au service de la vie corruptible ; si nous prenons de la nourriture
en effet, c’est pour éviter la corruption que pourrait entraîner l’épuisement
et pour assurer la croissance ; ce qui n’aura plus de raison d’être, après la
résurrection, puisque tous les hommes ressusciteront avec la quantité qui leur
est due.
Solution 1 :
La première objection, à propos d’Adam, n’a aucune portée. Adam en
effet a joui d’une certaine perfection personnelle. Mais la nature humaine
n’était pas arrivée à une totale perfection, le genre humain ne s’étant pas
encore multiplié. Adam fut donc établi dans le degré de perfection qui
convenait au chef du genre humain. Aussi bien fallait-il, pour la
multiplication du genre humain, qu’il engendrât, et pour cela qu’il se nourrit.
La perfection des ressuscités, elle, ne sera acquise qu’une fois la nature
humaine parvenue à sa totale perfection, le nombre des élus étant désormais
complet. Aussi il n’y aura place ni pour la génération, ni pour l’usage
d’aliments. C’est pourquoi l’immortalité et l’incorruptibilité des ressuscités
seront telles qu’ils ne pourront plus mourir et que rien ne pourra plus se
désagréger de leur corps. Adam, lui, était immortel de telle manière qu’il
pouvait ne pas mourir s’il ne péchait pas, qu’il pouvait au contraire mourir
s’il péchait. Son immortalité était capable de se conserver, non point en ce
sens que rien ne se désagrégerait de son corps, mais en ce sens qu’il pouvait
compenser la décomposition de l’humeur naturelle par l’absorption de
nourriture, et qu’ainsi son corps ne put se corrompre peu à peu.
Solution 2 :
Quant au Christ, il faut dire qu’après sa résurrection il mangea
non point par nécessité, mais pour prouver la vérité de cette résurrection. La
nourriture ne fut pas alors convertie en sa chair, mais réduite en la matière
préjacente. La résurrection commune ne connaîtra pas cette raison de manger.
Solution 3 :
Les textes
d’Écriture qui paraissent promettre l’usage des aliments après la résurrection
doivent être interprétés dans un sens spirituel. La Sainte Écriture nous
propose en effet les réalités intelligibles sous des comparaisons sensibles
pour que notre esprit, selon le mot de saint Grégoire le Grand, apprenne à
aimer ce qu’il ne connaît pas à partir de ce qu’il connaît. De cette manière,
la joie que donne la contemplation de la sagesse, et l’assimilation de la
vérité par notre intelligence sont d’ordinaire décrites par la sainte Écriture
sous le symbolisme de la nourriture. Au Livre des Proverbes, il est dit de la
Sagesse : « Elle a mêlé son vin et dressé la table. Elle a dit à ceux qui
sont dépourvus de sens : venez, mangez de mon pain et buvez du vin que j’ai
mêlé pour vous. » Il est dit aussi dans l’Ecclésiastique : « Elle le
nourrira du pain de la vie et de l’intelligence, elle l’abreuvera de l’eau de
la sagesse salutaire. » De cette même sagesse, les Proverbes nous disent
encore : « Elle est un arbre de vie pour ceux qui l’auront saisie ; qui s’y
sera attaché, est heureux. » Les textes allégués n’obligent donc pas à dire
que les ressuscités auront à se nourrir.
Les
paroles du Seigneur, citées au chapitre 24 de saint Matthieu peuvent aussi
s’entendre autrement, en référence au repas pris par le Christ avec ses
disciples après la résurrection : le Christ boit le vin nouveau, c’est-à-dire
d’une nouvelle manière, non point par nécessité, mais comme preuve de sa
résurrection. Et il dit : « Dans le royaume de mon Père », parce qu’à la
résurrection du Christ, le royaume de l’immortalité a commencé de se
manifester.
Quant aux paroles de l’Apocalypse sur les mille ans et sur la
première résurrection des martyrs, il faut comprendre cette résurrection de la
résurrection des âmes ressuscitées du péché. C’est le sens de la parole de
saint Paul aux Ephésiens : « Lève-toi d’entre les morts et le Christ
t’illuminera. » Les mille ans signifient le temps de l’Église, au cours
duquel les Martyrs, ainsi que les autres saints, règnent avec le Christ, tant
dans l’Église d’ici-bas, appelée le royaume de Dieu, que dans la patrie céleste
en ce qui concerne les âmes. Le nombre de mille a le sens de perfection parce
que c’est un nombre cubique, et que le nombre dix, qui en est la racine, est
également, d’ordinaire, symbole de perfection. C’est donc une évidence que les
ressuscités ne s’adonneront ni à la nourriture et à la boisson, ni aux
activités charnelles.
Solution 4 :
Il ne faut pas considérer seulement les fonctions auxquelles sont
destinés les organes, mais encore l’élément de perfection que leur variété
apporte à la nature humaine, tant spécifique qu’individuelle.
Solution 5 :
Cette activité n’est pas humaine au sens propre et distinctif de
ce mot. Ce n’est donc point par elle que le corps sera béatifié ; il le sera
par son union à l’âme bienheureuse à laquelle il sera parfaitement soumis.
Solution 6 :
L’état de
vie meilleure étant une perfection immuable, il n’y aura plus besoin de la
nutrition. Si ces fonctions demeureront en puissance dans le corps des
ressuscités, leur exercice deviendra inutile. La vie des ressuscités ne sera
pas moins ordonnée que la vie présente : elle le sera même davantage, puisqu’à
l’une l’homme parvient par la seule action de Dieu et qu’il acquiert l’autre
avec la collaboration de la nature. Quant aux élus, ils n’auront plus besoin du
plaisir lié à la nutrition, qui ici-bas constitue un sain remède à la tristesse
selon le philosophe. L’attrait de ces plaisirs disparaîtra pour eux dans
l’intensité des joies de l’esprit, selon la parole du Christ[1657]
: « Ils seront comme des anges dans le Ciel. »
Objection 1 :
D’après le Seigneur : « les élus dans le Ciel seront comme des
anges. »[1658]
Or les anges n’ont pas de sexe. Donc il en sera de même pour les corps
ressuscités.
Objection 2 :
Dans l’autre monde, « il n’y aura plus de supériorité », dit la
glose ; La femme ne sera donc plus soumise à l’homme, et n’aura donc plus le
sexe qui rend la soumission naturelle.
Objection 3 :
L’existence d’organes sexuels n’a de sens que s’ils peuvent
s’exercer. Or, dans l’au-delà, il n’y aura plus de vie sexuelle. Donc il n’y
aura pas non plus de sexe.
Objection 4 :
L’apôtre
dit[1659]
: « Nous constituerons cet homme parfait, dans la force de l’âge, qui
réalise la plénitude du Christ. » Donc tous les êtres humains
ressusciteront avec le sexe masculin.
Cependant :
Après la
résurrection, le Christ est resté un homme : de même, après son assomption la
Vierge Marie est demeurée une femme. Et leur état nouveau est le modèle de ce
que nous serons nous-mêmes à la fin du monde. Donc on doit admettre que le
corps ressuscité sera sexué.
Conclusion :
Les sexes
féminin et masculin font partis du corps humain auquel ils donnent une qualité
essentielle à sa nature profonde. Il ne s’agit pas d’un accident provisoire
comme le fait que ce même corps est corruptible. L’humanité est créée homme et
femme de manière complémentaire, de telle façon qu’elle révèle en deux sujets
les deux pôles de l’amour : sa force et sa douceur. C’est dans l’union de ces
deux orientations de l’amour que peut naître la vie, l’éducation des enfants et
l’équilibre humain tout entier. Dieu lui-même se structure dans l’harmonie de
ces deux puissances complémentaires. Si donc le corps ressuscité doit être
essentiellement le même dans l’au-delà, il est nécessaire qu’il soit sexué de
la même façon qu’il l’a été sur la terre.
Solution 1 :
Les anges n’ont pas de sexe parce qu’ils n’ont pas de corps. Le fait
d’être asexué est donc essentiel à leur nature spirituelle. Cela ne veut pas
dire qu’ils soient incapables de vivre des valeurs féminines et masculines.
Mais ils agissent avec force ou avec douceur de leur propre intelligence et non
dans la confrontation avec un autre ange complémentaire. Lorsque le Seigneur
dit que les hommes seront comme des anges dans le Ciel, il ne veut pas entendre
que la nature de leur être sera changée au point qu’ils deviennent
ontologiquement des anges. Il veut manifester que la vie des élus sera
semblable à celle des anges puisqu’elle sera contemplative. Ils n’auront plus
besoin d’exercer entre eux une vie sexuelle puisque Dieu sera l’objet de toute
leur joie.
Solution 2 :
La femme
n’est pas inférieure à l’homme par nature mais à cause du péché originel qui a
développé dans le sexe masculin un instinct de domination, selon la Genèse[1660]
: « ton mari dominera sur toi », et chez la femme un besoin excessif de
sécurité et de tendresse : « Ton désir se portera sur ton mari. » Au
commencement, il n’en était pas ainsi. La femme et l’homme furent créés
complémentaires. La femme fut symboliquement faite de la côte d’Adam ce qui
signifie qu’elle devait lui apporter un achèvement pour son cœur qui est situé
tout contre les côtes.
Le Christ
par sa grâce, a supprimé l’infériorité de la femme[1661]
: « Il n’y a plus ni homme ni femme » sans pourtant faire
disparaître leur complémentarité naturelle que saint Paul exprime en donnant à
l’homme l’autorité par rapport à tout ce qui concerne la direction générale du
couple et à la femme une vocation de vitalisation intérieure du foyer.
Après la résurrection, cette complémentarité des hommes et des
femmes n’aura plus d’utilité en ce qui concerne la vie pratique ou sexuelle des
couples puisqu’il n’y aura plus de mariage. Mais elle demeurera dans l’ordre
général du monde nouveau dont les différences constitueront une perfection.
Solution 3 :
L’existence
d’un sexe féminin et masculin n’est pas seulement ordonnée chez l’être humain à
la reproduction, mais est finalisé aussi par la vie de l’esprit dont l’exercice
est modifié par la psychologie différente des hommes et des femmes. De même,
après la résurrection, même s’il n’existe plus d’exercice végétatif de la
sexualité, les hommes et les femmes exerceront leur activité spirituelle selon
les nuances psychologiques de leur féminité ou de leur masculinité.
Solution 4[1662]
:
Quant à la parole de l’apôtre dans l’Epître
aux Ephésiens : « jusqu’à ce que nous parvenions tous à ne plus faire qu’un
dans la foi et dans la connaissance du fils de Dieu, et à constituer cet homme
parfait, dans la force de l’âge, qui réalisera la plénitude du Christ », elle n’oblige
pas davantage à conclure dans ce sens. Elle ne veut pas dire que tous les
ressuscités qui s’en iront à la rencontre du Christ dans les airs possèderont
le sexe viril ; elle veut indiquer la perfection et la puissance de l’Église,
c’est-à-dire de l’humanité renouvelée. C’est l’Église tout entière qui sera
comme un homme parfait, allant à la rencontre du Christ, ainsi qu’il ressort du
contexte.
Objection 1 :
Les relations sexuelles sont source de plaisir. Or il ne doit rien
manquer au bonheur des élus, que ce soit pour leur corps ou pour leur âme. Donc
il semble que les élus au moins pourront avoir des relations sexuelles.
Objection 2 :
Le mariage n’est pas seulement ordonné à la génération et à
l’éducation des enfants mais aussi au bien des époux et à la croissance de leur
amour. De même, les relations sexuelles manifestent avec force dans les corps
l’union des âmes réalisée par l’amour. Or, dans le Ciel, les élus s’aimeront.
Il semble donc qu’ils pourront exprimer leur amour par des relations sexuelles.
Objection 3 :
Même chez les damnés, il semble qu’on doit admettre la possibilité
de relations charnelles. En effet, ils ressusciteront avec ces organes comme
nous l’avons montré et ils seront séparés de Dieu à cause de l’amour excessif
d’eux-mêmes, qui peut être incarné dans un amour désordonné du plaisir sexuel.
Donc, il semble qu’ils rechercheront en enfer ce plaisir sexuel.
Objection 4 :
La gloire
de Dieu se manifeste par l’apparition de nouveaux êtres humains. Or la
sexualité est ordonnée à la génération. Il semble donc que, dans l’au-delà, les
hommes continueront à exercer la sexualité qui permettra l’apparition de
nouveaux enfants pour Dieu.
Cependant :
Le
Seigneur dit[1663]
: « Vous êtes dans l’erreur, en ne connaissant ni l’Écriture, ni la
puissance de Dieu. À la résurrection, il n’y aura plus ni mari ni femme. On est
comme les anges dans le Ciel. »
Conclusion :
Le fait
que le corps ressuscité sera sexué n’implique pas qu’il doive exercer une
sexualité active. Et l’on peut comprendre cela à la fois chez les élus et les
damnés, à cause de l’état nouveau du corps ressuscité.
La sexualité sur la terre possède deux finalités qui se réunissent
dans le plaisir.
1° D’abord, elle exprime l’amour des époux.
L’union charnelle est comme un sacrement, c’est-à-dire comme le signe sensible
extérieur qui symbolise et peut même aider à réaliser l’amour intérieur. 2° Ensuite, il est source de vie. Cette
seconde finalité est naturellement faite pour être le fruit de la première.
L’homme possède la liberté de dévoyer le plaisir des deux finalités auquel il
est ordonné. Devenu égoïste, il peut aller jusqu’à rechercher le plaisir de
manière indépendante de tout amour ou de toute ouverture à la vie qui se
communique.
Pour
savoir si les relations sexuelles demeurent au Ciel, il faut se demander si
cette forme d’expression de l’amour sera encore utile. Or, nous l’avons montré,
les élus du Ciel possèdent un corps glorifié dont l’une des propriétés les plus
importantes est de ne plus constituer un obstacle avec l’esprit. Au contraire,
par ce corps, les pensées intérieures sont parfaitement exprimées, sans erreur
possible, bien qu’elles soient perçues par l’autre à travers l’organe de ses
sens. En conséquence, l’amour de l’un peut être exprimé et communiqué, avec un
plaisir plénier (spirituel, psychologique et même, tout à la fois, physique),
sans autre effort. Ce sera un mode inouï de communication amoureuse, d’où
l’aspect sexué ne sera pas sans importance, puisque, nous l’avons dit, les
hommes et les femmes garderont la grâce spirituelle et psychologique, ainsi que
la beauté physique liée à leur sexe. Mais ce qui sera premier et essentiel dans
cette communication d’amour, ce sera d’abord la vision de Dieu qui
transfigurera tout. Face à ce degré suprême de communication de l’amour, il est
certain que le mode sexuel paraîtra très terne et périmé. C’est pourquoi, sous
ce rapport, il n’y aura plus d’actes sexuels tels que nous les voyons sur
terre.
Il reste
maintenant l’autre finalité de la sexualité qui est la communication de la vie.
Sous ce rapport non plus, elle sera devenue inutile puisque tous les hommes
voulus par Dieu seront nés. La droiture de la volonté des élus communiera
entièrement à cette volonté de Dieu, et trouvera à exercer la maternité et
paternité spirituelles ailleurs, surtout si, comme c’est probable, Dieu
continue la préparation d’autres créatures spirituelles à son don.
Du côté
des damnés, il faut parler autrement. Certains d’entre eux chercheront sans
doute leur plaisir dans des activités sexuelles. Mais ce sera toujours à
travers des actes de luxure, c’est-à-dire dans une recherche de la seule
jouissance égoïste, à l’exclusion de l’amour et de la communication de la vie.
Mais il leur sera impossible de trouver le plaisir. Séparé de la fin pour
laquelle il est fait, leur être tout entier est en feu, c’est-à-dire qu’il brûle
de toute sorte de volontés et de passions mauvaises (vengeance, envie, haine,
tristesse etc.). Leur énergie tout entière est aspirée dans ces tourbillons.
S’ils recherchent le plaisir, ils ne le trouvent pas. L’exotisme et la
nouveauté qui parfois sur terre lui redonnent un printemps provisoire à la
luxure ne peuvent durer dans l’éternité de personnes totalement et froidement
égoïstes et dont tout contact physique est source de répulsion.
Solution 1[1664]
:
Si l’on
prétend que les ressuscités auront encore à entretenir des relations
charnelles, non point en vue d’exprimer l’amour ou pour assurer la conservation
de l’espèce ou la multiplication des hommes, mais pour le seul plaisir qui
réside en ces actes, et pour qu’il ne manque aucun plaisir à la récompense
dernière, l’inconvenance d’une telle affirmation éclate de bien des manières.
En premier
lieu, la vie des ressuscitée, nous l’avons vu, sera plus harmonieusement
ordonnée que la vie d’ici-bas. Or en cette vie, il est contraire à l’ordre, il
est vicieux que l’homme entretienne des rapports charnels pour le seul plaisir,
et non point pour une autre finalité qui est soit charnelle (comme le fait
d’engendrer une descendance) ou spirituelle (comme le fait d’exprimer son amour
et son unité avec celle qu’il a épousé). La raison le veut ainsi ; les plaisirs
qui résident dans les actions dont nous venons de parler ne sont pas en effet
la fin de ces actes. Bien au contraire, la fin de ces plaisirs naturels, c’est
que les êtres animés ne s’abstiennent pas, par fatigue, d’actes qui sont
nécessaires à la nature, ce qui se produirait s’ils n’y étaient attirés par le
plaisir. C’est donc renverser indûment l’ordre que d’accomplir ces actes pour
le seul plaisir. Ce qui ne peut d’aucune manière être le fait des élus dont la
vie, par hypothèse, sera la mieux ordonnée qui soit.
En second
lieu, les actes des vertus sont ordonnés à la béatitude comme à leur fin. Si
donc dans l’état de la béatitude à venir, ces plaisirs de la nourriture et de
la chair constituaient pour ainsi dire des éléments de la béatitude, il en
résulte que ceux qui agissent vertueusement auraient en vue, d’une certaine
manière, ces plaisirs dont on vient de parler. C’est nier l’idée même de
tempérance. Il est en effet contraire à l’idée de tempérance que quelqu’un
s’abstienne de certains plaisirs pour pouvoir en jouir davantage par la suite.
Toute chasteté deviendrait ainsi impudique, et toute abstinence gourmande. Si
donc ces plaisirs existent (dans la vie ressuscitée), ils n’existeront pas
comme élément de béatitude, de telle manière que ceux qui agissent
vertueusement les aient en vue.
Ainsi, se trouve réfutée l’erreur de certains musulmans qui
veulent que les hommes, à la résurrection, aient encore, comme maintenant, à se
nourrir et à entretenir des rapports charnels. Certains chrétiens hérétiques
ont même emboîté le pas en annonçant un règne terrestre du Christ d’une durée
de mille ans pendant lesquels, disaient-ils, les ressuscités d’alors
s’adonneraient sans mesure à des banquets charnels où il y aurait tant de
vivres et de boissons que non seulement aucune pudeur ne serait plus gardée
mais que les mœurs des païens eux-mêmes seraient dépassées. À croire de
telles choses, il n’y a que des êtres charnels que les chrétiens spirituels
appellent « millénaristes », ainsi que l’écrit saint Augustin au XXème
livre de la cité de Dieu.
Solution 2 :
Les élus dans le Ciel s’aimeront. Mais ils n’auront plus le désir
d’exprimer leur amour par des relations charnelles et ceci pour plusieurs
raisons :
1° L’union des corps ne sera plus un symbole
de l’union des âmes puisque les corps glorifiés seront lumineux de la lumière
même de l’âme. Ainsi, l’amour sera exprimé par le seul échange des regards et
en plénitude.
2° Le plaisir qui sortira de cette parfaite
communion fraternelle comblera tous les désirs de l’âme et du corps, avec une
délicatesse et une intensité qui dépassera la jouissance sexuelle telle qu’elle
est ici-bas.
3° Les élus ne feront rien qui ne soit
immédiatement spécifié par leur contemplation de Dieu. Tous les actes de leur
vie, y compris les relations qu’ils auront entre eux, auront un mode
contemplatif. Aussi est-il dit de Marie en contemplation « qu’elle a
choisi la meilleure part qui ne lui sera pas enlevée. » C’est encore la
raison qui fait dire, au Livre de Job : « Celui qui descend aux enfers n’en
remontera plus ; il ne retournera plus dans sa maison et le lieu qu’il habitait
ne le reconnaîtra plus. » Par ces paroles, Job refusait cette résurrection
proposée par certains selon qui, après la résurrection, l’homme retournerait à
des occupations semblables à celles qu’il a maintenant, comme la construction
de maisons et l’exercice d’autres métiers de ce genre.
C’est pourquoi l’expression charnelle de leur âme n’aura plus lieu
d’exister.
Solution 3 :
Les damnés rechercheront le plaisir charnel mais ils ne le
trouveront jamais. Et pour s’en rendre compte, on peut considérer par analogie
ce qui apparaît déjà sur cette terre, chez ceux qui n’attendent de la vie que
la seule jouissance égoïste du plaisir. Lorsqu’ils finalisent leur intention de
vie par cette seule recherche, ils ne sont jamais satisfaits. Ils recherchent
sans cesse de nouvelles expériences ; d’autre part la jouissance devient pour
eux à long terme source d’amertume puisqu’elle est incapable de combler en
plénitude les désirs de leur âme. En enfer, ce qui apparaît en germe chez ceux
dont l’âme est pervertie sur cette terre, se réalisera en plénitude. Les corps
des damnés, animés par une âme entièrement centrée sur l’amour égoïste
d’elle-même, sera incapable d’éprouver du plaisir. Et leur désir d’un plaisir
inaccessible causera en eux l’augmentation d’une amertume qui les rongera
intérieurement.
Solution 4 :
De même
l’union charnelle de l’homme et de la femme est au service de la vie
corruptible ordonnée qu’elle est à la génération, celle-ci sauvegardant du
moins au plan de l’espèce la vie qui ne peut se conserver pour toujours au plan
des individus. Or la vie des ressuscités, nous l’avons vu, sera incorruptible.
Les ressuscités n’auront plus à exercer des relations charnelles. En outre,
dans l’autre monde, le nombre des élus sera parfait. La gloire de Dieu sera
manifestée par un monde définitif qui manifestera extérieurement l’immutabilité
divine. Il n’y aura donc plus à engendrer d’autres enfants.
Objection 1 :
Dieu n’enlèvera aux ressuscités, surtout aux élus, aucun élément
de la perfection humaine. Or, telle est la vieillesse, qui rend l’homme
vénérable.
Objection 2 :
L’âge se mesure au temps passé. Or, il est impossible que le temps
passé ne le soit pas. Il est donc impossible que ceux qui ont atteint un âge
avancé redeviennent jeunes.
Objection 3 :
La nature
humaine semble avoir toute son activité dans l’enfant, tandis qu’elle se
débilite avec l’âge, comme le vin étendu d’eau. Si donc tous les ressuscités
doivent avoir le même âge, ils seront tous des enfants.
Cependant :
1° Saint Paul écrit : « Jusqu’à ce que
nous soyons tous parvenus à l’état d’homme fait à la mesure de l’âge parfait du
Christ. » Or le Christ est ressuscité en pleine jeunesse, qui commence, dit
saint Augustin, vers la trentième année. Mais l’Apocalypse le représente avec
des cheveux blancs[1666],
ce qui symbolise la maturité de la vieillesse. C’est donc que jeunesse et
vieillesse prendront un autre sens dans l’Au-delà.
Conclusion :
Jeunesse et vieillesse peuvent se prendre en deux sens :
1° Au sens physique, comme on en parle habituellement sur
terre. La nature doit ressusciter sans défaut : telle Dieu l’a faite, telle
Dieu la refera. Or, la nature est sujette à un double défaut : soit qu’elle n’a
pas encore atteint son plus haut degré de perfection comme chez les enfants,
soit qu’elle l’ait dépassé, comme chez les vieillards. La résurrection ramènera
donc tous les hommes à la pleine jeunesse, à l’âge où la maîtrise des
potentialités physiques est la plus grande, quand se termine la croissance et
où le déclin n’est pas encore commencé.
2° Au sens spirituel qui est le plus important dans l’autre
monde puisque le corps est entièrement soumis à l’esprit, d’où son nom de
"corps spirituel" d’après saint Paul[1667].
Au Ciel, le corps aura d’abord l’apparence de l’âme, puisque, nous le
montrerons, il sera entièrement lumineux et soumis à son influence. Les corps
ressuscités étant soutenus dans leur incorruptibilité par l’âme, ils
apparaîtront extérieurement lumineux de la clarté même de l’âme. Il ne s’agit
pas seulement d'une clarté extérieure comme celle du corps de Moise après sa
rencontre avec Dieu. Il s’agit d'une clarté qui vient de l'intérieur de l'âme,
rayonne sur la sensibilité et donne au corps la jeunesse de sa sainteté. Il
reste à savoir si les élus du Ciel paraîtront vieux ou jeunes. Ces deux âges de
la vie présentent des avantages : l’enfant symbolise la vie sans souci. L’âge
avancé symbolise la plénitude de l’expérience, le détachement de ce qui est
secondaire. Pris en ce sens, jeunesse et vieillesse ont une signification
spirituelle. Les élus auront donc l’"âge" de l’âme ce qui signifie
que plus une âme sera unie à Dieu, plus son corps paraîtra resplendissant de
jeunesse et, en même temps, profondément mûre comme une personne avancée en
âge.
Solution 1 :
Ce qui rend la vieillesse digne de respect, ce n’est pas l’état du
corps, qui a perdu sa perfection mais la sagesse de l’âme, qui est sensée
grandir avec les ans. Les élus auront droit à ce respect à cause de la sagesse
divine dont ils seront pleins, mais sans qu’il y ait en eux rien de sénile.
Solution 2 :
L’âge de l’au-delà ne signifiera pas le nombre des années, mais
l’intensité de l’humilité (kénose) et de l’amour. C’est ainsi que la Vierge
Marie, partie de la terre à plus de soixante ans d’après saint Polycarpe,
paraît incomparablement plus jeune que tous les autres et en même temps plus
mûre. Au contraire, les damnés paraîtront vieux et immatures à la fois.
Solution 3 :
La nature humaine peut être dite plus
parfaite dans l’enfant, parce qu’elle possède en lui une plus grande puissance
d’assimilation mais, dans l’homme jeune, elle a atteint son plein
épanouissement. Ainsi, si la jeunesse sera l’état des ressuscités, au plan de
la perfection physique du corps, tel élu pourra paraître dans la plénitude de
l’enfance à causes de certaines qualités particulières de son âme, tel que nous
les avons décrites dans la question traitant des couronnes d’or. Ainsi, plus
une âme sera unie à Dieu, plus elle nous paraîtra jeune et belle. Tout le
monde, certes, aura la pleine vitalité de la jeunesse, mais avec ce je ne sais
quoi qui peut rendre un vieillard plus jeune qu’un adolescent. Au sommet de tout,
conjointement à Jésus, le corps glorieux de Marie attirera tous les regards. « Sa beauté inégalée ne rivalisera pas avec
les beautés uniques de ses enfants », dit sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus. Chacun de nos frères constituera un temple du Dieu unique, mais
non bâti de main d’homme où la Trinité séjournera sans jamais s’en aller. Un
seul élu contemplé ici-bas surpassera tout ce qui a été fait de beau par les
artistes depuis que le monde existe. Contemplée une vie entière, la beauté et
la gloire du plus petit dans le Royaume de Dieu ne lassera pas.
Nous avons
à étudier maintenant la qualité des corps des élus dans ce qui le distingue du
corps des damnés. Nous nous demanderons :
Objection 1 :
Il semble que l’état des damnés ne diffère pas essentiellement de
celui des élus. Nous avons montré que leur corps était doté d’incorruptibilité.
Or ce qui est incorruptible ne peut pâtir d’une agression extérieure. Donc, un
tel corps est impassible ce qui est une propriété commune avec le corps
glorifié.
Objection 2 :
De même que le corps des élus sera lumineux en ce sens qu’il
manifestera extérieurement la pureté de leur âme ; de même celui des damnés
manifestera leur perversion. Il n’y a pas de différence essentielle à formuler
entre la lumière des corps glorieux et l’opacité des corps damnés car les
contraires sont dans le même genre.
Objection 3 :
Le corps des damnés aura une perfection naturelle absolue puisque
Dieu les ressuscitera incorruptibles. Or il est naturel au corps humain en
bonne santé d’être agile. Donc cette propriété ne doit pas être distinguée chez
les élus.
Objection 4 :
Il est
impossible que les corps des méchants soient sujets à la souffrance sans l’être
à la corruption, puisque toute passion trop forte altère la substance. Nous
voyons en effet qu’un corps, s’il demeure longtemps dans le feu, finit par se
consumer, qu’une douleur trop intense va jusqu’à séparer l’âme du corps.
Conclusion :
En raison du mérite du Christ, la résurrection supprimera d’une
façon générale, chez tous, bons et mauvais, le défaut de nature. Il restera
pourtant une différence entre les bons et les mauvais, en ce qui les intéresse
personnellement. Il relève de l’ordre de la nature que l’âme humaine soit la
forme du corps, lui donnant la vie, le conservant dans l’être ; mais c’est en
vertu des actes personnels que l’âme mérite d’être élevée à la gloire de la
vision de Dieu ou d’être exclue par sa faute de cet ordre de gloire.
Parlons d’abord des élus :
1° Incorruptibilité : Il en ira donc, en général, du corps de tous selon qu’il convient
à l’âme forme incorruptible, celle-ci donnera au corps d’être incorruptible,
nonobstant la composition des contraires, la matière du corps de l’homme étant
en cela, de par la puissance de Dieu, totalement soumise à l’âme humaine. Mais
de la lumière et de la force de l’âme élevée à la vision de Dieu, le corps qui
lui sera uni recevra quelque chose de plus. Il sera totalement soumis à l’âme,
de par la puissance divine, non seulement quant à l’être, mais aussi quant aux
actions et passions, mouvements et qualités corporelles.
2° Clarté :
De même donc que l’âme qui jouit de la vision de Dieu sera inondée d’une
certaine lumière spirituelle, de même par rejaillissement de l’âme sur le corps
celui-ci, à sa manière, sera revêtu de la lumière de gloire. D’où la parole de
l’Apôtre dans la première épître aux Corinthiens : « Semé dans l’ignominie,
le corps ressuscitera dans la gloire. » Notre corps, maintenant opaque,
sera alors lumineux comme dit saint Matthieu : « Les justes
resplendiront comme le soleil, dans le royaume de leur Père. »
3° Agilité :
Unie à sa fin suprême, l’âme qui jouira de la vision de Dieu, verra tous ses
désirs comblés. Et parce que c’est le désir de l’âme qui meut le corps, il en
résultera que le corps obéira totalement à l’empire de l’esprit. Les corps des
bienheureux seront donc doués d’agilité. C’est bien ce que dit l’Apôtre
au même endroit : « Il est semé dans la faiblesse, il ressuscitera dans la
force. » Nous faisons l’expérience de la faiblesse de notre corps en le
trouvant impuissant à obéir au désir de l’âme dans les mouvements et dans les
actions que celle-ci lui commande. Cette faiblesse sera alors totalement
supprimée, par la force qui de l’âme unie à Dieu rejaillira sur le corps. Voilà
pourquoi la Sagesse dit des justes qu’ils courront comme des étincelles à
travers le chaume ; non pas que le mouvement ait en eux pour fin de
répondre à quelque nécessité, -ceux qui possèdent Dieu n’ont besoin de rien-,
il sera simplement une preuve de force.
4° Impassibilité : De même que l’âme qui jouit de Dieu verra son désir comblé en ce
qui concerne l’obtention de tout bien, de même verra-t-elle son désir comblé en
ce qui regarde à l’éloignement de tout mal : il n’y a pas de place pour le mal
dans la compagnie du souverain bien. Le corps amené par l’âme à son point de
perfection, et proportionnellement à l’âme, sera immunisé contre tout mal,
aussi bien en acte qu’en puissance, en acte d’abord, puisqu’il n’y aura dans
les corps ressuscités ni corruption ni difformité ni défaut quelconque ; en
puissance aussi, car ils ne pourront souffrir rien qui leur soit dommageable.
Aussi bien seront-ils impassibles, sans pourtant que cette impassibilité
leur enlève rien de la passion qui fait partie de la nature sensible : ils
useront en effet de leurs sens pour leur plaisir, en tout ce qui est compatible
avec l’état d’incorruption. C’est pour exprimer cette impassibilité des corps
ressuscités que l’Apôtre dit : « Semé dans la corruption, il ressuscitera
dans l’incorruption. »
5°
Spiritualité : L’âme qui
jouira de Dieu lui sera une d’une manière absolument parfaite, ayant part au
maximum, selon sa capacité, à la bonté de Dieu. Le corps, pareillement sera
soumis parfaitement à l’âme, participant autant que possible à ses propriétés,
par l’acuité des sens, par la régulation de l’appétit corporel, par la
perfection totale de sa nature. Un être de nature est en effet d’autant
plus parfait qu’en lui la matière est plus parfaitement soumise à la formée
Voilà la raison de la parole de l’Apôtre : « Semé animal, il ressuscitera
corps spirituel. » Le corps du ressuscité sera spirituel, non qu’il
sera esprit comme certains l’entendent abusivement, -qu’on entende esprit au
sens de substance spirituelle ou qu’on l’entende au sens d’air ou de vent- ;
mais parce qu’il sera totalement soumis à l’esprit. Ainsi maintenant est-il
appelé corps animal, non qu’il soit âme, mais parce qu’il est soumis aux
passions de l’âme et qu’il a besoin d’être nourri.
Tout ce
que nous venons de dire appelle la conclusion suivante : de même que l’âme
humaine sera élevée à la gloire des esprits célestes jusqu’à voir l’essence de
Dieu, de même le corps de l’homme sera magnifié jusqu’à posséder les propriétés
des corps célestes : lumineux, impassible qu’il sera, doué d’une agilité qui ne
connaîtra ni difficulté ni effort, amené par sa forme à la perfection la plus
achevée. Voilà pourquoi l’Apôtre dit des corps ressuscités qu’ils seront célestes,
non par leur nature, mais par leur gloire. Aussi, après avoir dit qu’il y a
des corps célestes et qu’il y a des corps terrestres, ajoute-t-il : « autre
est la gloire des corps célestes », autre la gloire des corps terrestres.
De même que la gloire à laquelle est élevée l’âme de l’homme dépasse
l’excellence naturelle des esprits célestes, de même la gloire des corps
ressuscités dépasse-t-elle la perfection naturelle des corps célestes, par
clarté unie au spirituel, par une impassibilité totale, sans qu’aucune usure ne
puisse se produire, par une liberté de mouvement et une plus haute dignité de
nature.
Les damnés : 1° Incorruptibilité : Nous pouvons réfléchir maintenant
sur la condition des corps ressuscités, chez ceux qui seront damnés. Il
convient qu’il y ait proportion entre leur corps et leur âme. Par nature, l’âme
des méchants est bonne, créée qu’elle est par Dieu mais leur volonté sera
désordonnée, défaillante par rapport à sa fin propre. Les corps des damnés, en
ce qui regarde la nature, retrouveront donc leur intégrité : ils
ressusciteront à l’âge parfait, sans aucune atrophie des membres, sans ces
défauts ou ces infirmités qu’a pu provoquer une erreur de la nature. Les morts,
dit l’Apôtre dans la première épître aux Corinthiens, « ressusciteront
incorruptibles" ce qui doit s’entendre de tous, bons et mauvais, comme
le veut le contexte.
2° Charnels :
Mais parce que l’âme sera, par volonté, détournée de Dieu et privée de sa fin
propre, ces corps ne seront pas spirituels, comme s’ils étaient parfaitement
soumis à l’esprit ; bien plus, l’âme sera dans un état charnel.
3° Agilité :
Ces corps ne seront pas doués d’agilité, comme s’ils obéissaient sans
difficulté à l’âme ; bien plutôt seront-ils lourds et pesants, insupportables
en quelque sorte à l’âme, à l’exemple même de l’âme que la désobéissance a
détournée de Dieu.
4° Passivité :
Ils demeureront sujets à la souffrance, comme maintenant, et plus encore que
maintenant, de telle manière cependant qu’ils éprouveront du côté des réalités
sensibles douleur mais non corruption, de même que l’âme sera torturée par la
totale frustration du désir naturel qu’elle a de la béatitude.
5°
Opacité : Ces corps
seront opaques et ténébreux, à l’image de l’âme privée de la lumière de
la connaissance de Dieu. C’est le sens de la parole de l’Apôtre : « Tous
ressusciteront, mais tous ne seront pas changés » ; seuls les bons seront
transformés pour la gloire ; les corps des méchants ressusciteront privés de
gloire mais "lumineux" de leurs ténèbres intérieures.
Solution 1 :
Il peut exister deux manières d’être passible : 1° l’une d’elle aboutit à une
corruption du corps. Ainsi lorsque l’œil est aveuglé par une lumière trop vive,
il peut être brûlé au point qu’il s’en retrouve détruit. Le corps des damnés
sera incapable de subir une telle destruction à cause de son incorruptibilité. 2° L’autre signifie le fait de souffrir
d’une impression sensible, sans en être pourtant altéré dans sa substance.
Ainsi, lorsqu’un homme perçoit une odeur désagréable. Les damnés subiront une
telle passibilité puisque leur âme n’aura pas atteint la béatitude de la vision
de l’essence divine qui seule libère des désirs intérieurs et extérieurs.
Solution 2 :
La lumière des corps glorieux ne vient pas seulement de leur âme
mais elle est un effet de la lumière de Dieu qui les illumine. Elle est donc un
effet de la grâce et non de la nature. Au contraire, chez les damnés, l’âme
sera par elle seule cause de la laideur de leur visage. Ces deux apparences
extérieures n’ayant pas la même cause, elles doivent être distinguées.
Solution 3 :
Il y a un rapport d’unité substantielle entre l’esprit et le
corps. Ainsi, il est naturel que les choix de l’esprit aient des conséquences
jusque dans l’état du corps. C’est ce que les médecins appellent le
psycho-somatisme. Ainsi voit-on des hommes dont l’handicap physique n’a pas
d’autre cause que le péché qui a pris, en eux, des proportions excessives. De
même, en enfer, les damnés dont l’âme sera pervertie, en subiront les conséquences
dans leur corps qui s’en trouvera pesant et obscure. Quant à l’agilité des
élus, elle ne peut être comparée puisqu’elle n’a pas seulement son origine dans
la nature mais aussi dans la grâce de la vision béatifique qui s’étendra jusque
dans leur corps par l’apparition de capacités dépassant la nature.
Solution 4 :
Tout ceci
se vérifie dans l’hypothèse où la matière passe de forme en forme. Après la
résurrection, le corps humain, pas plus chez les reprouvés que chez les élus,
ne pourra passer de forme en forme ; chez les uns comme chez les autres, le
corps sera totalement parachevé par l’âme dans son être naturel, au point qu’il
ne sera plus possible que telle forme soit écartée de tel corps ni que telle
autre ne soit introduite, la puissance de Dieu soumettant parfaitement le corps
à l’âme.
Il en
résulte que la puissance où se trouve la matière première à l’égard de
n’importe quelle forme se trouvera liée en quelque sorte dans le corps humain
par la puissance de l’âme, de telle manière qu’elle ne pourra plus être
actualisée par une autre forme. Mais le corps des damnés n’étant pas totalement
soumis à l’âme au moins sous certains aspects, il sera heurté dans sa
sensibilité par des sensibles contraires. Un feu corporel intérieur venant par
somatisation du psychisme, et par lui, de l’âme elle-même, l’accablera, en ce
sens que la qualité de ce feu s’opposera par son intensité même à l’équilibre
organique et à l’harmonie qui est connaturelle au sens, sans toutefois qu’il
puisse le détruire. Une telle épreuve cependant ne pourra pas séparer l’âme du
corps, celui-ci étant toujours, nécessairement sous l’emprise de la même forme.
Et de même
que les corps des Bienheureux seront élevés au-dessus des corps célestes en ce
renouveau que sera la gloire, de même les corps des damnés seront voués, en
proportion inverse, à des lieux inférieurs, de ténèbres et de souffrances. « Que
sur eux fonde la mort et qu’ils descendent, vivants, aux enfers », selon le
Psaume 54. Et l’Apocalypse : « Le diable, leur séducteur, fut jeté dans
l’étang de feu et de soufre ou la bête et le faux prophète seront tourmentés
jour et nuit, pour les siècles des siècles. »
A partir de cette question, nous essayerons
d’étudier à la suite de saint Thomas d’Aquin la manière d’être des corps
ressuscités. Rappelons qu’il ne s’agit que de spéculation dont la valeur est
relative à ce que nous connaissons actuellement de la matière. Or la matière,
nous pouvons le pressentir à travers les avancées des sciences positives, a une
ouverture sur des potentialités immenses. À partir de la même base de départ,
qu’on peut appeler l’énergie, on peut aboutir à des modes d’organisation très
différents. La foi nous enseigne (voir les questions précédentes) que les corps
des ressuscités seront immortels, intègres et qu’ils seront le véritable corps
de chacun. Cependant, nous savons qu’il aura une manière d’être très
différente, surtout visible pour les élus glorifiés. Grâce aux apparitions de
Jésus, nous pouvons supposer quelques-unes de ces propriétés, sans toutefois
être absolument certain de la manière dont chacune d’elle se manifestera. En
effet, Jésus n’apparut à ses apôtres que sous une forme adaptée à leurs
capacités terrestre et non dans toute la gloire de sa splendeur. Il est
pourtant notre seule source de connaissance des corps glorifiés.
Il reste donc une méthode pour les connaître. Elle
consiste à étudier les limites de la matière telle que nous la connaissons
actuellement. Par exemple, nous connaissons mieux son rapport avec la lumière,
sa vitesse et le temps. Mais même cela reste hypothétique dans la mesure où la
matière est largement inconnue. De plus, l’homme glorifié voit Dieu,
c’est-à-dire l’infini, et son corps en est donc nécessairement surélevé jusqu’à
des propriétés surnaturelles. Comment rendre impossible mouvement instantané
aux élus, puisque Dieu qui les épouse est maître des miracles, c’est-à-dire
qu’il peut agir au delà et même contre la nature ?
C’est pourquoi nous préférons nous abstenir et nous
contenter d’inviter le lecteur à se référer au Supplément de saint Thomas
d’Aquin dans sa Somme de Théologie. Il y découvrira à quel point tout cela est
aléatoire. Il faut donc lire les questions suivantes avec un esprit sainement
critique, c’est-à-dire avec le désir de progresser.
Saint Paul[1669] nous met en
garde contre un attachement excessif à ce qui demeure dans le domaine des
spéculations et rappelle que le corps humain actuel est comme une graine...
Les théologiens modernes, devant
l’ampleur ces interrogations en suspend, préfèrent avouer loyalement leur
ignorance et s’en tenir à la connaissance des "pourquoi" (les
"comment" appartiennent à Dieu). Saint Thomas est plus audacieux. Il
va même trop loin dans le détail sur les ongles, les dents etc. Nous essaierons
de prendre une attitude intermédiaire en nous servant des découvertes modernes
concernant la matière.
Objection 1 :
Cela semble nécessaire : la beauté des corps glorieux ne peut être
vue par un œil non glorifié puisqu’il resplendit de couleurs et de lumières
autres que celles d’ici-bas. On doit admettre que l’œil des saints au Ciel,
puisqu’il verra le corps glorifiés des autres saints, aura de nouvelles
sensations.
Objection 2 :
Saint Paul écrit[1670]
: « Nous vous annonçons ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas
entendu. » Or, s’il existe des choses que nul œil n’a vues et nulle oreille
entendues, ce ne peut être que des réalités appartenant à un domaine sensible
nouveau. Il faudra donc de nouvelles facultés sensibles pour les saisir.
Objection 3 :
Adam et
Ève, dans le paradis terrestre, possédaient des dons préternaturels par
lesquelles ils pouvaient percevoir des réalités de l’univers qui actuellement
nous échappent. Dans le paradis céleste, qui est supérieur au paradis
terrestre, l’homme aura donc de nouvelles facultés qui n’existent pas
aujourd’hui.
Cependant :
L’homme
ressuscitera avec son propre corps et non avec un corps substantiellement
différent. Il n’y aura donc pas de faculté nouvelle, mais seulement l’exercice
total des facultés déjà présentes mais que la lourdeur de l’état du corps
physique entrave.
Conclusion :
Par la
résurrection, Dieu rendra aux élus le même corps qu’ici-bas. Il est donc
impossible qu’il puisse exister dans ce corps nouveau d’autres facultés
sensibles que celles qui sont déjà présentes en lui sans quoi, on devrait
admettre que le corps ressuscité est essentiellement différent.
Cependant,
chez les élus, l’âme prendra possession de son corps de telle façon que
celui-ci pourra exercer ses facultés en plénitude. Nous savons que le corps
possède des capacités inutilisées. Le témoignage de ceux qui approchent la mort
et qui connaissent une expérience de décorporation de leur corps psychique,
confirme l’existence d’une acuité nouvelle du sens de la vue. Il se caractérise
par la vision de couleurs jusqu’ici invisibles. De même, ceux qui sont aveugles
retrouvent en plénitude la faculté de voir. S’il existe actuellement des
facultés naturelles dont l’exercice est empêché à cause d’un obstacle lié au
péché originel, on doit admettre qu’elles s’exerceront dans la gloire. C’est ce
que certains rapportent des facultés sensibles comme la télépathie qui consiste
à capter certaines ondes émises par le cerveau d’un autre homme. De même, le
phénomène du sourcier qui peut sentir la présence de l’eau s’expliquerait d’une
manière analogue par une capacité de saisir des ondes émises par les corps
physiques. De telles facultés, étant naturelles dans leur origine, s’exerceront
chez les ressuscités.
Solution 1 :
L’œil non glorifié ne peut percevoir que certaines qualités de
couleur, celles qui sont contenues entre l’infrarouge et l’ultraviolet. Le fait
qu’après la résurrection l’œil puisse saisir un éventail beaucoup plus large de
couleurs n’implique pas qu’il faille poser dans le corps humain une nouvelle
faculté sensible car l’objet d’une telle vision renouvelée reste la couleur et
la lumière. Il faut donc dire que l’œil glorifié s’exercera avec une plus
grande plénitude qualitative, sans pourtant changer de nature.
Solution 2 :
Ce texte
de saint Paul signifie en premier lieu la vision intellectuelle de l’essence
divine qui dépasse par sa hauteur tout ce que l’intelligence peut concevoir.
Cependant, pris au sens propre, il annonce l’apparition de nouvelles réalités
sensibles, dont la beauté est inimaginable, comme le corps glorieux du Christ,
celui de Marie et des saints, le monde nouveau que Dieu créera à la fin.
Cependant, l’existence de nouvelles réalités sensibles communes
aux facultés de l’homme n’oblige pas à poser l’apparition d’une nouvelle espèce
de sensation ; il suffit d’admettre, comme nous l’avons dit, que les cinq sens
prendront après la glorification du corps une plénitude d’exercice capable de
rendre présent la totalité du domaine sensible qui est leur objet propre.
Ainsi, si l’oreille ne peut pas actuellement capter certains sons à cause de la
faiblesse de l’organe, elle le pourra dans la gloire ; Et l’on doit dire la
même chose pour l’œil par rapport au large éventail des ondes lumineuses qui
existe dans la nature ; Pour le toucher qui pourra saisir des qualités tactiles
nouvelles, comme celles qui actuellement lui sont inadaptées à cause de leur
trop grande chaleur ou de leur trop grand froid.
Solution 3 :
Les dons
préternaturels d’Adam et Ève étaient des facultés de leur nature qui ne
pouvaient s’exercer sans l’aide de la grâce originelle qui les unissait à Dieu.
Ces dons permettaient à leur esprit de vivre dans une harmonie totale avec leur
corps qui lui était soumis en plénitude et avec l’univers entier. Après le
péché originel, l’exercice de ces dons fut en partie empêché ce qui explique la
lutte actuelle de la volonté humaine contre les facultés sensibles du corps et
la disharmonie de l’homme avec la nature. Cependant, ces facultés demeurent à
l’état de puissance dans la nature humaine. Après la résurrection, elles
s’exerceront à nouveau en plénitude. Il n’est donc pas nécessaire de poser
l’apparition de nouvelles facultés puisqu’elles n’ont jamais disparu.
Objection 1 :
Le fait qu’un corps solide ne puisse occuper un lieu en même temps
qu’un autre corps tient à sa corpulence. Or la subtilité ne fera pas disparaître
la corpulence des corps glorieux qui sera un corps sensible, et même palpable ;
ni la matière ni la forme ni les accidents naturels, le chaud, le froid, etc.
ne lui feront donc défaut. Sa subtilité ne l’empêchera donc pas d’occuper un
lieu car, ce serait folie d’affirmer que le lieu occupé par un corps glorieux
est vide.
Objection 2 :
Ce qui fait que deux corps doivent chacun avoir leur lieu, c’est
la nature de la quantité étendue, qui se définit précisément par la propriété
d’occuper un lieu. Ce n’est pas une qualité mais la nature même de la matière
corpusculaire. Or le corps glorieux sera fait de matière corpusculaire et non
d’ondes comme certains l’ont prétendu puisqu’il sera palpable donc il ne pourra
être dans un lieu déjà occupé.
Objection 3 :
Ce qui dépasse les lois de la nature ne peut exister sans un
miracle de la puissance divine qui est au-dessus de toute nature créée. Ainsi,
qu’un corps occupe le lieu d’un autre peut être un privilège divin pour le
surcroît de gloire des élus, de même que Dieu accorde à saint Pierre le
privilège de guérir les malades par sa seule présence, en confirmation de la
foi au christ. Mais cela ne peut être une propriété naturelle du corps
glorieux.
Objection 4 :
Si cette
propriété existe, alors deux élus pourront occuper le même lieu, ce qui est
inconvenant.
Cependant :
Le Christ transformera notre corps misérable en le rendant
semblable à son corps glorieux. Or le corps du Christ fut dans un lieu occupé
déjà par un corps ordinaire lorsque, les portes étant fermées, il entra dans
l’appartement où les disciples étaient réunis.
2° Ce que peuvent les rayons solaires, être
dans un lieu déjà occupé par un autre corps, les corps glorieux, dont
l’excellence est suprême, le pourront aussi.
Conclusion :
Ce qui
empêche aujourd’hui le corps humain de traverser un autre corps solide, c’est
la cohésion des molécules qui le composent et que la volonté n’a aucun pouvoir
de modifier. Aussi qu’un corps étranger vienne à pénétrer le corps humain, cela
ne peut être que par violence et conduire à une destruction, à une blessure de
sa cohésion organique. Cependant, le corps glorifié sera, comme on l’a montré,
soumis en plénitude à la volonté de l’âme au point qu’il lui obéira dans
chacune de ses parties. Il ne pourra donc subir aucune atteinte de par un corps
extérieur. Il sera invulnérable.
Il reste
maintenant à se demander s’il est possible qu’un corps glorifié se trouve dans
le même lieu qu’un autre corps physique cohérent. Pour répondre à cette
question, il est nécessaire de connaître la nature des réalités matérielles.
Lorsqu’on l’étudie au niveau microscopique, on s’aperçoit que la matière n’est
pas une réalité continue. Elle est composée de l’agencement de multiples atomes
qui laissent entre eux des espaces vides immenses en comparaison de ce qui est
réellement occupé par les corpuscules élémentaires qu’on appelle protons,
électrons et neutrons. L’infiniment petit est comparable d’une certaine manière
à l’infiniment grand c’est-à-dire aux étoiles autours desquelles gravitent les
planètes, laissant d’immenses espaces vides. Ainsi, lorsqu’on dit qu’un corps
en traverse un autre, on n’est pas obligé d’admettre qu’il se trouve
obligatoirement dans le même lieu qu’un autre corps. Il peut emprunter les
vides inter-atomiques. C’est de cette manière que la lumière et les ondes
électromagnétiques, qui sont des réalités matérielles peuvent passer à travers
certains corps comme le verre ou l’eau. De même, le corps glorieux, à cause de
sa très grande soumission à l’âme, peut adapter la cohésion de ses parties
microscopiques de telle manière qu’elles puissent passer à travers la matière.
C’est la meilleure explication qu’on puisse donner pour le moment pour rendre
fait que le corps de Jésus qui était palpable, a pu entrer dans une pièce alors
que toutes les portes étaient fermées. De cette manière, il est possible
d’éviter de faire appel à la puissance miraculeuse de Dieu pour rendre compte
de certaines propriétés surprenantes du corps glorieux. Il ne s’agit bien sûr
que d’hypothèses adaptées à notre connaissance actuelle et limitée des
propriétés de la matière.
Solution 1 :
Les corps glorieux garderont leur corpulence mais cette corpulence
sera soumise à la puissance de l’âme au point qu’elle pourra être rendue à
volonté impalpable à celui qui s’approche. Cette propriété tient à la puissance
de l’âme qui informera chaque partie du corps jusque dans ses aspects
microscopiques. De même que l’âme de l’élu sera entièrement soumise à Dieu, de
même le corps lui sera soumis en plénitude.
Solution 2 :
La matière palpable parait continue à un regard extérieur. Mais si
on analyse sa structure au plan microscopique, on s’aperçoit que ce n’est pas
qu’une apparence. Il existe en effet davantage de parties vides que de parties
pleines. C’est pourquoi les astronomes enseignent que si l’on arrivait à
contracter la terre de telle manière que les vides inter-atomiques
disparaissent, elle tiendrait dans le lieu occupé par une orange.
Solution 3 :
Nous avons montré qu’il n’est pas nécessaire de poser l’existence
d’un miracle divin pour expliquer la subtilité des corps glorieux puisque, en
traversant la matière, ils n’en occupent pas réellement le même lieu.
Solution 4 :
Loin
d’être inconvenant, cette propriété des corps glorieux permettra peut-être une
forme de communion inconnue sur terre.
Objection 1 :
L’ordre normal des êtres matériels exige qu’ils se distinguent par
leur lieu. Si deux corps glorieux peuvent occuper un même lieu, on ne pourra
plus les distinguer et il semblera qu’on a affaire à un seul homme. Cela est
incroyable.
Objection 2 :
Le lieu
est une propriété essentielle du corps quantifié. Il permet l’individuation des
êtres. Si deux corps glorieux occupent un seul lieu, non seulement on ne les
distinguera plus dans leur individualité mais ils risquent de perdre leur
spécification individuelle en mélangeant la matière qui les compose.
Cependant :
Si un
corps peut se trouver dans le même lieu qu’un corps non glorieux, ce qui permet
de traverser les murs, il peut à plus forte raison occuper le même lieu qu’un
autre corps glorieux dont la subtilité est supérieure.
Conclusion :
Qu’un
corps glorieux puisse occuper avec un autre corps le même lieu, cela est
possible pour les mêmes raisons que celles qui ont été évoquées dans l’article
précédent. Cependant, cela ne peut se réaliser sans que les deux volontés liées
aux deux corps soient consentantes. En effet, de même qu’un élu peut contrôler
la matière de son corps au point de la rendre subtile et de lui faire traverser
la matière de même il peut à volonté la rendre impénétrable.
Solution 1 :
Rien ne se fera au Ciel qui ne soit dans l’ordre de la volonté
divine. Aussi qu’un élu s’unisse à un autre au point de paraître faire un seul
corps, cela ne peut venir d’une volonté ordonnée, à moins qu’on admette qu’il
pourra exister par là une forme de manifestation de la charité qui unira les
élus entre eux. Il est impossible d’entrer avec certitude dans de telles
spéculations.
Solution 2 :
La matière
de chaque corps glorieux est soumise à son âme d’une manière parfaite. Elle ne
risque pas de perdre son individualité en traversant un autre corps.
Objection 1 :
« Ce qui est palpable est nécessairement
corruptible », dit saint Grégoire. Or, le corps glorieux est incorruptible.
Objection 2 :
Être palpable, c’est opposer une certaine résistance qui semble
faire défaut au corps glorieux, puisque celui-ci peut être avec un autre corps
dans le même lieu.
Objection 3 :
Être
palpable, c’est être tangible, ce qui suppose des qualités capables
d’impressionner le sens du toucher, donc en excès par rapport à lui. Or, dans
le corps glorieux, toutes les qualités seront ramenées à la plus parfaite
égalité.
Cependant :
1° Le corps du Christ ressuscité était
glorieux et en même temps palpable, comme il le disait à ses disciples, pour
les convaincre qu’il n’était pas « un fantôme qui n’a ni chair ni os. »
2° Eutychès, évêque de Constantinople, se
rendit coupable d’hérésie en affirmant, comme le rapporte saint Grégoire, que,
« après la résurrection, le corps des élus sera impalpable. »
Conclusion :
Tout corps
palpable est tangible ; mais la réciproque n’est pas vraie. Un corps tangible
est celui qui possède des qualités capables d’impressionner le sens du toucher,
tels l’air, le feu, etc. Un corps palpable est celui qui résiste au toucher :
l’air, qui n’oppose aucune résistance, mais se laisse traverser avec la plus
grande facilité, est tangible mais non palpable. Pour être palpable, un corps
doit donc réunir ces deux conditions : qualités sensibles et résistance. Les
premières, le chaud, le froid, etc. ne se rencontrent que dans les corps lourds
et légers, contraires les uns aux autres, et donc corruptibles ; Le corps
glorieux est naturellement doué des qualités propres à impressionner le toucher
; mais, parfaitement soumis à l’âme, il peut, au gré de celle-ci, agir ou ne
pas agir sur ce sens. Il possède encore, et naturellement, la faculté de
résister au corps qui voudrait le traverser, et donc de ne pas occuper le même
lieu ; comme aussi, il peut n’offrir aucune résistance et donc occuper le même
lieu. Il est donc tout à la fois palpable par nature et impalpable par volonté.
» Le Seigneur, dit saint Grégoire, se fit toucher par ses disciples lorsqu’il
fut au milieu d’eux, les portes étant fermées, afin de leur montrer que, après
sa résurrection, son corps était le même par la nature mais autre par la
gloire.
Solution 1 :
L’incorruptibilité du corps glorieux venait de la nature de ses
éléments, il serait corruptible du fait qu’il est palpable ; mais elle vient
d’ailleurs.
Solution 2 :
Le corps glorieux peut occuper le même lieu qu’un autre corps ;
mais il peut aussi lui résister, au gré de la volonté.
Solution 3 :
Les
qualités tangibles, dans le corps glorieux, ne seront pas réduites à une
moyenne matérielle mais proportionnelle, c’est-à-dire, à la plus grande
perfection convenable à chaque partie ; ce qui rendra ce corps très agréable au
toucher qui, comme toute puissance, éprouve du plaisir en ce qui lui est
exactement proportionné, tandis que tout excès lui cause une souffrance.
Objection 1 :
S’il en était ainsi, les corps
glorifiés n’auraient pas besoin « d’être portés sur les nuées à la
rencontre du Seigneur », dit saint Paul ; et portés « par les anges »,
ajoute la Glose.
Objection
2 :
L’agilité exclut l’effort. Mais l’âme imprimera au
corps glorieux des mouvements contraires à celui qui lui est naturel, donc des
mouvements qui exigeront un certain effort.
Objection 3 :
La sensibilité est plus noble et plus
voisine de l’âme que le mouvement ; cependant, on n’attribue au corps glorieux
aucune propriété spéciale destinée à la rendre plus parfaite.
Objection 4 :
Dieu, par la nature ou par lui-même,
donne à chaque être les organes adaptés à son mouvement, lent ou rapide. Or,
les membres du corps glorieux seront semblables à ce qu’ils sont aujourd’hui.
Son agilité sera donc aussi la même.
Cependant :
1° Saint Paul dit du corps des élus : « Semé dans la faiblesse, il
ressuscite plein de force » ; ce que la Glose interprète « plein d’agilité
et de vitalité. »
2° La lenteur est tout à fait opposée à la "spiritualité" que saint
Paul attribue au corps glorieux.
Conclusion :
Le corps glorieux sera absolument
soumis à l’âme glorifiée, non seulement en ce sens qu’il n’opposera aucune
résistance à sa volonté, car Adam innocent jouissait de ce privilège, mais
parce que l’âme lui communiquera une certaine perfection ou « prérogative
», qui le rendra capable de cette soumission totale. Or, l’âme est unie au
corps pour lui donner l’être et le mouvement. À ce double point de vue, le
corps glorieux lui sera parfaitement soumis. Par la subtilité, il le sera comme
à la forme dont il reçoit son être spécifique ; par l’agilité, comme au
principe de son mouvement par lequel il obéira docilement et promptement à
toutes les impulsions et actions de l’âme.
Solution 1 :
S’il en est ainsi, ce ne sera pas par impuissance,
mais comme un témoignage de respect rendu au corps des élus par les anges et
toutes les créatures.
Solution 2 :
Plus l’âme est maîtresse du corps,
moins elle a de peine à lui imprimer un mouvement contraire à sa nature. C’est
un fait d’expérience chez ceux dont la vigueur est plus grande ou le corps plus
exercé. Ces deux conditions, d’âme et de corps, seront réalisées au plus haut
degré chez les élus : le mouvement ne leur coûtera donc aucun effort ; c’est ce
qu’on appelle l’agilité.
Solution 3 :
Cette prérogative ne rend pas le corps
apte seulement à se mouvoir, mais à sentir et, en général à servir parfaitement
l’âme dans toutes ses opérations.
Solution 4 :
De même que la nature donne à certains
animaux des organes adaptés à un mouvement plus rapide ; de même, Dieu donnera
au corps des élus non pas d’autres organes de locomotion, mais cette
prérogative qui s’appelle l’agilité, au sens que nous avons dit
Objection 1 :
Le mouvement, qu’Aristote définit : « l’acte
d’un être un parfait », ne convient donc pas à la perfection du corps glorieux.
Objection 2 :
Le mouvement ou recherche d’une fin,
suppose donc une certaine indigence. Mais le Ciel, dit saint Augustin, « c’est
la présence de tous les biens et l’absence de tous les maux. »
Objection 3 :
Il est plus excellent de participer la
perfection divine sans mouvement qu’avec mouvement.
Objection 4 :
« L’âme affermie en Dieu, dit saint Augustin, affermira par là même son
propre corps. » Or, l’âme sera affermie en Dieu jusqu’à l’immobilité absolue.
Objection 5 :
L’excellence du lieu correspondra à
celle du corps glorieux. Le Christ « a été élevé au-dessus des cieux »,
dit saint Paul : il est le premier "par le rang et par la dignité », ajoute
la Glose. De même, chacun des élus occupera la place dont il est digne et qui
sera un des éléments de sa gloire. Donc puisque, après la résurrection, les
élus auront atteint le terme et que leur gloire demeurera invariable, chacun
gardera, sans changement, la place qu’il aura méritée.
Cependant :
« Ils courront, dit Isaïe, et ne se fatigueront
point ; ils marcheront et ne se lasseront point. » Ils seront, dit la
Sagesse, « comme des étincelles qui courent à travers le chaume. »
Conclusion :
Il faut nécessairement un certain
mouvement dans le corps glorieux. Celui du Christ est monté au Ciel ; ceux des
élus y monteront aussi après la résurrection. Mais, alors qu’ils y seront, il
est vraisemblable qu’ils se mouvront au gré de la volonté, aussi bien pour glorifier
Dieu par l’exercice des facultés qu’ils posséderont, que pour charmer leurs
regards par les magnificences de la création, miroir éclatant des perfections
divines : les sens, en effet, même chez les élus, exigent la présence de leur
objet. Cependant, ce mouvement ne diminuera en rien leur béatitude qui consiste
dans la vision de Dieu, dont ils jouiront partout où ils seront ; il en sera
d’eux comme des anges dont saint Grégoire dit : « Où qu’ils soient envoyés,
c’est en Dieu qu’ils courent. » Quant à la beauté de créatures diverses, ils
seront comme la nourriture pour la vue des êtres glorifiés. Il les conduira à
admirer la sagesse divine.
Solution 1 :
Le mouvement local ne comporte qu’un
changement extérieur, mais n’affecte en rien la constitution même d’un être.
Celui-ci peut donc être parfait en lui-même ; il n’est imparfait que par
rapport au lieu ; en ce sens que, étant dans un lieu, il est en puissance à un
autre, puisqu’il ne peut être en plusieurs lieux à la fois, privilège réservé
à Dieu. Ce défaut ne répugne donc pas à l’état de gloire, pas plus que d’être
une créature tirée du néant.
Solution 2 :
Il y a deux espèces d’indigence une
indigence absolue et une indigence relative. La première a pour objet ce sans
quoi l’on ne peut conserver son être ou sa perfection ; elle ne s’applique donc
pas au mouvement du corps glorieux ; la béatitude lui suffit. La seconde a pour
objet ce sans quoi l’on ne peut atteindre une fin aussi bien ou de la manière
que l’on veut ; elle s’applique au mouvement du corps glorieux dont les élus
ont évidemment besoin pour manifester au dehors la force motrice qui est en
eux. Il n’y a aucune difficulté à admettre de pareilles indigences dans le
corps glorieux.
Solution 3 :
L’objection porterait si le mouvement
était nécessaire au corps glorieux à cause d’une indigence absolue, comme s’ils
avaient besoin de se déplacer pour être heureux. Nous avons montré que cette
opinion est fausse. Le mouvement sert aux élus comme un surcroît de vie et de
plaisir donné par Dieu jusque dans leur corps.
Solution 4 :
Le mouvement local, étant extérieur à
l’être, ne diminue en rien la stabilité de l’âme établie en Dieu.
Solution 5 :
Le lieu plus ou moins élevé assigné
aux élus est une récompense accidentelle. Cette récompense ne consiste pas à
occuper ce lieu, qui n’exerce sur eux aucune influence mais à un être dignes.
Ils peuvent donc le quitter sans perdre pour cela leur bonheur.
Objection 1 :
Le mouvement de la volonté est
instantané. Or, saint Augustin dit : « L’âme n’aura qu’à vouloir être quelque
part, et aussitôt le corps y sera. »
Objection 2 :
D’après Aristote, si un mouvement se
produisait dans le vide, il serait instantané, puisqu’il n’éprouverait aucune
résistance. Or, ainsi que nous l’avons dit, le corps glorieux n’en éprouvera
aucune ; son mouvement sera donc instantané.
Objection 3 :
L’énergie de l’âme glorifiée dépassera
infiniment, peut-on dire, celle de l’âme non glorifiée. Le mouvement qu’elle
imprimera à son corps devra donc échapper au temps et être instantané.
Objection 4 :
Le mouvement qui parcourt avec la même
célérité, une petite ou une grande distance, est instantané. Or, tel sera celui
du corps glorieux, au dire de saint Augustin, qui compare sa vélocité à celle
du rayon lumineux.
Objection 5 :
Après la résurrection, « il n’y aura
plus de temps. » Le mouvement du corps glorieux ne sera donc plus dans le
temps, mais instantané.
Cependant :
1° Dans le mouvement local, l’espace, le mouvement et le temps ont la même
divisibilité. Or, l’espace parcouru par le corps glorieux est divisible ; donc,
son mouvement l’est aussi et se mesure par un certain temps. Il ne peut donc
pas être instantané, puisque l’instant est indivisible.
2° Il est impossible qu’une chose soit, en même temps, tout entière dans un
lieu et partiellement dans un lieu et dans uni autre ; car il s’ensuivrait que
l’une de ses parties occupe deux lieux à la fois, ce qui est impossible. Or,
une chose qui se meut est partiellement au point de départ et partiellement au
point d’arrivée, où elle est tout entière, quand le mouvement est achevé. Elle
ne saurait donc être à la fois en train de se mouvoir et au terme de son
mouvement. Mais il en serait ainsi, dans l’hypothèse du mouvement instantané,
qu’il faut donc refuser au corps glorieux.
Conclusion :
Le mouvement local du corps des élus
doit être considéré sous deux aspects : 1°
Selon qu’il est naturel, c'est-à-dire causé par la seule puissance de
l’âme. 2° Selon qu’il vient de Dieu
qui est cause de la gloire.
1° Selon qu’elle est
naturelle, l’agilité des élus ressemble à celle des damnés qui
participent à toutes les perfections naturelles du corps ressuscité. Peut-il y
avoir mouvement instantané ? Ce problème a reçu diverses solutions. Certains
prétendent que, semblable à la volonté, le corps glorieux passe d’un lieu à un
autre sans franchir le milieu qui les sépare ; son mouvement est donc
instantané comme celui de la volonté. - C’est impossible. Le corps glorieux
sera toujours un corps, sans jamais acquérir une nature purement spirituelle.
De plus, c’est métaphoriquement que la volonté est dite se transporter d’un
lieu à un autre, puisqu’elle n’y est pas contenue elle-même ; cela signifie
simplement que son intention se porte vers un lieu après s’être portée vers un
autre.
D’autres admettent bien que le corps
glorieux, parce qu’il est corps, doit franchir le milieu et se mouvoir dans le
temps : mais, ajoutent-ils, parce qu’il est glorieux, il peut s’en dispenser et
se transporter instantanément. - Cette opinion ne saurait être admise, parce
qu’elle implique contradiction. Supposons un corps qui se meut du A à B. Quand
il est tout entier en A, le mouvement n’est pas commencé ; tout entier en B, le
mouvement est terminé. Quand il se meut, puisqu’il faut bien qu’il soit quelque
part, il est ou tout entier dans un lieu intermédiaire ou partiellement dans ce
lieu et l’un ou l’autre des deux extrêmes. A étant distant de B, ce corps ne
peut être en partie dans A et en partie clans B, sans être dans le milieu, ce
qui détruirait la continuité entre les deux parties de lui-même.
Il faut donc, s’il se meut entre A
et B distants l’un de l’autre, qu’il soit successivement dans tous les lieux
qui séparent A de B. Autrement, il faudrait admettre qu’il est passé de A à B
sans se mouvoir, ce qui implique contradiction, puisque le mouvement local,
c’est précisément le passage par tous les lieux qui séparent cieux termes.
Telle est la loi pour tout mouvement entre deux termes positifs. Il en va
autrement, si l’un des termes est une simple privation, parce que, entre une
affirmation et une négation, il n’y a pas de distance déterminée, mais celle-ci
peut être plus ou moins grande selon ce qui prépare ou cause le changement ;
c’est pourquoi, même en ce cas, une action exercée précède le mouvement
réalisé. Quant au mouvement des anges, il est étranger à la question car ce
n’est pas de la même manière qu’un ange et un corps sont dits être dans un
lieu. En définitive, il faut conclure qu’il est absolument impossible qu’un
corps se transporte d’un lieu dans un autre sans passer par tous les
intermédiaires. Cette conclusion est admise par d’autres qui n’en maintiennent
pas moins le mouvement instantané du corps glorieux. Ils voient bien la
difficulté, à savoir, que ce corps serait dans le même instant en plusieurs
lieux, celui d’arrivée et tous les intermédiaires ; mais ils croient pouvoir
greffer sur l’identité réelle de l’instant une distinction de raison, comme
pour le même point qui termine plusieurs lignes. - Cette distinction est factice.
L’instant est la mesure réelle, et non logique, de son contenu. Une distinction
logique ou de pure raison, ne peut donc en faire la commune mesure de plusieurs
choses qui ne sont pas simultanées ; pas plus que, appliquée au point, elle ne
peut y réduire des éléments éloignés les uns des autres.
L’opinion la plus probable, c’est donc
que le corps glorieux se meut dans le temps. Et la rapidité de son mouvement
est dépendante de l’énergie de l’âme et des capacités naturelles de la matière.
Du côté de l’âme, l’énergie ne peut être que finie puisqu’elle est une réalité
créée ; du côté du corps, la vitesse ne peut devenir infinie, comme le montrent
les lois de la relativité. Le monde physique est ainsi fait que la vitesse de
la lumière est toujours constante, aussi bien en avant qu’en arrière, quelle
que soit la vitesse du mobile. Les corps glorieux seront soumis à cette loi de
la matière car ils resteront de réels corps matériels. Si un élu veut donc se
déplacer d’un point à l’autre de l’univers à grande vitesse au point
d’approcher celle de la lumière, il expérimentera les propriétés décrites par
Albert Einstein à propos de l’espace-temps : les distances, relativement à sa
grande vitesse raccourciront pour lui ; le temps s’allongera. Il ne s’agira pas
d’une simple impression subjective mais d’un véritable phénomène physique.
L’âme n’en sera bien sûr pas affectée, étant perpétuellement plongée dans
l’éternité de Dieu
2° Selon qu’elle est
causée par Dieu, donc surnaturelle, l’agilité des élus est parfaite. Leur
corps, revêtu de la puissance de Dieu, peut se déplacer instantanément d’un
lieu à un autre et même être en deux lieux à la fois, comme on le voit dans le
miracle de la bilocation. Tout cela se fait à volonté puisque Dieu qui fait un
au plan de l’union de l’intelligence et volonté avec les élus, obéira au
moindre de leurs désirs selon le psaume 139, 9 : « Je prends les ailes de l'aurore, je me loge au plus loin de la
mer, même là, ta main me conduit, ta droite me saisit. »
Solution 1 :
« Quand il manque un rien, c’est comme si rien ne manquait », dit Aristote. Nous
disons "Je le fais tout de suite », de ce que nous faisons avec un délai
minime. C’est ce sens qu’il faut donner au texte de saint Augustin.
Solution 2 :
Cette assertion d’Aristote est fausse.
La vitesse n’est pas seulement proportionnée à la résistance extérieure
rencontrée dans l’espace mais aussi à l’inertie du mobile. Et cette résistance
du mobile à l’accélération est d’autant plus grande qu’on approche la vitesse
de la lumière. Mais alors, les propriétés relatives du temps apparaissent ce
qui donne une voie intéressante à la compréhension de la vitesse possible au
corps glorifié lorsqu’il est mu sans résistance par l’énergie de son âme.
Cependant, l’agilité des corps glorieux reste celle de corps physiques.
Solution 3 :
Quoique l’énergie de l’âme glorifiée
soit incomparablement supérieure à celle de l’âme non glorifiée, elle n’est
cependant pas infinie et ne saurait donc causer un mouvement instantané. Elle
ne le pourrait pas non plus, alors même que son énergie serait infinie, à moins
de supprimer radicalement toute résistance opposée par le mobile, ce qui est
impossible. Car il existe une résistance qui vient de l’espace il faudrait
soustraire le mobile corporel à la nécessité d’occuper un lieu et une position
déterminés. En effet, de même que le blanc résiste au noir, et d’autant plus
qu’il en est plus éloigné, de même, le corps résiste à un lieu du fait qu’il
occupe un lieu opposé, et sa résistance est en proportion de la distance. Or,
il est impossible de soustraire un corps à la nécessité d’occuper un lieu ou
une position déterminée, à moins de lui enlever sa nature corporelle dont elle
est la conséquence. Donc, aussi longtemps qu’il garde cette nature, son
mouvement ne peut pas être instantané, quelle que soit l’énergie de son moteur
; conclusion qui s’applique au corps glorieux, puisqu’il ne sera jamais d’être
un corps.
Solution 4 :
Saint Augustin parle d’une égale
célérité, parce que la différence sera imperceptible, comme le temps même nécessaire
à ce mouvement.
Solution 5 :
Après la résurrection, il n’y aura
plus le temps qui est le nombre du mouvement sidéral ; Mais il y aura toujours
celui qui est le nombre de la succession essentielle à tout mouvement.
Objection 1 :
« Tout corps lumineux
est composé de parties transparentes », dit Avicenne. Or, beaucoup de parties
du corps glorieux, la chair, les os, etc., ne sont pas transparentes, ni, par
conséquent, lumineuses.
Objection 2 :
Un corps lumineux fait écran un astre
en éclipse un autre ; la flamme empêche de voir ce qui est derrière elle. Or,
saint Grégoire dit que, « au Ciel, l’épaisseur corporelle ne fera pas obstacle
aux regards des élus ils pourront voir de leurs yeux la merveilleuse harmonie
intérieure du corps humain. »
Objection 3 :
Selon Aristote, « la lumière est dans
le diaphane indéterminé, tandis que la couleur est à la limite "les corps.
» Or, « la beauté, dont la proportion et le coloris sont les éléments », dit
saint Augustin, ne saurait faire défaut au corps glorieux, qui ne peut donc pas
être lumineux.
Objection 4 :
La clarté devrait être égale dans
toutes les parties du corps glorieux, de même que toutes sont également
impassibles, subtiles et agiles. Mais il semble bien que, au contraire,
certaines devraient être plus éclatantes que d’autres les yeux plus que les
mains, les humeurs plus que la chair et les tendons.
Cependant :
1. « Les justes resplendiront
comme le soleil dans le royaume de leur Père. » – « Ils brilleront, et, semblables
à des étincelles, etc. »
2° Le corps des élus, « semé dans l’ignominie, ressuscitera glorieux », dit
saint Paul ; ce qui signifie la clarté, puisqu’il vient de parler de celle des
étoiles.
Conclusion :
Il faut attribuer cette prérogative
au corps des élus, puisque l’Écriture l’affirme, ainsi que nous venons de le
dire. On peut l’expliquer de la manière suivante : de même qu’à l’heure de la
mort, le corps psychique devient transparent en ce sens qu’il ne constitue plus
un obstacle aux pensées, de même, après l’entrée dans la vision de Dieu
transparaît dans le corps ressuscité. Ainsi, la clarté aura pour cause le
rejaillissement de la gloire de l’âme sur le corps. Ce qu’un être reçoit, il
le reçoit selon sa nature à lui, et non pas selon la nature de l’être qui le
lui communique. La clarté, spirituelle dans l’âme, sera donc corporelle dans le
corps, et, en lui comme en elle, proportionnée au mérite. La clarté du corps
manifestera donc la gloire de l’âme, comme un vase de cristal reflète la
couleur de l’objet qu’il renferme, dit saint Grégoire.
Solution 1 :
Avicenne parle du corps dont la clarté
dépend des éléments dont il est formé. Celle du corps glorieux dépend du mérite
et de la vertu. Il ne faut donc pas confondre la clarté du corps glorieux avec
une simple luminescence. Ici, la lumière physique qui éclate a la propriété de
révéler la présence de Dieu qui est vu.
Solution 2 :
Saint Grégoire, commentant Job,
compare le corps glorieux à l’or, à cause de son éclat, et au cristal, à cause
de sa transparence. Il semble donc bien qu’il aura ces deux qualités à la fois.
C’est la densité des éléments qui fait que leur éclat s’oppose à la
transparence. Mais la clarté du corps glorieux n’aura pas sa cause en lui-même
: il pourra donc, comme le cristal, posséder tout ensemble densité et
transparence. Certains veulent qu’il y ait ici une simple comparaison le corps
glorieux laisse voir la gloire de l’âme, comme un vase de cristal laisse voir
l’objet qu’il renferme. Mais la première explication convient mieux à la
dignité du corps glorieux, et elle est plus conforme à ce que dit saint
Grégoire.
Solution 3 :
La gloire du corps ne détruira pas sa
nature, mais la perfectionnera. La couleur qui lui est naturelle demeurera
donc, mais la gloire de l’âme y ajoutera un nouvel éclat ; de même qu’on voit
ici-bas la splendeur du soleil ou toute autre cause interne ou externe, faire
briller davantage les objets naturellement colorés.
Solution 4 :
La gloire de l’âme rejaillira sur
chaque partie du corps de la manière convenable à celle-ci. Il est donc
raisonnable d’admettre que chacune aura une clarté plus ou moins grande selon
ses prédispositions naturelles. Il n’en va pas de même pour les autres
prérogatives, car les différentes parties du corps s’y prêtent également.
Objection 1 :
Cela semble, car la récompense
essentielle l’emporte sur l’accidentelle. Mais la dot, qui appartient à la
récompense essentielle, n’est point seulement dans l’âme, elle est aussi dans
le corps. Donc également l’auréole, qui appartient à la récompense
accidentelle.
Objection 2 :
Le péché accompli avec le corps reçoit
un châtiment dans l’âme et dans le corps. Donc, l’acte méritoire accompli avec
le corps mérite une récompense dans l’âme et dans le corps. Or, les actes qui
méritent l’auréole s’accomplissent avec le corps celle-ci lui est donc due
aussi.
Objection 3 :
Dans les corps des martyrs, on verra,
à travers leurs cicatrices, une sorte de rayonnement de la plénitude de leur
vertu, saint Augustin dit : « Je ne sais comment nous sommes pénétrés
par l’amour des bienheureux martyrs, au point de vouloir voir, au royaume des
cieux, jusque dans leurs corps, les cicatrices des blessures qu’ils ont
supportées pour le nom du Christ. Peut-être les verrons-nous ce ne sera pas
chez eux une difformité, mais une sorte d’honneur ; une splendeur brillera en
eux, qui, bien qu’elle soit dans leur corps, ne sera pas du corps, mais de leur
vertu. » Il semble donc que l’auréole des martyrs sera même dans leur corps,
ainsi que les autres auréoles, pour e même motif.
Cependant :
Les âmes qui sont maintenant au
paradis ont des auréoles, sans avoir de corps physique. Le sujet propre de
l’auréole n’est donc pas le corps, mais de l’âme.
En outre, tout mérite vient de l’âme :
toute la récompense doit donc être en elle.
Conclusion :
L’auréole est à proprement parler dans
l’esprit car elle est la joie d’avoir accompli les œuvres auxquelles est due
l’auréole. Mais de même que de la joie de la récompense essentielle, qui est
la couronne, rejaillit une sorte de beauté dans le corps, qui le glorifie, de
même, de la joie de l’auréole rejaillit une certaine beauté du corps ; de sorte
que l’auréole est principalement dans l’esprit, mais qu’elle resplendit aussi
dans le corps par une sorte de reflet.
Solution 1 :
De là découlent les réponses aux
difficultés. Pourtant, on doit savoir que l’ornement des cicatrices, qui
apparaîtront dans le corps des martyrs, ne peut s’appeler auréole. Car certains
martyrs auront l’auréole sans avoir de cicatrices, parce qu’ils ont été noyés
ou sont morts de faim ou des suites des tourments de leur prison.
Objection 1 :
Il faut une proportion entre le sens
de la vue et son objet. Or, il n’y en a pas entre l’œil humain non glorifié et
la clarté de la gloire qui est d’une autre espèce que celle de la nature.
Objection 2 :
Le corps glorieux sera plus brillant
que le soleil, qui brillera lui-même encore d’avantage qu’aujourd’hui. Or,
l’œil humain n’est pas capable de contempler le soleil dans tout son éclat.
Objection 3 :
Un objet visible, placé devant un œil
sain, est nécessairement vu par lui. Or, les disciples virent le corps du Sauveur
ressuscité sans en voir la clarté. C’est donc que la clarté du corps glorieux
n’est pas visible pour l’œil humain.
Cependant :
1° « Le Sauveur transformera notre corps misérable en le
rendant semblable à son corps glorieux », dit saint Paul ; et
la Glose ajoute : « Nous aurons une clarté semblable à celle qu’il eut lui-même
lors de sa transfiguration, clarté que ses disciples purent voir de leurs yeux.
»
2° Au jugement, les impies seront torturés en voyant la gloire des justes,
dont la clarté est un élément.
Conclusion :
Certains ont nié la possibilité de
cette vision à moins d’un miracle. Mais, pour admettre cette opinion, il
faudrait, quand on parle du corps glorieux, donner au mot clarté un sens
tout différent de celui auquel nous sommes habitués. En effet, la lumière est
par elle-même, de nature à impressionner la vue, comme la vue est, par
elle-même, de nature à percevoir la lumière ; les mêmes rapports existent aussi
entre le vrai et l’intelligence, le bien et la volonté. Pour dire que la vue est
absolument incapable de percevoir la lumière, il faudrait donc prendre le mot
"vue" ou le mot lumière dans un sens tout nouveau. Il ne saurait en
être ainsi quant à la question présente ; car alors, nous dire que la clarté
est une prérogative du corps glorieux ne nous apprendrait rien, pas plus que si
l’on disait qu’il y a un chien dans le Ciel, (en désignant la constellation
ainsi nommée), à quelqu’un qui ne connaîtrait que le chien animal. Il faut donc
conclure que la clarté du corps glorieux peut être vue par un œil non glorifié.
Solution 1 :
La clarté de la gloire a une autre
cause que celle de la nature, mais elle n’est pas d’une autre espèce, ni donc
sans proportion avec la vue.
Solution 2 :
Le corps glorieux ne peut agir ou
pâtir que sous l’influence de l’âme. Une clarté intense qui émane de l’âme
n’offense pas la vue, mais la délecte ; au contraire, celle qui provient d’une
cause naturelle brûle et désagrège l’organe visuel. Ainsi, la clarté du corps
glorieux, quoiqu’elle dépasse celle du soleil, n’est donc pas de nature à
blesser le regard, mais plutôt à le réjouir. C’est pourquoi l’Apocalypse la
compare à l’éclat du jaspe.
Solution 3 :
C’est la volonté qui a mérité la
clarté du corps. Celle-ci lui sera donc soumise, visible ou invisible à son gré
: le corps glorieux pourra donc ou manifester ou dissimuler son éclat. Telle
est l’opinion du Prévôtin.
Objection 1 :
Le corps glorieux sera lumineux. Or,
il est de la nature de la lumière d’être vue et de faire voir.
Objection 2 :
Un corps qui empêche de voir ce qui
est derrière lui est vu nécessairement et par le fait même. Or, il en est ainsi
du corps glorieux, puisqu’il est coloré.
Objection 3 :
Comme la quantité, la visibilité est
inhérente au corps. Donc celle-ci, pas plus que celle-là, ne dépend de la
volonté.
Cependant :
Le corps des élus ressemblera à celui
du Christ ressuscité, qui n’était pas nécessairement vu, puisque tout d’un
coup, les disciples d’Emmaüs ne le virent plus.
2° Le corps glorieux obéira parfaitement à l’âme : il sera donc visible ou
invisible au gré de celle-ci.
Conclusion :
Un objet visible est vu par l’action
qu’il exerce sur la vue. Mais cette action sur quelque chose d’extérieur à lui
ne le change pas lui-même. Donc, sans perdre aucun des éléments de sa
perfection, le corps glorieux peut être vu ou ne l’être pas. Donc, l’âme
glorifiée a le pouvoir de rendre son corps visible ou invisible : cette action,
comme les autres, dépend d’elle. Autrement, le corps glorieux ne serait pas,
vis-à-vis d’elle, l’instrument tout à fait obéissant qu’il doit être.
Solution 1 :
Le corps glorieux sera maître de
manifester ou dissimuler sa clarté.
Solution 2 :
La couleur d’un corps n’empêche sa
transparence que si elle agit sur la vue, qui peut difficilement être
impressionnée par deux couleurs à la fois de façon à voir parfaitement l’une et
l’autre. Mais la couleur du corps glorieux agira ou n’agira pas sur la vue, ait
gré de l’âme, et pourra donc de même être opaque ou transparente
Solution 3 :
La quantité est inhérente au corps glorieux, de telle sorte
qu’elle ne puisse varier au gré de l’âme, sans un changement intrinsèque qui
serait en contradiction avec l’impassibilité de ce corps. Il n’en va pas de
même pour la visibilité. Sans doute, il ne dépend pas de l’âme que la qualité,
qui en est le principe, soit ou ne soit pas ; mais l’action de cette qualité,
et donc le fait d’être visible ou de ne l’être pas, dépend de l’âme.
Objection 1 :
Il semble que le corps glorieux est la
même chose que le corps astral. D’après la philosophie chinoise le corps astral
possède le pouvoir de traverser les murs, ce qui semble être lié à la
subtilité. Il peut se déplacer à grande vitesse dans l’espace ce qui est
l’agilité. Il est libéré de tout défaut physique ce qui se rapporte à
1’intégrité etc. Or toutes ces propriétés sont caractéristiques du corps
glorieux.
Objection 2 :
Le corps astral est affranchi de toute
vie végétative : il n’a pas besoin de se nourrir ou de respirer. Il est le
siège d’une vie sensible dont l’exercice est très aisé lorsqu’il est séparé du
corps physique. Or tout cela semble commun avec les propriétés du corps
glorieux.
Objection 3 :
Si l’on admet que le corps astral
n’est pas autre chose que le corps des ressuscités, on peut être amené à
comprendre d’une manière nouvelle et intéressante le mystère de la
résurrection. Celle-ci ne serait que la reprise par l’âme d’un corps psychique
(qui n’est autre que le corps astral) ou l’absence de vie végétative s’explique
par l’absence du corps physique et de son inertie matérielle.
Cependant :
À la résurrection, les hommes
retrouveront leur corps au complet. C’est pourquoi ce corps renouvelé sera
composé de chair et d’os. Au contraire le corps astral est un corps vaporeux et
impalpable et il se distingue du corps physique. Donc, il ne peut y avoir
identité entre le corps glorieux et le corps astral.
Conclusion :
Selon certaines traditions
philosophiques chinoises et indiennes, on peut discerner dans l’être humain
trois degrés de vie auxquels correspondent trois corps parfaitement adaptés
l’un à l’autre pour former une seule personne le corps physique, le corps
astral et le corps mental.
Le corps physique est le siège des
facultés végétatives comme la nutrition, la reproduction, la croissance. Il est
aussi le siège d’un autre corps appelé corps astral. C’est le corps
physique qui est source de l’existence du corps astral. Mais, après la mort du
corps physique, le corps astral s’en sépare et subsiste en se nourrissant de
l’énergie de l’âme elle-même. Ainsi, les morts emportent avec eux leur
psychisme, d’où l’expérience de la décorporation que rapportent de nombreuses
personnes passées près de la mort. Le corps astral est, avec le corps physique,
siège des facultés psychiques comme les sensations, les passions l’imagination
et la mémoire. Le corps mental n’est autre que ce que nous appelons l’esprit,
siège de l’intelligence et de la volonté. Ils ne lui donnent le nom de corps
que par métaphore car, selon eux, il dépasse cette notion pour être entièrement
spirituel. Le corps mental est immortel et indestructible. C’est lui qui, dans
la sagesse hindouiste, se réincarne à travers les âges.
Aristote distingue de la même façon
trois degrés de vie mais son analyse s’attache moins à la cause matérielle,
pour regarder la cause efficiente.
Ceci posé et dans l’hypothèse où le
corps astral n’est pas une fiction, on doit admettre qu’il ne peut être
identique au corps ressuscité tel que nous l’avons décrit et tel que la foi
catholique en parle. En effet, ce qui ressuscite, ce n’est pas une partie du
corps mais le corps humain tout entier avec sa chair et ses os. C’est ce que
voulait signifier Jésus lorsque ses disciples le prirent pour un fantôme, c’est
à dire pour une apparition vaporeuse semblable au corps astral. Il leur fit
toucher son corps et Thomas mit la main dans son côté. Au contraire si Jésus
était ressuscité en ce sens qu’il aurait retrouvé son seul corps psychique ou
astral, il aurait ressemblé à un spectre impalpable et son corps serait reste
au tombeau.
Solution 1 :
Il est vrai que
les récits rapportent des expériences de décorporation manifestent que les handicaps
du corps physique ne sont pas présents dans le corps astral. Celui-ci est
décrit comme un double du corps physique composé d’une matière qui n’est pas
corpusculaire. On pourrait appeler une telle matière une "matière
psychique. » Cependant, l’intégrité de ce corps double n’est pas totale
puisqu’il lui manque le corps physique qui fait essentiellement partie de la
nature humaine. Il n’est donc pas identique au corps ressuscité.
Quant aux propriétés telles que
l’agilité et la subtilité qui semblent appartenir au corps astral, elles sont
une première participation de celles qui appartiendront au corps des élus
lorsque la gloire de Dieu les aura transformés.
Solution 2 :
Que les propriétés du corps astral
soient communes avec celles du corps des ressuscités, cela ne prouve pas qu’il
lui soit identique. Il lui manque en effet la capacité de se rendre visible et
palpable à volonté, tel que le Christ le pouvait. De même, il lui est de
toucher la matière atomique, de la goûter. Au contraire, le Christ manifesta à
ses disciples qu’il pouvait manger puisqu’il prit du pain et du poisson avec
eux. De fait, les morts avant leur résurrection ne sont pas en possession de la
troisième partie du microcosme humain, à savoir le corps physique palpable. Le
corps astral n’est pas le corps humain mais seulement une partie de ce corps.
Il n’est donc pas identique au corps des ressuscités qui sera parfait.
Solution 3 :
La résurrection du Christ est modèle
de la nôtre. Or, on doit admettre, avec la foi catholique, qu’il est vraiment
mort et que son âme s’est séparée complètement de son corps. Lorsqu’il est
ressuscité, il a retrouvé ce corps dans toute son intégrité. Il a pris de
nouveau possession de sa chair qui reposait au tombeau et non seulement de son
corps psychique ou corps astral. L’hypothèse contenue dans l’objection doit
donc être rejetée comme opposée à la foi catholique. En premier lieu, elle
méconnaît la perfection supérieure du corps des ressuscités en les réduisant à
des corps fantomatiques. En second lieu, elle aboutit à réduire la résurrection
du Christ et celle qui aura lieu à la fin des temps à un simple symbole. La
raison de cette méfiance vis-à-vis du corps physique vient principalement de
l’expérience terrestre de sa misère. Elle confond un mode provisoire lié à une
purification avec la gloire que Dieu prépare pour ceux qui l’aiment.
Il s’agit maintenant de l’état
corporel des damnés. On demande :
1° Ressusciteront-ils avec leurs difformités corporelles ?
2° Leur corps sera-t-il corruptible ?
3° Sera-t-il impassible ?
Objection 1 :
La peine du péché ne peut cesser
qu’avec sa rémission. Or, la mutilation est parfois un châtiment du péché, et
on pourrait en dire autant de toutes les difformités corporelles. La
résurrection ne les fera donc pas disparaître du corps des damnés, dont les
péchés ne seront jamais remis.
Objection 2 :
De même que les élus auront tout ce
qui peut rendre leur félicité parfaite ; de même les damnés devront avoir tout
ce qui peut porter leur malheur à son comble.
Objection 3 :
La résurrection ne remédiera pas au
défaut d’agilité chez les damnés ; donc, pas davantage, à leurs difformités.
Cependant :
« Les morts ressusciteront incorruptibles », dit saint
Paul ; et la Glose ajoute « tous les morts sans distinction, même les
pécheurs, ressusciteront avec leurs membres au complet. »
Conclusion :
On peut distinguer deux espèces de
difformités corporelles. 1° L’une
résulte de l’absence d’un membre, d’une mutilation, qui détruit l’harmonie et
la beauté du corps. Tout le monde affirme que le corps des damnés ne sera pas
difforme de cette manière, puisque le corps humain, chez les méchants comme
chez les bons, doit ressusciter tout entier. 2° L’autre résulte d’un désordre, ayant pour objet la quantité, la
qualité, la disposition des membres et, en tout cas, nuisible à l’équilibre et
à l’harmonie du corps tout entier. Sur cette espèce de difformités, comme les
infirmités, fièvres, maladies, etc., qui en sont parfois la cause, saint
Augustin n’a pas voulu se prononcer.
Certains ont été plus hardis et ont déclaré que les
damnés ressusciteront avec elles, pour que rien ne manque au malheur suprême
qu’ils ont mérité. Cette opinion ne semble pas raisonnable. La réparation du
corps humain vise sa perfection naturelle plus encore que son état antérieur ;
c’est pourquoi les enfants ressusciteront à l’âge de la pleine jeunesse. Dès
lors, tout défaut corporel et toute difformité conséquente devraient
disparaître à la résurrection, à moins, prétend-on, que le péché ne s’y oppose
et en impose la réviviscence comme un châtiment. Mais « la peine doit
correspondre à la faute » ; et il pourrait donc arriver qu’un pécheur moins
coupable souffrit de ces infirmités dont un autre plus coupable serait exempt
dès lors la mesure de son châtiment serait disproportionnée à celle de sa
faute, et il semblerait plutôt qu’il fût puni pour des peines qu’il a déjà
endurées en cette vie, ce qui est absurde.
Il est donc plus raisonnable de dire
que le Créateur de la nature humaine la refera dans son intégrité. C’est-à-dire
tous les défauts et difformités corporels, fièvre, mal d’yeux, etc., ayant
pour principe une corruption ou une débilité de la nature ou des principes
naturels, seront éliminés par la résurrection ; au contraire, les imperfections
inhérentes au corps humain de par sa nature même, pesanteur, passibilité, etc.,
dont l’état de gloire délivrera le corps des élus, se retrouveront dans le
corps des damnés.
Solution 1 :
Un tribunal ne peut infliger une peine
que dans les limites de sa juridiction ; c’est pourquoi les peines infligées au
péché en cette vie sont temporelles comme elle et finissent avec elle. Ainsi
donc, quoique le péché des damnés ne soit pas remis, il ne s’ensuit point
qu’ils doivent subir les mêmes peines qu’ici-bas ; la justice divine leur en
réserve d’autres.
Solution 2 :
Il n’y a point parité entre les bons
et les méchants ; car quelque chose peut être absolument bon, mais rien ne peut
être absolument mauvais. Le bonheur des élus exige l’absence de tout mal ; mais
le malheur des damnés se saurait exiger celle de tout bien, car « le mal,
s’il n’était que mal, se détruirait lui-même », comme le dit Aristote. Le
malheur des damnés exige donc la présence d’un certain bien naturel, à savoir,
la nature humaine, œuvre du Créateur parfait, qui la leur rendra dans toute sa
perfection spécifique.
Solution 3 :
L’absence d’agilité est une
imperfection naturelle au corps humain ; il n’en est pas ainsi d’une
difformité.
Objection 1 :
C’est impossible, puisqu’il sera
composé d’éléments contraires, comme aujourd’hui ; autrement, il nie serait
plus le même, ni comme espèce, ni comme individu.
Objection 2 :
Son incorruptibilité viendrait ou de
la nature ou de la grâce et de la gloire. Mais la première sera et en eux la
même qu’aujourd’hui, et les deux autres leur feront défaut.
Objection 3 :
Il ne semble pas raisonnable de soustraire
ceux qui ont mérité le malheur suprême à la mort, qui est le plus grand des
châtiments.
Cependant :
1° Il est dit dans l’Apocalypse : « En ces jours-là, les hommes chercheront
la mort et ils ne la trouveront pas ; ils souhaiteront la mort, et la mort
fuira loin d’eux. »
2° Et dans saint Matthieu : « Ceux-ci iront au supplice éternel » ; ce
qui suppose l’incorruptibilité corporelle de ceux qui y sont condamnés.
Conclusion :
Comme tout mouvement exige une cause,
un mouvement ou changement peut être supprimé si la cause fait défaut ou si
quelque chose met obstacle à son action. Or, la corruption est une espèce de
changement, et peut donc aussi être empêchée des deux manières qui viennent
d’être dites. 1° En supprimant totalement
sa cause ; c’est ainsi que le corps des damnés sera incorruptible. Dieu
supprimera toute cause extérieure de corruption comme les maladies, les
blessures etc. Après la résurrection, le corps humain ne subira donc plus
aucune influence capable de l’altérer et finalement de le corrompre. Cette
incorruptibilité corporelle des damnés servira l’amour de Dieu qui respecte le
choix éternel des damnés. 2° En
mettant obstacle à son action. C’est ainsi que le corps d’Adam était
incorruptible la grâce d’innocence empêchait eu lui la lutte des éléments contraires
et la dissolution qui en aurait été la conséquence. C’est ainsi que le sera, et
mieux encore, le corps des élus, pleinement soumis à leur âme, et dans lequel
se trouveront donc à la fois les deux modes d’incorruptibilité.
Solution 1 :
Les éléments contraires dont le corps
humain est formé conduisent à la destruction de la vie biologique pour deux
raisons : 1° Une cause interne au
corps qui porte en lui-même la nécessité de mourir puisqu’il est programmé
génétiquement de telle manière qu’il perde sa vitalité avec l’âge. Le corps ne
se renouvelant pas assez rapidement, l’usure des organes cause la vieillesse
et le rend de moins en moins apte à être informé par l’âme. Lorsqu’un homme
meurt de vieillesse, c’est parce que son âme est devenue incapable d’assumer un
corps trop usé.
2° Une cause externe peut venir apporter la destruction du corps : il s’agit
des diverses maladies dont l’origine peut être d’ailleurs très diverse :
parfois physique (blessure, microbes, refroidissements, empoisonnements), parfois
psychologique (à cause d’un excès de tristesse ou d’angoisse), parfois
spirituelle (état de péché), parfois paranormale (influence du monde
angélique). De telles maladies peuvent aboutir à la mort puisque l’âme n’a ni
une puissance infinie sur le corps ni une assistance divine infaillible pour le
maintient de la vie biologique.
Après la résurrection, les causes
internes de la destruction du corps disparaîtront puisqu’il sera éternellement
renouvelé par la gloire de Dieu. D’autre part, l’âme, à cause de l’aide divine,
exercera en plénitude sa puissance vitalisante au point que nulle maladie ne
pourra en aucune manière frapper l’homme.
Objection 1 :
« Toute passion
(modification) qui s’accentue tend à détruire la nature », dit Aristote. De
plus, « une destruction partielle, mais continue, d’un être fini, aboutit à sa
totale corruption. » Or, on vient de prouver que le corps des damnés est
incorruptible ; il doit donc aussi être impassible.
Objection 2 :
Même conclusion tirée de la loi
d’après laquelle l’agent tend à s’assimiler le patient fait pâtir le corps des
damnés, il finira par le consumer.
Objection 3 :
Le corps des damnés était passible,
leurs souffrances surpasseraient toutes celles d’ici- bas, de même que la
félicité des élus est incomparable. Mais nous voyons l’intensité de la douleur
causer parfois la mort. À plus forte raison, le corps des damnés ne peut pas
être à la fois passible et incorruptible.
Cependant :
1° À ces paroles, de saint Paul : « Nous serons transformés », la Glose
ajoute "Nous seuls, les bons, serons transformés par la gloire et
deviendrons immuables et impassibles. »
2° Le corps est l’auxiliaire de l’âme pour le mal comme pour le bien. Or, le
corps partagera la récompense de l’âme ; il doit donc partager aussi son
châtiment, et, pour cela, être passible.
Conclusion :
Pâtir signifie une modification
éprouvée par le patient ce qui peut avoir lieu de deux manières. Le patient
peut recevoir de l’agent une forme, selon l’être matériel de celle-ci telle, la
chaleur que l’air reçoit du feu on appelle cette manière passion naturelle. Il
peut la recevoir immatériellement, selon son être intentionnel : telle une
couleur, la blancheur, par exemple, reçue dans l’air et dans l’œil ; c’est de
cette manière que l’âme reçoit les similitudes des réalités, aussi
l’appelle-t-on passion de l’âme. -Après la résurrection, il n’y aura plus
d’altération ni donc de passion naturelle, et, en ce sens, le corps des damnés
sera impassible aussi bien qu’incorruptible. Mais l’autre mode de passion
demeurera : l’air sera illuminé par le soleil, et, par lui, la vue recevra
l’impression des objets colorés. Le corps des damnés sera passible de cette
manière : leur sensibilité s’exercera donc ressentira la souffrance, sans
pourtant que l’état naturel de leur corps soit modifié. Quant au corps des
élus, quoiqu’il soit passif, en un certain sens, puisque leur sensibilité
s’exercera, on ne doit cependant pas le dire passible, parce que jamais leur
sensibilité n’aura pour objet quelque chose qui puisse les affliger ou les
faire souffrir.
Les damnés pourront souffrir physiquement
car, n’étant pas unis à Dieu par la charité, ils ne recevront pas la grâce qui
seule aurait pu les établir dans la béatitude. Leur corps étant celui d’une
âme malheureuse, il participera à ce malheur.
Solution 1 :
Aristote parle ici de la passion qui
modifie l’état naturel du patient ; le corps des damnés en sera indemne.
Solution 2 :
Le feu, c’est-à-dire la souffrance
physique qui consumera le corps des damnés aura sa source dans leur propre
péché comme nous l’avons montré. En tant qu’elle s’est détournée de Dieu, leur
âme répandra son amertume jusque dans leur corps ; cependant, en tant qu’elle
est source de leur vie, elle recevra de Dieu la puissance de les maintenir
toujours en vie. Dieu dans sa justice respectera ainsi leur liberté, puisque
c’est ainsi que veulent vivre les damnés, loin de celui qui aurait pu les
rendre heureux.
Solution 3 :
La douleur ne sépare pas l’âme du corps,
tant qu’elle reste dans la puissance de l’âme qui en est le sujet, mais
seulement lorsqu’elle se communique au corps pour le modifier, comme nous
voyons la colère l’échauffer ou la peur le glacer. Mais, après la résurrection,
le corps ne sera plus soumis à des modifications de ce genre ; et ainsi,
quelque grande que soit la douleur, jamais elle ne séparera l’âme de son
corps.
Il nous
faut maintenant étudier la transformation du monde qui accompagnera la
résurrection des corps. Elle sera précédée par une purification des éléments
qui s’accomplira par le feu.
A propos
de la conflagration du monde, nous nous poserons huit questions :
1° Le monde doit-il être purifié ?
2° Cette purification se fera-t-elle par le
feu ?
3° Ce feu purifiera-t-il les cieux supérieurs
ou seulement la terre ?
4° Tous les éléments seront-ils purifiés par
le feu ?
5° La dernière conflagration du monde
précédera-t-elle la résurrection des corps ?
6° La dernière conflagration suivra-t-elle le
jugement ?
7° Le feu produira-t-il sur les choses les
effets indiqués par le maître des Sentences ?
8° Ce feu engloutira-t-il les reprouvés ?
Objection 1 :
Seul ce qui est impur a besoin d’être
purifié. Mais les créatures de Dieu ne le sont point : « Ce que Dieu a
déclaré pur, ne le déclare pas impur. »
Objection 2 :
La purification opérée par la justice
divine a pour objet le péché, par exemple, en purgatoire. Mais il ne saurait
rien y avoir de pareil dans les éléments de l’univers.
Objection 3 :
Purifier une chose, c’est séparer d’elle ce qui lui est
étranger et la diminue. Lui enlever ce qui l’ennoblit, ce n’est plus la
purifier, mais l’amoindrir. Or leur combinaison rend les éléments cosmiques
plus parfaits et plus nobles, puisque la forme du corps composé est supérieure
à celle du corps simple. La
purification de l’univers semble donc inadmissible.
Cependant :
1° Tout renouvellement exige une certaine
purification. Or, les éléments seront renouvelés : « Je vis un nouveau Ciel
et une nouvelle terre, car le premier Ciel et la première terre avaient disparu.
»
2. « La
figure de ce monde passe », dit saint Paul et la Glose ajoute : « La beauté
de ce monde périra dans la conflagration universelle. »
Conclusion :
Dieu commencera l’œuvre de
renouvellement du monde en détruisant. Saint Pierre nous décrit son action : « Il viendra, le jour du Seigneur, comme un
voleur. En ce jour, les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments embrasés
se dissoudront, la terre avec les œuvres qu'elle renferme sera consumée”[1679]. Comme tous les textes apocalyptiques, ce
texte parle en premier lieu de notre mort individuelle. La glorification
du corps humain exige la disparition des trois choses qui, à savoir, 1° la corruptibilité naturelle liées aux
propriétés provisoires de toute la matière de ce monde ; 2° La souillure du péché : « La corruption ne possédera point
l’incorruptibilité », tous les immondes seront "exclus" de la
cité glorieuse ; 3° Ce qui étant
saint mais provisoire, sera périmé. Mais
ce texte décrit aussi la fin de notre planète. Il y aura aussi trois motifs :
1° La corruptibilité naturelle des choses : Ainsi faut-il que les éléments cosmiques
soient débarrassés des dispositions contraires à l’incorruptibilité
(l’entropie) avant d’être renouvelés et glorifiés. Puisque le monde a été fait
à certains égards pour l’homme, il faut que lorsque l’homme sera glorifié dans
son corps, les autres êtres corporels soient améliorés, afin que l’univers
devienne un séjour à la fois plus convenable et plus agréable.
2° Les vestiges des péchés : Dans les parties où l’homme a vécu, il
faut aussi que disparaissent les vestiges archéologiques marqués par son péché.
Sans doute, le péché ne peut pas, à proprement parler, souiller les choses
corporelles. Il met cependant en elles une espèce de répugnance à un
enrichissement spirituel. Les lieux profanés par certains crimes sont jugés
impropres aux cérémonies religieuses, tant qu’ils n’ont pas été purifiés. D’après
ce principe, la partie de l’univers où vivent les hommes a contracté, à cause
de leurs péchés, une certaine inaptitude à être glorifiée, et donc un besoin de
purification. De même, les éléments de la partie intermédiaire, de par leur
contact avec les nôtres, subissent des influences : corruption, génération,
altération, qui les dégradent et exigent qu’ils soient purifiés, eux aussi,
avant d’être renouvelés et glorifiés.
3° Ce qui, pourtant saint, sera périmé : Personne
ne regrettera les cathédrales gothiques, où l’on priait si mal au temps où Dieu
se cachait dans son eucharistie, puisque le même Dieu sera vu face à face dans
le temple nouveau de l’univers. Personne ne voudra garder les immenses
bibliothèques puisqu’on lira les sciences à livre ouvert sur le visage de Dieu.
Il ne devra rien subsister du monde ancien, pas pierre sur pierre, car le monde
nouveau le remplacera. Même les œuvres faites par Dieu pour cette terre
disparaîtront. Les textes des Evangiles seront brûlés par le feu dont parle
saint Pierre[1680] : nous aurons le Christ lui-même qui est
l’Évangile incarné, présent devant nos yeux.
Après la destruction de la terre, Dieu commencera à façonner un nouvel
univers. Il s’agira d'un univers physique, tout autant que notre corps, mais
adapté à sa nouvelle vie. Il sera donc comme lui éternel, délivré de toute
corruption et génération, dispensé de cette loi de désagrégation (l'entropie)
qui nous tient actuellement. C'est Dieu lui-même qui, en le soutenant comme il
soutiendra notre corps et le dispensera de se nourrir, le rendra incorruptible.
Solution 1 :
Quand on dit que toute créature de Dieu est pure, il faut entendre
que sa substance ne contient aucun mélange de mal, au sens des Manichéens qui
prétendaient que le bien et le mal sont deux substances, tantôt séparées,
tantôt mêlées. Mais cela n’exclut pas la possibilité d’un alliage par lequel
une chose, bonne en elle-même, déprécie cependant celle à laquelle elle
s’allie. Cela n’exclut pas non plus la possibilité du mal pour une créature,
mais toujours comme un accident, et jamais comme une partie essentielle.
Solution 2 :
Quoique les éléments corporels ne puissent être le sujet du péché,
celui-ci leur fait cependant contracter une certaine inaptitude à recevoir leur
glorification.
Solution 3 :
Le fait que
les corps soient composés d’une structure complexe ne les rend corruptibles
qu’ici-bas, non à cause de cette complexité elle-même mais à cause de la
faiblesse de leur cause d’unité (physis pour les corps minéraux et psyche
pour les vivants) trop faible à les garder incorrompus. Dans l’au-delà, les
corps composés seront revêtus de la force incorruptible de leur cause d’unité
transfigurée par Dieu. Ils resteront donc composés mais ils seront, grâce à
cette puissance venant de Dieu, l’Acte pur, débarrassés pour toujours s effets
de la loi de l’entropie.
Objection 1 :
Le feu, étant une partie de l’univers, a besoin, autant que les
autres, d’être purifié ; mais il ne peut pas l’être par lui-même.
Objection 2 :
Aussi bien que le feu, l’eau sert à purifier, et certaines
purifications lui étaient réservées dans l’ancienne Loi. La purification de
l’univers, du moins dans sa totalité, ne se fera donc pas par le feu mais par
l’eau.
Objection 3 :
Elle semble
devoir consister à désagréger les parties qui composent l’univers afin de les
rendre plus pures. Mais « cette œuvre de distinction », à l’origine du
monde, eut pour cause la seule puissance divine ; Anaxagore dit qu’elle est un
acte de l’intelligence qui meut toutes choses. La purification finale sera donc
faite par Dieu lui-même, et non par le feu.
Cependant :
1° La réponse affirmative est suggérée par un
texte des Psaumes qui parle en ces termes de la fin du monde et du jugement. « Devant
lui est un feu dévorant, autours de lui se déchaîne la tempête. Il appelle les
cieux en haut, et la terre, pour juger son peuple. »
2° Saint Pierre dit aussi[1682]
: « Les cieux enflammés se dissoudront, et les éléments embrasés se fondront.
»
Conclusion :
La purification de l’univers est destinée non seulement à enlever
la souillure résultant du péché, l’impureté consécutive au mélange des
éléments, mais aussi à préparer l’état glorieux. Le feu convient très
parfaitement à ce triple effet : 1° Il
est le plus noble des éléments, celui dont les propriétés naturelles, par
exemple et surtout la lumière, ressemblent le plus à celles de la gloire. 2° L’énergie de son activité rend un
alliage avec lui plus difficile qu’avec tout autre élément. 3° La sphère ignée est éloignée du globe
terrestre, demeure des hommes, et ceux-ci emploient le feu moins communément
que la terre, l’eau ou l’air ; il est donc par là même moins contaminé. Pour
ces motifs, il possède une grande efficacité pour purifier et diviser jusqu’aux
parties les plus subtiles.
Cependant,
la science moderne permet peut-être d’aller plus loin dans la recherche de la
nature de ce feu. Puisqu’il renouvellera de manière fondamentale l’état de la
matière atomique, l’entropie n’étant pas supprimée en elle-même (sans quoi la matière
ne serait plus de la matière) mais empêchée d’agir par une action de Dieu, on
peut penser que ce feu agira au moins au niveau atomique si ce n’est plus
profondément, au niveau des particules qui forment les atomes ou encore au
niveau plus radical de la lumière première qui compose l’univers.
Solution 1 :
C’est uni à une matière étrangère que le feu, est employé par
l’homme ; mais, considéré comme l’énergie matérielle fondamentale, il n’est pas
susceptible d’être souillé par l’homme et c’est en cet état de pureté
originelle qu’il pourra purifier et comme raffiner le feu que nous employons.
Solution 2 :
Le déluge purifia le monde de la souillure du péché, et surtout du
péché de convoitise auquel l’eau convenait bien comme élément purificateur. La
purification finale ayant pour objet et la souillure du péché et la
corruptibilité du monde, le feu parait lui convenir mieux que l’eau. Celle-ci
est plus apte à amalgamer qu’à désagréger, et donc moins capable de séparer les
éléments pour les purifier. D’autre part, à la fin du monde, devenu vieux, pour
ainsi dire, le grand péché, ce sera la tiédeur : « La charité d’un grand
nombre se refroidira. » Il convient donc qu’il soit purifié par le feu. Il
n’y a rien qui ne puisse être purifié par le feu. Cependant, certaines choses
ne peuvent l’être sans être consumées, par exemple, les linges, les ustensiles
en bois, etc., dont l’ancienne Loi ordonnait la purification par l’eau. Mais, à
la fin du monde, toutes ces choses doivent être détruites par le feu.
Solution 3 :
Par
l’œuvre de distinction, les choses ont reçu à l’origine les formes diverses qui
les distinguent les unes des autres. Cette action fut opérée par Dieu comme
cause première et, comme cause seconde, par l’action des anges sur les lois de
la matière. Dieu ne fut à l’origine, par sa Toute-puissance, que de l’œuvre de
la création à partir de rien (la matière première et les esprits). La
purification finale doit ramener les choses à la pureté de leur création ; et,
en cela, une créature peut servir d’instrument au Créateur. Il est plus facile
en effet de détruire que de construire.
Objection 1 :
Les cieux supérieurs sont les parties du cosmos qui ne font pas
partie de l’environnement immédiat de la terre. Ils font partie de la création
: Le psalmiste dit[1683]
: « les cieux sont l’ouvrage de tes mains. Ils périront, mais toi, tu
demeures. » Ils doivent donc être atteints par la conflagration
universelle.
Objection 2 :
« Les cieux enflammés se dissoudront et les
éléments embrasés se fondront », dit saint Pierre[1684].
Donc l’univers entier et les galaxies seront purifiés par le feu.
Objection 3 :
Le feu
doit purifier chez les êtres corporels tout obstacle à leur glorification. Or,
dans le ciel supérieur se rencontre un double obstacle : l’un vient du péché,
puisque c’est là que le démon a péché. L’autre vient de leur nature-même ; ces
paroles de saint Paul[1685]
: « Nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière gémit et
souffre dans les douleurs de l’enfantement », sont ainsi commentées par la
glose : « Tous les éléments remplissent leur fonction avec effort ; ce n’est
pas sans effort que le soleil et la lune agissent dans les espaces qui leur
sont assignés. » Leur purification s’impose donc.
Cependant :
« Ce qui est pur n’a pas besoin d’être purifié », dit le Seigneur[1686].
Or le cosmos est resté vierge de toute influence du au péché de l’homme. Donc
il ne sera pas purifié par le feu.
Conclusion :
La
purification finale doit éliminer des êtres corporels ce qui y est contraire à
l’état glorieux, qui sera comme l’apothéose de l’univers. Or, seules les traces
laissées par le péché de l’homme constituent une réelle souillure. En effet, la
matière en elle-même, n’est pas capable de péché. Elle ne peut être en rapport
avec le péché que dans la mesure où elle en a été par quelque manière
l’instrument. Il en est ainsi pour notre corps qui ne se structure pas
seulement dans l’influence des actes bons mais aussi par l’influence de toutes
les pensées, de tous les actes mauvais. Il en est de même pour la terre qui est
marquée par les œuvres de l’homme. Ainsi convient-il que l’or dans lequel
l’homme a mis son cœur, les maisons dans lesquelles il a péché, la terre où le
sang des innocents a été versé soient purifiés par le feu et réduits à leurs
éléments avant d’être transformés en un monde nouveau. Mais les cieux
supérieurs que l’homme ne peut atteindre ne peuvent en aucune manière avoir été
souillés par son péché. Ils seront donc transformés, sans passer par la
dissolution, d’une façon analogue au corps immaculé de la Vierge qui fut
transfiguré sans passer par la mort.
Solution 1 :
Saint Augustin remarque qu’il s’agit ici des cieux aériens,
c’est-à-dire de l’atmosphère de la terre qui sera purifié à cause des
pollutions opérées par le péché de l’homme. Si on veut appliquer ce texte aux
cieux supérieurs c’est-à-dire au cosmos où sont les étoiles, il faut répondre
qu’ils auraient péri par arrêt de leur mouvement et par extinction finale de
leur rayonnement si Dieu n’était intervenu pour renouveler leur énergie
limitée.
Solution 2 :
Saint Pierre parle comme il s’en explique lui-même « des
cieux et de la terre qui furent atteint par le déluge, et que la même parole de
Dieu tient en réserve et garde pour le feu, au jour du jugement. » Il
s’agit donc seulement de l’atmosphère terrestre, c’est à dire des cieux
aériens.
Solution 3 :
Cet
effort, cette contrainte, que saint Ambroise attribue aux corps célestes, n’est
autre chose que leur inertie naturelle qui les conduit insensiblement à ralentir
leur mouvement. Quant au péché des mauvais anges, ce n’est que par métaphore
qu’on le dit avoir lieu dans les cieux. Ils n’ont pas de corps donc pas de
lieu.
Objection 1 :
Certaines parties de la terre n’ont pas été atteintes par le péché
de l’homme comme les profondeurs des abîmes marins ou le centre de la planète
qui est déjà un feu.
Objection 2 :
Certaines œuvres de l’homme sont le fruit de la charité : telles
par exemple les cathédrales et les hauts lieux consacrés au culte de Dieu.
D’autres manifestaient la profondeur du cœur humain comme les œuvres d’art ;
D’autres enfin contiennent ce que l’intelligence à découvert à force de
recherche, comme les livres. Il semble donc qu’ils ne doivent pas être purifiés
par le feu, c’est-à-dire détruits.
Objection 3 :
Les animaux, les plantes furent crées par Dieu qui les fit bons.
Il ne convient donc pas que ces merveilles de la nature soient détruites par le
feu.
Objection 4 :
La matière
minérale est organisée selon des structures simples qui sont les atomes. Il
semble que ceux là au moins ne doivent pas être détruits par le feu.
Cependant :
Saint
Pierre dit[1687]
: « Les éléments embrasés se dissoudront. »
Conclusion :
La terre, dans
son ensemble, est le lieu où les hommes ont vécu. Elle a donc été atteinte par
son activité selon tout ce qu’elle est. Et cela peut être démontré en comparant
l’état du monde actuel avec celui que nous décrit l’Écriture Sainte avant le
péché originel. Dans cet état, l’homme vivait en harmonie totale avec la
nature. Les animaux venaient librement vers l’homme, sachant intuitivement
qu’ils n’avaient rien à en craindre. Il convient donc que la planète dans son
ensemble soit purifiée par le feu.
Solution 1 :
Le désordre de l’âme de l’homme a une influence mystérieuse sur
l’ordre même du monde minéral. Et on en a des signes dans les tremblements de
terre et les catastrophes naturelles qui ont marqué l’histoire humaine. Ce
désordre est certes naturel. Mais le silence et la passivité de Dieu et des
anges qui n’en protègent pas l’humanité tient au fait que l’homme a voulu après
le péché originel en faire un lieu définitif, quitte à se séparer de Dieu.
L’harmonie du matériel provisoire vers le spirituel a été détruite par le péché
originel. L’univers et ses colères sont devenus un signe pour l’homme de son
erreur.
Solution 2 :
Il n’est pas d’œuvre humaine où le péché n’ait, par quelque
manière, mis sa tâche. Ainsi, la construction des cathédrales s’accompagna bien
souvent de calculs financiers indignes de Dieu, de vanité dans le travail et de
tous les péchés de l’homme. C’est pourquoi le Seigneur, montrant la beauté du
temple de Jérusalem qui était la huitième merveille du monde, affirma qu’il
n’en resterait pas pierre sur pierre. En outre, on doit dire que les
cathédrales chrétiennes sont des lieux de culte provisoires puisque, dans la
gloire, il y aura un temple nouveau, non construit de main d’homme et qui sera
l’esprit de chacun où Dieu habitera. De même, la connaissance humaine limitée
ne servira plus et sera remplacée par la science même de Dieu.
Solution 3 :
Au cours des générations, les vivants ont connu dans leur
structure essentielle, c’est-à-dire dans leur patrimoine génétique, des
déviations et des corruptions qui aboutirent à la dégradation des espèces.
L’homme lui-même n’hésite pas à intervenir directement sur le chiffre des
vivants. Ces dégradations doivent disparaître. C’est pourquoi le feu fera
disparaître toute vie à la fin du monde.
Solution 4 :
En temps
qu’il purifie les traces physiques du péché passé, le feu a pour effet de
réduire les corps composés à leurs éléments atomiques. Il n’est pas nécessaire
que la purification aille plus loin. Ainsi, lorsque l’on veut faire disparaître
un objet de culte profane, se contente-t-on de le réduire en poussière. Mais en
tant qu’il prépare un nouvel état de la structure de la matière, il se peut
qu’il soit plus radical et qu’il touche à la matière première.
Objection 1 :
Le monde nouveau sera créé par Dieu afin que les élus puissent
contempler avec leurs yeux de chair l’éclatante merveille de la sagesse de Dieu
qui transparaîtra dans la création renouvelée. Il est donc convenable que cette
transformation du monde se produise au même moment que la résurrection. Donc le
feu purificateur doit intervenir auparavant.
Objection 2 :
Si la
résurrection des corps doit avoir lieu avant la transformation de l’univers,
les élus n’auront pas de lieu convenable où vivre avant que cette œuvre soit
réalisée. Cela parait inconvenant.
Cependant :
Lors du
retour du Christ, certains hommes seront trouvés encore vivants et ne mourront
pas. Il n’est donc pas possible que le feu intervienne avant leur
transformation sans quoi ils seraient réduits en cendre par le feu.
Conclusion :
La
conflagration du monde qui précédera sa transformation dans un monde nouveau
est comparable à la mort qui aboutit à la destruction du corps et précède la
résurrection. Ainsi, de la même façon que la mort précède la résurrection, la
conflagration du monde précèdera sa transformation. Concernant l’ordre entre la
conflagration du monde et la résurrection des corps, il y a plusieurs opinions.
Certains, pensant que tous les hommes mourraient, y compris ceux de la dernière
génération, affirmèrent que le feu précéderait la résurrection puisque ce
serait lui qui conduirait à la mort les derniers hommes. Mais on a vu que cette
opinion s’oppose à l’autorité de saint Paul. Aussi il vaut mieux parler
autrement : Après le retour du Christ, tous les morts ressusciteront, tous les
vivants seront transformés et seront rendus impassibles. Ensuite se produira la
destruction de la terre et la création à partir de la matière préexistante du
monde nouveau. Il semble donc que l’humanité entière assistera au spectacle de
cette transformation qui manifestera avec puissance la gloire de Dieu.
Solution 1 :
Les élus pourront éternellement louer Dieu dans leur corps dont
les sens seront comblés par les bienfaits préparés à travers tout l’univers. Et
cette joie commencera dès l’heure de la résurrection par le spectacle grandiose
de la métamorphose de l’univers.
Solution 2 :
Le corps
glorifié des élus peut vivre indifféremment dans n’importe quel lieu puisqu’il
est impassible et non soumis aux conditions habituelles de la vie terrestre.
Ainsi, dès aujourd’hui, les corps de Jésus et Marie peuvent être présents
partout où leur volonté le désire. Il en sera ainsi après la résurrection.
Objection 1 :
Saint Augustin le dit : « Quels sont les signes qui doivent
arriver à ce jugement ou non loin de là ? Les voici : l’arrivée d’Élie de
Thesbé, la conversion des Juifs, la persécution de l’Antéchrist, le jugement du
Christ, la résurrection des morts, la séparation des bons et des méchants,
l’embrasement du monde et son renouvellement. »
Objection 2 :
Il le répète : « Après que les impies auront été jugés et jetés au
feu éternel, alors la figure de ce monde périra dans une conflagration
universelle. »
Objection 3 :
Quand le Seigneur viendra pour juger, il y aura encore des
vivants, auquel saint Paul fait dire : « Alors, nous, laissés pour
l’avènement du Seigneur, etc. » Mais cela suppose que le feu n’a pas encore
passé, car tous auraient péri.
Objection 4 :
Il est
écrit que le Seigneur jugera l’univers par le feu. La dernière conflagration
sera ainsi l’exécution du jugement, qu’elle doit donc nécessairement suivre.
Cependant :
1° Le Psalmiste a dit : « Le feu le
précèdera. »
2° "Tout l’œil verra" le Christ-Juge. La résurrection doit donc
précéder le jugement. Mais elle-même doit être précédée par le feu. En effet,
après la résurrection, les corps des saints seront spirituels et impassibles,
incapables donc d’être purifiés par le feu, qui cependant, saint Augustin le
dit, doit purifier tout ce qui doit l’être.
Conclusion :
La
conflagration du monde quant à son premier effet, précédera certainement le
jugement. La résurrection doit elle-même le précéder, puisque même "les
fidèles qui sont morts seront emportés sur les nuées, à la rencontre du
Seigneur, dans les airs. » Or, c’est en même temps que tous les hommes
ressusciteront, que les saints seront glorifiés dans leur corps « semé
dans l’ignominie et qui ressuscite glorieux », et que la création tout
entière sera renouvelée, « affranchie de la servitude de la corruption pour
avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. » La conflagration,
qui doit préparer cette rénovation aura donc son premier effet, la purification
de l’univers, avant le jugement. C’est ensuite seulement qu’elle aura son
second effet, l’engloutissement des méchants dans l’enfer.
Solution 1 :
Saint Augustin ne prétend donner ici que son opinion personnelle.
Il ajoute, en effet : « Croyons que tout cela doit arriver ; mais comment ?
Dans quel ordre ? C’est ce qu’apprendra l’expérience mieux que la raison
humaine, je pense cependant que tous ces événements arriveront dans l’ordre que
j’ai exposé. »
Solution 2 :
Même réponse.
Solution 3 :
Tous les
hommes mourront et ressusciteront. Saint Paul appelle vivants ceux qui le
seront à l’époque de la dernière conflagration.
Objection 1 :
D’après le Maître des sentences, le feu consumera les méchants,
purifiera les imparfaits, épargnera les parfaits. Cela ne semble pas juste. En
effet, après le retour du Christ, nul ne mourra mais tous seront transformés et
revêtus d’immortalité. Donc le corps des méchants ne doit pas être consumé.
Objection 2 :
La souillure du péché imprégné les éléments qui font partie du
corps humain, même chez les bons, héritiers comme les autres, du péché originel
; Il convient donc que les bons eux-mêmes soient consumés.
Objection 3 :
Tant que dure cette vie, les éléments agissent indifféremment sur
les hommes, qu’ils soient bons ou méchants. Donc, la fin du monde, le feu agira
sur tous les vivants, sans distinction.
Objection 4 :
Cette
conflagration sera l’œuvre d’un instant. Il semble que beaucoup d’hommes auront
besoin de passer Sar un purgatoire prolongé.
Conclusion :
Nous avons
montré que le feu qui viendra détruire la terre vise à préparer sa
transformation conjointement au reste de l’univers, en un monde grandiose pour
tous les hommes, quelque soit leur destin éternel. Il s’agira d’un spectacle à
la dimension de la puissance de Dieu et tous les bons anges s’activeront pour
coopérer à cette œuvre.
Or il
convient que tous les hommes ressuscités, les bons comme les mauvais, assistent
à ce spectacle qui manifestera, dans la ligne des évènements qui l’auront
précédé, la victoire totale de l’amour de Dieu. Chacun verra avec ses yeux de
chair la gloire de Dieu s’étendre visiblement sur le monde sensible d’où jaillira
quantité de merveilles. Il est clair que chacun réagira alors selon les
dispositions de son cœur. C’est ce que veut signifier le maître des Sentences
sous la lettre de son langage symbolique. Les damnés, obstinément attachés à
leur volonté propre, se consumeront de rage en voyant disparaître la totalité
des œuvres humaines terrestres auxquelles ils sont attachés. Ce sera ressenti
par eux comme un échec d’autant plus terrible qu’ils seront davantage révoltés
contre Dieu. Quant aux élus, cette vue ne provoquera aucune tristesse mais au
contraire une grande allégresse qu’on ne peut imaginer. C’est ce que veut
signifier Pierre Lombard en disant que le feu les épargnera. Le cas des âmes du
purgatoire est à mettre à traiter à part car il semble qu’à ce moment, il n’y
aura plus personne dans cet état. Le feu spirituel qui les aura purifiés aura
déjà agi. Ce ne sera donc pas le feu matériel de la transfiguration du monde.
Solution 1 :
Il ne faut pas prendre dans un sens premièrement matériel à ces
paroles du Maître des Sentences. Certes, le feu qui détruira la terre sera un
feu matériel puisqu’il devra agir sur un monde matériel. Cependant il faut
absolument exclure l’idée que Dieu pourrait, pour une imaginaire raison de
vengeance brûler physiquement le corps des damnés. Cela ne convient pas à sa
sagesse ; c’est en outre inutile à sa justice car la souffrance physique
torturera réellement les damnés non à cause d’une action de Dieu mais comme une
conséquence logique de la perversion de leur âme jusque dans leur corps. En
effet, en assistant au spectacle de la destruction des œuvres terrestres, les
damnés seront frappés au cœur même de leur intention mauvaise. Ils comprendront
la victoire totale de l’amour de Dieu et l’échec de la révolte. Leur volonté
étant contredite, cela se répercutera nécessairement dans le reste de leur
être, à commencer par leur sensibilité envahie de passions négatives
incontrôlables : haine, tristesse, peur et surtout désespoir puisqu’ils auront
mis tout leur espoir dans ces biens qu’ils verront disparaître devant eux. Ces
passions ne seront pas sans effet sur leur corps, d’une façon analogue à ce
qu’on voit sur la terre chez les gens profondément marqués par trop de pensées
négatives : pleurs et grincements de dents, tremblement de rage, difformités du
visage et du corps. En ce sens-là, on peut parler pour les damnés d’un feu
matériel. Ce feu est d’ailleurs le plus terrible qu’on puisse imaginer car il
vient de l’intérieur du pécheur, de sa seule responsabilité.
Solution 2 :
Le corps des bons sera purifié sans passer par la mort, mais par
une transformation qui les revêtira d’immortalité, comme nous l’avons dit.
Solution 3 :
Le feu purificateur n’interviendra qu’après la résurrection, comme
on l’a montré. Le corps humain n’aura donc pas par rapport au feu la même
passibilité qu’ici-bas. Il ne pourra plus être consumé chez les méchants comme
chez les bons. Cependant, chez les premiers, la puissance de la gloire de Dieu
n’aura pas supprime la capacité de souffrir puisqu’ils sont séparés de la vision
de l’essence divine.
Solution 4 :
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les hommes que le feu
trouvera vivants pourront être purifiés en un instant. 1° La dernière génération sera affinée par l’accumulation de la
culture accumulée dans l’histoire de l’humanité et efféminée par la paix qui
règnera. Son orgueil sera donc plus facilement purifiable par la moindre
souffrance ou peur. 2° Les terreurs
et les persécutions des derniers temps auront effacé déjà en grande partie
leurs souillures. 3° Face à l’apparition
glorieuse du Christ, convertis, ils subiront leur peine volontairement en ce
monde où la douleur acceptée est beaucoup plus efficace que les châtiments
d’outre-tombe. Comme saint Augustin le dit des martyrs[1689],
chez qui "le tranchant de leur supplices a enlevé ce qu’il y avait à
émonder. » 4° Enfin cette souffrance
gagnera en intensité ce qu’il perdra en durée.
Objection 1 :
La Glose dit : « Il est écrit qu’il y aura deux feux : l’un qui
purifiera les élus et précédera le jugement ; l’autre qui tourmentera les
réprouvés. » Le premier, le feu de la conflagration universelle, n’est donc pas
le même que le second, qui est celui de l’enfer, et ce n’est pas lui qui
engloutira les réprouvés.
Objection 2 :
Ce feu sera l’instrument de Dieu pour purifier le monde. Il doit
donc avoir part à la même récompense que les autres éléments, d’autant plus
qu’il est le plus excellent de tous et ne pas être enfoui dans l’enfer pour y
faire souffrir les damnés.
Objection 3 :
Le feu qui
doit engloutir les méchants, c’est le feu de l’enfer. Mais ce feu leur a été
préparé dès l’origine du monde : « Allez, maudits, au feu éternel, qui a été
préparé pour le diable. » Ces paroles d’Isaïe : « Dès hier, Tophet a été
préparé, préparé par le Rois », sont ainsi interprétées parole de la Glose
: Dès hier, c’est-à-dire, depuis le commencement ; Tophet,
c’est-à-dire, la vallée de la Géhenne. Au contraire le feu de la dernière
conflagration s’allumera par le concours de tous les feux de l’univers. Ce
n’est donc pas le même.
Cependant[1690]
:
1° Il est écrit au livre des Psaumes : « Le
feu s’avance devant lui, et il dévore à l’entour ses adversaires. »
2° À ces paroles de Daniel : « Un fleuve
de feu coulait, sortait de devant lui », la Glose ajoute : « afin
d’engloutir les pécheurs dans l’enfer. »
Il s’agit
bien du feu dont nous parlons, car il doit « purifier les bons et punir
les méchants. »
Conclusion :
Dans tout ce que dit l’Écriture Sainte concernant les peines des
damnés, il faut rechercher en premier lieu la signification spirituelle car
Dieu répond avant tout par une punition spirituelle à un péché spirituel. En
second lieu et comme une conséquence dérivée de la première, il faut s’attacher
à chercher quelle sera la répercussion de cette peine après la résurrection des
corps. Trois questions se posent : 1° La
souffrance corporelle est-elle une suite naturelle par dérivation
psychosomatique ? 2° Y aura-t-il,
ajouté à cette souffrance une autre peine liée au corps et pour quelle raison ?
3° Une prison physique ?
Lorsque viendra le feu dont nous parlons, il y aura une
augmentation de peine pour les démons, l’Antéchrist et les hommes orgueilleux.
En effet, avant le retour du Christ, ils garderont un espoir qui soutiendra
d’une certaine manière leur activité : ils croiront pouvoir imposer à Dieu leur
conception du monde en détournant de lui le plus grand nombre qu’il leur sera
possible. Ils espéreront établir un monde hiérarchisé en fonction de la
noblesse spirituelle et la puissance plutôt que sur l’amour et la dépendance.
Lorsque viendra le feu et surtout ce qui le suivra à savoir un monde nouveau
inimaginable en beauté, immensité et perfection, ils sauront avec évidence à
quel point est totale la victoire du Christ. Rien ne restera de leur empire à
la la fois dans les âmes de bonne volonté conquises par le retour du Christ et
dans l’univers matériel remis tout entier au pouvoir de Dieu. Cela suscitera en
eux un désespoir définitif qui, telle une fournaise, les engloutira.
2° Ce désespoir spirituel aura des effets jusque dans la sensibilité et le
corps. Il sera source d’une souffrance physique d’autant plus intense qu’elle
aura sa cause dans une souffrance spirituelle sans remède. Cette peine, on le
voit, n’a pas sa source première en Dieu mais dans la propre faute du réprouvé.
Mais il en existera une autre imposée par Dieu, comme nous l’avons déjà montré[1691]. En effet,
pour que la présence négative des damnés ressuscités ne vienne pas troubler
l’ordre du monde nouveau, il leur imposera un lieu dont ils ne pourront sortir,
et où ils seront laissés ensemble pour l’éternité.
3° De plus, il est probable que les damnés vaincus, anges et hommes, plutôt
que de risquer dans cet univers la rencontre avec un saint de Dieu, préfèreront
se réfugier dans les lieux les plus isolés. Le cœur des astres, à la fois
sombre et brûlant, sera peut-être réellement leur refuge, comme l’affirmaient
les anciens Pères.
Solution 1 :
Nous avons montré qu’on peut parler en
deux sens d’un feu de l’enfer avant la résurrection des corps : En un premier
sens, il s’agit du feu spirituel de l’âme qui, malgré son ordination naturelle
pour Dieu, s’obstine dans sa révolte contre sa volonté. En un second sens, il
s’agit de la prison spirituelle qu’impose Dieu aux damnés pour qu’ils ne viennent
pas nuire aux vivants. Après la résurrection, ces deux acceptions du feu
demeureront mais s’étendront par extension jusque dans le corps : souffrance
physique par répercussion du péché de l’âme ; emprisonnement dans un lieu
limité qui, limitant leur désir naturel de liberté, sera source d’un surcroît
de blasphème. Quant à savoir si ce lieu sera matériellement "un étang de
feu”, il est difficile de se prononcer.
Solution 2 :
Le feu matériel dont nous parlons
n’est pas autre chose que la matière sous sa forme énergétique. Il n’a donc pas
â être distingué comme s’il ne faisait pas partie du monde
Solution 3 :
Les progrès de la science solutionnent cette objection ;
le monde physique tout entier est homogène. Les corps célestes n’ont pas des
propriétés différentes des corps terrestres, quoiqu’en ait pensé la cosmologie
du Moyen Age.
A propos
du monde transformé, nous tous poserons six questions :
1° La béatitude des élus exige-t-elle
quelques biens extérieurs ?
2° Une société d’amis est-elle nécessaire à
la béatitude ?
3° Le monde sera t-il renouvelé ?
4° La clarté des corps célestes sera-t-elle
augmentée en cette rénovation ?
5° Les éléments seront-ils renouvelés par la
réception d’une clarté ?
6° Y aura-t-il des plantes et des animaux
dans le monde nouveau ?
Objection 1 :
Ce qui est promis en récompense aux élus appartient sans doute à
la béatitude. Or on promet aux Saints des biens extérieurs, comme la nourriture
et la boisson, la richesse et le règne. N’est-il pas dit en saint Luc : « Pour
que vous mangiez et buviez à ma table, dans mon royaume », et en saint
Matthieu : « Amassez-vous des trésors dans le Ciel », et encore : « Venez,
les bénis de mon Père, prenez possession du royaume. »
Objection 2 :
Au surplus, selon Boèce, la béatitude est "l’état que rend
parfait le cumul de tous les Biens. » Or les choses extérieures comptent parmi
les biens de l’homme, quoiqu’elles en soient les moindres, ainsi que l’observe
saint Augustin.
Objection 3 :
Et puis
enfin le Seigneur ne dit-il pas en saint Matthieu : « Votre récompense est
grande dans les cieux » ? Ce qui veut dire qu’on est alors dans un
lieu : à tout le moins, un lieu extérieur est donc requis à la béatitude.
Cependant :
On lit
dans le psaume 72 : « Qu’y a-t-il pour moi dans le Ciel, et qu’ai-je voulu
sur la terre ? » comme s’il disait : « Je ne veux rien, si ce n’est ce qui
suit : pour moi, adhérer à Dieu, voilà mon bien. » Donc aucun autre bien que
Dieu n’est requis pour la béatitude.
Conclusion :
Pour la
béatitude imparfaite, telle qu’on peut la posséder dans la vie présente, des
biens extérieurs sont requis, non comme faisant partie de l’essence de la
béatitude, mais comme des instruments au service de cette béatitude, qui
consiste dans l’opération de la vertu, selon la doctrine du Philosophe. En
effet, l’homme, en cette vie, a besoin de ce qui est nécessaire au corps, tant
pour l’opération de la vertu contemplative que pour celle de la vertu active,
laquelle, d’ailleurs, exige encore plusieurs autres choses, qui serviront à ses
opérations.
Pour la
béatitude parfaite, au contraire, celle qui consiste dans la vision de Dieu,
les biens de cette nature ne sont nullement requis. La raison en est que tous
ces biens ne servent qu’à la sustentation de la vie animale ou à certaines
opérations convenant à la vie humaine et s’exerçant par le moyen du corps. Mais
la parfaite béatitude, qui consiste dans la vision de Dieu ou bien est le fait
d’une âme sans corps ou bien d’une âme unie à un corps non plus animal, mais
psychique : d’où il suit que les biens extérieurs, qui n’ont de rapport qu’à la
vie animale, ne sont en aucune façon requis pour cette béatitude. Et comme,
dans le cours même de la vie terrestre, le bonheur de la contemplation a plus
de ressemblance que celui de l’action avec cette béatitude parfaite, étant
aussi plus semblable à Dieu, ainsi qu’on le conclure de ce qui a été dit, pour
cette raison la vie contemplative a besoin moins que toute autre de ces sortes
de biens, ainsi que le relève le Philosophe.
Solution 1 :
Toutes les promesses de biens corporels renfermées dans les
saintes Écritures doivent d’abord être entendues d’une manière métaphorique,
l’Écriture ayant coutume de nous représenter les choses spirituelles sous
l’image des corporelles, afin, comme le dit saint Grégoire qu’ « au
moyen de ce qui nous est connu, nous nous élevions au désir de ce qui nous est
inconnu. » Ainsi, par la nourriture et la boisson, il faut entendre la délectation
qui accompagne la béatitude ; par les richesses, la surabondance où vit l’homme
à qui Dieu suffit ; par le règne, l’exaltation de l’homme jusqu’au commerce de
la Divinité. Mais dans un second sens, ces biens matériels doivent être pris au
sens littéral. Leur présence dans le monde nouveau ne sera pas lié à une
nécessité mais à un surplus selon cette parole de l’Écriture adressée à
Salomon [1694] : « Parce que tu as demandé la Sagesse, parce
que tu n'as pas demandé pour toi de longs jours, ni la richesse, ni la vie de
tes ennemis, je te le donne aussi tout : une richesse et une gloire comme à
personne parmi les rois. » Dieu donnera réellement aux élus tous les
biens sensibles et corporels, en profusion, de manière sensible avant la
résurrection et physique après.
Solution 2 :
On ne nie pas que les objets extérieurs ne soient
des biens ; mais ces biens-là, qui servent à la vie animale, ne sont pas donnés
à la vie spirituelle, dans laquelle consiste la béatitude parfaite de manière
nécessaire mais de manière surajoutée. En effet, dans cette même béatitude se
trouve la réunion de tous les biens : car tout ce qui en eux se trouve de bon
sera possédé dans la source suprême de tous les biens.
Solution
3 :
Quant au lieu de la béatitude, saint
Augustin observe que « la récompense des saints n’est pas dite située dans
des cieux corporels, mais que par les cieux il faut entendre l’élévation des
biens spirituels. » Toutefois, un lieu corporel, à savoir l’univers glorifié,
sera le séjour des bienheureux et la prison des damnés, non que ce lieu soit
nécessaire à la béatitude ou au malheur, mais par un simple rapport de
convenance et de beauté.
Objection 1 :
Il semble bien que des amis soient
requis de nécessité pour la béatitude. En effet, le bonheur est souvent
représenté par les Écritures sous le nom de gloire. Or la gloire consiste en ce
que le bien de l’homme arrive à la connaissance de beaucoup, ce qui ne se peut
en dehors d’une société d’amis.
Objection 2 :
Boèce ne dit-il pas que la possession
d’un bien est sans joie, si elle n’est partagée ? Or nous avons reconnu que la
délectation est nécessaire à la béatitude donc aussi la société de nos amis.
Objection 3 :
Et puis, la charité, qui trouve sa
perfection dans la béatitude, embrasse l’amour de Dieu et celui du prochain il
nous faut donc un prochain amical dans la béatitude.
Cependant :
On lit au livre de la Sagesse : « Tous
les biens à la fois me sont venus avec elle », c’est-à-dire avec la divine
sagesse qui consiste en la contemplation divine. Et ainsi, rien d’autre n’est
requis pour la béatitude.
Conclusion :
S’il s’agit de la félicité dans la vie
présente, il faut dire avec le Philosophe que "l’homme heureux a besoin
d’amis », non pour son utilité, car il se suffit à lui-même ; ni pour sa
délectation, puisqu’il possède en soi, du fait de l’opération vertueuse, la
délectation parfaite ; mais pour le bien de son action, c’est-à-dire pour avoir
la possibilité de leur faire du bien, pour trouver du plaisir dans le bien
qu’ils accomplissent et un concours dans le bien que lui-même accomplit.
L’homme en effet a besoin, pour agir vertueusement du concours des amis, tant
dans les œuvres de la vie active que dans celles de la vie contemplative.
Mais si nous parlons de la parfaite
béatitude que nous devons posséder dans la patrie, la société des amis n’y est
pas nécessairement requise ; car l’homme trouve en Dieu seul la plénitude de sa
perfection. Toutefois, cette société amicale n’est pas aussi secondaire que les
biens sensibles dont nous parlions précédemment. En effet, si Dieu suffit en
lui-même à combler tous les désirs, parce qu’il est par nature amour, c’est par
une conséquence directe de sa nature qu’il unifie les deux commandements de la
charité, celui de Dieu et celui du prochain. Ainsi, la présence d’amis fait
plus que concourir de manière surajoutée à l’heureux épanouissement de la
béatitude. Tout en n’en étant pas l’essence, elle lui est conjointe, ce qui
fait dire à saint Augustin : « La créature spirituelle ne trouve
intérieurement de secours que dans l’éternité, la vérité et la charité de son
Dieu. » Mais ce n’est pas par accident que les élus, formant une seule Église,
tous époux du même Dieu, se voient les uns les autres et se réjouissent de leur
commune société.
Solution 1 :
La béatitude est en effet une gloire ;
mais nous savons que la gloire essentielle à la béatitude n’est pas celle dont
jouit l’homme auprès de l’homme, mais celle qu’il trouve auprès de Dieu.
Solution 2 :
La parole qu’on nous cite doit
s’entendre des biens qui n’ont pas en eux-mêmes une pleine suffisance, ce qui
ne s’applique point à l’objet présent, puisque l’homme trouve en Dieu l’abondance
de tous les biens.
Solution 3 :
Quant à la perfection de la charité,
elle est essentielle à la béatitude en ce qui concerne l’amour de Dieu, non
quant à l’amour du prochain. De sorte que, n’y eût-il qu’une seule âme
jouissant de la possession de Dieu, elle serait encore heureuse, bien qu’elle
n’eût pas de prochain à aimer. Mais le prochain supposé, l’amour qu’on lui
porte découle du parfait amour qui s’adresse à Dieu. Ainsi, c’est par une sorte
de concomitance que l’amitié intervient dans le parfait bonheur.
Objection 1 :
Nous avons montré que l’homme n’a
besoin d’aucun bien extérieur pour sa béatitude parfaite. Or Dieu ne fait rien
d’inutile donc il n’y aura pas de monde matériel glorifie.
Objection 2 :
Il semble qu’il ne le sera jamais.
Rien n’arrivera que ce qui a déjà existé de quelque manière dans la même espèce
de choses. L’Ecclésiaste dit : « Qu’est-ce qui a été ? Sinon ce
qui arrivera. » Or le monde n’a jamais eu d’autre état que celui dans
lequel il est, quant à ses parties essentielles, ses genres et ses espèces. Il
ne sera donc jamais renouvelé,
Objection 3 :
Une innovation est une altération.
Mais l’univers ne peut être altéré car tout ce qui est altéré l’est en vertu
d’une cause qui l’altère sans se modifier elle-même, tout en ayant un mouvement
local ; or on ne peut poser un tel être en dehors de l’univers. Il n’est donc
pas possible que le monde soit renouvelé.
Objection 4 :
La Genèse dit que "Dieu se
reposa le septième jour de toute l’œuvre qu’il avait accomplie" et de
saints auteurs commentent « qu’il se reposa de la production de nouvelles
créatures. » Mais dans cette première manière d’être les choses ne reçurent pas
d’autre disposition que celle dans laquelle elles se trouvent maintenant en
leur ordre naturel. Elles n’en auront donc jamais d’autre.
Objection 5 :
La disposition dans laquelle se
trouvent maintenant les choses est naturelle. Si donc elles étaient changées en
une autre, cette autre disposition ne leur serait pas naturelle. Or ce qui
n’est pas naturel et est accidentel ne peut durer perpétuellement. La disposition
nouvelle supposée devrait donc être ensuite enlevée au monde il y aurait une
sorte d’évolution circulaire du monde, comme Empédocle et Origène le disaient ;
après ce monde, il y en aurait un antre, et puis de nouveau un autre.
Objection 6 :
La rénovation dans la gloire est la
récompense donnée à la créature raisonnable. Là où il n’y a point de mérite,
il ne peut y avoir de récompense. Les créatures insensibles n’ayant rien
mérité, il semble qu’elles ne seront pas renouvelées.
Cependant :
Isaïe dit : « Voici que je crée de
nouveaux cieux et une nouvelle terre, et on ne se souviendra plus des
précédents. » Et l’Apocalypse : « J’ai vu un nouveau Ciel et
une nouvelle terre le premier Ciel et la première terre avaient disparu. » En
outre, l’habitation doit convenir à l’habitant. Le monde a été fait pour être
l’habitation de l’homme. Il doit donc lui convenir. L’homme étant renouvelé, le
monde doit l’être aussi.
De plus, « tout animal aime le
semblable à lui-même », il en ressort que la similitude est la raison de
l’amour. L’homme a une certaine similitude avec l’univers : on dit qu’il est le
monde en petit. Il aime donc naturellement le monde entier, et désire son
bien. Pour satisfaire ce désir de l’homme, l’univers doit être amélioré.
Conclusion :
On pense généralement que toutes les
créatures corporelles ont été faites pour l’homme. C’est pourquoi on dit que
toutes lui sont soumises. Il y a deux manières de servir l’homme d’une part en
soutenant sa vie corporelle, d’autre part eu facilitant son progrès dans la
connaissance de Dieu, en tant que l’homme « à travers les choses créées
découvre les choses invisibles de Dieu », comme dit saint Paul aux Romains.
L’homme glorifié n’aura plus aucun besoin d’être servi de la première manière
par les créatures puisque son corps sera tout à fait incorruptible, grâce à la
puissance divine, qui opérera cela à travers l’âme, glorifiée immédiatement par
Dieu. L’homme n’aura pas besoin d’être servi de la deuxième manière, dans sa
connaissance intellectuelle, car les saints verront Dieu immédiatement dans son
essence. Mais l’œil de chair ne pourra point parvenir à cette vision de
l’essence divine. Pour lui accorder une récompense juste dans la vision de la
divinité, cet œil pourra la considérer dans ses effets corporels, dans lesquels
apparaîtront des signes manifestes de la majesté divine, surtout dans la chair
du Christ, puis dans le corps des bienheureux, et enfin dans tous les autres
corps. C’est pourquoi il faudra que même ces corps reçoivent une plus grande
communication de la bonté divine que maintenant ; celle-ci ne changera pas
leur espèce, mais leur ajoutera une perfection glorieuse telle sera la
rénovation du monde. Donc, en même temps, le monde sera renouvelé, et l’homme
glorifié.
Solution 1 :
La glorification du monde ne servira
pas aux élus comme un bien essentiel à l’essence de leur bonheur éternel qui
trouvera sa source en Dieu seul. Cependant, il concourra par surcroît à la
récompense des élus puisqu’il réjouira les facultés sensibles de leur corps.
Ainsi, en glorifiant le monde, Dieu ne fera pas une œuvre inutile.
Solution 2 :
Salomon parle ici du cours naturel des
choses, comme cela ressort de ce qui suit "Rien de nouveau sous le
soleil. » Puisque le soleil se meut en cercle, les choses qui sont soumises
à sa puissance doivent subir une sorte d’évolution circulaire, qui consiste en
ce que les choses qui ont été auparavant reviennent de nouveau "dans la
même espèce, mais en nombre différent », comme dit Aristote. Mais ce qui
appartient à l’état de gloire ne dépend plus du soleil.
Solution 3 :
Cet argument est tiré de l’altération
naturelle qui vient d’un agent naturel, qui agit par nécessité de nature. Cet
agent en effet ne peut produire une disposition différente sans se comporter
lui-même de telle ou telle manière. Mais les choses qui, s’accomplissent par
l’action de Dieu procèdent de la liberté de sa volonté c’est pourquoi sans
changement de la volonté de Dieu, il peut exister dans l’univers telle, puis
telle autre disposition venant de lui. Ainsi ce renouvellement ne remonte pas à
un principe mû, mais au principe immobile, qui est Dieu.
Solution 4 :
On dit que Dieu a cessé le septième
jour de produire de nouvelles créatures, parce que rien n’a été produit
ensuite, qui n’ait pas préexisté auparavant de quelque manière dans son genre
ou son espèce ou au moins dans son principe séminal ou dans une puissance obédientielle.
La nouveauté future du monde a précédé dans les œuvres des six jours, dans une
similitude éloignée, à savoir la gloire et la grâce des anges ; elle a précédé
aussi dans la puissance obédientielle, qui fut alors déposée dans la créature,
pour qu’elle puisse recevoir plus tard de Dieu cette nouvelle manière d’être.
Solution 5 :
Cette disposition qui renouvellera les
choses ne sera ni naturelle, ni contre nature elle sera au-dessus de la nature
(comme la grâce et la gloire sont au-dessus de la nature de l’âme), et elle
sera l’œuvre de cet agent perpétuel qui la conservera à jamais.
Solution 6 :
Les corps insensibles ne mériteront
pas à proprement parier cette gloire. Mais l’homme aura mérité que cette gloire
soit conférée à tout l’univers, parce qu’elle tendra à l’augmentation de la
gloire de l’homme : de même qu’un homme mérite d’être revêtu de plus riches
vêtements, sans que cette richesse soit aucunement méritée par le vêtement
lui-même.
Objection 1 :
Cela ne semble pas. Cette rénovation
s’accomplira dans les corps inférieurs par la purification du feu. Mais le feu
purifiant n’atteint pas les astres du ciel. Ils ne seront donc pas renouvelés
par la réception d’une plus grande clarté.
Objection 2 :
Les corps célestes sont par leur
lumière des signes pour les fêtes et pour le devenir des jours et des années
selon la Genèse[1696]. Or, dans la
vie éternelle, il n’y aura plus de temps ni de fêtes successives puisque les
noces de l’agneau seront éternelles. Donc la lumière des astres cessera de
briller plutôt que d’être intensifiée.
Objection 3 :
La clarté des corps célestes a pour
but de servir les hommes, ainsi que les autres créatures. Mais, après la
résurrection, la clarté du soleil ne servira plus aux hommes. Isaïe dit[1697] : « Tu
n’auras plus de soleil pour briller le jour, ni la splendeur de la lune pour
t’illuminer. » Et l’Apocalypse[1698] : « Cette
cité n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer” leur clarté ne
sera donc pas accrue.
Objection 4 :
Il ne serait pas sage pour un artisan
de fabriquer de très grands instruments pour construire un petit objet
fabriqué. L’homme est très petit en face des corps célestes qui par leur énorme
grandeur dépassent incomparablement ses dimensions. Bien plus, toute la masse
de la terre est, en face du système solaire, comme un point par rapport à une
sphère. Dieu qui est infiniment sage, ne semble pas avoir assigné à l’homme
comme fin de la création du Ciel. Il ne semble donc pas qu’à cause de son péché
le Ciel doivent être détérioré, ni qu’à cause de sa gloire il soit amélioré.
Cependant :
Isaïe
affirme : « La lumière de la lune sera comme celle du soleil et la lumière
du soleil sera septuplée. » En outre, le monde entier sera transforme en
mieux. Cela ne peut être qu’en resplendissant d’une nouvelle clarté.
Conclusion :
La
rénovation du monde a pour but de nous donner des signes manifestes grâce
auxquels l’homme verra Dieu pour ainsi dire sensiblement. La créature conduit à
la connaissance de Dieu surtout par sa beauté et son ordre, qui manifestent la
sagesse de celui qui la fait et la gouverne. La sagesse dit[1699]
: « le Créateur pourra être vu grâce à la grandeur de la beauté de sa
créature. » Cette connaissance sensible sera donnée à l’homme comme une
récompense surajoutée au bonheur de son âme car il convient que son corps
participe à travers l’exercice de ses facultés à la béatitude, de même qu’il a
participe durant la vie terrestre à l’acquisition de la grâce.
La beauté
des corps célestes réside surtout en leur lumière. L’ecclésiastique dit "La
splendeur du Ciel, c’est la gloire des étoiles, le Seigneur illuminant le monde
dans les hauteurs. » Les corps célestes seront donc surtout améliores par
leur clarté. Quant au sens qu’on doit donner à cette augmentation de clarté, il
peut être pris selon deux aspects :
1° une augmentation de clarté pour l’intelligence humaine, ce qui
peut signifier que la matière perdra son opacité naturelle. La complexité et
l’ordre de sa structure ne seront plus cachés mais pleinement révélés à
l’intelligence.
2° Une
augmentation de clarté pour le sens de la vue. Comme nous l’avons montré, les
sensations du corps glorieux seront augmentées en ce sens qu’elles seront aptes
à saisir des rayonnements dont la beauté est actuellement invisible à l’œil
humain. Ainsi, les corps glorifié auront de nouvelles sensations qui
provoqueront l’admiration quand elles se porteront vers les astres.
3° Une augmentation de l’intensité du rayonnement des astres en
eux-mêmes puisque leur lumière sera augmentée par leur transformation.
Solution 1 :
Le feu
purificateur réalisera à la fois une rénovation de la forme des choses et une
purification de la corruption du péché et de la pénétration des impuretés. Sous
le premier rapport, elle atteindra aussi les corps célestes. Ceux-ci n’ont pas
besoin d’être purifiés par le feu ; mais ils doivent être rénovés divinement.
Solution 2 :
La lumière
contribue à la perfection du corps lumineux, même considéré en sa substance. En
outre, elle manifeste jusque dans les sensations humaines la lumière éternelle
de Dieu que seule l’intelligence peut connaître. Il convient donc que dans la
gloire, le monde des astres rayonne d’une beauté parfaite qui signifiera pour
le corps, la perfection de Dieu.
Solution 3 :
Une chose
peut être mise au service de l’homme de deux manières : d’une première manière,
parce qu’elle lui serait absolument nécessaire pour sa survie. Apres la
résurrection aucune créature ne sera plus nécessaire de cette manière à l’usage
de l’homme, parce que son corps aura été rendu autonome aussi bien pour les
damnés que pour les élus. L’Apocalypse[1700]
le signifie en disant que « cette cité n’a besoin ni de soleil ni de
lune. » D’une autre manière, une chose peut être utile à l’homme pour sa
plus grande perfection : et ainsi l’homme se servira d’autres créatures non en
tant que nécessaires pour parvenir à sa fin, mais comme une surabondance de
gloire.
Solution 4 :
Cet
argument vient de Rabbi Moïse, qui s’efforce de rejeter tout à fait la thèse
que le monde a été créé pour l’homme. Il déclare donc que ce qui est dit dans
l’Ancien Testament de la rénovation du monde, par exemple dans les textes d’Isaïe,
n’est qu’une métaphore. Selon lui, quand il est dit à une personne que le
soleil s’obscurcit, cela signifie qu’elle tombe dans une grande tristesse et ne
sait plus que faire (selon une manière de parler fréquente dans l’Écriture)
tandis que si on dit au contraire que le soleil brille davantage pour une
personne et que tout le monde se renouvelle, c’est parce que cette personne
passe de l’état de tristesse à une très grande joie. Mais cela est en désaccord
avec les textes faisant autorité et les exposés des saints. On doit donc
répondre à ce raisonnement que, bien que les corps célestes soient très
au-dessus du corps humain, cependant l’âme raisonnable dépasse beaucoup plus
les corps célestes que ceux-ci ne dépassent le corps humain. Il n’y a donc pas
de difficulté à admettre que les corps célestes ont été créés pour l’homme,
mais non comme fin principale, puisque la fin principale de toute chose est
Dieu.
Objection 1 :
Il semble
qu’on doive le nier. La qualité propre des éléments n’est pas la lumière mais
plutôt le chaud et le froid, l’humidité et le sec. De même que les astres du
Ciel seront renouvelés par une augmentation de clarté, ainsi les éléments de la
planète et des autres planètes doivent l’être par l’accroissement des qualités
actives et passives.
Objection 2 :
La clarté
des corps matériels vient de leur chaleur. Ainsi le fer devient rouge si on le
chauffe puis blanc si on augmente cette chaleur. Il en est de même pour tous
les autres éléments. Ainsi, l’addition d’une clarté ne peut être faite que par
un réchauffement extrême du monde ce qui parait improbable.
Objection 3 :
Les damnés
seront dans les ténèbres intérieures. Mais il semble qu’ils seront aussi dans
les ténèbres extérieures selon saint Luc. Il ne convient donc pas que leur lieu
soit doté de clarté.
Objection 4 :
Le bien de
l’univers, qui consiste dans l’ordre et l’harmonie de ses parties, est plus
appréciable que le lien d’une nature particulière. S1 une créature devenait
meilleure, le bien de l’univers disparaîtrait puisque son harmonie serait
troublée. Si donc les éléments matériels qui, selon leur état naturel dans
l’univers doivent être privés de clarté, recevraient de la clarté, la perfection
de l’univers périrait plutôt que d’en être accrue.
Cependant :
L’Apocalypse
dit [1701]
: « J’ai vu un nouveau Ciel et une nouvelle terre. » Le Ciel sera
renouvelé par une plus grande clarté ; donc aussi la terre et les éléments
opaques de la matière.
Conclusion :
Puisque la
créature corporelle a été faite pour les créatures spirituelles, la disposition
des choses corporelles doit être adaptée au bien des êtres spirituels. À la fin
du monde, les esprits inférieurs recevront les propriétés des esprits
supérieurs : les hommes seront comme les anges du Ciel, selon saint Matthieu[1702].
L’esprit humain parviendra à la plus haute perfection par laquelle il sera
élevé aux rangs angéliques. De même, il faut que les corps matériels soient
surélevés d’une manière analogue pour recevoir des propriétés nouvelles
adaptées à l’état nouveau des créatures spirituelles. Et la propriété des corps
matériels, quand ils sont adaptés à l’esprit, c’est leur lumière qui les rend à
la fois intelligibles et beaux. En conséquence, on doit affirmer que tous les
éléments revêtiront une sorte de clarté, mais chacun à sa manière.
Solution 1 :
Nous
l’avons vu, la rénovation du monde tend à ce que l’homme puisse voir la
divinité, même sensiblement, à travers les corps, par des signes manifestes.
Parmi nos sens, le plus spirituel et le plus subtil est la vue. C’est donc
surtout par leurs qualités visuelles, dont le principe est la lumière, que les
corps opaques seront améliorés. Mais les qualités élémentaires seront soumises
au toucher, qui est le plus matériel des sens. L’excès de ses sensations est
plus pénible que délectable. Par contre l’excès de la lumière sera délectable,
parce qu’elle n’est pénible qu’à cause de la débilité de l’organe visuel,
laquelle n’existera plus dans la vie nouvelle.
Solution 2 :
Il peut y
avoir clarté sans chaleur excessive comme on le voit dans les corps
phosphorescents dont la lumière vient de l’intérieur. C’est d’une façon
analogue que le corps des élus sera lumineux de l’intérieur, ne laissant pas
cachée la bonté de leur âme.
Solution 3 :
Pour les
damnés dont l’âme est pervertie par le péché, tous les biens de la création
seront source de souffrance intérieure puisqu’ils les regarderont comme des
obstacles à leur volonté. Ils ne pourront rien posséder selon leur désir, ni en
jouir puisque, plutôt que de rencontrer les élus objet de leur envie, ils se
seront emprisonnés dans un lieu sans pouvoir aller où ils veulent.
Solution 4 :
L’ordre de
l’univers ne sera pas supprimé pas l’amélioration des éléments, puisque toutes
les autres parties de l’univers seront elles-mêmes améliorées : la même
harmonie demeurera donc.
Objection 1 :
Il ne semble pas. Les animaux et les
plantes ont été créés pour soutenir la vie animale de l’homme. La Genèse
dit [1704] : « Je
vous donne toute chair en nourritures. » Avec la cessation de la vie
animale de l’homme, les animaux et les plantes doivent donc cesser d’exister,
ce qui sera le cas après la résurrection.
Objection 2 :
Les plantes et les animaux servent sur
la terre à connaître comme dans un miroir les perfections de Dieu dont ils
sortent des vestiges. Or, après la résurrection, Dieu sera connu face à face.
Donc le monde animal et végétal sera devenu inutile.
Objection 3 :
La vie végétale et animale est liée à
la corruptibilité ; Il est en effet essentiel pour cette vie d’assimiler des
éléments extérieurs pour qu’elle cuisse se maintenir et de rejeter ce qui est
inutile. Or, dans le monde renouvelé, il n’y aura plus de place à la corruption
selon saint Paul [1705] : « il
faut que ce corps corruptible revêtu d’incorruptibilité et que ce corps mortel
revêtu d’immortalité. »
Objection 4 :
Si les plantes et les animaux
demeurent, cela vaudra pour tous ou seulement pour quelques-uns. Si c’est pour
tous, il faut que les animaux privés de raison, morts avant la fin du monde,
ressuscitent comme les hommes. Cela ne peut être car leur forme disparaît à
leur mort et ne peut être ressuscitée la même individuellement. Si ce n’est pas
pour tous mais seulement quelques-uns, on ne voit pas le motif pour que l’un
demeure plutôt que l’autre. Il semble donc qu’aucun ne demeurera
perpétuellement.
Objection 5 :
S’il doit exister des animaux
glorifiés, c’est qu’ils verront l’essence divine qui seule peut rendre
glorieux. Or les animaux sont incapables par nature de la vision béatifique.
Donc ils n’ont pas de place dans le monde nouveau.
Cependant :
Dieu dit à Noé [1706] : « Voici
que j’établis mon Alliance avec vous et avec vos descendants après vous et avec
tous les êtres animés qui sont avec vous oiseaux, bestiaux, toutes bêtes
sauvages avec vous, bref tout ce qui est sorti de l’arche, tous les animaux de
la terre. » Or l’Arche de Noé symbolise l’efficacité de la rédemption
opérée par le Christ. Donc, les êtres animés ne seront pas exclus du monde
nouveau.
Conclusion :
Il n’y a pas d’arguments définitifs
sur ce point. Cependant, l’opinion la plus traditionnelle des Pères consistait
à affirmer qu’il n’y aurait ni animaux, ni plantes dans le monde nouveau. Leurs
arguments consistaient à montrer que ne demeureraient que les êtres possédant
en eux un élément d’incorruptibilité tels leur paraissaient être les corps
célestes que la cosmologie ancienne croyait incorruptibles car d’une nature
supérieure, les hommes à cause de leur âme immortelle, et les éléments minéraux
puisqu’on ne pouvait jamais les réduire au néant. Au contraire, les animaux et
les plantes qu’on peut tuer, les corps mixtes comme les molécules qu’on peut
détruire étaient considérées comme n’ayant aucune disposition à
l’incorruptibilité. Ils ne devaient donc pas subsister dans le monde nouveau.
Mais on ne peut plus parler ainsi. On
sait aujourd’hui que tous les éléments matériels du monde y compris les corps
célestes sont de même nature et corruptibles. Ainsi, les astres courent
insensiblement à leur extinction et les atomes se dégradent dans leur
structure. Pourtant, il est certain qu’ils demeureront dans l’au-delà puisque
Dieu préparera en eux un monde adapté à la nouvelle manière d’être des hommes.
De même, il convient que les créatures
matérielles comme les animaux et les plantes demeurent afin qu’il ne manque
rien à la perfection de l’au-delà. En effet, ce monde nouveau verra chaque
chose atteindre sa fin qui est Dieu, selon une hiérarchie adaptée au mode de
chacun. L’ordre sera fondé sur la charité. Dieu, qui est l’essence de la
charité incréée, est au sommet. Puis viennent les créatures spirituelles qui
participent à la charité, c’est-à-dire les élus. Et le plus élevé d’entre eux, dans
cette hiérarchie nouvelle de la Jérusalem céleste, c’est Jésus qui dans son
humanité ne fait qu’un avec Dieu. Vient ensuite la Vierge Marie dont l’amour de
charité dépasse celui des anges. Elle a donc reçu une plus grande participation
à la gloire. L’ordre des créatures spirituelles, c’est-à-dire des anges et des
hommes s’en suit et n’est pas mesuré par la perfection naturelle de chacun mais
par sa perfection surnaturelle.
Viennent ensuite les êtres qui ne
participent pas à la vision de l’essence divine. Certains en sont exclus par
nature, comme les animaux, les plantes et le monde minéral puisque ces réalités
sont dépourvues de facultés spirituelles. Ces êtres, peuvent faire partie du
monde nouveau deux causes : 1° Leur
propre bien qui aspire, soit par nature, soit par sensibilité à durer toujours
selon saint Paul[1707] : « La
création toute entière gémit dans l’attente de la révélation des fils de Dieu.
» La vie végétale et animale font partie de la création, d’une manière
intermédiaire entre les minéraux et les hommes. Donc ils seront présents dans
le monde nouveau. 2° Pour le bien de
l’homme qui peut par ses sensations contempler leur beauté et leur ordre qui
témoigne de Dieu comme dans un miroir.
D’autres réalités sont exclues de la
vision béatifique à cause d’un choix de leur volonté. Les damnés constituent
les êtres les plus bas, non à cause de leur nature qui dépasse celle du monde
matériel mais à cause de leur choix qui les rend inférieurs aux biens qu’ils
choisissent. Ainsi voit-on déjà sur la terre des hommes pervertis se comporter
d’une manière inférieure aux animaux. Et, par leur existence, ils proclament
comme le reste de la création la gloire de Dieu qui laisse chacun libre de se
séparer de lui. En conséquence, dans le monde nouveau, aucun des éléments
essentiels à sa perfection générale ne manquera.
Solution 1 :
Dans le monde de l’au-delà, il n’y
aura plus de nutrition puisque chacun sera revêtu d’une immortalité qui fera
disparaître toute possibilité de corruption. Aussi, les animaux et les plantes
ne subsisteront pas pour que l’homme s’en nourrisse.
Solution 2 :
La contemplation de la beauté du monde
nouveau ne sera pas pour l’homme l’essence de sa connaissance de Dieu mais une
connaissance surajoutée et pour ainsi dire accidentelle. Elle sera ordonnée au
bien de son corps qui doit participer selon qu’il en est capable à la
béatitude. Or la vie sensible est incapable par nature de contempler l’essence
divine qui est d’ordre spirituel. Elle trouvera dans la beauté du monde nouveau
et dans la vision de son ornement végétal et animal une participation sensible
à cette contemplation[1708].
Solution 3 :
De même que le monde minéral qui est
pourtant lié à des formes moins nobles que le monde des vivants, peut être
revêtu par la puissance divine d’incorruptibilité et de clarté, de même la vie
animale et végétale peut être élevée à un mode d’exercice qui exclut toute
corruptibilité. Ainsi qu’un animal soit glorifié signifie que son corps est
revêtu d’incorruptibilité et de clarté par la puissance divine. En conséquence,
la recherche de la nourriture est supprimée ce qui exclut du monde nouveau les
lois naturelles où le plus fort mange le plus faible. De même, la génération
n’est plus possible. Les animaux et les plantes seront donc présents à cause de
leur beauté et vivront une vie commune paisible. Selon la capacité de chacun,
ils vivront d’une certaine béatitude sensible puisque leur appétit naturel sera
comblé.
Solution 4 :
Il ne convient pas qu’un appétit
naturel soit frustré. Selon leur appétit naturel, les animaux et les plantes
désirent exister perpétuellement, sinon comme individus, du moins en tant
qu’espèce. C’est à cela qu’est ordonnée leur génération naturelle, comme dit
Aristote. Et c’est aussi à cela que sera ordonnée la restauration des espèces à
la résurrection.
Quant à savoir si chaque animal individuellement ressuscitera,
plusieurs opinions existent. Selon certains, il suffit que les animaux
reviennent selon leurs espèces, car, de cette manière, l’aspiration générale
qui est en eux et qui porte avant tout sur la survie de l’espèce, est
satisfaite. Selon d’autres, il convient que Dieu crée à nouveau chaque individu
qui doit être récompensé du service accompli pour nous par son passage sur la
terre, et en compensation des multiples souffrances sensibles subies. Une telle
restauration est bien évidement possible à la puissance de Dieu qui "compte
même les cheveux des hommes. » Cela semble mieux convenir à la bonté de
Dieu. Là encore, nous pouvons en avoir un signe philosophique dans l’expérience
de ceux qui approchent la mort et qui témoignent que le corps psychique n’est
pas seulement conservé pour les individus humains mais qu’il subsiste aussi
chez les animaux, individuellement, dans l’autre monde.
Mon opinion est qu’il faut distinguer avec le récit de la Genèse
deux sortes d’animaux, ceux qui sont créés le quatrième jour et sont plus
proche des plantes et ceux, de nature supérieure, qui sont créés le cinquième
jour. Il se pourrait que les premiers soient présents dans le monde nouveau
selon leur espèce, tandis que les seconds, ayant davantage une individualité,
pourrait être présent en tant qu’individus. Quand à distinguer précisément la
limite de ces deux groupes, c’est très difficile.
Solution 5 :
Les animaux sont incapables d’être
glorifiés en ce sens qu’ils puissent voir l’essence divine car les facultés de
connaissance qui sont en eux sont d’ordre sensible ce qui exclut une quelconque
possibilité d’élévation à un objet spirituel. Cependant, ils peuvent être
rendus immortels dans leur être par Dieu et obtenir une béatitude qui leur est
adaptée. Elle consiste essentiellement dans un état permanent de joie et de
paix sensible, adapté selon leurs espèces, au degré du psychisme qui leur est
attribué par nature. Et ce bonheur sensible leur sera communiqué par la
fréquentation des hommes glorifiés dont la joie et la paix spirituelles
rejaillira jusque dans la sensibilité animale d’une façon analogue mais bien
supérieure à l’harmonie primitive qui existait dans le paradis terrestre entre
Adam et la nature entière[1709].
Objection 1 :
Il ne semble pas. Les
œuvres ont été détruites car leur création artistique n’était jamais exempte de
péché, comme tout ce que fait l’homme ici-bas. Elles ne doivent pas reparaître
sans quoi on ne voit pas à quoi sert leur destruction.
Objection
2 :
Les plus
belles œuvres de la terre sont ternes en comparaison de ce qui paraîtra dans le
monde nouveau, transfiguré par une lumière nouvelle. Elles n’y auront pas leur
place.
Objection
3 :
Isaïe 65,
17 affirme : « Voici
que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle, on ne se souviendra
plus du passé, il ne reviendra plus à l'esprit."
Si les œuvres anciennes doivent reparaître, ce texte sera contredit.
Objection
4 :
Les œuvres utilitaires comme les maisons,
les moyens de transport etc. ne reparaîtront pas puisque le corps humain,
libéré de toute contrainte n’en aura plus l’usage.
Cependant
:
Osée 2, 16 écrit : « C'est pourquoi je
parlerai à son cœur. Là, je lui rendrai ses vignobles, et je ferai du val
d'Akor une porte d'espérance. Là, elle répondra comme aux jours de sa jeunesse,
comme au jour où elle montait du pays d'Egypte. » C’est donc que les
richesses et les œuvres des hommes leur seront rendues par la résurrection,
après leur avoir été enlevées par la mort.
Conclusion
:
Dans l’œuvre artistique, on peut
distinguer 1° ce qui est matériel et
individué. Il s’agit de l’œuvre elle-même, statue, musique, livre écrit ou
cathédrale. 2° Ce qui est formel. Il
s’agit du projet porté par l’artiste. La forme (l’idea) de l’œuvre naît
dans l’esprit et l’imagination. Ce n’est qu’après, porté par cette inspiration,
qu’il l’incarne par son travail et l’imprime à la matière.
Cette distinction permet de comprendre ce
qui se passera après la fin du monde. 1°
La matérialité de toutes les œuvres humaines sera détruite dans la dernière
conflagration, comme on l’a dit. 2° Mais
ce qui est formel dans l’œuvre n’est jamais détruit, non seulement parce
l’intelligence humaine avec ses souvenirs subsistent mais aussi parce que les
facultés du psychisme (imagination, sensations, mémoire des images etc.) dont
le rôle est partie intégrante de l’idea, loin d’être détruite par la
mort, est au contraire libéré du poids de l’exercice organique. Ainsi, c’est
l’artiste qui survit à la mort et avec lui, dans sa mémoire, toutes ses œuvres
du passé. Comme il est la cause de l’œuvre, on peut dire qu’en lui subsiste ce
qui est indestructible dans l’œuvre.
Il reste à considérer si les hommes
ressuscités exerceront des activités artistiques. La réponse est oui,
absolument. Dieu ne rend à l’homme la plénitude de ses facultés que pour qu’il
les exerce. Or, tout ce qui est nécessaire à la réalisation de l’œuvre est présent
dans l’au-delà, l’intelligence et le psychisme dés avant la résurrection, puis
après la résurrection, le corps de chair et l’univers matériel dans son
immensité.
L’homme exercera un art incomparablement
plus beau qu’ici-bas pour trois raisons :
1°
Ses facultés seront délivrées du poids de
la chair dans son mode biologique. Elles s’exerceront avec une parfaite
facilité. L’inspiration sera donc plus riche et lumineuse.
2°
La matière transfigurée obéira pour ainsi
dire au travail de l’homme, sans résistance. Sa lumière la rendra beaucoup plus
capable d’exprimer l’idea sans la rendre terne, comme ici-bas. C’est une
propriété de la lumière de la matière. Il est probable que l’homme pourra y
imprimer la mémoire de son idea de
telle manière qu’en contemplant l’œuvre, il soit possible aux autres de
remonter sans effort à l’inspiration même de son auteur.
3°
Les élus voyant Dieu face à face, ils
n’auront plus à exprimer l’inconnu. Ici-bas, les plus grands artistes sont
souvent les plus déséquilibrés des hommes car ils expriment sans le savoir ce
qu’ils souffrent de ne pas posséder. D’où le caractère transcendant des beaux
arts. Dans la Vision de Dieu, ils exprimeront au contraire en pleine lumière
les merveilles innombrables de Celui qui sera vu par eux face à face. L’art
n’aura donc plus cette obscurité d’ici-bas.
Enfin, le plaisir de la beauté étant la
vibration entre une subjectivité et une réalité splendide, de ces deux points
de vue, les élus éprouveront de la contemplation des œuvres de Dieu et de leurs
frères un plaisir incomparable à celui d’ici-bas.
Solution
1 :
La matérialité des œuvres humaines sera
détruite, sans qu’il subsiste rien. Mais leur forme se trouvera simplement
purifiée dans les facultés des élus, de telle manière que rien ne sera en
définitive perdu de ce qui fut beau ici-bas.
Solution
2 :
Il est vrai que la terne matérialité de
l’art d’ici-bas n’aura pas sa place dans le monde des élus car tous les arts,
toutes les beautés de la terre sembleront fades en comparaison de la beauté de
l’Au-delà. Puisque la beauté est la rencontre vibrante d’un objet et d’une
intelligence sensible, puisque tout sera plus lumineux et que la sensibilité
sera elle-même surélevée, les musiques du paradis rendront grises toutes les
anciennes musiques de la terre. Que sera donc l’art des plus grands musiciens
ressuscité ? Impossible d’en imaginer la qualité, même en écoutant la musique
terrestre. Mais la musique sera bien là.
Solution
3 :
Ce texte parle de ce qui était déficient
dans l’art d’ici-bas, à savoir des ténèbres de l’absence de Dieu, de l’opacité
de la matière, de la lourdeur du psychisme humain et du péché qui contaminait
toute réalisation. Tout cela ne s’applique qu’au monde des élus. Au contraire,
en enfer, la disparition de la lourdeur du psychisme et de la matière ne
suffiront pas à compenser les deux autres inconvénients. Leur expression
extérieure sera faite de laideur.
Solution
4 :
Nous accordons cette objection.
L’impassibilité, la subtilité, l’agilité, la mobilité, l’immortalité des corps
ressuscités rend inutile tout autre art que le beau. Sa lumière rend inutile
l’intimité des demeures privées. La soumission de la matière à l’homme supprime
tout autre travail que celui qui s’accompagne de plaisir.
A
l’argument Cependant :
Il faut répondre que tout sera rendu mais
transfiguré. Ainsi en sera-t-il pour l’art du service de Dieu. L’eucharistie,
œuvre de Dieu, disparaîtra au profit de la présence physique et amoureuse du
Christ glorieux homme et Dieu. Le livre des évangiles aura disparu au profit de
la vision face à face de l’Evangile subsistant, Dieu. Les cathédrales seront
remplacées par un Temple infini en taille et en splendeur, l’univers recréé et
transformé par les élus. Mais ce sera aussi des beautés profanes qui,
transfigurées, seront mis au service de la Famille éternelle.
Il nous
faut maintenant considérer ce qui suit la résurrection. Il nous faudra voir
deux choses :
1° Le jugement général.
2° L’état du monde après le jugement général.
Lorsque tout
aura été achevé, lorsque chacun aura été établi dans la demeure éternelle
auprès de Dieu ou dans l’enfer de son choix, le Christ remettra au Père toute
chose.
Mais
auparavant, il faudra que soit manifesté à tous la justice de ce jugement.
Le
jugement général sera la palpable démonstration aux yeux de tous de l’amour de
Dieu ayant agi dans l’histoire Sainte de chaque individu, de chaque groupe
humain, de l’humanité entière. Alors se réalisera la prophétie[1710]
: « Heureux les assoiffés de justice, ils seront rassasié. »
Considérons
le jugement général, en posant quatre questions :
1° Doit-il avoir lieu ?
2° Aura-t-il lieu oralement ?
3° Aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat ?
Objection 1 :
Il semble
que non. Nahum déclare, selon la version des Septante : « Dieu ne jugera pas
deux fois la même chose. » Or, Dieu juge chacune des actions des hommes, et
aussitôt après la mort il attribue à chacun des châtiments ou des récompenses
selon ses mérites ; même en cette vie, il récompense ou punit certains hommes
selon leurs œuvres bonnes ou mauvaises. Il semble donc qu’il ne doive plus y
avoir d’autre jugement.
Objection 2 :
Aucun
jugement n’est précédé de l’exécution de sa sentence. Or la sentence du
jugement divin au sujet des hommes, c’est l’admission dans le royaume ou
l’exclusion, comme dit saint Matthieu. Donc, puisque dès maintenant il y a des
hommes qui entrent dans le royaume éternel tandis que d’autres en sont exclus
pour toujours, il ne semble pas qu’il y aura un autre jugement.
Objection 3 :
La raison
d’être d’un jugement c’est le doute au sujet de ce qui doit y être décidé. Mais
la sentence de damnation pour les pécheurs ou de béatitude pour les saints est
fixée avant la fin du monde.
Cependant :
Nous
lisons en saint Matthieu : « Les hommes de Ninive se dresseront au jour du
jugement contre cette génération, et la condamneront. » Il y aura donc un
jugement après la résurrection.
En outre,
nous voyons en saint Jean : « Ceux qui auront accompli de bonnes actions
s’avanceront dans la résurrection pour la vie, ceux qui auront fait le mal
ressusciteront pour le jugement. » Il semble donc qu’il doive y avoir un
jugement après la résurrection.
Conclusion :
De même
que l’opération se rattache au principe des choses qui leur donne l’existence,
de même le jugement se rattache au terme, par lequel les choses atteignent leur
fin. Or on distingue deux sortes d’opérations de Dieu : la création, par
laquelle Dieu a structuré l’univers comme un tout harmonieux où tout influence
tout. Après cette opération, on dit que Dieu se reposa. Il est une autre
opération de Dieu par laquelle il gouverne chacune des créatures
individuellement pour les mener à leur fin. Jésus dit en saint Jean : « Mon
Père a travaillé jusqu’à maintenant et moi aussi, je travaille. »
De même,
on peut aussi distinguer deux jugements de Dieu, mais dans un ordre inverse. Le
premier concerne d’abord les individus, le second l’univers dans son ensemble. 1° Le jugement particulier correspond à
l’œuvre du gouvernement des individus. Chacun y reçoit individuellement, en
conséquence de ses actes, la sentence de son destin éternel. Mais cela concerne
chacun selon ses œuvres, et seulement selon ce point de vue propre. Ce jugement
ne s’étend pas à la connaissance de tous les méandres de l’œuvre de Dieu. 2° Le jugement général concerne la
relation du salut ou de la damnation de chacun avec l’univers dans son
ensemble. Il faut que les méandres et les influences de toutes les réalités
soient révélés à la conscience de tous sous le rapport particulier du salut ou
de la damnation. Parmi ces influences, la plus importante est la conscience de
chacun. Comme le dit l’épître aux Hébreux, la raison de la récompense ou du châtiment
de tous apparaîtra en pleine lumière à tous les autres.
On le
voit, ce deuxième jugement n’a pas le même objet que le premier. Le premier
aboutit à un choix, lui-même sanctionné par une sentence ; le second est une
simple mise en lumière de ce choix et de cette sentence, universellement à
tous. Afin que toute justice soit manifestée, il est donc nécessaire qu’il y
ait ce deuxième jugement.
Tous, élus
et damnés verront en acte ce qui n’était pas évident sur terre : la justice de
Dieu. Lors de la fondation du monde, toutes les créatures procédèrent
immédiatement de Dieu ; au jour du jugement général, l’achèvement suprême du
monde s’accomplira quand chacun posera son jugement sur tout. C’est pourquoi au
jugement général, la justice divine apparaîtra manifestement au sujet de toutes
les choses qui actuellement sont cachées : car parfois Dieu dispose maintenant
d’un homme pour l’utilité des autres d’une manière qui diffère de ce que
sembleraient exiger les œuvres que nous le voyons accomplir.
Solution 1 :
Tout homme
est à la fois un individu et une partie de tout le genre humain : il doit donc
être l’objet de deux jugements. L’un, individuel, a lieu après la mort, quand
on est traité selon ce qu’on a fait en sa vie corporelle. L’autre porte sur
l’homme en tant qu’il fait partie de tout le genre humain. Le jugement
universel de tout le genre humain ne séparera pas les bons et les méchants car
cela aura été fait lors du jugement particulier. Mais il révèlera à tous la
raison de cette séparation. Il révèlera tous les secrets de l’univers à tous :
les secrets des consciences, les secrets des apparents abandons de Dieu, les
raisons du scandale de la croix, l’influence des lois matérielles sur l’homme,
la place du démon et des anges, la mort des innocents etc. Rien ne sera caché
dans ce jugement de discernement. Chacun pourra comprendre la parole du
Messie en : Matthieu 5, 6 : « Heureux
les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés. »
Solution 2 :
La
conséquence ultime du jugement général sera de ruiner tout espoir dans les
méchants et d’exalter la victoire des humbles (kénose). Il y aura un
accroissement de la peine des damnés puisque, ce jour-là, tout l’espoir qu’ils
avaient d’imposer à Dieu leur présomption s’écroulera. Si Lucifer agit contre
l’homme, c’est qu’il garde un certain espoir de vaincre le projet de Dieu. Dans
le jugement général, il perdra tout espoir. Il constatera la victoire des
humbles et verra avec rage que lui-même, par son action, ne fit que contribuer
bien involontairement à cette victoire. Or, l’espoir de manifester à Dieu
l’inanité de son projet d’amour étant l’ultime stimulation des damnés, leur
désespoir les plongera dans dernier et éternel abattement. De même, le bonheur
des élus sera augmenté, au moins accidentellement puisqu’ils verront
d’expérience ce qu’ils savaient déjà en voyant Dieu.
Solution 3 :
Le
jugement universel regarde plus directement la totalité des hommes que chacun
de ceux qui sont jugés. Avant ce jugement, chaque homme aura individuellement
et pour ce qui le concerne une connaissance parfaite de ce qui a rapport avec
sa propre damnation ou de sa récompense. Il connaîtra aussi le salut ou la
damnation des autres. Cependant, il ne connaîtra pas les circonstances précises
et les interactions de tous ces destins individuels, les détails de leur
rapport à l’action de Dieu, aux anges etc. Le jugement universel, qui est plus
un jugement de discernement qu’un jugement judiciaire est donc nécessaire.
Objection 1 :
Il semble
que les révélations du jugement général doivent être oraux, puisque saint
Augustin dit : « Combien durera ce jugement, c’est chose incertaine. » Ce ne
serait pas incertain si les choses qui doivent être dites en ce jugement
l’étaient seulement mentalement. C’est donc que ce jugement aura lieu oralement
et non seulement mentalement.
Objection 2 :
Saint
Grégoire dit : « Ceux-là entendront les paroles du juge, qui auront gardé foi
en sa parole. » Il ne peut pas s’agir là de paroles intérieures, car au
jugement tous entendront les paroles du juge, puisque les actes accomplis
seront connus de tous, bons et mauvais. Il semble donc que ce jugement aura
lieu oralement.
Objection 3 :
Le Christ
jugera sous la forme humaine, pour qu’il puisse être vu corporellement par
tous. Il semble donc qu’il parlera par la voix du corps, afin d’être entendu de
tous.
Cependant :
Saint Paul
dit aux Romains : « Leur conscience leur rendra témoignage, et leurs pensées
s’accuseront et se défendront l’une l’autre, en ce jour où Dieu jugera les
actions secrètes des hommes. » Il semble donc que la sentence et tout le
jugement s’accompliront seulement mentalement.
Conclusion :
On est
certain que ce jugement de discernement tout entier sera seulement mental. Si
chacun des faits devait être narré oralement, cela exigerait une durée
inestimable. Saint Augustin dit aussi : « Si on conçoit comme matériel le livre
selon lequel tous seront jugés, qui pourrait en imaginer la hauteur ou la
longueur ou dire en combien de temps on pourrait lire un livre dans lequel
seraient inscrites toutes les vies de tous. » Or il faudrait autant de temps
pour raconter verbalement les faits de chacun que pour les lire s’ils étaient
matériellement inscrits dans un livre. Il est donc sûr que ce dont parle saint
Matthieu s’accomplira, non pas oralement, mais mentalement.
Saint
Augustin dit à propos du Livre de Vie dont parle l’Apocalypse : « Ce sera une
certaine force divine qui fera que chacun retrouvera en sa mémoire toutes ses œuvres
bonnes et mauvaises, et les verra par une intuition rapide de l’esprit de sorte
que cette connaissance, révélée à tous les autres, accusera ou excusera la
conscience de chacun : c’est ainsi que tous et chacun seront jugés ensemble. »
Solution 1 :
Si saint
Augustin dit : « qu’on ignore combien de jours durera ce jugement », c’est
parce qu’il ne sait pas s’il aura lieu mentalement ou oralement. En ce cas en
effet, il exigerait un temps prolongé. Mentalement, il pourrait se faire en un
instant.
Solution 2 :
Même si le
jugement est seulement mental, ce texte de saint Grégoire peut se défendre. En
supposant que tous connaissent leurs propres actions et celles d’autrui, grâce
à une action divine, que l’Évangile nomme "parole. » Cependant, ceux qui
auront eu la foi, conformément aux paroles de Dieu, seront jugés selon ces
paroles. Car saint Paul dit aux Romains : « Quiconque a péché sous la loi,
sera jugé selon la loi. » En effet, ce jugement se fera en toute vérité.
Puisqu’un homme n’agit qu’en fonction de ce qu’il a reçu, chacun jugera
différemment les actes passés selon que la personne était croyante ou
incroyante, forte ou faible, etc.
Solution 3 :
Le Christ
apparaîtra dans son corps afin d’être reconnu par tous comme juge
corporellement : cela peut se faire en un instant. Au contraire, la parole, qui
est mesurée par le temps, exigerait une immense durée de temps si le jugement
avait lieu oralement.
Objection 1 :
Il ne
semble pas que le jugement doive avoir lieu dans la, vallée de Josaphat ou dans
ses environs : toute la Terre promise ne pourrait pas contenir la multitude de
ceux qui doivent être jugés. Le futur jugement ne pourra donc pas avoir lieu
dans cette vallée
Objection 2 :
Le Christ
en tant qu’homme jugera dans la justice, lui qui a été injustement condamné
dans le prétoire de Pilate, et qui a été victime de cette sentence sur le
Golgotha. Ce sont donc ces lieux-là qui devraient être désignés pour le
jugement.
Objection 3 :
Les nuées
proviennent de la condensation des vapeurs. Mais à la fin du monde il n’y aura
plus d’évaporation ou de condensation. Il ne sera donc pas possible que « les
justes soient enlevés sur les nuées au devant du Christ dans l’air. » Bons et
mauvais devront donc être sur terre, ce qui requiert un lieu beaucoup plus
étendu que cette vallée.
Cependant :
Joël dit :
« Je rassemblerai toutes les nations, et je les conduirai dans vallée de
Josaphat : là, je discuterai avec elles. »
En outre,
les Actes disent : « Comme vous l’avez vu monter au Ciel, vous l’en verrez
descendre. » Or le Christ s’est élevé vers les cieux à partir du Mont des
Oliviers, qui domine la vallée de Josaphat. C’est donc près de ces lieux qu’il
viendra juger.
Conclusion :
On ne peut
pas savoir grand-chose de certain au sujet des modalités du jugement et de la
façon dont les hommes s’assembleront. Il est pourtant probable que le lieu
désigné par la vallée de Josaphat a d’abord un sens symbolique. En effet, le
nom de Josaphat signifie : « Yahvé juge. » C’est pourquoi le livre de Joël
appelle le lieu où se tiendra le jugement général la "vallée de la
décision"[1712].
Si on suit le texte, cette vallée est située près de Jérusalem[1713]
: « Yahvé fait entendre sa voix de Jérusalem ; les cieux et la terre
tremblent. » Cela signifie que le jugement des nations concernera le bien
et le péché puisque Jérusalem symbolise la sainteté de ceux qui cherchent Dieu.
Ce sens
est le premier et le plus important. Ces textes ont pourtant un sens littéral.
Il y aura en effet un lieu matériel et un temps pour le jugement général
puisque celui-ci arrivera après la résurrection des corps charnels.
Plusieurs
possibilités ont été soutenues depuis les plus terrestres au plus spirituelles.
Certains ont dit que l’humanité entière serait rassemblée en un seul lieu. Pour
eux, d’après les Écritures, que le Christ descendra près du Mont des Oliviers,
comme il s’est élevé, afin de montrer que c’est lui-même qui est descendu après
être monté.
D’autres
pensent que le jugement général aura lieu toute l’éternité partout où les
hommes seront car la durée des temps ne suffira pas pour révéler à chacun la
plénitude de toute l’action de Dieu et des anges, d’autant plus que l’on
découvrira que la création des hommes et des anges ne dit pas tout de ce que
Dieu a fait dans l’immensité de l’univers. Ce dernier sens n’est pas
contradictoire avec le précédent. Il est très conforme à ce qu’est la vie
éternelle et la damnation éternelle.
Solution 1 :
Une grande
multitude peut être contenue en un lieu restreint : il suffit d’occuper autour
de ce lieu autant d’espace qu’il en faut pour recevoir la multitude de ceux qui
doivent être jugés. En un autre sens, plus probable, il faut dire que chacun
voyant le Christ d’où il est, verra en lui et dans la vision de son prochain
qu’il ne cessera de rencontrer dans l’univers la totalité de ce qu’il lui faut
connaître pour juger de toutes choses.
Solution 2 :
Bien que
le Christ, ayant été condamné injustement, mérite le pouvoir judiciaire, il
l’exercera cependant pas sous son apparence de faiblesse, en laquelle il fut
jugé, mais sous la forme glorieuse dans laquelle il est monté vers le Père, de
la même façon que nous l’avons décrit à l’heure de la mort. En effet, sa vision
devra révéler sans voile son mystère, ce qui n’était pas le cas quand il est
venu sur terre sous le voile qui cache l’âme et le mystère de tous les fils
d’homme. C’est pourquoi le lieu de l’Ascension convient mieux pour le jugement
que celui de sa condamnation.
Solution 3 :
Les nuées
dont on parle ici sont l’intense lumière qui resplendit des corps glorieux des
saints, et non des évaporations dégagées de la terre et de l’eau. Leur gloire
révèlera à tous leur vie et leurs actions, ainsi que l’action de dieu sur eux,
de même que les ténèbres physiques des damnés. On pourrait dire aussi que ces
nuées seront engendrées par le nouvel état du corps de l’homme et montrera une
certaine conformité avec le corps du Christ. Ainsi rien ne sera caché, d’où le
nom de jugement général. Celui qui est monté sur la nuée revient pour juger sur
la nuée. Les nuées, à cause de leur fraîcheur peuvent indiquer aussi la
miséricorde du juge.
Trois
questions :
1° Chaque homme connaîtra-t-il, au jugement, tous ses péchés ?
2° Chacun pourra-t-il lire dans la conscience d’autrui tout ce
qu’elle renferme ?
3° Chacun pourra-t-il voir d’un seul regard tous les mérites et
démérites ?
Objection 1 :
Il semble
que, après la résurrection, personne ne se souviendra de tous les péchés qu’il
aura commis. Car tout ce que nous connaissons est soit appréhendé nouvellement
par un sens, soit provient du trésor de la mémoire. Mais les hommes, après la
résurrection, ne pourront plus percevoir sensiblement leurs péchés, puisque
ceux-ci seront du passé, alors que le sens ne saisit que le présent. D’autre
part, beaucoup de péchés auront disparu de la mémoire du pécheur. Le ressuscité
n’aura donc pas la connaissance de tous ses péchés.
Objection 2 :
Il est dit
dans les Sentences : « Il y a des livres de la conscience dans lesquels on lit
les mérites de chacun. » Mais on ne peut lire une chose dans un livre que si
elle y est inscrite. Or il y a des inscriptions de péché dans la conscience qui
semblent consister seulement dans une culpabilité ou une tache, comme cela
ressort d’un texte d’Origène sur ce passage de l’épître aux Romains : « Le
témoignage étant rendu. » Puisque la tache et la culpabilité de beaucoup de
péchés auront été effacées par la grâce, il ne semble pas que quelqu’un puisse
lire dans sa conscience tous les péchés qu’il a accomplis.
Objection 3 :
« L’effet croit avec sa cause. » La cause de la douleur des péchés
dont le souvenir nous revient, c’est la charité. Puisque les saints qui
ressuscitent possèdent une charité parfaite, ils devraient avoir une très vive
douleur de leurs péchés s’ils s’en souvenaient : or cela ne peut être,
puisqu’ils ne connaîtront plus ni douleur ni gémissement. Ils ne retrouveront
donc plus le souvenir de leurs propres péchés.
Objection 4 :
Les
ressuscités bienheureux se comporteront à l’égard des péchés commis autrefois
comme les ressuscités damnés à l’égard du bien qu’ils auront fait. Or les
ressuscités damnés ne semblent pas devoir connaître le bien qu’ils ont accompli
autrefois, car cela allégerait beaucoup leur peine. Donc les bienheureux ne
connaîtront pas non plus les péchés qu’ils auront commis.
Cependant :
Saint
Augustin dit que "une force divine interviendra, qui rappellera à la
mémoire tous les péchés. »
En outre,
de même que le jugement humain s’appuie sur le témoignage extérieur, de même le
jugement divin porte sur le témoignage de la conscience, selon ce verset des
Rois : « L’homme voit les choses qui paraissent au dehors, tandis que Dieu
voit l’intérieur du cœur. » Mais on ne peut porter un jugement parfait sur
quelqu’un que si les témoins ont déposé au sujet de tous les faits qui doivent
être jugés. Dès lors, puisque le jugement divin est absolument parfait, il faut
que la conscience garde toutes les choses sur lesquelles il doit porter. Ce
jugement doit s’étendre à toutes les œuvres, bonnes et mauvaises. » Saint Paul
déclare : « Nous devons tous apparaître devant le tribunal du Christ, afin
que chacun apporte toutes ses actions de la vis corporelle, bonnes ou mauvaises.
» Il est donc indispensable que la conscience de chacun garde toutes les
œuvres qu’il a accomplies, bonnes ou mauvaises.
Conclusion :
Saint Paul
dit : « Au jour du jugement du Seigneur, la conscience de chacun lui rendra
témoignage : ses pensées l’accuseront et le défendront. » Cette parole
s’applique à la fois au jugement particulier où le témoignage de la conscience
provoque le choix éternel qu’au jugement général où ce même témoignage est
manifesté à tous. Ainsi, dans ce jugement commun où seront appréciées toutes
les œuvres des hommes, la conscience de chacun sera comme un livre contenant
tous ses actes, desquels résultera le jugement, de même que dans les jugements
humains nous nous servons de registres. Tels sont les livres dont parle
l’Apocalypse : « Les livres furent ouverts, ainsi qu’un autre livre, le
Livre de Vie : et les morts furent jugés selon ce qui était écrit dans les
livres conformément à leurs actes. » Par les livres ainsi ouverts, on
désigne la norme de tout bien, à savoir la sainteté du Christ auprès de qui
tout sera étalonné. On désigne aussi la sainteté des saints qui, étant
proportionnée à celle du Christ, participe à sa puissance normative. Le livre
de Vie est, par contre, la conscience de chacun, livre unique puisque la force
divine fait que les actions de chacun sont rappelées à sa mémoire. On pourrait
dire aussi que les premiers livres dont parle l’Apocalypse sont les
consciences, tandis que le second serait la sentence du juge décrétée en sa
sagesse.
Solution 1 :
Bien que
les mérites et démérites s’effacent de la mémoire consciente telle que nous
l’expérimentons ici-bas, ils restent cependant tous conservés dans une mémoire
plus profonde qui reparaît dans sa force à l’heure de la mort quand l’organe
charnel du cerveau disparaît. C’est alors que, délivré du poids de l’usure du
corps, la mémoire sensible liée au corps psychique réapparaît. La personne
reste donc éternellement dans la pleine possession de tous ses souvenirs. Ils
peuvent être rendus visibles à tous, sans qu’une aide de Dieu ait à s’ajouter,
quoiqu’en pensait saint Augustin.
Solution 2 :
Les
souvenirs demeurent inscrits dans la conscience de chacun au sujet des actions
accomplies. Il n’importe pas que ces souvenirs soient seulement ceux des
actions coupables, comme nous l’avons dit plus haut. De même, les souvenirs des
péchés pardonnés soit par le sacrement de pénitence, soit par l’action directe
de Dieu reviendront car pardonner ne signifie pas oublier.
Solution 3 :
Bien que
la charité soit ici-bas une cause de regret du péché, cependant les saints dans
la patrie seront tellement pénétrés de joie que la douleur n’aura plus de place
en eux. Leurs péchés passés, loin d’être source de douleur, les feront se
réjouir de la miséricorde divine qui les a pardonnés. Ils n’auront aucune honte
à paraître devant l’univers entier dans la nudité de leur conscience car leur
humilité (kénose), c’est-à-dire la vérité par rapport à eux-mêmes sera totale.
Solution 4 :
Les
méchants connaîtront tout le bien qu’ils ont fait ; Mais loin d’atténuer leur
douleur, cela l’augmentera plutôt, car on souffre d’autant plus qu’on a perdu
plus de biens. Boèce dit que « la pire des infortunes est d’avoir été heureux.
»
Objection 1 :
Cela ne
semble pas. La connaissance des ressuscités ne sera pas plus complète que celle
des anges qu’il leur est promis d’égaler. Mais les anges ne peuvent pas
découvrir dans l’esprit l’un de l’autre ce qui dépend du libre arbitre : ils ne
le connaissent que par une communication verbale entre eux. Les ressuscités ne
pourront donc pas apercevoir ce qui est contenu dans la conscience des autres.
Objection 2 :
Tout ce
qui est connu l’est en soi ou en sa cause ou en ses effets. Les mérites ou
démérites contenus dans la conscience de quelqu’un ne peuvent être connus : ni
en eux-mêmes parce que Dieu seul pénètre les cœurs et aperçoit leurs secrets ;
ni en leur cause, parce que tous ne verront pas Dieu qui seul peut agir sur le
cœur, duquel procèdent les actes méritoires ou déméritoires ; ni dans leurs
effets, parce qu’il y a beaucoup de fautes dont ne demeurera aucun effet,
ceux-ci étant supprimés par la pénitence. Donc tout ce qui est contenu dans la
conscience de quelqu’un ne pourra pas être connu par un autre.
Objection 3 :
Saint Jean
Chrysostome dit : « Maintenant tu te souviens de tes péchés et les rappelles
souvent en face de Dieu et pries à cause d’eux, ils seront vite effacés. Mais
si tu les oublies, alors tu t’en souviendras malgré toi quand ils seront rendus
publics et révélés en présence de tous, amis, ennemis et saints anges. » Il en
résulte que cette publication est le châtiment de la négligence par laquelle
l’homme omet de se confesser. C’est donc que les péchés confessés ne seront pas
publiés.
Objection 4 :
C’est un
réconfort pour un pécheur que de savoir qu’il a beaucoup de semblables dans son
péché, et il en a moins de honte. Si donc chacun connaissait les péchés des
autres la honte de chaque pécheur en serait très diminuée, ce qui ne convient
pas. Tous les hommes ne connaissent donc pas les péchés de tous les autres.
Cependant :
Au sujet
de l’épître aux Corinthiens, la Glose dit : « Les choses accomplies et les
pensées bonnes et mauvaises seront alors révélées à tous et connues. »
En outre,
les péchés passés de tous les justes seront effacés également pour tous. Or
nous connaîtrons les péchés de certains saints, de Marie-Madeleine, de Pierre
et de David. Nous devons donc connaître également les péchés des autres élus et
plus encore de damnés.
Conclusion :
Au
jugement dernier et universel, la justice divine doit apparaît à tous avec
évidence, tandis que maintenant elle échappe à beaucoup. Or, la sentence qui
condamne ou récompense ne peut apparaître juste que si elle est portée selon
les mérites ou les fautes. Dès lors, de même que le juge et son assesseur
doivent connaître les mérites de la personne jugée pour pouvoir prononcer une
juste sentence, de même pour qu’une sentence se montre juste, il faut que les
mérites de la personne jugée apparaissent à tous ceux qui connaissent la
sentence. C’est pourquoi, puisque la récompense ou la condamnation est connue
de chacun et aussi de tous les autres, il est nécessaire que celui qui est jugé
ne retrouve pas seulement le souvenir de ses mérites et démérites, mais qu’il
connaisse aussi ceux des autres.
Telle est
l’opinion plus probable et la plus commune. Pourtant le Maître des Sentences
pense le contraire. C’est-à-dire que les péchés effacés par la pénitence
n’apparaîtront pas aux autres hommes lors du jugement. Mais il en résulterait
que les autres ne connaîtraient pas parfaitement la réparation accomplie pour
ces péchés : et cela réduirait beaucoup la gloire des saints, et la louange de
Dieu qui a si miséricordieusement libéré les saints.
Solution 1 :
Tous les
mérites et démérites de la vie terrestre composent une certaine somme pour la
gloire ou l’humiliation de l’homme qui ressuscite. C’est pourquoi, en
apercevant le corps transfiguré des élus comme des damnés, il sera possible de
découvrir comme dans un miroir la totalité de sa conscience passée et présente.
Cela sera possible grâce à l’action de la puissance divine, de telle sorte que
la sentence du juge se révélera juste pour tous.
Solution 2 :
Les
mérites ou démérites pourront être manifestés aux autres grâce à la clarté ou à
l’obscurité des corps des ressuscités, comme nous l’avons vu ou aussi en
eux-mêmes grâce à leur éternelle subsistance dans la mémoire.
Solution 3 :
La
publication des péchés pour l’humiliation du pécheur est l’effet de la
négligence commise par l’omission de leur confession. Mais la révélation des
péchés des saints ne pourra pas être pour eux une source d’humiliation ou de
honte : ce n’est pas pour Marie-Madeleine une source de confusion que de voir
ses péchés racontés publiquement à l’Église, car la honte est « la crainte
de la diminution de sa renommée », chose qui, comme dit saint Jean Damascène,
est impossible pour les bienheureux. Cette publication augmentera la gloire des
élus à cause de la pénitence qu’ils ont faite pour leurs péchés : c’est ainsi
que le confesseur approuve celui qui confesse avec courage les grands crimes
qu’il a accomplis. On dit que les péchés sont effacés en ce sens que Dieu ne
les regarde plus pour les punir.
Solution 4 :
Quand le
pécheur considérera les péchés des autres, cela ne diminuera en rien sa
confusion, mais l’accroîtra plutôt, car il aura encore plus de honte de ses
péchés en voyant la honte que les autres en ont. Si ici-bas la vue des péchés
des autres diminue notre honte, c’est parce que nous les considérons selon le
jugement des autres, que l’habitude rend plus large. Dans l’au-delà au
contraire nous aurons la confusion de voir le jugement porté par Dieu,
pleinement vrai pour tout péché, de nous ou de beaucoup d’autres.
Objection 1 :
Il semble
que non. Les particuliers étant multiples ne peuvent être vus en un seul
regard. Or les damnés considéreront leurs péchés un à un et les pleureront : la
Sagesse leur fait dire par exemple : « À quoi nous a servi notre orgueil ? »
Ils ne verront donc pas tous leurs péchés d’un seul regard.
Objection 2 :
Aristote
dit : « Il n’est pas possible de saisir par l’intelligence plusieurs choses en
même temps. » Or c’est par l’intelligence que nous connaîtrons les mérites et
démérites de nous-mêmes et d’autrui. On ne pourra donc pas les connaître tous
ensemble.
Objection 3 :
L’intelligence
des damnés ne sera pas, après la résurrection, plus puissante que celle que
possèdent maintenant les bienheureux et les anges, selon le mode naturel par
lequel ils connaissent les choses par des espèces intelligibles innées. Mais
dans cette connaissance, les anges ne voient pas plusieurs choses en même
temps. Les damnés ne pourront donc pas, après la résurrection, voir en même
temps toutes les actions passées.
Cependant :
À propos
de ce texte de Job : « Ils seront couverts de confusion », la glose dit :
« En apercevant le juge, tous leurs péchés apparaîtront au regard de leur
esprit. » Or, le juge, ils le verront en un instant. Ils verront donc de même
tous les péchés qu’ils ont commis, ainsi que toutes les autres actions
accomplies.
En outre,
saint Augustin montre l’inconvénient qu’il y aurait à ce que, lors du jugement
général, on doive lire un livre matériel dans lequel seraient inscrites les
actions de chacun : nul ne pourrait concevoir la grandeur d’un pareil livre, ni
le temps qu’il faudrait pour le lire. De même il serait impossible d’évaluer le
temps requis pour qu’un homme considère tous ses mérites et démérites, ainsi
que ceux des autres, s’il devait les voir successivement. On doit donc dire que chacun voit toutes ces choses en
même temps.
Conclusion :
À ce
sujet, nous nous trouvons en face de deux opinions : certains disent que tous
les mérites et démérites, personnels et d’autrui, seront vus par chacun en un
seul instant. Pour les bienheureux, il est facile de l’admettre puisqu’ils
verront tout dans le Verbe : de cette manière, il n’y a pas de difficulté à ce
que plusieurs choses soient vues en même temps. Par contre, cela est plus
difficile pour les damnés, puisque leur intelligence n’est pas élevée au point
de pouvoir voir Dieu, et toutes choses en Lui.
C’est
pourquoi, d’autres disent que les méchants verront en même temps, d’une manière
globale, tous leurs péchés et ceux des autres. Et cela suffit pour constituer
l’accusation nécessaire pour la condamnation ou l’absolution. Mais ils ne
verront pas tous ces péchés en même temps d’une manière individuelle. Pourtant
cela ne semble pas conforme à la pensée de saint Augustin, qui dit que toutes
les actions seront énumérées dans un seul regard de l’esprit : ce qui est connu
globalement n’est pas énuméré.
On peut
donc adopter une solution intermédiaire : chacune des actions sera vue, non pas
en un seul instant, mais en un temps fort bref, grâce à l’action divine. C’est
ce que dit saint Augustin : « Elles seront vues avec une étonnante rapidité. » Cela
n’est pas impossible, car dans le plus petit espace de temps il y a une
infinité d’instants possibles. C’est d’ailleurs confirmé, pour ce qui concerne
le jugement individuel, par les témoins d’une Expérience de Mort Imminente
(N.D.E.).
Cela
résout les objections posées.
Traitons
maintenant de ceux qui jugeront et de ceux qui seront jugés au jugement général
:
1° Y aura-t-il des hommes qui jugeront avec le Christ ?
2° Le pouvoir judiciaire correspond-il à la pauvreté volontaire ?
3° Les anges jugeront-ils ?
4° Tous les hommes comparaîtront-ils au jugement ?
5° Y a-t-il des hommes bons qui seront jugés ?
6° Et des hommes mauvais ?
7° Les anges seront-ils aussi jugés ?
Objection 1 :
Il semble
qu’il n’y en ait aucun. Dans saint Jean, nous lisons : « Le Père a donné
tout jugement au Fils, afin que tous l’honorent. » Cet honneur n’est du à
aucun autre que le Christ.
Objection 2 :
Celui qui
juge a autorité sur ce qu’il juge. Or l’objet du jugement final, c’est-à-dire
les mérites et démérites des hommes, n’est soumis qu’à l’autorité divine. Il
n’appartient donc à personne de juger de ces choses.
Objection 3 :
Ce
jugement n’aura pas lieu oralement, mais mentalement, selon l’opinion plus
probable. Mais la révélation faite aux cœurs des hommes, de leurs mérites et
démérites, constituera en quelque sorte l’accusation ou la recommandation ou
même l’attribution de la peine ou de la récompense, ce qui équivaut à l’énoncé
de la sentence. Or cela ne peut être accompli que par la puissance divine. Nul
ne jugera donc que le Christ qui est Dieu.
Cependant :
Nous
lisons en saint Matthieu : « Vous siégerez vous aussi sur douze sièges,
jugeant les douze tribus d’Israël. »
En outre,
nous voyons dans Isaïe : « Dieu viendra juger avec les anciens de son peuple. »
Il semble donc que d’autres jugeront avec le Christ.
Conclusion :
Juger peut
s’entendre de diverses manières : 1° D’abord
causalement : on dit qu’une chose juge quand elle montre que quelqu’un doit
être jugé de telle manière. C’est ainsi qu’on dit que certains sont jugés par
une comparaison, en tant que par comparaison avec les autres, on voit comment
ils doivent être jugés. Dans Matthieu, nous lisons : « Les bommes de Ninive
se dresseront en jugement contre cette génération et la condamneront. » Cette
manière de juger vaut aussi bien pour les bons que pour les méchants.
2° On juge aussi interprétativement : nous considérons comme
faisant une chose ceux qui consentent à ce qu’elle se fasse. Ainsi ceux qui
acceptent le jugement du Christ en approuvant sa sentence sont regardés comme
jugeant avec lui. Ce sera le cas de tous les élus. C’est pourquoi la Sagesse
dit : « Les justes jugeront les nations. » Ce ne sera pas le cas des
damnés qui refuseront de toute leur volonté la règle de ce jugement, à savoir
l’amour et l’humilité (kénose) du Christ.
3° En un troisième sens, on dit que quelqu’un juge en tant
qu’assesseur : parce qu’il a un comportement semblable à celui du juge, par
exemple en siégeant en un lieu élevé comme lui ; c’est ainsi qu’on dit que les
assesseurs jugent. Selon cette manière de parler, ce ne seront pas seulement
les grands saints mais tous les élus du Ciel, jusqu’au plus petit, qui jugeront
puisque tous auront été élevé par Dieu à la dignité d’ami de Dieu.
4° "La loi juge. » Il est un autre mode de jugement qui convient
aux saints. En effet, s’étant conformé au Christ, ils possèdent en eux les
décrets de la justice divine, en vertu desquels les hommes seront jugés. Chaque
élu est en quelque sorte une loi vivante qui révèle la règle du jugement.
L’Apocalypse dit : « Le jugement débute et les livres sont ouverts. » C’est
de cette manière que Richard de Saint Victor explique le jugement : « Ceux qui
prennent part à la contemplation divine, qui lisent chaque jour dans le livre
de la sagesse, écrivent pour ainsi dire dans les volumes de leur cœur tout ce
qu’ils saisissent par leur pénétrante intelligence de la vérité. » Il ajoute : «
Que sont les cœurs de ceux qui jugent, instruits divinement de toute vérité,
sinon les décrets des canons. »
5° Juger peut s’entendre par porter une sentence au sujet d’un autre.
Cela peut s’accomplira de deux manières. D’une part en vertu de sa propre
autorité, et cela appartient à celui qui jouit d’une autorité et d’un pouvoir
sur les autres qui lui sont soumis : il possède le droit de les juger ; Dieu
seul possède ce droit. D’autre part, juger peut consister à rendre publique une
sentence portée par une autre autorité c’est seulement l’énonciation d’une
sentence déjà fixée. De cette manière les hommes justes jugeront parce qu’ils
révéleront aux autres la sentence de la justice divine, afin qu’ils sachent ce
qui est du en justice à leurs mérite. Cette divulgation de la justice peut
s’appeler jugement. C’est pourquoi Richard de Saint Victor dit : « Les juges
ouvrent les livres de leurs décrets devant ceux qui sont jugés, ils admettent
les inférieurs à inspecter leur propre cœur, en leur révélant leur manière
d’apprécier les choses soumises au jugement. »
Solution 1 :
Cette
objection vaut pour le jugement d’autorité qui n’appartient qu’au Christ seul.
Solution 2 :
Celle-ci
aussi.
Solution 3 :
Il n’est
pas exclu que certains saints révèlent des choses aux autres, soit par manière
d’illumination, comme les anges supérieurs éclairent les inférieurs, soit par
manière de conversation, comme les inférieurs parlent aux supérieurs.
Objection 1 :
Il semble
que non. Le pouvoir de juger appartient à celui qui plaît à Dieu. Or, plutôt
que l’humilité, c’est la charité qui résume la loi. Donc le pouvoir de juger
appartiendra à la charité.
Objection 2 :
Le pouvoir
de juger est promis seulement aux douze apôtres : « Vous siégerez sur douze
sièges, en jugeant. » Puisqu’il y a des pauvres volontaires en dehors des
apôtres, il semble que le pouvoir judiciaire ne leur soit pas accordé à tous.
Objection 2 :
Il est
plus grand de sacrifier à Dieu son propre corps que les biens matériels. Or les
martyrs et les vierges offrent à Dieu le sacrifice de leur propre corps, tandis
que les pauvres volontaires ne sacrifient que les biens matériels. Le privilège
du pouvoir judiciaire semble donc convenir davantage aux martyrs et aux
vierges.
Objection 3 :
À ce texte
de saint Jean : « Moïse en qui vous espérez vous accuse », la Glose
ajoute : « parce que vous n’avez pas cru à sa voix. » Saint Jean dit plus loin :
« Le discours que je vous ai fait jugera l’homme au dernier jour. » C’est
donc que celui qui expose la loi ou exhorte en vue d’une instruction morale
jugera ceux qui les méprisent. Or cette mission est celle des docteurs. Il
convient donc qu’ils jugent plutôt que les pauvres volontaires.
Objection 4 :
Le Christ,
parce qu’il a été jugé injustement en tant qu’homme, a mérité d’être juge de
tous les hommes dans sa nature humaine. Saint Jean : « Dieu lui a donné le
pouvoir de juger parce qu’il est le Fils de l’homme. » Ceux qui souffrent
persécution pour la justice sont, eux aussi, jugés injustement. Le pouvoir
judiciaire leur convient donc mieux qu’aux pauvres.
Objection 5 :
Le
supérieur n’est pas jugé par l’inférieur. Mais beaucoup de ceux qui usent
licitement des richesses auront plus de mérites que bien des pauvres
volontaires. Ceux-ci ne les jugeront donc pas.
Cependant :
Nous
lisons dans Job : « Il ne sauve pas les impies, et donne aux pauvres le
pouvoir de juger. » Juger appartient donc aux pauvres.
En outre,
à propos de saint Matthieu. « Vous qui avez tout quitté, etc. », la
Glose dit « Ceux qui auront tout quitté et auront suivi Dieu seront juges
; ceux qui auront bien usé des biens légitimement possédés, seront juges. »
Conclusion :
La
question peut être formulée de la manière suivante : Lors du jugement général,
qui sera le plus apte à éclairer le jugement sur tout ? Sera-ce le plus
intelligent comme le souhaite Lucifer ? Seras-ce le plus humble ? Pour
répondre, il faut discerner la vertu qui plait à Dieu.
La
pauvreté volontaire n’est pas la simple pauvreté matérielle. C’est plutôt la
pauvreté du cœur, autrement dit l’humilité (kénose). Nous avons vu qu’elle est
dans l’édifice spirituel, le fondement où vient s’enraciner la charité. En
effet, l’homme humble s’oublie et devient capable d’aimer en vérité,
c’est-à-dire d’aimer sans motif égoïste.
Le pouvoir
judiciaire est donc du spécialement à cette pauvreté, c’est-à-dire aux humbles
(kénose), pour trois motifs :
1° Premièrement, par raison de convenance, car la pauvreté volontaire
est la vertu de ceux qui, méprisant toutes les choses du monde, adhèrent au
Christ seul. Il n’y a rien en eux qui fasse dévier de la justice leur propre
jugement. Ils sont donc pour tous les autres une norme supérieure de jugement
puisqu’ils approchent davantage la vraie justice.
2° Secondairement, par raison de mérite. Car
l’humilité (kénose) appelle l’exaltation des mérites selon les paroles de
Marie [1715] : « Il a renversé les potentats de
leurs trônes et élevé les humbles. » Or, parmi les choses qui ici-bas provoquent
le mépris des hommes, la principale est la pauvreté. L’excellence du pouvoir
judiciaire est donc promise aux pauvres, pour que celui qui s’est humilié pour
le Christ soit exalté.
3° Troisièmement, parce que la pauvreté dispose à juger dans la
vérité. On dit en effet d’un saint qu’il juge, dans le sens que nous avons dit,
parce que leur cœur est rempli de la vérité divine : il sera donc capable de la
manifester aux autres, sans arrogance d’une manière proche de celle du Christ.
Dans la
marche progressive vers la perfection, la première chose qu’on doit abandonner,
ce sont les vanités intérieures : car ce sont les premiers obstacles à l’amour.
C’est pourquoi parmi les béatitudes qui nous font progresser vers la
perfection, la pauvreté est placée la première. De la sorte la pauvreté
correspond au pouvoir judiciaire en tant qu’elle est la première disposition
pour la perfection. Ce pouvoir est promis à tous les humbles qui, ayant tout
quitté, suivent le Christ dans son total anéantissement. C’est le cas de tous
les saints du Ciel, même de ceux qui n’ont suivi le Christ qu’à la onzième
heure c’est-à-dire face à sa révélation de l’heure de la mort.
Solution 1 :
La
pauvreté ne suffit pas, à elle seule, à mériter le pouvoir judiciaire. C’est
parce qu’elle a permis la naissance de la charité qu’elle le mérite. C’est en
effet dans le cœur des humbles que la charité s’enflamme avec le plus de force.
En fin de compte, on peut dire que le pouvoir judiciaire appartient à ceux qui
ont le plus aimé.
Solution 2 :
Saint
Augustin écrit : « Nous ne devons pas penser, parce qu’il est dit que les juges
siégeront sur douze sièges, qu’ils ne seront pas plus de douze. Sinon, puisque
nous lisons que Matthias fut nommé apôtre à la place de Judas le traître, nous
devrions croire que Paul qui a travaillé plus que les autres, ne siégerait pas
pour juger. » Ce nombre de douze signifie toute la multitude des juges, car les
deux parties du chiffre sept, c’est-à-dire trois et quatre, si nous les
multiplions font douze. » Or, douze est un nombre parfait puisqu’il consiste en
l’addition de deux six, qui est un nombre parfait.
On peut
dire aussi que littéralement le Christ donne le chiffre des douze apôtres en
désignant par eux tous leurs successeurs.
Solution 3 :
La
virginité et le martyre ne disposent pas autant que l’humilité (kénose) à la
sainteté que donne la charité. En effet, les vanités intérieures, par le lien
qu’elles imposent, étouffent plus que tout autre chose la parole de Dieu et la
croissance de la charité, comme il est dit en saint Luc.
Les autres
vertus comme une virginité totale du cœur (à savoir l’absence de mélange avec
le péché mortel) et le martyre (la constance à souffrir pour l’amour), et
toutes les œuvres de perfection, brilleront d’une spéciale auréole lors du
jugement général et seront motif de jugement pour les autres. Elles ne seront
pourtant pas aussi importantes que la pauvreté parce que le début d’une chose
en est la partie principale.
Solution 3 :
Celui qui
a enseigné la loi ou exhorté au bien jugera, causalement, en ce sens que les
autres seront jugés en se comparant aux paroles qu’il a exposées. C’est
pourquoi le pouvoir judiciaire ne vient pas de la prédication ou de
l’enseignement. On peut aussi dire, selon certains, que le pouvoir judiciaire
requiert trois choses : d’abord, le dépouillement de soi pour que l’esprit ne
soit pas empêché de recevoir la sagesse ; ensuite l’amour de charité qui
consiste à connaître et à observer la justice divine ; enfin le fait d’avoir
enseigné aux autres cette justice. Ainsi l’enseignement est une perfection qui
achève de mériter le pouvoir judiciaire.
Solution 4 :
Le Christ,
en tant que jugé injustement, s’est humilié lui-même. « Il a été
offert, parce qu’il l’a voulu. » Cette humilité (kénose) mérite l’élévation
au titre de juge, par lequel tout lui est soumis, comme dit saint Paul. C’est
pourquoi le pouvoir judiciaire est davantage dû à ceux qui s’humilient
volontairement, en rejetant les vanités de ce monde, à cause desquels les
hommes sont honorés par les mondains, qu’à ceux qui ne sont humiliés que par
les autres.
Solution 5 :
Un
inférieur ne peut pas juger son supérieur en vertu de son autorité propre, mais
il le peut en vertu de l’autorité d’un être supérieur à tous deux, comme nous
le voyons chez les juges délégués. Il n’y a donc pas d’inconvénients, si les
pauvres reçoivent cette récompense, en quelque sorte accidentelle, à ce qu’ils
jugent ceux-là mêmes qui possèdent un mérite supérieur à l’égard de la
récompense essentielle.
Objection 1 :
Il semble
que oui : Matthieu dit : « Quand le Fils de l’homme viendra en sa majesté,
avec tous les anges. » Or, il s’agit là de la venue pour le jugement. Les
anges aussi jugeront donc.
Objection 2 :
Les ordres
des anges tirent leur nom de la charge qu’ils remplissent. Parmi eux se trouve
l’ordre des Trônes, qui semble se rapporter au pouvoir judiciaire. Le trône est
en effet le siège du juge, le fauteuil du roi, la chaire du docteur. Il y aura
donc des anges qui jugeront.
Objection 3 :
Il est promis
aux saints qu’après cette vie ils seront égaux aux anges. S’il y a même des
hommes qui auront le pouvoir de juger, à plus forte raison les anges
l’auront-ils aussi.
Cependant :
Saint Jean
dit : « Dieu a donné au Christ le pouvoir de juger parce qu’il est le Fils
de l’homme. » Or les anges ne participent pas à la nature humaine. Donc pas
non plus au pouvoir judiciaire.
En outre,
le juge et son ministre sont deux êtres distincts. Les anges, lors du jugement
seront les ministres du juge, selon saint Matthieu : « Le Fils de l’homme
enverra ses anges, et ils recueilleront dans son royaume tous les scandales. » Ils
ne jugeront donc pas.
Conclusion :
Les anges
seront jugés, comme toutes les réalités de l’univers qui ont eu à choisir Dieu
ou qui ont participé à titre de moyen à ce choix. Le jugement général est
d’abord un discernement universel sur l’ordre total du monde. Il manifeste
principalement ce qui concerne l’entrée dans la gloire ou le refus de la
gloire. Or les anges ont leur place dans ce discernement puisque certains ont
choisi Dieu ; d’autres l’ont rejeté. Certains ont aidé les hommes à entrer dans
la gloire, d’autres ont participé à leur damnation. Sous le rapport de ce
jugement de discernement, les anges jugeront et seront jugés. Chacun comprendra
le rôle de Lucifer et de ses anges dans le mystère de l’iniquité et le malheur
du monde. Chacun verra la place importante des bons anges dans l’économie du
salut.
Mais les
anges ne jugeront pas les hommes. Le jugement général porte aussi sur les
mérites respectifs de ceux qui, dans la chair, se sont comportés avec plus ou
moins de courage et dignité. Sous ce rapport, les anges ne jugeront pas les
hommes. Ils n’ont pas connu les tribulations de la chair. Le droit de juger est
attribué en premier à Jésus, le Fils de l’homme, qui plus que tout autre a aimé
dans sa chair. Il sera la norme du bien et du mal pour les hommes. Il
apparaîtra en sa nature humaine aux bons comme aux méchants. Pour la même
raison, ses assesseurs seront les autres hommes, bons et mauvais. Il
n’appartient donc pas aux anges de juger les hommes sous ce rapport, bien qu’on
puisse dire que de quelque manière ils jugent aussi, en tant qu’ils approuvent
la sentence. Mais les anges jugeront les autres anges.
Solution 1 :
La Glose
ordinaire dit que les anges viendront avec le Christ lors du jugement, non
comme juges, mais « pour être les témoins des actes humains, que les
hommes ont accomplis, bons ou mauvais, tandis qu’ils étaient sous leur garde. »
Solution 2 :
Le nom de
Trônes est attribué aux anges en raison de ce jugement que Dieu ne cesse
d’exercer en gouvernant toutes les créatures avec une parfaite justice : les
anges sont de quelque manière les exécuteurs et les promulgateurs de ce
jugement. Par contre, le jugement que le Christ en tant qu’homme tiendra au
sujet des hommes, requiert des assesseurs qui soient hommes.
Solution 3 :
L’égalité
avec les anges est promise aux hommes quant à la récompense essentielle. Rien
n’empêche par contre que les hommes puissent recevoir une récompense accidentelle
qui ne sera pas donnée aux anges, par exemple l’auréole des vierges et des
martyrs : de même pour le pouvoir judiciaire.
Objection 1 :
Il semble
que les hommes ne comparaîtront pas tous en jugement. Nous lisons en effet dans
saint Marc : « Vous siègerez sur douze sièges pour juger les douze tribus
d’Israël. » Tous les hommes n’appartiennent pas à ces douze tribus. Il
semble qu’ils ne viendront pas tous en jugement.
Objection 2 :
Le Psalmiste
dit : « Les impies ne ressusciteront pas pour le jugement. » Or, il y en
a beaucoup. Tous les hommes ne comparaîtront donc pas.
Objection 3 :
Si
quelqu’un est amené au jugement, c’est pour qu’on discute ses mérites. Mais il
y a des hommes qui n’ont eu aucun mérite, par exemple les enfants morts en bas
âge. Il ne sera donc pas un jugement universel.
Cependant :
Les Actes disent que « le Christ a été institué par Dieu
juge des vivants et des morts. » Ces deux catégories englobent tous les
hommes, quelle que soit la manière de distinguer les morts des vivants. Tons
les hommes viendront donc au jugement.
En outre, nous lisons dans l’Apocalypse : « Voici
qu’il vient sur les nuées, et tout œil le verra. » Ce qui ne serait pas si
tous n’étaient pas présents.
Conclusion :
Dans ce jugement de discernement, il
est certain que tout ce qui a eu un rapport avec le salut paraîtra au jugement.
1° En premier lieu, le Christ sera
jugé et il deviendra pour tous la norme du jugement. Chacun verra une nouvelle
fois que le pouvoir judiciaire lui a été conféré en tant qu’homme en récompense
de l’humilité (kénose) manifestée dans sa passion. Il y a répandu son sang
d’une manière suffisante pour tous les hommes, bien qu’il n’ait pas réalisé en
tous le salut, à cause des obstacles trouvés en certains. Il convient donc que
tous les hommes soient assemblés face à lui, afin de contempler son exaltation
dans sa nature humaine, en laquelle il a été constitué par Dieu juge des
vivants et des morts. 2° Puis, à sa
lumière, tous les hommes et tous les anges seront jugés. Chacun comprendra le
choix et les circonstances qui ont conduit au salut ou à la damnation. Dans le
même acte, les hommes deviendront juges pour tous les autres de telle manière
que chacun se jugera en fonction des mérites ou démérite des autres. 3° Mais aussi, non à titre de prévenu
mais à titre de pièce à conviction, les créatures non spirituelles seront
jugées puisque tout, dans l’univers aura participé d’une manière ou d’une autre
au chemin qui mène à Dieu. Les créatures seront rappelés à la mémoire de tous,
comme les évènements du passé afin que rien ne soit caché.
Solution 1 :
Nous devons dire avec saint Augustin
"Ce n’est point parce qu’il est dit jugeant les douze tribus d’Israël, que
la tribu de Lévi, qui est la treizième, ne devrait pas être jugée ou que le
Maître jugerait seulement ce peuple et non pas les autres nations. » Par cette
expression les douze tribus, toutes les nations sont désignées, parce qu’elles
ont été appelées par le Christ au même sort que les douze tribus.
Solution 2 :
Cette proposition : « Les
impies ne ressusciteront pas pour le jugement », si on l’applique à tous
les pécheurs, doit être prise en ce sens qu’ils ne ressusciteront pas en vue
d’être jugés digne de la gloire. Si on l’applique aux infidèles, elle signifie
qu’ils ne ressusciteront pas pour être jugés en tant qu’infidèles puisqu’ils ne
le seront plus, mais en tant qu’ancien infidèle ayant été sauvé ou damné.
Solution 3 :
Même les enfants morts avant l’âge du
discernement paraîtront au jugement pour être jugés aussi, puisqu’ils
n’entreront pas dans la vision de Dieu sans un choix d’amour.
Objection 1 :
Il semble qu’aucun des hommes bons ne
sera jugé, car il est dit en saint Jean : « Celui qui croit en moi
n’est pas jugé », et tous les bons croient au Christ.
Objection 2 :
Point de bonheur pour ceux qui sont
incertains de leur béatitude. Saint Augustin prouve par là que les démons n’ont
jamais été bienheureux. Or tous les saints sont bienheureux ils ont donc la
certitude de leur béatitude. Puisqu’on ne juge pas ce qui est déjà certain, les
bons ne seront pas jugés.
Objection 3 :
La crainte est incompatible avec la
béatitude. Le jugement dernier, qui est dit très redoutable, ne pourrait avoir
lieu sans provoquer la crainte de ceux qui doivent être jugés.
Objection 4 :
Saint Grégoire dit, à propos de ce
texte de job : « Quand il aura été enlevé, les anges craindront » : « Pensons
au trouble de la conscience des méchants, alors que même la vie des bons sera
bouleversée. » Les bienheureux ne seront donc pas jugés.
Cependant :
Il semble que tous les bons seront
jugés, car saint Paul dit aux Corinthiens : « Il faut que nous soyons tous
présentés au tribunal du Christ, pour que chacun rapporte ce qu’il a fait de
son propre corps, en bien et en mal. » Il s’agit bien là du jugement tous
les bons seront donc jugés.
En outre, qui dit universel, dit toutes choses. Or
ce dernier jugement s’appelle universel. Donc tous seront donc jugés.
Conclusion :
Dans un jugement de discernement, il y
a deux éléments : les débats sur les mérites, et l’attribution des récompenses
ou des sanctions. Sous ces deux rapports, les bons comme les méchants seront
jugés. Pour l’attribution des récompenses ou des sanctions, tous seront jugés,
même les bons, puisque chacun devra comprendre la sentence divine qui attribua
lors du jugement particulier le prix correspondant à son mérite. En ce qui
concerne les débats sur les mérites, pour la même raison, ils auront lieu pour
tous, même pour le Christ et la Vierge Marie en qui on ne trouvera aucun péché.
Il faut en effet que le détail de l’héroïsme intérieur et extérieur de leur vie
soit connu de tous. De même pour les autres en qui on discernera un passé fait
d’un mélange de bonnes et de mauvaises actions, rien ne devra être ignoré de ce
qui fut bâti avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, en se livrant
totalement au service de Dieu, et de ce qui fut bâti sur la base de la foi,
mais avec du bois, du foin et de la paille, c’est-à-dire de ce qui en nous
jadis aimait encore les choses du siècle, et se livrent à des affaires
terrestres, tout en ne faisant rien lasser avant le Christ, et en s’efforçant
de réparer leurs péchés par des aumônes. De même pour les damnés.
En résumé, on doit dire que tout sera
porté au jugement de discernement de tous.
Solution 1 :
La punition est l’effet de la justice,
tandis que la récompense est celui de la miséricorde c’est pourquoi on attache
de préférence au jugement, qui est un acte de justice, l’idée de punition ; on
en vient donc à parler de jugement pour dire condamnation. C’est en ce sens
qu’on doit prendre le texte cité. Du reste la Glose le montre bien.
Solution 2 :
La discussion au sujet des mérites des
élus n’est point pour enlever de leur cœur la certitude de la béatitude elle
montre à tous d’une manière évidente la prééminence de leurs bonnes œuvres sur
leurs fautes ; la justice divine en est mieux démontrée.
Solution 3 :
Le jugement général n’aura lui rien de
terrible pour les élus car l’amour n’a rien à craindre. La lumière du Christ ne
les écrasera pas comme au jour du jugement individuel avant que le purgatoire
ait achevé de les purifier. En effet, devenus conforme à lui, son humilité
(kénose) les élèvera plutôt. Les damnés, par contre, subiront l’obligation du
jugement général comme la pire des épreuves et, ce jour-là, se réalisera de
manière ultime et visible la parole de la Genèse parlant de l’orgueil de
Lucifer [1716] : « Je mettrai une hostilité entre toi et la
femme, entre ton lignage et le sien. Il t'écrasera la tête et tu l'atteindras
au talon. »
Solution 4 :
Saint Grégoire parle des justes qui
sont encore dans leur chair mortelle. Il avait dit plus haut : « Ceux
qui auront été surpris dans leurs corps (par la fin du monde), bien que déjà
forts et parfaits, cependant, parce qu’ils sont encore dans leurs corps, ne
pourront pas, au milieu d’une telle vague de terreur, éviter toute épouvante. »
Il est clair que cette terreur se rapporte au temps qui précédera immédiatement
le jugement. Il sera absolument terrible pour les méchants, mais non pour les
bons, qui ne se sentiront pas soupçonnés de mal.
Objection 1 :
Aucun des méchants, semble-t-il, ne
sera jugé. La damnation est certaine pour ceux qui meurent dans le péché
mortel, comme pour ceux qui refusent de croire. Or nous voyons, en saint Jean,
que, à cause de cette certitude de damnation, « celui qui ne croit pas est
déjà jugée. » Pour ce même motif, aucun pécheur ne sera jugé.
Objection 2 :
La voix du juge est terrible pour ceux
qu’il condamne. Mais nous lisons dans les Sentences, d’après saint Grégoire : «
La parole du juge ne s’adressera pas aux incrédules. » Si donc elle s’adresse
au contraire aux croyants condamnés, les incrédules tireraient avantage de leur
incrédulité c’est absurde.
Cependant :
Tous les méchants doivent être jugés,
parce que le châtiment est infligé à chaque faute selon sa gravité : cela n’est
pas possible sans la détermination du jugement. Tous les méchants seront donc
jugés.
Conclusion :
Le jugement en tant que détermination
des peines pour les péchés concerne tous les méchants. En tant qu’appréciation
des mérites, il concerne seulement les élus. Pour ce qui concerne les damnés,
ange ou homme, il ne faut pas croire que tout dans leur être et dans les actes
qui précédèrent leur libre orientation vers l’amour d’eux-mêmes fut mauvais.
Lucifer fut un ange de Dieu avant de se révolter contre son projet d’humilité
(kénose). De même, chez les humains damnés, leur vie passée ne fut pas qu’une
somme d’actes mauvais. Ils firent parfois du bien pour un motif humain ou même
surnaturel pour ceux qui eurent la foi et la charité. Mas tous, confrontés à la
révélation du projet de Dieu, aboutir pour une raison ou une autre à se
déterminer en opposition définitive. Afin que la justice et les circonstances
de la damnation soient connues de tous, il y aura donc nécessairement pour eux
un jugement général et nul ne devra rien ignorer des circonstances de leur réprobation.
Solution 1 :
Ceux qui meurent en état de péché
mortel, doivent manifestement être damnés. Mais ils ont peut-être commis des
actions secondaires auxquelles serait attaché un certain mérite. Pour
manifester la justice divine, il faut qu’une délibération ait lieu au sujet de
leurs mérites, afin de montrer qu’ils sont justement exclus de la cité des
saints, dont ils paraissent extérieurement être du nombre des citoyens.
Solution 2 :
Le discours du juge sera vrai. Or,
celui qui durant sa vie reçut la grâce d’avoir la foi et malgré tout se livra
aux mêmes péchés que celui à qui fut refusée cette lumière est plus coupable.
Face à la lumière du Christ, cette circonstance sera donc manifestée à tous
selon la parole de Jésus [1717] : « La reine du Midi se lèvera lors du
Jugement avec cette génération et elle la condamnera, car elle vint des
extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus
que Salomon! » Mais,
alors que la vérité de ce jugement fut ressenti comme dur par les repentants
au moment du jugement particulier au point qu’ils se mirent eux-mêmes au
purgatoire, le jugement
général ne sera pas ressenti comme tel au jugement général. Car, à ce moment, il
n’y aura plus en eux aucun reste de fierté. Ils prendront donc la manifestation
de cette vérité à l’univers entier de manière simple et ils s’en réjouiront
même, comme on se réjouit quand on aime Dieu de la manifestation de sa
miséricorde.
Objection 1 :
« Dieu ne juge pas deux fois le même objet. » Les mauvais
anges ont déjà été jugés, selon ce mot de saint jean "Le prince de ce
monde a déjà été jugé. » Les anges ne seront donc plus jugés.
Objection 2 :
En outre, la bonté ou la malice des
anges est plus parfaite que celle des hommes sur la terre. Mais certains
hommes, bons et mauvais, ne seront pas jugés, comme il est dit dans les
Sentences. Les anges bons et mauvais ne seront donc pas jugés.
Cependant :
Tout sera révélé à tous. Donc les
anges seront jugés. Saint Paul aux Corinthiens le confirme : « Ignorez-vous
que nous jugerons les anges ? » Saint Pierre le confirme : « Dieu n’a
point pardonné aux anges qui péchaient. Il les a réservés pour être jugés et
livrés aux êtres hurlants de l’enfer et tourmentés dans le Tartare. » Dans
Job, nous voyons au sujet de Béhémoth ou Léviathan, c’est-à-dire du diable : « Il
sera précipité à la vue de tous » ; et dans saint Marc, le démon interpelle
le Christ : « Pourquoi es-tu venu nous perdre avant le temps ? » Et la
Glose d’ajouter : « Les démons apercevant le Seigneur sur la terre, croyaient
qu’ils seraient aussitôt jugés. »
Conclusion :
En tant qu’il est un discernement, le
jugement général aura lieu pour les anges, mais il sera différent de celui des
hommes car ils n’ont pas la même nature. Chacun verra que leur choix, effectué
lors de la fondation du monde fut un acte simple et sans mélange car on ne
pourrait trouver rien de mal chez les bons ni de bon chez les mauvais. De plus,
leur rôle dans le drame du salut des hommes ayant été essentiel, il sera
manifesté.
Si nous parlons du jugement en tant
que rétribution, nous devons distinguer deux sortes de rétributions : 1° L’une répond aux mérites personnels
des anges. Elle fut accomplie dès le début, quand les uns furent élevés jusqu’à
la béatitude, et les autres noyés dans la misère. Les anges ne seront donc pas
jugés sous ce rapport au jugement général. 2°
Il y a une autre rétribution qui correspond aux œuvres bonnes ou mauvaises
accomplies grâce à l’intervention des anges. Celle-là aura lieu au jugement
dernier : les bons anges se réjouiront davantage du salut de ceux qu’ils auront
portés aux actions méritoires, tandis que les mauvais anges seront
incomparablement plus tourmentés. Le salut des bons, la victoire de Dieu leur enlèvera
tout espoir d’une victoire selon la lettre des Écritures[1718] : « Il a dépouillé les Principautés et les
Puissances et les a données en spectacle à la face du monde, en les traînant
dans son cortège triomphal. » D’autre part, ils seront davantage tourmentés par la chute des
hommes méchants, qu’ils auront poussés au mal.
Solution 1 :
Le jugement général n’a pas comme but,
comme le jugement particulier d’émettre et d’appliquer la sentence de damnation
ou d’élection. Il a pour but d’en révéler la cause et la circonstance à tous.
Solution 2 :
Les anges bons ou mauvais se sont
tourné vers Dieu ou l’ont rejeté à travers un seul acte parfait de leur esprit.
Ils ne seront pas jugés en ce sens qu’il faudrait pour comprendre leur acte,
considérer la durée et les circonstances de longues hésitations. Leur jugement
sera donc simple comme l’est leur nature spirituelle dépourvue de corps. Il est
possible que certains hommes particulièrement déterminés au mal leur
ressemblent, n’ayant jamais au cours de leur vie dévié du seul amour
d’eux-mêmes.
Recherchons sous quelle forme le juge
viendra juger :
1° Le Christ nous jugera-t-il sous la forme de son humanité ?
2° Apparaîtra-t-il dans son humanité glorieuse ?
3° Peut-on voir la divinité sans en être réjoui ?
Objection 1 :
En saint Jean, il est dit : « Le
Père a donné au Fils tout jugement, afin que tous honorent le Fils comme ils
honorent le Père. » Mais un honneur égal à celui du Père n’est pas dû au
Fils selon sa nature humaine. Il ne jugera donc pas sous la forme humaine.
Objection 2 :
En Daniel, nous voyons ceci : « Je
regardais jusqu’à ce que les sièges fussent disposés et que l’Ancien siégeât. »
Les trônes désignent le pouvoir judiciaire. L’ancienneté est attribuée à
Dieu, à cause de son éternité, selon Denys. Juger convient donc au Fils en tant
qu’éternel, non en tant qu’homme.
Objection 3 :
Saint Augustin affirme : « Par le
Verbe Fils de Dieu s’accomplit la résurrection des âmes. Par le Verbe devenu
dans l’incarnation Fils de l’homme, se fera la résurrection des corps. » Le
jugement final concerne plutôt l’âme que la chair. Il convient donc mieux ait
Christ de juger en tant que Dieu qu’en tant qu’homme.
Cependant :
Saint Jean dit : « Il lui a donné
le pouvoir de juger parce qu’il est le fils de l’homme. »
En outre, nous voyons dans Job :
« Ta cause a été jugée comme celle d’un impie. » La Glose ajoute : «
par Pilate » ; c’est pourquoi tu recevras le jugement et la cause. » Et
la Glose reprend "pour juger justement. » Mais le Christ a été jugé par
Pilate selon sa nature humaine : c’est donc en elle qu’il jugera.
De même, juger appartient à qui a le
droit de poser des lois. Or, c’est en apparaissant dans sa nature humaine que
le Christ nous a donné la loi de l’Évangile. C’est donc en elle qu’il jugera.
Conclusion :
Pour juger, on doit avoir autorité.
Saint Paul dit aux Romains : « Qui es-tu donc pour juger le serviteur d’un
autre ? » Le Christ a le pouvoir de juger en tant qu’il possède autorité
sur les hommes, au sujet desquels aura lieu principalement le jugement final.
Il est notre maître, non seulement en vertu de la création, parce que « le
Seigneur lui-même est Dieu, lui-même nous a faits ; Nous ne nous sommes pas
faits nous-mêmes », mais aussi en vertu de la rédemption qu’il a réalisée en sa
nature humaine. Saint Paul dit aux Romains : « Le Christ est mort et est
ressuscité pour dominer les morts et les vivants. » Pour obtenir la récompense
de la vie éternelle, les biens de la création ne nous suffiraient pas sans le
bienfait de la rédemption, à cause de l’empêchement que le péché de nos
premiers parents a inséré dans notre nature. C’est pourquoi, puisque le
jugement final a pour but d’admettre certains hommes dans le royaume, tandis
que d’autres en sont exclus, il convient que ce soit le Christ lui-même en sa
nature humaine, grâce à laquelle l’homme est admis dans le royaume, qui Préside
ce jugement. C’est ce que signifient les Actes : « Lui-même a été institué
par Dieu juge des vivants et des morts. »
En outre, grâce à la rédemption du
genre humain, il n’a pas restauré seulement l’humanité, mais par cette
restauration (le l’homme, il a amélioré aussi toute la créature, universellement.
saint Paul dit aux Colossiens : « Pacifiant par son sang répandu sur la
Croix, tout ce qui est sur terre et dans les cieux. » C’est pourquoi, par
sa passion, le Christ a mérité la domination et le pouvoir judiciaire, non
seulement sur les hommes, mais sur toute créature. Saint Matthieu : « Tout
pouvoir m’a été donné dans le Ciel et sur la terre. »
Solution 1 :
Le Christ n’aurait pas suffi à
racheter le genre humain s’il avait été seulement homme. S’il a pu racheter le
genre humain selon sa nature humaine et obtenir par là le pouvoir judiciaire,
cela manifeste qu’il est Dieu lui-même et doit être honoré autant que le Père,
non pas comme homme, mais comme Dieu.
Solution 2 :
Dans cette vision de Daniel, il s’agit
manifestement de la plénitude de l’ordre du pouvoir judiciaire. Elle réside
d’abord, comme en sa source première, en Dieu lui-même, et plus spécialement
dans le Père, qui est le principe de toute déité. C’est pour cela que le texte
dit d’abord : « L’Ancien siège. » Mais le pouvoir judiciaire a été transmis par
le Père au Fils, non seulement éternellement en vertu de sa nature divine, mais
même dans le temps, selon sa nature humaine, qui l’a méritée. C’est pourquoi la
vision prophétique se poursuit : « Et voici que sur les nuées du Ciel il
semblait que le Fils de l’homme venait, et parvenait jusqu’à l’Ancien, qui lui
donna pouvoir, honneur et royaume. »
Solution 3 :
Saint Augustin parle en vertu d’une
certaine appropriation : il ramène les effets que le Christ a opérés dans la
nature humaine, à des causes qui sont semblables de quelque manière. Par notre
âme, nous sommes faits à l’image et la similitude de Dieu, tandis que par notre
chair nous sommes de la même espèce que le Christ homme. C’est pourquoi il
attribue à la divinité ce que le Christ a fait dans nos âmes, tandis qu’il
attribue à sa chair ce qu’il a fait ou fera dans notre chair. Cependant sa
chair, en tant qu’organe de sa divinité, selon l’expression de saint Damascène,
produit aussi des effets dans nos âmes comme dit saint Paul aux Hébreux : « Son
sang a purifié nos consciences de nos œuvres de mort. » Ainsi le Verbe fait
chair est cause de la résurrection de nos âmes. Dès lors, même en sa nature
humaine, il convient que le Christ soit le juge, non seulement des valeurs
corporelles mais des valeurs spirituelles
Objection 1 :
Au jugement, il ne semble pas que le
Christ apparaîtra sous la forme de son humanité glorieuse. À propos de saint
Jean : « Ils verront celui qu’ils ont transpercé », la Glose dit : « Car
il viendra en cette même chair dans laquelle il fut crucifié. » Or il a été
crucifié en une forme de faiblesse corporelle. C’est donc dans cette forme
qu’il apparaîtra non sous une forme glorieuse.
Objection 2 :
Saint Matthieu dit : « Le signe du
Fils de l’homme apparaîtra dans le Ciel » : il s’agit du signe de la
Croix. Saint Jean Chrysostome ajoute : « Le Christ viendra juger en montrant
non seulement les cicatrices de ses blessures, mais même la forme très
ignominieuse de sa mort. » Il ne sera donc pas sous une forme glorieuse.
Objection 3 :
Le Christ se présentera au jugement
sous une forme qui puisse être vue par tous. Sous la forme de son humanité
glorieuse, il ne pourrait pas être vu par tous, bons et méchants, car l’œil non
glorifié ne semble pas être adapté pour voir l’éclat d’un corps glorieux. Il ne
se présentera donc pas sous cette forme.
Objection 4 :
Ce qui est promis aux justes à titre
de récompense ne peut pas être accordé à ceux qui ne sont pas justes. Voir la
gloire de l’humanité du Christ est promis aux justes comme récompense, selon
saint Jean : « Il entrera et sortira et trouvera des pâturages. » Saint
Augustin l’interprète : « Ce sera la communion à la Divinité et à l’humanité. »
Et Isaïe dit : « Ils verront le Roi dans sa splendeur. » Tous ne
pourront donc pas voir au jugement la forme glorieuse du Christ.
Objection 5 :
Le Christ jugera dans la forme où il a
été jugé. À propos de saint Jean : « Ainsi le Fils vivifie qui il veut », la
Glose dit : « Dans la forme où il a été jugé injustement, il jugera justement,
pour pouvoir être vu par les impies. Puisqu’il a été jugé sous sa forme de
faiblesse, c’est en celle-là qu’il apparaîtra au jugement.
Cependant :
Nous lisons en saint Luc : « Ils
verront le Fils de l’homme venir sur les nuées, avec grande puissance et
majesté. » Majesté et puissance appartiennent à la gloire. C’est donc en sa
forme glorieuse qu’il apparaîtra.
En outre, le juge doit manifester en plénitude la
norme du droit divin qui est l’humilité (kénose) et l’amour. Cela, son humanité
glorieuse, marquée des stigmates de sa passion, peut le faire plus parfaitement
que son humanité douloureuse.
De plus, être jugé est un signe de
faiblesse tandis que juger marque l’autorité et la gloire. En son premier
avènement, quand le Christ est venu pour être jugé, il apparut sous une forme
de faiblesse. Au second avènement, quand il viendra pour juger, il apparaîtra
sous sa forme glorieuse.
Conclusion :
Le Christ est appelé « médiateur de
Dieu et des hommes », parce qu’il répare pour les hommes et implore le Père,
tandis qu’il communique aux hommes ce qui tient du Père : Saint Jean dit : « Je
leur ai donné la lumière que tu m’as donnée. » Il lui convient donc de
communiquer avec chacun des termes qu’il unit : communiquant avec les hommes,
il représente les hommes auprès du Père ; communiquant avec le Père, il
transmet ses dons aux hommes. Dans le premier avènement, il était venu pour
réparer pour nous auprès du Père. Il apparaissait donc sous notre forme
d’infirmité. Dans le second avènement, il viendra pour accomplir la justice du
Père parmi les hommes. Il devra alors manifester la gloire qui lui vient de la
communion avec le Père ; il se montrera donc sous la forme glorieuse.
Solution 1 :
Il se montrera dans la même chair,
mais dans une autre manière d’être.
Solution 2 :
Le signe de la Croix apparaîtra au
jugement pour manifester une infirmité passée, mais non plus actuelle. Par là
il montrera la justice de la condamnation de ceux qui ont repoussé tant de
miséricorde, et surtout de ceux qui ont injustement persécuté le Christ. Les
cicatrices qui apparaîtront sur son corps ne seront pas un signe d’infirmité :
elles seront les marques de la très grande force par laquelle le Christ dans sa
passion et sa souffrance a triomphé de ses ennemis. Il manifestera aussi sa
mort très humiliante, non pas en la présentant aux regards comme s’il la
subissait maintenant, mais en portant les hommes à se souvenir de cette mort
passée, par la présentation des traces de cette passion d’autrefois.
Solution 3 :
Le corps glorieux possède le pouvoir
de se manifester ou non comme tel à un œil non glorifié, comme nous l’avons vu.
C’est pourquoi le Christ pourra être vu par tous en sa forme glorieuse.
Solution 4 :
La gloire d’un ami nous réjouit. Par
contre la gloire et la puissance de celui que l’ont hait est une grande source
de tristesse. C’est pourquoi, tandis que la vision de la gloire de l’humanité
du Christ sera une récompense pour les justes, elle sera un supplice pour ses
ennemis. Isaïe : « Qu’ils le voient et soient confondus les dirigeants du
peuple, et que le feu (c’est-à-dire l’envie) dévore tes ennemis. »
Solution 5 :
La forme signifie ici la nature
humaine, en laquelle le Christ a été jugé et jugera. Elle ne vise pas la
qualité de cette nature, qui ne sera pas infirme dans le juge comme elle
l’était quand il fut jugé.
Objection 1 :
Il semble que la divinité puisse être
vue par les méchants sans en éprouver de joie. Il est un effet certain que les
impies savent manifestement que le Christ est Dieu. Ils verront donc sa
divinité. Et pourtant ils n’en jouiront pas. Il pourra donc être vu sans joie.
Objection 2 :
La volonté perverse des impies n’est
pas plus contraire à l’humanité du Christ qu’à sa divinité. Mais le fait de
voir la gloire de son humanité sera pour eux une peine. À bien plus forte
raison, s’ils voyaient sa divinité, ils en seraient plus attristés que réjouis.
Objection 3 :
L’affectivité ne suit pas
nécessairement l’intelligence. Saint Augustin dit : « L’intelligence précède,
et le sentiment suit plus tard ou pas du tout. » La vision appartient à
l’intelligence et la joie à l’affectivité. Il pourra donc y avoir vision de la
divinité sans joie.
Objection 4 :
« Tout ce qui est reçu en quelqu’un est reçu selon le mode de celui qui
reçoit, et non selon le mode de ce qui est reçu. » Tout ce qui est vu est reçu
de quelque manière dans celui qui le voit. C’est pourquoi bien que la divinité
soit elle-même source de très grande joie, cependant, si elle est vue par ceux
qui sont accablés de tristesse, elle ne les réjouira pas, mais les contristera
davantage.
Objection 5 :
L’intelligence est à l’égard de
l’intelligible comme le sens à l’égard du sensible. Nous voyons dans l’ordre
sensible que « pour un palais malade le pain devient désagréable, alors
qu’il est agréable pour un palais sain. » Comme dit saint Augustin, il en va de
même pour nos autres sens. Dès lors, puisque les damnés ont l’intelligence
désordonnée, il semble que la vision de la lumière incréée lui apportera plus
de souffrance que de joie.
Cependant :
Nous lisons en saint Jean : « La
vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le vrai Dieu. » L’essence
de la béatitude consiste donc en la vision de Dieu. Mais la notion même de
béatitude inclut la joie. On ne peut donc voir la divinité sans en jouir.
En outre, l’essence même de la divinité est
l’essence même de la vérité. Voir le vrai est pour tous une source de délectation
; « Tous par nature désirent savoir », comme dit Aristote dans les Métaphysiques. La divinité ne peut
donc pas être vue sans joie.
De plus, si une vision n’était pas
toujours source de joie, ce serait que parfois elle engendre la tristesse. Mais
la vision intellectuelle n’est jamais attristante. Parce que, comme dit
Aristote, il n’y a pas de tristesse opposée à la délectation que l’on a en
comprenant. Puisque la divinité ne peut être vue que par l’intelligence, il
semble qu’elle ne puisse pas être vue sans joie.
Conclusion :
En toute chose désirable ou
délectable, on peut considérer deux aspects : 1° ce qui est désirable ou délectable. Les choses qui sont
délectables seulement par participation à une bonté qui est la raison pour
laquelle elles sont désirables et délectables, peuvent, si on les perçoit, ne
pas apporter de jouissance ; mais ce qui est bon en vertu de sa propre nature,
il est impossible qu’en percevant son essence on n’en jouisse pas. Dès lors,
puisque Dieu est essentiellement la Bonté en elle-même, il n’est pas possible
de voir la divinité sans en jouir.
2° Ce qui est le motif de ce désir et de cette délectation. Boèce dit : « Ce
qui est, peut contenir quelque chose d’autre que son être ; mais le fait d’être
ne peut rien contenir d’autre que lui-même. » De même, ce qui est désirable ou
délectable peut contenir quelque chose qui ne soit ni délectable ni désirable ;
mais ce qui est le motif même de cette détectabilité ne peut rien contenir, en
soi-même, à cause de quoi il ne serait ni délectable ni désirable. Ainsi en
est-il de Dieu : délectable et désirable en lui-même, il peut être haï à cause
des conditions qu’il met à l’entrée dans sa Vision. Il s’agit essentiellement
de l’humilité (kénose) et de l’amour que les damnés refusent obstinément.
Solution 1 :
Les impies sauront manifestement que
le Christ est Dieu, non en voyant sa divinité, mais grâce à des signes très
manifestes de sa divinité.
Solution 2 :
On ne peut pas davantage avoir de la
haine pour la divinité telle qu’elle est en elle-même, qu’on ne pourrait haïr
la bonté elle-même ; mais la divinité peut devenir objet de haine pour certains
à cause d’effets particuliers qu’elle produit, parce qu’elle agit ou qu’elle
ordonne contrairement à leur propre volonté. Il est donc impossible que la
vision de la divinité ne soit pas délectable pour quelqu’un.
Solution 3 :
Ce texte de saint Augustin doit
s’appliquer quand ce que l’intelligence perçoit est bon par participation
seulement, et non par essence, comme sont toutes les créatures : en elles il
peut y avoir quelque chose qui n’émeut point l’affectivité. Ici-bas, Dieu même
n’est connu que par ses œuvres, et l’intelligence ne parvient pas à la
connaissance de l’essence elle-même de sa bonté. L’affectivité ne suit donc pas
nécessairement la connaissance, comme elle le devrait si celle-ci pénétrait
l’essence de Dieu, qui est la bonté même.
Solution 4 :
La tristesse n’est pas une
disposition, mais plutôt une passion. Toute passion est supprimée par une cause
plus puissante qui survient ; elle ne peut chasser cette cause. C’est pourquoi,
la tristesse des damnés disparaîtrait, si, par impossible, ils voyaient Dieu en
son essence.
Solution 5 :
Si un organe est indisposé, sa
conformité naturelle avec l’objet qui devrait normalement le faire jouir,
disparaît, et la jouissance est empêchée. Mais la mauvaise disposition des
damnés ne peut supprimer la disposition naturelle foncière qui les orientait
vers la bonté divine, dont l’image demeure toujours en eux. Le cas est donc
différent.
A cet
égard, cinq questions se posent :
1° après le jugement général, doit-on compter deux demeures des
hommes et pas une de plus ?
2° Ces demeures seront-elles localisées ?
3° la béatitude des saints sera-t-elle plus grande ?
4° le châtiment des damnés s’étendra t-il jusque dans leur corps ?
5° le monde durera-t-il ainsi éternellement ?
Objection 1 :
Il semble
qu’on ne doit pas compter deux demeures seulement, à savoir l’enfer et le
paradis. Les enfants morts sans baptême seront éternellement dans les limbes
puisqu’ils sont entachés du péché originel qui les sépare de Dieu.
Objection 2 :
Après le
jugement général, certaines âmes n’auront pas achevé de satisfaire pour les
peines du purgatoire. Il y aura donc une troisième demeure.
Objection 3 :
Le
Seigneur dit : « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures.
» Il semble qu’on doive compter plus de deux demeures au paradis.
Objection 4 :
Il faut
aussi compter parmi les demeures le shéol, encore appelé sein d’Abraham, où
étaient conduites les âmes de ceux qui sont morts avant la venue du Christ. Il
s’agit d’un état où la vision de Dieu n’est pas possible. C’est la demeure des
ombres, c’est-à-dire des âmes errantes. Les âmes sont parfois punies au lieu
même où elles ont péché, c’est-à-dire ici bas, ce qui fait encore une demeure
d’autant plus que les pécheurs sont parfois punis dès cette vie en ce monde.
Objection 5 :
Il
faudrait distinguer d’autres demeures encore, par exemple, l’air ténébreux qui
est représente comme la prison des démons.
Objection 6 :
Ou encore,
le paradis terrestre dans lequel Énoch et Élie ont été transportés.
Objection 7 :
L’âme qui
sort de ce monde avec le péché originel et n’ayant commis que des péchés
véniels doit avoir une demeure à part. En effet, elle ne peut aller ni au Ciel,
puisqu’elle n’a pas la grâce, ni en enfer puisque seul le péché mortel y
condamné.
Objection 8 :
Aux âmes
en état de grâce mais avec des fautes vénielles à expier, est assignée une
demeure spéciale, le purgatoire. Aux âmes en état de péché mortel, mais ayant
fait quelques bonnes œuvres, devrait donc être assigné une demeure spéciale,
distincte de l’enfer.
Objection 9 :
Rien
n'empêche que Dieu, dont la puissance et l'amour sont sans limites, crée une
autre humanité en état de voie ailleurs, ou même des mondes différents peuplés d’autres
genres de créatures rationnelles pour les conduire à la vision béatifique. Donc
il peut apparaître d'autres demeures après le jugement général.
Cependant :
Lors du
jugement général, le Seigneur triera les brebis et les boucs en disant[1719] : « Venez les bénis de mon Père »
aux élus et « allez-vous en loin de moi, maudits » aux
damnés. Il n’y aura donc que deux demeures après le jugement général.
Conclusion :
Des
demeures distinctes sont assignées aux âmes selon leurs divers états ou
conditions. L’âme unie au corps est ici-bas en état de mériter ; Face à
l’apparition du Messie et séparée du foyer de péché qui, provisoirement la
maintenait en liberté diminuée, elle est devenue en état de choisir son destin
de manière définitive. Elle reçoit en conséquence la récompense du bien qu’elle
a fait et c’est le paradis ; la punition du péché actuel et mortel qu’elle
maintient et c’est l’enfer des damnés.
Quant aux
empêchements provisoires qui peuvent différer l’obtention immédiate de la
gloire, ils sont supprimés. S’il est un empêchement qui vient de la personne,
il est enlevé par le purgatoire dans lequel les âmes sont retenues jusqu’à
expiation du péché commis. S’il est un empêchement de la nature, à savoir le
péché originel, il est enlevé par le Christ à cause des mérites de sa
rédemption accomplie sur la croix. Donc, lors du jugement général, il ne
restera que deux demeures : l’enfer et le paradis.
Solution 1 :
Les limbes des enfants ne sont pas une
demeure éternelle mais seulement provisoire car eux-mêmes doivent recevoir la
prédication du Seigneur, dans le passage de la mort selon cette parole du
Seigneur[1720] : « Tout
homme verra le salut de Dieu et devant lui tout genoux fléchira. » Si tout
homme doit voir le salut de Dieu, c’est qu’il doit être proposé à tous, ce qui
ne peut se faire que par la remise du péché originel. En fin de compte, tout
genou fléchira devant Dieu, ceux des méchants par peur, ceux des bons par
amour. Il n’y a donc que deux demeures éternelles, l’enfer et le paradis.
Solution 2 :
La providence divine permettra que
toute âme ait achevé son purgatoire lorsque viendra le jugement dernier, même
les plus grands pécheurs selon cette parole de Marie à Fatima à propos
d’une jeune fille décédée : « Elle est en purgatoire jusqu’à la fin du monde..
» Ce sera possible même pour ceux qui seront encore vivants lors du retour du
Christ sur la terre. Il faut en effet se souvenir que la souffrance
purificatrice n’est pas mesurable selon le temps extérieur mais seulement selon
la durée intérieure de celui qui souffre quelques minutes peuvent paraître des
années. Ainsi chaque âme paraîtra lors du jugement général de l’humanité selon
la bonté ou la perversité qui doit être sienne pour l’éternité.
Solution 3 :
Comme nous l’avons montré, les
demeures dont le Seigneur parle ici sont les divers degrés et les divers modes
de béatitude des âmes. Les degrés se prennent de l’intensité de la charité ;
les modes de la grâce particulière dont chaque âme a vécu durant son
pèlerinage terrestre et qui sont signifiés par les auréoles. Il s’agit donc
plutôt de divers états que de diverses demeures.[1721]
Solution 4 :
Comme les limbes des enfants, les
limbes des âmes errantes appelés par l’Écriture "Shéol" sont une
demeure provisoire des âmes trop attachées à la terre pour accepter de passer
dans l’autre monde où les attend le Christ. Dieu permet cette errance comme une
prolongation de la vie terrestre en vue de leur salut puisque, isolées dans
leur névrose pendant des années, elles finissent par comprendre la vanité de
leur attachement. Elles appellent le Messie qui les fait passer dans l’autre
monde. À la fin du monde, il n’y aura plus d’âmes dans cet état à cause de la
souffrance qui purifiera les derniers habitants de la terre au point de leur
faire désirer le salut et grâce au retour du Christ. Le démon perdra ce jour-là
son pouvoir sur les morts, selon saint Paul : « Le Christ a supprimé la
cédule de notre dette en la clouant sur la croix. Il a dépouillé les Principautés
et les Puissances et les a données en spectacle à la face du monde, en les
tramant dans son cortège triomphal. »
Solution 5 :
L’air ténébreux n’est pas le lieu où
les démons reçoivent leur punition, mais celui qui semble leur convenir dans la
guerre qu’ils font aux hommes. Lors du jugement général, il n’y aura plus
d’homme à tenter sur la terre. La demeure sera donc l’enfer.
Solution 6 :
Saint Augustin écrit : « Le paradis
terrestre se rapporte à la vie présente et non à la vie future. Énoch et Élie y
furent conduits avec leur corps provisoirement afin qu’ils puissent revenir
prêcher à la fin des temps sur la terre mais cette demeure est exceptionnelle
et elle disparaîtra avec la glorification du corps de ces saints. » Mais nous
avons montré que cette tradition est à interpréter dans un sens métaphorique[1722].
Solution 7 :
C’est là une hypothèse impossible.
L’enfant sans libre arbitre ne peut pécher mortellement ; à plus forte raison
il ne le peut pécher véniellement. À l’éveil de la raison, il choisira
absolument le bien ou le mal c’est-à-dire ou bien il fera un acte de charité
qui le justifiera ou bien il commettra un acte mauvais qui le mettra en inimitié
personnelle avec Dieu.
Solution 8 :
Les lieux terrestres où il arrive que
des âmes séparées expient leurs fautes, ne sont cependant pas le vrai lieu de
leur punition. L’apparition de certaines âmes de l’enfer est permise par Dieu
pour instruire les hommes et leur inspirer une crainte salutaire du péché.
Mais, à la fin du monde une telle pédagogie sera devenue inutile puisqu’il n’y
aura plus d’homme en état de vie sur la terre. Le lieu de la damnation sera
donc l’enfer.
Solution 8 :
Le mal ne
se présente jamais à l’état pur et sans mélange de bien, de la façon dont le
souverain bien existe sans mélange de mal. C’est pourquoi pour atteindre la
béatitude, qui est le souverain bien, il faut être purifié de tout mal, soit
avant de quitter ce monde, soit après, dans un lieu spécial qui est le
purgatoire. Mais, en enfer, il ne saurait y avoir une absolue privation de
bien. Les deux cas sont donc dissemblables, même si les bonnes œuvres qu’ils
ont faites sur la terre peuvent valoir aux damnés un certain adoucissement de
leur punition.
Solution 9 :
C'est
vrai. Mais ce ne seront pas des Fils d'Adam.
Objection 1 :
Il semble
que le lieu de l’enfer et celui du paradis sera le même. En effet, l’Écriture
montre que les démons peuvent entrer en contact avec les bons anges[1723]
: « Le jour où les anges venaient se présenter devant Yahvé, le Satan
s’avançait parmi eux" Or les élus sont avec les damnés dans le même
rapport que les saints anges avec les démons. Donc ils ne seront pas séparés à
la fin du monde.
Objection 2 :
Il ne
semble pas que le feu de l’enfer soit sous terre car Job, parlant de l’homme
damné, dit : « Et Dieu l’enlèvera du monde. » Le feu qui châtiera les
damnés n’est donc pas sous terre, mais hors du monde.
Objection 3 :
La Sagesse
dit : « Chacun est torturé par les choses par lesquelles il a péché" Mais
les méchants ont péché à la surface de la terre. Le feu qui les punit ne doit
donc pas être au-dessous de la terre.
Objection 4 :
Le lieu du
paradis semble être la terre et non l’univers entier. En effet, les hommes
sauvés formeront une société. Il ne convient donc pas qu’ils soient dispersés
dans les lieux immenses.
Cependant :
Isaïe dit[1724] : « L’enfer souterrain a été à l’approche
de ton avènement ». De même, l’Apocalypse [1725] : « La bête fut capturée avec le faux
prophète. On les jeta tous deux, vivants, dans l’étang de feu, de soufre
embrasé. » Donc l’enfer est un lieu. De même, à propos du paradis, l’Apocalypse
dit qu’il s’agit d’un lieu où habitent les hommes ressuscités.
Conclusion :
1° Dès avant la résurrection des corps, l’enfer et le paradis ne doivent pas être
appelés des lieux au sens métaphorique puisque, nous l’avons vu, les âmes
humaines ne sont jamais de purs esprits. Elles sont donc toujours localisées,
même si le corps qui leur reste est fait de matière psychique. Certes, enfer et
paradis sont en premier lieu un état de l’âme selon qu’elle voit Dieu ou le
rejette. Cependant, en conséquence, elles se réunissent entre elles en deux
lieux bien séparés, puisque les âmes de l’enfer ne supportent pas la présence
et la vue de ceux qui sont saints.
Nous avons
vu que les âmes de l’enfer sont emprisonnées par elles-mêmes, par l’obsession
de la recherche de leur propre bonheur et par le feu que cela produit en elles.
Quant à savoir où elles cachent leur misère, il est difficile de se prononcer.
Certains pensent qu’elles s’isolent dans l’immensité de l’univers, d’autres, et
c’est plus probable, qu’elles se réunissent entre elles autours de leur commun
projet de révolte contre Dieu et ses saints. De toute façon, ce n’est que par
exception que les humains damnés sont autorisés par Dieu à troubler de leur
présence les hommes qui vivent sur la terre. En ce qui concerne les hommes
damnés, l’emprisonnement est réalisé dès avant la résurrection, juste après
leur jugement individuel, car ils ne peuvent être d’aucune utilité pour le bien
des hommes qui sont sur la terre, n’ayant pas la capacité naturelle
d’intervenir par eux-mêmes dans le monde visible, comme le font les démons.
Quant aux
âmes du paradis, dès avant la résurrection, il semble d’après le témoignage de
ceux qui ont approché la mort suite à un accident non volontaire, qu’elles
vivent dans des lieux paradisiaques, situés dans une dimension parallèle, celle
du monde composé de cette matière psychique qui compose leur corps. Il ne
s’agit pas d’un monde de l’imaginaire mais d’un autre état de la matière qui
permet la réalisation de réalités invisibles pour nous.
2° Après
la résurrection, les
hommes ressuscités étant de nouveau unis à leur corps charnel, ils seront par
nature a fortiori localisés. Il est donc convenable que, selon la
récompense ou la punition qu’ils méritent, ils soient introduits dans un lieu
proportionné. Ce lieu n’est pas seulement une métaphore mais une réalité. En
conséquence, les élus étant glorifiés dans leur âme et dans leur corps, à cause
du mérite de leur grande charité, ils vivront éternellement dans un monde
d’harmonie et de beauté que les saints appellent le paradis par analogie avec
le jardin que Dieu avait originellement préparé pour Adam et Ève. L’Écriture l’appelle aussi le plus haut
des cieux, par analogie avec l’incorruptibilité de leur vie qui ressemblera par
sa stabilité à celle des astres du Ciel. Le monde nouveau préparé par Dieu sera
beaucoup plus vaste que la terre qui n’était qu’un lieu provisoire d’épreuve.
Les élus pourront exercer l’agilité de leur corps, sans jamais quitter la
contemplation de l’essence divine, à travers un univers de beauté et
d’harmonie. Le retour du Christ, la
résurrection des morts et la transformation des vivants, sont déjà une œuvre
gigantesque, à la mesure de la puissance de Dieu. Mais si l’on ajoute à cela,
immédiatement après, la transformation du monde, nous pouvons nous faire une
idée de l’énergie qu’il déploiera pour nous combler. Dieu ressemblera à un
fiancé enfin réuni à sa bien-aimée. Il ne sait que faire pour la combler. Il se
donne à elle et cela suffit. Pourtant, il ajoute toutes les folies que l'amour
peut imaginer : des parures somptueuses, des royaumes, des amis, des fleurs,
des animaux... Dieu se comportera de la même façon, comme un prince, à la
mesure de sa toute puissance. Il créera un univers grandiose de telle façon que
l’éternité ne nous suffira pas pour le visiter. À vie éternelle de bonheur,
Dieu fait correspondre un univers infini de beautés. Nous comprendrons à cette
heure l’utilité des milliards de mondes dont nous apercevons la lumière.
En ce qui
concerne les damnés, on doit parler autrement. Respectant leur choix, Dieu e
les saints voudront que le lieu de leur séjour soit le même que celui des élus.
Ils pourront donc théoriquement profiter de ce nouvel univers, à leur
convenance. Mais, à cause de la méchanceté de leur cœur, ils se sépareront du
monde des élus et s’enfermeront dans un lieu où ils ne souhaiteront ne jamais
rencontrer personne. Après le jugement général, aucun damné, démon ou homme ne
rencontrera jamais plus les élus pour plusieurs raisons. Dieu le permettra par
miséricorde pour eux, afin que la joie des élus et la gloire du Christ ne
soient pas perpétuellement devant leurs yeux.
Il est
très probable que Dieu n’aura pas à instaurer une prison autre que celle qu’ils
se créent eux-mêmes. Partout où ils sentiront la présence d’un élu, ils fuiront
son humilité (kénose) et son amour, source pour eux de la rage la plus forte,
au point qu’on ne les rencontrera jamais[1726].
Le seul souvenir de ce bonheur qu’ils ont méprisé par orgueil et qu’ils
jalousent sera suffisamment douloureux pour eux. Il est donc probable que leur
refuge sera matériellement les lieux les plus hostiles de l’univers, peut-être
même le cœur sombre et brûlant des astres. Si c’est le cas, la lettre même des
Écriture, jusqu’au plus petit détail sera réalisée.
Solution 1 :
Tant qu’il
restera des hommes sur la terre, les démons ne seront pas tous enfermés dans
l’abîme. Ils profiteront de la permission de Dieu qui les autorise à tenter les
hommes. Tant qu’il y a un homme sur terre, ils y trouvent car ils y trouvent un
double avantage : ils agissent dans le sens de leur conviction et ils
s’occupent ce qui les soulage de l’obsédante pensée de leur malheur. Après le
jugement général, Lucifer et ses anges n’auront plus aucune utilité : ils
seront donc définitivement enfermés dans le feu de l’enfer, selon l’autorité de
l’Apocalypse. Cependant, n’étant pas unis naturellement à un corps, ils seront
localisés à la manière des purs esprits ce que signifie que l’exercice de leur
jugement et de leur puissance sera à tel point centré sur eux-mêmes qu’ils
seront localisés en eux-mêmes, dans le propre feu de leur être. Fuyant comme
avec la plus grande répulsion la victoire de l’humilité (kénose) chez les élus,
n’ayant plus aucun motif de venir auprès de Dieu réclamer un homme ou une âme,
ils ne voudront plus rien savoir de ce qui se passe dans le monde des élus.
Solution 2 :
Ce mot de Job : « Dieu l’enlèvera du globe », doit
s’entendre du globe de la terre, c’est-à-dire de ce monde. Saint Grégoire
l’explique ainsi : « Quelqu’un est enlevé de ce monde, quand à l’apparition du
juge d’en haut, il est ôté de ce monde dans lequel il est injustement glorifié.
» Le globe n’est point ici celui de l’univers, comme si le lieu des peines se
trouvait en dehors de tout l’univers.
Solution 3 :
L’affirmation « chacun est torturé par ce par quoi il a
péché » ne vaut que pour les principaux instruments du péché : puisque
l’homme pèche par l’âme et par le corps, il sera puni en chacun d’eux. Mais il
n’est pas exigé que l’homme soit puni en chaque lieu où il a péché, car le lieu
de la vie terrestre est autre que celui des damnés. On peut dire ainsi que
cette affirmation vaut pour les peines par lesquelles l’homme est puni dès
cette vie, en tant que chaque faute entraîne sa peine, car tout esprit qui est
sorti de l’ordre est son propre bourreau.
Solution 4 :
Le centre
du paradis céleste ne sera ni la terre ni une quelconque planète mais le corps
du Christ qui, par sa beauté supérieure et sa personnalité divine attirera tous
les regards. C’est pourquoi saint Luc[1727] écrit : « Là où sera le corps, là
seront les aigles », c’est-à-dire les contemplatifs. Quant au reste de
l’univers, dont la beauté et la variété réjouiront le regard des saints, il
sera à la taille de leur vie éternelle, c’est-à-dire qu’il sera grandiose. Et
sa taille immense ne supprimera pas la vie commune des élus puisqu’ils seront à
chaque instant présents aux autres à travers leur contemplation de Dieu.
Objection 1 :
Il semble
que non. Plus une chose parvient à la ressemblance avec Dieu plus elle
participe parfaitement à sa béatitude. L’âme séparée du corps est plus
semblable à Dieu que quand elle est unie au corps. La béatitude est donc plus grande
avant qu’elle reprenne son corps physique.
Objection 2 :
Une force
unifiée est plus puissante que si elle est divisée. Mais l’âme hors du corps
est plus unifiée que dans le corps. Sa puissance d’action est donc plus grande,
et ainsi elle participe plus parfaitement à la béatitude qui consiste en un
acte.
Objection 3 :
La
béatitude consiste en un acte de l’intelligence spéculative. Mais
l’intelligence dans son acte n’implique pas un organe corporel. La reprise du
corps ne donnera donc pas à l’âme la possibilité de comprendre plus
parfaitement. La béatitude de l’âme ne sera donc pas plus grande après sa
résurrection.
Objection 4 :
Rien de
plus grand que l’infini : un être fini ajouté à l’infini ne le grandit pas.
Mais l’âme bienheureuse avant la résurrection du corps charnel possède la
béatitude puisqu’elle jouit d’un bien infini, Dieu. Après la résurrection du
corps, elle ne jouira pas d’autre chose, sauf peut-être de la gloire de la
chair, des plaisirs du toucher, qui sont des biens finis. La joie qui suivra la
reprise du corps ne sera donc pas plus grande qu’auparavant.
Cependant :
À propos
de l’Apocalypse, la Glose ordinaire dit : « Actuellement, les âmes des saints
se trouvent sous les autels, c’est-à-dire dans une moindre dignité que plus
tard. » Leur béatitude sera donc plus grande après la résurrection qu’après
leur mort.
En outre,
la béatitude est accordée aux bons comme récompense, comme la souffrance est
infligée aux méchants. Mais la souffrance des méchants sera plus grande après
la reprise de leur corps, car ils seront punis non seulement dans l’âme et le
psychisme mais dans la chair. La béatitude des saints sera donc plus grande
après la résurrection des corps.
Conclusion :
Il est
manifeste que la béatitude des saints sera augmentée en étendue après la
résurrection, car elle ne sera plus seulement de l’âme et dans la sensibilité,
mais aussi du corps de chair et dans ses facultés. La béatitude de l’âme
elle-même sera accrue et étendue puisqu’elle ne jouira pas seulement de son
propre bien, mais aussi du bien du corps. On peut même dire que la béatitude de
l’âme sera accrue en intensité. Le corps de l’homme peut, en effet être
considéré de deux manières : d’une part, en tant qu’il peut être perfectionné
par l’âme ; d’autre part, selon qu’il y a en lui quelque chose qui gène l’âme
dans ses opérations, parce qu’elle ne parvient pas à le perfectionner
totalement. Selon la première manière de considérer le corps, son union avec
l’âme ajoute à celle-ci quelque perfection, puisque toute partie est imparfaite
et se complète dans son tout : le tout se comporte à l’égard de la partie comme
la forme à l’égard de la matière. L’âme est donc plus parfaite dans son
existence naturelle quand elle est dans le tout, c’est-à-dire dans l’homme
composé de l’âme et du corps, que quand elle est une partie séparée.
Mais
l’union avec le corps, dans la seconde manière de considérer, empêche la
perfection de l’âme : c’est pourquoi la Sagesse dit que "le corps qui se
corrompt, appesantit l’âme. » Si donc on enlève du corps tout ce par quoi il
résiste à l’action de l’âme, celle-ci sera absolument parlant plus parfaite
dans ce corps que séparée de lui. Plus une chose est parfaite en son être, plus
elle peut agir parfaitement. L’opération de l’âme unie à un tel corps sera donc
plus parfaite que celle de l’âme séparée. Tel sera le corps glorieux,
entièrement soumis à l’esprit. Puisque la béatitude consiste en une opération,
celle de l’âme sera plus parfaite après la reprise du corps qu’auparavant. Tout
être imparfait tend à sa perfection. L’âme séparée tend naturellement vers son
union avec le corps ; et à cause de cette tendance, qui vient d’une
imperfection, l’opération par laquelle elle tend vers Dieu est moins intense.
C’est ce que dit saint Augustin : « Par le désir du corps, l’âme est retardée
dans sa tendance totale vers ce bien suprême. »
Solution 1 :
L’âme unie
au corps glorieux est plus semblable à Dieu que quand elle en est séparée,
parce que, en lui étant unie, elle possède plus parfaitement l’existence. En
effet, plus une chose existe parfaitement, plus elle est semblable à Dieu :
ainsi le cœur, dont la perfection vitale consiste dans le mouvement, est plus
semblable à Dieu quand il se meut que quand il se repose, bien que Dieu ne se
meuve jamais.
Solution 2 :
La puissance
qui par nature doit être dans la matière est plus puissante quand elle se
trouve dans la matière que quand elle en est séparée, bien que, absolument
parlant, la puissance soit supérieure quand elle est séparée de la matière.
Solution 3 :
Bien que
l’esprit ne se serve pas du psychisme et des images qu’il apporte corps dans
l’acte de connaissance qu’est la vision béatifique, il s’en sert pour toutes
les autres opérations comme celles de ses rapports aux autres âmes, aux anges
et à l’univers. C’est pourquoi l’âme doit garder son psychisme après la mort.
Le retour du corps charnel a une autre finalité. Faisant partie de l’être de
l’homme, la présence du corps contribue de quelque manière à la perfection de
l’être tout entier. L’homme, par l’union avec son corps glorieux, sera plus
parfait en sa nature, et donc plus efficace dans son opération. C’est pourquoi
le bien du corps lui-même coopérera, pour ainsi dire instrumentalement, à
l’opération en laquelle consiste la béatitude. Aristote dit que les biens extérieurs
coopèrent instrumentalement à la félicité de la vie.
Solution 4 :
Bien que
le fini ajouté à l’infini ne le grandisse pas, il lui ajoute quand même quelque
chose, parce que fini et infini sont, deux choses, tandis que l’infini en
lui-même n’en est qu’une. L’extension de la joie ne la rend pas plus grande
mais plus intense. C’est pourquoi la joie augmente en étendue quand elle porte
sur Dieu et sur la gloire du corps, et non seulement sur Dieu. La gloire du
corps coopérera à l’intensification de la joie au sujet de Dieu, en tant
qu’elle perfectionnera l’opération par laquelle l’âme adhère à Dieu. En effet,
plus une opération est parfaite, plus la puissance est grande, comme cela
ressort de ce que nous avons dit.
Objection 1 :
Cela ne
semble pas. La miséricorde de Dieu ne saurait appliquer une peine physique
extérieure aux damnés. Ils seront suffisamment punis par leur séparation d’avec
Dieu et par la solitude de leur âme.
Objection 2 :
Il ne peut
exister de pleurs chez les damnés puisque les pleurs impliquent l’écoulement
des larmes ce qui est une certaine sécrétion et donc une corruption. Or le
corps des damnés sera par nature incorruptible.
Objection 3 :
Un feu qui
ne consume pas le corps, qui est ténébreux et dont l’effet est proportionnel à
la faute de chacun ne peut être un feu réel mais seulement une métaphore qui
symbolise la douleur physique qui rejaillit d’une manière naturelle de l’âme
sur le corps des damnés. C’est pourquoi saint Jean Damascène écrit[1728]
: « Le diable et les démons et leur homme, l’Antéchrist, seront livrés avec les
impies et les pécheurs au feu éternel, non pas matériel comme celui qui est
ici, parmi nous, mais tel que Dieu connaît. »
Objection 4 :
Les damnés
passeront d’une chaleur très ardente à un froid très violent sans que cela les rafraîchisse[1729].
Or la chaleur du feu ne peut exister en même temps que le froid. Donc le feu de
l’enfer n’est pas extérieur, il signifie une passion intérieure de l’âme
rejaillissant dans le corps.
Objection 5 :
Le ver
rongeur du remords ne peut être un ver matériel, une sorte de cancer qui ronge
de l’intérieur le corps des damnés puisque ce corps sera absolument
incorruptible.
Cependant :
L’Apocalypse
parle d’un étang de feu. Or la nature du feu, c’est de faire souffrir ce qui ne
lui est pas adapté. Le corps des damnés sera fait de chair. Il ne sera pas
adapte au feu. Il y aura donc une peine physique en enfer. En outre, dit le
Psalmiste[1730] : « le feu et le soufre, et le souffle
des tempêtes seront la part de leur calice. » Job écrit[1731] : « De l’eau des neiges, ils passent à
l’extrême chaleur. »
Conclusion :
À propos
des peines physiques dues pour le péché on voit qu’il en existe de deux sortes
sur la terre :
1° Certaines ont pour origine directe des lois internes à la nature
humaine : les souffrances de l’âme rejaillissent nécessairement sur la
sensibilité et, par conséquent, sur le corps puisque le corps est dépendant du
psychisme. Ainsi, celui dont l’âme est séparée de Dieu par le péché, n’ayant
plus de finalité spirituelle, ressent des angoisses psychologiques, ce qui
signifie que ses passions et son imagination ne connaissent plus de paix.
Lorsque ces angoisses sont très fortes, elles peuvent avoir des effets jusque
dans la vie végétative, comme on le voit chez ceux qui souffrent d’ulcères de
l’estomac ou de dépressions nerveuses.
Avant la
résurrection de la chair, les âmes séparées de Dieu subiront déjà les passions
mauvaises dans leur psychisme. Ainsi, le remords de leur volonté rejaillira
dans leur imagination à travers des cauchemars, dans leurs passions par un
perpétuel état d’insatisfaction, d’angoisse, de désespoir et de tristesse.
Après la
résurrection des corps, les damnés subiront dans leur corps de chair des
souffrances physiques : un feu intérieur les brûlera organiquement, ayant son
origine dans le feu de leur âme tel que nous l’avons décrit précédemment. Ils
vivront dans leur corps une agitation incessante, un inconfort physique et des
difformités. Cependant, ces défauts ne toucheront pas la substance de leur
corps qui sera par nature parfait et incorruptible. D’après le Seigneur, il y
aura des pleurs et des grincements de dents. Après la résurrection, il n’est
plus possible de prendre métaphoriquement de telles réalités car celui qui
possède son corps manifeste extérieurement les passions de son âme par des
actions de son corps. Les damnés éprouveront du regret, non à cause de leur
péché mais à cause de leur solitude et de leur malheur. Ils pleureront donc ;
d’autre part, ils éprouveront de la haine pour la justice de Dieu qui les punit
ainsi et de la jalousie pour le bonheur des élus. Leur colère intérieure se
manifestera extérieurement par des blasphèmes proférés et des grincements de
dents.
2° Certaines peines physiques qui frappent les hommes sur la terre
ont directement Dieu pour origine. C’est pourquoi le Deutéronome annonce [1732] : « puisque tu n’auras pas servi Yahvé
ton Dieu dans la joie et le bonheur, Yahvé enverra contre toi la faim, la soif,
la nudité, privation totale. » Lorsque Dieu envoie activement de telles
peines sur l’homme qui est sur terre, ce peut être dans un but pédagogique,
afin qu’il s’amende de son péché, s’humilie et revienne dans la voie du salut
éternel. Ce peut être aussi dans le but d’un rétablissement de la justice afin
que le méchant reçoive le salaire de sa méchanceté. Mais dans tous les cas, ces
peines visent le salut de ceux qui les reçoivent.
Après la
résurrection, les damnés seront irrémédiablement fixés dans leur péché. Dieu ne
leur enverra pas de peine dans un but pédagogique puisqu’il n’y aura plus chez
eux d’espoir de conversion. Restera-il donc un motif de justice ? Il convient
dit saint Bonaventure que "ceux qui ont péché par la matière soient punis
par la matière. » Selon l’opinion de certains théologiens, il faut donc poser
l’existence d’un réel feu matériel surajouté par Dieu comme un bourreau ajoute
une souffrance au criminel. En y réfléchissant, il paraît que ce feu surajouté
est bien inutile puisqu’il ne peut provoquer aucune conversion des damnés et
pire, non conforme au respect de Dieu pour leur choix. Ainsi, s’il existe un
feu matériel surajouté pour les damnés, il ne viendra pas de Dieu comme cause
directe mais il sera un effet logique de plus, de la perversion des damnés.
Quant à la nature de cette prison de feu, il est aisé de la préciser. Les
exorcismes pratiqués sur terre manifestent avec suffisamment de force l’horreur
qu’ont les démons pour tout ce qui est humble et aimant. La simple évocation du
nom de la Sainte Vierge est pour eux source de torture. Il est certain que,
après la résurrection, ils préfèreront se cacher au plus profond des ténèbres
plutôt que de se risquer à la confrontation avec le plus petit des habitants du
Royaume de Dieu. S’ils se réfugient au cœur de la matière, le feu aura sur leur
corps un pouvoir de souffrance mais pas de destruction, puisque leur corps sera
incorruptible.
Plusieurs
opinions existent : certains pensent qu’il s’agit seulement d’un emprisonnement
matériel, s’appuyant sur la parole du Seigneur qui dit[1733] : « Après lui avoir lié les mains et
les pieds, jetez le dans les ténèbres extérieures. » Il est vrai que ce qui
est ténébreux n’est pas un feu puisque la nature du feu est d’éclairer. D’après
eux, le feu de l’enfer serait donc cette souffrance intérieure du corps due à
la perversité de l’âme et que nous avons décrit plus haut. Il leur parait
inutile de poser l’existence d’un feu extérieur surajouté par Dieu et qui
ressemblerait à une prison capable d’isoler les pécheurs des justes qu’ils ne
doivent aucunement venir troubler. Un tel emprisonnement leur paraît être une
peine suffisante pour que justice soit faite. Car l’orgueil des damnés ne
supportera pas d’être ainsi enfermé.
Solution 1 :
Il
convient que celui qui a péché soit puni par où il a péché. La sagesse dit[1734]
: « Chacun sera torturé par ce en quoi il pèche. » Les hommes pèchent
par les choses sensibles de ce monde. Il est donc juste qu’ils soient punis par
elles. Ce sera le rôle du feu matériel. Mais cette justice ne sera pas causée
par une volonté de Dieu, si ce n’est comme cause première puisque c’est lui qui
a créé la nature qui fait des damnés des hommes. Ce feu emprisonnera le corps
des damnés en ce sens qu’ils ne voudront pas en sortir. En cela, il sera une
punition contre le péché d’orgueil car les damnés seront extérieurement
contrariés de ne plus pouvoir aller librement où ils veulent.
Solution 2 :
Dans les
pleurs corporels, nous distinguons deux choses : d’abord l’écoulement des
larmes ; et quant à cela les pleurs corporels ne peuvent se trouver chez les
damnés car, après le jour du jugement, il n’y aura plus de génération, ni de
corruption, ni d’altération corporelle. Dans l’écoulement des larmes, il doit y
avoir sécrétion du liquide qui passe dans les larmes. À ce point de vue, il ne
pourra pas y avoir de pleurs corporels chez les damnés. Mais dans les pleurs
corporels, il y a aussi une certaine commotion et un certain trouble de la tête
et des yeux : Sous cet aspect, les pleurs pourront exister chez les damnés
après la résurrection de la chair : les corps des damnés, en effet, ne sont pas
seulement affligés de l’extérieur mais même de l’intérieur, en tant que le
corps est poussé par la passion de l’âme vers un état bon ou mauvais. À ce
point de vue, les pleurs prouvent la résurrection de la chair.
Solution 3 :
Saint
Damascène ne nie pas absolument que ce feu soit matériel, mais il affirme qu’il
ne l’est pas à la manière d’un feu terrestre, comme un feu de cheminée. Il agit
d’une manière subjective c’est-à-dire en fonction ce celui qu’il éprouve. Il
semble donc qu’il s’agit là une fois de plus de cette souffrance physique qui
atteint de l’intérieur le corps par répercussion de la perversité de l’âme.
Quant au lieu où demeureront les damnés, il est inutile de l’imaginer comme le
plus laid des endroits, quoique la présence des mauvais enlaidira ce lieu,
comme on le voit dans les quartiers où s’établissent le vice et la délinquance.
Ils rendront laid ce qu’ils côtoieront.
Solution 4 :
Comme nous
l’avons montré, la plus grande souffrance des damnés ne sera pas due au feu
extérieur qui les emprisonnera mais au feu intérieur de leur âme malheureuse.
Ainsi voit-on sur terre qu’il est plus douloureux d’être plongé dans un total
désespoir que de souffrir d’une douleur physique. Ainsi, le froid dont parle
l’objection signifie la conscience effrayante que les damnés auront de
l’éternité de leur malheur.
Solution 5 :
Le ver qui
sera infligé aux damnés ne doit pas être considéré comme corporel, mais comme
spirituel : c’est le remords de la conscience qui est ainsi appelé, parce qu’il
naît de la pourriture du péché, et fait souffrir l’âme, comme le ver corporel,
né de la pourriture, fait souffrir en mordant. On pourrait dire aussi que la
chair est torturée par le ver spirituel, parce que les souffrances de l’âme
rejaillissent sur le corps, ici-bas et dans l’au-delà.
Objection 1 :
Dieu qui
est infiniment bon, se communique à des créatures sans qu’il puisse y avoir de
limites. Or, si les œuvres de Dieu s’arrêtent après le jugement général, le
nombre de ceux qui jouiront de son bonheur sera limité. Il convient donc que
Dieu crée à nouveau d’autres mondes et ceci pour l’éternité, afin que le nombre
des élus soit infini.
Objection 2 :
Un nombre
où une partie de ses membres sont dans le malheur ne saurait durer
éternellement semblable à lui-même. Or, il y aura des anges et des hommes
emprisonnés en enfer. Il semble donc que Dieu les délivrera un jour.
Objection 3 :
De même
que les anges après leur création et leur glorification ont eu une mission
auprès d’autres créatures, de même il convient que les hommes glorifiés
puissent exercer une providence envers d’autres. Donc Dieu créera d’autres mondes.
Objection 4 :
L’univers
est immense. Il est à la taille de Dieu. Il est donc improbable que Dieu ait
résumé sa création aux seuls anges et aux hommes qui ont vécu sur la planète
Terre. Il y aura donc d’autres mondes à conduire à leur fin dernière après le
jugement dernier des hommes.
Cependant :
Saint
Pierre écrit[1736]
: « La fin de toutes choses est proche. » De même, la Genèse dit que « Dieu
se repose le septième jour » ce qui signifie qu’il y a un terme aux œuvres
de Dieu. Donc, après le jugement dernier, le monde sera stabilise pour
l’éternité.
Conclusion :
Après le
jugement dernier, la nature humaine, en son entier c’est-à-dire à travers tous
ses membres, sera fixée dans sa fin. Et comme tous les êtres corporels sont
d’une certaine manière ordonnés à l’homme, c’est la condition de toute la
création corporelle qui sera, à juste titre, transformée et adaptée à l’état de
l’homme d’alors. Parce que les hommes seront alors dans un état
d’incorruptibilité, la création corporelle qui fut leur univers, n’aura plus
lieu d’être maintenue dans l’état de génération et de corruption. C’est ce que
dit l’apôtre dans l’Epître aux Romains[1737] : « La création elle-même sera libérée
de la servitude de la corruption, pour entrer dans la liberté de la gloire des
enfants de Dieu. »
Et parce
que la condition de la création corporelle sera mise finalement en accord avec
l’état de l’homme, et que les hommes ne seront pas seulement libérés de la
corruption mais encore revêtus de la gloire, la création corporelle devra elle
aussi avoir part, à sa manière, à cette gloire lumineuse. Telle est la raison
de cette parole de l’Apocalypse[1738] : « Je vis un Ciel nouveau et une
terre nouvelle. » Le monde sera donc rendu participant par sa stabilité
éternelle de l’immuabilité du Dieu qui révéla à Moïse son nom [1739] : « Je suis celui qui est. »
Il reste à
savoir maintenant si, par l’expression « monde », ce livre entend
l’immensité de l’univers tout entier ou simplement notre monde à nous. La
réponse à cette question dépend de la suivante : Existe-t-il ailleurs d’autres
planètes où se préparent d’autres créatures faites d’esprit et de corps à la
vision béatifique ? Deux hypothèses sont soutenues, avec des arguments très
convaincants de chaque côté.
Certains
pensent que l’existence de cette vie extraterrestre est théologiquement
improbable pour plusieurs raisons :
1° à cause de la hiérarchie des créatures. Dieu a créé le monde de
telle manière qu’il existe toute sorte de créatures : les esprits supérieurs
comme les chérubins, les Séraphins et les trônes ; les esprits inférieurs comme
les archanges et les anges ; les esprits inférieurs liés à la matière, comme
les hommes ; les vivants matériels avec leurs degrés de perfection comme les
animaux et les plantes et les corps minéraux. Il ne manque donc rien à cette
création, dans son ensemble hiérarchisé et ordonné au spirituel et à Dieu.
2° À cause de la rédemption opérée par le Christ pour les hommes. On
voit mal comment Dieu pourrait subir en divers lieux plusieurs passions.
En tout
état de cause, s’il existe dans l’univers d’autres créatures spirituelles,
elles seront conduites par Dieu à la vision de son essence. Et la vie errante
loin de Dieu s’achèvera selon cette parole d’Isaïe[1740]
:
D’autres pensent l’inverse :
1° L’amour de Dieu est folie puisqu’il a inventé l’Incarnation et la
croix. Il ne saurait être réduit à la béatitude des anges, des esprits liés à
un psychisme et des hommes.
2° L’univers est immense. Le nombre des galaxies et des planètes
incalculable. Une telle profusion ne saurait être réduite à n’être qu’un parc
de loisir pour l’éternité des élus.
Il est
impossible de trancher entre ces deux opinions parce qu’il n’a pas été donné à
l’homme par Dieu de le faire : « Dieu est le plus mystérieux. »
Solution 1 :
Pour ce
qui concerne le nombre des anges et des hommes, on doit dire ceci : les œuvres
de Dieu ont un ordre, une mesure et un poids. Or pour qu’il y ait un ordre, il
faut une limite car une foule infinie ne peut être ordonnée. C’est pourquoi
l’Apocalypse parle d’un nombre de 144000 élus, ce qui symbolise que la création
des hommes et des anges sera limitée en nombre. Quant à l’infinie de l’amour de
Dieu, il est suffisamment communiqué aux créatures par la vision béatifique.
Solution 2 :
Les damnés
se sont séparés de Dieu librement et ont préféré subir les peines de l’enfer
dont ils avaient reçu la révélation plutôt que de convertir leur cœur, Ils ne
seront jamais délivrés car ils ne voudront jamais se séparer du péché.
Solution 3 :
Les anges
ont exercé leur providence sur les hommes en les protégeant et en les induisant
à bien agir ; de même les hommes ont pu faire en éduquant d’autres hommes,
grâce à leur paternité et à leur maternité physique ou spirituelle. Après le
jugement général, le temps de la recherche de Dieu sera terminé pour toutes les
créatures spirituelles. Le temps de la possession de sa fin sera arrivé.
Cependant, rien n’empêche que Dieu donne une nouvelle paternité et maternité
aux habitants du Ciel et prolonge son œuvre de création.
Solution 4 :
L’Écriture
ne nous donne aucun élément capable de résoudre l’hypothèse de l’existence de
mondes extraterrestres sur d’autres planètes de l’univers. De même, la foi
catholique laisse chacun libre de croire ce qu’il veut sur ce sujet. Nous
l’avons montré, les arguments dans les deux sens se tiennent. Pour ma part, je
penche plutôt pour l’hypothèse d’autres mondes habités car l’amour de Dieu qui
amena son Verbe à la passion, ne peut être contraint dans aucune limite. Les
modes et les chemins qu’il peut imaginer pour conduire à la Vision béatifique
peuvent être infinis.
Et
l’argument le plus grand vers cette thèse, tient dans la considération de
l’Alpha de la création, la Trinité. La mesure de sa création passée fut son
amour qui se diffuse. Si l’homme relit cette phrase de
l’Evangile : « Mon Père et moi sommes toujours
à l'œuvre », s’il centre son
regard sur la Trinité, il voit autrement les choses. Il est certain que ces
merveilles que sont la création des anges, la rédemption de l'humanité et de
ses milliards d'êtres, le Christ Verbe fait chair, et la Vierge immaculée, n’épuisent
pas l'immense potentialité de manifestation et de diffusion de l'amour et donc
de création de la Trinité, qui vit et règne pour les siècles des siècles. Amen.
Voici,
Je vais créer des cieux nouveaux et une
terre nouvelle
Et on ne se souviendra plus du passé qui ne
montera plus au cœur :
Qu’on soit dans la jubilation et qu’on se
réjouisse pour l’éternité!
Amen
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- La métaphysique. Nouvelle édition entièrement refondue
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parousies du Transpercé" (X, 1, p. 34-47°. C. Passages : l 6
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- RESURRECTION. A. Numéros : « Après la mort" (V, 3° ;
"il est ressuscité "(VII, 1°.
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ARISTOTE :
AUGUSTIN :
BALTHASAR H.
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BEDE LE
VENERABLE :
BENOIT XII :
BOROS L. :
CALVIN :
CONCILE DE TRENTE :
CONCILE VATICAN II :
D’HULST (Mgr) :
DUMOUCH A. :
DURWELL F. X. :
FAUSTINE (SAINTE) :
GEFFRE :
GLORIEUX P. :
HAJA FDAL :
HUGUET M. T. :
INNOCENT IV :
JEAN-MARIE VIANNEY :
JOURNET C. :
LUTHER M. :
MARIE EUGENE DE L’ENFANT-JESUS :
MARIE-EUGENE DE L’ENFANT-JESUS :
MARTHE ROBIN :
MOODY R. :
NICOLAS J. H. :
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RATZINGER J. :
ROUSSEAU J. J. :
THERESE
D’AVILA. :
THERESE DE
L’ENFANT-JESUS :
THOMAS D’AQUIN :
VANDEVELDE G. :
VICTOR HUGO :
Adam et Ève :
Alliance :
Âme :
Amour naturel :
antéchrist :
Apocalypse :
Apostasie :
Apparition :
Baptême :
Béatitude :
Blasphème contre l’Esprit :
Charité :
Communion des saints :
Conversion :
Corps astral - corps psychique :
Corps glorieux :
Corps :
Création :
Critique des systèmes théologiques :
Damnés :
Démon :
Démonstration théologique :
Dualisme :
Église :
Égoïsme-Orgueil :
Enfants (salut des) :
Enfer :
Espérance :
Éternité :
Eucharistie, sacrements :
Faiblesse :
Feu :
Fin du monde :
Foi :
Foyer du péché :
Grâce :
Humilité (kénose) :
Ignorance :
Incarnation :
Infaillibilité :
Intelligence, connaissance :
Islam :
Judaïsme :
Jugement individuel :
Justification :
Liberté :
Limbes :
Lumière de gloire :
Mariage, Noces :
Mérite :
Mort :
Nature (actes naturels) :
Near Death Expérience :
Obéissance :
Obstination :
Papauté :
parousie :
Péché mortel :
Péché originel :
Péché véniel :
Prédication de l’Évangile :
Présomption :
purgatoire :
Rédemption :
Résurrection :
Révélation (origine) :
Révélation du salut avant la venue du
Christ :
Satan : (voir démon).
Shéol :
Signes de la fin :
Souffrance :
Temps intermédiaire :
Trinité :
Vie terrestre (utilité) :
Vierge Marie :
Vision béatifique :
Volonté :
Le mystère suprême de
notre vie terrestre, c’est celui de la souffrance et de la mort. Le
christianisme est, avec l’hindouisme et le bouddhisme, une des religions qui
donnent une explication théologique à la souffrance : « la vie terrestre est
marquée par la croix en vue de préparer, comme à travers un feu, le cœur de
l’homme à l’entrée dans la vision de Dieu. Nul ne peut s’unir à Dieu sans
devenir semblable à Lui dans l’humilité (kénose) et l’amour. Dieu conduit
chaque homme à toucher ses limites dès cette vie. Son but est, in fine,
l’amour. La vie terrestre est une étape préparatoire. »
Mais cette explication
s’est trouvée confrontée à une contradiction interne, celle de deux dogmes que
l’Église a solennellement confirmés :
- « Nul ne peut
voir Dieu s’il ne l’aime pas explicitement d’un amour de charité. Par charité,
on n’entend pas un amour implicite. Elle est une amitié réciproque. Elle
présuppose la foi qui est une connaissance et une confiance en la parole de
Dieu. »
- « Après la mort,
il n’est plus temps d’aimer mais de recevoir ce qui est du à l’amour. Celui
qui, après la mort, n’aime pas Dieu de charité est conduit dans l’enfer éternel.
» Appuyé
sur cela et sur la constatation que peu d’hommes aiment Dieu de cet amour-là,
les anciens (saint Augustin, saint Thomas d’Aquin), ne pouvaient que conclure à
la damnation des masses humaines, des pécheurs, des infidèles et même des
enfants morts sans baptême.
Un troisième dogme vint
mettre à mal une partie de leurs positions, en particulier pour les infidèles
et les enfants : « Dieu qui veut le salut de tous, propose à tous son salut.
» Nul ne peut donc être damné parce qu’il ne savait pas qu’il y avait ce
salut.
C’est ainsi que des
théologiens modernes purent donner une nouvelle explication du salut des hommes
de bonne volonté. Malheureusement, toutes les théories trouvées jusqu’ici
mettent à mal l’une ou l’autre des vérités dogmatiques. Ladislas Boros parle d’un
salut « après la mort » ; Le cardinal Journet parle d’une charité implicite
qui permet aux païens d’être sauvés bien qu’ils n’aient pas la foi.
Or, il est important en
théologie catholique de garder chacune des pierres données par Dieu à travers
Pierre. C’est de leur confrontation, malgré l’apparente contradiction, que sort
toujours la vérité. Nous pensons que c’est possible. Tel est le but de cette
thèse.
Nous pensons que Dieu
propose à Dieu son salut, que ce salut est bien lié à une charité qui n’a rien
d’implicite, que cela se passe en cette vie. Nous essayons d’établir que tout
cela se passe, pour ceux qui n’ont pas pu aimer ici-bas, à la « 11ème
heure" de la vie, c’est-à-dire à l’heure de la mort. Le Christ vient se
montrer dans sa gloire, accompagné des saints et des anges. Il est possible
alors de le rejeter et de mourir sans la charité. Mais il n’y a pas d’autre
manière que cette liberté préparée par la vie terrestre pour se perdre en
enfer!
Nous pensons que cette
explication rend simple les questions les plus difficiles de la théologie,
comme celle de la vie terrestre et de son utilité, celle du silence de Dieu qui
laisse chacun mourir et le monde sombrer dans l’apostasie. Nous pensons pouvoir
expliquer cette parole de Jésus quand il prophétise ces catastrophes : « Quand
vous verrez tout cela, redressez-vous et relevez la tête parce que votre
Rédemption est proche. »
[1] 1 Corinthiens 15, 32 ;
[2] Le mot vient du Livre de la Sagesse, 2 ;
[3] DELOOZ P. Qui croit à l’au-delà ?, in mort et présence,
Bruxelles, 1971, 17-38, 38.
[4] POHIER J. M. Un cas de foi post-freudienne, en Concilium,
105, 1975, 115-130, 128.
[5] Romains 10, 15 ;
[6] Lettre 164 à Evodius, n° 8, in Œuvres
complètes de Saint Augustin, t. v,
Paris, 1870, p.438.
[7] “Puisque
le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est
réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre
à tous, d'une façon que Dieu seul
connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal” (GS n° 22,5 / trad. officielle).
“Dieu, selon des voies
connues de lui, peut conduire à la foi sans laquelle on ne peut être
agréable à Dieu, des hommes qui, sans faute de leur part, ne connaissent pas
l'Evangile” (AM = Ad Gentes, n°7 / trad. officielle).
[8] SANDRO Vitalini Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg,
1980, p. 6 ;
[9] Mathieu 5, 47 ;
[10] Luc 7, 9 ;
[11] Jean 3, 5 ;
[12] Théologies de type catholiques et orthodoxes.
[13] Théologies marquées par la Réforme de Luther.
[14] Théologies de type libéral.
[15] Voir Prolégomènes ;
[16] Métaphysique 1 ;
[17] Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà, Université de
Fribourg, Suisse, 1980, p. 6 ;
[18] Somme de théologie, Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, IIIa pars, la purification de Marie ;
[19] Ce sera l’objet de notre troisième partie.
[20] Ce que j’ai dit auparavant sur ma méthode théologique me
caractérise assez bien aux yeux du lecteur. Je ne peux être taxé de relativisme
vis-à-vis de l’Écriture Sainte, des écrits des saints ou du Magistère. Or ils
n’ont pris dans leur ensemble un sens harmonieux pour ma foi qu’à la lumière de
cette conclusion. Ils ont perdu tout aspect scandaleux, surtout en ce qui
concerne les vérités « noires » comme l’enfer et la souffrance. A mes yeux,
cette harmonie est le critère le plus important de la probable vérité de la parousie
de l’heure de la mort. De plus, certains aspects théologiques nouveaux
s’ouvrent, fondés sur cette parousie. N’a-t-on pas ici le signe de la
probabilité la plus grande du vrai en théologie ? « Tout ce qui vient de Dieu est, dit saint Paul, paix, joie dans le Saint Esprit. » Romains 14, 17 ;
[21] Pour
consulter les références des textes dogmatiques, voir la première partie.
[22] BOROS Ladislas Mysterium Mortis, der
Mensch in der letzen Entscheidung, Olten-Fribourg, 1971, 9 ème édition.
[23] Avec Mgr Glorieux, Ladislas BOROS est particulièrement intéressant
car il développe une thèse sur le choix à l’heure de la mort très proche de la
nôtre à cette nuance près qu’il situe cet événement après la séparation de l’âme et du corps. Mais l’homme est-il
encore homme quand il agit comme une âme séparée ?
[24] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia Question
1, article 4, ad primum ;
[25] Nous entendrons par expérience mystique tout au long de ce travail
la rencontre personnelle avec la vie de la grâce ou de la gloire.
[26] Des prolégomènes ne constituent pas le cœur d’une oeuvre écrite
mais une préparation du lecteur en vue d’aiguiser son intérêt.
[27] Profession de foi d’un vicaire savoyard, Jean-Jacques
ROUSSEAU, La pléiade, 1985, p. 207 ;
[28] Voir l’étude plus approfondie de la notion de charité en 1-1 ;
[29] La foi est différente de la charité, 2-1 ;
[30] Pour la théologie du Concile de Trente, la liberté humaine est
seulement blessée. Ayant reçu la grâce de la foi, l’homme est rendu capable par
Dieu de se tourner vers lui librement, de l’aimer activement dans une
réciprocité que Dieu lui reconnaît comme mérite.
[31] Hébreux 11, 6 ;
[32] Certes l’attitude d’un enfant confiant vis-à-vis de son père est
un amour. Mais est-ce une amitié si cet enfant s’estime incapable de toute
réponse autre qu’une confiance totale et passive. Ainsi, en théorie, Luther nie
la possibilité de la charité agissante (les œuvres). En pratique, les réformés
fervents osent aimer Dieu dans une relation d’amitié.
[33] Jean 15, 15 ;
[34] …Statut que la foi musulmane revendique. Les musulmans mettent
aussi leur confiance en Dieu mais ils rejettent, à cause de leur très grand
sens de sa transcendance, la possibilité d’être « enfants de Dieu. »
[35] Luther, Commentaire de l’épître aux Romains 1, 17 ;
[36] Concile de Trente, sixième session ;
[37] La bonne volonté, 3-1 ;
[38] Mathieu 5, 47 ;
[39] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, la grâce ;
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, foi, charité ;
[40] Dans le cadre de ces prolégomènes, nous aurions pu choisir de
présenter les théologies du salut d’une autre manière que par cette
classification. Nous aurions pu par exemple présenter selon un ordre
chronologique saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, Luther, Calvin, Glorieux,
Boros, Balthasar, Ratzinger et d’autres. Cependant, l’exposé en eût été
d’autant alourdi et la suite de notre recherche eût été rendue moins claire.
Aristote disait que le propre du sage est d’ordonner. Nous avons choisi
délibérément cet ordre là qui, s’il n’est pas historique, est conforme au
contenu doctrinal des luttes historiques des tenants de la grâce et de la
nature, la foi ayant été successivement attribuée à la grâce et à la nature
selon qu’elle était vive ou morte.
[41] SAINT THOMAS D’AQUIN, Somme de Théologie, Revue des jeunes,
traduction ;
[42] Balthasar H. U. L’amour
seul est digne de foi, Paris, Aubier, 1966.
JOURNET C. Entretiens sur
la grâce, Saint Augustin-Saint Maurice, 1985, 10-35.
Père MARIE-EUGENE DE
L’ENFANT-JESUS Je veux Voir Dieu, Carmel, 1957.
[43] Voir bibliographie générale ;
[44] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 109,
article 1 ;
[45] Références multiples ;
[46] Donc s’il est en « état de grâce » ;
[47] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 27.
[48] Dès que cette amitié se trouve parfaitement purifiée, ajoutera le
dogme catholique, c’est-à-dire séparée des reste d’égoïsme et d’orgueil qui la
motive.
[49] 1 Jean 3, 2
[50] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 23,
article 1.
[51] Jean 3, 3 ;
[52] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 77,
article 8 ; Question 70 bis, article 2 ;
[53] BENOIT XII Constitution apostolique « Benedictus Deus », 29
janvier 1336, Dumeige 511.
[54] Il s’agit donc d’une notion qui n’est pas morale mais plus
profonde, religieuse, spécifiquement juive et chrétienne. Elle est liée à la
notion même du plan mystérieux de Dieu dans son œuvre de salut, à l’histoire du
péché originel auquel les descendants d’Adam furent liés sans volonté de leur
part.
[55] Le Concile Vatican II, pour éviter les confusions de sens dans une
chrétienté moins bien formée, a redéfini le péché mortel. Il l’a identifié au
seul péché contre l’Esprit Saint (péché parfaitement libre, conscient et
volontaire), afin de montrer que la damnation éternelle ne frappe que ceux qui
le veulent.
[56] Nous montrerons dans le traité des fins dernières », que ce feu
n’est pas l’enfer éternel. Le blasphème contre l’Esprit Saint n’est pas
l’attitude d’âme de ce riche. Or seul un tel rejet conscient de Dieu est
passible de la damnation éternelle.
[57] GLORIEUX P. In hora mortis, en Mélanges de sciences
religieuses, Lille, 1946, 10 ;
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 77,
article 8 ; Question 70 bis, article 2.
[58] GLORIEUX P. In hora mortis, en Mélanges de sciences
religieuses, Lille, 1946, 185-216.
[59] Romains 9, 18.
[60] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 76, 77,
78.
[61] SAINT THOMAS D’AQUIN, De Veritate, 14, 11, article 1.
[62] JOURNET C. Entretiens sur la grâce, Op. cit. 150-153.
[63] Hébreux 11, 6 ;
[64] Op. cit. 159-160.
[65] Mathieu 25,34
[66] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 102
[67] GLORIEUX p. In hora Mortis, Op. cit. 187.
[68] On peut se référer, en annexe 3, au texte complet de sa recherche.
Il s’intitule : Endurcissement final et grâces dernières. Il est tiré de
la Nouvelle Revue Théologique, 1932, Tome 59, n°10, p. 865 et ss.
[69] Ibidem p. 866 ;
[70] Ibidem p. 871 ;
[71] Ibidem p. 871 ;
[72] Op. cit. 199.
[73] BOROS Ladislas Mysterium Mortis,
Op. cit. 203.
[74] Le texte complet de cette recherche de Boros est rapporté
dans l’annexe 3. Il est tiré de son ouvrage intitulé : A nous l’avenir,
méditations sur l’espérance.[74]
[75] Actes 23, 6 ;
[76] Mathieu 25, 31 ss ;
[77] RATZINGER J. La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994,
215.
[78] Op. cit. 215.
[79] Voir la Confession d’Augsbourg, en annexe 2 ;
[80] Cf. Jean 2, 19 ;
[81] Hébreux 11, 1 ;
[82] AUGUSTIN, Tract. In Éphésiens Joh. ad Parth. 10, 2 (dans MIGNE, Patrol. lat. 34, 2055)
[83] Somme de Théologie, IIa IIae Question 2, article 2
[84] Hébreux 11, 6 ;
[85] Jacques 2, 19 ;
[86] Genèse 15, 6 ;
[87] Somme de Théologie, IIa IIae Question 4, article 4 ;
[88] Jacques 2, 20 ;
[89] Galates 5, 22 ;
[90] 1 Corinthiens 12, 8 ;
[91] Romains 1, 17 ;
[92] C’est d’ailleurs dans l’explication des conséquences du péché
originel que tout cela trouve son explication ultime. Pour Luther, à la suite
du péché originel, la liberté humaine a été totalement détruite au point
que l’homme est incapable à jamais de poser un seul acte bon pour son salut. Il
ne le peut ni à titre de disposition (les actes humains bons ne valent rien,
ils ne disposent en rien au salut), ni avec l’aide de la grâce de Dieu. L’homme
a été réduit à l’état d’un enfant et sa seule participation au salut consiste à
se laisser emmener au ciel en abandonnant le poids mort de son âme, avec
confiance, dans les mains de Dieu qui le prend. Pour les catholiques et les
orthodoxes, la liberté est seulement blessée. Certes, la grâce est première.
C’est Dieu qui vient en premier chercher l’homme. Mais, en lui communiquant sa
grâce, Dieu remet l’homme debout. Il lui demande de répondre activement par un
acte de charité en retour.
[93] Romains 1, 17 ;
[94] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, q. 114, 1 ;
[95] Voir Jacques 2, 19 ;
[96] Jean 15, 5 ;
[97] LUTHER Commentaire de l’épitre aux Galates 3, 6 ème édition de Weimar, XL, 358-372.
[98] CALVIN Institutions chrétiennes, édition Budé, 3, 57, 62,
73. CALVIN Traité des scandales, édition Budé, 212 s Question
[99] CONCILE VATICAN II, décret sur les religions non chrétiennes.
[100] Lettre à Démétriade 6 ;
[101] Philémon 2, 13 ;
[102] L’orthodoxie seule semble bien résister. Le fort
courant libéral qu’elle constate dans le catholicisme est sans doute pour elle
le plus grand obstacle à l’unité, la question du pape étant mise au second plan
devant la constatation de sa force de fidélité à la foi commune aux deux Eglises.
[103] Saint Thomas More par exemple.
[104] VANDEVELDE G. Op. cit. 120.
[105] Op. cit. 120-121.
[106] Mathieu 25, 31-45.
[107] Mathieu 25, 37 et ss. ;
[108] Mathieu 5, 47 ;
[109]Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, Question 1, 1 ;
[110] Sic, jeudi 16 novembre 1995 ;
[111] jeudi 25 janvier 1996 ;
[112] Voir TOINET p. Le problème de la vérité dogmatique,
Orthodoxie et hétérodoxie, Paris, Téqui, 1975.
[113] Elle est même devenue depuis 1998 canonique : Voir le document «
Ad Tuendam Fidem » du 30 juin 1998. Mais cette mise dans le droit canon n’est
qu’une conséquence de Vatican II.
[114] Voir le traité de « L’analogie de la foi chez saint Thomas
d’Aquin, Somme e théologie, Ia pars.
[115] Jean 14, 16 ;
[116] Jean 4, 22 ;
[117] I Pierre 1, 9 ;
[118] CONCILE VATICAN 2, Lumen Gentium, 21-25.
[119] TOINET p. Le problème de la vérité dogmatique, Orthodoxie
et hétérodoxie, Paris, Téqui, 1975.
[120] Cf. Luc 22, 32 ;
[121] Lumen Gentium. 25 ;
[122] BENOIT XII Op. cit. Dumeige 961.
[123] 24 novembre 1995 ;
[124] Remarque : Lorsque la vérité révélée est par ailleurs objet de la
science philosophique, des problèmes d’harmonisation ne doivent théoriquement jamais se poser car il ne
saurait y avoir contradiction dans la vérité, toute la réalité (qu’elle soit
objet de foi ou d’expérience) étant créée par le même Dieu. S’il existe parfois
des contradictions (l’affaire Galilée par exemple), la faute en est à l’homme
qui connaît parfois mal la révélation ou fait d’autres fois une mauvaise
philosophie. Cette remarque nous sera utile lorsque nous serons amenés à
confronter deux faits apparemment contradictoires, l’assentiment de foi dans le fait que Dieu propose son
salut sur la terre à tous les hommes et la constatation expérimentale, apparente, de l’inverse.
[125] Jean-Paul II, Discours à la Congrégation de la Doctrine de la foi,
24 nov. 1995 ;
[126] Lettre sur quelques questions concernant l’eschatologie,
Congrégation de la doctrine de la foi, 17 mai 1979 ;
[127] Voir numéros I-2-1 à
I-2-5.
[128] Saint Jean, 17, 3 ;
[129] CONCILE DE TRENTE sixième session, 13 janvier 1347, décret sur
la justification, chapitres 4-7,
[130] Dumeige p. 347-349 ; Texte complet : Ch. 1 : Impuissance
de la nature et de la Loi pour justifier les hommes
En premier lieu, le saint concile déclare que, pour avoir de
la doctrine de la justification une intelligence exacte et authentique, il faut
que chacun reconnaisse et confesse que, tous les hommes ayant perdu l’innocence
dans la prévarication d’Adam [Ro 5,12 ; 1 Co 15, 22] [PC 271], « devenus impurs
» [Is. 64, 6] et, comme dit l’Apôtre, « enfants de colère par nature » [Ep 2,
3], selon l’exposé du décret sur le péché originel, ils étaient à ce point «
esclaves du péché » [Ro 6, 20], assujettis au diable et à la mort, que non
seulement les païens par les forces de la nature [FC 583], mais encore les
juifs eux-mêmes par la lettre de la Loi mosaïque ne pouvaient se libérer ou se
relever de cet état, bien que le libre arbitre ne fût nullement éteint en eux
[PC 587] mais seulement affaibli et dévié en sa force.
Ainsi arriva-t-il que le Père céleste, le Père des
miséricordes et Dieu de toute consolation » [2 Co 1, 3], après l’avoir annoncé
et promis, avant la Loi et du temps de la Loi, à beaucoup de saints Pères [Gn.
49, 10. 18], envoya aux hommes, quand vint la bienheureuse « plénitude des
temps » [Ep 1, 10 Ca 4,4], le Christ Jésus, son Fils, pour racheter les Juifs
sujets de la Loi, pour « faire aussi atteindre la justice aux païens qui ne la
cherchaient pas » [Ro 9, 30] et pour que tous « reçussent la qualité de fils
adoptifs » [Ga 4, 5]. C’est lui que « Dieu a établi victime propitiatoire en
son sang, moyennant la foi, pour nos péchés » [Ro 3, 25], « non seulement pour
les nôtres, mais pour ceux du monde entier » (I Jn 2, 2].
Ch. 3 Ceux qui sont justifiés par le Christ
Mais, bien que lui « soit mort pour tous » [2 Co 5, 15] tous
cependant n’éprouvent pas le bienfait de sa mort mais ceux-là seulement
auxquels le mérite de sa Passion est communiqué. Car de même que les hommes ne
naîtraient pas dans l’injustice s’ils ne naissaient de la descendance
corporelle d’Adam, descendance qui leur fait contracter, par lui, lorsqu’ils
sont conçus, l’injustice personnelle, de môme ils ne seraient jamais justifiés
s’ils ne naissaient pas dans le Christ d’une naissance nouvelle [FC 584, 592]
où leur est accordée, par le mérite de sa Passion, la grâce qui les fait
justes. Pour ce bienfait l’Apôtre nous exhorte à « rendre grâces
continuellement au Père qui nous a rendus dignes d’avoir part à l’héritage des
saints dans la lumière » [Col 1, 12] et « qui nous a arrachés à la puissance
des ténèbres et transférés dans le royaume de son Fils bien-aimé, et « qui nous
avons la rédemption et la rémission des péchés » [Col 1, 13-14].
Ch. 4 Esquisse d’une description
de la justification de l’impie. Son mode dans l’état de grâce
Ces mots esquissent une description de la
justification de l’impie, comme un transfert de l’état dans lequel l’homme naît
fils du premier Adam, à l’état de grâce et « d’adoption des fils>) de Dieu
[Ro 8,15], par le second Adam, Jésus-Christ notre Sauveur. Ce transfert, depuis
la promulgation de l’Évangile, ne peut s’accomplir sans le bain de la
régénération ni sans le désir de le recevoir, suivant ce qui est écrit « Nul ne
peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit
Saint » [Jn 3, 5].
Le
concile déclare en outre que le commencement de la justification chez les
adultes doit être cherché dans la grâce prévenante de Dieu par Jésus Christ [FC
585], c’est-à-dire par un appel de lui, qui leur est adressé sans aucun mérite
préalable en eux. De la sorte, ceux que leurs péchés avaient détournés de Dieu
se disposent, poussés et aidés par sa grâce, à se tourner vers leur
justification, en acquiesçant et en coopérant librement à cette grâce [FC
586-587]. Ainsi Dieu touche le cœur de l’homme par l’illumination du Saint
Esprit, mais l’homme lui-même n’est nullement inactif en recevant cette
inspiration, qu’il pourrait tout aussi bien rejeter, et cependant, sans la
grâce divine, il demeure incapable de se porter par sa libre volonté vers cet
état de justice devant Dieu [FC 585]. C’est pourquoi, quand il est dit dans la
sainte Écriture : « Tournez-vous vers moi et, moi, je me tournerai vers vous
» [Za 1, 3], notre liberté nous est rappelée ; quand nous répondons : « Tournez-nous
vers vous, Seigneur, et nous nous convertirons » [Lm 5,21], nous confessons
que la grâce de Dieu nous prévient.
Les hommes sont disposés à
la justice elle-même [FC 589, 591]
quand, poussés et aidés par la grâce divine, la foi « qu’ils entendent prêcher
» se formant en eux (Ro 10, 17], ils se tournent librement vers Dieu, croyant à
la vérité de la révélation et des promesses divines [FC 594-596], à celle-ci
notamment, que Dieu justifie l’impie par sa grâce, « au moyen de la rédemption
qui est dans le Christ Jésus » [Ro 3, 24] ; quand, comprenant qu’ils sont
pécheurs, en passant de la crainte de la justice divine, qui les ébranle
salutairement [FC 590], à la considération de la miséricorde de Dieu, ils
s’élèvent à l’espérance, confiants que Dieu, à cause du Christ, leur sera
favorable, quand ils commencent à l’aimer comme la source de toute justice et,
pour cette raison, se retournent contre leurs péchés dans une sorte de haine et
de détestation [PC 591], c’est-à-dire par cette pénitence que l’on doit faire
avant le baptême [Ac 2,38] ; quand, enfin, ils se proposent de recevoir le
baptême, de commencer une vie nouvelle et d’observer les commandements divins.
De cette préparation il est écrit : « Celui qui approche de Dieu doit croire
qu’il est et qu’il récompense ceux qui le cherchent » [He 1l, 6), et : « Aie
confiance, mon fils, tes péchés te sont remis » [Mt 9,2 ; Mc 2, 5] et : « La crainte du Seigneur chasse les péchés
» [Si 1, 27], et « Faits pénitence et que chacun de vous soit baptisé au
nom de Jésus-Christ, pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez le don
de l’Esprit Saint » [Ac 2, 38], et : « Allez donc, enseignez toutes les
nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur
apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé » [Mt 28, 19 sv], et : «
Préparez vos cœurs pour le Seigneur » [1 Sm 7, 3].
Cette disposition ou
préparation est suivie de la justification elle-même qui n’est pas simple
rémission des péchés [FC 5931, mais aussi sanctification et rénovation de
l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons. Par là,
l’homme d’injuste devient juste, d’ennemi ami, pour être « héritier, en
espérance, de la vie éternelle » [Tt 3,7]. De cette justification, voici les
causes : cause finale, la gloire de Dieu et du Christ, et la vie éternelle ;
cause efficiente, Dieu, qui, dans sa miséricorde, purifie et sanctifie gratuitement
[I Co 6, Il] par le sceau et l’onction de l’Esprit Saint promis, qui est le
gage de notre héritage [cf. Ep 1, 13 sv.] cause méritoire, le Fils unique
bien-aimé de Dieu, notre Seigneur Jésus-Christ, qui, « alors que nous étions
ennemis » [Ro 5, 10], à cause de l’extrême amour dont il nous a aimés [Ep 2,4],
a mérité notre justification [FC 592] par sa très sainte Passion sur le bois de
la Croix et a satisfait pour nous à Dieu son Père cause instrumentale, le
sacrement de baptême, le « sacrement de la foi »‘, sans laquelle il n’est
jamais arrivé à personne d’être justifié. Enfin, l’unique cause formelle est la
justice de Dieu, « non celle par laquelle il est juste lui-même, mais celle par
laquelle il nous fait justes [FC 592-593], celle reçue de lui en don qui nous
renouvelle au plus intime de l’âme, par qui non seulement nous sommes réputés
justes, mais vraiment justes et nommés tels, recevant en nous la justice, dans
la mesure où « l’Esprit Saint distribue à chacun à son gré » [I Co 12,11] et
selon la disposition et la coopération personnelles de chacun. En effet, bien
que personne ne puisse être juste que par la communication des mérites de la
Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, cette communication s’accomplit dans la
justification de l’impie, quand, par le mérite de cette Passion très sainte, la
charité de Dieu est répandue par le Saint Esprit dans les cœurs de ceux qui
sont justifiés [cf. Ro 5, 5] et y demeure inhérente [PC 593]. Aussi, dans la
justification même, avec la rémission des péchés l’homme reçoit-il à la fois,
par Jésus-Christ en qui il est inséré, tous ces dons infus : la foi,
l’espérance et la charité. Car si l’espérance et la charité ne se joignent pas
à la foi, la foi n’unit pas parfaitement au Christ et ne rend pas membre vivant
de son corps.
C’est la raison pour laquelle il
est dit en toute vérité que « la foi sans les oeuvres est morte » [Jc 2, 17
sv.] et inutile [FC 601], et « Dans le Christ Jésus ni la circoncision ni
l’incirconcision n’ont de valeur, mais la foi qui opère par la charité » [cf 5,
6 ; 6, 15]. C’est elle que, selon la tradition - des Apôtres, les catéchumènes
demandent à l’Église avant le sacrement du baptême, quand ils demandent « la
foi qui procure la vie éternelle » que, sans l’espérance et la charité, la foi
ne saurait procurer. Aussi entendent-ils immédiatement la parole du Christ : «
Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements » [Mt 19, 17]
[FC 600-602] C’est pourquoi, en recevant la justice chrétienne véritable, cette
première robe [cf. Le 15, 22] qui leur est donnée par Jésus-Christ à la place
de oeil qu’Adam perdit, pour lui et pour nous, par sa désobéissance, ils se
voient ordonner, dès leur renaissance, de la conserver blanche et sans tache
pour l’apporter devant le tribunal de notre Seigneur Jésus-Christ et avoir la
vie éternelle.
Quand donc l’Apôtre dit que
l’homme est justifié « par la foi » [FC 59] et « gratuitement » [Ro 3, 22.24],
ces mots sont à prendre dans le sens que l’Église catholique a toujours et
unanimement tenu et exprimé, à savoir que nous sommes dits justifiés par la foi
parce que « la foi est le commencement du salut de l’homme »‘, le fondement et
la racine de toute justification, « sans laquelle il est impossible de plaire à
Dieu » [He 1l, 6] et de parvenir à partager le sort de ses enfants nous sommes
dits justifiés gratuitement parce que rien de ce qui précède la justification,
foi ou oeuvres, ne mérite cette grâce de la justification. « Car, si c’est une grâce, elle ne vient pas des
oeuvres ; autrement (comme le dit le même Apôtre) la grâce ne serait plus la
grâce » [Ro 11, 6].
[131] Jean 3, 5 ;
[132] CONCILE D’ORANGE 3 juillet 529, canon 4, Dumeige 340.
Dumeige
347-349.
[133] Romains 10, 14-15 ;
[134] Romains 3, 24 ;
[135] Jean 15, 15.
[136] Jean 3.
[137] CONCILE VATICAN II Les religions non chrétiennes.
[138] Cf. Romains 5, 5 ;
[139] Jacques 2, 17 ;
[140] Galates 5, 6 ; 6, 15 ;
[141] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 23, 1.
[142] Ce qui est une valeur réelle. Le juste est disposé au salut. Il
l’acceptera sûrement lorsqu’il lui sera proposé.
[143] Traité des fins dernières, Question 7 ;
[144] Concile de trente, sixième session, Canons sur la justification,
n° 1 ;
[145] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 110,
article 1.
[146] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 110,
article 1.
[147] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 110,
article 2.
[148] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 114.
[149] DUMOUCH A. Traité des fins dernières, édition auteur, 1991,
Le feu de l’enfer, Question 12, 1.
[150] Concile de Trente, sixième session sur la justification, canon 12
;
[151] CONCILE DE TRENTE, sixième session, chap. 8, Dumeige 349.
[152] Romains 3, 22, 24 ;
[153] Hébreux 11, 6 ;
[154] Mathieu 8, 10 ;
[155] Luc 7, 28 ;
[156] HUGUET M. T. Israël et son destin, en Nova et Vetera,
1985/2, 109.
[157] Galates 4, 4 ;
[158] Luc 23, 42 ;
[159] Dumeige p. 343 ;
[160] 1 Timothée 2, 1 ;
[161] Dumeige p. 343 ;
[162] Galates 5, 6 ;
[163] Luc 3, 1 ;
[164] Romains 14, 11 ;
[165] 1 Timothée 2, 3-4 ;
[166] CONCILE DE TRENTE, Op. cit. Dumeige 358.
[167] CONCILE DU QUIERZY Erreur ! Signet non défini.853, Dumeige 358.
[168] 1 Timothée 2, 4 ;
[169] Concile de Trente, Dumeige p. 358 ;
[170] SAINT THOMAS D’AQUIN, De Veritate, 14, 11, 1.
[171] Mathieu 12, 32 ;
[172] INNOCENT IV Lettre à l’évêque de Tusculum, 6 mars 1254,
Dumeige 513.
[173] Mathieu 12, 31 ;
[174] 1 Corinthiens 3, 13-15 ;
[175] Constitution Benedictus Deus du 29 janvier 1336 ; Dumeige
p. 510.
[176] BENOIT XII Constitution apostolique « Benedictus Deus », Op. cit. Dumeige 510.
[177] BOROS L. Mysterium Mortis. Der Mensch in
der letzen Enscheidung, 9 Aufl. Olten-Freiburg 1962, 19/1.
[178] GLORIEUX P. Mysterium Mortis, Ibidem
9.
[179] Balthasar H. U. Theodramatick 4,
268-270.
[180]Voir notre thèse, II. 2. 1. ;
[181] 53- OTT L. Grundriss der Katholischen Dogmatik,
Freiburg, Herder, 1981 : « les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel
vont en enfer » De fide. mmm
[182] Voir Romains 10, 15 ;
[183] Mathieu 24, 14 ;
[184] Mathieu 24, 29-31 ;
[185] Luc 17, 22 ;
[186] Proverbe 16, 32 ;
[187] Galates 5, 17 ;
[188] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 87,
article 3, article 11.
[189] Apocalypse 8, 1 ;
[190] Romains 10, 14 ;
[191] Métaphysique 1 ;
[192] Mathieu 7, 13 ;
[193] Luc 3, 8 ;
[194] Jean 12, 40 ;
[195] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 76, 77,
78.
[196] Marc 3, 29 ;
[197] Père MARIE EUGENE DE L’ENFANT-JESUS, Je veux Voir Dieu, Op.
cit.
[198] NICOLAS J. H. Synthèse
dogmatique, Fribourg, Suisse, 602.
[199] RATZINGER J. La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994,
215.
[200] Voir « fondements empiriques », II-3 ;
[201]Voir Fondements empiriques, II-3-2 ;
[202] Question 8, Articles 1 et 2
[203] Aristote, Physique 1
[204] Genève, Labor et Fides, 1975
[205] ARISTOTE De l’âme, la vie sensible.
[206] Cette question ne peut que surprendre un esprit teinté de
protestantisme. Comment est-il possible de se demander si une autre personne
que le Christ peut se substituer à lui pour accomplir une prédication de l’Evangile
total à l’heure de la mort. La théologie catholique de la communion des
saints n’exclut pourtant pas une telle question. Les amis de Dieu n’y sont
jamais opposés au Christ. Ils font avec lui une seule Eglise céleste. Ceux qui
voient Dieu sont aussi image de Dieu. Ainsi, nous le verrons, il est probable
qu ‘avant l’incarnation du Verbe, les mourants recevaient déjà l’annonce
de l’Evangile. Cela ne se faisait pas par le Christ… mais cela se faisait si
parfaitement que certains déjà se damnaient.
[207] 1 Corinthiens 2, 9 ;
[208] Pas seulement la Vierge Marie, comme une certaine tradition
populaire tend de plus en plus à le dire, s’appuyant sur une méditation du
verso de la médaille de la rue du Bac, mais aussi tous les saints, tous ceux
qui aiment Dieu ici-bas ou au purgatoire et ceux qui le voient face à face dans
l’autre monde.
[209] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa,
Question 1
[210] 1 Timothée 2, 5 ;
[211] Jean 15, 13 ;
[212] Genèse 2, 23
[213] DUMOUCH A. Traité des fins dernières, Op. cit. 24, 6.
[214] Jean 8, 53
[215] Remarque : La prédication de l’Évangile à l’heure de la mort
pourrait-elle être réalisée par Dieu lui-même, à travers la révélation directe
de la vision béatifique ? Non car celui qui voit Dieu, étant en face de
l’essence incréée du bonheur, ne peut qu’être happé par sa présence. Nul ne
peut refuser le bonheur. La liberté de choix, dans cette hypothèse, serait
détruite et l’homme serait introduit dans la gloire non à la suite d’un choix
libre de son amour mais à cause d’une nécessité substantielle de sa nature
faite pour la béatitude.
[216] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia Question 89.
[217] Jean 14, 9
[218] Voir le Supplément de la Somme de saint Thomas d’Aquin
[219] Quant au contenu des NDE,
l’approche analytique avait permis de fonder une image de la mort comme passage
et rencontre. Il semble même – les auteurs en évoquaient l’hypothèse – que
"l’au-delà" vienne à la rencontre du mourant et s’adapte à lui en
quelque sorte, en se laissant reconnaître doucement, quelquefois par
l’intermédiaires de proches décédés, et en prenant celui-ci tel qu’il est à ce
moment précis de son cheminement psychologique et spirituel. C’est ainsi que la
confrontation avec la lumière prend parfois le clair visage de Jésus... ou même
parfois moins clair. Voici le curieux témoignage d’un ingénieur dans la
cinquantaine, rapporté par son médecin : “Il vit un “ homme barbu ”
qui se tenait à l’entrée d’un couloir doré. Il hochait la tête et lui faisait
signe de retourner d’où il venait. Il disait : “ Pas maintenant, plus
tard !. » L’expérience rendit le patient très heureux. Il me déclara qu’il
n’avait plus besoin de médicaments : “ On ne veut pas de moi là-haut. » Il
avait raison car, après son hallucination, son état de santé s’est rapidement
amélioré”[219]. Ce récit,
théologiquement vexant, paraît authentique a priori : on se serait attendu à
lire autre chose. Et l’on se demande pourquoi l’identification est restée aussi
vague (par méconnaissance totale du Christ, inhibition, ou enfouissement dans
le subconscient ?). Il faut évoquer ici
une des conclusions du Dr Maurice S. Rawlings, qui rappelle opportunément au théologien que le
passage de la mort n’est pas simplement une rencontre ; il est tout autant un
"jugement" : “Les malades qui font l’expérience de l’au-delà ne
voient pas le paradis ou l’enfer tels
qu’ils les avaient imaginés jusque là. En général, ce qu’ils découvrent les
surprend”[219]. Ce sera
sa tâche à lui de voir comment les deux dimensions de "rencontre" et
de "jugement" se compénètrent, et quel est leur rapport avec le
"Purgatoire" et "l’Enfer".
[220] Concile Vatican II, Dei Verbum, 1, 4
[221] Voir Ratzinger et J. M. Nicolas déjà cités
[222] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 82.
[223] Romains 7, 22 ;
[224] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 91
article 6.
[225] Actes 9, 1-12.
[226] 2 Corinthiens 12, 1-9.
[227] SAINT CESAIRE D’ARLES, Commentaire de l’Apocalypse, Les
Pères dans la foi, Desclée de Brouwer 1980 ;
[228] Voir par exemple Mathieu 24 ;
[229] Le jugement dernier dans l’évangile de Mathieu, Le monde de
la Bible n°6, p. 522 ;
[230] Arnaud DUMOUCH, Traité des fins dernières, 1991, 26 et ss. ;
[231] Mathieu 24, 42-51 ;
[232] 2 Théssaloniciens 2 ;
[233] 2 Pierre 3, 3-4 ;
[234] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia Question
1 article 9-10.
[235] Actes 20, 9
[236] 1Pierre 1, 5 ;
[237] Remarque de Jean-Yves Tarrade, octobre 2006, http
://docteurangelique.forumactif.com/viewtopic.forum ?p=70497#70497
[239] Source : Les évangiles apocryphes, Textes choisis et
présentés par Pierre CREPON, Ed Retz Poche (1989).
[240] BEDE LE VENERABLE A history of the english Chuch
and people, traduction anglaise Leo Sherley-Price, Harmondsworth, MOODY R. Lumières nouvelles sur la vie après la vie,
Paris, Laffont, 1978. Erreur ! Signet non défini.
Voir aussi ROCHCAU V. Essai d’une lecture
chrétienne de « la vie après la vie », en Nova et Vetera, 1980/2,
134-153.
England,
Penguin books, 289-293.
[241] Vie de saint Malachie.
[242] Actes 10 ;
[243] Faciendi quod est in se, Deus non denegat gratiam ;
[244] SAINT THOMAS D’AQUIN, De Veritate, 14, 11, 1.
[245] In De Veritate, Ia
IIae, qu. sur la Grâce et le libre-arbitre.
[246] 2 Corinthiens 12, 3.
[247] Lecture de l'évangile de Matthieu,
st Thomas d'Aquin, chapitre 24, traduction Jacques Ménard, éditions du Cerf
2005, Paris.
[248] Jovanovic Pierre, Enquête sur l'existence des anges gardiens,
Paris, Filipacchi, 1993, p.116 ; cas tiré des témoignages rapportés par le Dr
William Serdahely dans le Journal of Near Death Studies,
10/3, Human Sciences Press, London /New York, spring 1992, p.171-182
[249] SAINTE FAUSTINE Journal de soeur Faustine, édition J.
Hovine, 1992, 542.
[250] Journal de sainte Faustine, suite.
[251] Mgr D’HULST Lettres de direction, Paris, 1906, 40-41.
[252] Ibidem 41.
[253] Ibidem 51-52.
[254] Référence non retrouvée ;
[255] DURWELL F. X. Le
Christ, l’homme et la mort, Médiapaul, 1991, 3ème
édition en 1993.
DURWELL
F. X. Regards chrétiens sur l’au-delà, Médiapaul,
1994. Voir aussi les articles : Le Père, Dieu en son mystère, Paris,
Cerf, 1987, 238-249.
Une
réflexion sur la mort chrétienne, en Vie Thérésienne,
1976, nème 64, 252-258.
Le
mystère pascal source de l’apostolat, Paris, édition
ouvrières, 1970, chap. 13 : Le dernier apostolat, 297-320.
La
résurrection de Jésus, mystère du salut,
1ème édition 1950, Cerf, Paris, 248-250.
La mort vécue, Der Mensch in seinem Tod, Theologie der Gegenwart, 27, 1984, 170-175.
[256] Lettre du 7 septembre 1994.
[257] "Doctrine et vie chrétiennes", de Jean Daujat, Téqui,
Paris, 2003, p 512.
[258] RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard 1994.
[259] C. G. Jung, « Ma vie », pages
331 à 337.
[260] MOODY R. La vie après la vie, Paris, Laffont 1977.
[261] Pommaret Françoise, Les revenants de l'au-delà dans le monde
tibétain. Sources littéraires et tradition vivante, Paris, Editions du
CNRS, 1998.
[262] Pommaret Françoise, Les revenants de l'au-delà dans le monde
tibétain. Sources littéraires et tradition vivante, Paris, Editions du
CNRS, 1998.
[263] HAJA FDAL La mort selon les enseignements de l’Islam,
Rayane édition, Paris 1991, 63.
[264] Coran 4, 159 ;
[265] HUGO Victor Les contemplations, Paris, Nelson éditeurs,
1856. p. 412.
[266] NICOLAS J. H. Synthèse dogmatique, Op. cit. 600-602.
[267] MOODY R. La vie après la vie, Paris, Laffont, 1977.
[268] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 120 ;
[269] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 161
[270] CHATILLON R. Bulletin de la société de Thanatologie, Paris,
nème41, 1978, 36.
[271] « La vie après la vie » p. 62 et seq. ;
[272] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 51-59 ;
[273] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 81-82 ;
[274] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 73 ;
[275] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 75-76 ;
[276] « La vie après la vie » p. 78-79 ;
[277] « La vie après la vie » pp. 122 à 127 ;
[278] « La vie après la vie » pp. 8O à 82, 94 et 113 ;
[279] « La vie après la vie » p. 87 ;
[280] « La vie après la vie » p. 83 ;
[281] La vie après la vie, Reportage, Antenne 2, 12 octobre 1988
;
[282] Op. cit. 750-751 ;
[284], Corinthiens 12, 1-7 ;
[285] RUSSO F. La décorporation, journal La Vie, nème1798, 23.
[286] Marc 5, 39 ;
[287] Jean 11, 4 et 11 ;
[288] Actes 20, 10 ;
[289] « La vie après la vie », Reportage, Antenne 2, 12 octobre
1988 ;
[290] Timothée 3, 13 ;
[291] Thèse III-3-2, l’heure de la mort, Question 8, article 7 ;
[292] Saint Thomas d’Aquin, somme de Théologie Ia, Question 1,
article 1 ;
[293] Voir MARITAIN J, La philosophie bergsonienne, Paris, Téqui, 1948 ;
[294] Voir BENOIT 14 De servorum Dei beatificatione et canonisatione,
Prati, 1840 ;
[295] Documentation Catholique, novembre 1995 ;
[296] Voir le Cardinal Journet, Qui est membre de l’Église ? Nova et Vetera 36, 193-203. Repris et amélioré dans l’Église du Verbe incarné, tome 2,
2ème édition, 1304-1314 ;
[297] Jérémie 31, 34-35 ;
[298] Jean 20, 29 ;
[299] Voir par exemples les développements magistraux sur ce thème du
Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Je veux Voir Dieu, édition du
carmel.
[300] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 94-95 ;
[301] « La vie après la vie » p. 110 ;
[302] « La vie après la vie » p. 113 ;
[303] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 60 ;
[304] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 73 ;
[305] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », pp.
132-133 ;
[306] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p.
133 ;
[307] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », pp.
45-46 ;
[308] « La vie après la vie » p. 113 ;
[309] « La vie après la vie » p. 106 ;
[310] SAINTE THERESE DE L’ENFANT-JESUS, Derniers entretien,
Desclée de Brouwer, 11.
[311] Lumières Nouvelles sur la vie après la vie, « réflexions » ;
[312] « La vie après la vie » p. 81 ;
[313] « La vie après la vie » p. 110 ;
[314] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 70 ;
[315] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 73 ;
[316] Édition du Scoutisme, Paris, 1946 ;
[317] « La vie après la vie » p. 87 ;
[318] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 137-138 ;
[319] Mort et résurrection aux approches de l’an 2000, Revue de
l’Université Catholique de Louvain, novembre 95, n°63, p. 31 ;
[320] Les trois sens de l'expression
« le jour du Seigneur » chez saint Thomas d'Aquin, commentaire de I Corinthiens III, 15 : « Mais on appelle jour du Seigneur le temps où la volonté du
Seigneur s’accomplira à l’égard des hommes, qui seront alors, selon les règles
de la justice de Dieu, récompensés ou punis, suivant cette parole du Psalmiste
(LXXIV, 3) : « Quand le temps sera venu, je jugerai les justices. Donc,
comme il y a un triple jugement de Dieu, on peut distinguer un triple jour du
Seigneur. a) En effet, il y aura un jugement général pour tous (Matthieu XII,
41) : « Les hommes de Ninive s’élèveront au jour du jugement ;"
dans ce sens, le jour du Seigneur est le dernier jour du jugement, dont S. Paul
dit (II Thess., II, 2) : « Ne vous laissez pas effrayer, comme si le jour du
Seigneur était près d’arriver. » Ainsi entendues, ces paroles : « Le
jour du Seigneur le fera con naître, » s’expliquent de cette manière :
au jour du jugement sera manifestée la différence des mérites humains (Rom.,
II, 16) : « En ce jour où Dieu jugera ce qui est caché dans le coeur des
hommes. » b) Il y a un autre jugement particulier qui a lieu pour
chacun au moment de la mort. Luc dit de ce jugement (X, 22) : « Le riche
mourut, et il fut enseveli dans les enfers ; le pauvre mourut aussi, et il fut
porté par les anges dans le sein d’Abraham." Dans ce sens, on peut
entendre par "jour du Seigneur" le jour de la mort, selon
cette parole de la première épître aux Thessaloniciens (V, 2) : « Le jour du
Seigneur viendra comme un voleur au milieu de la nuit." Ainsi donc, « Le
jour du Seigneur le fera connaître," parce que c’est à la mort que
sont manifestés les mérites de chacun. C’est de là qu’il est dit (Prov., XI,
17) : « la mort du méchant, il ne restera plus d’espérance ;" et au
même livre (XIV, 32) : « Mais le juste espère même dans la mort. »
c) Enfin il y a pendant la vie un troisième jugement : il a lieu quand Dieu
éprouve les hommes par les tribulations de la vie. C’est ainsi qu’on lit
(ci-après, XI, 32) : « Lorsque nous sommes jugés, c’est le Seigneur qui nous
reprend, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde. » Dans
ce sens, on appelle jour du Seigneur le jour passager de la tribulation, dont
il est dit (Soph., I, 14) : « Voix amère du jour du Seigneur, tribulation
pour les forts. » – "Le jour du Seigneur le fera donc connaître, »
parce que le coeur de l’homme est éprouvé dans le temps de la tribulation
(Ecclésiastique XXVI, 6) : « La fournaise éprouve les vases du potier, et la
tribulation les hommes justes. »
[323] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae
Question 3, art. 8 objection 1.
[324] Exode 33, 20.
[325] Job 34, 26.
[326] 1 Jean 3, 2.
[327] Constitution « Benedictus Deus » (29 janvier 1336) « LA FOI
CATHOLIQUE », page 511.
Le
discours après la Cène nous éclaire sur la nature de cette vie. « La vie
éternelle c’est qu’ils te connaissent toi. Le seul véritable Dieu et ton
envoyé, Jésus-Christ. » (Jean 17, 3). Qu’ils te connaissent. Le sens biblique
de ~ connaître « est beaucoup plus fort que celui du langage courant. II ne
s’agit plus d’une simple connaissance intellectuelle, il s’agit d’une
connaissance par expérience de vie et de vie commune.
[328] Livre de l’exode 34, 18
[329] Psaume 79 verset 20.
[330] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae q. 3
article 8.
[331] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia
IIae Q3 article 8.
[332] Isaïe, chapitre 56, verset 7
[333] Urs von Balthazar montre que la personne humaine n’a de sens au
plan théologique que par sa mission qui n’est pas naturelle mais surnaturelle,
marqué par ce qui l’oriente vers la vision de Dieu. Dramatique, 2, 2. C’est
l’objet de la totalité de ce livre.
[334] Voir notre traité, Question 11.
[335] Colossiens I, 16.
[336] Jean 17, 24.
[337] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia q. 8,
Article 3.
[338] Luc 18, 17.
[339] Luc 2, 52.
[340] Psaume 91, 11, 12. Ia q 44 article 4.
[341]Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia pars q 62
article 5.
[342] Matthieu 18, 10.
[343] Voir aussi CH. JOURNET « L’aventure des anges », p. 127 NOVA ET VETERA s 58 / 2.
[344] Judith 16, 14.
[345] La théologie du Père Teillard de Chardin veut expliquer le sens de
la création par l’ordre et l’harmonie évolutifs qui y règnent et qui trouvent
leur achèvement dans l’homme devenu Dieu, le Verbe Incarné. Le principe d’une
telle théologie, si on la regarde d’une manière abstraite des éléments
scientifiques discutables qu’elle assume, est valable mais insuffisant. L’ordre
de la création trouve sa pleine justification dans la tension vers l’amour et
la contemplation de Dieu.
[346] Romains 8, 19.
[347] Romains 5, 12.
[348] Cet argument est de saint Thomas lui-même.
[349] Voir la pars Question 90 à 102 : les origines de l’homme.
I
Constitution apostolique « Munificentis Deus », Pie XII, 1950. 1.
Voir aussi « Mortalité ou immortalité du premier homme créé par Dieu ? »
Nouvelle Revue Théologique 1 p. 1043ss.
[351] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa Question l00
article 2, Respondeo.
[352] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa pars
Question 1 article 3.
[353] Voir « L’oeuvre des six jours », Ia pars Question 73 art 2.
[354] Genèse 6 et 7.
[355] Voir par exemple Josué 7.
[356] Voir ce traité, Question 7.
[357] Job 38, 12.
[358] article 7
[359] Osée 2, 16.
[360] Exode 19, 21.
[361] Voir ce traité, Question 8.
[362] Gérard CHOLVY : Du Dieu terrible au Dieu d’amour : une
évolution de la mentalité religieuse, Communio, tome XI 3-mai-juin l986.
[363] Traité du Verbe incarné, Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, IIIa pars Question 1 article 4.
[364] Épître aux Colossiens I, 15.
[365] 1 Jean 3, 1.
[366] Traité de la Trinité chapitre 13.
[367] Sermons sur la nativité du Seigneur n° 371.
[368] Rudiments de Catéchisme, Chap. 4.
[369] Véritable, c’est-à-dire pleinement conforme à son objet.
[370] Actes 3, 1
[371] Concile Vatican II, Lumen Gentium, 485.
[372] QUEL AVENIR POUR L’HOMME ? Lettre pastorale du cardinal
Gouyon à l’occasion de la Toussaint.
[373] Saint Jean 14, 9.
[374] Éphésiens I, 4.
[375] Éphésiens I, 7. Et, dans la liturgie de Pâques : « bienheureuse
faute qui nous valut un tel Sauveur. »
[376] Genèse. 2, 8.
[377] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Traité des Anges,
Ia Question s 54 et 55.
[378] Jacques 4, 6.
[379] Matthieu 11, 29.
[380] Saint Paul.
[381] Jean 15, 13.
[382] Paris, 1972.
[383] Voir aussi de MADELEINE DELBREL • Dieu est mort Vive la mort,
p. 226.
[384] Vision ? Amour ? Union amoureuse dans la vision ? Il sera donné
ultérieurement explication à notre utilisation du mot « vision » plutôt celui
d’amour. (Question 5, article 10). A propos du terme « Vision », certains
lecteurs pourraient être provisoirement choqués en pensant que le paradis
consiste à « aimer » Dieu plutôt qu’à le voir. Nous verrons que cette remarque
est sans fondement (Question 5, article 105. Balthasar résout cette controverse
ainsi : « En fait, la béatitude éternelle ne peut consister que dans la vision
aimante de l’amour, car qu’y aurait il d’autre à Voir en Dieu, et comment
l’amour pourrait-il être contemplé autrement que dans la communion d’amour ? »
(L’amour seul est digne de foi », Aubier-fontaigne 1966, p. 178).
[385] Jean I, 18.
[386] Homélie 14 sur saint Jean.
[387] Matthieu 22 30.
[388] Théologie Mystique, Chap. 1.
[389] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Voir Supplément
de la Somme, Question 92, article 1.
[390] Psaume 35, 10.
[391] 1 Corinthiens 13, 12.
[392] Constitution dogmatique « Benedictus Deus », La foi
Catholique, G. Dumeige, p. 511.
[393] La contemplation philosophique ou théologique peut au contraire
subsister sans la présence de cette grâce d’amour comme on le voit chez
certains savants spéculatifs mais éloignés de l’oraison.
[394] Psaume 34, 89.
[395] La contemplation mystique est pourtant déjà une grâce entièrement
surnaturelle. Comparée à la vision béatifique elle est comme une pâle lueur
dans la nuit, sans commune mesure avec l’éclat du plein soleil.
[396] 1 Corinthiens 2, 9.
[397] Voir l’article 5.
[398] Jean 14, 6.
[399] Jean 14, 8.
[400] Jean 3, 35.
[401] Colossiens I, 16.
[402] Constitution dogmatique « Benedictus Deus », La foi
Catholique, G. Dumeige, p. 511.
[403] Apocalypse 4. Ou, d’après saint Thomas, celle qu’eût saint Paul
sur le chemin de Damas. Il vit des choses qu’il n’est pas donné à l’homme de
connaître.
[404] 2 Corinthiens 12, 4.
[405] 1 Corinthiens 15, 24-28.
[406] Apocalypse 12, 23.
[407] Job 19, 26.
[408] Jean I, 17.
[409] Voir l’essence de Dieu, face à face : voici un abîme qui n’a pas
manqué d’enflammer la conscience des grands théologiens chrétiens. Le Fini
peut-il Voir l’infini ? Ce même paradoxe se reflète, au cours de l’histoire de
la théologie, dans les positions contraires de Grégoire Palamas et du Pape
Benoît XII. D’un côté, chez Palamas, la distinction entre l’essence (ousia)
divine, inconnaissable en soi, et ses rayonnements incréés (energiai) apportera
une solution au problème. Il écrira que « l’illumination ainsi que la grâce
divine et déifiante ne sont pas l’essence, mais seulement l’énergie de Dieu »
et que « Dieu n’est pas appelé lumière d’après son essence, mais d’après son
énergie » Palanas s’appuie sur une longue préhistoire, qui débute avec la
violente réaction des Cappadociens et de Jean Chrysost. contre le rationalisme
vulgaire d’Eunome, affirmant que nous connaissons Dieu aussi bien qu’il se
connaît lui-même, et se poursuit dans les formules de la théologie négative de
Diadoque de Photicé, Denys et Maxime le Confesseur. De l’autre côté, il y a, à
la suite aussi d’une longue préhistoire (d’Origène à Jean XXII en passant par
saint Bernard) du rejet de l’idée de la vision béatifique avant la résurrection
à la fin de monde, la position affinée par la définition de Benoît XII (DS
1000) d’après laquelle, depuis l’Ascension du Christ, les âmes des justes (une
fois accomplie la purification éventuellement nécessaire) « voient l’essence
(essentia) divine dans une vision intuitive et face à face.
[410] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément,
Question 92, article 1.
[411] Epitre à Dorothée.
[412] Constitution dogmatique « Benedictus Deus », La foi
Catholique, G. Dumeige, p. 511.
[413] Cette conclusion est reprise en grande partie de la question 92,
article 1.
[414] On peut consulter avec fruit pour cette question Balthasar H. U., La
dramatique divine IV « le dénouement » Culture et Vérité, Namur, 1993p. 389
à 428. « Il ne suffit donc pas de décrire la vie de grâce sous forme de «
présence » et « habitation » particulière des Personnes du Fils et de l’Esprit
envoyés par le Père dans les âmes des justes ; cette habitation a pour but de
faire participer l’homme aux relations des Personnes et l’on sait que celles-ci
n’existent qu’en tant que relations subsistantes. »
CHEVALIER
I., Saint Augustin et la pensée grecque. Les relations trinitaires,
Fribourg, 1940.
RUELLO
F « Une source probable de la théologie trinitaire de saint Thomas » RSR 43
(1955), 104-128.
[415] « Il ne s’agit pas d’une plénitude arrêtée, mais d’une plénitude
qui progresse à l’infini dans l’inépuisable merveille de l’Être qui est Dieu et
qui se révèle dans toute créature devenue transparente au Créateur. Comme celui
qui a acquis l’habitus d’une science déterminée peut toujours élargir les
horizons de son savoir grâce à cet habitus, ainsi la Lumière de la gloire, nous
permettant de connaître comme Dieu connaît, nous ouvre progressivement à
l’infini. Si déjà la connaissance des créatures se révèle dès maintenant
inépuisable, tels les mystères du monde infra-atomique ou de l’espace
incommensurable, combien plus la vision plénière des créatures dans le Créateur
sera nouvelle et surprenante dans toute l’éternité. » Vitalini
Sandro, Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg, Suisse, 1980, p.
50.
[416] Aristote, De Anima, 3.
[417] Apocalypse 22 5.
[418] 1 Jean 3, 2.
[419] 1Corinthiens 2, 9.
[420] Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia
IIae, Question 5 article 6.
[421] Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia
IIae, Question 5 article 7.
[422] Jean I, 17.
[423] Psaume 83, 12.
[424] De la foi orthodoxe, livre 3, chapitre 19.
[425] Article de saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia
IIae, Question 3 article 4.
[426] Article de saint Thomas, supplément, Question 92, article
2, avec quelques ajouts.
[427] Notre traité, Question 8, l’heure de la mort.
[428] Pour que ce traité soit complet et parfaitement structuré, nous
reproduisons, parfois in extenso, des questions et des articles que saint
Thomas a pu traiter de manière mature avant sa mort. Ici, il s’agit de la
question 67 de la Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae.
[429] Matthieu 22, 30.
[430] Sagesse 1, 15.
[431] 1 Corinthiens 13, 8. 9.
[432] Luc 16, 25.
[433] 1 Corinthiens 3, 11.
[434] 2 Corinthiens 5, 6.
[435] Hébreux 11, 1.
[436] Ecclésiastique 24, 21.
[437] 1 Pierre 1, 12.
[438] Romains 8, 24.
[439] Proverbes 1, 33 Vg.
[440] Éphésiens 1, 18.
[441] Psaume 36, 10.
[442] 1 Corinthiens 13, 10.
[443] 1 Corinthiens 13, 8.
[444] Article de saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
Ia IIae, Question 68, article 6.
[445] Isaïe 11, 9.
[446] 1 Corinthiens 15, 28.
[447] Jérémie 31, 34.
[448] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa Question 69
article 2.
[449] Apocalypse 12, 3
[450] Marc 10, 30.
[451] Confession 12,
[452] Voir Question 50.
[453] Saint Paul aux Galates 5, 22.
[454] Apocalypse 22, 1 et 2.
[455] Non seulement l’homme aspire au bonheur infini, mais encore il
communie actuellement à une joie qui s’accroît indéfiniment en proportion de
son amour. La joie est une valeur qui dépasse les limites de la matière, de
l’espace et du temps. Le chrétien est justement appelé à se rendre compte de ce
jaillissement qui est déjà annonce de la vie éternelle. « Le chrétien
devra fouiller tout son être et ses expériences accumulées pour y trouver la
présence du Ciel. ce doit être là l’exercice principal de toute vie
spirituelle. » Ladislas BOROS, le paradoxe Chrétien, O. C. p. 148.
[456] Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia
IIae, Question 4, article 2.
[457] 1 Corinthiens 13, 13.
[458] Voir à ce sujet, BALTZASAR H. U., « L’amour seul est digne de
foi », Aubier-Montaigne 1966, p. 178 : « Ainsi s’apaise tout simplement
la controverse autour de la question suivante : la béatitude consiste-t-elle
dans la vision ou dans l’amour. En fait, elle ne peut consister que dans la «
vision » aimante de l’amour, car qu’y aurait-il d’autre à Voir en Dieu, et
comment l’amour pourrait il être contemplé autrement que dans la communion
d’amour ? »
[459] Saint Paul dira que cette participation à la vie divine est
purement et simplement le « mystère » C’est une « sagesse cachée » « qu’aucun
des princes de ce monde n’a connue. » elle est « ce que l’œil n’a point vu, ce
que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme) mais
que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment », c’est-à-dire le don de cet Esprit
« qui scrute tout jusqu’aux profondeurs divines », parce qu’il « vient de Dieu
» Et la prédication de Paul est elle-même, en que telle « un langage enseigné
par l’Esprit, exprimant en termes d’esprit des réalités d’esprit. » Balthasar H. U., La dramatique divine 4, p. 387.
[460] Matthieu 25, 46.
[461] Sagesse 8, 16.
[462] interminabilis vitae tota et
simul et perfecta possessio, De consolatione philosophiae, 5, 6.
[463] A propos de la lumière de gloire, consulter Balthasar H. U., La
dramatique divine, 4, « le dénouement », Culture et Vérité, Namur 1993, p.
361 :
« Mais,
cette transparence divine étant celle de l’Être infini qui se trouve être aussi
une liberté infinie, on ne saurait la concevoir autrement que comme l’ouverture
d’espaces sans limites. Parler ici de « visio Dei », alors que Dieu n’est
jamais un objet saisissable en sa plénitude, c’est, en toute hypothèse, une
description insuffisante et unilatérale. Si l’on veut garder cette catégorie de
« vision », on doit alors parler dialectiquement de présence suprême de ce qui
dépasse toute compréhension. On conclura donc que, même si Dieu se donne à
contempler par sa propre species dans le « lumen gioriae » en tant que « medium
deducens », il ne peut, même au Ciel, être contemplé pleinement et en saisie
totale, c’est-à-dire comprehensive. Les Pères grecs insistaient volontiers sur
cette impossibilité de connaître l’essence divine même au Ciel, et la position
de Scot Érigène, selon laquelle Dieu ne peut être vu qu’à travers des
théophanies est une exception dans la scolastique qui, depuis Augustin,
admettait une vision immédiate et totale. C’est saint Albert le Grand qui
trouva, dans une « géniale interprétation », la synthèse de l’Orient et de
l’Occident en faisant de la théophanie grecque la lumière de foi entendue dans
le sens d’un « medium confortans videntem »
[464] Voir aussi : « Dieu lui-même sera notre joie. Dans sa lumière
inaccessible, il nous donnera accès à la vue de sa gloire. Alors, nous boirons
la Vie à sa source même, dans la Trinité, auprès du Père, par le Fils, dans
l’Esprit-Saint. » Proposition de foi des évêques de France, 1978,
Documentation Catholique n° 1073.
[465] Psaume 35, 10.
[466] Deutéronome 30, 20
[467] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question
110, article 1 objection 2.
[468] Apocalypse 12, 23.
[469] Baruch 5, 9
[470] 1 Jean I, 5.
[471] Psaume 19, 9.
[472] Saint Thomas, Somme théologique, Supplément Question
92 article 1 objection 8.
[473] Théologie Mystique, I.
[474] Saint Thomas, Somme théologique, Supplément Question
92 article 1 objection 15.
[475]… et non seulement une union affective et lointaine comme ici-bas.
[476] Concile de Vienne Constitution « Ad nostri qui » du
06/05/1312.
[477] Voir Ia IIae, Question 113, a. 3.
[478] Jean 6, 45.
[479] Jean 6, 45.
[480] Voir la question 18 qui leur est entièrement consacrée.
[481] Voir dans la Somme théologique Ia IIae, Question 4, article
4.
[482] Matthieu 5, 8.
[483] Voir dans le livre de la Sagesse au chapitre 2.
[484] Saint Thomas, Somme théologique, Ia IIae, Question 5, a. 7.
[485] Romains 4, 6.
[486] Jean 13, 7.
[487] De Caelo 12, 3 (292 a22).
[488] Matthieu 13, 52.
[489] Voir aussi dans la Somme de Théologie, humilité, IIa IIae,
Question 161, 1.
[490] Matthieu 11, 29.
[491] Matthieu 5, 3.
[492] 1 Pierre 5, 5.
[493] Concile Vatican II, les religions non-chrétiennes.
[494] Livre de la pénitence.
[495] Voir dans la Somme de Théologie, humilité, IIa IIae,
Question 161, 1.
[496] Tout au long de ce traité, il faudra
distinguer l’humilité-vérité sur soi-même et les autres, de
l’humilité-anéantissement de soi, kénose.
[497] 1 Corinthiens 1, 25.
[498] Jean 13, 15.
[499] Philippiens 2, 6.
[500] Proverbe 24, 16.
[501] Matthieu 6, 21.
[502] Hébreux 5, 8.
[503] Dernier article de cette question.
[504] Le purgatoire des âmes errantes (rarement), le purgatoire du jour
du Seigneur (la parousie du Christ), les trois purgatoires mystiques décrits
par sainte Catherine de Gênes. Tous sont marqués par une propriété commune : la
souffrance.
[505] Méditation sur la souffrance, 11 février 1984. Seul le pape
Jean-Paul II, suite aux souffrances terribles après l’attentat de 1981,
s’estima en droit d’en parler.
[506] Matthieu 21, 31.
[507] Cela ne veut pas dire qu’il faut devenir prostituée !
[508] Matthieu 19, 30.
[509] Matthieu 19, 24.
[510] Au XIXème siècle, au nom de cette théologie, certains patrons se
servaient de ce genre de propos pour justifier la mise en esclavage des
ouvriers. On voit à quel point le message évangélique porte en lui du scandale
pour la sagesse naturelle de chacun.
[511] Voir dans la Somme de Théologie, humilité, IIa IIae,
Question 114, 2.
[512] Romains 4, 23.
[513] Tel est l’intitulé de saint Thomas d’Aquin dans sa Somme
théologique pour cette question très discutée dans l’histoire de l’Église.
Sa réponse est non, l’argumentation étant appuyée sur un texte de l’épître aux
Romains 6, 23 : « La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle. » La réponse ne
fait que développer cet enseignement : Pour obtenir un bien, il faut être
proportionné à ce bien. Or le bien de la vie éternelle étant surnaturel, seule
une grâce d’ordre surnaturel peut la mériter. Ceci est valable pour toute
créature spirituelle, ange ou homme, d’une nécessité de nature. Saint Thomas
d’Aquin précise dans d’autres parties de sa Somme (Ia IIae Question 109ss) ce
qu’il entend par grâce surnaturelle : il s’agit selon lui de la grâce
sanctifiante qui surélève l’âme pour la rendre capable des actes de foi,
d’espérance et de charité.
[514] Romains. 6, 23.
[515] Nous parlons ici de la foi dans un sens précis : en tant que
connaissance intellectuelle des révélations divines et non en tant que
qu’adhésion du cœur envers le Sauveur (confiance). Nous traitons de la foi en
ce second sens, davantage lié à l’amour quoique différent de la charité, à
l’article 9. La « confiance » est présupposée à la charité » Voir dans la Somme
de Théologie Ia IIae, Question 2, article 3, 7 et 8. Foi. De l`objet de la
foi. IIa IIae. q. 1. -De la foi considérée par rapport à son acte intérieur IIa
IIae. q. 2.-Par rapport à son acte extérieur. IIa IIae. Question 5.-Par rapport
à son habitude. IIa IIae q. 5-Par rapport à ceux qui possèdent cette habitude
IIa IIae Question 5.-Par rapport à la cause de l’habitude IIa IIae Question
6-Par rapport à ses effets IIa IIae Question 7.
KUNG
(H)., La Justification. La doctrine ale Karl Barth. Réflexion catholique,
Paris, 1965 (titre original : Rechtfertigung. Die Lehre Karl Barths und eine katholische Besinnung,
Einsiedeln, 1957).
[516] Psaume XXXVI, 39.
[517] Romains 1, 20.
[518] Romains 10, 14 et 15.
[519] Hébreux 11, 6.
[520] Marc 14, 16.
[521] Ecclésiastique 3, 25.
[522] Psaume 98, 3b.
[523] Hébreux 11, 6.
[524] Voir « La foi Catholique », G. Dumeige, pages 9 et 10 ; Il est
aisé de deviner où peut conduire une interprétation rigide d’un tel texte qui
fait pourtant partie du Magistère de l’Église par reconnaissance unanime des
Pères. Faut-il admettre la damnation de tous les incroyants et de tous les
mal-croyants ? Avant de se pencher sur ce problème, il convient de montrer
pourquoi une telle foi explicite est, de fait, nécessaire au salut.
[525] « Je suis le chemin, la vérité, la vie », Jean 14, 6.
[526] 1 Pierre 3, 19.
[527] Le péché contre l’Esprit Saint : le refus de croire malgré
l’évidence.
[528] Bibliographie pour cet article : Somme de Théologie,
Crainte. De la crainte considérée en elle-même : Ia IIae Question 41. L’objet
de la crainte : Ia IIae Question 42 De sa cause : Ia IIae Question 45 ; De
ses effets. Ia IIae Question 44 ; Du don de crainte qui répond a l’espérance.
IIa IIae Question 19 ; Du vice de la crainte IIa IIae L’espérance : De
l’espérance considérée en elle-même : IIa IIae Question 17 ; Du sujet de
l’espérance : IIa IIae Question 18 ; De l’espérance et du désespoir considérés
comme des passions de l’irascible : Ia IIae Question 40 ; Toutes les formes de
l’espérance chrétienne sont longuement étudiées et non seulement comme ici,
l’espérance théologale informe.
BALTHASAR
H. U. La dramatique divine 4, le dénouement, Culture et Vérité 1993, p.
122-159.
[529] 1 Corinthiens 2, 9.
[530] Le caractère proprement théologal de l’espérance apparaît
pleinement à la considération de sa dimension subjective. On doit parler de la
folie de l’espérance, au sens où Paul parle de la folie du message (cf. I
Corinthiens I, 22). Car espérer, au sens chrétien, c’est attendre Dieu de Dieu.
Celui qui espère, espère pour soi la béatitude parce qu’il s’appuie sur l’aide
de Dieu. Car ce qui permet la folle audace de l’espérance : compter participer
à la fruition de Dieu lui-même, c’est la certitude de l’appui de Dieu
Tout-Puissant. Georges COTTIER, o. p. Communio, ni. 9, 4, juillet-août 198, page 4 : « J’attends la
résurrection des morts et la vie du monde à venir.
[531] Hébreux 6, 19 ;
[532] Voir dans ce traité la Question 8.
[533] Voir la question 11 a. 5 du présent traité.
[534] Voir à cet égard le livre très important de Hans Urs von Balthasar
: « L’amour seul est digne de foi », Aubier-Montaigne 1966, en particulier le
chap. 7 : l’amour comme justification. Tout l’esprit de notre propre étude se
trouve résumé dans ce livre.
Bibliographie
: relire à ce sujet l’entretien avec Nicodème N. R. T, 195fi n°4, p. 13ss.
Voir
dans la Somme de Théologie :
Charité.
IIa IIae Question 25 à 51.
Grâce.
Ia IIae Question 109 ss.
La
justification. Ia IIae Question 114-115.
Dans
la revue Communio :
JUSTIFICATION.
Articles : André Manaranche « Justification divine et justice politique » (III
2 p 13-30). Carlo Cattarra, Distinguer pour justifier). (VI 2 p. 26-34) ; Georges
Chantereine : La femme privée do l’Esprit : un aspect de la pensée de Luther
(VII 4 p. 45-46). Passages : 1, 5, p. 19 ; 1, 6, p. 20 ; 3, 2 p. 29 ; 3, 3 p.
43, 44-46 ; 3, 4 p. 13 ; 5, 3 p. 27 ; 9, 2 p. 105-108 ; 10, 2 p. 23-24.
[535] Exode 3, 8 ;
[536] Jean 14, 23.
[537] Jean 14, 23.
[538] 1 Pierre 3, 19.
[539] Matthieu 10, 35.
[540] Luc 9, 24.
[541] Philémon I, 21.
[542] Balthasar écrit : « Nous oublions trop facilement qu’une Personne
divine, même dans son incarnation et les vicissitudes de son humanité, est pure
relation, et que la béatitude de Dieu consiste à être don de soi » (La
dramatique divine 4, le dénouement, Culture et Vérité 1994, p. 233). Nous
rappelant cela, nous comprenons pourquoi une charité parfaite est requise pour
Voir Dieu.
[543] Voir, dans ce traité, les questions sur le purgatoire.
[544] Marc 15, 16.
[545] Jean 7, 51.
[546] Luc 22, 43.
[547] Voir l’article de Charles Journet « Hors l’Église, pas de salut »
Nova et Vetera, 1949/1, p. 63. On y trouvera une bibliographie
Voir
aussi « Lettre du Saint Office à Mgr Cushing, Archevêque de Boston, 8 août 1949
: Hors l’Église, pas de salut »
Dans
la Somme théologique, le baptême :
Du
baptême du Christ, Du sacrement de Baptême, Supplément-
Sacrements.
En quoi consistent les Sacrements, Supplément, De leur nécessité-De leur
effet principal-De leur caractère.
[548] Matthieu 14, 17.
[549] Question 4.
[550] Luc 20, 36.
[551] Matthieu 5, 45.
[552] cf. I Jean 3, 2.
[553] Cette deuxième partie a pour but d’établir le plus précisément
possible ce que nous vivrons au terme de notre pèlerinage sur la terre. La mort
(1) qui vient séparer notre âme de notre corps, nous laisse démunis et
fragiles. C’est le moment que choisit le Christ pour nous montrer sa gloire.
Nous voyons son Sacré Cœur (2), nous comprenons son amour et le pourquoi de
notre vie terrestre. Nous sommes invités alors à choisir de l’aimer en retour
et de renoncer pour toujours à toute forme d’égoïsme. Notre choix est libre et
Jésus le respectera toujours (3). Celui qui choisit, dans la logique de sa vie
passée, de rejeter son Dieu (4), s’établit lui-même (5) en enfer (6) ; Celui
qui se tourne vers son Sauveur reçoit la promesse d’entrer dans la vision
béatifique (7). S’il lui reste quelque attachement à lui-même, in s’en libèrera
par l’amour assoiffé qui règne au purgatoire(8).
(1)
question 8 ; (2) question 8 ; (3) question 10 ; (4) question 11 ; (5) question
13 (6) Question 12 (7) questions 1 et ss ; 20, 2I, 22, 23, 24. (8) questions
15, 16, 17.
[554] Jean 5, 29.
[555] Voir les questions sur la fin du monde, à la fin de ce traité.
[556] Précisons avec Balthasar « L’amour seul est digne de foi »,
Aubier-Montaigne 1966, p. 117, que si nous parlons ici du salut individuel de
chacun, il ne s’agit pas de son salut « égoïste » : il suffit de contempler
l’amour de Dieu révélé à la croix pour se rendre compte qu’il s’agirait là d’un
contre-sens. Voir à ce sujet, « communion des saints », Communio 1988, 1.
[557] Le Nouveau Testament laisse une place importante à une
eschatologie politique mais nul ne peut la comprendre qu’en discernant qu’elle
est entièrement assumée, portée, finalisée par l’eschatologie de chaque
personne. Notre plan montre que nous maintenons un passé, présent et futur
dépendant du Christ déjà venu, qui se racontent comme un gigantesque drame
centré sur l’évènement glorieux final qui révèlera à tous le sens du premier
avènement douloureux.
[558] Apocalypse 3, 12.
[559] Le mot « âme », en tant que porteur d’un aspect fondamental
de l’espérance chrétienne, est donc considéré comme faisant partie du langage
fondamental de la foi, ancré dans la prière de l’Église, et indispensable à une
vraie communion dans la réalité de cette foi. Aussi les théologiens ne
peuvent-ils pas en disposer à leur gré.
[560] Dans la Somme théologique, voir : âme. De l’âme en général.
Ia Question 87 à 90.
[561] Voir Ecclésiastique, 3, 16-22. 10, 4-10.
[562] Genèse 3, l9.
[563] Voir aussi Job 14, 1-22.
[564] Bulle « Apostolici Reginimus » de Léon X, 1513.
[565] Voir Somme théologique, Ia Question 75, a. 2.
[566] Voir notre traité, Question 9 article 4.
[567] Commentaire littéral du livre de la Genèse, Chap. 32.
[568] La vie après la vie, docteur Moody, Robert Laffont, 1977
page 35.
[569] Voir docteur Kenneth King.
[570] Voir l’étude du bouddhisme tibétain.
[571] Luc 10, 27.
[572] 2 Corinthiens 12, 1-4.
[573] La Recherche, juin 1989, n° 21, p. 800-802.
[574] Psaume 103.
[575] Genèse 3, 19.
[576] Josué 23, 14.
[577] Psaume 48, 7-15.
[578] Psaume 88, 49.
[579] Qohélet 1, 2 et 6, 6.
[580] Romains 7, 24.
[581] Romains 5, 12.
[582] Genèse 2, 17.
[583]Question 1, article 6.
[584] Question s 39, 40.
[585] Luc 17, 22.
[586] Genèse 4, 22.
[587] Luc 16, 24
[588] 2 Corinthiens 12, 7.
[589] 1 Corinthiens 15, 51.
[590] Théologie de l’au-delà, Fribourg Université, Suisse, 1980,
p. 13.
[591] Jean 11, 25.
[592] Luc 12, 39.
[593] Du même coup, le problème de la mort apparente et de la mort
réelle s’est posé.
[594] Bien que celle-ci ne puisse plus manifester l’exercice de ses
capacités spirituelles au moyen du corps. Il faut aussi distinguer le cas de
ces personnes avec d’autres dont on peut maintenir indéfiniment une apparence
de vie qui, en fait, n’est plus qu’un fonctionnement mécanique des organes
alimentés en oxygène et nourris par transfusion. Ils ne présentent plus d’unité
vitale mais une simple juxtaposition de fonctions végétatives plus ou moins
concordantes. Ce signe indique l’absence du principe vital unificateur.
[595] Voir Docteur Raymond MOODY, La vie après la vie, Paris,
1980. Voir aussi les études du Docteur Kübler-Ross sur les expériences de mort
approchée (N. D. E. Near Death Experience).
Ces
considérations peuvent nous paraître assez étranges dans une analyse
théologique, mais il n’est pas superflu d’en tirer une conclusion importante
pour notre étude : le processus qui amène à la situation irréversible de la
mort ne semble pas s’opérer instantanément. Son déroulement complexe et en
partie mystérieux semble s’étendre sur une longueur de temps considérable, même
s’il n’est plus mesurable selon nos catégories.
Si
l’on veut concevoir la mort comme la situation qui se détermine là où la vie se
retire de l’organisme humain, on devra admettre que cela se fait, normalement,
avec une certaine lenteur. Ces cas de réanimation, et peut-être un jour les cas
des hibernés réveillés, montrent que celui qui revient à la vie a parcouru
seulement une partie du tunnel qui est le processus de la mort, une partie qui
parait déjà coïncider avec la mort, mais qui n’est pas la mort, puisque l’on
peut justement en revenir. Ceci nous montre la complexité du phénomène et le
mystère qui l’entoure encore et qui ne sera pas dévoilé sur terre d’un point de
vue médical, car on ne peut pas avoir une expérience scientifique d’une situation
dont on ne revient pas.
[596] En 1966, l’Académie de Médecine a donne une nouvelle définition
des signes de la mort certaine : si le trace électro-encéphalographique est
rectiligne ce qui manifeste la disparition de tout courant électrique, dans
l’état actuel de la science, on peut affirmer au bout de 48 heures que le sujet
est mort.
[597] Nous employons l’expression « l’homme » et non « l’âme » pour
signifier que la séparation d’avec le corps n’est pas faite. C’est l’homme tout
entier-corps et âme-qui vit ces évènements.
Dans
une série d’études très remarquées et très discutées sur cette question, le
cardinal Billot a donné au passage un très bel exposé de la théologie thomiste
de l’Enfer. Prenant son point d’appui sur cette étude, Mgr Glorieux a soulevé
un autre problème. Lorsqu’un pécheur paraît obstiné, si loin de Dieu qu’il
semble comme virtuellement damné, ne doit-on pas penser qu’il y a encore pour
lui la possibilité d’accueillir certaines grâces au moment de la mort ? Du même
coup, le problème de la mort apparente et de la mort réelle s’est posé.
L’influence de la philosophie existentialiste a fait mieux comprendre comment
l’homme, qui est esprit, se construit lui-même en ce sens que les options
particulières qui jalonnent sa vie donne à celle-ci une orientation sans que
pour autant celle-ci, surtout dans le mal, soit définitive. Finalement, le
problème de l’éternité des peines a conduit à cet autre : peut-on être damné
pour un péché mortel ? La théologie du péché, la distinction entre les péchés,
la purification du péché en cette vie ou dans l’autre vie sont aujourd’hui un
problème théologique plus actuel que celui du feu de l’enfer ou de l’éternité
des peines. L’homme, image de Dieu, est paru à la découverte de son âme, et de
sa relation avec le créateur par la médiation de Jésus-Christ et de l’Église.
L’eschatologie n’est pas un domaine séparé, on ne peut en traiter sans toucher
à mille autres choses.
[598] Lettre à l’évêque de Tuscullum, 06 mars 1254 ;
[599] Luc 16, 31.
[600] Marc 16, 16.
[601] H-U von Balthasar, Théodramatik 4, ibid. 268-270. Les citations de
ce texte sont tirées du commentaire de la première lettre de saint Jean par
Adrienne von Speyr, alors que la note en bas de la page fait référence à
Mechtilde de Magdehourg. La mystique du Moyen-âge y décrit comment le Père
céleste s`approche d’une âme chargée de péchés et lui dit : « Ai-je seulement
trouvé quelque chose de bien en toi ? »
[602] Isaïe 52, 10.
[603] Matthieu 24, 14.
[604] Journal de sœur Faustine, édition J. Hovine, p. 542.
[605] Concile de Trente, Décret sur La justification, Ch. 5.
[606] Idem Chapitre 6, « LA FOI CATHOLIQUE », p. 347.
[607] Voir par exemple : la constitution Benedictus Deus de
benoît 12, FC page 511
[608] Voir ce qu’en dit saint Paul aux
Romains.
[609] Voir la lettre d’Innocent IV à l’évêque de Tusculum (6 mars 1254),
« LA FOI CATHOLIQUE » page 608. La solution de Saint Augustin qui consiste à
admettre la damnation éternelle des païens qui, sans faute de leur part,
meurent sans la grâce, des enfants morts sans baptême etc. ne peut être retenue
car, tout en tenant compte de 1 et 2, elle ne tient pas compte de 3. De même,
la solution de Luther qui prétend que la foi seule suffit pour le salut ne peut
être retenue car elle ne tient pas compte de la solution 6. Quant à la thèse de
Calvin enseigne que Dieu prédestine certains à l’enfer, elle est indigne.
[610] L’OPTION AU MOMENT DE LA MORT. Diverses
thèses concernant l’heure de la mort et l’orientation qui l’accompagne vers
l’enfer ou le paradis ont été soutenues. Lorsqu’on parlera du jugement
particulier, on reviendra sur la thèse de l’option définitive dans la mort qui
a été émise par plusieurs théologiens (Glorieux, Boros). Nous situons dans ce
tableau les différentes possibilités que présentent les thèses suivantes à la
question de l’option avant et après la mort :
|
|
AVANT
LA MORT |
HEURE
DE LA MORT C’est-à-dire
avant la séparation de l’âme et du corps |
«
DANS » LA MORT, c’est-à-dire après la séparation du corps |
CLASSIQUE |
Option
de la personne toujours imparfaite |
|
Fixation
de l’âme séparée du corps dans le péché mortel |
BOROS,
GLORIEUX |
Option
de la personne toujours imparfaite |
|
Option
de l’âme « délivrée » du corps |
VITALINI |
Option
de la personne toujours imparfaite |
|
Ratification
définitive de la personne |
NOTRE
THESE |
Option
de la personne toujours imparfaite |
Option
de la personne liée à son corps mais délivrée du foyer du péché » et face à
la gloire du Christ |
APRES Fixation
de l’âme séparée du corps de manière volontaire et libre |
LA THESE CLASSIQUE
Elle
affirme que l’homme peut opter et toujours changer d’orientation pendant sa vie
terrestre car ses choix restent toujours imparfaits, vue son inaptitude à
saisir la plénitude du bien. Lorsque par la mort l’âme se sépare du corps,
celle-ci reste fixée dans le dernier choix accompli pendant la vie terrestre et
ne peut plus s’en séparer.
Difficultés
de cette thèse : La doctrine classique peut nous
laisser déconcertés lorsqu’elle affirme que l’âme est fixée dans le dernier
choix accompli par l’homme pendant sa vie. Ce choix entraîne en effet des conséquences
éternelles ; il devrait donc être parfaitement lucide, ce qui n’est pas le cas
sur terre. L’âme subirait donc un choix qu’elle n’aurait pas pleinement voulu ?
Cette thèse s’oppose aussi à la foi qui dit que le salut est explicitement
proposé à tout homme durant sa vie.
LA
THESE DE BOROS
Elle tâche donc d’éliminer cette contradiction en
affirmant que le choix de l’homme, pour entraîner des conséquences éternelles,
doit être parfaitement lucide, comme celui de l’ange.
On
cite saint Jean Damascène : « La mort est tour les hommes ce que la chute est
pour les anges » (De Fide orthodoxa, 2, 4). Selon Boros, c’est seulement dans
la mort que l’âme humaine, délivrée de tout attachement secondaire et de toute
distraction, peut accomplir l’option plénière pour ou contre l’Être et la
Vérité. Cette thèse a été critiquée dans ce sens qu’elle réduirait l’importance
des options terrestres pour privilégier une option dans la mort, dont
l’Ecriture ne parle pas.
Difficultés
de cette thèse : Négation de l’utilité de la vie
terrestre, du corps ; Contradiction avec la foi qui enseigne que le choix est
définitif avant la mort.
THESE
DE VITALINI
Elle veut à la fois tenir compte de la contradiction
qui apparaît dans la thèse classique (choix imparfait pour une fixation éternelle)
et des critiques contre la thèse plus moderne (minimisation des choix
terrestres) pour soutenir que la personne humaine, c’est-à-dire son moi
essentiel, débouchant par la mort sur l’Être qui est l’amour, ne se trouve pas
par cette rencontre paralysée, mais qu’elle est encore en mesure de ratifier
librement ses choix terrestres. Ceux-ci gardent donc tout leur sérieux et vont
orienter la personne dans cette suprême ratification qui implique l’accueil ou
le refus de l’amour.
Difficultés
de cette thèse : Contradiction avec la foi qui enseigne
que le choix est définitif avant la mort.
NOTRE
THESE
Elle
affirme que Dieu, après une phase de la vie terrestre ou le choix est imparfait
tant à cause du manque de connaissance plénière que de l’état de faiblesse de
la volonté, rend l’homme tout entier (et non seulement l’âme après la mort)
capable d’une option libre absolument par la manifestation de l’Evangile et la
libération du foyer du péché (Fomes
peccati) au moment de la mort. Dans ce moment, l’homme est encore lié à son
corps, il est donc capable de connaissance et de choix selon le mode humain lié
au sensible, la connaissance de l’Evangile étant à la fois sensible et
spirituelle dans la vision du Christ glorieux. D’autre part, l’homme opte
librement et non nécessairement dans le sens des options de sa vie terrestre.
Ceux-ci jouent le rôle d’un conditionnement de la liberté d’où le sérieux du
rôle du passé dans l’orientation de la vie éternelle.
Difficultés
de cette thèse : Aucune contradiction avec la foi mais un
grave problème philosophique : Comment un choix aussi lucide est-il possible à
l’heure de la mort, c’est-à-dire alors que le coma réduit le cerveau à
l’impuissance ?
[611] Matthieu 12. 31.
[612] Attention, il s’agit ici de la définition de l’école thomiste,
telle qu’elle était utilisée par l’Église jusqu’au Concile de Vatican II.
Actuellement, l’Église préfère appeler péché mortel le seul péché contre le
Saint Esprit. Il faut donc toujours vérifier son vocabulaire dans les
discussions.
[613] 1 Corinthiens 15, 32.
[614] Romains 7, 5.
[615]Saint Thomas, Somme théologique, IIa IIae, Question 14, 1.
[616] Benoît XII, Constitution « Benedictus Deus » (29 janvier
1336) « LA FOI CATHOLIQUE », page 511.
[617] Saint Thomas, Somme théologique, Ia IIae Question 76, 77 et
78.
[618] Jean 15, 22.
[619] Voir article suivant.
[620] Matthieu 12, 31.
[621] op. cit. Innocent IV.
[622] Voir question 11, article 4.
[623] Romains 10, 14,
[624] Dentzinger-Schönmetzer, 1002.
[625] Luc 21, 36.
[626] De telles épreuves, comme toutes les souffrances de la vie
terrestre ont pour unique finalité de disposer le cœur de l’homme à l’humilité
de sa condition et, ce faisant, de l’orienter au désir d’un salut qu’il reçoit
en la personne de Jésus Christ. Une méditation de Pascal sur l’agonie nous
manifeste cette disposition que la mort vécue dans la lumière du sacrement des
malades peut réaliser. Ces souffrances dispositrices de l’agonie n’étant plus
utiles lorsqu’il s’agit de choisir pour l’éternité, elles disparaissent
aussitôt que la mort commence son œuvre de séparation de l’âme et du corps.
« Oui, au moment de la mort, je serai seul!
Les vanités ne m’accompagneront pas, ni l’argent, ni les souvenirs qui me
seront inutiles, sauf pour me convaincre de mes péchés et me combler de
remords. J’aurai vécu seul mais je ne sentirai ma solitude que devant le
problème du posthume. J’aurai passé ma vie à interroger les livres, les
prêtres, je n’aurai rencontré que Dieu, Jésus. Voici donc la vérité, je suis
seul avec Dieu. Des lors, aujourd’hui, il n’y a que Dieu qui compte, Dieu,
c’est-à-dire ma conscience, l’opinion que j’ai de moi-même, la route de mon
devoir. II ne s’agit pas de ce que l’on pense de moi, mais de ce que Dieu
pense. » Je mourrai seul, Blaise PASCAL
[627] I Corinthiens 3, 15.
[628]Voir dans ce traité, Question 11.
[629] Cette question est d’une extrême importance face à l’imprécision
de certains traité de théologiens qui parlent abusivement de vision de face à
face avec Dieu pour des gens qui sont confrontés à une apparition de Jésus dans
son humanité. Jésus est Dieu mais on ne voit pas l’essence de Dieu face à face
quand on voit son humanité.
[630] Matthieu, 25, 41.
[631] « Le don de cette vision suppose une préparation pour laquelle
personne ne peut être contraint » Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà
; Université de Fribourg-Suisse, 1980, p. 27.
[632] « Conformément à l’Ecriture, l’Église attend la manifestation
glorieuse de notre Seigneur Jésus Christ (Dei Verbum 1, 4), considérée
cependant comme distincte et différée par rapport à la situation qui est celle
des hommes immédiatement après leur mort. » Congrégation pour la doctrine
de la foi, Lettre sur quelques questions concernant l’eschatologie, 17
mai 1979 ; En effet, à la fin du monde, le retour du Christ en gloire sera
manifesté à toute la dernière génération, d’un seul coup. (Voir Question 25).
[633] Apocalypse 22, 18.
[634] Zacharie 12, 10.
[635] Luc 21, 27.
[636] Marc 14, 62.
[637] Jean I, 14.
[638] Actes 4, 17.
[639] Apocalypse I, 12-17.
[640] « Pour condamner purement et simplement, il faudrait que le Juge
divin ne rencontre pas le moindre élément positif capable de relativiser le
refus du pécheur. Ce serait, dans le « conditionnel » johannique (« si
quelqu’un ne demeure pas en moi »), le côté négatif réalisé de manière
radicale. Une simple remise extrinsèque du péché, sans effet intérieur sur le
coupable, ne suffirait pas pour une absolution. Pareil acquittement ne pourrait
le béatifier intérieurement ; ce serait pour lui une contradiction
insurmontable, une humiliation permanente, et même une incitation à la révolte
contre une contrainte extérieure ; « Le pardon, pour être total, n’est pas
seulement à offrir, il doit se recevoir » (E. saint Lewis) Voilà ce qu’il est
permis de dire avec assurance si l’on maintient comme vérité chrétienne que
celui qui nous juge est le même qui est venu non pour juger, mais pour sauver
(Jn 12, 47). Aussi cherchera-t-il tous les détours possibles pour ramener à lui
un homme égaré dont il a porté la faute ; et s’il n’y arrive pas, son dernier
geste ne sera quand même pas le rejet (qu’on se rappelle les protestations de
Nédoncelle, Martelet, Ratzinger rapportées ci-dessus). II ne pourra agir que
passivement en abandonnant le coupable à sa volonté aveuglée. Une fois de plus,
dans cette éventualité, vient à l’esprit l’idée de tragédie, non seulement pour
l’homme mais pour Dieu lui-même.
Serait-il
possible de s’avancer encore plus loin ? Non pas en posant des principes, mais,
au meilleur cas, en formulant des hypothèses ? On le peut, car la question de
l’enfer, replacée dans la perspective de « l’auto-jugement », n’est envisageable
sérieusement que comme question personnelle et existentielle. » Garder une
conception naïve de la double issue de l’histoire de l’humanité, tout autant
que s’ériger en contradicteur absolu de cette représentation, exposent au
danger de penser l’eschatologie à partir du spectateur externe et non pas selon
l’angle de vue de l’individu concerné... L’appréciation de l’endurcissement
effectif d’un homme, sa résistance au Christ n’entre pas, en dépit de tous les
signes extérieurs contraires, dans nos attributions, elle dépasse notre
compétence
.
BALTHASAR H. U, La dramatique divine 4, « le dénouement », Culture et
Vérité Namur, 1993, p. 272-273 ;
[641] Revoir à ce sujet la question 7, article 7.
[642] Voir question 7, article 10 ; Voir Balthasar « L’amour seul est
digne de foi », Aubier 1966, chap. 6 « l’amour comme révélation dans le
Christ »
[643] « Je suis le maître
et le Seigneur, dit Jésus à Pierre (Jean 13, 15). Si donc je vous ai lavé les
pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds
les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous
fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous. » Ce jour-là, au grand
scandale de Pierre, Jésus révéla aux hommes l’autre mystère scandaleux du cœur
de Dieu, outre son amour infini, son humilité. « Lui, de condition divine,
ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit
lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes.
S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la
mort, et à la mort sur une croix! » Philippiens 2, 6.
[644] Voir à cet égard dans la Somme de Théologie : « Intellect.
De la manière dont notre intellect comprend les choses corporelles » Ia. q. 89.
[645] Article 2.
[646] Matthieu 24, 37 à 41.
[647] Matthieu 24, 34-35.
[648] SAINT THOMAS D’AQUIN, De Veritate, 14, 11, article 1.
[649] Mgr d’Hulst, Lettres de direction, 1906, p. 40-41.
[650] Voir aussi, Ibidem p. 51-52
[651] « Jérôme In Joelem, c. II ; p. L. p. 965 B. La formule est très
remarquable pour cette époque.
[652] Commençons par un simple constat : le
nombre des chrétiens vivant actuellement sur terre est incomparablement plus
faible que le nombre de ceux qui, dans le Christ, ont quitté cette vie. Si être
un membre vivant de l’Église consiste à appartenir au Christ, la mort, qui
n’est certes pas la fin de la communauté dans le Christ, ne peut pas non plus
briser la communauté de l’Église. D’ou il suit que la partie de loin la plus
grande de l’Église vit par-delà le seuil de la mort terrestre. Ce fait
incontestable est-il aussi une évidence pour la conscience ecclésiale
d’aujourd’hui ?
SCHONBORN,
(C) op : L’état de pèlerin, de purification et de gloire (La communion des
saints selon Vatican II) Communio n° XIII 1 ; janvier-février 1988, p. 7 ;
[653] I Théssaloniciens 3, 13.
[654] Lumen Gentium 49
[655] I Corinthiens 12, 12-27
[656] 2 Corinthiens 5, 8.
[657] cf I Timothée II, 5.
[658] cf. Colossiens I, 24.
[659] « Tout homme qui porte son regard sur la norme absolue, sur le
Fils de l’Homme transpercé qui est présent en vérité à l’état caché dans tous
ses frères, sur « l’agneau égorgé « , « sans défaut et sans tâche », «
prédestiné avant la fondation du monde » (1 Pierre I, 19-20, Apocalypse 13, 8),
sera tellement accablé par la grandeur de l’Unique et par sa propre bassesse
méprisable qu’il n’aura aucunement le temps de réfléchir à la situation
d’autres hommes. Le simple aspect de cette nonne lui dit qu’il n’y correspond
et ne subsiste en aucune manière, et qu’il reste définitivement au-dessous du
seuil de ce qui est exigé. » BALTHASAR H. U, Jugement, Communio, 1980, n°3, p.
27.
[660] « En ce qui concerne les objections de type protestant contre le
culte des saints et le commerce avec eux, il faut d’abord dire que l’amputation
chirurgicale d’une partie aussi essentielle de l’organisme spirituellement
vivant de l’humanité chrétienne signifie une mutilation et une atrophie tout à
fait déplorables de cet organisme. Mais c’est aussi le plus parfait malentendu
que de comprendre le culte des saints comme une sorte de déviation du rapport
immédiat à Dieu. En effet de même que l’amour du prochain n’est pas une
déviation de l’amour de Dieu, de même le culte des saints qui sont bien nos
prochains n’est pas non plus une déviation. C’est à cela que l’on croit lorsque
l’on fait appel à l’amour du prochain d’un homme défunt. Car les saints ne sont
pas des dieux mais des hommes d’un grand amour plus fort que la mort et qui
leur donne donc le pouvoir d’agir ici même de là-bas. » Lazarus, komm heraus, quatre écrits de Valentin TOMBERG, avec une
introduction de Robert Spaemann, Bâle, 1985, p. 65 s. Voir aussi « La Vierge
Marie dans la communion des saints », G. CHANTEREINE, Communio 1989/t, p. 28.
[661] On pourrait introduire ici une foule de témoignages patristiques,
théologiques, liturgiques et hagiographiques. Qu’on se rappelle seulement les
promesses d’un saint Dominique, disant qu’il serait plus utile à ses frères au
Ciel que sur la terre ou bien d’une sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : « Je
passerai mon Ciel à faire du bien sur la terre. » Saint Cyprien peut être
cité comme représentant d’une « nuée de témoins » : « Nous considérons le
paradis comme notre patrie (…) : Pourquoi alors ne pas nous hâter de courir
Voir notre patrie (…) ? Un grand nombre d’êtres chers nous attend là-bas une
foule imposante de parents de frères et sœurs d’enfants se languit de nous, et
déjà délivrée du souci de son propre rachat ne se préoccupe plus que de notre
salut. Nous hâter sous leurs yeux et nous jeter dans leurs bras quelle grande
joie pour eux et pour nous à la fois! » (De Mort. 26. PL 4, 601).
[662] Voir Question 9, a. 8.
[663] Voir à ce sujet RIVIERE J. « Le rôle du démon au jugement
particulier chez les Pères » Rev SR, t. 4, 1924, p. 43-64 ; DICTIONNAIRE DE
THÉOLOGIE CATHOLIQUE, t. 8, col. 1788-1789 et 1803 ; Nous ne parlons
pas ici du jugement particulier mais l’analogie est à remarquer.
[664] I Jean, II, 13.
[665] Derniers entretiens, 18 août, éditions du Cerf, Paris.
[666] Apocalypse 12, 13.
[667] Apocalypse 12, 9.
[668] Apocalypse 12, 10.
[669] Voir la révélation de Jésus à sainte FAUSTINA KOWALSKA : « Je
promets que l’âme qui vénérera ma miséricorde ne périra pas. Je lui promets
également la victoire sur ses ennemis, particulièrement à l’heure de sa mort.
Je la défendrai moi-même comme ma gloire. » (22 février 1932).
[670] Marc 13, 11
[671] 1 Corinthiens 15, 26.
[672] Vatican II, Lumen Gentium 49.
[673] Ephésiens 4, 16
[674] Par exemple à Pontmain où les enfants, tout en voyant la Vierge
leur apparaître dans le Ciel, ne perdaient pas contact avec les personnes qui
les entouraient.
[675] SCHONBORN (C) op. : « L’état de pèlerin de purification et de
gloire » (La communion des saints selon Vatican II), Communio, n° 13, 1,
janvier-février 1988.
[676] I Corinthiens 13, 11.
[677] Job 4, 18.
[678] « C’est donc l’homme finalement qui se juge lui-même : le Christ
ne prononce aucune condamnation, seul l’homme peut mettre une limite au salut.
Il faut enfin nous rappeler que le Christ n’est pas là tout seul : tout le sens
de sa vie terrestre a été de se construire un corps, de se créer sa « plénitude
« Son corps, c’est lui. C’est pourquoi la rencontre avec le Christ s’opère dans
la rencontre avec les siens, dans la rencontre avec son corps. » RATZINGER J, La
mort et l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 214.
[679] 2 Corinthiens 5, 10.
[680] Quel avenir pour le monde ? Lettre pastorale du cardinal
Gouyon à l’occasion de la Toussaint D. C n° 1706, octobre 1996.
[681] Martelet, op. cité, p. 4I.
[682] Matthieu 24, 27.
[683] Matthieu 12, 32.
[684] Question 11. Pour illustrer la possibilité de cette conversion au
moment de la mort, nous pouvons citer ce texte saisissant de la mystique
allemande Adrienne von Speyr. Dans une vision prophétique, elle voit des âmes
hésitantes, entre conversion et damnation. Elle décrit par mode symbolique
l’état de leur choix ; Communio, n°VII, 1 – Janvier-février 1981 « L’expérience
du samedi saint »
[685] Cet État d’opposition lucide, même s’il peut paraître rare, reste
en tout cas possible et se prolonge, par un choix définitif et libre, après la
mort : Comme l’affirme Boros : « Quiconque, au jour le jour, toute une vie
durant, fait l’expérience de sa vanité, peut se dire qu’il pourrait bien
aboutir à l’enfer. J’aboutirai la quand je suffoquerai de ma médiocrité
personnelle, quand je me serai totalement identifié à mon néant essentiel.
C’est alors que je serai perdu. » BOROS, L. : De l’esprit propre à inspirer
une nouvelle définition des fins dernières, en Concilium, 32, 1968, 67-76, 75.
[686] Jean 7, 39.
[687] Job 10, 21.
[688] Question 17, article 5.
[689] Voir 2 Macchabées 12, 46.
[690] Luc 16, 23.
[691] L’Anubis des Egyptiens antiques, le messager de la mort des
bouddhistes. On pourrait citer dans toute l’ancienne religion le nom du
messager chargé d’accueillir les morts dans l’au-delà.
[692] Voir notre traité, Question 18, article 5.
[693] 2 Corinthiens 5, 21.
[694] 2 Corinthiens 5, 21.
[695] Jean 13, 18.
[696] Rappel de la polémique moderne sur la notion d’âme :
L’idée
que parler de l’âme n’est pas conforme à la Bible s’est imposée à tel point que
le nouveau Missale romanum de 1970
lui-même bannit de la liturgie des morts le mot « anima », qui a également
disparu du rituel des funérailles.
Qu’est-ce
qui a bien pu ruiner aussi rapidement une tradition aussi solidement implantée
depuis l’époque de l’Église primitive et toujours tenue pour capitale ?
L’apparente évidence des textes bibliques, à elle seule, n’y aurait
certainement pas suffi. La force d’impact des nouvelles réflexions vint
sûrement, pour une bonne part, de ce que la conception dite biblique d’une absolue
indivisibilité de l’homme rejoignait l’anthropologie moderne, de caractère
scientifique, qui situe l’homme tout entier dans son corps et ne peut rien
savoir d’une âme qui pourrait en être séparée.
Fort
heureusement, le Magistère de l’Église n’a pas manqué de rappeler l’absolue
valeur du concept d’âme séparée, survivant après la mort. Le Cardinal Ratzinger
écrit par exemple : « En ce qui concerne l’état intermédiaire entre la mort
et la résurrection, de qui est important, c’est que l’Église maintienne fermement
la continuité et l’existence autonome de l’élément spirituel dans l’homme,
après sa mort, élément doué de conscience et de volonté, de telle sorte que le
« moi » de l’homme continue à exister. Pour désigner cet élément, l’Église se
sert du terme « âme. » Les rédacteurs du texte romain savent bien que ce mot «
âme » se rencontre dans la Bible avec des sens multiples, mais ils constatent
qu’ « il n’y a pas de raison sérieuse de rejeter ce terme et y voient même
l’outil linguistique nécessaire au maintient de la foi de l’Église » Cardinal
Ratzinger, Communio, mai 1980, p. 5.
« La notion de l’âme telle que l’ont utilisée
la liturgie et la théologie jusqu’à Vatican II n’a pas plus à Voir avec
l’Antiquité que l’idée de résurrection. C’est une notion strictement chrétienne
; elle n’a donc pu être formulée que sur la base de la foi chrétienne dont elle
exprime, en anthropologie, la conception de Dieu, du monde et de l’homme. C’est
pourquoi le concile de Vienne en sa troisième session, le 6 mai 1312, a dû défendre
à juste titre cette définition de l’âme considérée comme une notion adéquate à
la foi : « De plus nous réprouvons [...] comme erronée [...] toute doctrine qui
met en doute inconsidérément que la substance de l’âme raisonnable [...] soit
en vérité et par elle-même la forme du corps humaine » ! La bulle Benedictus
Deus (DS 109) citée plus haut, suppose cette explication anthropologique dans
sa doctrine de la vision définitive de Dieu. » RATZINGER J, La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 156.
[697] Commentaire de Qohelet, chap. 19.
[698] Métaphysique, chap. 3 n° 5.
[699] De anima, chap. 2.
[700] De l’esprit et de l’âme, Chap. 15.
[701] Commentaire du livre de Qohelet, Chap. 16.
[702] Pour les anciens Egyptiens, la survie du Bâ
(esprit) et du Kha (corps double psychique) est dépendante de la survie de la
momie du corps physique.
[703] De anima, Chap. 4.
[704] De anima, chap. 4.
[705] De l’esprit et de l’âme, Chap. 15.
[706] Commentaire de la Genèse, Chap. 24.
[707] 1 Romains 16, 7.
[708] Voir la question précédente, article 8 ou la parousie du corps
glorieux du Christ est décrite.
[709] Question 2, article 1.
[710] Marc 12, 25.
[711] Job 14, 21.
[712] Question 8, a. 2.
[713] I Samuel 28, 27.
[714] Luc 20, 36.
[715] Tobie 12, 19.
[716] Luc 16, 26 ; Ce texte de saint Luc s’applique en fait à décrire la
distance qu’il existe entre deux demeures de l’au-delà. On peut
cependant en étendre la portée jusqu’à la terre où le riche aurait bien aimé se
rendre pour alerter ses frères.
[717] Question s diverses, Livre II, chapitre 3.
[718] Lévitique 20, 6.
[719] Du point de vue œcuménique, l’expression peut susciter quelques
difficultés car le jugement dont parle l’Ecriture est unique, à la fin du
monde. Il serait donc souhaitable de trouver un terme nouveau pour spécifier
cette autre réalité qu’est le jugement particulier. Mais en vérité, les deux
jugements ne font qu’un ou mieux encore, le second n’est que la somme et la
manifestation de tous les jugements particuliers. Ceux-ci gardent par
conséquent une importance capitale dans l’étude de l’eschatologie, parce que
c’est l’homme qui se juge lui-même dans la rencontre qu’il fait avec l’Être
transcendant. Deux questions surgissent à ce propos. Quand a lieu le jugement
particulier ? Comment ce jugement est-il rendu ?
[720] BALTHASAR H. U, La dramatique divine, 4, le dénouement,
Culture et Vérité, Namur 1993, p. 174-182 ;
Dans
la Somme de Théologie voir : Jugement. Du jugement considéré comme
l’acte de la justice humaine. Ia IIae, q. 60 ;-Du jugement général ; en quel
temps et en quel lieu il se fera ; sup. q. 88.-De la forme du juge qui doit
venir pour le jugement. sup. q. 90.
[721] Enchiridion 109, « Abditis receptaculis »
[722] 2 Corinthiens 5, 1.
[723] Les païens eux-mêmes crurent souvent, poussés par la nécessité
d’une justice, au jugement individuel après la mort. Voir, par exemple, La
religion de l’Egypte antique ; Platon, Gorgias, 522 c-527 e, Traduction
d’Alfred Croiset, Les Belles lettres, Paris, 1923. Chez les Pères de l’Église,
cette vérité est universellement enseignée. Voir saint Augustin, Sur le psaume
37, n°3 ; p. L, 36, 394. Newman montre l’urgence de se préparer en veillant et
priant à ce jugement. (Parochial and Plain Sermons, n°22, Paris, Lethielleux,
1906, p. 133-152)
[724] Actes 17.
[725] Ainsi, des trois cités dont parle Charles Journet sur la terre, il
ne reste plus dans l’autre monde que les deux cités de saint Augustin. Charles
JOURNET. Les trois cités : celle de Dieu, celle de l’homme, celle du diable :
La pensée de saint Augustin-La définition des trois cités-Les sens du mot «
monde », Nova et Vetera, 1958, 1, p. 25.
[726] I Pierre 3, 19.
[727] Genèse 42, 38.
[728] Isaïe 53, 5.
[729] 2 Macchabées 12, 45.
[730] Luc 16.
[731] Le fait que toutes les âmes passent au jugement pourrait amener à
identifier totalement jugement particulier et Jugement général. Nous montrerons
qu’il existe à la fois une différence et un lien intime (Question 52). Citons
Balthasar : « De l’ensemble du donné biblique, on retiendra comme le plus
important le fait suivant : l’unique jugement, sur tous et sur chacun, ne peut
s’instaurer « qu’à la fin. » Telle est, après des déclarations primitivement
vagues sur le moment du « Jour du Seigneur », la manière de parler, déjà au
tournant de l’Ancien Testament, et expressément dans le Nouveau. Mais s’agit-il
de la fin de l’individu ou de la fin de l’histoire ? Cette question n’est pas examinée
; ce qui compte davantage et reste tout à fait essentiel, c’est que le contenu
du jugement sur chaque individu (le juge ment appelé particulier ou mieux
personnel) s’inscrit dans l’acte du jugement général.
BALTHASAR
H. U, La dramatique divine 4, le dénouement, Culture et Vérité, p. 349.
[732] Jean 5, 24.
[733] Jean 3, 18.
[734] Op. Cit. Constitution Benedictus Deus.
[735] Breviloquium n°7, le jugement dernier chapitre 1.
[736] Luc 6, 37.
[737] Apocalypse 2, 23.
[738] Matthieu 25, 21.
[739] Hébreux 4, 12.
[740] Hans-Urs von BALTHASAR, Traduit de l’allemand par Robert Givord
titre original : « Die gottlichen Gechichte in der Apocalypse » Communio, n° X,
I-janvier-février 1985 / p. 13-14 : « On ne doit pas, concernant les pécheurs,
perdre l’espoir, comme de nombreux passages de Paul et de Jean l’autorisent et
même le recommandent. Ce n’est pas pour les Puissances du Mal que le Christ est
mort mais bien pour tous les hommes. Mais il n’appartient à personne de bâtir
des théories quant aux décisions que prendra le Souverain Juge à l’égard des
vivants et des morts, de tous et de chacun en particulier. Lorsque le Ciel et
la terre (auront disparu), l’Agneau ouvrira les livres tandis que « tous les
morts, grands et petits, se tiendront debout devant le trône et qu’ils seront
jugés, chacun selon ses œuvres » (20, 13).
[741] Le jugement « Tout comme le retour du Christ, le jugement échappe
à nos efforts d’imagination. L’essentiel de ce que veut dire ce mot apparaît au
mieux quand nous nous demandons qui est sujet du jugement selon la tradition
biblique. Au premier regard, la réponse semble incohérente. C’est Dieu d’abord
qui est qualifié de juge (2 Théssaloniciens 1, 5 ; 1 Corinthiens 5, 13 ;
Romains 2, 3 sq. ; 3, 6 ; 14, 10 ; cf. aussi Matthieu 10, 28 et par ; Matthieu
6, 4-6-15-18) ; puis vient le Christ (Matthieu 25, 31-46 ; 7, 22 sq. ; 13,
36-43 ; Luc 13, 25-27 ; 1 Théssaloniciens 4, 6 ; 1 Corinthiens4, 4 sq. ; 11, 32
; 2 Corinthiens 5, 10) ; enfin, en Matthieu 19, 28, il est dit aux Douze que
lorsque le monde sera « restauré », ce sont eux qui siégeront sur douze trônes
et jugeront les douze tribus d’Israël. Cette formule est encore étendue en 1
Corinthiens 6, 2 sq. : « Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde
? [1 Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? A plus forte raison, les
affaires de cette vie! « (Voir en outre Daniel 7, 22 ; Sg 3, 8 ; Apocalypse
3, 21). Chez Jean, enfin, le jugement est ramené au présent de cette vie, de
notre histoire présente ; la décision intervient dès maintenant entre foi et
incroyance (3, 17 sq. ; 9, 39 ; 12, 47 sq.). Certes, le jugement final n’est
pas pour autant supprimé, mais un nouveau rapport s’établit entre jugement et
christologie. Du Christ, il est dit que « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans
le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (3,
17). « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver «
(12, 47). « Qui me méprise et n’accepte pas mes paroles a son juge ; la
parole que j’ai dite le jugera au dernier jour « (12, 48). La distinction
faite entre l’action personnelle du Christ et l’effet de sa parole autorise ici
une ultime purification de la christologie et de la notion de Dieu. Le Christ
ne condamne personne ; il est, lui, pur salut, et celui qui se tient à son côté
se trouve dans le lieu du salut. La damnation ne dépend pas du Christ ; mais
elle est le fait de l’homme resté loin de lui ; elle consiste en ce que l’homme
s’isole en lui-même. La parole du Christ, en tant qu’offre de salut, devient
alors manifeste : l’homme qui va à sa perte a lui-même tracé la ligne de
séparation et s’est retranché du salut.
Par-delà
la diversité apparente des représentations, un examen patient reconnaît très
bien l’unité de l’idée fondamentale. En mourant, l’homme s’en va vers la
réalité et la vérité sans voile. Il prend dès lors la place qui lui revient
selon la vérité. RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard
1994, p. 212
[742] Jean 12, 47 ;
[743] « Dieu en Jésus ne juge pas, mais c’est l’homme qui se juge
lui-même quand il refuse le pur salut apparu en Jésus et ne devient pas
clairvoyant par sa lumière, mais prétend être capable de Voir et de juger
d’après sa propre lumière. Un tel jugement de soi-même n’était déjà pas inconnu
à l’Ancienne Alliance et s’y manifestait : la justice immanente prenait soin que
dans la mauvaise action se trouve déjà sa propre punition. Là où le coupable
pensait tenir son méfait en son pouvoir, c’est le méfait qui entraîne le
malfaiteur dans le domaine de son pouvoir. Paul dit brièvement « Ce que
l’homme sème, il le récoltera » (Galates 6, 7).
Hans-Urs
von BALTHASAR jugement, Communio, 1980, n°3 p. 29 (traduit de l’allemand par
Jacques Keller).
[744] On peut donc affirmer que l’enfer n’est pas une création de Dieu.
C’est l’homme qui se châtie lui-même et ainsi c’est lui qui se fait l’enfer,
cette anti-création qui vient du non-amour.
cf. RUIZ DE LA PENA, J. L. La otra dimensión, escatología
cristiana, o. c. 280.
BALTHASAR
H. U, La dramatique divine 4, « le dénouement », Culture et Vérité,
Namur, 1993, p. 265ss.
[745] Hans-Urs von BALTHASAR : communio, n° x, I-janvier-février 1985.
On
pourrait (en jetant un premier coup d’œil pour scruter le sens de l’Apocalypse)
en donner l’interprétation suivante : celui qui me rejette (moi qui suis le
Verbe mais qui ne veux pas juger) refuse d’être jugé par moi, le Sauveur ; il
se juge lui-même. Jésus, le Sauveur Verbe de Dieu, est un glaive à deux
tranchants) (cf. Apocalypse 1, 16) qui dans l’homme met « tout à nu et à
découvert « (Hébreux V 4, 12 s) et qui de cette façon dévoile si quelqu’un veut
ou ne veut pas être sauvé, autrement dit : s’il veut épouser ou non les vues de
Celui qui sauve et pardonne. De cette manière nous avons une clé non seulement
pour l’ensemble de l’Apocalypse mais pour le Nouveau Testament dans sa
totalité.
[746] Sir. 7, 6.
[747] Jean 5, 22.
[748] Jean 5, 22.
[749] Saint Bonaventure : Breviloquium, livre 7, 1.
[750] Voir Question 51.
[751] Les textes de l’Ecriture annonçant « le jour du Seigneur »,
c’est-à-dire le jugement général de l’humanité, celui qui aura lieu à la fin du
monde, sont applicables au jugement particulier de l’individu dont nous
traitons à présent. Pour approfondir le sujet, on peut donc se reporter aux
articles consacrés à la forme sous laquelle le juge viendra (questions 50 et
51). Pour les objections 2 et 3, Voir supplément, quest. 90, art. 1.
[752] Cet article est repris dans le « Contre gentiles », saint Thomas
d’Aquin, Livre 4, chap. 91 (respondeo et objections 1 à 4).
[753] Justin, Dialogue avec Tryphon, LXXX, 3-5 éd. Archambault, t. II, p. 32-34.
[754] AMBROISE, saint : De bono mortis, 10, 47.
[755] pape Jean XXII.
[756] Justin, Dialogue, V. 3. XLV,
4, Ed. Archambault t. I p. 30 et t. II p. 202.
[757] Job 36, 2.
[758] Luc 16, 22.
[759] Luc 23, 43.
[760] Apocalypse 2, 7.
[761] Un texte de l’Apocalypse déjà signalé semblait prouver qu’en
attendant la résurrection, les âmes dépouillées du corps et promises à la
béatitude étaient gardées « sous l’autel », avec le Christ. Or, au début du
XIVe siècle, en Avignon, prêchant un jour de Toussaint, le pape Jean XXII se
mit à développer la thèse bernardine. Vigoureusement, il expliqua qu’en
attendant la résurrection, les âmes des justes n’étaient pas encore au terme,
mais « sous l’autel », au-dessous de l’humanité du Christ, attendant le retour
du Sauveur pour entrer avec lui dans la gloire définitive. En 1331, cette thèse
était certainement un anachronisme ; elle était même en recul sur la théologie
admise par le cardinal Jacques Duèse avant son élévation au Pontificat. D’autre
part, le Pape avait des ennemis, princes temporels ou religieux (spirituels)
condamnés précédemment. On n’attendait qu’un faux pas pour s’en prendre à sa
doctrine. Le sermon de la Toussaint fit scandale. Mais le Pape s’obstina sans
engager d’ailleurs son magistère comme tel. Après s’être réclamé de saint
Bernard, il cita des textes d’Augustin encore plus anachroniques. L’université
de Paris intervint alors, les princes s’en mêlèrent et finalement, Jean XXII
dut céder. A son lit de mort, dans une déclaration qui honore ce vieillard
nonagénaire, il fit lire une profession de foi affirmant que les âmes
purifiées, séparées de leur corps, sont au Ciel dans le royaume des cieux, dans
le paradis, qu’elles sont réunies au Christ dans la société des anges et qu’en
vertu d’une commune loi elles voient Dieu et la divine essence, face à face et
clairement, autant que s’y prêtent l’état et la condition d’une âme séparée.
Comprenant
la gravité du problème et désirant mettre un terme à une agitation qui n’avait
pas uniquement pour cause des motifs théologiques, le successeur de Jean XXII,
Benoît XII, ex-cardinal Fournier, étudia personnellement la question ; il la
fit discuter par des théologiens compétents et enfin, le 29 janvier 1336,
promulgua la célèbre constitution qui porte son nom. Cette définition, dont on
trouvera le texte plus loin, tranchait une question fondamentale, mais laissait
encore en suspens d’autres problèmes. Désormais pour être catholique, il
faudrait tenir ce qui suit :
1° Depuis la mort et l’Ascension de
Jésus-Christ Notre Seigneur, les âmes des justes n’attendent pas la
résurrection et le jugement général pour Voir Dieu face à face.
2° Cette vision de Dieu constitue pour elles
la béatitude, la vie et le repos éternels.
3° II n’y a donc plus lieu pour elles de
faire des actes de foi et d’espérance.
4° Cette vision ne disparaîtra pas à la fin
des temps pour faire place à une vision supérieure.
5° Quant aux damnés, ils vont en enfer sans
attendre le jugement dernier et ils subissent Les tourments de l’enfer
proprement dit.
[762] Job 7, 1.
[763] Lévitique 19, 13.
[764] Joël 4, 4.
[765] Sagesse, 7, 25.
[766] Matthieu 5, 12.
[767] Genèse 2, 8.
[768] 2 Corinthiens 4, 17.
[769] 2 Corinthiens 5, 1.
[770] Romains 8, 24.
[771] Romains 7, 24.
[772] « Mon Dieu, parmi tous les mystères auxquels nous devons croire,
il n’en est sans doute pas un seul qui heurte davantage nos vues humaines que
celui de la damnation. Et, plus nous devenons hommes, c’est-à-dire conscients
des trésors cachés dans le moindre des êtres et de la valeur que représente le
plus humble atome pour l’unité finale, plus nous nous sentons perdus à l’idée
de l’enfer. » TEILLARD DE CHARDIN : Le milieu divin, seuil, 1957, 187 ;
[773] A la fin de ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, Ernest Renan
écrit : « Je reçois plusieurs fois par an une lettre anonyme, contenant ces
mots toujours de la même écriture : Si pourtant il y avait un enfer! Sûrement
la personne pieuse qui m’écrit cela veut le salut de mon âme, et je la remercie
; Mais l’enfer est une hypothèse bien peu conforme à ce que nous savons par
ailleurs de la bonté divine. Et il continue sur le même ton amusé (L’infinie
bonté que j’ai rencontrée en ce monde m’inspire la conviction que l’éternité
est remplie par une bonté non moindre, en qui j’ai une confiance absolue.
[774] La masse des textes qui nous parlent de la perdition peut nous
aider à saisir l’importance capitale de cette notion : Tb 13, 2 ; Ps 91, 8 ; Es
66, 24 ; Jr 7, 15 ; 29, 16-19 ; Lm 4, 16 ; Matthieu 8, 12, 10, 28 ; 10, 39 ;
12, J2 ; 25, 30. 45s ; Marc 3, 29 ; Luc 12, 5 ; 12, 10 ; 13, 28 ; 15, 4 ; 19,
10 ; Jean 5, 29 ; 6, 39 ; 8, 21 ; 18, 9 ; 3, 16 ; 10, 28 ; Romains 2, 12 ; 1
Corinthiens 1, 18 ; 15, 17s ; 2 Corinthiens 2, 15 ; 4, 3 ; Sagesse 5, 5 ; 2
Théssaloniciens 2, 10 ; Hébreux 6, 6, 1 Jean 3, 14-15 ; Jude 5 ; Apocalypse 22,
15.
THOMAS
D’AQUIN : Voir dans la Somme de Théologie les multiple référence où
saint Thomas aborde la question de l’enfer ; Elles seraient trop longues à
citer ici.
[775] Bulle « Laetensus Caeli », Eugène 4, 6 juillet 1439
;
[776] Luc 23, 34.
[777] Romains 7, 5. Rappelons que nous traitons ici de la notion
thomiste du péché mortel, péchés contre le Père, le Fils et le Saint Esprit.
[778] Jean 15, 22.
[779] C’est-à-dire qu’il aboutit à la damnation éternelle.
[780] Galates 5, 17.
[781] S’ils ont maltraité les fils des hommes, ne maltraiteront-ils pas
de la même façon le Fils de l’Homme ?
[782] Nous n’insistons pas sur l’éternité de l’enfer dont la réalité est
suffisamment prouvée par la nature du blasphème contre le Saint Esprit.
[783] Jean 15, 22.
[784] L’homme ne va pas en enfer : il y reste. Pour cette raison, on
comprend l’affirmation des scolastiques selon lorsque l’enfer est aussi un
indice de l’amour de Dieu. La bienveillance divine tolère que sa créature se
refuse, même définitivement, son amour. Personne n’est force d’accepter les
dons de Dieu et chacun est libre de les refuser ; dans cette extrême garantie de
la liberté se trouve le signe de la patience, du respect et de l’amour du
Créateur pour sa créature. Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà,
Université de Fribourg, Suisse. 1980.
[785] Proposition de foi des évêques de France, 1978,
Documentation catholique, n° 1073.
[786] (Balthasar H. U, La dramatique divine 4, Culture et vérité,
Namur 1993, p. 293 :
[787] Marc 1é, 31.
[788] C’est tout l’objet de son ouvrage : « Les deux cités. »
[789] Matthieu 10, 39.
[790] Marc 10, 30.
[791] 1 Jean 2, 16.
[792] Luc 21, 12.
[793] Apocalypse 16, 9.
[794] La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 22.
[795] « La Foi Catholique », chap. VI, p. 195.
[796] Nous abordons maintenant les six péchés contre l’Esprit,
c’est-à-dire les six manières dont vont se concrétiser à l’heure de la mort les
égoïsmes dont nous parlions. Le blasphème contre la personne de l’Esprit Saint
ou son attribution chez saint Thomas d’Aquin. On trouve son étude dans Ia IIa
IIae, Question s 14. 15, 40, 41, 44,
[797] Quel avenir pour l’homme ? Lettre pastorale du cardinal Gouyon à
l’occasion de la Toussaint, Documentation catholique. n°1706, Octobre 1976.
[798] cf. Luc 16, 31.
[799] Matthieu 12. 31.
[800] II Sentences, distinction 143, Article 3.
[801] Jean 4, 11.
[802] Plusieurs textes semblent manifester la gravité extrême du péché
de ces prêtres : Matthieu 12, 32, Jean 11, 45-53 ; On retrouve ce même genre de
péché lié au désir du pouvoir dans l’évêque Mgr. Cauchon face à Jeanne d’Arc.
[803] Jean 9, 32.
[804] Il va de soi que, si les paroles parfois extrêmement dures et
prophétiques de Jésus sur ces hommes peuvent nous suggérer une telle
conclusion, nous n’avons pas à juger nous-mêmes les cœurs que seul Dieu sonde.
En conséquence, il est impossible d’affirmer avec certitude qu’ils se sont
damnés.
[805] Jérémie 2, 20 ; La possibilité du blasphème contre le Saint Esprit
est prise très au sérieux par Balthasar : « Parler d’une « sorte de salut
global et vague est en tout cas exclu » ; « ce ne serait pas une manière de
traiter le pécheur selon la dignité humaine » « Si nous interdisons au Christ
de nous relever, nous restons dans notre péché, et la dissociation (entre nous
et nos fautes) qui ne s’accomplit qu’en lui, demeure impossible » Il est du
pouvoir de l’homme de se retrancher du Ciel et, jusque « dans la mort, il peut
tourner le dos à la lumière de la vie éternelle. » Ici encore joue la dynamique
du refus toujours plus obstiné : « plus l’intimité d’un homme avec le Seigneur
est grande, plus grandit aussi le risque de s’en éloigner » Mais quiconque se
soustrait au jugement d’amour du Fils forcera alors « le Père à substituer à
l’amour le jugement et la condamnation. Or malheureusement, nous pensons
toujours à « un jugement, une rétribution », plutôt que de tendre à l’amour! «
Nous préférons être jugés, comme nous voulons juger les autres. »
Il
serait bon que l’homme considère alors son refus à la lumière du Seigneur. Mais
« s’il se contentait de se tourner vers lui en masquant son péché, le Seigneur
ne serait d’aucun secours pour lui. »
Dans
cette hypothèse, le Sauveur, le bon pasteur, se trouve alors lui-même dans une
impasse, « car les brebis sont toujours libres de le suivre ou non »
Insatisfaites du don que le berger fait de sa vie, « elles attendent de lui
qu’il les sauve malgré qu’elles s’en défendent. A la croix, le Seigneur s’est
vidé de tout son amour, mais voilà que les hommes pèchent en dépit de tout :
c’est comme si on lui faisait grief de ne pas les avoir sauvés complètement. » BALTHASAR H. U, La dramatique divine 4, le dénouement,
Culture et Vérité, Namur 1993, p. 263-264.
[806] Matthieu 8, 12.
[807] Jean 13, 26.
[808] Matthieu 26, 24.
[809] Amos 8, 4.
[810] Matthieu 26, 42.
[811] Jean 19, 37.
[812] Ce péché contre l’Esprit fut sans doute la plus grande tentation
d’Hitler à l’heure de sa mort, lorsque, accueilli par les Juifs qui étaient
prêts à lui offrir leur pardon, il comprit qu’il pouvait être au paradis avec
eux mais plus petit qu’eux, chacun servant tout le monde.
[813] Ce terme est précis. Le pardon est proposé. Il n’est pas donné car
il est aberrant de pardonner tant que la contrition n’est pas là. L’amour n’est
pas une vertu molle mais emplie de la droiture de la vérité.
[814] Siracide 3, 26.
[815] Romains 6, 29.
[816] Osée 4, 18.
[817] BALTHASAR H. U, La dramatique divine, 4, « le dénouement »,
culture et Vérité, Namur 1993, p-262ss. « Il s’agit du cas très sérieux de
l’homme qui résiste en se dressant contre la grâce de la nouvelle Alliance,
achetée « à grand prix » par la Croix et « s’obstine toujours plus dans le
refus. » Or Jésus « ne veut pas accomplir son œuvre sans la participation des
croyants. Ceux-ci ne bénéficient pas de la rédemption contre leur gré. » « Car
la décision de croire n’est pas seulement un don de Dieu, elle est en outre un
acte personnel » qui doit être constamment renouvelé ; Il arrive peut-être que
l’on soit frustré de son mérite (Colossiens 2, 18). Mais, en dernière analyse,
« l’individu est responsable de son oui ou de son non. » Il lui est possible de
« s’endurcir dans sa liberté, jusqu’à suivre sans s’arrêter le chemin qu’il a
choisi et qui le sépare de Dieu sans esprit de retour » Le jugement, dit l’épître
de Jacques (2, 13), n’exerce pour nous aucune miséricorde si nous sommes
nous-mêmes sans miséricorde, « parce que la justice, afin de s’exercer, doit
rencontrer la miséricorde. Dans le jugement, le Seigneur cherche ce qu’il a mis
en nous, et s’il ne rencontre pas la miséricorde dont il nous a gratifiés, il
ne lui reste plus alors que de laisser fondre sur nous un jugement de justice
stricte, tel que nous-mêmes nous l’exigeons. »
[818] Romains 2, 15.
[819] Luc 11, 32.
[820] Voir aussi : Les peines de l’enfer, Nouv. Rev. Théol », 1940, p.
397.
R.
Bernard, Enfer, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. IV, col. I00.
Catharin,
De bonorum praemio et supplicio aeterno malorum, 1542.
Sur
l’auteur, cf. M, M. Gorce, Politi, Dictionnaire de Théologie Catholique,
t. XII 2418-2434.
[821] Romains 9, 3.
[822] Matthieu 25, 41.
[823] Voir Traité de la vision béatifique, question 1, a. 1.
[824] Les damnés fuient par toutes les activités extérieures qu’ils
peuvent trouver, le silence qui les obligeraient à méditer sur leur malheur.
Charles
Journet commente (Nova et Vetera, 1968/l, p. 282) : « Une perpétuelle
agitation, une prodigieuse activité, une formidable dépense d’énergie, telle
est la condition des damnés. Ni les démons ne perdent la richesse et les
ressources originelles de leur nature angélique, ni les réprouvés la dignité de
leur âme immortelle créée à l’image de Dieu. En même temps que leur nature,
l’élan premier qui les porte à désirer et à chercher le bonheur ne saurait ni
leur être ôté ni péricliter en eux. Ce sont des dons irrévocables et
indestructibles de la Bonté créatrice. Ils peuvent en abuser, ils ne peuvent,
sans se nier eux-mêmes, les récuser.
Sans
doute, leur volonté est fixée immuablement dans le mal, comme celle des élus
dans le bien. Mais sous la décision fatale qui les rive à leur propre gloire
comme à leur fin dernière, leur libre arbitre demeure intact car le libre
arbitre concerne l’élection et porte sur le choix des moyens en vue d’une fin.
Il va de soi que si la fin ultimement visée est mauvaise, toute l’activité
qu’elle commande sera déviée.
Saint
Thomas distingue donc chez les damnés une volonté de nature et une volonté
délibérative. La volonté de nature, qui persiste en eux, vient de Dieu même
elle est bonne et tend à l’être et au bonheur. Mais la volonté délibérative, en
vertu de laquelle ils se sont détournés définitivement de Dieu, est en eux
irrémédiablement pervertie en sorte que le bien qu’ils peuvent vouloir, ils ne
le veulent pas de la bonne manière et pour les borines raisons, et que, même
alors, leur volonté n’est pas bonne
De
qu’elle nature peut être l’extraordinaire explosion d’activité dans laquelle
sont engagés les damnés ? Comment ne serait-elle pas anarchique, puisque chacun
d’eux cherche, en dernière instance, à tourner toutes choses à sa propre gloire
? Une seule fin sera capable de la coordonner : la haine commune qu’ils ont
contre Dieu et contre l’ordre universel de la création. Elle échoue sans cesse,
mais renaît sans cesse. Elle leur est nécessaire : elle trompe leur désespoir
foncier par des tentatives toujours différentes. L’espérance théologale brisée
à jamais en eux, cèderont effet la place à une pullulation de vains espoirs.
Plutôt qu’au Sisyphe de l’Odyssée, qui recommence le même effort de pousser son
rocher jusqu’au faîte d’une montagne et défaille au dernier instant, il
faudrait penser à une activité intelligente, inventive, fertile en trouvailles,
en initiatives, en imprévus, et s’exerçant dans des conditions et d’une manière
chaque fois renouvelées ; songeons à ces entreprises insensées dont Milton
voudrait nous donner l’idée quand, au début de son Paradis perdu il essaie,
sans guère y réussir, de nous décrire le complot des anges rebelles. L’enfer
est une « histoire », non un recommencement cyclique des mêmes événements. Le mythe
antique de l’éternel retour, qui enivre le Nietzsche de Zarathousstra, et d’après lequel le nombre des échanges possibles
entre les êtres étant épuisé, tout recommencerait identiquement, est une
absurdité. Des agents libres introduisent, en effet, continuellement de
nouveaux effets dans la trame de la durée, on sorte que jamais les
circonstances ne se reproduiront inchangées. L’activité de l’enfer n’est pas
comparable au fonctionnement d’une machine : c’est une histoire qui s’invente
et se déroule. »
[825] Origène, Des principes, II, 10, 4-5.
[826] « Se perdre, comprend-on la force de ce mot ? Se perdre, sans
s’échapper à soi-même. Etre dans l’Etre, avoir son centre hors de soi, sentir
que toutes les puissances de l’homme, se retournant contre l’homme, lui deviennent
hostiles sans lui être étrangères, n’est-ce point la conséquence et la peine de
l’orgueil, leur suffisance d’une volonté solitaire qui a place son tout là où
il n’y a rien pour la combler ? C’est une juste nécessite que l’homme dont
l’égoïsme a rompu avec la vie universelle et avec son principe soit arraché du
tronc commun. Et, jusqu’aux racines de sa substance, il périra sans fin, parce
que tout ce qu’il avait aimé sera en quelque sorte dévoré et anéanti par la
grandeur de son désir. Qui a voulu le néant l’aura ; mais qui l’a voulu ne sera
pas détruit pour cela. Et pourquoi pas l’anéantissement total de ceux qui se
sont séparés de la vie ? Mais non. Ils ont vu la lumière de la raison, ils
gardent leur volonté indélébile, ils ne sont l’homme qu’en étant
inexterminables. Ils ont circulé dans la vie et agi dans l’être. C’est à
jamais! Rien, en leur état, qui résulte d’une contrainte extérieure, ils
persévèrent dans la volonté propre qui est à la fois crime et châtiment. Ils ne
sont pas changés. Ils sont morts, et ce qu’ils ont d’être est éternel. Comme un
vivant lié des deux bras à un cadavre, qu’ils restent Leur idole morte!
Refuser
son concours, livrer nos cœurs et nos œuvres à l’embrassement des faux biens,
c’est un adultère. Cette union qui nous constitue, ce lien que nous voulons de
nous à lui, comme il l’a voulu de lui à nous, nous pouvons le violer sans le
briser jamais. Grandeur redoutable de l’homme. II veut que Dieu ne soit plus
pour lui, et Dieu n’est plus pour lui. Mais gardant toujours en son fond la
volonté créatrice, il y adhère si fermement qu’elle devient toute sienne. Son
être reste dans l’Etre. Et quand Dieu ratifie cette volonté solitaire, c’est le
dam.
M.
Blondel, l’action, 1893, p. 372-373
[827] Psaume 10, 7.
[828] Job 24, 19.
[829] Constitution « Benedictus Deus. »
[830] JEAN DE LA CROIX : Les avis, sentences et maximes, textes
présentes par Dom Chevallier, DdB, Paris, 1933, 206-208 (150).
Nous
trouvons dans le prophète Isaïe que chaque pécheur a son propre feu qui le
châtie : « Marchez, dit-il, à la lumière de la flamme que vous vous êtes
allumée vous-mêmes » (Isaïe 50, 11). Ces paroles semblent indiquer que chaque
pécheur allume pour lui-même la flamme de son propre feu, et qu’il n’est pas
plongé dans quelque feu qui aurait été auparavant allumé par un autre et qui
aurait existé avant lui. De ce feu, l’aliment ce sont nos péchés. Origène, des
Principes II, 10, 4-5.
[831] A une époque où nombre de points restaient obscurs, Origène,
génialement du reste, avait parlé du feu de l’Enfer. Pour lui, ce feu désignait
le tourment intérieur d’une âme devenue pleinement consciente de son péché Sauf
quelques rares exceptions, la tradition ne l’avait pas suivi, insistant sur la
réalité, voire sur la matérialité du feu de l’enfer. Au XVIe siècle, un
dominicain, qui en prenait souvent à son aise avec les traditions théologiques
de son ordre, prétendit revenir purement et simplement à Origène. Dans un petit
livre sur la récompense des bons et le châtiment éternel des méchants, Catharin
entend prendre position dans une question libre et invite ses lecteurs à ne pas
le traiter immédiatement d’hérétique. Dans la récompense des élus, dit-il,
l’essentiel est la vision de Dieu, le reste même le rejaillissement de la
béatitude sur les corps glorifiés « dans le Ciel empyrée » est accidentel. De
même, quelles que soient la multitude et l’ampleur des tourments des damnés,
l’essentiel de leur châtiment est la privation de la vision de Dieu, privation
qui aura ses degrés comme au Ciel la gloire des élus. Mais qu’en est-il du feu
? Ceux qui croient à un feu matériel invoquent l’Ecriture, mais ils s’engagent
dans des difficultés inextricables. Comment un feu matériel peut-il tourmenter
des esprits ? On dira qu’ils portent ce feu partout avec eux, mais a-t-on songé
aux cas de possession ? Le Seigneur, certes, a parlé du feu, mais il a parlé
aussi d’un ver rongeur ; dans la parabole du mauvais riche, le sens
métaphorique s’impose pour la plupart des détails. Compte tenu de la difficulté
de répondre aux objections de la raison, notre théologien conclut : Le feu de
l’enfer est un feu métaphorique. Catharin fut aussitôt combattu, mais comme
toujours, la réaction dépassa la mesure.
[832] Dialogue 29.
[833] Ces objections (1 à 8) sont tirées de saint Thomas d’Aquin, Supplément
Question 70, article 3.
[834] Commentaire de la Genèse 33.
[835] Dialogue 4, 43.
[836] A. Michel, le feu de l’enfer, Dictionnaire de Théologie
Catholique Tome 4, Colossiens. 2218.
[837] Question 52, a. 4.
[838] Tobie, 8, 3.
[839] Luc 8.
[840] L’enfer a été parfois présenté comme un immense camp de
concentration où les tortures les plus raffinées sont appliquées aux damnés
selon la loi du talion. Il y aurait alors bien plus de souffrances, de tortures
et de mal dans l’au-delà que sur n’est certes pas une perspective
encourageante sur la création de Dieu et sa bonté. Il est dans ce cas bien
évident que des gens se révoltent, ne pouvant concilier la bonté divine à la
cruauté de ces souffrances éternelles.
Vitalini
Sandro, Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg-Suisse, 1980, p.
7.
[841] « En ce qui concerne les conditions de l’homme après la mort, le
danger de représentations imaginatives et arbitraires est particulièrement à
redouter, car leurs excès entrent pour une grande part dans les difficultés que
rencontre souvent la foi chrétienne. Les images employées dans l’Ecriture
méritent cependant le respect. II faut en saisir le sens profond, en évitant le
risque de trop les atténuer, ce qui équivaut souvent à vider de leur substance
les réalités qu’elles désignent. » Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre
sur quelques questions concernant l’eschatologie
[842] La volonté du damné est divisée, déchirée. Il souffre une peine
afflictive qu’il ne veut pas, dont il a horreur : en effet, il tend
naturellement à Dieu en vertu de la structure de son être ; et du fait même
qu’il a été ordonné à la vision surnaturelle de Dieu ; du fait même que la vie
éternelle qu’il refuse lui a été offerte ; bref, du fait même qu’un bonheur qui
comble à l’infini sa capacité de désir lui a été montré possible dans l’instant
même qu’il le refuse, et a éveillé la faim de tout son être, la béatitude
surnaturelle est devenue pour lui l’unique terme dans lequel son ordination
naturelle peut être satisfaite ; elle est devenue pour lui un bien réclamé par
son être, un bien dont l’absence est une privation et la pire de toutes.
Jacques
Maritain, « neuf leçons sur les notions premières de la philosophie morale »,
Paris, Téqui, 1951, pp. 189-190.
[843] Marc 9, 48.
[844] Sagesse 17, 4.
[845] Jean 19, 37.
[846] Six fois en Matthieu, une fois en Luc ; ex : Matthieu 8, 12.
[847] Luc 16, 23.
[848] Job 1, 6.
[849] Matthieu 22, 13.
[850] Sagesse 5, 2.
[851] Apocalypse 19, 10.
[852] Deutéronome 29, 12.
[853] Isaïe 34, 9.
[854] Apocalypse 2, 11.
[855] Jean-Paul Sartre.
[856] Sagesse 5, 21.
[857] FRANCOIS DE SALES, saint : Traité de l’amour de Dieu, 9, 1.
[858] Cet article est celui de saint Thomas, Supplément Question
89, a. 1.
[859] « Nous venons de lire que le réprouvé continue de vouloir la
révolte qui fait son malheur. Est-il possible qu’on veuille le malheur ? Non ;
c’est toujours un bien que cherche la créature libre ; mais ce bien peut être
lié à quelque grand désordre qui fera son malheur. Saint Thomas cite l’exemple
d’un homme emprisonné, qui pour assouvir sa vengeance ne songe qu’à tuer son
ennemi, et se repaît de la haine même qui le ravage et le désespère. A la forme
commune et banale du désespoir, celle de l’homme qui ne veut pas être lui-même
et fuit dans les compensations du rêve, Kierkegaard oppose une forme suprême du
désespoir, qu’il appelle démoniaque, où l’homme, au contraire, se dresse contre
tout ce qui n’est pas lui, où il veut être lui-même contre tout l’univers et
jusque contre Dieu, cherchant à s’enfoncer comme une écharde dans le cœur de
Dieu ; ou, selon une autre comparaison, s’efforçant d’être dans l’œuvre divine comme
la coquille fatale, cent fois corrigée par l’auteur, mais obstinée à renaître
afin de détruire tout le sens d’un beau poème »
[860] Matthieu 22, 14.
[861] Apocalypse 7, 4.
[862] Apocalypse 9, 18.
[863] cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia 63, 9, ad
l.
[864] Par exemple pendant les apparitions de la Vierge à Fatima.
[865] Matthieu 8, 12.
[866] Métaphysique 1.
[867] C’est le cas des témoins de Jéhovah.
[868] 1 Corinthiens 3, 15.
[869] Hans-Urs von BALTHASAR, Jugement Communio (traduit de l’allemand
par Jacques Keller).
[870] Matthieu 12, 32.
[871] ibidem 25, 42 s.
[872] „Kleine Diskur. »
[873] Genèse, 3, 5.
[874] Le milieu divin, Paris, édit. Le Seuil, 1957, p. 189.
[875] Voir dans la Somme de Théologie, Supplément Question
98, a. 1.
[876] Voir dans la Somme de Théologie, Supplément Question
98, a. 2.
[877] Voir dans la Somme de Théologie, Supplément Question
98, a. 3.
[878] Voir dans la Somme de Théologie, Supplément Question
98, a. 4.
[879] Voir dans la Somme de Théologie, Supplément Question
98, a. 5.
[880] Voir dans la Somme de Théologie, Supplément Question
98, a. 6.
[881] Voir dans la Somme de Théologie, Supplément Question
98, a. 7.
[882] Voir dans la Somme de Théologie, Supplément Question
98, a. 8.
[883] Voir dans la Somme de Théologie, Supplément Question
98, a. 9.
[884] Depuis les Pères jusqu’à l’âge moderne (Péguy, Papini et même
Barth), on a voulu mitiger cette vérité en imaginant soit une réduction
progressive des peines, soit leur fin. Mais ces théories se heurtent à
l’affirmation de la Foi Catholique qu’il n’y a repentir là où le choix a été
parfaitement lucide et définitif. Dans leur refus, l’ange et l’homme ont voulu,
ils l’ont obtenu : ils ont affirmé leur personnalité en opposition à Dieu. Ce
n’est pas Dieu qui ne veut pas pardonner, c’est le pécheur qui ne veut pas
l’être.
Pour
Origène, les peines de l’enfer ne sont pas éternelles, à moins qu’on n’admette
que la succession indéfinie des mondes ne soit comme la transposition
chrétienne du mythe de Sisyphe, les damnés impuissants recommençant
perpétuellement leur existence manquée. Mais on interprète habituellement ici
la pensée origénienne en la qualifiant de restitutionnisme intégral. » Quelles
qu’aient été leurs aventures, leur histoire, toutes les créatures raisonnables
seront finalement sauvées et jouiront de la béatitude éternelle. Toutes, même
le démon, la logique l’exige, puisque au départ il n’y a pas de différence de
nature entre les esprits également intelligents et libres. »
[885] Les objections viennent de saint Thomas, Supplément,
Question 99, a. 2.
[886] Le mystère de l’enfer, Nova et Vetera, 265 ; Charles
JOURNET. Dieu est-il responsable du péché ? p. 206-Nova
et Vetera, 1959, 3.
[887] Jean, 1, 9.
[889] VITALINI, Sandro : La predicazione del
mistero dell’inferno, en La Scola, Catholica, 1971, 3, 194-209.
[890] Voir dans la Somme de Théologie, Supplément Question
99, a. 2.
[891] Voir Supplément, Question 99, a ; 3 ; Traités par saint
Thomas dans sa jeunesse, ces articles revêtent parfois une marque littéraire
farouche comme l’Ancien Testament. Rappelons-le : Nous avons vu que ce n’est
pas pour n’importe quel péché mortel que l’homme est damné mais seulement pour
celui qui est pleinement conscient et volontaire, à savoir le péché contre
l’Esprit Saint. Dieu n’applique donc pas à l’homme une stricte justice et sa
miséricorde est toujours prête à pardonner. La cause première de la damnation
éternelle n’est pas en Dieu mais en l’âme elle-même. Elle tient en deux choses
:
1) à
la nature du péché commis qui est par soi irrémissible selon la parole du
Seigneur : « Celui qui blasphème contre le Saint Esprit ne sera pardonne ni
en ce monde ni dans l’autre » La raison en est que celui qui commet un tel
péché le fait de telle manière qu’il n’a que faire du pardon de Dieu et se
complet librement et obstinément dans sa perversion.
2) à
l’état de la nature humaine après la mort qui ne peut en aucune manière revenir
sur ses actes ni dans le sens du bien ni dans le sens du mal : l’intelligence
libérée du conditionnement des sens connaît d’une manière intuitive la nature
des réalités et ne peut plus errer. La volonté qui suit l’intelligence demeure
donc irrémédiablement fixée sur ce qui lui apparaît une fois pour tout le bien
absolu. Ainsi, la justice divine, en appliquant à l’âme la peine de l’éternelle
damnation ne fait que lui attribuer ce qu’elle mérite elle-même. C’est en premier
lieu l’homme et non Dieu qui est cause de l’éternité de l’enfer.
[892] GREGOIRE DE NYSSE, saint : Or. Cath. 26, 7-9 ; 35, 14-15.
[893] Lumen Gentium 48.
[894] Hébreux 9, 27.
[895] cf. Matthieu 25, 31-46.
[896] cf. Matthieu 25, 41.
[897] cf. Matthieu 25, 41.
[898] Matthieu 22, 13 et 25, 30.
[899] Voir dans la Somme de Théologie, Supplément Question
99, a. 5.
[900] Matthieu 25, 40.
[901] Pour conclure cette question 14, citons Balthasar[901]
: « Si l’on admet que rien dans le monde n’est créé sans le Verbe-Parole ni
en dehors de lui[901],
alors « l’essence la plus intime » du monde repose « sur le Verbe de Dieu et
n’est intelligible que par lui. De ce point de vue, même la tentative faite par
un homme de s’exclure de la vie trinitaire de rédemption du monde dans le
Christ et de créer en soi l’enfer, demeure inscrite dans la mouvance du Christ
; à ce titre, elle est déterminée par son essence et sa direction, qui consiste
à communiquer au monde la liberté du bien absolu. Seule la liberté du Christ
est assez puissante pour briser nos esclavages et réduire leur désordre à une
unité ordonnée. Il est vrai que cette union nous conduit, au terme, à un
jugement où toute la diversité de notre vie et de notre action se trouve
condensée en une parole unique, celle-là même que nous avons toujours perçu, dès
le début de notre entrée dans la foi, et dans laquelle toute parole et tout
acte de notre part se trouve inscrit. Ce qui, vu du dehors, apparaît comme
soumission terrestre au Christ, est, considéré de l’intérieur, libération pour
l’éternel. Le concept de liberté lui-même subit, dans la soumission au Christ,
un tel élargissement que toutes les libertés terrestres en apparaissent
limitées et insignifiantes, du fait qu’elles se heurtent toujours à des
frontières. Au contraire, l’espace ouvert par le Christ est traversé « par le
souffle de l’Esprit qui procède du Père et du Fils », il est trinitaire. La
soumission au Christ, et elle seule, introduit dans « la loi parfaite de
liberté », de même que la soumission suprême de Jésus à la Croix signifie tout
autant l’actualisation suprême de sa liberté. Notre soumission représente donc
la confirmation de notre liberté. C’est à l’intérieur de l’obéissance que Dieu
accorde la liberté. Plus un homme se décide pour Dieu et s’attache à lui, plus
sa liberté se constitue en liberté. »
[902]La Tradition chrétienne parle encore du feu du purgatoire, de
l’endroit où il serait situé, et de la durée des peines que les âmes justes y
endurent. Rien cependant n’a été défini par l’Église à propos de ces divers
points. Bien plus, on peut affirmer que ces termes, selon le sentiment commun
des théologiens, ne doivent pas être entendus ici comme désignant ce qui y
correspond dans notre expérience humaine actuelle. Le Concile de Trente,
d’ailleurs, a condamné avec une particulière rigueur toute curiosité indiscrète
concernant ces questions difficiles. La prudence demande donc qu’en matières on
n’accepte qu’avec réserves des récits ou des spéculations où l’imagination
aurait plus de part que la raison, et qui, peut-être, seraient inspirés par des
préoccupations peu conformes à l’esprit chrétien.
L’intention
de l’Église cependant n’est pas d’interdire aux théologiens de scruter par la
raison certains aspects de ce point de notre foi. C’est ce que nous voudrions
faire dans cette note à propos de la durée des peines du purgatoire, et de son
rapport aux suffrages offerts par les fidèles pour le soulagement des âmes qui
y souffrent. RATZINGER J, La mort et l’au-delà, p. 228.
Voir
dans la Somme de Théologie : Satisfaction. En quoi consiste la satisfaction.
sup. q. 12.-De sa possibilité. sup. q. 13.-De sa qualité. sup. q. 14.-Des
choses par lesquelles on satisfait. sup. q. 15-Des suffrages. Des suffrages des
morts. sup. q. 74, purgatoire. Les âmes des fidèles qui n’ont pas été purifiées
ici-bas sont purifiées par le feu du purgatoire. sup. q. 69, 2. c. et 7. c. et
q. 100. 1, c et ad 2.-Si le feu du purgatoire est localement séparé de celui de
l’enfer. sup. q. 100. 5. La moindre peine du feu du purgatoire surpasse toutes
les peines de cette vie. Sup. q. 100, 5. o.-Les âmes supportent les peines du
feu du purgatoire d’une volonté conditionnelle selon qu’elles n’arriveront pas
à la béatitude sans passer par ces souffrances. sup. q.-100. 4. o ;-La justice
divine purifie les âmes des fidèles par le seul feu du purgatoire sans le
ministère des démons.
[903] Apocalypse 14, 13.
[904] Lettre à Mekhitar d’Arménie, 29 septembre 1351 (DS 854),
Voir aussi DS 1304, DS 1820.
Concile
de Trente, Session 25, D. B, Enchiridion, 983, Trad. A. Michel,
purgatoire, Dictionnaire de Théologie Catholique 1278-1279.
[905] 2 Macchabées. 12, 46.
[906] 1 Corinthiens 3, 15.
[907] Luc 12, 59.
[908] Lumen Gentium, 49.
[909] 1 Rois 19, 13.
[910] Matthieu 19, 25 : « Entendant cela, les disciples
restèrent tout interdits : Qui donc peut être sauvé ? Disaient-ils. Fixant son
regard, Jésus leur dit : « Pour les hommes c’est impossible, mais pour Dieu
tout est possible. »
[911] Autant que faire se peut pour une créature limitée
[912] Ce que l’Écriture appelle « le baptême d’eau et d’esprit. » Jean
3, 5 Jésus répondit : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de
naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. » De
même, l’eau et le sang qui sortit du côté du Christ symbolisaient ces deux
qualités. Il s’agit donc d’un mystère central de la Révélation.
[913] Voir principalement le célèbre Traité du purgatoire de
sainte Catherine de Gênes. A propos des trois degrés du purgatoire, dont on
peut aussi en extraire la doctrine des traités de théologie mystique (Voir par
exemple la structure générale du château intérieur de sainte Thérèse
d’Avila.
[914] Traité du purgatoire.
[915] Voir Apocalypse 8, 1 : « Il se fit un silence dans le Ciel,
environ une demi-heure. », c’est-à-dire le temps d’une vie terrestre.
[916] Jean 20, 29. Parfois, en vue de l’humiliation et de l’humilité, la
possibilité de croire lui est refusée par Dieu. La foi étant un don de Dieu,
Dieu peut, provisoirement, ne pas en proposer la possibilité à un homme en vue
d’une plus grande préparation de son esprit à cette proposition à l’heure de la
mort.
[917] Extrait de Starmania, Michel Berger. Cette sagesse de Dieu sur les hommes de bonne volonté n’a pas
disparu aujourd’hui. Il existe des justes au sens biblique du terme, des hommes
droits qui n’ont pas reçu la grâce de la foi.
[918] Job 26, 5 : « Les Ombres tremblent sous terre, les eaux et
leurs habitants sont dans l’effroi. »
[919] Voir par exemple Genèse 42, 38 : « S’il lui arrivait malheur dans le voyage que vous allez entreprendre,
vous feriez descendre dans l’affliction mes cheveux blancs au shéol. »
[920] … qui est une sainte canonisée. Elle a en outre été reconnue par
l’Église comme une réelle autorité théologique concernant le purgatoire d’un
degré bien sûr inférieur à celui de l’Écriture Sainte ou du Magistère de
l’Église (voir en fin d’ouvrage).
[921] Genèse 28, 11.
[922] Mgr d’Hulst, dans ses Lettres de direction, (1906, p.
154-156), décrit de la façon suivante les trois degrés du purgatoire. Nous ne
pouvons malheureusement souscrire à ce texte puisqu’il y voit l’augmentation de
l’amour. Il s’agit plutôt d’une description de la manière dont pourrait
s’effectuer une purification active ici-bas : « Je voudrais vous dire
comment j’ai vu cette année le purgatoire. Au sortir de cette vie, beaucoup
d’âmes, sauvées par miséricorde, sont par rapport au Ciel de véritables étrangères,
elles n’en savent pas la langue, elles ne sont pas vêtues comme il faut pour y
entrer ; elles ne sauraient pas y trouver leur place. Alors, la miséricorde les
envoie se purifier. Cette purification a trois phases.
La
première, c’est l’humiliation. Dieu leur envoie sa lumière et elles se voient
telles qu’elles sont ; la confusion qui naît de là est une agonie comparable à
celle de Jésus au jardin, quand il s’est vu couvert des péchés du monde. Sur la
terre, ces pauvres âmes buvaient le péché comme de l’eau ; maintenant elles en
ont horreur et s’en voient chargées. Ce tourment dure longtemps à moins qu’il
ne soit abrégé par les prières et les sacrifices qui montent de la terre.
Quand
ces âmes ont acquis, à leurs dépens, la vraie notion et la haine du péché,
Dieu, par une seconde illumination, se montre à elles de loin dans sa beauté,
et enflamme des désirs qu’elles ne se connaissaient pas. Alors elles se
souviennent du temps où Dieu était tout près, où il frappait à leur porte, et
où elles ne l’ouvraient pas, aimant mieux un plaisir, un hochet, un écu.
Maintenant elles brûlent du désir d’aller à Lui, et c’est Lui qui s’éloigne.
Ces désirs sont un supplice, mais un supplice qui purifie et prépare à l’amour.
Quand
la seconde œuvre est faite, l’amour entre en scène, il pénètre ces âmes et les
fait fondre sous son feu. Alors, elles se souviennent de leurs mépris, (les
rebuts qu’elles lui ont infligés) et la contrition parfaite, celle des grands
pénitents, celle dont elles étaient incapables à l’heure du pardon reçu
ici-bas, cette contrition d’amour les envahit, les purifie et les introduit au
Ciel.
Voilà
le purgatoire avec ses trois heures d’agonie. Qui nous empêche de l’anticiper,
de commencer par l’humiliation, de continuer par le désir ; de finir par l’amour
? »
[923] Jérémie 4, 10. Presque la totalité des textes de l’Ecriture,
ancien et nouveau Testament, qui parlent de « ce jour-là » ou du «
jour du Seigneur » expriment sous forme métaphorique la parousie du Christ
et ses effets.
[924] Galates 5, 11.
[925] Luc 18, 26.
[926] Voir Question 8, article 2.
[927] Matthieu 17, 12.
[928] Origène semble bien avoir accepté l’idée d’une succession
indéfinie des mondes. L’univers serait alors un chantier d’âmes, mais où l’on
reprendrait sans cesse des constructions jamais achevées. G. Bardy [Origène, Dictionnaire
de Théologie Catholique, t. 11, 1549-1550] suit ici la reconstruction de
Denis, qui cherche à concilier la succession indéfinie des mondes avec l’idée
de finalité.
[929] L’allusion à l’unicité de la vie terrestre a été introduite dans
Lumen Gentium 48 à la demande de nombreux évêques brésiliens pour s’opposer à
l’idée de réincarnation
[930] Ici aussi vaut le principe selon lequel l’amour franchit le seuil
de la mort. Le sensus fidei a vécu dès le début dans la certitude que
nous pouvons aider de notre prière nos frères et sœurs trépassés, même lorsque
leur « unique vie terrestre » est terminée car la communauté de l’amour ne
cesse pas, allusion au caractère unique de notre vie terrestre.
[931] Jean 9, 3.
[932] « Il nous faut jeter, ne serait-ce qu’un rapide coup d’œil, sur
les motifs historiques des stratégies actuelles de l’espérance. Car l’attente
d’un monde tout à fait juste n’est pas le fruit d’une pensée technologique,
mais elle a ses racines dans la mentalité judéo-chrétienne L’idée d’un cycle
éternel ou d’une libération par l’entrée au nirvana a armé d’autres cultures
contre le désespoir que devrait déclencher à toutes les époques le simple
présent avec son cortège de souffrances et d’injustices. L’idée d’un salut
définitif à venir n’est sans doute pas exclusive au monde judéo-chrétien, mais
c’est clans ce milieu qu’elle a été formulée avec le plus de vigueur et
d’insistance Le poids des inclinations terrestres héritées de l’Ancien
Testament a entraîné la chrétienté primitive à compléter l’espérance
transcendante du royaume de Dieu par l’idée d’un règne millénaire du Christ sur
terre avec les premiers ressuscités. » RATZINGER J, La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, p. 218
[933] 1 Théssaloniciens 5, 2
[934] Vie de saint Malachie.
[935] Proverbes 9, 17. De nombreux textes de l’Ancien testament à propos
du shéol pourraient être interprétés dans le sens de Job 26, 20 : « Les
Ombres tremblent sous terre, les eaux et leurs habitants sont dans l'effroi.
Devant lui, le Shéol est à nu, la Perdition à découvert. »
[936] Sagesse 17, 14.
[937] Quelques témoignages actuels : Clémence Ledoux, fondatrice de la
Fraternité de Marie-Reine Immaculée et ses visions lors d’une visite du château
de Versailles, vit nettement des âmes habillées en costume de l’époque du Grand
siècle.
[938] Dans l’Egypte pharaonique, on parle du corps physique, du Kâ (le double) et du Baï représenté sous la forme d’un oiseau
portant la tête du mort (l’esprit). Le grand et ultime voyage commence par la
séparation du Kâ spirituel du corps
matériel. Le Kâ est le corps double
du défunt, qui sort de son cadavre. Avec lui, le Baï, âme de l’homme, est détaché de la vie terrestre et tourne désorienté
autour du cadavre. La compatissante Isis (épouse aimante du dieu de la mort
Osiris) l’accueille sous ses grandes ailes affectueuses et le confie au savant
dieu Anubis (représenté avec une tête de chacal) afin qu’il le réconforte et
lui serve de guide et de soutien jusqu’au jugement divin. Sous forme imagée, il
s’agit de la même réalité.
[939] Constitution dogmatique « Benedictus Deus.
»
[940] Gaudium et Spes 22, 5.
[941] Nombres 14, 1.
[942] Nombres 14, 33.
[943] Luc 12, 19.
[944] Luc 5, 8.
[945] Sainte Faustine, Petit journal, (no. 1486)
[946] Marc 6, 49.
[947] Genèse 6, 5.
[948] Matthieu 19, 23.
[949] Apocalypse 1, 18
[950] Job 17, 13.
[951] 2 Samuel 22, 5.
[952] Deutéronome 8, 3.
[953] BENOIT XII Constitution apostolique « Benedictus Deus », 29
janvier 1336, Dumeige 511.
[954] Sainte Catherine de Gènes, Traité du purgatoire chapitre
III.
[955] … qui est une sainte canonisée. Elle a en outre été reconnue par
l’Église comme une réelle autorité théologique concernant le purgatoire d’un
degré bien sûr inférieur à celui de l’Écriture Sainte ou du Magistère de
l’Église (voir en fin d’ouvrage).
[956] Vie de Sainte Brigitte, tome II ch XXXI.
[957] Sainte Faustine, Petit journal, (no. 1486)
[958] Matthieu 20, 6.
[959] Saint Alphonse de Ligori : le grand moyen de la prière.
[960] 2
Samuel 22, 5.
[961] 2 Théssaloniciens 2, 2-5.
[962] Matthieu 28, 7.
[963] Matthieu 4, 15.
[964] 2 Pierre 3, 9.
[965] 2 Théssaloniciens 2, 8.
[966] Sainte Faustine, Petit journal, (no. 1486)
[967] Traité du purgatoire III.
[968] Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg, Suisse,
1980, p. 34-35.
[969] Sacré Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre sur
quelques notions d’eschatologie, 17 mai 1979.
[970] Apocalypse 19, 7.
[971] Cantique des cantiques 5, 6-7.
[972] 1 Corinthiens 3, 15.
[973] Vitalini Sandro, Traité de l’au-delà, Université de
Fribourg-Suisse, 1980, p. 35.
[974] Cet article est de saint Thomas d’Aquin, Supplément
Question 70 ter, article 5.
[975] Sainte Catherine de Gènes, Traité du purgatoire chapitre
III.
[976] Matthieu 25, 46.
[977] Psaume 10, 7.
[978] Dialogue livre 4, 43.
[979] Seule sa grâce peut nous purifier, à présent dans la mort et
au-delà même de la mort, si en cette vie nous acceptons au moins de ne pas nous
fermer à sa pitié. Morts dans le Seigneur, les défunts sont en sa main, et là,
au terme de leur route terrestre, ils connaissent sa joie, sa vie pour nous
mystérieuse. Le Seigneur parfait son œuvre et marque de l’empreinte définitive
de sa beauté l’ouvrage de ses mains.
Proposition
de foi des évêques français, 1978, Documentation
catholique, n°1073.
[980] Saint Thomas d’Aquin, Supplément Question 70, article 3.
[981] Le cardinal Joseph Ratzinger écrit : La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, p. 226 : « Ainsi, dans l’histoire des saints, surtout
de ces derniers siècles, chez Jean de la Croix, dans la spiritualité du Carmel
et avant tout chez Thérèse de Lisieux, le mot « enfer » a pris une
signification toute nouvelle et une toute nouvelle forme. Pour eux, l’enfer est
moins une menace qu’ils brandissent contre les autres, qu’un appel à souffrir
dans la nuit obscure de la foi la communion avec le Christ en tant que
communion aux ténèbres de sa descente dans la nuit ; à approcher la lumière du
Seigneur parce qu’ils partagent ses ténèbres et servent le salut du monde en
oubliant leur propre salut au profit des autres. Dans une telle spiritualité,
rien n’est édulcoré de la terrible réalité de l’enfer ; il est si réel qu’il
pénètre dans leur propre existence. Une espérance ne peut lui être opposée que
si l’on partage la souffrance et la nuit de Celui qui est venu transformer
toute notre nuit par ses souffrances. L’espérance ne naît pas de la froide
logique d’un système, de l’appauvrissement de l’homme, mais du sacrifice de
l’innocent et de l’affrontement de la réalité au côté de Jésus-Christ. Une
telle espérance ne devient pas affirmation arbitraire ; elle remet sa supplique
dans les mains du Seigneur et l’y abandonne. Le dogme trouve sa vraie dimension
; l’idée de la miséricorde qui, sous une forme ou sous une autre, l’a
accompagné tout au long de l’histoire ne devient pas théorie, mais prière d’une
foi qui souffre et qui espère. »
[982] Deutéronome 28, 65.
[983] Traité du purgatoire, chapitre VIII.
[984] Osée II ;
[985] Isaïe 1, 4 ;
[986] Traité du purgatoire VIII.
[987] Voir Question 7 article 9.
[988] Matthieu 22, 40.
[989] Voir saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément,
question 70, article 4.
[990] Sainte Catherine de Gènes, Traité du purgatoire, III.
[991] Bulle « Exurge domine », 5 juin 1520.
[992] Matthieu 25.
[993] Voir ce traité, question 9, article 7.
[994] Luc 16, 27.
[995] Saint Alphonse de Ligori : Le grand moyen de la prière.
[996] Ibidem.
[997] « Je veux voir Dieu » .
[998] Lettre à l’évêque de Tusculum, 6 mars 1254, p. 509.
[999] Matthieu 12, 32.
[1000] L’interprétation chrétienne du purgatoire s’est donc clarifiée à
nos yeux en ce qu’elle a d’essentiel. Ce n’est pas une sorte de camp de
concentration dans l’au-delà (comme chez Tertullien°, où l’homme devrait
subir des châtiments qui lui seraient imposés d’une manière plus ou moins
positiviste. C’est plutôt le processus interne et nécessaire de transformation
de l’homme, par lequel ce dernier devient capable du Christ, capable de Dieu et
par suite capable de s’unir à toute la communio sanctorum. Celui-là
seul, qui considère l’homme de faon en quelque manière réaliste, comprendra la
nécessité de cette opération qui, loin de substituer les œuvres à la grâce,
assure au contraire la totale victoire de cette dernière. L’assentiment capital
de la foi sauve, mais cette décision essentielle est chez la plupart d’entre
nous recouverte très réellement de beaucoup de foin, de bois et de paille. Ce
n’est qu`à grand peine qu’elle perce le treillis de l’égoïsme dont l’homme n’a
pu se débarrasser. Il bénéficie de la miséricorde, mais il doit être transformé.
La rencontre avec le Seigneur constitue cette transformation, ce feu qui, en
brûlant, le métamorphose en cet être sans scorie qui peut devenir le vaisseau
d’une joie éternelle. Une telle conception ne serait en opposition avec la
doctrine de la grâce que si la pénitence était opposée à la grâce, alors
qu’elle en est la forme : possibilité offerte qui naît de cette grâce. Ce qui
est important dans l’équivalence faite par Cyprien et Clément entre le
purgatoire et la pénitence ecclésiale, c’est que la doctrine chrétienne du
purgatoire, qui tient sa dimension propre de la christologie, a son fondement
dans la grâce christologique de la pénitence et qu’elle est une conséquence
intrinsèquement nécessaire de l’idée de pénitence, c’est-à-dire de cette idée
que le pardon dispose à la conversion.
RATZINGER
J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 239.
[1001] Question 15, article 2.
[1002] Matthieu 8, 8.
[1003] Philippiens 2,7.
[1004] Jean 13, 4-16.
[1005] Jean 14, 9.
[1006] Jean 12, 24.
[1007] Luc 12, 34.
[1008] Matthieu 21, 31.
[1009] Voir chez saint Thomas d’Aquin, Supplément Question 70 ter,
article 7.
[1010] Matthieu 7, 1.
[1011] Le cardinal Ratzinger écrit à propos de la dette de peine : « Mais,
une fois de plus, se pose ici une question d’importance. Comme nous l’avons vu,
la prière pour les défunts, sous ses multiples formes, appartient aux tous
premiers temps de la tradition judéo-chrétienne. Or cette prière ne
présuppose-t-elle pas que le purgatoire est une sorte de châtiment externe dont
on serait exempté en empruntant la voie de la grâce ou que d’autres pourraient
subir par une sorte de substitution spirituelle ? Quelqu’un peut-il donc entrer
autrement dans le processus hautement personnel de rencontre avec le Christ, de
transformation de son moi par le feu de son approche ? N’est-ce pas un événement
propre à tel homme, qui ne laisse place à aucune substitution, à aucun
remplacement ? Toute la spiritualité des « pauvres âmes » ne repose-t-elle pas
sur le fait que la souffrance de ces âmes est traitée à la manière d’un « avoir
« , tandis que, d’après ce qu’on vient de dire, il s’agit de leur « être », de
quelque chose d’irremplaçable ? Il faut à cela objecter que l’être de l’homme
n’est pas, lui non plus, une monade close, mais, par l’amour et par la haine,
il est relié aux autres en qui il est présent. L’être personnel est présent
dans les autres comme faute et comme grâce. L’homme n’est jamais uniquement
lui-même ou plus exactement il est lui-même dans les autres, avec les autres,
par les autres. Que les autres le maudissent ou le bénissent, qu’ils lui
pardonnent et transforment sa faute par amour, c’est une part de son propre
destin. Que les saints « jugent », cela veut dire que rencontrer le Christ,
c’est être mis en présence de tout son corps, de ma faute contre les membres
souffrants de ce corps et de son amour pardonnant qui émane du Christ. »
L’intercession des saints auprès du juge n’est pas [...] une prière purement
externe, dont la portée reste douteuse selon l’insondable volonté du juge ;
Elle est avant tout un poids interne qui, placé sur le plateau de la balance,
peut la faire pencher. » Cette intercession est le seul aspect fondamental de
leur « jugement » ; c’est même justement par leur jugement et leur prière
salvatrice qu’ils ont place dans la doctrine du purgatoire et dans la vie chrétienne
correspondante. » J’espère en toi pour moi, RATZINGER J, La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 240
[1012] D. S. 2063.
[1013] RATZINCER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p.
190.
[1014] Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg,
Suisse, 1980, p. 38.
[1015] Luc 15, 20.
[1016]Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae question 89
article 6.
[1017] CONCILE DE TRENTE, Op. cit. Dumeige 358.
[1018] Vatican II, Gaudium et Spes n° 22, 5, trad. Officielle.
[1019] Voir l’article « Misère des enfants et péché originel d’après
saint Augustin », F. Refoule, Revue Thomiste, juillet 1963, p. 341.
[1020] Constitution Benedictus Deus, Dumeige p. 510.
[1021] 1 Timothée 2, 3-4.
[1022] Voir dans ce traité, Question 16.
[1023] Voir dans ce traité, Question 1, article 2 ; Question 1 bis.
[1024] Luc 3, 1.
[1025] Denzinger Schön. 858. C. JOURNET, La volonté divine salvifique
sur les petits enfants.
[1026] Ibidem 1306 (1438-1445). Le Décret Pro jacobitis du
même concile précise qu’il n’est possible de venir en aide aux petits enfants «
par un autre remède que le sacrement de baptême », Ibidem 1349.
[1027] Décret sur le baptême, Denzinger, 2626.
[1028] La thèse que nous proposons doit bien sûr subir la critique des
théologiens. Mais elle a l’avantage de s’inscrire dans le cadre d’une doctrine
traditionnelle, celle du baptême de désir. On pourrait nous objecter cette
Déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Tirée de
l’instruction sur le baptême des petits enfants (DC, 1997, n° 1980, p.
1109) : « Par sa doctrine et sa pratique, l’Église a montré qu`elle ne
connaît pas d’autre moyen que le baptême pour assurer aux petits enfants
l’entrée dans la béatitude éternelle. C’est pourquoi, elle se garde de négliger
la mission qu’elle a reçu de baptiser les petits enfants. Quant aux petits
enfants décédés sans avoir reçu le baptême, l’Église ne peut que les confier à
la miséricorde de Dieu comme elle le fait dans le rite des funérailles qu’elle
a créé pour eux. »
[1029] « A mes Petits Frères du Ciel, les innocents. »
[1030] Luc 16, 22.
[1031] Marc 10, 13.
[1032] Derniers entretiens, 18 août, éditions du Cerf, Paris.
[1033] « J’entre dans la vie », cerf-Desclée de Brouwer, 1977, p.
66
[1034] Lettre d’Innocent IV à l’évêque de Tusculum (06/03/1224)
[1035] « J’entre dans la vie », cerf-Desclée de Brouwer,
1977, p. 66. Parole relevée par le 10 juillet 1897 (83 jours avant sa mort) sur
le petit carnet jaune par mère Agnès de Jésus (Agnès Martin) sous le titre : «
Paroles recueillies les deniers mois de notre Thérèse. »
[1036] Manuscrits autobiographiques de sainte Thérèse de
Lisieux, l’enfance.
[1037] Marc 10, 13.
[1038] 4 octobre 1997.
[1039] Voir la lettre apostolique Ad Tuendam Fidem, 30 juin
1999, et le commentaire du Cardinal préfet de la Congrégation pour la foi qui
montre que la condamnation de l’avortement relève bien du Magistère solennel.
[1040] « J’entre dans la vie », cerf-Desclée de Brouwer,
1977, p. 66. Parole relevée par le 10 juillet 1897 (83 jours avant sa mort) sur
le petit carnet jaune par mère Agnès de Jésus (Agnès Martin) sous le titre : «
Paroles recueillies les deniers mois de notre Thérèse"
[1041] Apocalypse 7, 13.
[1042] Romains 10, 14.
[1043] Voir chacune des références dans le Dentzinger, Cerf, Paris, 1997.
[1044] Actes 16, 6.
[1045] S'il l'avait voulu, ce serait fait depuis longtemps en raison de
la puissance de l'Esprit et seuls résisteraient aujourd’hui ceux qui en
auraient fait lucidement ce choix.
[1046] 2 Théssaloniciens 2, 8.
[1047] Allocution SINGULARI QUADAM de Pie IX (9
décembre 1854).
[1048] 1 Jn 3, 2.
[1049] Ep 4, 51.
[1050] Lettre du Saint Office à Mgr Cushing, Archevêque de Boston,
8 août 1949.
[1051] Hébreux 11, 6.
[1052] Hébreux 11, 6.
[1053] Luc 17, 10.
[1054] De Veritate, 14, 11, 1.
[1055] Luc 7, 47.
[1056] Romains 6, 1.
[1057] Voir notre traité, question 11, article 5.
[1058] Luc 12, 34.
[1059] La question 71 du Supplément à la Somme de théologie de saint
Thomas d’Aquin est ici reprise, avec des modifications.
[1060] « Reconnaissant dès l’abord cette communion qui existe à
l’intérieur de tout le corps mystique de Jésus Christ, l’Église en ses membres
qui cheminent sur terre a entouré de beaucoup de piété la mémoire des défunts
dès les premiers temps du christianisme en offrant aussi pour eux ses
suffrages, car « la pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés
de leurs péchés, est une pensée sainte et pieuse. »
2
Macchabées 12, 45 (Lumen Gentium 50).
[1061] 2 Macchabées 12, 45.
[1062] L’article du Supplément de la Somme de Théologie
n’est plus utilisable dans l’état ou le jeune saint Thomas l’avait écrit.
[1063] Luc 16.
[1064] Cet article est, en conséquence de la thèse sur la venue du Christ
à l’heure de la mort, rajouté à la question de saint Thomas d’Aquin.
[1065] Affirmer la communion des saints, c’est déjà, d’une manière
très générale, prendre le contre-pied d’une certaine compréhension de la vie
chrétienne : celle qui la voit comme une grandeur isolée comme si, plus
l’unique (Kierkegaard) était isolé et solitaire dans sa recherche de Dieu, plus
il était un chrétien authentique, existentiel. Pour la Bible celui qui croit ne
peut que « demeurer dans la communauté de ceux qui rompent le pain » (Actes 2,
42), qu’être appelé dans la « communauté du Fils (de Dieu) » I Corinthiens 1,
9), et ce par la « communion au sang du Christ » bu à la même coupe, et par la
communion à son corps mangé dans le même pain (10, 16). Tout ceci se replaçant
dans la « communion de l’Esprit Saint » (2 Corinthiens 13, 13), qui est
communion avec le Christ et communion les uns avec les autres par lui (cf.
Philippiens, 2, 1). Mais la communion dans le Christ représente en même temps
une garantie de « communion dans la consolation » par Dieu (2 Corinthiens 1,
7), et même une « communion dans la gloire à venir » (I Pierre 5, 1). Toute la
doctrine de Paul sur l’Église comme corps du Christ, dans laquelle les croyants
existent comme membres, pour le bien de l’ensemble, mais aussi pour celui des
autres membres, marque du sceau du définitif la signification centrale de
l’idée chrétienne de communion.
Christoph SCHÖNBORN, o p : L’état
de pèlerin, de purification et de gloire (La communion des saints selon
Vatican II).
[1066] La discipline pénitentielle primitive connaissait de longues
et laborieuses satisfactions pour les péchés. Les évêques, cependant, tel saint
Cyprien, prirent la coutume de diminuer le poids de ces satisfactions. Les
tarifs pénitentiels des pénitents publics furent de plus en plus réduits et
remplacés par d’autres pratiques ; ainsi on pouvait faire un pèlerinage au lieu
d’un jeune de sept ans ; on recevait donc une indulgence de sept ans. On
accepta aussi que la pratique réduisant la peine pouvait être accomplie par un
ami du pécheur et même par un vivant à la place d’un défunt. En 1457, pour la
première fois dans un document pontifical, Callixte III concéda des indulgences
applicables aux âmes du purgatoire.
Cette doctrine doit être
revue aujourd’hui. Elle avait été présentée au Concile, mais les Pères furent empêchés
de l’approfondir. La Constitution apostolique Indulgentiarum Doctrina du
1. 1. 1967 a déjà simplifié la discipline des indulgences et montré
l’universalité du trésor de l’Amour que le Christ nous a mérité. Tout ce qui
nous associe à la charité du Christ, qui incarne l’initiative salvifique de
Dieu, nous fait coopérer au salut du monde.
[1067] Saint Luc 8, 21.
[1068] C’est ce que réalisent sacramentellement toutes ces infirmières
qui n’hésitent pas à baptiser les nouveau-nés en danger de mort.
[1069] 1 Corinthiens 15, 29.
[1070] Supplément à la Somme de Théologie, Question
71 ; L’Église exclut toute forme de pensée ou d’expression qui rendrait
absurdes ou inintelligibles sa prière, ses rites funèbres, son culte des
morts, lesquels constituent, dans leur substance, des lieux théologiques. Congrégation pour la doctrine de la foi, Lettre sur quelques questions concernant
l’eschatologie, 17 mai 1979.
[1071] Supplément à la Somme de Théologie, Question 71.
[1072] Supplément à la Somme de Théologie, Question 71.
[1073] Supplément à la Somme de Théologie, Question 71.
[1074] Genèse 3, 8.
[1075] Isaïe 11, 6.
[1076] Genèse 3, 24.
[1077] Apocalypse 20.
[1078] 1 Corinthiens 2, 9.
[1079] L’expression « royaume de Dieu » ou « royaume des cieux » (basileia
tou théou, basileia ton ouranon°, dans les textes du Nouveau Testament,
nous apparaît comme le véritable mot clé de la prédication de Jésus. Sur ce
point, les statistiques sont nettes : sur 122 occurrences de cette expression
dans le Nouveau Testament, 99 se trouvent dans les synoptiques, dont 90 dans
les propos attribués à Jésus. Il est donc évident que cette expression revêt
dans la tradition sur Jésus une importance majeure.
[1080] Luc 17, 21.
[1081] 1 Corinthiens 15, 24.
[1082] « Quel sera donc le Ciel ? La possession de Dieu, la
joie d’une merveilleuse découverte de sa beauté, de sa grandeur, de sa vérité,
de son amour infiniment prévenant et miséricordieux. En présence de l’être
aimé, on ne s’aperçoit pas que le temps passe. Il n’est alors plus question de
compter le temps. L’éternité ? Instant unique sans doute, exceptionnel,
extraordinaire, qui ne fait pas nombre avec les années. Puisque plus rien ne
nous séparera de Dieu. » QUEL AVENIR POUR L’HOMME ? Lettre pastorale
du cardinal Gouyon à l’occasion de ta Toussaint, Documentation Catholique, n°
1706, octobre 1976.
[1083] Apocalypse 22, 15.
[1084] Hébreux 11, 9.
[1085] Matthieu 5, 4.
[1086] Matthieu 11, 12.
[1087] Luc 13, 33.
[1088] Luc 21, 14.
[1089] Apocalypse 21, 3.
[1090] Luc 13, 33.
[1091] Osée 2, 16.
[1092] Apocalypse 21, 9 à 27.
[1093]« Nous entendrons une dernière fois l’appel familier : «
Heureux les invités au repas du Seigneur! » Dans la jubilation, nous saurons
que l’heure du banquet a sonné. Nous verrons la Jérusalem céleste, belle comme
une mariée descendre du Ciel, et tous les invités accourir des quatre coins de
l’horizon. Nous les reconnaîtrons sans peine : nous-mêmes, parmi les pauvres,
les estropiés, les aveugles, les boiteux. Tous, pressés d’entrer dans l’Église
éternelle, emportés vers leur Seigneur avec la fougue d’un amour impétueux,
s’élançant comme le torrent qui bondit sur les pentes de la montagne de Dieu. »
(Proposition de foi des évêques de
France, 1978, Documentation catholique. n°
l073).
[1094] Marc 24, 25.
[1095] Apocalypse 19, 9.
[1096] Romains 5, 8.
[1097] Osée 2, 16.
[1098] Cantique des Cantiques 8, 6.
[1099] Voir dans la Somme de Théologie, le sacerdoce du Christ,
IIIa, Question 22 ; Question 82 ; Supplément Question 34-40 ; Ia IIae
Question 102-105 ; et bien d’autres lieux théologiques.
[1100] Hébreux 5, 6 ; 7, 17.
[1101] Apocalypse 1, 6.
[1102] Apocalypse 20, 6.
[1103] Apocalypse 22, 15.
[1104] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Ia pars, Question 62, a.
7.
[1105] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Ia pars, Question 62, a.
8.
[1106] Cet article, tiré de la Somme de Théologie, Ia IIae,
Question 4, article 5, reste valable malgré notre thèse de la subsistance du
corps psychique. Le corps physique, siège des facultés végétatives a bien
disparu et c’est une partie de notre être qui nous manque. Il nous sera rendu
lors de la résurrection de la chair.
[1107] « La Foi Catholique », conférence du p. Pierre Benoît à Fribourg.
[1108] Cf. FLANAGAN D, L’eschatologie et l’Assomption, en
Concilium, 41, 1969, 121-130, 129.
[1109] L’âme est par nature la forme du corps qui lui est uni. Elle
possède une orientation radicale qui l’oriente à désirer ce corps lorsqu’elle
en a été séparée par la mort. C’est ce qu’on appelle un habitus « de l’être. »
[1110] Apocalypse 7, 1.
[1111] Notre traité, Question 8, article 2.
[1112] RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard,
1994, p. 156.
[1113] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplément Question
93, article 2.
[1114] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplément Question
93, article 3.
[1115] 2 Timothée 2, 5.
[1116] Manuscrit autobiographique, manuscrit A, p. 13.
[1117] Toute cette question est reprise sans modification dans le Supplément
de la Somme théologique, Question 95.
[1118] BALTHASAR H. U, La dramatique divine, 4, le
dénouement, Culture et Vérité, Namur 1993, p. 373 ss.
[1119] Cette question, comme la précédente mériterait d’être
récrite en élargissant ces lumières de l’âme à toutes les formes de la vie
humaine. Nous les reproduisons telles qu’elles sont dans la Somme, en laissant
au lecteur le soin de le faire. Voir dans la Somme :
Auréole.
L’auréole des martyrs est absolument supérieure aux autres, celle des vierges
a eu plus de durée, celle des confesseurs plus de périls. IIa IIae q. 452. 5. — C’est une récompense accidentelle qui est due en,
raison d’une œuvre méritoire. Sup. q. 79. 4. o. — Elle consiste dans la joie
de la perfection des œuvres, et elle n’est pas la même chose que le fruit. Sup.
q. 76 ; BALTHASAR H. U, La dramatique divine, 4, dénouement, Culture et
vérité, Namur 1993, p. 377-379.
[1120] Somme théologique, Supplément Question 96 article 1.
[1121] Somme théologique, Supplément Question 96 article 2.
[1122] Somme théologique, Supplément Question 96 article 3.
[1123] Somme théologique, Supplément Question 96 article 4.
[1124] Somme théologique, Supplément Question 96 article 5.
[1125] Somme théologique, Supplément Question 96 article 6.
[1126] Somme théologique, Supplément Question 96 article 7.
[1127] Somme théologique, Supplément Question 96 article 8.
[1128] Somme théologique, Supplément Question 96 article 9.
[1129] Somme théologique, Supplément Question 96 article 10.
[1130] Somme théologique, Supplément Question 96 article 11.
[1131] Somme théologique, Supplément Question 96 article 12.
[1132] Une formule d’Abélard est caractéristique : la communion
des saints est « cette communion par laquelle les saints deviennent des saints
et sont consumés dans leur sainteté par la participation au sacrement divin...
Mais nous pouvons aussi comprendre sanctorum comme un neutre à savoir
comme le sacrement de l’autel du pain et du vin consacrés. » Thomas d’Aquin
semble avoir associé les deux significations de l’intérieur, quand il dit dans
son explication du Credo : « Puisque tous les croyants forment un seul corps,
le bien des uns est communiqué aux autres. Il faut de la sorte croire qu’il
existe une communion des biens (ou des gens de bien° (bonorum) dans
l’Église. Mais le membre le plus important est le Christ puisqu’il est la tête.
Ainsi le bien du Christ est communiqué à tous les membres et cette
communication se fait par les sacrements de l’Église dans lesquels la puissance
de la passion du Christ agit efficacement. » « Bonorum » peut aussi être
masculin, ce qui convient mieux à la comparaison du corps, qui précède
immédiatement.
[1133] Notre traité, Question 8, article 2.
[1134] JACQUES MARITAIN. A propos de l’Église du Ciel. Nova et Vetera, 1964, 4.
[1135] Apocalypse 15, 3.
[1136] Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg-Suisse,
1980, p. 51.
[1137] Voir notre traité, Question 8, article 2.
[1138] Saint François de Sales conçoit le sens du culte des saints
: « C’est pourquoi nous reconnaissons les saints non pas proprement pour
médiateurs au sens où ils se tiendraient entre Dieu et nous, comme le Christ
qui est vraiment le centre puisqu’il possède les deux natures divine et humaine
étant donné qu’il est aussi bien le Fils de Dieu que le fils d’un être humain.
Mais nous faisons appel aux saints pour qu’ils nous accompagnent dans notre
prière à travers l’unique Seigneur Jésus-Christ » Controverses II.
[1139] Lumen Gentium 51.
[1140] Nous reproduisons, avec quelques modifications l’article de saint
Thomas, Supplément Question 72, article 1.
[1141] « Rassemblés dans l’éternel présent de sa charité, nous
pressentons qu’il y a, entre les hommes, une solidarité plus forte que la mort.
La « communion des saints « permet à ceux qui se sont aimés sur terre dans le
Christ, même sans le reconnaître, de se rencontrer mystérieusement encore
par-dessus l’abîme de la mort, en se rejoignant dans le cœur de Dieu, par la
médiation du Christ. Toujours vivant, il intercède sans relâche en notre
faveur. Et nous aussi nous intercédons avec lui. » Proposition de foi
des évêques de France, 1978, Documentation catholique, n° 1073.
[1142] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplément
Question 72, article 2 ; On ne peut pas retracer ici en détail
l’approfondissement progressif de l’idée de communion, qui n’est plus seulement
une existence avec les autres dans l’amour réciproque, mais un engagement actif
pour les autres, et donc « à la place » des autres. On se contentera pour finir de deux noms : Dietrich Bonhoeffer,
qui fit sa thèse de doctorat sur l’idée de communion des saints (s), et Georges
Bernanos, dont l’œuvre a pour centre l’interprétation catholique de la
communion des saints, par exemple dans Le dialogue des carmélites.
[1143] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplément
Question 72, article 3 ; Le Concile Vatican II, Lumen Gentium 49, écrit : « parce
qu’ils sont intimement unis au Christ, les saints du Ciel affermissent plus solidement
l’Église dans la sainteté (…) et l’aident de multiple façon à se construire
plus largement. »
[1144] Nulle part cela ne devient aussi clair que dans l’action de
Marie, Mère de Jésus, en laquelle l’Église peut se considérer elle-même comme
en un miroir. Deux sections du chapitre VIII de Lumen Gentium (60) éclairent
particulièrement la question de la communio sanctorum « La mission
maternelle de Marie à l’égard des hommes n’offusque en rien cette unique
médiation du Christ, mais elle en montre au contraire la puissance. Toute
influence salutaire (salutaris influxus) de la Bienheureuse Vierge sur les
hommes ne vient donc pas d’une quelconque nécessité factuelle, mais d’une
disposition gratuite de Dieu et procède de la surabondance des mérites du
Christ, s’appuie sur sa médiation, dépend en tout (omnino) d’elle et en lire
toute sa vertu (totam virtutem). L’union immédiate (unionem immediatam) des
croyants au christ, n’est toutefois aucunement empêchée par là, elle est au
contraire favorisée. » Si une telle médiation dans le Christ n’était pas
possible, l’Église elle-même serait un empêchement, un obstacle entre le Christ
et les hommes.
[1145] Luc 15, 47.
[1146] La cité de Dieu, Livre 14, 15.
[1147] Apocalypse 21, 4.
[1148] cf. 1 Rois 2, 18 ; Actes1, 10.
[1149] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplément Question
94, article 1.
[1150] Job 1.
[1151] BALTHASAR H. U, La dramatique divine, culture et
Vérité, Namur 1993, p. 252-253.
[1152] Les saints ont eu parfois sur le mystère de l’enfer des
mots qui donnent le vertige. Reprenant l’invocation des Litanies : « Par tes
saints jugements, délivre-moi, Seigneur », Angèle de Foligno disait : « Je
ne vois pas plus la Bonté de Dieu dans un homme bon et saint, et dans plusieurs
hommes bons et saints, que dans un damné ou dans la multitude des damnés. Cette
profondeur ne m’a été montrée qu’une fois, mais jamais je n’en perds le
souvenir ni la joie. Et si tout ce qui tient à la foi venait à me manquer, il
me resterait encore pourtant cette unique certitude au sujet de Dieu, celle de
ses jugements, de la justice de ses jugements. Mais, oh! Quelle grande
profondeur est ici! Mais tout ceci va à l’utilité des bons : car toute âme qui
aurait ou qui aura la connaissance de ces jugements et de cet abîme, tirera
fruit de tout, par cette connaissance du nom de Dieu. » Livre de sainte Angèle de Foligno, fin de la
1re partie, vers te milieu du 7ème passage.
[1153] Paul VI, Audience générale du 8 septembre 1974, Documentation
catholique, n° 1594. « Comment répondre à ceux qui disent que le
christianisme concerne le présent et non l’avenir : « Nous savons donc comment répondre à ceux qui, dans l’interprétation
qu’ils donnent des écrits du Nouveau Testament où il est question des
événements eschatologiques, soutiennent que ceux-ci ont déjà été réalisés avec
la venue du Messie et qu’il n’y aurait donc rien d’autre à attendre. Le
christianisme, disent-ils, concerne le présent et non l’avenir. Pour nous,
nous nous en tenons aux paroles du Seigneur qui nous assurent qu’avec sa venue
dans le monde, déjà « le Royaume de Dieu est parmi nous (cf. Luc 17, 21) ; dans
I’Église animée par l’Esprit Saint, nous possédons dès maintenant d’immenses
richesses de vie nouvelle mais de plus, avec un souffle prophétique qui
imprègne tout l’Evangile, le Christ nous avertit que sa venue historique, telle
que nous la connaissons par l’Evangile, n’est pas la dernière. La dernière, la
venue eschatologique, à laquelle on donne un nom spécial la « parousie « (qui
veut dire présence, avènement, apparition>, sera « le jour du Seigneur (cf.
Isaïe 2, 12 ; 13, 6. etc.), où le Christ reviendra « pour juger les vivants et
les morts « et pour inaugurer la théophanie finale, la vision béatifique de
l’éternité. »
REMARQUE
SUR L’HISTOIRE DES PEURS DE LA FIN DU MONDE :
Périodiquement
d’ailleurs, la pensée de la fin du monde et du jugement dernier hantait les
esprits. Dès l’âge patristique, le problème s’était déjà posé. Au IVe siècle,
les invasions barbares, et très particulièrement la prise de Rome, avaient
effrayé les âmes. Saint Jérôme lui-même en était épouvanté, encore qu’il ait
cédé à la tentation de faire de la littérature. Plus détaché et plus lucide,
Augustin tirait de ces catastrophes des leçons de vie spirituelle. Pourquoi
s’étonner, disait-il, que périssent des royaumes périssables ? Les malheurs de
Rome, que les païens imputaient à la religion nouvelle, furent l’occasion d’un
grand ouvrage qui allait fournir aux siècles à venir une théologie chrétienne
de l’histoire. En 418, le saint évêque répondit à un évêque dalmate, Héchius,
qui, ayant scruté les l’Ecritures pour y trouver les signes précurseurs de la
fin du monde, croyait percevoir que ceux-ci étaient actuellement manifestes.
Augustin calma ses angoisses par une lettre qui est un véritable petit traité
sur la question. Il serait intéressant de Voir dans quelle mesure cette mise en
ordre a influencé la théologie scolastique. Au VIe siècle, saint
Grégoire, comparant la Rome de son temps à un vieil aigle déplumé, voyait aussi
l’humanité vieillie, proche de la mort, et soulignait les cataclysmes naturels
de son époque. Au VIIIe siècle, dans l’Espagne envahie par l’Islam, Beatus
compose son commentaire de l’Apocalypse. Les terreurs de l’an mille, qu’on a
beaucoup exagérées, sont une expression de cette crise cyclique qui secoua les
populations chrétiennes. Notre Dies irae, évocation du jour de la colère, fut
composé en Italie vers le XIIe ou le XIIIe siècle. Au
milieu du XIIe siècle, Joachim de Flore oriente la pensée apocalyptique dans
une autre direction, annonçant un Evangile éternel qui sera comme un nouvel âge
de l’Église, le règne de l’Esprit succédant alors à celui du Fils, qui avait
pris lui-même la suite du règne du Père. Ces rêveries auront un écho dans le
mouvement des spirituels condamnés en 1311 au Concile de Vienne et cet écho se
prolongera longtemps, certains ordres nouveaux estimant qu’ils accomplissent
les « prophéties » de l’abbé calabrais. Mais la crainte du jugement dernier,
l’angoisse à la pensée de la fin des temps, a la vie encore plus dure. Au XIVe
siècle, saint Bernardin de Sienne note que, dans son enfance, on estimait déjà
que l’Antéchrist était né ; le saint dut combattre cette erreur chez un certain
Manfred qui en tirait des conclusions absurdes, invitant les époux à se séparer
pour vaquer à la prière.
Pendant
ce temps, la théologie continue à s’intéresser à la fin du monde, mais celle-ci
est devenue pour elle un objet de spéculation, non un problème vital. On
s’efforce de mettre en ordre les indications de l’Écriture et de cataloguer les
signes précurseurs de la fin du monde. La Glose ordinaire, dans laquelle
puisaient les théologiens du XIIIe siècle, en distinguait quinze. Les
théologiens de l’âge postérieur furent plus modérés, et leurs épigones les
ramèneront à six l’Évangile enfin universellement prêché, la venue de l’Antéchrist,
la grande apostasie prédite par l’Apocalypse, la conversion des juifs annoncée
par saint Paul, le retour d’Énoch et d’Elie, les deux « témoins « de
l’Apocalypse, enfin des signes et des prodiges de caractères divers.
La
Révolution française ne manqua pas d’impressionner certains esprits. Détenu en
prison sous le consulat et l’empire, le p. de Clorivière occupa ses loisirs à
commenter l’Apocalypse. En sens inverse, tourné vers un avenir que, malgré les
persécutions, il estimait radieux, le p. Ramière écrivit un livre sur « les
Espérances de l’Église » ouvrage légèrement teinté de millénarisme. La guerre
mondiale de 1914, puis celle de 1939 furent un terrain favorable à l’éclosion
ou au réveil de vieilles « prophéties. » Au XXe siècle, qui succédait au
rationalisme philosophique et théologique de l’âge précédent, la question de la
fin des temps entra dans une phase nouvelle. A la théologie scolastique, qui
avait juxtaposé les textes bibliques, succéda une théologie biblique qui,
appuyée sur une meilleure connaissance de la mentalité orientale, et sur la
théorie des genres littéraires, se mît à étudier séparément, mais dans leur
contexte immédiat et lointain, les affirmations des livres du Nouveau
Testament. Les discours eschatologiques de Jésus, où il est difficile de
démêler ce qui concerne la fin du monde, la ruine de Jérusalem et d’autres
aspects de l’eschatologie individuelle et collective, furent étudiés par de
nombreux chercheurs. Des travaux authentiquement catholiques révisèrent ce
qu’on disait communément de l’Antéchrist, et finirent par conclure que cette
personnification désigne moins un individu déterminé que tous ceux qui ont
lutté au cours de l’histoire contre l’avènement du Fils de Dieu et la vie de
son Église. Bellarmin et Suarez avaient donné comme de foi la venue finale
d’Énoch et Élie enlevés au Ciel avec leur corps de chair. Mais jamais l’Église
ne s’était prononcée sur ce point particulier ; on aurait dû depuis longtemps
comprendre que, selon Notre-Seigneur lui-même (Matthieu, 2, 14), Jean-Baptiste
avait été cet Élie prédit par les Prophètes, mais saint Augustin et d’autres
Pères avaient paralysé la recherche en affirmant que, bien qu’Élie ait pu
revivre symboliquement dans le Précurseur, il n’était pas moins vrai qu’il
reviendrait au dernier jour. Le contact de l’exégèse avec les sciences multiples
qui peuvent l’éclairer a obligé à réviser soigneusement les assertions
courantes d’une théologie pour laquelle les problèmes de la fin des temps
n’étaient plus qu’un exercice d’école.
Mais
en même temps, d’autres théologiens continuaient à s‘intéresser à ces problèmes
pour eux-mêmes ils regardaient du côté des sciences de la nature. La révolution
de Copernic avait eu ses répercussions sur la théologie des fins dernières.
Elle eut encore d’autres effets le feu du jugement, dont la place était si
grande dans l’Ancien Testament, la conflagration finale dont avait parlé
l’Épître de Pierre, devinrent l’occasion d’une vision d’avenir. Les savants
imaginaient que la terre finirait dans l’embrasement effroyable d’une
rencontre avec quelque planète détournée de son orbite. Le concordisme qui
avait marqué la seconde moitié du XIXe siècle trouva là sa pâture,
et un théologien aussi grave que le cardinal Billot n’hésita pas à citer dans
son traité de Novissimis, cependant assez bref, de larges tranches d’un
pseudo-savant philosophe. Outre-Rhin, des théologiens sérieux l’imitaient en se
référant à d’autres auteurs. Au XXe siècle, le p. Teilhard de Chardin, dans une
synthèse grandiose, entrevoit la fin du monde et de l’histoire d’une tout autre
façon. L’humanité grandie, vieillie et cependant restée jeune, sera mise un
jour en face d’une option qui engagera son éternité. Avant qu’on puisse
envisager une rencontre catastrophique de la planète avec une planète rivale
ou avant que la terre meure par suite du refroidissement inéluctable du soleil,
elle sera comme engloutie spirituellement par un libre engagement de ses
habitants mis en demeure de choisir entre le Ciel et l’enfer. Il est curieux de
constater qu’on retrouve au XXe siècle, mais rejetée à la fin des
temps, l’option que les scolastiques avaient mise au paradis terrestre.
[1154] Ce traité sera vu selon une méthode théologique, c’est-à-dire à
l’écoute de la foi de l’Église : Voir pour comprendre notre perspective les
remarques de la Congrégation de la Doctrine de la foi, Lettre sur quelques
questions concernant l’eschatologie. (1979)
[1155] Matthieu 24, 30.
[1156] Apocalypse 1, 17.
[1157] Actes 1, 9.
[1158] L’islam aussi professe le retour du Christ à la fin du monde.
C’est la même théologie, sauf que Jésus n’y est qu’un homme et prêche l’islam.
Eux aussi voient ce retour non seulement à la fin du monde mais aussi sur le
lit de mort de chacun. Voir : « La mort et le jugement dernier selon les
enseignements de l’islam », Rayhane éditions, Paris 1991, Fdal HAJA, p. 62ss.
« Les
musulmans, du nord au sud de la terre, croient que Jésus, fils de Marie, est un
messager et un serviteur de Dieu. Sa naissance et son Ascension sont des signes
célestes, destinés aux serviteurs de Dieu. Parmi ces derniers il y a ceux qui
se sont réaffirmés et qui ont reconnu la vérité, il y a aussi ceux qui se sont
écartés et qui se sont perdus. Le Saint Coran, révélé à Muhammad, nous a
enseigné que les Juifs n’ont pas tué l’Envoyé de Dieu, Jésus fils de Marie,
même s’ils ont prétendu l’avoir fait, et que les chrétiens les ont crus. La
vérité est qu’ils ne l’ont jamais tué. Dieu dit : « Pour avoir affirmé. » Nous
avons tué Jésus, le Messie, fils de Marie, le messager de Dieu » Ils ne l’ont
pas tué, ils ne l’ont pas crucifié, mais l’illusion les en a possédés. Ceux qui
là-dessus controversent ne font qu’en douter, sans avoir en la matière d’autre
science que de suivre la conjecture. Ils ne l’ont certainement pas tué. Mais
Dieu l’a élevé vers lui. Et Dieu est tout puissant, sage » (4 :157-158). Dieu
dit encore : « Lorsque Dieu dit : Jésus! Je vais t’achever et t’élever vers
Moi, et te purifier de ceux qui ont mécrus, et mettre ceux qui t’ont suivi
au-dessus de ceux qui t’ont renié, et cela jusqu’au Jour de la Résurrection.
Après quoi vers Moi est votre retour et je trancherai entre vous l’objet de
votre différent » (3 :55).
Jésus
apparaîtra au moment où l’Antéchrist tourmentera les hommes. II est dit qu’il
sera en Syrie. Il est écrit dans « al-Jarali as-Saghir » qu’il apparaîtra au
Nord de Damas. Seul Dieu le sait. L’Imam Ibn Kahtir a souligné à propos de
l’exégèse de la sourate an-Nisa (les femmes, verset 159) et des hadiths du
prophète concernant l’apparition de Jésus : « Ce sont des dires fréquents de l’Envoyé
de Dieu qui indiquent la façon et le lieu de son apparition, qui sera en Syrie,
à Damas et plus précisément à la borne Nord, au moment de la prière de l’aube.
Il tuera le cochon, brisera la croix... II n’acceptera que l’islam (comme
religion°, et alors les doutes des chrétiens se dissiperont. Ils embrasseront
l’islam, suivant en cela Jésus »
Dieu
dit : « Il n’est est pas un seul parmi les gens du Livre à ne pas croire à lui
avant sa mort, et le Jour de la Résurrection Jésus sera témoin contre eux » (4
:159). II est dit dans ce verset que tout homme verra la vérité dévoilée sur
son lit de mort, et pas un seul être humain ne mourra sans avoir reconnu
auparavant le vrai du faux. C’est ainsi que les gens du Livre sauront toute la
vérité sur Jésus. La foi n’a de valeur que si on l’accorde à l’inconnu, car une
fois qu’on a vu les preuves de ses propres yeux, on n’a plus aucun mérite d’y
croire. Alors la religion deviendra une, la religion d’Abraham, le musulman, le
fervent. Jésus tuera l’Antéchrist sur ordre de Dieu. Dieu ressuscitera Ya’jouj
et Ma’jouj qu’Il anéantira en réponse aux invocations de Jésus ainsi qu’à
celles des Compagnons.
D’après
Abu Hurayra (Que Dieu soit satisfait de lui), l’Envoyé de Dieu a dit : «
Comment serez-vous, quand apparaîtra parmi vous le fils de Marie alors que
votre imam (guide) est l’un des vôtres ? » (Rapporté par al-Bukhari et Muslim).
Jabir
Ibn’Abdallah (Que Dieu soit satisfait de lui) a entendu l’Envoyé de Dieu dire :
« Un groupe de ma communauté combattra ostensiblement pour la vérité jusqu’au
Jour de la Résurrection. » Il a ajouté : « Alors Jésus fils de Marie (Salut sur
lui) apparaîtra et leur chef lui dira : « Venez! Priez pour nous. » Il répondra
: « Non! Car vous êtes les princes les uns des autres, témoignage d’honneur
accordé par Dieu à cette communauté » (Rapporté par Muslim).
Parmi
ses caractéristiques mentionnées dans les sunan d’Abu Dawud, Abu Hurayra
(Que Dieu soit satisfait de lui) a rapporté que l’Envoyé de dieu a dit : « Il
n’y a pas entre moi et lui de prophète (intermédiaire). Il apparaîtra
(certainement). Quand vous le verrez, reconnaissez-le : (c’est) un homme de,
taille moyenne, (d’une teinte) qui n’est ni rougeâtre, ni blanchâtre, (il
portera) deux tissus jaunâtres. Des gouttes couleront de sa tête alors qu’elle
n’a pas été mouillée. Il combattra pour l’islam, brisera la croix, proscrira la
consommation du porc, abolira la jizia. A son époque Dieu annulera
toutes les religions sauf l’islam. II anéantira l’Antéchrist. II restera sur
terre quarante ans, il mourra, et les musulmans prieront pour lui » (Rapporté
par Muslim, livre Al Iman°.
Dans
un autre hadith, il est dit quarante sans préciser si c’est quarante jours,
mois ou années. Abu Hurayra (Que Dieu soit satisfait de lui) a rapporté que
l’Envoyé de Dieu a dit : « Je jure par Celui qui détient mon âme entre Ses
mains, qu’il (Jésus) est sur le point d’apparaître parmi vous, Jésus fils de
Marie, le dirigeant juste qui brisera la croix, interdira la consommation du
porc, mettra fin à la guerre. L’argent sera en abondance à tel point qu’on le
refusera ; et, qu’une seule prosternation sera préférable à ce monde et à tout
ce qu’il contient. »
[1159] Voir Question 15, L’heure de la mort.
[1160] Voir notre traité, la question 8 sur la mort.
[1161] Matthieu 24, 26.
[1162] Actes 8, 9.
[1163] Concile Vatican II, Dei Verbum 1, 4.
[1164] Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre sur
quelques questions concernant l’eschatologie, 17 mai 1979.
[1165] Matthieu 24, 29-30.
[1166] Matthieu 24, 14.
[1167] L. Beirnaert, Pour un christianisme de choc, « construire
», III° série, (« Etudes, 1943).
[1168] « Les doctrines évolutionnistes, christianisées, ne font-elles pas
augurer que l’Orient et l’Occident, dont Kipling disait qu’ils ne se
rencontreront jamais, sont en train de revenir à leurs lointaines origines pour
se lancer en avant, dans une rivalité qui pourrait être sanglante, mais qui
peut être aussi une profitable émulation ? Dans les dernières pages du Phénomène
humain, par une de ces extrapolations qu’on ne saurait reprocher à un
savant philosophe, le p. Teilhard voit les peuples en marche, tels des phylums
qui se séparent et restent cependant unis et qui vivent une commune angoisse,
envers d’une espérance commune qui, consciemment ou non, les dirige vers le
fameux point Oméga, c’est-à-dire vers Dieu, et vers Jésus-Christ. » p. Teilhard
de Chardin, Le phénomène humain, Œuvres, I, 1955, p. 232-235.
[1169] Matthieu 24, 21.
[1170] Cf. La lettre de Paul Rivet, fondateur du Musée de l’homme,
publiée dans « Esprit », juin 1955.
[1171] Daniel-Rops, « Un monde sans âme. » On peut lire aussi à cet égard
les prophéties de saint Louis-Marie Grignon de Montfort sur les apôtres des
derniers temps, Traité de la vraie dévotion à la Vierge Marie, Chap. 5 et 9.
[1172] Catéchisme de l’Eglise Catholique, Mame, 1992, p. 149, 150.
[1173] 2 Théssaloniciens 2 ; l ; Timothée 4, 1 ; 2 Timothée 3, 1-5 ;
Matthieu. 24, 12-15 ; Daniel 8, 22-26 ; Daniel 9, 26-27 ; 12, 5-13 ;...
[1174] Luc 2, 14 Vulg.
[1175] Le premier théologien à avoir eu
l’intuition de ce parallèle entre la vie du Christ et la vie de l’Eglise est,
au début du XX° siècle, Mgr Robert Hugh Benson (évêque catholique venant de
l’Anglicanisme). Il écrit en 1926 : « Ce
que j’ai écrit jusqu’ici sur ce sujet n’a été pour moi qu’une préparation à le
traiter à fond. Les Pères de l’Église respirent et vivent dans la pensée que
l’Église est la continuelle présence du Christ. Mon idée, qui est celle des
apôtres et des premiers chrétiens, est que Jésus-Christ n’est pas mort, n’a pas
quitté la terre. Il a un corps grâce auquel il poursuit sa vie ici-bas et la poursuivra
jusqu’à la fin des temps. L’Église est un corps, non un système, sa voix est la
voix du Christ, sa puissance la puissance du Christ. C’est pourquoi elle
pardonne aux pécheurs, guérit les malades et accomplit toutes les actions du
Christ.
« C’est aussi pourquoi l’histoire de l’Église
est identique ou, tout au moins, parallèle à l’histoire du Christ. Elle a eu
son adoration des bergers et des rois mages, son massacre des Innocents, ses
calmes et heureux jours à Nazareth. Elle a eu sa période de prédication quand
elle s’est répandue à travers l’Europe et a annoncé la bonne nouvelle jusqu’à
l’Ultima Thule. Elle a eu son entrée à Jérusalem, et, immédiatement après, le
coup de poing dans la figure, les persécutions, la dérision sur elle, le
couronnement d’épines. Maintenant nous atteignons à la dernière période
de la Passion, peut-être que la mort et l’enterrement de l’Église sont
prochaines, et il y a encore du temps jusqu’au matin de la
Résurrection, jusqu’au royaume millénaire de quarante jours et à la grande fête
de la Pentecôte où le bruit du vent et les langues de feu descendront de
nouveau des profondeurs de l’Éternité... » Or ce qu'il écrit là est une idée rare. Jusqu'ici, je ne l'avais
entendue que chez le Père Marie-Dominique Philippe. Peut-être celui-ci la tient-il de Benson? Le passage que je vous ai
mis est central dans l'eschatologie générale (la vie du Christ / la vie de
l'Eglise). Ce qui est intéressant, c'est que Mgr Benson aussi croyait l'Eglise
rendue à l'heure de sa passion il y a un siècle. Or c'était faux. C'est que les
choses se passent sur plusieurs siècles. Ainsi, l'eschatologie de la fin des
fins et la passion de l'Eglise mettra encore quelques temps à venir. L'Eglise
est forte (sauf en Europe), et il y aura sans doute encore d'autres mouvements
d'évangélisation (la Chine ?).
[1176] Matthieu 27, 40.
[1177] Voir 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1178] Matthieu 27, 54.
[1179] Voir 2 Théssaloniciens 2, 2 ss.
[1180] Genèse 17, 21. Isaac, figure du christianisme et Ismaël de
l’islam.
[1181] Luc 3, 3.
[1182] Luc 17, 20.
[1183] Jean 6, 15.
[1184] Matthieu 27, 51.
[1185] Genèse 11.
[1186] 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1187] Luc 3, 8.
[1188] « Et je vis, et voici qu’au milieu du trône et des quatre animaux
et au milieu des vieillards se tenait un agneau comme égorgé. » Les trônes, les
animaux, les vieillards, c’est l’Église : L’agneau comme égorgé, c’est l’Église
avec sa tête, qui meurt pour le Christ afin de vivre avec lui. Saint Césaire
d’Arles, Commentaire de l’apocalypse, Desclée de Brouwer p. 58.
[1189] Luc 7, 47.
[1190] Matthieu 23, 29.
[1191] 1 Corinthiens 1, 19.
[1192] Luc 12, 32.
[1193] Romains 5, 8.
[1194] Colossiens. 2, 15.
[1195] Genèse 15, 16.
[1196] Matthieu 7, 13.
[1197] Marc 6, 34.
[1198] 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1199] Matthieu 24, 40.
[1200] Matthieu 24, 37.
[1201] Matthieu 24, 28.
[1202] Apocalypse 18, 11.
[1203] La théologie musulmane s’accorde avec la théologie chrétienne pour
reconnaître que la date de la fin du monde est inconnue mais sera annoncée par
certains signes dont on ne peut faire autrement que remarquer la proximité de
ceux indiqués dans les évangiles : (La mort et le jugement dernier dans la théologie
musulmane, Rayhane éditions, Paris 1991, Fdal HAJA, p. 54-55) : « Ils t’interrogeront sur l’Heure (en disant) :
Quand sonnera-t-elle ? Réponds-leur “Mon
Seigneur sait cela! Lui seul en dévoilera le terme. (Sa connaissance) pèse aux
habitants des cieux et de la terre. Elle vous surprendra â l’improviste”. Ils
t’interrogeront ô son sujet, comme si tu en étais informé! Réponds “Seul Dieu
en a connaissance! » Mais la plupart
des hommes ne savent pas » (7 :187).
L’Ange
Gabriel a demandé à l’Envoyé de Dieu : « Informe-moi au sujet de l’Heure. » Le
Prophète répondit « L’interrogé n’en sait pas plus que celui qui l’interroge. »
(Extrait d’un long Hadith rapporté par al-Bukhari, Muslim et Abu Dawud).
L’Ange
Gabriel qui est proche de Dieu et ne sait pas lui-même quand sera l’Heure. Il
en est de même du Prophète Muhamhad qu’Il a honoré lors de son voyage nocturne
(à Jérusalem et aux cieux). Dieu leur a conseillé de ne pas se focaliser sur sa
réalisation et son terme, mais plutôt de s’intéresser à sa nature, à sa réalité
et à la terrible sensation de terreur et de gravité qu’elle provoquera. Par sa
surprise, elle sera insupportable aussi bien pour les êtres vivants que pour
les cieux et la terre.
[1204] 2 Théssaloniciens 2, 1.
[1205] L’opinion du Cardinal
Ratzinger concernant des signes du retour du Christ. : (La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 202) ; « La question du rapport
entre la venue du Christ et notre temps se reflète dans la question des signes
de la fin du monde, qui, née des interrogations analogues de l’apocalyptique
juive, ne cesse de ressurgir dans la chrétienté depuis l’époque des disciples
de Jésus. Une première lecture du Nouveau Testament donne forcément
l’impression que des positions différentes s’y affrontent. D’un côté, on
refuse catégoriquement de poser la question des signes : la venue du Christ
est tout à fait incompatible avec le temps de l’histoire, avec les lois de sa
durée, on ne peut donc jamais la calculer en fonction de l’histoire de quelques
manières que ce soit. Toutes les fois qu’il se livre à un tel calcul, l’homme
exerce la logique propre de l’histoire, et son opération passe donc justement
à côté du Christ qui n’est pas le produit de l’évolution ni un moment
dialectique dans le processus de la raison, mais l’Autre, celui qui, de l’extérieur
ouvre les portes du temps et de la mort ; en elle-même, sa parousie ne peut
donc pas être datée. La seule réponse à la question des « signes « et à toute
tentative pour décrire la venue du Christ ne peut donc consister qu’à refuser
cette question et à lui substituer l’appel suivant : « Ce que je vous dis, je
le dis à tous Veillez! » (Marc 13, 37). Le correspondant humain au rapport
particulier du Ressuscité avec le temps du monde n’est ni la philosophie ni la
théologie de l’histoire, mais « vigilance. »
A
cette position semble pourtant s’opposer, de l’autre côté, un assez vaste
courant de la tradition qui lui, parle des signes avant-coureurs de la venue du
Christ. Dans cette position, Jean Daniélou voit la permanence de deux
espérances différentes de l’Ancien Testament, qui, d’une part, regarde vers un
Messie humain, et, de l’autre, connaît l’attente d’un bouleversement de
l’histoire par l’intervention directe et personnelle de Dieu. Seul le mystère
humano-divin du Christ Jésus, tel que l’a cerné le concile de Chalcédoine,
permettrait de comprendre l’unité intrinsèque de ces deux courants et de
justifier pleinement chacun d’eux. En Jésus-Christ, Dieu agit comme Dieu,
divinement, sans intermédiaire, et, en lui, Dieu agit comme homme par la
médiation de l’histoire. C’est pourquoi le Christ serait en même temps Telos et Peras de l’histoire, comme dit Daniélou, usant de termes grecs dont
il est bien difficile de rendre exactement en français ce qui les différencie
réellement. Il veut dire que le Christ est aussi bien l’accomplissement (telos) de tout le réel-accomplissement
incompatible avec le cours temporel du monde et de l’histoire-que la fin chronologique (peras) de ce temps.
[1206] l Théssaloniciens 5, 3.
[1207] 1 Théssaloniciens 5, 2.
[1208] Luc 21, 27.
[1209] Matthieu 24, 32.
[1210] Comme si le Christ devait régner physiquement 1000 ans sur
terre. L’Église a sans cesse rappelé que ces 1000 ans (Ap. 20, 2) étaient le
symbole de sa présence cachée jusqu’au cœur des plus grands malheurs.
[1211] Livre des prédictions d’Esychus, chap. 11.
[1212] Pour comprendre avec précision la portée des textes de
l’Apocalypse de saint Jean, on peut se reporter aux excellentes études du
cardinal Balthasar, La dramatique divine, 3, Culture et vérité, Namur
1992, p. 19 ss). Pour les discours eschatologiques, Voir surtout La
dramatique divine 4, p. 36 ss (Le dénouement).
[1213] Luc 16, 31.
[1214] Luc 21, 25.
[1215] Voir par exemple Matthieu 24, 40 : « L’un sera pris, l’autre
laissé. »
[1216] Luc 21, 28.
[1217] Luc 21, 32.
[1218] Apocalypse 16, 11.
[1219] Job 42, 5.
[1220] A propos de ces signes et de leur nombre, il existe une importante
bibliographie. Voir Saint Thomas, Suppl, q. 73, art. I.
[1221] Isaïe 7, 14.
[1222] Apocalypse 13, 1.
[1223] Luc 21, 11.
[1224] Luc 21, 9.
[1225] 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1226] Apocalypse 6, 5.
[1227] Apocalypse 16.
[1228] Matthieu. 24, 24.
[1229] 2 Timothée 3, 1.
[1230] Matthieu. 24,
29 ; Act. 2, 20.
[1231] De type « Témoin de Jéhovah », car leur sens fondamental est
effectivement littéral.
[1232] Matthieu 24, 2.
[1233] Jean 2, 19.
[1234] La théologie musulmane s’accorde avec la théologie chrétienne pour
reconnaître qu’il y aura des signes précurseurs de la fin du monde. Mais leur
liste en est différente : (La mort et le jugement dernier dans la théologie
musulmane, Rayhane éditions, Paris 1991, Fdal HAJA, p. 54-55)
Hudayfa
Ibn Asyada a rapporté : « Nous avons été surpris par la visite du Prophète
alors qu’on était en pleine discussion sur (les signes) de l’Heure. Il nous a
demandé : “De quoi discutez-vous ?” On lui a répondu : « On évoque l’Heure. »
Il a dit : “Elle ne sera effective qu’une fois que vous aurez vu les dix
signes. » Il a évoqué la fumée, l’imposteur, la bête, le lever du soleil du
côté de l’occident, le Mahdi, la descente de Jésus fils de Marie, Gog et Magog
et trois phénomènes sismiques : Le premier au Machrek (orient), le second au Maghreb
et le dernier dans la péninsule arabique. En dernier lieu, un feu surgira du
Yémen et chassera les gens vers le lieu de la résurrection” (Rapporté par
Muslim, T 8, p. 198 et Ahmad T4, p716).
‘Ah
Ibn Abi Talib (Que Dieu lui accorde Sa miséricorde) a rapporté que le Prophète
a dit : “Quand quinze penchants se concrétiseront dans le comportement de ma
communauté, le malheur l’atteindra. » On a demandé : “Lesquels, O Envoyé de
Dieu ? » Il répondit : “Quand l’état vivra du butin, quand les objets confiés en
dépôt seront confisqués et la zakat (aumône
légale) imposée comme impôt. Quand l’homme obéira à sa femme et désobéira à sa
mère, qu’il sera bon avec son ami et rejettera sou père. Quand les voix
s’élèveront au sein des mosquées ; quand le plus vil des hommes deviendra leur
chef. Quand on honorera l’homme pour sa méchanceté. Quand on boira de l’alcool,
qu’on portera des habits de soie, qu’on fera des femmes des musiciennes et des
chanteuses. Quand les derniers de cette communauté maudiront leurs ancêtres.
Alors, qu’ils s’attendent à un vent rouge, un séisme et une défiguration”
(Rapporté par at-tirmidhi).
Dieu
dit : “Oui, sans aucun doute l’Heure
approche, mais la plupart des hommes sont incrédules” (40 :59).
Le
Compagnon du Prophète, Sahl lbn Sa’d as-Sa’idi a rapporté que l’Envoyé de Dieu
a dit : “J’ai été envoyé moi et l’Heure comme ceci”, et il a joint l’index et
le majeur (Rapporté par al-Bukhari).
Dieu
a gardé l’Heure secrète pour que l’humanité, toute entière et en tout temps,
cherche à en savoir un maximum sur sa nature, la craigne et se prépare avec
acharnement à sa rencontre, ceci dans le cas des croyants. Quand aux
incrédules, elle les surprendra sans qu’ils s’en rendent compte. Dieu dit : “L’Heure est proche, en vérité, et je tiens
(son arrivée) absolument secrète, afin que chaque âme puisse être rétribuée
selon ses œuvres. Que celui qui ne croit pas (à son arrivée) et qui suit sa
passion ne te détourne pas (de cette certitude), sinon ru périras » (20
:15-16).
“Que
l’Heure viendra -nul doute à cet égard- et que Dieu ressuscitera ceux qui sont
dans les tombes” (22 :7).
[1235] 1 Timothée 4, 1.
[1236] Apocalypse 12, 1.
[1237] Matthieu 24, 30.
[1238] Matthieu 24, 8.
[1239] Matthieu 24, 25.
[1240] L’histoire nous montre que ce temps est commencé depuis le jour de
la Pentecôte. En effet, depuis 2000 ans, le Seigneur ne cesse d’enfanter chaque
génération chrétienne à la Vie par la croix.
[1241] On ne peut manquer de penser au monde contemporain, façonné par
l’athéisme et la sécularisation depuis plus d’un siècle. C’est pourtant le siècle
par excellence des missions.
[1242] Matthieu. 24, 14.
[1243] 1 Macchabées 1, 54.
[1244] Matthieu 24, 29.
[1245] 1 Théssaloniciens 2, 8.
[1246] Matthieu. 25, 31.
[1247] Matthieu 24, 22.
[1248] Saint Césaire d’Arles, D. D. B. Paris, 1989, p. 15, commente : «
Au sujet des révélations de l’Apocalypse de saint Jean, quelques-uns des
anciens Pères ont pensé qu’elles se rapportaient en totalité ou au moins en
très grande partie au jour du jugement et à l’avènement de I Antéchrist. En
revanche, ceux qui ont attentivement analysé ce livre ont estimé que les
révélations qui y sont contenues ont commencé à s’accomplir aussitôt après la
passion de notre Seigneur et sauveur et doivent continuer à s’accomplir
jusqu’au jour du jugement… »
[1249] Apocalypse 4, 5.
[1250] Apocalypse 5, 5.
[1251] Apocalypse 8, 9.
[1252] Apocalypse 12, 13.
[1253] Apocalypse 21.
[1254] Matthieu 24 et 25 et les parallèles en Marc et Luc.
[1255] Matthieu 24, 4-11.
[1256] 2 Théssaloniciens 2.
[1257] 2 Théssaloniciens 2, 8.
[1258] Voir à ce sujet les magistrales fresques historiques dans les
œuvres de Balthasar. Ex : « L’amour seul est digne de foi », Aubier p. 11ss.
[1259] Matthieu 24, 34.
[1260] Apocalypse 8, 12.
[1261] Isaïe 24, 20.
[1262] Matthieu 24, 29.
[1263] Genèse 3, 15.
[1264] Matthieu 24, 22.
[1265] Matthieu 24, 7.
[1266] Luc 12, 20.
[1267] Job 42, 5 et 6.
[1268] 1 Pierre 1, 7.
[1269] Apocalypse 16, 21.
[1270] Le cardinal Ratzinger écrit (La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, p. 206) « Un texte de l’Evangile de Luc, de ton très
archaïsant, s’exprime de même : « Et comme il advint aux jours de Noé, ainsi
en sera-t-il aux jours du Fils de l’Homme. On mangeait, on buvait, on prenait
femme ou mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; et vint le déluge qui
les fit tous périr. Il en sera tout comme aux jours de Lot : on mangeait, on
buvait, on achetait, on vendait, on plantait, on bâtissait ; mais ce jour où
Lot sortit de Sodome, Dieu fit pleuvoir du Ciel du feu et du souffre, et il les
fit tous périr. De même en sera-t-il le jour où le Fils de l’Homme doit se
révéler. » (Luc 17, 26-30 ; cf. Matthieu 24, 37-39). Ces signes, du moins dans la mesure où nous avons pu le constater
jusqu’à présent, ne permettent pas de pronostiquer la date de la fin. Ils la
mettent évidemment en relation avec l’histoire, mais de telle manière qu’ils
obligent toute époque à la vigilance. Grâce à eux justement, c’est toujours le
temps de la fin, le monde est toujours au contact du « Tout-Autre » qui y
mettra fin un jour, et totalement, en tant que « temps chronologique. »
[1271] « Elle passe la figure de ce monde », 1 Corinthiens 7, 31.
[1272] Romains. 8, 22.
[1273] Job 42, 5 et 6 ; Voir à ce sujet Pascal, Pensées, éd. Brunschwicg, Paris, n° 194.
[1274] Matthieu 18, 8.
[1275] Genèse 11, 4.
[1276] 1 Rois 11, 6.
[1277] Voir à ce sujet Psaume 49, 13-20. Psaume 73, 3-5 ; 15-24.
[1278] Matthieu 24, 6.
[1279] Grégoire le Grand (Homélie sur l’Evangile, p. PL. 76, p. 1078) a
pu parler d’un monde vieillissant, « car, que s’élève peuple contre peuple, et
que leur calamité s’étende sur le pays, cela nous le constatons dans notre
époque plus que nous ne le lisons dans les livres. Vous savez aussi combien de
fois nous avons ouï dire, que, dans d’autres parties du monde, des tremblements
de terre ont dévasté d’innombrables cités. Sans cesse nous souffrons de
pestes. Et si nous ne constatons pas encore visiblement des signes dans le
soleil, la lune et les étoiles, nous pouvons du moins conjecturer qu’ils ne
sont pas éloignés, puisque déjà le climat subit des modifications sensibles «
C’est pourquoi on peut dire inversement « Quand les hommes se disent « Paix et
sécurité », c’est alors que tout d’un coup fondra sur eux la perdition comme
les douleurs sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper. » (1
Théssaloniciens 5, 3).
[1280] 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1281] L’opinion du Cardinal Ratzinger : « D’abord, ce n’est pas quelque
suprême maturation de l’histoire qui prépare le passage à la fin ; au
contraire, c’est justement la déliquescence interne de l’histoire, son
incapacité en face du divin, son opposition, qui, paradoxalement, renvoient à
l’assentiment de Dieu. Deuxièmement, un coup d’œil même superficiel montre,
dans la réalité de tous les siècles, que ces « signes « renvoient à la
constante disposition de ce monde ; car ce monde a été continuellement déchiré
par des guerres et des catastrophes, et rien ne laisse espérer que quelque «
effort de paix « pourrait modifier radicalement cette signature de tout ce qui
est humain. »
RATZINGER
J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 205.
[1282] Apocalypse 16, 14.
[1283] Daniel 11, 11 ; Puisque nous parlons de guerres extérieures, il
est à espérer qu’il s’agit des guerres mondiales de la première moitié du XXème
siècle.
[1284] Question 32, l’Antéchrist.
[1285] Apocalypse 13, 16 ;
[1286] La religion enseignée aux fidèles, particulièrement entre 1800 et
1840 met l’accent sur un Dieu terrible aux méchants, le vengeur de tous les
crimes. Livres de prière, cantiques, prédication, entretiennent dans une
religion sévère qui détourne de la fréquentation des sacrements. Lors des
missions-ou des campagnes d’évangélisation chez les protestants-le prédicateur
veut attirer la foule à l’église ou au temple et utilise pour cela des moyens
qui s’apparentent à la provocation. Il faut commencer par frapper de grands
coups en annonçant des « vérités terribles » Sur les 25 à 30 sermons d’une
mission de trois semaines, une moitié leur est consacrée. Puis viennent les «
vérités consolantes » et les « devoirs du chrétien. » Le Salut, le péché, la
mort, l’existence de l’enfer, le petit nombre des élus, le jugement dernier,
des prédicateurs, tels Jean-Marie Vianney, en font leurs armes de prédilection.
Mais en cela, rien d’original. Si les consciences sont bousculées, c’est
davantage par la conviction qui anime le missionnaire que par l’originalité des
propos. C’est la tradition des siècles précédents qui est reprise. Celle de
Vincent de Paul « Je n’avais partout qu’une seule prédication que je tournais
en mille manières c’était la crainte de Dieu » Du Dieu terrible au Dieu
d’amour, Gérard CHOUVY, Communio, n° 11, 3, mai-juin 1986, p. 119.
[1287] Apocalypse 13, 8.
[1288] Les textes de l’Ecriture, pris dans leur sens littéral, ont signifié
la réalité de toutes les époques jusqu’ici. Mais, vers la fin du monde, la
guerre prendra un sens tout à fait particulier.
[1289] 1 Jean 4, 1.
[1290] Matthieu 24, 24.
[1291] Galates 1, 8.
[1292] Matthieu 24, 12.
[1293] 1 Timothée 4, 1.
[1294] Marc 6, 5.
[1295] 2 Timothée 3, 1.
[1296] L’islam parle de la même façon et annonce pour la fin
du monde certains signes parmi lesquels on trouve « la
perte des objets confiés en dépôt, la rivalité dans la direction des mosquées,
la multiplication des constructions plus hautes les unes que les autres (signe
d’orgueil), la fréquence de la fornication, la consommation de l’alcool,
prendre des filles comme chanteuses et danseuses dans les réunions et les
fêtes, le bâtard qui devient maître et gouverneur, accorder des responsabilités
à ceux qui ne le méritent pas, la multiplication des nouveautés blâmables, le
manque de pudeur des femmes qui découvrent les parties intimes de leur corps,
le juge qui n’applique pas la justice, la rareté des savants qui dénoncent les
nouveautés blâmables, la décadence morale et d’autres actes illicites encore. »
[1297] Dans la chrétienté d’occident, il s’agit des XII et XIIIèmes
siècles.
[1298] 1 Périarchion, Chap. 3.
[1299] Au nom de l’amour de Dieu, l’Église d’Espagne du XVIème siècle est
à cet égard significative. Durcie dans sa guerre contre l’islam, elle appliqua
la force à son propre peuple et aux peuples conquis d’Amérique du Sud.
[1300] L’histoire de l’Occident chrétien est là encore intéressante. Son
apostasie en marche l’amena tour à tour des guerres sauvages au nom de la nation
et du sacrifice à son idéal, aux meurtres de l’avortement et de l’euthanasie au
nom du plaisir et de la liberté individuelle.
[1301] Matthieu 10, 39.
[1302] Genèse 11.
[1303] 2 Théssaloniciens 2.
[1304] Luc 8, 14.
[1305] 1 Jean 2, 19.
[1306] Ou même du judéo-christianisme. Qui peut aujourd’hui faire autre
chose que le constater. Marx, Freud, Sartre, Nietzsche etc. pour les
théoriciens, Hitler, Staline et même en un certain sens Mao pour les praticiens
ont tous tiré leur enseignement d’un judéo-christianisme dénaturé.
[1307] Sagesse 15, 18.
[1308] Marc 16, 16.
[1309] Matthieu 8, 10.
[1310] Jean 10, 16.
[1311] Concile Vatican II, Décret sur les diverses religions.
[1312] Ibidem.
[1313] La Réforme, en ne croyant pas à cette dignité de la nature
humaine, va moins loin. Pour elle, la confiance en Dieu suffit. La foi seule
sauve, et non la charité et sa coopération active de réciprocité. Pour elle,
l’homme détruit par le péché originel est bien incapable d’une telle audace.
Cependant, une fois la grâce reçue, le Protestantisme croit possible la charité
ce qui, en définitive relativise beaucoup ce qui sépare les chrétiens entre
eux.
[1314] Jean 14, 6.
[1315] Jean 4, 22.
[1316] Matthieu 16, 6.
[1317] Sagesse 13, 11.
[1318] Genèse 41.
[1319] Jean 10, 16.
[1320] Exode 32, 4.
[1321] Jean 10, 16.
[1322] Apocalypse 13, 7.
[1323] Matthieu 16, 18.
[1324] Luc 24, 46.
[1325] Matthieu
10, 23.
[1326] Apocalypse 2.
[1327] Ezéchiel 16, 22.
[1328] Apocalypse 9, 20.
[1329] Ezéchiel 14, 21.
[1330] Matthieu 24 9.
[1331] « Trompeuse » ou plutôt ambiguë car lorsque Dieu parle de « gloire, de victoire, de salut », il
entend souvent « vie éternelle, donc humilité et son chemin, crucifixion et
humiliation. » Mais l’homme y voit ce qui lui plaît à savoir « succès mondain,
gloire terrestre. »
[1332] Hébreux 11, 6.
[1333] Nous en avons quelques exemples fameux : La prophétie qui courait
dans l’Amérique précolombienne annonçant la venue de dieux chevauchant des
animaux fantastiques et qui apporteraient le salut. Elle livra aux
conquistadores, à la foi mais aussi à la mort ces civilisation païenne.
[1334] 1 Jean 2, 22.
[1335] Apocalypse 13, 17.
[1336] Genèse 15, 5.
[1337] Genèse 21, 11.
[1338] Genèse 16, 12.
[1339] Certains musulmans mystiques, peu nombreux affirment que le
« grand jihad » est celle que l’homme doit mener contre le péché qui est en
lui. La lettre des textes du Coran et des Hadiths dit l’inverse.
[1340] Coran 8, Le Butin 39.
[1341] Genèse 16, 12.
[1342] L’Église et les religions non Chrétiennes.
[1343] Voir à cet égard dans la revue Thomiste avril-juin 1957,
l’excellent article de L. Gardet sur les fins dernières selon la théologie
musulmane.
[1344] Luc 18, 17.
[1345] 2 Théssaloniciens 2, 4.
[1346] Genèse 21, 20.
[1347] Il en sera de même pour la chrétienté qui subira un martyre, comme
nous le montrerons.
[1348] Matthieu 26, 52.
[1349] Sourate 21, Les Prophètes, verset 104.
[1350] Coran 99, 1-2. Coran 82, 1-4 ; 81, 1-14 ; 56, 1-6 ; 101, 5.
[1351] Sourate 44, La Fumée ; Sourate 41, verset 11.
[1352] cf. Apocalypse de saint Jean 7, 3-4.
[1353] Ezéchiel 39, 9-11. Il s’agit de l’annonce d’une grande guerre qui
verra la défaite des impies.
[1354] Il s’agit des habitants musulmans de l’Arabie vers la fin du
monde.
[1355] Ezéchiel
39, 12 : « On les enterrera afin de purifier
le pays pendant sept mois. »
[1356] Extrait de l’ouvrage Les histoires des prophètes, par
l’Imam Aboul-Fida Ismaël Ben Kathir, Editions Dar el Hker, Beyrouth, Liban,
p.262.
[1357] Coran, Sourate des rangs, versets 101-102.
[1358] Coran, Sourate de Marie, versets 54-55.
[1359] Genèse 22, 2 et ss.
[1360] « Le vrai bélier sera Jésus Christ, Fils de Dieu car, quand
Dieu veut qu’on lui sacrifie un enfant, c’est le sien qu’il donne. » Saint
Vincent de Paul.
[1361] La connaissance de la fin du christianisme.
[1362] Exode 33, 5.
[1363] Romains. 5, 18.
[1364] Romains 11, 33.
[1365] Romains. 10, 2.
[1366] Isaïe 29, 10.
[1367] Romains. 11, 12.
[1368] Pour Pie XI, dans l’encyclique antinazie, « Mit brennender
Sorge » du 14 mars 1937, AAS 29 (1937) 150-151, les livres sacrés de
l’Ancien Testament sont entièrement Parole de Dieu et forment une partie
substantielle de la Révélation confirmée par la Parole unique qu’est le Christ,
cette Parole vétéro-testamentaire de Dieu, pourrait-on ajouter, est toujours
adressée par Dieu à l’humanité entière Pie XII précise : « Pour les yeux qui
ne se sont pas aveuglés par le préjugé ou par la passion, resplendit la lumière
divine du plan sauveur qui triomphe finalement de toutes les fautes et de tous
les péchés. »
Après
Auschwitz, cette déclaration prend un sens nouveau : la pédagogie divine,
manifestée notamment dans le Serviteur souffrant triomphe du crime collectif
qui y a été accompli et de toutes les révoltes individuelles qu’il a
occasionnées. Pie XI ajoute : « Sur ce fond souvent obscur ressort dans de
plus frappantes perspectives la pédagogie de salut de l’Eternel, tour à tour,
avertissant admonestant, frappant, relevant et béatifiant ses élus. »
C’est
à cette pédagogie de salut que rendaient héroïquement hommage toutes les
victimes d’Auschwitz en chantant, au seuil de la mort, le Shema Israël.
Elles croyaient que les coups mortels des hommes étaient au service, malgré
eux, de la volonté salvifique et béatifiante du Père tout-puissant et
miséricordieux.
Pie
XI était ainsi amené à dire : « seuls l’aveuglement et l’orgueil peuvent fermer
les yeux devant les trésors d’enseignement salvateur de l’Ancien Testament »
On
souhaiterait qu’à l’avenir, plus que dans le passé, la catéchèse chrétienne
déverse ces trésors en proposant aux hommes l’intégrale Révélation
post-exilique de l’unique Alliance éternelle, toujours ancienne et toujours
nouvelle.
[1369] Romains 11, 15.
[1370] Voir l’article suivant.
[1371] Isaïe 40, 5.
[1372] Romains 9, 6.
[1373] Matthieu 11, 28.
[1374] Voir JEAN-PAUL II, Discours aux juifs des États-Unis à Miami
DC, 1987, 938.
[1375] Luc 19, 24.
[1376] Deutéronome 28, 63.
[1377] Matthieu 27, 25.
[1378] Deutéronome 28, 49.
[1379] Jean 5, 43
[1380] Apocalypse 12.
[1381] Nous verrons que ce texte possède d’autres sens symboliques
(l’Église, l’âme etc.).
[1382] Matthieu 24, 2.
[1383] Matthieu 24, 15.
[1384] Luc 21, 24.
[1385] Luc 23, 28.
[1386] Luc 21, 24.
[1387] Romains 11, 25.
[1388] Romains 11, 15.
[1389] Luc 16, 35.
[1390] En effet, observait en 1989 le cardinal J.-M. Lustiger au cours
d’un entretien télévisé avec E. Wiesel. « Le juif est le témoin d’un au-delà de
l’homme : à travers le juif, Hitler a voulu tuer Dieu, ce Dieu qui, en
choisissant Israël, manifestait son intention de sauver le monde : « Par toi
(Abraham) se béniront tous les clans de la terre » Genèse 18, 18. 22, 18.
26, 4).
[1391] Romains 11, 1.
[1392] Romains 11, 33.
[1393] c. f. André Neher dans un livre au titre significatif : « L’exil
de la Parole, du silence biblique au silence d’Auschwitz » Paris, 1970.
[1394] JEAN-PAUL II : Lettre du 8 août 1987 à Mgr J. May, président de la
conférence des évêques des États-Unis. Doc. Cath. 84, (1987) 890.
[1395] Au delà de ces interprétations traditionnelles, il est possible de
découvrir en Israël, de par la méditation constante de son histoire tourmentée
à la lumière du Serviteur souffrant et sous l’influence du christianisme, une
interprétation étonnamment mystique de l’histoire : Voici, au travers de
quelques textes et témoignages, quelques aspects de cette spiritualité
quasi-chrétienne : Voir Eliezer Berkovits comprend ainsi la portée permanente
du sacrifice d’Isaac dans l’histoire du judaïsme, Nova et Vetera, 1973, 123-125.
[1396] Quant à l’époque de cette conversion, les opinions divergent : Le
cardinal Journet (Nova et Vetera, 1989/2, p. 149) et Lagrange pensent qu’elle
interviendra avant la fin du monde, sera suivie par une prédication efficace
des juifs libérés ainsi de leur messianisme temporel, provoquant une grande
croissance de l’Église, qu’elle sera suivie par l’apostasie généralisée puis
par le retour du Christ. Cela est soutenable. Mais une autre opinion est tout
aussi vraisemblable. Elle présente l’inconvénient d’être moins visible au plan
de l’histoire. L’apostasie généralisée est déjà en marche et la conversion
d’Israël serait réservée pour le jour même du retour du Christ, dans la
confrontation de son apparition. Mais, auparavant, ils auront mérité par une
épreuve particulière cette manifestation finale.
[1397] Voir la fin de l’épître aux Romains.
[1398] Il ne convient pas de parler du peuple
juif comme de « l'ennemi de Dieu. » Ce serait négliger l'Alliance. Mais, au
plan du symbole néo-testamentaire, l'Israël séparé du Christ représente tout ce
qui dans l'homme doit retrouver le chemin perdu de Dieu.
[1399] Charles Journet, durant les années les plus sombres de la seconde
guerre mondiale, a vécu intensément le drame du peuple juif. Destinées
d’Israël, écrit à l’occasion du cinquantième anniversaire de la parution,
en 1892, du Salut par les Juifs de Léon Bloy, est un livre bouleversant
y vibre la charité intense d’un cœur catholique qui, au nom de ce qu’il a de
plus cher, sa foi, entend rendre hommage à Israël « au temps de ses outrages. »
Protester de toute sa force était la raison première de l’ouvrage. Mais en
l’écrivant, le théologien ressentait l’attrait grandissant d’une « séduction »,
car les destinées d’Israël lui « apparaissaient étroitement et éternellement
enlacées aux destinées de l’Église. » Une « indéniable parenté » et une « dure
antinomie » caractérisaient ce lien. S’efforcer de scruter les signes des
temps-et certains de ces signes manifestent le mystère d’iniquité-entre dans la
tâche du théologien.
[1400] Luc 11, 32.
[1401] Genèse 37, 45.
[1402] Genèse 37, 26.
[1403] Luc 13, 33.
[1404] Marc 14, 62.
[1405] Marie Dominique Philippe op., commentaire de la Genèse, Rimont,
1984.
[1406] Marie-Thérèse HUGUET, Nova et Vetera, 1985/2 : « Comment oser
écrire cela après vingt siècles d’égarements de tant de fils de l’Église à
l’encontre des fils de la Maison d’Israël, alors que le peuple juif était
confié à l’amour de l`Église, égarements tels qu’on a peine à les croire
possibles, tant sur le plan de l’enseignement que sur le plan des actes (cf. F.
Lovsky, Antisémitisme et mystère d’Israël, Albin Michel, 1955 ; L’antisémitisme
chrétien, Cerf, 1970 ; Let déchirure de l’absence, Calmann-Lévy, 1971). La
première démarche qui nous incombe est bien celle de l’humble confession de ces
péchés qui atteignent Dieu lui-même dans son dessein de salut, confession
inséparable de toute la réparation possible. Mais que depuis vingt siècles
cette tâche de consolation ait été non perçue ou défigurée en prosélytisme, que
loin de l’honorer nous l’ayons trahie en en prenant le contre-pied, cela ne
change rien au fait que nous l’ayons reçue (et cela aggrave nos torts
d’autant). Et l’appel du prophète Isaïe : « consolez mon peuple » ne
devrait-il pas s’opérer également par la reconnaissance (au sens de
reconnaissance d’identité et au sens de gratitude), la solidarité, le partage
de l’espérance, l’humble témoignage, sans parler de la prière. Ce serait aimer
la maison d’Israël en vérité. Ce serait l’aimer de la tendresse que le Père
porte à celui qui, à l’image de l’Unique, est le « premier-né » de son amour
(Si 36, 11).
[1407] Luc 24, 31.
[1408] Apocalypse 11, 5.
[1409] Luc 21, 12.
[1410] Apocalypse 13, 17.
[1411] Luc 21, 14.
[1412] Colossiens. 1, 24.
[1413] Matthieu 10, 23.
[1414] Actes 16, 6.
[1415] Colossiens 1, 23.
[1416] Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà, Université de
Fribourg, 1980, p. 76.
[1417] Marc 13, 10.
[1418] Genèse 3, 15.
[1419] 1 Pierre 3, 19.
[1420] Jean-Paul II est-t-il celui qui a réalisé cette prophétie ?
[1421] Psaume 127, 1.
[1422] Voir Question 8, article 3.
[1423] Jean 3.
[1424] Voir Y. Congar, Le mystère du temple, Cerf, 1957, 1ère
Partie, Paris.
[1425] Matthieu 16, 18.
[1426] Jean 21.
[1427] Apocalypse 19, 7.
[1428] Apocalypse 13, 7.
[1429] Jean 12, 24.
[1430] Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1997, 675 à 677.
[1431] Jean 21, 18 à 23.
[1432] Voir article 4.
[1433] Jean 21, 19.
[1434] Matthieu 24, 21.
[1435] Actes 1, 7.
[1436] Jean 21, 19.
[1437] Matthieu 24.
[1438] Daniel 9.
[1439] Apocalypse 11, 7.
[1440] Jean 21, 18-23.
[1441] Voir Daniel 8, 9.
[1442] Voir L’Anneau du
Pécheur de Jean Raspail, qui raconte la manière dont disparut du monde
visible la papauté d’Avignon.
[1443] Matthieu 16, 18.
[1444] Jean 21, 17.
[1445] Voir « Ad tuendan Fidem », lettre apostolique sur le
Magistère de l’Église, Documentation Catholique 1998, n°2186.
[1446] Jean 21, 18.
[1447] Jean 11, 49.
[1448] Jean 12, 20.
[1449] Luc 19, 28.
[1450] Jean 13.
[1451] Depuis Vatican II, l’Eglise semble réaliser
ce chemin de kénose à la lettre.
[1452] Daniel 1, 31.
[1453] Apocalypse 12, 8.
[1454] Daniel 11, 31.
[1455] Proverbes 21, 1.
[1456] Luc 21, 28.
[1457] Jean 19.
[1458] Marc 14, 52.
[1459] Jean 12, 4.
[1460] Jean 12, 6.
[1461] Jean 13, 6.
[1462] Matthieu 24, 15.
[1463] Matthieu 16, 18.
[1464] Luc 21, 28.
[1465] Jean 4, 21.
[1466] 2 Macchabées 4, 5.
[1467] Donatienne de Lacheisserie, objection, Bois-le-Roi, septembre
1994.
[1468] Matthieu 24, 15.
[1469] Apocalypse 20, 8.
[1470] 2 Macchabées 10.
[1471] Luc 22, 32.
[1472] Jean 21, 23.
[1473] Jean 20, 28.
[1474] Jean 19, 26.
[1475] Matthieu 24, 22.
[1476] Luc 1, 45.
[1477] L’Église a fait de saint Louis-Marie Grignon de Montfort un
Docteur de l’Église pour ses deux écrits sur Marie : « Le secret de Marie
», « Le traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge. »
[1478] Luc 10, 21.
[1479] Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, éd. Du
seuil, Paris, 1966, p. 55.
[1480] Citation de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus.
[1481] A. Feuillet, La femme vêtue du soleil (Apocalypse 12), et la
glorification de l’épouse du Cantique des cantiques (6, 10), Nova et
Vetera, 1984, 1.
[1482] Luc 2, 51.
[1483] Apocalypse 19, 17.
[1484] Apocalypse 10, 2.
[1485] Apocalypse 10, 6.
[1486] Dans son Traité de la vraie dévotion à Marie, (lire plus loin° saint Louis-Marie
Grignon de Montfort annonce explicitement la venue de tels témoins. Cette
interprétation là est même, si l'on considère la façon dont Dieu nous sauve,
aussi certaine que les autres. Dieu ne peut laisser les hommes affronter
l'époque de l’Antéchrist sans proposer à ceux qui seront attentifs, toutes les
armes de la survie spirituelle. S'il envoie sa mère dans de nombreuses
apparitions, c’est qu’elle est la plus capable de former des âmes
contemplatives. Mais il lui adjoint de nombreux témoins afin que toutes les
sensibilités entendent le message. Certains sont déjà venus et, unique parmi
tous les autres, sainte Thérèse brille au cœur de l'apostasie en marche. Son
témoignage est le même que celui d’Énoch : « Elle marcha avec Dieu, puis elle disparut car Dieu l’enleva! ”
A la fin du monde, lorsque l'Antéchrist viendra, les hommes croyants n’auront
qu’à l'imiter : marcher avec Dieu dans le secret de la charité. Alors Jésus
reviendra et les enlèvera.
Vers
la fin du monde, avant que le règne de l’Antéchrist ne rende toute prédication
impossible, il est probable que le Seigneur suscitera des nouveaux Elie qui
prêcheront dans le monde entier l’Evangile. C'est ce que Jésus semble annoncer
(« semble » car ces textes ont plusieurs niveaux de sens) : « Cette bonne nouvelle sera annoncée dans le
monde entier, en témoignage à la face de toutes les nations. Et alors viendra
la fin.” (Matthieu 24, 14). Saint Louis-Marie Grignon de Montfort décrit
les apôtres des derniers temps de la façon suivante (Traité de la vraie
dévotion à la Sainte Vierge, édition du seuil, Paris, 1966, 49ss) :
“ Ces grandes âmes, pleines de grâce et de zèle, seront
choisies pour s'opposer aux ennemis de Dieu, qui frémiront de tous côtés, et
elles seront singulièrement dévotes à la Très Sainte Vierge, éclairés par sa
lumière, nourries de son lait, conduites par son esprit, soutenues par son bras
et gardées sous sa protection, en sorte qu'elles combattront d'une main et
édifieront de l’autre. D'une main, elles combattront, renverseront, écraseront
les hérétiques avec leurs hérésies, les schismatiques et leurs schismes, les
idolâtres avec leur idolâtrie, et les pécheurs avec leurs impiétés et, de
l’autre main, elles édifieront le temple du vrai Salomon et la mystique cité de
Dieu. ” “ Mais qui seront ces serviteurs, esclaves et enfants de Marie ?
Ce seront un feu brûlant, ministres du Seigneur qui mettront le feu de l'amour
divin partout. Ce seront comme des flèches dans la main du puissant (ps. 126,
4), dans la main de la puissante Marie pour percer ses ennemis. Ce seront des
enfants de Lévi, bien purifiés par le feu de grandes tribulations et bien
collés à Dieu, qui porteront l’or de l’amour dans le cœur, l'encens de
l'oraison dans l’esprit et la myrrhe de la mortification dans le corps, et qui
seront partout la bonne odeur de Jésus-christ aux pauvres et aux petits, tandis
qu'ils seront une odeur de mort aux grands, aux riches et aux orgueilleux
mondains.
Ce seront des nues tonnantes et volantes par les airs au moindre
souffle de l’Esprit saint, qui, sans s’attacher à rien ni s’étonner de rien, ni
se mettre en peine de rien, répandront la pluie de la parole de Dieu et de la
vie éternelle. Ils tonneront contre le péché, ils gronderont contre le monde,
ils frapperont le diable et ses suppôts, et ils perceront d'outre en outre,
pour la vie ou pour la mort, avec leur glaive à deux tranchants de la parole de
Dieu, tous ceux auxquels ils seront envoyés de la part du Très-Haut.
Ce seront des apôtres véritables des derniers temps, à qui le
Seigneur des vertus donnera la parole et la force pour opérer des merveilles et
remporter des dépouilles glorieuses sur ses ennemis ; ils dormiront sans or ni
argent et, qui plus est, sans soin, au milieu des autres prêtres, et
ecclésiastiques et clercs ; et cependant ils auront les ailes argentées de la
colombe, pour aller avec la pure intention de la gloire de Dieu et du salut des
âmes, où le Saint-Esprit les appellera, et ils ne laisseront après eux, dans
les lieux où ils auront prêché, que l’or de la charité qui est
l’accomplissement de toute la loi.
Enfin, nous savons que ce seront de vrais disciples de
Jésus-Christ, qui marcheront sur les traces de sa pauvreté, humilité, mépris du
monde et charité, enseignant la voie droite de Dieu dans la pure vérité, selon
le saint Evangile, et non selon les maximes du monde, sans se mettre en peine
ni faire acception de personne, sans épargner, écouter ni craindre aucun
mortel, quelque puissant qu'il soit. Ils auront dans leur bouche le glaive à
deux tranchants de la parole de Dieu ; Ils porteront sur leurs épaules
l'étendard ensanglanté de la Croix, le crucifix dans la main droite, le
chapelet dans la gauche, les sacrés noms de Jésus et de Marie sur leur cœur, et
la modestie et mortification de Jésus-Christ dans toute leur conduite. Voilà de grands hommes qui viendront, mais
que Marie fera par ordre du Très-Haut pour étendre son empire sur celui des impies,
idolâtres et Mahométans. Mais quand cela sera-t-il ? Dieu seul le sait : c’est
à nous de nous taire, de prier, soupirer et attendre : Expectans expectavi. ”
[1487] 2 Macchabées 10, 29.
[1488] Les anciens juifs croyaient en la venue d’Énoch et d’Elie
eux-mêmes, à partir d’un paradis terrestre où ils attendaient vivants leur
heure. Nous ne nous attarderons pas sur cette vision dont l’Evangile manifeste
suffisamment le caractère mythologique. Cf Marc 9, 12-13). Consulter aussi :
-
Bellarmin, Apologia, Opera, éd. Vives, t. 12, p. 171-176.
-
Grail, Jean-Baptiste et Elie, « Vie spirituelle », juin 1949, 8-106.
- Augustin,
In Joan, 4, 5-6, P. L, 35, 1408.
[1489] Romains 11, 16.
[1490] Apocalypse 3, 13.
[1491] Genèse 5, 22.
[1492] 2 Romains 2, 11.
[1493] Matthieu 17, 12.
[1494] A Grail, Jean-Baptiste et Élie, « Vie spirituelle », juin
1949.
[1495] Saint Césaire d’Arles commente ce texte de l’Apocalypse
(Collection les Pères dans la foi, Desclée de Brower, p. 88) « Et je
donnerai à mes deux témoins c’est-à-dire aux deux Testaments, de prophétiser et
ils prophétiseront pendant mille deux cent soixante jours. » Il a dit le
nombre de la dernière persécution, de la paix future et de tout le temps qui
s’écoule à partir de la passion tu Seigneur : parce que l’un et l’autre temps
ont le même nombre de jours, ce que l’on dira en son lieu. « Couverts de
sacs » c’est-à-dire de cilices, du fait qu’ils sont établis dans les rangs
des pénitents, c’est-à-dire de ceux qui confessent leurs péchés, car il les dit
couverts de sacs par esprit d’humilité.
« Et
lorsqu’ils auront achevé leur témoignage la bête qui monte de l’abîme leur fera
la guerre. » Il montre ouvertement que ces choses arriveront avant la dernière
persécution, quand il dit : « Lorsqu’ils auront achevé leur témoignage. »
« Et
si quelqu’un veut leur nuire ou les tuer un feu sort de leur bouche et dévore
leurs ennemis » c’est-à-dire si quelqu’un nuit ou a voulu
nuire à l’Église, à la prière de sa bouche il sera consumé par le feu divin
soit dans le présent pour sa correction, soit dans le siècle à venir pour sa
damnation.
« Sur
les places de la grande ville », c’est-à-dire au milieu de l’Église. » Et les
peuples de divers peuples, tribus et langues, verront leur corps pendant trois
jours et la moitié d’un jour » c’est-à-dire trois années et six mois ; En effet
il mêle les temps, tantôt le présent, tantôt le futur, comme le Seigneur dit :
« Une heure viendra où tout homme qui vous aura tué, estimera qu’il a rendu
honneur à Dieu. »
[1496] La mort et le jugement dernier selon les enseignements de
l’islam, Rayhane éditions 1991, Fdal HAJA, p. 57.
[1497] 2 Théssaloniciens 3, 4-5.
[1498] 1 Jean 2, 18.
[1499] 1 Jean 4, 3.
[1500] Saint Augustin, les deux cités.
[1501] Apocalypse 12, 3.
[1502] Apocalypse 13, 1.
[1503] L’opinion du Cardinal Ratzinger (La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, p. 204) : « Dans les autres écrits du Nouveau Testament,
quelques-uns de ces signes sont présentés de façon plus concrète. Ainsi, la
figure de l’Antéchrist passe désormais au premier plan, surtout (bien que le
terme n’y soit pas encore) en 2 Théssaloniciens 2, 3-10. Pour comprendre cette
figure apocalyptique de l’ » Impie » (2, 8 ; cf. 2, 3), il faut noter que Paul
le caractérise en citant substantiellement deux textes de l’Ancien Testament :
Daniel 11, 36, et Ezéchiel 28, 2 Le premier de ces deux textes dépeint le grand
persécuteur de la foi juive à l’époque hellénistique : Antiochus épiphane. Le
second dépeint le prince mythique de Tyr, prince hybride et donc voué à
l’échec. Que l`Antéchrist à venir soit décrit sous des traits qui, à l’origine,
étaient ceux de deux autres personnages depuis longtemps passés à l‘histoire
lui ôte quelque chose de son caractère strictement singulier, et range
l’Antéchrist de la fin des temps dans une longue série de précurseurs déjà
fondamentalement doté de ce qu’on trouvera chez lui au suprême degré. La même
tendance s’inscrit encore plus fortement dans 1 Jean 2, 18-20, où apparaît le
thème de l’Antéchrist. Dans ces deux derniers textes, les actuels fauteurs
d’erreur en matière de christologie sont qualifiés d’ » Antéchrist » Il
s’ensuit que c’est maintenant la « dernière heure « , mais qui précisément
parce qu’elle est la dernière perd toute valeur chronologique et exprime
finalement une certaine disposition d’esprit, une certaine proximité intérieure
par rapport à la fin. Ce courant se poursuit dans les visions parallèles de
l’Apocalypse : le vrai pendant de l’ » Antéchrist « , ce sont les deux animaux
qui montent de la mer et de la terre (13, 1-18). Dans ce texte aussi,
l’Antéchrist est considéré très concrètement du point de vue de l’histoire
temporelle, et l’équivalence est établie entre lui et l’Etat romain divinisé
tel qu’il se présente, d’une part, dans ses empereurs-dieux, et, d autre part,
dans leurs prêtres.
Avec
cette conception de l’Antéchrist va de pair une insistance plus marquée sur
l’idée de persécution qui, dan l’Apocalypse, atteint son paroxysme. Le thème de
la prédication évangélique et de l’universelle efficacité du salut qui vient du
Christ a encore connu un ultime approfondissement dans le combat de Paul sur le
thème d’Israël consécutif au plein épanouissement de l’Église des païens.
L’histoire de l’exégèse de Romains 9-11 en a conclu que la première étape vers
la fin des temps serait forcément la conversion historique d’Israël au Christ.
[1504] Il finit par accepter le baptême afin de mourir garrotté plutôt
que brûlé vif.
[1505] 2 Jean 8 ;
[1506] D. Buzy, Antéchrist, D. B, Suppl, I, 1928,
p. 305.
[1507] 2 Théssaloniciens 2, 4.
[1508] 1 Jean 2, 18.
[1509] Daniel 11, 31.
[1510] 1 Jean 2, 19.
[1511] Œuvres, Livre L, chap. 27.
[1512] Aussi Gerhoch de Reichersberg (1093/1094-1169) voit-il juste,
quand il considère l’Antéchrist comme une sorte de principe de l’histoire de
l’Église, « qui ne se concrétise pas en une personne, mais sous mille figures.
Il fait table rase de l’image traditionnelle : il faut n’y Voir qu’un être
allégorique, et non historique. L’Antéchrist doit s’entendre littéralement de
tout homme qui est Christo Filio Dei contrarius mérite ce nom. En
d’autres termes, chacun est Antéchrist qui détruit l’ordo et fomente la confusio.
» Quoi qu’il en soit des généralisations outrancières que le prévôt pessimiste
en ait tirées concernant le but, le fond de sa pensée est pourtant juste, à
savoir que l’Antéchrist n’est un que dans la multitude de ses manifestations
historiques, dont chaque époque, à sa manière, est menacée.
[1513] Apocalypse 13, 17 et 18.
[1514] Exode 20, 9.
[1515] Exode 21, 1.
[1516] L’Apocalypse, Césaire d’Arles, Collection les Pères dans la foi,
Desclée de Brower, p. 65 : « Lorsqu’il ouvrit le sixième sceau, il y eut un
grand tremblement de terre », c’est-à-dire la dernière persécution. « Et
le soleil devint noir comme un sac de crin et la lune devint tout entière comme
du sang et les étoiles tombèrent sur la terre. » Ce que sont le soleil et
la lune, les étoiles le sont aussi, c’est-à-dire l’Église, mais la partie est à
comprendre du tout. Ce n’est pas en effet toute l’Église qui tombe du Ciel.
Mais il dit tout parce que la dernière persécution s’étendra à tout l’univers.
Et alors ceux qui auront été justes, demeureront dans l’Église comme dans le
Ciel : Mais les cupides, les hommes injustes et adultères accepteront de
sacrifier au diable. Et alors ceux qui se disaient chrétiens seulement en
paroles, telles les étoiles, tombent du Ciel qui est l’Église. « Comme un
figuier agité par un grand vent laisse tomber des figues vertes. »
[1517] Apocalypse 20, 1.
[1518] 2 Théssaloniciens 2, 4.
[1519] Voir l’article suivant.
[1520] Genèse 3, 14.
[1521] La vie proposée par Satan n’a rien à voir avec celle de Dieu. Sa
dignité n’est pas celle de l’amour poussé jusqu’au mépris de soi… Elle est liée
au culte de sa grandeur individuelle.
[1522] En latin, Lucis ferro,
Lucifer. Il parlera donc en vérité de son projet de paradis fondé sur la
noblesse des intelligences.
[1523] Sous-entendu Jésus-Christ et son message d’humilité et d’amour.
[1524] Voir Genèse 11, 9 : Dieu divisa l’humanité à Babel pour l’empêcher
de s’unir et de se croire toute puissante. Son but n’était bien sûr pas la
préservation égoïste de sa primauté mais le salut éternel de l’homme.
[1525] Luc 23, 34.
[1526] Luc 16, 31.
[1527] 2 Théssaloniciens 2, 10 à 12.
[1528] 2 Théssaloniciens 2, 7.
[1529] Genèse 11, 7.
[1530] Apocalypse 17, 14.
[1531] 2 Théssaloniciens 2, 5.
[1532] Matthieu 24, 15.
[1533] Daniel 8, 22-26.
[1534] Daniel 9, 26-27.
[1535] Daniel 12, 5-13.
[1536] A la fin du XXème siècle, abreuvée de souffrance, l’humanité finit
par rédiger la charte d’un monde nouveau qu’elle s’efforça de réaliser à l’aide
des instances internationales.
Son but : Que chacun puisse profiter des plaisirs et
des joies de la vie car ils sont ce qu'il y a de plus précieux sur la terre.
Ses moyens : Il convient de donner à tous les hommes
la possibilité d’obtenir ces plaisirs et ces joies. En premier lieu, il faut
mettre au ban de la société toutes les idéologies qui, au cours des siècles
passés se sont rendues coupables de fanatismes et de violences. Toute guerre
doit être définitivement bannie puisqu’elle est source de malheur.
En second lieu, il convient de montrer aux peuples
que le bonheur décrit a pour condition la
liberté et le respect de la liberté d'autrui.
Ses lois : Etablir des lois civiles favorisant la liberté dans le respect d'autrui.
Liberté d'aimer celui qui veut bien de cet amour (l'amour n’étant pas seulement
la pulsion sexuelle mais aussi le sentiment) ; Liberté de penser et de
s'exprimer (dans la mesure où les idées soutenues respectent le principe de
l'article 1 et les conditions de l'article 2 ; Liberté de donner la vie au
moment choisi, à condition que le nouveau-né soit un enfant normal, doté de
toutes les facultés pour trouver dans les meilleures conditions le bonheur
proposé et qu’il ne soit pas surnuméraire par rapport aux possibilités de la
planète ; Liberté d'arrêter une grossesse non désirée, tant que l'embryon n'est
pas un être humain (=doté de liberté) ; Liberté de choisir l’heure de sa mort,
surtout lorsque celle-ci approche et supprime la possibilité du bonheur proposé
dans l'article 1 ; Bref, toute liberté apte à favoriser le bonheur dans le
respect de la liberté d'autrui.
4) Etablir des lois civiles favorisant le respect d'autrui dans la liberté :
Respect de celui qui n'éprouve plus de sentiment et veut quitter son conjoint
(possibilité de divorce) ; respect de toutes les opinions d'autrui ; Tolérance
de ses actions dans la mesure où elles ne détruisent pas la liberté d'autrui ;
Respect du droit des enfants qui, n’étant pas des êtres totalement éduqués dans
la liberté, ont besoin de l'amour de leurs parents ; Respect de ceux qui
veulent quitter ce monde et terminer leur existence dans un choix digne de
l'être humain (euthanasie) ; Bref tout ce qui favorise le respect de la liberté
d'autrui, en vue du bonheur personnel.
5) Etablir une justice et des peines adaptées contre
ceux qui commettent des délits et des crimes contre autrui, selon qu’il a été
défini libre et digne de respect aux articles 3 et 4.
6) Favoriser les sciences et les techniques capables
d'aider aux conditions matérielles du bonheur du plus grand nombre. Nourriture
pour tous, santé, richesse, temps pour les loisirs, protection de la nature,
prolongation de la durée de vie, accès à la culture etc.
7) Adapter avec souplesse ces lois en fonction de
l’évolution des mentalités, pour que chacun se sente libre et respecté et même
aimé dans un monde où règne la concorde entre tous. Favoriser l'attention aux
autres, à condition qu’elle n’aille pas jusqu’à établir des liens étouffants
pour la liberté. C’est de cette attention que naîtra l’équilibre psychologique
d’une société vouée aux angoisses de sa condition mortelle. ”
Un tel projet de société n’est certes pas parfait.
Il reconnaît avec réalisme son défaut structurel : la nécessité pour l’homme de
mourir alors qu'il désirerait vivre toujours. Mais reconnaissons-le avec
honnêteté : Si Dieu n'existait pas, ne serions nous pas les premiers à y
adhérer et à y travailler ? Existe-t-il meilleure façon de vivre sur la terre
les quelques années où le hasard de l’évolution nous a placé ? Ce projet est si
bon (le moins mauvais qu'on puisse imaginer compte tenu de ce que nous sommes),
qu’il est difficile d'en inventer un meilleur. L’acceptation du divorce et du
vagabondage des amitiés est logique. Pourquoi s'imposer à vie le joug d'une vie
commune alors que l'amitié se vit beaucoup plus facilement dans la liberté et
la spontanéité ? N'y a-t-il pas plus de joie à se revoir qu'à se supporter ?
Rien n’empêche bien sûr à ceux qui veulent se marier de le faire, s'ils y
trouvent le bonheur. Il en est de même pour l’acceptation de l'avortement.
L'embryon n’ayant ni âme immortelle ni liberté, pourquoi s'imposer à le garder
s’il ne vient pas au bon moment ? De même, pourquoi vivre dans la maladie et la
vieillesse puisque tout se termine dans le néant ?
On le
voit, cette conception du monde ressemble à s’y méprendre à celle du
christianisme. Beaucoup de chrétiens les identifient d’ailleurs de nos jours.
Elles ont des éléments communs : sens du respect d’autrui, recherche du bonheur
de l’autre. Pourtant, en y regardant de plus près, il est possible de discerner
qu’elles sont absolument différentes, à tous points de vue. Puisque celle-là
exalte l‘amour de soi, de son propre équilibre et bonheur individuels. Il
s’agit bien d’un antichristianisme.
[1537] Apocalypse 11, 9.
[1538] 2 Théssaloniciens 2, 8.
[1539] Matthieu 4, 4.
[1540] Matthieu 24, 22.
[1541] Daniel 8, 25.
[1542] Daniel 9, 26.
[1543] 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1544] Daniel 8, 24.
[1545] Daniel 8, 25.
[1546] Daniel 12, 7.
[1547] Genèse 6, 3.
[1548] Voir par exemple Genèse 5, 6. 6, 3 etc.
[1549] Genèse 3, 5.
[1550] Matthieu 27, 25.
[1551] 2 Théssaloniciens 2, 4.
[1552] Matthieu 24, 15.
[1553] Matthieu 24, 30.
[1554] Luc 12, 4.
[1555] Luc 21, 32.
[1556] Genèse 11, 6.
[1557] Luc 7, 22.
[1558] Jean 8, 28.
[1559] 1 Jean 4, 16.
[1560] Matthieu 12, 40.
[1561] Josué 10, 14.
[1562] Matthieu 12, 39.
[1563] Isaïe 53.
[1564] En disant cela, le Cardinal Balthazar se sépare radicalement de la
position thomiste traditionnelle. Saint Thomas affirmait en effet que le Christ
avait conservé durant toute sa passion la vision béatifique dans son
intelligence. En conséquence, il ne pouvait souffrir dans son esprit qui était
bienheureux. Le mystère du sépulcre devenait mystère glorieux de prédication
aux âmes des défunts. La foi Catholique n’oblige pas à tenir cette opinion : Si
elle affirme avec netteté que le Christ a eu la vision béatifique dès le
premier instant de sa conception (il n’a pas eu à prendre conscience qu’il
était Dieu!), elle regarde comme une hypothèse possible qu’il ait pu accepter
de suspendre l’exercice de cette vision au moment de sa passion. On devine les
perspectives bouleversantes qu’ouvre cette recherche inaugurée avec
l’encouragement des papes Paul VI et Jean-Paul II par Balthazar.
[1565] Matthieu 24, 30.
[1566] Luc 21, 28.
[1567] Marc 15, 39.
[1568] Isaïe 2, 10.
[1569] Genèse 8, 21.
[1570] Matthieu 13, 49.
[1571] 1 Corinthiens 7, 31.
[1572] RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994,
p. 200.
[1573] Apocalypse 6, 11.
[1574] Péguy aimait distinguer dans l’histoire les « périodes » et les «
époques. » Dans les périodes, rien de grand n’arrive, la vie de l’humanité suit
son cours sans aventures extraordinaires. Comme un fleuve tranquille et
paresseux, les nations et les civilisations se hâtent lentement vers une fin
qui ne les préoccupe qu’à demi. Dans les époques au contraire, le fleuve
s’agite et tourbillonne, les remous succèdent aux remous, les digues se rompent
et ce sont alors les grandes catastrophes. Mais c’est aussi l’heure des héros.
Depuis
1914 et 1939, nous sommes entrés dans une époque de l’histoire. Il est difficile
d’en douter. Certains s’en désolent. Si l’on songe aux ruines accumulées par
deux guerres mondiales et on ne sait combien de guerres « en chaîne », on est
tenté de les suivre. Mais le chrétien fait confiance à la Providence
rédemptrice qui ne permet le mal qu’en vue d’un plus grand bien.
[1575] Daniel 11, 35.
[1576] Marc 1, 15.
[1577] Qohelet 3.
[1578] Daniel 11, 40.
[1579] I Corinthiens 10, 11.
[1580] Apocalypse 10, 6.
[1581] Luc 21, 24
[1582] Actes 13, 46
[1583] Matthieu 24, 8 « Et tout cela ne fera que commencer les
douleurs de l'enfantement. »
[1584] Matthieu 24 et 25 et les parallèles en Marc et Luc.
[1585] Genèse 3, 15.
[1586] Matthieu 24, 34.
[1587] Matthieu 24, 4-11.
[1588] Les chrétientés soumises par l’islam ont-elles déjà réalisée cette
prophétie portant sur l’apostasie (Afrique du Nord, Turquie) ? Sans doute. Mais
la prophétie prendra sa plénitude quand elle concernera non une Eglise
particulière mais l’universalité des chrétientés. La disparition de la papauté
en sera le signe politique le plus visible.
[1589] 2 Théssaloniciens 2, 4.
[1590] 2 Théssaloniciens 2, 1-3.
[1591] Objection 1 à 3 de saint Thomas dans le Supplément de sa Somme
de Théologie.
[1592] Jean 5, 22.
[1593] Matthieu 24, 36.
[1594] Apocalypse 1, 1.
[1595] 2 Pierre 3, 9.
[1597] Matthieu 24, 4.
[1598] Daniel 8, 25.
[1599] Marc 13, 32.
[1600] Genèse 22, 12.
[1601] Isaïe 7, 14.
[1602] Esdras 7, 28.
[1603] Manuscrits autobiographiques, Derniers entretiens.
[1604] Luc 21, 23.
[1605] Matthieu 24, 43.
[1606] Apocalypse 2, 12.
[1607] Hébreux 10, 37.
[1608] Apocalypse 22, 10.
[1609] Marc 13, 30.
[1610] 1 Corinthiens 15, 41.
[1611] Ces oscillations nouvelles ne sont plus désormais qu’un aspect
d’une question plus vaste, celle du sens de l’histoire. Notre époque a résolu
ce problème en termes optimistes ou pessimistes selon le tempérament ou la
manière d’envisager les multiples cataclysmes d’une époque fertile en
bouleversements cosmiques et sociaux. D’Augustin à Hegel, la théologie de
l’histoire s’est laïcisée, elle a fait également l’objet de nombreux travaux de
vulgarisation. Nous n’en retiendrons qu’un exemple caractéristique de la pensée
religieuse de notre époque. Dans une série d’ouvrages qui ne manquent pas
d’intérêt, M. du Plessis retrace le cheminement de ce qu’il appelle « la
caravane humaine. » C’est une espèce de discours sur l’histoire universelle,
envisagée à la manière de Bossuet et de saint Augustin : les empires succèdent
aux empires, mais notre histoire est d’abord une histoire religieuse. On
contemple alors comme d’une tour élevée, la manière dont, se relayant les uns
les autres, certains peuples sont appelés à prendre la tête du cortège, mais
bientôt l’Église, nouvel Israël, entre dans cette histoire et c’est alors
l’affrontement de deux cités, du peuple de Dieu et du prince de ce monde. J. du
Plessis, La caravane humaine, 1942
[1612] 2 Pierre 3, 8.
[1613] Matthieu 16, 28.
[1614] Voir pour cet article la question 8. En effet, comme nous l’avons
montré, il n’existe pas de différence essentielle entre le retour du Christ à
l’heure de la mort et celui de la fin du monde. La différence est accidentelle
en tant qu’elle se fait pour tous en un seul acte à la dernière génération.
[1615] Matthieu 24, 22.
[1616] Cantique 5, 6 ss.
[1617] 1 Corinthiens 15, 51.
[1618] Jean 11, 26.
[1619] Jean 11, 22.
[1620] Jean 5, 28-29.
[1621] Genèse 8, 21.
[1622] 2 Pierre 3, 12.
[1623] Dans toute cette question, les principes généraux posés par saint
Thomas d’Aquin dans ses œuvres de jeunesse restent valables : La résurrection
du corps sera un évènement réel, réalisé par Dieu après le retour du Christ et
qui aboutira pour les âmes séparées à la réunification de leur être à travers
leur « vrai corps fait de chair. » Cette position de la foi exclut à l’avance
certaines positions qui voyaient dans la résurrection la simple glorification
de l’âme après la mort ou son union avec un corps symbolique, avec le corps
ressuscité du Christ ou toute autre hypothèse s’opposant à l’identité et à la
nature physique du corps ressuscité.
D’autre
part, pour saint Thomas, ce corps identique au corps mortel d’ici-bas vit selon
un mode nouveau, libéré pourrions-nous dire en langage moderne de toute loi
d’entropie. C’est un corps soumis à l’esprit, spirituel en se sens, libéré de
toute corruption, de la mort et doté de plus pour les élus des propriétés de la
gloire. Dès que nous abordons la question des « comment », nous touchons aux
limites de Saint Thomas. Nous nous sommes donc efforcés, compte tenu des
progrès de la science moderne, de donner un rajeunissement à ces questions.
Nous estimons que certaines d’entre elles valent la peine d’être posées, contre
l’avis de la majorité des théologiens actuels car nous affirmons que ce corps
aura bien un mode matériel de fonctionnement. Cependant, la science de la
matière étant bien loin d’avoir cerné les possibilités d’organisation de cette
dernière, nous sommes conscients du caractère inadéquat de nos essais de
réponses
Quelques
positions modernes inacceptables :
-La
première consiste à se refuser a priori à toute interrogation
théologique sur la nature et le mode du corps ressuscité sous prétexte que ce
mode nous dépasse nécessairement. Il est clair que le corps de Jésus présente
des propriétés étonnantes et inexplicables (Il entre dans une pièce close!).
Cependant, bloquer ainsi la soif naturelle de l’intelligence au service de la
foi est contre nature. Reste que le théologien doit garder à l’esprit que, dans
ces domaines, la vérité ne se révèlera qu’au Ciel.
Un
certain nombre d’interprétations récentes et spiritualisantes de la
résurrection ou encore d’autres attendant une recréation de l’homme tout entier
à la fin du monde, après un temps de néant, ont pour cause le refus obsédant de
la distinction âme-corps. Avoir peur du dualisme platonicien est une chose,
nier la distinction en est une autre.
[1624] Voir dans la Sommes de Saint Thomas, Supplément Question
75, Article 1 ; Un texte du Concile de Vatican II éclaire cette partie du
traité (Gaudium et Spes, 39).
«
Nous ignorons le temps de l’achèvement de la terre et de l’humanité, nous ne
connaissons pas le mode de transformation du cosmos. Elle passe, certes, la
figure de ce monde déformée par le péché ; mais, nous l’avons appris, Dieu
prépare une nouvelle demeure et une nouvelle terre où règnera la justice et
dont la béatitude comblera et dépassera tous les désirs de paix qui montent au
cœur de l’homme. Alors, la mort vaincue, les fils de Dieu ressusciteront dans
le Christ, et ce qui fut semé dans la faiblesse et la corruption revêtira
l’incorruptibilité. La charité et ses œuvres demeureront et toute cette
création que Dieu a faite pour l’homme sera délivrée de l’esclavage de la
vanité.
«
Certes, nous savons bien qu’il ne sert à rien à l’homme de gagner l’univers
s’il vient à se perdre lui-même, mais l’attente de la nouvelle terre, loin
d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller
: Le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque
ébauche du siècle à venir. C’est pourquoi, s’il faut soigneusement distinguer
le progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a
cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il
peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine.
« Car ces valeurs de la dignité, de la
communion fraternelle et de la liberté, tous ces fruits excellents de notre
nature et de notre industrie, que nous aurons propagés sur terre selon le
commandement du Seigneur et dans son esprit, nous les retrouverons plus tard,
mais purifiés de toute souillure, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ
remettra à son Père « un royaume éternel et universel : royaume de vérité et de
vie, royaume de sainteté et de grâce, royaume de justice, d’amour et de paix »
Mystérieusement, le royaume est déjà présent sur cette terre ; il atteindra sa
perfection quand le Seigneur reviendra. »
[1625] 1 Corinthiens 15, 44.
[1626] Job 19, 26.
[1627] Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, lettre sur
quelques questions d’eschatologie, 17 mai 1979.
[1628] Question 8, article 2.
[1629] Ici l’article de saint Thomas est présenté sans modification, Supplément
Question 75, article 3.
[1630] « La Foi Catholique », conférence du p. Pierre Benoît à
Fribourg.
[1631] VITALINI Sandro : Théologie de l’au-delà, Université de
Fribourg, Suisse, 1980, p. 23.
[1632] Isaïe 40, 4.
[1633] Isaïe 14, 4.
[1634] AUER J, RATZINGER J. ESCHATCLOGIA, Morte e
vita eterna ; cittadella, 1979.
[1635] Vitalini Sandro Théologie de l’au-delà, Université de
Fribourg-Suisse, 1980. p. 86.
[1636] 1 Théssaloniciens 4, 16.
[1637] cf. article précédent, solution 5.
[1638] Voir Question 2, Article 3.
[1639] Grâce aux progrès modernes de la connaissance de la matière, la
question du mode de la résurrection est complètement transformé par rapport à
la façon dont il était envisagé au moyen âge. Certaines questions du traité de
la résurrection ne sont plus posées depuis l’époque moderne.
[1640] 1 Corinthiens 15, 51.
[1641] « Pour cette question, on se reporte nécessairement à 1
Corinthiens 15, 35-53 : « Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts : on
est semé dans la corruption, on ressuscite dans l'incorruptibilité ; on est
semé dans l'ignominie, on ressuscite dans la gloire ; on est semé dans la
faiblesse, on ressuscite dans la force ; on est semé corps psychique, on
ressuscite corps spirituel. S'il y a un corps psychique, il y a aussi un corps
spirituel. C'est ainsi qu'il est écrit : Le premier homme, Adam, a été fait âme
vivante ; le dernier Adam, esprit vivifiant. » Paul y affronte une opinion
tente de faire passer l’idée de résurrection pour absurde en lui objectant la
question suivante : « Comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps
reviennent-ils ? » (v. 35). Contre cette attitude, Paul traite le problème de
la dimension corporelle de la résurrection, et cela en transportant l’expérience
du corps nouveau du Seigneur ressuscité à la compréhension de la résurrection
des morts en général. Cela veut dire que Paul s’oppose délibérément à la
conception juive dominante, qui considère le corps ressuscité comme
parfaitement identique au corps terrestre et le monde de la résurrection comme
la simple continuation du monde terrestre. Sa rencontre avec le Ressuscité, qui
en qualité de « Tout-Autre » a refusé de se laisser Voir et reconnaître sur
terre, n’a pas été soumise aux lois de la matière, mais elle est devenue
visible comme dans une épiphanie-apparition hors de l’univers de Dieu. Cette
rencontre avait irrévocablement ruiné ses conceptions juives. » Je
l’affirme, frères, la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu,
ni la corruption hériter de l’incorruptibilité » (v. 50). Cela coupe court à toute idée naturaliste et physiciste
de la résurrection. RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard
1994, p. 175.
[1642] Voir Supplément, Question 71, article 1.
[1643] QUEL AVENIR POUR L’HOMME ? Lettre pastorale du cardinal
Gouyon à l’occasion de la Toussaint, Documentation Catholique 1708, octobre
1976.
[1644] On retrouve une hypothèse analogue chez Jean Guitton. Etudiant les
problèmes exégétiques et philosophiques posés par la résurrection de Jésus, M.
Jean Guitton a été amené à formuler quelques hypothèses sur la nature de la
résurrection corporelle. Il en vint ainsi à distinguer dans le corps deux
éléments dont l’un est corruptible et dont l’autre échappe à la corruption, une
partie proprement matérielle qui peut se définir avec des concepts tirés de la
biologie, de la chimie et une manière d’être un corps ou d’avoir un corps qui
n’est pas proprement l’âme, mais qui est nécessaire à l’âme pour son insertion
dans le corps ou plutôt pour cette composition qui fait qu’elle est avec son
corps un seul et même être. Jean Guitton, Le problème de Jésus, Divinité
et résurrection, la pensée moderne du catholicisme, 7, Paris, 1953, p. 123 à
128.
[1645] Voir saint Thomas, Supplément Question 79, article 2.
[1646] Le Cardinal RATZINGER J, La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, p. 199, s’oppose à toute recherche sur le mode d’être
des corps glorieux. Nous pensons qu’il en partie raison en ce sens que
l’intensité de ce mode nous est inimaginable. Mais nous pensons que saint
Thomas d’Aquin a raison de développer certaines de ses propriétés puisqu’elles
ont été révélées dans l’Ecriture. Il reste que notre regard sur ces question
est très pauvre selon saint Paul (2 Corinthiens 4, 17) : « car une légère
tribulation nous prépare, jusqu’à l’excès, une masse de gloire! »
« Le
« dernier jour », la « fin du monde », la « résurrection de la chair » seraient
donc des indices de l’achèvement de ce processus, qui, encore une fois, ne peut
se réaliser que de l’extérieur, grâce à une réalité qualitativement neuve et
différente, et qui, en cela même, correspond à la « dérive » la plus intime de
l’être cosmique. Cela voudrait dire que, dans sa quête d’unité, l’être en
devenir parvient à ce but qu’il ne peut atteindre de lui-même et vers lequel
cependant il tend sans cesse, à cette inclusion de tout en tout par quoi chacun
devient totalement lui-même, justement parce qu’il est tout entier dans
l’autre. Une telle inclusion signifierait que la matière deviendra, d’une
manière tout à fait nouvelle et définitive, le bien propre de l’esprit et
celui-ci totalement un avec la matière. Cet « être-pan-cosmique » à quoi la
mort donne accès conduirait alors à un échange universel, à une ouverture
universelle, et donc au dépassement de toute aliénation. Dieu ne sera tout en
tout (I Corinthiens 15, 28) que lorsque sera réalisée cette unité de la
création. Cela veut dire que des précisions, quelles qu’elles soient, sur le
monde de la résurrection sont inconcevables ; A de telles tentatives s’opposent
aussi bien I Corinthiens 15, 50 que Jn 6, 63, et, dans la mesure où Greshake
s’élève contre de tels jeux d’esprit « physicistes « , il faut lui donner
pleinement raison. Nous ne pouvons nous faire aucune idée de ce monde, et ce
n’est d’ailleurs pas nécessaire ; il faut renoncer définitivement à de telles
tentatives. Mais, par delà toutes les images et indépendamment d’elles, il
reste qu’une juxtaposition éternelle, sans relation et donc statique, du monde
matériel et du monde spirituel est contraire à la signification essentielle de
l’histoire, à la création de Dieu et à la parole de la Bible. C’est pourquoi,
sans diminuer le moins du monde le mérite du livre de Greshake, il faut
contredire sa proposition : « La matière en soi [...] est imperfectible. » Malgré
toutes les assurances contraires, cela impliquerait un partage de la recréation
et donc finalement un dualisme selon lequel tout le domaine de la matière
serait exclu de la finalité de la création et deviendrait une réalité de second
rang. »
[1647] Dans cet article, les apports d’une biologie dont saint
Thomas aurait aimé disposer nous permettent de préciser ses conclusions,
parfois de les modifier. Mais cette connaissance plus profonde du corps permet
de mieux comprendre le mystère de la résurrection, dans toute sa simplicité en
échappant à toutes les questions secondaires, comme celle par exemple du
cannibalisme qui ont tant intrigué les théologiens du Moyen Age. En effet, le
corps des ressuscités peut être le même sans être forcement toujours composé de
la même matière qu’ici-bas.
[1648] Luc 10, 21.
[1649] Histoire d’une âme, feuille n°2, verso.
[1650] Question 8, article 2.
[1651] Genèse 6, 3.
[1652] Voir le Contra Gentiles de saint Thomas
d’Aquin.
[1653] Romains 6, 9.
[1654] Daniel 3, 25.
[1655] Matthieu 5, 45.
[1656] Saint Thomas d’Aquin, Contra Gentiles, Livre 4.
[1657] Matthieu 22, 30.
[1658] Matthieu 22, 30.
[1659] Ephésiens 4, 13.
[1660] Genèse 3, 16.
[1661] Galates 3, 28.
[1662] Voir pour cette solution le Contra Gentiles.
[1663] Matthieu 22, 30.
[1664] Cette solution est de saint Thomas dans le Contra gentiles.
[1665] Article inspiré et modifié, Supplément, question 81,
article 1 ; L’opinion de Balthasar nous paraît insuffisante. Elle ne tient pas
assez compte du nouveau sens que prendra le mot « jeunesse » dans l’autre monde
: « Cela signifie en premier lieu que c’est l’histoire du monde en son
déroulement qui doit entrer dans la vie éternelle. Autant sont vaines les
spéculations sur l’âge auquel les hommes ressusciteront-la seule réponse est :
à tout âge-autant il serait absurde de penser que l’histoire n’entre de droit
dans l’éternité que dans son dernier stade, qui sera peut-être le plus désolé.
En fait, ce qui dans l’histoire, à n’importe quel stade de son développement, a
acquis quelque chose de positif méritera de prendre part à la vie éternellement
neuve de Dieu. On s’apercevra que ce qui était apparemment primitif et non
évolué, contenait peut-être plus de virtualités cachées que les périodes de
haute culture qui, du point de vue naturel, peuvent ne porter que peu de
fruits. On se rappellera ici comment Jésus fait l’éloge de l’enfant, parce
qu’il est plus réceptif et plus disposé à recevoir que l’adulte. Ce qui est
vrai de l’histoire dans son ensemble. » BALTHASAR H. U, La dramatique divine
4, « le dénouement », Culture et Vérité ; Namur, 1993, p. 381.
[1666] Apocalypse 1, 14.
[1667] 1 Corinthiens 15, 44.
[1668] Voir Contra Gentiles, 4ème Livre.
[1669] 1 Corinthiens 15, 34-42.
[1670] 1 Corinthiens 2, 9.
[1671] Cet article est l’un des deux exemples de ce traité où nous
nous sommes vu obligés de changer les conclusions de saint Thomas, La position
du grand théologien consiste à affirmer que le corps glorieux ne peut traverser
la matière, sauf par miracle de Dieu. Mais une telle conclusion se fonde sur la
physique de son époque, qui considérait les corps comme des réalités continues.
La science physique moderne permet d’aller plus loin dans la compréhension de
ce que fit Jésus après sa résurrection : « Il se tint dans la pièce, alors
que toutes les portes étaient closes. » La position de saint Thomas est
exposée dans le corps de l’article.
[1672] Voir Supplément Question 84, article 1.
[1673] Ibidem, article 2.
[1674] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément,
Question 85, article 1.
[1675] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément
Question 97, article 10.
[1676] Nous avons estimé nécessaire de rajouter à la fin du traité des
corps glorieux un article le comparant avec « le corps astral » : L’arrivée en
Occident des philosophies orientales risque d’aboutir à une confusion entre
deux conceptions bien différentes.
[1677] Voir Supplément question 86. Cette question est laissée
telle quelle, excepté les solutions de l’article 2.
[1678] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément,
Question 74, article 1.
[1679] 2, Pierre 3, 10.
[1680] 2 Pierre 2, 7.
[1681] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément,
Question 74, article 2.
[1682] 2 Pierre 3, 12.
[1683] Psaume 101, 26.
[1684] 2 Pierre 3, 12.
[1685] Romains. 8, 22.
[1686] Jean 13, 10.
[1687] 2 Pierre 3, 10.
[1688] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément,
Question 74, article 5.
[1689] Saint Augustin, De l’unique baptême, chapitre XIII.
[1690] Pour les trois objections et le cependant, voir le Supplément
de la Somme de Théologie Question 74, article 9.
[1691] Question 12, articles 2 et 3.
[1692] Le monde nouveau : l’opinion de Balthasar : « Il est évident que le Nouveau
Testament ne considère pas comme de son rôle de faire des déclarations sur «
l’avenir du cosmos. » En effet, la dimension théologique « Ciel-terre » n’a
rien à Voir avec une vue scientifique du monde. Il n’en est pas moins vrai
toutefois que le tournant annoncé avec la résurrection du Christ, la mutation
dont les chrétiens et, avec eux, « toute la création » aspirent à Voir
l’accomplissement, est un événement qui présente pour l’évangile un intérêt
capital. Saint Paul à vrai dire ne parle de la « nouvelle création » qu’au
présent (Ga 6, 15 ; 2 Corinthiens 5, 17). Dans le grand texte sur « la
création en attente, aspirant à la révélation des fils de Dieu » (Romains
8, 19 et tout le contexte), c’est la glorification définitive de ces enfants
de Dieu qui se trouve au centre de l’attention, et non pas le statut de la
création « libérée de la servitude de la corruption », elle qui « fut
assujettie, sans l’avoir voulu, à la vanité. » Étant donné le mouvement de
toute l’épître, cette accentuation est parfaitement compréhensible ; mais elle
n’empêche pas que le monde créé eu son ensemble quitte son état de contrainte,
pour entrer avec les élus dans le destin de l’homme racheté.
On sera d’accord avec A. Vögtle pour reconnaître que
sur la forme finale du monde-quand la terre passera sous le patronage du
Ciel-nous ne pouvons nous faire de
représentation valable, et cela est d’ailleurs inutile. Mais il est sûr que
cette forme dernière sera marquée christologiquement. C’est ce que nous affirme
l’épître aux Colossiens (1, 15-20), encore que son interprétation ne soit pas
très aisée à déterminer. La difficulté est, en effet, la suivante : comment un
inonde, dont on dit qu’il est créé dans le
Christ, afin d’être par lui et pour lui l’image du Dieu invisible, peut-il
avoir encore besoin de « réconciliation » ?
BALTHASAR
H. U, La dramatique divine, 4, « le dénouement », Culture et Vérité,
Namur 1993, p. 382-385.
[1693] Voir Saint Thomas d’Aquin, Ia IIae Question 4, article 7 ; Dans la Somme de Théologie,
voir :
Béatitude. Béatitude de
Dieu. Ia, q. 26.-En quoi consiste la béatitude de l’homme.-Ce que c’est et ce
qu’elle exige 1a 2ae. q. 2 et q. 5 et q. 4.- Des béatitudes elles-mêmes. Ia
2ae. q 69.-Béatitude des saints et leurs demeures. sup. q. 95.- Qualités des
bieaheureux. sup. q. 95. - Etat des bienheureux après la résurrection. sup. q.
82.
[1694] 1 Rois 3, 11.
[1695] « Exégètes et théologiens discutent, depuis saint
Irénée, pour savoir si notre univers sera simplement transformé, changé en
mieux ou s’il s’agit d’une recréation absolument nouvelle. Ce qui est sûr,
c’est que le nouveau cosmos, adapté à la condition spirituelle des élus… ne se
caractérisera pas par de plus grands biens temporels ou la prospérité, comme
l’enseigne le Talmud et l’Islam, mais par la justice la plus stable et la plus
totale, celle qui résulte du règne intégral de Dieu, donc l’opposé du péché,
du désordre, de la corruption, de la vanité. » Voir SPICQ, C., Les Epîtres
de saint Pierre », Gabalda, 1966, 260 ; VIARD, A, Expectatio creaturae,
Revue Biblique, 1952, 337-354.
[1696] Genèse 1, 14.
[1697] Isaïe 60, 19.
[1698] Apocalypse 21, 23.
[1699] Sagesse 13, 5.
[1700] Apocalypse 21, 23.
[1701] Apocalypse 21, 1.
[1702] Matthieu 22, 30.
[1703] Dans cet article, nous avons estimé nécessaire de nuancer la position
originelle de saint Thomas. Le grand Docteur affirme que les vivants autres que
l’homme n’auront pas de place dans le monde nouveau à cause de leur nature
corruptible. Or, à partir de ce même principe, on peut aboutir à des
conclusions théologiques très différentes. La position de saint Thomas est
exposée dans le corps de l’article.
L’opinion de Balthasar : « De ce point de vue-pour le
dire en passant-la perspective médiévale sur l’état final du monde est un
non-sens. Selon saint Thomas, dans le monde de la résurrection entrent seuls
les corps des hommes et le monde minéral ; le monde végétal et animal, parce
qu’il est soumis au motus cœli désormais suspendu, et parce que la vision de
Dieu ne le concerne pas, tombe tout simplement dans le néant. Ce verdict cruel
contredit la sensibilité vétéro testamentaire en faveur du cosmos animé,
solidaire du cosmos humain (cf. Ps 8 ; Ps 104 ; Gn 1, etc.), ainsi que les
représentations des prophètes et du judaïsme proposant le salut selon
l’imagerie de la paix régnant entre tous les animaux (Is 11, 6-9 ; 65, 25). Il
contredit aussi cette profonde sensibilité chrétienne dont Joseph Bernhart a
donné une expression émouvante dans son livre Heilige und Tiere. Finalement,
avec un auteur tel que Wolfram von den Steinen, on mettra en évidence le rôle
des figures animales dans le Ciel biblique -l’agneau, la colombe, les êtres
vivants à figure animale devant le trône de Dieu-ainsi que leur utilisation
constante dans l’art chrétien. L’Apocalypse
est ici particulièrement expressive, car elle intègre la « préhistoire » de la
communauté chrétienne jusqu’à lui donner valeur identique d’expression en ce
qui concerne l’imagerie. Du même coup, elle fournit l’argument pour que, dans
le monde définitif du salut, le soubassement cosmique de l’homme entre dans la
gloire en même temps que lui ; la création de Dieu, malgré sa diversité, est
unique. » BALTHASAR H. U, La dramatique
divine 4, le dénouement, Culture et Vérité, Namur 1993, p. 383-384.
[1704] Genèse 9, 3.
[1705] 1 Corinthiens 15, 53.
[1706] Genèse 9, 9.
[1707] Romains. 8, 22.
[1708] La résurrection des animaux dans l’Islam :
Voir : La mort et le jugement dernier dans les
enseignements de l’islam, Fdal HAJA, Rayhane éditions, Paris 1991, p.
78-79)
Dieu dit : “Lorsque les animaux sauvages seront
rassemblés” (81 :5). “Pas de bête sur terre, ni d’oiseau volant de ses deux
ailes qui ne constitue des nations semblable à vous : dans le Livre Nous
n’avons absolument pas omis la moindre chose » (6 :38). “Parmi Ses signes il y
a la création du Ciel et de la terre et de ce qu’il a propagés d’animaux dans
les deux, gardant le pouvoir de les rassembler quand il le voudra” (42 :29).
Ibn Taymiyya écrit à ce sujet : “Quant aux animaux sauvages, Dieu, qu’Il soit
loué, les rassemblera et les ressuscitera comme il est indiqué dans le Livre et
la Tradition (sunna). » Abu Hurayra (Que Dieu soit satisfait de lui) note :
“Dieu ressuscitera toutes les créatures le Jour du Jugement : les animaux
sauvages, les oiseaux, les montures et autres. La justice de Dieu atteindra un
tel degré de perfection qu’Il rendra la justice à une bote sans corne contre
celle qui en a, en lui disant : “Soit poussière », comme il le dit des
impies.... » Le mécréant dira : “Ah! Si je n’étais que poussière 1 » (78 :40). An-Nawawi a expliqué dans son commentaire de Sahih Muslim,
ce qui suit : “Cela est une affirmation de la Résurrection des bêtes sauvages
le Jour du Jugement et leur retour à ce qu’ils étaient ici-bas, comme le sont
les êtres humains responsables, les enfants et les fous, ainsi que celui qui
n’a pas reçu de message. C’est ce que démontrent les preuves (citées) dans le
Coran et la sunna. Dieu dit : “Lorsque les animaux sauvages seront rassemblées
» (81 :5). Quand au jugement en faveur de la bête sans corne contre celle qui
en aura, ce n’est pas un Jugement de responsables puisque les animaux ne le sont
pas, mais c’est un jugement de confrontation. »
[1709] « Dressons le bilan : on ne peut se représenter le monde
nouveau. Il n’y a pas non plus de formulation concrète, satisfaisante pour
l’esprit, sur la nature de la relation de l’homme à la matière dans le monde
nouveau ni sur le « corps ressuscité. » En revanche, il est certain que la
dynamique du cosmos le conduit vers un but, vers une situation dans laquelle
matière et esprit seront l’un et l’autre nouveaux et définitivement voués l’un
à l’autre. Cette certitude reste la substance réelle de la confession de foi en
la résurrection de la chair, aujourd’hui encore, aujourd’hui plus que jamais. »
RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio, Fayard, 1994, p. 201.
[1710] Matthieu 5, 6.
[1711] Pour Balthasar, le jugement général est éternel et il
commence dès maintenant. Avec lui, nous pensons que le jugement général est la
somme des jugements particuliers. Nous le distinguons cependant du jugement
particulier en ce sens que tout sera alors révélé à tous. Citons Balthasar : «
Bref, si ]a Bible ne connaît qu’un seul jugement, il n’en reste pas moins que
le jugement général (cf. « toutes les nations seront rassemblées devant lui
», Matthieu 25, 32) sera en même temps un jugement absolument personnel et
particulier. La tension entre les deux aspects pourra bien être ressentie avec
le besoin de trouver des compromis-par exemple sous la forme d’une attente des
bons comme des mauvais dans des « demeures » et des états séparés jusqu’au
jugement futur. Mais on n’abandonne pas pour autant l’idée de l’unité du
jugement. Aussi toute théologie qui se veut proche de la révélation biblique
refusera de parler de deux jugements différents. En fin de compte, « tout
l’accent est placé sur le jugement particulier » de chaque homme après sa mort,
et « le jugement dernier n’en est, à proprement parler, que la confirmation
publique devant le monde entier »-. Les deux aspects « sont en tout cas
étroitement proches l’un de l’autre ; ils sont, d’une certaine manière, deux
degrés d’un seul et même événement d’ensemble »-. Origène aurait donc raison
lorsque, s’appuyant sur le mot de Luc (la venue du Fils de l’homme sera «
comme l’éclair qui jaillit d’un point du Ciel et resplendit jusqu’à l’autre
», Luc 17, 24), il décrit la parousie comme « une révélation si éclatante de sa
divinité que non seulement aucun des justes, mais aussi aucun pécheur ne pourra
méconnaître la véritable nature du Christ » Laissons dans l’indéterminé le lieu
de cette révélation. Mais si dans la foi une telle illumination est déjà, comme
on l’admet, présente inchoativement, combien plus sera-t-elle parfaite quand le
Christ se « révélera à tous, bons et mauvais, croyants et incroyants, non
seulement par la médiation de la foi et la recherche à tâtons, mais par le
dévoilement de sa divinité. Venant dans sa gloire, il remplira tout et se
tiendra en tout lieu devant les yeux de chacun, car tous seront partout devant
sa face » D’autres Pères, y compris Augustin, ont pu, comme nous l’avons déjà
constaté, s’exprimer de la même manière. BALTHASAR H. U, La dramatique
divine, 4, Le dénouement, Culture et vérité, Namur, 1993, p. 318 ;
[1712] Joël 4, 14.
[1713] Joël 4, 16.
[1714] Cette question a déjà été traitée à l’occasion de l’étude de
l’heure de la mort (Question 8, article 9). Elle est ici rapportée telle que
saint Thomas la traitait dans la Somme de Théologie, Supplément,
Question 89.
[1715] Luc 1, 52.
[1716] Genèse 3, 15.
[1717] Matthieu 12, 42.
[1718] Colossiens 2, 15.
[1719] Luc 2&, 25.
[1720] Luc 3, 6. Isaïe 45, 23.
[1721] Voir Saint Ambroise, De bono mortis, n. 44-49 ; p.
L, 14, 560-562.
[1722] Voir Question 30, article 4.
[1723] Job 1, 6.
[1724] Isaïe 14, 9.
[1725] Apocalypse 19, 20.
[1726] Comme dit saint Augustin : « J’estime que nul ne sait en
quelle partie du monde se trouve l’enfer, sauf celui à qui l’Esprit Saint l’a
révélé. » Saint Grégoire, interrogé sur ce point, répond : « Je n’ose rien
préciser témérairement à ce sujet. Certains en effet pensèrent que l’enfer
était en quelque partie de la terre. D’autres estiment qu’il est sous terre. »
Et il montre que cette dernière opinion est plus probable, pour deux motifs.
D’abord en raison du nom même de l’enfer. » Si nous l’appelons enfer (infernum)
parce qu’il se trouve au-dessous (inferius) l’enfer doit être sous la
terre comme la terre est sous le Ciel. » Ensuite, à cause de ce que dit l’Apocalypse
: « Personne ne pouvait ouvrir le livre, ni dans le Ciel, ni sur terre, ni sous
la terre « : ceux qui sont dans le Ciel, ce sont les anges ; sur terre, ce sont
les hommes vivants encore dans leur corps ; sous terre, ce sont les âmes gui se
trouvent en enfer. Saint Augustin semble trouver deux motifs pour lesquels il
convient que l’enfer soit sous terre. Premièrement : « Puisque les âmes des
défunts ont péché par amour de la chair, on leur donne ce qu’on donne
habituellement à la chair morte, c’est-à-dire qu’elles |soient ensevelies sous
la terre. » Secondement : la tristesse est dans les esprits comme la pesanteur
est dans les corps, tandis que la joie apparaît comme la légèreté de l’esprit.
Dès lors, « de même que pour les corps, s’ils suivent l’ordre de leur
pesanteur, les plus lourds sont les plus bas, de même pour les esprits, les
plus bas sont les plus tristes « Ainsi, de même que le lieu le plus adapté pour
la joie des élus est le Ciel, de même pour la tristesse des damnés, le lieu le
plus adapté est le plus bas de la terre. On ne doit pas objecter que saint
Augustin écrit : « On dit ou on croit que les enfers sont sous les terres « ,
parce que dans le livre des Rétractations, il l’a corrigé en écrivant : « Il me
semble que j’aurais dû dire que les enfers sont sous les terres, plutôt que
d’apporter la raison pour laquelle on pense ou on croit qu’ils le sont. »
Cependant, certains philosophes ont affirmé que le lieu de l’enter était sous
le globe terrestre, mais à la surface de la terre en la partie qui nous est
opposée. » Il semble qu’Isidore le pense, quand il dit que « le soleil et la
lune se tiendront dans l’ordre dans lequel ils ont été créés, afin que les
impies livrés à leurs tourments ne jouissent pas de leur lumière. » Cela ne
vaudrait aucunement si l’enfer était au-dessous de la terre.
Nous avons vu plus haut
comment on peut interpréter ces paroles. Pythagore place le lieu des tourments
dans une sphère de feu, qu’il dit se trouver au milieu de tout l’univers. Il
appela cette région prison de Jupiter, comme nous le voyons dans Aristote. Mais
il est plus conforme à l’Ecriture de dire qu’il est sous terre.
[1727] Luc 17, 34 ;
[1728] Jean Damascène, « De la foi orthodoxe », livre 4.
[1729] Job 24, 19.
[1730] Psaume 10, 7.
[1731] Job 24, 19.
[1732] Deutéronome 28, 47.
[1733] Matthieu
22, 13.
[1734] Sagesse 11, 17.
[1735] Les évêques français écrivaient en 1978, Documentation catholique,
n° 1073 : « Quand la gloire sera révélée en nous, nous comprendrons que les
souffrances du temps présent étaient sans commune mesure avec ce qui nous attendait.
La création tout entière aura fini de gémir dans les douleurs de l’enfantement
: Nous verrons Dieu tel qu’il est, nous le connaîtrons tel que nous sommes
connus de lui. Dieu sera tout en nous, il y aura un seul Christ en plénitude, à
la dimension de l’humanité rachetée, s’aimant d’un amour parfait en des
milliards de cœurs battant d’un même rythme. »
[1736] 1 Pierre 4, 7.
[1737] Romains 8, 19.
[1738] Apocalypse 21, 1.
[1739] Exode 3, 14.
[1740] Isaïe 65, 17.