L’EXPLICATION SUIVIE

DE L’ÉVANGILE DE SAINT LUC

PAR SAINT THOMAS

 

Explication suivie

des

QUATRE EVANGILES

par le docteur angélique

Saint Thomas d’Aquin

 

composée des interprètes grecs et latins, et surtout des ss. Pères

admirablement coordonnés et enchaînés

de manière à ne former qu’un seul texte suivi et appelé à juste titre

la

 

CHAINE D’OR

 

Edition où le texte corrigé par le P. Nicolaï a été revu avec le plus grand soin sur les textes originaux grecs et latins

 

TRADUCTION NOUVELLE

par

M. L’ABBE J.-M. PERONNE

Chanoine titulaire de l’Eglise de Soissons, ancien professeur d’Ecriture sainte et d’éloquence sacrée

 

Tome premier

 

PARIS

LIBRAIRIE DE LOUIS VIVÈS, ÉDITEUR

rue Delambre, 9

1868

 

cf. reproduction offset aux « Editions pamphiliennes », rue St. Louis, F 84400 Saignon

 

PRÉFACE.. 10

CHAPITRE PREMIER. 14

v. 5-7. 14

Vv. 8-10. 16

Vv. 11-14. 16

Vv. 15-17. 18

Vv. 18-22. 19

Vv. 23-25. 21

Vv. 26, 27. 22

Vv. 28, 29. 23

Vv. 34, 35. 26

Vv. 36-38. 28

Vv. 39-46. 29

Vv. 48. — Parce qu’il a regardé l’humilité de sa servante, et désormais toutes les générations me diront bienheureuse. 33

Vv. 54, 55. — Et il a pris en sa protection Israël, se ressouvenant de sa miséricorde, selon la promesse qu’il a faite à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour toujours. 36

Vv. 57-58. 37

Vv. 59-64. 37

Vv. 67, 68. —... 39

V. 71. — De nous sauver de nos ennemis et des mains de tous ceux qui nous haïssent. 40

VV. 72, 73. — Pour exercer sa miséricorde envers nos pères et se souvenir de son alliance sainte, selon qu’il a juré à Abraham, notre père, de nous accorder cette grâce. 40

V. 74. — Afin qu’étant délivrés des mains de nos ennemis, nous le servions sans crainte. 41

V. 75. — Dans la sainteté et dans la justice, en sa présence, tous les jours de notre vie. 41

V. 76. — Et vous, petit enfant, vous serez appelé le prophète du Très-Haut ; car vous marcherez devant la face du Seigneur pour lui préparer ses voies. 42

V. 77. 42

V. 78. 42

V. 79. — Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, et pour conduire nos pieds dans le chemin de la paix. 43

V. 80. 43

CHAPITRE II. 44

VV. 1-5. 44

VV. 6, 7. 46

Vv. 8-12. 47

Vv. 13, 14. 49

Vv. 15-20. 50

Vv. 22—24. 53

Vv. 25-28. 55

Vv. 29-32. 56

Vv. 33-35. 57

Vv. 36-38. 60

Vv. 39-41. 61

Vv. 41-50. 63

Vv. 51, 52. 66

CHAPITRE III. 68

Vv. 1, 2. 68

Vv. 3-6. 70

Vv. 7-9. 72

Vv. 10-14. 75

Vv. 15-17. 76

Vv. 18—20. 79

Vv. 21-22. 80

Vv. 23-38. 83

CHAPITRE IV.. 89

Vv. 1-4. 89

Vv. 5-8. 92

Vv. 9-13. 93

Vv. 14-21. 95

Vv. 22-27. 98

Vv. 28-30. 100

V. 31—37. 101

Vv. 38-39. 103

Vv. 40-41. 104

Vv. 42-44. 104

CHAPITRE V.. 105

Vv. 1-3. 105

V. 4-7. 106

Vv. 8-11. 108

Vv. 12-16. 109

Vv. 17-26. 112

V. 27-32. 115

Vv. 33-39. 117

CHAPITRE VI. 119

Vv. 1-5. 119

Vv. 6-11. 121

V. 12—16. 122

VV. 17—1 9. 124

VV. 20—23. 125

VV. 24—26. 127

VV. 21—31. 129

VV. 32-37. 131

VV. 37-38. 133

VV. 39—42. 134

VV. 43-45. 135

Vv. 46-49. 137

CHAPITRE VII. 138

VV. 1—10. 138

Vv. 11—17. 141

VV. 18—23. 143

VV. 24—28. 145

VV. 29—35. 148

Vv. 36-50. 149

CHAPITRE VIII. 154

Vv. 1-3. 154

Vv. 4-15. 156

Vv. 16-18. 159

Vv. 19-21. 160

Vv. 22-25. 162

Vv. 26-39. 164

Vv. 43-48. 168

Vv. 49-56. 172

CHAPITRE IX.. 175

Vv. 1-6. 175

Vv. 7-10. 177

Vv. 10-17. 177

Vv. 18-22. 181

Vv. 23-28. 183

Vv. 29—31. 185

Vv. 32—36. 188

Vv. 37—44. 190

Vv. 44-48. 192

Vv. 46—48. 193

Vv. 51-56. 195

Vv. 57—62. 196

CHAPITRE X.. 199

Vv. 1-2. 199

Vv. 3-4. 201

Vv. 5-12. 203

Vv. 13—16. 206

Vv. 17-20. 207

Vv. 21-23. 209

Vv. 23-24. 212

Vv. 25-28. 212

Vv. 29—37. 214

CHAPITRE XI. 221

Vv. 5-9. 226

Vv. 9—13. 228

Vv. 14-16. 231

Vv. 17-20. 231

Vv. 21-23. 233

Vv. 24-27. 234

Vv. 27, 28. 235

Vv. 29-32. 236

Vv. 33-36. 238

Vv. 37-44. 239

Vv. 45-54. 243

CHAPITRE XII. 245

Vv. 1-3. 245

Vv. 8—12. 248

Vv. 13-15. 252

Vv. 16-21. 253

Vv. 22, 23. 256

Vv. 24-26. 256

Vv. 27-31. 258

Vv. 32-34. 260

Vv. 35-40. 261

Vv. 41-46. 264

Vv. 47-48. 266

Vv. 49—53. 267

Vv. 54-57. 269

Vv. 58-59. 270

CHAPITRE XIII. 272

Vv. 1-5. 272

Vv. 6-9. 273

Vv. 10-17. 275

Vv. 18-21. 278

Vv. 22-30. 280

Vv. 31-35. 282

CHAPITRE XIV.. 285

Vv. 1-6. 285

Vv. 7-11. 286

Vv. 12-14. 288

Vv. 15-24. 289

Vv. 25-28. 293

Vv. 28-33. 294

Vv. 34-35. 296

CHAPITRE XV.. 297

Vv. 1-7. 297

Vv. 8-10. 299

Vv. 11-16. 300

Vv. 17—24. 303

Vv. 25-32. 307

CHAPITRE XVI. 311

Vv. 1-7. 311

Vv. 8-13. 312

Vv. 14-18. 315

Vv. 19-21. 317

Vv. 22-26. 319

Vv. 27-31. 323

CHAPITRE XVII. 327

Vv. 1-2. 327

Vv. 3-4. 328

Vv. 5-6. 329

Vv. 7-10. 330

Vv. 11-19. 331

Vv. 20-21. 333

Vv. 22-25. 333

Vv. 26-30. 334

Vv. 31-32. 336

Vv. 34-37. 337

Chapitre XVIII. 338

Vv. 1-8. 338

Vv. 9-14. 340

Vv. 15-17. 343

Vv. 18-23. 344

Vv. 24-30. 347

Vv. 31-34. 349

Vv. 35-43. 350

Chapitre XIX.. 353

Vv. 1-10. 353

Vv. 11-27. 356

Vv. 28-37. 361

Vv. 37-40. 363

Vv. 41-44. 364

Vv. 45-48. 366

CHAPITRE XX.. 368

Vv. 1-8. 368

Vv. 9-18. 369

Vv. 19-26. 372

Vv. 27-40. 374

Vv. 41-44. 376

Vv. 45-47. 377

CHAPITRE XXI. 378

Vv. 1-4. 378

Vv. 5-9. 379

Vv. 9-11. 380

Vv. 12-19. 381

Vv. 20-24. 383

Vv. 25-27. 385

Vv. 28-33. 387

Vv. 34-36. 389

Vv. 37-38. 391

CHAPITRE XXII. 391

Vv. 1-2. 391

Vv. 3-6. 392

Vv. 7-13. 393

Vv. 14-17. 395

Vv. 19-20. 396

Vv. 21-23. 398

Vv. 24-27. 399

Vv. 28-30. 400

Vv. 31-34. 401

Vv. 35-38. 403

Vv. 39-42. 405

Vv. 43-46. 407

Vv. 47-53. 408

Vv. 54-62. 411

Vv. 63-71. 413

CHAPITRE XXIII. 415

Vv. 1-5. 415

Vv. 6-12. 416

Vv. 13-25. 417

Vv. 26-32. 418

V. 33. 420

Vv. 34-37. 422

Vv. 38-43. 423

Vv. 44-47. 426

Vv. 47-49. 427

Vv. 50-56. 428

CHAPITRE XXIV.. 430

Vv. 1-12. 430

Vv. 13-24. 434

Vv. 25-35. 436

Vv. 36-40. 438

Vv. 41-44. 441

Vv. 45-49. 442

Vv. 50-53. 444

 

PRÉFACE

 

 

 

 

 

 

Le prophète Isaïe qui prédit avec tant d’exactitude et de clarté les divers mystères de l’incarnation de Jésus-Christ, dit au chapitre 50 : « J’envelopperai les cieux de ténèbres, et je les couvrirai comme d’un sac. Le Seigneur m’a donné une langue savante, afin que je puisse soutenir par la parole celui qui est abattu. Il m’éveille et me touche l’oreille tous les matins, afin que je l’écoute comme un maître » (Is 50). Ces paroles peuvent nous faire connaître l’objet et le genre de l’Évangile selon saint Luc, le but que cet évangéliste s’est proposé et dans quelles conditions il l’a écrit. — S. Aug. (De l’ac. des Ev., lib. 1, cap. 2 et 6). Saint Luc paraît s’être proposé surtout de décrire l’origine sacerdotale du Sauveur, et tout ce qui a rapport à sa personne. De là vient qu’on lui donne pour emblème un boeuf, le boeuf étant la principale victime que les prêtres offraient en sacrifice. — S. Ambr. (Préf. sur S. Luc). Le boeuf est par excellence la victime sacerdotale ; cet évangéliste est donc parfaitement figuré par un boeuf, puisqu’il ouvre son récit par l’histoire d’une famille sacerdotale, et le termine en racontant beaucoup plus au long que les autres l’immolation de cette victime, figurée par les taureaux de l’ancienne loi, et qui se chargeant des péchés de tous les hommes, a été immolée pour la vie du monde entier. — Glos. Saint Luc s’étant proposé principalement de raconter la passion de Jésus-Christ, cet objet se trouve comme indiqué dans ces paroles : « J’envelopperai les cieux de ténèbres, et je les couvrirai comme d’un sac. » Car, dans la passion du Sauveur, les ténèbres se répandirent littéralement sur la terre, et la foi des disciples fut couverte de nuages. — S. Jér. (sur Is 53). Jésus-Christ lui-même sur la Croix était couvert de mépris et d’opprobres, son visage était comme voilé par les ignominies, de manière que sa puissance toute divine était cachée sous l’infirmité d’un corps mortel.

S. Jér. Le style de saint Luc est plus pur et plus élégant que celui des autres évangélistes, et on y ressent comme un parfum de l’éloquence profane ce que semblent figurer ces paroles : « Le Seigneur m’a donné une langue savante. » — S. Ambr. (com. préc.) Car bien que les divines Écritures rejettent ces formes étudiées, qu’affecte la sagesse profane, qui s’appuie bien plus sur l’éclat prétentieux des paroles, que sur la vérité des choses ; cependant si l’on veut chercher dans les saintes Écritures elles-mêmes des modèles que l’éloquence profane ne dédaignerait pas d’imiter, on en trouvera facilement. Saint Luc, en effet, a suivi un certain ordre historique, il raconte en plus grand nombre les miracles opérés par Notre-Seigneur, et en même temps son évangile renferme des leçons de toutes les vertus. Ainsi quoi de plus sublime pour la sagesse naturelle que ce récit où saint Luc nous représente l’Esprit saint comme le créateur même de l’incarnation du Seigneur ? Il nous enseigne d’une manière non moins relevée toutes les vertus morales, comment par exemple, je dois aimer mon ennemi (Lc 6, Lc 27, Lc 32, Lc 35), j’y trouve même des leçons des choses qu’on pourrait appeler simplement rationnelles, par exemple : « Celui qui est fidèle dans les petites choses, l’est aussi dans les grandes. » (Lc 16, 10).

Eusèbe (Hist. ecclés., 3, 4.) Saint Luc, né à Antioche, où il exerçait la profession de médecin, puisa dans la société ou dans la tradition des Apôtres, les principes d’une médecine bien différente, et composa deux livres où sont expliquées les règles de cet art céleste, qui apprend à guérir non pas les corps mais les âmes : « Afin que je puisse soutenir par la parole celui qui est abattu. » — S. Jér. Il nous apprend en effet lui-même que le Seigneur lui a confié le ministère de la parole pour soutenir le peuple errant et fatigué, et le ramener dans les voies du salut.

Grec. Or, saint Luc étant doué d’un esprit distingué et d’une vaste intelligence, se rendit habile dans les sciences des Grecs. Il acquit une connaissance parfaite de la grammaire et de la poésie, et s’instruisit à fond des règles de la rhétorique et de l’art de persuader, il excella également dans la philosophie, et enfin dans la médecine. Mais lorsque grâce à cette prodigieuse activité, il eut assez goûté les fruits de la sagesse humaine, il sentit le désir de posséder une sagesse plus élevée, il se rendit donc en toute hâte dans la Judée, et vint trouver Jésus-Christ pour jouir de sa présence et s’instruire à son école. La vérité s’étant fait connaître à lui, il devint un vrai disciple de Jésus-Christ, et resta longtemps auprès de ce divin Maître. — Glose. C’est ce qu’indiquent encore ces autres paroles : « Il m’éveille dès le matin, » (comme on forme dès la jeunesse à la science profane ; il m’éveille dès le matin et me touche l’oreille, pour la sagesse divine), pour que j’écoute attentivement les leçons du maître, c’est-à-dire de Jésus-Christ lui-même. — Eusèbe. (comme précéd.) On dit qu’il écrivit son évangile sous la dictée de saint Paul, de même que saint Marc écrivit l’évangile qui porte son nom d’après les leçons de saint Pierre. — S. Chrys. (sur S. Matth., hom. 4). Ils ont tous deux imité leur Maître, l’un à l’exemple de saint Paul répand ses eaux avec abondance, comme un fleuve majestueux, l’autre imite saint Pierre, qui s’est appliqué à être concis. — S. Aug. (De l’ac. des Evang., 4, 8.) Les évangélistes ont écrit dans un temps où ils ont mérité de recevoir l’approbation non seulement de l’Église de Jésus-Christ, mais des apôtres eux-mêmes qui vivaient encore. Ces préliminaires suffisent.

 

 

PRÉFACE DE SAINT LUC

 

 

Eusèb. (Hist. ecclésiast., 3, 4.) Saint Luc commence son récit en nous faisant connaître la raison qui l’a déterminé à écrire son évangile ; c’est que plusieurs avaient eu la prétention téméraire de raconter les choses dont il avait une connaissance plus parfaite : « Plusieurs, dit-il, s’étant efforcé de mettre par ordre l’histoire des choses. » — S. Amb. (Préf. sur S. Luc.) Car, de même que chez le peuple juif, un grand nombre de prophètes ont prophétisé sous l’inspiration de l’Esprit saint ; tandis que d’autres n’étaient que de faux prophètes, de même aujourd’hui, sous la nouvelle loi, plusieurs ont entrepris d’écrire des évangiles qui ne sont pas de bon aloi ; c’est ainsi qu’on nous donne un évangile, écrit, dit-on, par les douze Apôtres, un évangile que Basilide a eu la prétention d’écrire, un troisième même qui aurait pour auteur saint Mathias. — Bède. (Préf. Sur S. Luc.) Lorsque saint Luc dit plusieurs, il a donc moins égard à leur nombre qu’à la diversité des hérésies que professaient ces prétendus évangélistes, qui sans avoir été favorisés des dons de l’Esprit saint et ne s’appuyant que sur leurs vains efforts, ont cherché bien plutôt à composer des récits particuliers qu’à reproduire la vérité historique des faits. S. Amb. (Ibid.) Celui qui s’est efforcé de mettre en ordre, n’a dû ses efforts qu’à son travail personnel, et n’en peut espérer aucun résultat ; au contraire, les dons et la grâce de Dieu n’exigent point d’efforts, et quand la grâce se répand dans une âme, elle l’arrose si largement, que l’esprit de l’écrivain loin d’être stérile, devient d’une inépuisable fécondité. C’est donc avec raison que saint Luc ajoute : « Des choses qui se sont accomplies parmi nous, » ou dont nous avons une connaissance surabondante, car ce qui est abondant ne fait défaut à personne, comme aussi personne ne doute de ce qui s’est accompli, puisque la foi s’appuie alors sur des faits qui en sont la démonstration la plus claire. — Tite de Bostr. (sur la Préf. de S. Luc.) Il ajoute : « Des choses, » car ce n’est pas dans un corps simplement apparent, comme le prétendent les hérétiques que Jésus a fait son avènement parmi nous, mais comme il était la vérité, c’est réellement dans la vérité qu’il a accompli son oeuvre. — Orig. (Hom. 1 sur S. Luc.) Il nous fait connaître qu’elles ont été pour lui les suites de cet avènement, en ajoutant : « Qui se sont accomplies parmi nous, » c’est-à-dire qui nous ont été dévoilées dans toute leur clarté, (comme le signifie le mot grec πεπληροφορημενων, que le latin ne peut rendre par un seul mot), car la connaissance de ces mystères était chez lui le résultat d’une foi certaine, raisonnée, et qui excluait jusqu’à l’ombre même du doute.

S. Chrys. (Ch. des Pèr gr.) L’Évangéliste ne s’en rapporte pas seulement à son témoignage personnel, mais il s’appuie exclusivement sur celui des Apôtres, pour donner plus de poids à ses paroles : « Ainsi que nous les ont rapportées ceux qui les ont eux-mêmes vues dès le commencement. » — Eusèbe. (Hist. ecclés., 3, 4.) Il est donc certain, que c’est dans les enseignements de saint Paul ou des autres Apôtres qui ont été attachés dès le commencement à la personne du Sauveur, que saint Luc a puisé la vérité historique de son récit. — S. Chrys. (comme précéd.) Il se sert du mot, « ils ont vu, » parce que le témoignage de témoins oculaires des faits, est pour nous le plus ferme motif de crédibilité.

Orig. De l’aveu de tous, l’objet final de certaines sciences est dans ces sciences elles-mêmes, comme la géométrie ; pour d’autres, comme la médecine, cet objet est dans l’application, il en est ainsi de la parole de Dieu ; aussi après nous avoir indiqué la source de la science par ces paroles : « Ils ont vu, » il nous en fait connaître les oeuvres pratiques en ajoutant : « Et ils ont été ministres de la parole (ou du Verbe.) » — S. Ambr. Cette dernière expression ne signifie pas que le ministère de la parole s’adressait plutôt à la vue qu’à l’ouïe ; mais comme ici, ce Verbe n’était pas un Verbe parlé, mais un Verbe substantiel, saint Luc veut nous faire comprendre que ce n’est pas d’une parole ordinaire, mais d’une parole toute céleste, que les Apôtres furent les ministres. — S. Cyril. Saint Jean confirme ce que dit ici saint Luc, que les Apôtres ont vu ce Verbe de leurs yeux par ces paroles : « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire ; » car c’est par le moyen de la chair que le Verbe s’est rendu visible. — S. Ambr. Mais ce n’est pas seulement comme homme revêtu de notre chair qu’ils ont vu Notre-Seigneur, ils l’ont vu comme Verbe, lorsque avec Moïse et Elie, ils ont été témoins de la gloire du Verbe, qui est resté invisible pour ceux qui n’ont pu voir que son corps. — Orig. Il est écrit dans l’Exode : « Le peuple voyait la voix du Seigneur. » Cependant la voix s’entend plutôt qu’elle n’est vue ; mais l’écrivain sacré s’exprime de la sorte pour nous faire comprendre que la voix du Seigneur est visible pour d’autres yeux, que Dieu ouvre à ceux qui en sont dignes. Or, dans l’Évangile, ce n’est pas simplement la voix qui est vue, mais une parole qui est bien supérieure à la voix.

Théophyl. (préf. sur S. Luc.) Nous pouvons conclure logiquement de ces paroles, que saint Luc n’a pas été un des premiers disciples du Sauveur, mais qu’il ne l’est devenu que dans là suite. D’autres se sont attachés à Jésus-Christ dès le commencement, comme Pierre et les fils de Zébédée. — Bède. Et cependant saint Matthieu et saint Jean, pour un grand nombre de faits qu’ils racontent, ont dû nécessairement avoir recours à ceux qui connaissaient les détails de l’enfance de Jésus, de sa jeunesse, de sa généalogie, et qui avaient pu être témoins de ses actions.

 Orig. Saint Luc établit ensuite le droit qu’il avait d’écrire l’Évangile sur la connaissance qu’il en avait acquise, non par des rumeurs incertaines, mais par des traditions qui remontaient à l’origine des faits « Il m’a semblé bon, après avoir tout appris dès le commencement, cher Théophile, d’en écrire l’histoire avec ordre. » — S. Ambr. En disant : « Il m’a semblé bon, » il n’exclut pas le bon plaisir de Dieu ; car c’est Dieu lui-même qui prédispose la volonté de l’homme (Pv 8, 35). Or, personne n’ignore que l’Évangile de saint Luc est plus étendu que les autres, aussi saint Luc prend-il soin d’établir solidement la vérité des faits qu’il raconte : « C’est après avoir été très exactement informé, que j’ai cru devoir écrire, » non tout ce qu’il avait appris, mais une partie ; car si toutes les choses qu’a faites Jésus étaient rapportées en détail, je ne crois pas, dit saint Jean, que le monde pût contenir les livres où elles seraient écrites. Du reste, c’est à dessein qu’il a omis une grande partie des faits racontés par les autres Évangélistes, afin que chaque Évangile dût son caractère particulier à la nature des mystères et des miracles qu’il renferme.

Théophyl. Il adressa son Évangile à Théophile, c’était un personnage distingué, peut-être même un prince ; car l’épithète d’excellent ne se donnait qu’aux princes et aux gouverneurs, comme nous voyons saint Paul appeler le gouverneur Festus : « Très excellent Festus. » — Bède. Théophile signifie qui aime Dieu ou qui est aimé de Dieu, qui que vous soyez donc, si vous aimez Dieu, ou si vous désirez être aimé de Dieu, regardez cet Évangile comme écrit pour vous, et conservez-le comme un présent qui vous est fait, comme un gage qui vous est confié. Et ce ne sont pas des choses nouvelles, ou des secrets inconnus qu’il doit expliquer à ce même Théophile ; il lui promet de lui exposer la vérité des choses dont il a été instruit, afin, dit-il, de vous faire connaître la vérité des choses qu’on vous a enseignées, c’est-à-dire pour que vous puissiez connaître dans leur ordre naturel, les paroles et les actions du Seigneur, dont le souvenir nous a été conservé. — S. Chrys. Ou encore, afin que vous ayez une certitude inébranlable des vérités que vous avez apprises, en les voyant consignées dans l’Écriture. — Théophyl. Souvent, en effet, nous regardons comme faux des faits qu’on avance dans la conversation, sans qu’on les mette par écrit ; si, au contraire, on prend soin de les écrire, nous y ajoutons foi plus volontiers ; car, pensons-nous, s’il n’était sûr de la vérité de ce qu’il dit, il ne l’écrirait point. — S. Chrys. On peut dire encore que toute cette préface de saint Luc contient deux choses : dans quelles conditions ceux qui l’ont précédé (saint Matthieu et saint Marc) ont écrit l’Évangile, et pour quel motif il a entrepris lui-même de l’écrire. Cette expression : « Ils se sont efforcés, » peut donc s’appliquer, et à ceux qui n’ont mis la main à cette oeuvre que par présomption, et à ceux qui l’ont entreprise dans les conditions de respect et d’honneur qu’elle réclame. Or, le sens douteux de cette expression se trouve précisé par une double explication que saint Luc nous donne. Premièrement, lorsqu’il dit : « Des choses qui se sont accomplies parmi nous ; » secondement, quand il ajoute : « Ainsi que nous les ont transmises ceux qui les ont eux-mêmes vues dès le commencement. » Ce mot « ils nous ont transmis, » me paraît encore renfermer un avertissement donné à ceux qui reçoivent l’Évangile, de travailler eux-mêmes à sa propagation ; car de même que les Apôtres l’ont transmis, ceux qui l’ont reçu doivent à leur tour le transmettre à d’autres. Lorsque les faits évangéliques n’étaient pas encore consignés par écrits, il en résultait bien des inconvénients à mesure qu’on s’éloignait des faits. Aussi ceux qui avaient recueilli ces faits de la bouche des premiers disciples et des ministres du Verbe, agirent-ils sagement en les consignant dans des écrits qui les répandirent dans tout l’univers, dissipèrent les calomnies, prévinrent un fâcheux oubli, et constituèrent ainsi par la tradition l’intégrité des saints Évangiles.

 

 

LE

SAINT ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST

SELON SAINT LUC

 

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

v. 5-7.

S. Chrys. (Chaîne des Pèr. gr.) Saint Luc commence son récit par l’histoire de Zacharie et de la naissance de Jean-Baptiste ; préludant ainsi par le récit d’un moindre prodige au récit d’un prodige plus étonnant. Une Vierge devait être mère, la grâce nous prépare à ce mystère, en nous montrant une femme stérile devenue féconde. Le temps se trouve indiqué par ces paroles : « Dans les jours d’Hérode, » et la dignité d’Hérode par ces autres : « Roi de Judée. » Cet Hérode était différent de celui qui mit à mort Jean-Baptiste, il était roi, tandis que ce dernier n’était que tétrarque. — Bède. Ce règne d’Hérode, qui était étranger, est une preuve de la venue du Messie. Il était prédit en effet (Gn 49) : « Le sceptre ne sortira point de Juda, ni le prince de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui qui doit être envoyé. » Or, depuis la sortie d’Égypte, les Juifs furent gouvernés par des juges de leur nation, jusqu’au prophète Samuel, et ensuite par des rois jusqu’à la captivité de Babylone. Au retour de la captivité, ce furent les grands-prêtres qui exercèrent le pouvoir souverain jusqu’à Hyrcan, tout à la fois roi et pontife. Hyrcan ayant été mis à mort par Hérode, César-Auguste donna le royaume de Judée à ce dernier qui était étranger ; et ce fut la trente unième année de son règne qu’eut lieu, selon la prophétie de Jacob, l’avènement de celui qui devait venir.

 

S. Ambr. La sainte Écriture nous apprend que pour être vraiment digne de louanges, il faut se rendre recommandable, non seulement par ses qualités personnelles, mais encore par le mérite de ses parents et par l’éclat d’une vertu sans tache qu’on a reçue d’eux comme un précieux héritage. Aussi la noblesse de saint Jean-Baptiste remonte-t-elle au delà de ses parents jusqu’à ses ancêtres, et tire tout son éclat, non des dignités profanes, mais d’une longue succession de piété et de vertu. L’éloge est donc complet, puisqu’il embrasse la race d’où il descend, les vertus de ses parents, leurs fonctions, leurs actions, leur justice.

 

Les fonctions, c’étaient les fonctions sacerdotales : « Il y avait un prêtre nommé Zacharie. » — Bède. Or saint Jean naquit d’une famille sacerdotale, afin qu’il pût annoncer le changement du sacerdoce ancien, avec d’autant plus de force, que lui-même était connu pour appartenir à la race sacerdotale. — S. Ambr. L’Évangéliste désigne la race par les ancêtres en disant : « De la famille d’Abia, » c’est-à-dire, d’une famille distinguée entre les premières familles. — Bède. Car les princes du sanctuaire, c’est-à-dire, les grands-prêtres étaient choisis parmi les enfants d’Eléazar, comme parmi les enfants de Thamar, et David avait partagé au sort en vingt-quatre sections, les fonctions du ministère qu’ils devaient remplir dans la maison de Dieu. Or, le huitième sort était échu à la famille d’Abia, de laquelle Zacharie était sorti. Ce n’est pas sans raison que le premier héraut du Nouveau Testament naît le huitième jour du sort, car le nombre huit désigne quelquefois le Nouveau Testament à cause du mystère du dimanche ou de notre résurrection, comme le nombre sept signifie souvent l’Ancien Testament, à cause du jour du sabbat. — Théophyl. L’Évangéliste veut montrer que saint Jean-Baptiste descendait légalement de la race sacerdotale, en ajoutant : « Sa femme était de la race d’Aaron, et elle avait nom Elisabeth, » car il n’était point permis de prendre une femme dans une autre tribu que la sienne. Or Elisabeth signifie repos, et Zacharie, souvenir du Seigneur. — Bède. Saint Jean naît de parents justes, ainsi pouvait-il annoncer les préceptes de la vraie justice avec d’autant plus de confiance qu’il ne les avait pas appris comme une chose nouvelle pour lui, mais qu’il les avait gardés lui-même comme un héritage qu’il avait reçu de ses ancêtres. « Tous deux étaient justes devant Dieu, » dit l’Évangéliste. — S. Ambr. Il comprend ainsi sous le nom de justice la sainteté de leur vie, Il ajoute avec beaucoup de sens : « Devant Dieu, » car il peut arriver que par un vain désir de popularité on paraisse juste aux yeux des hommes sans l’être devant Dieu, si par exemple cette justice ne vient pas d’une intention simple et droite, mais n’est qu’un mensonge inspiré par le désir de plaire. C’est donc faire d’un homme un éloge complet que de dire : il est juste devant Dieu, car on n’est vraiment parfait qu’au témoignage de celui qui ne peut être trompé. Saint Luc comprend les actes de la vie dans l’accomplissement des commandements, et la justice dans l’observation des ordonnances. « Ils marchaient, dit-il, dans les commandements et les ordonnances du Seigneur. » Nous marchons dans les commandements du Seigneur, lorsque nous obéissons à ses divins préceptes, et nous gardons ses ordonnances, lorsque toutes nos actions sont faites avec jugement. Or, nous devons avoir soin de faire le bien, non seulement devant Dieu, mais devant les hommes (Rm 12, 17 ; 2 Co 8, 21), et c’est pour cela qu’il ajoute « d’une manière irréprochable. » La conduite est irréprochable lorsque la doctrine et la pureté de l’intention viennent se joindre à la bonté de l’action, et souvent encore une sainteté trop austère devient l’objet des reproches du monde. — Orig. (hom. 2.) Une action juste peut aussi être faite par des motifs qui ne le sont pas, par exemple, si l’on fait des libéralités par esprit d’ostentation, ce qui n’est pas irréprochable.

 

« Et ils n’avaient pas de fils, parce qu’Elisabeth était stérile, » etc. — S. Chrys. (Chaîne des Pèr. gr., Hom. sur la Genèse.) Elisabeth ne fut pas la seule stérile, les épouses des patriarches, Sara, Rébecca, Rachel (ce qui était un sujet de honte chez les anciens), l’étaient aussi, et nous ne pouvons pas dire que leur stérilité fût une punition, puisque toutes étaient justes et vertueuses. Si donc Dieu permit qu’elles fussent stériles, c’était pour nous préparer à croire sans difficulté le mystère d’une Vierge qui enfante le Seigneur, après avoir cru préalablement à la fécondité des femmes stériles. — Théophyl. Dieu veut encore vous donner une autre leçon, c’est que la loi de Dieu demande beaucoup plus la fécondité spirituelle des enfants que la fécondité charnelle ; aussi voyez-vous Zacharie et Elisabeth avancés dans la vie, beaucoup moins selon le corps que selon l’esprit, disposant des degrés dans leur coeur (cf. Ps 85, 6), regardant leur vie comme un jour brillant et non comme une nuit ténébreuse, et marchant dans la décence comme durant le jour.

 

Vv. 8-10.

Bède. Dieu avait établi par Moïse un seul grand-prêtre ; à sa mort un autre devait le remplacer par ordre de succession. Cette loi fut observée jusqu’au règne de David qui, par l’inspiration de Dieu, en institua plusieurs. Voilà pourquoi l’Évangéliste nous dit que Zacharie remplissait en son rang les fonctions du sacerdoce : « Or Zacharie remplissant sa fonction de prêtre devant Dieu dans le rang de sa famille, il arriva par le sort, selon ce qui s’observait entre les prêtres, » etc. — S. Ambr. Zacharie nous paraît ici désigné comme grand-prêtre, car le grand-prêtre seul pouvait entrer une seule fois l’année dans le second sanctuaire, non sans y porter du sang qu’il offrait pour ses propres péchés et pour ceux du peuple (He 9, 8 ; cf. Ex 30, 10 ; Lev 16, 2.12.17.19). — Bède. Ce ne fut point une nouvelle élection du sort qui le désigna au moment où il fallait offrir les parfums, c’était d’après l’ordre établi anciennement, qu’il remplissait les fonctions du sacerdoce dans le rang de la famille d’Abia. « Cependant toute la multitude du peuple, » etc. Aux termes de la loi, le pontife devait présenter l’encens dans le saint des saints, le dixième jour du septième mois, pendant que tout le peuple attendait hors du temple, et ce jour devait être appelé le jour de l’expiation ou de propitiation. L’Apôtre expliquant aux Hébreux le mystère de ce jour, leur montre Jésus, pontife véritable, pénétrant avec son propre sang dans les secrètes profondeurs des cieux, pour nous rendre propice Dieu son Père, et intercéder pour les péchés de ceux qui attendent encore en priant à la porte du ciel.

 

S. Ambr. Zacharie est ce grand-prêtre désigné par le sort, parce que le véritable grand-prêtre est encore inconnu, car celui qui est choisi au sort ne doit point son élection au suffrage des hommes. Le grand-prêtre était donc demandé au sort, et il était la figure d’un autre, c’est-à-dire, du grand-prêtre véritable et éternel qui devait réconcilier le genre humain avec Dieu son Père, non par le sang des victimes, mais par son propre sang. Alors c’était par ordre de famille que les prêtres se succédaient, maintenant le sacerdoce est éternel.

 

Vv. 11-14.

S. Chrys. (hom. 2 sur l’incompréhens. natur. de Dieu.) Zacharie étant entré dans le temple pour offrir à Dieu les prières de tout le peuple, comme médiateur entre Dieu et les hommes, vit l’ange debout dans le sanctuaire : « Et l’ange du Seigneur lui apparut. » L’expression : « Il lui apparut, » est très juste, puisque Zacharie l’aperçut tout à coup, et c’est ainsi que l’Écriture s’exprime lorsqu’elle parle de Dieu ou des anges ; les choses que l’on voit sans y être préparé, elle dit qu’elles apparaissent. En effet, on ne voit pas de la même manière les choses sensibles et celui dont la nature est invisible, et qui ne se découvre que lorsqu’il le veut. — Orig. (hom. 3.) Cette vérité s’applique, non seulement au temps présent, mais au siècle futur ; lorsque nous sortirons de ce monde, Dieu et les anges n’apparaîtront pas à tous les hommes, mais seulement à ceux qui auront le coeur pur. Quant au lieu, il ne peut être ni utile ni nuisible à personne. — S. Chrys. (Chaîne des Pères grecs.) Cette apparition fut sans obscurité et différente de celles qui ont lieu dans te sommeil ; il s’agissait d’un événement extraordinaire, il fallait donc une vision évidente et certaine. — S. Jean Damasc. (de la foi orthod., lib. 2.) Les anges cependant n’apparaissent pas aux hommes dans leur propre nature, mais ils revêtent pour se rendre visibles, la forme que Dieu lui-même a déterminée. — S. Bas. (Chaîne des Pèr. gr.) Il dit : « À la droite de l’autel de l’encens, » parce qu’il y avait un autre autel réservé pour les holocaustes. — S. Amb. C’est par une raison pleine de mystère que l’ange apparaît dans le temple, il venait annoncer la venue du véritable grand-prêtre, et Dieu préparait déjà le sacrifice céleste dont les anges eux-mêmes sont les ministres, car nous ne devons pas douter de la présence des anges au sacrifice où Jésus-Christ est immolé. Il apparut à droite de l’autel de l’encens, parce qu’il apportait le signe de la miséricorde divine : « Le Seigneur est à ma droite, afin que je ne sois pas ébranlé. » (Ps 15).

S. Chrys. (hom. 2, sur l’incompr. nat. de Dieu.) L’homme, quelque juste qu’il soit, ne peut voir apparaître un ange sans éprouver un sentiment de crainte, aussi Zacharie ne pouvant ni supporter l’aspect de l’ange, ni soutenir l’éclat qui l’environne, se trouble : « Et Zacharie fut troublé. » Lorsque le conducteur d’un char s’épouvante et abandonne les rênes, les coursiers s’emportent, et le char se renverse ; ainsi en est-il de l’âme, toutes les fois qu’elle est sous le poids de la crainte ou de l’inquiétude : « Et la frayeur le saisit, » ajoute l’Évangéliste. — Orig. (hom. 4.) Une forme nouvelle vient-elle à s’offrir aux regards de l’homme, elle jette le trouble dans son esprit et l’effroi dans son âme ; aussi l’ange qui connaît cette disposition de la nature humaine, cherche d’abord à calmer cet effroi : « Mais l’ange lui dit : Ne craignez point, » etc. — S. Athan. (vie de S. Ant.) Voici donc un moyen facile de distinguer les bons esprits des mauvais ; si la joie succède à la crainte, c’est un indice certain de l’intervention divine ; car la paix de l’âme est lin signe et comme un fruit de la présence de la majesté divine, mais si la frayeur qu’on a éprouvée persévère, c’est l’ennemi du salut qui en est la cause.

Orig. Il ne se contente pas de calmer son effroi, mais il lui apprend une nouvelle qui le comble de joie : « Votre prière, lui dit-il, a été exaucée, et Elisabeth, votre épouse, enfantera, » etc. — S. Aug. (Quest. évang., liv. 2, q. 1.) Remarquons ici tout d’abord, qu’il n’est point vraisemblable qu’au moment où il offrait le sacrifice pour les péchés du peuple ou pour son salut et sa rédemption ; Zacharie, ce vieillard, dont la femme était avancée en âge, ait prié Dieu de lui accorder des enfants, car personne ne songe à demander dans ses prières ce qu’il n’a aucune espérance d’obtenir. Or Zacharie avait si peu l’espérance d’avoir des enfants qu’il refuse de croire à la promesse de l’ange. Ces paroles donc : « Votre prière a été exaucée, doivent s’entendre de la prière qu’il faisait pour le peuple. Mais comme le salut, la rédemption de ce peuple et la rémission des péchés devaient avoir lieu par Jésus-Christ ; l’ange annonce de plus à Zacharie qu’il lui naîtrait un fils destiné à être le précurseur du Christ. — S. Chrys. (comme précéd.) Ou bien pour preuve que sa prière est exaucée, il lui prédit la naissance d’un fils qui devait un jour proclamer : « Voici l’Agneau de Dieu, » etc. — Théophyl. À cette question secrète de Zacharie : comment serai-je assuré de cette promesse ? l’ange répond : En voyant Elisabeth devenir mère d’un fils, vous ne pourrez douter que les péchés du peuple ne soient remis. — S. Ambr. Ou bien encore, la plénitude et l’abondance sont les caractères des bienfaits de Dieu, ils ne sont point renfermés dans d’étroites limites, mais ils embrassent dans leur abondance tous les biens réunis ; ainsi l’ange annonce d’abord à Zacharie l’heureux effet de sa prière, puis il lui prédit que sa femme, jusqu’alors stérile, lui donnerait un fils dont il indique le nom par avance : « Vous lui donnerez le nom de Jean, » etc.

 

Bède. C’est toujours une preuve de mérite extraordinaire que Dieu lui-même impose un nom aux hommes, ou bien change celui qu’ils portaient. — S. Chrys. Remarquons aussi que les hommes qui devaient donner dès leur plus tendre jeunesse des signes d’une vertu éclatante, ont reçu dès lors leur nom du ciel, tandis que ceux dont la vertu ne devait se manifester que dans le cours de leur vie, n’ont reçu ce nom que plus tard. — Bède. Or Jean signifie, qui a la grâce, ou grâce du Seigneur. Ce nom présage la grâce que Dieu faisait à ses parents en leur donnant un fils dans leur extrême vieillesse, à Jean lui-même qui devait être grand devant Dieu, enfin aux enfants d’Israël qu’il devait convertir au Seigneur ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Vous en serez dans la joie et dans le ravissement. » — Orig. En effet, lorsqu’un juste vient au monde, les auteurs de sa naissance se réjouissent, tandis que la naissance d’un enfant qui semble prédestiné à la prison et à l’échafaud, jette ceux qui lui ont donné le jour dans la consternation et l’abattement. — S. Ambr. Les saints ne sont pas seulement la joie et la consolation de leurs parents, mais encore le salut d’un grand nombre : « Plusieurs, ajoute l’ange, se réjouiront de sa naissance. » Apprenons ici à nous réjouir de la naissance des saints ; que les parents apprennent à en rendre grâces à Dieu, car c’est une grâce insigne que Dieu leur fait, lorsqu’il leur donne des enfants destinés à perpétuer leur race et à recueillir l’héritage de leurs biens.

 

Vv. 15-17.

S. Amb. Après avoir annoncé que la naissance de Jean serait pour plusieurs un sujet de joie, l’ange prédit la grandeur de sa vertu : « Il sera grand devant le Seigneur, » etc. Il n’est point ici question de la grandeur du corps, mais de la grandeur de l’âme. Or, devant Dieu, la grandeur de l’âme n’est autre que la grandeur de la vertu. —Théophyl. Il en est beaucoup à qui l’on donne le nom de grands, mais c’est devant les hommes, et non pas devant Dieu, tels sont les hypocrites. Les parents de Jean, au témoignage de l’Évangéliste, étaient eux-mêmes justes devant Dieu. — S. Ambr. Jean n’a point reculé les frontières d’un empire, il n’a point moissonné de lauriers à la suite d’une glorieuse victoire ; mais il a fait plus, il a prêché dans le désert, il a foulé aux pieds les délices du monde, et la mollesse des plaisirs des sens par l’étonnante austérité de sa vie. « Il ne boira, dit l’ange, ni vin, ni aucune liqueur enivrante. — Bède. Le mot cervoise signifie ivresse, et les Hébreux s’en servent pour désigner toute boisson qui peut enivrer, qu’elle soit extraite de pommes, de grains ou d’une autre matière. Or, la loi (Nb 6, 5) prescrivait aux Nazaréens de s’abstenir de vin et de toute liqueur enivrante pendant tout le temps de leur consécration ; c’est pourquoi Jean et d’autres, favorisés d’une semblable grâce, se sont interdit pour toujours ces boissons, afin de demeurer toujours nazaréens, c’est-à-dire saints. Il n’est pas convenable, en effet, de s’enivrer de vin, quand on désire être rempli de l’effusion de l’Esprit saint. Aussi celui qui renonce à cette ivresse, mérite que la grâce du Saint-Esprit se répande en abondance dans son âme, « Il sera rempli de l’Esprit saint, » ajoute l’Évangéliste. — S. Ambr. Celui qui reçoit ainsi l’abondance de l’Esprit saint, reçoit en même temps la plénitude des plus éminentes vertus. Voyez, en effet, saint Jean-Baptiste ; avant de naître, étant encore dans le sein de sa mère, il fait connaître la grâce qu’il a reçue, lorsqu’en tressaillant dans le sein qui le renferme, il annonce l’avènement et la présence du Seigneur. Cette vie de la nature est toute différente de la vie de la grâce, la première commence à notre naissance pour finir à notre mort ; la vie de la grâce, au contraire, n’est point limitée par les années, elle ne s’éteint point à la mort, elle n’est pas exclue du sein qui nous porte.

 

Grec. Mais quelles seront les oeuvres que Jean-Baptiste accomplira sous la conduite de l’Esprit saint, les voici : Il convertira plusieurs des enfants d’Israël au Seigneur leur Dieu. — Orig. (hom. 4.) Jean devait en convertir un grand nombre, la mission du Seigneur était de les convertir tous à Dieu son Père. — Bède. En disant de Jean-Baptiste qu’il a converti un grand nombre des enfants d’Israël au Seigneur leur Dieu, alors qu’en rendant témoignage à Jésus-Christ, il baptisait les peuples qui croyaient en lui, l’Évangéliste prouve par là même que le Christ était le Dieu d’Israël. Que les ariens cessent donc de nier que Jésus-Christ soit le Seigneur Pieu, que les photiniens rougissent de ne faire remonter son origine qu’au sein de la Vierge Marie, que les manichéens ne viennent plus dire que le Dieu d’Israël est différent du Dieu des chrétiens. — S. Amb. Nous n’avons d’ailleurs nul besoin qu’on nous prouve que saint Jean a converti les coeurs en grand nombre, alors que les écrits des prophètes et le saint Évangile nous l’attestent. La voix de celui qui crie dans le désert : « Préparez la voie du Seigneur, rendez droits ses sentiers, » ce baptême que le peuple venait recevoir en foule, ne sont-ils pas une preuve des conversions qu’il opérait dans la multitude ? Car ce n’était pas lui-même, mais le Seigneur qui était l’objet des prédications de ce précurseur du Christ. C’est pourquoi l’Évangéliste ajoute : « Et il marchera devant lui, » etc. Il a marché, en effet, devant lui, puisqu’il a été son précurseur dans sa naissance comme dans sa mort, et ces autres paroles : « Dans l’esprit et la vertu d’Élie, » ne sont pas moins justes. — Orig. Il ne dit pas : Avec l’âme d’Élie, mais : « Dans l’esprit et la vertu d’Elie » ; car l’esprit qui avait animé Elie vint remplir Jean-Baptiste, aussi bien que sa vertu. — S. Amb. L’esprit, en effet, est inséparable de la vertu, comme la vertu de l’esprit, voilà pourquoi l’ange joint l’esprit à la vertu. Car le saint prophète Elie eut à la fois une grande vertu et une grâce surabondante, une grande vertu pour ramener à la foi le coeur des peuples infidèles, la vertu de pénitence, la vertu de patience, et l’esprit de prophétie. Ces deux grands hommes eurent d’autres traits d’analogie, Elie habitait le désert, Jean y passa toute sa vie. Elie ne rechercha jamais les bonnes grâces d’Achab, Jean dédaigna la faveur d’Hérode ; l’un divisa les eaux du Jourdain, l’autre en fit un bain salutaire ; Jean fut le précurseur du premier avènement du Seigneur, Elie doit l’être du second.

 

Bède. Ce que le prophète Malachie a prédit d’Elie, l’ange l’applique à Jean-Baptiste, lorsqu’il ajoute : « Pour réunir les coeurs des pères avec leurs enfants, » en leur communiquant par ses prédications la science spirituelle de leurs saints ancêtres ; « et rappeler les incrédules à la prudence des justes, » prudence qui n’a point la prétention de trouver la justification dans les oeuvres de la loi, mais qui ne la cherche que dans la foi. — Grec. Ou bien encore, les Juifs étaient parents de Jean et des Apôtres, et cependant par orgueil autant que par incrédulité, ils se déchaînaient contre l’Évangile. Que fit alors Jean-Baptiste, et après lui les Apôtres ? comme des enfants pleins de douceur, ils découvraient la vérité à leurs pères, et cherchaient ainsi à les rendre participants de leur propre justice et de leur prudence. C’est ainsi qu’Elie doit convertir les restes des Hébreux à la vérité prêchée par les Apôtres. — Bède. L’ange avait dit précédemment que ta prière de Zacharie pour le peuple avait été exaucée, il ajoute « Pour préparer au Seigneur un peuple parfait, » et nous apprend ainsi comment ce même peuple sera sauvé et rendu parfait, c’est-à-dire par la pénitence et par la foi en Jésus-Christ, que doit prêcher Jean-Baptiste. — Théophyl. Ou encore : Jean a préparé un peuple qui n’était pas incrédule, mais parfait, c’est-à-dire prêt à recevoir le Christ. — Orig. (Hom. 4.) Le mystère, figuré par la prédication de Jean-Baptiste, s’accomplit encore dans le monde ; car pour que nous puissions croire en Jésus-Christ, il faut que l’esprit et la vertu de Jean vienne dans notre âme pour préparer au Seigneur un peuple parfait.

 

Vv. 18-22.

S. Chrys. (sur l’incompréh. nat. de Dieu.) Zacharie, ne considérant que son âge et la stérilité de sa femme, se laisse aller au doute : « Et Zacharie dit à l’ange : À quoi pourrai-je connaître la vérité de ce que vous m’annoncez ? » en d’autres termes : Comment cela se fera-t-il ? et il donne les raisons qu’il a de douter : « Car je suis vieux, » etc. L’âge est contraire, la nature impuissante, je suis sans force pour engendrer, et de son côté, la terre est stérile. Ces raisons ne suffisent pas au jugement de quelques-uns, pour excuser le prêtre Zacharie d’avoir fait toutes ces questions ; car quand Dieu parle, on doit recevoir sa parole avec foi ; vouloir la discuter, c’est faire preuve d’un esprit opiniâtre. Aussi voyez la suite : « Et l’ange lui répondit : Je suis Gabriel qui suis toujours présent devant Dieu. » — Bède. Comme s’il disait : Si un homme vous annonçait un semblable prodige, vous auriez droit de lui demander une preuve, un signe de la vérité de ses paroles ; mais quand c’est un ange qui promet, le doute n’est plus permis : « Et j’ai été envoyé pour vous parler, » etc.

 

S. Chrys. Dès lors donc que vous savez que je suis envoyé de Dieu, ne voyez plus rien de naturel dans ce que je vous dis ; car je ne parle point de moi-même, je ne fais que vous transmettre les volontés de celui qui m’a envoyé. En effet, la vertu, le mérite d’un envoyé, c’est de ne rien dire de sa propre autorité. — Bède. Remarquez ici qu’au témoignage de l’ange, il est tout à la fois devant Dieu et envoyé pour annoncer à Zacharie la naissance de son fils. — S. Grég. (hom. 34 sur les Evang.) En effet, lorsque les anges viennent nous trouver, ils remplissent extérieurement leur ministère sans interrompre intérieurement l’exercice de la contemplation ; car si leur esprit est limité, l’Esprit souverain qui est Dieu, n’a point de bornes. Ainsi les anges sont toujours devant lui, même quand ils sont en mission, puisque c’est dans l’immensité de Dieu qu’ils accomplissent leur message »

Bède. L’ange donne ensuite le signe qui lui a été demandé. Zacharie n’a fait usage de la parole que pour exprimer son incrédulité, le silence lui enseignera la foi : « Et voici que vous allez devenir muet, » etc. — S. Chrys. Les liens qui le rendaient impuissant, sont transportés à l’organe de la voix ; te sacerdoce dont il est revêtu n’est point une raison pour qu’il soit épargné, au contraire, la punition sera plus grande, parce qu’il devait donner aux autres l’exemple d’une foi plus vive. — Théophyl. Le mot grec χωφ­οζ signifie également sourd, on peut donc donner ce sens aux paroles de l’ange : Puisque vous ne croyez point, vous deviendrez sourd, et vous ne pourrez plus parler. Juste châtiment de sa double faute, la désobéissance est punie par la surdité, et la contradiction par la mutité. — S. Chrys. L’ange dit : Et voici, c’est-à-dire à l’instant même. Considérez toutefois la miséricorde de Dieu dans ce qui suit : « Jusqu’au jour où ces choses arriveront ; » comme s’il lui disait : Lorsque l’accomplissement de ma prédiction en aura démontré la vérité, et que tu auras reconnu la justice de ton châtiment, alors tu en seras délivré, Il lui en fait aussi connaître clairement la cause : Parce que vous n’avez pas cru à mes paroles, qui s’accompliront en leur temps ; » méconnaissant ainsi la puissance de celui qui m’a envoyé, et devant lequel je suis toujours présent. Or, si tel fut le châtiment de Zacharie pour avoir refusé de croire à un enfantement naturel, comment ceux qui blasphèment la naissance ineffable pourront-ils échapper à la vengeance divine ?

 

Grec. (ou Antipat. de Bostr., Chaîne des Pères grecs.) Tandis que ces choses se passaient dans l’intérieur du temple, la multitude qui attendait au dehors était surprise de ce que Zacharie tardait à revenir : « Cependant le peuple attendait Zacharie, et s’étonnait de ce qu’il demeurait si longtemps dans le temple. » Chacun se livrait à ses conjectures et donnait ses suppositions ; Zacharie étant enfin sorti, leur apprit, par son silence forcé, ce qui lui était arrivé dans l’intérieur du temple. « Et étant sorti, il ne pouvait leur parler. — Théophyl. Zacharie faisait des signes au peuple qui lui demandait probablement pourquoi il était devenu muet : « Et il leur faisait des signes et il demeura muet. » — S. Ambr. Un signe est un mouvement du corps qui n’est point accompagné des paroles, et qui cherche à faire connaître la volonté, sans pouvoir l’exprimer complètement.

 

Vv. 23-25.

Bède. Tant que duraient leurs fonctions, les prêtres, tout entiers aux offices de leur ministère, s’abstenaient de tout rapport avec leurs épouses, et s’interdisaient même l’entrée de leurs maisons. C’est pourquoi l’Évangéliste ajoute : « Quand les jours de son ministère furent accomplis, » etc. Les prêtres qui se succédaient alors, devaient être de la race d’Aaron, c’était donc un devoir aussi légitime que nécessaire de se donner une postérité » Maintenant, au contraire, ce ne sont plus les lois d’une succession charnelle, mais une perfection toute spirituelle qui donne droit au sacerdoce, aussi les prêtres sont-ils obligés d’observer une continence perpétuelle, pour être dignes d’offrir le sacrifice de l’autel. « Après ces jours-là, » etc., c’est-à-dire après les jours où Zacharie avait rempli les devoirs de son ministère. Ceci se passait au mois de septembre, le huit des calendes d’octobre, alors que les Juifs célébraient le jeûne de la fête des Tabernacles, à l’approche de l’équinoxe, où la nuit commence à être plus longue que le jour ; en effet, le Christ devait croître et Jean diminuer. Et ce n’est pas sans raison que ces jours étaient des jours de jeûne ; car Jean-Baptiste devait prêcher aux hommes les austérités de la pénitence.

« Et elle se tenait cachée, » etc. — S. Ambr. Pourquoi se tenait-elle cachée, si ce n’est par un sentiment de pudeur ? Il est en effet pour les époux un temps déterminé par la nature, où c’est chose louable de chercher à avoir des enfants ; lorsqu’on est dans la vigueur de l’âge, et qu’on peut espérer d’en obtenir. Mais lorsqu’on atteint les limites d’une vieillesse presque épuisée et qu’on arrive à cet âge, où l’on est plus propre à élever des enfants qu’à les engendrer, il y a une espèce de honte pour une femme de porter les signes d’une fécondité bien que légitime, d’être chargée d’un fardeau qui convient à un autre âge, et d’une grossesse qui n’est plus de saison. Elle avait donc de la honte à cause de son âge ; nous pouvons comprendre par là qu’Elisabeth et Zacharie n’avaient plus ensemble les rapports qu’ont entre eux les époux ; car si elle n’avait pas eu de honte de remplir les devoirs du mariage jusque dans sa vieillesse, elle n’en aurait pas eu davantage de devenir mère. Cependant laissons-la rougir du poids de la maternité tant qu’elle ignore ce qu’elle a de mystérieux. Bientôt, celle qui se dérobait aux regards, parce qu’elle était devenue mère, commence à se glorifier, parce qu’elle porte un prophète dans son sein. — Orig. (Chaîne des Pères grecs.) Aussi l’Évangéliste ajoute : « Elle se cachait pendant cinq mois, » c’est-à-dire jusqu’au temps où Marie elle-même conçut son divin fils, et que l’enfant d’Elisabeth, tressaillant de joie dans son sein, commença de remplir les fonctions de prophète. — S. Amb. Elle rougissait d’être mère à son âge, mais en même temps elle se réjouissait d’être délivrée de l’opprobre de la stérilité. « C’est là, disait-elle, la grâce que le Seigneur m’a faite, » etc. — S. Chrys. (ou Orig.) C’est-à-dire il a fait cesser ma stérilité, en m’accordant un don qui dépasse les forces de la nature, et une pierre inféconde a produit des épis verdoyants, il m’a délivré de l’opprobre de la stérilité en me rendant mère, « dans les jours où il m’a regardée pour effacer mon opprobre d’entre les hommes. » — S. Amb. Car c’est une espèce de honte pour les femmes d’être privées du fruit de l’union des époux, puisqu’elles n’ont point d’autre raison de se marier. S. Chrys. C’est donc pour Elisabeth une double joie d’être affranchie de l’opprobre de la stérilité, et de mettre au monde un enfant illustre ; car ce n’est pas ici comme pour les autres, l’union des époux seule, mais la grâce divine qui a été le principe de cette naissance.

 

Bède. Dans un sens mystique, on peut dire que Zacharie représente le sacerdoce judaïque, et Elisabeth la loi, qui développée par les explications des prêtres devait engendrer à Dieu des enfants spirituels, mais qui restait impuissante et stérile, « parce que la loi n’a conduit personne à la perfection. » Tous deux étaient avancés en âge, parce qu’à la venue au Christ les hommes étaient pour ainsi dire courbés sous le poids des ans. Zacharie entre dans le temple, parce que c’est aux prêtres qu’il appartient de pénétrer dans le sanctuaire des mystères célestes. La multitude se tenait au dehors parce qu’elle ne peut pénétrer le secret des choses spirituelles. Tandis que Zacharie place l’encens sur l’autel, la naissance de Jean-Baptiste lui est révélée ; c’est en effet lorsque les docteurs sont embrasés du feu divin que renferment les saintes lettres qu’ils découvrent la grâce de Dieu qui se répand par Jésus-Christ ; c’est par un ange que ses mystères sont révélés, parce que « la loi a été donnée par le ministère des anges. » — S. Ambr. Le peuple tout entier devient comme muet dans la personne d’un seul, parce qu’il parlait à Dieu par l’intermédiaire d’un seul ; la parole de Dieu a passé aussi jusqu’à nous, et elle n’est point muette au milieu de nous : celui-là est muet qui ne comprend pas la loi. Pourquoi, en effet, celui qui ne peut émettre aucun son articulé vous paraîtrait-il plus muet que celui qui n’a aucune connaissance des saints mystères ? Le peuple juif ressemble à un homme qui fait des signes, lui qui ne peut rendre raison de ce qu’il fait. — Bède. Et cependant Elisabeth conçoit Jean-Baptiste, parce que les secrètes profondeurs de la loi sont pleines des mystères de Jésus-Christ. Elle cache cette conception pendant cinq mois, parce que Moïse a renfermé dans ses cinq livres les mystères du Christ, ou parce que toute l’économie de la rédemption de Jésus-Christ a été figurée dans les cinq âges du monde par les paroles et les actions des saints.

 

Vv. 26, 27.

Bède. Comme l’incarnation du Christ devait avoir lieu dans le sixième âge du monde, ou bien devait être l’accomplissement de la loi, c’est avec raison que le sixième mois de la conception de Jean-Baptiste, un ange est envoyé à Marie pour lui annoncer la naissance du Sauveur du monde : « Au sixième mois, » etc., dit l’Évangéliste. Par ce sixième mois, il faut entendre le mois de mars, et c’est le vingt-cinq de ce mois que, selon la tradition, Notre-Seigneur a été conçu et a souffert sa passion, comme aussi c’est le vingt-cinq du mois de décembre qu’il est né. Si nous admettons avec quelques auteurs que l’équinoxe du printemps a lieu le vingt-cinq mars, et le solstice d’hiver le vingt-cinq décembre, nous pouvons dire qu’il était convenable que l’accroissement du jour coïncidât avec la conception et la naissance de celui qui éclaire tout homme venant en ce monde. Si l’on prétend au contraire que même avant l’époque de la naissance et de la conception du Sauveur les jours commencent à croître, ou qu’ils sont plus longs que les nuits, nous dirons alors que Jean-Baptiste précédait l’avènement du Seigneur, et qu’il évangélisait déjà le royaume des cieux.

 

S. Bas. (sur Isaïe.) Les esprits célestes ne viennent pas à nous de leur propre mouvement, c’est Dieu qui les envoie lorsque notre utilité l’exige ; car leur occupation est de contempler l’éclat de la divine sagesse. « L’ange Gabriel fut envoyé, » etc. — S. Grég » (hom. 34 sur les Evang.) Ce n’est point un ange quelconque, mais l’archange Gabriel qui est envoyé à la Vierge Marie. Il n’appartenait, en effet, qu’au plus grand des anges de venir annoncer le plus grand des événements. L’Écriture lui donne un nom spécial et significatif, il se nomme Gabriel, qui veut dire force de Dieu. C’était donc à la force de Dieu qu’il était réservé d’annoncer la naissance du Dieu des armées, du fort dans les combats qui venait triompher des puissances de l’air. — La Glose. L’Évangéliste désigne également le lieu où il est envoyé. « Dans la ville de Nazareth ; » car c’est le Nazaréen, c’est-à-dire le Saint des Saints, dont la naissance est annoncée. — Béde. Dieu commence admirablement l’œuvre de notre réparation, en envoyant un ange à une vierge qu’un enfantement divin devait consacrer, parce que le démon aussi avait commencé l’oeuvre de notre perte en envoyant le serpent à la femme peur la séduire par l’esprit d’orgueil. « Il fut envoyé à une vierge. » — S. Aug. (de la sainte Vierg., chap. 15.) La virginité seule était digne d’enfanter celui qui, dans sa naissance, n’a pu avoir d’égal. Notre chef, par un miracle éclatant, devait naître d’une vierge selon la chair, et figurer ainsi que l’Église vierge donnerait à ses membres une naissance toute spirituelle. — S. Jér. (serm. sur l’assomp.). C’est avec raison qu’un ange est envoyé à une vierge ; car la virginité a toujours été unie par des liens étroits avec les anges. En effet, vivre dans la chair, sans obéir aux inspirations de la chair, ce n’est pas la vie de la terre, c’est la vie du ciel.

 

S. Chrys. (sur S. Matth., hom. 4.) L’ange n’attend pas que l’enfantement ait eu lieu pour en faire connaître le mystère à la Vierge, cet événement l’eût jetée dans le plus grand trouble. C’est avant la conception qu’il accomplit son message, et ce n’est point en songe, mais dans une apparition visible et solennelle, telle que l’exigeait avant l’accomplissement, l’importance de l’évènement qu’il venait lui annoncer.

 

S. Amb. L’Écriture établit clairement ces deux choses, qu’elle était épouse et vierge. « Elle était mariée, » etc. Vierge, ce qui la sépare de tout commerce avec un homme ; épouse, pour que sa virginité fût à l’abri de tout déshonneur, alors que sa grossesse aurait été pour tous un indice de corruption. Le Seigneur aima mieux en voir quelques-uns douter de sa naissance immaculée, que de la pureté de sa mère. Il savait combien l’honneur d’une vierge est délicat, combien sa réputation fragile, et il ne voulut pas que la foi à sa naissance miraculeuse s’élevât sur le déshonneur de sa mère. La virginité de Marie a donc été inviolable, dans l’opinion des hommes, comme elle l’était en elle-même. Il ne fallait pas laisser pour excuse aux vierges, dont la réputation est malheureusement douteuse, que la mère du Sauveur elle-même n’avait pas été à l’abri du soupçon et du déshonneur. Que pourrait-on reprocher aux Juifs aussi bien qu’à Hérode, s’ils n’avaient persécuté que le fruit de l’adultère ? Comment Jésus lui-même aurait-il pu dire : « Je ne suis point venu détruire la loi, mais l’accomplir, s’il eût commencé par une violation de la loi, la loi condamnant l’enfantement de toute personne non mariée. Rien, d’ailleurs, ne donne plus de créance aux paroles de Marie que ce mariage, et n’éloigne davantage tout soupçon de mensonge. Qu’elle fût devenue mère sans être mariée, elle eût paru vouloir couvrir sa faute sous le voile du mensonge ; étant mariée, au contraire, elle n’avait aucune raison de mentir, puisque la fécondité des épouses est tout à la fois la récompense et le privilège du mariage. Une raison non moins importante, c’est que la virginité de Marie mettait en défaut le prince du monde ; en la voyant engagée dans les liens du mariage, il ne pouvait avoir aucun soupçon de son enfantement virginal. — Orig. (hom. 6.) Supposez-la, au contraire, non mariée, aussitôt cette pensée secrète fût venue au démon : Comment celle qui n’a point d’époux, est-elle devenue mère ? Cette conception doit être divine, il y a ici quelque chose de supérieur à la nature humaine. — S. Amb. Mais ce mariage déjoua bien plus encore toutes les pensées des princes de la terre ; car la malice des démons pénètre facilement dans le secret des choses cachées ; mais ceux qui sont plongés dans les préoccupations du monde sont incapables de comprendre les choses divines. Disons encore que nous avons ainsi un témoin plus fidèle et plus sûr de la virginité de Marie dans la personne de son époux, qui pouvait, et se plaindre de l’outrage qui lui était fait, et en poursuivre le châtiment, s’il n’eût connu le mystère de cet enfantement. « Il s’appelait Joseph, dit l’Évangéliste, et il était de la maison de David. » — Bède. Ces paroles sont vraies à la fois et de Joseph, et de Marie ; car aux termes de la loi, chacun devait prendre femme dans sa tribu, ou dans sa famille. « Et cette vierge s’appelait Marie. » Marie, en hébreu, signifie étoile de la mer, et en syriaque, maîtresse, noms qui conviennent parfaitement à Marie qui a enfanté le Maître du monde, et la lumière éternelle des siècles.

 

Vv. 28, 29.

S. Amb. Reconnaissez la Vierge à ses moeurs. Elle est seule dans l’intérieur de sa demeure, loin de tous les regards des hommes, un ange seul peut arriver jusqu’à elle : « L’ange étant entré où elle était, » etc. Il ne faut point qu’elle soit déshonorée par une conversation indigne d’elle, c’est un ange qui est chargé de la saluer. — S. Grég. de Nysse. (disc. sur la Nativ.) Le discours qu’il lui adresse est opposé à celui que la première femme entendit autrefois. Pour Eve l’enfantement dans la douleur fut la juste punition de son péché ; pour Marie, la tristesse fait place à la joie, et l’ange lui annonce le sujet d’une joie bien légitime, en lui disant : « Je vous salue. » Il ajoute : « Pleine de grâce, » et il proclame ainsi qu’elle est digne de l’union qu’il vient lui annoncer. Car cette plénitude de grâce est comme la dot destinée à son époux ; en effet, les paroles de l’ange conviennent tour à tour, les unes à l’épouse, les autres à l’époux. — S. Jér. (serm. sur l’Assomp.) Oui elle est pleine de grâce, car la grâce n’est donnée aux autres créatures que partiellement et avec mesure ; Marie l’a reçue toute entière et dans sa plénitude. Oui, elle est vraiment pleine de grâce, elle par qui toute créature a été inondée des eaux abondantes de l’Esprit saint. Celui qui avait envoyé son ange à cette divine Vierge était déjà avec elle, le Seigneur avait précédé son ambassadeur ; et le Dieu qui remplit tout de son immensité, ne pouvait être retenu par la distance des lieux : « Le Seigneur est avec vous. » — S. Aug. (serm. 14 sur la Nativ. du Seig.) Il est avec vous plus qu’il n’est avec moi ; car il est lui-même dans votre coeur, il s’incarne dans vos entrailles, il remplit votre âme, il remplit votre sein. — Grec. (ou Géom., Chaîne des Pères grecs.) C’est là le complément de l’ambassade céleste, le Verbe de Dieu contracte comme un époux une union incompréhensible à la raison ; engendrant tout à la fois et engendré, il s’associe intimement toute la nature humaine. Les dernières paroles de l’ange sont le couronnement et l’abrégé de tout ce qui précède : « Vous êtes bénie entre les femmes, » c’est-à-dire seule entre toutes les femmes ; par là même toutes les femmes seront bénies en vous, comme tous les hommes en votre Fils, ou plutôt les uns et les autres seront bénis en vous deux. En effet, c’est par une femme et un homme que le péché et la douleur sont entrés dans le monde ; c’est aussi par une femme et par un homme que la bénédiction, que la joie sont appelées et répandues sur toute créature.

S. Amb. Reconnaissez encore la Vierge à sa pudeur ; elle fut alarmée : « Ayant entendu ces paroles, elle en fut troublée. » C’est le propre des vierges d’être accessible à la crainte, de trembler à l’approche d’un homme, de redouter tout entretien avec lui. Apprenez de là, ô vierges, à éviter toute licence dans vos paroles, puisque Marie redoute la salutation d’un ange. — Grec. (ou Géom.) Comme ces visions du ciel lui étaient familières, ce n’est point à la vision elle-même, mais aux paroles de l’ange que l’Évangéliste attribue son trouble : « Ayant entendu ces paroles, elle en fut troublée. » Remarquez encore tout à la fois la pudeur et la prudence de cette divine Vierge, les sentiments de son âme, les paroles qui sortent de sa bouche. Elle entend parler de joie, de bonheur, elle examine ce qu’on lui dit, elle ne résiste pas ouvertement par incrédulité, elle ne croit pas aussitôt à la légère, elle évite à la fois la légèreté d’Eve, et l’obstination de Zacharie : « Et elle se demandait ce que pouvait être cette salutation. » Car elle ignorait encore la grandeur du mystère qui allait s’accomplir en elle. Cette salutation est-elle inspirée par la passion, comme serait celle d’un homme à une vierge ? Ou bien est-elle divine, puisqu’on fait intervenir le nom même de Dieu : « Le Seigneur est avec vous. » — S. Amb. Elle s’étonne aussi de cette nouvelle formule de bénédiction inusitée jusque-là ; car elle était réservée à Marie seule. — Orig. (hom. 6.) Si par la connaissance qu’elle avait de la loi, elle eût su qu’un autre avant elle eût été l’objet d’un semblable discours, elle n’en eût point été effrayée, comme d’une chose extraordinaire.

 

v. 30-33.

Bède. L’ange, voyant la Vierge troublée par cette salutation étrange pour elle, l’appelle par son nom, comme s’il la connaissait plus familièrement, et l’engage à déposer tout sentiment de crainte. « Et l’ange lui dit : Ne craignez pas, Marie, » etc. — Grec. (Photius, Chaîne des Pères grecs.) Comme s’il disait : Je ne suis point venu pour vous tromper, mais pour apporter le pardon de l’ancienne déception, je ne viens point non plus porter atteinte à votre inviolable virginité, mais préparer en vous une demeure à l’auteur, au gardien de toute pureté ; je ne suis pas l’envoyé du serpent, mais l’ambassadeur de celui qui détruit son empire, je viens non vous tendre un piége, mais traiter de l’union mystérieuse que Dieu veut contracter avec vous. Il ne veut pas la laisser en proie à des pensées inquiétantes, pour sauver l’honneur de la mission divine qu’il vient remplir. — S. Chrys. (Chaîne des Pères grecs.) Celui qui mérite de trouver grâce aux yeux de Dieu, n’a rien à craindre. « Vous avez, lui dit-il, trouvé grâce devant Dieu. » Comment chacun peut-il à son tour trouver grâce devant Dieu ? par l’humilité ; car c’est aux humbles que Dieu donne sa grâce. (Jc 4 et 1 P 5) — Grec. (ou Photius.) Cette Vierge sainte a trouvé grâce devant Dieu, parce que l’éclat de sa chasteté qui était le plus bel ornement de son âme, en a fait une demeure agréable à Dieu ; et que non seulement elle a gardé une virginité perpétuelle, mais a conservé son âme pure de toute tache. — Orig. (Chaîne des Pères grecs.) Plusieurs avant elle, avaient trouvé grâce devant Dieu : aussi l’ange ajoute ce qui lui est exclusivement propre : « Voilà que vous concevrez dans votre sein. » Cette expression voilà indique la rapidité, l’actualité de l’opération divine, la conception a lieu au moment même où il parle. — Sév. Ant. « Vous enfanterez dans votre sein, » paroles qui démontrent que Notre-Seigneur a pris dans le sein virginal une chair semblable à notre chair. En effet, le Verbe divin venait purifier à la fois la nature humaine, notre naissance, l’origine de notre génération ; il a donc, à l’exception du péché et du concours de l’homme, été conçu comme nous dans la chair, et porté neuf mois dans le sein de sa mère. — Greg. Nyss. (ou Géom., Chaîne des Pères grecs.) Mais comme il en est qui conçoivent l’esprit divin et enfantent l’esprit du salut, selon l’expression du prophète, l’ange ajoute « Et vous enfanterez un Fils. » — S. Amb. Il en est peu qui, comme Marie, enfantent le Verbe qu’ils ont conçu par la grâce de l’Esprit saint. Il en est qui rejettent au dehors le Verbe à peine conçu, et qui ne l’enfantent jamais ; il en est qui portent Jésus-Christ dans leur sein, mais sans que jamais il arrive à être formé dans leur coeur.

Greg. Nyss. (disc. pour la Nativ. du Seig.) L’attente de leur délivrance inspire ordinairement aux femmes de vives craintes, aussi l’ange calme ces appréhensions par les charmes de l’enfantement qu’il annonce : « Et vous l’appellerez Jésus. » L’avènement d’un Sauveur suffit pour dissiper tout sentiment de crainte. — Bède. Le nom de Jésus signifie Sauveur ou salutaire. Grec. L’ange dit à Marie : « C’est vous qui lui donnerez ce nom, et non pas son père ; car il n’a point de père dans sa génération temporelle, comme il n’a point de mère dans sa génération divine. — S. Cyr. Ce nom fut un nom nouveau donné au Verbe de Dieu et parfaitement en rapport avec sa naissance selon la chair, selon cette parole du prophète : « On vous appellera d’un nom nouveau, que la bouche du Seigneur vous donnera. » — Grec. (ou Géom.) Mais comme ce nom lui était commun avec le successeur de Moïse, l’ange fait ressortir la différence qui les sépare en ajoutant : « Il sera grand. » — S. Ambr. Il a été dit aussi de Jean-Baptiste qu’il serait grand, mais d’une grandeur humaine, tandis que Jésus sera grand d’une grandeur toute divine ; car la puissance. de Dieu se répand au loin, et la grandeur de la substance divine s’étend au delà de tous les espaces connus. Elle n’est limitée par aucun lieu, elle est incompréhensible à l’esprit humain, supérieure à toutes nos pensées, inaccessible aux variations des temps. — Orig. (hom. 6.) Admirez donc la grandeur du Sauveur Jésus, comme elle est répandue par tout l’univers. Montez dans les cieux, elle y remplit tout de sa présence ; descendez par la pensée dans les abîmes, vous verrez qu’elle vous y a précédé. A cette vue, reconnaissez l’accomplissement de cette prédiction : « Il sera grand. »

 

Grec. (ou Photius, comme précéd.) Et ne croyez pas que l’incarnation du Fils de Dieu porte la moindre atteinte à la majesté divine, au contraire, elle élève jusqu’aux cieux notre pauvre humanité : « Et il sera appelé, dit l’ange, le Fils du Très-Haut. » Ce n’est pas vous qui lui donnerez ce nom : « Il sera appelé, » et par qui donc, si ce n’est par son Père qui lui est consubstantiel ? Celui-là seul qui a la connaissance parfaite de son fils, peut seul aussi lui donner le nom qui lui convient, ce qu’il fait quand il dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » Il l’est de toute éternité, bien que ce nom ne nous ait été révélé que dans le temps pour notre instruction ; aussi l’ange dit : « Il sera appelé, » et non pas, il deviendra, ou il sera engendré ; car avant tous les siècles il était consubstantiel à son Père. Celui donc que l’immensité des cieux ne peut contenir, c’est lui que vous concevrez, c’est lui dont vous deviendrez la mère, c’est lui que votre sein virginal va renfermer. — S. Chrys. (Chaîne des Pères grecs.) Il en est qui regardent comme souverainement étrange, inconvenant même que Dieu fasse son habitation d’un corps mortel. Mais est-ce que le soleil qui est un corps sensible, et qui pénètre tout de ses rayons, voit pour cela s’obscurcir soit éclat ? A plus forte raison le soleil de justice, en prenant un corps très-pur dans le sein d’une vierge, ne perd rien de sa pureté ; bien loin de là, il ajoute à la pureté, à la sainteté de sa mère.

 

Grec. (ou Sév. d’Ant., Ch. des Pères grecs.) L’ange voulant rappeler au souvenir de Marie les oracles des prophètes, ajoute : « Et Dieu lui donnera le trône de David, » etc., afin qu’elle sache à n’en pouvoir douter, que celui dont elle deviendra la mère, c’est le Christ qui, selon les prophètes, devait naître de la race de David. — S. Cyr. (Chaîne des Pères grecs.) Toutefois, gardons-nous de croire que le corps très-pur de Jésus-Christ soit l’oeuvre de Joseph ; mais tous deux descendaient des mêmes ancêtres, Joseph et Marie, dans le sein de laquelle le Fils de Dieu s’est revêtu de notre humanité. — S. Bas. (à Amphiloch.) Ce n’est point sur le trône temporel de David que le Seigneur s’est assis, puisque le gouvernement du peuple juif était passé aux mains d’Hérode ; le trône de David, dont le Seigneur s’est mis en possession, c’est son royaume immortel. Aussi voyez ce qui suit : « Et il régnera sur la maison de Jacob éternellement, » etc. — S. Chrys. (hom. 7 sur S. Matth.) La maison de Jacob dont il est ici question sont ceux d’entre les Juifs qui ont cru en lui. Car comme dit saint Paul : « Tous ceux qui descendent d’Israël, ne sont pas pour cela Israélites…, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont réputés être les enfants d’Abraham. » (Rm 11.) Ou bien encore, la maison de Jacob, c’est toute l’Église, qui est sortie d’une bonne racine, ou qui, d’olivier sauvage qu’elle était, a été greffée sur l’olivier franc par le mérite de sa foi. — Grec. (ou Géom.) A Dieu seul il appartient de régner éternellement ; aussi, bien que l’ange déclare qu’il prendra possession du trône de David par suite de son incarnation, en tant que Dieu, il est le roi éternel des siècles. « Et son royaume n’aura point de foi. » Non seulement comme Dieu, mais aussi en tant qu’il est homme ; dans le temps présent, il règne sur un grand nombre, à la fin des siècles, son empire s’étendra sur tous sans exception, lorsque toutes choses lui seront soumises. — Bède. Que Nestorius cesse donc de dire que l’homme seul est né de la Vierge, et qu’en Jésus-Christ l’homme n’a point été uni au Verbe de Dieu en unité de personne ; car l’ange proclame Fils du Très-Haut, celui-là même qu’il déclare être le Fils de David, et démontre ainsi qu’en Jésus-Christ, il n’y a qu’une seule personne en deux natures. S’il parle au futur, ce n’est pas, comme le disent les hérétiques, que le Christ n’ait pas existé avant Marie, mais parce qu’il a reçu le nom de Fils lorsque l’homme, uni à Dieu, n’a plus formé qu’une seule personne.

 

 

Vv. 34, 35.

S. Ambr. Marie ne devait point refuser de croire aux paroles de l’ange, elle ne devait point non plus accepter témérairement les prérogatives divines qu’il lui annonçait. Que fait-elle ? « Or, Marie dit à l’ange : Comment cela se fera-t-il ? » question bien plus mesurée que celle du prêtre Zacharie. « Comment cela se fera-t-il ; » demande Marie ; à quoi connaîtrai-je la vérité de ce que vous m’annoncez, » dit Zacharie. il refuse donc de croire ce qu’il déclare ne pas comprendre, et il demande pour appuyer sa foi d’autres motifs de crédibilité. Marie, au contraire, se rend aux paroles de l’ange, elle ne doute nullement de leur accomplissement, elle n’est inquiète que de la manière dont elles s’accompliront. Elle avait lu dans les prophètes : « Voici qu’une vierge concevra et enfantera un fils, » elle croit donc. à l’accomplissement de cette prophétie ; mais elle n’avait pas lu comment elle s’accomplirait, car Dieu ne l’avait pas révélé même au premier des prophètes ; ce n’était pas à un homme, mais à un ange, qu’il était réservé de faire connaître un si grand mystère.

 

S. Grég. de Nysse. (disc. sur la Nativ. du Seig.) Considérez encore les paroles de cette Vierge si pure. L’ange lui prédit qu’elle enfantera, elle s’attache à sa virginité, la conservation de sa chasteté est à ses yeux d’un plus grand prix que l’apparition miraculeuse de l’ange. Aussi entendez-la dire : « Je ne connais point d’homme. » — S. Bas. (Chaîne des Pères grecs.) Le mot connaître est susceptible de plusieurs sens. On appelle connaissance, la science de Dieu notre créateur, la notion que nous avons de ses perfections et des voies qui mènent à lui, l’observation de ses commandements, et aussi les rapports des époux entre eux, et c’est dans ce dernier sens qu’il faut l’entendre ici. — S. Grég. de Nysse. (comme précéd.) Ces paroles de Marie nous dévoilent les pensées les plus intimes de son âme ; car si elle eût épousé Joseph pour la fin qu’on se propose dans tout mariage, pourquoi cet étonnement, lorsqu’on lui parle de conception ? puisqu’elle pouvait s’attendre à devenir mère un jour selon les lois de la nature. Mais il fallait conserver dans toute sa pureté ce chaste corps qui avait été offert à Dieu comme une chose sacrée, aussi dit-elle à l’ange : « Je ne connais point d’homme. » Comme si elle lui disait : Vous êtes un ange, cependant c’est pour vous chose naturellement impossible à savoir que je ne connais point d’homme ; comment donc deviendrai-je mère sans avoir d’époux, puisque je reconnais Joseph pour mon époux ?

Grec. (ou Géom., Ch. des Pèr. gr.) Considérez comment l’ange lève le doute de la Vierge, et lui explique la chaste union et l’enfantement ineffable qui doit la suivre : « Et l’ange lui répondit : L’Esprit saint surviendra en vous, » etc. — S. Chrys. (hom. 49 sur la Genèse.) Ne semble-t-il pas lui dire : Ne cherchez pas les lois de la nature, là où la nature est dépassée par la sublimité des choses que je vous annonce ? Vous dites : « Comment cela se fera-t-il, parce que je ne connais point d’homme ? » Et c’est justement parce que vous êtes demeurée vierge vis-à-vis de votre époux, que ce mystère doit s’accomplir en vous ; car si vous étiez une épouse ordinaire, Vous n’en auriez pas été jugée digne ; non pas, sans doute, que le mariage soit une chose profane aux yeux de Dieu, mais parce que la virginité lui est supérieure. Il convenait, en effet, que le Seigneur de tous les hommes eût avec nous, dans sa naissance, des rapports de conformité, comme aussi des traits de dissemblance. Il naît du sein d’une femme, et en cela il nous est semblable ; mais il naît en dehors des lois des conceptions ordinaires, et par là il nous est supérieur. — S. Grég. de Nysse. (comme précéd.) Bienheureux ce corps qui, par suite de l’incomparable pureté de Marie, a mérité d’être intimement uni à l’Esprit saint ; dans les autres, à peine si une âme pure mérite la présence de ce divin esprit ; ici c’est la chair elle-même qui devient son tabernacle. (Et dans le liv. de la vie de Moïse ou de la vie parf.) Ces tables de notre nature que le péché avait brisées, le vrai législateur les taille et les façonne de nouveau avec notre terre ; il prend, sans union charnelle, un corps capable d’être uni à sa divinité, et que le doigt de Dieu lui-même a sculpté, c’est-à-dire l’Esprit saint qui est survenu dans la Vierge. (Dans le disc. sur la nativ. du Christ.) « Et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. » La vertu du Très-Haut c’est le Christ lui-même qui est formé dans le sein de Marie par la venue de l’Esprit saint. — S. Grég. (Moral., 18, 12.) Ces paroles : « Vous couvrira de son ombre, » signifient les deux natures du Dieu incarné ; car l’ombre est le résultat de la lumière et de l’interposition d’un corps. Or, le Seigneur est lumière par sa divinité, et comme cette lumière incorporelle devait se revêtir d’un corps dans le sein de Marie, l’ange lui dit avec raison : « La vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre, » c’est-à-dire le corps de l’humanité qui est en vous, recevra la lumière incorporelle de la divinité. Ces paroles peuvent aussi s’entendre des consolations célestes que Dieu devait répandre dans son âme. — Bède. Ce n’est donc point par le concours de l’homme que vous n’avez jamais connu, que vous concevrez, mais par l’opération de l’Esprit saint dont vous serez toute remplie, et vous demeurerez inaccessible aux ardeurs de la concupiscence, parce que le Saint-Esprit vous couvrira de son ombre. — S. Grég. de Nysse. (comme précéd.) « La vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. » L’ombre d’un corps est produite par un objet préexistant, et reçoit de lui sa forme, ainsi les preuves de la divinité de son Fils éclateront dans la vertu miraculeuse de sa génération. Car de même que la matière corporelle qui est en nous, possède une vertu vivifiante qui sert à former l’homme ; ainsi la vertu du Très-Haut, par l’opération de l’Esprit vivificateur, a pris dans le corps virginal de Marie la partie de matière qui devait servir à former l’homme nouveau. C’est ce qu’indiquent les paroles suivantes : « C’est pourquoi le fruit saint qui naîtra de vous, sera appelé le Fils de Dieu. » — S. Athan. (lettre contre les hérétiq. à Epict.) Nous faisons profession de croire que le corps du Sauveur, formé des éléments matériels de la nature humaine, a été un véritable corps, de même nature que le nôtre ; car Marie est notre soeur, puisque tous, comme elle, nous sommes descendus d’Adam. — S. Bas. (de l’Esprit saint, chap. 5.) Voilà pourquoi saint Paul dit : Dieu a envoyé son Fils né d’une femme, il ne dit point par le moyen d’une femme, mais d’une femme ; car cette expression : par une femme aurait pu donner l’idée d’une génération qui ne serait qu’un passage, tandis que ces paroles : né d’une femme établissent clairement l’identité de nature entre le fils et la mère.

 

S. Grég. (Mor., 18, 27.) L’ange déclare que Jésus sera saint dès sa naissance, mais d’une sainteté toute différente de la nôtre. En effet, nous pouvons acquérir la sainteté ; mais nous ne la possédons pas dès notre naissance, enchaînés que nous sommes dans les liens d’une nature sujette à la corruption, ce qui nous fait dire avec le prophète (Ps 50) : « Voilà que j’ai été conçu dans l’iniquité, » etc. Celui-là seul est véritablement saint, dont la conception n’est pas la suite d’une union charnelle ; qui n’est point autre dans son humanité, autre dans sa divinité, comme le rêvent les hérétiques, qui n’a point commencé par être simplement un homme dans sa conception, dans sa naissance, et mérité ensuite de devenir Dieu ; mais qui, aussitôt que l’ange eut parlé, et que l’Esprit saint fut survenu, fut le Verbe descendu dans le sein de Marie, et immédiatement le Verbe fait chair dans ses chastes entrailles. C’est ce que prouvent les paroles suivantes : « Il sera appelé le Fils de Dieu. »

Grec. (Ch. des Pèr. gr.) Considérez comment l’ange, parlant à Marie, fait intervenir toute la Trinité, en mentionnant distinctement l’Esprit saint, le Verbe et le Très-Haut ; car la Trinité est indivisible.

 

Vv. 36-38.

S. Chrys. (Hom. 49 sur la Genèse.) Le langage que l’ange avait tenu jusqu’alors à Marie était au-dessus de son intelligence ; il descend donc à des choses plus accessibles, et cherche à la persuader par des faits extérieurs et sensibles : « Et voici qu’Elisabeth, votre cousine. » Remarquez l’à propos et la convenance de ces paroles. Gabriel ne rappelle pas à Marie les exemples de Sara, ou de Rébecca, ou de Rachel, ils étaient trop anciens ; il lui cite un fait tout récent, pour produire en elle une conviction assurée, Dans ce même dessein il fait ressortir et l’âge et l’impuissance de la nature : « Elle a conçu aussi elle-même un fils dans sa vieillesse. » Il ajoute : « Et c’est ici le sixième mois, » etc. Il ne lui a point appris dès le commencement la conception d’Elisabeth, mais après six mois écoulés, afin que les signes visibles de sa grossesse fussent une preuve de la vérité de ses paroles. — S. Grég. de Naz. (Ch. des Pèr. gr., de ses poésies.) Vous me demanderez peut-être : Comment le Christ descend-il de David ? Marie est évidemment de la famille d’Aaron, puisqu’au dire de l’ange, elle est la cousine d’Elisabeth il faut voir ici l’effet d’un dessein providentiel de Dieu, qui voulait unir le sang royal à la race sacerdotale, afin que Jésus-Christ, qui est à la fois prêtre et roi, eût aussi pour ancêtres, selon la chair, les prêtres et les rois. Nous lisons aussi dans l’Exode, qu’Aaron a pris, dans la tribu de Juda, une épouse du nom d’Elisabeth, fille d’Aminadab. Et voyez combien est admirable la conduite providentielle de l’Esprit de Dieu, en permettant que l’épouse de Zacharie s’appelât aussi Elizabeth, pour nous rappeler ainsi l’épouse d’Aaron qui portait également ce nom d’Elisabeth.

Bède. Pour faire disparaître toute défiance dans l’esprit de la Vierge sur la vérité de son enfantement, l’ange lui cite l’exemple d’une femme stérile qui enfantera dans sa vieillesse, elle apprendra ainsi que tout est possible à Dieu, même ce qui paraît le plus contraire aux lois de la nature ; car, ajoute-t-il : « Rien n’est impossible à Dieu. » — S. Chrys. (Chaîne des Pèr. gr.) Il est le souverain Maître de la nature, il peut donc tout ce qu’il veut, lui qui fait et dispose toutes choses, et qui tient dans ses mains les rênes de la vie et de la mort. — S. Aug. (contr. Faust., 26, 5.) Il en est qui tiennent ce langage : Si Dieu est tout-puissant, qu’il fasse que les choses qui ont existé n’aient pas existé. Ils ne voient pas que ce langage revient à dire Qu’il fasse que les choses qui sont vraies, par là même qu’elles sont vraies soient fausses. Dieu sans doute peut faire que ce qui existait n’existe plus, c’est ainsi que par un acte de sa puissance, celui qui a reçu l’existence en naissant, la perd en mourant. Mais qui pourra dire que Dieu ôte l’existence à ce qui ne l’a déjà plus ? Car tout ce qui est passé a cessé d’exister ; si dans ce qui est passé il y a encore quelques éléments d’existence, ces éléments existent réellement, et s’ils existent, comment sont-ils passés ? Quand nous affirmons en vérité qu’une chose a existé, elle n’existe donc plus, elle existe dans notre pensée et non dans la chose elle-même qui a cessé d’être ; or Dieu ne peut faire que cette affirmation soit fausse. Nous disons que Dieu est tout-puissant, mais non pas dans ce sens que nous pensions qu’il puisse mourir. Celui-là seul peut être appelé sans restriction tout-puissant, qui existe véritablement et de qui seul tout ce qui existe reçoit l’être et la vie.

 

S. Ambr. Voyez l’humilité de la Vierge, voyez sa religion : « Alors Marie lui dit : Voici la servante du Seigneur. » Elle se proclame la servante du Seigneur, elle qui est choisie pour être sa mère ; elle ne conçoit aucun orgueil d’une promesse aussi inespérée ; elle devait enfanter celui qui est doux, humble par excellence, elle devait elle-même donner l’exemple de l’humilité. En se proclamant d’ailleurs la servante du Seigneur, elle ne s’attribue d’autre part dans cette grâce si extraordinaire, que de faire ce qui lui était ordonné ; c’est pour cela qu’elle ajoute : « Qu’il me soit fait selon votre parole ; » vous avez vu son obéissance, vous voyez la disposition de son coeur : « Voici la servante du Seigneur ; » c’est la préparation à remplir son devoir : « Qu’il me soit fait selon votre parole, » c’est l’expression de son désir. — Eusèbe. (ou Géom., Ch. des Pèr. gr.) Chacun célébrera à sa manière les vertus qui éclatent dans ces paroles de la Vierge ; l’un admirera son assurance et sa fermeté, l’autre la promptitude avec laquelle elle obéit, un autre qu’elle n’ait point été éblouie par les promesses magnifiques et sublimes du premier des archanges, un autre enfin qu’elle n’ait point porté trop loin la résistance ; elle s’est tenue également en garde et contre la légèreté d’Eve et contre la désobéissance de Zacharie. Pour moi, sa profonde humilité ne me paraît pas moins digne d’admiration. — S. Grég. Par un mystère vraiment ineffable, la même Vierge dut à une conception sainte et à un enfantement virginal d’être la servante du Seigneur, et sa mère selon la vérité, des deux natures.

 

Vv. 39-46.

Bède. Aussitôt que l’ange a obtenu le consentement de la Vierge, il remonte vers les cieux : « Et l’ange s’éloigna d’elle. » — Eusèbe. (vel Geometer, ubi sup.) Il la quitte non seulement satisfait d’avoir obtenu ce qu’il désirait, mais plein d’admiration pour la perfection de cette divine Vierge et pour la sublimité de sa vertu.

 

S. Ambr. L’ange qui annonçait à Marie des choses aussi mystérieuses, lui donne pour affermir sa foi, l’exemple d’une femme stérile qui était devenue mère. A cette nouvelle, Marie s’en va vers les montagnes de Judée. Quoi donc ? Est-ce qu’elle ne croit point aux paroles de l’ange ? est-ce qu’elle n’est point certaine de la divinité de son message ? Est-ce qu’elle doute de l’exemple qu’il lui donne ? non, c’est un saint désir qui la transporte, c’est un sentiment religieux du devoir qui la pousse, c’est une joie divine qui lui inspire cet empressement « Marie partit et s’en alla dans les montagnes, » etc. Toute remplie de Dieu qu’elle est, où pourrait-elle diriger ses pas, si ce n’est vers les hauteurs. — Orig. (hom. 7.) Jésus qu’elle portait dans son sein, avait hâte lui-même d’aller sanctifier Jean-Baptiste, qui était encore dans le sein de sa mère : « Elle s’en alla en toute hâte, » etc. — S. Ambr. La grâce de l’Esprit saint ne connaît ni lenteurs ni délais. Apprenez de la Vierge chrétienne à ne point vous arrêter sur les places publiques et à ne prendre aucune part aux conversations qui s’y tiennent. — Théophyl. Elle va vers les montagnes, parce que c’est là qu’habitait Zacharie : « En une ville de Juda, et elle entra dans la maison de Zacharie. » — S. Ambr. Apprenez aussi, femmes chrétiennes, les soins empressés que vous devez à vos parentes, lorsqu’elles sont sur le point d’être mères. Voyez Marie, elle vivait seule auparavant dans une profonde retraite, aujourd’hui ni la pudeur naturelle aux vierges ne l’empêche de paraître en public, ni les montagnes escarpées n’arrêtent son zèle, ni la longueur du chemin ne lui fait retarder le bon office qu’elle va rendre à sa cousine. Vierges de Jésus-Christ, apprenez encore quelle fut l’humilité de Marie. Elle vient vers sa parente, elle vient, elle la plus jeune, visiter celle qui est plus âgée, et non seulement elle la prévient, mais elle la salue aussi la première : « Et elle salue Elisabeth. » En effet, plus une vierge est chaste, plus aussi son humilité doit être grande, plus elle doit avoir de déférence pour les personnes plus âgées ; celle qui fait profession de chasteté, doit aussi être maîtresse en humilité. Il y a encore ici un motif de charité, le supérieur vient trouver son inférieur pour lui venir en aide, Marie vient visiter Elisabeth, Jésus-Christ, Jean-Baptiste. — S. Chrys. (sur. Matth., hom. 4.) Disons encore que Marie cachait avec soin ce que l’ange lui avait dit, et ne le découvrait à personne ; elle savait qu’on n’ajouterait point foi à un récit aussi merveilleux, et elle craignait qu’il ne lui attirât des outrages, et qu’on ne l’accusât de vouloir ainsi pallier son crime et son déshonneur. — Grec. (Géom., comme précéd.) C’est près d’Elisabeth seule qu’elle va se réfugier ; elle avait coutume d’en agir ainsi à cause de sa parenté qui les unissait, et plus encore à cause de la conformité de leurs sentiments et de leurs moeurs.

 

S. Ambr. Les bienfaits de l’arrivée de Marie et de la présence du Seigneur se font immédiatement sentir : « Aussitôt qu’Elisabeth eut entendu la voix de Marie qui la saluait, son enfant tressaillit, » etc. Remarquez ici la différence et la propriété de chacune des paroles de l’auteur sacré. Elisabeth entendit la voix la première, mais Jean ressentit le premier l’effet de la grâce ; elle entendit d’après l’ordre naturel, mais Jean tressaillit par suite d’une action toute mystérieuse ; l’arrivée de Marie se fait sentir à Elisabeth, la venue du Seigneur à Jean-Baptiste. — Grec. (ou Géom., comme précéd.) Le prophète voit et entend plus clairement que sa mère, il salue le prince des prophètes, et au défaut de la parole qui lui manque, il tressaille dans le sein de sa mère (ce qui est le signe le plus expressif de la joie) ; mais qui jamais a ressenti ces tressaillements de la joie avant sa naissance ? La grâce produit, des effets inconnus à la nature : le soldat renfermé dans les entrailles de sa mère reconnaît son Seigneur et son roi dont la naissance approche, l’enveloppe du sein maternel n’est point un obstacle à cette vision mystérieuse ; car il le voit non des yeux ou du corps, mais des yeux de l’âme. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Il ne fut pas rempli de l’Esprit saint avant l’arrivée de celle qui portait Jésus-Christ dans son sein, et c’est au même instant qu’il en fut rempli et qu’il tressaillit dans les entrailles de sa mère : « Et Elisabeth fut remplie de l’Esprit saint. » Nul doute qu’Elizabeth n’ait dû à son fils d’avoir été elle-même remplie de l’Esprit saint.

 

S. Ambr. Elisabeth s’était dérobée aux regards du monde du moment qu’elle avait conçu un fils, elle commence à se produire, glorieuse qu’elle est de porter dans son sein un prophète ; elle éprouvait alors une espèce de honte, maintenant elle bénit Dieu : « Et s’écriant à haute voix, elle dit : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, » elle s’écrie à haute voix, aussitôt qu’elle ressent l’arrivée du Seigneur, parce qu’elle crut à la divinité de l’enfantement de Marie. — Orig. (Ch. des Pèr. qr.) Elle lui dit « Vous êtes bénie entre toutes les femmes ; elle est la seule qui ait reçu et qui ait pu recevoir une si grande abondance de grâce, car elle seule est la mère d’un enfant divin. — Bède. Elisabeth la bénit dans les mêmes termes que l’ange Gabriel, pour montrer qu’elle est digne de la vénération des anges et des hommes. — Théophyl. Mais les siècles précédents avaient vu d’autres saintes femmes qui ont donné le jour à des enfants souillés par le péché ; elle ajoute donc : « Et le fruit de vos entrailles est béni. » Ou dans un autre sens elle venait de dire : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes ; » elle en donne maintenant la raison comme si quelqu’un la lui demandait : « Et le fruit de vos entrailles est béni, » etc., c’est ainsi que nous lisons dans le psaume 117 : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Le Seigneur est le vrai Dieu, et il a fait paraître sa lumière sur nous, » car suivant l’usage de l’Écriture, et a le même sens que parce que. — Orig. Elle appelle le seigneur le fruit des entrailles de la mère de Dieu, parce qu’il n’a point un homme pour père, et qu’il est né de Marie seule, car ceux qui sont nés d’un père mortel, sont considérés comme ses fruits. — Grec. (ou Géom.) C’est donc ici le seul fruit vraiment béni, parce qu’il a été produit sans le concours de l’homme et l’influence du péché. — Bède. C’est ce fruit que Dieu promettait à David en ces termes : « J’établirai sur votre trône le fruit de vos entrailles. » —Eusèbe. Le Christ est le fruit des entrailles de Marie, cette vérité suffit pour détruire l’hérésie d’Eutychès : car tout fruit est de même nature que la plante ; par une conséquence nécessaire, la Vierge est donc de même nature que le nouvel Adam qui vient effacer les péchés du monde. Que ceux qui se forment l’idée d’une chair fantastique en Jésus-Christ, rougissent de leur opinion en considérant l’enfantement véritable de la mère de Dieu, car le fruit provient de la substance même de l’arbre. Où sont encore ceux qui osent dire que le Christ n’a fait que passer dans la Vierge comme par un canal. Qu’ils apprennent de ces paroles d’Elisabeth remplie de l’Esprit saint, que le Sauveur est le fruit des entrailles de Marie.

 

« D’où me vient que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? » — S. Ambr. Ce n’est point par ignorance qu’elle parle ainsi, elle sait que c’est la grâce et l’action de l’Esprit saint qui ont porté la mère du Seigneur à venir saluer la mère du prophète pour la sanctification de son enfant, mais elle reconnaît hautement qu’elle n’a pu mériter cette grâce, et que c’est un don purement gratuit de la miséricorde divine : « D’où me vient cet honneur ? » c’est-à-dire, à quelles oeuvres de justice, à quelles actions, à quelles vertus en suis-je redevable ? — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Elisabeth partage ici les sentiments de son fils, car Jean lui-même se sentait indigne que Jésus-Christ descendît jusqu’à lui. En proclamant mère du Seigneur Marie, qui était vierge, elle anticipe sur l’événement par une inspiration prophétique. Reconnaissons ici une disposition toute providentielle qui conduit Marie chez Elisabeth, pour que Jean-Baptiste, encore dans le sein de sa mère, rende témoignage au Seigneur, car dès lors le Sauveur investit Jean-Baptiste du titre et des fonctions de prophète, comme l’expliquent les paroles suivantes : « Aussitôt que la voix de votre salutation, » etc. — S. Aug. (à Dardanus, lett. 57.) Pour parler ainsi, comme l’Évangéliste le déclare, Elisabeth a été remplie de l’Esprit saint, et c’est lui, sans aucun doute, qui lui a révélé la signification de ce tressaillement mystérieux de son enfant, tressaillement qui lui annonçait la venue de la mère du Sauveur, dont son fils devait être le Précurseur et le héraut. L’explication d’un si grand mystère a pu être connue des personnes plus âgées, comme Marie et Elisabeth, sans l’être de l’enfant lui-même ; car Elisabeth ne dit point : L’enfant a tressailli dans mon sein par un mouvement de foi, mais « a tressailli de joie. » Nous voyons tous les jours tressaillir, non seulement des enfants, mais même des animaux, sans que ni la foi, ni la religion, ni aucune cause intelligente y aient la moindre part ; mais ici le tressaillement est extraordinaire et d’un genre tout nouveau, parce qu’il se produit dans le sein d’Elisabeth, et à l’arrivée de celle qui devait enfanter le Sauveur de tous les hommes. Ce tressaillement donc, qui fut comme le salut rendu à la mère du Seigneur, a eu pour cause, comme tous les miracles, un acte de la puissance divine dans cet enfant, et non un mouvement naturel de l’enfant lui-même. Et alors même qu’on admettrait dans cet enfant un usage prématuré de la raison et de la volonté, qui aurait pu lui permettre, dès le sein de sa mère, un sentiment de connaissance, de foi, de sympathie, on devrait l’attribuer à un miracle de la puissance divine, et non à une simple action des lois naturelles.

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) La mère du Sauveur était venu visiter Elisabeth, pour voir la conception miraculeuse que l’ange lui avait annoncée, et s’affermir ainsi dans la foi au miracle bien plus surprenant dont une vierge devait être l’objet. C’est cette foi qu’Elisabeth célèbre par ces paroles : « Et vous êtes bienheureuse d’avoir cru, parce que les choses qui vous ont été dites de la part du Seigneur s’accompliront en vous. » — S. Ambr. Vous le voyez, Marie n’a nullement douté, mais elle a cru, et a recueilli le fruit de sa foi. — Bède. Rien d’étonnant si le Seigneur, Rédempteur du monde, commence par sa mère l’oeuvre de sa rédemption ; c’est par elle que le salut devait être donné à tous les hommes, il était juste qu’elle reçût la première le fruit du salut de l’enfant qu’elle portait dans son sein. — S. Ambr. Bienheureux vous aussi qui avez entendu et qui avez cru ; car toute âme qui croit, conçoit et engendre le Fils de Dieu, et mérite de connaître ses oeuvres. — Bède. Toute âme aussi qui a conçu le Verbe de Dieu, monte aussitôt par les pas de l’amour jusqu’aux sommets les plus élevés des vertus, pénètre dans la ville de Juda, c’est-à-dire, dans la citadelle de la louange et de la joie, et y demeure comme pendant trois mois dans la pratique parfaite de la foi, de l’espérance et de la charité. — S. Grég. (sur Ezech., hom. 4.) L’inspiration prophétique d’Elisabeth s’étendit à la fois au passé, au présent et à l’avenir. Elle connut que Marie avait ajouté foi aux promesses de l’ange ; en la proclamant mère du Seigneur, elle comprit qu’elle portait dans son sein le Rédempteur du genre humain ; et en prophétisant tout ce qui devait s’accomplir en elle, elle plongea son regard jusque dans les profondeurs de l’avenir.

 

v. 47. — Alors Marie dit : Mon âme glorifie le Seigneur.

S. Ambr. C’est par les femmes que le péché a commencé, c’est aussi par les femmes que commence la réparation du mal ; aussi n’est-ce pas sans dessein qu’Elisabeth prophétise avant Jean-Baptiste, et Marie avant la naissance du Seigneur ; mais la prophétie de Marie est d’autant plus parfaite qu’elle est elle-même plus élevée en dignité. — S. Bas. (Ch. des Pèr, gr., explic. du Ps 33.) Cette Vierge sainte guidée par une inspiration sublime contemple d’une vue profonde l’immense étendue de ce mystère, et pénétrant plus avant dans ses profondeurs, elle rend gloire à Dieu : « et Marie dit : Mon âme glorifie le Seigneur. » — Grec. (Athanas., Ch. des Pèr. gr.) — Elle semble dire : Le mystère étonnant que Dieu a prédit, c’est dans mon corps qu’il doit l’opérer, mais mon âme ne peut rester stérile devant lui. Il faut que je lui offre le fruit de ma volonté, car plus est grand le miracle dont je suis l’objet, plus aussi je dois glorifier l’auteur de toutes ces merveilles. — Orig. (hom. 8.) — Puisque Dieu ne peut ni recevoir aucun accroissement, ni souffrir aucune diminution, que signifient ces paroles de Marie : « Mon âme exalte le Seigneur ? » Il nous faut considérer que le Dieu Sauveur est l’image du Dieu invisible, que notre âme a été faite à son image, et qu’elle est ainsi l’image de l’image ; nous reconnaîtrons alors qu’à l’exemple des peintres qui reproduisent sur la toile les traits d’un visage, lorsque nous élevons notre âme par nos oeuvres, nos paroles, nos pensées, l’image de Dieu s’agrandit en nous, et le Seigneur lui-même, dont nous portons l’image dans notre âme, en reçoit comme une espèce d’agrandissement.

 

Et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur.

S. Bas. (Sur le Ps 32.) Le premier fruit de l’Esprit c’est la paix et la joie. La Vierge sainte qui avait reçu l’Esprit saint dans toute sa plénitude, ajoute avec raison : « Et mon esprit est ravi. » L’âme et l’esprit sont ici une même chose. L’Écriture sainte emploie ordinairement le mot de ravissement, de transport, pour exprimer dans les personnes qui en sont dignes, un état de l’âme remplie de joie et d’allégresse. La Vierge est donc ravie dans le Seigneur par un tressaillement ineffable de son coeur, et par le transport d’une affection pure. « En Dieu mon Sauveur. » — Bède. L’esprit de la sainte Vierge se réjouit de l’éternelle divinité de ce même Jésus (c’est-à-dire Sauveur) dont la chair est engendrée par une conception temporelle. — S. Ambr. L’âme de Marie glorifie donc le Seigneur, et son esprit est ravi en Dieu son Sauveur, parce que toute dévouée par son âme et son esprit au Père et au Fils, elle honore d’un culte d’amour le Dieu unique, auteur de tout ce qui existe. Ayez donc tous l’âme de Marie pour glorifier le Seigneur, ayez tous son, esprit pour être ravis de joie en Dieu votre Sauveur. Si selon la chair, il n’y a qu’une mère du Christ, selon la foi, Jésus est le fruit de tous les coeurs. Toute âme en effet conçoit le Verbe de Dieu, à la condition qu’elle sera pure, exempte de tout vice et qu’elle conservera sa chasteté sous la garde d’une pudeur inviolable. — Théophyl. Celui-là glorifie Dieu, qui marche dignement à la suite de Jésus-Christ, qui porte le nom de chrétien sans laisser amoindrir en lui la dignité du Christ qu’il relève au contraire par des actions grandes et vraiment célestes ; l’esprit, ou ce qui est la même chose, l’onction spirituelle est comme ravie de joie, c’est-à-dire qu’elle s’accroît de jour en jour et n’est point exposée à s’affaiblir ou à s’éteindre. — S. Bas. (comme précéd.) Si parfois je ne sais quelle lumière venant à pénétrer votre âme vous donne une connaissance subite de Dieu, et vous éclaire si pleinement qu’elle vous porte à aimer Dieu et à mépriser toutes les choses de la terre ; que cette image si obscure encore et cette impression si rapide vous aident à comprendre l’état des justes qui trouvent en Dieu une joie toujours égale, toujours persévérante. — Orig. L’âme doit commencer par glorifier le Seigneur, avant d’être ravie en lui ; car la foi en Dieu est une condition nécessaire de ces divins transports.

 

 

Vv. 48. — Parce qu’il a regardé l’humilité de sa servante, et désormais toutes les générations me diront bienheureuse.

Grec. (ou Isid., Ch. des Pèr. gr.) Marie fait connaître la cause de la gloire qu’elle rend à Dieu, et de ses divins transports : « Parce qu’il a regardé l’humilité de sa servante, » c’est-à-dire ; c’est lui qui le premier a jeté les yeux sur moi contre mon espérance, j’étais contente de mon humble condition, et maintenant Dieu me choisit pour l’accomplissement d’un dessein vraiment ineffable, et m’élève de la terre aux cieux. — S. Aug. (Serm. sur l’Assomp.) O véritable humilité qui a mérité d’enfanter un Dieu à la terre, de rendre la vie aux pauvres mortels, de renouveler les cieux, de purifier le monde, d’ouvrir le paradis, et de rendre à la liberté les âmes des hommes ! L’humilité de Marie est devenue comme une échelle céleste dont Dieu s’est servi pour descendre sur la terre. Car que signifient ces paroles : « Il a regardé, » c’est-à-dire : « il a approuvé ? » Il en est beaucoup qui paraissent humbles aux yeux des hommes, mais Dieu ne daigne pas jeter les regards sur leur humilité ; car s’ils étaient sincèrement humbles, leur unique désir serait non pas d’être loués eux-mêmes, mais de voir Dieu loué par tous les hommes, et leur esprit chercherait non dans ce monde, mais en Dieu ses transports et sa joie. — Orig. (hom. 8.) Mais qu’y avait-il donc de si humble et de si bas dans celle qui portait le Fils de Dieu dans son sein ? Il faut remarquer ici que l’humilité dans la sainte Écriture est la vertu à laquelle les philosophes donnent le nom de modestie. Nous pouvons nous-mêmes la définir par une périphrase en disant qu’on est humble, lorsqu’on n’est pas enflé d’orgueil, et qu’on s’abaisse volontairement. — Bède. C’est parce que Dieu a daigné jeter les yeux sur son humilité, que tous la proclament bienheureuse : « Et désormais toutes les générations me diront bienheureuse. » — S. Athan. (Ch. des Pèr. gr.) Et en effet, si au dire du prophète (Is 31, selon les 70) ceux-là sont bienheureux qui ont des enfants dans Sion et leur famille dans Jérusalem, que dirons-nous du bonheur de la divine et très-sainte Vierge, qui est devenue la mère du Verbe fait chair ? — Grec. (ou Métaphraste, Ch. des Pèr. gr.) Si elle se proclame bienheureuse, ce n’est point par un sentiment de vaine gloire ; et comment l’orgueil aurait-il pu trouver accès dans celle qui s’est appelée la servante du Seigneur ? C’est donc par une inspiration de l’Esprit saint, qu’elle prédit ses destinées futures. — Bède. C’est par l’orgueil de notre premier père, que la mort était entrée dans le monde ; il était juste que les voies qui conduisent à la vie nous fussent ouvertes par l’humilité de Marie. — Théophyl. Elle dit : « Toutes les générations, » non seulement Elisabeth, mais toutes les nations qui doivent un jour embrasser la foi.

 

v. 49. — Parce que celui qui est tout-puissant a fait en moi de grandes choses, et son nom est saint.

Théophyl. La Vierge déclare que ce n’est point à sa vertu qu’elle devra d’être proclamée bienheureuse, elle en donne ici la véritable cause : « Parce que Celui qui est tout-puissant a fait en moi de grandes choses. » — S. Aug. (Serm. sur l’assomp.) Quelles sont les grandes choses que Dieu a faites en vous ? Vous avez mis au monde votre Créateur, vous sa créature, vous avez enfanté votre Seigneur, vous sa servante, et c’est par vous que Dieu a racheté le monde, par vous qu’il lui a rendu la vie. — Tite. (de Bostr.) Comment a-t-il opéré en moi de grandes choses ? c’est que j’ai conçu sans cesser d’être vierge, triomphant ainsi des lois de la nature. J’ai été jugée digne, de devenir, sans le secours d’un homme, non pas une mère quelconque, mais la Mère du Sauveur unique des hommes. — Bède. Ces paroles se rapportent au commencement de ce cantique où il est dit : « Mon âme exalte le Seigneur. » Car l’âme en qui Dieu a daigné opérer de grandes choses peut seule célébrer dignement ses grandeurs. — Tite. (comme précéd.) Elle dit : « Celui qui est tout puissant, » afin que si quelque doute vient à s’élever sur le mystère de cette conception opérée dans une vierge sans qu’elle perde sa virginité, ce miracle trouve aussitôt son explication dans la puissance de Dieu. Et loin de nous la pensée que le Fils unique qu’elle a porté dans son sein ait été pour elle la cause de quelque souillure, « parce que son nom est saint. » — S. Bas. (sur le Ps 32, vers la fin). Le nom de Dieu est appelé saint, non qu’il y ait dans les syllabes qui le composent aucune puissance sanctificatrice, mais parce que toute propriété, toute perfection de Dieu, comme toute intelligence des merveilles que nous contemplons en lui est sainte et pure. — Bède. Sa puissance est tellement élevée, qu’elle surpasse toute créature et qu’elle le place à une distance incommensurable de toutes les choses qu’il a créées. Cette pensée ressort beaucoup mieux dans le texte grec où le mot αγιον signifie qui est élevé au-dessus de la terre.

 

v. 50. — Et sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.

Bède. De ces dons particuliers, Marie s’élève jusqu’aux jugements de Dieu, qui embrassent l’universalité du genre humain dont elle décrit l’état : « Et sa miséricorde, dit-elle, s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent. » Elle semble dire : Ce n’est point seulement pour moi qu’il a fait de grandes choses, mais dans toute nation, celui qui a la crainte de Dieu est sûr d’obtenir ses faveurs. — Orig. (hom. 8.) Car la miséricorde de Dieu n’est pas restreinte à une seule génération, mais elle s’étend à perpétuité de génération en génération. — Grec. (Victor, Chaîne des Pères grecs.) C’est par cette miséricorde qu’il existe d’âge en âge, que j’ai conçu et qu’il s’est uni lui-même à un corps vivant, pour traiter l’affaire de notre salut par un sentiment d’amour. Toutefois, sa miséricorde ne s’exerce pas indistinctement, mais sur ceux qui dans toute nation sont soumis à la crainte de Dieu. Voilà pourquoi Marie ajoute : « Sur ceux qui le craignent, » c’est-à-dire, sur ceux que le repentir amène à la foi et à une vraie pénitence, car ceux qui résistent avec obstination se sont fermé, par leur incrédulité coupable, la porte de la miséricorde. — Theophyl. Ou bien encore, ces paroles signifient que ceux qui craignent Dieu obtiendront miséricorde, et dans cette génération, c’est-à-dire, dans le siècle présent, et dans la génération future, ou dans le siècle à venir, et qu’ils recevront le centuple en ce monde, et dans la vie future une récompense beaucoup plus grande.

 

v. 51. Il a déployé la force de son bras, il a dissipé ceux qui s’élevaient d’orgueil dans les pensées de leur coeur.

Bède. En décrivant l’état du genre humain, Marie prédit le châtiment qui attend les orgueilleux, et la récompense réservée à ceux qui sont humbles : « Il a déployé la force de son bras, » etc. C’est-à-dire, du Fils de Dieu lui-même ; car de même que c’est par votre bras que vous agissez, le Verbe par qui Dieu a créé le monde s’appelle le bras de Dieu. — Orig. (hom. 8.) C’est pour ceux qui le craignent qu’il a déployé la force de son bras, car quelle que soit votre infirmité, lorsque vous approchez de Dieu, si vous le craignez, vous obtiendrez le secours qu’il vous a promis. — Théophyl. Ce bras dont il a fait éclater la puissance, c’est aussi le Fils de Dieu incarné, parce que la nature a été vaincue par le miracle d’une vierge devenue mère, et d’un Dieu fait homme. — Grec. (Photius.) Il a fait, ou plutôt, il fera éclater sa puissance, non comme autrefois, lorsqu’il anéantit par Moise l’armée des Egyptiens, ou qu’il détruisit par un ange, au nombre de plusieurs mille, l’armée des Assyriens rebelles. Ici c’est par sa seule puissance et sans le concours de personne qu’il triomphe des intelligences révoltées contre lui : « Il a dissipé les orgueilleux dans les pensées de leur coeur, » c’est-à-dire, il a dissipé toute âme qui a refusé de croire à sa venue ; bien plus, il a dévoilé et mis à découvert leurs pensées superbes et criminelles. — Cyril. Alex. (Ch. des Pèr. gr.) Toutefois, c’est principalement des cohortes ennemies des démons que ces paroles doivent s’entendre, car la venue du Seigneur a dissipé ces cruels ennemis du genre humain, et a replacé sous l’obéissance de Dieu ceux qu’ils retenaient dans des chaînes de l’esclavage. — Théophyl. On peut encore les appliquer aux Juifs, qu’il a dispersés dans toutes les contrées du monde, comme ils le sont encore aujourd’hui.

 

v. 52. — Il a renversé les grands de leur trône, et il a élevé les petits.

Bède. Ces dernières paroles : « Il a fait éclater la puissance de son bras, » et celles qui précèdent : « Sa miséricorde s’exerce d’âge en âge, » doivent être rattachées chacune à l’un des membres de ce verset, parce qu’il est vrai de dire que les orgueilleux ne cessent d’être abaissés et les humbles d’être élevés par une disposition aussi juste que miséricordieuse de la puissance divine. Elle ajoute donc : « il a renversé les grands de leur trône, et il a élevé les petits. » — Cyr. d’Alex. Les démons, et les princes des démons, les sages parmi les gentils, les pharisiens et les scribes avaient tous de hautes et grandes idées d’eux-mêmes. Dieu cependant les a tous renversés, et il a relevé ceux qui s’humiliaient sous sa main puissante, en leur donnant le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions, et toute la puissance de l’ennemi. Les Juifs eux-mêmes s’enorgueillirent autrefois de leur puissance, mais leur incrédulité les a renversés à terre, tandis que parmi les gentils, ceux qui étaient humbles, sans éclat aux yeux des hommes, ont été élevés par la foi au faite de la véritable grandeur. — Grec. (ou Macaire, Ch. des Pèr. gr.) Nous savons que notre esprit doit être le siège de la divinité ; mais aussitôt le péché de notre premier père, les puissances d’iniquité ont envahi l’intérieur de notre âme, pour y régner comme sur leur propre trône. Or Dieu est venu justement sur la terre pour chasser ces esprits mauvais du siége de nos volontés, et relever ceux que les démons avaient terrassés, en purifiant leurs consciences et en établissant son trône dans leur coeur.

 

v. 53. — Il a rempli de biens ceux qui étaient affamés, et il a renvoyé vides ceux qui étaient riches.

La Glose. Comme la prospérité humaine consiste surtout dans les honneurs des puissants de ce monde et dans l’abondance des richesses, après avoir parlé de l’humiliation des grands et de l’élévation des humbles, elle prédit que les riches seront réduits au plus entier dénuement, et les pauvres remplis de toutes sortes de biens : « Il a rempli de biens ceux qui étaient affamés, » etc. — S. Bas. (sur les Psaum.) Nous pouvons entendre ces paroles mêmes des choses sensibles, et y apprendre l’incertitude des choses de ce monde. Elles sont bien fragiles, en effet, comme ces flots que l’impétuosité des vents brise et disperse de tous côtés. Entendues dans le sens spirituel, ces paroles signifient que le genre humain tout entier était comme affamé, à l’exception des Juifs, que la promulgation de la loi et les enseignements des saints prophètes avaient enrichis. Mais ils ont refusé de s’attacher humblement au Verbe incarné, et ils ont été renvoyés vides de tous biens et dans le plus entier dénuement, privés de la foi, de la science, de l’espérance des biens, exclus tout ensemble de la Jérusalem terrestre et de la vie future. Ceux au contraire, parmi les gentils, que la faim et la soif avaient complètement épuisés, se sont attachés au Seigneur et ont été remplis de tous les biens spirituels. — La Glose. Ceux aussi qui ont faim des biens éternels, qui les désirent ardemment, seront rassasiés, lorsque Jésus-Christ apparaîtra dans sa gloire, mais pour ceux qui placent leur joie dans les choses de la terre, ils seront à la fin des siècles renvoyés vides de tous biens et de toute félicité.

 

Vv. 54, 55. — Et il a pris en sa protection Israël, se ressouvenant de sa miséricorde, selon la promesse qu’il a faite à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour toujours.

La Glose. Après avoir rappelé en général les effets de la miséricorde et de la justice divine, Marie en vient aux effets particuliers du nouveau mystère de l’Incarnation qui vient de s’accomplir : « Il a pris en sa protection Israël, son serviteur, » etc. Il l’a pris comme un médecin prend un malade, il s’est rendu visible parmi les hommes, afin qu’Israël (c’est-à-dire, voyant Dieu) (cf. Gn 28), devînt son serviteur. — Bède. Et son serviteur obéissant, humble ; car celui qui refuse de s’humilier ne peut être sauvé. — S. Bas. (ou Cyril.) Elle ne veut point parler d’Israël selon la chair, qui tirait sa noblesse de son nom, mais d’Israël selon l’esprit, qui tenait son nom de sa foi, et dont les yeux s’appliquaient à voir Dieu par la foi. On peut aussi appliquer ces paroles aux Israélites selon la chair, puisqu’un nombre infini d’entre eux ont embrassé la foi. Dieu agit de la sorte en souvenir de sa miséricorde, car il accomplissait la promesse faite à Abraham (Gn 22) : « Tous les peuples de la terre seront bénis en celui qui sortira de vous. » C’est cette même promesse que la Mère de Dieu célèbre lorsqu’elle dit : « Selon la promesse qu’il a faite à nos pères, à Abraham, » etc. Dieu avait dit en effet à Abraham (Gn 17) : « J’affermirai mon alliance avec vous, et après vous avec votre race dans la suite de leurs générations, par un pacte éternel, afin que je sois votre Dieu, et le Dieu de votre postérité après vous. »

Bède. Cette postérité doit s’entendre beaucoup moins des descendants d’Abraham selon la chair, que des imitateurs de sa foi, et c’est à eux que la venue du Sauveur a été promise pour des siècles. — La Glose. En effet, la promesse qui a pour objet cet héritage n’aura point de terme, jusqu’à la fin des siècles il y aura des croyants, et la glorieuse félicité qui leur est réservée sera éternelle.

 

v. 56. — Marie demeura avec Elisabeth environ trois mois, et elle s’en retourna en sa maison.

S. Ambr. Marie demeura jusqu’au temps de la délivrance d’Elisabeth, selon le récit de l’Évangéliste : « Marie demeura, » etc. — Théophyl. C’est le sixième mois de la conception du Précurseur que l’ange est venu la trouver, elle demeura trois mois avec Elisabeth, ce qui fait les neuf mois accomplis. — S. Ambr. Ce n’est pas seulement l’intimité de Marie avec sa cousine, mais le désir d’être utile à un si grand prophète qui la détermine à prolonger son séjour. En effet, si dès son arrivée, les grâces du ciel se répandirent avec tant d’abondance, qu’à la voix de Marie l’enfant tressaillit dans le sein de sa mère, et que la mère elle-même fut remplie de l’Esprit saint, que ne dut pas ajouter la présence de Marie pendant un si long espace de temps ? Nous disons donc avec raison, que Marie remplit ici Un véritable ministère, et qu’elle a observé dans son séjour un nombre mystérieux. — Bède. Car l’âme chaste, qui conçoit le désir du Verbe spirituel, doit nécessairement monter au sommet élevé des célestes exercices, y demeurer comme pendant trois mois, et y persévérer jusqu’à ce qu’elle soit éclairée pleinement de la lumière rayonnante de la foi, de l’espérance et de la charité. — Théophyl. Lorsqu’Elisabeth fut sur le point d’enfanter, la Vierge la quitta : « Et elle s’en retourna, » etc., à cause du grand nombre de personnes qui devaient se réunir à l’occasion de l’enfantement : Or il n’était pas convenable que la Vierge fût présente dans ces circonstances. — Grec. ou Métaphraste (Ch. des Pèr. gr.) Il est d’usage, en effet, que les vierges se retirent lorsqu’une femme est sur le point d’enfanter. Dès qu’elle fut rentrée dans sa maison, elle n’en sortit plus, elle y demeura jusqu’au moment où elle connut que l’heure de son enfantement était proche, et ce fut alors qu’un ange fut envoyé pour éclaircir le doute de Joseph.

 

Vv. 57-58.

S. Ambr. Si vous voulez y faire attention, vous ne trouverez jamais employé le mot plénitude que pour la génération des justes, c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Le temps d’Elisabeth fut accompli. » Car on peut dire que la vie des justes est pleine, tandis que les jours des impies sont vides. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Dieu retarda l’enfantement d’Elisabeth pour en augmenter la joie, et rendre cette femme plus célèbre, comme l’indiquent les paroles suivantes « Les voisins apprirent, » etc. Ceux qui savaient qu’elle était stérile, devinrent ainsi les témoins de la grâce divine ; aucun de ceux qui avaient vu l’enfant ne se retirait sans exprimer son admiration, et louer Dieu qui l’avait accordé contre toute espérance. — S. Ambr. La naissance des saints est un sujet de joie publique, parce qu’elle est un bien général ; la justice, en effet, est une vertu qui a pour objet l’intérêt de tous, c’est pourquoi dans la naissance du juste on voit un présage de la vie qui doit suivre, et de la grâce qui doit en enfanter les vertus, grâce dont la joie des voisins est le symbole.

 

Vv. 59-64.

S. Chrys. La loi de la circoncision fut donnée surtout à Abraham comme un signe distinctif ; Dieu voulait que la race du saint patriarche se conservât pure et sans mélange d’autre peuple, afin qu’elle pût obtenir les biens qu’il lui avait promis. Mais dès que l’oeuvre de l’alliance est consommée, le signe qui l’annonçait doit être supprimé. C’est ainsi que le baptême succède à la circoncision qui a pris fin en Jésus-Christ ; mais jusque-là Jean devait être circoncis : « Et il arriva qu’au huitième jour, ils vinrent circoncire l’enfant, » etc. Dieu avait dit : L’enfant mâle de huit jours sera circoncis. La bonté divine avait fixé ce terme de huit jours pour deux raisons, à mon avis : premièrement, pour que dans un âge aussi tendre, la douleur produite par l’incision de la chair fut moins vive ; secondement, pour nous apprendre par le fait lui-même, que la circoncision était un signe ; car l’enfant, à cet âge, ne peut comprendre ce que signifient les actes dont il est l’objet. Après la circoncision, on donnait le nom à l’enfant. « Et ils le nommaient, » etc. On suivait cet ordre, parce qu’il faut tout d’abord recevoir le signe distinctif du Seigneur, avant de prendre le nom que l’on doit porter ; ou bien encore, parce qu’il faut renoncer à toutes les choses charnelles signifiées par la circoncision, pour être digne de voir son nom écrit dans le livre de vie.

S. Ambr. Admirez comment l’Évangéliste a commencé par dire que plusieurs de ceux qui étaient présents avaient voulu donner à l’enfant le nom de Zacharie, son père ; pour vous faire comprendre que sa mère n’avait aucun éloignement pour un nom quelconque de la famille, mais que l’Esprit saint lui avait révélé le nom que l’ange avait auparavant annoncé à Zacharie. Zacharie étant muet ne put faire connaître ce nom à son épouse, Elisabeth apprit donc par révélation ce qu’elle ne pouvait savoir de son mari : « Et prenant la parole, elle dit, » etc. Ne soyez pas surpris, si elle indique avec tant d’assurance un nom dont personne ne lui a parlé ; car l’Esprit saint qui avait confié ce nom à l’ange, le lui a révélé. En effet, celle qui avait annoncé prophétiquement la venue du Christ, ne devait pas ignorer le nom de son précurseur. Remarquez les paroles qui suivent : « Et ils lui dirent, » etc., et comprenez que ce n’est pas ici un nom de famille, mais le nom d’un prophète. On interroge aussi Zacharie par signes : « Ils faisaient signe au père, » etc. Mais comme son incrédulité lui avait fait perdre la parole et l’ouïe, il est obligé de faire connaître par signes et en écrivant, ce qu’il ne pouvait exprimer par la parole : « Et ayant demandé des tablettes, il écrivit dessus : Jean est son nom, » etc. C’est-à-dire, nous ne donnons pas un nom à celui qui l’a déjà reçu de Dieu. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.). Zacharie signifie qui se souvient de Dieu, Jean, celui qui montre. Or, le souvenir a pour objet celui qui est absent, et on ne montre que celui qui est présent. En effet, Jean devait non pas rappeler le souvenir de Dieu comme absent, mais le montrer du doigt présent au milieu des hommes, en disant : « Voici l’Agneau de Dieu. » — S. Chrys. (comme précéd.) Le nom de Jean signifie aussi grâce de Dieu, c’est par une action de la grâce divine, et non pas un effet des lois naturelles qu’Elisabeth est devenue mère, et la mémoire d’un si grand bienfait se trouve éternisée dans le nom de son enfant. — Théophyl. Le père se trouve d’accord avec sa femme sur le nom de l’enfant, ce qui explique les paroles suivantes : « Et tous furent remplis d’étonnement, » etc. Personne, en effet, dans leur famille, ne portait ce nom, on ne pouvait donc dire qu’il ~ venu à la pensée des deux époux.

S. Grég. de Nazianze. (disc. 12.) Jean, dès sa naissance, rend à son père l’usage de la parole : « Sa bouche s’ouvrit, » etc. Il eût été contre la raison que le père demeurât muet, lorsque la voix du Verbe s’était fait entendre. — S. Ambr. IL était convenable que sa langue fût aussitôt déliée ; l’incrédulité l’avait comme enchaînée, la foi la rend à la liberté. Croyons nous aussi, et notre langue captive dans les liens de l’incrédulité, verra briser ses chaînes ; écrivons les mystères dans notre esprit, si nous voulons parler ; gravons le nom du Précurseur, non sur des tables de pierre, mais sur les tables de chair de notre coeur (cf. 2 Cor 3, 3 ; Rm 9, 30.31) ; car celui qui parle de Jean, annonce le Christ ; en effet l’Évangéliste ajoute : « Et il parlait en bénissant Dieu. »

Bède. Dans le sens allégorique, la solennité de la naissance de Jean est le commencement de la grâce du Nouveau Testament. Ses voisins et ses parents voulaient lui donner le nom de son père, plutôt que celui de Jean, parce que les Juifs qui lui étaient unis par l’observation de la loi comme par une espèce d’affinité désiraient bien plus suivre la justice qui vient de la loi, que de recevoir la grâce de la foi mais la mère et le père de Jean font tout, l’une de vive voix, l’autre en écrivant, pour faire prévaloir le nom de Jean (qui veut dire grâce de Dieu), parce que la loi elle-même, les psaumes et les prophètes proclament ouvertement la grâce de Jésus-Christ ; et le sacerdoce ancien lui rend également témoignage par les ombres figuratives des cérémonies et des sacrifices. Par un rapprochement mystérieux, Zacharie recouvre la parole le huitième jour de la naissance de son fils, figure de la résurrection du Seigneur, qui eut lieu le huitième jour, c’est-à-dire après le jour du sabbat qui était le septième, et dévoila tous les mystères du sacerdoce de l’ancienne loi.

Théophyl. Le peuple avait été surpris de la mutité de Zacharie, il ne le fut pas moins lorsqu’il recouvra l’usage de la parole : « Tous furent saisis de crainte, » etc., c’est-à-dire que ces deux prodiges leur donnèrent une haute idée des destinées de cet enfant. Tous ces événements étaient réglés par une économie divine, afin que celui qui devait être le témoin du Christ, fût un témoin digne de foi. Aussi voyez ce qu’ajoute l’auteur sacré : « Tous les conservèrent dans leur cœur, et ils disaient : Que pensez-vous que sera un jour cet enfant ? » — Bède. En effet, ces signes avant-coureurs ouvrent la voie au précurseur de la vérité, et le futur prophète se présente sous les auspices les plus imposants : « Car la main du Seigneur était avec lui. » — Grec. (ou Métaphraste, Ch. des Pèr. gr.) En effet, Dieu opérait en lui des prodiges dont Jean n’était pas l’auteur, mais la main (ou la droite) de Dieu. — Glose. Cette crainte est au sens mystique la figure de la crainte salutaire que produisit la prédication de la grâce de Jésus-Christ, dans les temps qui suivirent sa résurrection, et qui ébranla les coeurs non seulement des Juifs (qui étaient proches, soit par la contrée qu’ils habitaient, soit par la connaissance de la loi), mais encore des nations les plus éloignées. Et la renommée de Jésus-Christ, non seulement a franchi les montagnes de la Judée, mais a surpassé les sommets les plus élevés des royaumes du monde et de la sagesse humaine.

 

 

Vv. 67, 68. —

S. Amb. Dieu est bon et se montre facile à pardonner les fautes, non seulement il rend les biens que le péché a fait perdre, mais il accorde des grâces inespérées. Que personne donc ne se laisse aller à la défiance, que personne, au souvenir de ses fautes passées, ne désespère de la grâce de Dieu. Dieu saura bien changer ses jugements, si vous savez expier vos fautes. Voyez Zacharie, il était muet tout à l’heure, et il prophétise : « Et Zacharie ayant été rempli de l’Esprit saint. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) C’est-à-dire qu’il prophétise sous l’inspiration de l’Esprit saint qui lui donne sa grâce, non dans une certaine mesure, mais dans sa plénitude, et fait briller en lui le don de prophétie : « Et il prophétisa. » — Orig. (hom. 10.) La prophétie de Zacharie, inspirée par l’Esprit saint, a deux grands objets, le premier, Jésus-Christ ; le second, Jean-Baptiste, ce qui paraît clairement dans son cantique, où il parle du Sauveur, comme s’il était présent et vivant au milieu du monde : « Béni soit le Dieu d’Israël, de ce qu’il a visité, » etc. — S. Chrys. En bénissant Dieu, Zacharie déclare qu’il a visité son peuple, soit qu’on veuille entendre les Israélites selon la chair ; car il est venu pour sauver les brebis perdues de la maison d’Israël (Mt 15, 24), soit les Israélites spirituels (c’est-à-dire les fidèles) qui s’étaient rendus dignes de cette visite, en méritant les effets sensibles de la providence de Dieu à leur égard. — Bède. Le Seigneur a visité son peuple défaillant sous le poids d’une longue infirmité, et il a racheté du sang de son Fils unique ce peuple vendu au péché. Zacharie savait que cette rédemption allait s’opérer, et selon l’usage des prophètes, il l’annonce comme si déjà elle était accomplie. Il dit : « Son peuple, » non qu’il le fût à sa venue, mais il l’a fait son peuple en le visitant.

 

v. 69. — De ce qu’il nous a suscité un puissant Sauveur dans la maison de David, son serviteur.

Théophyl. Dieu paraissait dormir à notre égard à la vue de nos fautes sans nombre, mais en s’incarnant dans les derniers temps, il s’est comme éveillé et a écrasé les démons, nos mortels ennemis : « Et il a élevé le signe du salut dans la maison de David, son serviteur. » Orig. En effet, c’est de la race de David que le Christ est né selon la chair, c’est pourquoi l’Évangéliste dit : « La corne du salut dans la maison de David, » comme on lit ailleurs (Is 5) « Une vigne a été plantée sur un lieu élevé » (littéralement sur une corne), c’est-à-dire en Jésus-Christ. — S. Chrys. (Discours sur Anne, Ch. des Pèr. gr.) — Le mot corne signifie ici la puissance, la gloire, la renommée, c’est une expression métaphorique prise des animaux à qui Dieu a donné des cornes pour leur servir à la fois de défense et d’ornement. — Bède. Le règne du Sauveur Jésus-Christ est aussi appelé la corne du salut ; en effet, tous les os sont recouverts de chair, mais les cornes s’élèvent au-dessus du reste du corps, le règne de Jésus-Christ est donc appelé corne du salut, parce qu’il domine le monde et les joies de la chair, et c’est en figure de ce règne que David et Salomon ont été consacrés pour la gloire de leur règne avec une corne remplie d’huile (cf. 1 R 16, 13 ; 3 R 1, 39).

 

v. 70. — Selon ce qu’il avait promis par la bouche de ses saints prophètes, qui ont été dès le commencement.

Théophyl. Michée a prédit que le Christ naîtrait de la maison de David (Mich 5) : « Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n’es pas la plus petite, car c’est de toi que doit sortir celui qui gouvernera mon peuple d’Israël ; » mais tous les prophètes ont annoncé le mystère de l’incarnation, aussi Zacharie ajoute : « Comme il l’avait promis par la bouche de ses saints prophètes, » etc. — Grec. (Prêt. Vict. Ch. des Pèr. gr.) C’est donc Dieu qui a parlé par leur bouche, et ce qu’ils ont annoncé, ne vient point de l’homme. — Bède. Il dit : « Qui ont été dès le commencement ; » parce que tous les écrits de l’ancien Testament ont été une annonce prophétique de Jésus-Christ, car notre premier père Adam et les autres patriarches ont rendu témoignage par leurs actions à la divine économie de la rédemption.

 

V. 71. — De nous sauver de nos ennemis et des mains de tous ceux qui nous haïssent.

Bède. Zacharie développe ce qu’il n’a fait qu’indiquer par ces paroles : « Il nous a suscité un puissant Sauveur, » en ajoutant : « Pour nous sauver de nos ennemis, » comme s’il disait : il nous a élevé le signe du salut, c’est-à-dire, il nous a suscité un Sauveur pour nous délivrer de nos ennemis, et des mains de tous ceux qui nous haïssent. — Orig. (hom. 46). Gardons-nous de croire qu’il veuille parler ici des ennemis corporels, il s’agit des ennemis spirituels ; le Seigneur Jésus, le fort dans les combats est venu détruire tous nos ennemis, pour nous délivrer de leurs embûches et de leurs tentations.

 

VV. 72, 73. — Pour exercer sa miséricorde envers nos pères et se souvenir de son alliance sainte, selon qu’il a juré à Abraham, notre père, de nous accorder cette grâce.

Bède. Zacharie venait de dire que le Seigneur devait naître dans la maison de David, selon les oracles des prophètes ; il ajoute que pour accomplir l’alliance qu’il fit avec Abraham il sera notre libérateur, car c’est à ces deux saints patriarches, c’est-à-dire à celui qui devait naître d’eux que Dieu a promis la réunion de tous les peuples de la terre, ou l’incarnation du Christ, il met David le premier, parce que la promesse de la formation de l’Église fut faite à Abraham, et à David la prédiction de la naissance du Christ. Voilà pourquoi après David, vient Abraham : « Pour exercer sa miséricorde envers nos pères. » Orig. (hom. 10). Je suis convaincu qu’à la venue du Sauveur, Abraham, Isaac et Jacob ont ressenti les effets de sa miséricorde ; pourrait-on croire en effet que la venue du Seigneur ait été sans utilité pour ces saints patriarches qui avaient vu le jour du Sauveur et s’en étaient réjouis, alors qu’il est écrit (Col 1) : « Qu’il a pacifié par le sang de sa croix la terre et les cieux. » — Théophyl. La grâce de Jésus-Christ s’est étendue à ceux mêmes qui étaient morts, car nous ne sommes pas les seuls qui ressusciteront par Jésus-Christ, mais encore tous ceux qui sont morts avant sa venue. Il a fait miséricorde à nos pères, en comblant leurs espérances et leurs désirs, « pour se souvenir, dit Zacharie, de son alliance sainte, » celle dont Dieu a dit : « Je te comblerai de bénédictions, et je te multiplierai à l’infini. » (Hb 6). Abraham s’est en effet multiplié dans toutes les nations qui sont devenues ses enfants adoptifs par l’imitation de sa foi. Disons encore que les patriarches en voyant leurs enfants comblés de si grands bienfaits, en ont éprouvé une joie sensible, et ressenti eux-mêmes les effets de la miséricorde divine, c’est ce que signifient ces paroles : « Voilà le serment qu’il a fait à Abraham, notre père, il a juré qu’il nous ferait cette grâce. » — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Que personne ne s’appuie sur ces paroles : « Dieu a fait le serment, » pour autoriser l’habitude qu’il a de jurer : car de même que ce que nous appelons la fureur du Seigneur ne signifie pas une passion en Dieu, mais le châtiment des coupables, de même aussi Dieu ne jure pas à la manière des hommes, mais sa parole est appelée serment pour exprimer plus fortement la vérité ; et parce qu’elle accomplit avec une résolution immuable tout ce qu’il a promis.

 

V. 74. — Afin qu’étant délivrés des mains de nos ennemis, nous le servions sans crainte.

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr. comme préc.) Après avoir prédit qu’une corne de salut, qu’un puissant Sauveur sortirait pour nous de la maison de David, Zacharie déclare que par lui encore nous serons couverts de gloire, et nous n’aurons rien à craindre de nos ennemis : « Afin qu’étant délivrés des mains de nos ennemis, nous le servions sans crainte. » Ces deux choses se trouvent difficilement réunies : il en est beaucoup en effet qui échappent aux dangers, mais dont la vie reste sans gloire, tels sont les criminels à qui la clémence du souverain fait grâce de la prison. D’autres, au contraire, ont la gloire en partage, mais au prix de quels dangers ils sont forcés de l’acquérir ? Tels sont les guerriers qui ont embrassé la glorieuse carrière des armes, mais qui vivent toujours au milieu des hasards. Ce puissant Sauveur, et nous délivre, et nous couvre de gloire ; il nous délivre en nous arrachant aux mains de nos ennemis, non pas à moitié, mais d’une manière admirable, et sans nous laisser aucun sujet de crainte, comme le dit Zacharie : « Afin qu’étant délivrés des mains de nos ennemis, etc. » Orig. (hom. 10). Ou bien encore, on en voit souvent qui sont délivrés des mains de leurs ennemis, mais ce n’est pas sans crainte, il faut au contraire passer par les alarmes, par les dangers, pour être délivré de leurs mains, au contraire on leur a échappé sans doute, mais ce n’a pas été sans crainte. Jésus-Christ, par sa venue sur la terre, nous a délivrés des mains de nos ennemis, sans qu’il nous en ait coûté aucune appréhension, aucune crainte ; nous ne sommes pas tombés dans les embûches de nos ennemis, il nous a tout d’un coup arrachés à leur puissance pour nous faire entrer dans l’héritage qu’il nous avait destiné.

 

V. 75. — Dans la sainteté et dans la justice, en sa présence, tous les jours de notre vie.

S. Chrys. (comme précéd.) Zacharie glorifie Dieu en ce qu’il nous a donné de le servir avec une pleine confiance, non pas d’une manière charnelle, comme les Juifs, par le sang des victimes, mais spirituellement par nos bonnes oeuvres, c’est ce que veulent dire ces paroles : « Dans la sainteté et la justice ; » car la sainteté consiste dans l’observation exacte des devoirs envers Dieu, la justice dans l’accomplissement fidèle de nos devoirs envers les hommes. Tel est celui qui observe religieusement les préceptes divins, et qui s’acquitte parfaitement de tout ce qu’il doit aux autres hommes. Il dit : non pas devant les hommes, comme font les hypocrites qui veulent plaire aux hommes, mais « devant Dieu, » comme ceux qui recherchent l’approbation de Dieu et non pas celle des hommes (Rm 2, 29), et cela non pas une seule fois, ou pour un temps, mais chaque jour et toute la vie, comme il ajoute : « Tous les jours de notre vie. » Bède. Car ceux qui avant leur mort abandonnent le service de Dieu, ou qui déshonorent par quelque souillure la pureté de la foi, ou l’innocence de leur conduite ; ou bien ceux qui veulent être justes et saints devant les hommes, plutôt que devant Dieu, ne servent pas Dieu après avoir été pleinement délivrés des mains de leurs ennemis spirituels ; mais à l’exemple des anciens Samaritains, ils veulent servir à la fois le Seigneur et les dieux des Gentils.

 

V. 76. — Et vous, petit enfant, vous serez appelé le prophète du Très-Haut ; car vous marcherez devant la face du Seigneur pour lui préparer ses voies.

S. Ambr. Après cette magnifique prophétie qui a le Sauveur pour objet, Zacharie ramène son discours au prophète du Seigneur, et déclare ainsi que sa naissance est un don de Dieu. En énumérant les bienfaits de Dieu envers tous les hommes, il ne veut point paraître envelopper dans un silence d’ingratitude les grâces qui lui sont particulières, aussi écoutez-le : « Et vous, enfant, vous serez appelé le prophète du Très-Haut, » etc. — Orig. (hom. 40). Zacharie, je le suppose, s’est hâté d’adresser la parole à son enfant, parce qu’il savait qu’il devait bientôt se retirer dans le désert, et qu’il ne jouirait pas longtemps de sa présence. — S. Ambr. Il en est peut-être qui regarderont comme un écart d’esprit contraire à toute raison que Zacharie s’adresse à un enfant de huit jours. Mais si nous nous rappelons ce qui précède, nous comprendrons que celui qui a entendu la voie de Marie avant même d’être né, a pu, aussitôt sa naissance entendre la voix de son père. En vertu de son esprit prophétique, il savait que les prophètes ont d’autres oreilles qui s’ouvrent sous l’impression de l’Esprit saint, et non par le progrès de l’âge ; comment n’aurait-il pas eu le don d’intelligence, lui dont le coeur avait bien pu tressaillir ? — Bède. On peut dire aussi que Zacharie, pour l’instruction de ceux qui étaient présents, aussitôt qu’il put parler publia les fonctions que son fils devait un jour remplir, et que l’ange lui avait révélées. Que les ariens entendent qu’on donne ici le nom de Très-Haut au Christ dont Jean a été le précurseur et le prophète, comme il est écrit dans le livre des Psaumes : « Un homme est né en elle, et le Très-Haut lui-même l’a fondée. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). Ceux qui ont avec les rois des rapports plus étroits deviennent leurs compagnons d’armes, ainsi Jean-Baptiste qui était l’ami de l’époux a précédé de plus près son arrivée, c’est le sens de ces paroles : « Vous marcherez devant la face du Seigneur pour lui préparer les voies. » Les autres prophètes, en effet, ont annoncé longtemps auparavant les mystères de la vie du Christ ; Jean l’a prédit de plus près, puisqu’il a vu le Christ de ses yeux, et tout à la fois l’a montré aux autres. — S. Greg. (Moral., 19, 2.) Tout prédicateur qui purifie des souillures du vice les âmes de ceux qui l’écoutent, prépare les voies à la sagesse qui veut prendre possession du coeur.

 

V. 77.

Théophyl. Zacharie explique comment le Précurseur doit préparer la voie du Seigneur, en ajoutant : « Pour donner à son peuple la science du salut. » Le salut, c’est le Seigneur Jésus, et la science du salut, c’est-à-dire de Jésus-Christ ont été donnés au peuple par Jean-Baptiste qui rendait témoignage à Jésus-Christ (cf. Jn 1, 7.15.16.19.32.34 ; 3, 25 ; 5, 33, etc.).

Bède. Il désire faire connaître le nom de Jésus, et semble répéter à dessein le mot de salut, mais qu’on ne l’entende point d’un salut purement temporel, les paroles qui suivent s’y opposent : « Pour la rémission de leurs péchés. » — Théophyl. Dieu, en effet, n’eût pas été connu, s’il n’eut pardonné les péchés à son peuple, car c’est le propre de Dieu de remettre les péchés. — Bède. Mais les Juifs n’ont pas voulu recevoir le Christ ; ils aiment mieux attendre l’Antéchrist, parce qu’ils veulent être affranchis, non de la tyrannie intérieure du péché, mais du joug extérieur de la servitude temporelle.

 

 V. 78.

Théophyl. Si Dieu nous a remis nos péchés, ce n’est point en considération de nos oeuvres, mais par un effet de sa miséricorde ; aussi Zacharie ajoute-t-il : « Par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. » — S. Chrys. (hom. 44 sur S. Matth.) Et cette miséricorde, ce n’est pas nous qui l’avons trouvée comme fruit de nos propres recherches, mais c’est Dieu lui-même qui a daigné nous apparaître du haut du ciel : « Par lesquelles (c’est-à-dire par ses entrailles), le soleil se levant du haut des cieux (c’est-à-dire Jésus-Christ), nous a visités (en se revêtant de notre chair). » — Grec. (c’est-à-dire Sévère, Ch. des Pèr. gr.) Il habite le plus haut des cieux, et cependant il se rend présent sur la terre, sans être assujetti à aucune division, à aucune limite ; mystère que nulle intelligence ne peut comprendre, que nulle parole ne peut exprimer.

 

 

V. 79. — Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, et pour conduire nos pieds dans le chemin de la paix.

Bède. Le nom d’Orient convient parfaitement au Christ, parce qu’il nous a ouvert l’entrée de la vraie lumière : « Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, » etc. — S. Chrys. (hom. 44 sur S. Matth.) Les ténèbres dont il parle ici ne sont pas les ténèbres matérielles, mais les erreurs, l’éloignement de la foi (ou l’impiété). — S. Bas. (sur Is 2.) Dans quelles ténèbres était plongé le peuple des gentils, appesanti par le culte des idoles, jusqu’à ce que la lumière soit venu dissiper cette profonde obscurité et répandre partout les splendeurs de la vérité ! — S. Grég. (Moral., 4, 47.) L’ombre de la mort, c’est l’oubli de l’esprit ; la mort fait que ce qu’elle détruit n’est plus dans la vie ; ainsi l’oubli fait que ce qu’il atteint n’est plus dans la mémoire ; voilà pourquoi il dit du peuple juif qui avait oublié Dieu, qu’il était assis dans l’ombre de la mort. L’ombre de la mort, c’est encore la mort du corps, la mort véritable est celle qui sépare l’âme d’avec Dieu ; l’ombre de la mort est celle qui sépare l’âme d’avec le corps ; ce qui fait dire aux martyrs (Ps 43) : « L’ombre de la mort nous a couverts. » L’ombre de la mort peut encore signifier l’imitation du démon qui est appelé mort dans l’Apocalypse (Ap 6). En effet, l’ombre est toujours proportionnée à la forme du corps, ainsi les actions des impies sont une espèce d’imitation du démon. — S. Chrys. L’expression : « ils sont assis, » est des plus justes ; en effet, nous ne marchions pas dans les ténèbres, mais nous étions assis sans aucun espoir de délivrance. — Théophyl. Le Seigneur, en se levant sur notre terre, n’éclaire pas seulement ceux qui sont assis dans les ténèbres, sa mission est plus étendue : « Pour diriger nos pas dans la voie de la paix. » La voix de la paix c’est la voix de la justice, dans laquelle il a dirigé nos pas, c’est-à-dire les affections de nos âmes. — S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Nous dirigeons nos pas dans la voie de la paix, lorsque dans nos actions nous suivons le chemin qui ne s’écarte jamais de la grâce de notre Créateur. — S. Ambr. Remarquez en même temps que la prophétie d’Elisabeth est courte, tandis que celle de Zacharie est beaucoup plus étendue ; cependant tout deux parlaient sous l’inspiration de l’Esprit saint dont ils étaient remplis, mais nous voyons ici l’observation de cette règle qui veut que la femme s’applique plus à connaître les choses divines qu’à les enseigner aux autres.

 

V. 80.

Bède. Le prédicateur futur de la pénitence pour prêcher un jour avec plus de liberté le détachement des plaisirs séducteurs du monde, passe dans le désert les premières années de sa vie : « L’enfant croissait, » dit le texte sacré. — Théophyl. Il croissait extérieurement en suivant les progrès de l’âge : « Et il se fortifiait. » Les dons spirituels se développaient en même temps que le corps, et les opérations de l’esprit se manifestaient avec plus d’éclat de jour en jour. — Orig. (hom. 2.) Ou bien il croissait en esprit et ne s’arrêtait pas au premier degré de perfection ; l’esprit acquérait toujours en lui une nouvelle force, sa volonté tendant toujours vers un but plus parfait, était dans un progrès continuel, et son âme s’élevait à des contemplations de plus en plus divines. Sa mémoire s’exerçait pour amasser dans ses trésors les plus pures vérités. L’Évangéliste ajoute : « Et il se fortifiait. » La nature humaine est faible, comme nous le lisons dans le saint Évangile (Mt 26) : « La chair est faible, » il faut donc que l’esprit la fortifie, car l’esprit est prompt. Il en est beaucoup qui ont en partage la force du corps ; mais l’athlète de Dieu doit rechercher la force de l’esprit pour détruire la sagesse de la chair. Jean-Baptiste se retira donc dans le désert pour fuir le tumulte des villes et leurs assemblées bruyantes : « Et il était dans les déserts ; » là où l’air est plus pur, le ciel plus ouvert, et Dieu plus familier. Jusqu’au temps où devait commencer son baptême et sa prédication, il s’appliquait à la prière, il conversait avec les anges, il invoquait le Seigneur, et l’entendait lui dire : « Me voici. » (cf. Is 58, 9) — Théophyl. Ou bien il demeurait dans le désert pour y être élevé loin de la malice du monde, et pour qu’un jour il pût le reprendre de ses crimes sans aucune crainte ; car s’il avait vécu au milieu du monde, peut-être l’amitié, la société des hommes l’eussent amolli et dépravé, c’était aussi pour qu’il fût un témoin digne de foi lorsqu’il annoncerait le Christ. Il vivait donc caché dans le désert jusqu’à ce qu’il plût à Dieu de le montrer au peuple d’Israël : « Jusqu’au jour de sa manifestation dans Israël. » — S. Ambr. Il est digne de remarque que l’Évangéliste raconte le temps de la vie du prophète dans le sein de sa mère, pour ne point passer sous silence la présence de Marie, tandis qu’au contraire il ne dit rien de son enfance, parce que la force que la présence de Marie lui a communiquée dès le sein de sa mère, l’a délivré de toutes les faiblesses de l’enfance.

 

CHAPITRE II

VV. 1-5.

Bède. Le Fils de Dieu ayant résolu de paraître au monde dans une chair mortelle, voulut naître d’une vierge et montrer ainsi combien la gloire de la virginité lui était chère ; il voulut aussi naître dans un temps de paix générale, parce qu’il devait enseigner aux hommes à chercher la paix, et qu’il daigne visiter ceux qui aiment la paix. Quelle preuve plus évidente de cette paix universelle que ce dénombrement de tout l’univers sous l’empereur Auguste, qui, vers le temps de la naissance du Sauveur, après avoir terminé les guerres par toute la terre, régna pendant douze ans au milieu d’une paix si profonde, qu’il semble avoir accompli à la lettre la prédiction du prophète Isaïe (Is 2, 4) ? L’Évangéliste commence donc en ces termes : « Or, il arriva en ces jours, qu’il parut un édit, » etc. — Grec. (ou Métaphraste et le moine Alexandre, Ch. des Pèr. gr.) Remarquez encore que Jésus-Christ vient au monde lorsque le sceptre de la souveraineté n’est plus entre les mains des Juifs, mais entre celles des empereurs romains dont ils sont devenus tributaires. Ainsi se trouve accomplie la prophétie qui annonçait que le sceptre ne sortirait point de Juda, ni le prince de sa postérité, jusqu’à ce que vint celui qui devait être envoyé. (Gn 49.) Ce fut la quarante-deuxième année du règne de César-Auguste que parut cet édit qui ordonnait de procéder au recensement de tout l’univers pour établir le paiement des impôts. L’empereur Auguste confia le soin de ce dénombrement à Cyrinus, qu’il avait nommé gouverneur de la Judée et de la Syrie. « Ce premier dénombrement se fit, » etc. — Béde. Ces paroles signifient que ce dénombrement fut le premier de ceux qui s’étendirent à tout l’univers, puisque plusieurs parties du monde avaient déjà été soumises à ce dénombrement ; ou bien que l’opération du recensement commença lorsque Cyrinus fut envoyé en Syrie. S. Amb. L’Évangéliste fait mention du nom du gouverneur, et avec raison, pour bien préciser l’époque dont il parle ; si, en effet, on inscrit en tête des contrats de vente le nom des consuls, n’est-il pas bien plus juste de déterminer d’une manière certaine, par cette inscription, le temps de la rédemption du monde ?

 

Bède. Ce dénombrement, par une disposition divine, ordonnait à chacun de se rendre dans son pays : « Et tous allaient se faire enregistrer dans sa ville. » Dieu le voulut ainsi, afin que la conception et la naissance du Seigneur ayant lieu dans deux endroits différents, il pût échapper plus facilement à la fureur du perfide Hérode : « Alors Joseph partit aussi de Galilée, » etc. — S. Chrys. (pour la nativ. de J.-C.) En publiant cet édit, l’empereur Auguste ne fût que l’instrument de la Providence divine, qui voulait qu’il secondât ainsi la présence de son Fils unique à Bethléem ; car cet édit amenait nécessairement sa mère dans cette ville prédite par les prophètes, c’est-à-dire à Bethléem de Juda : « Joseph vint en Judée, à la ville de David, appelée Bethléem. » — Grec. (ou Irénée, cont. les hér., 3, 2.) L’Évangéliste désigne cette ville sous le nom de ville de David, pour nous apprendre que la promesse que Dieu avait faite à David (que le Roi éternel sortirait de sa race) (cf. 2 R 7, 12 ; Ps 131, 11), se trouvait accomplie ; c’est aussi pour cela qu’il ajoute : « Parce qu’il était de la maison et de la famille de David. » Par là même que Joseph était de la race de David, l’Évangéliste prouvait que la Vierge en descendait également, puisque la loi divine ordonnait que les mariages fussent contractés dans la même famille, il se contente donc d’ajouter : « Avec Marie son épouse, » etc. — Cyril.(Ch. des Pèr. gr. Comme préc.) L’auteur sacré dit : sa fiancée, insinuant que Joseph et Marie n’étaient que fiancés au moment de la conception ; car cette conception s’est faite toute entière en dehors de l’action de l’homme.

S. Grég. (hom. 8 sur les Evang.) Dans le sens mystique, le dénombrement du monde s’opère lorsque le Seigneur est sur le point de naître, parce qu’on allait voir paraître dans une chair mortelle celui qui inscrivait le nom de ses élus sur les livres de l’éternité. — S. Ambr. Il ne s’agit extérieurement que d’un dénombrement profane ; mais nous y voyons s’accomplir le recensement spirituel qui se fait, non pour le roi de la terre, mais pour le roi des cieux. La profession de la foi chrétienne, c’est le recensement des âmes ; l’antique recensement de la synagogue n’existe plus, le nouveau recensement de l’Église chrétienne lui succède. Enfin ce dénombrement doit s’étendre à tout l’univers, n’est-ce pas vous dire que ce n’est pas le dénombrement d’Auguste, mais celui de Jésus-Christ ? car qui pouvait décréter le recensement du monde entier, si ce n’est le Maître souverain de tout l’univers. La terre, en effet, est à Dieu (Ps 23), et non pas à César. — Bède. Il remplit aussi parfaitement la signification du nom d’Auguste, puisqu’il a tout à la fois la volonté et la puissance nécessaires pour augmenter le nombre des siens. — Théophyl. Il convenait que le Christ remplaçât la religion du polythéisme par le culte d’un seul Dieu. — Orig. (hom. 11.) Si nous voulons y faire attention, nous découvrirons la signification mystérieuse de l’inscription du Christ dans le dénombrement de l’univers. Il fut inscrit sur le registre commun à tous, pour les sanctifier tous ; il fut compris dans le dénombrement de tout l’univers, pour entrer ainsi en communion avec tous les hommes. — Bède. De même qu’alors sous l’empire d’Auguste et le gouvernement de Cyrinus, chacun allait dans son pays pour s’y faire enregistrer et y déclarer ses biens ; de même aussi sous l’empire de Jésus-Christ, qui nous gouverne par les docteurs (chefs de son Église), nous devons nous soumettre au recensement qui a pour objet la pratique de la justice. — S. Ambr. C’est donc ici le premier recensement, mais le recensement des âmes. Tous viennent s’y soumettre, parce que nul n’en est excepté. Ils obéissent, non à la proclamation des officiers publics, mais à la prédiction du prophète qui, bien des siècles à l’avance, avait dit (Ps 46) : « Nations, applaudissez toutes des mains, chantez la gloire de Dieu par des cris d’allégresse, parce que le Seigneur est élevé et redoutable, qu’il est le roi suprême sur toute la terre. » Et pour qu’on sache bien que c’est ici le recensement spirituel de la justice, Marie et Joseph, c’est-à-dire un juste et une vierge viennent s’y soumettre, l’un qui devait être le gardien du Verbe, l’autre qui allait l’enfanter. — Bède. Notre ville et notre patrie, c’est le repos bienheureux vers lequel nous devons nous avancer chaque jour par un progrès continuel dans les vertus. Chaque jour la sainte Église, à la suite de ses docteurs, se dégage du cercle toujours agité de la vie mondaine (ce que signifie le mot Galilée), pour venir dans la ville de Juda (c’est-à-dire de la confession et de la louange), et y payer au roi éternel le tribut de sa piété. A l’exemple de la bienheureuse Vierge Marie, elle nous a conçus par l’opération de l’Esprit saint ; épouse d’un autre, elle est fécondée par ce divin Esprit, elle est unie visiblement au souverain pontife, qui est son chef, mais elle est comblée des dons et de la vertu invisible de l’Esprit saint ; son nom même nous indique que le zèle du Maître qui enseigne ne peut rien, si l’assistance du secours divin ne vient ouvrir le coeur de ceux qui sont enseignés.

 

 

VV. 6, 7.

S. Ambr. Saint Luc rapporte en très peu de mots la manière dont le Christ est né, le temps et le lieu de sa naissance selon la chair : « Pendant qu’ils étaient là, il arriva que le temps où elle devait enfanter s’accomplit, » etc. Le mode de sa naissance, c’est qu’une femme qui était mariée l’a conçu, et qu’elle l’a engendré en demeurant vierge. — S. Grég. de Nysse. (Ch. des Pèr. gr.) En effet, en se revêtant de notre humanité, il n’est point soumis en tout aux lois de la nature humaine. Il naît d’une femme, il est vrai, et c’est la part de l’humanité ; mais la virginité qui lui a donné naissance, montre qu’il est supérieur à l’homme. Cette divine Vierge l’a porté sans souffrance, sa conception est sans tache, son enfantement sans difficulté, sa naissance sans souillure, sans déchirement et sans douleurs. Celle qui a déposé dans notre nature le germe de la mort par sa désobéissance, a été condamnée à enfanter dans la douleur ; la mère de celui qui est la vie devait enfanter dans la joie. Il entre dans cette vie mortelle par la pureté incorruptible d’une vierge, à l’époque de l’année où les ténèbres commencent à diminuer, et où la longueur des nuits cède nécessairement devant les flots de lumière que répand l’astre du jour. En effet, la mort du péché avait atteint le terme de sa gravité, dès lors elle allait disparaître devant la clarté de la vraie lumière qui allait répandre sur tout l’univers les rayons éclatants de la prédication évangélique.

Bède. Le Christ a daigné s’incarner encore à cette époque, afin qu’aussitôt sa naissance, il fût compris dans le dénombrement commandé par César Auguste, et soumis lui-même à la servitude pour nous délivrer. Il naît à Bethléem, non seulement pour prouver sa descendance royale, mais à cause de la signification mystérieuse de ce nom. — S. Grég. (hom. 8 sur les Evang.) Car Bethléem veut dire maison du pain ; c’est lui, en effet, qui a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel. » Le lieu donc où naquit le Sauveur était appelé maison du pain, parce qu’on devait y voir apparaître dans une chair mortelle, celui qui rassasie intérieurement les âmes des élus. — Bède. Jusqu’à la consommation des siècles, le Seigneur ne cesse point d’être conçu à Nazareth, de naître à Bethléem ; en effet, chacun de ses disciples qui reçoit en lui la fleur du Verbe, devient la maison du pain éternel ; chaque jour encore, il est conçu par la foi dans un sein virginal, (c’est-à-dire dans l’âme des croyants), et il est engendré par le baptême.

« Et elle enfanta son premier né. » — S. Jér. (cont. Helv.) Helvidius s’efforce de prouver par ce passage qu’on ne peut donner le nom de premier né qu’à celui qui a des frères ; de même qu’on appelle fils unique celui qui est le seul enfant de ses parents. Pour nous, voici notre explication : Tout fils unique est premier né, mais tout premier né n’est pas fils unique. Nous appelons premier né, non pas celui après lequel naissent d’autres enfants, mais celui qui est né le premier de tous (cf. Nb 18, 15). En effet, si on n’est le premier né, qu’autant qu’on aura des frères après soi, les prêtres n’auront aucun droit sur les premiers nés, avant la naissance d’autres enfants ; car alors au défaut de ces autres enfants, il y aurait un fils unique, il n’y aurait point de premier né. — Bède. Jésus est aussi fils unique dans sa nature divine, premier né dans son union avec l’humanité ; premier né dans la grâce, unique dans sa nature. — S. Jér. (cont. Helv.) Personne ne reçut l’enfant à sa naissance, aucune femme ne donna à Marie les soins ordinaires, elle seule enveloppa son enfant de langes, elle fut à la fois la mère et celle qui reçut l’enfant : « Et elle l’enveloppa de langes. » — Bède. Celui qui revêt la nature de sa parure si variée, est enveloppé dans de pauvres langes, afin que nous puissions recouvrir la robe première de notre innocence ; celui par qui tout a été fait, voit ses mains et ses pieds comme enchaînés, afin que nos mains soient libres pour toute sorte de bonnes oeuvres, et que nos pieds soient dirigés dans la voie de la paix.

 

S. Grec. (ou Métaphraste, Ch. des Pèr. gr.) A quels admirables abaissements se réduit, à quels voyages lointains s’assujettit celui qui contient le monde entier dans son immensité ! Dès son entrée dans le monde, il recherche la pauvreté et la rend honorable dans sa personne. — S. Chrys. (hom. pour la nativ. de J.-C.) Sans doute, s’il eût voulu, il pouvait venir en ébranlant les cieux, en faisant trembler la terre, en lançant la foudre ; il a rejeté tout cet appareil, car il venait, non pour perdre, mais pour sauver l’homme, et, dès sa naissance, fouler aux pieds son orgueil. Il ne lui suffit donc pas de se faire homme, il se fait homme pauvre, et il choisit une mère pauvre, qui n’a point même de berceau pour y déposer son enfant nouveau né : « Et elle le coucha dans une crèche. — Bède. Celui qui a le ciel pour trône, se renferme dans une crèche étroite et dure pour dilater nos coeurs par les joies du royaume des cieux ; celui qui est le pain des anges est déposé dans une crèche, pour nous nourrir comme un troupeau sanctifié du pur froment de sa chair divine. — Cyril. (Ch. des Pèr. gr.) Il a trouvé l’homme devenu charnel et animal jusque dans son âme, et il se place dans la crèche comme nourriture, afin que nous changions cette vie tout animale pour arriver au discernement et à l’intelligence dignes de l’homme, nourris que nous sommes, non de l’herbe des champs, mais du pain céleste, du corps de vie. — Bède. Celui qui est assis à la droite de Dieu le Père, manque de tout dans une pauvre retraite, pour nous préparer plusieurs demeures dans la maison de son Père (Jn 14, 2) : « Car il n’y avait point de place pour eux dans les hôtelleries. » Il naît, non dans la maison de ses parents, mais dans un lieu étranger, et en voyage, parce que dans le mystère de son incarnation, il est devenu la voie qui nous conduit à la patrie (où nous jouirons pleinement de la vérité et de la vie) (Jn 14). — S. Grég. (hom. 8 sur les Evang.) C’est aussi pour nous enseigner qu’en prenant notre humanité, il naissait comme dans un lieu étranger, non à sa puissance, mais à la nature dont il se revêtait.

S. Ambr. C’est pour vous qu’il s’abaisse à cet état d’infirmité, lui qui est en lui-même toute puissance ; pour vous, qu’il se réduit à cette pauvreté, lui qui possède toute richesse. Ne vous arrêtez point à ce que vous voyez, mais considérez que c’est par là que vous êtes racheté. Seigneur Jésus, je dois plus à vos humiliations qui m’ont racheté, qu’aux oeuvres de votre puissance qui m’ont créé. Que m’eût-il servi de naître sans le bienfait inestimable de la rédemption ?

 

Vv. 8-12.

S. Ambr. Voyez comme Dieu prend soin d’établir et de confirmer la foi, c’est un ange qui instruit Marie, un ange qui instruit Joseph, un ange encore qui instruit les bergers dont il est dit : « Il y avait aux environs des bergers qui passaient la nuit, » etc. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) L’ange apparut à Joseph pendant son sommeil, comme à un homme qu’il était facile d’amener à la foi, il apparaît visiblement aux bergers, et plus ignorants, et plus grossiers. Cet ange ne se rend point à Jérusalem, il ne s’adresse pas aux scribes et aux pharisiens, ils étaient trop corrompus et victimes de leur noire envie. Mais ces bergers étaient simples et conservaient les habitudes patriarchales et les traditions de Moise. Or l’innocence est une voie sûre qui conduit à la sagesse. — Bède. (hom.) Dans toute l’histoire de l’Ancien Testament, où les apparitions des anges aux patriarches avaient des caractères si particuliers, nous ne voyons nulle part qu’ils aient apparu environnés de lumière, c’était un privilège réservé au temps où au milieu des ténèbres, la lumière s’est levée pour les coeurs droits : « Et une clarté divine les environna. » — S. Ambr. Jésus sort du sein d’une mère mortelle, mais il brille du plus haut des cieux, il est couché dans un asile terrestre, mais il resplendit d’une lumière céleste.

Grec. (ou Géom., Ch. des Pèr. gr.) Ce miracle les remplit de frayeur : « Et ils furent saisis de crainte, » etc. Mais l’ange dissipe bientôt cette frayeur qui les trouble : « Et il leur dit, » etc. Non content d’apaiser leur crainte, il leur inspire un vif sentiment de joie. Entendez en effet la suite : « Voici que je vous annonce le sujet d’une grande joie, etc., non seulement pour le peuple juif, mais pour tous les hommes. Quelle est la cause de cette joie, c’est cet enfantement nouveau et vraiment admirable d’après les noms que l’ange donne à cet enfant. Il ajoute : « Parce qu’il vous est né aujourd’hui un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Le premier de ces noms (celui de Sauveur), exprime l’action ; le troisième (celui de Seigneur), la majesté. — Cyril. ( Chaîne des Pères grecs.) Le nom qui est au milieu (celui de Christ), désigne l’onction, il n’exprime pas la nature, mais l’union hypostatique des deux natures. Nous croyons que Jésus-Christ notre Sauveur, a reçu une onction solennelle, ce n’est pas cette onction figurative (telle que les rois la recevaient autrefois avec l’huile sainte), et qui était conférée par une grâce prophétique. Ce n’est point non plus cette onction conférée pour l’accomplissement d’un grand dessein, comme nous le voyons dans ce passage d’Isaïe (Is 45) « Voici ce que dit le Seigneur à Cyrus qui est son Christ. » Il l’appelle son Christ, quoiqu’il fût idolâtre, parce qu’il devait exécuter le décret de Dieu en s’emparant de toute la province de Babylone. Mais pour le Sauveur, il a reçu l’onction comme homme et dans la forme de l’esclave qu’il avait prise, et il donne, en tant que Dieu, l’onction de l’Esprit saint à tous ceux qui croient en lui.

 

Greg. (ou Géom.) L’ange leur fait connaître ensuite le moment de cette naissance : « Aujourd’hui ; » le lieu : « Dans la ville de David ; » et les signes pour le reconnaître : « Et voici le signe que je vous donne, » etc. C’est ainsi que les anges annoncent à des pasteurs le prince des pasteurs qui naît et se manifeste comme un agneau dans une étable. — Bède. Tout ce qui a rapport à l’enfance du Sauveur nous est clairement enseigné, et par les déclarations fréquentes des anges, et par les nombreux témoignages des Évangélistes, pour graver plus profondément dans nos coeurs les mystères opérés pour notre salut. Et remarquez le signe auquel ils reconnaîtront le Sauveur qui vient de naître. Ce n’est pas un enfant enveloppé dans une pourpre éclatante, mais dans de misérables langes, il n’est point couché sur des tapis brochés d’or, ils le trouveront dans une crèche. — S. Maxime. (serm. sur la Nativ.) Si ces langes vous semblent misérables, admirez le concert de louanges des esprits célestes. Si la crèche vous inspire du mépris, élevez un peu les yeux, et contemplez cette nouvelle étoile qui annonce au monde la naissance du Seigneur. Vous croyez à ce qui est abaissement dans ce mystère, croyez aussi à tout ce qu’il a de merveilleux ; et si les humiliations qu’il renferme sont pour vous matière à discussion, que le caractère de grandeur et de divinité dont il est empreint, soit l’objet de votre vénération.

S. Grég. (hom. 8 sur les Ev.) Dans le sens mystique, l’apparition de l’ange aux bergers qui veillaient sur leurs troupeaux, et la clarté divine qui les environna nous apprennent que ceux qui gouvernent avec sollicitude les brebis fidèles qui leur sont confiées, sont admis de préférence à tous les autres, à contempler les mystères les plus sublimes ; et tandis qu’ils veillent religieusement sur leur troupeau, la grâce divine répand sur eux des flots de lumière. — Bède. (hom.) Ces pasteurs de troupeaux représentent en effet les docteurs et les directeurs des âmes fidèles ; la nuit pendant laquelle ils veillaient tour à tour sur leur troupeau, figure les dangers des tentations dont ils ne cessent de défendre, s’en préservant eux-mêmes et les âmes qui leur sont soumises. Ce n’est pas d’ailleurs sans dessein que les bergers veillent sur leur troupeau à la naissance du Seigneur qui dit de lui-même (Jn 10) : « Je suis le bon pasteur, » car aussi bien le temps approche où ce même pasteur doit ramener les brebis dispersées dans les pâturages à la vie (cf. Jn 10, 16 ; 11, 52). — Orig. (hom. 12.) S’il faut nous élever à un sens plus mystérieux, je dirai que les anges étaient comme des pasteurs chargés de diriger les choses humaines. Alors que chacun d’eux remplissait cette mission de vigilance, un ange vint annoncer aux pasteurs la naissance du véritable pasteur ; car les anges avant la venue du Sauveur, ne pouvaient être que faiblement utiles à ceux qui étaient commis à leur garde, à peine, en effet, trouvait-on dans chaque nation un homme qui crut en Dieu, tandis qu’aujourd’hui tous les peuples à l’envi embrassent la foi de Jésus.

 

Vv. 13, 14.

Bède. Le témoignage d’un seul ange pouvait paraître insuffisant ; aussitôt donc que cet ange est venu annoncer le mystère de la nouvelle naissance, on voit paraître la multitude des légions célestes : « Au même instant se joignit à l’ange une grande troupe de l’armée céleste. » Le nom de milice céleste que donne l’Évangéliste au choeur des anges est parfaitement choisi, car elle exécute humblement les ordres et seconde dans les combats les efforts du chef puissant qui est venu triompher des puissances de l’air, jeter le trouble et l’épouvante parmi les légions ennemies, et rendre ainsi inutiles leurs pernicieux desseins contre les hommes. Celui qui vient de naître est tout à la fois Dieu et homme, c’est donc à juste titre que les anges annoncent la paix aux hommes, et chantent gloire à Dieu : « Ils louaient Dieu et disaient : Gloire à Dieu au plus haut des cieux. » Un seul ange, un seul envoyé du ciel, vient d’annoncer qu’un Dieu vient de naître dans une chair mortelle, et aussitôt la multitude des légions célestes proclame la gloire du Créateur. Elle témoigne ainsi de son amour pour Jésus-Christ, et nous instruit par son exemple. Toutes les fois, en effet, que l’un de nos frères nous fait entendre la parole de la science sacrée, ou lorsque nous-mêmes nous repassons dans notre âme une pensée pieuse, notre coeur, notre bouche, nos oeuvres doivent aussitôt rendre gloire à Dieu.

 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Autrefois les anges étaient envoyés comme exécuteurs de la justice de Dieu, aux Israélites, à David, aux habitants de Sodome, à la vallée des gémissements ; maintenant au contraire, ils chantent à Dieu un cantique d’actions de grâces, parce qu’il leur a fait connaître sa venue parmi les hommes. — S. Grég. (Moral., 28, 7.) Ils chantent les louanges de Dieu, pour mettre leurs concerts en harmonie avec le bienfait de la rédemption ; heureux ainsi de voir les hommes réconciliés appelés à compléter leur nombre dans les cieux. — Béde. Ils souhaitent la paix aux hommes, en ajoutant : « Et sur la terre paix aux hommes, » etc., parce qu’ils vénèrent des compagnons et des frères dans ceux qu’ils avaient vus en proie à toute sorte d’infirmités et d’humiliations. — Cyril. (Ch. des Pèr. gr.) Cette paix est l’oeuvre de Jésus-Christ, il nous a réconciliés par lui-même à Dieu son Père (2 Cor 5, 18 et 19 ; Ep 2, 16 ; Col 1, 20. 22), en effaçant les fautes qui nous rendaient ses ennemis. Il a pacifié les deux peuples pour n’en faire qu’un seul homme, et a formé un seul troupeau des habitants du ciel et de ceux qui sont sur la terre.

Bède. Mais à quels hommes les anges souhaitent-ils la paix ? Ils l’expliquent eux-mêmes en ajoutant : « De bonne volonté, » c’est-à-dire, à ceux qui recevront le Christ qui vient de naître, car il n’y a point de paix pour les impies (Is 57), elle est le partage de ceux qui aiment le nom de Dieu (Ps 118). — Orig. Le lecteur attentif demandera comment le Sauveur a pu dire (Lc 12) : « Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, » tandis que les anges chantent à sa naissance : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ; » mais la question se trouve résolue par ces paroles mêmes : « Paix aux hommes de bonne volonté, » car la paix dont Dieu n’est pas l’auteur, n’est pas la paix de bonne volonté. — S. Aug. (de la Trin., 13, 1-3.) La justice fait partie de la bonne volonté. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. 9r.) Voyez la marche admirable que Dieu a suivie, il a fait descendre les anges jusqu’à nous, pour faire remonter ensuite l’homme jusqu’au ciel ; le ciel s’est fait terre pour relever les choses de la terre.

 

Orig. (comme précéd.) Dans le sens mystique, les anges reconnaissaient qu’ils ne pouvaient accomplir la mission qui leur avait été confiée sans le secours de celui qui seul avait la puissance de sauver, et que tous leurs remèdes étaient inefficaces pour guérir les hommes. Ainsi, lorsqu’un médecin d’une science supérieure arrive près d’un malade que d’autres n’ont pu guérir, dès que ceux-ci voient la gangrène des plaies les plus profondes disparaître au simple toucher du savant docteur ; loin de lui porter envie, ils célèbrent les louanges du médecin et de Dieu, qui leur a envoyé ainsi qu’aux malades, un homme d’une science si éminente ; c’est ainsi que la multitude des anges loue et remercie Dieu d’avoir envoyé Jésus-Christ sur la terre.

 

Vv. 15-20.

Grec. (Géomét.) L’apparition de l’ange, son récit, jetèrent les bergers dans un grand étonnement ; ils laissèrent donc leurs troupeaux et partirent cette nuit-là même pour Bethléem, à la recherche de cette lumière du Sauveur : « Et ils se disaient l’un à l’autre, » etc. — Bède. C’est le langage d’hommes qui veillent véritablement ; ils ne disent pas : voyons cet enfant, mais voyons le Verbe qui a été fait, c’est-à-dire, voyons comment ce Verbe qui a été de tout temps a été fait chair pour nous, car ce Verbe c’est le Seigneur, comme la suite l’indique : « Que le Seigneur a fait et nous a révélé, » c’est-à-dire, voyons comment le Verbe s’est fait lui-même, et nous a manifesté sa chair. — S. Ambr. Voyez avec quel soin la sainte Écriture pèse le sens de chacune des paroles qu’elle emploie ; en effet, celui qui voit la chair du Seigneur, voit le Verbe qui est le Fils de Dieu. Gardez-vous de faire peu de cas de cet exemple de foi, parce qu’il vous est donné par de pauvres bergers, Dieu recherche la simplicité et rejette les prétentions orgueilleuses : « Et ils se hâtèrent de venir, » etc. Personne né doit chercher Jésus-Christ avec négligence. — Orig. (hom. 13.) Pour récompense de leur pieux empressement, « ils trouvèrent Marie (qui avait enfanté Jésus), Joseph (le protecteur de la naissance du Seigneur), et l’enfant couché dans une crèche, » c’est-à-dire, le Sauveur lui-même. — Bède. Il est dans l’ordre qu’après avoir rendu à l’incarnation du Verbe les honneurs qui lui sont dus, on soit admis à contempler la gloire elle-même du Verbe : « Et l’ayant vu, ils reconnurent la vérité de ce qui leur avait été dit, » etc. — Grec, (c’est-à-dire Photius, Ch. des Pèr. gr.) Ils contemplent avec foi dans le secret de leurs coeurs l’accomplissement de l’heureuse nouvelle qui leur a été annoncée, et non contents de ce sentiment d’admiration, ils racontaient tout ce qu’ils avaient vu et entendu, non seulement à Marie et à Joseph, mais à tous ceux qu’ils rencontraient, et (ce qui est mieux encore) ils le gravaient dans les coeurs : « Et tous ceux qui l’entendirent admirèrent, » etc. Et quel plus juste sujet d’admiration que de voir celui qui habite dans les cieux, s’unissant à la terre pour la réconcilier avec les cieux, et cet ineffable petit enfant, unissant étroitement ensemble les choses célestes par sa divinité, avec les choses terrestres par son humanité, offrant ainsi une admirable alliance entre ces deux natures intimement unies en lui-même. — La Glose. L’objet de cette admiration n’est pas seulement le mystère de l’Incarnation, mais le témoignage si frappant des bergers, incapables d’imaginer ce qu’ils n’auraient pas entendu, et qui publiaient la vérité avec une éloquence pleine de simplicité.

S. Ambr. Gardez-vous de mépriser comme de peu d’importance les paroles des bergers, car Marie recueille ces paroles pour confirmer sa foi : « Or Marie conservait toutes ces choses en elle-même, les repassant dans son coeur. Apprenons quelle était en toutes choses la chasteté de Marie ; non moins pure dans ses paroles que dans son corps, elle repassait dans son coeur les preuves de la foi. — Bède. (hom.) Fidèle observatrice des lois de la pureté virginale, elle ne voulait révéler à personne les mystères du Christ qu’elle connaissait, mais elle rapprochait les prédictions qu’elle avait lues, de leur accomplissement qu’elle avait sous les yeux, et sans en rien publier elle gardait tout renfermé dans son coeur.

 

Grec. (ou Métaphraste, Ch. des Pèr. gr.) Tout ce que l’ange avait dit à Marie, tout ce qu’elle avait appris de Zacharie et d’Elisabeth elle le conservait dans son âme, elle en faisait le rapprochement, et cette Mère de la sagesse en admirait la parfaite harmonie, qui lui faisait reconnaître un Dieu dans celui dont elle était la Mère.

 

S. Athan. (Ch. des Pèr. gr.) La naissance de Jésus-Christ était le sujet d’une joie universelle, non pas d’une joie toute humaine comme celle qu’inspire la naissance d’un enfant ordinaire, mais d’une joie céleste produite par la présence du Christ et par l’éclat de la lumière divine : « Et les bergers s’en retournèrent glorifiant et louant Dieu de tout ce qu’ils avaient entendu. » — Bède. De ce qu’ils avaient entendu des anges, et de ce qu’ils avaient vu à Bethléem, selon ce qui leur avait été dit. Ainsi ils glorifient Dieu de ce qu’ils ont trouvé celui qu’on leur avait annoncé ; ou bien encore ils glorifient, ils louent Dieu, selon ce qui leur avait été dit par les anges qui ne leur en avaient point fait une loi, mais leur offraient un modèle parfait de religion dans l’hymne de gloire qu’ils avaient chanté à Dieu au plus haut des cieux.

Bède.(Hom.) Dans le sens mystique, les pasteurs du troupeau des âmes, disons mieux, tous les fidèles, à l’exemple de ces bergers doivent aller par la pensée jusqu’à Bethléem, et célébrer par de dignes hommages l’incarnation du Christ. Mais commençons par rejeter bien loin toutes les basses concupiscences de la chair avant de nous élever sur l’aile des plus ardents désirs de notre coeur jusqu’à la Bethléem céleste (c’est-à-dire la maison du pain vivant), où nous serons rendus dignes de voir régner sur le trône de Dieu le Père, celui que les bergers ont mérité de voir pleurant et gémissant dans la crèche. Point de négligence, point de langueur dans la recherche d’un si grand bonheur, c’est avec ardeur qu’il faut suivre les pas de Jésus-Christ. Après qu’ils eurent vu, ils connurent, et nous aussi, hâtons-nous de recevoir avec un coeur plein d’amour tout ce qui nous est dit sur le Sauveur du monde, afin que nous puissions arriver à le connaître parfaitement dans les splendeurs de la vision des cieux. — Bède. (sur S. Luc.) Les pasteurs du troupeau du Seigneur vont aussi contempler la vie des Pères qui les ont précédés, et où se conserve le pain de vie, comme s’ils entraient dans la ville de Bethléem ; et ils y trouvent la beauté virginale de l’Église, c’est-à-dire Marie ; la noble cohorte des docteurs spirituels, c’est-à-dire Joseph, et l’humble avènement du Christ inscrit dans les pages de la sainte Écriture, c’est-à-dire, Jésus-Christ enfant couché dans la crèche. — Orig. (hom. 43). Ou bien cette crèche est celle qu’Israël n’a point connu, d’après ces paroles d’Isaïe : « Le bœuf a connu celui à qui il appartient, et l’âne l’étable de son maître ; — Bède. (in hom.) Les bergers n’ont point enseveli dans le silence les mystères qui leur avaient été manifestés, parce que les pasteurs de l’Église sont établis pour enseigner aux fidèles les vérités qu’ils ont puisées dans les saintes Écritures. — Bède. (sur S. Luc.) Ajoutons encore que les pasteurs du troupeau des âmes, tandis que tous les autres se livrent au sommeil, tantôt s’adonnent à la contemplation des choses célestes, tantôt parcourent la vie des saints pour recueillir leurs exemples, et reprennent ensuite par l’enseignement l’exercice du ministère pastoral. — Bède. (hom.) Chaque fidèle, même celui qui semble renfermé dans la vie privée, remplit l’office de pasteur, s’il prend soin de recueillir une multitude de bonnes oeuvres et de chastes pensées, de la gouverner dans une sage mesure, de la nourrir des pâturages de la sainte Écriture, et de la préserver des embûches du démon.

 

v. 21.

Bède. (hom. sur la circoncis.) Après le récit de la naissance du Sauveur, vient celui de la circoncision : « Lorsque les huit jours furent accomplis pour circoncire l’enfant. » — S. Amb. Quel est cet enfant ? celui dont il a été dit (Is 9) : « Un enfant nous est né ; un fils nous a été donné ; » car il s’est assujetti à la loi pour racheter ceux qui étaient sous la loi. — S. Epiph. (Ch. des Pèr. gr.). Les sectateurs d’Ebion et de Cérinthe nous disent : Il suffit au disciple d’être comme Son maître ; le Christ a été circoncis, vous devez donc, vous aussi, vous soumettre à la circoncision. Ces hérétiques sont dans l’erreur et détruisent leurs propres principes. En effet, si Ebion admettait que c’est le Christ Dieu descendu des cieux qui a été circoncis le huitième jour, il fournirait une preuve en faveur de la circoncision ; mais il affirme que le Christ n’est qu’un homme. Or, cet enfant ne peut être la cause déterminante de sa circoncision, pas plus que les enfants ne sont les auteurs de leur propre circoncision. Pour nous, nous professons que le Christ est le Dieu descendu du ciel, qu’il a séjourné dans le sein d’une vierge le temps voulu par les lois de la nature, jusqu’au moment où la chair de son humanité a été entièrement formée de ce sein virginal ; c’est dans cette chair qu’il a été circoncis le huitième jour en réalité, et non en apparence. Or, puisque les figures sont parvenues à leur accomplissement spirituel, ni lui, ni ses disciples ne doivent chercher à propager ces figures, mais la vérité seule. — Orig. (hom. 14.) Car de même que nous sommes morts avec Jésus-Christ dans sa mort, et que nous sommes ressuscités dans sa résurrection ; nous avons été circoncis avec lui, et nous n’avons plus besoin de la circoncision charnelle.

 

S. Epiph. Le Christ s’est soumis à la circoncision pour plusieurs raisons ; premièrement, il a voulu prouver ainsi la vérité de sa chair contre les Manichéens et ceux qui prétendent qu’il n’est venu sur la terre qu’en apparence ; secondement, il a fait voir par là que son corps n’était pas consubstantiel à la divinité, comme le soutient Apollinaire, et qu’il ne l’avait point apporté du ciel comme l’affirme Valentin ; troisièmement, il a voulu confirmer, par son exemple, la loi de la circoncision qu’il avait autrefois instituée comme préparation à sa venue ; quatrièmement enfin, il a voulu ôter ainsi aux Juifs toute excuse, car s’il n’avait pas reçu la circoncision, ils auraient pu objecter qu’ils ne pouvaient recevoir un Christ incirconcis. — Bède. (hom. comme précéd.) Il voulait encore nous recommander fortement, par son exemple, la vertu d’obéissance, et aussi aider, en compatissant à leurs maux, ceux qui succombaient sous le joug pesant de la loi. Il fallait que celui qui venait, revêtu de la chair du péché, se soumit au remède institué pour purifier la chair ; car sous la loi, la circoncision avait comme remède salutaire contre la plaie du péché originel la même efficacité que le baptême sous le régime de la grâce. Disons cependant qu’on ne pouvait encore entrer dans le royaume céleste, on était admis après la mort dans le sein d’Abraham, pour y jouir d’un doux repos, et y attendre, dans une bienheureuse espérance, l’entrée du séjour de la paix éternelle. — S. Athan. La circoncision qui avait lieu sur cette partie du corps, qui est la cause de la naissance corporelle, ne signifiait autre chose que le dépouillement de la génération charnelle. On la pratiquait alors comme signe du baptême que le Christ devait instituer. Aujourd’hui donc que nous possédons l’objet figuré, la figure a cessé d’exister ; puisque la chair du vieil homme se trouve détruite tout entière par le baptême, l’incision figurative d’une partie de la chair est maintenant superflue.

 

S. Cyril. (Ch. des Pèr. gr.) C’était la coutume chez les Juifs de célébrer la circoncision de la chair le huitième jour, car c’est le huitième jour que le Christ est ressuscité, et qu’il nous a donné l’idée de la circoncision spirituelle par ces paroles « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant, » etc. — Bède. La résurrection de Jésus-Christ est la figure de notre double résurrection, de celle du corps et de celle de l’âme. En effet, par sa circoncision, il nous enseigne que c’est par lui que notre nature peut dans cette vie être purifiée de la souillure des vices, et qu’au dernier jour elle doit être délivrée de la corruption du tombeau. De même que le Seigneur est ressuscité le huitième jour, c’est-à-dire après le septième jour du sabbat, nous aussi, après les six âges du monde, après le septième âge du repos des âmes qui, en attendant, s’écoule dans l’autre vie, nous ressusciterons comme au huitième âge. — S. Cyril. Pour obéir encore aux prescriptions de la loi, le Seigneur reçut le même jour le nom qui lui était destiné : « On lui donna le nom de Jésus. » Ce nom signifie Sauveur, car il est né pour le salut du monde entier, salut dont sa circoncision était la figure selon ce que l’Apôtre dit aux Colossiens (Col 2) : « Vous avez été circoncis d’une circoncision qui n’est pas faite de main d’homme, mais qui consiste dans le dépouillement du corps charnel. — Bède. C’est le jour même de sa circoncision que son nom lui a été donné, conformément à la coutume ancienne. En effet, Abraham, qui reçut le sacrement figuratif de la circoncision, mérita ce jour-là même de voir son nom augmenté par une bénédiction spéciale. Orig. (hom. 44.) Le nom glorieux de Jésus, digne de tous les honneurs, ce nom qui est au-dessus de tous les noms, ne devait être ni donné ni choisi par les hommes, aussi l’Évangéliste ajoute-t-il d’une manière significative : « Nom que l’ange lui avait donné, » etc. — Bède. Les élus eux-mêmes se réjouissent d’être rendus participant de la gloire de ce nom dans leur circoncision ; car de même que les chrétiens tirent leur nom du nom de Christ, ainsi ils sont appelés sauvés du nom de Sauveur, et ce nom, Dieu leur a donné non seulement avant qu’ils fussent conçus par la foi dans le sein de l’Église, mais avant tous les siècles.

 

Vv. 22—24.

S. Cyr. (comme précéd.) Après la cérémonie de la circoncision venait celle de la purification dont l’Évangéliste dit : « Lorsque le temps de la purification de Marie fut accompli, selon la loi, » etc. — Bède. Si vous examinez avec attention le texte de cette loi, vous conclurez certainement que la Mère de Dieu était affranchie de cette prescription légale, comme elle l’avait été de toute union charnelle. Car ce n’est point toute femme qui enfante qui est déclarée immonde, mais celle qui enfante par les voies ordinaires, pour distinguer de toutes les autres femmes celle qui conçut et enfanta sans cesser d’être vierge. Cependant Marie, à l’exemple de Jésus-Christ son fils, se soumet d’elle-même à cette loi, pour nous délivrer du joug de la loi. — Tite. Aussi l’Évangéliste se sert-il de cette expression pleine de justesse « Lorsque les jours de sa purification furent accomplis selon la loi. » Et en réalité la Vierge sainte n’avait nul besoin d’attendre le jour de sa purification, elle qui, ayant conçu de l’Esprit saint, n’avait contracté aucune souillure.

« Ils le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur. » — S. Athan. (Ch. Des Pèr. gr.) Mais quand donc le Seigneur cessa-t-il un seul instant d’être en la présence de son Père, de manière à échapper à ses regards ? et quel est l’endroit de la terre qui ne soit pas soumis à son empire, et où le Fils soit séparé de son Père, à moins qu’on ne l’apporte à Jérusalem et qu’on le présente au temple ? N’oublions pas que toutes ces circonstances sont écrites à cause de nous ; car de même que ce n’est point pour lui que le Sauveur s’est fait homme, et qu’il a été circoncis, mais pour faire de nous comme autant de dieux par sa grâce, et nous donner l’exemple de la circoncision spirituelle ; de même, il se présente à son Père, pour nous apprendre à nous offrir tout entiers au Seigneur. — Bède. C’est le trente-troisième jour après la circoncision qu’il est présenté au temple, pour nous apprendre dans un sens mystique, que pour être digne des regards du Seigneur, il faut avoir retranché tous les vices par la circoncision spirituelle, et qu’à moins d’être affranchi de tous les biens de la mortalité, on ne peut entrer pleinement dans les joies de la cité céleste.

 

« Comme il est écrit dans la loi du Seigneur. » Orig. (hom. 14.) Où sont ceux qui nient que Jésus-Christ ait prêché dans l’Évangile le Dieu de la loi ? Admettra-t-on que le Dieu bon ait assujetti son Fils à la loi de son ennemi, que lui-même n’avait point donnée ? En effet, il est écrit dans la loi de Moïse : « Tout mâle ouvrant le sein de sa mère sera appelé la chose sainte du Seigneur. » — Ces paroles : « Ouvrant le sein de sa mère, » s’appliquent également au premier né de l’homme et des animaux, l’un et l’autre, selon la loi, devaient être offerts au Seigneur, et appartenir au prêtre, avec cette différence que pour le premier né de l’homme, il devait en recevoir le prix, et qu’il faisait racheter le premier né de tout animal immonde. — S. Grég. de Nysse. Cette prescription de la loi parait s’accomplir dans le Dieu incarné d’une manière toute particulière et toute exceptionnelle. Il est le seul, en effet, dont la conception ineffable et la naissance incompréhensible n’ait point ouvert le sein virginal que le mariage avait respecté, et qui a conservé miraculeusement après ce divin enfantement le sceau de la chasteté. — S. Amb. Car ce n’est point l’union conjugale qui a ouvert le chaste sein de la Vierge, mais l’Esprit saint qui a déposé dans ce sanctuaire inviolable le principe d’une naissance immaculée. Celui qui avait sanctifié le sein d’une autre femme pour la rendre mère d’un prophète, ouvrit lui-même le sein de sa mère pour en sortir sain et sans aucune souillure. — Bède. L’Évangéliste, en disant : « Tout mâle qui ouvre le sein de sa mère, » ne fait que s’accommoder au langage en usage pour les naissances ordinaires ; car loin de nous la pensée que le Seigneur ait fait perdre par sa naissance la virginité au chaste sein qu’il avait sanctifié en y venant faire sa demeure. — S. Grég. de Nysse. (comme précéd.) C’est ici le seul enfant mâle qui, dans sa naissance, n’a rien contracté de la faute de la première femme. Aussi est-il appelé saint dans la force du terme, et l’ange Gabriel déclare pour ainsi dire que cette dénomination consacrée par la loi n’appartient qu’à lui seul, lorsqu’il dit : « Le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu. » Pour les autres premiers nés, ils sont appelés saints, dans le style des Écritures, parce qu’ils tiennent ce nom de leur consécration à Dieu ; mais quant au premier né de toute créature, l’ange proclame qu’il naît saint d’une sainteté qui lui appartient en propre. — S. Amb. Mais entre tous les enfants nés de la femme, Notre-Seigneur Jésus-Christ est le seul que le miracle inouï jusqu’alors de sa naissance immaculée ait préservé de la contagion de la corruption terrestre, qu’il a écarté par sa puissance toute divine. Si nous prenions les choses au pied de la lettre, comment pourrait-on dire que tout enfant mâle est saint, alors que nous savons qu’un grand nombre d’entre eux ont été les plus scélérats des hommes ? Mais celui-là seul est véritablement saint, que les préceptes de la loi divine annonçaient d’avance en figure du mystère qui devait s’accomplir, parce que seul il devait ouvrir le sein mystérieux de la sainte Église vierge, pour engendrer tous les peuples à Dieu.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr., hom. 17.) O profondeur des conseils de la sagesse et de la science de Dieu ! celui qui est honoré avec son Père dans tous les sacrifices, lui offre lui-même des victimes ; la vérité observe les cérémonies figuratives de la loi, celui qui comme Dieu est l’auteur de la loi, se soumet comme homme aux prescriptions de la loi : « Et pour offrir en sacrifice, ainsi que le prescrit la loi du Seigneur, deux tourterelles ou deux petits de colombes » (Lv 16). — Bède. (hom. sur la Purific.) C’était l’offrande des pauvres ; en effet, d’après la loi, ceux qui en avaient le moyen devaient offrir pour un enfant mâle ou pour une fille, un agneau, et en même temps une tourterelle ou une colombe : s’ils étaient pauvres et n’avaient pas le moyen d’offrir un agneau, ils offraient à la place deux tourterelles ou deux petits de colombe. Ainsi le Seigneur, de riche qu’il était, a daigné se faire pauvre, afin de nous faire entrer par sa pauvreté en participation de ses richesses.

S. Cyr. (comme précéd.) Examinons quelle est la signification mystérieuse de ces offrandes. La tourterelle est de tous les oiseaux celle dont le chant est le plus fréquent et le plus continu ; et la colombe est un animal plein de douceur. Or, c’est sous ces deux qualités que notre Sauveur s’est présenté à nous, toute sa vie a été le modèle de la plus parfaite douceur, et comme la tourterelle il a attiré à lui tout l’univers, en remplissant son jardin de ses célestes mélodies (cf. Ct 2, 1). On immolait donc une tourterelle ou une colombe en figure de celui qui devait être immolé pour la vie du monde. — Bède. (comme précéd.) Ou bien la colombe est le symbole de la simplicité, et la tourterelle l’emblème de la chasteté, parce que la colombe aime par instinct la simplicité, et la tourterelle la chasteté. En effet, si la tourterelle vient à perdre sa compagne, elle n’en cherche pas une autre. C’est donc pour une raison mystérieuse qu’on offrait à Dieu une tourterelle et une colombe pour être immolés, parce que la vie simple et chaste des fidèles est aux yeux de Dieu un sacrifice agréable de justice. — S. Athan. (ch. des Pèr. gr.) La loi ordonnait d’offrir deux de ces oiseaux, parce que l’homme étant composé d’un corps et d’une âme, Dieu demande de nous deux choses, la chasteté et la douceur, non seulement du corps, mais aussi de l’âme ; autrement l’homme ne serait à ses yeux qu’un hypocrite cherchant à dissimuler la malice secrète de son coeur, sous les dehors d’une innocente trompeuse. — Bède. (comme précéd.) Ces deux oiseaux, par l’habitude qu’ils ont de gémir, sont l’emblème des pieux gémissements des saints pendant la vie présente ; ils diffèrent cependant en ce que la tourterelle recherche la solitude, tandis que la colombe aime à voler par compagnies. Aussi l’une représente plus particulièrement les larmes secrètes de l’oraison, et l’autre les assemblées publiques de l’Église. — Bède (sur S. Luc.) Ou bien encore la colombe qui aime à voler par troupes, signifie le grand nombre de ceux qui mènent la vie active ; la tourterelle qui recherche la solitude représente les âmes qui gravissent les hauteurs de la vie contemplative. Ces deux offrandes sont également agréables à Dieu, aussi est-ce avec dessein que saint Luc ne précise pas si on a offert au Seigneur des tourterelles ou des petits de colombes, pour ne point paraître donner la préférence à l’un de ces deux genres de vie, mais nous enseigner que nous devions suivre l’un et l’autre.

 

 

Vv. 25-28.

S. Ambr. Ce ne sont pas seulement les anges et les prophètes, les bergers et les parents eux-mêmes de Jésus, mais les vieillards et les justes qui viennent rendre témoignage à sa naissance : « Or il y avait à Jérusalem un homme appelé Siméon, il était juste et craignant Dieu. » — Bède. L’Évangéliste nous dit qu’il était juste et craignant Dieu, parce qu’il est difficile de conserver la justice sans la crainte, non pas cette crainte qui redoute de se voir enlever les biens de la terre (et que la charité parfaite chasse dehors), mais cette chaste crainte de Dieu qui demeure éternellement, et qui porte le juste à fuir toute offense de Dieu, d’autant plus soigneusement qu’il a pour lui un amour plus ardent. — S. Ambr. Oui il était véritablement juste, lui qui cherchait, non pas sa consolation, mais celle de son peuple : « Et il attendait la consolation d’Israël. » — S. Grég. de Nysse (comme précéd.) Ce n’est point la félicité de ce monde que le sage Siméon attendait pour la consolation d’Israël, mais le vrai passage pour son peuple aux splendeurs de la vérité qui devaient l’arracher aux ombres de la loi, car il lui avait été révélé qu’il verrait le Christ du Seigneur avant de quitter la terre : « Et l’Esprit saint était en lui (comme principe de sa justice), et il lui avait été révélé, » etc. — S. Ambr. IL désirait sans doute voir se briser les liens qui l’attachaient à ce corps fragile et périssable, mais il attendait de voir celui qui était promis, car il savait qu’heureux seraient les yeux qui mériteraient de le voir. — S. Grég. (Moral., 7, 4.) Nous pouvons juger de là combien vifs et ardents étaient les désirs des saints du peuple d’Israël, pour voir le mystère de l’incarnation du Sauveur. — Bède. Voir la mort, c’est en subir les atteintes, mais heureux mille fois celui qui, avant de voir la dissolution de son corps par la mort, se sera efforcé de voir auparavant des yeux du coeur, le Christ du Seigneur, en transportant par avance sa vie dans la céleste Jérusalem, en fréquentant la maison de Dieu, c’est-à-dire, en suivant les exemples des saints, dans lesquels Dieu a fixé sa demeure. Or, c’est la même grâce de l’Esprit saint, qui lui avait annoncé par avance l’avènement du Sauveur, qui lui fait connaître le moment de sa venue : « Et il vint au temple conduit par l’Esprit. »

 

Orig. (hom. 14.) Et vous aussi, si vous voulez tenir Jésus et le serrer entre vos bras, faites tous vos efforts pour que l’Esprit saint lui-même vous serve de guide au temple de Dieu : « Et comme la parenté de l’enfant Jésus (Marie sa mère, et Joseph qui passait pour son père), l’y apportaient, afin d’accomplir pour lui ce qu’ordonnait la loi, il le prit dans ses bras. » — S. Grég. de Nysse. Quelle est heureuse l’entrée de ce saint vieillard dans le temple, puisqu’elle l’approche du terme désiré de sa vie ! Heureuses ses mains qui ont mérité de toucher le Verbe de vie ; heureux ses bras qu’il ouvrit pour recevoir l’enfant divin. — Bède. Cet homme qui était juste selon la loi, prit l’enfant Jésus dans ses bras, pour signifier que la justice des oeuvres légales figurées par les mains et par les bras, devait faire place à la grâce humble mais efficace et salutaire de la foi évangélique. Ce saint vieillard prit dans ses bras Jésus enfant, pour annoncer que ce siècle accablé, décrépit de vieillesse, allait revenir à l’enfance et à l’innocence de la vie chrétienne.

 

 

Vv. 29-32.

Orig. (hom. 15.) S’il suffit à une femme malade de toucher simplement le bord du vêtement de Jésus pour être guérie, que devons-nous penser de Siméon, qui tint ce divin enfant dans ses bras ? Quelle dut être sa joie de porter dans ses bras celui qui était venu pour briser les chaînes des captifs, et qui seul, il le savait, pouvait le tirer de la prison de son corps avec l’espérance de la vie future ? « Et il bénit Dieu en disant : C’est maintenant, Seigneur, que vous laisserez aller en paix votre serviteur. » — Théophyl. En disant : Seigneur, il reconnaît qu’il est le maître de la mort et de la vie, et il proclame la divinité de l’enfant qu’il reçoit dans ses bras. — Orig. Il semble dire : Tant que je ne tenais pas le Christ dans mes bras, j’étais captif et je ne pouvais briser mes liens. — S. Bas. (hom. sur l’act. de gr.) Si vous examinez les paroles des justes, vous trouverez que tous gémissent sur les misères de ce monde, et sur la triste prolongation de cette vie : « Malheur à moi, dit David, parce que mon exil s’est prolongé. » (Ps 119.) — S. Ambr. Considérez ce juste qui désire voir tomber les murs épais de la prison de son corps pour commencer à être avec Jésus-Christ. Mais que celui qui veut sincèrement sa délivrance, vienne dans le temple, qu’il se rende à Jérusalem, qu’il attende la venue du Christ du Seigneur, qu’il reçoive dans ses mains le Verbe de Dieu, et qu’il le tienne embrassé pour ainsi dire dans les bras de sa foi ; alors les liens se briseront, et il ne verra point la mort, parce qu’il aura vu de ses yeux celui qui est la vie.

 

Ch. des Pèr. Gr. Siméon bénit Dieu de ce que surtout les promesses qui lui avaient été faites, avaient reçu leur plein accomplissement, car il mérita de voir de ses yeux et de porter dans ses bras celui qui était la consolation d’Israël, c’est pour cela qu’il dit : « Selon votre parole, » c’est-à-dire, lorsque j’aurai vu l’accomplissement de ce qui m’a été promis. Mais maintenant que j’ai contemplé la présence visible de celui qui était l’objet de mes désirs, vous pouvez délivrer votre serviteur qui ne sera ni effrayé des approches de la mort, ni troublé par aucune pensée de défiance ou d’incertitude ; aussi ajoute-t-il : « En paix. » — S. Grég. de Nysse. Dès que Jésus-Christ a détruit le péché qui nous rendait les ennemis de Dieu et qu’il nous a réconciliés avec son Père, les saints quittent cette vie dans une profonde paix. — Orig. Quel est celui, en effet, qui sort de ce monde en paix, si ce n’est celui qui a compris que Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde (2 Co 5), qui n’a rien en lui de contraire à Dieu, mais qui, par ses bonnes oeuvres, a établi dans son âme une paix parfaite ? — Ch. des Pèr. gr. Il lui avait été promis qu’il ne mourrait point avant d’avoir vu le Christ du Seigneur, et il montre l’accomplissement de cette promesse dans les paroles suivantes : « Parce que mes yeux ont vu le Sauveur que vous nous donnez. » — S. Grég. de Nysse. Bienheureux les yeux et de votre âme et de votre corps, ceux-ci, parce qu’ils ont joui de la présence visible de Dieu ; ceux-là, parce que sans s’arrêter à ce spectacle visible, ils ont été éclairés des splendeurs de l’Esprit et ont reconnu le Verbe de Dieu dans une chair mortelle, car ce Sauveur que vos yeux ont vu, c’est Jésus lui-même, dont le nom seul annonce le salut à la terre. — S. Cyr. Or l’avènement du Christ était ce mystère qui a été révélé dans les derniers temps, mais qui avait été préparé dès l’origine du monde, c’est pour cela que Siméon ajoute : « Que vous avez préparé devant la face de tous les peuples, » etc. — S. Athan. Il veut parler ici du salut que Jésus-Christ est venu apporter à l’univers entier. Comment donc est-il dit plus haut que Siméon attendait la consolation d’Israël ? C’est que l’Esprit saint lui avait fait connaître, que le peuple d’Israël recevrait sa consolation, lorsque le salut serait révélé à tous les peuples de la terre. — Ch. des Pèr. gr. Considérez la pénétration de ce saint et auguste vieillard : avant qu’il fût honoré de cette bienheureuse vision, il attendait la consolation d’Israël, mais aussitôt qu’il a contemplé l’objet de ses espérances, il s’écrie qu’il a vu le salut de tous les peuples, car les splendeurs qui environnent ce divin enfant l’inondent d’une si vive lumière, que les événements qui doivent arriver dans la suite des temps lui sont pleinement révélés. — Théophyl. C’est d’une manière significative que Siméon dit : « Devant la face de tous les peuples, » car l’incarnation du Sauveur devait apparaître à tous les hommes. Il ajoute que ce salut sera la lumière des nations et la gloire d’Israël : « Pour être la lumière qui éclairera les nations. » — S. Athan. En effet, avant l’avènement de Jésus-Christ, les nations étaient plongées dans les plus profondes ténèbres, privées qu’elles étaient de la connaissance du vrai Dieu. — S. Cyr. Mais Jésus-Christ, par son incarnation, est devenu la lumière de ceux qui étaient ensevelis dans les ténèbres de l’ignorance et de l’erreur, et sur lesquels la main du démon s’était appesantie ; et ils ont été appelés par Dieu le Père à la connaissance de son Fils, qui est la vraie lumière. — S. Athan. Le peuple d’Israël était éclairé, quoique faiblement, par la loi, aussi le vieillard Siméon ne dit pas que le Sauveur est venu leur apporter la lumière, mais il ajoute : « Pour être la gloire d’Israël, votre peuple. » Il rappelle le souvenir de l’histoire des anciens temps, alors que Moise sortait de ses entretiens avec Dieu, la figure toute rayonnante de gloire ; ainsi après avoir eux-mêmes contemplé la divine lumière que répand l’humanité du Verbe, ils devaient rejeter le voile ancien pour être transformés en la même image de clarté en clarté, et de gloire en gloire. — S. Cyr. Car bien qu’un certain nombre d’entre eux se soient montrés rebelles, cependant ceux que Dieu s’est réservés ont été sauvés, et sont parvenus à la gloire par Jésus-Christ notre Seigneur. Les saints Apôtres qui ont éclairé tout l’univers de la lumière de leur céleste doctrine, ont été les prémices de ce peuple. Jésus-Christ lui-même a été personnellement la gloire du peuple d’Israël, parce qu’il a daigné sortir de ce peuple selon la chair, lui qui comme Dieu est le maître de tous les hommes et béni dans tous les siècles. — S. Grég. de Nysse. Siméon dit avec dessein : « De votre peuple, » parce que non seulement il en a été adoré, mais il a voulu naître de ce peuple selon la chair. — Béde. Il dit qu’il sera la lumière des nations, avant d’ajouter : « Et la gloire d’Israël, » parce que tout Israël ne sera sauvé que lorsque la multitude des nations sera entrée dans l’Église (Rm 11).

 

Vv. 33-35.

Ch. des Pèr. gr. Chaque fois que la connaissance des choses surnaturelles revient à la mémoire, chaque fois aussi elles produisent dans l’âme un nouveau sentiment d’admiration et d’étonnement : « Et le père et la mère de Jésus étaient dans l’admiration des choses que l’on disait de lui. » — Orig. (hom. 19.) Des choses qui avaient été annoncées par l’ange et publiées par la multitude de l’armée céleste, aussi bien que par les bergers et par Siméon lui-même. — Bède. Joseph est appelé le père du Sauveur, non qu’il soit véritablement son père (comme les photiniens l’ont osé blasphémer), mais parce que Dieu voulait qu’il passât aux yeux de tous pour son père, afin de sauvegarder la réputation de Marie. — S. Aug. Il peut être appelé d’ailleurs le père de Jésus dans le même sens qu’il est appelé l’époux de Marie, sans avoir avec elle aucun rapport charnel, et par le seul fait de l’union conjugale ; et à ce titre il est son père d’une manière plus étroite que s’il l’avait adopté pour son enfant. Car pourquoi refuser à Joseph le nom de père de Jésus-Christ, parce qu’il ne l’avait ras. engendré, alors qu’il pourrait être appelé très-bien le père d’un enfant qu’il aurait adopté, sans même que son épouse en fût la mère ? — Orig. Si l’on désire une raison plus élevée, voici ce que l’on peut répondre : La suite de la généalogie descend de David à Joseph ; or, on ne verrait pas trop pourquoi le nom de Joseph s’y trouve, puisqu’il n’est pas le père du Sauveur ; il est donc appelé le père du Seigneur, pour ne point déranger l’ordre de la généalogie.

Ch. des Pèr. gr. Après avoir offert à Dieu un juste tribut de louanges, Siméon bénit à leur tour ceux qui ont apporté l’enfant au temple : « Et Siméon les bénit. » Cette bénédiction s’adresse à tous les deux, mais il réserve pour la mère de Jésus la prédiction des secrets divins. La bénédiction commune à Joseph et à Marie, respecte les droits que lui donne son titre de père ; mais la prédiction que Siméon fait à Marie sente proclame hautement qu’elle est la véritable mère de Jésus : « Et il dit à Marie, sa mère, » etc. — S. Amb. La grâce de Dieu se répand sur tous avec abondance par la naissance du Sauveur, et si le don de prophétie est refusé aux incrédules, il est accordé aux justes ; Siméon prophétise que Jésus est venu pour la ruine et la résurrection de plusieurs. — Orig. (hom. 17.) D’après l’explication la plus simple, on peut dire que Jésus-Christ est venu pour la ruine des infidèles et pour le salut de ceux qui croient. — S. Chrys. (ch. des Pèr. gr.) La lumière, bien qu’elle fatigue et trouble les yeux débiles, mie laisse pas d’être toujours la lumière ; ainsi le Sauveur ne cesse point d’être Sauveur, quoiqu’un grand nombre d’hommes se perdent. Leur ruine, en effet, n’est point son œuvre, elle est l’oeuvre de leur folie. Aussi sa puissance éclate à la fois dans le salut des bons, et dans la ruine des méchants ; car plus le soleil est brillant, plus il éblouit et trouble les yeux affaiblis.

S. Grég. de Nysse. (Ch. des Pèr. gr.) Considérez attentivement avec quel heureux choix d’expressions il fait ressortir cette distinction ; la révélation du salut doit se faire devant tout le peuple, mais la ruine et le salut ne sont le partage que d’un grand nombre. Dieu, en effet, se propose le salut de tous les hommes, et leur élévation à une gloire toute divine, mais le salut et la perte dépendent de la volonté d’un grand nombre, de ceux qui embrassent la foi, et de ceux qui la rejettent. Or, il n’y a rien d’absurde à croire que ceux qui sont abattus, et que les incrédules soient relevés. — Orig. Un interprète trop subtil objectera peut-être que nul ne peut tomber s’il n’était préalablement debout ; qu’il me dise donc quel est celui que le Sauveur a trouvé debout, et pour la ruine duquel il serait venu. — S. Grég. de Nysse. Le saint vieillard Siméon veut donc ici parler d’une ruine entière et profonde, c’est-à-dire que le châtiment des coupables ne devait pas être, après l’accomplissement du mystère de l’incarnation et la prédication de l’Évangile, le même qu’il était avant la venue du Sauveur. Et il a surtout en vue les enfants d’Israël qui devaient perdre tous les biens dont ils jouissaient, et encourir des châtiments plus terribles que toutes les autres nations, parce qu’ils ont refusé de recevoir celui que leurs prophètes avaient annoncé, celui qui a été adoré parmi eux, celui qui est né du milieu d’eux. Ils sont donc particulièrement menacés de ruine, non seulement parce qu’ils n’ont rien à espérer pour le salut de leurs âmes, mais parce qu’ils verront l’entière destruction de leur ville et de ses habitants. Au contraire, la résurrection est promise à tous ceux qui croient, tant à ceux qui sont comme abattus sous le joug de la loi et qui seront relevés de cette servitude, qu’à ceux qui sont ensevelis avec Jésus-Christ, et qui ressusciteront avec lui. — Idem. (serm. sur la renc. du Seig.) De l’admirable concordance de ces paroles avec les oracles prophétiques, apprenez que c’est un seul et même Dieu, un seul et même législateur qui a parlé dans les prophètes et dans le Nouveau Testament. En effet, les prophètes ont annoncé que le Christ serait une pierre de chute, une pierre de scandale (Ps 117, 22 ; Mt 21, 42 ; Is 8, 14 ; Rm 9, 33), afin que ceux qui croient en lui ne soient pas confondus. Il est donc une cause de ruine pour ceux qui sont scandalisés de l’humilité de sa chair, et un principe de résurrection pour ceux qui ont reconnu la certitude de l’accomplissement des conseils divins.

Orig. Il y a encore ici une leçon plus élevée à l’adresse de ceux qui se récrient contre le Dieu créateur en disant : « Voyez quel est ce Dieu de la loi et des prophètes : C’est moi, dit-il, qui fais mourir, et c’est moi qui rend la vie. » (Dt 32.) Or, si à cause de ces paroles vous le traitez de juge cruel et de créateur barbare, il est on ne peut plus évident que Jésus est son fils ; car l’Écriture ne s’explique pas autrement à son égard, en disant qu’il est venu pour la fume et la résurrection de plusieurs. — S. Ambr. C’est-à-dire qu’il est venu pour apprécier et juger les mérites des justes et des pécheurs, et nous décerner, en juge équitable et intègre, des châtiments ou des récompenses, selon la nature de nos oeuvres. — Orig. (hom. 17.) Il n’est peut-être pas inutile de remarquer que le Sauveur n’est pas venu à l’égard de tous pour la ruine et pour la résurrection, entendues dans le même sens. En effet, comme je me tenais debout dans le péché, il a été d’abord dans mon intérêt de tomber, et de mourir au péché ; et les prophètes eux-mêmes, quand une vision auguste se révélait à leurs yeux, tombaient la face contre terre, afin de se purifier davantage de leurs péchés par cette chute volontaire. Le Sauveur vous accorde d’abord la même grâce. Vous étiez pécheur ; que le pécheur qui est en vous, tombe et meure, pour que vous puissiez ressusciter et dire : « Si nous mourons avec lui, nous vivrons aussi avec lui. » (2 Tim 2.) — S. Chrys. Or, la résurrection, c’est une vie toute nouvelle ; lorsqu’un impudique devient chaste, un avare miséricordieux, un homme violent, plein de douceur, c’est une véritable résurrection, où nous voyons le péché frappé de mort, et la justice ressuscitée.

« Et en signe que l’on contredira. » — S. Bas. La croix est appelée par l’Écriture, dans un sens véritable, un signe de contradiction ; car il est dit que Moïse fit un serpent d’airain, et l’éleva pour être un signe. (Nb 21.) — S. Grég. de Nysse. (Ch. des Pèr. gr.) L’ignominie se trouve ici mêlée à la gloire. Ce signe nous offre, à nous chrétiens, ce double caractère de contradiction, lorsque les uns n’y voient qu’un objet de dérision et d’horreur ; de gloire, lorsqu’il est pour les autres un signe auguste et vénérable. Peut-être aussi est-ce Jésus-Christ lui-même qui est ce signe, lui qui est supérieur à toute la nature, et l’auteur de tous les signes miraculeux. — S. Bas. En effet, un signe est comme un indice qui nous fait connaître une chose mystérieuse et cachée ; les plus simples voient le signe extérieur, mais il n’est compris que de ceux qui ont l’intelligence exercée. — Orig. (hom. 17.) Or, tout ce que l’histoire évangélique nous raconte de Jésus-Christ est contredit, non pas, sans doute, par nous qui croyons en lui, et qui savons que tout ce qui est écrit de lui est la vérité, mais par les incrédules, pour lesquels tout ce que l’Écriture nous rapporte du Sauveur est un signe et un objet de contradiction.

S. Grég. de Nysse. Cette prédiction concerne le Fils, mais elle s’adresse aussi à sa mère qui partage tous ses dangers comme toutes ses gloires, et le vieillard Siméon ne lui prédit pas seulement des joies, mais des afflictions et des douleurs : « Et votre âme sera percée d’un glaive. » — Bède. Nous ne voyons dans aucune histoire que Marie ait fini ses jours par le glaive, d’ailleurs ce n’est pas l’âme, mais le corps qui est accessible aux coups mortels du glaive. Il nous faut donc entendre ici ce glaive dont le Psalmiste a dit : « Ils ont un glaive sur leurs lèvres (Ps 58), et c’est ce glaive, c’est-à-dire la douleur que Marie éprouva de la passion du Sauveur, qui transperça son âme. Car bien qu’elle sût que Jésus-Christ, comme Fils de Dieu, mourait, parce qu’il le voulait, et qu’elle ne doutât nullement qu’il triompherait de la mort, cependant elle ne put voir crucifier le propre fils de ses entrailles sans un vif sentiment de douleur. — S. Ambr. Ou bien peut-être Siméon veut-il nous apprendre par ces paroles, que Marie n’ignorait point le secret des célestes mystères ; car le Verbe de Dieu est vivant et efficace, et plus pénétrant que le glaive le plus aigu et le plus tranchant (Hb 4.) — S. Aug. (Quest. sur l’Anc. et le Nouv. Test., chap. 73). Ou bien enfin, peut-être veut-il signifier que Marie elle-même, par laquelle s’est accompli le mystère de l’incarnation, a eu à la mort du Seigneur, et sous l’impression de la douleur comme un moment de doute et d’hésitation, en voyant le Fils de Dieu réduit à ce degré d’humiliation qui le faisait mourir sur une croix. Et de même qu’un glaive qui ne fait qu’effleurer un homme, lui donne un vif sentiment de crainte, mais sans le blesser ; ainsi le doute lui inspira un vif sentiment de tristesse, mais sans donner la mort, parce qu’il ne s’arrêta pas dans son âme, mais la traversa seulement comme une ombre.

S. Grég. de Nysse. La mère de Jésus n’est point la seule dont le vieillard Siméon nous prédit les sentiments au temps de la passion du Sauveur ; il ajoute : « Afin que les pensées cachées dans le coeur de plusieurs soient découvertes. » Cette manière de parler indique tout simplement le fait qui doit arriver, et nullement la cause qui le produit. En effet, à la suite de tous ces événements, le voile qui couvrait les intentions d’un grand nombre, fut découvert ; les uns reconnaissaient un Dieu dans celui qui mourait sur la croix, les autres, malgré cet affreux supplice, ne cessaient de l’accabler d’injures et d’outrages. Ou bien ces paroles signifient qu’au temps de la passion, on vit à découvert les pensées d’un grand nombre de coeurs, à qui la résurrection inspira ensuite de meilleurs sentiments ; car le doute de quelques instants fit bientôt place à une certitude inébranlable. Peut-être encore le mot révélation a ici le sens d’illumination, comme dans beaucoup d’autres endroits de l’Écriture. — Bède. Jusqu’à la fin du monde, l’âme de l’Église est toujours traversée par le glaive de la plus amère tribulation, lorsqu’elle voit, en gémissant, que le signe de la foi est en butte aux contradictions des méchants, lorsqu’à la prédication de la parole de Dieu, elle en voit un grand nombre ressusciter à la vie avec Jésus-Christ, mais un grand nombre aussi tomber des hauteurs de la foi dans l’abîme de l’incrédulité ; lorsque, pénétrant les pensées cachées dans le coeur d’une multitude de chrétiens, elle s’aperçoit que là où elle avait semé la bonne semence de l’Évangile, l’ivraie des vices l’emporte sur cette bonne semence, et quelque fois l’étouffe et la remplace entièrement. — Orig. (hom. 17.) Il y avait dans les hommes bien des pensées mauvaises qui ont été révélées, pour être détruites par celui qui a voulu mourir pour nous ; car tant qu’elles demeuraient cachées, il était impossible de les détruire entièrement. Si donc nous avons péché, nous devons dire avec le Roi-prophète : « Je n’ai point caché mon iniquité » (Ps 31, 3 ; cf. Job 31, 33) ; car si nous découvrons nos péchés, non seulement à Dieu, mais à ceux qui ont le pouvoir de guérir les blessures de notre âme, nos péchés seront complètement effacés.

 

Vv. 36-38.

S. Ambr. Siméon avait prophétisé, une femme mariée avait prophétisé, une vierge avait prophétisé ; il fallait qu’une veuve aussi eût part à ce don de prophétie, pour que chaque condition, comme chaque sexe fût représenté dans cette circonstance : « Il y avait aussi une prophétesse nommée Anne, fille de Phanuel, » etc. — Théophyl. L’Évangéliste entre dans tous les détails qui peuvent nous faire connaître cette sainte prophétesse, il nous dit quel était son père, sa tribu, et semble produire de nombreux témoins qui connaissaient son père et sa tribu. — S. Grég. de Nysse. (serm. sur la renc. du Seig.) Ou bien peut-être alors, d’autres personnes portaient le même nom. Il fallait donc, pour la désigner plus clairement, dire quel était son père, sa famille et sa condition.

S. Ambr. Anne, par le mérite d’une longue viduité et par ses vertus, se présente avec tous les titres qui la rendent digne d’annoncer le Rédempteur de tous les hommes : « Elle était avancée en âge, elle n’avait vécu que sept ans avec son mari, » etc. — Orig. (hom. 17.) Ce n’est point fortuitement et sans mérite de sa part que l’Esprit saint avait fixé en elle sa demeure. La première et la plus excellente grâce, c’est la grâce de la virginité ; mais si une femme n’a pu y atteindre, et qu’elle vienne à perdre son mari, qu’elle reste veuve, et qu’elle soit dans cette disposition, non seulement après la mort de son mari, mais lorsqu’il vit encore ; ainsi, en supposant même qu’elle ne devienne pas veuve, Dieu couronnera sa bonne volonté et sa généreuse résolution. Voici donc le langage qu’elle doit tenir : Je fais voeu, je promets, si ce malheur m’arrive (ce que je suis loin de désirer), de ne plus songer qu’à rester veuve et chaste toute ma vie. C’est donc à juste titre que cette sainte femme mérita de recevoir l’esprit de prophétie, parce que tant d’années passées dans la pratique de la chasteté, dans les jeûnes et dans les prières, l’avaient élevé à ce haut degré de sainteté : « Elle ne quittait point le temple, servant Dieu, » etc. — S. Grég. de Nysse. Nous voyons par cette énumération qu’elle possédait toutes les autres vertus. Et voyez quelle conformité de vertus avec Siméon. Ils étaient ensemble dans le temple, ils furent tous deux, au même moment, jugés dignes du don de prophétie : « Et, survenant à cette même heure, elle louait le Seigneur, » c’est-à-dire qu’elle lui rendait grâce en voyant le salut du monde au milieu du peuple d’Israël, et elle proclamait que Jésus était à la fois Rédempteur et le Sauveur de tous les hommes : « Et elle parlait de lui à tous ceux qui attendaient la rédemption d’Israël. » Mais comme la prophétesse Anne parle peu du Christ, et en termes peu précis, l’Évangéliste n’a pas cru devoir rapporter ses propres expressions. Peut-être pourrait-on dire que Siméon a parlé le premier, parce qu’il représentait la loi (car son nom veut dire obéissance), tandis qu’Anne (suivant l’interprétation de son nom), représentait la grâce. Le Christ se trouvait entre les deux, il laisse donc mourir avec la loi le vieillard Siméon, tandis qu’il prolonge la vie de cette sainte veuve qui représente la vie de la grâce.

Bède. Dans le sens allégorique, Anne est la figure de l’Église qui, dans la vie présente, est comme veuve par la mort de son époux. Le nombre des années de sa viduité représente la durée du pèlerinage de l’Église loin du Seigneur. En effet, sept fois douze font quatre-vingt-quatre. Or, le nombre sept exprime la suite des siècles (qui sont compris dans l’espace de sept jours), et le nombre douze se rapporte à la perfection de la doctrine apostolique. On peut donc dire, soit de l’Église universelle, soit de toute âme fidèle qui, dans tout le cours de sa vie, demeure fidèle à la doctrine des Apôtres, qu’elle a servi le Seigneur pendant quatre-vingt-quatre ans. Les sept ans qu’elle avait passés avec son mari rentrent aussi dans cette interprétation ; car c’est par suite d’un privilège particulier à la majesté du Seigneur, de sa vie mortelle, que le nombre de sept années a été choisi pour exprimer la perfection. La prophétesse Anne est également favorable à ces significations mystérieuses, qui ont l’Église pour objet ; car Anne veut dire sa grâce, elle est fille de Phanuel, qui signifie face de Dieu, elle est de la tribu d’Aser, qui veut dire bienheureux.

 

Vv. 39-41.

Bède. Saint Luc omet ici ce qu’il savait avoir été raconté par saint Matthieu, c’est-à-dire, la fuite en Égypte, où les parents de l’enfant Jésus le transportèrent pour le dérober aux recherches homicides du roi Hérode ; et après la mort de ce tyran, le retour en Galilée, dans la ville de Nazareth, où le Sauveur fixa son séjour. Les Évangélistes ont coutume en effet d’omettre certains faits qu’ils savent avoir été racontés, ou qu’ils prévoient, en vertu de l’inspiration, devoir l’être par les autres Évangélistes. ils poursuivent donc la suite de leur récit comme s’ils n’avaient omis aucun fait intermédiaire. Toutefois, un lecteur attentif, en comparant avec soin le récit d’un autre Évangéliste, voit immédiatement où les faits qui ont été omis doivent trouver place. Saint Luc donc, passant sous silence plusieurs de ces faits intermédiaires, continue ainsi son récit : « Et après qu’ils eurent accomplis, » etc. — Théophyl. Bethléem était leur ville comme patrie, et Nazareth l’était comme lieu de leur domicile.

 

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 9.) On peut être surpris que saint Matthieu donne pour motif du retour des parents avec l’enfant dans la Galilée, la crainte qu’ils avaient d’Archélaüs, et qui les empêchait de se fixer dans la Judée, tandis que le motif déterminant de leur retour en Galilée, c’est que Nazareth, située dans la Galilée, était leur ville, comme saint Luc le remarque en cet endroit. Voici l’explication de cette difficulté : Lorsque l’ange apparaît en Égypte à Joseph pendant son sommeil, pour lui dire : « Levez-vous, prenez l’enfant et sa mère, et allez dans la terre d’Israël, » on peut très bien entendre que Joseph crut que l’ange lui donnait l’ordre de retourner en Judée, qui put se présenter la première à son esprit sous le nom de terre d’Israël. Mais lorsqu’ensuite il eut appris qu’Archélaüs, fils d’Hérode, régnait en Judée, il ne voulut point s’exposer à un si grand danger, d’autant plus que par terre d’Israël, il pouvait aussi bien entendre la Galilée, puisque le peuple d’Israël l’habitait également. — Ch. des Pèr. gr. ou Métaphr. Ou bien encore, on peut dire que saint Luc parle ici du temps qui précède la fuite en Egypte, car Joseph ne fut point parti avant le temps de la purification de Marie. Or, avant de fuir en Egypte, aucune révélation ne les avait avertis d’aller à Nazareth, et ils s’y rendaient naturellement pour habiter de préférence dans leur patrie. En effet, ils n’étaient venus à Bethléem que pour s’y faire inscrire, et après avoir satisfait à la loi du dénombrement qui avait déterminé leur voyage, ils retournent à Nazareth.

Théophyl. Le Sauveur aurait pu naître et sortir du sein de sa mère dans la plénitude de l’âge, mais ce développement instantané eut paru dépourvu de réalité, il veut donc croître par degrés et en suivant les progrès de l’âge : « L’enfant croissait et se fortifiait. » — Bède. IL faut faire attention à la signification bien distincte de ces paroles ; car Notre-Seigneur n’avait besoin de croître et de se fortifier, que parce qu’il s’était fait enfant, et qu’il avait revêtu notre nature fragile et mortelle. — S. Athan. (de l’incarn. de J.-C.) Mais si, comme quelques-uns le prétendent, la chair avait été changée et absorbée par la nature divine, comment pouvait-elle prendre de l’accroissement ? car on ne peut sans blasphème attribuer de l’accroissement à celui qui est incréé. — S. Cyr. ou plutôt Théodor. (Chaîne des Pèr. gr.) L’Évangéliste joint l’accroissement de la sagesse aux progrès de l’âge, en disant : « Et il se fortifiait, » c’est-à-dire en esprit, car la nature divine se déclarait par degrés en se proportionnant aux progrès de l’âge. — Théophyl. S’il eût fait éclater toute sa sagesse dès sa plus tendre enfance, on eût vu là un prodige étonnant, il se révéla donc en suivant le progrès de l’âge, pour parcourir ainsi toutes les phases de la vie. Si du reste il est dit qu’il se fortifiait en esprit, ce n’est point dans ce sens qu’il reçut la sagesse comme par degrés, car comment celui qui, dès le commencement avait toute perfection, aurait-il pu devenir plus parfait ? Aussi l’Évangéliste ajoute : « Il était plein de sagesse, et la gloire de Dieu était en lui. » — Bède. Plein de sagesse, parce que la plénitude de la divinité habitait en lui corporellement (Col 2, 9) ; plein de grâce, parce que Jésus-Christ fait homme a reçu dès le premier moment de son incarnation cette grâce extraordinaire d’être aussi Dieu parfait. A plus forte raison, en tant que Verbe de Dieu, et Dieu lui-même, il n’avait besoin ni de croître, ni de se fortifier. On peut dire encore que la grâce de Dieu était en lui, tout petit enfant qu’il était, afin de donner ainsi à son enfance remplie de la sagesse de Dieu ce caractère admirable qui est empreint sur sa vie toute entière.

« Or ses parents allaient tous les ans à Jérusalem à la fête de Pâques. » — S. Chrys. (2 Disc. contr. les Juifs.) La loi obligeait les Israélites à célébrer les grandes solennités, non seulement dans le temps, mais dans le lieu marqué, aussi les parents du Seigneur ne voulaient point célébrer la fête de Pâques hors de Jérusalem. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 20.) Mais comment Marie et Joseph pouvaient-ils se rendre chaque année à Jérusalem pendant l’enfance de Jésus, alors que la crainte d’Archélaüs devait les en éloigner ? Cette difficulté serait facile à résoudre, alors même qu’un des Évangélistes aurait précisé la durée du règne d’Archélaüs, car les parents de Jésus pouvaient très bien venir à Jérusalem sans être remarqués parmi cette grande multitude qui s’y rendait pour la fête de Pâques, d’autant plus qu’ils s’en retournaient aussitôt. Au contraire ils pouvaient craindre d’y fixer leur séjour dans un autre temps de l’année. Ils satisfaisaient ainsi les devoirs de religion que la loi leur imposait, et ils ne s’exposaient point à être remarqués par un séjour prolongé. Mais comme tous les Évangélistes se taisent sur la durée du règne d’Archélaüs, nous sommes autorisés à entendre ce passage de saint Luc : « Ils allaient tous les ans à Jérusalem, » d’un temps où Archélaüs n’était plus à redouter.

 

Vv. 41-50.

S. Cyr. (Chaîne des Pèr. gr.) L’Évangéliste vient de dire que l’enfant croissait et se fortifiait, il en donne maintenant la preuve en nous montrant Jésus se rendant à Jérusalem avec la sainte Vierge sa mère : « Lorsqu’il eut atteint sa douzième année. » Ch. des Pèr. gr. ou Géom. La manifestation de la sagesse ne dépasse pas ici la portée de l’âge, c’est à l’époque de la vie où nous devenons capables de discernement et de réflexions (c’est-à-dire, à l’âge de douze ans), que la sagesse de Jésus-Christ se révèle. — S. Ambr. Ou bien il commence ses divins enseignements à l’âge de douze ans, pour figurer le nombre des premiers prédicateurs de l’Évangile. — Bède. (sur S. Luc.) Nous pouvons encore dire que, comme le nombre sept, le nombre douze (formé des deux parties du nombre sept multipliées l’une par l’autre) figure l’universalité et la perfection des temps et des choses ; c’est donc pour nous apprendre que la lumière qu’il apporte au monde, doit remplir tous les temps et tous les lieux, que Jésus-Christ commence à en répandre les premiers rayons à l’âge de douze ans.

Bède. (hom.) Notre-Seigneur venait tous les ans avec ses parents célébrer la fête de Pâques dans le temple de Jérusalem, et il nous donne en cela un exemple de sa profonde humilité comme homme, car c’est un des premiers devoirs de l’homme d’être fidèle à offrir à Dieu des sacrifices, et de se le rendre favorable par ses prières. Le Seigneur fait homme a donc accompli parmi les hommes ce que Dieu avait commandé aux hommes par ses anges : « Selon la coutume de cette fête, » dit l’Évangéliste ; soyons donc fidèles nous-mêmes à suivre les pas de ce Dieu fait homme, si nous aspirons au bonheur de contempler un jour la gloire de sa divinité.

Ch. des Pèr. gr. ou Métaph. Après la fête tous s’en retournèrent, mais Jésus resta secrètement : « Les jours de la fête étant passés, l’enfant Jésus resta dans la ville de Jérusalem, et ses parents ne s’en aperçurent pas. » L’Evangéliste dit : « Les jours de la fête étant passés, » parce que la solennité de la fête de Pâques durait sept jours. Le Sauveur reste secrètement, afin que ses parents ne pussent s’opposer à la discussion qu’il désirait avoir avec les docteurs de la loi ; ou bien peut-être voulait-il éviter de paraître mépriser l’autorité de ses parents, en refusant de leur obéir. Il reste donc secrètement, pour agir en toute liberté, ou pour ne pas s’exposer au reproche de désobéissance. — Orig. (hom. 19.) Ne soyons pas surpris de voir l’Évangéliste donner à Marie et à Joseph le nom de parents de Jésus, alors que Marie par son enfantement, et Joseph par les soins dont il entourait ce divin enfant, ont mérité d’être appelés son père et sa mère. — Bède. (sur S. Luc.)On demandera sans doute comment les parents de Jésus, qui veillaient avec une si grande sollicitude sur ce divin enfant, ont pu le laisser par oubli dans la ville de Jérusalem. Nous répondons que les Juifs, à l’époque des grandes fêtes de l’année, soit en se rendant à Jérusalem, soit en retournant dans leur pays, avaient coutume de marcher par troupes, les hommes séparés des femmes, et les enfants pouvaient aller indifféremment avec les uns ou avec les autres. Marie et Joseph ont donc pu croire chacun de leur côté que l’enfant Jésus, qu’ils, ne voyaient point avec eux, se trouvait soit avec son père, soit avec sa mère. C’est ce qu’ajoute l’Évangéliste : « Mais pensant qu’il était avec quelqu’un de leur compagnie, » etc.

Orig. L’enfant Jésus resta dans la ville de Jérusalem, en laissant ignorer à ses parents qu’il y était resté, comme plus tard il s’échappa et disparut du milieu des Juifs, qui lui dressaient des embûches : « Et ne le trouvant pas, ils revinrent à Jérusalem pour le chercher, et trois jours après, ils le trouvèrent dans le temple, » etc. — Orig. (hom. 18.) Ou ne trouve pas Jésus dès les premiers pas que l’on fait pour le chercher ; car Jésus ne se trouve ni parmi ses parents ou parmi ceux qui lui sont unis par les liens du sang, ni parmi ceux qui ne s’attachent à lui qu’extérieurement ; on ne peut espérer non plus trouver Jésus au milieu de la foule. Apprenez donc où ils le cherchent et où ils le trouvent, ce n’est point partout indifféremment, mais dans le temple. Vous donc aussi, cherchez Jésus dans le temple de Dieu, cherchez-le dans l’Église, cherchez-le auprès des docteurs qui enseignent dans le temple ; si vous le cherchez de la sorte, vous le trouverez infailliblement. (Et hom. 19). Ils ne le trouvèrent point parmi leurs parents, car une parenté toute naturelle ne pouvait avoir au milieu d’elle le Fils de Dieu, qui est supérieur à toute connaissance et à toute science humaine. Où donc le trouvent-ils ? Dans le temple. Si vous voulez aussi chercher le Fils de Dieu, cherchez-le d’abord dans le temple, hâtez-vous d’y entrer, c’est là que vous trouverez le Christ, la parole et la sagesse du Père, c’est-à-dire le Fils de Dieu.

 

S. Amb. Ils le trouvent dans le temple après trois jours, comme figure que trois jours après sa passion. triomphante, alors qu’on le croyait victime de la mort, il se montrerait plein de vie à notre foi, assis sur son trône des cieux, au milieu d’une gloire toute divine. — La Glose. Ou bien ces trois jours de recherche signifiaient que les patriarches avant la loi, avaient cherché l’avènement de Jésus-Christ sans le trouver, que les prophètes et les justes sous la loi l’avaient également cherché sans être plus heureux, tandis que les Gentils qui l’ont cherché sous la loi de grâce l’ont trouvé.

 

Orig. (hom. 19.) Comme il était le Fils de Dieu, on le trouve au milieu des docteurs, leur inspirant la sagesse et les instruisant ; mais parce qu’il était enfant on le trouve au milieu d’eux, ne leur faisant point de leçons expresses, mais se contentant de les interroger : « Ils le trouvèrent assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. » Il agit ainsi pour donner l’exemple de la soumission et de la déférence qui convient aux enfants, et leur apprendre la conduite qu’ils doivent tenir, fussent-ils doués d’une sagesse et d’une science supérieures à leur âge. Ils doivent écouter leurs maîtres plutôt que de chercher à les instruire et à se produire par un sentiment de vaine ostentation. Jésus interroge les docteurs, non pas sans doute pour s’instruire, mais bien plutôt pour les enseigner en les interrogeant, car c’est de la même source d’intelligence et de doctrine que viennent ses questions et ses réponses pleines de sagesse : « Et tous ceux qui l’entendaient, admiraient la sagesse de ses réponses, » etc. — Bède. Pour montrer qu’il était homme, il écoutait modestement des docteurs qui n’étaient que des hommes ; mais pour prouver qu’il était Dieu, il répondait à leurs questions d’une manière sublime. — Ch. des Pèr. gr. ou Métaph. Il interroge avec intelligence, il écoute avec sagesse, et répond avec plus de sagesse encore, ce qui ravissait d’admiration ceux qui l’entendaient : « Et tous ceux qui l’entendaient étaient confondus de sa sagesse et de ses réponses. » — S. Chrys. (hom. 20 sur S. Jean.) Le Sauveur n’a fait aucun miracle dans son enfance, et saint Luc ne nous en raconte que ce seul fait, qui ravit d’admiration et d’étonnement ceux qui en furent témoins. — Bède. Ses paroles, en effet, révélaient une sagesse divine, mais son âge le couvrait des dehors de la faiblesse humaine ; aussi les Juifs, partagés entre les choses sublimes qu’ils entendaient et la faiblesse extérieure qui paraissait à leurs yeux éprouvaient un sentiment d’admiration mêlé de doute et d’incertitude. Mais pour nous rien ici de surprenant, car nous savons par le prophète Isaïe, que s’il a voulu naître petit enfant pour nous, il n’en reste pas moins le Dieu fort.

Ch. des Pèr. Gr. (ou Métaphr. et Géom.) Admirons ici la mère de Dieu, dont les entrailles maternelles sont si vivement émues ; elle lui dépeint, en gémissant, ses anxiétés pendant cette douloureuse recherche, et exprime tous les sentiments qui l’agitent avec la confiance, la douceur et la tendresse d’une mère : « Et sa mère lui dit : Mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi avec nous ? » Orig. (Chaîne des Pères grecs.) Cette Vierge sainte savait bien qu’il n’était point le fils de Joseph, et cependant elle appelle son chaste époux le père de Jésus, pour se conformer à l’opinion des Juifs qui pensaient que son divin Fils avait été conçu comme les autres enfants. (hom. 17.) L’explication la plus simple est de dire que l’Esprit saint a honoré Joseph du nom de père de Jésus, parce qu’il a été chargé de l’élever. D’après une interprétation plus recherchée, on peut dire que l’Evangéliste ayant fait descendre la généalogie de Jésus-Christ de David à Joseph, cette généalogie paraîtrait donnée sans raison, si Joseph n’était pas appelé le père de Jésus. (hom. 19.) Mais pourquoi le cherchaient-ils ? craignaient-ils qu’il n’ait péri ou qu’il se fût égaré ? Loin de nous cette pensée. Comment auraient-ils pu craindre la perte de cet enfant dont ils connaissaient la divinité ? Lorsque vous lisez les saintes Écritures, vous cherchez avec une certaine peine à en découvrir le sens, ce n’est pas, sans doute, que vous pensiez que la divine Écriture puisse renfermer des erreurs ou des choses dites au hasard ; mais vous désirez trouver la vérité qui est cachée sous l’écorce de la lettre. C’est ainsi que Marie et Joseph cherchaient l’enfant Jésus, en craignant que peut-être il ne les eût quittés et ne fût remonté dans les cieux, pour en descendre de nouveau lorsqu’il le jugerait à propos. Celui donc qui cherche Jésus, ne doit point agir avec négligence et avec mollesse, comme font plusieurs qui le cherchent et ne le trouvent point, mais il doit faire de grands efforts, et se donner de la peine. — La Glose. Peut-être aussi craignaient-ils que d’autres ennemi de Jésus, profitant de l’occasion, ne missent à exécution, contre ce divin enfant, les desseins homicides qu’Hérode avait formés contre lui dès son berceau.

 

Ch. des Pèr. gr. (ou Métaph. et Géom.) Cependant Notre-Seigneur répond pleinement à la question de sa mère ; il redresse, pour ainsi parler, ce qu’elle vient de dire de celui qui passait pour son père, et déclare quel est son véritable père, enseignant ainsi à sa sainte mère à s’élever dans les régions supérieures à tout ce qui est terrestre : « Et il leur dit : Pourquoi me cherchez-vous ? » — Bède. Il ne les blâme pas de ce qu’ils le cherchaient comme leur fils, mais il les force de lever les yeux de leur âme vers les devoirs qu’il doit remplir à l’égard de celui dont il est le Fils éternel : « Ne saviez-vous pas, » etc. — S. Ambr. Il y a en Jésus-Christ deux générations, l’une paternelle, l’autre maternelle. La première est une génération divine ; c’est par la seconde qu’il est descendu jusqu’à notre pauvre nature pour la sauver. — S. Cyr. (Chaîne des Pères grecs.) En parlant de la sorte, il montre qu’il s’élève au—dessus de la nature humaine, et tout en reconnaissant que la sainte Vierge est devenue l’instrument de la rédemption en devenant sa mère selon la chair, il proclame en même temps qu’il est vraiment Dieu, et le Fils du Très-Haut. Que les partisans de Valentin, après avoir entendu dire que Jésus est le temple de Dieu, rougissent d’affirmer que le Créateur et le Dieu de la loi et du temple n’est point le Père de Jésus-Christ. — S. Epiph. (cont. les hérés., 2, 31.) Qu’Ebion lui-même remarque que c’est à l’âge de douze ans, et non point après sa trentième année, que Jésus-Christ ravit en admiration par la sagesse et la grâce de ses discours ; on ne peut donc avancer qu’il n’est devenu Christ, en recevant l’onction divine, qu’au jour de son baptême, lorsque l’Esprit saint descendit sur lui ; mais dès son enfance même, il faisait profession d’honorer le temple et de reconnaître Dieu pour son Père. — Ch. des Pèr. gr. Ce fut ici la première manifestation de la sagesse et de la puissance de l’enfant Jésus ; car ce que l’on raconte des occupations et des actions de son enfance, ne sont pas seulement des puérilités, mais des inventions diaboliques qui, dans un but évidemment mauvais, cherchent à dénaturer ce qui est rapporté dans les Evangiles et dans les saintes Ecritures. On peut seulement admettre que ce qui est généralement cru parmi les fidèles, et qui est loin d’être contraire à nos croyances, s’accorde plutôt avec les oracles prophétiques, c’est-à-dire que Jésus était le plus beau des enfants des hommes, plein d’obéissance pour sa mère, d’un caractère aimable, d’un aspect tout à la fois majestueux et simple, d’une éloquence naturelle, doux et obligeant, d’une activité et d’un courage en rapport avec la sagesse dont il était rempli ; enfin, d’une mesure et d’une modération parfaite dans toute sa vie et dans ses discours, bien qu’on y ressentait quelque chose de surhumain ; car l’humilité et la modestie forment son principal caractère. Aucune main d’ailleurs n’entreprit de le diriger dans toute sa conduite, excepté celle de sa mère. Jésus nous donne ici une imposante leçon. Le reproche qu’il fait à Marie, de le chercher parmi ses proches, nous suggère le détachement des liens du sang, et nous apprend qu’il est impossible d’arriver à une vertu éminente pour celui qui aime à s’égarer dans les satisfactions de la nature, et qu’on s’éloigne de la perfection par un trop grand amour pour ses proches.

 

« Et ils ne comprirent pas, » etc. — Bède. Ils ne comprirent pas ce qu’il venait de leur dire de sa divinité. — Orig. (hom. 20.) Ou bien ils ignoraient si par ces paroles : « Aux choses qui regardent le service de mon Père, » il voulait parler du temple, ou si ces paroles renfermaient un sens plus élevé, d’une utilité plus immédiate ; car chacun de nous, s’il est bon et vertueux, devient la demeure et comme le siégé de Dieu le Père ; et si nous sommes la demeure et le siége de Dieu, nous avons Jésus au milieu de nous.

 

Vv. 51, 52.

Ch. des Pèr. gr. (ou Géom.) Toute la vie de Jésus-Christ qui s’est écoulée depuis ce moment jusqu’au temps de sa manifestation et de son baptême, et qui n’a été signalée ni par la publicité d’aucun miracle, ni par l’éclat de sa doctrine, se trouve résumée dans ces seules paroles de l’Évangéliste : « Et il descendit avec eux, et il vint à Nazareth, et il leur était soumis. » — Orig. Nous voyons que Jésus descendait fréquemment avec ses disciples, et qu’il ne restait pas toujours sur la montagne ; car ceux qui étaient travaillés de diverses maladies ne pouvaient le suivre sur la montagne. C’est pour le même motif qu’il descend aujourd’hui vers ceux qui habitent une région inférieure à la sienne.

 

« Et il leur était soumis. » — Ch. des Pèr. gr. Notre-Seigneur suit tour à tour ces deux méthodes : Tantôt il commence par établir la loi, et puis il la confirme par ses oeuvres, comme lorsque ayant dit : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis, » lui-même, quelque temps après, sacrifia sa propre vie pour notre salut. Quelquefois, au contraire, il donne tout d’abord l’exemple, et trace ensuite dans ses enseignements la règle qu’il faut suivre. C’est ce qu’il fait ici en nous apprenant, par sa conduite, ces trois principaux devoirs : Aimer Dieu, honorer ses parents, et savoir leur préférer Dieu quand il le faut. En effet, au reproche que lui font ses parents, il répond en mettant au premier rang, et avant tout, le service de Dieu ; puis il rend ensuite à ses parents l’obéissance qui leur est due. — Béde. Comment, en effet, celui qui venait nous enseigner toute vertu aurait-il pu ne pas remplir ce devoir de piété filiale ? Que pourrait-il faire parmi nous, que ce qu’il veut que nous fassions nous-mêmes ? — Orig. Apprenons donc nous aussi à être soumis à nos parents ; si nous avons eu le malheur de les perdre, soyons soumis à ceux qui, par leur âge, nous tiennent leur place. Jésus, le Fils de Dieu, se soumet à Joseph et à Marie, je me soumettrai à l’évêque que Dieu m’a donné pour père. Sans doute, Joseph devait comprendre que Jésus était au-dessus de lui, et n’exercer qu’en tremblant son autorité sur ce divin enfant. Que chacun donc réfléchisse aussi que souvent il est bien inférieur à celui qui lui obéit ; cette pensée le défendra contre tout sentiment d’orgueil, lorsqu’il verra que celui au-dessus duquel il est placé par sa dignité lui est de beaucoup supérieur en vertu. — S. Grég. de Nysse. Disons encore que l’esprit de discernement et la raison sont très imparfaits dans les enfants, et qu’ils ont besoin d’être développés par ceux qui sont plus âgés, ou si l’on veut, d’être conduits par des mains sages et expérimentées à un degré plus éminent de vertu. Or, c’est pour confirmer cette vérité que Jésus, parvenu à l’âge de douze ans, nous donne l’exemple de l’obéissance à ses parents ; et il nous apprend ainsi que tout ce qui ne peut s’élever à la perfection que par degrés successifs, pour arriver à cette fin désirée, doit embrasser la pratique de l’obéissance, comme une des voies les plus sûres qui puisse l’y conduire.

 

S. Bas. (Cons. monast., chap. 4.) Par cette obéissance parfaite qu’il professe à l’égard de ses parents dès sa première enfance, Jésus accepte humblement, et avec respect, tous les pénibles travaux de leur condition. Car bien qu’ils fussent vertueux, honorés, ils étaient pauvres cependant, et dans la gène (comme le prouve la crèche qui reçut l’enfant divin à sa naissance), et ils devaient pourvoir à leur existence par un travail assidu et à la sueur de leur front. Or, Jésus qui leur obéissait (comme le déclare l’Écriture), devait partager tous ces travaux avec une entière soumission. — S. Ambr. Vous êtes surpris qu’il puisse être soumis à son Père céleste, tout en obéissant à sa mère ? Rappelez-vous que cette obéissance n’est pas chez lui la suite de la faiblesse, mais un acte de piété filiale. Les hérétiques ont beau lever ici la tête, et prétendre que celui qui est envoyé par son Père a besoin d’un secours étranger. Avait-il besoin du secours des hommes, parce qu’il était soumis à l’autorité de sa mère ? Il était soumis à l’humble servante de Dieu, il était soumis à celui qui n’était son père que de nom, et vous êtes étonné qu’il soit soumis à Dieu ? C’est un devoir de piété filiale, que d’obéir à l’homme, serait-ce un acte de faiblesse que d’obéir à Dieu ?

 

Bède. Cependant l’auguste Vierge renfermait toutes ces choses dans son coeur pour les repasser, pour les méditer avec soin, soit qu’elle les comprit dans toute leur étendue, soit que leur sens mystérieux demeurât encore voilé pour elle : « Et sa mère conservait toutes ces choses en son coeur. » — Ch. des Pèr. gr. Considérez l’admirable prudence de Marie, cette mère de la vraie sagesse, comme elle se rend le disciple, l’élève de son divin enfant. Car ses leçons n’étaient point pour elle les leçons d’un enfant, ni d’un homme ordinaire, mais les leçons d’un Dieu. Elle repassait ensuite dans son âme ses paroles et les actions dont elle était témoin, elle n’en laissait perdre aucune ; et de même qu’elle avait autrefois conçu le Verbe lui-même dans son chaste sein, ainsi elle concevait pour ainsi dire ses paroles et ses actions, et les fécondait dans son coeur par une pieuse méditation. Elle contemplait avec bonheur ce qu’elle pouvait en comprendre, et elle attendait la révélation plus claire que l’avenir lui en réservait. Telle fut la règle dont elle se fit comme une loi dans tout le cours de sa vie.

 

« Et Jésus croissait en sagesse et en âge, » etc. — Théoph. Jésus n’est pas devenu sage progressivement, mais la sagesse qui était en lui se déclarait successivement et par degrés, comme par exemple, lorsque discutant avec les scribes, la prudence et la haute portée de ses questions jetaient dans l’étonnement tous ceux qui l’entendaient. Il croissait donc en sagesse, en ce sens qu’il se révélait en présence d’un plus grand nombre et les ravissait d’admiration ; la manifestation de sa sagesse en était chez lui comme le progrès. Considérez comment l’Évangéliste, expliquant ce qu’était pour Jésus ce progrès dans la sagesse, ajoute aussitôt : « Et en âge. » Il veut par là nous faire entendre que l’accroissement de l’âge était la mesure de l’accroissement extérieur de la sagesse. — S. Cyr. (Tres., liv. 10, chap. 7.) Mais, disent les Eunomiens, comment pouvait-il être égal et consubstantiel à son Père, lui que nous voyons soumis à un accroissement successif comme une créature imparfaite ? Nous répondons que ce n’est pas en tant que Verbe, mais en tant qu’il s’était fait homme, que l’Évangéliste dit : « Il croissait en sagesse, » etc. Car si après son incarnation, il a véritablement acquis une nouvelle perfection qu’il n’avait pas auparavant, quelle reconnaissance lui devrions-nous de ce qu’il s’est incarné pour nous ? D’ailleurs s’il est la véritable sagesse, de quel accroissement était-il susceptible ? et comment celui qui est le principe et la source de la grâce pour tous les hommes, aurait-il pu croître lui-même en grâce ? Disons plus ; est-on scandalisé d’entendre dire que le Verbe s’est humilié, et en conçoit-on des idées peu favorables à la divinité ; et n’admire-t-on pas bien plutôt la grandeur de sa miséricorde ? Pourquoi donc serait-on scandalisé de ses progrès dans la sagesse ? C’est pour nous qu’il a daigné s’humilier, c’est pour nous aussi qu’il s’est soumis à ce progrès successif, et pour nous faire avancer dans sa personne, nous, que le péché avait fait tomber si bas ; car il s’est soumis, en réalité, à toutes les conditions de notre nature, pour les réformer et leur imprimer un nouveau caractère de perfection. Et remarquez encore que l’Évangéliste ne dit pas : Le Verbe croissait, mais : « Jésus croissait, » il veut nous faire comprendre que ce n’est point le Verbe considéré comme Verbe, mais le Verbe fait chair qui s’est soumis à cet accroissement. Bien que la chair seule ait été sujette à la souffrance, nous disons que le Verbe a souffert dans la chair dont il s’est revêtu, parce que c’était la chair du Verbe qui souffrait, ainsi disons-nous que le Verbe croissait, parce que l’humanité qui lui était unie était soumise à cet accroissement. Et encore, nous disons qu’il croissait en tant qu’homme, non pas que son humanité, qui était parfaite dès le premier moment de l’incarnation, pût recevoir quelque nouvel accroissement, mais parce qu’elle se développait progressivement. L’ordre naturel s’oppose à ce que l’homme fasse paraître une intelligence supérieure à son âge. Le Verbe (fait homme) avait donc toute perfection, puisqu’il est la puissance et la sagesse du Père ; mais pour se conformer aux conditions de notre nature, et ne point donner un spectacle extraordinaire à ceux qui en seraient témoins, il passait par tous les degrés du développement naturel de l’homme aux divers âges de sa vie, et ceux qui le voyaient, qui l’entendaient, trouvaient que sa sagesse s’accroissait de jour en jour. — Ch. des Pèr. gr. (Amphil.) Il croissait en âge, parce que son corps atteignait successivement la virilité ; il croissait en sagesse dans les divines leçons qu’il donnait à ceux qu’il instruisait ; il croissait dans cette grâce qui nous fait nous—même croître et avancer avec joie dans l’espérance d’obtenir à la fin les biens qui nous sont promis. Il croissait devant Dieu, parce qu’il accomplissait l’oeuvre de son Père dans la chair qu’il avait prise ; il croissait devant les hommes en les retirant du culte des idoles pour les élever à la connaissance de la divine Trinité. — Théoph. L’Évangéliste dit qu’il croissait devant Dieu et devant les hommes, parce qu’il faut plaire à Dieu, avant de plaire aux hommes. — S. Grég. de Nysse. (hom. 3 sur le Cant. des Cant.) Le Verbe ne croît point de la même manière dans ceux qui le reçoivent, ruais il apparaît dans les divers degrés par lesquels il a passé de l’enfance, de l’âge adulte et de la perfection.

 

CHAPITRE III

Vv. 1, 2.

S. Grég. (hom. 20 sur les Evang.) L’époque où le Précurseur du divin Rédempteur reçut la mission de prêcher et d’annoncer la parole de Dieu, est solennellement désignée par le nom de l’empereur romain et des princes qui régnaient sur la Judée : « L’an quinzième de l’empire de Tibère César, Ponce-Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode, tétrarque de la Galilée, » etc. Jean-Baptiste venait annoncer celui qui venait racheter une partie des Juifs et un grand nombre d’entre les Gentils, et c’est pour cela que sa prédication se trouve datée du règne de l’empereur des Gentils et des rois de Judée ; et comme la gentilité devait être réunie en un seul corps, il n’est parlé que d’un seul prince qui gouvernait l’empire romain : « L’an quinzième de l’empire de Tibère César, » etc. — Ch. des Pèr. gr. Après la mort de l’empereur Auguste, de qui les empereurs romains prirent le nom d’Auguste, Tibère lui succéda, et il était alors dans la quinzième année de son règne.

Orig. (Hom. 21.) Les oracles prophétiques qui ne s’adressaient qu’aux Juifs ne font mention que du règne des princes de la nation juive : « Vision d’Isaïe, au temps d’Ozias, de Joathan, d’Achaz et d’Ezéchias, rois de Juda (Is 1). Mais la prédication de l’Évangile qui devait retentir dans tout l’univers est datée de l’empire de Tibère César, qui paraissait être le maître du monde. Si les Gentils seuls avaient dû avoir part à la grâce du salut, il aurait suffi de parler de Tibère ; mais comme les Juifs devaient aussi embrasser la foi, il est également fait mention des principautés et des tétrarchies de la Judée : « Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode, tétrarque de la Galilée, » etc. — S. Grég. La Judée se trouvait alors divisée en plusieurs petites principautés, comme un signe de la division et de la ruine dont Dieu devait punir la coupable perfidie des Juifs ; selon ces paroles du Sauveur : « Tout royaume divisé contre lui-même sera désolé. » (Lc 11.) Bède. Pilate fut envoyé comme gouverneur en Judée la douzième année du règne de Tibère César, et il conserva ce gouvernement pendant dix années consécutives, presque jusqu’à la fin de la vie de Tibère. Hérode, Philippe et Lysanias sont les fils du roi Hérode, sous le règne duquel naquit le Sauveur. Il faut ajouter à ces trois frères, Hérode Archélaüs, qui régna dix ans, et qui ayant été accusé auprès d’Auguste par les Juifs, fut exilé à Vienne où il mourut. L’empereur Auguste, pour affaiblir re royaume de Judée, le partagea alors en plusieurs tétrarchies.

 

S. Grég. (hom. 20.) Jean-Baptiste venait annoncer celui qui était roi et prêtre à la fois, L’évangéliste saint Luc précise donc l’époque de sa prédication, non seulement par ceux qui régnaient alors sur la Judée, mais par les grands-prêtres actuels des Juifs : « Sous les grands-prêtres Anne et Caïphe. » — Bède. Tous deux étaient grands-prêtres lorsque Jean commença sa prédication, mais Aune exerçait le souverain pontificat cette année-là même, Caïphe, l’année même où Notre-Seigneur Jésus-Christ fut crucifié. Il y eut bien dans l’intervalle trois autres grands-prêtres, mais l’Évangéliste ne fait mention que de ceux qui ont pris une part plus active à la passion du Sauveur. Les préceptes de la loi étaient obligés de céder devant la violence et l’ambition ; ce n’était ni le mérite personnel, ni la dignité de la famille qui obtenait le souverain pontificat, la puissance romaine en disposait à son gré. En effet, l’historien Josèphe nous rapporte qu’un des premiers actes de Valérius Gratus, avait été de dépouiller le pontife Anne de la souveraine sacrificature, pour en revêtir Ismaël, fils de Baphi. Quelque temps après, Ismaël en était dépouillé à son tour, et avait pour successeur Eléazar, fils du grand-prêtre Ananias. L’année suivante, Valérius ôtait à Ismaël les insignes sacrés du pontificat pour les remettre à un certain Simon, fils de Caïphe. Un an après, Simon avait pour successeur Joseph, qui s’appelait aussi Caïphe. Tout le temps de la prédication de Notre-Seigneur se trouve ainsi compris dans un espace de quatre ans.

 

S. Ambr. Le Fils de Dieu qui devait former et rassembler son Église, commence à opérer par sa grâce dans son serviteur : « La parole du Seigneur se fit entendre à Jean, » etc. Ainsi ce n’est pas un homme, mais le Verbe de Dieu qui préside à la première formation de l’Église. Saint Luc proclame Jean prophète par cette formule abrégée : « La parole de Dieu se fit entendre à Jean. » En effet, celui qui est rempli de la parole de Dieu a-t-il besoin d’une autre recommandation, et l’Évangéliste n’a-t-il pas tout dit dans ces seules paroles ? Saint Matthieu et saint Luc ont voulu au contraire rehausser en Jean-Baptiste le titre de prophète par la description de son vêtement, de sa ceinture et de sa nourriture. — S. Chrys. (hom. 40 sur S. Matth.) La parole de Dieu, c’est ici le commandement de Dieu, parce qu’en effet, le fils de Zacharie n’est point venu de son chef, mais par l’impulsion de Dieu lui-même. — Théophyl. Pendant tout le temps qui s’écoula depuis son enfance jusqu’au jour où il devait paraître en Israël, il demeura caché dans le désert, et l’Évangéliste ajoute ici : « Dans le désert ; » pour détourner jusqu’à l’ombre du soupçon que les liens du sang ou d’une amitié contractée dès l’enfance portaient Jean-Baptiste à rendre témoignage à Jésus. Aussi le saint Précurseur nous assure-t-il expressément qu’il ne le connaissait pas (Jn 1). — S. Greg. de Nyss. (de la Virgin.) Celui qui était venu dans l’esprit et la vertu d’Elie, devait aussi se séparer du commerce des hommes, et s’appliquer à la contemplation des choses invisibles, de peur qu’habitué aux illusions que produisent les sens, il ne vînt à perdre ces clartés intérieures et celles qui devaient lui faire discerner et reconnaître le Sauveur. Aussi il fut rempli d’une telle abondance des grâces divines, qu’aucun prophète n’en reçut jamais de semblables, parce que durant tout le cours de sa vie, il ne cessa d’offrir aux regards de Dieu une âme pure de tout désir vicieux et de toute passion naturelle. — S. Ambr. L’Église elle-même est comme un désert, parce que celle qui était abandonnée a plus d’enfants que celle qui avait un mari (Is 54, 1; voyez aussi Gal 4, 27). Le Verbe de Dieu s’est donc fait entendre, pour que la terre qui était auparavant déserte, nous produisît des fruits de salut.

 

Vv. 3-6.

 

S. Ambr. Le Verbe s’est fait entendre, la voix suivit de près, car le Verbe agit d’abord à l’intérieur, et la voix lui sert ensuite d’instrument et d’interprète : « Et il vint dans toute la région du Jourdain. » — Orig. (hom. 2.) Le mot Jourdain signifie qui descend, parce que le fleuve des eaux salutaires descend des hauteurs de Dieu. Or quels lieux Jean-Baptiste devait-il parcourir de préférence, si ce n’est les bords du Jourdain ; ainsi lorsque le repentir touchait un coeur, on pouvait aussitôt recevoir le baptême de la pénitence dans les eaux du fleuve : « Prêchant le baptême de pénitence pour la rémission des péchés. » — S. Grég. (hom. 20.) Chacun voit par ces paroles que non seulement Jean prêchait le baptême de la pénitence, mais qu’il le donnait à quelques-uns, et cependant ce baptême ne pouvait en réalité remettre les péchés. — S. Chrys. (hom. 10 sur S. Matth.) Et quelle rémission des péchés était possible, alors que la victime pour les péchés du monde n’était pas encore immolée, et que l’Esprit saint n’était pas encore descendu sur la terre ? Pourquoi donc ces paroles de saint Luc : « Pour la rémission des péchés ? » Les Juifs étaient profondément ignorants, et vivaient dans une grande indifférence à l’égard de leurs fautes, c’était là la cause de tous leurs maux. Ce fut donc pour les obliger à reconnaître leurs péchés et à chercher le Rédempteur, que Jean vint les exhorter à faire pénitence, afin que contrits de leurs fautes et revenus à de meilleurs sentiments, ils fissent tous leurs efforts pour obtenir leur pardon. C’est donc avec dessein que l’Évangéliste, après avoir dit que « Jean vint prêchant le baptême de la pénitence, » ajoute : « Pour la rémission des péchés, » comme s’il disait. Il les exhortait à se repentir, pour les disposer à obtenir plus facilement leur pardon par la foi en Jésus-Christ. Si en effet ils n’avaient pas été conduits par la pénitence, ils n’auraient pas songé à demander la grâce de la rémission de leurs péchés. Or ce baptême les préparait à croire en Jésus-Christ. — S. Grég. (hom. 20.) Ou bien l’Évangéliste dit que Jean prêchait le baptême de la pénitence pour la rémission des péchés, parce qu’il avait la mission de prêcher le baptême qui remet les péchés, baptême qu’il ne pouvait donner. Ainsi de même qu’il était par le Verbe ou la parole de sa prédication le Précurseur du Verbe incarné, de même son baptême impuissant pour la rémission des péchés précédait le baptême de la pénitence qui les remet véritablement. — S. Ambr. C’est pour cela qu’il en est plusieurs qui virent dans saint Jean la figure de la loi, parce que la loi pouvait bien faire connaître le péché, mais ne pouvait le remettre.

S. Grég. de Nazianze. (Disc. 39.) Disons quelques mots de la nature et du caractère des différents baptêmes. Moïse a baptisé dans l’eau, dans la nuée et dans la mer (mais d’une manière figurative). Jean a baptisé, mais non pas selon le rit des Juifs, car il ne baptisait pas seulement dans l’eau, mais pour la rémission des péchés, cependant son baptême n’était pas tout à fait spirituel, car l’Évangéliste n’ajoute point : Par l’Esprit. Jésus baptise, mais par l’Esprit, et c’est le baptême parfait. Il est encore un quatrième baptême, le baptême du martyre et du sang que Jésus-Christ lui-même a voulu recevoir, baptême plus auguste et plus vénérable que les autres, parce qu’il n’est point exposé à être profané par les rechutes dans le péché. On peut encore compter un cinquième baptême, baptême des larmes, baptême laborieux, dans lequel David se purifiait en arrosant chaque nuit de ses larmes le lit où il prenait son repos.

« Comme il est écrit dans le livre du prophète Isaïe (Is 40). Voix de celui qui crie dans le désert. » — S. Ambr. C’est avec raison que Jean-Baptiste, le Précurseur du Verbe est appelé « la voix, » car la voix précède le Verbe dont elle dépend, tandis que le Verbe qui vient après lui est supérieur. — S. Grég. (hom. 7 et 20.) Jean-Baptiste crie dans le désert, parce qu’il vient annoncer les consolations de la rédemption aux Juifs. abandonnés et plongés dans la détresse. Et quel était le sens de ses prédications ? « Préparez le chemin du Seigneur, » etc. Tout homme qui prêche la véritable foi et la nécessité des bonnes oeuvres, que fait-il autre chose que de préparer la voie du Seigneur dans les coeurs de ceux qui l’écoutent, et de rendre droits ses sentiers en faisant naître dans les âmes des pensées pures par ses saintes prédications. — Orig. (hom. 21.) Ou bien encore, c’est nous-mêmes qui devons préparer la voie au Seigneur dans notre coeur. Car le cœur de l’homme est grand et spacieux, si toutefois il est pur, car sa grandeur ne consiste pas dans les dimensions extérieures, mais dans la force de son intelligence qui le rend capable de contenir la vérité. Préparez donc par une vie sainte la voie au Seigneur dans votre coeur, redressez le sentier de votre vie par l’excellence et la perfection de vos oeuvres, afin que la parole de Dieu puisse pénétrer en vous sans obstacle. — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Ce sentier, c’est la voie qu’ont parcourue leurs ancêtres, et que les premiers hommes ont faussée et corrompue ; la parole de Dieu commande donc à ceux qui sont loin d’imiter le zèle de leurs pères de redresser de nouveau ce sentier. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n’était point à lui de crier : « Préparez la voie du Seigneur, » c’était l’office du Précurseur, et il est appelé la voix, parce qu’il était le Précurseur du Verbe.

 

S. Cyr. (Liv. 3, sur Isaïe, ch. 40.) Jean-Baptiste prévient cette question qu’on pouvait lui faire : Comment préparerons-nous la voie du Seigneur ? Comment encore redresserons-nous ses sentiers ? Ceux qui veulent mener une vie vertueuse rencontrent tant d’obstacles ! Il y a, en effet, des chemins et des sentiers qui ne sont nullement praticables, parce que tantôt ils s’élèvent sur les collines et sur des endroits abruptes, tantôt ils descendent brusquement dans les vallées ; c’est pour éloigner cette difficulté que le saint Précurseur ajoute : « Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline seront abaissées. » C’est ce que Notre-Seigneur a opéré spirituellement par sa puissance. Autrefois, en effet, le chemin de la vertu et de la sainteté évangélique était difficile à parcourir, parce que les âmes étaient comme appesanties sous le poids des plaisirs sensuels ; mais aussitôt qu’un Dieu fait homme eut expié le péché dans sa chair (Rm 8), toutes les voies furent aplanies, aucune colline, aucune vallée ne fit plus obstacle à ceux qui voulaient avancer. — Orig. (hom. 22.) Lorsque Jésus fut venu et qu’il eut envoyé son Esprit, toute vallée a été remplie de bonnes oeuvres et des fruits de l’Esprit saint ; si vous possédez ces fruits, non seulement vous cesserez d’être une vallée, mais vous commencerez à devenir la montagne de Dieu. — S. Grég. de Nysse. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien les vallées sont ici la figure de la pratique paisible et tranquille des vertus, selon cette parole du Roi-prophète : Les vallées seront pleines de froment. » (Ps 69.) — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Sous le nom de montagne, Jean-Baptiste désigne les orgueilleux et les superbes que Jésus-Christ a humiliés, les collines sont ceux qui sont désespérés, non seulement à cause de l’orgueil de leur esprit, mais par suite de l’impuissance et de la stérilité de leur désespoir, car une colline ne produit aucun fruit. — Orig. (hom. 22.) Par ces collines et ces montagnes, vous pourriez encore entendre les puissances ennemies qui ont été abaissées par la venue du Christ. — S. Bas. Comme les collines, si on les compare aux montagnes, en diffèrent par la grandeur, mais leur sont semblables pour le reste ; ainsi les puissances ennemies sont toutes égales par la volonté qu’elles ont de nous nuire, mais diffèrent entre elles par l’énormité du mal qu’elles causent. — S. Grég. (hom. 20.) Ou bien cette vallée qui croît en se comblant, cette montagne qui décroît en s’abaissant, c’est la gentilité que la foi en Jésus-Christ a remplie de la plénitude de la grâce, et les Juifs qui, par leur coupable perfidie, ont perdu cette hauteur dont ils étaient si fiers, car les humbles reçoivent les grâces que les superbes éloignent de leur coeur par leur orgueil. — S. Chrys. (hom. 40 sur S. Matth.) Ou bien par cette comparaison il nous apprend qu’aux difficultés de la loi va succéder la facilité de la foi, comme s’il disait : Vous n’aurez plus à craindre ni travaux pénibles, ni douleurs, mais la grâce et la rémission des péchés vous ouvriront une voie facile pour arriver au salut. — S. Grég. de Nysse. Ou bien, il ordonne de combler les vallées et d’abaisser les collines et les montagnes, pour nous apprendre que la vertu bien réglée ne doit ni présenter de vide causé par le défaut des bonnes oeuvres, ni offrir d’inégalités par l’excès du bien. — S. Grég. (hom. 20.) Les chemins tortueux deviennent droits lorsque les coeurs des méchants, que l’iniquité avait rendus tortueux, rentrent dans la droiture de la justice, et les chemins raboteux deviennent unis, lorsque les âmes irascibles et violentes reviennent à la bénignité de la douceur par l’infusion de la grâce céleste.

 

S. Chrys. Le saint Précurseur motive ensuite la nécessité de tous ces changements : « Et toute chair verra le salut de Dieu. » Il nous apprend ainsi que la vertu et la connaissance de l’Évangile se répandront jusqu’aux extrémités de la terre pour changer en douceur et en bonté les moeurs féroces et l’opiniâtre volonté du genre humain. Ce ne sont pas seulement les Juifs appelés prosélytes, mais toute la nature humaine qui est appelée à contempler le salut de Dieu. — S. Cyr. (sur Isaïe, 3, 40.) C’est-à-dire le salut de Dieu le Père qui a envoyé son Fils pour être notre Sauveur. La chair est prise ici pour l’homme tout entier. — S. Grég. (hom. 20.) Ou bien dans un autre sens, toute chair, c’est-à-dire tout homme, n’a pu voir en cette vie le salut de Dieu qui est Jésus-Christ ; le saint prophète porte donc ses regards jusqu’au jour du jugement dernier, où tous les hommes, les réprouvés comme les élus, verront également le salut de Dieu.

 

Vv. 7-9.

Orig. (hom. 22.) Celui qui persévère dans son premier état de vie, et qui ne quitte ni ses moeurs ni ses habitudes, n’est pas digne de se présenter au baptême. S’il veut mériter cette grâce, qu’il sorte tout d’abord de sa vie ancienne. Aussi l’Évangéliste dit-il en termes exprès : « Jean-Baptiste s’adressait à la foule qui sortait pour être baptisée par lui. » C’est donc à la foule qui sortait pour venir à son baptême, qu’il adresse les paroles suivantes, car si elle fût entièrement sortie, il ne l’eût pas appelée race de vipères. — S. Chrys. (hom. 41 sur S. Matth.) Cet habitant du désert, à la vue de tous les habitants de la Palestine qui l’entourent, pleins d’admiration pour sa personne, ne se laisse pas influencer par ces témoignages de profonde vénération, mais il s’élève avec force contre eux, et ne craint pas de leur reprocher leurs crimes. (Et hom. 12 sur la Gen.) La sainte Écriture caractérise ordinairement les hommes en leur donnant des noms d’animaux en rapport avec les passions qui les dominent, elle les appelle des chiens à cause de leur insolence, des chevaux à cause de leur penchant à la luxure, des ânes à cause de leur défaut d’intelligence, des lions et des léopards à cause de leur voracité et de leur caractère violent, des aspics à cause de leur esprit rusé, des serpents et des vipères à cause de leur venin et de leurs démarches tortueuses, et c’est pour cela que Jean-Baptiste appelle ouvertement les Juifs, « race de vipères. »

S. Bas. (cont. Eunom., 2.) Les noms de fils et d’engendré se donnent aux êtres animés ; le mot race peut s’appliquer au germe avant sa formation, on donne aussi quelquefois ce nom aux productions des arbres ; mais rarement on l’emploie en parlant des animaux, et toujours en mauvaise part. — S. Chrys. (sur S. Matth.) On dit que la vipère tue le mâle qui la féconde, et que les petits, à leur tour, tuent leur mère en naissant, et viennent au monde en déchirant son sein, comme pour venger la mort de leur père. La race de la vipère est donc une race parricide. Tels étaient les Juifs qui mettaient à mort leurs pères spirituels et leurs docteurs. Mais comment expliquer ce langage, puisque les Juifs ne persévèrent plus dans leurs péchés, mais qu’ils commencent à se convertir ? Au lieu de les outrager, ne devait-il pas chercher à les attirer ? Nous répondons que Jean ne s’arrêtait pas à ces démonstrations extérieures, Dieu lui avait révélé le secret de leurs coeurs, et il y voyait qu’ils étaient trop fiers de leurs ancêtres. C’est pour détruire dans sa racine cette vaine présomption, qu’il les appelle « race de vipères, » sans faire remonter ce reproche jusqu’aux patriarches, qu’il se garde bien de traiter de la sorte. — S. Grég. (hom. 20.) Il se sert de cette expression, parce que pleins d’envie à l’égard des justes qu’ils persécutaient, ils suivaient en cela les voies de leurs ancêtres selon la chair, semblables à des enfants infectés du poison que leurs pères, remplis eux-mêmes de venin, leur ont communiqué en leur donnant le jour. Comme les paroles qui précèdent, se rapportent à la manifestation de Jésus-Christ en présence de tous les hommes au jour du jugement dernier, Jean-Baptiste leur dit : « Qui vous a enseigné à fuir la colère à venir ? » La colère à venir, ce sont les effets de la vengeance du dernier jour. — S. Amb. Nous voyons par là que la miséricorde de Dieu leur avait inspiré la prudence qui les portait à se repentir de leurs péchés, en redoutant, par une religieuse prévoyance, les terreurs du jugement dernier. Ou bien peut-être, le saint Précurseur veut-il dire que, conformément à ces paroles du Sauveur : « Soyez prudents comme des serpents, » les Juifs ont cette prudence naturelle qui fait voir et rechercher ce qui est utile, mais qui n’est pas assez puissante pour éloigner entièrement de ce qui est nuisible.

 

S. Grég. (hom. 20.) Comme le pécheur qui ne recourt pas maintenant aux larmes de la pénitence, ne pourra se dérober alors aux effets de la colère de Dieu, Jean-Baptiste ajoute : « Faites donc de dignes fruits de pénitence. » — S. Chrys. (hom. 10 sur S. Matth.) En effet, il ne suffit pas aux pécheurs repentants de renoncer à leurs péchés, il faut encore qu’ils produisent des fruits de pénitence, selon cette parole du Psalmiste : « Eloignez-vous du mal, et faites le bien » (Ps 30) ; de même qu’il ne suffit pas pour être guéri, d’arracher le fer de la plaie, mais il faut encore appliquer sur la blessure les médicaments qui doivent hâter sa guérison. Jean-Baptiste ne dit pas ici : Faites du fruit, mais : « Faites des fruits, » pour indiquer qu’elle en doit être l’abondance. — S. Grég. (hom. 20.) Ce ne sont pas seulement des fruits, mais de dignes fruits de pénitence qu’ils doivent produire. Celui, en effet, qui n’a commis aucune action défendue, peut se permettre l’usage des choses licites. Mais celui qui est tombé dans des fautes graves, doit s’interdire d’autant plus rigoureusement les choses permises, qu’il se souvient d’en avoir commis de défendues. Les fruits des bonnes oeuvres ne doivent pas être les mêmes pour celui qui s’est rendu moins coupable et pour celui qui l’est davantage, pour celui qui n’est tombé dans aucun crime, et pour celui qui en a plusieurs à se reprocher. Le saint Précurseur fait donc ici un appel à la conscience de chacun, pour l’engager à devenir d’autant plus riche en bonnes oeuvres, qu’il a éprouvé par ses fautes des pertes plus considérables. — S. Max. (Ch. des Pèr. gr.) Le fruit de la pénitence, c’est une espèce d’impassibilité de l’âme vis-à-vis du mal, impassibilité qui ne nous est pleinement acquise que lorsque nous sommes insensibles aux instigations de nos passions ; jusque là, nous n’avons pas fait de dignes fruits de pénitence. Que notre repentir soit donc sincère, afin que, délivrés de nos passions, nous obtenions le pardon de nos péchés.

 

S. Grég. (hom. 22.) Mais les Juifs, fiers de la noblesse de leurs ancêtres, ne voulaient point se reconnaître pécheurs, parce qu’ils descendaient de la race d’Abraham. Aussi Jean-Baptiste les pousse dans ce dernier retranchement : « Et ne vous mettez point à dire : Abraham est notre père. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Il ne leur conteste pas qu’ils descendent d’Abraham par une filiation naturelle, mais il veut leur faire entendre qu’il ne leur sert de rien de descendre d’Abraham, s’ils ne peuvent montrer en même temps la descendance qui vient de la vertu. En effet, dans le style de l’Écriture, les liens de la parenté ne sont pas ceux qui sont formés par le sang, mais ceux qui viennent de la ressemblance des vertus ou des vices, et chacun est appelé le fils ou le frère de ceux dont il reproduit en lui la ressemblance. — S. Cyr. Que sert, en effet, d’être d’une descendance illustre, si on ne cherche à l’appuyer, à la maintenir par de nobles instincts. C’est donc une vanité que de se glorifier de la noblesse et des vertus de ses ancêtres, et de ne prendre aucun souci d’imiter leurs vertus. — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n’est point l’agilité de son père qui rend un cheval prompt à la course. Or, de même que ce qui fait le mérite de tous les autres animaux, ce sont les qualités personnelles ; ainsi ce qui rend un homme digne d’éloges, ce sont les bonnes oeuvres dont il peut donner la preuve ; car il est honteux de se parer de la gloire d’autrui, quand on ne peut la soutenir par ses vertus personnelles.

 

S. Grég. de Nysse. Après avoir prédit l’exil des Juifs et prophétisé leur réprobation, il prédit comme une suite nécessaire la vocation des Gentils, qu’il appelle des pierres : « Je vous déclare, » etc. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il semble leur dire : Ne croyez pas que si vous venez à périr, le patriarche Abraham cessera d’avoir des enfants ; car Dieu peut susciter des hommes de ces pierres mêmes, et en faire de véritables enfants d’Abraham. Et c’est ce qu’il a fait autrefois ; car en faisant naître un fils du sein stérile de Sara, n’a-t-il pas opéré un prodige semblable à celui de faire sortir des hommes des pierres elles-mêmes. — S. Ambr. Mais quoique Dieu puisse à son gré changer et transformer les natures créées, cependant le mystère que renferme ces paroles m’est plus avantageux que le miracle ; car qu’étaient-ils autre chose que des pierres ceux qui adoraient des idoles de pierre, semblables à ceux qui les avaient faites ? Jean-Baptiste prophétise donc que la foi pénétrera les coeurs de pierre des Gentils, et prédit qu’ils deviendront, par la foi, de véritables enfants d’Abraham. Pour nous faire mieux comprendre quels hommes il a comparés à des pierres, il les compare encore à des arbres, dans les paroles suivantes : « La cognée est déjà à la racine de l’arbre. » Il change de comparaison pour vous faire comprendre par cette allégorie déjà plus relevée, qu’il s’est fait dans l’homme un certain progrès qui les approche du bien.

 

Orig. (hom. 23.) Si la consommation de toutes choses était proche, si nous touchions à la fin des temps, il n’y aurait pour moi aucune difficulté, et je dirais tout simplement que cette prophétie doit recevoir alors son accomplissement. Mais puisqu’il s’est écoulé tant de siècles depuis cette prédiction de l’Esprit saint ; je pense que cette prophétie s’adresse au peuple juif, à qui Jean-Baptiste prédit sa destruction prochaine ; car c’est à ceux qui venaient à lui pour être baptisés qu’il tenait ce langage. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Cette cognée qui doit les frapper dans le temps présent, c’est la vengeance exterminatrice qui vint fondre sur les Juifs du haut du ciel, pour punir l’attentat impie et sacrilège qu’ils commirent sur la personne de Jésus-Christ. Il ne dit point cependant que la cognée va trancher la racine, mais qu’elle a été mise à la racine de l’arbre, (c’est-à-dire auprès de la racine), car les branches ont été retranchées sans que l’arbre ait été détruit jusque dans sa racine, parce que les restes du peuple d’Israël doivent être sauvés.

 

S. Grég. (hom. 20.) Ou bien dans un autre sens, cet arbre c’est le genre humain tout entier. La cognée, c’est notre Rédempteur, que l’on peut tenir par l’humanité dont il s’est revêtu, et qui est comme le manche de la cognée, mais qui tient de la divinité la vertu de couper et de retrancher. Cette cognée est déjà mise à la racine de l’arbre ; car bien qu’elle attende avec longanimité, on voit cependant le coup qu’elle s’apprête à frapper. Et remarquez qu’il ne dit point : La cognée est déjà placée sur les branches, mais : « A la racine. » En effet, lorsque les enfants des méchants sont détruits, ce sont les branches de l’arbre stérile qui sont retranchées. Mais lorsque toute la race des méchants est exterminée avec son père, c’est l’arbre infructueux qui est coupé jusque dans sa racine. Or, tout homme vicieux et criminel doit s’attendre à être jeté dans le feu de l’enfer qui lui a été préparé pour punir sa négligence à produire le fruit des bonnes oeuvres. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Le saint Précurseur dit judicieusement : « Qui ne fait point de fruit, et même de bon fruit ; » car Dieu a créé l’homme pour travailler et pour produire, et l’application persévérante au travail lui est naturelle, tandis que l’oisiveté est contre sa nature. En effet, l’inaction est nuisible à tous les membres de son corps, mais bien plus encore à son âme, qui, étant essentiellement active, ne peut rester un instant dans l’oisiveté. Mais de même que l’oisiveté est funeste, le mouvement et le travail ont aussi leur danger (lorsqu’ils servent au mal.) Après avoir exhorté à faire pénitence, il annonce que la cognée est à la racine, non encore pour couper et pour retrancher, mais pour menacer et inspirer une salutaire terreur. — S. Ambr. Que celui donc qui le peut, produise des fruits de grâce ; que celui pour qui c’est un devoir rigoureux, fasse des fruits de pénitence ; voici le Seigneur qui vient chercher des fruits, et donner la vie à ceux qui produisent des fruits abondants, et condamner ceux qui sont stériles.

 

Vv. 10-14.

S. Grég. (hom. 20.) Ces paroles de Jean-Baptiste prouvent qu’il avait fait naître un trouble salutaire dans l’âme de ses auditeurs, puisqu’ils viennent lui demander ce qu’ils doivent faire : « Et la foule l’interrogeait, » etc. — Orig. (hom. 23.) Trois sortes d’hommes viennent demander à Jean ce qu’ils doivent faire pour être sauvés ; les uns que l’Écriture appelle le peuple ou la foule, les autres qui sont les publicains, et les troisièmes qu’elle comprend sous le nom de soldats. — Théophyl. Or, il recommande aux publicains et aux soldats de s’abstenir de tout mal, mais quant au peuple, qu’il regarde comme moins enclin au mal, il prescrit la pratique des bonnes oeuvres : « Il leur répondit : Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n’en a point, » etc. — S. Grég. (hom. 20.) La tunique est d’un usage plus nécessaire que le manteau ; aussi un des fruits principaux de la pénitence est de nous faire partager avec le prochain non seulement les choses extérieures plus ou moins utiles, mais celles qui nous sont le plus nécessaires, comme la tunique dont nous sommes vêtus, les aliments qui soutiennent notre existence : « Et que celui qui a de quoi manger fasse de même. » — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Nous apprenons de là l’obligation où nous sommes de donner pour Dieu tout notre superflu à ceux qui sont dans l’indigence, parce que c’est Dieu qui nous a donné tout ce que nous possédons.

 

S. Grég. (hom. 20.) Il est écrit dans la loi : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même. » Donc on n’aime pas son prochain, quand on ne partage pas même son nécessaire avec celui qui se trouve dans l’extrême besoin. Il est commandé de partager avec le prochain une des deux tuniques que l’on possède, car si on n’en avait qu’une à partager, elle ne pourrait servir de vêtement à aucun des deux. Nous pouvons juger par toutes ces recommandations, de quel prix sont les oeuvres de miséricorde, puisqu’elles tiennent le premier rang parmi les dignes fruits de pénitence. — S. Ambr. Chaque condition a ses devoirs particuliers, la pratique de la miséricorde est un devoir commun à tous les hommes, et c’est pour tous les hommes une obligation rigoureuse de donner à celui qui est dans l’indigence. La miséricorde comprend pour ainsi dire toutes les vertus ; cependant la pratique de la miséricorde a ses règles, et doit se mesurer sur les moyens et les ressources de chacun, elle n’oblige pas à se dépouiller entièrement de ce qu’on possède, mais à le partager avec celui qui n’a rien.

 

Orig. (hom. 23.) Ce passage renferme un sens plus profond : en effet, de même que nous ne pouvons servir deux maîtres, de même nous ne devons pas avoir deux tuniques, dont l’une serait le vêtement du vieil homme, et l’autre le vêtement de l’homme nouveau. Nous devons au contraire dépouiller le vieil homme et revêtir celui qui est nu, car l’un a Dieu dans son coeur, et l’autre en est privé. Il est écrit que nous devons précipiter nos péchés au fond de la mer ; nous devons également repousser loin de nous nos fautes et nos vices, et les rejeter pour ainsi dire sur celui qui en a été pour nous la cause. — Théophyl. Il en est qui voient dans ces deux tuniques l’esprit et la lettre de l’Écriture. Jean recommande à celui qui possède l’un et l’autre, d’instruire les ignorants et de leur enseigner an moins la lettre de la sainte Écriture.

 

Bède. La puissance de la parole de Jean-Baptiste était si grande, qu’elle forçait les publicains et les soldats eux-mêmes à venir lui demander ce qu’ils devaient faire pour être sauvés : « Des publicains vinrent aussi, » etc. — S. Chrys. (hom. 24 ou 25.) Qu’elle est grande la puissance de la vertu, puisqu’elle amène les riches du monde à venir demander à celui qui n’a rien le chemin du vrai bonheur ? — Bède. Le saint Précurseur leur recommande de n’exiger rien au delà de ce qui leur est prescrit : « Il leur dit : N’exigez rien de plus de ce qui vous a été prescrit. » On appelait publicains ceux qui levaient les impôts, qui avaient la charge de collecteurs des contributions ou des revenus publies, et on donnait ce nom par extension à ceux qui cherchaient à augmenter leurs richesses par le négoce et les affaires. Jean-Baptiste leur fait à tous un précepte de s’abstenir de toute fraude, et en réprimant ainsi tout désir de s’emparer du bien d’autrui, il les amène à partager leurs propres biens avec le prochain : « Et des soldats vinrent aussi l’interroger, » etc. Il leur donne cette règle de juste et sage modération, de ne dépouiller jamais injustement ceux qu’ils doivent défendre et protéger par état : « Et il leur dit : Abstenez-vous de toute concussion (ou de toute violence), ne commettez aucune injustice (par des voies frauduleuses), et contentez-vous de votre paie. — S. Ambr. Il enseigne par là que la milice reçoit une paie légalement établie, de peur qu’en laissant aux soldats de pourvoir à leur subsistance, on n’ouvre ainsi la porte au pillage. — S. Grég. de Naz. (Disc. 9 contr. Jul.) Il donne ici le nom de paie à la solde impériale et au traitement assigné par la loi à ceux qui étaient en place. — S. Aug. (contr. Faust., liv. 22, ch. 7.) Jean-Baptiste savait que les soldats, lorsqu’ils font la guerre, ne sont pas des homicides, mais les exécuteurs de la loi, qu’ils ne sont point les vengeurs des injures particulières, mais les défenseurs du salut public. Autrement il leur eût répondu : Dépouillez-vous de vos armes, et quittez le service militaire, ne frappez, ne blessez, ne tuez personne. Qu’y a-t-il en effet de coupable dans la guerre ? Est-ce de donner la mort aux uns pour laisser les autres régner en paix après la victoire ? Condamner la guerre à ce point de vue n’est point un acte de religion, mais de lâcheté. Ce qui est justement condamné dans les guerres, c’est le désir de nuire, c’est la cruauté dans la vengeance, c’est d’avoir une âme impitoyable, implacable, c’est la férocité dans le combat, c’est la fureur de dominer et autres excès semblables. Or c’est pour punir ces excès ou les violences de ceux qui se révoltent, soit contre Dieu, soit contre le commandement d’une autorité légitime, que les bons eux-mêmes font la guerre, lorsqu’ils se trouvent dans des circonstances telles que l’ordre et la justice leur font un devoir ou de commander de prendre les armes, ou d’obéir à ce commandement.

S. Chrys. (hom. 25 sur S. Matth.) En traçant ces règles si simples de conduite aux publicains et aux soldats, Jean-Baptiste voulait les élever à une perfection plus grande, mais comme ils n’en étaient pas encore capables, il leur donne des préceptes plus faciles, car s’il leur avait proposé tout d’abord les obligations d’une vie plus parfaite, ils n’y auraient donné aucune attention, et seraient demeurés privés de la connaissance des devoirs plus ordinaires et plus faciles.

 

Vv. 15-17.

Orig. (hom. 23.) Il était juste que Jean fût environné de plus d’honneurs que les autres hommes, lui dont la vie était plus parfaite que celle de tous les autres mortels. Aussi les Juifs avaient-ils pour lui une bien légitime prédilection, mais qui cependant était par trop exagérée : « Or, comme tout le peuple flottait dans ses pensées, et que tous se demandaient dans leurs coeurs s’il ne serait pas le Christ. » — S. Ambr. Quoi de plus insensé que de refuser de croire, lorsqu’il vint lui-même en personne, celui qu’ils voulaient reconnaître dans la personne d’un autre ? Ils pensaient que le Messie devait naître d’une femme, et ils ne veulent pas croire qu’il ait pu naître d’une Vierge, et cependant le signe que Dieu avait donné de l’avènement du Sauveur, c’était l’enfantement d’une Vierge et non celui d’une femme.

Orig. (hom. 25.) L’affection a ses périls, si elle franchit les justes bornes. Quand on aime quelqu’un, on doit considérer attentivement la nature et les motifs de son affection, et la proportionner au mérite de celui qu’on aime, car si l’on dépasse la mesure et les limites de la charité, celui qui aime comme celui qui est aimé se rendent coupables. — Ch. des Pèr. gr. Aussi Jean ne pensa pas à se glorifier de l’opinion que tous avaient de lui, et ne parut jamais désirer d’être le premier ; loin de là, il fit toujours profession de l’humilité la plus profonde : « Mais Jean répondit, » etc. — Bède Comment put-il répondre à ceux qui pensaient dans leurs coeurs qu’il pouvait être le Christ ? C’est que non seulement telle était leur pensée, mais qu’ils lui avaient député des prêtres et des lévites pour lui demander s’il était le Christ, comme le raconte un autre Évangéliste.

 

S. Ambr. Ou bien, c’est que Jean lisait dans le secret des coeurs, mais considérez de qui lui venait cette prérogative, car la grâce de Dieu seule peut révéler ce qu’il y a de plus caché dans le fond des coeurs, et non la puissance de l’homme qui reçoit bien plus de lumières du secours d’en haut, que de ses facultés naturelles. Or, il répondit aussitôt et sans hésiter qu’il n’était pas le Christ, lui qui n’exerçait qu’un ministère extérieur et visible. L’homme, en effet, est un composé de deux natures, c’est-à-dire, de l’âme et du corps ; la partie visible est consacrée par une action visible, la partie invisible reçoit une consécration intérieure et invisible. Ainsi l’eau lave le corps et le purifie, mais l’Esprit purifie l’âme de ses fautes, quoique l’eau elle-même soit comme pénétrée du souffle de la grâce divine. Le baptême de la pénitence est donc différent du baptême de la grâce, celui-ci opère par ces deux choses réunies, l’eau et l’Esprit ; celui-là par l’eau seulement : l’oeuvre de l’homme c’est de faire pénitence de ses fautes, c’est la part exclusive de Dieu de réaliser la grâce du mystère. Aussi Jean-Baptiste repoussant tout désir ambitieux de grandeur, déclare, non par ses paroles, mais par ses oeuvres, qu’il n’est pas le Christ, c’est pour cela qu’il ajoute : « Un autre va venir plus puissant que moi, » etc. En disant : « Plus puissant que moi, » il n’établit point une comparaison, car aucune comparaison n’est possible entre le Fils de Dieu et un homme, mais il veut simplement dire que s’il y en a beaucoup parmi les anges et les hommes qui aient de la puissance, le Christ seul est plus puissant qu’eux tous. Enfin, il est si loin de vouloir faire une comparaison, qu’il ajoute : « Dont je ne suis pas digne de dénouer la courroie de la chaussure. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 12.) Saint Matthieu dit au contraire : « Dont je ne suis pas digne de porter la chaussure. » S’il y a quelque intérêt à donner un sens différent à ces deux locutions : « Porter la chaussure, » ou : « Dénouer les cordons de la chaussure, » de manière qu’un Évangéliste ait rapporté la première de ces deux locutions, et l’autre la seconde, il faut admettre que tous deux ont dit la vérité. Si au contraire, en parlant de la chaussure du Seigneur, Jean-Baptiste ne s’est proposé que de faire ressortir la supériorité du Christ et son humble dépendance, ces deux locutions figurées, rapportées l’une par saint Matthieu et l’autre par saint Luc, expriment la même vérité, et ont pour but de faire ressortir la profonde humilité du saint Précurseur.

 

S. Ambr. Ces paroles : « Je ne suis pas digne de porter sa chaussure, » signifient encore que le ministère et la grâce de la prédication ont été confiés aux Apôtres qui ont aux pieds la chaussure de l’Évangile (Ep 6, 15). Cependant on peut dire que Jean-Baptiste s’exprime de la sorte, parce qu’il représente la personne du peuple juif.

 

S. Grég. (hom. 7.) Jean-Baptiste se déclare indigne de dénouer la courroie de sa chaussure, comme s’il disait : Je ne puis découvrir les pieds du Rédempteur puisque je ne puis prendre le nom d’époux qui ne m’appartient pas. C’était la coutume, en effet, chez les anciens, que lorsqu’un homme ne voulait point prendre la femme qu’il devait épouser, celui qui devenait alors son époux ôtait la chaussure du premier qui l’avait refusée (cf. Dt 25) ; ou bien encore, comme les chaussures sont faites avec la peau des animaux qui sont morts, Notre-Seigneur, par son incarnation, est venu dans le monde portant aux pieds les dépouilles mortelles de notre nature corruptible. La courroie de la chaussure est comme le noeud du mystère. Jean-Baptiste ne peut donc dénouer la courroie de la chaussure du Sauveur, parce qu’il est incapable de pénétrer le mystère de l’incarnation que l’esprit prophétique seul lui a fait connaître.

 

S. Chrys. (hom. 11.) Il venait de déclarer que son baptême n’était qu’un baptême d’eau, il montre maintenant l’excellence du baptême institué par le Christ : « Pour lui, il vous baptisera dans l’Esprit saint et le feu, exprimant ainsi par cette métaphore l’abondance de la grâce, car il ne dit pas : Il vous donnera l’Esprit saint, mais : « Il vous baptisera dans l’Esprit saint. » Il ajoute : « Et dans le feu, » pour montrer toute la puissance de la grâce. Et de même que Jésus-Christ exprime sous la figure de l’eau (cf. Jn 4, 14) la grâce de l’Esprit saint, c’est-à-dire, la pureté qu’elle produit et l’ineffable consolation dont elle inonde les âmes qui en sont dignes ; ainsi Jean-Baptiste, sous l’image du feu, veut exprimer la ferveur et la pureté que la grâce produit dans l’âme avec la destruction complète du péché. — Bède. Sous la figure du feu, on peut encore entendre l’Esprit saint qui embrase par l’amour et tout à la fois éclaire par la sagesse les coeurs qu’il remplit de sa présence, et c’est pour exprimer cette vérité que les Apôtres ont reçu le baptême de l’Esprit sous l’image d’un feu visible. Il en est qui expliquent ce passage en disant que le baptême de l’Esprit est pour le temps présent, et le baptême du feu pour la vie à venir ; en ce sens que de même que nous puisons une nouvelle naissance dans l’eau et l’Esprit saint pour la rémission de tous nos péchés, de même nous serons purifiés de nos fautes plus légères par le baptême de feu du purgatoire. — Orig. (hom. 24.) De même encore que Jean-Baptiste attendait sur les bords du fleuve du Jourdain ceux qui venaient demander son baptême, qu’il repoussait les uns, en les appelant : « Race de vipères, » et recevait les autres qui faisaient l’aveu sincère de leurs péchés, ainsi le Seigneur Jésus se tiendra sur les bords du fleuve de feu près du glaive flamboyant. Tout homme qui, au sortir de cette vie voudra entrer dans le paradis et aura besoin d’être purifié, sera baptisé dans ce bain de feu avant d’être introduit dans le paradis. Quant à celui qui ne portera point le signe des premiers baptêmes, il ne pourra être baptisé dans ce baptême de feu.

 

S. Bas. (traité de l’Esprit saint, ch. 2.) De ces paroles de Jean-Baptiste : « Il vous baptisera dans l’Esprit saint. » N’allez pas conclure que la seule invocation de l’Esprit saint rend le baptême parfait, car pour les signes sacrés qui nous confèrent la grâce, nous devons suivre dans toute leur intégrité les règles de la tradition. Vouloir y ajouter ou en retrancher quelque chose, c’est se retrancher de la vie éternelle, car nous baptisons au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, pour conformer notre baptême à notre croyance. — Ch. des Pèr. gr. Ces paroles : « Il vous baptisera dans l’Esprit saint, » signifient donc l’abondance de la grâce et la richesse du bienfait. Mais parce qu’on pourrait croire que c’est le propre de la puissance et de la volonté du Créateur de répandre ses bienfaits, tandis qu’il n’entre nullement dans ses attributs de punir les rebelles ; Jean-Baptiste ajoute : « Il tient le van en sa main, » nous enseignant ainsi qu’il est aussi sévère pour venger les prévaricateurs qu’il est magnifique pour récompenser la vertu. Le van signifie la promptitude dans l’exécution du jugement, car en un instant, sans aucun débat, sans acun délai, il séparera les damnés de la société des élus.

 

S. Cyr. (Trés., 2, 4) En ajoutant : « Et il nettoiera son aire, » Jean-Baptiste nous apprend que Jésus-Christ est le souverain Maître de l’Église. — Bède. L’aire est en effet la figure de l’Église de la terre, où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Cette aire se nettoie en partie dans la vie présente, lorsqu’un mauvais chrétien est retranché de l’Église par le jugement sacerdotal, en punition de ses fautes publiques et scandaleuses ; ou bien lorsque après sa mort il est condamné au tribunal de Dieu pour des crimes secrets ; et elle sera nettoyée entièrement à la fin du monde, quand le Fils de l’homme enverra ses anges pour faire disparaître de son royaume tous les scandales. — S. Aug. Le van, que le Seigneur tient en sa main, signifie qu’à lui seul appartient le droit de discerner les mérites des hommes, parce qu’en effet, lorsqu’on vanne le blé dans l’aire, le souffle de l’air fait comme une espèce de discernement du bon grain d’avec le mauvais : « Et il amassera le froment dans son grenier, » etc. Par cette comparaison, le Seigneur nous enseigne qu’au jour du jugement, il fera le discernement des mérites solides et des véritables fruits de vertu d’avec la légèreté stérile de toutes ces actions vaines, aussi chétives que présomptueuses, et placera dans la demeure des cieux les hommes d’une vertu parfaite. Or, les hommes qui sont des fruits parfaits sont ceux qui ont été jugés dignes de ressembler à celui qui a été semé comme un grain de blé pour produire ensuite des fruits plus abondants. (Jn 12.) — S. Cyr. La paille, au contraire, est l’emblème des âmes indolentes et vaines, et dont la mobilité flotte à tout vent de péché. — S. Bas. Les chrétiens de cette espèce ne laissent pas d’être utiles à ceux qui sont jugés dignes du royaume des cieux, soit en leur communiquant les dons spirituels, soit en leur donnant des secours extérieurs, bien qu’ils ne le fassent point par un motif d’amour de Dieu ou de charité du prochain.

 

Orig. (hom. 26) Comme le blé ne peut être séparé de la paille que par le mouvement de l’air, le juste juge est représenté tenant à la main un van, qui fait connaître que les uns sont de la paille et les autres du froment. En effet, lorsque vous n’étiez qu’une paille légère (c’est-à-dire incrédule), la tentation vous a fait voir ce que vous étiez sans le savoir, mais lorsque vous avez supporté courageusement les épreuves, la tentation ne vous rend pas fidèle et patient, mais elle fait éclater la vertu qui était au dedans de votre âme.

 

S. Grég. de Nysse. Il est utile de se rappeler que les biens qui nous sont promis et que Dieu tient en réserve pour ceux qui vivent saintement, dépassent de beaucoup toutes les explications que nous pouvons en donner ; car ni l’oeil de l’homme n’a vu, ni son oreille n’a entendu, ni son coeur n’a compris l’excellence de ces biens. Il en est de même des châtiments réservés aux pécheurs, ils n’ont aucune proportion avec les peines sensibles de cette vie. Nous les exprimons sans doute par les noms dont nous faisons usage dans notre langue, mais quelle distance les sépare de nos peines ordinaires ! car lorsque vous entendez parler de feu, et que l’Évangéliste ajoute : « inextinguible, » aussitôt votre attention se porte sur un feu tout différent du nôtre, auquel ne convient point cette expression. — S. Grég. (Moral., 15, 17.) Expression merveilleuse et étonnante pour désigner le feu de l’enfer. En effet, notre feu matériel ne peut être entretenu que par la quantité de bois qu’on y jette, et il ne dure qu’à la condition d’être toujours alimenté ; au contraire, le feu de l’enfer, quoiqu’il soit matériel et qu’il brûle corporellement les réprouvés qui y sont précipités, n’est point alimenté par le bois, mais une fois créé, il dure toujours et ne s’éteint jamais.

 

Vv. 18—20.

Orig. Jean-Baptiste avait annoncé Jésus-Christ, il avait prêché le baptême de l’Esprit saint et les autres vérités que nous rapporte le récit évangélique. Mais il en prêchait d’autres encore, comme nous le voyons par ces paroles : « Il disait beaucoup d’autres choses au peuple dans les discours qui lui faisait. — Théophyl. Ses exhortations contenaient la bonne doctrine, et l’auteur sacré les appelle avec raison l’Évangile. — Orig. De même que nous lisons dans l’Evangile selon saint Jean, qu’il fit encore beaucoup d’autres discours, et beaucoup d’autres miracles ; ainsi ces paroles de saint Luc doivent nous faire comprendre que Jean-Baptiste enseignait encore des vérités d’une trop haute portée pour pouvoir être rapportées par écrit. Nous sommes remplis d’admiration pour Jean-Baptiste, parce qu’il est le plus grand de tous ceux qui sont nés de la femme, parce que son éminente vertu l’a élevé à une si haute renommée, que plusieurs ont pensé qu’il était le Christ, mais qu’il parut bien plus admirable encore de n’avoir ni craint Hérode ni redouté la mort : « Mais Hérode le Tétrarque ayant été repris, » etc.

 

Eusèbe. (hist. ecclés., 1, 43.) Cet Hérode est appelé Tétrarque pour le distinguer de l’autre Hérode qui régnait sur la Judée lors de la naissance du Christ : ce dernier était roi, l’autre n’était que tétrarque. Or, il avait pour femme la fille d’Arétas, roi d’Arabie, avec laquelle il avait contracté une union sacrilège, puisqu’elle était la femme de son frère Philippe, et qu’elle en avait eu des enfants ; car ces sortes d’unions n’étaient permises qu’à ceux dont les frères étaient morts sans poStérité. C’est de ce crime que Jean-Baptiste avait repris Hérode. D’abord ce prince se rendit attentif aux paroles du saint Précurseur, pleines à la fois de sévérité et de douceur, mais la passion qu’il avait pour Hérodiade le portait à mépriser les reproches de Jean-Baptiste, c’est pourquoi il le fit mettre en prison : « Il ajouta ce crime à tous les autres, dit l’Évangéliste, et fit mettre Jean en prison. »

 

Bède. Ce ne fut point à l’époque dont il est ici question que Jean-Baptiste fut fait captif, mais d’après l’Évangile selon saint Jean ce fut après que le Sauveur eut opéré quelques miracles, et après que la renommée de son baptême se fut répandue au loin. Cependant, saint Luc place ici la captivité du saint Précurseur, pour faire ressortir toute la méchanceté d’Hérode, qui, voyant la foule accourir à la prédication de Jean, les soldats croire à sa parole, les publicains se convertir, tout le peuple recevoir le baptême, à l’encontre de tous les autres, non seulement ne fait aucun cas des paroles de Jean-Baptiste, mais le charge de chaînes et le jette en prison. — La Glose. C’est avant que saint Luc ait commencé le récit des actions de Jésus, qu’il raconte la captivité de Jean, pour nous montrer qu’il va s’appliquer uniquement à raconter les événements qui se sont passés depuis l’année où Jean-Baptiste fut jeté dans les fers ou mis à mort.

 

Vv. 21-22.

S. Ambr. Saint Luc abrège à dessein ce qui a été raconté par les autres Évangélistes, et il laisse à entendre plutôt qu’il ne raconte lui-même, le baptême du Sauveur par Jean-Baptiste « Or, il arriva que comme tout le peuple recevait le baptême, Jésus ayant été aussi baptisé, » etc. Notre-Seigneur voulut être baptisé, non pour se purifier, lui qui n’a pas connu le péché, mais pour communiquer aux eaux, par le contact de sa chair immaculée, la vertu de purifier les hommes dans le baptême. — S. Grég. de Nazianze. Jésus-Christ voulut encore être baptisé, peut-être pour sanctifier Jean-Baptiste lui-même, mais sans aucun doute pour submerger et détruire dans l’eau le vieil Adam tout entier. — S. Ambr. Notre-Seigneur nous apprend d’ailleurs lui-même pourquoi il voulut recevoir le baptême, quand il dit : « C’est ainsi qu’il nous faut accomplir toute justice. » Or, en quoi consiste la justice ? à commencer par faire ce que vous voulez qu’on vous fasse à vous-mêmes et à donner le premier l’exemple. Que personne donc ne se refuse à recevoir le baptême de la grâce, quand Jésus-Christ n’a pas dédaigné de recevoir le baptême de la pénitence.

 

S. Chrys. Il y avait un baptême chez les Juifs qui purifiait le corps de ses souillures, mais sans purifier la conscience de ses crimes ; notre baptême, au contraire, efface les péchés, purifie l’âme et communique l’abondance de l’Esprit saint. Le baptême de Jean était supérieur au baptême des Juifs ; car il ne demandait pas comme disposition nécessaire l’observance des purifications extérieures et légales, mais la conversion sincère du vice à la vertu. Cependant il était beaucoup moins efficace que le nôtre, parce qu’il ne conférait pas l’Esprit saint et ne donnait pas la rémission des péchés par la grâce sanctifiante ; c’était comme un milieu entre ces deux baptêmes. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ ne voulut recevoir ni le baptême des Juifs, ni le nôtre, parce qu’il n’avait aucun besoin de la rémission des péchés, et que sa chair, conçue dès le commencement par l’opération de l’Esprit saint, n’en avait jamais été séparée. Mais il voulut recevoir le baptême de Jean, pour que la nature même de ce baptême vous fit comprendre qu’il n’était baptisé ni pour obtenir la rémission des péchés, ni pour recevoir les dons de l’Esprit saint. L’Évangéliste nous dit que Jésus ayant été baptisé, priait, pour vous apprendre qu’après avoir reçu le baptême, la prière continuelle est un devoir pour tout chrétien. — Bède. Tous les péchés, sans doute, sont effacés dans le baptême, mais la fragilité de cette chair périssable et mortelle est loin d’être affermie ; nous nous félicitons d’avoir traversé la mer Rouge où les Égyptiens ont été engloutis (Ex 14, 17), mais nous rencontrons dans le désert de la vie du monde d’autres ennemis dont il nous faut triompher par de grands efforts, sous la conduite de la grâce de Jésus-Christ, jusqu’à ce que nous parvenions à notre patrie. — S. Chrys. L’Évangéliste ajoute : « Le ciel s’ouvrit, comme s’il était demeuré fermé jusque-là ; » mais désormais le bercail du ciel et celui de la terre n’en font plus qu’un, il n’y a plus qu’un seul pasteur des brebis, le ciel est ouvert, et l’homme, habitant de la terre, est associé aux anges qui habitent les cieux. — Bède. Le ciel ne s’ouvrit pas pour Jésus, dont les yeux pénétraient jusque dans les profondeurs des cieux, mais ce miracle eut lieu pour nous montrer la vertu du baptême ; la porte du ciel est immédiatement ouverte à celui qui vient de le recevoir, et en même temps que sa chair innocente est plongée dans les eaux, le glaive de feu qui menaçait autrefois les, coupables se trouve éteint.

 

S. Chrys. L’Esprit saint descendit aussi sur le Sauveur comme sur le principe et l’auteur de notre race, pour être premièrement en Jésus-Christ qui le reçut, non pas pour lui, mais bien plutôt pour nous-même : « Et l’Esprit saint descendit sur lui, » etc. Que personne donc ne pense qu’il reçut l’Esprit saint, comme s’il ne l’avait pas eu jusqu’alors ; car c’est lui-même qui, comme Dieu, l’envoyait du haut du ciel, et lui-même qui le recevait comme homme sur la terre. L’Esprit saint descendait de lui, c’est-à-dire de sa divinité, pour venir se reposer sur lui, c’est-à-dire sur son humanité. — S. Aug. (de la Trin., 15, 26.) Ce serait une énorme absurdité de penser que Jésus reçut l’Esprit saint à l’âge de trente ans ; il vint alors pour recevoir le baptême sans avoir de péché, mais non sans avoir l’Esprit saint ; car s’il est dit de Jean-Baptiste : « Il sera rempli de l’Esprit saint dès le sein de sa mère » (Lc 1), que doit-on penser de Jésus-Christ l’Homme-Dieu, dont la conception ne fut pas l’oeuvre de la chair, mais l’opération du Saint-Esprit ? Aujourd’hui donc il daigne porter la figure de son corps, c’est-à-dire de son Église, dans laquelle tous ceux qui sont baptisés reçoivent l’Esprit saint — S. Chrys. Ce baptême présentait un mélange tout à la fois d’ancienneté et de nouveauté ; d’ancienneté, parce que Jésus recevait le baptême des mains d’un prophète ; de nouveauté, parce que l’Esprit saint descendit sur lui.

 

S. Ambr. Or, le Saint-Esprit apparut sous la forme d’une colombe, parce qu’il ne peut être vu dans la substance de sa divinité. Considérons encore les autres raisons mystérieuses pour lesquelles il apparut sous la forme d’une colombe. La grâce du baptême exige la simplicité, et veut que nous soyons simples comme des colombes ; la grâce du baptême exige aussi la paix du coeur, figurée par cette branche d’olivier qu’une colombe rapporta autrefois dans l’arche, qui fut seule préservée des eaux du déluge. — S. Chrys. Ou bien encore, l’Esprit saint apparaît sous la forme d’une colombe, comme signe de la douceur du divin Maître, tandis que le jour de la Pentecôte, il descend sous l’image du feu, pour figurer les châtiments réservés aux coupables. En effet, lorsqu’il fallait pardonner les péchés, la douceur était nécessaire, mais maintenant que nous avons reçu la grâce, nous n’avons plus à attendre, si nous sommes infidèles, que le jugement et la condamnation. — S. Cypr. (de l’unité de l’Église.) La colombe est un animal aimable et simple, qui n’a ni fiel ni morsures cruelles, ni griffes déchirantes ; elle aime l’habitation de l’homme, elle s’attache à une seule maison. Lorsque les colombes ont des petits, ni le père ni la mère ne les quittent ; lorsqu’elles prennent leur essor, c’est toujours ensemble et de concert ; leurs baisers réciproques sont le signe et l’expression de l’affection qui les unit et de la parfaite concorde qui ne cesse de régner entre elles.

 

S. Chrys. A la naissance de Jésus-Christ, bien des oracles avaient manifesté sa divinité, mais les hommes n’y prêtèrent aucune attention. Lors donc qu’il eût mené, pour un temps, une vie obscure et cachée, il se manifesta de nouveau par des signes plus éclatants. Une étoile, du haut du ciel, avait révélé sa naissance, mais dans les eaux du Jourdain, c’est l’Esprit saint qui descend sur lui, c’est le Père qui fait entendre sa voix au-dessus de sa tête pendant qu’on le baptise : « Et, du ciel, une voix se fit entendre : vous êtes mon Fils bien-aimé, » etc. — S. Ambr. Nous avons vu l’Esprit saint, mais sous une forme visible, écoutons maintenant la voix du Père que nous ne pouvons, voir. En effet, le Père est invisible, le Fils l’est également dans sa divinité, mais il s’est rendu visible dans le corps dont il s’est revêtu ; et comme le Père n’avait point ce corps, il a voulu nous prouver qu’il était présent dans le Fils en disant : « Vous êtes mon Fils bien-aimé. » — S. Athan. La sainte Écriture donne au nom de Fils deux significations différentes, la première, comme dans ce passage de l’Évangile : « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ; » la seconde, lorsque par exemple elle dit qu’Isaac est fils d’Abraham. Or, Jésus-Christ est appelé non pas simplement Fils de Dieu, mais avec l’addition de l’article : « Vous êtes mon Fils, » pour nous faire comprendre qu’il est le seul qui soit véritablement le Fils de Dieu par nature. Aussi est-il appelé encore : « Fils unique. » S’il était Fils de Dieu dans le sens absurde d’Arius, comme ceux qui n’obtiennent ce nom que par un effet de la grâce, il ne différerait en rien de nous autres. Il ne nous reste donc qu’à dire, dans le second sens, que Jésus-Christ est vraiment le Fils de Dieu, comme Isaac est vraiment le fils d’Abraham. En effet, celui qui est engendré naturellement par un autre, et qui ne tire point son origine d’un autre principe extérieur, est regardé comme le Fils par nature. Mais dira-t-on peut-être : Est-ce que la naissance du Fils a été accompagnée de souffrance comme la naissance de l’homme ? nullement. Dieu est indivisible, il est donc le Père impassible de son Fils, qui est appelé Verbe du Père, parce que le Verbe de l’homme lui-même est produit sans aucune souffrance. De plus, comme la nature divine est simple, Dieu est Père d’un seul Fils, c’est pourquoi il ajoute : « Bien-aimé. » — S. Chrys. Car celui qui n’a qu’un fils concentre dans ce fils toute son affection, si au contraire il est père de plusieurs enfants, son affection s’affaiblit en se répandant sur chacun d’eux.

 

S. Athan. Le prophète avait été autrefois l’organe des promesses de Dieu, lorsqu’il disait par sa bouche : « J’enverrai le Christ mon Fils. » Aujourd’hui que cette promesse reçoit son accomplissement sur les bords du Jourdain, Dieu ajoute : « J’ai mis en vous mes complaisances. » — Bède. Comme s’il disait : J’ai mis en vous mon bon plaisir, c’est-à-dire, j’ai résolu d’exécuter par vous toutes mes volontés. — S. Grég. (hom. 8 sur Ezéch.) Ou bien dans un autre sens, tout homme qui répare en se repentant, le mal qu’il a commis ; par le fait même de son repentir, indique qu’il se déplaît à lui-même, puisqu’il corrige le mal qu’il a fait. Ainsi le Père tout-puissant a parlé des pécheurs à la manière des hommes, quand il a dit : « Je me repens d’avoir fait l’homme, » et pour ainsi parler, il s’est déplu dans les pécheurs qu’il a créés. Mais Jésus-Christ est le seul dans lequel il s’est complu, parce qu’il est le seul dans lequel il n’a point trouvé de faute qui pût devenir pour lui l’objet d’un blâme ou d’un repentir.

 

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 14.) D’après saint Matthieu, Dieu aurait dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; » d’après saint Luc : « Vous êtes mon Fils bien-aimé ; » mais ces deux variantes expriment la même pensée. La voix céleste ne s’est servi que de l’une des deux, mais saint Matthieu a voulu montrer que ces paroles « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, » avaient surtout pour objet de faire connaître à ceux qui les entendaient, que Jésus était le Fils de Dieu, car elles ne pouvaient apprendre à Jésus-Christ ce qu’il savait, c’est donc pour ceux qui étaient présents que cette voix se fit entendre.

 

 

Vv. 23-38.

Orig. (hom. 28.) Après avoir raconté le baptême du Seigneur, l’Évangéliste donne sa généalogie, non point en descendant des pères aux enfants, mais en remontant de Jésus-Christ jusqu’à Dieu même. Or Jésus avait, quand il commença son ministère, environ trente ans. Saint Luc dit qu’il commença, lorsqu’il eut reçu dans le baptême, comme une seconde et mystérieuse naissance, pour vous enseigner la nécessité de détruire la première naissance, afin de renaître mystérieusement une seconde fois. — S. Greg. (disc. 39.) Considérons quel est celui qui est baptisé, de qui il reçoit le baptême et à quel temps. C’est celui qui est la pureté même, qui reçoit le baptême des mains de Jean, après qu’il a déjà commencé à opérer des miracles, apprenons de là l’obligation de purifier d’abord notre âme, de pratiquer l’humilité, et de ne point nous charger du ministère de la prédication avant d’avoir atteint l’âge parfait aussi bien pour l’esprit que polir le corps. La première de ces leçons s’adresse à ceux qui veulent recevoir le baptême sans aucune disposition, sans y être aucunement préparés, sans y apporter cette vertu solide qui garantit les effets de la justification par la grâce, car le baptême remet sans doute et efface les péchés passés, mais on doit toujours craindre de retourner à son vomissement. La seconde leçon est pour ceux qui se montrent dédaigneux et fiers à l’égard des dispensateurs des saints mystères qu’ils voient plus élevés en dignité. La troisième leçon s’adresse à ceux qui, pleins de confiance dans leur jeunesse, s’imaginent qu’on peut à tout âge se charger de l’enseignement ou des fonctions redoutables de l’épiscopat. Eh quoi ! Jésus s’abaisse jusqu’à se purifier, et vous, vous dédaignez fièrement de le faire. Il s’humilie jusqu’à recevoir le baptême des mains de Jean-Baptiste, et vous affectez vis-à-vis de votre Maître un esprit d’indocilité et d’indépendance ? Jésus a trente ans lorsqu’il commence à enseigner, et vous à peine sorti de l’adolescence, vous croyez pouvoir enseigner les vieillards, sans avoir ni l’autorité de l’âge ni celle qui vient de la vertu ? M’alléguerez-vous l’exemple de Daniel et d’autres semblables, car celui qui fait mal est toujours prêt à justifier sa conduite. Je vous répondrai, moi, que ce qui arrive rarement, ne fait pas loi dans l’Église ; une seule hirondelle ne fait pas le printemps (on n’est pas géomètre pour avoir tracé une seule ligne, on n’est pas bon pilote après une seule navigation). S. Chrys. On peut dire encore que Jésus attend pour accomplir toute la loi, l’âge où l’on est capable de tous les péchés, afin qu’on ne pût dire qu’il détruisait la loi parce qu’il ne pouvait l’observer. — Ch. des Per. gr. (Séver. d’Antioch.) On peut dire aussi qu’il reçoit le baptême à trente ans, pour montrer que la régénération spirituelle rend les hommes parfaits en proportion de l’âge spirituel. — Bède. Enfin on peut dire que Notre-Seigneur a voulu être baptisé à l’âge de trente ans comme figure du mystère de notre baptême, où nous faisons profession de croire à la sainte Trinité et de pratiquer les préceptes du Décalogue. — S. Grég. de Naz. (Disc. 40.) Cependant on doit baptiser les petits enfants s’il y a nécessité, car il vaut mieux recevoir la justification sans en avoir la conscience, que de sortir de cette vie sans être marqué du signe sacré du baptême. Vous me direz peut-être Quoi ! Jésus-Christ qui était Dieu, attend l’âge de trente ans pour se faire baptiser, et vous voulez qu’on se hâte de recevoir le baptême ? En reconnaissant que Jésus-Christ était Dieu, vous avez répondu à cette objection. Il n’avait aucun besoin d’être purifié, il ne courait aucun danger en différant de recevoir le baptême ; pour vous, au contraire, vous vous exposez au plus grand des malheurs, si vous quittez cette vie avec cette seule naissance qui vous a engendré à une vie de corruption, et sans être revêtu du vêtement incorruptible de la grâce. Sans doute il est bon de conserver l’innocence et la pureté du baptême, mais il vaut mieux s’exposer à quelques légères souillures que d’être entièrement privé de la grâce qui sanctifie.

 

S. Cyr. Quoique Jésus-Christ n’eût pas de père selon la chair, on croyait assez généralement qu’il en avait un, c’est cette opinion que l’Évangéliste exprime en disant : « Etant, comme l’on croyait, fils de Joseph. » — S. Ambr. Cette expression, « comme l’on croyait, » est très juste, car il ne l’était pas en effet, mais il passait pour l’être, parce que Marie sa mère était l’épouse de Joseph. Mais pourquoi donner la généalogie de Joseph plutôt que celle de Marie, alors que Marie a enfanté Jésus-Christ par l’opération de l’Esprit saint, et que Joseph est tout à fait étranger à cette divine naissance ? Nous aurions lieu d’en être surpris, si nous ne savions que c’est la coutume de l’Écriture, de remonter toujours à l’origine du mari plutôt que de la femme, ce qui est ici d’autant plus naturel, que Marie et Joseph avaient une même origine. En effet, comme Joseph était un homme juste, il dut choisir une épouse de sa tribu et de sa famille. Aussi à l’époque du dénombrement, nous voyons Joseph, qui était de la maison et de la famille de David, se rendre à Bethléem pour s’y faire inscrire avec Marie son épouse, qui était enceinte. Puisqu’elle se fait inscrire comme étant de la même tribu et de la même famille, c’est qu’elle en était en effet ; voilà donc pourquoi l’Évangéliste nous donne la génération de Joseph et la commence ainsi : « Qui fut fils d’Héli. » Mais remarquons que d’après saint Matthieu, Jacob, qui fut père de Joseph, est fils de Nathan, tandis que d’après saint Luc, Joseph, époux de Marie, est fils d’Héli. Or, comment un seul et même homme peut-il avoir deux pères, Héli et Jacob ? — S. Grég. de Naz. Quelques-uns prétendent qu’il n’y a qu’une seule généalogie de David à Joseph, mais reproduite sous des noms différents par les deux Evangélistes. Mais cette opinion est tout simplement absurde, puisque en tête de cette généalogie, nous voyons deux frères, Nathan et Salomon, tous deux souches de deux générations tout à fait distinctes.

 

Eusèbe. (Hist. eccl., 1, 6.) Entrons plus avant dans l’intelligence de ces paroles si tandis que saint Matthieu affirme que Joseph est fils de Jacob, saint Luc, de son côté, affirmait également que Joseph est fils d’Héli, il y aurait quelque difficulté. Mais comme en face de l’affirmation de saint Matthieu, saint Luc ne fait qu’exprimer l’opinion d’un certain nombre de personnes, et non pas la sienne, en disant « Comme l’on croyait, » il ne peut y avoir de place pour le doute. En effet, il y avait parmi les Juifs partage d’opinions sur la personne du Christ ; tous le faisaient descendre de David par suite des promesses que Dieu lui avait faites ; mais la plupart croyaient qu’il devait descendre de David par Salomon et par les autres rois ses successeurs, tandis que d’autres rejetaient cette opinion à cause des crimes énormes dont plusieurs de ces rois s’étaient rendus coupables, et aussi parce que Jérémie avait prédit de Jéchonias, qu’aucun rejeton de sa race ne s’assoierait sur le trône de David (Jr 21). Or, c’est cette dernière opinion que rapporte saint Luc, bien qu’il sût que la généalogie rapportée par saint Matthieu, fût seule la vraie. A cette première raison nous pouvons en ajouter une plus profonde ; saint Matthieu commence son Évangile avant le récit de la conception et de la naissance temporelle de Jésus-Christ ; il était donc naturel qu’il fit précéder ce récit, comme dans toute histoire, de la généalogie de ses ancêtres selon la chair. Voilà pourquoi il donne cette généalogie en descendant des ancêtres aux enfants, parce qu’en effet, le Verbe divin est descendu en se revêtant de notre chair. Saint Luc, au contraire, saute comme d’un bond jusqu’à la nouvelle naissance que Jésus semble prendre dans les eaux du baptême, et il dresse une autre généalogie en remontant des derniers aux premiers, des enfants à leurs pères. De plus, il passe sous silence le nom des rois coupables que saint Matthieu avait inséré dans sa généalogie, parce que tout homme qui reçoit de Dieu une nouvelle naissance, devient étranger à ses parents coupables, en qualité d’enfant de Dieu, et il ne fait mention que de ceux qui ont mené une vie vertueuse aux yeux de Dieu. Car ainsi qu’il fut dit à Abraham : « Vous irez rejoindre vos pères, » (Gn 15), non pas vos pères selon la chair, mais vos pères selon Dieu, à cause de la conformité de votre vie avec leurs vertus. Ainsi saint Luc donne à celui qui a reçu de Dieu une nouvelle naissance des ancêtres selon Dieu, à cause de la ressemblance de moeurs qui existe entre les pères et les enfants. — S. Aug. (quest. sur l’Anc. et le Nouv. Test., quest. 65.) Oui bien encore, saint Matthieu descend de David par Salomon jusqu’à Joseph ; saint Luc au contraire remonte d’Héli contemporain du Sauveur par la ligne de Nathan fils de David, et il réunit les tribus d’Héli et de Joseph ; montrant ainsi qu’ils sont de la même famille, et qu’ainsi le Sauveur n’est pas seulement fils de Joseph, mais d’Héli. Par la même raison, en effet, que le Sauveur est appelé fils de Joseph, il est aussi le fils d’Héli et de tous les ancêtres de la même tribu ; vérité que l’Apôtre exprime en ces termes : « Qui ont pour pères les patriarches, et de qui est sorti selon la chair Jésus-Christ. » — S. Aug. (quest. év., 2, 5.) On peut donner trois différentes explications de cette divergence entre les deux généalogies de saint Matthieu et de saint Luc, ou bien, l’un donne le nom du père de Joseph, l’autre celui de son aïeul maternel ou d’un de ses ancêtres ; ou bien d’un côté nous avons le père naturel de Joseph, de l’autre son père adoptif ; ou bien encore l’un des deux qui nous sont donnés comme pères de Joseph, étant mort sans enfants, son plus proche parent aura épousé sa femme, selon la coutume des Juifs, et donné ainsi un enfant à celui qui était mort. — S. Ambr. La tradition nous apprend en effet, que Nathan qui descend de Salomon, eut un fils nommé Jacob, et mourut avant sa femme que Melchi épousa, et dont il eut un fils appelé Héli. Jacob à son tour étant mort sans enfants, Héli épousa sa femme et en eut pour fils Joseph, qui, d’après la loi, est appelé fils de Jacob, parce qu’Héli, conformément aux dispositions de la loi (Dt 25), donnait des enfants à son frère mort. — Bède. Ou bien encore, on peut dire que Jacob, pour obéir à la loi, a épousé la femme de son frère Héli, mort sans enfants, et qu’il en eut Joseph, qui était son fils dans l’ordre naturel, mais qui d’après les prescriptions de la loi, était le fils d’Héli. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 1, 3.) Il est plus probable que saint Luc nous a donné la généalogie des ancêtres adoptifs de Joseph, puisqu’il ne dit pas que Joseph ait été engendré par celui dont il l’appelle le fils. On conçoit mieux, en effet, qu’on puisse appeler un homme le fils de celui qui l’a adopté, que de dire qu’il a été engendré par celui qui n’est pas son père naturel. Saint Matthieu, au contraire, en s’exprimant de la sorte : « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, » et en continuant ainsi jusqu’à la fin de la généalogie, qu’il termine en disant : « Jacob engendra Joseph, » nous indique assez clairement qu’il a voulu donner la généalogie des ancêtres naturels de Joseph, plutôt que la généalogie de ses ancêtres adoptifs. Mais supposons même que saint Luc ait dit que Joseph ait été engendré par Héli, il n’y aurait pas de quoi nous troubler ; ne peut-on pas dire en effet, sans absurdité, que celui qui adopte un fils l’engendre, non selon la chair, mais par l’affection qu’il lui porte ? Or saint Luc nous donne la généalogie des ancêtres adoptifs de saint Joseph, parce que c’est la foi au Fils de Dieu qui nous fait enfants adoptifs de Dieu, tandis que la généalogie naturelle nous apprend plutôt que c’est pour nous que le Fils de Dieu est devenu Fils de l’homme.

 

S. Chrys. (hom. 31 sur l’Ep. aux Rom.) Comme cette partie de l’Évangile ne se compose que d’une suite de noms, elle ne parait offrir à quelques-uns rien de bien important. Pour ne pas tomber dans cette erreur, approfondissons cette partie de l’Évangile, car on peut trouver un riche trésor dans ces noms qui, pour la plupart, renferment de précieuses significations, puisqu’ils nous rappellent la bonté divine et la pieuse reconnaissance des saintes femmes qui donnaient aux enfants qu’ils avaient obtenus un nom commémoratif de la grâce qu’ils avaient reçue.

 

La Glose. (interlin.) Héli signifie mon Dieu, ou celui qui monte, il fut fils de Mathat, c’est-à-dire qui pardonne les péchés, qui fût fils de Lévi, c’est-à-dire qui est ajouté. Saint Luc ne pouvait faire entrer dans sa généalogie un plus grand nombre des enfants de Jacob, sous peine de s’étendre inutilement dans une série de noms étrangers au but qu’il se proposait ; cependant il n’a point voulu passer entièrement sous silence les noms antiques et vénérables des patriarches, et il choisit entre tous les autres, Joseph, Juda, Siméon et Lévi, en qui semblent se personnifier quatre espèces de vertus. Juda, en effet, est la figure prophétique du mystère de la passion du Seigneur ; Joseph est le parfait modèle de la chasteté ; Siméon, le vengeur de la pudeur outragée, et Lévi, le représentant du ministère sacerdotal. — Suite. Il fut fils de Melchi, c’est-à-dire mon roi ; qui le fut de Janné, c’est-à-dire main droite ; qui le fut de Joseph, c’est-à-dire accroissement (ce Joseph est différent du premier) ; qui le fut de Mathathias, c’est-à-dire don de Dieu ou quelquefois ; qui le fut d’Amos, c’est-à-dire qui charge ou qui a chargé ; qui le fut de Nahum, c’est-à-dire secourez-moi ; qui le fut de Mathat, c’est-à-dire désir ; qui le fut de Mathathias, même signification que ci-dessus ; qui le fut de Séméi, c’est-à-dire obéissant ; qui le fut de Joseph, c’est-à-dire accroissement ; qui le fut de Juda, c’est-à-dire qui loue ; qui le fut de Joanna, c’est-à-dire grâce du Seigneur ou miséricorde du Seigneur ; qui le fut de Résa, c’est-à-dire miséricordieux ; qui le fut de Zorobabel, c’est-à-dire prince ou maître de Babylone ; qui le fut de Salathiel, c’est-à-dire Dieu est l’objet de ma demande ; qui le fut de Néri, c’est-à-dire mon flambeau ; qui le fut de Melchi, c’est-à-dire mon royaume ; qui le fût d’Addi, c’est-à-dire robuste ou violent ; qui le fut de Cosan, c’est-à-dire prévoyant ; qui le fut d’Her, c’est-à-dire qui est vigilant, ou veille ou séduisant ; qui le fut de Jésus, c’est-à-dire Sauveur ; qui le fut d’Eliézer, c’est-à-dire mon Dieu est mon secours ; qui le fut de Jorim, c’est-à-dire secours de Dieu ; qui le fut de Mathath, même signification que ci-dessus ; qui le fut de Lévi, comme ci-dessus ; qui le fut de Siméon, c’est-à-dire qui a entendu la tristesse ou le signe ; qui le fut de Juda, c’est-à-dire qui loue ; qui le fut de Jona, c’est-à-dire colombe ou plaintif ; qui le fut d’Eliachim, c’est-à-dire résurrection de Dieu ; qui le fut de Melcha, c’est-à-dire son roi ; qui le fut de Menna, c’est-à-dire mes entrailles ; qui le fut de Mathathias, c’est-à-dire don de Dieu ; qui le fut de Nathan, c’est-à-dire qui a donné ou qui donne.

 

S. Ambr. Nathan personnifie le symbole de la dignité prophétique ; ainsi comme le seul Jésus-Christ réunit toutes les vertus, ces différents genres de vertus ont commencé par briller dans chacun de ses ancêtres.

 

« Qui fut fils de David. » — Orig. (hom. 28.) Le Seigneur, en descendant du ciel sur la terre, s’est soumis en tout à la condition des pécheurs, et a voulu, comme le rapporte saint Matthieu, descendre de Salomon, dont les crimes sont inscrits dans les livres saints, et d’autres rois qui ont fait le mal devant Dieu. Mais quand il monte des eaux du baptême, où il vient de prendre comme une nouvelle naissance, ce n’est point de Salomon que saint Luc le fait descendre, mais de Nathan, qui vint reprocher à son père, David, la mort d’Urie et la naissance de Salomon.

 

S. Grég. de Nazianze. A partir de David, la succession de la généalogie est la même dans les deux Évangélistes. — Suite. « Qui fut fils de Jessé. » — Glose. (interl.) David veut dire qui est puissant, et Jessé signifie encens. Suite. Qui fut fils d’Obed, qui veut dire servitude ; qui le fut de Booz, c’est-à-dire fort ; qui le fût de Salomon, c’est-à-dire sensible ou pacifique ; qui le fut de Naasson, c’est-à-dire augure ou qui tient du serpent ; qui le fut d’Aminadab, c’est-à-dire le peuple volontaire ; qui le fut d’Aram, c’est-à-dire dressé ou élevé ; qui le fut d’Esrom, c’est-à-dire flèche ; qui le fut de Pharès, c’est-à-dire division ; qui le fut de Juda, c’est-à-dire qui loue ; qui le fut de Jacob, c’est-à-dire qui supplante ; qui le fut d’Isaac, c’est-à-dire rire ou joie ; qui le fut d’Abraham, qui veut dire père de beaucoup de nations ou qui voit le peuple.

 

S. Chrys. (hom. 1.) Saint Matthieu, qui écrivait pour les Juifs, s’est proposé seulement d’établir dans son récit que Jésus-Christ descendait d’Abraham et de David, ce qui devait surtout satisfaire les Juifs. Saint Luc, au contraire, dont l’Évangile s’adressait à tous, poursuit la généalogie jusqu’à Adam. — Suite. « Qui fût fils de Tharé. » — La Glose. (interlin.) Tharé veut dire épreuve ou injustice ; qui fut fils de Nachor, c’est-à-dire repos de la lumière ; qui le fut de Sarug, c’est-à-dire courroie, ou qui tient les rênes ou perfection ; qui le fut de Ragaü, c’est-à-dire malade ou paissant ; qui le fut de Pharès, c’est-à-dire qui divise ou qui est divisé ; qui le fut d’Héber, c’est-à-dire passage ; qui le fut de Salé, c’est-à-dire qui enlève ; qui le fut de Cainan, qui veut dire lamentation ou leur possession. Bède. Ni le nom ni la génération de Cainan ne se trouvent dans le texte hébreu de la Genèse ou du livre des jours, où il est dit qu’Arphaxad fut le père immédiat de Sélaa ou Salé. Saint Luc a pris cette génération intermédiaire dans la version des Septante, où il est écrit qu’Arphaxad, âgé de cent trente-cinq ans, engendra Sélaa. — Suite. « Qui fut fils d’Arphaxad. » — La Glose. (interl.) Arphaxad veut dire qui répare la désolation ; qui fut fils de Sem, c’est-à-dire nom ou nommé ; qui le fut de Noé, c’est-à-dire repos. — S. Ambr. Le nom du juste Noé ne devait pas être omis dans la généalogie du Seigneur ; car puisqu’il venait au monde pour fonder son Église, il était juste qu’il comptât parmi ses ancêtres celui qui avait figuré l’établissement de l’Église dans la construction de l’arche. — Suite. « Qui fut fils de Lamech. » — La Glose. (interl.) Lamech veut dire humilié ou qui frappe, ou qui est frappé ou qui est humble ; qui le fut de Mathusalem, c’est-à-dire envoi de la mort ou qui est mort, ou qui interrogea. Les années de Mathusalem sont comptées avant le déluge ; car Jésus-Christ n’ayant été soumis dans sa vie à aucunes vicissitudes de l’âge, ne devait point non plus ressentir les effets du déluge dans ses ancêtres. « Qui fut fils d’Enoch. » Enoch est un signe éclatant de la sainteté du Seigneur et de sa divinité, en ce que le Seigneur n’a pas été soumis à la mort, et qu’il est remonté au ciel, de même qu’Enoch, un de ses ancêtres avait été enlevé dans le ciel. Nous voyons par là que Jésus-Christ aurait pu ne pas mourir, mais qu’il a voulu mourir à cause des grands avantages que devait nous procurer sa mort. Enoch fut enlevé dans le ciel de peur que le mal ne vînt à changer les dispositions de son coeur (Sg 4, 11 ; He 11, 5). Mais quant au Seigneur, qui était inaccessible à la méchanceté du siècle, il est remonté par un effet de sa puissance divine dans le lieu d’où il était descendu. — Bède. En remontant du Fils de Dieu baptisé jusqu’à Dieu le Père, saint Luc place comme à dessein le soixante-dixième. Enoch qui fut transporté dans le paradis sans passer par la mort, pour signifier que ceux qui ont été régénérés dans l’eau et l’Esprit saint, par la grâce de l’adoption des enfants, seront reçus dans le repos éternel ; car le nombre soixante-dix, à cause du jour du sabbat qui est le septième, figure le repos de ceux qui ont accompli le décalogue de la loi par le secours de la grâce de Dieu. — La Glose. (interl.) Enoch veut dire dédicace ; qui fut fils de Jared, c’est-à-dire qui descend ou qui contient ; qui le fut de Malalehel, c’est-à-dire loué de Dieu ou louant Dieu ; qui le fut de Caïnan, dont la signification est la même que précédemment ; qui le fut d’Enos, c’est-à-dire homme, ou désespérant ou violent ; qui le fut de Seth, c’est-à-dire position ou qui posa. — S. Ambr. Le nom de Seth, le dernier fils d’Adam, n’est pas omis dans cette généalogie ; car comme il y a deux générations de peuples différents, le nom de Seth signifie que le Christ doit faire partie de la seconde génération plutôt que de la première.

 

« Qui fut fils d’Adam. » — La Glose. (interlin.) Adam veut dire homme ou terrestre, ou qui a besoin. — S. Ambr. Quoi de plus beau et de plus convenable que de commencer cette sainte généalogie par le Fils de Dieu, et de la conduire jusqu’au Fils de Dieu. Ainsi celui qui est créé, précède comme figure celui qui naît ensuite Fils de Dieu en vérité. Nous voyons paraître d’abord celui qui a été fait à l’image de Dieu et pour le salut duquel l’image substantielle de Dieu est descendue sur la terre. Saint Luc a cru encore devoir faire remonter jusqu’à Dieu l’origine de Jésus-Christ, parce que Dieu a véritablement engendré le Christ, soit dans l’éternelle et véritable génération, soit dans le baptême, où il lui communique comme une nouvelle et mystérieuse naissance. Aussi n’a-t-il point commencé son Évangile par la généalogie du Sauveur, mais il ne la place qu’après le récit de son baptême, pour montrer ainsi qu’il était le Fils de Dieu et par nature, et par la grâce. Et encore, quelle preuve plus évidente de la divine génération de Jésus-Christ que de faire précéder l’exposé de sa généalogie de ces paroles solennelles du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 3.) Saint Luc, en donnant Joseph comme fils d’Héli, n’a point voulu nous faire entendre qu’il était son fils naturel et véritable, mais son fils adoptif, et une preuve évidente, c’est qu’il dit dans le même sens qu’Adam est fils de Dieu, lorsque chacun sait qu’après avoir été créé de Dieu, Adam fut placé dans le paradis, et qu’il devint comme le Fils de Dieu par un effet de cette grâce, qu’il perdit bientôt par son péché. —Théophyl. L’Évangéliste poursuit la généalogie jusqu’à Dieu, qui la termine, et il nous apprend ainsi, d’abord que Jésus-Christ élèvera jusqu’à Dieu les personnages qui en forment la succession intermédiaire, et qui deviendront ainsi fils de Dieu ; secondement, il veut nous convaincre que la génération du Christ était toute en dehors des voies naturelles, comme s’il disait : Si vous ne pouvez croire que la génération du second Adam n’est point due aux causes naturelles, remontez jusqu’au premier Adam, et vous trouverez que Dieu lui a donné l’existence sans avoir besoin de ces causes naturelles.

 

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 4.) Saint Matthieu a voulu surtout nous représenter le Seigneur descendant jusqu’à notre nature faible et mortelle ; dans ce dessein, il commence son Évangile par la généalogie de Jésus-Christ en descendant d’Abraham jusqu’à Jésus-Christ. Saint Luc, au contraire, ne donne cette généalogie qu’après le récit du baptême de Jésus-Christ, et il suit un ordre tout différent, c’est-à-dire qu’il remonte des enfants à leurs pères ; son but est surtout de faire ressortir dans la personne du Sauveur le caractère du. pontife qui doit effacer les péchés, c’est pourquoi il donne sa généalogie après qu’une voix du ciel a fait connaître ce qu’il était, après que Jean-Baptiste lui a rendu ce témoignage : « Voilà celui qui efface les péchés du monde », et en remontant ainsi des enfants à leurs pères, il arrive jusqu’à Dieu avec lequel nous sommes réconciliés par la grâce qui expie nos crimes et nous en purifie. — S. Ambr. Ceux qui ont suivi l’ordre ancien ne sont pas pour cela en contradiction avec notre Évangéliste. Ne soyez pas non plus surpris si d’Abraham à Jésus-Christ vous trouvez dans saint Luc un plus grand nombre de générations que dans saint Matthieu, puisque vous reconnaissez que ces deux Évangélistes donnent la généalogie du Sauveur par des personnages tout différents. Il a pu très bien arriver, en effet, que les personnages d’une généalogie aient vécu plus longtemps, tandis que les personnages de l’autre sont morts dans un âge peu avancé ; puisque nous voyons des vieillards vivre assez longtemps pour voir leurs petits enfants, tandis que nous en voyons d’autres mourir presque aussitôt la naissance de leurs propres enfants. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 6.) C’est par une raison pleine de convenance que saint Luc compte soixante-dix-sept personnes dans sa généalogie, et qu’il suit l’ordre ascendant ; il figure ainsi notre élévation vers Dieu, avec lequel nous sommes réconciliés par la rémission de nos péchés ; car le baptême remet tous les péchés figurés par ce nombre. En effet, onze fois sept font soixante-dix-sept. Or, le nombre dix exprime le bonheur parfait, donc le nombre supérieur au nombre dix représente le péché qui, par orgueil, vent avoir plus. Ce nombre se trouve multiplié sept fois pour indiquer que cette transgression vient de l’action volontaire de l’homme. En effet, le nombre trois représente dans l’homme la partie immatérielle (cf. Lc 10, 27) ; et le nombre quatre, la partie corporelle. Or, le mouvement et l’action ne sont point représentés par les nombres, lorsque nous disons : un, deux, trois ; mais bien lorsque nous comptons une fois, deux fois, trois fois ; donc la multiplication du nombre sept par onze, signifie que la transgression est le résultat de la volonté de l’homme.

 

 

CHAPITRE IV

Vv. 1-4.

Théophyl. Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu être tenté après son baptême, pour nous apprendre qu’après notre baptême nous devons nous attendre à la tentation : « Jésus, plein de l’Esprit saint, revint des bords du Jourdain, » etc. — S. Cyr. Bien longtemps auparavant Dieu avait dit : « Mon Esprit ne demeurera pas dans ces hommes, parce qu’ils ne sont que chair ; mais aussitôt que nous sommes enrichis de la régénération par l’eau et par l’Esprit, nous sommes devenus par l’infusion de l’Esprit saint, participants de la nature divine. Or celui qui est le premier né d’un grand nombre de frères, a reçu le premier l’Esprit saint qu’il communique lui-même aux autres, afin que la grâce de l’Esprit saint pût arriver par lui jusqu’à nous. — Orig. (hom. 29.) Lorsque vous voyez que Jésus est plein de l’Esprit saint, et que vous lisez dans les Actes, que les Apôtres furent remplis de l’Esprit saint, gardez-vous de penser que les Apôtres ont reçu l’Esprit saint dans la même mesure que le Sauveur. En effet, lorsque vous dites : Ces vases sont pleins de vin ou d’huile, vous ne voulez pas toujours dire qu’ils en contiennent la même quantité ; de même aussi Jésus et Paul étaient pleins de l’Esprit saint, mais le vase de Paul était beaucoup plus petit que celui de Jésus, et cependant chacun de ces vases était rempli suivant sa capacité. Or, le Sauveur, après avoir été baptisé et rempli de l’Esprit saint, qui était descendu des cieux sur sa tête sous la forme d’une colombe, était conduit par l’Esprit, car tous ceux qui sont poussés par l’Esprit de Dieu, sont enfants de Dieu (Rm 8), mais Jésus était le Fils propre de Dieu, d’une manière bien plus excellente que tous les autres. —Bède. Afin que personne ne pût douter quel était cet Esprit qui, au récit des Évangélistes, avait conduit Jésus dans le désert ; saint Luc dit en termes exprès : « Il était poussé par l’Esprit dans le désert pendant quarante jours. » Il n’est donc pas possible de supposer que l’esprit immonde ait pu avoir quelque autorité sur celui qui, rempli de l’Esprit saint, agissait en tout d’après sa propre volonté. — Ch. des Pèr. Gr. (Sev. d’Ant.) Mais comment le Sauveur a-t-il été comme entraîné malgré lui, alors que nous-mêmes agissons en tout dans la plénitude de notre libre arbitre ? Il faut donc entendre ces paroles : « Il était poussé par l’Esprit » dans ce sens, que c’est volontairement qu’il a embrassé cette vie de solitude spirituelle pour donner lieu au démon de le tenter. — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Il ne provoque point l’ennemi en le défiant par ses paroles, mais en l’excitant par cette démarche, car le démon se plaît dans le désert et ne peut supporter les villes, où l’union des habitants est pour lui un sujet de tristesse.

S. Ambr. Jésus était donc poussé dans le désert tout à la fois, par un conseil divin pour provoquer le démon au combat, car si le démon ne l’eût point attaqué, le Sauveur n’en eût point triomphé dans notre intérêt ; pour accomplir un mystère, c’est-à-dire, pour délivrer de l’exil cet Adam qui avait été chassé du paradis dans le désert ; enfin pour nous apprendre par son exemple que le démon voit avec un oeil d’envie ceux qui tendent à une vie plus parfaite, et que nous devons alors nous tenir sur nos gardes, pour ne pas nous exposer à perdre par la faiblesse de notre âme la grâce du sacrement que nous avons reçu : « Et il fut tenté par le démon. » — S. Cyr. Le voilà descendu au rang des combattants, celui qui comme Dieu ordonne et règle les combats ; le voilà parmi ceux qui sont couronnés, celui qui place la couronne sur le front des saints. — S. Grég. (Moral., 3, 11) Cependant l’ennemi de notre salut ne put ébranler par la tentation l’âme du médiateur de Dieu et des hommes ; il a daigné se soumettre extérieurement à la tentation, mais en même temps son âme demeurait intérieurement unie à la divinité sans que rien pût l’en séparer. — Orig. (hom. 29.) Jésus fut tenté pendant quarante jours, et nous ne savons quelles furent ces tentations, car peut-être les Évangélistes n’en disent rien, parce qu’elles étaient trop fortes pour être décrites. — S. Bas. Ou bien encore, on peut dire que le Seigneur fut quarante jours sans être tenté, car le démon voyant qu’il jeûnait sans éprouver le besoin de la faim, n’osait s’approcher de lui : « Et il ne mangea rien pendant ces Jours, » etc. Notre-Seigneur a voulu jeûner pour nous apprendre que la tempérance est nécessaire à celui qui veut se préparer aux combats des tentations. — S. Ambr. Trois choses donc concourent puissamment au salut de l’homme, la grâce du sacrement, la solitude, le jeûne. Nul n’est couronné s’il n’a combattu en se conformant aux lois du combat (2 Tm 1, 5), et personne n’est admis aux combats de la vertu avant d’être purifié des souillures de ses fautes et consacré par l’effusion de la grâce céleste. — S. Greg. de Naz. (Disc. 40.) Le Sauveur a jeûné quarante jours sans prendre aucune nourriture, car il était Dieu ; mais pour nous, nous devons proportionner la pratique du jeûne à nos forces, bien que le zèle persuade à quelques-uns qu’ils peuvent aller bien au delà. — S. Bas. Cependant il ne faut point macérer sa chair en la privant de nourriture, jusqu’à lui faire perdre toute son énergie naturelle, oui jusqu’à réduire l’esprit à une extrême langueur par suite de l’épuisement complet du corps. Aussi Notre-Seigneur ne prolongea son jeûne de la sorte qu’une seule fois, et dans tout le reste de sa vie il se conforma pour la direction de son corps aux lois ordinaires de la nature, comme Moïse et Elie avaient fait eux-mêmes. — S. Chrys. (hom. 13.) Par un dessein plein de sagesse, le Sauveur ne voulut point jeûner plus longtemps que n’avait fait Moïse et Elie, pour ne point donner lieu de croire qu’il n’avait qu’un corps imaginaire et fantastique, ou qu’il avait pris une nature supérieure à la nôtre.

 

S. Ambr. (cf. Gn 7, 4.12 ; Dt 9, 9 ; 10, 10 ; Ex 16, 35 ; Nb 14, 33 ; Dt 8, 2 ; Jos 5, 6 ; Ac 7, 36) Vous reconnaissez ce nombre mystérieux de quarante jours, vous vous rappelez que les eaux du déluge tombèrent sur la terre pendant le même nombre de jours ; qu’après quarante jours sanctifiés par le jeûne, Dieu ramena la douceur d’un ciel plus serein ; que c’est après quarante jours de jeûne que Moïse fut jugé digne de recevoir la loi de la bouche de Dieu, et que pendant quarante années les patriarches furent nourris dans le désert du pain des anges. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 4.) Ce nombre quarante est le symbole de cette vie laborieuse, pendant laquelle, sous la conduite et le commandement de Jésus-Christ notre roi ; nous combattons contre le démon. Ce nombre, en effet, signifie la durée de la vie présente ; ainsi chaque année se divise en quatre parties égales ; de plus le nombre quarante contient quatre fois dix, et ces quatre dizaines forment quarante, multipliées par le chiffre qui part de l’unité pour aller jusqu’au nombre quatre. Nous voyons donc ici que le jeûne de quarante jours (où l’humiliation de l’âme) fut consacré sous la loi et les prophètes par Moïse et par Elie, et sous la loi de l’Évangile par le jeûne du Seigneur lui-même.

 

S. Bas. Mais comme il est au-dessus de la nature de l’homme d’éprouver le besoin de la faim, Notre-Seigneur se soumet à ce besoin qu’il sait n’être point un péché ; et il laisse, lorsque telle est sa volonté la nature humaine soumise aux lois de sa condition : « Et quand ces jours furent passés, il eut faim. » Cette faim n’est point chez lui l’effet d’une nécessité naturelle, mais il veut par là provoquer le démon au combat. En effet, le démon croyant que cette faim est l’indice nécessaire de sa faiblesse, entreprend de le tenter, et cherchant pour ainsi dire à inventer de nouveaux moyens de tentation, il conseille au Sauveur, qu’il voit souffrant de la faim, d’apaiser sa faim avec des pierres changées en pain : « Si vous êtes le Fils de Dieu, dites à cette pierre qu’elle devienne du pain. » — S. Ambr. Les trois tentations du Sauveur nous enseignent que le démon cherche surtout à blesser notre âme par les trois traits de la sensualité, de la vaine gloire et de l’ambition. Il commence par la tentation qui avait autrefois triomphé d’Adam. Apprenons donc à éviter la sensualité, à fuir l’impureté, car ce sont les traits dont le démon veut nous percer. Mais que veulent dire ces paroles : « Si vous êtes le Fils de Dieu ? » C’est que le démon savait bien que le Fils de Dieu devait venir sur la terre, mais qu’il ne croyait pas qu’il dût venir revêtu d’une chair passible et mortelle. Le démon cherche tout à la fois à savoir ce qu’est le Sauveur et à le tenter, il fait profession de croire à sa puissance comme Dieu, et en même temps il se joue de lui comme homme. — Orig. (hom. 29.) Le père à qui son fils demande du pain ne lui donne pas une pierre, mais le démon qui est un ennemi artificieux et trompeur, donne une pierre pour du pain. — S. Bas. Il conseillait au Sauveur d’apaiser sa faim avec, des pierres, c’est-à-dire, de détourner le désir des aliments naturels sur des choses qui sont en dehors de toute condition alimentaire. — Orig. Nous pouvons dire que jusqu’à ce jour le démon, en leur montrant une pierre, excite tous les hommes à dire : « Commandez à cette pierre qu’elle devienne du pain. » Quand vous voyez, en effet, les hérétiques manger au lieu de pain, le mensonge de leurs fausses doctrines, soyez certain que leurs discours sont cette pierre qui leur est montrée par le démon.

 

S. Bas. Notre-Seigneur Jésus-Christ, en repoussant les tentations, ne délivre pas la nature de la faim, comme si elle était une cause de mal, puisqu’elle a pour but, au contraire, la conservation de notre vie ; mais en maintenant la nature dans ses propres limites, il nous apprend quelle est sa nourriture : « Jésus lui répondit : L’homme ne vit pas seulement de pain, » etc. — Théophyl. C’est-à-dire, le pain n’est pas le seul aliment qui entretienne l’existence de l’homme, le Verbe de Dieu peut lui seul alimenter et nourrir tout le genre humain. C’est ainsi que le peuple d’Israël fut nourri pendant quarante ans de la manne qu’il recueillait (Ex 16, 15), et des oiseaux qui lui furent envoyés (Nb 11, 32) ; ainsi par l’ordre de Dieu, des corbeaux pourvurent miraculeusement à la nourriture d’Elie (3 R 17, 6) ; ainsi encore Elisée nourrît ses compagnons avec des herbes sauvages (4 R 4, 7). — S. Cyr. Ou bien dans un autre sens, notre corps qui est d’origine terrestre, se nourrit d’aliments terrestres, mais l’âme raisonnable puise dans le Verbe divin la force nécessaire à la santé spirituelle. — S. Grég. de Naz. En effet, un aliment matériel ne peut devenir la nourriture d’une nature incorporelle. — S. Greg. de Nysse. (hom. 5 sur l’Ecclés.) La vertu ne se nourrit donc point de pain, et ce n’est pas la chair des animaux qui donne à l’âme la santé et l’embonpoint spirituel ; la vie surnaturelle se développe et s’accroît par d’autres aliments, sa nourriture c’est la tempérance, son pain c’est la sagesse, la justice est son mets le plus exquis, la fermeté sa boisson, son plaisir le goût de la vertu. — S. Ambr. Vous voyez de quelles armes se sert le Sauveur pour défendre l’homme contre les insinuations de l’esprit du mal qui lui suggère la tentation de la sensualité. Il n’use pas ici de sa puissance comme Dieu (quel avantage m’en reviendrait-il ?) mais il recherche comme homme le secours qui est à la portée de tous les hommes, et tout occupé de la nourriture des divins enseignements, il oublie la faim du corps, pour obtenir plus sûrement la nourriture de la parole divine. En effet, celui qui fait profession de suivre le Verbe ou la parole de Dieu, ne peut plus faire d’un pain matériel l’objet de ses désirs, car les choses divines sont infiniment au-dessus des choses de la terre. Ajoutons que par ces paroles : « L’homme ne vit pas seulement de pain. » Notre-Seigneur fait voir que son humanité seule a été soumise à la tentation, c’est-à-dire, ce qu’il avait pris de notre nature et non pas sa divinité.

 

Vv. 5-8.

Théophyl. L’ennemi de notre salut avait d’abord tenté Jésus-Christ par la sensualité, comme il avait autrefois tenté Adam, il le tente en second lieu par la cupidité ou par l’avarice, en lui montrant tous les royaumes du monde : « Et le démon le conduisit sur une haute montagne, » etc. — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Qu’y a-t-il d’étonnant que le Sauveur ait permis au démon de le conduire sur cette montagne, lui qui a bien voulu être crucifié par les suppôts et les ministres du démon ? — Theophyl. Mais comment le démon a-t-il pu lui faire voir tous les royaumes du monde ? Il en est qui prétendent que cette vision fut toute intérieure, mais mon avis est qu’elle fut extérieure et fantastique. — Tite de Bostr. Ou bien le démon fit de vive voix cette description du monde, et il le représenta à la pensée du Sauveur, sous la forme d’une maison comme il le pensait. — S. Amb. L’Évangéliste fait remarquer avec justesse que ce fut en un instant qu’il montra tous les royaumes du monde, et il veut exprimer ainsi la fragilité de cette puissance passagère, bien plus que le tableau rapide que le démon fit passer sous les yeux du Sauveur, car toutes ces choses passent en un moment, et souvent la gloire du siècle disparaît avant qu’elle soit venue.

 

« Et il lui dit : Je vous donnerai toute cette puissance, » etc. —Tite de Bostr. Il faisait un double mensonge, car il ne possédait pas cette puissance, et il ne pouvait donner ce qu’il n’avait pas. En effet, la puissance du démon est nulle, et Dieu n’a laissé à cet ennemi que le triste pouvoir de nous faire la guerre. — S. Ambr. Il est dit ailleurs : « Toute puissance vient de Dieu, » c’est donc à Dieu qu’il appartient de donner, de régler la puissance, mais c’est du démon que vient l’ambition du pouvoir ; ce n’est pas le pouvoir qui est mauvais, c’est l’usage condamnable qu’on en fait. Quoi donc ! Est-ce un bien que d’exercer le pouvoir ? que de rechercher les honneurs ? C’est un bien d’exercer le pouvoir lorsqu’on vous le défère, mais non lorsque vous l’usurpez. Et encore faut-il distinguer soigneusement ce bien, car il y a un bien relatif dons ce monde, et il y a un bien absolu qui consiste dans la perfection de la vertu. C’est ainsi qu’il est bien de chercher Dieu et de ne se laisser détourner par aucune préoccupation du soin assidu de connaître la Divinité. Or, si celui qui cherche Dieu est bien souvent tenté par suite de la fragilité de sa choir et de la faiblesse de son esprit, combien plus celui qui est tout entier dans la recherche des honneurs du monde. Le Sauveur nous apprend donc ici à mépriser l’ambition, comme étant soumise à la puissance du démon. D’ailleurs la faveur publique a ses périls qui lui sont propres ; pour dominer les autres, il faut d’abord se faire leur esclave, il faut se courber servilement sous la volonté des autres pour en obtenir les honneurs qu’on désire, et tandis qu’on veut s’élever au-dessus de tous, on s’abaisse et on s’avilit sous les dehors d’une humilité mensongère. Aussi écoutez le démon : « Si donc vous voulez m’adorer, » etc. — S. Cyril. Comment toi, dont le sort est de brûler dans un feu qui ne s’éteint pas, oses-tu promettre au Seigneur de toutes choses ce qui lui appartient ? Quoi ! tu as espéré avoir pour adorateur celui dont la crainte fait trembler tout ce qui existe ! — Orig. (hom. 30.) On peut encore expliquer ces paroles dans un sens tout différent. Deux rois veulent régner ici-bas à l’envi l’un de l’autre, le roi du péché, le démon veut régner sur les pécheurs ; le roi de la justice, Jésus-Christ sur les justes. Or le démon, sachant bien que le Christ venait détruire son royaume, lui fait voir tous les royaumes du monde, non pas le royaume des Perses et des Mèdes, mais son royaume à lui, comment il règne sur le monde, c’est-à-dire, comment il règne sur les uns par la fornication, sur les autres par l’avarice, et il lui fait voir en un instant, c’est-à-dire, dans la durée du temps présent, ce qu’il obtient en un instant en face de l’éternité. Le Sauveur n’avait pas besoin qu’il lui mît devant les yeux un plus long tableau des choses du monde ; aussitôt qu’il eut ouvert les yeux pour regarder, il vit d’un seul coup d’oeil le règne du péché et l’esclavage de ceux qui étaient soumis à la domination des vices. Le démon lui tient donc ce langage : « Vous êtes venu pour me disputer l’empire, adorez-moi, et je vous donne le royaume qui est en ma possession. Mais le Seigneur veut régner, il est vrai, mais comme étant la justice, c’est-à-dire qu’il veut régner sans péché ; il veut que les nations lui soient soumises, pour qu’il les place sous l’empire de la vérité, et il ne veut pas de ce règne qui le soumettrait lui-même à l’empire du démon : « Et Jésus lui répondit : Il est écrit : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, » etc. — Bède. Le démon fait au Sauveur cette proposition : « Si vous consentez à vous prosterner et à m’adorer, » et il apprend de sa bouche, au contraire, que lui-même doit plutôt l’adorer comme son Seigneur et son Dieu. — S. Cyr. (Très.) Mais pourquoi, si, comme le veulent les hérétiques, il est fils de la créature, doit-il être adoré ? Ou est le crime de ceux qui adorent la créature au lieu du Créateur, si nous-mêmes nous adorons comme Dieu le Fils qui n’est d’après eux qu’une simple créature ? — Orig. Ou bien dans un autre sens : Je veux que tous les hommes me soient soumis, afin qu’ils adorent le Seigneur leur Dieu, et ne servent que lui seul ; et tu veux que je commence par donner l’exemple de la prévarication, moi qui suis venu pour détruire le péché ? — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Cette parole pénétra le démon jusqu’au fond de son âme. Avant la venue du Sauveur, il avait partout des autels, et voilà que la loi divine le chasse du trône qu’il avait usurpé, et déclare que l’adoration n’est due qu’à celui qui est Dieu par nature. — Bède. Si l’on demande comment ce précepte, de ne servir que Dieu seul, peut se concilier avec ces paroles de l’Apôtre : « Assujettissez-vous les uns aux autres par une charité spirituelle (Ga 5), nous répondrons que le mot dulie qui vient du grec, exprime cette espèce de culte ordinaire et commun, que nous rendons soit à Dieu, soit aux hommes, c’est dans ce sens qu’il nous est commandé de nous rendre les serviteurs les uns des autres ; au contraire, le mot latrie signifie le culte d’adoration que nous devons à Dieu, et qui nous ordonne de ne servir que lui seul.

 

Vv. 9-13.

S. Ambr. A la tentation de sensualité succède celle de la vaine gloire, qui fait tomber dans les honteux abaissements du péché ; car aussitôt que les hommes cherchent à préconiser la gloire de leur vertu, ils tombent du liant rang où leurs mérites les avait élevés : « Et le démon le conduisit à Jérusalem, » etc. — Orig. (hom. 31.) Jésus suivait le démon comme un athlète qui marche volontairement au combat, et il semblait lui dire : Conduis-moi où tu voudras, tu me trouveras supérieur à toutes tes ruses et à toutes tes intrigues. — S. Athan. C’est le propre de la vaine gloire, en inspirant à celui qu’elle domine de s’élever présomptueusement à nui degré supérieur par la pratique d’oeuvres plus parfaites, de le faire tomber dans les actions les plus humiliantes : « Et il lui dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous au bas, » etc. — S. Athan. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n’est pas contre la divinité que le démon engage le combat (il n’eût osé le faire), aussi c’est pourquoi il dit à Jésus : « Si vous êtes le Fils de Dieu, » mais c’est contre l’homme qu’il avait autrefois réussi à séduire. — S. Athan. C’est bien ici la voix du démon qui cherche à précipiter l’homme du haut rang où ses vertus l’ont élevé, mais il dévoile en même temps toute sa faiblesse et toute sa méchanceté, puisqu’il ne peut nuire à personne avant qu’on ne se soit pour ainsi dire précipité dans l’abîme. En effet, celui qui, aux choses du ciel, préfère les biens trompeurs de la terre, se jette comme volontairement dans un précipice où il trouve la mort. Cependant lorsque le démon vit son arme émoussée, lui qui avait soumis tous les hommes à son empire, il jugea que Jésus était plus qu’un homme. Or, il est à remarquer que Satan se transforme souvent en ange de lumière (2 Co 11), et dresse des piéges aux fidèles à l’aide des saintes Écritures : « Car il est écrit, » etc. — Orig. (hom. 34.) Comment peux-tu savoir, ô démon ! que ces paroles se trouvent dans l’Écriture, as-tu jamais lu les Prophètes ou les saintes Lettres ? Oui, tu les a lues, non pour devenir meilleur par cette lecture, mais pour tuer avec la lettre seule ceux qui s’attachent exclusivement à la lettre. (2 Co 3.) Tu sais que si tu empruntais tes témoignages à d’autres livres, tu ne pourrais réussir à tromper. — S. Ambr, Ne vous laissez donc pas séduire par les hérétiques qui pourront vous citer des témoignages de l’Écriture, le démon lui-même a recours à l’Écriture, non pour enseigner, mais pour tromper. — Orig. Vous voyez, du reste, l’artifice du démon jusque dans la citation de ces témoignages ; il veut amoindrir la gloire du Sauveur, comme s’il avait besoin du secours des auges, et que son pied dût heurter, s’il n’était soutenu par leurs mains. Or, ces paroles du Psalmiste ne s’appliquent nullement au Christ, mais en général à tous les saints ; car celui qui est au-dessus de tous les anges n’a nullement besoin de leur secours. Apprends donc plutôt, ô esprit superbe, que les anges eux-mêmes heurteraient leur pied, si la main de Dieu ne les soutenait, c’est ainsi que toi-même tu es venu heurter contre l’écueil, parce que tu as refusé de croire en Jésus-Christ, Fils de Dieu. Mais pourquoi donc passes-tu sous silence les paroles qui suivent : « Vous marcherez sur l’aspic et le basilic, sinon parce que tu es toi-même ce basilic, ce dragon, ce lion ? »

S. Ambr. Cependant Notre-Seigneur, voulant nous apprendre que tout ce qui avait été prédit de lui, ne devait pas s’accomplir selon le bon plaisir du démon, mais par la volonté souveraine de sa divinité, déjoue les artifices de ce malin esprit, et comme il a emprunté ses armes à l’Écriture, le Sauveur lui oppose l’autorité triomphante des Écritures : « Et Jésus lui répondit : Il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. » — S. Chrys. (des hom. sur l’ép. aux Hébr.) C’est en effet une inspiration diabolique que de se jeter dans le danger, pour tenter si Dieu nous en délivrera. — S. Cyr. Dieu accorde son secours, non à ceux qui le tentent, mais à ceux qui croient et espèrent en lui ; aussi Jésus-Christ ne voulut point faire de miracles en présence de ceux qui étaient venus pour le tenter : « Cette génération perverse, disait-il, demande un prodige, et il ne lui sera point donné. » — S. Chrys. (comme précéd.) Voyez comme le Seigneur, sans être troublé, discute humblement avec le démon, vous donnant ainsi un exemple que vous devez imiter autant qu’il est possible. Le démon connaît les armes dont Jésus-Christ s’est servi pour le terrasser, il l’a combattu par la douceur, et en a triomphé par l’humilité. Vous donc aussi, si vous rencontrez un homme devenu l’instrument du démon pour lutter contre vous, cherchez à en triompher par les mêmes armes. Que votre âme apprenne à conformer vos paroles aux paroles du Christ ; car de même que le juge romain, assis sur son tribunal, n’écoute point la demande de celui qui ne sait point parler son langage ; ainsi Jésus-Christ ne vous exaucera point et ne prêtera aucune attention à vos paroles, si vous ne parlez son langage.

S. Grég. de Nysse. Celui qui lutte suivant les règles, arrive au terme du combat, soit que son adversaire cède de lui-même au vainqueur, soit qu’à la troisième défaite il dépose les armes suivant les lois du combat : « Et ayant épuisé toutes ses tentations, il se retira, » etc. — S. Athan. La sainte Écriture n’eût pas dit que le démon avait épuisé toutes les tentations, si les trois qui précédent n’étaient l’occasion de tous les crimes. En effet, toutes les tentations viennent des concupiscences qui sont le plaisir de la chair, le désir de la gloire et l’ambition du pouvoir. — S. Athan. L’ennemi de notre salut s’était approché de Jésus comme d’un homme, mais n’ayant trouvé en lui aucun des caractères de ses premiers ancêtres, il se retira. — S. Ambr. Vous voyez donc que le démon n’est point opiniâtre dans ses poursuites, il cède le terrain à la véritable vertu, et s’il ne cesse point de porter envie et de haïr, il craint de revenir à la charge, parce qu’il redoute la honte de fréquentes défaites. Aussitôt donc qu’il entend le nom de Dieu, il se retire pour un temps, dit l’Évangéliste ; car il revint plus tard, non plus pour tenter le Sauveur, mais pour le combattre à force ouverte. — Théophyl. Ou bien, comme il l’avait tenté dans le désert par l’attrait de la sensualité, il se retira de lui jusqu’au temps de sa passion, où il devait le tenter par la crainte de la douleur. — S. Maxim. Ou bien encore, le démon avait suggéré à Jésus-Christ, dans le désert, de préférer les biens matériels à l’amour divin, le Sauveur lui ordonne de se retirer, ce qui était un signe de l’amour qu’il avait pour Dieu. Dans la suite, le démon s’efforça donc de lui faire transgresser le précepte de l’amour du prochain, ainsi il excitait les scribes et les pharisiens à lui dresser des embûches, alors qu’il leur enseignait les sentiers de la véritable vie pour le forcer de les haïr. Mais le Seigneur, ne perdant jamais de vue l’amour qu’il avait pour eux, ne cessait de les avertir, de les reprendre et de leur faire du bien.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 6.) Saint Matthieu rapporte également l’ensemble de ces tentations, mais dans un ordre différent. Nous ne savons donc ce qui eut lieu d’abord, de la deuxième ou de la troisième tentation, c’est-à-dire si le démon fit voir au Sauveur tous les royaumes du monde avant de le transporter sur le pinacle du temple ; mais peu importe, dès lors qu’il est certain que ces deux faits sont véritables. — S. Maxim. L’un des Évangélistes a placé la seconde tentation avant la troisième ; l’autre, la troisième avant la seconde, parce que la vaine gloire et l’avarice s’engendrent mutuellement. — Orig. (hom. 29.) L’évangéliste saint Jean, qui commence son Évangile par la génération divine, et donne ce magnifique exode : « Au commencement était le Verbe, » n’a pas raconté les tentations du Sauveur, parce que la divinité dont il voulait surtout parler est inaccessible à la tentation. Au contraire, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, qui avaient surtout pour objet de décrire la génération temporelle, et la vie humaine de Notre-Seigneur, nous ont raconté sa tentation.

 

Vv. 14-21.

Orig. (hom. 32.) La victoire que Notre-Seigneur venait de remporter sur le tentateur, donna un nouvel accroissement, ou plutôt un nouveau degré de manifestation à sa vertu : « Et Jésus retourna en Galilée dans la vertu de l’Esprit, » etc. — Bède. Cette vertu de l’Esprit, c’est la puissance de faire des miracles. — S. Cyr. Le Sauveur ne faisait pas des miracles par une puissance qui lui fut extrinsèque, et comme les autres saints qui agissaient en vertu de la grâce de l’Esprit saint qu’ils avaient reçue ; mais comme il était le Fils de Dieu par nature, et qu’il entrait en participation de tous les attributs du Père, il se sert pour agir de la vertu de l’Esprit saint comme lui appartenant en propre. Il était du reste convenable qu’il se manifestât désormais et qu’il fît éclater aux yeux des enfants d’Israël le mystère de l’incarnation : « Et sa renommée se répandit, » etc. — Bède. La sagesse se rapporte à la doctrine, et la puissance aux oeuvres, aussi l’Evangéliste réunit ici ces deux attributs : « Et il enseignait dans les synagogues, » etc. Le mot synagogue, qui vient du grec, veut dire réunion, les Juifs appelaient ainsi non seulement l’assemblée du peuple, mais encore le lieu où il se réunissait pour entendre la parole de Dieu. C’est ainsi que nous donnons le nom d’églises aux lieux où se réunissent les fidèles pour chanter les louanges de Dieu. Il y a cependant une différence entre le mot synagogue qui veut dire réunion, et le mot église qui signifie assemblée ; des animaux, ou n’importe quelles autres choses, peuvent former une réunion, tandis qu’une assemblée ne peut se composer que d’êtres doués de raison. C’est pour cela que les docteurs apostoliques ont jugé plus convenable de donner le nom d’Église, plutôt que celui de synagogue aux réunions du peuple, élevé par la grâce à une plus liante dignité. C’est avec raison que tous publiaient ses louanges, lui à qui tous les faits et tous les oracles précédents avaient rendu un si éclatant témoignage : « Et il était exalté par tous. » — Orig. Gardez-vous de penser que ceux-là seuls furent heureux qui eurent le bonheur d’entendre les enseignements du Sauveur, et de croire que vous êtes privé de la même faveur ; car aujourd’hui encore, il enseigne dans tout l’univers par ses organes, et sa gloire est célébrée par un plus grand nombre de voix qu’au temps de sa vie mortelle, où les hommes d’une seule contrée s’assemblaient autour de lui pour recevoir ses divines leçons.

 

S. Cyr. Notre-Seigneur se fait connaître à ceux parmi lesquels il a passé les premières années de sa vie mortelle : « Et il vint à Nazareth, » etc. — Théophyl. Il nous apprend ainsi à instruire d’abord de préférence nos proches, et à leur faire du bien avant de répandre sur les autres les effets de notre charité. — Bède. Ils se réunissaient en foule le jour du sabbat dans les synagogues, où, libres des préoccupations des affaires du monde, ils pouvaient méditer dans un coeur calme et tranquille les divins enseignements de la loi : « Et il entra, selon sa coutume, le jour du sabbat, dans la synagogue. — S. Ambr. Notre-Seigneur s’est tellement familiarisé avec tous les abaissements, qu’il n’a pas dédaigné l’humble fonction de lecteur : « Et il se leva pour lire, et on lui donna le livre des prophéties d’Isaïe, » etc. Il prit le livre pour déclarer que c’était lui qui avait parlé par la bouche des prophètes, et pour écarter cette doctrine sacrilège, qui prétend que le Dieu de l’Ancien Testament n’est pas le même que le Dieu du Nouveau, ou qui ne fait remonter l’origine de Jésus-Christ qu’à sa conception dans le sein de la Vierge ; comment soutenir, en effet, que son existence date seulement de sa conception, lui qui faisait entendre sa voix avant même que la Vierge existât ?

Orig. Or, ce ne fut point par hasard, mais par un effet de la Providence divine, qu’en déroulant le livre, il tomba sur la prophétie qui prédisait sa venue : « Et l’ayant déroulé, il trouva l’endroit où il était écrit, » etc. — S. Athan. (2e discours contre les Ar.) Il parle de la sorte pour nous expliquer les causes de son incarnation et de sa manifestation en ce monde ; car de même que lui, qui, comme Fils de Dieu, envoie et donne l’Esprit saint, ne fait pas difficulté d’avouer, comme homme, que c’est par l’Esprit de Dieu qu’il chasse les démons ; de même, en tant qu’il s’est fait homme, il ne craint pas de dire « L’Esprit du Seigneur est sur moi. » — S. Cyr. C’est ainsi que nous confessons qu’il a reçu l’onction comme homme revêtu de notre nature : « C’est pourquoi il m’a consacré par son onction ; » car ce n’est pas la nature divine qui reçoit cette onction, mais la nature qui lui est commune avec la nôtre. Ainsi encore lorsqu’il dit qu’il a été envoyé, il faut l’entendre de son humanité « Il m’a envoyé évangéliser les pauvres. » — S. Ambr. Vous voyez la Trinité coéternelle et parfaite. L’Écriture proclame que Jésus est Dieu parfait et homme parfait, elle proclame également la divinité du Père et de l’Esprit saint le coopérateur du Père qui est descendu sur Jésus Christ sous la forme extérieure d’une colombe. — Orig. Les pauvres ici sont toutes les nations pauvres eu effet, parce qu’elles étaient dénuées de tout bien, sans Dieu, sans loi, sans prophètes, sans justice, sans aucunes vertus. — S. Ambr. Ou encore, il reçoit dans sa plénitude l’onction de l’huile spirituelle et de la vertu céleste pour enrichir la pauvreté de la nature humaine du trésor de sa résurrection. — Bède. Dieu l’envoie prêcher l’Évangile aux pauvres, et leur dire : « Bienheureux vous qui êtes pauvres, parce que le royaume des cieux est à vous. » — S. Cyr. Peut-être veut-il dire par là que de tous les biens dont Jésus-Christ est la source, la meilleure part est donnée aux pauvres en esprit. — Suite. « Guérir les coeurs brisés. » Ces coeurs brisés ce sont les faibles, dont l’âme est fragile, qui ne peuvent résister aux assauts des passions, et à qui il promet le retour à la santé. — S. Bas. Il vient guérir les coeurs brisés, c’est-à-dire ceux dont Satan a comme brisé le coeur par le péché ; car il n’y a rien qui brise et écrase le coeur humain comme le péché. — Bède. Ou bien encore, comme il est écrit que Dieu ne rejette pas un coeur contrit et humilié (Ps. L), le Sauveur dit qu’il est envoyé pour guérir ceux dont le coeur est contrit, selon cette parole : « Il guérit ceux dont le coeur est brisé. »

 

« Et annonce la délivrance aux captifs. » — S. Chrys. (sur le Ps 125.) Le mot captivité a plusieurs significations : il y a une captivité bonne et louable, dont saint Paul a dit : « Réduisant en captivité toute intelligence sous l’obéissance de Jésus-Christ. » (2 Co 10.) Mais il y a une captivité mauvaise dont le même Apôtre a dit : « Ils traînent captives de jeunes femmes chargées de péchés. » (2 Tm 3.) La captivité peut être corporelle et venir d’ennemis extérieurs ; mais la plus affreuse est celle de l’âme, dont il est ici question, car le péché exerce sur l’âme la plus dure tyrannie, il lui fait comme une loi du mal, et la couvre de confusion lorsqu’elle lui obéit ; c’est de cette captivité spirituelle que Jésus-Christ nous a délivrés. — Théophyl. On peut encore entendre ces paroles des morts qui étaient aussi captifs, et qui furent délivrés du joug du tyran de l’enfer par la résurrection de Jésus-Christ.

 

« Et le bienfait de la vue aux aveugles. » — S. Cyril. Jésus-Christ, le vrai soleil de justice, a dissipé ces ténèbres épaisses que le démon avait amassées dans le coeur des hommes ; ils étaient enfants de la nuit et des ténèbres, il les a faits enfants du jour et de la lumière, au témoignage de l’Apôtre (1 Th 5) ; car il a fait entrer dans le sentier de la justice ceux qui étaient égarés loin de la véritable voie.

 

« Rendre à la liberté ceux qu’écrasent leurs fers. » — Orig. Qu’y avait-il, en effet, de plus brisé, de plus broyé que l’homme, à qui Jésus-Christ est venu rendre la liberté et la guérison ? — Bède. Ou bien encore, il est venu rendre la liberté aux opprimés, c’est-à-dire, à ceux qui étaient comme écrasés sous le fardeau insupportable de la loi.

 

Orig. Toutes ces choses qui ont été prédites, la vue rendue aux aveugles, la liberté aux captifs, la guérison à ceux qui étaient blessés, nous amènent naturellement à l’année favorable du Seigneur : « Et publier l’année salutaire du Seigneur. » Quelques-uns, prenant ces paroles dans leur sens le plus simple et le plus littéral, disent que le prophète, en faisant cette prédiction, avait en vue l’année pendant laquelle le Sauveur a prêché l’Évangile dans la Judée. Ou bien encore, cette année favorable du Seigneur, c’est toute la durée de l’existence de l’Église qui voyage loin du Seigneur, tant qu’elle reste dans ce corps mortel (2 Co 5). — Bède. Ce ne fut pas seulement l’année de la prédication du Seigneur, qui fut l’année favorable, mais encore celle où l’Apôtre disait dans ses prédications : « Voici maintenant le temps favorable. » (2 Co 6.) Après l’année favorable du Seigneur, il ajoute : « Et le jour de la rétribution, » c’est-à-dire, de la rétribution dernière, où Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres. — S. Ambr. Ou bien encore, cette année favorable du Seigneur, c’est l’année de l’éternité, qui ne ramènera plus le cercle des travaux de ce monde, et qui donnera aux hommes la jouissance des fruits éternels d’un repos qui ne finira jamais.

 

« Ayant replié le livre, il le rendit, » etc. Il lut ce livre en présence de ceux qui étaient là pour l’écouter, mais après cette lecture il le rendit au ministre. En effet, tandis qu’il était dans le monde, il parlait publiquement, enseignant dans les synagogues et dans le temple, mais lorsqu’il fut sur le point de remonter vers le ciel, il confia le ministère de la prédication à ceux qui avaient été dès le commencement les témoins de ses actions et les ministres de sa parole. Il se tient debout pour faire cette lecture, parce qu’en nous expliquant les Ecritures qui se rapportaient à lui, il daignait agir dans la nature humaine dont il s’était revêtu ; mais il s’asseoit après avoir rendu le livre, parce qu’il rentre alors en possession du trône de son éternel repos. En effet, celui qui agit se tient ordinairement debout, et c’est le propre de celui qui se repose ou qui rend la justice d’être assis. Tel doit être le prédicateur de la parole de Dieu, il doit se tenir debout pour lire, c’est-à-dire, pour agir et pour prêcher ; il doit s’asseoir, c’est-à-dire, attendre le repos pour récompense. Il lut ce livre après l’avoir déroulé, parce qu’il a enseigné à l’Église toute vérité par l’Esprit de vérité qu’il lui a envoyé ; il le rendit au ministre après l’avoir plié, parce que toute doctrine ne peut être enseignée à tous indistinctement, mais les docteurs sont obligés de proportionner leur enseignement à l’intelligence de ceux qui les écoutent.

 

« Et tous dans la synagogue avaient les yeux attachés sur lui. — Orig. Et maintenant encore, si nous le voulons, nous pouvons fixer nos regards sur le Sauveur, car si vous dirigez l’intention de votre coeur vers la sagesse, la vérité et la contemplation du Fils unique de Dieu, vos yeux alors s’arrêtent sur Jésus. — S. Cyr. Il attirait sur lui les regards de tous ces hommes étonnés de voir qu’il savait les Écritures sans les avoir apprises. Et comme les Juifs avaient coutume de dire que les prophéties qui concernaient le Christ, avaient reçu leur accomplissement dans quelques-uns de leurs chefs, de leurs rois ou des saints prophètes, Notre-Seigneur leur fait voir en lui l’accomplissement de cette prophétie : « Et il commença à leur dire : C’est aujourd’hui que cette prophétie que vous venez d’entendre est accomplie. »

 

Vv. 22-27.

S. Chrys. (hom. 49 sur S. Matth.) Notre-Seigneur s’abstient de faire des miracles dans la ville de Nazareth, pour ne point exciter contre lui une plus grande envie dans le coeur de ses habitants. Mais il leur annonce une doctrine non moins admirable que ses miracles, car les paroles du Sauveur étaient accompagnées d’une grâce ineffable et divine qui charmait tous ceux qui l’entendaient : « Et tous lui rendaient témoignage, » etc. — Bède. Ils lui rendaient témoignage, en attestant qu’il était vraiment, comme il le disait, celui que le prophète avait annoncé. — S. Chrys. (hom. 49 sur S. Matth.) Mais les insensés, tout en admirant la puissance de sa parole, n’ont que du mépris pour sa personne, à cause de celui qu’ils regardent comme son père : « Et ils disaient : N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » — S. Cyr. Mais fut-il, comme vous le pensez, le fils de Joseph en serait-il moins digne de votre admiration et de vos hommages ? Ne voyez-vous pas les miracles divins qu’il opère, Satan terrassé, et les nombreux malades qu’il a délivrés de leurs infirmités ? — S. Chrys. (hom. 49.) Longtemps après, et lorsqu’il avait rempli la Judée de l’éclat de ses miracles, il revint à Nazareth ; et ils ne purent le supporter davantage, et ils manifestèrent contre lui l’envie la plus noire et la plus ardente : « Et il leur dit : Sans doute vous m’appliquerez ce proverbe : Médecin, guéris-toi toi-même, » etc. — S. Cyr. C’était chez les Hébreux un proverbe de mépris ; ainsi on criait aux médecins qui étaient malades : « Médecin, guéris-toi toi-même. » — La Glose. Ils veulent lui dire : Nous avons appris que vous aviez guéri un grand nombre de malades à Capharnaüm, guérissez-vous vous-même, c’est-à-dire, faites les mêmes prodiges dans votre ville, lieu de votre conception et de votre première éducation.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 12.) Puisque saint Luc rappelle ici les grands prodiges que Notre-Seigneur a déjà opérés, et qu’il sait bien n’avoir pas racontés lui-même, il est donc évident que c’est en connaissance de cause qu’il place en premier lieu cet événement. En effet, la distance qui le sépare du baptême du Sauveur, est trop peu grande pour qu’on puisse supposer qu’il a oublié qu’il n’a encore rien dit de ce qui s’est passé dans la ville de Capharnaüm.

 

S. Ambr. Ce n’est pas sans raison que le Sauveur s’excuse de n’avoir fait aucun miracle dans sa patrie, il ne voulait pas qu’on pût croire que nous devions faire peu de cas de l’amour de la patrie : « Et il dit : Je vous dis en vérité, qu’aucun prophète n’est accueilli dans sa patrie, » etc. — S. Cyr. Comme s’il leur disait : Vous voulez me voir opérer de nombreux prodiges au milieu de vous, parmi lesquels se sont passées mes premières années ; mais je n’ignore pas un sentiment trop commun à la plupart des hommes ; ils n’ont que du mépris pour les choses les plus excellentes, lorsqu’elles se répètent fréquemment et comme à volonté. Il en est de même des hommes, celui avec lequel on vit dans une espèce de familiarité cesse d’être respecté par ses proches qui ont l’habitude de le voir toujours au milieu d’eux. — Bède. Que le Christ soit appelé prophète dans les Écritures, Moïse en fait foi quand il dit : « Dieu vous suscitera un prophète d’entre vos frères. » (Dt 18.) — S. Ambr. Cet exemple nous apprend qu’en vain nous espérons le secours de la miséricorde céleste, si nous portons envie au mérite de la vertu de nos frères. Dieu, en effet, méprise souverainement les envieux, et prive des miracles de sa puissance ceux qui persécutent dans les autres les bienfaits de sa main divine. Les oeuvres que Notre-Seigneur faisait pendant sa vie mortelle, étaient des preuves de sa divinité, et ses perfections invisibles nous étaient manifestées par ce qui paraissait aux yeux. Voyez quel mal produit l’envie, la patrie de Jésus est jugée indigne, à cause de son envie, d’être témoin des oeuvres du Sauveur, elle qui avait été jugée digne d’être le lieu de sa conception divine.

 

Orig. (hom. 33.) A s’en tenir au récit de saint Luc, on n’y voit point que Jésus ait fait jusque-là aucun miracle à Capharnaüm, car cet Évangéliste raconte simplement qu’avant de venir à Capharnaüm, Jésus avait passé plusieurs années de sa vie à Nazareth. Je pense donc que ces paroles des habitants de Nazareth : « Les grandes choses qu’on nous a racontées que vous faisiez à Capharnaüm, » renferment quelque mystère, et que Nazareth représente ici les Juifs, et Capharnaüm les Gentils. En effet, il viendra un temps où le peuple d’Israël dira : Montrez-nous aussi ce que vous avez fait voir à tout l’univers, prêchez votre doctrine au peuple d’Israël, afin que lorsque toutes les nations seront entrées, le peuple d’Israël puisse aussi avoir part au salut. En leur disant donc : Aucun prophète n’est accueilli dans sa patrie, Notre-Seigneur leur répondit dans un sens plus figuré que littéral. » Il est vrai que Jérémie ne fut pas bien reçu dans son pays, et qu’il en fut de même des autres prophètes. Cependant, voici le sens le plus probable de ces paroles : Le peuple de la circoncision fut la patrie de tous les prophètes, et les nations reçurent avec plus d’empressement le témoignage de Moïse et des prophètes qui annonçaient Jésus-Christ, que ceux d’entre les Juifs qui refusèrent de reconnaître Jésus pour le Sauveur du monde.

 

S. Ambr. Notre-Seigneur apporte ici un exemple bien propre à réprimer l’arrogance de ses concitoyens envieux et jaloux, et il leur montre que sa conduite est conforme aux anciennes Écritures : « Je vous le dis en vérité, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d’Elie, » non que ces jours appartinssent à Elie, mais parce qu’il opéra ses prodiges dans ces jours (cf. Is ; Os 1 ; Am 1 ; Za 14, etc.). — S. Chrys. (hom. sur les Ep. de S. Paul.) Cet ange terrestre, cet homme tout céleste, qui n’avait ni demeure, ni table, ni vêtements, ce que le plus grand nombre des hommes possède, portait dans une de ses paroles, pour ainsi dire, la clef des cieux ; ce que Notre-Seigneur indique par ce qui suit : « Lorsque le ciel fut fermé pendant trois ans. » Or, lorsqu’il eut ainsi fermé le ciel, et frappé la terre de stérilité, elle fut en proie à la famine, et tous les corps dépérirent : « Et qu’il y eut une grande famine sur la terre. » — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Lorsque, en effet, Elie eut considéré que l’abondance était la source des plus grands scandales, il imposa aux hommes par la famine, un jeûne nécessaire, pour mettre ainsi un frein à leurs excès qui ne connaissaient plus de bornes. C’est alors que l’on vit des corbeaux qui, d’ordinaire, dérobent aux autres leur nourriture, devenir les messagers du ciel pour nourrir cet homme juste. — S. Chrys. (comme précéd.) Mais comme le fleuve où il se désaltérait était desséché, Dieu lui dit : « Allez à Sarepta, ville des Sidoniens, là je commanderai à une femme veuve de vous nourrir, » Et Notre-Seigneur ajoute : « Et Elie ne fut envoyé à aucune d’elles, mais à une veuve de Sarepta, dans le pays des Sidoniens. » Elie agit en cela par une disposition toute particulière de Dieu, qui le conduisit par un long chemin jusque dans le pays de Sidon, afin qu’étant témoins de la famine qui désolait ces contrées, il priât Dieu de répandre la pluie sur la terre. Or il y avait alors bien des riches dans ce pays, et aucun d’eux n’imita l’exemple de cette veuve, la vénération qu’elle eut pour le prophète lui fit trouver des richesses, non dans les biens qu’elle n’avait pas, mais dans sa bonne volonté.

S. Ambr. Dans le sens mystique, ces paroles : « Dans les jours d’Elie », signifient qu’Elie était pour eux comme la lumière du jour, parce qu’ils voyaient dans ses oeuvres l’éclat de la grâce spirituelle qui était en lui. Ainsi le ciel s’ouvrait pour ceux qui étaient témoins des divins mystères, et il se fermait durant la famine, alors qu’il n’y avait aucun moyen facile d’arriver à la connaissance de Dieu. Cette veuve, à laquelle Elie fut envoyé, est une figure de l’Église. — Orig. Pendant que la famine désolait le peuple d’Israël, affamé d’entendre la parole de Dieu, le prophète est venu trouver cette veuve, dont il est dit dans le prophète Isaïe (Is 54) : « L’épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui a un époux, et en demeurant chez elle il multiplia son pain et ses autres aliments. — Bède. Sidonie veut dire chasse inutile ; Sarepta signifie incendie ou disette du pain ; toutes significations qui conviennent parfaitement au peuple des Gentils. En effet, livré tout entier à une chasse stérile, c’est-à-dire, à la recherche des richesses et des gains du commerce de la terre, il était en proie à l’incendie des concupiscences charnelles et à la disette du pain spirituel, jusqu’à ce que l’intelligence des Écritures ayant disparu complètement par suite de la perfidie des Juifs, Elie, c’est-à-dire, la parole prophétique, vint trouver l’Église pour nourrir et fortifier les coeurs des vrais croyants qui le recevraient. — S. Bas. On peut encore voir ici la figure de toute âme veuve, pour ainsi dire, dénuée de force et privée de la connaissance de Dieu, lorsque cette âme reçoit la parole divine, en reconnaissant ses fautes, Dieu lui apprend à nourrir cette parole avec le pain des vertus, et à arroser la science de la vertu avec la source de la vie.

 

Orig. (hom. 33.) Notre-Seigneur cite encore un autre fait à l’appui de la même vérité, en ajoutant : « Il y avait aussi beaucoup de lépreux en Israël, au temps du prophète Elisée, et aucun d’entre eux ne fut guéri, si ce n’est Naaman le Syrien, » qui ne faisait point partie du peuple d’Israël. — S. Ambr. Nous avons dit précédemment que cette veuve vers laquelle Elie fut envoyé, était la figure de l’Église. Or, dans un sens allégorique, le peuple s’approche de l’Église pour marcher à sa suite. C’est ce peuple composé des nations étrangères, ce peuple couvert de lèpre avant qu’il fût plongé dans le baptême du fleuve mystique, mais qui après avoir reçu le sacrement de baptême qui l’a purifié de toutes les souillures du corps et de l’âme, a commencé à devenir une Vierge immaculée sans rides comme sans taches. — Bède. En effet, Naaman qui veut dire beau, représente le peuple des Gentils ; il lui est ordonné de se laver sept fois, parce que le baptême qui nous sauve est celui qui nous régénère par les sept dons de l’Esprit saint. Sa chair, après avoir été lavée, devient comme celle d’un enfant, parce que la grâce, qui est notre mère, nous fait tous renaître à une seule et même enfance, ou bien parce que nous sommes rendus semblables à Jésus-Christ dont il est dit : « Un enfant nous est né. » (Is 9.)

 

Vv. 28-30.

Ch. des Pèr. gr. (Cyr) Ils s’indignent contre lui, parce qu’il les a repris de leur coupable intention : « En entendant ces paroles, ils furent tous remplis de colère dans la synagogue. » Comme il leur avait dit : Aujourd’hui cette prophétie s’est accomplie, » ils crurent qu’il se comparait lui-même aux prophètes, et ils le chassèrent hors de leur ville : « Et se levant, ils le chassèrent hors de la ville, » etc. — S. Ambr. Il n’est pas étonnant qu’ils aient perdu le salut, eux qui chassent le Sauveur de leur pays. Cependant le Seigneur qui avait enseigné à ses Apôtres, par son exemple, à se faire tout à tous, ne repousse pas les hommes de bonne volonté, mais il ne contraint pas non plus ceux qui résistent ; il ne lutte pas contre ceux qui le rejettent, il ne fait pas défaut à ceux qui le prient de rester avec eux. Il fallait cependant que leur jalousie fut bien grande pour leur faire oublier les sentiments qui unissent d’ordinaire les concitoyens, et pour changer en haine mortelle les motifs de la plus légitime affection, En effet, c’est alors que le Sauveur répandait ses bienfaits surtout le peuple, qu’ils lui prodiguent leurs outrages : « Et ils le conduisirent sur le sommet de la montagne pour l’en précipiter. » — Bède. Les Juifs, disciples du démon, sont mille fois pires que leur maître lui-même ; le démon s’est contenté de dire à Jésus : « Jetez-vous en bas, » tandis que les Juifs cherchent à le précipiter eux-mêmes. Mais Jésus change tout à coup leurs dispositions, ou les frappe de stupeur et d’aveuglement, et descend de la montagne, parce qu’il veut leur laisser encore l’occasion de se repentir : « Or Jésus passant au milieu d’eux, s’en alla. » — S. Chrys. (hom. 47 sur S. Jean.) Notre-Seigneur fait paraître ici tout à la fois les attributs de la divinité et les signes de son humanité. En effet, en passant au milieu de ceux qui le poursuivaient, sans qu’ils puissent se saisir de lui, il montre la supériorité de sa nature divine ; et en s’éloignant d’eux, il prouve le mystère de son humanité ou de son incarnation. — S. Ambr. Comprenez encore ici que sa passion a été non un acte forcé, mais complètement volontaire. Ainsi, on se saisit de sa personne quand il le veut, il échappe à ses ennemis quand il le veut ; car comment un petit nombre de personnes aurait-il pu le retenir captif, puisqu’il ne pouvait être arrêté par un peuple tout entier ? Mais il ne voulut pas qu’un si grand sacrilège fût commis par la multitude ; et il devait être crucifié par un petit nombre, lui qui mourait pour le monde entier. D’ailleurs, son désir était de guérir les Juifs plutôt que de les perdre, et il voulait que le résultat de leur impuissante fureur leur fit renoncer à des desseins qu’ils ne pouvaient accomplir. — Bède. Ajoutons encore que l’heure de sa passion n’était pas encore venue, puisqu’elle ne devait arriver que le jour de la préparation de la fête de Pâques. Il n’était pas non plus dans le lieu marqué pour sa passion, qui était figurée par les victimes qu’on immolait, non pas à Nazareth, mais à Jérusalem. Enfin ce n’était pas de ce genre de mort qu’il devait mourir, puisqu’il était prédit depuis des siècles qu’il serait crucifié.

 

V. 31—37.

S. Ambr. En quittant la Judée, Notre-Seigneur ne cède ni à un sentiment d’indignation, ni au juste ressentiment du crime des Juifs ; au contraire, il oublie cet outrage pour ne se souvenir que de sa clémence, et tantôt par ses enseignements, tantôt par les guérisons qu’il opère, il cherche à toucher les coeurs de ce peuple infidèle : « Et il descendit à Capharnaüm qui est une ville de Galilée, » etc. — S. Cyr. Il connaissait bien leur penchant à l’indocilité et la dureté de leur coeur, cependant il les visite comme un bon médecin qui s’efforce de guérir des malades qu’il voit réduits à l’extrémité. Il enseignait sans crainte dans les synagogues, selon ces paroles d’Isaïe : « Je n’ai point parlé en secret, ni dans quelque coin obscur de la terre. » (Is 45, 19.) Il choisissait le jour de sabbat pour discuter avec eux, parce que c’était pour eux le jour du repos ; ils furent donc étonnés de la grandeur de sa doctrine, de sa vertu, de sa puissance : « Et sa doctrine les frappait d’étonnement, parce qu’il leur parlait avec autorité. » C’est-à-dire, que ses paroles n’étaient point molles et flatteuses, mais entraînantes, et qu’elles pressaient ceux qui les entendaient, de travailler à leur salut. Mais les Juifs ne voyaient dans Jésus-Christ qu’un saint ou un prophète ; aussi pour leur donner de lui une plus haute et une plus juste idée, il s’élève au-dessus du langage prophétique. Son exorde, en effet, n’était pas comme celui des prophètes : « Voici ce que dit le Seigneur ; » mais comme maître de la loi, il enseigne une doctrine supérieure à la loi, et passe de la lettre à la vérité, des figures à leur accomplissement spirituel. — Bède. On peut dire encore que la parole d’un docteur a de l’autorité, lorsqu’il pratique ce qu’il enseigne, car on n’a que du mépris pour celui dont la conduite est en opposition avec ses discours.

S. Cyr. A la prédication de la doctrine, Notre-Seigneur joint avec à propos des oeuvres étonnantes, et persuade ainsi ceux que la raison ne parvenait pas à convaincre de ce qu’il était : « Or, il y avait dans la synagogue un homme possédé du démon, » etc. — S. Ambr. Notre-Seigneur, en commençant le jour du sabbat les oeuvres de la rédemption divine, veut nous apprendre que la nouvelle création commence le jour même où l’ancienne création avait fini, et nous montrer tout d’abord que le Fils de Dieu n’est pas soumis à la loi mais qu’il était supérieur à la Loi. Il commence encore le jour du sabbat, pour montrer qu’il est le Créateur qui fait succéder aux oeuvres anciennes des oeuvres nouvelles, et poursuit le dessein qu’il avait commencé à réaliser si longtemps auparavant. Semblable à un ouvrier qui veut rebâtir une maison et qui en fait disparaître tout ce qu’elle a de ruineux, en commençant, non par les fondations, mais par le faîte et en démolissant d’abord ce qui avait été construit en dernier lieu. Ajoutons que le Sauveur commence par des oeuvres moins importantes pour arriver à celles qui ont plus d’éclat. Les saints eux-mêmes peuvent délivrer du démon au nom et par le Verbe de Dieu, mais il n’appartient qu’à la puissance divine de commander aux morts de ressusciter (Lc 7, 14 ; Jn 11, 43).

S. Cyr Les Juifs calomniaient la gloire de Jésus-Christ en disant : « Il chasse les démons par Beelzebub, prince des démons. » C’est pour confondre cette accusation sacrilège, que les démons se trouvant en présence de son invincible puissance, et ne pouvant supporter l’approche de la divinité, jetaient des cris effrayants : « Et il jeta un grand cri en disant : Laissez-nous, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » etc. — Bède. Comme s’il disait : Cessez un peu de nous tourmenter, vous qui êtes complètement étranger à nos mauvais desseins. — S. Ambr. On ne doit point s’étonner de lire dans l’Evangile, que le démon soit le premier à donner au Sauveur le nom de Jésus de Nazareth ; car ce n’est pas du démon que le Christ a reçu ce nom, qui a été apporté du ciel par un ange à la très-sainte Vierge. Mais telle est l’impudence du démon, qu’il cherche à introduire le premier parmi les hommes, un usage, une coutume, et la présente comme nouvelle pour imprimer une plus grande crainte de sa puissance. Il dit donc : « Je sais qui vous êtes, le saint de Dieu. » — S. Athan. Il l’appelle le saint de Dieu, non pas comme s’il était semblable aux autres saints, mais comme étant saint d’une sainteté toute particulière, saint par excellence et avec addition de l’article. En effet, Jésus-Christ est le seul saint par nature, et les autres ne méritent le nom de saints que par leur participation à sa sainteté. Toutefois en parlant de la sorte, le démon ne le connaissait pas en réalité, mais il feignait de le connaître. — S. Cyr. Les dénions s’imaginèrent que ces louanges inspireraient au Sauveur l’amour de la vaine gloire, et le détourneraient de s’opposer à leurs desseins, ou de les chasser, et qu’il leur rendrait ainsi service pour service. — S. Chrys. (hom. sur la 4e Ep. aux Corinth.) Le démon voulut aussi bouleverser l’ordre établi de Dieu, usurper la dignité des Apôtres et ranger un grand nombre d’hommes sous son obéissance. — S. Athan. Bien qu’il confessât la vérité, Jésus ne laisse pas de lui imposer silence ; il ne veut pas qu’avec la vérité il puisse propager le mensonge, et il voulait aussi nous accoutumer à ne faire aucun cas de semblables révélations, bien qu’elles paraissent conformes à la vérité, car c’est un crime de choisir le démon pour maître, quand nous avons pour nous instruire les saintes Écritures : « Mais Jésus lui dit avec menace : Tais-toi et sors de cet homme. »

 

Bède. C’est par une permission divine que cet homme qui allait être délivré du démon est jeté au milieu de l’assemblée, Dieu voulait ainsi rendre plus éclatante la puissance du Sauveur, et en faire entrer un plus grand nombre dans les voies du salut : « Et lorsqu’il l’eût jeté à terre, » etc. Le récit de saint Matthieu paraît ici en contradiction avec celui de saint Marc, où nous lisons : « Et l’esprit impur l’agitant violemment, sortit de lui en jetant un grand cri. » (Mc 1, 21.) Mais on peut dire que ces paroles de saint Marc : « L’agitant violemment, » ont la même signification que ces autres de saint Luc : « Et l’ayant jeté au milieu de l’assemblée. » Quant aux paroles suivantes : « Et il ne lui fit aucun mal, » il faut les entendre dans ce sens, que cette agitation des membres et cette violente secousse ne fit éprouver à cet homme aucune faiblesse, comme il arrive d’ordinaire, lorsque les démons ne sortent des corps qu’ils possèdent qu’en coupant ou en brisant quelques membres. Aussi ceux qui sont présents, sont-ils à bon droit surpris d’une guérison aussi complète : « Et l’épouvante les saisit tous, » etc. — Théophyl. Ils semblent dire : Quel est cet ordre qu’il vient de donner au démon : « Sors de cet homme, » et il est sorti ? — Bède. Les saints peuvent également chasser les démons par la puissance du Verbe de Dieu ; mais seul le Verbe de Dieu opère de semblables miracles par sa propre puissance.

S Ambr. Dans le sens allégorique, cet homme de la synagogue qui était possédé de l’esprit immonde, c’est le peuple des Juifs qui, enlacé dans les filets du démon, profanait la pureté apparente de son corps par les souillures trop réelles de son âme, il était possédé de l’esprit immonde, parce qu’il avait perdu l’Esprit saint, car le démon prenait possession de la demeure que le Christ venait de quitter. — Théophylacte. Il en est encore beaucoup aujourd’hui qui sont possédés du démon, c’est-à-dire, ceux qui accomplissent les désirs que les démons leur inspirent ; c’est ainsi que les furieux sont possédés du démon de la colère, et ainsi des autres. Or le Seigneur entre dans la synagogue, lorsque l’âme de l’homme se trouve toute réunie, et il dit au démon qui l’habite : Tais-toi, et aussitôt le démon jette cet homme dans le milieu et sort de lui. Il ne convient pas, en effet, que l’homme soit constamment dominé par la colère (c’est le propre des bêtes féroces), ni qu’il soit inaccessible au sentiment de la colère (ce qui serait insensibilité), mais il doit tenir un juste milieu, et manifester une certaine colère contre le mal, et c’est pourquoi cet homme est jeté au milieu de l’assemblée, lorsque l’esprit immonde sort de son corps.

 

Vv. 38-39.

S. Amb. Après la délivrance de cet homme possédé de l’esprit impur, saint Luc raconte immédiatement la guérison d’une femme, car le Seigneur était venu guérir l’un et l’autre sexe, et il devait commencer par celui qui fut créé le premier : « Et étant sorti de la synagogue, il entra dans la maison de Simon » — S. Chrys. (hom. 28 sur S. Matth.) Il demeurait ainsi volontiers chez ses disciples, pour leur témoigner de l’honneur, et leur inspirer un plus grand courage et un zèle plus ardent. — S. Cyr, Considérez la condescendance du Sauveur, qui demeure chez un homme pauvre, lui qui, de sa pleine volonté, s’est soumis à toutes les privations de la pauvreté, pour nous apprendre à aimer le commerce des pauvres, et à ne jamais mépriser les indigents et les malheureux.

 

« La belle-mère de Simon avait une forte fièvre, et ils le prièrent pour elle. » — S. Jér. Tantôt le Sauveur attend qu’on le prie, tantôt il guérit de lui-même les malades qui se présentent. Il nous apprend par cette conduite, qu’il accorde aux prières des fidèles ces grâces puissantes qui aident les pécheurs à triompher de leurs passions, et que quant aux maladies intérieures qu’ils ne connaissent pas, ou bien il leur en donne l’intelligence, ou il leur pardonne ce qu’ils ne comprennent pas, selon ces paroles du Psalmiste : « Qui peut connaître ses péchés ? Purifiez-moi de celles qui sont cachées en moi. » (Ps 18.) — S. Chrys. Que saint Matthieu ait passé ce fait sous silence, cela ne fait aucune contradiction, et n’a d’ailleurs aucune importance, l’un s’est appliqué à être court, l’autre a voulu donner une explication plus complète. — Suite. « Alors se tenant debout auprès d’elle, » etc. — S. Bas. (et Orig., Ch. des Pèr. gr.) D’après le récit de saint Luc, Notre-Seigneur tient ici un langage figuré, il parle à la fièvre comme à un être animé et intelligent, il lui commande de sortir, et la fièvre obéit à ce commandement : « Et la fièvre la quitta, et s’étant levée aussitôt, elle se mit à les servir. » — S. Chrys. Comme cette maladie n’est pas incurable, Notre-Seigneur fait éclater sa puissance par la manière dont il la guérit, et en faisant ce que toute la science médicale n’aurait jamais pu faire. Car après que la fièvre a disparu, les malades sont encore bien longtemps à revenir à leur premier état de santé, tandis qu’ici la cessation de la fièvre est suivie d’une guérison complète.

S. Ambr. Si nous voulons examiner ce fait miraculeux à un point de vue plus élevé, nous devrons y reconnaître la guérison de l’âme aussi bien que celle du corps, et c’est l’esprit qui a souffert le premier des atteintes mortelles du serpent qui est aussi guéri le premier. D’ailleurs, Eve ne désire manger du fruit défendu qu’après avoir été séduite par la ruse perfide du serpent ; c’est pourquoi le remède du salut devait agir d’abord contre l’auteur même du péché. Peut-être aussi cette femme est-elle la figure de notre chair languissante et malade de la fièvre des passions criminelles ; en effet, la fièvre de l’amour est-elle moins ardente que la lièvre qui vient de la chaleur ou de l’inflammation ? — Bède. Si dans cet homme délivré du démon, nous reconnaissons une figure de l’âme purifiée de ses pensées immondes, dans cette femme en proie à une fièvre ardente et guérie par le commandement du Sauveur, nous pourrons voir la chair préservée des ardeurs de la concupiscence par les préceptes de la continence. — S. Cyr. Nous donc aussi, recevons Jésus avec empressement, car s’il daigne nous visiter et que nous le portions dans notre âme et dans notre coeur, il éteindra le feu des voluptés coupables, et nous rendra la force et la santé nécessaires pour le servir, c’est-à-dire, pour accomplir ses volontés.

 

Vv. 40-41.

Théophyl. Considérez l’empressement de cette multitude, bien que le soleil fût couché, ils amènent à ses pieds les infirmes, sans être arrêtés par l’heure avancée : « Lorsque le soleil fut couché, tous ceux qui avaient des infirmes, » etc. — Orig. Ils les amenaient après le coucher du soleil, c’est-à-dire, à la fin du jour, parce que, dans le courant de la journée, ils étaient retenus par d’autres occupations, ou bien encore, parce qu’ils croyaient qu’il n’était pas permis de guérir le jour du sabbat ; Jésus les guérissait : « Or, Jésus imposant les mains sur chacun d’eux, » etc. — S. Cyr. Il eut pu, sans doute, comme Dieu, guérir ces malades d’un seul mot, cependant il les touche et montre ainsi la puissance de sa chair pour opérer des guérisons, car c’était la chair d’un Dieu ; or, de même que le feu approché d’un vase d’airain, lui communique sa propre chaleur, de même le Verbe tout-puissant de Dieu, en s’unissant véritablement ce temple animé et intelligent qu’il reçut de la vierge Marie, le rendit participant de sa puissance divine. Que Jésus daigne aussi nous toucher, ou plutôt touchons-le nous-mêmes pour être délivrés des attaques et de l’orgueil du démon : « Les démons sortaient du corps de plusieurs, » etc. — Bède. Les démons confessent le Fils de Dieu, et, comme l’Évangéliste le dit plus loin : « Ils savaient qu’il était le Christ. » En effet, lorsque le démon le vit épuisé par le jeûne, il en conclut qu’il était homme, mais le voyant inaccessible à la tentation, il doutait s’il n’était pas le Fils de Dieu ; maintenant l’éclat et la puissance des miracles lui fait comprendre ou plutôt soupçonner qu’il est le Fils de Dieu. Si donc il a porté les Juifs à crucifier Jésus-Christ, ce n’est pas qu’il doutât qu’il fût le Christ ou le Fils de Dieu, mais parce qu’il ne prévoyait pas que sa mort serait sa propre condamnation. Car saint Paul dit de ce mystère caché depuis les siècles : « Que nul des princes de ce monde ne l’a connu, car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire. — S. Chrys. « Mais il les menaçait, et ne leur permettait pas de dire, » etc. Admirez ici l’humilité de Jésus-Christ, il ne veut pas que les esprits immondes manifestent sa gloire. Il ne fallait pas, en effet, laisser usurper au démon la gloire du ministère apostolique, et il ne convenait pas que le mystère de Jésus-Christ fût annoncé par des langues impures. — Théophyl. Ou bien, c’est parce que la louange qui sort de la bouche du pécheur n’a aucune beauté, ou parce qu’il ne voulait pas exciter davantage la jalousie des Juifs, en s’attirant les louanges de la multitude. — Bède. Les Apôtres eux-mêmes avaient ordre de ne point parler de lui, de peur que la connaissance de sa divinité venant à se répandre, le mystère de sa passion ne fût différé.

 

Vv. 42-44.

S. Chrys. Après avoir fait un nombre suffisant de miracles en faveur du peuple, le Seigneur devait se retirer, car les miracles paraissent plus grands après le départ de celui qui les a faits, ils proclament plus haut la puissance divine, et font l’office de prédicateurs : « Donc, dit l’Évangéliste, lorsqu’il fut jour il sortit dehors, et s’en alla en un lieu désert, » etc. — Ch. des Pèr. Gr. Il s’en alla dans le désert (d’après saint Marc), et il priait, non pas qu’il eût besoin de prière, mais pour nous donner le modèle d’une prière parfaite. — S. Chrys. (tiré des hom. sur S. Matth.) Malgré tant de miracles éclatants, les pharisiens sont scandalisés de la puissance de Jésus-Christ, tandis que le peuple docile à ses divins enseignements, marchait à sa suite : « Et la foule le cherchait, » etc. Ce ne sont ni les premiers du peuple, ni les scribes qui le cherchent, mais ceux que la noirceur de la méchanceté n’avait pas atteint, et dont la conscience était restée pure. — Ch. des Pèr. gr. Saint Marc dit que les Apôtres rejoignirent le Sauveur, pour lui dire que le peuple le cherchait ; d’après saint Luc, c’est le peuple lui-même qui vient trouver le Sauveur, mais il n’y a en cela aucune contradiction, car le peuple était venu le trouver à la suite des Apôtres. Le Seigneur éprouvait de la joie de se voir ainsi entouré par la foule, mais il commandait cependant qu’on le laissât aller, car il fallait que d’autres aussi fussent initiés à sa doctrine, parce que le temps de sa présence sur la terre ne devait pas être bien long : « Et il leur dit : Il faut aussi que j’annonce aux autres villes, » etc. Saint Marc dit : « C’est pour cela que je suis venu, » montrant ainsi l’excellence de sa divinité et son anéantissement volontaire. D’après saint Luc, au contraire, le Sauveur aurait dit : « C’est pour cela que je suis envoyé ; » et il exprime ainsi le mystère de son incarnation, et donne le nom de mission à la volonté du Père. L’un dit simplement : « Afin que j’annonce ; » l’autre ajoute : « Le royaume de Dieu, » qui est Jésus-Christ lui-même. — S. Chrys. (comme précéd.) Considérez ici que le Sauveur pouvait attirer à lui tous les hommes, en demeurant dans le même endroit ; cependant il ne le fit point, pour nous donner l’exemple d’aller à la recherche de ceux qui périssent, comme le pasteur court après la brebis perdue, comme le médecin va lui-même visiter ses malades ; car sauver une seule âme, c’est mériter le pardon de bien des fautes : « Et il prêchait dans les synagogues de Galilée. » Il fréquentait les synagogues, pour leur prouver qu’il n’était pas un séducteur, car s’il eût recherché constamment les lieux inhabités, ils l’eussent accusé de vouloir se dérober à la connaissance des hommes.

Bède. Si le coucher du soleil est une figure allégorique de la mort du Seigneur, le retour du jour est un symbole de sa résurrection ; le peuple des croyants le recherche à la clarté de cette lumière, et après l’avoir trouvé dans le désert des nations, il l’entoure et cherche à le retenir, dans la crainte qu’il ne lui échappe, explication d’autant plus probable que ce fait se passa le premier jour après le sabbat, qui fut le jour de la résurrection du Sauveur.

 

 

 

CHAPITRE V

Vv. 1-3.

S. Ambr. Après que Notre-Seigneur eut opéré un grand nombre de guérisons, l’empressement du peuple pour recourir à sa puissance salutaire ne put être arrêté ni par le temps, ni par les lieux ; le soir est venu, ils ne cessent de marcher à sa suite, un lac se présente, ils se pressent autour de lui « Un jour que la foule se précipitait sur lui, » etc. — S. Chrys. Ils étaient comme enchaînés à sa divine personne, pleins d’amour et d’admiration pour lui, et ils voulaient le retenir au milieu d’eux. Et, en effet, qui aurait voulu se séparer de lui pendant qu’il opérait de si grands miracles ? Qui aurait refusé de contempler cette face adorable et cette bouche d’où sortaient tant de merveilles. Car le Sauveur n’était pas seulement admirable dans les miracles qu’il opérait, mais son aspect seul était rempli de grâce ; aussi quand il parlait, on l’écoutait dans un profond silence, sans jamais oser l’interrompre : « La foule, se précipitant sur lui pour entendre la parole de Dieu, » etc.

 

« Il était sur le bord du lac de Génésareth. » — Bède. Le lac de Génésareth est le même qui porte le nom de mer de Galilée ou de Tibériade. On l’appelle mer de Galilée, de la province qui est baignée par ses eaux, et mer de Tibériade, de la ville qui en est voisine. Le nom de Génésareth vient de la nature même du lac, dont les ondes, en se ridant, produisent d’elles-mêmes les vents qui agitent ses flots. En effet, le mot Génésareth signifie qui produit de lui-même le vent. Les eaux, au lieu d’être calmes et tranquilles comme celles des autres lacs, sont souvent agitées par le souffle des vents, elles sont douces et agréables à boire. Mais dans la langue hébraïque, toute grande étendue d’eau douce ou salée, reçoit le nom de mer.

 

Théophyl. Plus la gloire s’attache au Sauveur, plus il cherche à s’y dérober, c’est pourquoi nous le voyons s’éloigner de la foule et monter dans une barque : « Et il vit deux barques arrêtées au bord du lac, et dont les pêcheurs étaient descendus pour laver leurs filets. » — S. Chrys. C’était un signe que les pécheurs se reposaient. Selon saint Matthieu, Jésus les trouva raccommodant leurs filets ; car ils étaient si pauvres qu’ils étaient obligés de réparer leurs filets déchirés, dans l’impossibilité d’en avoir de nouveaux. Il monte dans une barque pour rassembler convenablement toute la multitude, de manière que personne ne fût derrière lui, mais que tous puissent le voir en face : « Montant dans une des barques qui appartenaient à Simon, il le pria, » etc. — Théophyl. Voyez l’humilité de Jésus-Christ, qui s’abaisse jusqu’à prier Pierre, et la soumission de Pierre, qui obéit en toutes choses à son divin Maître.

 

S. Chrys. Après avoir opéré un grand nombre de miracles, il enseigne de nouveau sa doctrine, et tout en étant sur la mer, il prêche ceux qui sont sur la terre : « Et étant assis, il enseignait le peuple de dessus la barque. » — S. Grég. de Nazianze. (disc. 31.) Il se montre plein de condescendance pour tous, afin de tirer le poisson de l’abîme, c’est-à-dire l’homme qui nage pour ainsi dire au milieu des choses inconstantes et mobiles, et parmi les violentes tempêtes de cette vie.

Bède. Dans le sens allégorique, ces deux barques figurent les Juifs et les Gentils. Le Seigneur les voit toutes deux, parce qu’il connaît dans chaque peuple ceux qui sont à lui, et en les voyant près du rivage, c’est-à-dire en les visitant dans sa miséricorde, il les conduit au port tranquille de la vie éternelle. Les pêcheurs sont les docteurs de l’Église qui nous prennent dans les filets de la foi, et nous amènent au rivage de la terre des vivants. Ces filets, tantôt les pêcheurs les jettent pour pêcher, tantôt ils les plient après les avoir lavés, parce qu’en effet, tous les temps ne sont pas également propres à la prédication, et que le docteur doit tantôt se livrer à l’enseignement, tantôt s’occuper de lui-même, et prendre soin de son âme. La barque de Simon, c’est l’Église primitive dont saint Paul a dit : « Celui qui a opéré en Pierre pour l’apostolat de la circoncision. » (Ga 2.) Notre-Seigneur monte dans une seule de ces barques, parce que la multitude de ceux qui croyaient n’avait qu’un coeur et qu’une âme, (Ac 4.) — S. Aug. (Quest. évang., 2, 2.) De cette barque, il enseignait la foule, car c’est par l’autorité de l’Église que Pierre instruit les nations. Le Seigneur, en montant dans cette barque, prie son disciple de s’éloigner un peu de la terre, pour nous apprendre qu’il faut parler au peuple un langage plein de modération et de réserve, il ne faut pas lui prêcher une doctrine terrestre, mais il faut se garder également de trop l’éloigner de la terre pour le jeter dans les profondeurs insondables des mystères. Cette circonstance peut encore signifier qu’il faut d’abord prêcher l’Évangile aux peuples des pays voisins, de même que bientôt il dira : « Avancez en pleine mer, » c’est-à-dire prêchez aux nations plus éloignées.

 

V. 4-7.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Après avoir donné au peuple les enseignements qu’il jugeait convenables, le Sauveur reprend le cours de ses opérations merveilleuses et divines, et en favorisant à ses disciples l’exercice de la pêche, il les prend lui-même dans ses filets : « Lorsqu’il eut cessé de parler, il dit à Simon : « Avancez en pleine mer, et jetez vos filets pour pêcher. » — S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Il s’accommode aux dispositions comme aux diverses occupations des hommes, c’est par une étoile qu’il avait appelé les mages, c’est par le métier de la pêche qu’il appelle à lui les pécheurs. — Théophyl. Pierre ne fait aucune difficulté d’obéir : « Et Simon lui répondit : Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre. » Il n’ajoute pas : Je ne me rendrai pas à votre parole, je ne veux pas m’exposer à de nouvelles fatigues. Loin de là, il s’empresse de répondre : « Mais sur votre parole, je jetterai le filet. » C’était de la barque de Pierre que Notre-Seigneur avait enseigné le peuple, il ne veut pas laisser sans récompense le maître de la barque ; et il le récompense doublement, d’abord il lui fait prendre une multitude innombrable de poissons, et en second lieu, il en fait lui-même son disciple : « Et l’ayant jeté, ils prirent une si grande quantité de poissons, que leur filet se rompait. » Pierre prit une telle quantité de poissons, qu’il ne pouvait les tirer hors de l’eau, et qu’il demanda du secours à ses compagnons : « Et ils firent signe à leurs compagnons qui étaient dans l’autre barque de venir, etc. Il les appelle en leur faisant signe ; car l’étonnement que lui causait cette pèche abondante, lui ôtait pour ainsi dire l’usage de la parole. Les autres disciples répondent à son appel : « Et ils vinrent, et ils remplirent les deux barques, » etc. L’évangéliste saint Jean paraît raconter un miracle semblable, mais qui est cependant tout autre, et qui eut lieu après la résurrection du Sauveur sur la mer de Tibériade. Ces deux miracles diffèrent et quant au temps, et quant à la nature même du fait. Dans saint Jean, les filets, jetés à la droite de la barque, prennent cent cinquante-trois grands poissons, et l’Évangéliste a soin de dire que, malgré la grandeur des poissons, les filets ne se rompirent pas. Et il avait alors en vue le fait miraculeux raconté par saint Luc, où le filet se rompait sous le poids énorme des poissons qu’il contenait.

S. Ambr. Dans le sens allégorique, la barque de Pierre qui, selon saint Matthieu, est agitée par les flots, et qui, selon saint Luc, est remplie de poissons, figure l’Église jouet des flots à son origine, et dans la suite, se réjouissant de la multitude innombrable de ses enfants. La barque qui porte Pierre n’est point agitée, mais celle qui portait Judas est ballottée par les flots. Pierre, il est vrai, se trouvait dans ces deux barques, mais bien qu’il demeurât ferme dans la conscience de son innocence personnelle, il était cependant agité par suite des crimes d’un autre. Gardons-nous donc de toute société avec les traîtres, il n’en faut qu’un seul pour nous jeter dans l’agitation et le trouble. Là où la foi est faible, il y a nécessairement trouble, là, au contraire, où la charité est parfaite, il y a pleine et entière sécurité. Remarquez enfin que si Notre-Seigneur commande à tous les disciples de jeter leurs filets, c’est à Pierre seul qu’il dit : « Avance en pleine mer, » c’est-à-dire dans la profondeur des controverses. Qu’y a-t-il de plus profond que la connaissance du Fils de Dieu ? Mais quels sont ces filets qu’il commande aux Apôtres de jeter, sinon les réseaux des paroles, les détours des discussions et les profondes sinuosités des discours, qui ne laissent point échapper ceux qu’ils ont pris ? Les instruments dont se servent les Apôtres pour cette pèche spirituelle sont justement comparés à des filets qui ne tuent point ceux qu’ils prennent, mais les tiennent en réserve, et qui les retirent des flots agités, pour les transporter jusque dans les cieux. Pierre dit à Jésus : « Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre, » parce que ce n’est point ici l’oeuvre de l’éloquence humaine, mais un don de la vocation céleste. Aussi ceux dont les efforts avaient été jusque là infructueux, prennent, sur la parole du Seigneur, une grande quantité de poissons. — S. Cyr. C’était la figure de ce qui devait arriver dans la suite aux prédicateurs de l’Évangile ; car ceux qui jetteront le filet de la doctrine évangélique ne travailleront pas inutilement, mais parviendront à réunir la multitude des nations. — S. Aug. (Question évang., 2, 9.) Leurs filets se rompaient, et les barques étaient remplies de cette quantité de poissons, au point qu’elles étaient près de couler à fond, figure de cette multitude d’hommes charnels, qui devaient abonder un jour dans l’Église, au point de rompre la paix et de déchirer l’Église par les hérésies et par les schismes. — Bède. Le filet se rompt, mais le poisson ne s’échappe pas, parce que le Seigneur conserve les siens au milieu des scandales de ceux qui les persécutent. — S. Ambr. L’autre barque représente la Judée, dans laquelle Jean et Jacques sont choisis ; ils viennent de la synagogue à la barque de Pierre (c’est-à-dire à l’Église), et ils viennent pour remplir les deux barques, car tous juifs, ou grecs, doivent fléchir le genou au nom de Jésus. — Bède. Ou bien encore, la seconde barque c’est l’Église des Gentils qui, pour suppléer à l’insuffisance de la première est aussi remplie de poissons, qui représentent les élus ; car le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, il a déterminé le nombre précis de ses élus ; et comme il n’a pas trouvé dans la Judée autant de fidèles qu’il en avait prédestinés à la vie éternelle, il cherche pour ainsi dire une autre barque pour recevoir les poissons qui sont à lui, et il répand la grâce de la foi dans le coeur des Gentils. Le filet venant à se rompre, on a recours à la barque voisine ; ainsi lorsque Judas le traître, Simon le Magicien, Ananie et Saphire, et un grand nombre de disciples se séparent de l’unité, Paul et Barnabé sont choisis pour exercer l’apostolat parmi les Gentils. — S. Ambr. Nous pouvons encore voir dans cette seconde barque la figure d’une autre Église ; car l’Église de Jésus-Christ qui est une, se divise en plusieurs Églises particulières. — S. Cyr. Pierre fait signe à ses compagnons de venir à son secours, un grand nombre, en effet, se sont associés aux travaux des Apôtres d’abord ceux qui ont écrit les Évangiles, ensuite les autres évêques ou pasteurs des peuples, et les docteurs versés dans la science de la vérité. — Bède. Ces barques ne cessent de se remplir jusqu’à la fin du monde ; lorsqu’elles sont pleines, elles s’enfoncent, ou plutôt elles sont exposées au danger d’être submergées ; car elles ne le sont jamais en réalité. C’est ce qu’enseigne l’Apôtre, lorsqu’il dit : « Dans les derniers temps, il y aura des temps périlleux, les hommes s’aimeront eux-mêmes, » etc. En effet, les barques sont submergées lorsque les hommes que Dieu avait retirés du siècle par la vocation à la foi y sont de nouveau entraînés par la corruption des moeurs.

 

Vv. 8-11.

Bède. Pierre était dans l’admiration des dons de Dieu, et plus il avait éprouvé de crainte, moins il était porté à la présomption : « Ce que voyant Simon Pierre, il tomba aux pieds de Jésus, en disant : Eloignez-vous de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur. » — S. Cyr. Rappelant en son souvenir les fautes qu’il avait commises, il est saisi de crainte et d’effroi, il n’ose croire, impur qu’il est, qu’il puisse recevoir celui qui est la pureté même ; car il avait appris de la loi, que ce qui est souillé doit être séparé de ce qui est saint (Lv 10, 10 ; cf. Ez 22, 26 ; 44, 23). — S. Grég. de Nysse. Dès que Jésus eut ordonné de jeter les filets, on prit le nombre de poissons que lui, le Seigneur de la mer et de la terre, avait déterminé ; car la voix du Verbe est toujours une voix de puissance, et c’est par son commandement, que l’origine du monde, la lumière et les autres créatures sortirent du néant. À la vue de ce miracle, Pierre est dans l’admiration : « Il était plongé dans la stupeur, lui et tous ceux qui étaient avec lui. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2 17.) Saint Luc ne fait point mention d’André, bien qu’il fût dans cette barque, d’après le récit de saint Matthieu et de saint Marc.

 

« Jésus dit à Simon : Ne craignez point. » — S. Ambr. Et vous aussi, dites à Jésus : Eloignez-vous de moi, parce que je suis un pécheur, et Dieu vous répondra : « Ne craignez point, » confessez votre péché au Seigneur qui est disposé à vous pardonner. Vous voyez combien il est bon, lui qui daigne accorder à des hommes le pouvoir de communiquer la vie : « Désormais, dit-il à Simon, vous serez pêcheurs d’hommes. » — Bède. C’est à Pierre que cette prérogative est spécialement accordée ; le Seigneur lui explique le sens mystérieux de cette pêche miraculeuse, c’est-à-dire qu’il prendra un jour des hommes par ses discours, comme il vient de prendre des poissons dans ses filets ; et toute la suite de ce fait miraculeux montre ce qui se fait tous les jours dans l’Église, dont Pierre est ici la figure. — S. Chrys. (Hom. 14 sur S. Matth.) Considérez la foi et l’obéissance des Apôtres. Au milieu même des occupations de la pèche (et vous savez combien les pêcheurs sont avides du succès de leur pêche), dès qu’ils entendent l’ordre du Sauveur, sans aucun délai, ils quittent tout, et le suivent. Telle est l’obéissance que Jésus-Christ demande de nous, elle doit être notre premier soin, au milieu même des diverses nécessités de la vie : « Et, aussitôt, ramenant leurs barques à terre. » etc. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Le récit de saint Matthieu et de saint Marc est ici beaucoup plus court que celui de saint Luc, qui raconte le fait dans tous ses détails. Il y a d’ailleurs entre les deux récits cette différence que, d’après saint Luc, c’est à Pierre seul que le Sauveur aurait dit : « Désormais vous serez pécheur d’hommes, » tandis que suivant les deux autres Évangélistes, c’est aux deux frères que Jésus aurait adressé ces paroles. Mais Notre-Seigneur a pu très bien les dire d’abord à Pierre seul, surpris et étonné de la grande quantité de poissons qu’on avait pris, comme saint Luc paraît l’insinuer, et les avoir redites ensuite aux deux frères, ainsi que le racontent les deux premiers Évangélistes. Ou bien encore, on peut entendre que la pèche miraculeuse, racontée par saint Luc, arriva en premier lieu, mais sans que les deux disciples fussent dès lors appelés par le Seigneur Jésus. Il se contenta de prédire à Pierre qu’il serait un jour pêcheur d’hommes. On peut donc légitimement supposer qu’ils retournèrent au métier de la pêche, et qu’alors eut lieu le fait raconté par saint Matthieu et saint Marc ; alors, en effet, ils ne ramenèrent pas leurs barques à terre, avec la pensée de retourner à leurs anciennes occupations, mais ils suivirent Jésus en obéissant pleinement à l’ordre qu’il leur avait donné. Une autre difficulté se présente ; si, d’après saint Jean, ce fut sur les bords du Jourdain que Pierre et André se mirent à la suite de Jésus, comment les autres Évangélistes peuvent dire que c’est dans la Galilée qu’il les trouva se livrant à la pèche, et qu’il les appela à l’apostolat ? Nous répondons que lorsqu’ils virent le Seigneur sur les bords du Jourdain, ils ne s’attachèrent pas inséparablement à lui, ils connurent seulement qu’il était le Messie, et pleins d’admiration pour lui, ils retournèrent à leurs occupations.

 

S. Ambr. Dans le sens allégorique, Pierre, en disant : « Seigneur, éloignez-vous de moi, » refuse de reconnaître que ceux qu’il prend dans les filets de ses enseignements soient sa conquête et son butin. Vous aussi, n’hésitez pas à renvoyer à Dieu le bien qui est en vous, puisque c’est Dieu qui vous communique ses propres dons — S Aug. (Quest. évang.) Ou bien dans un autre sens, Pierre représente l’Église remplie d’hommes charnels, quand il dit au Seigneur : « Eloignez-vous de moi, parce que je suis un pécheur. » L’Église, remplie de cette foule d’hommes charnels et presque submergée par leurs moeurs dépravées, semble éloigner d’elle le règne des hommes spirituels (dont la personne de Jésus-Christ est la plus haute représentation.) Ce n’est point de bouche que les hommes tiennent ce langage aux vertueux ministres de Dieu pour les éloigner d’eux, c’est par la voix de leurs moeurs et de leurs actions, qu’ils les pressent de se retirer pour se soustraire à la direction des bons. Et leurs instances sont d’autant plus vives, qu’ils leur témoignent en même temps de l’honneur et du respect. Pierre figurait ce respect, en se jetant aux pieds du Seigneur, et leurs moeurs, en disant : « Eloignez-vous de moi. » — Bède. Or, le Seigneur dissipe la crainte des hommes charnels qui, tremblant pour quelques-uns à la vue de leur conscience coupable, ou découragés par le spectacle de l’innocence des autres, redouteraient d’entrer dans la voie de la sainteté. — S. Aug. (Quest. évang.) Le Seigneur, en ne se rendant pas à leurs désirs, apprend aux hommes vertueux et spirituels à ne pas se laisser aller au désir d’abandonner le ministère ecclésiastique pour mener une vie plus calme et plus tranquille, parce qu’ils ne peuvent supporter les désordres de la foule. Ils ramènent leurs barques à terre, et quittent tout pour suivre Jésus ; et en cela ils figurent la fin des temps, où ceux qui se seront attachés à Jésus-Christ quitteront pour toujours la mer agitée du monde.

 

Vv. 12-16.

S. Ambr. La guérison de ce lépreux est le quatrième miracle que fit Jésus depuis son entrée à Capharnaüm. Si, lors de la création, Dieu a éclairé le quatrième jour des splendeurs du soleil, et l’a ainsi rendu plus brillant que les autres jours, nous devons regarder aussi ce miracle comme plus éclatant que les autres miracles. « Or, il arriva, comme il était dans une ville, qu’un homme couvert de lèpre, » etc. L’Évangéliste ne désigne pas d’une manière précise le lieu où ce lépreux fut guéri, pour nous apprendre que ce ne fut pas le peuple particulier d’une seule ville, mais tous les peuples de la terre qui eurent part à la guérison spirituelle de l’âme. — S. Athan. (lettre à Adelph. contre les Ar.) Ce lépreux adora le Seigneur son Dieu sous une forme humaine, la chair mortelle qu’il avait sous les yeux ne lui fit point croire que le Verbe de Dieu fut une simple créature ; quoique reconnaissant dans Jésus le Verbe de Dieu, il ne méprisa point la chair dont il était revêtu ; au contraire, il se prosterne le visage contre terre, pour adorer, comme dans un temple créé, le Créateur de toutes choses : « Apercevant Jésus, il se prosterna la face contre terre, et le pria. » — S. Ambr. Il se prosterne la face contre terre par un sentiment d’humilité et de confusion, et nous apprend ainsi à tous à rougir des souillures de notre vie. Cependant cette confusion n’étouffe point l’aveu qu’il veut faire de son infirmité ; il montre les plaies de son corps, et en demande la guérison : « Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. » Ce n’est point qu’il soit incrédule et qu’il doute de la bonté et de la volonté du Seigneur ; mais la conscience qu’il avait de sa honteuse maladie, réprime chez lui tout sentiment de présomption. D’ailleurs quelle profession de foi, de religion plus parfaite que celle qui fait découler toute puissance de la volonté du Seigneur. — S. Cyr. Il savait que la lèpre dont il était couvert ne pouvait être guérie par toutes les ressources de la science médicale, mais il vit la divine majesté chasser les démons, guérir toutes les maladies, et il en conclut que la droite de Dieu pouvait seule opérer ces merveilles. — Tite de Bostr. Apprenons, par ces paroles du lépreux, à ne pas rechercher avec trop d’empressement la guérison de nos infirmités corporelles, mais à tout remettre entre les mains de Dieu, qui fait chaque chose en son temps et dispose tout avec sagesse.

S. Ambr. Notre-Seigneur emploie dans la guérison du lépreux le moyen qu’il lui a comme indiqué dans sa prière : « Et Jésus, étendant la main, le toucha en disant : Je le veux, soyez guéri. » La loi défend de toucher les lépreux, mais le Maître de la loi n’est pas soumis à la loi, c’est lui qui en est l’auteur. Si donc il touche ce lépreux, ce n’est pas qu’il n’eût pu le guérir autrement, mais c’était pour prouver qu’il n’était pas assujetti à la loi, et que loin de craindre d’être atteint par cette maladie contagieuse, il était inaccessible à toute souillure, lui qui venait en délivrer les autres. Il voulait, au contraire, que la lèpre qui souille ordinairement la main qui la touche, disparût au simple contact de sa main divine. — Théophyl. En effet, sa chair sacrée purifie et donne la vie, parce qu’elle est la chair du Verbe de Dieu. — S. Ambr. Dans ces paroles : « Je le veux, soyez guéri, vous voyez à la fois l’expression de sa volonté bienfaisante et de sa tendre compassion. — S. Cyr. (Tres., 12, 14.) Ce commandement suprême ne peut venir que de la divine majesté, comment donc pourrait-on assimiler le Fils unique aux serviteurs, lui qui peut tout par sa seule volonté ? Il est dit de Dieu le Père, « qu’il a fait tout ce qu’il a voulu » (Ps 113 ; 134) ; comment donc celui qui exerce la puissance de son Père, serait-il d’une nature différente ? Tout ce qui a la même puissance, a ordinairement la même nature. Cependant admirez comment Jésus-Christ joint ici l’opération divine à l’action humaine ; car c’est le propre de la nature divine que la volonté soit aussitôt suivie de son effet, comme étendre la main est un acte de la nature humaine. Or, la personne unique de Jésus se compose de ces deux natures, parce qu’il est le Verbe fait chair. — S. Grég. de Nysse. (disc. sur la résurr. de J.-C.) En Jésus-Christ, la divinité était unie aux deux substances constitutives de l’homme, à l’âme et au corps, et les attributs de la nature divine se manifestaient par l’une et l’autre de ces deux substances. Le corps révélait la divinité qu’il recouvrait en donnant la guérison par un simple attouchement, et l’âme faisait éclater la toute-puissance de Dieu par l’efficacité de sa volonté ; car la volonté est l’action propre de l’âme, comme le toucher est le sens propre du corps, l’âme veut, le corps touche.

S. Ambr. Notre-Seigneur dit : « Je veux, » pour combattre l’hérétique Photius ; il commande, pour condamner Arius, il touche le lépreux, pour confondre Manès. Aucun intervalle entre l’action de Dieu et son commandement, pour vous faire comprendre et l’affection du médecin, et la puissance de son opération : « Et aussitôt sa lèpre disparut. » Mais que chacun de nous évite toute vaine gloire en imitant l’exemple de l’humilité du Sauveur, s’il ne veut que la lèpre n’atteigne le médecin lui-même : « Et il lui ordonna de n’en parler à personne. » Il nous enseigne ainsi à ne point publier nos bienfaits, mais à les cacher et à ne rechercher ni rémunération pécuniaire, ni la récompense plus délicate de la reconnaissance. Peut-être aussi Notre-Seigneur commande le silence à ce lépreux, parce qu’il préférait de beaucoup ceux qui croient par une foi spontanée, à ceux dont la foi a pour motifs les bienfaits qu’ils espèrent. — S. Cyr. Mais quand même le lépreux eût gardé le silence, la voix seule de ce miracle suffisait pour faire connaître la puissance de celui qui avait opéré cette guérison à tous ceux qui en seraient témoins.

 

S. Chrys. (hom. 26 sur S. Matth.) Le plus souvent, la maladie réveille dans les hommes la pensée de Dieu, mais ils l’oublient bien vite, aussitôt qu’ils sont guéris ; Jésus recommande donc au lépreux d’avoir toujours Dieu devant les yeux, et de lui rendre gloire : « Allez, montrez-vous au prêtre. » Le Sauveur voulait qu’il se soumît à l’examen et au jugement du prêtre, et que ce fût sur sa déclaration qu’il fût réintégré dans la société de ceux qui étaient purs. — S. Ambr. Il voulait aussi apprendre au prêtre que ce n’était point par l’observation des prescriptions de la loi, mais par la puissance bien supérieure à la loi de la grâce de Dieu, que ce lépreux avait été guéri. En ordonnant au lépreux d’offrir le sacrifice prescrit par Moïse, le Seigneur fait voir qu’il ne venait pas détruire la loi, mais l’accomplir : « Et offrez pour votre guérison, le don prescrit par Moïse. » — S. Aug. (Quest. évang., 2, 3.) Le Sauveur paraît approuver ici le sacrifice prescrit par Moïse, et que cependant l’Église n’a point conservé. Si donc Notre-Seigneur en fait ici un précepte au lépreux, c’est que le sacrifice du Saint des Saints, c’est-à-dire de son corps, n’était pas encore institué ; car les sacrifices figuratifs ne devaient être abolis que lorsque le témoignage de la prédication des Apôtres et la foi des peuples fidèles auraient établi le véritable sacrifice qu’ils figuraient. — S. Ambr. Ou bien encore, comme la loi est spirituelle, il commande au lépreux d’offrir un sacrifice spirituel, c’est pourquoi il ajoute : « C’est que Moïse a ordonné, » et ensuite « En témoignage pour eux. » — Tite de Bost. Les hérétiques donnent une fausse signification à ces paroles, et prétendent qu’elles sont dans la pensée du Sauveur un blâme jeté sur la loi. Mais comment supposer qu’il commande à ce lépreux d’offrir un sacrifice pour sa guérison, comme Moïse l’a prescrit, s’il avait l’intention de blâmer ici la loi ? — S. Cyr. Il ajoute « En témoignage pour eux, » parce que cette guérison prouve l’excellence incomparable de Jésus-Christ sur Moïse. Moïse, en effet, n’ayant pu guérir sa soeur de la lèpre, priait le Seigneur de l’en délivrer (Nb 12) ; au contraire, c’est avec une souveraine autorité que le Sauveur prononce ces paroles : « Je le veux, soyez guéri. »

S. Chrys. (hom. 26 sur S. Matth.) Ou bien encore, pour leur être en témoignage, c’est-à-dire pour leur condamnation et pour leur prouver que je respecte fa loi ; car après vous avoir guéri, je vous renvoie à l’examen des prêtres, pour être une preuve que je ne suis point un violateur de la loi. Le Seigneur, en guérissant ce lépreux, lui avait recommandé de n’en parler à personne, pour nous apprendre à fuir l’orgueil et la vaine gloire ; mais malgré cette recommandation, sa renommée se répandait partout et publiait le miracle qu’il venait d’opérer : « Cependant sa renommée se répandait de plus en plus, » etc. — Bède. La guérison parfaite d’un seul en amène une multitude autour de lui : « Et on venait par troupes nombreuses pour l’entendre, et pour être guéri de ses maladies, » etc. Car le lépreux, pour montrer qu’il était guéri extérieurement et intérieurement, publiait partout (au témoignage de saint Marc) et malgré la défense qui lui avait été faite, le bienfait de sa guérison.

S. Grég. (Moral., 6, 17). Notre divin Rédempteur consacre le jour à opérer des miracles dans les villes, et il passe les nuits dans le saint exercice de la prière : « Et il se retirait dans la solitude, et priait. » Il enseignait ainsi aux prédicateurs qui tendent à la perfection à ne pas renoncer entièrement à la vie active par un trop grand amour de la vie contemplative ; comme aussi à ne pas sacrifier les joies de la contemplation aux occupations absorbantes de la vie active, mais à puiser dans le calme de la contemplation les vérités qu’ils verseront ensuite dans les âmes lorsqu’ils travailleront au salut du prochain. — Bède. Lorsque vous voyez le Sauveur se retirer dans la solitude, n’attribuez pas cette action à la nature qui dit : « Je le veux, soyez guéri ; » mais à celle qui étend la main pour toucher le lépreux. Ce n’est pas, sans doute, qu’il y ait deux personnes en Jésus-Christ, comme le prétend Nestorius ; mais il y a deux opérations dans une seule et même personne, comme il y a deux natures. — S. Grég. de Nazianze. (disc. 28.) Notre-Seigneur opère ordinairement ses oeuvres au milieu du peuple, et se livre à la prière dans la solitude, et il autorise ainsi un repos momentané, qui nous permet de nous entretenir avec Dieu dans la sincérité de notre âme. En effet, il n’avait besoin pour lui-même ni de retraite ni de solitude, puisque étant Dieu, il n’était sujet ni au relâchement ni à la dissipation de l’âme, il voulait donc nous apprendre qu’il est une heure pour la vie active, une autre pour des occupations plus élevées ; et nous enseigner le temps qui convient à l’action, et celui qui est favorable à l’exercice plus sublime de la contemplation.

Bède. Dans le sens allégorique, ce lépreux représente le genre humain languissant et affaibli par suite de ses péchés ; et tout couvert de lèpre ; « car tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu » (Rom., III), c’est-à-dire qu’ils ont besoin que Dieu, étendant la main (c’est-à-dire que le Verbe de Dieu contractant une union étroite avec la nature humaine), il les purifie de leurs anciennes erreurs, et leur permette d’offrir, pour leur guérison, leurs corps comme une hostie vivante. — S. Ambr. Si le Verbe est le remède tout puissant de la lèpre, le mépris du Verbe est donc la lèpre de l’âme. — Théophyl. Remarquez encore que celui qui est purifié devient digne de présenter à Dieu son offrande, c’est-à-dire le corps et le sang du Seigneur, qui sont unis à la nature divine.

 

Vv. 17-26.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Les scribes et les pharisiens qui avaient été témoins des miracles de Jésus-Christ, venaient aussi entendre ses divines leçons : « Un jour qu’il enseignait étant assis, des pharisiens et des docteurs de la loi étaient également assis près de lui, et la vertu du Seigneur opérait pour guérir les malades. » Cette vertu n’était pas une puissance d’emprunt, c’était comme Dieu et comme Seigneur qu’il faisait ces miracles, par sa propre puissance. Souvent les hommes se rendent dignes de recevoir les dons spirituels, mais souvent aussi ils s’écartent du but que s’est proposé l’auteur de ces dons. Il n’en fut pas ainsi de Jésus-Christ, car une vertu toute divine affluait en lui pour guérir les malades. Or, il était nécessaire de donner à cette foule réunie de scribes et de pharisiens un témoignage éclatant de sa puissance, pour confondre ceux qui n’avaient pour lui que du mépris ; il guérit donc miraculeusement ce paralytique. Toutes les ressources de la médecine avaient été impuissantes pour le guérir, ceux qui s’intéressent à lui l’apportent donc au céleste et tout-puissant médecin : « Et voilà que des gens portaient sur un lit un homme paralytique, » etc. — S. Chrys. Les hommes qui portent ce paralytique sont vraiment admirables, ils ne peuvent le faire entrer par la porte, ils ont recours à un moyen nouveau et singulier : « Et ne trouvant point par où le faire entrer, ils montèrent sur le toit, » etc. Ils découvrirent le toit pour descendre le lit, et ils déposèrent le paralytique au milieu de la maison : « Et ils le descendirent par les tuiles. » L’endroit par où ils descendirent le lit du paralytique par les tuiles était sans doute peu élevé.

 

Bède. Avant de guérir cet homme de sa paralysie, le Seigneur l’affranchit d’abord des liens du péché ; il lui apprend ainsi que l’affaiblissement, la défaillance de ses membres est la punition des fautes dont son âme est comme enchaînée, et qu’il faut rompre ces chaînes spirituelles pour qu’il puisse recouvrer la santé. — S. Ambr. Qu’il est grand le Seigneur qui pardonne aux uns, en considération du mérite des autres, qui accueille favorablement les uns, et pardonne aux autres leurs égarements ! O homme ! comment pourriez-vous refuser d’écouter les prières de vos semblables, lorsqu’auprès de Dieu, un serviteur a le droit d’intervenir par ses mérites et d’obtenir ce qu’il demande ? Si donc vous désespérez d’obtenir le pardon de fautes énormes, ayez recours aux prières des autres, ayez recours à la médiation de l’Église, qui priera pour vous, et en sa considération, Dieu vous accordera le pardon qu’il aurait pu vous refuser à vous-même. — S. Chrys. (Hom. 30 sur S. Matth.) Disons cependant que la foi de ce paralytique concourait aussi pour demander sa guérison, car s’il n’avait eu la foi, il n’aurait pas consenti à ce qu’on le descendît ainsi aux pieds de Jésus.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 25.) Notre-Seigneur lui dit : « O homme ! vos péchés vous sont remis. » Et en parlant ainsi, il insinue que les péchés étaient remis à un homme qui, par là même qu’il était homme, ne pouvait dire : « Je suis sans péché. » Il voulait encore faire entendre que celui qui remettait les péchés était Dieu. — S. Chrys. (tiré des hom. 14, 30 sur S. Matth.) Lorsque nous sommes atteints de souffrances corporelles, nous nous empressons bien vite de les faire cesser ; si, au contraire, notre âme vient à être malade, nous différons de recourir aux remèdes, et c’est pour cela que nous n’obtenons pas la guérison de nos infirmités corporelles. Retranchons donc courageusement la source du mal, et le cours de ces infirmités s’arrêtera. Or, les pharisiens, dans la crainte de la multitude, n’osaient manifester leurs pensées, ils se contentaient de s’en occuper dans leurs coeurs : « Et ils commencèrent à dire en eux-mêmes : Qui est celui qui profère des blasphèmes ? » — S. Cyr. En formulant cette accusation, ils se hâtent bien légèrement de prononcer la sentence de mort. Car la loi ordonnait de punir de mort tout homme coupable de blasphème contre Dieu. — S. Ambr. C’est ainsi qu’ils viennent eux-mêmes témoigner en faveur de l’oeuvre de la toute puissance du Fils de Dieu, car rien n’établit plus fortement la foi qu’un aveu involontaire et forcé, comme aussi rien n’augmente la culpabilité comme la négation de ceux qui se condamnent par leurs propres assertions : « Qui peut remettre les péchés que Dieu seul ? » Quelle folie de la part de ce peuple infidèle, de reconnaître d’un côté que Dieu seul peut remettre les péchés, et de ne point croire de l’autre au Dieu qui remet les péchés. — Bède. Ils disent vrai, Dieu seul peut remettre les péchés, et il les remet aussi par ceux auxquels il a donné ce pouvoir. Nous avons donc ici une preuve que Jésus-Christ est vraiment Dieu, puisqu’il peut remettre les péchés comme Dieu.

S. Ambr. Mais comme la volonté du Seigneur est de sauver les pécheurs, il leur prouve sa divinité par la connaissance qu’il a des choses cachées : « Mais, afin que vous sachiez, » etc. — S. Cyr. Il semble leur dire : Vous dites, ô pharisiens : « Qui peut remettre les péchés que Dieu seul, » et moi je vous réponds : « Qui peut scruter les secrets des coeurs, si ce n’est Dieu seul ? » Lui qui dit par la bouche des prophètes : « Je suis le Seigneur qui scrute les coeurs et pénètre les reins (Jr 10 ; Ps 7, 10 ; 1 Paralip 28, 9 ; Sg 6, 4 ; Sof 12 ; Ap 2, 23). » — S. Chrys. (hom. 30 sur S. Matth.) Si vous refusez de croire le premier miracle (la rémission des péchés), j’en ajoute un second, en dévoilant vos pensées les plus secrètes, et un troisième en rendant la santé et la force au corps de ce paralytique : « Lequel est le plus facile, » etc. Il est évident qu’il est beaucoup plus facile de rendre la force à un corps affaibli, car l’âme est beaucoup plus noble que le corps, et la rémission de ses fautes est d’autant plus excellente. Mais comme vous refusez de croire au premier miracle, parce qu’il reste cache, j’en ajouterai un autre qui lui est inférieur, mais qui est visible et qui vous démontrera la vérité de celui qui est invisible. Remarquez encore qu’en adressant la parole au paralytique, Notre-Seigneur ne lui dit pas : « Je vous remets vos péchés, » pour établir sa propre puissance, mais lorsqu il y est force par la malice de ses ennemis, il la déclare ouvertement, en disant : « Or, afin que vous sachiez, » etc. — Théophyl. Vous le voyez, c’est sur la terre qu’il remet les péchés ; en effet, tant que nous sommes sur la terre, nous pouvons effacer nos péchés, mais lorsque nous l’aurons quittée, nous ne pourrons plus les confesser, car la porte sera fermée.

S. Chrys (hom. 30 sur S. Matth) Le Sauveur prouve la rémission des péchés par la guérison du corps : « Il dit au paralytique : Je vous le commande, levez-vous, » et il prouve la guérison du corps de ce paralytique, en lui commandant d’emporter son lit, ce qui confirmait invinciblement la réalité de cette guérison : « Prenez votre lit, » etc., comme s’il lui disait : Je voulais me servir de votre infirmité pour guérir ceux qui paraissent pleins de saute, mais dont l’âme est bien malade, puisqu’ils refusent la guérison, allez convertir votre famille. — S. Ambr. La guérison s’opère immédiatement, et sans retard, le Sauveur guérit cet homme au même moment qu’il parle « Et se levant aussitôt, » etc. — S. Cyr. Ce miracle prouve que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés ; ce qu’il déclare ici pour rétablir sa divinité et pour notre instruction. En effet, c’est en tant que Dieu fait homme, et comme maître de la loi, qu’il remet lui-même les péchés ; mais nous avons reçu nous-mêmes ce pouvoir admirable, car il a dit à ses disciples : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez. » Et comment n’aurait-il pas à un plus haut degré le pouvoir de remettre les péchés, lui qui a communiqué ce pouvoir aux autres ? Les rois et les princes de la terre, quand ils font grâce aux homicides, les délivrent du supplice qu’ils devaient subir en ce monde, mais ils ne peuvent les absoudre de leurs crimes.

 

S. Ambr. Les Juifs incrédules voient le paralytique se lever et s’étonnent qu’il marche : « Et ils furent tous frappés de stupeur, » etc. — S. Chrys. (hom. 30 sur S. Matth.) Les Juifs rampent encore dans des pensées terrestres, tout en louant Dieu, mais sans reconnaître que Jésus-Christ lui-même était Dieu, car la chair était pour eux un obstacle, et toutefois, c’était beaucoup déjà de le reconnaître comme le premier des mortels et comme l’envoyé de Dieu. — S. Ambr. Ils sont témoins des miracles de sa toute-puissance, et ils aiment mieux se laisser dominer par la crainte que diriger par la foi : « Et ils furent remplis de crainte, » etc. S’ils avaient cru, ils eussent cessé de craindre pour aimer, car l’amour parfait chasse la crainte (1 Jn 4). Or, la guérison de ce paralytique nous donne un enseignement important ; Notre-Seigneur commença par prier, non par nécessité, mais pour nous donner l’exemple. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 4.) On peut voir dans ce paralytique une image de l’âme privée de ses membres, c’est-à-dire, de ses opérations, cherchant Jésus-Christ (c’est-à-dire, la volonté du Verbe de Dieu). Elle ne peut arriver jusqu’à lui, empêchée qu’elle en est par la foule tumultueuse de ses pensées ; il faut qu’elle découvre le toit, c’est-à-dire, le voile des Écritures, pour arriver ainsi à la connaissance de Jésus-Christ, c’est-à-dire, pour descendre pieusement jusqu’à l’humilité de la foi. — Bède. Ce n’est pas sans dessein que la maison où se trouve Jésus nous est représentée comme couverte de tuiles, parce que, sous le voile grossier de la lettre, nous trouvons la vertu de la grâce spirituelle.

S. Ambr. Chacun de nous, s’il est malade, doit recourir aux prières de ses frères pour obtenir sa guérison, pour que l’assemblage tout brisé de notre vie et les pas chancelants de nos oeuvres soient raffermis par le remède de la parole céleste. Il faut donc pour les âmes de sages directeurs, qui élèvent vers le ciel l’esprit de l’homme appesanti par l’infirmité du corps. Il faut aussi que l’homme se prête facilement à tous les mouvements qu’on lui imprime, qu’il se laisse élever, abaisser, pour être placé devant Jésus, et être rendu digne de ses regards, car le Seigneur abaisse ses regards sur les humbles (cf. Lc 1, 48). — S. Aug. (Quest. évang.) Ceux donc qui déposent le paralytique peuvent représenter les vrais docteurs de l’Église, et le lit sur lequel il est déposé signifie que c’est pendant que l’homme est revêtu d’un corps mortel qu’il doit chercher à connaître Jésus-Christ. — S. Ambr. Le Seigneur voulant établir l’espérance pleine et entière de la résurrection, pardonne les péchés de l’âme et guérit l’infirmité de la chair, c’est la guérison de l’homme tout entier. Il est grand sans doute de remettre aux hommes leurs péchés, mais il est plus divin de rendre la vie aux corps par la résurrection, puisque Dieu lui-môme est la résurrection ; or, le lit qu’on ordonne au paralytique d’emporter c’est le corps humain. — S. Aug. (Quest. évang.) Il ne faut pas que l’infirmité de l’âme se repose davantage dans les joies charnelles, comme sur un lit, mais au contraire, qu’elle réprime les affections de la chair, et se dirige vers sa maison, c’est-à-dire, vers le repos mystérieux de son coeur. — S. Amb. Ou bien encore, regagner sa maison c’est retourner au paradis. C’est en effet la véritable maison, qui fut la première habitation de l’homme et qu’il a perdue contre toute justice par la fraude du démon. Il faut donc que cette habitation lui soit rendue à l’avènement de celui qui est venu pour détruire la fraude du démon, et rendre à la justice tous ses droits.

 

V. 27-32.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 1, 26.) Après la guérison du paralytique, l’Évangéliste raconte la conversion du publicain : « Après cela, Jésus étant sorti, vit un publicain, nommé Lévi, assis au bureau des impôts. » Matthieu et Lévi sont une seule et même personne. — Bède. Saint Luc et saint Marc, par honneur pour cet Évangéliste, ne font point connaître le nom qu’il portait ordinairement, au contraire, saint Matthieu, devenant lui-même son accusateur (Pr 18, 17) au commencement de son récit, se fait connaître sous le nom de Matthieu et de publicain ; que personne donc ne désespère de son salut à cause de l’énormité de ses péchés, puisque Matthieu, de publicain, est devenu apôtre » — S. Cyr. Lévi avait été publicain, dominé par l’avarice, avide du superflu, convoitant le bien d’autrui (ce qui était le caractère propre des publicains), mais il est arraché à toutes ces pratiques injustes par la voix de Jésus-Christ qui l’appelle : « Et il lui dit Suivez-moi. » — S. Ambr. Il lui ordonne de le suivre, non par le mouvement du corps, mais par les affections de l’âme. Docile à cette parole qui l’appelle, Matthieu abandonne ses propres biens, lui, le ravisseur du bien d’autrui : « Et ayant tout quitté, il se leva et le suivit. » — S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Considérez tout à la fois la puissance de celui qui appelle, et l’obéissance de celui qui est appelé, il obéit aussitôt sans résister, sans hésiter ; il ne veut pas même retourner chez lui, pour faire connaître aux siens sa généreuse résolution ; ainsi avaient fait les pêcheurs eux-mêmes. — S. Bas. (Ascet.) Non seulement il sacrifie volontiers tous les profits de l’impôt, mais encore il compte pour rien les dangers que lui et les siens pouvaient courir, en laissant les comptes de l’impôt sans être réglés. — Théophyl. C’est ainsi que Jésus-Christ leva l’impôt sur celui qui le percevait sur tous les passants, non pas, sans doute, en recevant de lui une somme d’argent, mais en le faisant entrer dans la pleine et entière participation de tous ses biens.

S. Chrys. Après avoir appelé Lévi, le Seigneur s’empressa de l’honorer, en acceptant le repas qu’il lui offre, pour lui inspirer plus de confiance. « Et Lévi lui fit un grand banquet dans sa maison. » Non seulement il se met à table avec lui, mais avec beaucoup d’autres : « Et il y avait une foule nombreuse de publicains, et d’autres qui étaient à table avec eux. » Les publicains s’étaient réunis chez lui comme chez un collègue et un homme de la même profession ; mais lui, heureux et fier de la présence de Jésus-Christ, les invita tous à ce banquet. Jésus-Christ profitait de toutes les occasions comme moyen de faire le bien ; ce n’était pas seulement en discutant, en guérissant les malades, ou en confondant ses ennemis, mais même en prenant ses repas, qu’il redressait les erreurs et ramenait les âmes égarées ; c’est ainsi qu’il nous apprenait à rendre utiles toutes les circonstances comme toutes nos actions. Il ne déclinait pas même la société des publicains en vue du bien qui devait en résulter, agissant comme un médecin qui ne peut guérir une maladie, s’il ne touche la plaie. — S. Ambr. En mangeant avec les pécheurs, il nous autorise à nous asseoir à la table des Gentils. — S. Chrys. Et cependant les pharisiens jaloux, et qui voulaient séparer de lui ses disciples, lui en font un reproche : « Et les pharisiens et les scribes murmuraient et disaient à ses disciples : Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec des publicains et des pécheurs ? — S. Ambr. Cette parole vient du serpent, n’est-ce pas lui, en effet, qui prononça le premier cette parole en disant à Eve (Gn 3) : « Pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Ne mangez point ? » etc. C’est ainsi qu’ils cherchent à répandre le venin de leur père.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 27.) Le récit de saint Luc paraît ici tant soit peu différent de celui des autres Évangélistes. D’après saint Luc, ce n’est pas personnellement à Notre-Seigneur qu’ils font un reproche de manger avec les publicains et les pharisiens, mais à ses disciples, reproche cependant qui s’adresse aussi bien à Jésus-Christ qu’à ses disciples. Aussi d’après le récit de saint Matthieu et de saint Marc, le reproche est fait et au Sauveur et à ses disciples, mais c’est surtout au Maître que ce reproche s’adresse, puisqu’en mangeant avec les publicains et les pécheurs ses disciples ne faisaient que l’imiter. Nous avons donc ici la même pensée, le même sens, d’autant plus clairement expliqués, que les expressions sont différentes, sans que la vérité soit altérée.

S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Notre-Seigneur tire une conclusion toute contraire du reproche qui lui est fait ; il déclare que non seulement ce n’est pas une faute que de vivre avec les pécheurs, mais que c’est une oeuvre de miséricorde. « Jésus leur répondant, leur dit : Ce ne sont point ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais ceux qui sont malades. » Il leur rappelle ainsi qu’ils sont atteints de l’infirmité commune, et qu’ils sont du nombre des malades, et qu’il est lui-même le médecin. — Suite. « Car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, » c’est-à-dire : Je suis si loin de fuir la société des pécheurs, que c’est pour eux seuls que je suis venu, non pour qu’ils demeurent pécheurs, mais pour qu’ils se convertissent et deviennent vertueux. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Aussi, ajoute-t-il : « A la pénitence, » ce qui explique parfaitement sa pensée, et prévient cette erreur que les pécheurs seraient aimés de Jésus-Christ en tant que pécheurs. En effet, la comparaison empruntée aux malades, exprime très bien quelle est la volonté de Dieu qui appelle les pécheurs de même qu’un médecin appelle les malades, pour les guérir de leurs iniquités comme d’une maladie. — S. Ambr. Mais comment est-il écrit que Dieu aime la justice (Ps 10) ? Comment David n’a-t-il jamais vu le juste délaissé (Ps 26) ? si cependant le pécheur est appelé, tandis que le juste est abandonné. Les justes dont le Sauveur parle ici sont donc peut-être ceux qui placent dans la loi une confiance présomptueuse, et ne recherchent pas la grâce de l’Évangile. Or, nul n’est justifié par la loi, et tous sont rachetés par la grâce. Le Sauveur n’appelle donc pas ceux qui se proclament justes ; car ceux qui s’attribuent eux-mêmes la justice, ne peuvent être appelés à la grâce, et si la grâce vient de la pénitence, celui qui dédaigne la pénitence, renonce à la grâce — Bède Les pécheurs dont il est ici question sont ceux qui, pénétrés de la grandeur de leurs fautes, et n’attendant point leur justification de la loi, se disposent à recevoir la grâce de Jésus-Christ par la pénitence. — S. Chrys. (hom. 31.) C’est par ironie qu’il donne aux derniers le nom de justes, comme autrefois, lorsque Dieu dit a l’homme « Voici Adam devenu comme l’un de nous ». En effet, saint Paul, affirme que personne absolument n’était juste sur la terre, lorsqu’il dit : « Tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu. » (Rm 3.) — S. Grég de Nysse. Ou bien encore, il dit que ceux qui se portent bien et les justes, c’est-à-dire les anges n’ont pas besoin de médecin, mais bien les malades et les pécheurs, c’est-à-dire nous, qui sommes tombés dans la maladie du péché, qui ne peut exister dans le ciel.

Bède. L’élection de saint Matthieu représente la vocation et la foi des Gentils, qui ne soupiraient qu’après les choses de la terre, et qui maintenant nourrissent le corps de Jésus-Christ avec une tendre dévotion (Mt 25). — Théophyl. Ou bien encore, ce publicain est tout homme qui est l’esclave du prince du monde, et qui accorde à sa chair tout ce qu’elle demande, les mets exquis, s’il est sensuel, la volupté, s’il est adultère, et ainsi des autres passions. Mais lorsque le Seigneur le voit assis au bureau des impôts, c’est-à-dire, ne se donnant plus de mouvement pour commettre de plus grandes injustices, il le retire du mal, et alors cet homme marche à la suite de Jésus, et reçoit le Seigneur dans la demeure de son âme. — S. Ambr. Or, celui qui reçoit Jésus-Christ dans cette demeure intérieure, se nourrit au sein des plus pures délices et des plus ineffables voluptés, aussi est-ce avec joie que le Seigneur entre dans son âme, et se repose dans son affection. Mais alors l’envie des méchants se rallume, et nous représente leurs tourments de la vie future, car pendant que les fidèles prennent part au banquet du royaume des cieux, les infidèles seront tourmentés par un jeûne éternel. — Bède. Ou bien encore, c’est la figure de l’envie des Juifs qui s’affligent du salut des Gentils. — S. Ambr. Nous y voyons aussi combien est différent le sort des disciples de la loi et des disciples de la grâce, car les sectateurs de la loi souffriront la faim éternelle de l’âme, tandis que ceux qui auront reçu le Verbe dans l’intérieur de leur âme, fortifiés par cet aliment céleste et par les eaux de cette source abondante, ne peuvent éprouver ni la faim ni la soif, et c’est ce qui excite les murmures de ceux dont l’âme est privée de toute nourriture.

 

Vv. 33-39

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Jésus-Christ ayant répondu à leur première question, ils passent à un autre point, et veulent lui montrer que les disciples et Jésus lui-même ne prennent aucun soin d’observer la loi : « Alors ils lui demandèrent : Pourquoi les disciples de Jean jeûnent-ils, etc., tandis que les vôtres mangent ? » etc., c’est-à-dire : Vous mangez avec les publicains et avec les pécheurs, bien que la loi défende toute communication avec ceux qui sont impurs (Lv 15), et vous excusez cette transgression par un motif de miséricorde ; mais pourquoi donc ne jeûnez-vous pas comme tous ceux qui conforment leur conduite aux prescriptions de la loi ? Les saints jeûnent, il est vrai, pour réprimer leurs passions par la mortification du corps ; mais Jésus-Christ n’avait pas besoin du jeûne pour s’élever à la perfection de la vertu, puisque, comme Dieu, il était inaccessible à tout entraînement des passions. Le jeûne n’était pas plus nécessaire à son humanité, puisqu’elle participait à la grâce qui était en lui, et y puisait une force qui la maintenait au même degré de vertu. Si donc le Sauveur se soumit à un jeûne de quarante jours, ce ne fut point pour réprimer en lui les passions, mais pour donner aux hommes charnels une leçon et une règle de mortification. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 27.) Evidemment saint Luc paraît faire entendre que cette question fut adressée au Sauveur de différents côtés, et qu’elle embrassait plusieurs personnes ; comment donc saint Matthieu s’exprime-t-il de la sorte : « Alors les disciples de Jean s’approchèrent et dirent : Pourquoi, tandis que les pharisiens et nous nous jeûnons souvent, vos disciples ne jeûnent-ils pas ? » si ce n’est parce que les disciples de Jean étaient présents, et que tous à l’envi s’empressèrent de faire cette objection.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 18.) Il y a deux sortes de jeûnes, le jeûne de l’affliction pour obtenir de Dieu le pardon des péchés ; et le jeûne de la joie, où l’âme est d’autant moins sensible aux plaisirs de la chair, qu’elle jouit en plus grande abondance des délices spirituelles. Or, le Sauveur, interrogé pourquoi ses disciples ne jeûnaient pas, s’explique successivement sur ces deux sortes de jeûne, et d’abord sur le jeûne de la tribulation : « Il leur répondit : Pouvez-vous faire jeûner les fils de l’Epoux, tandis que l’Epoux est avec eux ? » — S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Comme s’il leur disait : Le temps actuel est un temps de joie et d’allégresse, pourquoi donc vouloir y mêler la tristesse ? — S. Cyr. La manifestation de notre Sauveur dans ce monde fut comme une véritable fête, il venait célébrer des noces toutes spirituelles avec notre nature, pour la rendre féconde, de stérile qu’elle était ; les fils de l’Epoux sont donc tous ceux qui sont appelés par la loi nouvelle de l’Évangile, et non les scribes et les pharisiens qui ne considèrent que l’ombre de la loi. — S. Aug. (de l’harm. des Evang., 2, 27.) La réponse du Sauveur d’après saint Luc : « Pouvez-vous faire jeûner les amis de l’Epoux, » donne à entendre que ceux qua lui faisaient cette question, feraient pleurer et jeûner les fils de l’Epoux, parce qu’ils devaient être un jour les auteurs de la mort de l’Epoux.

 

S. Cyr. En établissant qu’il ne convient pas aux fils de l’Epoux de s’affliger, alors qu’ils célèbrent une fête toute spirituelle, Notre-Seigneur ne veut point détruire le jeûne, aussi fait-il cette réserve : « Mais viendront des jours où l’Epoux leur sera enlevé ; ils jeûneront en ces jours-là ». — S. Aug. (Quest evang, 2, 18 ) C’est-à-dire ils seront dans la désolation, dans la tristesse et les larmes, jusqu’à ce que la joie et la consolation leur aient été rendues par l’Esprit saint. — S. Ambr. Ou bien encore, le jeûne, dont Notre Seigneur ajourne ici la pratique, n’est pas celui qui mortifie la chair et réprime les penchants de la concupiscence (car ce jeûne, au contraire, nous rend agréables à Dieu), mais il veut dire que nous ne pouvons jeûner, nous qui possédons le Christ, et qui sommes nourris de sa chair et de son sang. — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Ou encore, les fils de l’Epoux ne peuvent jeûner, c’est-à-dire se priver de la nourriture de l’âme, mais ils doivent vivre de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. — S. Ambr. Mais quels sont donc ces jours dans lesquels le Christ nous sera enlevé, alors que lui-même nous dit : « Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles ? » Non, personne ne peut vous enlever le Christ, si vous-même ne commencez par vous détacher de lui. — Bède. Tant que l’Epoux est avec nous, nous sommes dans la joie, et nous ne pouvons ni jeûner, ni pleurer ; mais quand nos péchés nous séparent de lui, c’est alors qu’il faut recourir au jeûne et nous condamner aux larmes.

 

S. Athan. Disons enfin que Notre-Seigneur veut parler ici du jeûne de l’âme, comme le prouvent les paroles suivantes : « Il leur proposa aussi cette comparaison : Personne ne met à un vieux vêtement un morceau pris à un vêtement neuf. » Il appelle le jeûne un vêtement vieux, dont l’Apôtre nous exhorté à nous dépouiller, lorsqu’il dit : « Dépouillez-vous du vieil homme et de ses actes. » (Col 3.) Toute la suite des préceptes de Notre-Seigneur concourt donc à établir cette vérité que nous ne devons pas mêler les actes du vieil homme avec ceux du nouveau. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 18.) On peut encore donner cette autre explication : Après avoir reçu le don de l’Esprit saint, quoi de plus convenable que les fils de l’Epoux déjà renouvelés dans la vie spirituelle, pratiquent le jeûne qui s’accomplit sans la joie ? Avant qu’ils aient reçu l’Esprit saint, le Sauveur les compare à des vêtements vieux auxquels il ne faut pas coudre un morceau de drap neuf, c’est-à-dire un fragment de la doctrine qui a pour objet la tempérance de la loi nouvelle ; car alors la doctrine est comme divisée et rompue par ce fragment, puisque le jeûne qu’elle prêche est un jeûne général, qui interdit non seulement le désir des aliments, mais toute joie qui vient des plaisirs de la terre. Notre-Seigneur ne veut pas que l’on donne ce fragment de doctrine, qui a pour objet les aliments, à ceux qui sont encore esclaves des anciennes coutumes, autrement il se fera mie déchirure, et ce fragment de doctrine nouvelle ne pourra s’unir avec ce qui est vieux. Le Sauveur les compare encore à des outres : « De même personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres. » — S. Ambr. il nous fait voir la fragilité de la condition humaine, en comparant nos corps aux dépouilles des animaux morts. — S. Aug. (Quest. évang.) Il compare les Apôtres à des outres déjà vieilles, parce qu’ils se rompent sous l’effort du vin nouveau des préceptes spirituels qu’ils ne peuvent contenir : « Autrement le vin nouveau rompra les outres et se répandra, et les outres seront perdues. » Ils étaient déjà devenus des outres neuves, lorsqu’après l’ascension du Seigneur, l’Esprit saint vint les renouveler, en leur inspirant le désir de ses divines consolations, l’esprit de prière et d’espérance : « Mais il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves, et l’un et l’autre sont conservées. » — Bède. Le vin nous donne des forces à l’intérieur ; le vêtement couvre extérieurement notre corps ; les bonnes oeuvres que nous faisons en dehors et qui font luire notre lumière devant les hommes, sont donc le vêtement ; et la ferveur de la foi, de l’espérance et de la charité, est comme le vin. On peut dire encore que les vieilles outres sont les scribes et les pharisiens, tandis que le fragment de drap neuf et le vin nouveau sont les préceptes de l’Évangile. — S. Grég. de Nysse. (disc. sur Abrah.) Le vin nouveau, par la fermentation qui lui est naturelle, chasse au dehors, par un mouvement qui tient également à sa nature, l’écume et la lie impure qu’il contient. Ce vin, c’est le Nouveau Testament, que les outres anciennes, vieillies par leur incrédulité, ne peuvent contenir ; bien plus, elles se rompent par la force de l’excellence de la doctrine, et laissent ainsi s’écouler la grâce de l’Esprit saint ; car la sagesse n’entre pas dans une âme qui veut le mal. (Sg  1.) — Bède. On ne doit donc point donner les sacrements des mystères nouveaux à une âme qui n’est pas renouvelée et qui persévère encore dans son ancienne malice. Ceux encore qui veulent mêler la pratique du christianisme aux préceptes de la loi (Ga 3), mettent le vin nouveau dans de vieilles outres. « Et personne, venant de boire du vin vieux, n’en veut aussitôt du nouveau, car il dit : Le vieux est meilleur. » Notre-Seigneur veut parler ici des Juifs qui, pénétrés de la saveur de la vie ancienne, n’avaient que du dégoût pour les préceptes de la loi de grâce ; et qui, souillés par les traditions de leurs ancêtres, étaient incapables de goûter la douceur des enseignements spirituels.

 

 

SAINT THOMAS D'AQUIN

CATENA AUREA SUR SAINT LUC

 

CHAPITRE VI

 

Vv. 1-5.

S. Ambr. Ce n’est pas seulement par ses enseignements, mais par sa conduite et par ses actes, que Notre-Seigneur commence à dépouiller l’homme des observances de l’ancienne loi. « Or, un jour de sabbat, appelé le second-premier, comme Jésus passait le long des blés, ses disciples cueillaient des épis, » etc. — Bède. L’importunité de la foule ne laissait pas aux disciples le temps de manger, et comme ils éprouvaient le besoin de la faim, ils l’apaisent en mangeant les épis qu’ils froissent entre leurs mains, preuve d’une vie simple et austère, qui, loin de chercher des mets apprêtés, se contente des aliments les plus simples. — Théophyl. C’était, dit l’Évangéliste, le sabbat second-premier, parce que les Juifs donnaient le nom de sabbat à toutes les fêtes. En effet, le mot sabbat signifie repos. Or, il arrivait souvent qu’une fête tombait la veille du sabbat, et on appelait ce jour sabbat à cause de la fête ; puis alors le véritable jour du sabbat était appelé second-premier, comme étant le second après la fête qui avait précédé. — S. Chrys. (hom. 40 sur S. Matth.) Il y avait alors une double fête, celle du jour même du sabbat et celle de la solennité qui lui succédait, et à laquelle on donnait aussi le nom de sabbat. — S. Isid. Il appelle ce sabbat second-premier, parce que c’était le second jour de Pâque, et le premier des Azymes. En effet, on immolait la pâque le soir, et le jour suivant on célébrait la fête des Azymes. Ce qui rend cette explication plus vraisemblable, c’est que nous voyons les Apôtres arracher des épis et les manger ; car dans cette époque de l’année, les épis s’inclinent sous le poids des grains qu’ils contiennent. — S. Epiph. (contre les hérés., liv. I, ch. xxx.) Ils passaient donc le long des champs de blé un jour de sabbat, et ils mangeaient des épis pour montrer que la loi du sabbat a cessé d’exister depuis la venue du grand sabbat, c’est-à-dire de Jésus-Christ, qui nous a donné le repos après les fatigues que nos crimes nous avaient causées.

 

S. Cyr. Les pharisiens et les scribes, dans leur ignorance des saintes Écritures, conspiraient entre eux pour accuser les disciples de Jésus-Christ : « Alors quelques-uns des pharisiens leur dirent : Pourquoi faites-vous ce qu’il n’est pas permis de faire ? » etc. Mais dites-moi vous-mêmes, lorsque la table est servie devant vous le jour du sabbat, hésitez-vous à rompre le pain ? Pourquoi donc reprenez-vous les autres ? — Bède. Il en est qui prétendent que ce reproche fut fait à Notre-Seigneur en personne, mais il a pu très-bien être fait par différentes personnes et au Sauveur lui-même, et à ses disciples ; et quoiqu’il en soit, c’était surtout à lui que le reproche s’adressait.

 

S. Ambr. Or, le Seigneur accuse à son tour les défenseurs de la loi, de ne pas connaître ce que la loi renferme, et il leur cite à l’appui l’exemple de David : « Jésus leur répondit : N’avez-vous pas lu, » etc. — S. Cyr. Comme s’il disait : La loi de Moïse fait cette recommandation expressément : « Jugez selon la justice, ne faites point acception de personnes dans vos jugements ; » pourquoi donc accusez-vous mes disciples, vous qui ne cessez d’exalter David comme un saint et comme un prophète, bien qu’il n’ait pas observé le commandement de Moïse ? — S. Chrys. (hom. 40 sur S. Matth.) Remarquez que, lorsque Notre-Seigneur prend la défense de ses serviteurs (c’est-à-dire de ses disciples), il cite à l’appui l’exemple de simples serviteurs, celui de David et des prêtres, mais quand il répond à ses propres accusateurs, il en appelle à l’exemple de son Père, comme lorsqu’il dit : « Mon Père agit sans cesse, et moi j’agis aussi (Jn 5, 17). »

 

Théophyl. Il leur répond encore d’une autre manière : « Et il ajouta : Le Fils de l’homme est maître même du sabbat ; » comme s’il disait : Je suis maître du sabbat, et j’en dispose à mon gré, et comme législateur, j’ai le pouvoir de supprimer le sabbat. Jésus-Christ était appelé Fils de l’homme, parce que tout Fils de Dieu qu’il était, il a daigné devenir miraculeusement Fils de l’homme et en porter le nom par amour pour les hommes. — S. Chrys. D’après saint Marc, Notre-Seigneur justifie ses disciples par une considération propre à tous les hommes : « Le sabbat, leur dit-il, a été fait pour les hommes, et non l’homme pour le sabbat. » Donc il faut mettre le sabbat au-dessous de l’homme, plutôt que de placer l’homme sous le joug du sabbat,

 

S. Ambr. Cette action des disciples renferme un grand mystère. Le champ de blé, c’est le monde entier ; la moisson, dont ce champ est couvert, c’est la prodigieuse fécondité des saints répandus dans le champ du genre humain ; les épis sont les fruits de l’Église ; les Apôtres en font tomber les grains et les mangent, c’est-à-dire qu’ils se nourrissent de nos progrès dans la vertu, en séparant de leur enveloppe extérieure les oeuvres et les fruits de l’âme pour les faire paraître à la lumière de la foi par les miracles éclatants de leurs oeuvres. — Bède. Ils broient les épis dans leurs mains, c’est-à-dire qu’ils font mourir le vieil homme dans ceux qu’ils veulent unir au corps de Jésus-Christ, en les séparant de toute intention terrestre. — S. Ambr. Les Juifs croyaient que c’était là une action défendue le jour du sabbat ; mais Jésus-Christ, en venant apporter le bienfait inestimable de la grâce nouvelle, voulait désigner à la fois le repos de la loi et le travail de la grâce. C’est dans un dessein tout particulier que saint Luc appelle ce jour le sabbat second-premier, et non premier-second, parce qu’en effet, le sabbat établi par la loi, qui était le premier, est supprimé, et celui qui était le second par ordre de temps est devenu le premier. Il est donc appelé second par ordre de temps, et premier, à cause de l’excellence de l’opération de la grâce ; car le sabbat qui délivre du châtiment est supérieur à celui qui prescrit la punition. Ou encore, ce sabbat est le premier dans les desseins éternels de Dieu, et le second par ordre d’institution. David, qui fuit avec ses compagnons, est dans la loi la figure de Jésus-Christ qui se dérobe avec ses disciples à la connaissance et aux poursuites du prince du monde. Mais pourquoi ce fidèle observateur et ce zélé défenseur de la loi mange-t-il lui-même de ces pains, et en donne-t-il à ceux qui étaient avec lui (alors que les prêtres seuls pouvaient en manger) ? C’était pour nous montrer par cette action, que la nourriture réservée jusqu’alors aux prêtres, deviendrait la nourriture des peuples, ou bien que tous nous devions imiter les vertus de la vie sacerdotale, ou enfin que tous les enfants de l’Église sont de véritables prêtres. En effet, nous recevons l’onction sainte qui nous consacre prêtres pour nous offrir nous-mêmes à Dieu comme des hosties spirituelles. (1 P 2)

Mais puisque le sabbat a été fait pour les hommes, et que leur utilité demandait que l’homme ne fût plus soumis au jeûne prolongé d’une faim mortelle (lui qui avait été si longtemps privé des fruits de la terre), la loi, loin d’être détruite, reçoit ici son accomplissement.

 

Vv. 6-11.

S. Ambr. Notre-Seigneur passe à des oeuvres différentes ; il venait pour sauver l’homme tout entier, il commence par le guérir partiellement, un membre après l’autre : « Un autre jour de sabbat, Jésus entra dans la synagogue pour y enseigner. » — Bède. Il choisit de préférence le jour du sabbat, pour enseigner et pour guérir, non seulement afin d’annoncer ainsi le sabbat spirituel, mais aussi parce que le peuple se trouvait réuni en plus grand nombre. — S. Cyr. Il enseignait des vérités qui surpassaient l’intelligence, et il ouvrait à ceux qui l’entendaient la voix du salut, qu’il venait apporter au monde ; et ensuite il donnait pour appui à sa doctrine les oeuvres de sa toute-puissance : « Et il y avait là un homme dont la main droite était desséchée. »

Bède. Le Maître vient de justifier par un exemple des plus louables la conduite de ses disciples, accusés de violer le jour du sabbat ; ses ennemis l’observent maintenant lui-même pour le calomnier : « Or, les scribes et les pharisiens l’observaient pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat, » tout disposés à l’accuser de cruauté et d’impuissance, s’il ne le guérissait point, ou de violer le sabbat s’il le guérissait : « Afin dit l’Évangéliste, d’avoir sujet de l’accuser. » — S. Cyr. Tel est bien le caractère de l’homme envieux, il nourrit en lui-même sa douleur avec les louanges qu’il entend donner aux autres ; mais le Seigneur connaît toutes choses et pénètre le secret des coeurs : « Or comme il connaissait leurs pensées, il dit à l’homme qui avait la main desséchée : Levez-vous, et tenez-vous là debout au milieu, et se levant, il se tint debout. » Peut-être le Sauveur voulait-il exciter la commisération de ces pharisiens cruels, et amortir le feu de la passion qui les dévorait.

 

Bède. Cependant Notre-Seigneur, voulant prévenir l’accusation qu’ils préparaient contre lui, leur reproche de mal interpréter les prescriptions de la loi, eux qui croyaient qu’on devait s’interdire même les bonnes oeuvres le jour du sabbat, tandis que la loi ne défend que les oeuvres serviles, c’est-à-dire les oeuvres mauvaises : « Alors Jésus leur dit : Je vous le demande, est-il permis de faire du bien le jour du sabbat ? » — S. Cyr. Cette question était pleine d’opportunité. En effet, s’il est permis de faire le bien le jour du sabbat, et que rien ne s’oppose à ce que la miséricorde de Dieu vienne au secours de ceux qui souffrent, cessez donc de réunir vos accusations calomnieuses contre Jésus-Christ. Si au contraire, il n’est pas permis de faire du bien le jour du sabbat, et si la loi défend de sauver les âmes, vous devenez l’accusateur de la loi. De plus, si nous voulons examiner les motifs de l’institution du sabbat, nous trouverons qu’il a été établi dans un but de miséricorde. En effet, Dieu commande le repos le jour du sabbat, « afin, dit-il, que votre serviteur, votre servante et vos animaux puissent se reposer. » (Ex 20, 22.) Or, celui qui a compassion du boeuf et des autres animaux, pourrait-il être sans pitié pour un homme qui souffre d’une maladie cruelle ? — S. Ambr. La loi était dans le temps présent la figure de la vie future, où nous nous reposerons en nous abstenant de toute oeuvre corporelle, mais non des bonnes oeuvres, telle que la louange de Dieu. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 7.) Lorsque Notre-Seigneur eut guéri cet homme, il fait cette question aux pharisiens : « Est-il permis de sauver l’âme ou de la laisser périr ? » Il parle de la sorte, parce qu’il opérait ses miracles pour établir la foi qui est le salut de l’âme ; ou encore, parce que la guérison de la main droite était le symbole du salut de l’âme qui, en cessant de faire des bonnes oeuvres, avait pour ainsi dire la main droite desséchée ; ou bien enfin, l’âme ici est prise pour l’homme tout entier, comme lorsqu’on dit : « Il y avait là tant d’âmes (Gn 46, 27). »

 

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 35.) On peut se demander comment, d’après saint Matthieu, ce sont les pharisiens qui demandent à Notre-Seigneur s’il est permis de guérir le jour du sabbat, tandis que, d’après saint Luc, c’est le Sauveur lui-même qui leur fit cette question. Nous répondons que les pharisiens ont pu très-bien demander les premiers à Notre-Seigneur, s’il était permis de guérir le jour du sabbat ; et que lui-même ensuite connaissant leurs pensées, et sachant qu’ils cherchaient une occasion de l’accuser, plaça au milieu d’eux cet homme qu’il voulait guérir, et leur adressa la question que saint Marc et saint Luc mettent dans sa bouche.

 

« Et les ayant tous regardés, » etc. — Tite de Bost. Il attire par là les regards de tous ceux qui sont présents, il concentre en même temps toute leur attention sur l’oeuvre qu’il va faire, et il dit à cet homme : « Étendez votre main, » je vous le commande, moi qui ai créé l’homme, cet homme qui avait la main paralysée, obéit, et il est guéri sur le champ : « Il l’étendit, et elle fut guérie, » etc. Ce miracle qui aurait dû les remplir d’admiration, ne fait qu’augmenter leurs mauvaises dispositions : « Mais eux, remplis de fureur, se consultaient sur ce qu’ils feraient de Jésus. » — S. Chrys. (hom. 41.) Et comme le rapporte saint Matthieu, ils s’en vont et tiennent conseil pour le faire mourir. — S. Cyr. Vous êtes témoin, pharisien, des oeuvres divines de sa toute-puissance, vous le voyez guérir les malades par une vertu toute céleste, et, par un noir sentiment d’envie, vous conspirez pour le faire mourir.

 

Bède. Cet homme représente le genre humain frappé de stérilité pour le bien, et dont la main a été comme desséchée pour s’être étendue vers le fruit que mangea notre premier père. Nous voyons cette main paralysée jusqu’au milieu de la synagogue ; car plus le don de la science est grand, plus aussi la transgression de la loi est coupable. — S. Ambr. Vous avez entendu les paroles du Sauveur : « Étendez votre main. » C’est le remède général qu’il propose à tous les hommes. Vous donc qui croyez avoir la main saine, craignez que l’avarice ou le sacrilège ne vienne à la fermer ; étendez-la continuellement pour secourir le prochain, pour protéger la veuve, pour délivrer de l’injustice celui que vous voyez sous le poids d’une accusation inique ; étendez-la vers le pauvre qui vous supplie, étendez-la vers Dieu pour vos péchés : c’est ainsi qu’il faut étendre la main, et c’est ainsi qu’elle est guérie.

 

 

V. 12—16.

La Glose. Pendant que les ennemis de Jésus-Christ se déclarent contre ses miracles et sa doctrine, il choisit ses Apôtres pour être les défenseurs et les témoins de la vérité, et avant de les choisir il se livre à la prière : « En ces jours là, il se retira sur la montagne pour prier. » — S. Ambr. Prenez garde d’entendre ces paroles avec un esprit prévenu, et de penser que si le Fils de Dieu prie, c’est dans le sentiment de sa faiblesse et pour obtenir ce qu’il ne peut faire de lui-même, car l’auteur de toute-puissance a voulu se rendre maître de l’obéissance, et nous enseigner par son exemple les préceptes de la vertu.

 

S. Cyr. Méditons attentivement dans la conduite de Jésus-Christ, l’exemple qu’il nous donne de persévérer dans la prière, en nous tenant à l’écart, dans le secret, loin des regards des hommes, séparé de toutes les préoccupations du monde, afin que notre esprit puisse s’élever librement sur les sommets de la contemplation divine ; c’est ce que nous apprend Notre-Seigneur en se retirant sur la montagne pour prier. — S. Ambr. En toute circonstance, Jésus prie seul et sans témoins ; en effet, les voeux des hommes ne peuvent s’élever jusqu’aux conseils de Dieu, et personne ne peut entrer en participation des pensées intimes du Christ. Tous ceux qui prient ne montent point sur la montagne, mais celui-là seul qui, dans sa prière, s’élève des préoccupations de la terre aux pensées du ciel, et jamais celui qui poursuit avec sollicitude les richesses et les honneurs du siècle. Les âmes détachées de la terre montent sur la montagne ; aussi dans l’Évangile, vous voyez les disciples seuls monter sur la montagne avec leur divin Maître. L’Évangéliste vous donne, chrétiens, la règle et l’exemple que vous devez imiter dans les paroles suivantes : « Et il passait la nuit à prier. » Que ne devez-vous pas faire pour votre salut, quand vous voyez Jésus-Christ passer pour vous toute la nuit en prières. — S. Chrys. Levez-vous donc aussi vous-même pendant la nuit, car alors l’âme est plus pure, et le silence et l’obscurité de la nuit sont on ne peut plus favorable à la componction du coeur. D’ailleurs, si vous considérez le ciel parsemé d’étoiles, et cette multitude innombrables d’astres lumineux ; si d’un autre côté vous réfléchissez que tous ceux qui, pendant le jour, se livrent aux plaisirs et aux oeuvres d’iniquité, sont alors absolument semblables à des morts, comment pourrez-vous ne pas détester tous les crimes des hommes. Que ces pensées sont puissantes pour élever l’âme, elle n’est alors ni tourmentée par la vaine gloire, ni dominée par la mollesse ou par une passion violente ; non, l’action du feu n’est pas si puissante pour faire disparaître la rouille du fer, que la prière pendant la nuit pour effacer la rouille des péchés. Elle rafraîchit pendant la nuit celui que l’ardeur du soleil a brûlé durant le jour, il n’est point de rosée comparable aux larmes versées pendant la nuit, elles triomphent de la concupiscence et de tout sentiment de crainte ; mais si l’homme n’est point humecté de cette rosée féconde, il a tout à craindre des feux du jour. Si donc vous ne pouvez prier beaucoup pendant la nuit, priez au moins une fois lorsque vous vous éveillez, cela suffit, et montrez ainsi que le repos de la nuit n’est pas seulement utile au corps mais à l’âme.

S. Ambr. Vous voyez encore ce que vous devez faire avant d’entreprendre quelque oeuvre de piété, puisque Jésus-Christ a prié avant de choisir ses Apôtres : « Et dès l’aurore, il appela près de lui ses disciples, » etc., c’est-à-dire, ceux qu’il destinait à propager parmi les hommes tous les moyens de salut, et à répandre par toute la terre la semence de la foi. Et remarquez ici l’ordre des conseils de Dieu ; ce ne sont point des sages, des riches, des nobles, mais des pêcheurs et des publicains qu’il choisit pour cette mission ; il ne veut point qu’on puisse attribuer à l’influence puissante des richesses, de l’autorité, de la noblesse, la conversion des hommes à la grâce de l’Évangile, il veut triompher par la puissance naturelle de la vérité, et non par la supériorité du raisonnement et de l’éloquence.

S. Cyr. Remarquez encore avec quel soin l’Évangéliste, non seulement raconte l’élection des saints Apôtres, mais en fait une énumération exacte pour que personne n’osât en inscrire d’autres que ceux qu’il énumère. « Simon, auquel il donna le nom de Pierre, et André son frère. » — Bède. Ce ne fut point alors que Pierre reçut pour la première fois ce surnom, mais longtemps auparavant, lorsqu’ayant été amené à Jésus par André, Jésus lui dit : « Tu t’appelleras Céphas, qui veut dire Pierre. » (Jn 1, 42,) Saint Luc avait l’intention de donner l’énumération des noms des Apôtres, il devait nécessairement y faire entrer le nom de Pierre, il indique donc brièvement que ce nom n’était pas primitivement le sien, mais qu’il lui a été donné par le Sauveur. — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Le second couple est composé de Jacques et de Jean ; ils étaient tous deux fils de Zébédée et pécheurs de profession. Viennent ensuite Philippe et Barthélemi ; Philippe, d’après saint Jean, était de Bethsaïde, concitoyen d’André et de Pierre, ainsi que Barthélemi, homme simple, étranger à la science du monde, sans fiel et sans aigreur. Matthieu fut appelé alors qu’il était receveur des impôts : « Matthieu et Thomas. » — Bède. Matthieu, par humilité, met son nom après celui de Thomas, son collègue, tandis que les autres Évangélistes le mettent avant. — Suite. « Jacques, fils d’Alphée, et Simon, qui est appelé le zélé. » — La Glose. Il est ainsi appelé, parce qu’il était de Cana, en Galilée ; or, Cana vent dire zèle, et on l’appelle ainsi pour le distinguer de Simon Pierre : « Judas, fils de Jacques, et Judas Iscariote, qui le trahit. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 30.) Saint Luc paraît différer ici de saint Matthieu, qui donne à Judas le nom de Thaddée ; mais qui empêche qu’un même homme ait porté deux ou trois noms ? Le Sauveur choisit pour Apôtre Judas le traître, non par imprévoyance de l’avenir, mais par un dessein providentiel, il avait pris volontairement la fragilité de la nature humaine, il ne refuse pas même cette triste et douloureuse épreuve ; il a voulu être trahi par un de ses Apôtres, afin que si vous êtes vous-même victime de la trahison d’un ami, vous supportiez patiemment les suites de l’opinion erronée que vous aviez de lui, et l’inutilité de vos bienfaits.

Bède. Dans le sens mystique, la montagne sur laquelle Jésus-Christ choisit les Apôtres, représente la hauteur de la justice, à laquelle ils devaient parvenir et qu’ils devaient prêcher, et c’est pour ce motif que la loi fut donnée sur une montagne. — S. Cyr. Si vous êtes désireux de connaître la signification des noms des Apôtres, Pierre veut dire qui délie, ou qui reconnaît, André, puissance brillante, ou qui répond ; Jacques, qui supplante la douleur ; Jean, la grâce du Seigneur ; Matthieu, qui est donné ; Philippe, bouche grande ou orifice de la lampe ; Barthélemi, fils de celui qui suspend les eaux ; Thomas, abîme ou jumeau ; Jacques, fils d’Alphée, qui supplante les pas de la vie ; Jude, confession, Simon, obéissance.

 

VV. 17—1 9.

S. Cyr. Après avoir choisi ses Apôtres, alors qu’il voyait rassemblée autour de lui une grande multitude de peuples de la Judée et aussi de la région maritime de Tyr et de Sidon (contrées dont les habitants étaient idolâtres), il les établit docteurs de tout l’univers ; pour affranchir les Juifs de la servitude de la loi, et rappeler des erreurs des Gentils à la connaissance de la vérité, ceux qui rendaient au démon un culte idolâtre : « Il descendit ensuite avec eux, et s’arrêta avec la troupe de ses disciples, et une grande multitude de peuple de toute la Judée, de Jérusalem et de la contrée maritime de Tyr et de Sidon. » — Bède. Cette région maritime, d’où venait cette multitude qui suivait le Sauveur, n’est point celle qui avoisinait la mer de Galilée, il n’y aurait eu en cela rien d’extraordinaire, mais c’était la région qui touche à la grande mer (et où pouvaient se trouver Tyr et Sidon), comme l’indique l’Évangéliste : « Et de Tyr et de Sidon. » Ces deux villes qui étaient habitées par des Gentils, sont expressément désignées pour faire ressortir la grandeur de la renommée et de la puissance du Sauveur, qui presse des villes idolâtres de venir lui demander la guérison de leurs maux et les enseignements de la vérité : « Qui étaient venus pour l’entendre. » — Théophyl. C’est-à-dire, pour la guérison de leurs âmes, et pour être délivrés de leurs infirmités, c’est-à-dire, pour la guérison de leurs corps. — S. Cyr. Après avoir choisi et désigné les saints Apôtres, Jésus voulant convaincre les Juifs et les Gentils rassemblés en grand nombre, que par ce choix il les avait élevés à la dignité de l’apostolat, et que lui-même était plus qu’un homme, qu’il était Dieu et le Verbe incarné, opéra devant eux plusieurs miracles éclatants : « Et tout le peuple cherchait à le toucher, parce qu’une vertu sortait de lui, » etc. En effet, Jésus-Christ n’avait pas recours à une puissance étrangère, mais comme il était Dieu par nature, il guérissait tous les malades en répandant sur eux sa propre puissance.

 

S. Ambr. Considérez attentivement toutes ces circonstances, comment Jésus monte avec les Apôtres et descend ensuite vers la foule, car la foule ne pouvait voir le Christ que dans un lieu peu élevé, elle ne peut le suivre sur les hauteurs, sur le sommet des montagnes, mais dès qu’il descend, il trouve des infirmes, car les infirmes ne peuvent se trouver sur les hauteurs. — Bède. Rarement vous verrez la foule suivre le Seigneur sur les hauteurs, ou un malade guéri sur une montagne ; mais quand la fièvre des plaisirs sensuels est éteinte, et le flambeau de la science divine allumé, chacun tend à s’élever successivement jusqu’au sommet élevé des vertus. La foule qui a eu le bonheur de toucher le Seigneur, est guérie par la vertu de cet attouchement, comme nous avons vu plus haut le lépreux guéri par l’attouchement du Seigneur. L’attouchement du Sauveur est donc un moyen certain de salut, le toucher, c’est croire fermement en lui, être touché par lui, c’est être guéri par sa grâce.

 

 

VV. 20—23.

S. Cyr. Après avoir choisi ses Apôtres, le Sauveur forme ses disciples à la nouveauté de la vie évangélique. — S. Ambr. Sur le point d’annoncer les divers oracles, il prend une attitude sublime. Le lieu où il se trouve est peu élevé, mais il lève bien haut les yeux  : « Alors levant les yeux vers ses disciples. » Qu’est-ce que lever les yeux, si ce n’est découvrir la lumière dont son âme était pleine ? — Bède. Il s’adressait à tous en général, cependant il lève plus particulièrement les yeux sur ses disciples, c’est-à-dire, qu’il verse en plus grande abondance la lumière de sa grâce intérieure sur ceux qui écoutent sa parole avec un coeur attentif et docile. — S. Ambr. Saint Luc ne rapporte que quatre béatitudes, tandis que saint Matthieu en compte huit, mais on peut dire que les huit renferment les quatre, comme aussi les quatre comprennent les huit. Saint Luc a voulu tout ramener aux quatre vertus cardinales, saint Matthieu, dans les huit béatitudes, nous donne la signification mystérieuse du nombre huit, car ce nombre huit est la perfection de notre espérance, et comprend aussi toutes les vertus. Les deux Évangélistes mettent la pauvreté en tête des autres béatitudes ; en effet, elle est la première et comme la mère des vertus, parce que celui qui méprisera les choses du temps, méritera celles de l’éternité, et s’il veut obtenir la gloire du royaume des cieux, il faut nécessairement qu’il se dégage de l’amour du inonde qui le presse de toutes parts : « Et il dit : Bienheureux les pauvres. » — S. Cyr. Dans l’Évangile selon saint Matthieu, nous lisons : « Bienheureux les pauvres d’esprit, » pour nous faire comprendre qu’il y a des pauvres d’esprit qui ont la modestie et l’humilité de l’intelligence, c’est dans ce sens que le Sauveur dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. » Ici, Notre-Seigneur dit simplement : « Bienheureux les pauvres, » sans ajouter « d’esprit, » c’est-à-dire, bienheureux les pauvres qui méprisent les richesses. Il convenait, en effet, que ceux qui devaient annoncer les vérités de l’Évangile du salut, n’eussent point un esprit cupide, et que leurs affections fussent placées en lieu plus élevé.

S. Bas. (Ps 33.) Cependant gardons-nous de croire que tous ceux que la pauvreté accable, aient part à cette béatitude, elle est réservée à ceux-là seuls qui sacrifient les richesses de la terre aux préceptes de Jésus-Christ. Combien, en effet, sont pauvres des biens de la terre, mais on ne peut plus cupides par leurs désirs ; la pauvreté ne les sauve point, mais leurs désirs sont la cause de leur damnation, car rien de ce qui est involontaire ne peut mériter le bonheur éternel, parce qu’on ne peut comprendre la vertu sans le libre arbitre. Bienheureux donc celui qui est pauvre, comme l’est un disciple de Jésus-Christ, qui a souffert pour nous la pauvreté, car le Seigneur a voulu accomplir le premier toutes les oeuvres qui conduisent à la béatitude, en se rendant le modèle de ses disciples. — Eusèbe. On parvient au royaume des cieux par plusieurs degrés de vertus ; or, le premier degré est franchi par ceux qui pratiquent la pauvreté pour plaire à Dieu, et Jésus fit cette grâce à ceux qui, les premiers, devinrent ses disciples. Aussi est-ce en s’adressant personnellement à ceux qui étaient devant lui et vers lesquels il avait levé les yeux, qu’il dit : « Parce que le royaume des cieux est à vous. »

S. Cyr. Après avoir recommandé la pratique de la pauvreté, il promet l’honneur et la gloire aux privations qu’elle impose. Or, comme ceux qui ont en partage la pauvreté manquent souvent des choses nécessaires, et peuvent à peine se procurer de quoi vivre, il affermit ses disciples contre la perspective d’une condition aussi pénible en leur disant : « Bienheureux vous qui maintenant avez faim. » — Bède. C’est-à-dire, bienheureux vous qui châtiez votre corps et le réduisez en servitude, qui vous livrez au ministère de la prédication en souffrant la faim et la soif, parce que vous jouirez un jour de l’abondance des joies célestes. — S. Grég. de Nysse. (Des béatit., disc. 4.) Dans un sens plus élevé, de même que, pour la nourriture matérielle, les goûts divers des hommes leur font préférer diverses espèces d’aliments ; de même pour ce qui est de la nourriture de l’âme, les uns recherchent un bien purement imaginaire, et les autres ce qui est naturellement bon. Aussi saint Matthieu proclame-t-il bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice comme d’une nourriture et comme d’un breuvage, justice qui n’est point la justice considérée comme vertu particulière, mais la justice universelle, et il proclame bienheureux celui qui a faim de cette justice. — Bède. Notre-Seigneur nous enseigne on ne peut plus clairement que nous ne devons jamais nous estimer assez justes, mais chercher à nous avancer de jour en jour dans la justice ; et ce n’est pas dans ce monde, mais dans la vie future que nous en serons pleinement rassasiés, suivant cette parole du Psalmiste : « Je serai rassasié lorsqu’apparaîtra votre gloire (Ps 16). » Aussi le Sauveur ajoute : « Parce que vous serez rassasiés. » — S. Grég. de Nysse. Il promet à ceux qui sont avides de la justice, l’abondance de tous les biens désirables, car aucune des voluptés qu’on recherche dans la vie ne peut rassasier ceux qui les poursuivent ; seul, le désir de la vertu est suivi d’une récompense qui répand dans l’âme une gloire sans limite comme sans durée.

S. Cyr. Une des suites de la pauvreté, c’est non seulement la privation de toutes les choses qui procurent quelque plaisir, mais encore la tristesse qu’elle répand sur le visage, c’est pourquoi il ajoute : « Bienheureux vous qui pleurez. » Il appelle bienheureux ceux qui pleurent, non pas ceux dont les yeux versent extérieurement des larmes (ce qui est commun aux fidèles et aux infidèles, quand le malheur les atteint), mais il proclame surtout bienheureux ceux qui fuient une vie légère toute plongée dans les vices et dans les voluptés de la chair, ceux qui ont horreur de ce qui fait les délices des hommes, et qui sont comme dans les pleurs par le dégoût et l’ennui que leur causent les vanités du monde. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) La tristesse qui est selon Dieu, est d’un grand prix à ses yeux, et elle obtient la pénitence qui conduit au salut. Aussi saint Paul, qui n’avait point de fautes personnelles à pleurer, versait des larmes pour les péchés d’autrui ; heureuses larmes qui deviennent une source de joie : « Parce que vous rirez. » Si, en effet, nos larmes sont inutiles à ceux pour qui nous les répandons, elles sont loin d’être perdues pour nous, car celui qui pleure ainsi les péchés des autres, à plus forte raison pleurera ses propres fautes, et se garantira plus facilement contre de nouvelles chutes. Gardons-nous donc de la dissolution pendant cette vie si courte, pour ne point nous exposer à des gémissements sans fin ; ne recherchons pas les plaisirs qui sont une source de larmes amères et de douleur profonde, mais affligeons-nous de cette tristesse qui engendre le pardon. Souvenons-nous, d’ailleurs, qu’on vit bien souvent le Seigneur pleurer, mais qu’on ne le vit point rire une seule fois. — S. Bas. (hom. sur l’act. de grâces.) Il promet la joie, le rire à ceux qui pleurent, non point sans doute ce rire extérieur qui sort des lèvres, mais une joie pure et sans mélange d’aucune tristesse.

 

Bède. Heureux donc celui qui, en vue du riche héritage de Jésus-Christ, du pain de la vie éternelle, de l’espérance, des joies célestes, désire les larmes, la faim, la pauvreté ; mais plus heureux celui qui pratique courageusement ces vertus au milieu de l’adversité : « Vous serez bienheureux quand les hommes vous haïront. » Les hommes peuvent vous haïr, mais la méchanceté de leur coeur ne peut atteindre un coeur aimé de Jésus-Christ. — Suite « Lorsqu’ils vous sépareront. » Qu’ils vous séparent, qu’ils vous chassent de la synagogue, Jésus-Christ saura bien vous trouver et vous fortifier : « Ils vous traiteront injurieusement. » Ils vous feront un outrage du nom du crucifié, mais lui-même ressuscite ceux qui meurent avec lui, et il les fait asseoir avec lui dans les cieux (Ep 2, 6 ;2 Tm 2, 2). — Suite. « Et ils rejetteront votre nom comme mauvais. » Il veut parler du nom des chrétiens que les Gentils et les Juifs se sont efforcés de détruire complètement, et que les hommes ont rejeté, sans aucun autre motif de haine que le Fils de l’homme, et parce que les fidèles ont choisi pour leur nom le nom même du Christ (Ac 11, 26). Il leur prédit donc qu’ils seront persécutés par les hommes, mais que le bonheur qui les attend est au-dessus de toute pensée humaine : « Réjouissez-vous en ce jour-là, et soyez transportés de joie, car voici que votre récompense est grande dans les cieux, » etc. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) La signification de ces mots beaucoup et peu, doit se mesurer par la grandeur et la dignité de celui qui les emploie. Or, quel est celui qui promet une grande récompense ? Un prophète ou un Apôtre, qui ne sont que des hommes, eussent estimé peut-être comme considérable ce qui ne l’était pas, mais ici celui qui promet cette grande récompense, c’est le Seigneur qui possède des trésors éternels et des richesses au-dessus de toute conception humaine. — S. Bas. Quelquefois encore le mot grand a une signification absolue comme dans ces propositions : Le ciel est grand, la terre est grande ; quelquefois une signification purement relative, comme lorsque nous disons qu’un cheval est grand, qu’un boeuf est grand, par comparaison avec d’autres animaux. Or, la récompense réservée à ceux qui sont en butte aux outrages pour Jésus-Christ sera grande, non par comparaison avec les choses de la terre, mais grande en elle-même et digne de la magnificence du Dieu qui la donne. — S. Jean Damasc. (De la log., chap. 40.) Tout ce qui peut être mesuré ou compté s’exprime d’une manière déterminée, mais on appelle grandes, considérables en général, les choses qui, par leur excellence, sont au-dessus de tout nombre et de toute mesure, et c’est ainsi que nous disons que la miséricorde de Dieu est grande.

Eusèbe. Notre-Seigneur arme ensuite les Apôtres pour le combat qu’ils devaient soutenir en prêchant l’Évangile par tout l’univers, et il ajoute : « C’est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes. » — S. Ambr. En effet, les Juifs persécutèrent les prophètes, jusqu’à leur ôter la vie. — Bède. Ceux qui disent la vérité sont ordinairement persécutés, mais jamais les anciens prophètes ne cessèrent d’annoncer la vérité par crainte de la persécution.

S. Ambr. « Bienheureux les pauvres. » Voilà la tempérance qui s’abstient du mal, foule aux pieds les choses du monde et ne recherche point les plaisirs séducteurs : « Bienheureux vous qui avez faim. » Voilà la justice, car celui qui a faim, a compassion de celui qui éprouve le même besoin, la compassion le rend charitable, la charité le rend juste, et sa justice demeure éternellement (Ps 111, 8). « Bienheureux vous qui pleurez. » Voilà la prudence qui pleure sur les choses périssables et mortelles, et s’attache aux biens de l’éternité. « Vous serez bienheureux quand les hommes vous haïront. » Voilà la force, non celle qui s’attire la haine par ses violences criminelles, mais celle qui souffre la persécution pour la foi. C’est ainsi que vous mériterez la couronne réservée à la souffrance, si vous méprisez la faveur des hommes pour ne rechercher que celle de Dieu. La tempérance produit donc la pureté du coeur, la justice produit la miséricorde, la prudence produit la paix, la force produit la douceur. Ces vertus sont unies et étroitement liées entre elles, de sorte que celui qui en possède une, paraît avoir toutes les autres. Les saints ont tous une vertu qui leur est propre, mais celle qui est plus féconde en fruits de salut, est aussi celle qui obtient la plus grande récompense. Quel amour de l’hospitalité, quelle humilité profonde dans Abraham ! mais comme il a brillé surtout par sa foi ! c’est à cette vertu qu’il doit son plus beau titre de gloire. Chacun donc peut obtenir plusieurs récompenses, parce qu’il a un grand nombre d’occasions de pratiquer les vertus ; mais la vertu dont la fécondité aura été plus grande, recevra aussi la récompense la plus magnifique.

 

VV. 24—26.

S. Cyr. Notre-Seigneur vient d’enseigner que la pauvreté supportée en vue de Dieu, est la cause de tout bien, et que la faim et les larmes auront droit à la récompense des saints ; il passe maintenant aux vices opposés à ces vertus, et les présente comme une cause de damnation et de supplice : « Malheur à vous, riches, qui avez votre consolation. » — S. Chrys. (hom. 17 sur la Gen.) Cette locution malheur s’adresse toujours dans l’Écriture à ceux qui ne peuvent échapper au supplice de la vie future. — S. Ambr. L’abondance des richesses est la source de bien des séductions coupables, mais aussi de bien des inspirations vertueuses. Quoique la vertu ne recherche pas l’opulence, et que l’aumône du pauvre soit plus agréable à Dieu que la libéralité du riche ; cependant ce ne sont point ceux qui ont des richesses, mais ceux qui ne savent point en faire usage qui sont atteints par la sentence divine. En effet, le pauvre a d’autant plus de mérite, qu’il donne par un mouvement spontané du coeur ; et le riche est d’autant plus coupable, qu’il devait rendre grâce à Dieu de ce qu’il a reçu, et ne point réserver inutilement une fortune qui ne lui a été donnée que pour l’utilité commune. Ce ne sont donc point les richesses qui sont mauvaises, c’est l’attachement aux richesses qui est coupable. Et quoiqu’il n’y ait pas de plus grand tourment pour l’avare que d’entasser avec crainte et inquiétude des trésors dans l’intérêt de ses héritiers, cependant, parce que ses désirs d’amasser ont pour lui quelque attrait, il est juste que ceux qui ont la consolation de la vie présente, perdent les joies de la vie éternelle. Ces riches peuvent être aussi la figure du peuple juif ou des hérétiques, ou plutôt des pharisiens qui, se complaisant dans l’abondance des paroles et dans l’éloquence prétentieuse de leurs discours, ont dépassé la simplicité de la vraie foi et amassé des trésors inutiles.

 

« Malheur à vous qui êtes rassasiés, parce que vous aurez faim. » — Bède. Ce riche, vêtu de pourpre, se rassasiait en s’asseyant tous les jours à des tables splendidement servies, mais il souffrit ensuite ce cruel malheur, lorsque dévoré par la soif, il demandait que Lazare trempât le bout de son doigt dans l’eau pour rafraîchir sa langue. — S. Bas. L’Apôtre prouve la nécessité de la tempérance, en la plaçant parmi les fruits de l’Esprit (Ga 5). En effet, voulez-vous dompter votre corps ? point de moyen plus puissant que la tempérance, elle est comme un frein à l’aide duquel nous devons modérer l’ardeur de la jeunesse. La tempérance est donc la mort des crimes, l’apaisement des passions, le principe de la vie spirituelle, elle émousse l’aiguillon des plaisirs séducteurs. Néanmoins, pour éviter d’être confondus avec les ennemis de Dieu, nous devons, lorsque les circonstances l’exigent, accepter ce qui nous est présenté, pour montrer que tout est pur pour ceux qui sont purs, et user des choses nécessaires à la vie, en nous interdisant tout ce qui peut favoriser la volupté. D’ailleurs, tous ne peuvent pas s’imposer la même heure, ni la même manière, ni la même mesure dans la pratique de la tempérance, mais tous doivent avoir la même intention, de ne point aller jusqu’à la satiété, car la réplétion de l’estomac rend le corps lui-même impuissant à remplir ses fonctions, l’appesantit et le dispose au mal. — Bède. Ou encore, si ceux qui ont faim des oeuvres de justice, sont heureux, combien sont malheureux, au contraire, ceux qui cherchent à satisfaire tous leurs désirs, et n’éprouvent aucune faim du bien véritable.

« Malheur à vous qui riez, » etc. — S. Bas. Puisque le Seigneur menace ici ceux qui rient, il est donc évident que dans aucun temps, le vrai fidèle ne doit s’abandonner au rire, à la vue surtout de la multitude si grande de ceux qui meurent dans le péché et sur lesquels il faut bien plutôt verser des larmes. D’ailleurs, le rire immodéré est le signe d’un esprit déréglé et d’une âme désordonnée ; toutefois il n’est pas défendu de manifester la joie intérieure, en donnant au visage une certaine expression de gaieté. — S. Chrys. Mais dites-moi pourquoi cette dissipation, ces rires immodérés dans un chrétien qui doit paraître au terrible jugement de Dieu, et rendre compte de tout ce qu’il a fait ici-bas ?

Bède. La flatterie nourrit le péché, et, semblable à l’huile qui excite le feu, elle fournit un aliment à l’ardeur du mal ; aussi Notre-Seigneur ajoute : « Malheur à vous, quand les hommes vous loueront, » etc. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Cette recommandation n’est point opposée à ces autres paroles du Sauveur : « Que votre lumière luise devant les hommes (Mt 5). » En effet, nous devons avoir un saint empressement à faire le bien pour la gloire de Dieu, et non pour notre propre gloire, car rien de plus funeste que la vaine gloire, elle engendre l’injustice, le désespoir et l’avarice, mère de tous les maux. Si donc vous voulez éviter ces funestes effets, tenez vos regards constamment tournés vers Dieu, et contentez-vous de la gloire qui vient de lui. Car, si, en toute espèce de chose, on doit choisir les plus savants pour experts et pour arbitres, comment pourriez-vous confier l’appréciation de votre vertu aux hommes plutôt qu’à Dieu, qui la connaît mieux qu’eux tous, qui en est à la fois l’auteur et la récompense ? Si vous désirez la gloire qui vient de Dieu, fuyez donc les louanges des hommes, car nul n’a plus de droit à notre admiration que celui qui dédaigne la gloire, et si tels sont nos sentiments, à plus forte raison, ceux du souverain Maître de toutes choses. Considérez, d’ailleurs, que la gloire des hommes passe bien vite, parce que le cours rapide du temps la fait tomber dans l’oubli.

 

« Car c’est ainsi que leurs pères faisaient aux faux prophètes. » — Bède. Les faux prophètes sont ainsi appelés, parce qu’ils s’efforçaient de prédire l’avenir pour gagner la faveur du peuple. Or, Notre-Seigneur n’a proclamé sur la montagne que les béatitudes des bons, tandis que, descendu dans la plaine, il prédit aussi les supplices des réprouvés, parce que les auditeurs encore ignorants et grossiers, ont besoin d’être poussés dans la voie du bien par la crainte des châtiments, tandis qu’il suffit pour les parfaits, de les inviter par l’attrait des récompenses. — S. Ambr. Remarquez encore que saint Matthieu attire les peuples à la foi et à la vertu par la perspective des récompenses, tandis que saint Luc cherche à les éloigner des crimes par la menace des châtiments.

 

VV. 21—31.

Bède. Après avoir prédit à ses disciples ce qu’ils pourraient avoir à souffrir de la part de leurs ennemis, il leur apprend maintenant la conduite qu’ils devront tenir à l’égard de ces mêmes ennemis : « Mais je vous dis, à vous qui m’écoutez. » — S. Ambr. Ce n’est point sans raison qu’il a fait précéder d’actions toute célestes d’aussi sublimes enseignements. Il voulait enseigner aux peuples, fortifiés par ces miracles de la puissance divine, à s’avancer comme sur les pas de ces prodiges, au delà des limites étroites de la loi. D’ailleurs, de ces trois grandes vertus, la foi, l’espérance et la charité, c’est la charité qui est la première (1 Co 13, 13 ; Ct 1, 4), et c’est elle que le Sauveur nous recommande, lorsqu’il dit : « Aimez vos ennemis. » — S. Bas. (règles abrég., rép. à la quest., 176.) C’est le propre des ennemis de nuire et de tendre des embûches ; tous ceux donc qui, de quelque manière que ce soit, cherchent à nuire quelqu’un, sont ses ennemis. — S. Cyr. Il fallait pénétrer de ces divins enseignements les saints docteurs qui devaient prêcher la parole du salut par tout l’univers ; car s’ils s’étaient laissé aller à tirer vengeance de leurs persécuteurs, jamais ils ne les auraient appelés à la connaissance de la vérité. — S. Chrys. (hom. 48 sur S. Matth.) Il ne dit pas : Ne haïssez point, mais : « Aimez, » et non seulement : « Aimez, » mais : « Faites du bien à ceux qui vous haïssent. » — S. Bas. Or, l’homme étant composé d’une âme et d’un corps, nous faisons du bien à l’âme de nos ennemis en les reprenant, en les avertissant, en les amenant, comme par la main, à se convertir à une vie meilleure, et nous faisons du bien à leur corps, en leur procurant les choses nécessaires à la vie.

« Faites du bien à ceux qui vous maudissent. » — S. Chrys. Ceux qui blessent ainsi leur âme sont bien plus dignes de larmes amères que de malédictions ; quoi de plus détestable, en effet, qu’une âme d’où sortent les malédictions, quoi de plus immonde que la langue qui les profère ? O homme, ne distillez pas ainsi le venin de l’aspic, ne vous changez pas en bête féroce ; Dieu vous a donné la bouche, non pour déchirer, mais pour guérir les plaies de vos frères ; et quant à vos ennemis, il vous ordonne de les mettre au rang de vos amis, et de vos amis les plus chers, de ceux pour lesquels vous avez coutume de prier : « Priez pour ceux qui vous persécutent, » etc. Mais, au contraire, la plupart de ceux qui se prosternent la face contre terre, les mains étendues, au lieu de supplier Dieu de leur pardonner leurs crimes, l’implorent contre leurs ennemis, c’est-à-dire qu’ils se percent de leurs propres mains. Quoi, vous priez celui qui a défendu les imprécations contre les ennemis, d’écouter les malédictions que vous proférez contre eux, et vous espérez d’être exaucés, vous qui provoquez sa juste colère, en frappant votre ennemi devant son roi ? car vous le frappez réellement, sinon avec la main, au moins par vos paroles. Que faites-vous donc, ô homme ? Vous venez implorer le pardon de vos péchés, et votre bouche est remplie d’amertume, ah ! croyez-moi, c’est le temps de la pacification, de la prière, des gémissements, et non celui de la fureur. — Bède. Mais on se demande alors, pourquoi nous trouvons dans les prophètes tant d’imprécations contre les ennemis ? Nous répondons que, par ces imprécations, les prophètes ont simplement prédit ce qui devait arriver ; ainsi ce n’étaient point des voeux qui exprimaient leurs désirs, mais des prédictions qui leur étaient révélées par l’Esprit saint.

 

S. Cyr. L’ancienne loi défendait toute offense envers le prochain, ou si on en avait été offensé le premier, elle défendait de dépasser dans la vengeance la mesure de l’offense qu’on avait reçue ; mais la perfection ne se trouve ici que dans Jésus-Christ et dans ses commandements : « A celui qui vous frappe sur une joue, présentez encore l’autre. » En effet, lorsque les médecins reçoivent des coups de pieds des furieux qu’ils cherchent à guérir, leur compassion pour ces malheureux redouble, et ils s’appliquent avec plus de zèle à leur guérison ; telle est la conduite que vous devez tenir à l’égard de ceux qui vous persécutent ; car ce sont eux surtout qui sont malades, ne cessez donc point de leur prodiguer des soins, jusqu’à ce qu’ils aient vomi toute l’amertume de leur âme ; alors ils vous rendront grâces, et Dieu lui-même vous couronnera, pour avoir délivré votre frère d’une maladie des plus funestes. — S. Bas. (sur Is 1, 23.) Presque tous les hommes transgressent ce commandement, surtout les puissants et les princes, non seulement quand on les outrage, mais encore quand on leur manque de respect ; ils regardent comme des ennemis tous ceux qui ne leur rendent pas les honneurs dont ils se croient dignes. Or, c’est une grande honte pour un prince que de céder si facilement à la vengeance ; comment, en effet, pourra-t-il enseigner aux autres à ne point rendre le mal pour le mal (Rm 12), lui qui est si prompt à se venger de ceux qui l’offensent ?

S. Cyr. Le Seigneur veut encore que nous professions un grand mépris pour les biens que nous possédons : « Celui qui vous prend votre manteau, laissez-le prendre aussi votre tunique. » Voilà la vertu d’une âme entièrement exempte de la passion et du désir des richesses ; en effet, celui qui est miséricordieux, doit oublier le mal qu’on lui fait, et abandonner à ses ennemis ce qu’il donnerait à ses meilleurs amis. — S. Chrys. (hom. 18 sur S. Matth.) Le Sauveur ne dit pas : Supportez humblement la violence de celui qui vous outrage ; mais procédez avec sagesse, et préparez-vous à souffrir tout le mal qu’il veut vous faire ; dominez son insolence par une prudence à toute épreuve, et faites qu’il se retire couvert de honte à la vue de votre patience inaltérable. Vous me direz, comment pouvoir mettre en pratique ce précepte ? Quoi ! en voyant celui qui s’est fait homme et qui a tant souffert pour vous, vous hésitez encore, et vous demandez comment on peut pardonner à ses frères les outrages dont ils se sont rendus coupables ? Mais qui donc d’entre vous a jamais souffert d’aussi grands outrages que votre Seigneur, chargé de chaînes, flagellé de coups, couvert de crachats, et enfin mis à mort ? Il ajoute : « Donnez à quiconque vous demande. » — S. Aug. (serm. du Seig., 1, 40.) Il ne dit pas : Donnez-leur tout ce qu’ils demandent, mais : « Tout ce que vous pouvez leur donner d’après les règles de la justice et de la bienséance, » c’est-à-dire ce qui n’est nuisible ni pour lui ni pour vous, autant qu’il est possible à l’homme de le prévoir ; et lorsque vous lui refusez justement ce qu’il demande, il faut lui faire apprécier la justice de ce refus, et souvent vous lui ferez un présent bien supérieur à ce qu’il désire, en lui faisant comprendre l’injustice de sa demande. — S. Chrys. Nous nous rendons souvent grandement coupables, non seulement en ne donnant pas à ceux qui nous demandent, mais en les accablant de reproches. Pourquoi, dites-vous, ne travaille-t-il point ? pourquoi vit-il dans l’oisiveté ? Dites-moi, et vous-même, est-ce par votre travail que vous avez acquis les biens que vous possédez ? et si vous travaillez, est-ce pour acquérir le droit de blâmer les autres ? Quoi ! parce qu’un homme vous demande du pain et de quoi se vêtir, vous l’accusez de cupidité ? Ne lui donnez rien, soit, mais au moins ne l’outragez pas ; vous êtes sans pitié pour lui, pourquoi vouloir éteindre la compassion dans le coeur de ceux qui voudraient le secourir. Si nous donnons à tous indifféremment, nous pratiquons toujours la miséricorde. C’est parce qu’Abraham exerçait l’hospitalité à l’égard de tous, qu’il mérita de recevoir des anges. Celui qui vous demande est un homicide, un brigand, n’est-il pas au moins digne que vous lui donniez du pain ? Ne nous érigeons donc jamais en censeurs sévères des autres, si nous ne voulons être jugés aussi avec la même sévérité.

 

« Si l’on vous ravit votre bien, ne le réclamez pas. » — S. Chrys. (Hom. 10 sur la 1re Épître aux Corinth.) C’est de Dieu que nous recevons tout ce que nous avons ; nous disons le mien, le tien, mais ce sont de vains mots. Vous dites que votre maison vous appartient, c’est une parole dépourvue de sens ; car l’air, la terre, les pierres appartiennent au Créateur, aussi bien que vous qui avez construit la maison. J’admets que vous en ayez la jouissance, avec quelle incertitude, tant à cause de la mort, que par suite de la vicissitude des choses humaines ? Votre vie même ne vous appartient pas, à quel titre vos biens seraient-ils à vous ? Cependant Dieu veut que les biens qu’il vous a confiés, deviennent votre propriété, mais à la condition que vous les partagerez avec vos frères ; si au contraire, vous ne les prodiguez que pour votre utilité personnelle, ils cessent d’être à vous. Or, comme le désir déréglé des richesses est une source de discussions et de procès, Notre-Seigneur fait cette recommandation : « Ne redemandez pas votre bien à celui qui vous le ravit. » — S. Aug. (disc. du Seig., 1, 26.) Il veut parler ici des vêtements, des habitations, des terres, des animaux, et en général de tous les biens. Un chrétien qui possède un esclave, ne doit pas l’assimiler à la possession d’un cheval ou de l’argent ; cependant si vous traitez votre esclave avec plus d’égards que celui qui veut vous l’enlever, je ne sais si quelqu’un oserait dire qu’il ne vous est point permis de le revendiquer.

S. Chrys. Nous avons tous en nous une loi naturelle qui nous fait discerner le vice et la vertu, le bien d’avec le mal ; aussi Notre-Seigneur ajoute : « Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pareillement pour eux. » Il ne dit pas : Ne faites point vous-mêmes ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse. Il y a bien, en effet, deux voies qui conduisent à la vertu, s’abstenir du mal et faire le bien ; le Sauveur se contente de parler de la seconde voie qui, dans son esprit, renferme la première. Or, s’il s’était exprimé de la sorte : Voulez-vous être des hommes ? aimez les animaux, ce commandement serait assez difficile, mais il nous commande d’aimer nos semblables, pour lesquels il nous a donné une inclination naturelle, où est donc la difficulté de cette loi que nous voyons observée par les lions et les loups eux-mêmes, qu’un instinct naturel porte à s’aimer entre eux. Notre-Seigneur Jésus-Christ ne nous commande donc rien qui soit au-dessus de notre nature, il ne fait que renouveler ce qu’il a gravé lui-même dans notre conscience, et il veut que votre propre volonté devienne votre loi ; vous voulez qu’on vous fasse du bien, faites-en aux autres ; vous voulez qu’on ait compassion de vous, commencez par avoir compassion du prochain.

 

VV. 32-37.

S. Chrys. Le Seigneur venait de commander l’amour des ennemis, mais n’allez pas croire qu’il parle ici hyperboliquement et pour inspirer un sentiment de crainte ; car écoutez la raison de ce commandement : « Et si vous aimez ceux qui vous aiment, quel est votre mérite ? » Plusieurs causes concourent à former les affections, mais l’affection spirituelle est supérieure à toutes les autres, elle ne reconnaît pour principe et pour cause, rien de terrestre, ni les bienfaits, ni la nature, ni le temps, mais elle descend directement du ciel. Quoi d’étonnant qu’elle se forme indépendamment de tout bienfait, puisqu’elle ne peut être ébranlée par les mauvais traitements ? Un père outragé, rompt les liens d’amour qui l’attachaient à son épouse ; une femme se sépare de son mari à la suite de querelles domestiques ; un enfant regarde comme un fardeau un père dont les jours se prolongent dans un âge avancé ; mais, au contraire, saint Paul allait vers ceux qui voulaient le lapider pour leur faire du bien (Ac 14) ; Moïse tourmenté, et comme lapidé par les Juifs, se venge en priant pour eux. (Ex 17.) Ayons donc une profonde vénération pour les amitiés spirituelles, parce qu’elles sont indissolubles. Notre-Seigneur ajoute, pour stimuler les indifférents : « Les pécheurs aiment aussi ceux qui les aiment, » comme s’il disait : Je veux que vous vous éleviez à une vertu plus éminente, voilà pourquoi je vous commande d’aimer non seulement vos amis ; mais même vos ennemis ; car il est naturel à tous les hommes de faire du bien à ceux qui leur en font. Il leur apprend donc qu’il exige d’eux plus qu’il n’est ordinaire aux pécheurs de faire, quand ils se montrent bienfaisants pour leurs amis : « Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel est votre mérite ?

 

Bède. Ce n’est pas seulement l’affection et les bienfaits des pécheurs qu’il déclare sans mérite et sans fruit, mais aussi le prêt fait dans les mêmes conditions. « Et si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quel est votre mérite ? Car les pécheurs eux-mêmes prêtent à leurs semblables, pour en recevoir l’équivalent. »

 

S. Ambr. La philosophie divise la justice en trois parties, l’une qui a Dieu pour objet et qu’on appelle religion ; la seconde, qui comprend les devoirs envers les parents et le reste du genre humain ; la troisième, qui s’étend aux morts, et nous oblige de leur rendre convenablement les derniers devoirs. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, s’élevant au-dessus des prescriptions de la loi et des oracles des prophètes, étend l’obligation de faire du bien jusqu’à ceux qui nous ont fait tort : « Pour vous, aimez vos ennemis, » etc. — S. Chrys. En agissant ainsi, vous ferez beaucoup plus pour vous que pour eux-mêmes ; quant à eux, ils ont l’affection de leur semblable, mais pour vous, vous devenez semblable à Dieu. Or, c’est un acte de grande puissance, que de combler de nos bienfaits ceux qui cherchent à nous faire du mal, comme Notre-Seigneur nous le recommande ; car, comme l’eau jetée sur une fournaise ardente, suffit pour l’éteindre, tel est l’effet de la raison jointe à la douceur ; en effet l’humilité et la douceur sont à la colère, ce que l’eau est au feu, et de même que le feu ne peut éteindre le feu, ainsi la colère ne peut apaiser la colère.

 

S. Grég. de Nysse. (disc. contre les usur.) L’homme doit éviter cette damnable cupidité qui lui fait demander à l’indigent un produit de l’or ou de l’argent qu’il lui prête, et exiger les fruits d’un métal stérile, c’est le sens de cette recommandation : « Prêtez sans en espérer rien, » etc. Celui qui traitera de vol et d’homicide la funeste invention de l’usure, ne se trompera pas ; car quelle différence entre celui qui perce les murs pour s’emparer du bien qui ne lui appartient pas, et celui qui s’approprie le gain illicite, produit par l’argent qu’il a prêté ? — S. Bas. Dans la langue grecque, ce genre d’avarice est justement appelé τόχος, enfantement, à cause de sa malheureuse et coupable fécondité. En effet, ce n’est qu’avec le temps que les animaux grandissent et se reproduisent, mais à peine l’usure a pris naissance, qu’elle devient féconde. Les animaux les plus précoces à se reproduire, cessent aussi plutôt d’engendrer ; mais l’argent des avares ne fait que se multiplier d’années en années. Les animaux, en transmettant à leurs petits la faculté d’engendrer, cessent eux-mêmes d’engendrer, mais l’argent des avares produit continuellement de nouveaux fruits, et renouvelle les premiers. Ne vous exposez donc point aux mortelles atteintes de ce monstre cruel. Que vous servirait-il, en effet, d’éviter l’indigence actuelle, si elle doit revenir bientôt fondre sur vous, plus grande et plus écrasante ? Demandez-vous comment vous pourrez rendre ce que vous empruntez ; comment l’argent pourra se multiplier assez dans vos mains, pour qu’une partie vous soulage de votre indigence, qu’une autre représente et conserve le capital, et qu’une troisième produise l’intérêt. Mais me direz-vous, comment faire pour vivre ? Travaillez, mettez-vous en service, mendiez enfin s’il le faut, tout est préférable à un emprunt usuraire. Vous me direz encore : Qu’est-ce que le prêt sans espérance d’intérêt ? Méditez la vertu de la parole divine, et vous admirerez la miséricorde de son auteur. Lorsque vous donnez au pauvre pour l’amour de Dieu, vous faites à la fois un prêt et un don ; un don, car vous n’espérez point d’intérêt ; un prêt, parce que la bonté de Dieu se charge de vous rendre ce que vous donnez au pauvre, comme le Sauveur vous en assure : « Car votre récompense sera grande. » Est-ce que vous refuseriez d’avoir le Tout-Puissant pour caution et pour débiteur ? Quoi ! vous acceptez la caution d’un homme riche, et vous refuseriez la caution que Dieu vous donne pour le pauvre ? — S. Chrys. (hom. 3 sur la Genèse.) Considérez l’admirable nature du prêt : L’un reçoit, et c’est un autre qui s’oblige à payer ce qu’il doit, c’est-à-dire le centuple dans le temps présent, et après cette vie, la vie éternelle.

 

S. Ambr. Quelle est grande la récompense de la miséricorde, puisqu’elle nous donne droit à l’adoption divine : « Et vous serez les enfants du Très-Haut. » Pratiquez donc la miséricorde, pour mériter la grâce qui lui est promise. La bonté de Dieu s’étend sur tous les hommes, il fait tomber la pluie sur les ingrats, la terre féconde ne refuse pas ses fruits aux méchants : « Car il est bon aux ingrats et aux méchants. » — Bède. Soit qu’il leur donne les biens temporels, soit qu’il inspire, par sa grâce, le goût des biens célestes.

 

S. Cyr. Quelles sont donc grandes les prérogatives de la miséricorde ! elle nous rend semblables à Dieu, elle imprime dans notre âme comme le sceau de la nature divine : « Soyez donc miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux, » etc. — S. Athan. (disc. 4 contre les Ariens.) C’est-à-dire que la considération des bienfaits qu’il répand sur les hommes, doit nous porter à leur faire du bien, non point en vue des hommes, mais en vue de Dieu, afin d’obtenir de lui seul, et non pas des hommes, la récompense de nos oeuvres de charité.

 

VV. 37-38.

S. Ambr. Notre-Seigneur condamne ensuite le jugement téméraire, et vous défend de vous rendre les juges des autres, alors que votre conscience vous accuse vous-même : « Ne jugez point. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ne jugez pas ceux qui sont placés au-dessus de vous ; disciples, ne jugez pas vos maîtres ; pécheurs, ne jugez pas ceux qui sont innocents ; contentez-vous, sans leur faire de reproches, de les avertir et de les corriger avec charité. Gardez-vous aussi de juger dans les choses incertaines et douteuses qui n’ont pas le caractère du mal, où qui ne sont ni graves ni défendues. — S. Cyr. Notre-Seigneur veut réprimer ici cette détestable passion qui domine nos âmes, et qui est le principe et l’origine de nos superbes mépris. On en voit, en effet, un grand nombre qui, au lieu de s’observer eux-mêmes, et de vivre selon les prescriptions de la loi de Dieu, ne s’occupent qu’à examiner la conduite des autres ; et dès qu’ils y surprennent quelques faiblesses, oubliant leurs propres passions, ils en font le sujet de leurs conversations malignes. — S. Chrys. (lettre à Démét.) A peine trouverez-vous un seul homme (père de famille ou vivant dans le cloître), qui soit exempt de ce défaut ; cependant, ce sont là autant de tentations dangereuses du démon ; car celui qui juge sévèrement les fautes d’autrui, n’obtiendra jamais le pardon de ses propres fautes : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés. » En effet, celui qui est doux et miséricordieux pour les autres, a beaucoup moins à craindre pour ses péchés ; mais celui qui est dur et sévère pour ses frères, ajoute à ses propres crimes. — S. Grég. de Nysse. Ne vous hâtez donc pas de juger rigoureusement vos serviteurs, si vous ne voulez être traités de même ; car par ce jugement sévère vous vous attirez une condamnation plus rigoureuse : « Ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. » Notre-Seigneur ne défend donc pas le jugement accompagné de clémence et suivi du pardon. — Bède. Le Sauveur résume ensuite, dans une courte sentence, tous les commandements qu’il avait faits sur les rapports que nous devons avoir avec nos ennemis : « Pardonnez, et il vous sera pardonné, » etc. C’est-à-dire qu’il nous ordonne de pardonner les injures, et de répandre des bienfaits sur nos ennemis, si nous voulons obtenir le pardon de nos péchés, et la vie éternelle pour récompense.

 

S. Cyr. Il nous montre ensuite avec quelle munificence, avec quelle libéralité nous serons récompensés par le Dieu qui donne avec largesse à ceux qui l’aiment : « Ils verseront dans votre sein une bonne mesure, pressée et remuée, et se répandant par dessus les bords. » — Théophyl. C’est-à-dire : De même que pour mesurer largement une mesure de farine, vous la pressez, vous l’agitez, et vous en versez jusqu’à la faire déborder ; de même le Seigneur versera dans votre sein une mesure abondante, et qui, pour ainsi dire, se répandra par dessus les bords. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 8.) Il dit : « Ils verseront, » car ils recevront la récompense céleste par les mérites de ceux auxquels ils auront donné, ne fût-ce qu’un verre d’eau froide, parce qu’ils étaient disciples de Jésus-Christ. (Mt 10, 42.)

« On usera pour vous de la même mesure dont vous aurez usé pour les autres, » etc. — S. Bas. La mesure dont chacun de vous se sert dans le bien qu’il opère, comme dans le mal qu’il commet, sera aussi la mesure des récompenses ou des châtiments qu’il recevra. — Théophyl. Mais peut-être nous fera-t-on cette question tant soit peu subtile : Si la récompense est si abondante, comment peut-on dire qu’elle est égale à la mesure dont nous nous sommes servi ? Nous répondons que Notre-Seigneur ne dit point : Il vous sera donné dans une mesure égale en quantité, mais : « Dans la même mesure. » Vous avez bien agi, on agira bien à votre égard, ce qui est rendre la même mesure ; mais Notre-Seigneur dit que cette mesure sera surabondante, parce qu’il rendra mille fois plus de bien qu’on en a fait. Il en est de même pour le jugement ; celui qui juge, et qui est ensuite jugé, reçoit dans la même mesure, mais il sera jugé plus sévèrement qu’il n’a jugé lui-même son semblable ; en cela la mesure est surabondante. — S. Cyr. L’Apôtre résoud cette difficulté, lorsqu’il dit : « Celui qui sème peu (c’est-à-dire en petite quantité et d’une main avare), moissonnera peu (c’est-à-dire une moisson peu abondante) ; et celui qui sème dans les bénédictions, moissonnera aussi dans les bénédictions (c’est-à-dire avec abondance.) » (2 Co 9, 6.) Si on ne possède rien, on n’est pas coupable en ne donnant point ; car Dieu nous tient compte des biens que nous avons, et non de ceux qui ne sont pas en notre possession.

 

VV. 39—42.

S. Cyr. Notre-Seigneur ajoute aux enseignements qui précèdent une parabole bien nécessaire : « Il leur faisait aussi cette comparaison. » En effet, ses disciples étaient appelés à devenir les docteurs du monde ; ils devaient donc connaître toutes les règles d’une vie sainte, et répandre les clartés d’une lumière toute divine, pour éviter d’être des aveugles servant de guide à d’autres aveugles. Il leur dit donc : « Un aveugle peut-il conduire un autre aveugle ? » S’il arrive à quelques-uns d’atteindre au même degré de vertu que ceux qui les enseignent, qu’ils se contentent de cette mesure, et marchent toujours sur les traces de leurs maîtres ; car, dit Notre-Seigneur : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître. » Aussi saint Paul dit aux Philippiens : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ. » (Ph 3.) Pourquoi donc voulez-vous juger les autres, alors que Jésus-Christ ne juge pas ? Car il n’est pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. (Jn 3.) — Théophyl. Ou encore, si vous jugez les autres, et que vous soyez coupable des mêmes fautes, ne ressemblez-vous pas à l’aveugle qui conduit un autre aveugle ? Comment le conduirez-vous au bien, alors que vous suivez la voie du mal ? Le disciple n’est point au-dessus du. maître. Si donc vous ne savez éviter le péché, vous qui vous décernez le titre de maître et de conducteur, que deviendra celui qui devient votre disciple et se place sous votre conduite ? Car tout disciple sera parfait, s’il est comme son maître. — Bède. Ou bien le sens de ces paroles dépend des enseignements qui précèdent, où Notre-Seigneur recommande de donner l’aumône et de pardonner les injures. Si vous vous laissez aveugler par la colère contre celui qui vous fait violence, et par l’avarice à l’égard de celui qui vous demande du secours, comment, dans cette disposition coupable de votre âme, pourrez-vous les guérir de leurs propres vices ? Voyez Jésus-Christ, notre Maître ; il était Dieu, il pouvait venger les injures qui lui étaient faites, et cependant il a préféré adoucir la fureur de ses ennemis en les supportant avec patience ; n’est-il donc pas nécessaire que ses disciples, qui ne sont que des hommes, suivent la même règle de perfection. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 9.) Ou bien encore, Notre-Seigneur, par ces paroles : « Est-ce qu’un aveugle peut conduire un autre aveugle ? » veut leur ôter l’espoir de recevoir des lévites cette mesure dont il a dit : « Ils verseront dans votre sein, » etc. En effet, ils payaient les décimes à ceux que le Sauveur appelle des aveugles, parce qu’ils ne recevaient pas l’Évangile. Il veut donc que le peuple commence à attendre cette récompense des disciples du Seigneur, qu’il déclare être ses imitateurs en disant : « Le disciple n’est point au-dessus du maître. »

 

Théophyl. Le Seigneur ajoute une autre parabole qui a le même objet : « Pourquoi voyez-vous une paille (c’est-à-dire une faute légère dans l’oeil de votre frère), tandis que vous n’apercevez pas la poutre, (c’est-à-dire les fautes énormes) qui sont dans votre oeil ? » — Bède. Cette comparaison fait suite à la précédente, où le Sauveur nous déclare qu’un aveugle ne peut servir de guide à un autre aveugle, (c’est-à-dire qu’un pécheur ne peut être repris par un autre pécheur) ; Notre-Seigneur ajoute donc : « Comment pouvez-vous dire à votre frère : Mon frère, laissez-moi ôter la paille de votre oeil, vous qui ne voyez pas la poutre qui est dans le vôtre ? » — S. Cyr. C’est-à-dire : Comment celui dont la conscience est chargée de crimes énormes (figurés par la poutre) peut-il condamner celui qui n’en a que de légers, ou même qui n’en a aucun à se reprocher ? car c’est ce que la paille signifie. — Théophyl. Cette leçon s’adresse à tous, mais surtout aux docteurs qui punissent sévèrement, dans leurs disciples, les moindres fautes, tout en s’accordant le bénéfice de l’impunité pour les plus grandes ; c’est ce qui leur attire de la part du Seigneur le reproche d’hypocrisie, parce qu’ils jugent sévèrement les péchés d’autrui pour faire ressortir leur propre justice : « Hypocrites, ôtez d’abord la poutre de votre oeil, » etc. — S. Cyr. C’est-à-dire purifiez-vous d’abord de ces crimes énormes qui souillent votre conscience, et alors vous pourrez vous montrer zélé pour corriger votre frère de ses fautes légères. — S. Bas. (hom. 9 sur l’Hexam.) La connaissance de soi-même est en effet de la dernière importance ; l’oeil qui considère les choses extérieures, ne peut voir ce qui se passe en lui-même ; ainsi en est-il de notre esprit, lorsqu’il est prompt à juger les péchés d’autrui, il devient lent à découvrir ses propres défauts.

 

VV. 43-45.

Bède. Notre-Seigneur continue à parler ici contre les hypocrites : « L’arbre qui produit de mauvais fruits, n’est pas bon, » etc. ; paroles dont voici le sens : Si vous voulez avoir une vertu véritable et sincère, montrez-vous dans les oeuvres ce que vous êtes en paroles ; car l’hypocrite qui se couvre du masque de la vertu, n’est cependant pas vertueux, s’il fait le mal ; et s’il ose reprendre un innocent, ses reproches ne le rendent pas pour cela mauvais, puisqu’il fait le bien. — Tite de Bost. Que ces paroles ne favorisent point votre négligence, un arbre est soumis aux lois qui régissent la nature végétale ; pour vous, au contraire, vous avez l’usage de votre libre arbitre ; tout arbre stérile a été créé pour une fin particulière ; pour vous, vous avez été créé pour pratiquer la vertu. — S. Isid. (Liv. 4, lettre 81.) Ce n’est point le repentir, mais la persévérance dans le mal, que le Sauveur condamne par ces paroles ; tant que la disposition de l’âme reste mauvaise, elle ne peut produire de bons fruits ; mais si elle se tourne du côté du bien, alors elle produit des fruits de vertu. La nature de l’arbre s’appelle en nous l’affection, aussi elle peut ce qui est impossible à un arbre mauvais, c’est-à-dire produire de bons fruits.

 

S. Chrys. (Hom. 43 sur S. Matth.) Quoique le fruit naisse de l’arbre, il le fait néanmoins connaître, en ce sens, que la nature, l’espèce d’un arbre se distinguent par ses fruits. — S. Cyr. Ainsi la vie de tout homme est l’expression véritable de ses moeurs, car ce n’est point aux ornements extérieurs, aux dehors d’une feinte humilité qu’on reconnaît l’éclat du vrai bonheur, mais par les oeuvres que chacun opère ; vérité que le Sauveur confirme par ces paroles : « On ne cueille point de figues sur des épines. » — S. Ambr. Ce n’est point parmi les épines de ce monde qu’on peut trouver ce figuier qui est l’image de la résurrection, parce que les seconds fruits en sont meilleurs que les premiers, ou encore, parce que, selon ces paroles du livre des Cantiques (Ct 2) : « Les figuiers ont donné leurs premières figues, » les fruits qu’ils ont donnés au temps de la synagogue, n’étaient ni mûrs, ni durables, ni utiles ; ou bien encore, parce que notre vie ne parvient pas à sa maturité dans ce corps mortel, mais seulement dans sa résurrection. Nous devons donc rejeter loin de nous les sollicitudes de la terre qui déchirent l’âme et consument l’esprit, afin d’obtenir par nos soins assidus des fruits d’une maturité parfaite. Ainsi ces paroles se rapportent à la vie présente et à la résurrection, et les suivantes à l’âme et au corps. « On ne vendange point de raisin sur des ronces, » c’est-à-dire, que le péché ne peut faire produire aucun fruit à l’âme qui, semblable au raisin, se corrompt si elle est trop près de la terre, et ne peut mûrir que dans les hauteurs ; ou bien que personne ne peut échapper à la damnation de la chair, s’il n’est racheté par Jésus-Christ, qui, comme le raisin, a été suspendu sur le bois. — Bède. Ou bien encore, les épines et les ronces signifient les soucis du siècle et les atteintes perçantes des vices, tandis que les figues et le raisin représentent les douceurs de la vie nouvelle et l’ardeur de la charité. Or, on ne cueille point de figues sur les épines, ni de raisin sur les ronces, parce que l’âme qui est encore courbée sous le poids des habitudes du vieil homme, peut bien avoir l’apparence trompeuse de la fécondité, mais ne peut produire les fruits de l’homme nouveau. Remarquons encore que, de même que la branche féconde de la vigne, s’appuie et s’enlace aux buissons, de sorte que les épines supportent et conservent pour l’usage de l’homme, un fruit qui n’est pas le leur ; ainsi les paroles ou les actions des méchants peuvent quelquefois être utiles aux bons, ce qui doit être attribué, non à la volonté des méchants, mais aux desseins providentiels de Dieu qui sait tirer le bien du mal.

 

S. Cyr. Après avoir montré que le bon et le méchant peuvent se reconnaître à leurs oeuvres, comme on reconnaît un arbre à ses fruits, Notre-Seigneur enseigne la même vérité sous une autre figure : « L’homme bon tire le bien du bon trésor de son coeur, et l’homme mauvais tire le mal du mauvais trésor de son coeur. » — Bède. Le trésor du coeur est comme la racine de l’arbre ; celui donc qui possède dans son coeur un trésor de patience et d’amour parfait, produit des fruits excellents en aimant ses ennemis et en pratiquant tous les divins enseignements qui précèdent ; mais celui qui n’a dans son coeur qu’un trésor de méchanceté, agit d’une manière tout opposée. — S. Bas. De plus, la nature des paroles est un indice certain de l’état du coeur d’où elles sortent, et en révèle clairement les dispositions les plus intimes : « Car la bouche parle de l’abondance du coeur. » — S. Chrys. (hom. 43 sur S. Matth.) Lorsque la source intérieure du mal est abondante, par une conséquence naturelle, les paroles mauvaises s’exhalent des lèvres ; aussi quand vous entendez un homme proférer des paroles coupables, ne croyez pas que la méchanceté de son coeur est simplement égale à la malignité de ses discours, mais concluez sans crainte de vous tromper, que la source est beaucoup plus abondante que le ruisseau. — Bède. Par les paroles qui sortent de la bouche, Notre-Seigneur a voulu désigner tout ce qui prend sa source dans notre coeur, c’est-à-dire, les paroles, les actions ou les pensées, car c’est la coutume des Écritures, d’employer les paroles pour les actes.

 

Vv. 46-49.

Bède. Notre-Seigneur ne veut pas qu’on se fasse illusion sur le sens de ces paroles : « La bouche parle de l’abondance du coeur, » comme s’il n’exigeait des vrais chrétiens que les paroles et non pas les oeuvres ; il ajoute donc : « Pourquoi m’appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous point ce que je dis, » c’est-à-dire : Pourquoi vous glorifiez-vous de produire les feuilles des louanges de Dieu, vous qui ne produisez aucun fruit de bonnes oeuvres. — S. Cyr. Celui qui a le souverain domaine sur toute la nature, a droit au nom et à la chose exprimée par le nom. — S. Athan. (Disc. cont. les sectat. de Sabell.) Ce langage n’est pas celui d’un homme, mais celui d’un Dieu qui fait voir qu’il est engendré par le Père, car celui-là seul est Seigneur, qui tire son origine de l’unique et seul Seigneur ; cependant ne craignez pas de dualité, car tous deux ont une seule et même nature.

S. Cyr. Le Sauveur nous fait ensuite connaître quels sont les avantages attachés à l’observation des commandements, et quel malheur menace ceux qui les transgressent : « Celui qui vient à moi et qui écoute mes paroles, est semblable à un homme qui bâtit sa maison sur la pierre. » — Bède. Cette pierre, c’est Jésus-Christ ; creuser bien avant, c’est à l’aide des préceptes de l’humilité, enlever du coeur des fidèles tout ce qui est terrestre, afin qu’ils servent Dieu pour des motifs tout spirituels. — S. Bas. (commenc. des Prov.) Poser le fondement sur la pierre, c’est s’appuyer sur la foi de Jésus-Christ, pour demeurer ferme dans l’adversité, soit qu’elle vienne des hommes, soit qu’elle vienne de Dieu. — Bède. Ou bien encore, le fondement de la maison, c’est l’intention de mener une vie vertueuse, que le parfait disciple conçoit et place dans son âme pour accomplir fidèlement les préceptes de Jésus-Christ. — S. Ambr. Ou enfin, il veut nous enseigner que le fondement de toutes les vertus est l’obéissance aux commandements de Dieu, obéissance qui fait que la maison que nous bâtissons, ne peut être ébranlée ni par le torrent impétueux des passions, ni par la violence des esprits de malice, ni par les eaux entraînantes du monde, ni par les disputes ténébreuses des hérétiques, c’est pourquoi il ajoute : « Les eaux s’étant débordées, » etc. — Bède. Ce débordement arrive de trois manières : sous l’influence des esprits immondes, par l’agitation des méchants, par le trouble de l’âme ou de la chair ; plus les hommes mettent leur confiance dans leurs propres forces, plus aussi leur chute est grande, et plus ils s’appuient sur la pierre invincible, plus ils sont inébranlables.

 

S. Chrys. (Hom. 25 sur S. Matth.) Notre-Seigneur nous enseigne encore que la foi ne sert de rien si la vie est souillée par des vices qui la déshonorent : « Celui qui écoute mes paroles sans les pratiquer, est semblable à un homme qui bâtit sa maison sur la terre sans fondement, » etc. — Bède. Le monde qui est tout entier fondé sur le malin esprit (1 Jn 5), est la maison du démon ; il la bâtit sur la terre, parce qu’il détourne du ciel pour les ramener vers la terre ceux qui se rendent ses esclaves. Il bâtit sans fondement, parce que le péché n’a pas de fondement, il ne subsiste pas en lui-même et par sa propre nature ; le mal, en effet, n’a point d’existence propre, c’est une négation, et de quelque manière qu’il arrive, il s’unit à la nature du bien ; comme le mot fondement a pour étymologie le mot fond, on peut lui donner cette dernière signification ; ainsi, de même que celui qui tombe dans un puits s’arrête nécessairement au fond, de même l’âme qui tombe dans le mal, s’arrête comme dans un espèce de fond, si elle ne dépasse pas une certaine mesure dans le mal qu’elle commet, mais lorsque, non contente du péché où elle est tombée, elle fait tous les jours de nouvelles et plus lourdes des chutes, elle ne trouve plus, pour ainsi dire, de fond qui l’arrête dans le puits où elle est tombée. Ainsi les méchants et ceux qui n’ont que l’apparence du bien, deviennent plus mauvais à chaque tentation qui vient fondre sur eux, jusqu’à ce qu’enfin ils tombent dans les châtiments éternels : « Le torrent est venu fondre sur cette maison et elle est tombée aussitôt, » etc. Par ce fleuve qui se précipite avec violence, on peut entendre les suites du jugement dernier, alors que l’une et l’autre de ces deux maisons étant détruites, les impies iront à l’éternel supplice, et les justes dans la vie éternelle. — S. Cyr. Ou bien encore, ceux-là bâtissent sur la terre sans aucun fondement, qui posent sur le sable mouvant du doute et des opinions humaines, le fondement de l’édifice spirituel que quelques gouttes de tentations suffisent pour renverser.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 14.) L’exorde de ce long discours du Sauveur est le même dans saint Matthieu et dans saint Luc : « Bienheureux les pauvres. » La plupart des enseignements qui suivent, sont également les mêmes dans les deux Évangélistes, et le discours se termine absolument de la même manière, par la comparaison de l’homme qui bâtit sur la pierre on sur le sable. On serait donc autorisé à croire que saint Luc a rapporté ici le même discours que saint Matthieu, en omettant certaines maximes que saint Matthieu avait développées, pour en rapporter lui-même d’autres que saint Matthieu avait omises ; mais on est arrêté par cette difficulté que, suivant saint Matthieu, lorsque le Seigneur fit ce discours, il était assis sur une montagne, tandis que d’après saint Luc, le Sauveur était alors debout dans la plaine. Cependant il est probable que ces deux discours eurent lieu à des époques peu éloignées, par la raison que les deux Évangélistes placent immédiatement avant et après ce discours des faits semblables ou même identiques. On peut aussi supposer que Notre-Seigneur s’est tenu d’abord seul avec ses disciples sur la partie la plus élevée de la montagne, lorsqu’il fit choix parmi eux des douze Apôtres, et qu’il est ensuite descendu du sommet de la montagne dans la plaine, c’est-à-dire, sur un plateau qui se trouvait à mi-côte et qui pouvait contenir une grande multitude. C’est là qu’il s’est tenu debout jusqu’à ce que la foule fût assemblée autour de lui, puis lorsqu’il se fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui, et c’est devant eux et en présence de tout le peuple réuni, qu’il fit ce seul et même discours qui est rapporté par les deux Évangélistes.

 

 

CHAPITRE VII

VV. 1—10.

Tite de Bostr. Après avoir nourri ses disciples des leçons de la perfection chrétienne, Notre-Seigneur vient à Capharnaüm pour y opérer des prodiges : « Après qu’il eut achevé tout ce discours, il vint à Capharnaüm. » — S. Aug. (de l’acc. des Ev., 2, 20.) Nous voyons ici que le Sauveur n’entra dans Capharnaüm qu’après avoir terminé son discours, mais l’Évangéliste ne dit pas quel temps s’est écoulé entre la fin du discours et l’entrée de Jésus dans la ville, car c’est dans cet intervalle que fut guéri le lépreux, dont saint Matthieu place ici la guérison. — S. Ambr. Par un admirable rapprochement, Notre-Seigneur, après avoir fait connaître les obligations de la vie chrétienne, enseigne la manière de les accomplir ; en effet, on vient aussitôt lui demander la guérison du serviteur d’un centurion : « Or, un centurion avait un serviteur malade, » etc. L’Évangéliste ne s’est pas trompé, en disant qu’il allait mourir ; il serait mort en effet, si Jésus ne l’avait guéri. — Eusèbe. Le Centurion était renommé par sa bravoure dans les combats, et commandait une compagnie de soldats romains. Un de ses serviteurs, attaché spécialement à sa personne, était tombé malade ; ce centurion, considérant la puissance que Jésus déployait pour guérir d’autres maladies, et jugeant bien que ces miracles étaient supérieurs aux forces de la nature humaine, envoie vers lui quelques-uns des anciens des Juifs comme à un Dieu, sans être arrêté par les dehors de l’humanité dont le Sauveur s’était revêtu pour entrer en communication avec les hommes : « Ayant entendu parler de Jésus, il envoya vers lui quelques-uns des anciens, » etc. — S. Aug. (de l’acc. des Ev., 2, 20.) Mais comment concilier ces paroles avec le récit de saint Matthieu, où nous lisons « Un centurion s’approcha de lui, » puisqu’en réalité il ne vint point le trouver ? En examinant sérieusement cette difficulté, nous sommes amenés à conclure que saint Matthieu s’est conformé ici au langage ordinaire ; si, en effet, on peut dire qu’on parvient jusqu’à quelqu’un par le moyen d’autres personnes, à plus forte raison, on peut dire qu’on s’en approche par l’intermédiaire de ces mêmes personnes. Ainsi, quoique le centurion ait député vers Jésus quelques-uns des anciens des Juifs, saint Matthieu a pu dire, pour abréger, que le centurion s’était plus approché lui-même de Jésus-Christ, que ceux qu’il avait chargés de sa requête, car plus sa foi fut vive, plus aussi il s’approcha de Jésus. — S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth.) Comment concilier encore le récit de saint Matthieu, où le centurion dit lui-même à Jésus : « Je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit, » avec le récit de saint Luc, où il prie Jésus de venir chez lui ? Je réponds que saint Luc, à mon avis, a voulu nous représenter les flatteries des Juifs. Il est probable, en effet, que le centurion voulait aller lui-même trouver Jésus, et qu’il en fut détourné par le langage flatteur des Juifs qui lui dirent : « Nous irons et nous vous l’amènerons chez vous. » Voyez, en effet, comme ils mêlent à la prière qu’ils font à Jésus, l’éloge du centurion : « Et étant venus trouver Jésus, ils le prièrent avec grande instance en disant : il mérite que vous lui fassiez cette grâce. » Ils auraient dû bien plutôt dire : Il voulait venir vous trouver et vous prier lui-même, mais nous l’en avons détourné en voyant son affliction et ce pauvre malade étendu chez lui sur son lit de douleur ; ils auraient ainsi fait ressortir la grandeur de sa foi. Mais ils se gardent bien de tenir un pareil langage, ils ne voulaient pas faire connaître la foi de cet homme, retenus par l’envie qui les dévorait, dans la crainte de faire éclater la grandeur de celui à qui une semblable prière était adressée. Il n’y a du reste aucune contradiction entre ce que rapporte saint Matthieu, que ce Centurion n’était point Israélite, et ce que disent ici les anciens des Juifs d’après saint Luc : « Il nous a bâti une synagogue, » car il pouvait bâtir une synagogue sans être du peuple juif. — Bède. Nous voyons ici que les Juifs appelaient synagogue, comme nous appelons Église, non seulement l’assemblée des fidèles, mais encore le lieu où ils se réunissaient.

 

Eusèbe. Les anciens des Juifs demandent cette grâce pour le centurion, en reconnaissance des sommes modiques qu’il avait pu donner pour la construction de la synagogue ; mais le Seigneur se rend à des motifs d’un ordre plus élevé, il veut engendrer la foi dans le coeur des hommes par la manifestation de sa puissance : « Jésus s’en alla donc avec eux. » — S. Ambr. S’il agit de la sorte, ce n’est point qu’il ne pût guérir cet homme sans aller le trouver, mais parce qu’il voulait nous donner un exemple d’humilité. Il ne voulut point aller dans la maison de l’officier du roi qui l’en priait pour son fils, afin de ne point paraître céder à l’influence de sa position et de ses richesses ; il consent ici à se rendre dans la maison du centurion, pour qu’on ne prit supposer qu’il méprisait l’humble condition de son serviteur. Le centurion, de son côté, dépose toute fierté militaire, plein de respect et de foi, il s’empresse de rendre au Sauveur l’honneur qui lui est dû : « Il n’était plus loin de la maison, lorsque le centurion envoya lui dire : Ne prenez pas tant de peine, car je ne suis pas digne, » etc. Il savait, en effet, que ce n’était point par une puissance naturelle, mais par la toute-puissance de Dieu que Jésus-Christ guérissait les hommes. Les Juifs, en pressant Jésus de venir, avaient donné pour motif qu’il était digne de cette grâce ; le centurion se reconnaît indigne, non-seulement du bienfait qu’il sollicite, mais encore de recevoir le Seigneur : « Je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit. » — S. Chrys. (hom. 27.) Aussitôt qu’il fut délivré de l’ennuyeuse importunité des Juifs, il envoie dire à Jésus : Ce n’est point par négligence que je ne suis pas venu vous trouver moi-même, mais parce que je me suis cru indigne de vous recevoir dans ma maison.

S. Ambr. Saint Luc rapporte que le centurion envoya ses amis à la rencontre de Jésus, pour ne point paraître blesser par sa présence la modestie du Sauveur, et provoquer sa bonté par cette démarche : « C’est pourquoi, dit-il, je ne me suis pas cru digne d’aller moi-même vous trouver, mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri. » — S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth.) Considérez quelle idée juste et convenable le Centurion a du Seigneur, il ne lui dit pas : Priez, mais : « Ordonnez, » et dans la crainte qu’il ne refusât par un sentiment d’humilité, il ajoute : « Car moi qui suis soumis à la puissance d’un autre, » etc. — Bède. Il déclare qu’il n’est qu’un homme soumis à l’autorité du tribun ou du gouverneur, et que cependant il commande à d’autres qui sont au-dessous de lui ; donc, à plus forte raison, celui qui est Dieu, peut faire ce qu’il veut, non seulement par sa présence corporelle, mais encore par le ministère des anges ; car c’est par la parole du Seigneur et par le ministère des anges, que les maladies du corps devaient être guéries, et les puissances ennemies mises en fuite.

S. Chrys. (de la nat. incompréhens. de Dieu, disc. 6.) Remarquons encore que cette parole « Faites, » exprime un ordre donné à un serviteur ; aussi, lorsque Dieu voulut créer l’homme, il ne dit point à son Fils unique : Faites l’homme, mais : « Faisons l’homme, » indiquant ainsi l’égalité de rang et d’honneur par cette parole de conseil et d’accord mutuel. C’est donc parce qu’il reconnaissait dans Jésus-Christ la souveraine puissance, qu’il s’exprime de la sorte : « Dites seulement une parole, car moi, je dis à mon serviteur, » etc. Aussi Jésus, loin de le reprendre, le confirme dans cette pensée : « Ce qu’ayant entendu, Jésus fut dans l’admiration. » — Bède. Qui donc avait produit dans le centurion cette foi vive, si ce n’est celui-là même qui l’admirait ; et quand un autre en eût été l’auteur, pourquoi cette admiration dans celui qui connaissait par avance la foi de cet homme ? Si donc le Seigneur se laisse aller à l’admiration, c’est pour nous faire partager le même sentiment, car toutes ces émotions de l’âme, lorsqu’on les attribue à Dieu, ne sont point un signe de trouble intérieur, mais une leçon salutaire qu’il nous donne.

 

S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth.) Pour vous rendre plus certain que Notre-Seigneur, en parlant de la sorte, voulait instruire ceux qui étaient présents, l’Évangéliste exprime clairement ce but en ajoutant ; « Je vous le dis en vérité, je n’ai pas trouvé une si grande foi, même en Israël. » — S. Ambr. Si vous lisez : « Je n’ai trouvé chez personne autant de foi dans Israël, » le sens est simple et facile, mais si vous lisez selon le texte grec : « Je n’ai pas trouvé une si grande foi, même dans Israël, » la foi de cet homme est mise au-dessus même des élus et de ceux qui voient Dieu. — Bède. Notre-Seigneur ne veut point parler ici de tous les patriarches et des prophètes des siècles passés, mais des hommes du temps présent, dont la foi est mise bien au-dessous de celle du centurion, parce qu’ils avaient reçu les enseignements de la loi et des prophètes, tandis que cet homme avait cru spontanément, et sans avoir aucun maître. — S. Amb. En même temps que le Sauveur donne des éloges à la foi du maître, il rend la santé au serviteur : « De retour à la maison, ceux que le centurion avait envoyés, trouvèrent le serviteur qui avait été malade, guéri. » Le mérite du maître peut donc profiter aux serviteurs, non seulement le mérite de la foi, mais encore le zèle pour la vertu. — Bède. Saint Matthieu s’étend davantage sur les circonstances de la guérison de ce serviteur, au moment même où Jésus dit à son maître : « Allez, qu’il vous soit fait selon ce que vous avez cru ; » mais saint Luc a pour habitude d’abréger ou même d’omettre entièrement ce qu’il trouve suffisamment exposé par les autres Évangélistes, et de développer lui-même avec plus de soin ce qu’ils ont omis ou ce qu’ils n’ont fait qu’indiquer.

 

S. Ambr. Dans le sens mystique, le serviteur du centurion représente le peuple des nations qui, enchaîné dans les liens de la servitude du monde, en proie à la maladie mortelle de ses passions, attend sa guérison de la miséricorde du Seigneur. — Bède. Le centurion, dont la foi est mise au-dessus de la foi d’Israël, représente les élus d’entre les Gentils, qui, entourés des vertus spirituelles comme d’une cohorte de cent soldats, s’élèvent à une perfection sublime, car le nombre cent, qui s’écrit de gauche à droite, figure ordinairement la vie céleste. Il faut de semblables intercesseurs à ceux que l’esprit de servitude tient courbés sous le joug de la crainte (Rm 8) ; pour nous qui avons embrassé la foi parmi les Gentils, nous ne pouvons aller nous-mêmes au Seigneur, que nous ne pouvons voir dans sa chair, mais nous devons nous approcher de lui par la foi. Députer vers Jésus les anciens des Juifs, c’est conjurer les saints personnages de l’Église qui nous ont précédés de vouloir bien être nos patrons, et d’intercéder pour nos péchés, en nous rendant le témoignage que nous prenons soin d’édifier l’Église. L’Évangéliste fait remarquer que Jésus n’était pas loin de la maison, parce que son salut est près de ceux qui le craignent, et le fidèle observateur de la loi naturelle s’approche d’autant plus de celui qui est bon par essence, qu’il pratique plus exactement le bien qu’il connaît. — S. Ambr. Le centurion ne veut pas qu’on tourmente Jésus par des instances, parce que le peuple des nations désire préserver de tout mal celui que le peuple juif a crucifié. Enfin (dans un sens mystérieux), il vit que le Christ ne pouvait encore pénétrer dans le coeur des Gentils. — Bède. Les soldats et les serviteurs qui obéissent au centurion, sont les vertus naturelles dont un grand nombre de ceux qui viennent trouver le Seigneur, portent avec eux la riche abondance.

Théophyl. Ou bien encore, ce centurion représente l’intelligence, qui est comme le chef d’une foule d’actions mauvaises, chargée qu’elle est en cette vie d’une multitude de choses et d’affaires qui l’absorbent tout entier. Elle a pour serviteur la partie de l’âme qui est dépourvue de raison (c’est-à-dire, la partie irascible et concupiscible). Elle envoie vers Jésus des Juifs comme médiateur, c’est-à-dire, des pensées et des paroles de confession et de louange, et elle obtient aussitôt la guérison de son serviteur.

 

Vv. 11—17.

S. Cyr. Notre-Seigneur opère prodiges sur prodiges ; dans le miracle précédent, il avait attendu qu’on vînt le prier, ici il vient sans être appelé : « Il s’en alla ensuite dans une ville appelée Naïm. » Bède. Naïm est une ville de Galilée, située à deux milles du mont Thabor ; or, c’est par une permission divine que le Sauveur est suivi de cette grande multitude, Dieu veut ainsi multiplier les témoins d’un si grand miracle : « Et ses disciples l’accompagnaient avec une grande foule de peuple. » — S. Grég. de Nysse. (Traité de l’âme et de la résurrection.) Le Sauveur prouve la vérité de la résurrection moins par ses paroles que par ses oeuvres. Il commence par des miracles moins importants pour préparer notre foi à des prodiges plus éclatants, il essaie pour ainsi dire le pouvoir qu’il a de ressusciter sur la maladie désespérée du serviteur du centurion ; puis, par un acte d’une plus grande puissance, il conduit les hommes à la foi de la résurrection, en rendant à la vie le fils d’une veuve qu’on portait au tombeau : « Comme il approchait de la porte de la ville, il se trouva qu’on portait en terre un mort, fils unique de sa mère. » Tite de Bostr. On avait pu dire du serviteur du centurion, que sa maladie n’était pas mortelle ; aussi, pour réprimer ce langage téméraire, Jésus marche à la rencontre d’un jeune homme qui était mort, fils unique d’une veuve : « Et celle-ci était veuve, et beaucoup de gens de la ville l’accompagnaient. » — S. Grég. de Nysse. (de la créat. de l’homme.) Par ce peu de mots, l’Évangéliste nous fait connaître le poids de la douleur qui accablait cette pauvre mère. Elle était veuve, et ne pouvait plus espérer d’autres enfants, elle n’en avait aucun sur lequel elle pût reporter les regards de sa tendresse, à la place de celui qu’elle venait de perdre ; il était le seul qu’elle eût nourri de son lait, lui seul était la joie de sa maison, lui seul était toute sa douceur, tout son trésor. — S. Cyr. Une si juste douleur était bien digne de compassion et bien capable d’attrister et de faire couler les larmes : « Le Seigneur l’ayant vue, fut touché de compassion pour elle, et lui dit : Ne pleurez point. » Bède. C’est-à-dire, cessez de pleurer comme mort celui que vous allez voir ressusciter plein de vie. — S. Chrys. (ou Tite dans la Ch. des Pèr. gr.) En disant à cette femme : « Ne pleurez pas, » celui qui console les affligés nous apprend à nous consoler de la perte de ceux qui nous sont chers, par l’espérance de la résurrection ; cependant il touche le cercueil comme la vie qui va à la rencontre de la mort : « Et il s’approcha et toucha le cercueil, » etc. — S. Cyr. Il n’opère point ce miracle par sa seule parole, mais il touche le cercueil et vous fait ainsi comprendre l’efficacité toute-puissante du corps sacré de Jésus-Christ pour le salut des hommes ; c’est en effet un corps plein de vie et la chair du Verbe tout-puissant dont il a toute la vertu. De même, en effet, que le fer pénétré par le feu, produit les effets du feu ; ainsi la chair étant unie au Verbe qui vivifie toutes choses, se pénètre elle-même d’une puissance vivifiante qui chasse la mort. — Tite de Bostr. Le Sauveur ne ressemble point ici au prophète Élie, qui pleure le fils de la femme de Sarepta (3 R 17), ni au prophète Élisée, qui étendit son corps sur le cadavre du fils de la Sunamite (4 R 4), ni à l’apôtre saint Pierre, qui prie Dieu de rendre la vie à la pieuse Thabitha (Ac 9) ; mais il est celui qui appelle ce qui n’est pas comme ce qui est (Rm 4), et qui peut faire entendre sa parole aux morts aussi bien qu’aux vivants : « Et il dit : Jeune homme, je te le commande, lève-toi. » — S. Grég. de Nysse. En l’appelant « jeune homme, » Notre-Seigneur nous apprend qu’il était à la fleur de l’âge, dans la première jeunesse. Il y a quelques heures encore, il était la joie et le bonheur des regards de sa mère, peut-être déjà il soupirait après le temps, où uni à une tendre épouse, il deviendrait le chef de sa famille, la souche de sa postérité, et le bâton de vieillesse de sa mère.

Tite de Bostr. Ce jeune homme obéit aussitôt à l’ordre qui lui est donné, et se lève sur son séant, car rien ne peut résister à la puissance divine, elle ne souffre aucun retard, elle n’a besoin d’aucune instance : « Aussitôt le mort se leva sur son séant et commença à parler, et Jésus le rendit à sa mère. » Ce sont là les signes d’une véritable résurrection, car un corps privé de la vie n’a point l’usage de la parole, et d’ailleurs cette femme n’eût point ramené dans sa maison le corps de son fils mort et inanimé. — Bède. L’Évangéliste suit un ordre admirable en nous représentant d’abord le Sauveur, touché de compassion pour cette pauvre mère, et puis rendant son fils à la vie ; il nous donne ainsi d’un côté l’exemple de la compassion que nous devons imiter, et de l’autre, un motif de croire à sa puissance toute divine ; aussi ajoute-t-il : « Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu, » etc. ; — S. Cyr. Ce prodige surprenant se fit au milieu d’un peuple insensible et ingrat, quelques jours à peine s’étaient passés, et ils ne croyaient plus que Jésus fût un prophète, ni qu’il eût été envoyé pour le salut du peuple juif. Cependant ce miracle fut connu de tous les habitants de la Judée : « Et le bruit de ce prodige se répandit dans toute la Judée, et dans tout le pays d’alentour. »

S. Max. Il est bon de remarquer que la sainte Écriture rapporte sept résurrections avant celle du Seigneur. La première est celle du fils de la veuve de Sarepta (III R 17) ; la seconde, celle du fils de la Sumanite (4 R 4) ; la troisième, celle qu’opéra le corps d’Elisée (4 R 3) ; la quatrième, celle du fils de la veuve de Naïm (Lc 7) ; la cinquième, celle de la fille du chef de la synagogue (Mc 5) ; la sixième, celle de Lazare (Jn 11) ; la septième, celle qui eut lieu au temps de la passion du Sauveur, alors que les corps d’un grand nombre de saints ressuscitèrent. La huitième est celle de Jésus-Christ, qui, vainqueur à jamais de la mort, vit pour ne plus mourir, et pour signifier que la résurrection générale qui aura lieu au huitième âge du monde, ne sera plus sujette à la mort, mais sera suivie d’une vie éternelle.

 

Bède. Ce mort qui ressuscite, hors des portes de la ville, sous les yeux d’une grande multitude, représente l’homme plongé dans le sommeil de ses fautes mortelles, et la mort de l’âme, qui ne reste plus cachée dans l’intérieur du coeur, mais qui se produit au dehors, et qui, par ses paroles et par ses oeuvres, s’expose aux regards de tous, comme aux portes d’une ville, car chacun des sens de notre corps peut être considéré comme la porte d’une ville. C’est avec raison que l’Évangéliste fait remarquer que ce jeune homme était fils unique, parce que l’Église, bien que composée d’un grand nombre de personnes, ne fait cependant qu’une seule mère ; et toute âme qui se souvient d’avoir été rachetée par la mort du Seigneur, sait que l’Église est veuve. — S. Ambr. Cette veuve qui est entourée d’une multitude de peuple, est à mes yeux plus qu’une femme, elle qui a mérité d’obtenir par ses larmes la résurrection de son fils unique. Ainsi l’Église rappelle à la vie le peuple le plus jeune du milieu des tristes solennités de la mort, et on lui défend de pleurer celui qui doit bientôt ressusciter. — Bède. Ainsi se trouve confondue l’erreur des novatiens, qui, en voulant détruire la purification des pécheurs repentants, nient par la même que l’Église, notre mère, qui pleure la mort spirituelle de ses enfants, doive être consolée par l’espérance de leur rendre la vie.

S. Ambr. Ce mort était porté dans son cercueil par les quatre éléments terrestres ; mais il avait l’espérance de ressusciter parce qu’il était porté dans le bois. Ce bois jusque-là ne nous était d’aucune utilité, mais dès que Jésus-Christ l’eut touché, il devint un instrument de vie, et le signe du salut que le bois de la croix devait apporter à tous les peuples. Nous sommes étendus sans mouvement et sans vie dans le cercueil, lorsque le feu d’une passion violente nous consume, ou lorsque les eaux de l’indifférence nous submergent, et que la vigueur de notre âme se trouve comme émoussée et appesantie par le poids de ce corps terrestre. — Bède. Ou bien encore, le cercueil dans lequel ce jeune homme est porté, c’est la conscience toujours alarmée du pécheur désespéré ; ceux qui le portent au tombeau sont les désirs impurs ou les flatteries des amis qui s’arrêtent aussitôt que le Seigneur touche le cercueil ; souvent, en effet, la conscience que touche la crainte des jugements de Dieu, rejette les voluptés charnelles et les louanges injustes, rentre en elle-même, et répond au Sauveur qui la rappelle à la vie. — S. Ambr. Si donc vous êtes coupable d’une grande faute que vous ne puissiez laver dans les larmes de la pénitence, recourez aux larmes de l’Église votre mère, que l’assemblée des fidèles vous aide aussi dans ce pieux travail, et vous sortirez du tombeau, et votre bouche s’ouvrira de nouveau à des paroles de vie, et tous seront saisis de crainte (car l’exemple d’un seul est profitable à tous ceux qui en sont témoins), et ils loueront Dieu qui nous a donné de si grands moyens d’éviter la mort. — Bède. ainsi Dieu a visité son peuple, non seulement lorsqu’il l’a incarné une fois dans un corps mortel, mais lorsqu’il ne cesse de l’envoyer dans les coeurs.

Théophyl. Par cette veuve, vous pouvez aussi entendre l’âme qui a perdu son époux, c’est-à-dire la parole divine ; son fils qui est emporté hors de la ville des vivants, c’est l’intelligence ; le cercueil, c’est son corps que plusieurs ont appelé un sépulcre. Or, aussitôt que le Seigneur le touche, il le relève, il rend la vie et la jeunesse à celui qui sort du péché et commence à parler et à instruire les autres ; car avant sa résurrection on n’eût point ajouté foi à ses paroles.

 

VV. 18—23.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Quelques-uns des disciples de Jean rapportèrent au saint Précurseur le miracle qu’avaient appris tous les habitants de la Judée et de la Galilée : « Cependant les disciples de Jean lui ayant annoncé, » etc. — Bède. Ce ne fut pas, je pense, dans une intention bien droite, mais par un sentiment de jalousie ; car nous les voyons ailleurs se plaindre de Jésus en ces termes : « Maître, celui qui était avec vous au delà du Jourdain, et auquel vous avez rendu témoignage, voilà qu’il baptise, et que tous vont à lui. » (Jn 3.) — S. Chrys. C’est surtout lorsque la nécessité nous presse, que nous devons nous élever jusqu’à Jésus, c’est pour cette raison que Jean, retenu dans les fers, envoie ses disciples à Jésus, alors qu’ils en avaient un plus grand besoin : « Jean-Baptiste appela deux de ses disciples, et les envoya vers Jésus pour lui dire : « Êtes-vous celui qui doit venir, » etc. — Bède. Il ne dit pas : Êtes-vous celui qui êtes venu ? mais : « Êtes-vous celui qui doit venir ? » c’est-à-dire : Je suis sur le point d’être mis à mort par Hérode, et de descendre aux enfers, faites-moi donc savoir si je dois annoncer votre arrivée dans les enfers, comme je l’ai annoncée sur la terre, ou bien si cette mission ne convenant pas au Fils de Dieu, vous devez en envoyer un autre pour l’accomplissement de ce mystère. — S. Cyr. Mais cette explication doit être entièrement rejetée ; nulle part, en effet, nous ne lisons dans les saintes Écritures que Jean-Baptiste ait annoncé la venue du Sauveur aux habitants des limbes. Il est vrai aussi de dire que le saint Précurseur connaissait toute l’étendue du mystère de l’incarnation du Fils de Dieu ; il savait donc, entre autres choses, qu’il devait porter la lumière à ceux qui habitaient les enfers, puisqu’il est mort pour tous les hommes, aussi bien pour les morts que pour les vivants. Mais comme les oracles de la sainte Écriture avaient prédit qu’il viendrait comme chef et comme Seigneur, et que les autres avaient été envoyés comme de simples serviteurs avant la venue du Christ, le Sauveur et le Seigneur de tous les hommes est appelé par les prophètes : « Celui qui vient, » ou « celui qui doit venir, » comme dans ce passage des Psaumes : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » (Ps 117), et dans cet autre du prophète Habacuc : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir, viendra sans tarder. » (Ha 2.) Jean-Baptiste emprunte donc cette manière de parler à la sainte Écriture, et envoie quelques-uns de ses disciples pour demander à Jésus s’il est celui qui vient, ou qui doit venir.

 

S. Ambr. Mais comment peut-il se faire qu’après avoir proclamé Jésus celui qui efface les péchés du monde, Jean-Baptiste ne reconnut pas encore en lui le Fils de Dieu ? car, ou c’est une témérité impardonnable que d’attribuer sans raison les attributs de la divinité à celui qu’il ne connaît pas, ou c’est une coupable infidélité que de douter qu’il soit le Fils de Dieu. Quelques-uns ont vu dans Jean-Baptiste un grand prophète éclairé d’en haut, pour reconnaître le Christ ; mais sans admettre que le doute soit entré dans son esprit, ils ont supposé que par un sentiment de pieuse affection, il avait cru que celui qu’il avait annoncé, ne serait pas sujet à la mort. Ce n’est donc point l’incrédulité, mais son amour pour le Sauveur qui est la cause de ce doute ; c’est ainsi que nous voyons saint Pierre dire à Jésus-Christ « A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne vous arrivera point. » (Mt 16.) — S. Cyr. (Trés., liv. 2, chap. 4.) Ou bien, c’est avec un dessein particulier que Jean-Baptiste fait cette question. Il connaissait, en effet, comme précurseur, le mystère de la passion du Christ ; mais il voulait que ses disciples apprissent par eux-mêmes l’excellence du Sauveur ; il envoie donc vers lui les plus sages d’entre eux, en leur recommandant de s’informer et d’apprendre de la bouche même du Sauveur, s’il était celui qu’on attendait : « Ces hommes étant donc venus, lui dirent : Jean-Baptiste nous a envoyés vous demander : Êtes-vous celui qui doit venir, » etc. Or, Jésus, sachant comme Dieu dans quelle intention Jean les avait envoyés et le motif de leur venue, opéra sous leurs yeux un grand nombre de miracles éclatants : « A cette heure même, Jésus guérit un grand nombre de personnes affligées, » etc. Il ne leur dit pas en termes exprès : « Je suis celui qui doit venir, » mais il leur en donne une plus grande certitude, et veut qu’ils puisent la foi en sa divinité dans des preuves sans réplique, avant de retourner vers celui qui les a envoyés. Il ne répond donc pas à la question, mais à l’intention de celui qui les a envoyés : « Alors il répondit aux envoyés : Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu, » c’est-à-dire : Racontez à Jean-Baptiste ce que vous avez entendu des prophètes, et ce que vous avez vu s’accomplir en moi-même. Il accomplissait, en effet, les merveilles que les prophètes avaient prédit de lui, et qu’il rappelle en leur disant : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, » etc.

 

S. Ambr. Ce témoignage était sans doute plus que suffisant pour que le saint Précurseur fût convaincu que Jésus était son Seigneur ; car c’est de lui que les prophètes avaient prédit : « Le Seigneur donne la nourriture à ceux qui ont faim, le Seigneur délie les captifs, il éclaire les aveugles, il redresse ceux qui sont courbés, et celui qui opère ces prodiges, règnera dans l’éternité. » (Ps 145.) Ce ne sont point les oeuvres de l’homme, mais les actes d’une puissance toute divine. De tels prodiges étaient rares, ou presque nuls avant l’Évangile ; Tobie est le seul que nous voyons recouvrer la vue, et ce fut un ange et non pas un homme qui le guérit. (Tb 11.) Élie a ressuscité des morts, mais à force de prières et de larmes (3 R 17), ici Jésus n’a besoin que de commander ; Élisée a guéri un lépreux, néanmoins ce ne fut point par l’autorité de son commandement, mais en figure d’un grand mystère. — Théophyl. C’était à la vue de ces prodiges, qu’Isaïe disait : « Dieu viendra lui-même et vous sauvera. Alors les yeux des aveugles verront le jour, et les oreilles des sourds seront ouvertes ; alors le boiteux bondira comme le cerf. » — Bède. Et ce qui n’est pas un miracle moins éclatant : « Les pauvres sont évangélisés, » c’est-à-dire que les pauvres d’esprit ou des biens de la terre sont éclairés intérieurement, de sorte que les pauvres et les riches ont également part à la grâce de la prédication. C’est là une preuve de la vérité du Maître, que tous ceux qu’il peut sauver soient égaux devant lui. — S. Ambr. Et cependant ce sont là encore de faibles témoignages de la divinité du Sauveur ; ce qui donne à la foi toute sa plénitude, c’est la croix du Seigneur, sa mort, sa sépulture. Voilà pourquoi il ajoute : « Et bienheureux celui qui ne se sera pas scandalisé de moi. » La croix, en effet, pourrait être un sujet de scandale, même pour les élus, et cependant c’est la plus grande preuve de la divinité du Christ ; car il n’y a rien qui soit plus au-dessus de l’humanité que de s’être offert seul pour le salut du monde entier. — S. Cyr. Peut-être aussi voulait-il les convaincre par là, qu’aucune des pensées de leur coeur ne pouvait échapper à ses regards ; car c’étaient eux-mêmes qui se scandalisaient de sa personne divine.

S. Ambr. Nous avons dit plus haut que Jean était la figure de la loi qui a été comme le précurseur du Christ. Jean-Baptiste envoie donc ses disciples vers Jésus-Christ pour donner à leur science toute sa perfection ; car le Christ est la plénitude de la loi. Ces deux disciples peuvent aussi figurer les deux peuples, les Juifs qui embrassèrent la foi, et les Gentils qui crurent après avoir entendu. Ils voulaient voir de leurs yeux, parce que bienheureux sont les yeux qui voient. Mais lorsqu’ils sont parvenus jusqu’à l’Évangile, et qu’ils ont reconnu que les aveugles ont recouvré la vue, que les boiteux marchent, etc. ; alors ils diront : « Nous avons vu de nos yeux. » (1 Jn 1.) Car nous nous figurons que nous voyons ce que nous lisons ; ou bien encore, il nous semble que nous avons parcouru toute la suite de la passion du Sauveur dans quelque partie de notre corps ; car c’est par quelques-uns seulement que la foi s’est étendue à la multitude des fidèles. Ainsi la loi annonçait le Christ qui devait venir, et l’Évangile confirme sa venue.

 

VV. 24—28.

S. Cyr. (Tres., 2, 24.) Le Seigneur qui pénétrait le secret des coeurs, comprit qu’il s’en trouverait pour dire : Si Jean-Baptiste a été jusqu’à ce jour sans connaître Jésus, comment a-t-il pu le montrer au peuple en disant : « Voici l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde ? » C’est donc pour guérir cette impression défavorable, qu’il éloigne de leur esprit ce qui pouvait être pour eux un sujet de scandale : « Lorsque les envoyés de Jean furent partis, il commença à dire au peuple, en parlant de Jean : Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ? un roseau agité par le vent ? » comme s’il disait : Vous avez été pleins d’admiration pour Jean-Baptiste, bien des fois vous avez été le trouver malgré les difficultés d’un voyage long et pénible dans le désert. Or, pourquoi cette admiration, cet empressement, si vous le croyez léger comme le roseau qui plie à tous les vents ? car voilà ce qu’il serait, si par légèreté d’esprit, il déclarait ignorer ce qu’il a connu. — Tite. Mais vous n’auriez point quitté les villes pour vous enfoncer dans le désert qui ne peut vous offrir aucun agrément, si vous n’aviez de cet homme une plus haute idée. — Siméon. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur attendit le départ des disciples pour parler ainsi de Jean-Baptiste, il n’avait pas voulu faire en leur présence l’éloge du saint Précurseur, voulant éviter tout ce qui aurait l’apparence de la flatterie. — S. Ambr. Ce n’est point sans raison que le Sauveur fait ici l’éloge de Jean-Baptiste qui, sacrifiant généreusement l’amour de la vie aux intérêts de la vérité et de la justice, demeura inébranlable en face même de la mort. Ce monde, en effet, peut être comparé à un désert stérile et inculte, où le Seigneur nous défend de marcher sur les traces, et en suivant les exemples de ces hommes remplis des pensées de la chair, vides de toute vertu intérieure, et qui s’enorgueillissent de l’éclat fragile de la gloire mondaine. Constamment agités par les tempêtes de ce monde, ils sont toujours en proie à la mobilité de leurs désirs, et méritent par là d’être comparés à des roseaux. — Siméon. Le vêtement de Jean-Baptiste est un témoignage de la sainteté de sa vie, aussi bien que la prison, où il est détenu ; car jamais il n’aurait été jeté dans les fers, s’il eût flatté les passions des princes : « Qu’êtes-vous allés voir ? un homme vêtu avec mollesse ? Mais ceux qui portent des vêtements précieux et vivent dans les délices, habitent les maisons des rois. » Ces hommes vêtus mollement, représentent ceux qui passent leur vie dans les délices. — S. Chrys. (hom. 29 sur l’Ep. aux Héb.) La mollesse des vêtements affaiblit la vigueur de l’âme, et le corps fût-il ami de l’austérité et de la mortification, est bientôt énervé par cette molle délicatesse. Or, quand le corps est amolli, l’âme ne tarde pas à l’être ; car les inclinations de l’âme sont presque toujours conformes aux dispositions du corps. — S. Cyr. (Très., 2, 4.) Comment donc Jean-Baptiste, avec ce soin religieux de soumettre les passions de la chair, aurait-il pu tomber dans une si grande ignorance, sinon par la légèreté d’un esprit qui a horreur des austérités, et se laisse séduire par les délices du monde ? Si donc Jean vous paraît digne d’imitation, parce qu’il fuit cette vie délicate et mondaine, accordez-lui la fermeté qui convient à cette vie mortifiée ; si au contraire, vous ne devez rien à cette vie pénitente et austère, pourquoi donc refuser votre admiration aux délices du monde, pour l’accorder à cet habitant du désert, à l’antre misérable qui lui sert de demeure, et à la peau de chameau dont il est couvert.

S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Par ces deux comparaisons, le Sauveur veut faire comprendre que Jean-Baptiste n’était point d’un caractère mobile et inconstant, et qu’aucune volonté n’était capable de le faire fléchir. — S. Ambr. Bien qu’il soit vrai de dire que la recherche de la mollesse dans les vêtements, énerve la vigueur de l’âme dans le plus grand nombre ; Notre-Seigneur paraît vouloir indiquer ici un autre genre de vêtement, c’est-à-dire le corps dont notre âme est comme revêtue. Ces vêtements délicats sont les oeuvres de la volupté et du plaisir. Or, ceux qui laissent énerver leurs membres au contact de ces fausses délices sont bannis du royaume des cieux ; les princes de ce monde et les puissances des ténèbres s’en emparent ; car ils sont les rois qui exercent leur empire absolu sur les imitateurs de leurs oeuvres.

S. Cyr. (Trés., 2, 4.) Mais vous jugez sans doute qu’il est superflu d’excuser Jean-Baptiste de légèreté et de mollesse, puisque vous avouez qu’il est digne d’imitation ; alors : « Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un prophète. Oui, je vous le dis, et plus qu’un prophète, car les prophètes prédisaient seulement qu’il allait venir ; mais pour Jean-Baptiste, non seulement il a prédit sa venue, mais il a démontré sa présence au milieu des hommes, lorsqu’il a dit : Voici l’agneau de Dieu. » — S. Ambr. Oui certes, il est plus grand ou plus qu’un prophète, lui qui atteint la fin que se proposaient les prophètes, car beaucoup ont désiré contempler celui qu’il a mérité de voir et de baptiser (Mt 13 ; Lc 10). — S. Cyr. (Trés., 2, 4.) Après avoir fait l’éloge de la vie de Jean-Baptiste et par le lieu qu’il habitait, et par ses vêtements, et par le concours qui se faisait autour de lui, Notre-Seigneur cite en sa faveur le témoignage du prophète Malachie : « C’est de lui qu’il est écrit : Voilà que j’envoie mon ange. » — Tite de Bostr. Il lui donne le nom d’ange, non pas qu’il le fût en réalité, puisqu’il était homme par nature, mais parce qu’il remplissait les fonctions d’un ange en annonçant la venue du Christ. — Siméon. Ces paroles : « Devant votre face, » nous montrent les rapports étroits de Jean-Baptiste avec Jésus-Christ ; il parut, en effet, au moment de la venue de Jésus-Christ, et c’est pour cela que nous devons l’estimer plus qu’un prophète, car ceux qui, dans les armées, se tiennent aux côtés du roi, sont les premiers dignitaires du royaume et ses familiers les plus intimes.

 

S. Ambr. Jean-Baptiste a préparé la voie au Seigneur, non seulement par le caractère miraculeux de sa naissance, et par la prédication de la foi, mais en précédant Jésus dans sa glorieuse passion : « Qui préparera la voie devant vous. » — S. Ambr. Mais si Jésus-Christ est prophète, comment Jean-Baptiste est-il plus grand que tous les prophètes ? Il est le plus grand de ceux qui sont nés de la femme et non d’une vierge, c’est-à-dire, qu’il a été le plus grand de tous ceux qui lui étaient semblables par leur naissance : « Je vous le dis, parmi ceux qui sont nés des femmes, il n’est point de prophète plus grand que Jean-Baptiste. » — S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Il suffisait sans doute de ce témoignage rendu par le Sauveur, que Jean était le plus grand des enfants des hommes ; cependant, si vous voulez voir cette vérité confirmée par les faits, considérez quelle était la nourriture du saint Précurseur, sa vie, sa grandeur d’âme ; en effet, il vivait sur la terre comme un homme descendu du ciel, ne prenant aucun soin de son corps, l’esprit toujours occupé des pensées du ciel, uni à Dieu seul, n’ayant aucun souci des choses de la terre ; sa Parole était à la fois pleine de sévérité et de douceur ; il parlait au peuple juif avec vigueur et fermeté, au roi Hérode avec courage, et il instruisait ses disciples avec douceur ; rien de vain et de léger dans sa conduite toujours pleine de dignité. — S. Isid. Jean est encore le plus grand de ceux qui sont nés de la femme, parce qu’il prophétisa dans le sein même de sa mère, et qu’au milieu des ténèbres qui l’environnaient, il reconnut la lumière qui allait éclairer l’univers.

 

S. Ambr. Il est si vrai qu’il ne pouvait exister aucune comparaison entre Jean-Baptiste et le Fils de Dieu, que le Sauveur le place même au-dessous des anges : « Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. » — Bède. Ce passage peut être interprété de deux manières, ou bien par ce royaume de Dieu, le Sauveur veut entendre ce royaume dont nous ne sommes pas encore en possession et qu’habitent les anges ; or, le plus petit dans ce royaume est plus grand que tout juste revêtu de ce corps qui appesantit l’âme. (Sg 9, 15.) Ou bien, le royaume de Dieu, dans l’intention du Sauveur, c’est l’Église du temps présent, et alors c’est de lui-même que Notre-Seigneur veut parler, lui qui est inférieur à Jean par la date de sa naissance, mais qui est plus grand par son autorité divine et par sa souveraine puissance. Dans le premier sens, il faut donc ainsi séparer les membres de cette proposition : « Celui qui est le plus petit dans le royaume de Dieu, » ajoutez : « Est plus grand que lui ; » dans le second sens : « Celui qui est plus petit que lui, » ajoutez : « Dans le royaume de Dieu est plus grand que lui. » — S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Notre-Seigneur fait cette réserve, de peur que la grandeur des louanges qu’il vient de donner à Jean-Baptiste, ne fût pour les Juifs une occasion de le mettre au-dessus du Christ. Ne croyez pas cependant qu’il ait voulu établir une comparaison en déclarant que Jean est plus grand que lui. — S. Ambr. En effet, sa nature est toute différente et ne peut être comparée en aucune façon à la nature humaine, car nulle comparaison n’est possible entre Dieu et l’homme.

S. Cyr. Dans le sens mystique, en même temps que le Sauveur proclame la supériorité de Jean-Baptiste sur tous les enfants des femmes, il lui oppose quelque chose de plus grand, celui qui devient Fils de Dieu par la naissance qu’il reçoit de l’Esprit saint, car le royaume du Seigneur, c’est l’Esprit de Dieu. Aussi, bien que sous le rapport des oeuvres et de la sainteté de la vie, nous soyons inférieurs à ceux qui ont pénétré le mystère de la loi, et dont Jean-Baptiste est la figure ; cependant nous nous élevons plus haut par Jésus-Christ qui nous rend participants de la nature divine (2 P 1, 4).

 

VV. 29—35.

S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Après avoir fait l’éloge de Jean-Baptiste, le Sauveur fait ressortir le crime énorme des pharisiens et des docteurs de la loi qui, même après l’exemple donné par les publicains, n’ont pas voulu recevoir le baptême de Jean. — S. Ambr. Dieu est justifié dans le baptême, lorsque les hommes se justifient eux-mêmes en confessant leurs péchés. En effet, celui qui, après avoir péché, confesse à Dieu ses fautes, justifie Dieu, en se soumettant au pouvoir de ce vainqueur, et en espérant de lui la grâce du salut. — Eusèbe. Ceux qui ont cru ont aussi justifié Dieu, car ils l’ont trouvé juste dans toutes ses œuvres. Les pharisiens, au contraire, qui refusaient d’écouter Jean-Baptiste, par un sentiment de désobéissance, se mettaient en opposition avec ces paroles du prophète : « Afin que vous soyez reconnu juste dans vos paroles. » (Ps 50.) « Or, les pharisiens et les docteurs de la loi ont méprisé le conseil de Dieu, » etc. — Bède. Cette réflexion est de l’Évangéliste, ou de Notre-Seigneur lui-même (comme plusieurs le pensent) ; cette expression : « Sur eux, » ou : « Contre eux, » signifie que celui qui méprise la grâce de Dieu, agit contre ses intérêts, ou bien encore, le Sauveur condamne ici la conduite de ces insensés et de ces ingrats, qui n’ont pas voulu recevoir le conseil que Dieu leur manifestait. Or, le conseil de Dieu, c’est le décret de sauver le monde par la passion et la mort de Jésus-Christ, conseil que les pharisiens et les docteurs de la loi ont méprisé. — S. Ambr. Gardons-nous de mépriser, à l’exemple des pharisiens, le conseil de Dieu. Ce conseil de Dieu s’est manifesté dans le baptême de Jean-Baptiste, qui donc peut douter qu’il se manifeste également dans le baptême de Jésus-Christ ? C’est le conseil dont l’ange du grand conseil est l’auteur, et que personne ne connaît : « Car qui connaît les desseins de Dieu (Rm 11) ? » Personne ne méprise le conseil d’un homme, qui oserait rejeter le conseil de Dieu.

 

S. Cyr. Voici l’espèce de jeu auquel se livraient les enfants des Juifs : une troupe d’enfants se partageaient en deux pour se jouer des vicissitudes si rapides de la vie présente ; les uns chantaient, et les autres se lamentaient ; mais ni ceux qui pleuraient ne participaient à la joie de ceux qui chantaient, ni ceux qui se réjouissaient ne prenaient part à la tristesse de ceux qui pleuraient, et alors ils se reprochaient mutuellement leur absence de sympathie. C’est l’image de la conduite du peuple juif et des princes des prêtres, au témoignage de Jésus-Christ : « A qui donc comparerai-je les hommes de cette génération et à qui sont-ils semblables ? Ils sont semblables à des enfants, » etc. — Bède. La génération présente des Juifs est comparée à des enfants, parce qu’ils avaient autrefois pour docteurs les prophètes dont il est écrit : « Vous avez tiré la louange la plus parfaite de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle (Ps 8). » — S. Ambr. Or, les prophètes ont chanté, proclamant dans leurs mélodies spirituelles les oracles du salut du monde ; ils ont pleuré pour attendrir par leurs plaintives lamentations les coeurs endurcis des Juifs. Ce n’était ni dans le Forum, ni sur les places publiques que ces chants se faisaient entendre, mais dans la ville de Jérusalem, car cette ville est comme le Forum du Seigneur, où se publient les droits immuables des commandements célestes. Les chants et les lamentations ne sont que l’effet d’une émotion vive de joie et de tristesse. Les instruments de musique laissent échapper une mélodie sympathique qui porte l’homme à manifester les sentiments intérieurs qu’elle fait naître par le mouvement cadencé de son pied ou de tout son corps ; voilà pourquoi ces enfants disent : « Nous avons chanté et vous n’avez pas dansé ; » « nous nous sommes lamentés et vous n’avez point pleuré. » — S. Aug. (Quest. évang., 2, 11.) Notre-Seigneur fait ici allusion à la conduite dès Juifs à l’égard de Jean-Baptiste et de Jésus-Christ : « Ces paroles : Nous nous sommes lamentés et vous n’avez point pleuré, » se rapportent à la prédication de Jean-Baptiste, qui, par l’austérité de sa manière de vivre, figurait la tristesse de la pénitence ; aussi Notre-Seigneur ajoute : « Car Jean-Baptiste est venu ne mangeant point de pain et ne buvant point de vin, » et vous dites : « Il est possédé du démon. » — S. Cyr. Ils osent incriminer un homme digne de toute leur admiration, et ils traitent de possédé celui qui mortifiait la loi du péché cachée dans nos membres. — S. Aug. (Quest. év., 2, 11.) Les paroles qui précèdent : « Nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé, » sont une allusion à Notre-Seigneur lui-même, qui, en adoptant la manière de vivre ordinaire des hommes avec lesquels il mangeait et buvait, était la figure de la joie du royaume : « Le Fils de l’homme est venu mangeant et buvant, » etc. — Tite de Bostr. Jésus-Christ, en effet, n’a point voulu s’interdire l’usage de ces aliments pour ôter tout prétexte aux hérétiques (cf. 1 Tm 4), qui disent que les créatures sont mauvaises et qui condamnent l’usage des viandes et du vin. — S. Cyr. Mais où ont-ils donc trouvé que le Seigneur était un homme de bonne chère ? Ne voyons-nous pas au contraire qu’en toute circonstance il se garde de tout excès et conseille la tempérance et la modération ? Il ne dédaignait pas, il est vrai, d’entrer en relations avec les publicains et les pécheurs, aussi l’accusaient-ils d’être « l’ami des publicains et des pécheurs, » bien que cette fréquentation ne pût lui être aucunement nuisible, mais qu’elle devint, au contraire, pour les pécheurs la cause de leur conversion et de leur salut. En effet, est-ce que le soleil qui inonde toute la terre de ses rayons, contracte la moindre souillure, parce que sa lumière pénètre les corps immondes ? Comment donc le soleil de justice pourrait-il éprouver la moindre altération dans ses rapports avec les méchants. Cependant gardons-nous tous, qui que nous soyons, de prétendre aux mêmes privilèges que Jésus-Christ, mais à la vue de notre propre fragilité, évitons le commerce des méchants, car les mauvaises conversations corrompent les bonnes moeurs (1 Co 15).

« Et la sagesse a été justifiée par tous ses enfants. » — S. Ambr. Le Fils de Dieu est la sagesse de Dieu par nature et non par le progrès de l’âge ou de l’étude ; cette sagesse est justifiée dans le baptême, lorsqu’elle n’est pas rejetée par opiniâtreté, mais qu’elle est reçue par la justice comme une grâce de Dieu. La justification de Dieu consiste donc à ce que ses dons soient communiqués, non à ceux qui s’en rendent indignes par leurs crimes, mais à ceux qui sont devenus justes et saints par le baptême. — S. Chrys. (hom. sur les Psaumes.) Il appelle les sages les fils de la sagesse, car c’est la coutume de l’Écriture, de désigner les méchants par le mal qu’ils commettent, et d’appeler les bons, fils de la vertu qui les caractérise. — S. Ambr. Il dit avec raison : « Par tous ses enfants, » car la justice doit s’exercer sur tous les hommes, sur les justes, pour leur salut, sur les infidèles pour leur condamnation. — S. Aug. (Quest. évang.) Ou bien encore, ces paroles : « La sagesse a été justifiée par tous ses enfants, » nous font entendre que les fils de la sagesse comprennent que la justice ne consiste ni à se permettre, ni à s’interdire la nourriture, mais à supporter la pauvreté avec patience, car ce n’est point l’usage modéré, mais la sensualité qui est ici coupable, et rien de plus légitime que de se conformer pour le choix des aliments aux habitudes de ceux avec lesquels vous êtes appelé à vivre.

 

Vv. 36-50.

Bède. L’Évangéliste venait de dire : « Et tout le peuple qui l’écoutait, reconnut la justice de Dieu, s’étant fait baptiser du baptême de Jean ; » il établit maintenant par des faits la même vérité, c’est-à-dire que la sagesse a été justifiée par les justes et par les pêcheurs repentants. « Or, un des pharisiens le pria de manger avec lui, » etc. — S. Grég. de Nysse. (sur la femme pécher.) Ce récit renferme une leçon des plus utiles. En effet, la plupart de ceux qui se croient justes, enflés par la présomption et la vanité de leurs pensées, se séparent eux-mêmes comme des agneaux qui se séparent des boucs, avant que le jugement véritable vienne faire ce discernement ; ils refusent de manger avec la foule, et ils ont en abomination tous ceux qui fuient les extrêmes, et gardent le juste milieu dans la conduite de la vie. Or, saint Luc, médecin des âmes bien plus que des corps, nous montre Dieu lui-même et notre Sauveur visitant avec bonté tous les hommes : « Il entra dans la maison du pharisien et se mit à table, » non pour prendre quelque chose de sa vie coupable, mais pour le rendre participant de sa propre justice.

S. Cyr. Cependant une femme de mauvaise vie, mais conduite par un sentiment d’amour divin, vient trouver Jésus-Christ, comme celui qui peut la délivrer de toutes ses fautes, et lui accorder le pardon de ses crimes : « Et voilà qu’une femme, connue dans la ville pour pécheresse, apporta un vase de parfums, » etc. — Bède. L’albâtre est une espèce de marbre nuancé de diverses couleurs, on en fait des vases destinés à contenir des parfums, qu’ils conservent, dit-on, sans altération. — S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Cette femme a considéré les souillures dont l’a couverte sa vie infâme, elle accourt donc pour se purifier à la source même de la miséricorde, elle ne rougit point de paraître au milieu des convives ; car elle éprouve intérieurement une si grande honte d’elle-même, qu’elle compte pour rien celle qui lui vient du dehors. Voyez quelle douleur consume cette femme qui ne rougit point de verser des larmes au milieu des joies d’un festin. — S. Grég. de Nysse. Profondément convaincue de son indignité, elle se tient derrière Jésus, les yeux baissés et les cheveux épars, elle embrasse ses pieds et les inonde de larmes, elle manifeste ainsi par ses actes la tristesse de son âme, et implore son pardon : « Et se tenant derrière lui, elle commença à arroser ses pieds de ses larmes, » etc. — S. Grég. Ses yeux avaient convoité toutes les jouissances de la terre, mais maintenant par la pénitence, elle en éteint le feu dans un déluge de larmes ; elle avait fait servir ses cheveux à rehausser la beauté de son visage, elle s’en sert pour essuyer ses larmes : « Et elle essuyait les pieds du Sauveur avec ses cheveux. » Sa bouche s’était ouverte à des paroles inspirées par l’orgueil ; elle baise les pieds du Sauveur, et imprime ses lèvres sur les pieds du Rédempteur : « Et elle baisait ses pieds. » Elle avait employé les parfums pour donner à son corps une agréable odeur, et ce qu’elle avait honteusement prodigué pour elle-même, elle en fait à Dieu un admirable sacrifice : « Et elle les oignait de parfum. » Ainsi, autant elle a trouvé de jouissances en elle-même, autant elle offre maintenant d’holocaustes ; elle égale le nombre de ses vertus au nombre même de ses crimes ; elle veut que tout ce qui en elle a été un instrument pour outrager Dieu, devienne un instrument de pénitence pour lui plaire. — S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Ainsi cette femme de mauvaise vie devient plus vertueuse que les vierges ; car à cette pénitence si pleine de ferveur, succède un amour plus ardent pour Jésus-Christ. Et nous ne parlons ici que de ce qui se passait à l’extérieur ; car quelle ferveur bien plus grande dans les sentiments qui agitaient son âme, et dont Dieu seul était témoin !

 

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) En voyant ce spectacle, le pharisien n’a que du mépris pour cette femme, et il fait tomber ses reproches non seulement sur elle, qui ose venir trouver Jésus, mais sur le Seigneur qui l’accueille avec bonté : « Ce que voyant le pharisien qui l’avait invité, il dit en lui-même : Si cet homme était prophète, il saurait qui est celle qui le touche, et que c’est une pécheresse. » Voilà ce pharisien avec son orgueil trop véritable et sa fausse justice, qui fait un crime au malade de son infirmité, et au médecin des soins qu’il lui prodigue. Sans doute, si cette femme se fût jetée à ses pieds, il l’aurait repoussée violemment avec dédain ; il se fût imaginé que ce contact allait souiller son âme, parce qu’il n’était pas rempli de la véritable justice. C’est ainsi que quelques-uns de ceux qui exercent le ministère pastoral, dès qu’ils pratiquent quelques oeuvres médiocres de justice, regardent avec mépris ceux qui leur sont soumis, et affectent du dédain pour tous les pécheurs qu’ils rencontrent. Nous devons, au contraire, lorsque nous considérons l’état malheureux des pécheurs, déplorer dans leur calamité notre propre malheur, à la pensée que nous sommes déjà tombés, ou que nous pouvons tomber dans les mêmes fautes. Il faut d’ailleurs faire usage d’un grand discernement, nous devons être sévères pour les vices, pleins de compassion pour les personnes ; si le pécheur doit être puni, le prochain a droit à notre charité. Je vais plus loin, et je dis que dès que le pécheur châtie lui-même par la pénitence le mal qu’il a fait, il cesse d’être pécheur, puisqu’il punit en lui-même ce que la justice divine condamne. Notre-Seigneur se trouvait donc entre deux malades, mais l’un, jusque dans sa fièvre, conservait l’usage de la raison, tandis que l’autre avait perdu l’esprit ; la femme pécheresse pleurait les fautes qu’elle avait commises ; le pharisien, au contraire, fier de sa fausse justice, exagérait la force de sa santé.

Tite de Bost. Cependant Notre-Seigneur qui, sans entendre les paroles du pharisien, voyait les pensées de son âme, lui prouve qu’il est le Seigneur des prophètes : « Et Jésus lui répondant, lui dit : Simon, j’ai quelque chose à vous dire. » La Glose. Il répond ici à la pensée du pharisien, que cette parole rend plus attentif : « Il répondit Maître, dites. » — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Le Sauveur établit une comparaison entre deux débiteurs, dont l’un doit plus, et l’autre moins : « Un créancier avait deux débiteurs, » etc. — Tite. Comme s’il disait : Vous-même vous n’êtes pas sans quelque dette. Or, si vous êtes tenu par une dette quelconque, pourquoi vous enorgueillir, puisque vous avez vous-même besoin de pardon ? C’est à ce pardon que Jésus fait allusion en ajoutant : « Comme ils n’avaient pas de quoi payer leur dette, il la leur remit à tous deux. » La Glose. Car nul ne peut par lui-même être délivré de la dette du péché, si la grâce de Dieu ne lui octroie son pardon. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Chacun des deux débiteurs ayant obtenu la remise de sa dette, Notre-Seigneur demande au pharisien lequel des deux devra plus aimer son bienfaiteur : « Lequel l’aimera davantage ? Le pharisien répond aussitôt : Celui, je pense, auquel il a le plus remis. »

Remarquez que le pharisien est ici condamné par son propre aveu, et que, comme un insensé atteint de frénésie, il porte la corde qui doit servir à l’enchaîner : « Jésus lui dit : Vous avez bien jugé. » Il énumère alors tous les actes de vertu de cette pécheresse, et toutes les actions répréhensibles de ce faux juste : « Et se tournant vers la femme, il dit à Simon : Voyez-vous cette femme ? Je suis entré dans votre maison, vous ne m’avez point donné d’eau pour me laver les pieds ; elle, au contraire, a arrosé mes pieds de ses larmes. » — Tite de Bost. C’est-à-dire : Rien de plus facile que de présenter de l’eau, mais il n’est pas aussi facile de verser des larmes ; vous ne m’avez pas donné ce qui vous était si facile, elle, au contraire, a versé sur mes pieds des larmes plus difficiles à répandre. Or, en lavant mes pieds avec ses larmes, elle a lavé ses propres souillures ; elle les a essuyés avec ses cheveux, pour s’appliquer mes divines sueurs, et tout ce qui lui a servi à séduire, à entraîner la jeunesse dans le péché, elle l’a employé à poursuivre et à rechercher la sainteté.

 

S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Lorsque la pluie est tombée avec abondance, le ciel reprend sa sérénité ; ainsi après une abondante effusion de larmes, le calme renaît, le nuage de nos crimes se dissipe, et nous sommes purifiés de nouveau par les larmes et la confession, comme nous avons été autrefois régénérés par l’eau et par l’esprit : « C’est pourquoi, je vous le dis : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé. » En effet, ceux qui se sont jetés à corps perdu dans le mal, se livrent avec autant d’énergie à la pratique du bien, au souvenir des dettes qu’ils ont contractées. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Plus donc le coeur du pécheur brûle du feu de la charité, plus aussi ce feu consume la rouille et les souillures du péché. — Tite de Bost. Il arrive souvent, en effet, qu’un grand pécheur obtient par la confession le pardon de ses fautes, tandis que celui qui n’est coupable que de fautes légères, refuse, par orgueil, de recourir au remède de la confession, comme l’indiquent les paroles suivantes : « Celui à qui on remet moins, aime moins. » — S. Chrys. (hom. 68 sur S. Matth.) Ayons donc une âme pleine de ferveur ; car rien ne s’oppose à ce que nous parvenions à la perfection la plus éminente ; que personne parmi les pécheurs ne désespère de son salut ; que personne parmi les justes ne se laisse aller au relâchement ; que le juste se garde d’une confiance présomptueuse (car souvent une femme de mauvaise vie le précédera dans le royaume des cieux) ; que le pécheur ne se décourage point ; car il peut s’élever au-dessus même des plus parfaits : « Puis il dit à cette femme : Vos péchés vous sont remis. »

 

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Cette femme donc qui était venue malade trouver le médecin, obtient sa guérison, mais cette guérison même devient pour ceux qui en sont témoins une cause de maladie : « Et ceux qui étaient à table avec lui, dirent en eux-mêmes : Qui est celui-ci qui remet même les péchés ? » Mais le céleste médecin n’a point d’égard pour ces malades dont l’état ne fait qu’empirer par l’effet même des remèdes qui devaient les sauver, tandis qu’il fortifie par une parole de miséricorde celle qu’il venait de guérir : Mais Jésus dit encore à cette femme : Votre foi vous a sauvée, » parce qu’en effet, elle n’a point hésité de croire qu’elle obtiendrait ce qu’elle demandait. — Théophyl. Notre-Seigneur ne se contente pas de lui accorder la rémission de ses péchés, il ajoute la grâce de faire le bien : « Allez en paix » (c’est-à-dire dans la justice) ; car la justice est la paix de l’homme avec Dieu, comme le péché est la guerre entre Dieu et l’homme ; ce qui revient à dire : Faites tout ce qui peut vous conduire à la paix de Dieu,

S. Ambr. Il en est beaucoup pour qui ce fait évangélique est une source d’embarras, et qui se demandent si les Évangélistes ne sont point ici en contradiction. — Sévère. (Ch. des Pèr. gr.) Comme les quatre Évangélistes racontent qu’une femme a répandu des parfums sur Jésus-Christ, je crois, eu égard à la condition des personnes, à leur manière d’agir, à la différence des temps, que ce sont trois personnes différentes. Ainsi saint Jean raconte de Marie, soeur de Lazare, que six jours avant la fête de Pâques, elle oignit les pieds de Jésus dans sa propre maison. Saint Matthieu, après ces paroles du Seigneur : « Vous savez que la pâque se fera dans deux jours, » ajoute, qu’à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme répandit des parfums sur la tête du Seigneur, et non sur ses pieds, comme Marie. Le récit de saint Marc est conforme à celui de saint Matthieu. Saint Luc enfin place ce fait, non aux approches de la fête de Pâques, mais au milieu de son Évangile. Saint Chrysostome prétend qu’il y a ici deux femmes différentes : l’une dont parle saint Jean, la seconde dont il est question dans les trois autres Évangélistes. — S. Ambr. Saint Matthieu nous rapporte que cette femme répandait ses parfums sur la tête de Jésus-Christ, aussi ne lui donne-t-il pas le nom de pécheresse ; car d’après saint Luc, cette femme pécheresse répandit ces parfums sur les pieds de Jésus-Christ. On peut donc admettre que ce sont deux personnes différentes, pour justifier les Évangélistes du reproche de contradiction. On peut aussi résoudre différemment cette question, en tenant compte de la différence de mérite et de temps, c’est-à-dire que la même personne, d’abord pécheresse, était depuis entrée dans les voies de la perfection. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 39.) On peut aussi admettre que la même personne, appelée Marie, a répété la même action, une première fois, lorsque, comme le raconte saint Luc, elle s’approcha dans l’humiliation et dans les larmes, et obtint la rémission de ses péchés. Voilà pourquoi saint Jean avant de raconter la résurrection de Lazare, et lorsque Jésus n’était pas encore venu en Béthanie, s’exprime de la sorte : « Or, Marie était celle qui avait répandu des parfums sur le Seigneur, et lui avait essuyé les pieds avec ses cheveux, et Lazare, qui était malade, était son frère : » donc Marie avait déjà fait cette même action ; elle la répète à Béthanie, sans que saint Luc en parle, parce qu’elle n’entrait point dans l’ordre de son récit, mais elle est racontée par les trois autres Évangélistes.

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Dans le sens mystique, le pharisien qui présume de sa fausse justice, c’est le peuple juif ; cette femme pécheresse qui se jette aux pieds du Seigneur, et les arrose de ses larmes, c’est la Gentilité convertie au vrai Dieu. — S. Ambr. Ou bien encore, le lépreux, c’est le prince du monde, et la maison de Simon le lépreux, c’est toute la terre. Or, le Seigneur est descendu des hauteurs des cieux sur la terre, parce que cette femme qui est la figure de l’âme et de l’Église, ne pouvait obtenir sa guérison, si le Christ n’était venu sur la terre. Elle nous apparaît sous la forme d’une pécheresse, parce que Jésus-Christ lui-même a pris la forme d’un pécheur. Supposez donc une âme qui s’approche sincèrement de Dieu, qui loin d’être esclave de ces crimes honteux, et qui blessent ouvertement la pudeur, obéit à la parole de Dieu avec amour et dans la confiance d’une chasteté inviolable ; elle s’élève jusqu’à la tête de Jésus-Christ, et la tête de Jésus-Christ, c’est Dieu. (1 Co 11.) Mais que celui qui ne peut arriver jusqu’à la tête de Jésus-Christ, se tienne humblement à ses pieds, le pécheur à ses pieds, le juste près de sa tête ; mais cependant l’âme qui a péché, a aussi son parfum.

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Que figure ce parfum, si ce n’est l’odeur d’une bonne renommée ? Si donc nous faisons des bonnes oeuvres, dont la réputation se répande comme un parfum par toute l’Église, nous répandons dans un sens véritable des parfums sur le corps du Seigneur. Cette femme se tenait à côté des pieds du Seigneur ; car nous nous tenions directement contre ses pieds, lorsque vivant au milieu de nos péchés, nous résistions en quelque sorte à ses voies ; mais lorsqu’après nos péchés, nous revenons à lui dans les sentiments d’une véritable pénitence, alors nous nous tenons derrière lui, à ses pieds ; parce que nous suivons alors ses traces auxquelles nous faisions alors profession de résister. — S. Ambr. Vous donc aussi qui avez péché, rentrez dans les voies de la pénitence, accourez partout où vous entendrez le nom de Jésus-Christ, hâtez-vous de vous rendre dans toute maison où vous apprenez que Jésus est entré ; lorsque vous aurez trouvé la sagesse assise dans quelque demeure secrète, accourez vous jeter à ses pieds, c’est-à-dire cherchez d’abord le dernier degré de la sagesse, et confessez vos péchés dans les larmes. Peut-être Jésus-Christ ne lava point ses pieds dans cette circonstance, afin que nous les lavions nous-mêmes dans les larmes ; heureuses larmes qui peuvent non seulement laver nos fautes, mais arroser les pieds du Verbe divin, pour que ses pas deviennent pour nous une source abondante de grâces ! Larmes précieuses qui sont non seulement la rédemption des pécheurs, mais la nourriture des justes ; car c’est la voix d’un juste qui fait entendre ces paroles : « Mes larmes m’ont servi de pain le jour et la nuit ». — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Nous lavons les pieds du Seigneur de nos larmes, lorsque par un sentiment d’affectueuse compassion, nous nous abaissons jusqu’aux membres les plus humbles du Seigneur ; nous essuyons ses pieds avec nos cheveux, lorsque la charité nous porte à secourir de notre superflu les saints serviteurs de Dieu. — S. Ambr. Déroulez aussi vos cheveux, jetez à ses pieds tout ce qui sert d’ornement à votre corps ; les cheveux ne sont vraiment point méprisables, puisqu’ils sont jugés dignes d’essuyer les pieds de Jésus-Christ. — S. Grég. Cette femme baise les pieds du Sauveur après les avoir essuyés, c’est ce que nous faisons nous-même, lorsque nous aimons tendrement ceux dont nous avons secouru la pauvreté par nos largesses. Par les pieds du Seigneur, on peut encore entendre le mystère de l’incarnation ; nous baisons donc les pieds du Rédempteur, lorsque nous nous attachons de tout notre coeur au mystère de son incarnation, nous répandons des parfums sur ses pieds, lorsque nous annonçons la puissance de son humanité par la bonne renommée de la parole sainte. Ce spectacle remplit le pharisien de jalousie ; en effet, lorsque le peuple juif voit les Gentils devenir les prédicateurs du vrai Dieu, il sèche d’envie dans sa noire méchanceté. Les reproches qui lui sont faits, retombent sur ce peuple perfide et infidèle, qui ne consentit jamais à sacrifier pour le Seigneur, même ses biens extérieurs, tandis que les Gentils, après leur conversion, non seulement sacrifièrent leurs biens, mais répandirent leur sang. Voilà pourquoi Jésus dit au pharisien « Vous ne m’avez pas donné d’eau pour me laver les pieds, cette femme, au contraire, m’a arrosé les pieds de ses larmes ; » l’eau, en effet, se trouve hors de nous, tandis que la source des larmes est en nous-même. Ce peuple infidèle ne donna pas non plus le baiser à Dieu, parce qu’au lieu de l’aimer par un sentiment de charité, il aima mieux le servir sous l’impression de la crainte (car le baiser est le signe de l’amour.) Au contraire, à peine la gentilité fut-elle appelée, qu’elle ne cessa de baiser les pieds du Rédempteur en soupirant continuellement après lui par un sentiment d’amour. — S. Ambr. Le Sauveur fait ressortir la vertu héroïque de cette femme, lorsqu’il dit : « Depuis qu’elle est entrée, elle n’a cessé de couvrir mes pieds de baisers, » c’est-à-dire qu’elle ne veut plus savoir que le langage de la sagesse, que l’amour de la justice, que les embrassements de la chasteté, que les baisers de la pudeur. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang) Jésus reproche au pharisien de n’avoir pas répandu de parfum sur sa tête, c’est-à-dire que le peuple juif a refusé à la puissance divine à laquelle il se vantait de croire, le juste tribut de louanges qui lui était dû ; cette femme, au contraire, a répandu des parfums sur les pieds du Sauveur, figure en cela de la gentilité qui, non contente de croire au mystère de l’incarnation, a relevé par les plus grands éloges les profondes humiliations de ce mystère.

S. Ambr. Heureux celui qui peut verser de l’huile sur les pieds de Jésus-Christ, mais plus heureux celui qui peut y répandre des parfums ; car la réunion d’un grand nombre de fleurs forme un composé d’odeurs les plus suaves et les plus variées. Or, l’Église seule a le privilège de la composition de ce parfum, elle qui possède d’innombrables fleurs exhalant des odeurs si variées ; aussi personne ne peut prétendre à un si grand amour que l’Église, qui aime par le coeur de tous ses enfants. Dans la maison du pharisien, c’est-à-dire dans la maison de la loi et des prophètes, ce n’est pas le pharisien, mais l’Église qui est justifiée ; car le pharisien refuse de croire, tandis que l’Eglise embrassait la foi ; la loi, d’ailleurs, n’a point ce mystère divin qui purifie les secrètes profondeurs de l’âme ; mais ce que la loi ne peut donner, se trouve abondamment dans l’Évangile. Les deux débiteurs sont les deux peuples, tous deux obligés à l’égard du créancier du trésor céleste ; ce n’est point une somme d’argent matériel que nous devons à ce divin créancier, mais l’or pur de nos mérites, l’argent de nos vertus, dont la valeur consiste dans le poids du caractère et la gravité des moeurs, dans l’empreinte de la justice, dans le son que fait entendre la confession. De quel prix est cette pièce de monnaie, où se trouve empreinte l’image de notre roi ! Malheur à moi, si je ne l’ai pas conservée telle que je l’ai reçue ! Ou bien, puisqu’il n’est personne qui puisse payer toute sa dette à ce céleste créancier, malheur à moi, si je ne le supplie de me remettre toute ma dette ! Mais quel est ce peuple qui doit plus ? c’est nous-mêmes à qui Dieu a donné davantage. Aux Juifs, Dieu a confié ses oracles, à nous, il a donné le fruit de l’enfantement virginal, l’Emmanuel (c’est-à-dire Dieu avec nous), la croix du Sauveur, sa mort, sa résurrection. Il est donc hors de doute que celui qui a reçu davantage, doit aussi davantage. Selon notre manière d’agir, c’est quelquefois celui qui doit davantage, qui manque le plus d’égards. Mais la miséricorde de Dieu a changé cet ordre, c’est celui qui doit plus, qui aime aussi davantage, s’il est assez heureux pour obtenir la grâce. Puisque donc nous n’avons rien qui soit digne d’être offert à Dieu, malheur à moi, si je ne lui donne tout mon amour ! Payons donc nos dettes, en aimant Dieu de tout notre coeur ; car celui qui a reçu plus de grâces, doit aussi donner plus d’amour.

 

 

CHAPITRE VIII

 

Vv. 1-3.

Théophyl. Celui qui est descendu des cieux pour nous tracer la voie et nous donner l’exemple, nous enseigne à ne jamais négliger le devoir de l’instruction : « Et il arriva ensuite que Jésus parcourait les villes, » etc. — S. Grég. de Naz. Il va de pays en pays, non seulement pour gagner à Dieu un plus grand nombre d’âmes, mais encore pour consacrer par sa présence un plus grand nombre d’endroits. Il dort et se fatigue pour sanctifier notre sommeil et nos travaux ; il pleure pour donner du prix à nos larmes, il annonce les mystères du ciel pour élever et agrandir l’esprit de ceux qui l’écoutent. — Tite de Bostr. Celui qui est descendu du ciel sur la terre, annonce le royaume des cieux aux habitants de la terre, pour changer la terre et en faire un ciel anticipé. Mais qui peut annoncer dignement ce royaume, que le Fils de Dieu qui en est le souverain Maître ? Bien des prophètes ont paru sur la terre, mais sans annoncer le royaume des cieux, car comment auraient-ils pu parler des choses qu’ils n’avaient pas vues ? — S. Isid. (Liv. XXIII, lettre 206.) Il en est qui pensent que ce royaume de Dieu est plus élevé et plus parfait que le royaume céleste ; d’autres prétendent au contraire que c’est le même dans sa nature, mais auquel on donne des noms différents. On l’appelle royaume de Dieu, parce qu’il a Dieu pour souverain ; et quelquefois le royaume des cieux, quand on considère ce royaume dans ses sujets, c’est-à-dire, dans les anges et les saints auxquels la sainte Écriture donne le nom de cieux.

 

Bède. Comme l’aigle qui excite ses petits à voler (Dt 32), le Seigneur élève successivement ses disciples vers les choses sublimes. Ainsi, il commence par enseigner dans les synagogues, et par faire des miracles, puis il choisit les douze auxquels il donne le nom d’Apôtres ; ensuite il les prend seuls avec lui, lorsqu’il va prêcher dans les villes et dans les bourgades, comme le rapporte l’Évangéliste : « Et les douze étaient avec lui. » — Théophyl. Ce n’est ni pour enseigner ni pour prêcher qu’il les prend avec lui, mais pour continuer de les instruire. Afin de montrer que les femmes n’étaient point exclues de la suite de Jésus-Christ, l’Évangéliste ajoute : « Il y avait aussi quelques femmes qu’il avait délivrées des esprits malins, et guéries de leurs infirmités : Marie-Magdeleine, de laquelle étaient sortis sept démons. » Bède. Marie-Magdeleine est celle dont saint Luc a raconté la pénitence dans le chapitre précédent. Admirons comment l’Évangéliste désigne cette femme sous son nom propre, lorsqu’il nous la montre à la suite du Sauveur, tandis qu’en racontant ses désordres et sa pénitence, il lui donne simplement le nom de femme, de peur que le scandale de ses premiers égarements ne flétrit un nom aussi connu que le sien. Sept démons étaient sortis d’elle, c’est-à-dire qu’elle avait été remplie de tous les vices. — S. Grég. Que signifient, en effet, ces sept démons, sinon tous les vices réunis. Comme la division des sept jours comprend l’universalité du temps, le nombre sept est le symbole de l’universalité, Marie-Magdeleine était donc possédée de sept démons, parce qu’elle avait en elle tous les vices.

« Et Jeanne, femme de Chusa, intendant de la maison d’Hérode, Suzanne, et plusieurs autres qui l’assistaient de leurs biens. » — S. Jér. (sur S. Mt 27.) Suivant une coutume des Juifs, et qui n’avait rien de répréhensible dans les moeurs anciennes de cette nation, les femmes se chargeaient de fournir à ceux qui les enseignaient la nourriture et le vêtement. Saint Paul nous apprend qu’il ne voulut point user de ce droit, pour ne pas scandaliser les Gentils (1 Co 9.) Ces femmes assistaient le Seigneur de leurs biens ; il était juste, en effet, qu’il moissonnât leurs biens temporels, alors qu’elles recueillaient de lui les richesses spirituelles. Ce n’est pas sans doute que le souverain Maître des créatures eût besoin d’être nourri par elles, mais il voulait être le modèle de tous ceux qui enseignent, et leur apprendre à se contenter de la nourriture et du vêtement que leur donneraient leurs disciples. — Bède. Marie veut dire mère pleine d’amertumes, à cause des gémissements de sa pénitence ; Magdeleine signifie tour, ou qui a la forme d’une tour, par allusion à cette tour dont parle le Roi-prophète : « Vous êtes devenu mon espérance, une forte tour contre l’ennemi (Ps 60). » Jeanne signifie grâce du Seigneur, ou le Seigneur miséricordieux, c’est-à-dire, que tout ce qui soutient notre vie, lui appartient. Or, si Marie purifiée de la souillure de ses vices, représente l’Église des nations, pourquoi Jeanne ne serait-elle pas aussi la figure de cette même Église, autrefois livrée au culte des idoles ? Ajoutons que tout malin esprit qui travaille à l’extension du royaume du démon, est comme l’intendant de la maison d’Hérode. Suzanne signifie loi ou grâce, à cause de la blancheur odoriférante d’une vie céleste, et de la flamme d’or de la charité intérieure.

 

Vv. 4-15.

 Théophyl. Notre-Seigneur accomplit ici ce qu’avait prédit David, qui était la figure du Christ (cf. Mt 13, 35) : « J’ouvrirai ma bouche pour parler en paraboles : » (Ps 77.) « Or, comme le peuple s’assemblait en foule et se pressait de sortir des villes pour venir à lui, il leur dit en paraboles. » Le Sauveur parle en paraboles, pour rendre ceux qui l’écoutent plus attentifs, car les hommes aiment à exercer leur intelligence sur les choses obscures, et dédaignent au contraire celles qui sont trop claires et trop faciles ; secondement, afin que son langage demeurât inintelligible pour ceux qui étaient indignes de le comprendre. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Aussi est-ce avec une intention marquée que l’Évangéliste dit : « Comme le peuple s’assemblait en foule et se pressait de sortir des villes, » etc. Car ce n’est point la multitude, mais le petit nombre qui marchent dans la voie étroite, et qui trouvent le chemin qui conduit à la vie, c’est pour cette raison que saint Matthieu fait remarquer qu’il enseignait au dehors en paraboles, et que, rentré dans la maison, il expliquait la parabole à ses disciples.

Eusèbe. Remarquez la convenance de cette première parabole que Jésus propose à la multitude, non seulement de ceux qui étaient présents, mais encore de tous ceux qui devaient venir après eux, et comme il excite vivement leur attention par ces premières paroles : « Celui qui sème sortit pour semer. »

 

Bède. À nul autre ne convient mieux cette qualité de semeur qu’au Fils de Dieu, qui est sorti du sein de son Père (inaccessible à toute créature), pour venir en ce monde rendre témoignage à la vérité (Jn 19). — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Celui qui remplit tout de son immensité est sorti, non point en allant d’un lieu dans un autre, mais en se revêtant de notre chair pour s’approcher de nous. Jésus-Christ donne avec raison à son avènement le nom de sortie, car nous étions exclus de la présence de Dieu ; or lorsque des rebelles condamnés par leur roi sont bannis, celui qui veut les réconcilier sort pour venir les trouver, et converse en dehors avec eux jusqu’à ce qu’il les ait rendus dignes de paraître devant le roi, et qu’il les introduise en sa présence, c’est ce qu’a fait Jésus-Christ. — Théophyl. Il sort maintenant, non pour perdre les laboureurs ou pour réduire la terre en cendres, mais il sort pour semer, car souvent le laboureur qui sème, sort pour autre chose que pour semer. — Eusèbe. Un grand nombre de fidèles serviteurs de Dieu sont sortis de la céleste patrie et sont descendus au milieu des hommes ; mais ce n’était point pour semer, car ils n’étaient point semeurs, mais des esprits que Dieu envoyait pour remplir un ministère. (He 1, 14.) Moïse lui-même et les prophètes après lui n’ont point semé dans le coeur des hommes les mystères du royaume des cieux, mais en les arrachant à de coupables erreurs et au culte des idoles, ils cultivaient les âmes des hommes, et les défrichaient pour eu faire une terre bien préparée. Seul le Verbe de Dieu, créateur et auteur de toutes les semences, est sorti pour répandre par la prédication de nouvelles semences, c’est-à-dire, les mystères du royaume des cieux. — Théophyl. Or, le Fils de Dieu ne cesse pas de semer dans nos âmes, car ce n’est pas seulement comme maître et docteur, mais comme créateur qu’il répand dans nos âmes la bonne semence. — Tite de Bostr. « Il sortit pour semer sa semence, » sa parole n’est point une parole d’emprunt, puisqu’il est par nature le Verbe du Dieu vivant. Ce n’était point leur propre semence que répandaient Paul ou Jean, mais celle qu’ils avaient reçue ; Jésus-Christ, au contraire, sème sa propre semence, parce qu’il tire ses divins enseignements de sa propre nature ; aussi les Juifs étonnés disaient-ils : « Comment connaît-il les Écritures, puisqu’il ne les a point apprises ? » (Jn 7.)

 

Eusèbe. Ceux qui reçoivent la divine semence se partagent donc en deux classes, la première se compose de ceux qui sont jugés dignes de la vocation céleste, mais qui perdent cette grâce par suite de leur négligence et de leur tiédeur ; la seconde comprend ceux qui multiplient la semence en produisant de bons fruits. D’après saint Matthieu, le Sauveur établit trois degrés différents dans chaque classe ; ceux ; en effet, qui reçoivent inutilement la semence, ne la perdent pas de la même manière, et ceux qui la rendent féconde, ne produisent pas du fruit au même degré. Le Sauveur expose donc les différentes circonstances où on laisse perdre la semence. Les uns, sans même qu’ils aient péché, ont perdu la semence salutaire qui avait été jetée dans leurs âmes ; les esprits mauvais, les démons qui volent dans l’air, ou les hommes fourbes et astucieux qu’il désigne sous le nom d’oiseaux, viennent enlever la semence de leur esprit et leur en font perdre le souvenir : « Et pendant qu’il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin. » — Théophyl. Il ne dit pas que celui qui sème a jeté sa semence le long du chemin, mais que la semence y est tombée, car celui qui sème enseigne une doctrine pure et irréprochable, mais cette doctrine tombe diversement dans l’esprit de ceux qui l’entendent, et quelques-uns d’entre eux sont représentés par ce chemin où elle fut foulée aux pieds et mangée par les oiseaux du ciel. — S. Cyr. Tout chemin est inculte et stérile, parce qu’il est sans cesse foulé aux pieds, et aucune semence ne peut y être enfouie. Ainsi les coeurs indociles sont impénétrables aux divins enseignements, et aucune vertu ne peut y germer, c’est un chemin qui n’est fréquenté que par les esprits impurs. D’autres portent légèrement la foi en eux-mêmes, en ne s’attachant qu’aux simples paroles ; leur foi manque de racines, et c’est d’eux que le Sauveur ajoute : « Une autre partie tomba sur la pierre, et ayant levée elle sécha, parce qu’elle n’avait pas d’humidité. — Bède. La pierre est la figure des coeurs durs et indomptables, l’humidité est à la semence ce qu’est dans une autre parabole l’huile qui doit alimenter les lampes des vierges (Mt 25), et représente l’amour de la vertu et la persévérance dans le bien. — Eusèbe. Il en est d’autres qui laissent étouffer la semence qu’ils reçoivent par l’avarice, par le désir des voluptés, par les sollicitudes du monde, que Notre-Seigneur compare à des épines : « Et une autre partie tomba parmi les épines, » etc. — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Semblables, en effet, aux épines qui ne permettent pas à la semence de lever et de croître, mais l’étouffent par leur épaisseur, les sollicitudes de la vie présente ne permettent pas à la semence spirituelle de croître et de fructifier. Le laboureur qui sèmerait sur les épines matérielles, sur la pierre, sur le chemin, serait digne de blâme, car il est impossible que la pierre se change jamais en terre, que le chemin cesse d’être un chemin, que les épines ne soient plus des épines. Mais il n’en est pas de même dans les choses spirituelles, car la pierre peut devenir une terre fertile, le chemin peut n’être plus foulé aux pieds, et il est possible d’arracher les épines.

 

S. Cyr. La terre riche et fertile, ce sont les âmes bonnes et vertueuses qui reçoivent dans leur profondeur la semence de la parole, qui ha retiennent et la fécondent, et c’est d’elles qu’il est dit : « Une autre partie tomba dans une bonne terre, et ayant levé, elle produisit du fruit au centuple. » En effet, lorsque la parole divine tombe dans une âme libre de toute agitation, elle pousse de profondes racines, elle produit des épis et les fait arriver à une maturité parfaite. — Bède. Le fruit au centuple, c’est le fruit dans sa perfection, car le nombre dix exprime toujours la perfection, parce que l’accomplissement de la loi consiste dans l’observation des dix commandements ; mais le nombre dix multiplié par lui-même, produit le nombre cent, qui est ainsi le symbole de la plus grande perfection possible.

 

S. Cyr. Écoutons l’explication de cette parabole de la bouche même de celui qui en est l’auteur : « En disant cela, il criait : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. » — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Entendre, est un acte de l’intelligence, et par ces paroles, Notre-Seigneur invite ceux qui l’écoutent à prêter une grande attention à l’explication qu’il va donner. — Bède. Toutes les fois, en effet, que nous rencontrons cet avertissement, soit dans l’Évangile, soit dans l’Apocalypse de saint Jean, il s’agit d’une vérité mystérieuse dont on nous engage à pénétrer le sens avec une attention plus scrupuleuse. Aussi les disciples reconnaissant leur ignorance, interrogent le Sauveur : « Or, ses disciples lui demandaient quel était le sens de cette parabole. » Cependant ce ne fut pas immédiatement après que Jésus eut achevé d’exposer cette parabole, que les disciples lui adressèrent cette question, mais comme le dit saint Marc : « Ils l’interrogèrent lorsqu’il se trouva seul (Mc 4). » Orig. La parabole est comme le récit d’un fait imaginaire mais possible et vraisemblable, c’est un récit symbolique et figuré de quelque vérité dont on obtient le sens par l’application de toutes les circonstances de la parabole. L’énigme est le récit d’un événement qui n’est ni réel ni possible, elle est l’enveloppe d’une vérité cachée, comme dans ce trait du livre des Juges (Jg 9), où nous lisons que les arbres s’assemblèrent pour se choisir un roi. Ce récit que l’Évangéliste raconte comme un fait historique : « Celui qui sème sortit pour semer, » n’est point arrivé à la lettre, quoiqu’il soit dans les choses possibles.

 

Eusèbe. Or, le Seigneur fait connaître à ses disciples la raison pour laquelle il parlait au peuple en paraboles : « Il leur dit : A vous il a été donné de connaître le royaume de Dieu. » — S. Grég. de Naz. En entendant ces paroles, n’allez pas croire qu’il existe des natures différentes, avec certains hérétiques, qui prétendent qu’il est des hommes dont la nature est de se perdre, d’autres dont la nature est de se sauver, d’autres, au contraire, qui doivent à leur propre volonté de devenir bons ou mauvais ; mais à ces paroles du Sauveur : « Il vous a été donné, » ajoutez : A vous qui le voulez, à vous qui en êtes dignes. — Théophyl. Mais pour ceux qui sont indignes de si grands mystères, un voile recouvre ces vérités : « Tandis qu’aux autres il est annoncé en paraboles, en sorte que voyant ils ne voient point, et qu’en entendant ils ne comprennent pas. » ils croient voir, mais ils ne voient point, ils entendent, mais ils ne comprennent pas. Or, Jésus-Christ leur cache ces vérités, pour leur faire éviter un plus grand crime, celui de mépriser les mystères du Christ, après les avoir connus, car celui qui n’a que du mépris pour les vérités dont l’intelligence lui a été révélée, sera puni plus sévèrement. — Bède. Ceux-là donc entendent en paraboles, qui ferment les sens et leur coeur pour ne point connaître la vérité et qui oublient cette recommandation du Seigneur : « Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre. »

S. Greg. (Hom. 45 sur les Evang.) Cependant le Seigneur consent à expliquer à ses disciples cette parabole, pour nous apprendre à chercher le sens caché des choses qu’il n’a point voulu nous expliquer : « Voici donc le sens de cette parabole, la semence c’est la parole de Dieu. » — Eusèbe. Or, il y a pour la semence qui est jetée dans nos âmes, trois causes de destruction, Les uns détruisent cette semence en prêtant une oreille trop légère aux discours des hommes qui ne veulent que les tromper : « Ce qui tombe le long du chemin, ce sont ceux qui écoutent, le diable vient ensuite, et enlève la parole de leur coeur. » — Bède. Ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu sans aucune foi, sans aucune intelligence, sans aucun désir de la mettre en pratique. — Eusèbe. D’autres ne reçoivent cette parole qu’à la surface de leur âme, et la laissent se dessécher et périr aux premières atteintes de l’adversité. C’est d’eux que Notre-Seigneur ajoute : « Ce qui tombe sur la pierre, ce sont ceux qui, ayant écouté la parole, la reçoivent avec joie, mais ceux-ci n’ont pas de racine, ils croient pour un temps, et au temps de la tentation ils se retirent. » — S. Cyr. Lorsqu’ils entrent dans l’Église, ils écoutent avec joie la prédication des divins mystères, mais avec une volonté bien faible ; et à peine sortis de l’Église, ils oublient les enseignements sacrés. Si la foi chrétienne n’est l’objet d’aucune attaque, ils demeurent fidèles, mais si la persécution vient à se déclarer, ils se dérobent par la fuite au danger, parce que leur foi n’a point de racine. — S. Grég. (hom. 15 sur les Evang.) Il en est beaucoup qui se proposent de commencer à faire le bien, mais bientôt fatigués par l’adversité ou par les tentations, ils abandonnent leur entreprise. Cette terre pierreuse n’avait donc point l’humidité nécessaire, puisqu’elle n’a pu conduire à la maturité parfaite la semence qu’elle avait fait germer. — Eusèbe. D’autres enfin étouffent la semence qu’ils ont reçue dans les préoccupations des richesses et des plaisirs, qui sont comme autant d’épines qui étouffent la semence : « Ce qui tombe parmi les épines, ce sont ceux qui écoutent la parole, mais les sollicitudes des richesses et des plaisirs l’étouffent peu à peu, et ils ne portent point de fruit. — S. Grég. (hom. 15 sur les Evang.) Comment donc Notre-Seigneur a-t-il pu comparer les richesses aux épines, alors que les épines piquent et déchirent, tandis que les richesses sont pleines de charmes. Et cependant ce sont des épines, parce qu’elles déchirent l’âme par les pointes acérées de leurs préoccupations, et lorsqu’elles entraînent jusqu’au péché, elles font des blessures sanglantes. Le Sauveur joint deux choses aux richesses : les sollicitudes et les plaisirs parce qu’elles accablent de soucis et énervent l’âme par leur abondance même. Toutes ces choses étouffent la semence, parce qu’elles étranglent pour ainsi dire l’âme par leurs pensées importunes, et en fermant ainsi l’accès du coeur à tout bon désir, elles étouffent la respiration et tuent la vie.

 

Eusèbe. C’est en vertu de sa prescience divine que Notre-Seigneur prédit ces choses, et les faits se chargent de vérifier ces prédictions, car on ne s’éloigne ries prescriptions de la divine parole que d’une de ces trois manières. — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Pour résumer en peu de mots cette doctrine, on quitte la voie du bien, les uns par leur négligence à écouter la parole de Dieu, les autres par immortification ou par faiblesse, d’autres enfin, parce qu’ils se rendent esclaves de la volupté et des biens de ce monde. Remarquez encore dans quel ordre naturel se présentent d’abord le chemin, puis le terrain pierreux et les épines ; il faut donc d’abord de la mémoire et de la vigilance, puis du courage, et enfin le mépris pour les choses présentes. Notre-Seigneur oppose ensuite les qualités de la bonne terre aux qualités défectueuses du chemin, du terrain pierreux et des épines : « Mais ce qui tombe dans la bonne terre, ce sont ceux qui, écoutant la parole, la conservent dans un coeur bon et excellent, et portent du fruit par la patience. » Ceux qui sont représentés par le chemin, ne retiennent point la parole et laissent enlever la semence par le démon ; ceux qui ressemblent au terrain pierreux ne soutiennent pas les assauts de la tentation trop forte pour leur faiblesse ; enfin, ceux qui sont figurés par les épines ne portent aucun fruit, mais étouffent la parole dans son germe. — S. Grég. (hom. 45 sur les Ev.) Or, la bonne terre produit du fruit par la patience, parce que le bien que nous faisons est nul, si nous ne supportons en même temps avec patience le mal qui nous est fait. Ainsi ceux qui sont représentés par cette bonne terre, produisent du fruit par la patience, car après avoir supporté en toute humilité et en toute patience les épreuves qui leur sont envoyées, ils entrent dans le repos et dans la joie de l’éternité.

 

Vv. 16-18.

Bède. Notre-Seigneur venait de dire aux Apôtres : « Pour vous, il vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu ; mais pour les autres, il leur est proposé en paraboles, » il leur apprend maintenant qu’ils doivent un jour révéler ce même mystère aux autres : « Personne, après avoir allumé une lampe, ne la couvre d’un vase ou ne la met sous un lit, » etc.

 

Eusèbe. C’est-à-dire, de même qu’on n’allume une lampe que pour éclairer, et non pour la mettre sous un boisseau ou sous un lit, ainsi les secrets du royaume des cieux proposés en paraboles, restent cachés pour ceux qui n’ont pas la foi, mais cependant ils ne seront pas toujours incompréhensibles pour tous. Car il n’y a rien de caché qui ne soit découvert, rien de secret qui ne soit connu et ne vienne au grand jour. Comme s’il disait : Bien qu’un grand nombre de vérités leur aient été proposées sous forme de paraboles, de sorte qu’en voyant, ils ne voient point, et qu’en entendant ils ne comprennent point, par suite de leur incrédulité, cependant. toute vérité sera un jour éclaircie. — S. Aug. (Quest. évang.) Ou bien autrement, Notre-Seigneur enseigne ici dans un sens figuré, avec quelle sainte confiance on doit prêcher la parole de Dieu, sans que jamais la crainte d’un préjudice ou d’un dommage temporel porte à cacher la lumière de la science. En effet, le vase et le lit signifient la chair, de même que la lampe est le symbole de la parole. Celui qui cache la parole par crainte de quelque dommage temporel, préfère la chair à la manifestation de la vérité, et celui qui tremble d’annoncer cette parole la couvre pour ainsi dire avec la chair, Au contraire, celui qui consacre son corps au ministère de cette divine parole, place la lumière sur le chandelier, de manière que la prédication de la vérité domine toutes les exigences de la servitude du corps.

Orig. Ceux qui, dans cette lampe veulent voir la figure des disciples plus parfaits de Jésus-Christ, rendent leur interprétation plausible, parce que l’Évangile dit de Jean-Baptiste, qu’il était une lumière ardente et luisante (Jn 5). Que celui donc qui allume dans son âme cette lampe spirituelle, ne la cache ni sous un lit destiné au repos, ni sous un vase quelconque ; agir de la sorte, c’est ne prendre aucun soin de ceux qui entrent dans la maison, et pour lesquels cette lampe est préparée ; il faut donc placer cette lumière surie chandelier, c’est-à-dire, sur toute l’Église.

 

S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) En leur parlant de la sorte, le Sauveur exhorte ses disciples à une sainte exactitude pour tous les devoirs de la vie, il veut qu’ils soient pleins de courage comme des hommes exposés aux regards de tous, et qui combattent au milieu du monde comme sur un théâtre ; ne considérez pas, semble-t-il leur dire, que nous n’habitons qu’une faible partie de l’espace, vous serez connus de tous les hommes, parce qu’il est impossible qu’une si grande vertu demeure cachée. — S. Max. Ou bien encore, c’est lui-même que le Seigneur veut désigner par cette lampe qui brille aux yeux des habitants de la maison, c’est-à-dire, du monde, puisqu’il est Dieu par nature, et qu’il s’est fait chair par une économie toute divine, et c’est ainsi que, semblable à la lumière d’une lampe, il est retenu par l’intermédiaire de son âme dans la terre de sa chair, comme la lumière est retenue par la mèche dans le vase de terre d’une lampe. Le chandelier, c’est l’Église, sur laquelle la parole divine brille de tout son éclat, et la remplit comme une maison des rayons de la vérité. Or il compare le culte matériel de la loi à un vase ou à un lit sous lequel il ne veut point rester caché.

 

Bède. Le Seigneur nous presse avec instance d’écouter la divine parole, afin que nous puissions la ruminer continuellement dans notre coeur, et la donner en nourriture aux autres : « Prenez donc garde comme vous écoutez, car on donnera à celui qui a, » etc. Comme s’il disait : Appliquez-vous à écouter cette divine parole avec toute l’attention possible, car celui qui aime cette parole, recevra l’intelligence pour comprendre ce qu’il aime, mais pour celui qui n’a point l’amour de cette divine parole, eût-il d’ailleurs du génie, et fût-il versé dans la connaissance des lettres, jamais il ne goûtera la douceur et la joie de la sagesse. Souvent, en effet, celui qui est atteint de paresse spirituelle, reçoit le don de l’Esprit, pour rendre ainsi sa négligence plus coupable, parce qu’il dédaigne de savoir ce qu’il aurait pu apprendre sans aucun travail. Quelquefois au contraire, celui qui est zélé pour s’instruire, souffre de la lenteur de son intelligence, afin de recevoir une récompense d’autant plus grande, qu’il a travaillé avec plus d’efforts pour apprendre.

 

Vv. 19-21.

Tite de Bostr. Notre-Seigneur avait quitté ses parents selon la chair pour se livrer à la prédication de la doctrine de son père ; et comme ils désiraient le voir, ils vinrent le trouver : « Cependant, sa mère et ses frères vinrent vers lui, » etc. Lorsque vous entendez parler des frères du Seigneur, que ce nom vous rappelle sa miséricorde et vous fasse comprendre l’étendue de sa grâce. En effet, personne ne peut être frère du Sauveur en tant qu’il est Dieu, puisqu’il est le Fils unique du Père, mais par un effet de son amour, il a daigné s’unir notre chair, notre sang, et il est devenu notre frère, lui qui était Dieu par nature (cf. He 2, 11. 13). — Bède. Ces frères du Seigneur, selon la chair, ne sont ni les fils de la bienheureuse Marie, mère de Dieu, comme le veut Helvidius, ni les fils de Joseph et d’une autre épouse, comme d’autres le prétendent, mais tout simplement ses cousins.

 

Tite de Bostr. Les frères de Jésus espéraient qu’en apprenant leur arrivée, par respect pour le nom de sa mère et pour l’amour qu’elle lui témoignait, il s’empresserait de laisser la multitude qui l’écoutait : « On vint donc lui dire : Votre mère et vos frères sont là dehors, » etc. — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Considérez quelle indiscrétion c’était que d’enlever le Sauveur à tout ce peuple qui l’entourait et qui, suspendu à ses lèvres, écoutait ses divins enseignements. Aussi, Notre-Seigneur leur en fait-il un reproche : « Il leur répondit : Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, » etc. — S. Ambr. Comme un sage maître, Jésus commence par donner l’exemple à ses disciples avant de leur enseigner, que celui qui ne quitte point son père où sa mère n’est pas digne du Fils de Dieu. Il veut donc pratiquer le premier ce commandement, non qu’il refuse d’accomplir à l’égard de sa mère les devoirs de la piété filiale (puisqu’il est l’auteur de ce commandement : « Quiconque n’honorera point son père ou sa mère sera puni de mort »), mais parce qu’il sait qu’il doit plus à la mission divine qu’il a reçue de son Père, qu’à l’affection filiale qu’il a pour sa mère (cf. Ga 4, 19). Toutefois, sa réponse ne contient rien de blessant pour ses parents, mais elle nous apprend que l’union des âmes est plus auguste que les liens de la chair et du sang. Le Sauveur ne renie donc point sa mère (comme l’affirment certains hérétiques qui tendent des pièges à la simplicité), puisqu’il l’a reconnue du haut même de la croix, mais il nous enseigne à sacrifier les exigences du sang à l’accomplissement des devoirs célestes. — Bède. Ceux donc qui écoutent et qui pratiquent la parole de Dieu, méritent le nom glorieux de mère de Dieu, parce que chaque jour, par leurs exemples ou par leurs paroles, ils l’engendrent dans le coeur du prochain, et ils méritent également d’être appelés ses frères, puisqu’ils font aussi la volonté de son Père qui est dans les cieux.

 

S. Chrys. (hom. 43 sur S. Matth.) Notre-Seigneur ne veut pas non plus faire ici un reproche à sa mère, mais lui accorder une grâce signalée. En effet, s’il avait tant à coeur de donner une juste idée de sa personne au reste des hommes, combien plus devait-il le désirer pour sa mère, car jamais il ne l’eût élevé à un si haut degré de grandeur, si elle eût pu croire qu’il lui obéirait toujours comme un fils, et si au contraire elle ne l’eût reconnu comme son Dieu. — Théophyl. Quelques-uns entendent ce passage dans un autre sens : Pendant que Jésus enseignait, disent-ils, des envieux qui voulaient jeter du discrédit sur sa doctrine, vinrent lui dire : « Votre mère et vos frères veulent vous voir, » comme pour rappeler l’obscurité de sa naissance. Or Jésus, qui connaît leurs pensées, leur déclare qu’on n’est nullement rabaissé par une humble et pauvre famille, mais que si un homme d’une constitution obscure, écoute la parole de Dieu, il le regarde comme son frère. Cependant, comme il ne suffit pas d’écouter pour être sauvé, et que la parole de Dieu serait plutôt alors une cause de condamnation, il ajoute : « Et qui la pratiquent, » car il faut tout à la fois écouter et mettre en pratique. La parole de Dieu, c’est sa doctrine, puisque tout ce qu’il enseignait venait de son Père.

 

S. Ambr. Dans le sens mystique, celui qui cherche Jésus-Christ, ne doit pas se tenir dehors, c’est pour cela que le Roi-prophète a dit : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés. » (Ps 33.) Ceux qui restent dehors, ne sont pas reconnus de Jésus, fussent-ils ses parents ; peut-être est-ce pour notre instruction qu’il ne veut pas les reconnaître, or comment espérer qu’il nous reconnaîtra, si nous persistons à rester dehors ? On peut encore dire que les parents de Jésus sont la figure des Juifs, dont le Sauveur était issu par sa naissance temporelle, et qu’il veut nous apprendre ici la préférence donnée à l’Église sur la synagogue. — Bède. Tandis que Jésus enseigne dans l’intérieur de la maison, ceux qui négligent de s’appliquer au sens spirituel de ses paroles, ne peuvent entrer. Cependant la foule se presse pour entrer dans la maison, parce qu’en effet, tandis que les Juifs usaient de lenteurs et de retards, les Gentils accoururent en foule à Jésus-Christ, Ceux qui se tiennent au dehors, veulent voir Jésus-Christ, parce que sans s’occuper du sens spirituel de la loi, ils s’attachent au dehors à l’observation de la lettre, et ils veulent pour ainsi dire contraindre Jésus-Christ à sortir pour leur enseigner une doctrine tout humaine, plutôt que de consentir à entrer eux-mêmes pour recevoir des enseignements tout spirituels.

 

 

Vv. 22-25.

S. Cyit. Les disciples étaient tous les jours témoins des bienfaits que Jésus-Christ répandait à profusion, il était juste qu’il en fît découler sur eux une partie ; nous ne voyons pas en effet du même oeil le bien que l’on fait aux autres, et celui qui nous est fait à nous-mêmes ; le Sauveur permet donc qu’ils soient exposés à une tempête sur la mer : « Un jour, étant monté sur une barque avec ses disciples, il leur dit : Passons à l’autre bord du lac, et ils partirent. » — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Saint Luc évite la question que pourrait soulever le temps précis où eut lieu ce miracle, en disant simplement que Jésus monta un jour sur une barque. Si cette tempête fût arrivée pendant que le Sauveur veillait, les disciples n’auraient eu aucune crainte, ou bien ils n’auraient pas cru que leur divin Maître pût opérer un si grand prodige ; il se laisse donc aller au sommeil pour donner à la crainte tout le temps de se développer : « Comme ils naviguaient, il s’endormit, et un vent impétueux s’éleva sur le lac. » — S. Ambr. L’Évangéliste nous a rapporté plus haut, qu’il passait les nuits en prière ; pourquoi donc le voyons-nous dormir ici pendant la tempête ? C’est pour exprimer la sécurité de la toute-puissance, qu’il repose seul sans crainte, alors que tous sont saisis d’effroi, mais ce sommeil n’atteignait que le corps ; et, comme Dieu, il avait l’oeil ouvert sur ses disciples pour les protéger ; car rien absolument ne se fait sans le Verbe. (Jn 1.)

 

S. Cyr. C’est par un dessein particulier de la providence divine que les disciples ne crièrent pas au secours au premier moment que la barque fut assaillie par la tempête, mais lorsque le danger devint imminent, pour faire éclater davantage la toute-puissance du Sauveur : « Et ils étaient en péril, » dit l’Évangéliste. Le Sauveur le permit pour exercer leur vertu ; car en confessant la grandeur du danger, ils étaient forcés de reconnaître la grandeur du miracle qui les en délivrait. Lors donc que l’imminence du péril les eut jetés dans une crainte inexprimable, ils reconnaissent qu’ils n’ont plus d’autre espoir de salut que dans le Seigneur des vertus, et ils se déterminent à l’éveiller.

 

« S’approchant donc, ils le réveillèrent en disant : Maître, nous périssons. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 24.) D’après saint Matthieu, ils lui auraient dit : « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ; » d’après saint Marc : « Maître, n’avez-vous pas de souci que nous périssions ? » De part et d’autre, ils expriment le même désir, de réveiller le Sauveur et d’être sauvés du danger. Il est tout à fait inutile de chercher quelle formule précise de prière les Apôtres ont employée ? Se sont-ils servi d’une de celles qui sont rapportées par ces trois Évangélistes, ou d’une autre dont aucun n’aurait parlé, mais dont les termes seraient équivalents ? peu importe. D’ailleurs, on peut fort bien admettre que tous les disciples s’empressèrent d’éveiller leur divin Maître, mais que chacun lui parla d’une de ces trois différentes manières.

 

S. Cyr. Il était du reste impossible que les Apôtres, ayant avec eux le Tout-Puissant, pussent jamais périr. Aussi Jésus-Christ, qui exerce une puissance souveraine sur tout ce qui existe, apaise subitement la tempête et la fureur des vents : « Et la tempête cessa, et il se fit un grand calme. » Il prouve ainsi qu’il est le Dieu dont le Psalmiste a chanté : « Vous dominez la puissance de la mer, vous apaisez ses flots soulevés. » (Ps 88.) — Bède. Dans cet événement de sa vie, le Seigneur fait voir clairement en lui deux natures dans une seule et même personne, puisque nous le voyons livré au sommeil, comme homme, et apaisant d’un seul mot, comme Dieu, la fureur de la mer.

 

S. Cyr. Or, Jésus apaise eu même temps la tempête extérieure de la mer, et la tempête intérieure des âmes : « Alors il leur dit : Où est donc votre foi ? » En leur parlant de la sorte, il nous apprend que ce n’est point la tentation, mais la faiblesse de l’âme qui produit la crainte ; car les tentations éprouvent la foi, comme le feu éprouve l’or. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Les autres Évangélistes rapportent diversement les paroles du Sauveur. D’après saint Matthieu, il aurait dit à ses disciples : « Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? » suivant le récit de saint Marc : « Pourquoi craignez-vous ? est-ce que vous n’avez pas encore la foi ? c’est-à-dire la foi parfaite, comme le grain de sénevé. » D’après saint Marc, il leur reproche donc aussi leur peu de foi, tandis que d’après saint Luc, il leur demande : « Ou est votre foi ? » Or, Notre-Seigneur a pu fort bien employer toutes ces locutions diverses : « Pourquoi craignez-vous ? où est votre foi ? hommes de peu de foi, » et les Évangélistes nous rapportent chacun une d’entre elles.

 

S. Cyr. A la vue de la tempête subitement apaisée à la parole de Jésus-Christ, les disciples, comme stupéfaits d’un tel miracle, s’interrogeaient les uns les autres : « Remplis de crainte et d’admiration, ils se disaient les uns aux autres, » etc. Ce n’est point par ignorance de ce qu’était Jésus, que les disciples parlent ainsi entre eux, car ils savaient très-bien qu’il était Dieu et Fils de Dieu ; mais ils sont remplis d’admiration à la vue de l’étendue de cette puissance qu’il possède de toute éternité, et de la gloire de sa divinité qu’il fait éclater dans ce corps visible et semblable au nôtre dont il s’est revêtu. « Et ils s’écrient : Quel est celui-ci ? » c’est-à-dire quelle grandeur, quelle puissance, quelle majesté ! car c’est une action faite avec empire, c’est le commandement d’un maître, ce n’est point l’humble demande d’un serviteur. — Bède. On peut dire aussi que ce ne sont pas les disciples, mais les matelots et ceux qui étaient avec eux dans la barque, qui sont remplis de crainte et d’admiration.

Dans le sens allégorique, cette mer, ce lac agités représentent l’agitation de la mer ténébreuse du monde. La barque est le symbole de l’arbre de la croix, à l’aide duquel les fidèles traversent les flots de cette mer du monde, et parviennent an rivage de la céleste patrie. — S. Ambr. Notre-Seigneur quitte ses parents pour monter dans cette barque, parce qu’il sait qu’il est venu dans le monde pour l’accomplissement de mystères tout divins. — Bède. Les disciples, sur l’invitation du Sauveur, montent avec lui dans la barque. Il leur dit en effet : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix et qu’il me suive. » Pendant que les disciples font cette traversée, c’est-à-dire pendant que les fidèles foulent aux pieds le monde et méditent dans leur coeur les douceurs du repos éternel ; pendant que, poussés par le souffle de l’Esprit saint, et aussi parleurs propres efforts, ils rejettent à l’envi derrière eux les vanités inconstantes et perfides du monde, le Seigneur s’endort tout à coup, c’est-à-dire que le temps de la passion du Seigneur est arrivé, et que la tempête vient fondre sur la terre, parce que pendant le sommeil de la mort, qu’il consent à subir sur la croix, les flots de la persécution se soulèvent sous l’impulsion du souffle des démons (cf. Ps 3, 5). La patience du Seigneur n’en est point troublée, mais la faiblesse des disciples en est ébranlée et saisie d’effroi. Ils s’empressent donc de réveiller le Seigneur dans la crainte de périr pendant son sommeil, parce qu’en effet, après avoir été témoins de sa mort, ils désirent vivement sa résurrection, dont le retard prolongé les exposerait à une perte certaine. Le Sauveur se lève et commande avec menace à la tempête, c’est-à-dire, que par sa prompte résurrection d’entre les morts, il a détruit l’orgueil du démon qui avait l’empire de la mort. (He 2.) Il calme l’agitation des flots, c’est-à-dire qu’en ressuscitant, il fait tomber la rage des Juifs qui insultaient à sa mort. — S. Ambr. Il veut nous apprendre qu’il est impossible de traverser sans tentations le cours de cette vie, parce que la tentation est l’épreuve naturelle de la foi. Nous sommes donc exposés aux tempêtes soulevées par les esprits mauvais ; mais ayons soin, comme de vigilants matelots, d’éveiller le pilote de la barque qui ne cède pas aux vents, mais qui leur commande ; et lors même qu’il est éveillé, prenons garde qu’il ne dorme encore pour nous, en punition du sommeil de notre corps. Ceux qui se laissent aller à la crainte dans la compagnie de Jésus-Christ, méritent le juste reproche qu’il leur fait, car celui qui s’attache à lui ne peut périr. — Bède. Nous voyons quelque chose de semblable à ce qui se passe ici, lorsque Jésus apparut après sa mort à ses disciples, et leur reprocha leur incrédulité (Mc 16), et qu’ayant apaisé la mer agitée jusque dans ses profondeurs, il fit éclater aux yeux de tous la puissance de sa divinité.

 

Vv. 26-39.

S. Cyr. Le Sauveur ayant traversé le lac, parvint au rivage opposé : « Ils abordèrent ensuite au pays des Géraséniens, qui est vis-à-vis de la Galilée. » Tite de Bost. Les manuscrits les plus authentiques ne portent ni Géraséniens, ni Gadariens, mais Gergéséniens. En effet, Gadara est une ville de Judée, près de laquelle on ne trouve ni lac, ni mer ; Gérasa est une ville d’Arabie, qui n’est elle-même voisine d’aucun lac, ni d’aucune mer. Mais Gergésa, d’où vient le nom de Gergéséniens, est une ville fort ancienne, située sur les bords du lac de Tibériade, dans les environs de laquelle se trouve un rocher qui domine le lac dans lequel les démons précipitèrent les pourceaux. Cependant comme les villes de Gérasa et de Gadara touchent aux confins du pays des Gergéséniens, il est vraisemblable que c’est de ces deux villes, que les pourceaux avaient été amenés dans le pays des Gergéséniens. Bède. Gérasa est une ville célèbre d’Arabie, qui échut autrefois à la tribu de Manassé (cf. Nb 34, 14 ; Dt 3, 13 ; 19, 8 ; Jos 12, 6 ; 13, 29 ; 17, 6.8.11 ; 22, 9), située au delà du Jourdain, près de la montagne de Galaad, non loin du lac de Tibériade, dans lequel les pourceaux se précipitèrent.

 

S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Lorsque le Sauveur fut descendu à terre, il fut témoin d’un phénomène bien plus surprenant que la tempête ; un possédé du démon, comme un esclave en présence de son maître, vient confesser sa dépendance et sa servitude : « Lorsqu’il fut descendu à terre, il vint au devant de lui un homme, » etc. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Saint Matthieu rapporte qu’ils étaient deux possédés ; saint Marc et saint Luc ne parlent que d’un seul, il faut donc entendre que l’un d’eux était un homme plus considérable et plus connu, dont tout le pays plaignait le triste sort, et désirait vivement la guérison. C’est ce que veulent faire entendre saint Marc et saint Luc en ne parlant que de celui des deux, dont l’état et la guérison avait eu une immense notoriété dans toute la contrée. — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Ou bien, peut-être saint Luc s’est-il attaché à celui des deux qui était le plus furieux, et dont il fait un si triste tableau : « Il ne portait aucun vêtement, et n’avait d’autre habitation que les sépulcres, » etc. Or, les démons fréquentent les tombeaux des morts pour insinuer plus facilement aux hommes cette pernicieuse doctrine, que les âmes des morts deviennent des démons. — S. Cyr. Il errait sans vêtements dans les sépulcres des morts, preuve de la fureur des démons qui le possédaient. Or, la providence de Dieu permet que quelques-uns soient ainsi soumis au pouvoir des démons, pour nous faire considérer ce qu’ils sont à notre égard, nous faire renoncer à leur empire tyrannique, et par le triste spectacle d’un seul homme, victime de leur méchanceté, donner à tous une leçon salutaire.

S. Chrys. (Hom. 29.) Comme la multitude ne voyait dans Jésus qu’un homme, les démons viennent publier hautement sa divinité que la mer elle-même avait proclamée en calmant la fureur de ses flots soulevés : « Aussitôt qu’il vit Jésus, il se prosterna devant lui et il s’écria, » etc. — S. Cyr. Considérez quel mélange à la fois de crainte, d’audace et de désespoir extrêmes ; c’est le désespoir, en effet, qui lui dicte ces paroles pleines d’audace : « Qu’y a-t-il entre vous et moi, Jésus, Fils du Dieu très-haut ? et c’est sous l’impression de la crainte qu’il lui fait cette prière : « Je vous en conjure, ne me tourmentez pas. » Mais situ reconnais qu’il est le Fils du Dieu très-haut ! tu avoues donc qu’il est le Dieu du ciel et de la terre, et de tout ce qu’ils renferment. Pourquoi donc oses-tu usurper ce qui n’est pas à toi, mais n’appartient qu’à Dieu seul, en lui tenant ce langage : « Qu’y a-t-il entre vous et moi ? » Quel est le prince de la terre qui laisserait impunément les barbares attaquer les sujets de son empire : « Car Jésus commandait à l’esprit impur de sortir de cet homme, » et l’Évangéliste justifie l’urgence de ce commandement, en ajoutant : « Depuis longtemps, en effet, il était sous sa puissance, » etc. — S. Chrys. (hom. 99.) Personne n’osait ni s’approcher de ce possédé, ni s’en rendre maître, tandis que Jésus vient lui-même le trouver et lui adresse la parole.

 

« Jésus lui demanda : Quel est ton nom ? » — Bède. Si Jésus lui demande son nom, ce n’est pas qu’il l’ignore, mais pour que l’aveu public du mal terrible auquel il est en proie, fasse ressortir avec plus d’éclat la toute-puissance qui doit le guérir. C’est ainsi que les prêtres de notre temps qui chassent les démons par la grâce des exorcismes, nous disent qu’il n’y a pour les possédés d’autre moyen de guérison que l’aveu sincère et public de tout ce que les esprits immondes leur font souffrir durant le jour ou pendant leur sommeil, surtout lorsqu’ils paraissent désirer ou qu’ils semblent accomplir avec eux l’oeuvre de la chair, c’est pour cela que Jésus exige ici une espèce de confession : « Le démon lui répondit : Je m’appelle Légion, » parce qu’en effet, plusieurs démons étaient entrés dans cet homme.

S. Grég. de Nysse. (hom. sur les Cant.) C’est à l’exemple des milices célestes et des légions des anges, que les démons s’appellent légion, de même que le premier d’entre eux se vantait d’établir son trône au-dessus des astres, pour devenir semblable au Très-Haut (Is 25).

 

S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Le Seigneur était descendu sur la terre pour détruire l’empire du démon, qui jetait le trouble et le désordre parmi les créatures de Dieu ; les démons craignaient donc que le Sauveur n’attendît pas le temps marqué pour punir l’excès de leur malice, et comme ils ne pouvaient dissimuler leurs crimes, ils le supplient de retarder au moins leur châtiment : « Et ils le priaient de ne pas leur commander d’aller dans l’abîme. » — Theophyl. Les démons font cette demande, parce qu’ils veulent encore rester parmi les hommes. — S. Cyr. Nous avons ici une preuve évidente, que les phalanges ennemies de la majesté divine étaient précipitées dans les enfers par la puissance ineffable du Sauveur. — S. Max. Or, le Seigneur a établi pour chaque espèce de péché un châtiment correspondant : le feu de l’enfer pour punir les ardeurs coupables de la chair, le grincement de dents pour les rires lascifs, une soif intolérable pour la volupté et l’intempérance, le ver qui ne meurt pas pour le coeur dissimulé et méchant, les ténèbres éternelles pour l’ignorance et la fourberie, les profondeurs de l’abîme pour l’orgueil, et c’est pour cela que l’abîme est destiné aux démons qui sont des esprits d’orgueil.

 

« Or, il y avait là un nombreux troupeau de porcs, » etc. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 24.) Saint Marc dit que ce troupeau était autour de la montagne, et saint Luc, qu’il paissait sur la montagne ; il n’y a ici aucune contradiction. Ce troupeau était si nombreux, qu’une partie pouvait être autour de la montagne, et l’autre partie se trouver sur la montagne, puisqu’il y avait jusqu’à deux mille pourceaux, comme saint Marc le raconte (Mc 5). — S. Ambr. Les démons ne peuvent supporter l’éclat de la lumière céleste, de même que ceux qui ont les yeux malades ne peuvent supporter les rayons du soleil. — S. Cyr. C’est pour ce motif que cette légion d’esprits immondes demande à être envoyée dans un troupeau de pourceaux immondes, à cause de la conformité de leurs instincts : « Et ils le prièrent de leur permettre d’y entrer, et il le leur permit. » — S. Athan. (Vie de saint Ant.) Si les démons n’ont point de pouvoir sur les pourceaux, à plus forte raison n’en ont-ils aucun sur les hommes qui sont faits à l’image de Dieu ; c’est donc Dieu seul qu’il faut craindre et n’avoir que du mépris pour eux. — S. Cyr. Notre-Seigneur leur accorda cette permission, afin que cet événement devînt pour nous une cause de salut et un motif d’espérance ou de confiance. — Suite. « Et il le leur permit. » Considérez combien la méchanceté des démons est grande, et le mal qu’ils font à ceux qui sont soumis à leur empire en les voyant précipiter et noyer dans la mer ce troupeau de pourceaux : « Sortant donc de cet homme, les démons entrèrent dans les pourceaux ; et le troupeau prenant sa course, se précipita dans le lac par un endroit escarpé et s’y noya. » Jésus-Christ accéda à leur demande, pour faire ressortir toute leur cruauté. Il fallut aussi montrer que le Fils de Dieu avait le gouvernement de toutes choses, aussi bien que le Père, et qu’il possédait une même gloire et une puissance égale.

Tite de Bostr. Cependant les gardiens prennent la fuite dans la crainte de périr avec leurs pourceaux : « Ce qu’ayant vu, les gardiens s’enfuirent, et en portèrent la nouvelle dans la ville et dans les villages, » semant dans l’âme de leurs habitants la crainte et l’effroi, par le récit de cet événement. La perte qu’ils viennent d’essuyer les fait venir trouver le Sauveur : « Plusieurs sortirent pour voir ce qui était arrivé, et ils vinrent à Jésus. » Voyez comme en châtiant les hommes dans leurs biens temporels, Dieu se rend le bienfaiteur de leurs âmes. Lorsqu’ils furent arrivés, ils trouvèrent parfaitement guéri celui que le démon ne laissait pas un seul moment en repos : « Et ils trouvèrent assis à ses pieds l’homme de qui les démons étaient sortis, vêtu et sain d’esprit, lui qui, jusque-là, était toujours sans vêtement, car cet homme ne quittait pas les pieds de celui à qui il devait sa guérison. A la vue de cette guérison miraculeuse, ils furent saisis d’admiration et d’étonnement : « Et ils furent remplis de crainte, » ajoute l’Évangéliste, tant parce qu’ils virent de leurs yeux que parce qui leur était raconté : « Et ceux qui avaient vu, leur racontèrent comment il avait été délivré de la légion. » Leur premier sentiment devait être de supplier le Seigneur de ne point s’éloigner, mais de garder leur pays contre les nouvelles attaques du démon, mais non, la crainte leur fait sacrifier leur propre salut, et ils prient le Sauveur de s’éloigner d’eux.

« Alors tous les habitants du pays de Gérasa le prièrent de s’éloigner d’eux, parce qu’ils étaient saisis d’une grande frayeur. » — Théophyl. Ils craignaient d’être encore exposés à de nouveaux dommages, comme celui qu’ils venaient de souffrir par la perte des pourceaux. — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Admirez la mansuétude de Jésus-Christ, après de si grands bienfaits, on le renvoie, il ne résiste point, il se retire et abandonne ceux qui se déclarent ainsi indignes de recevoir sa doctrine.

« Il monta donc dans la barque pour s’en retourner. » — Tite de Bostr. (sur S. Matth) Le Sauveur s’éloigne, mais celui qu’il venait de délivrer ne veut pas le quitter : « Et l’homme de qui les démons étaient sortis, le priait de l’admettre à sa suite. » — Théophyl. Une triste expérience lui faisait craindre de retomber au pouvoir des démons, s’il s’éloignait de Jésus. Mais Notre-Seigneur lui fait comprendre que, sans demeurer avec lui, il pouvait le protéger par sa puissance : « Jésus le renvoya, en disant : Retournez en votre maison, et racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous. » Il ne dit point : Que j’ai faites pour vous, et il nous donne en cela cet exemple d’humilité, de rapporter à Dieu tout le mérite de nos bonnes actions. — Tite de Bostr, (sur S. Matth.) Il ne se met pas toutefois en contradiction avec la vérité en parlant de la sorte, car tout ce que fait le Fils, le Père le fait avec lui. Mais pourquoi Jésus qui, toujours défendait à ceux qu’il guérissait de leurs infirmités, d’en parler à personne, dit à cet homme qu’il venait de délivrer d’une légion de démons : « Racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous ? » Parce que ce peuple était plongé dans l’ignorance de Dieu et livré tout entier au culte des démons ; ou bien, si l’on veut une explication plus vraie, lorsqu’il rapporte un miracle à son Père, il commande de le publier ; lorsqu’il s’agit personnellement de lui-même, il défend d’en parler à qui que ce soit. Mais cet homme qu’il venait d’arracher à la tyrannie des démons, savait que Jésus était Dieu, c’est pourquoi il s’empresse de publier la grâce extraordinaire qui venait de lui être faite : « Et il s’en alla, publiant par toute la ville les grandes choses que Jésus lui avait faites. » — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) C’est ainsi que Notre-Seigneur abandonne ceux qui se sont déclarés indignes de ses divins enseignements, en leur laissant pour maître celui qu’il venait de délivrer de la servitude des démons.

 

Bède. Dans le sens mystique, Gérasa représente les Gentils, que le Seigneur a visités par ses prédicateurs, après sa mort et sa résurrection. En effet, Gérasa, ou Gergésa (comme lisent plusieurs), signifie, qui chasse l’habitant, c’est-à-dire, le démon qui l’habitait auparavant, ou encore, arrivée de l’étranger, qui s’en trouvait éloigné.

 

S. Ambr. Le nombre de ceux qui furent guéris dans cette circonstance par Jésus-Christ, est différent dans saint Luc et dans saint Matthieu, mais le sens mystérieux de ce miracle est le même, car cet homme qui était possédé est, dans saint Luc, la figure du peuple des Gentils, comme les deux possédés dont parle saint Matthieu, le sont également. En effet, Noé ayant eu trois fils, Sem, Cham et Japhet, la postérité de Sem eut seul le privilège d’être le peuple de Dieu, et les deux autres furent la. souche de tous les autres peuples. Cet homme était depuis longtemps, possédé du démon, parce que depuis le déluge, ces peuples étaient sous la domination de l’esprit mauvais. Il était, nu, c’est-à-dire, qu’il avait perdu les vertus qui servaient de vêtement et à la fois d’ornement à sa nature. — S Aug. (Quest. évang., 1, 14.) Il n’habitait point de maison, c’est-à-dire, qu’il ne se reposait pas dans sa conscience ; il demeurait dans les tombeaux, parce qu’il se plaisait dans les oeuvres mortes, c’est-à-dire, dans les péchés. — S. Ambr. Ou bien encore, que sont les corps des infidèles, sinon des espèces de tombeaux dans lesquels la parole de Dieu ne peut habiter ?

 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 13.) Les entraves et les chaînes de fer qui liaient ses membres, représentent les lois sévères et accablantes qui réprimaient les crimes dans les gouvernements des infidèles. Cet homme ayant brisé ses chaînes, était entraîné par le démon dans le désert, c’est-à-dire que, lorsqu’on a transgressé ces lois, la passion conduit à des forfaits qui dépassent la mesure des crimes ordinaires. Il était possédé d’une légion de démons, et figurait les nations esclaves elles-mêmes d’une multitude de démons. Le Sauveur permet à ces esprits mauvais d’entrer dans des pourceaux qui paissaient sur les montagnes, et qui sont la figure de ces hommes à la fois immondes et superbes que le culte impur des idoles place sous la tyrannie des démons. — S. Ambr. Les pourceaux sont ces hommes qui, semblables à ces animaux immondes, et privés de la parole et de la raison, souillent l’éclat et la beauté des vertus naturelles par l’infamie de leurs moeurs. — S. Aug. (Quest. évang.) Ils sont précipités dans la mer, c’est-à-dire, que lorsque l’Église est enfin glorifiée et le peuple des Gentils délivré de la domination des démons, ceux qui n’ont pas voulu croire à Jésus-Christ, précipités dans les abîmes par leur curiosité aveugle et démesurée, sont condamnés à célébrer dans des retraites cachées leurs rites sacrilèges.

 

S. Ambr. Les pourceaux sont précipités avec impétuosité dans la mer, parce que ces hommes ne sont retenus par la considération d’aucune vertu, mais sont entraînés dans la profondeur des abîmes sur le penchant rapide de la corruption, et vont perdre la respiration et la vie au milieu des flots de ce monde. Il est impossible, en effet, à ceux qui sont le jouet des flots agités de la volupté, de pouvoir conserver la respiration et la vie de l’âme. Nous voyons par là que l’homme est lui-même l’auteur de son malheur, car s’il ne vivait pas de la vie des animaux immondes, jamais le démon n’eût reçu de pouvoir sur lui, ou bien ce n’eût été que pour l’éprouver et non pour le perdre. On peut dire aussi que le démon, dans l’impuissance où il est de s’attaquer aux bons depuis la venue du Sauveur, ne cherche plus à perdre tous les hommes, mais seulement les âmes légères et inconstantes, de même qu’un voleur n’attaque pas ceux qui sont armés, mais ceux qu’il voit sans défense. Les gardiens des troupeaux, témoins de cet événement, s’enfuirent. En effet, ce ne sont ni les maîtres de la philosophie, ni les chefs de la synagogue, qui peuvent donner des remèdes efficaces aux peuples atteints de maladies mortelles, Jésus-Christ est le seul qui peut les délivrer de leurs péchés. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 14.) Ou bien encore, ces gardiens de pourceaux qui s’enfuirent, représentent les chefs des impies qui ne veulent point observer la loi chrétienne, mais qui, néanmoins, sont remplis d’admiration pour elle, et ne peuvent s’empêcher de publier parmi les infidèles son étonnante puissance. Les Géraséniens qui, en apprenant ce qui s’est passé, prient Jésus de s’éloigner, figurent cette multitude d’hommes qui, séduits et retenus par les plaisirs dans lesquels s’est écoulée toute leur vie, honorent la religion chrétienne, mais ne veulent point embrasser ses prescriptions, sous le prétexte qu’ils ne pourraient les accomplir ; ils ne laissent pas toutefois d’admirer le peuple fidèle qu’ils voient guéri de l’état désespéré où ses crimes l’avaient réduit. — S. Ambr. Ou bien encore, la ville des Géraséniens est la figure de la synagogue, ses habitants supplient le Seigneur de s’éloigner, parce qu’ils sont saisis d’épouvante, car l’âme qui est encore faible n’est point capable d’entendre la parole de Dieu, et ne peut supporter le poids de la sagesse. Aussi le Sauveur ne vent point leur être plus longtemps importun, il quitte ces lieux peu élevés pour gagner les hauteurs, c’est-à-dire, qu’il se rend de la synagogue à l’Église. Il traverse de nouveau le lac, car personne ne peut passer de l’Église à la synagogue, sans danger pour son salut. Pour celui qui veut accomplir ce passage, qu’il porte sa croix s’il veut éviter tout danger. — S. Aug. (Quest. évang.) Cet homme que Jésus vient de guérir, veut rester avec lui, et le Sauveur s’y oppose « Retournez en votre maison, lui dit-il, et racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous. Apprenons de là, qu’après avoir obtenu la rémission de nos péchés, nous devons rentrer dans notre bonne conscience comme dans une demeure assurée, et chercher à étendre l’Évangile pour le salut des autres, si nous voulons un jour nous reposer avec Jésus-Christ ; car en désirant être réuni à Jésus-Christ avant le temps marqué, on s’expose à négliger le ministère de la prédication, qui a pour objet le salut de nos frères.

 

Vv. 43-48.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 28.) Après avoir raconté le miracle opéré chez les Géraséniens, l’Évangéliste passe à la résurrection de la fille du chef de la synagogue : « Jésus étant revenu, le peuple le reçut avec joie, parce qu’il était attendu de tous. » — Théophyl. Ils l’attendaient pour entendre sa doctrine et pour être témoins de ses miracles. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Le fait que salut Luc rapporte en cet endroit : « Un homme, appelé Jaïre, » etc., n’arriva point aussitôt après celui qu’il vient de raconter. Il faut placer auparavant le repas des publicains dont parle saint Matthieu, et auquel il fait succéder si étroitement (Mt 9, 18) ce miracle de la résurrection de la fille de Jaïre, qu’aucun autre ne peut être placé entre les deux. — Tite de Bost. L’Évangéliste donne le nom de ce chef de la synagogue, à cause des Juifs qui connurent alors cet événement, et pour rendre plus évidente la preuve du miracle. Ce n’est point un des derniers du peuple, mais un chef de synagogue qui vient trouver Jésus pour mieux confondre les Juifs et leur ôter toute excuse : « Il était chef de la synagogue. » Il vint trouver Jésus, parce qu’il y était comme forcé par la nécessité ; car quelquefois c’est la douleur qui nous porte au bien, selon cette parole du Psalmiste : « Resserrez avec le mors et le frein la bouche de ceux qui ne veulent point s’approcher de vous. » — Théophyl. Il vient donc, sous l’impulsion de la douleur qu’il éprouve, se jeter aux pieds de Jésus. Il aurait dû, sans y être contraint par la nécessité, se prosterner à ses pieds, et reconnaître sa divinité. — S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth., et Tite de Bost.) Voyez quelle est encore son ignorance, il demande à Jésus-Christ de venir chez lui : « Il le suppliait de venir dans sa maison, » c’est-à-dire qu’il ignorait que Jésus pût guérir sa fille sans être extérieurement présent ; car s’il l’avait su, il eût dit à Jésus comme le centurion : « Dites seulement une parole, et ma fille sera guérie. » (Mt 8.) — Asterius. (Ch. des Pèr. gr.) L’Évangéliste nous fait connaître la cause de sa démarche : « Il avait une fille unique, l’espérance de sa maison et de la perpétuité de sa race ; elle avait environ douze ans, c’est-à-dire à la fleur de l’âge ; elle se mourait, et au lieu du lit nuptial, elle allait être portée au tombeau. » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Or, le Seigneur n’était pas venu sur la terre pour juger le monde, mais pour le sauver, il n’a donc point égard à la dignité de celui qui l’implore, mais il poursuit tranquillement son oeuvre, sachant bien qu’il allait opérer un miracle plus grand que celui qu’on lui demandait. En effet, on l’appelait pour guérir une jeune fille malade, mais il savait qu’il allait la ressusciter après sa mort, et inspirer ainsi aux hommes l’espérance certaine de la résurrection.

S. Ambr. Avant de ressusciter cette jeune fille, il guérit l’hémorroïsse pour exciter la foi du chef de la synagogue ; c’est ainsi que nous célébrons la résurrection temporelle dans la passion du Sauveur, pour affermir notre foi à la résurrection éternelle : « Comme Jésus s’en allait aveu lui, et qu’il était pressé par la foule. » — S. Cyr. Preuve évidente qu’il avait pris une chair véritable, et qu’il foulait aux pieds tout sentiment d’orgueil ; car la foule ne le suivait pas à distance, mais l’entourait et le pressait.

Astérius. Or, une femme atteinte d’une grave maladie, dont l’infirmité avait épuisé les forces corporelles, et les médecins la fortune, n’a plus d’autre espérance dans une si grande extrémité, que devenir se jeter aux pieds du Seigneur : « Et une femme malade d’une perte de sang depuis douze ans, » etc. — Tite de Bost. (sur S. Matth.) Quels éloges ne méritent pas, cette femme qui, dans l’épuisement de ses forces, causé par cette perte continuelle de sang, au milieu de tout ce peuple qui s’empresse autour du Seigneur, soutenue par sa foi et par le désir d’être guérie, traverse la foule, et, se dérobant aux regards du Sauveur, se tient derrière lui, et touche la frange de son vêtement (cf. Nb 15, 38)

« Et elle toucha la frange de son vêtement. » — S. Cyr. Car il était défendu à ceux qui étaient souillés de quelque impureté, de toucher ceux qui étaient purs, ou de s’approcher de ceux que la loi réputait pour saints. — S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth.) D’après la loi, cette maladie était regardée comme une des plus grandes souillures. (Lv 15.) D’ailleurs cette femme n’avait pas encore une bien juste idée du Sauveur, puisqu’elle espérait pouvoir lui cacher cette démarche ; cependant elle s’approche de lui dans la ferme espérance d’être guérie.

 

Théophyl. Celui qui approche l’oeil d’une vive lumière, en ressent aussitôt les effets ; les épines s’embrasent au premier contact du feu ; ainsi, quiconque s’approche avec foi de celui qui peut le guérir, obtient aussitôt sa guérison : « Et aussitôt sa perte de sang s’arrêta. » Ce ne furent pas les seuls vêtements du Sauveur qui produisirent ce merveilleux effet (car les soldats les tirèrent au sort entre eux, sans éprouver rien de semblable) (cf. Mt 27, 35 ; Mc 15, 34 ; Jn 19, 23 et 24), mais elle fut guérie par la vivacité de sa foi. — Théophyl. Elle crut, et aussitôt elle fut guérie, et elle suivit ici un ordre vraiment admirable en ne touchant extérieurement le Sauveur qu’après l’avoir touché spirituellement par la foi.

Astérius. Or, Notre-Seigneur entendit les pensées de cette femme, toute muettes qu’elles étaient, et il guérit sans proférer une seule parole celle qui le priait en silence, en lui laissant pour ainsi dire dérober sa guérison, mais il publie ensuite ce miracle : « Et Jésus dit : Qui m’a touché ? » — S. Cyr. Le Seigneur ne pouvait ignorer le miracle qu’il venait d’opérer, mais bien qu’il connaisse toutes choses, il interroge comme s’il ne savait rien. — S. Grég. (ou Victor d’Antioche.) Or, les disciples ne comprenant pas la vraie signification de cette question, et pensant que Jésus voulait parler d’un simple attouchement ordinaire, lui répondent dans ce dernier sens : « Tous s’en défendant, Pierre dit : La foule vous presse de toutes parts, et vous dites : Qui m’a touché ? » etc. Aussi Notre-Seigneur, dans sa réponse, précise la nature de cet attouchement : « Jésus dit : Quelqu’un m’a touché. » C’est dans ce même sens qu’il disait : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende, » quoique tous aient les oreilles du corps, parce que ce n’est pas entendre véritablement, que d’entendre sans attention ; de même qu’on ne touche véritablement, que lorsqu’on est inspiré par la foi. — S. Cyr. Le Sauveur fait connaître ce qui vient d’arriver : « Car j’ai senti qu’une vertu était sortie de moi. » En parlant de la sorte, il se conforme aux idées de ceux qui l’écoutent, mais il leur découvre en même temps sa divinité, tant par le miracle qu’il vient d’opérer, que par ses paroles ; car ni la nature humaine, ni peut-être la nature angélique ne peuvent produire d’elles-mêmes une vertu, une puissance semblable, c’est un privilège qui n’appartient qu’à la nature divine ; nulle créature, en effet, ne possède en propre la puissance de guérir les maladies ou d’opérer tout autre miracle de ce genre, elle ne peut la recevoir que de Dieu. Or, ce n’est point par un vain désir de gloire qu’il voulut que cet acte de la puissance divine fût connu de tous, lui qui si souvent avait défendu de publier ses miracles, mais dans l’intérêt de ceux qui sont appelés à la grâce de la justification par la foi. — S. Chrys. (hom. 36 sur S. Matth.) Il commence par calmer la crainte de cette femme, dont la conscience alarmée aurait pu lui reprocher d’avoir comme dérobé la grâce de sa guérison ; troisièmement, il fait l’éloge de sa foi devant tous ceux qui sont présents, et la propose à leur imitation ; et en faisant voir que toutes choses lui sont connues, il ne fait pas un moindre miracle que celui de la guérison de cette femme. — S. Cyr. Par là enfin, il amenait le chef de la synagogue à croire, sans hésiter, qu’il délivrerait sa fille des liens de la mort.

S. Chrys. Notre-Seigneur ne fit pas connaître immédiatement cette femme, il voulait, en montrant que rien ne lui est caché, la déterminer à publier ce qui venait d’arriver et qu’il ne pût exister aucun doute sur la vérité du miracle : « Cette femme, se voyant découverte, vint toute tremblante, » etc. — Orig. Le Sauveur confirme alors, par ses paroles, la guérison qu’elle a obtenue en touchant ses vêtements : « Et Jésus lui dit : Ma fille, votre foi vous a guérie, allez en paix, » c’est-à-dire soyez délivrée de l’épreuve qui vous affligeait. Il ne guérit donc le corps qu’après avoir guéri l’âme par la foi. — Tite de Bost. Il l’appelle sa fille, parce que sa foi a été la cause de sa guérison, et que la foi nous obtient aussi la grâce de l’adoption.

Eusèbe. (hist. ecclés., 7, 14.) On rapporte que cette femme fit ériger dans la ville de Panéade (Césarée de Philippe), d’où elle était originaire, un monument remarquable, en souvenir du bienfait qu’elle avait reçu du Sauveur. On voyait à l’entrée de la porte de sa demeure, sur un piédestal élevé, une statue d’airain, représentant une femme à genoux, les mains jointes, dans l’attitude de la prière ; de l’autre côté se dressait une autre statue de même matière, représentant un homme vêtu d’un manteau, la main étendue vers cette femme ; à ses pieds, sur la base, on voyait une plante exotique, qui montais jusqu’au bord du manteau d’airain, et à laquelle on attribuait la propriété de guérir toutes les douleurs. Cette statue, disait-on, représentait Jésus-Christ, et l’empereur Maximin la fit détruire.

 

S. Ambr. Dans un sens mystique, Jésus-Christ avait quitté la synagogue en s’éloignant des Géraséniens, et nous qui sommes étrangers, nous recevons celui que les siens n’ont pas voulu recevoir. — Bède. Ou encore, le Seigneur reviendra trouver les Juifs à la fin des temps, et ils le recevront en s’empressant d’embrasser la foi. — S. Ambr. Mais que représente ce chef de la synagogue, sinon la loi, en considération de laquelle le Seigneur n’a pas entièrement abandonné la synagogue ? — Bède. Ou bien ce prince de la synagogue, c’est Moïse. Il porte avec raison le nom de Jaïre (c’est-à-dire qui éclaire ou qui est éclairé), parce que celui qui reçoit les paroles de vie pour nous les communiquer, éclaire les autres, et est éclairé lui-même par l’Esprit-Saint. Le chef de la synagogue se prosterne aux pieds de Jésus, parce que le législateur des Juifs, et toute la succession des patriarches reconnurent que le Christ fait homme leur était de beaucoup supérieur. Car si Dieu est la tête du Christ (1 Co 11), il est juste de voir dans ses pieds son incarnation par laquelle il a touché la terre de notre mortalité. Il prie Jésus d’entrer dans sa maison, parce qu’il désirait voir son avènement. Sa fille unique, c’est la synagogue, qui seule est établie en vertu d’une institution légale ; elle allait mourir, âgée seulement de douze ans (c’est-à-dire aux approches de sa puberté), parce qu’en effet, après avoir reçu des prophètes une éducation distinguée, elle devait, une fois parvenue à l’âge du discernement, produire pour Dieu des fruits spirituels ; mais la multiplicité de ses erreurs l’ayant fait tomber en langueur, elle ne put entrer dans les voies de la vie spirituelle, et si Jésus-Christ ne fût venu à son secours, elle eût succombé à une mort certaine. Tandis que le Seigneur se dirige vers la maison de la jeune fille qu’il va guérir, il est pressé par la foule, parce qu’en effet, il est comme accablé par les moeurs de ceux qui mènent une vie charnelle, alors qu’il annonce aux Juifs les enseignements du salut. — S. Ambr. Mais tandis que le Verbe de Dieu se rend chez cette fille du chef de la synagogue pour sauver les enfants d’Israël, la sainte Église, composée des Gentils, et qui allait périr victime de ses désordres et de ses crimes, dérobe par la foi la grâce de la guérison qui était réservée à d’autres. — Bède. Cette perte de sang peut s’entendre de deux manières, et de la prostitution de l’idolâtrie, et des honteuses jouissances de la chair et du sang. — S. Ambr. Mais que signifient cette fille du chef de la synagogue, qui meurt à l’âge de douze ans, et cette femme qui souffrait depuis douze ans d’une perte de sang, sinon que l’Église a été dans le travail et la souffrance, tant que la synagogue a existé ? — Bède. Car ce fut presque dans le même siècle que la synagogue prit naissance dans la personne des patriarches, et que les Gentils se souillèrent par les pratiques d’un culte idolâtrique.

S. Ambr. Cette femme avait épuisé toute sa fortune pour se faire traiter par les médecins ; ainsi le peuple des Gentils avait perdu tous les dons de la nature. — Bède. Ces médecins représentent ou les faux théologiens, ou les philosophes, et les docteurs des lois humaines, qui font de longues dissertations sur les vertus et sur les vices, et promettent aux hommes de leur donner des règles utiles pour les diriger dans la conduite de la vie. Ou bien encore, ces médecins sont les esprits immondes qui, sous le voile d’un intérêt hypocrite, se faisaient adorer par les hommes à la place de Dieu. Or, plus la gentilité avait dépensé de facultés naturelles pour écouter tous ces docteurs, et plus il était difficile de la purifier des souillures de ses crimes. — S. Ambr. Mais dès que la gentilité apprit que le peuple juif était lui-même malade, elle conçut l’espoir de sa guérison, elle reconnut que le temps était arrivé où un divin médecin devait descendre du ciel, elle se leva pour aller à sa rencontre, puisant un saint empressement dans sa foi, mais retenue par sa timidité naturelle ; car c’est le propre de la pudeur et de la foi de reconnaître son infirmité, sans désespérer du pardon. Elle touche le bord du vêtement du Sauveur honteuse et craintive, elle s’approche avec confiance, elle croit d’une foi religieuse et sincère, et reconnaît sagement qu’elle a obtenu sa guérison. Ainsi le peuple des Gentils qui a cru au vrai Dieu, a rougi des crimes auxquels il voulait renoncer, a embrassé la foi qu’il devait professer, fait preuve de piété dans ses prières, de sagesse, en reconnaissant sa guérison, de confiance, en avouant qu’il avait comme soustrait la grâce qui était destinée à d’autres. Cette femme s’approche de Jésus par derrière, pour toucher son vêtement, parce qu’il est écrit : « Vous marcherez après le Seigneur votre Dieu. » (Dt 13.) — Bède. Et Jésus-Christ lui-même a dit : « Si quelqu’un veut être mon serviteur, qu’il me suive. » (Jn 13.) Ou bien encore, parce que celui qui ne voit point le Seigneur dans sa chair mortelle, après l’accomplissement et la consommation des mystères de sa vie temporelle, marche cependant sur ses traces par la foi.

S. Grég. (Mor., 3, 11.) Tandis que la foule presse de tous côtés le Rédempteur, une seule femme le touche véritablement, parce que dans l’Église, tous ceux qui suivent les penchants de la chair pressent le Sauveur, dont ils sont cependant bien éloignés, et ceux-là seuls le touchent, qui lui sont véritablement unis par l’humilité. Ainsi la foule le presse sans le toucher, parce qu’elle est importune par sa présence, et absente par sa vie. — Bède. Ou bien encore, il n’y a qu’une seule femme pour toucher le Seigneur avec foi, parce qu’on ne peut chercher avec foi que par le coeur de l’Église catholique celui qui est affligé par le désordre des diverses hérésies. — S. Ambr. Ceux qui le pressent, ne croient point en lui, ceux-là seuls ont la foi, qui le touchent ; c’est par la foi que l’on touche Jésus-Christ, c’est par la foi qu’on le voit. Enfin, pour manifester la foi de cette femme qui le touche, il dit : « J’ai senti qu’une vertu était sortie de moi, » preuve évidente que la divinité n’est pas renfermée dans les bornes étroites de la nature humaine, et dans la prison du corps, mais que sa puissance éternelle déborde au delà des limites de notre faible nature. Ce n’est pas, en effet, par un acte de la puissance humaine, que le peuple des Gentils est délivré, c’est la grâce de Dieu qui réunit toutes les nations qui, par une foi encore imparfaite, inclinent vers elle la miséricorde éternelle. En effet, si nous considérons d’un côté l’étendue de notre foi ; de l’autre la grandeur du Fils de Dieu, nous verrons qu’en comparaison de cette grandeur divine, nous touchons seulement le bord de son vêtement, sans que nous puissions en atteindre le haut. Si donc nous voulons obtenir notre guérison, touchons par la foi le bord du vêtement de Jésus-Christ, personne ne peut le toucher sans qu’il le sache. Heureux celui qui touchera la moindre partie du Verbe, car qui peut le comprendre tout entier ?

 

Vv. 49-56.

S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth.) C’est par un dessein providentiel que Notre-Seigneur attendait que cette jeune fille fût morte, afin de rendre plus éclatant le miracle de sa résurrection ; c’est dans cette intention qu’il marche lentement, qu’il prolonge son entretien avec cette femme, jusqu’à ce que la fille du chef de la synagogue expirât, et que la nouvelle lui en fût apportée : « Comme il parlait encore, quelqu’un vint dire au chef de la synagogue : Votre fille est morte, » etc. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 28.) Que saint Matthieu raconte que le chef de la synagogue annonce au Seigneur, non que sa fille allait mourir, mais qu’elle était morte, tandis que saint Luc et saint Marc rapportent qu’elle n’était pas encore morte, tellement qu’ils ajoutent qu’on vint ensuite annoncer sa mort, il n’y a ici aucune contradiction. Saint Matthieu, pour abréger, a voulu dire tout d’abord, que le Seigneur fut prié de faire ce qu’il fit en réalité, c’est-à-dire, de ressusciter cette jeune fille qui était morte ; il a donc moins égard aux paroles du père, qu’à son désir et à sa volonté, ce qui est beaucoup plus important, sans doute. Si les deux autres Évangélistes, ou l’un d’eux seulement avait mis dans la bouche du père le langage de ceux qui vinrent de chez lui, c’est-à-dire, qu’il ne fallait pas davantage tourmenter Jésus, parce que la jeune fille était morte ; les paroles que lui prête saint Matthieu, seraient en opposition avec sa pensée, mais on ne lit nullement que le père se soit joint aux envoyés pour empêcher le divin Maître de venir. Aussi Notre-Seigneur, sans lui reprocher son manque de confiance, affermit au contraire sa foi et la rend inébranlable : « Jésus, ayant entendu cette parole, dit au père de la jeune fille : Croyez seulement et elle sera sauvée. » — S. Athan. (disc. sur la pass. et la croix du Seigneur.) Le Seigneur exige la foi de ceux qui l’invoquent, non qu’il ait besoin du secours d’autrui (puisqu’il est le maître et le distributeur de la foi), mais pour ne point paraître faire acception de personne dans la distribution de ses dons. Il montre ainsi qu’il n’accorde ses grâces qu’à ceux qui croient, parce qu’il ne veut pas que ses bienfaits tombent dans une âme dépourvue de foi, qui les laissera bientôt perdre par son infidélité, Il veut au contraire que la grâce de ses bienfaits persévère, et que la guérison qu’il accorde soit constante et durable.

Théophyl. Avant de ressusciter cette jeune fille qui était morte, il fit sortir tout le monde, pour nous apprendre à fuir toute vaine gloire et à ne rien faire par ostentation Ainsi, lorsque Dieu donne à quelqu’un la grâce de faire des miracles, il ne doit point rester dans la foule, mais rechercher la solitude et se séparer du monde : « Etant arrivé à la maison, il ne permit à personne d’entrer avec lui, si ce n’est à Pierre, à Jacques et à Jean. » Il ne laisse entrer que les premiers de ses disciples, comme plus capables de tenir secret ce miracle, car il ne voulait pas qu’il fût divulgué avant les temps marqué, peut-être à cause de l’envie que lui portaient les Juifs. Ainsi, lorsque nous sommes pour un de nos frères un objet d’envie, gardons-nous de lui faire connaître nos bonnes oeuvres, pour ne pas donner à sa jalousie une nouvelle pâture. — S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth.) Il ne prit point avec lui les autres disciples, pour stimuler leurs désirs, et aussi parce que leurs dispositions n’étaient pas assez parfaites. Il choisit Pierre et les fils de Zébédée, pour exciter les autres à les imiter. Il prend aussi comme témoins les parents de la jeune fille, afin que personne ne pût s’inscrire en faux contre les preuves de cette résurrection. Remarquez encore qu’il fit retirer tous ceux qui pleuraient, et qu’il juge indignes de voir ce miracle : « Or, tous pleuraient et se lamentaient sur elle. » Si le Sauveur bannit alors les pleurs et les larmes, à plus forte raison, devons-nous maintenant imiter cet exemple ? Car on ne comprenait pas aussi clairement alors que la mort ne fût qu’un sommeil pour le chrétien. Que personne donc ne s’abandonne à une douleur exagérée, et ne fasse ainsi injure à la victoire que Jésus-Christ a remportée sur la mort, qui n’est plus maintenant qu’un simple sommeil, comme Notre-Seigneur l’établit, en ajoutant : « Ne pleurez pas, elle n’est, pas morte, mais elle dort. » Il montre ainsi que toutes choses lui sont faciles, et qu’il peut aussi facilement la rappeler à la vie que la réveiller de son sommeil : « Et ils se moquaient de lui, sachant bien qu’elle était morte. » Le Sauveur ne leur fait aucun reproche, il n’arrête pas leurs dérisions qui seront une preuve évidente de la mort de cette jeune fille. Comme la plupart du temps, les hommes, malgré les miracles dont ils sont témoins, persévèrent dans leur incrédulité, il veut les convaincre d’avance par leurs propres paroles, et pour les disposer à croire à la résurrection par le spectacle qu’ils avaient sous les yeux, il prend la main de la jeune fille : « Alors prenant sa main, il dit à haute voix : Jeune fille, levez-vous. » Et dès qu’il eut pris sa main, elle fut ressuscitée : « Et son âme revint dans son corps, et elle se leva à l’instant. » En effet, le Sauveur ne lui donne pas une âme différente de la sienne, mais il lui rend la même qu’elle avait perdue avec le dernier soupir. Non seulement il ressuscite cette jeune fille, mais il veut qu’on lui donne à manger : « Et Jésus commanda de lui donner à manger, » preuve évidente que cette résurrection n’était pas imaginaire. Et il ne veut pas lui donner à manger lui-même, il la fait servir par d’autres ; il agit de même dans la résurrection de Lazare, il dit à ses disciples : « Déliez-le, » et l’admet ensuite à sa table.

 

Sévère d’Antioche. Les parents de cette jeune fille sont plongés dans la stupeur et prêts à pousser des exclamations d’étonnement et de joie ; Jésus les contient : « Son père et sa mère étaient hors d’eux-mêmes d’étonnement, et il leur commanda de ne dire à personne ce qui était arrivé. » Il montre ainsi qu’il est l’auteur et la source de tous les biens, qu’il les répand sans aucune recherche personnelle, et qu’il donne tout sans rien recevoir. Celui, au contraire, qui poursuit avec empressement la vaine gloire dans ses bonnes oeuvres, donne, il est vrai d’un côté, mais pour recevoir de l’autre.

 

 Bède. Dans le sens mystique, à peine cette femme malade d’une perte de sang, est-elle guérie, qu’on vient annoncer à Jésus la mort de la fille du chef de la synagogue. C’est qu’en effet, lorsque l’Église fut purifiée des souillures de ses vices, la synagogue expira aussitôt victime de son infidélité et de sa noire envie ; de son infidélité parce qu’elle refuse de croire en Jésus-Christ, de jalousie, parce qu’elle s’attrista de voir l’Église embrasser la foi.

S. Ambr. Les serviteurs du prince de la synagogue eux-mêmes ne pouvaient croire encore à la résurrection que Jésus-Christ avait prédite dans la loi (Ps 15), et qu’il accomplit plus tard sous le règne de l’Évangile, et ils disent au père de la jeune fille : « Ne le tourmentez pas davantage, » comme s’il lui était impossible de rappeler cette jeune fille à la vie. — Bède. C’est le même langage que tiennent encore aujourd’hui ceux qui regardent l’état de la synagogue comme tellement désespéré, qu’ils ne croient pas qu’elle puisse être jamais rétablie, mais ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu (Lc 18). Aussi le Sauveur dit au chef de la synagogue : « Ne craignez pas, croyez seulement, et elle sera sauvée. » Le père de la jeune fille représente la réunion des docteurs de la loi, s’ils consentent à embrasser la foi, la synagogue qui leur est soumise sera également sauvée. — S. Ambr. Lorsque Jésus fut venu dans la maison, il ne prit avec lui que quelques témoins de la résurrection qu’il allait opérer ; c’est qu’en effet, la résurrection n’a été crue d’abord que par un petit nombre. Mais pourquoi cette manière d’agir si différente ? Précédemment, il a ressuscité publiquement le fils d’une veuve ; ici il éloigne la foule des témoins ; dans cette première circonstance, Notre-Seigneur voulait manifester sa bonté, parce que la douleur de cette veuve qui pleurait son fils unique, ne souffrait aucun retard. Il voulait aussi dans sa sagesse, nous donner une figure, dans le fils de la veuve de Naïm, de l’Église, qui devait embrasser promptement la foi, et dans la fille du chef de la synagogue, les Juifs qui devaient croire, mais en très-petit nombre. Enfin, lorsque Notre-Seigneur leur dit : « Cette jeune fille n’est pas morte, mais elle dort. » Ils se riaient de lui, car quand on ne croit pas, on devient nécessairement moqueur. Laissons donc pleurer leurs morts à ceux qui les regardent comme morts sans retour ; avec la foi en la résurrection, il n’y a plus de mort, il n’y a plus qu’un sommeil passager. Quant à la synagogue qui a perdu la joie de l’époux qui faisait sa vie, elle reste étendue comme morte au milieu de ceux qui la pleurent, sans même comprendre le sujet de leurs larmes. — S. Ambr. Le Seigneur prend la main de la jeune fille pour la rappeler à la vie ; heureux celui que la sagesse prend ainsi par la main pour l’introduire dans sa maison, et commander qu’on lui donne à manger ! Car le Verbe de Dieu est vraiment le pain descendu du ciel, aussi entendez la Sagesse qui a multiplié sur les autels le corps et le sang d’un Dieu pour être notre nourriture, vous dire : « Venez, mangez le pain que je vous donne, et buvez le vin que je vous ai préparé. » (Pv 9.) — Bède. La jeune fille se leva à l’instant, car dès que Jésus-Christ prend et soutient la main de l’homme, son âme revient aussitôt à la vie. Or, il en est quelques-uns qui trouvent la mort de l’âme dans une simple pensée coupable qui ne se manifeste par aucun acte ; le Seigneur leur rend la vie dans la fille du chef de la synagogue. D’autres en viennent aux actes extérieurs du mal dans lequel ils se complaisent, et portent pour ainsi dire leur mort publiquement hors des portes, ils sont figurés par le fils de la veuve, que Jésus ressuscita hors des portes de la ville, et il montre ainsi qu’il peut les ressusciter. D’autres enfin sont ensevelis dans les habitudes du péché comme dans la corruption du tombeau, et la grâce du Sauveur est également puissante pour leur rendre la vie, c’est pour le prouver qu’il ressuscite Lazare, qui était déjà depuis quatre jours dans le tombeau. Or, plus les crimes qui ont donné la mort à l’âme sont graves, plus doit être vive la ferveur de la pénitence. Aussi, Notre-Seigneur parle à voix modérée pour ressusciter la jeune fille étendue morte dans la maison de ses parents ; il prend un ton plus élevé, et en dit davantage pour rappeler à la vie le jeune homme qu’on portait au tombeau ; mais pour ressusciter Lazare mort depuis quatre jours, il frémit en son esprit, il verse : des larmes, et jette un grand cri. Remarquons encore que les fautes publiques exigent un remède public, tandis que les péchés moins graves peuvent être effacés par les oeuvres secrètes de la pénitence. Cette jeune fille étendue morte dans la maison de ses parents, revient à la vie devant un petit nombre de témoins ; le fils de la veuve de Naïm est ressuscité hors de la maison et devant tout le peuple, et Lazare, rappelé du tombeau, eut pour témoins de sa résurrection un nombre considérable de Juifs.

 

CHAPITRE IX

Vv. 1-6.

S. Cyr. Il convenait que les ministres établis de Dieu pour enseigner la sainte doctrine, eussent le pouvoir de faire des miracles et de faire reconnaître par leurs oeuvres, qu’ils étaient les envoyés de Dieu : « Jésus ayant assemblé les douze Apôtres, leur donna puissance et autorité sur tous les démons, » etc. Il abaisse ainsi la fierté superbe du démon, qui avait osé dire autrefois : Nul ne peut me contredire. (Is 10, 14.) — Eusébe. Comme il veut conquérir par eux tout le genre humain, il leur donne non seulement le pouvoir de chasser les esprits mauvais, mais encore de guérir en son nom toute espèce d’infirmité : « Et pour guérir les maladies. » — S. Cyr. (Très., 14, 14.) Considérez ici la divine puissance du Fils de Dieu, qui ne peut convenir à aucune nature créée, car si les saints faisaient des miracles, ce n’était point en vertu d’un pouvoir naturel, mais par la participation de l’Esprit saint. Ils ne pouvaient d’ailleurs en aucune façon communiquer cette puissance aux autres, car comment une nature créée pourrait-elle disposer en maître des dons de l’Esprit saint ? Au contraire, Notre-Seigneur Jésus-Christ étant Dieu par nature, distribue cette grâce à qui il veut, il n’appelle pas sur ceux qui la reçoivent une vertu étrangère, il la leur communique de ses propres trésors. — S. Chrys. (hom. 33 sur S. Matth.) Mais ce n’est qu’après qu’il les a fortifiés par un long commerce avec lui, et qu’ils ont acquis une conviction raisonnée de sa puissance qu’il leur donne cette mission : « Et il les envoya prêcher le royaume de Dieu. » Remarquez l’objet précis de leur mission, ce n’est point d’annoncer des choses temporelles, comme Moïse et les prophètes, qui promettaient la terre et les biens de la terre, les Apôtres annoncent et promettent le royaume de Dieu et tout ce qu’il renferme.

 

S. Grég. de Nazianze. En envoyant ses disciples prêcher l’Évangile, Notre-Seigneur leur fait un grand nombre de recommandations qui peuvent se résumer dans cette maxime générale, c’est que leur vertu, leur courage, leur humilité, leur vie toute céleste, doivent briller d’un si vif éclat, qu’ils servent à la propagation de l’Évangile, non moins puissamment que leurs prédications ; c’est pour cela qu’il les envoie sans argent, sans bâton, et avec un seul vêtement : « Ne portez rien en route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent, » etc. — S. Chrys. Ce précepte renfermait pour les disciples de nombreux avantages ; premièrement, il les mettait à l’abri de tout soupçon ; secondement, il les affranchissait de toute sollicitude, et leur laissait toute liberté pour la prédication ; troisièmement, il les convainquait de sa propre puissance. On objectera, peut-être, que tous les autres commandements ont leur raison d’être, mais pourquoi leur commander de n’avoir en chemin ni sac, ni deux tuniques, ni bâton ? C’est qu’il veut les former à la plus haute perfection, et faire pour ainsi dire de ses disciples, des anges, en les affranchissant de tous les soucis de la vie, pour ne leur laisser d’autre sollicitude que la prédication de sa doctrine. — Eusèbe. Cette recommandation a donc pour objet de les éloigner de tout attachement aux biens de la terre, et de toutes les préoccupations de la vie. Il mettait ainsi à l’épreuve leur foi et leur courage en leur faisant un devoir devant lequel ils ne reculeraient pas, de vivre au milieu des privations de la vie la plus pauvre. Il était juste qu’il y eût entre eux et leur divin Maître une espèce d’échange, et qu’ils reconnussent le pouvoir qu’il leur avait donné de guérir les malades par une obéissance parfaite à ses commandements. Il veut en faire les soldats du royaume de Dieu, il les prépare donc au combat contre les ennemis, en leur recommandant la pratique de la pauvreté : « Car celui qui est enrôlé au service de Dieu, ne doit pas s’embarrasser dans les affaires du siècle. »

 

S. Ambr. Ces préceptes divins nous apprennent donc quelle doit être la vie de celui qui annonce le royaume de Dieu, il doit ne point se préoccuper des moyens de pourvoir à l’entretien de la vie présente, et puiser dans une foi vive la confiance que les choses nécessaires lui seront données avec abondance, en raison directe de son peu d’empressement à les rechercher. —Théophyl. Il les envoie donc comme des mendiants, avec défense de porter avec eux ni pain, ni aucune de ces choses dont tant d’autres ne peuvent se passer. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 30.) Ou bien encore, si le Sauveur défend à ses disciples de posséder et de porter avec eux aucune de ces choses, ce n’est pas qu’il ne les juge nécessaires au soutien de cette vie, mais il veut leur apprendre, en leur donnant leur mission, qu’ils ont droit à recevoir le nécessaire de ceux à qui ils prêcheraient l’Évangile ; ils doivent donc être parfaitement tranquilles à cet égard, et ne se préoccuper en aucune façon, de mettre en réserve et de porter avec eux les choses nécessaires à la vie. Aussi, d’après saint Marc, il leur commande de ne rien porter avec eux, si ce n’est un bâton, pour montrer que les fidèles doivent tout aux ministres de la parole qui, de leur côté, ne demanderont rien de superflu. Le bâton est donc l’emblème de ce droit et de cette puissance dans ces paroles : « Il leur commanda de ne rien prendre avec eux, si ce n’est un bâton. »

 

S. Ambr. On peut encore entendre, si l’on veut, et avec plusieurs interprètes, ces paroles dans ce sens, que le Sauveur ne se propose ici que de diriger leurs affections intérieures, qui doivent les porter è se dépouiller du corps comme d’un vêtement, non seulement en méprisant les honneurs et les richesses, mais en renonçant à toutes les séductions de la chair. — Théophyl. D’autres encore, croient que par cette recommandation faite aux Apôtres, de ne porter ni sac, ni bâton, ni deux tuniques, Notre-Seigneur veut leur faire entendre qu’ils ne doivent point thésauriser (ce que signifie le sac où l’on peut entasser des sommes considérables), qu’ils doivent maîtriser la colère et la violence (ce qui est figuré par le bâton), et fuir la dissimulation et la duplicité (que représentent les deux tuniques). — S. Cyr. Mais, dira-t-on, où trouveront-ils les choses nécessaires ? Écoutez la suite : « En quelque maison que vous entriez, n’en sortez point, » ce qui veut dire : Contentez-vous des choses que vos disciples vous donneront pour votre entretien en échange des biens spirituels qu’ils recevront de vous. Il leur commande de rester dans la même maison pour ne point contrister, en changeant de demeure, celui qui les a reçus chez lui, et ne point s’exposer au soupçon de légèreté d’esprit ou de sensualité. — S. Ambr. Au jugement du Sauveur, il est donc indigne d’un prédicateur du royaume des cieux, de courir de maison en maison, et de violer ainsi les droits sacrés de l’hospitalité. Mais de même qu’il sauvegarde les droits de l’hospitalité, de même aussi il ordonne à ses disciples, quand on refusera de les recevoir, de secouer la poussière de leurs pieds, en sortant de cette ville : « Lorsqu’on refusera de vous recevoir, en sortant de cette ville, secouez même la poussière de vos pieds en témoignage contre eux. » — Bède. Les Apôtres secouent la poussière de leurs pieds, en témoignage de leurs travaux apostoliques, et comme preuve qu’ils sont entrés dans cette ville pour y faire entendre la prédication de l’Évangile ; ou bien encore, ils secouent la poussière de leurs pieds, comme un signe qu’ils n’ont rien reçu, pas même le nécessaire, de ceux qui méprisent l’Évangile. — S. Cyr. Il est très-peu probable que ceux qui méprisent la parole du salut et le père de famille se montrent bienveillants pour ses serviteurs, ou réclament leurs bénédictions. — S. Ambr. On bien encore, dans un autre sens, le Sauveur nous enseigne à reconnaître grandement le bienfait de l’hospitalité, non seulement en donnant la paix à ceux qui nous reçoivent, mais en les délivrant de ces fautes de légèreté qui tiennent à notre nature terrestre et qui sont effacées par les pas des prédicateurs apostoliques auxquels on accorde l’hospitalité. — Bède. Mais quant à ceux qui, par une négligence coupable ou de dessein prémédité, font mépris de la parole de Dieu, il faut éviter leur société, et en les quittant, secouer la poussière de ses pieds, dans la crainte que les pas de l’âme chaste ne viennent à être souillés par leurs actions pleines de vanité figurées par la poussière.

 

Vv. 7-10.

Eusèbe. Après avoir ceint et revêtu ses disciples, comme les soldats de Dieu, d’une puissance divine et des enseignements de la sagesse le Sauveur les envoie vers les Juifs, comme des docteurs et des médecins, et ils partent pour accomplir cette double mission : « Étant donc partis, ils parcouraient les villages, prêchant l’Évangile et guérissant partout ; » ils annoncent l’Évangile en qualité de docteurs, et comme médecins, ils guérissent les malades, et prouvent par leurs miracles la vérité de leurs paroles.

 

S. Chrys. (hom. 49 sur S. Matth.) Hérode n’apprit les miracles de Jésus que longtemps après que la renommée s’en était répandue, preuve de l’orgueil de ce tyran, qui s’était peu soucié de les connaître dès l’origine : « Cependant Hérode le tétrarque entendit parler de tout ce que faisait Jésus. » — Théophyl. Cet Hérode était fils d’Hérode le Grand, qui fit périr les enfants de Bethléem, le premier était roi, le second était simplement tétrarque. Or, il voulait savoir ce qu’était le Christ : « Et il ne savait que penser. » — S. Chrys. Les pécheurs, en effet, redoutent ce qu’ils connaissent comme ce qu’ils ignorent, ils ont peur de leur ombre. ils soupçonnent partout des embûches, et tremblent au moindre bruit. Telles sont les tristes suites du péché, il dévoile le coupable sans que personne le blâme ou le reprenne, il le condamne sans que personne l’accuse, et il le livre en proie à la crainte et à l’hésitation. L’Évangéliste nous indique les causes de cette crainte : « Et il ne savait que penser, parce que quelques-uns disaient, » etc. — Théophyl. Les Juifs espéraient une résurrection des morts, qui leur rendrait une vie toute charnelle de repas et de festins, tandis qu’après la résurrection, les hommes seront affranchis de toutes les actions propres à la chair. — S. Chrys. Hérode ayant donc appris les prodiges que Jésus opérait, dit : « J’ai fait couper la tête à Jean. » Ce n’était point par ostentation qu’il évoquait ce souvenir, mais pour calmer ses alarmes, et rassurer son esprit troublé en se rappelant qu’il était l’auteur de la mort de Jean-Baptiste. Et comme il lui avait fait couper la tête, il ajoute : « Qui est donc celui-ci, » etc. — Théophyl. Si c’est Jean-Baptiste qui est ressuscité des morts, en le voyant, il me sera facile de le reconnaître : « Et il cherchait à le voir. »

 

S. Aug (de l’acc. des Evang., 2, 43.) Saint Luc, en suivant ici dans son récit le même ordre que saint Marc, ne nous oblige pas de croire que tel fut l’ordre rigoureux des faits. De même que saint Marc, il attribue aussi à d’autres, et non pas à Hérode lui-même, ces paroles : « Jean est ressuscité d’entre les morts ; » mais comme il rapporte qu’Hérode ne savait que penser, on peut admettre, ou bien qu’après ces incertitudes, il finit par ajouter foi au bruit qui se répandait, lorsqu’il dit lui-même à ses serviteurs, selon le récit de saint Matthieu : « C’est Jean-Baptiste, qui est ressuscité des morts, » ou bien, il faut entendre ces paroles de saint Matthieu dans un sens dubitatif.

 

Vv. 10-17

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 45.) Saint Matthieu et saint Marc, à l’occasion de ce qui précède, rapportent comment Jean-Baptiste fut mis à mort par Hérode. Saint Luc, au contraire, qui avait déjà raconté la mort du saint Précurseur, après avoir parlé des incertitudes d’Hérode au sujet de la personne du Sauveur, ajoute aussitôt : « Et les Apôtres étant de retour, racontèrent à Jésus tout ce qu’ils avaient fait. » — Bède. Ils lui rapportent non seulement les miracles qu’ils ont faits, et quel a été le sujet de leurs enseignements, mais ils lui apprennent aussi tout ce que Jean-Baptiste a eu à souffrir pendant qu’ils prêchaient l’Évangile, et ce sont ses propres disciples, ou ceux de Jean-Baptiste, qui lui apprennent cette nouvelle, comme semble l’indiquer saint Matthieu.

 

S. Isid. (livre 1, lettre 133.) Le Seigneur a en abomination les hommes de sang, et ceux qui entretiennent des relations avec eux, quand ils persévèrent dans leurs crimes ; aussi dès qu’il eut appris la mort de Jean-Baptiste, il s’éloigne des meurtriers, et se retire dans un lieu désert : « Et les prenant avec lui, il se retira à l’écart dans un lieu désert, non loin de la ville de Bethsaïde. » — Bède. Bethsaïde est une ville de Galilée, située sur les bords du lac de Génésareth, et d’où les apôtres André, Pierre et Philippe étaient originaires. Si le Sauveur s’éloigne ainsi, ce n’est point par crainte de la mort, comme le pensent quelques-uns, mais pour épargner à ses ennemis, dans un sentiment de miséricorde, un nouvel homicide, et aussi pour attendre le temps marqué pour sa passion. — S. Chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Jésus ne s’éloigne que lorsqu’il eut appris ce qui venait d’arriver, profitant ainsi de toutes les circonstances pour manifester la vérité de sa chair. — Théophyl. Notre-Seigneur se retire dans un lieu désert pour y opérer le miracle de la multiplication des pains, afin que personne ne pût dire que ces pains avaient été apportés d’une ville voisine. — S. Chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Ou bien, il se retire dans un lieu désert, pour que personne ne pût le suivre ; mais le peuple ne consent point pour cela à se séparer de lui, et s’attache à ses pas : « Le peuple l’ayant appris, il le suivit, » etc. — S. Cyr. Ils le suivaient, pour lui demander les uns d’être délivrés des démons qui les possédaient, les autres d’être guéris de leurs maladies, d’autres enfin ne se lassaient point de rester avec lui, retenus par le charme de sa doctrine.

 

Bède. De son côté Jésus, Sauveur aussi puissant que bon, accueille ceux qui sont fatigués, instruit les ignorants, guérit les malades, nourrit ceux qui ont faim, et montre ainsi combien ce pieux empressement des fidèles lui est agréable : « Et il les accueillit avec bonté, et il leur parlait du royaume de Dieu, » etc. — Théophyl. Il veut nous apprendre que la sagesse dont nous devons faire profession, consiste dans les paroles et dans les oeuvres, et nous fait un devoir d’enseigner le bien que nous faisons, et de mettre en pratique ce que nous enseignons. Comme le jour était sur son déclin, les disciples commencent à s’inquiéter pour cette nombreuse multitude, dont ils ont compassion. « Or, le jour commençant à baisser, les douze vinrent lui dire, » etc. — S. Cyr. Cette multitude, comme nous l’avons dit, venait implorer la guérison de ses diverses souffrances, et les disciples qui savaient qu’il suffisait au Sauveur de le vouloir, pour que tous ces malades fussent guéris, lui disent : « Renvoyez-les, et qu’ils soient délivrés de leurs souffrances. » Considérez ici l’immense bonté de celui à qui s’adresse cette prière ; non seulement il accorde ce que lui demandent ses disciples, mais il répand avec profusion, sur ce peuple qui le suit, les dons de sa main libérale, en leur commandant de lui donner à manger : « Et il leur répondit : Donnez-leur vous mêmes à manger. » — Théophyl. En parlant de la sorte, il n’ignorait pas ce qu’ils allaient lui répondre, mais il voulait les amener à dire combien ils avaient de pains, pour faire ressortir par cette déclaration la grandeur du miracle qu’il allait opérer.

S. Cyr. Mais il était impossible aux disciples d’exécuter cet ordre, puisqu’ils n’avaient avec eux que cinq pains et deux poissons : « Ils lui répartirent : Nous n’avons que cinq pains et deux poissons, à moins que nous n’allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 46.) Saint Luc réunit ici, sous une même phrase, la réponse de Philippe : « Quand on aurait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun un morceau, » et celle d’André : « Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains d’orge et deux poissons, » comme le rapporte saint Jean (Jn 6). En effet, ce que dit saint Luc : « Nous n’avons que cinq pains et deux poissons, » se rapporte à la réponse d’André, et ce qu’il ajoute : « A moins que nous n’allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple, » renferme la réponse de Philippe, si ce n’est qu’il ne parle pas des deux cents derniers, quoiqu’on puisse dire qu’il y est fait allusion dans la réponse d’André ; car, après avoir dit : « Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains et deux poissons, » il ajoute « Mais qu’est-ce que cela, pour tant de monde ? » ce qui revient à dire : « A moins que nous n’allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple. » De cette diversité dans le récit, et de cette concordance dans les faits comme dans les maximes, ressort pour nous cette importante leçon, que nous ne devons chercher dans les paroles, que la volonté de ceux qui parlent, et que les narrateurs, amis de la vérité, doivent s’attacher surtout à la mettre en évidence dans leurs récits, qu’il y soit question de l’homme, des anges ou de Dieu. — S. Cyr. La grande multitude de peuple, dont l’Évangéliste fait connaître le nombre, ajoute encore aux difficultés du miracle : « Or, ils étaient environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants, comme le remarque un autre Évangéliste. (Mt 14.)

Théophyl. Notre-Seigneur nous enseigne ici, lorsque nous donnons à quelqu’un l’hospitalité, à le faire asseoir, et à lui prodiguer tous les soins qui dépendent de nous : « Jésus dit à ses disciples : Faites les asseoir par groupes de cinquante. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 46.) Saint Luc dit qu’on les fit asseoir par troupes de cinquante ; saint Marc par groupes de cinquante et de cent, mais cette différence ne peut faire difficulté ; car l’un des Évangélistes n’exprime qu’une des parties dont les groupes étaient composés, et l’autre la totalité. Si l’un des deux Évangélistes ne parlait que de groupes de cinquante, et l’autre de groupes de cent personnes, la contradiction paraîtrait évidente, et il serait difficile d’admettre que les deux choses soient vraies, mais racontées chacune par un seul des deux Évangélistes ; et cependant en y réfléchissant plus attentivement, qui ne reconnaîtra la vraisemblance de cette explication ? J’ai fait cette observation, parce qu’il se présente souvent des faits de ce genre qui, pour les esprits superficiels ou. prévenus, paraissent contradictoires et ne le sont point. — S. Chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Ce devait être un article de la foi chrétienne, que Jésus-Christ était sorti du Père, il lève donc les yeux vers le ciel avant de faire ce miracle : « Alors Jésus, prenant les cinq pains et les deux poissons, et levant les yeux vers le ciel, » etc. — S. Cyr. Il le fait encore pour noire instruction, et pour nous apprendre qu’en commençant le repas, et avant de rompre le pain, nous devons l’offrir à Dieu, et attirer sur lui la bénédiction céleste : « Et levant les yeux au ciel, il les bénit et les rompit. » — S. Chrys. (hom. 50.) Il distribue ce pain au peuple par les mains de ses disciples, par honneur pour eux, et pour qu’ils n’oublient point le souvenir de ce miracle. Or, ce n’est point du néant qu’il tire les pains et les poissons dont il nourrit ce peuple, afin de fermer la bouche aux manichéens, qui affirment que tout ce qui est créé lui est étranger, et de montrer que c’est lui qui donne la nourriture à tous les êtres créés, et qui a dit : « Que la terre produise les plantes » etc. (Gn 1.) Il multiplie aussi les poissons, pour signifier qu’il est le Seigneur de la mer, comme de la terre. Il a opéré, en faveur des malades qu’il a guéris, un miracle particulier, il étend maintenant les effets de sa bonté à toute la multitude, en nourrissant ceux mêmes qui n’ont aucune infirmité : « Tous mangèrent et furent rassasiés. » — S. Grég. de Nysse. (grand disc. catéch., chap. 23.) Ce n’était point le ciel qui distillait la manne, ni la terre qui produisait le blé selon sa nature, pour subvenir aux besoins de ce peuple ; cette abondante largesse sortait des trésors ineffables de la puissance divine. Le pain se multiplie dans les mains de ceux qui le distribuent et il augmente en proportion de la faim de ceux qui mangent. Ce n’est pas non plus de la mer que sortent les poissons dont ils se nourrissent, mais de la main de celui qui, en créant les diverses espèces de poissons, leur a donné la mer pour séjour.

S. Ambr. Ce fut donc grâce à une abondante multiplication des pains que ce peuple fut rassasié. On eût pu voir les morceaux sortir comme d’une source mystérieuse, et se multiplier, sans être divisés entre les mains de ceux qui les distribuaient, et les fragments intacts venir se glisser d’eux-mêmes sous les doigts de ceux qui les rompaient.

S. Cyr. Là ne s’arrête point le miracle, l’Évangéliste ajoute : « Et des morceaux qui restèrent, on emporta douze corbeilles pleines. » C’était une preuve manifeste que les oeuvres de charité envers le prochain obtiennent de Dieu une récompense surabondante. — Théophyl. C’était encore pour nous apprendre la merveilleuse puissance de l’hospitalité, et combien nous augmentons nos propres richesses, en les distribuant largement aux indigents. — S. Chrys. Ce ne sont pas des pains entiers qui restent, mais des morceaux, pour prouver que c’étaient bien les restes des pains qui avaient été distribués, et il en reste douze corbeilles, c’est-à-dire, autant qu’il y avait de disciples.

 

S. Ambr. Dans le sens mystique, c’est après que cette femme, qui était la figure de l’Église, a été guérie d’une perte de sang ; après que les Apôtres ont reçu la mission d’annoncer le royaume de Dieu, que le Sauveur distribue l’aliment de la grâce céleste. Mais remarquez ceux qui sont jugés dignes de le recevoir, ce ne sont point des gens oisifs, ni ceux qui restent dans les villes, qui siégent dans la synagogue, ou se reposent avec complaisance dans les dignités séculières, mais ceux qui cherchent Jésus-Christ dans le désert. — Bède. Le Sauveur quitte la Judée, qui, en refusant de croire en lui, s’était ôté l’honneur d’être le siége des prophéties, et il distribue dans le désert l’aliment de la parole divine à l’Église qui n’avait point d’époux. Et lorsqu’il se retire dans le désert des nations, une multitude innombrable de fidèles sortent des murs de leur vie ancienne et de leurs diverses croyances pour s’attacher à ses pas.

 

S. Ambr. Or, Jésus-Christ accueille avec bonté ceux qui ne se lassent point de le suivre, le Verbe de Dieu s’entretient avec eux, non des choses du temps, mais du royaume de Dieu, et si quelques-uns souffrent quelque douleur corporelle, il applique sur leurs blessures un remède salutaire. En toute circonstance d’ailleurs, il garde un ordre mystérieux, c’est-à-dire, qu’il guérit d’abord les blessures intérieures par la rémission des péchés, et prodigue ensuite avec abondance la nourriture de la table céleste. — Bède. C’est au déclin du jour qu’il nourrit la multitude, c’est-à-dire, lorsque la fin des temps approche, ou bien, lorsque le soleil de justice s’est incliné et a disparu pour nous (Ml 4, 2). — S. Ambr. Cependant le Sauveur ne donne pas immédiatement à cette multitude les aliments les plus nourrissants. Les cinq pains sont le premier aliment qu’il leur donne comme le lait aux enfants ; le second, les sept pains, et le troisième, le corps de Jésus-Christ, qui est la nourriture la plus substantielle. Or, s’il en est qui appréhendent de demander leur nourriture, qu’ils abandonnent toutes choses et se hâtent de venir entendre la parole de Dieu. Celui qui commence à entendre cette divine parole, éprouve bientôt le sentiment de la faim ; les Apôtres s’en aperçoivent, et si ceux qui ressentent ce besoin, ne comprennent pas encore ce qu’ils désirent, Jésus-Christ le comprend, il sait qu’ils ne soupirent point après les aliments grossiers, mais après la nourriture céleste qui est Jésus-Christ. Les Apôtres n’avaient pas encore compris que la nourriture du peuple fidèle ne s’achète pas comme un aliment ordinaire, mais Jésus-Christ savait que c’est nous-mêmes qui avions besoin d’être rachetés, tandis que la nourriture qu’il nous destinait devait nous être donnée gratuitement.

 

Bède. Les Apôtres n’avaient encore que les cinq pains de la loi mosaïque, et les deux poissons des deux Testaments, qui étaient cachés dans les profondeurs obscures des mystères comme dans les eaux de l’abîme. L’homme a reçu cinq sens extérieurs ; les cinq mille hommes qui marchent à la suite du Seigneur, figurent donc ceux qui, vivant au milieu du monde, font un bon usage des biens extérieurs qu’ils possèdent. Ils se nourrissent des cinq pains, parce qu’ils ont encore besoin d’être dirigés par les préceptes de la loi. Car pour ceux qui renoncent pleinement au monde, la nourriture de l’Évangile les fait parvenir à une perfection sublime. Les divers groupes qui se nourrissent de ces pains, figurent les assemblées particulières de l’Eglise par toute la terre, et qui toutes ne font qu’une Église catholique.

S. Ambr. Dans le sens spirituel, ce pain qui est rompu par Jésus, est la parole de Dieu, et tout discours qui a Jésus-Christ pour objet, et ils se multiplient quand on les distribue, car c’est au moyen d’un petit nombre de discours qu’il a donné à tous les peuples une abondante nourriture il nous a donné ses divins enseignements, comme autant de pains qui se multiplient en devenant notre nourriture. — Bède. Or, le Sauveur ne crée pas de nouveaux aliments pour rassasier la faim de cette multitude, mais il prend ceux qu’avaient les Apôtres, et il les bénit, parce qu’en effet, dans le cours de sa vie mortelle, il n’annonce point d’autres vérités que celles qui ont été prédites par les prophètes, et il nous fait voir les oracles prophétiques pleins des mystères de la grâce. Il lève les yeux au ciel, pour nous apprendre à diriger vers le ciel toute la force de notre esprit, et à y chercher la lumière de la science. Il rompt les pains et les donne à ses disciples pour les distribuer au peuple, parce que c’est aux Apôtres qu’il a dévoilé les mystères de la loi et des prophètes, en les chargeant de les annoncer par toute la terre.

 

S. Ambr. Ce n’est pas sans dessein que les restes de ces pains sont recueillis par les disciples, parce que les choses divines se trouvent plus facilement auprès des élus que parmi le peuple. Heureux celui qui peut recueillir le superflu des âmes versées dans la science divine. Mais pourquoi Jésus-Christ a-t-il voulu qu’on remplît douze corbeilles des morceaux qui restèrent, si ce n’est pour délivrer le peuple juif de cette servitude que le Roi-prophète rappelait en ces termes : « Leurs mains servaient à porter sans cesse des corbeilles ? » (Ps 80.) C’est-à-dire que ce peuple qui était condamné à porter de la terre dans des corbeilles (Ex 1 et 6), travaille maintenant par les mérites de la croix de Jésus-Christ, à gagner le pain de la vie céleste. Et cette grâce n’est pas le privilège d’un petit nombre, elle est accordée à tous les hommes ; ces douze corbeilles, en effet, figurent la multiplication et l’affermissement de la foi dans chaque tribu. — Bède. Ou bien encore, les douze paniers figurent les douze Apôtres et tous les docteurs qui sont venus à leur suite ; au dehors, les hommes n’avaient pour eux que du mépris, mais au dedans, ils étaient remplis des précieux restes de la nourriture du salut.

 

Vv. 18-22.

S. Cyr. Le Seigneur se sépare de la foule, et cherche la solitude pour se livrer à la prière : « Un jour qu’il priait seul dans un lieu solitaire, » etc. Il se donnait ainsi comme exemple à ses disciples, et leur apprenait à se rendre facile la pratique de sa doctrine. C’est ainsi que les pasteurs des peuples doivent leur être supérieurs par l’éminence de leurs vertus, et leur donner l’exemple d’une application constante aux devoirs de leur ministère et aux oeuvres qui sont agréables à Dieu. — Bède. Les disciples se trouvaient avec le Sauveur, mais nous le voyons seul prier son Père, parce que les saints peuvent bien être unis au Seigneur par les liens de la foi et de la charité, mais le Fils seul peut pénétrer les incompréhensibles secrets des conseils de Dieu. Il prie donc seul en toutes circonstances, parce que les prières de l’homme ne peuvent comprendre les desseins de Dieu, et que nul ne peut entrer en participation des sentiments les plus intimes de Jésus-Christ.

S. Cyr. Cependant cette application à la prière pouvait étonner les disciples, qui voyaient prier, comme un faible mortel, celui qu’ils avaient vu faire des miracles avec une autorité toute divine. C’est donc pour dissiper leurs incertitudes qu’il les interroge, il n’ignorait pas sans doute les témoignages éclatants que le peuple lui rendait, mais il voulait dégager ses disciples des fausses idées qu’un grand nombre s’était faites à son sujet, et leur inspirer les sentiments d’une foi éclairée et véritable : « Il les interrogea, disant : Qui dit-on que je suis ? » etc. — Bède. C’est dans un dessein plein de sagesse que le Sauveur avant d’éprouver la foi de ses disciples, leur demande ce que la foule pense de lui, car il veut que leur profession de foi ait pour fondement, non l’opinion de la multitude, mais la connaissance de la vérité, et qu’ils croient après avoir examiné, au lieu d’être comme Hérode, dans l’incertitude sur ce qu’ils auraient entendu dire. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 53.) On peut se demander comment saint Luc a pu dire que le Seigneur interrogea ses disciples sur ce que les hommes pensaient de lui, lorsqu’il était seul à prier, et qu’ils le suivaient, tandis que, d’après saint Marc, il les interrogea en chemin ; mais cela ne peut faire difficulté que pour celui qui pense que le Sauveur n’a jamais prié chemin faisant.

 

S. Ambr. L’opinion de la foule que les disciples rapportent n’est pas indifférente « Ils lui répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste (qu’ils savaient avoir été décapité), les autres Élie (qu’ils croyaient devoir venir), d’autres, un des anciens prophètes qui serait ressuscité. » Mais je laisse à de plus habiles d’approfondir ces paroles, car si l’apôtre saint Paul se glorifiait de ne savoir que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié (1 Co 2), que puis-je moi-même désirer que cette divine science de Jésus ? — S. Cyr. Mais voyez quelle sagesse dans cette question ; le Sauveur reporta d’abord leurs pensées sur les témoignages extérieurs que le peuple lui rendait, pour en détruire l’impression dans leur esprit, et leur donner une juste idée de sa personne divine. Voilà pourquoi il demande à ses disciples qui lui rapportent l’opinion du peuple, quel est leur propre sentiment : « Et vous, leur demanda-t-il, que dites-vous que je suis ? » Quelle glorieuse distinction dans ce mot : « Et vous ! » Il les sépare de la foule pour leur en faire éviter les préjugés, comme s’il leur disait : Vous, que j’ai appelés à l’apostolat par un choix tout particulier, vous, les témoins de mes miracles, que dites-vous que je suis ? Pierre prévient tous les autres, il devient l’organe de tout le collège apostolique, il révèle les sentiments d’amour dont son coeur déborde, et proclame sa confession de foi : « Simon Pierre répondit Le Christ de Dieu. » Il ne dit pas simplement : « Christ de Dieu, » mais avec l’article, « le Christ de Dieu, » par excellence, c’est pourquoi nous lisons dans le grec, τον Xριστον ; il en est un grand nombre, en effet, qui, ayant reçu l’onction de Dieu, ont été appelés Christs sous divers rapports, les uns ayant reçu l’onction royale, les autres l’onction prophétique (cf. 2 M 1, 10 ; 1 Paralip., 16, 2, etc.). Nous-mêmes, en vertu de l’onction du Saint-Esprit qui nous a été donnée par Jésus-Christ, nous avons reçu le nom de Christs, mais il n’y en a vraiment qu’un seul qui soit le Christ de Dieu et du Père, parce qu’il est le seul qui, dans un sens véritable ait pour Père celui qui est dans les cieux. Ainsi expliquées, les paroles que saint Luc met dans la bouche du prince des Apôtres, s’accordent avec celles que lui prêle saint Matthieu : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. » Saint Luc n’a fait qu’abréger ces paroles, en lui faisant dire : « Le Christ de Dieu. » — S. Ambr. Dans ce seul nom, en effet, se trouvent exprimées la divinité du Sauveur, son humanité et la foi en sa passion. Pierre a donc tout embrassé dans cette seule expression, la nature aussi bien que le nom qui est comme l’abrégé de ses perfections.

 

S. Cyr. Remarquez l’extrême prudence de Pierre, qui confesse un seul Christ, condamnant ainsi ceux qui ont la témérité de diviser l’Emmanuel en deux Christs différents ; car il ne leur demande pas : Qu’est le Verbe divin au jugement des hommes, mais : « Qui dit-on qui est le Fils de l’homme ? » Et c’est lui que Pierre confesse être le Fils de Dieu. C’est en cela qu’il est vraiment admirable, et qu’il a été jugé digne des plus grands honneurs, que d’avoir cru et proclamé le Christ du Père, celui qu’il contemplait dans une forme humaine, c’est-à-dire que le Verbe, engendré de la substance du Père, avait daigné se faire homme.

S. Ambr. Cependant Notre-Seigneur ne veut pas encore que sa divinité soit proclamée parmi le peuple, pour éviter toute agitation : « Mais leur parlant avec empire, il leur enjoignit de ne le dire à personne. » Il commande le silence à ses disciples pour plusieurs raisons, pour tromper le prince du monde, pour fuir toute vanité, pour nous enseigner l’humilité. Jésus-Christ n’a donc point voulu de la gloire humaine, et vous qui êtes né dans l’obscurité, vous la recherchez avec empressement ? Il voulait aussi que ses disciples, encore grossiers et imparfaits, ne fussent point opprimés sous le poids d’une prédication trop relevée. Il leur défend donc d’annoncer qu’il est le Fils de Dieu, afin que plus tard ils puissent prêcher publiquement ses souffrances. — S. Chrys. (hom. 55 in Matth.) Le Sauveur a défendu à ses disciples de dire à personne qu’il était le Christ, pour une autre raison non moins pleine de sagesse. Il voulait qu’après avoir fait disparaître tout sujet de scandale et consommé le supplice de la croix, tous ceux qui entendraient la prédication évangélique, eussent de lui une idée juste, car les préjugés qu’on déracine et qu’on arrache tout d’abord, peuvent difficilement rentrer et obtenir créance dans le même esprit ; mais ceux qu’on laisse se développer en toute liberté sans les arracher, croissent et s’enracinent avec une merveilleuse facilité ; car si une simple allusion aux souffrances de Jésus-Christ suffit pour scandaliser Pierre, que serait-il arrivé au plus grand nombre, lorsque ayant appris qu’il était le Fils de Dieu, il l’aurait vu crucifié et couvert d’opprobres ? — S. Cyr. Il fallait donc que les disciples portassent son nom jusqu’aux extrémités de la terre, et cette oeuvre était réservée à ceux qu’il avait appelés à l’apostolat ; mais, comme l’atteste l’Esprit saint, « il y a temps pour toute chose » (Qo 3), et il fallait que la passion et la résurrection fussent accomplies, avant que les Apôtres prêchassent l’Évangile : « Il faut, disait-il, que le Fils de l’homme souffre beaucoup, » etc. — S. Ambr. Peut-être aussi, Notre-Seigneur, qui savait toute la peine que ses disciples auraient à croire le mystère de sa passion et sa résurrection, voulut en être le premier prédicateur.

 

Vv. 23-28.

S. Cyr. Les valeureux capitaines, qui veulent inspirer plus de courage et de hardiesse à ceux qui parcourent avec eux la carrière des armes, ne se contentent pas de leur promettre les honneurs de la victoire, mais cherchent à leur persuader qu’il y a de la gloire même à supporter les souffrances. Notre-Seigneur Jésus-Christ agit de même à l’égard de ses Apôtres. Il leur avait prédit qu’il aurait à souffrir les accusations calomnieuses des Juifs, qu’il serait mis à mort, et qu’il ressusciterait le troisième jour. Mais ils pouvaient croire que ces souffrances devaient être le partage exclusif de Jésus-Christ, sauveur du monde, tandis qu’il leur serait permis de mener une vie molle et sensuelle ; il leur apprend donc qu’ils ont à livrer les mêmes combats, s’ils désirent partager sa gloire : « Il disait donc à tout le monde. » — Bède. Remarquez ces paroles : « Il disait à tous, » parce qu’en effet c’était avec les disciples seuls qu’il avait traité de tout ce qui concernait la foi à sa naissance ou à sa passion.

 

S. Chrys. (hom. 56 sur S. Matth.) Notre-Seigneur, plein de douceur et de bonté, ne veut point qu’on le serve forcément et à regret, mais volontairement, et en lui rendant grâces d’être à son service ; aussi il ne force, il ne violente personne, mais c’est par la persuasion et par les bienfaits, qu’il attire à lui tous ceux qui désirent le suivre : « Si quelqu’un veut. » — S. Bas. (Const. mon., 4.) En disant : « Si quelqu’un veut venir après moi (cf. Jn 12, 21), » il se propose lui-même comme modèle de la vie parfaite à ceux qui veulent suivre ses divins enseignements, et il les invite, non pas à le suivre corporellement (ce qui serait impossible, puisque Notre-Seigneur est maintenant dans les cieux), mais à suivre fidèlement les exemples de sa vie, selon la mesure de leurs forces. — Bède. Il faut nécessairement se détacher de soi-même, si l’on veut s’approcher de celui qui est au-dessus de nous, suivant ces paroles du Sauveur : « Qu’il se renonce lui-même. » —  S. Bas. (règle expliq., quest. 6.) L’abnégation de soi-même, c’est l’oubli de toutes les choses de notre vie passée, et l’abandon de nos propres volontés. — Orig. (traité 2 sur S. Matth.) On se renonce encore soi-même quand on change les habitudes vicieuses d’une vie mauvaise par la réforme entière de ses moeurs, et par une conversion sincère et véritable ; par exemple, celui qui a longtemps vécu dans les plaisirs, se renonce soi-même, quand il devient chaste, et ainsi toutes les fois qu’on s’abstient d’un vice quelconque, on se renonce soi-même. — S. Bas. (règle.) Or, désirer mourir pour Jésus-Christ, mortifier les membres de l’homme terrestre (Col 3), être disposé à supporter courageusement toutes les épreuves pour Jésus-Christ, n’avoir aucune affection pour la vie présente, c’est véritablement porter sa croix : « Et qu’il porte sa croix tous les jours de sa vie. » — Théophyl. La croix, dans la pensée du Sauveur, c’est une mort ignominieuse, et il nous fait entendre ici que celui qui veut suivre le Christ, ne doit point reculer devant la perspective d’une mort semblable. — S. Grég. (hom. 32 sur l’Evang.) On peut encore porter sa croix de deux manières, ou lorsqu’on mortifie son corps par la pénitence, ou lorsque l’âme s’attriste et s’afflige en compatissant aux souffrances des autres.

S. Grég. (ou le moine Isaac, Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur réunit à dessein ces deux choses : « Qu’il se renonce lui-même, et qu’il porte sa croix ; » car de même que celui qui est prêt à monter sur la croix, est tout disposé intérieurement à souffrir ce genre de mort, et n’a plus que de l’indifférence pour la vie présente ; ainsi celui qui veut suivre le Seigneur, doit d’abord se renoncer lui-même, et ensuite porter sa croix, de sorte que dans son âme, il soit prêt à supporter toute espèce de souffrance. — S. Bas. (explic. des règles, quest. 8.) La perfection consiste donc à tenir son âme dans une complète indifférence pour la vie présente et à être toujours prêt à mourir, en évitant toutefois la confiance en soi-même. Or, cette perfection doit commencer par le renoncement aux choses extérieures, par exemple, aux richesses, à la vaine gloire, et par le détachement intérieur de toutes les choses inutiles.

 

Bède. C’est donc pour nous une obligation de porter chaque jour cette croix, et de marcher à la suite du Seigneur, qui a voulu porter lui-même sa croix : « Et qu’il me suive. » — Orig. Il donne la raison de ce commandement, en ajoutant : « Car celui qui voudra sauver son âme, la perdra, » c’est-à-dire celui qui veut jouir de la vie présente et de toutes les satisfactions qu’offrent à son âme les choses sensibles, perdra son âme qu’il néglige de conduire au terme de la béatitude véritable. Il ajoute, au contraire : « Et celui qui perdra son âme à cause de moi, la sauvera, » c’est-à-dire, celui qui méprise les biens sensibles, et ne craint point par amour pour la vérité de s’exposer à la mort, sauvera bien plutôt son âme et sa vie, dont il semble faire le sacrifice à Jésus-Christ. Si donc c’est un véritable bonheur de procurer à son âme le salut qui vient de Dieu, on peut dire que c’est une perte heureuse, que de perdre son âme pour l’amour de Jésus-Christ. On peut encore dire, par analogie avec ce renoncement tel que nous venons de l’expliquer, que chacun doit perdre son âme livrée au péché, pour prendre celle qui doit son salut à la pratique de la vertu.

 

S. Cyr. Le Sauveur veut faire comprendre combien cette participation aux souffrances du Christ surpasse de beaucoup les jouissances que donnent les plaisirs et les biens de ce monde, et il ajoute : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à se perdre lui-même à son détriment ? » comme s’il disait : Qu’un homme, par attachement aux douceurs et aux avantages de la vie présente, refuse de souffrir, et aime mieux vivre, s’il est riche, au milieu du luxe et de l’opulence, que lui en reviendra-t-il, lorsqu’il aura perdu son âme ? En effet, « la figure du monde passe (1 Co 7) ; les plaisirs disparaissent comme l’ombre (Sg 5) ; les trésors de l’iniquité ne serviront de rien, mais la justice délivrera de la mort. » (Pv 10.)

S. Grég. (hom. 32.) La sainte Église traverse deux sortes de temps dans la vie présente, les temps de persécution et les temps de paix, et Notre-Seigneur donne ici des préceptes pour ces deux circonstances si différentes. Dans les temps de persécution, il faut être prêt à sacrifier son âme, c’est-à-dire sa vie, selon ces paroles : « Celui qui perdra sa vie ; » dans les temps de paix, au contraire, il faut s’appliquer à réprimer les désirs terrestres, qui exercent sur nous une influence tyrannique, et c’est à quoi Notre-Seigneur nous engage par ces paroles : « Que sert à l’homme de gagner tout l’univers, s’il vient à perdre son âme ? » Souvent nous méprisons les choses fragiles et passagères, mais nous sommes encore retenus par l’habitude du respect humain, qui nous empêche de professer publiquement les sentiments de droiture et de justice, que nous conservons au dedans de nous-mêmes. Notre-Seigneur nous donne un remède convenable pour cette blessure : « Car si quelqu’un rougit de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme rougira de lui. » — Théophyl. On rougit de Jésus-Christ, quand on dit : Est-ce que je croirai à un crucifié ? On rougit de ses discours, en méprisant la simplicité de l’Évangile. Or, le Seigneur rougira de celui qui rougit de lui, comme un père de famille rougirait de nommer un de ses mauvais serviteurs.

S. Cyr. Il pénètre ses disciples d’une crainte salutaire en leur annonçant qu’il descendra des cieux, non plus dans son premier état d’humiliation, et sous une forme semblable à la nôtre, mais dans la gloire du Père et au milieu des anges : « Lorsqu’il viendra dans sa majesté et dans celle du Père ; et des saints-anges ; ». Ce sera donc un malheur affreux de paraître avec le signe de l’inimitié, et les mains vides de bonnes oeuvres, lorsque ce grand juge descendra au milieu des célestes cohortes des anges. Apprenez encore de là que pour avoir pris une chair semblable à la nôtre, le Fils n’en est pas moins Dieu, puisqu’il annonce qu’il viendra dans la majesté de Dieu son Père, environné des anges qui exécuteront les ordres qu’il leur donnera comme juge de tous les hommes, lui qui s’est fait homme-semblable à nous.

S. Ambr. Toutes les fois que Notre-Seigneur excite ses disciples, à la pratique de la vertu par la perspective des récompenses éternelles, et qu’il leur enseigne combien il est utile de mépriser les choses de la terre, il soutient en même temps la faiblesse de l’esprit humain par l’attrait d’une récompense présente. Il est dur et pénible, en effet, de porter sa croix, d’exposer son âme aux dangers, et son corps à la mort, de renoncer à ce que vous êtes, lorsque vous voulez être ce que vous n’êtes pas ; et il est rare que la vertu la plus éminente consente à sacrifier les choses présentes à l’espérance des biens futurs. Aussi, notre bon Maître, pour prévenir toute tentation de découragement ou de désespoir, promet qu’il se révélera immédiatement à ses fidèles serviteurs : « Je vous le dis, en vérité, quelques-uns, de ceux qui sont ici présents, ne goûteront point la mort, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu. »

Théophyl. C’est-à-dire la gloire dont jouissaient les justes ; le Sauveur veut parler de la transfiguration qui était 1e symbole de la gloire future, comme s’il disait : Quelques-uns de ceux qui sont ici (c’est-à-dire Pierre, Jacques et Jean) ne mourront point avant d’avoir vu dans ma transfiguration la gloire réservée à ceux qui auront confessé mon nom. — S. Grég. (hom. 32.) Ou bien, ce royaume de Dieu ; c’est l’Église actuelle, et quelques-uns des disciples devaient vivre assez longtemps sur la terre pour voir l’Église de Dieu établie, et dominant la gloire du monde. — S. Ambr. Si donc nous voulons n’avoir pas à craindre la mort, tenons-nous toujours auprès de Jésus-Christ ; car ceux-là seuls ne goûteront point la mort, qui peuvent se tenir étroitement unis à Jésus-Christ. Or, on peut conclure du sens propre de ces paroles, que ceux qui ont mérité d’être admis dans la société de Jésus-Christ, ne ressentiront pas les atteintes mêmes les plus légères de la mort. Sans doute, ils goûteront, comme en passant, la mort du corps, mais ils posséderont pour toujours la vie de l’âme ; car ce n’est point au corps, mais à l’âme, qu’est accordé le privilège de l’immortalité.

 

Vv. 29—31.

Eusèbe. Notre-Seigneur ne se contente pas de prédire le grand mystère de sa seconde apparition, il ne veut pas que la foi de ses disciples repose uniquement sur des paroles, et il lui donne encore pour fondement le témoignage des faits, en découvrant aux yeux de leur foi une image de son royaume : « Environ huit jours après qu’il leur eut dit ces paroles, il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et s’en alla sur une montagne pour prier. » — S. Jean Damasc. (disc. sur la transf.) Saint Matthieu et saint Marc placent la transfiguration six jours après la promesse faite aux disciples, tandis que saint Luc rapporte que ce fut huit jours après. Il n’y a toutefois aucune contradiction dans leur récit ; les deux Évangélistes qui ne parlent que de six jours, n’ont pris que les jours intermédiaires, sans compter les extrêmes, le premier et le dernier ; c’est-à-dire celui où la promesse fut faite, et celui de son accomplissement, tandis que saint Luc, qui compte huit jours, comprend les deux dont nous venons de parler. Or, pourquoi le Sauveur n’admet-il pas tous ses disciples, mais quelques-uns seulement à jouir de cette vision ? Il n’y en avait qu’un parmi eux (c’était Judas), qui fût indigne de voir cette révélation de la divinité, selon ces paroles : « Faites disparaître l’impie, pour qu’il ne voie point la gloire de Dieu (Is 26). » Or, si Notre-Seigneur l’avait seul excepté, sa jalousie eût donné un nouvel aliment à sa méchanceté ; le Sauveur enlève donc à ce traître un prétexte à sa trahison, en laissant avec lui tous les autres disciples au bas de la montagne. il en prend trois avec lui, pour que toute parole soit confirmée par deux ou trois témoins. Il choisit Pierre, pour qu’il entendît le Père confirmer par son témoignage celui qu’il avait “rendu lui-même à la divinité du Christ, et aussi parce qu’il. devait être le chef de toute l’Église. Il prend Jacques, parce que le premier de tous les Apôtres, il devait donner sa vie pour Jésus-Christ ; enfin il choisit Jean comme l’interprète le plus pur des secrets divins qui, après avoir été témoin de la gloire éternelle du Fils, devait faire entendre ces paroles sublimes : « Au commencement était le Verbe. » — S. Ambr. Ou bien encore, Pierre monte avec Jésus sur la montagne, parce qu’il devait recevoir les clefs du royaume des cieux ; Jean, parce que le Sauveur devait lui confier sa mère ; Jacques, parce qu’il devait souffrir le martyre le premier. (Ac 12.) — Théophyl. Ou bien encore, il choisit ces trois disciples, comme plus capables de tenir caché ce miracle et de ne le révéler à personne. Or, il monta sur une montagne pour prier ; il nous enseigne ainsi à chercher la solitude et à nous élever au-dessus des choses terrestres pour assurer le succès de nos prières.

 

S. Jean Damasc. Toutefois, la prière du Seigneur est différente de la prière des serviteurs ; la prière du serviteur est une élévation de l’esprit vers Dieu, mais la sainte intelligence du Christ (unie hypostatiquement à Dieu), qui nous conduit comme par la main et par degrés, au moyen de la prière, jusqu’à Dieu, nous enseigne par là, que loin d’être l’adversaire de Dieu, il honore son Père comme le principe de toutes choses. Par cette conduite, il tend aussi un piège au démon qui cherchait à savoir s’il était Dieu, ce que l’éclat de ses miracles attestait suffisamment. Il cachait ainsi le hameçon sous l’appât de la nourriture, pour prendre, comme avec un hameçon, par l’humanité dont il était revêtu, celui qui avait séduit le premier homme par l’appât trompeur de la divinité. La prière est une révélation de la gloire divine ; aussi l’Évangéliste ajoute « Et pendant qu’il priait, l’aspect de sa face devint tout autre. » — S. Cyr. Ce n’est pas que son corps ait changé de forme, mais il fut environné d’une gloire éclatante. — S. Jean Damasc. A la vue de cet éclat qui environnait le Sauveur au milieu de sa prière, le démon se ressouvint de Moïse, dont le visage fut aussi rayonnant de gloire ; mais cette gloire venait à Moïse d’un principe extérieur, tandis que pour le Seigneur, c’était la splendeur innée de la gloire divine. En effet, comme en vertu de l’union hypostatique, le Verbe et la nature humaine ont une seule et même gloire, la transfiguration du Sauveur n’est point l’usurpation de ce qu’il n’était pas, mais la manifestation, aux yeux de ses disciples, de ce qu’il était véritablement. C’est pour cela que saint Matthieu rapporte qu’il fut transfiguré devant eux, et que sa face resplendit comme le soleil ; car Dieu est dans l’ordre des choses spirituelles, ce que le soleil est dans l’ordre des choses sensibles. Or de même que le soleil, qui est la source de la lumière, ne peut être regardé facilement, tandis que nous pouvons contempler sa lumière, parce qu’elle se répand sur la terre ; ainsi le visage de Jésus-Christ resplendit du plus vif éclat, comme le soleil ; et ses vêtements deviennent blancs comme la neige : « Et ses vêtements devinrent d’une éclatante blancheur, » éclairés comme par un reflet de la gloire divine.

 

En même temps, Moïse et Élie se tiennent comme des serviteurs près du Seigneur dans sa gloire, afin de montrer que le Seigneur du Nouveau Testament est le même que celui de l’Ancien, pour fermer la bouche aux hérétiques, établir la foi à la résurrection, et prouver que celui qui était transfiguré, devait être regardé comme le Seigneur des vivants et des morts : « Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui, » etc. Le Sauveur voulait que le spectacle de la gloire et du bonheur de ces pieux serviteurs, fît admirer à ses disciples sa miséricordieuse bonté, et qu’étant témoins de la douceur des biens à venir, ils fussent excités à marcher sur les traces de ceux qui les avaient précédés, et à soutenir avec plus de force les combats de la foi, car celui qui connaît la récompense promise à ses travaux, les supporte bien plus facilement. — S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) Un autre motif de cette apparition, c’est que le peuple affirmait du Sauveur, qu’il était Elle ou Jérémie, il fallait donc distinguer le Maître du serviteur, faire voir d’ailleurs que le Sauveur n’était ni l’ennemi de Dieu, ni violateur de la loi, car autrement, ni Moïse, qui avait donné la loi, ni Elle, qui avait soutenu avec tant de zèle les intérêts de la gloire de Dieu, n’eussent paru à ses côtés. C’était encore pour manifester les vertus de ces deux grands hommes, car tous deux s’étaient plusieurs fois exposés à la mort pour la défense des commandements de Dieu. Le Sauveur voulait aussi les proposer comme modèles à ses disciples dans le gouvernement du peuple, en leur inspirant la douceur de Moïse et le zèle d’Élie. Enfin il les fait paraître pour montrer la gloire de la croix, et consoler ainsi Pierre, et tous ceux qui craignaient les souffrances : « Ils s’entretenaient de sa fin qu’il devait accomplir en Jérusalem. — S. Cyr. C’est-à-dire, du mystère de son incarnation et aussi de sa passion qui devait être le salut du monde et qu’il devait accomplir sur sa croix adorable.

 

S. Ambr. Dans un sens mystique, c’est après avoir enseigné à ses disciples la doctrine du renoncement et de la croix, que le Sauveur les rend témoins de sa transfiguration, parce que celui qui entend et croit les paroles du Christ, verra la gloire de la résurrection, car c’est le huitième jour qu’eut lieu la résurrection, et la plupart des psaumes sont intitulés, pour le huitième jour. Peut-être aussi, comme Notre-Seigneur avait dit précédemment, que celui qui perdra sa vie pour le Verbe de Dieu, veut-il nous montrer qu’il accomplira ses promesses au temps de la résurrection. — Bède. Il est ressuscité des morts après le septième jour de la semaine où il avait été mis dans le sépulcre ; et nous aussi, après les six âges du monde écoulés, et le septième, qui est celui du repos des âmes dans l’autre vie, nous ressusciterons pour ainsi dire au huitième âge du monde. — S. Ambr. Saint Matthieu et saint Marc rapportent que le Sauveur prit avec lui ses disciples six jours après, ce qui nous autoriserait à dire que nous ressusciterons après six mille ans, car mille ans sont comme un jour devant Dieu (Ps 89) ; mais on compte plus de six mille ans jusqu’à la résurrection, et nous préférons voir dans ces six jours la figure des six jours de la création du monde, en ce sens que par le temps, il faut entendre les oeuvres, et par les oeuvres, le monde. Aussi la résurrection ne doit s’accomplir qu’après que les temps marqués pour l’existence du monde seront écoulés. Peut-être encore, est-ce pour figurer que celui qui se sera élevé au-dessus du monde, et aura traversé la courte durée de la vie de ce siècle, sera placé comme en un lieu sublime pour attendre le fruit de la résurrection qui dure éternellement. — Bède. Aussi, voyez le Sauveur monter sur une montagne pour y prier et y être transfiguré, et en même temps nous apprendre que ceux qui attendent le fruit de la résurrection et désirent voir le roi dans sa gloire (Is 13, 17), doivent habiter les cieux en esprit, et faire de leur vie une prière continuelle.

S. Ambr. Dans ces trois disciples que le Sauveur conduit sur la montagne, je serais porté à voir la figure du genre humain tout entier, qui est descendu des trois enfants de Noé, si ces disciples n’avaient été expressément choisis. Ceux qui sont jugés dignes de monter sur la montagne, sont au nombre de trois, parce que personne ne peut voir la gloire de la résurrection, s’il n’a conservé dans toute son intégrité, la foi au mystère de la Trinité.

Bède. Dans sa transfiguration, le Sauveur nous donne une idée de sa gloire, ou de sa résurrection future, ou de la notre, car après le jugement, il apparaîtra à tous les élus tel qu’il est apparu aux Apôtres. Le vêtement du Seigneur, c’est le choeur des saints qui l’environnent ; tandis qu’il était sur la terre, ce vêtement paraissait méprisable, mais aussitôt qu’il monte sur la montagne, il brille d’un éclat nouveau ; c’est ainsi que, « bien que nous soyons les enfants de Dieu, ce que nous serons un jour ne paraît pas encore, mais nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui. » (1 Jn 3.)

 

S. Ambr. Ou bien dans un autre sens : Le Verbe de Dieu se rapetisse ou s’agrandit selon la mesure de vos dispositions, et si vous ne montez au sommet le plus élevé de la sagesse, vous ne pouvez voir toute la grandeur de Dieu qui est dans le Verbe. Les vêtements du Verbe sont les paroles de l’Écriture et comme l’enveloppe de l’intelligence divine, et le sens des divins enseignements se dévoile aux yeux de votre âme dans toute sa clarté, de même que les vêtements du Sauveur devinrent d’une blancheur éclatante.

 

Vv. 32—36.

Théophyl. Pendant que Jésus priait, Pierre se laisse gagner par le sommeil, car il était faible, et il cède ici à la faiblesse propre à la nature humaine : « Cependant Pierre, et ceux qui étaient avec lui, étaient appesantis par le sommeil, » mais aussitôt qu’ils sont réveillés, ils voient la gloire qui l’environne, et les deux hommes qui étaient avec lui : « Et se réveillant, ils le virent dans sa gloire, et les deux hommes qui étaient avec lui. » — S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) On peut encore entendre par ce sommeil, la grande stupeur dont cette vision frappa les Apôtres, car il n’était pas nuit, mais l’éclat de la lumière blessait la faiblesse de leurs yeux. — S. Ambr. En effet, la splendeur ineffable de la divinité est un poids accablant pour la faiblesse de nos sens, car si les yeux qui nous servent à voir les corps ne peuvent regarder en face l’éclat des rayons du soleil, comment les sens corruptibles de l’homme pourraient-ils contempler la gloire de Dieu ? Peut-être aussi, Jésus permit qu’ils fussent appesantis par le sommeil, afin de voir l’image de la résurrection qui suivit le sommeil. ils virent donc le Seigneur dans sa gloire, lorsqu’ils se furent réveillés, car ce n’est qu’à cette condition qu’on peut voir la gloire du Christ. Pierre en fut ravi de joie, et la gloire de la résurrection captiva celui que les délices du siècle ne devaient pas séduire : « Et comme ils le quittaient, » etc. — S. Cyr. Peut-être Pierre pensait-il que le temps du royaume de Dieu approchait, et c’est pourquoi il demande à rester sur la montagne. — S. Jean Damasc. (Disc. sur la transfig.) Il ne vous est pas avantageux, ô Pierre, que Jésus reste sur la montagne, car s’il y fut resté, la promesse qu’il vous a faite n’aurait pas eu son accomplissement, vous n’auriez pas reçu les clefs du royaume, et l’empire de la mort n’eût pas été détruit. Ne cherchez pas le bonheur avant le temps marqué, comme Adam, qui cherchait à devenir semblable à Dieu. Viendra un jour où vous contemplerez éternellement cette sublime vision, et où vous habiterez avec celui qui est la lumière et la vie.

 

S. Ambr. Cependant Pierre, toujours prompt, non seulement à manifester son amour, mais à donner des preuves de son dévouement, offre dans sa pieuse activité, au nom de ses compagnons, de construire trois tentes : « Faisons trois tentes, une pour vous, » etc. — S. Jean Dam. Le Seigneur vous a donné la mission de construire, non point des tentes, mais l’Église universelle ; vos disciples, vos brebis ont accompli votre désir en construisant une tente pour le Christ et aussi pour ses serviteurs. Du reste, saint Pierre ne parlait pas ainsi de lui-même, mais par une inspiration de l’Esprit saint, qui lui révélait les choses futures, c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Ne sachant ce qu’il disait. » — S. Cyr. Il ne savait ce qu’il disait, car on n’était pas encore à la fin des siècles, et le temps n’était pas encore venu pour les saints, de participer au bonheur qui leur était promis. Et alors que l’oeuvre de la rédemption ne faisait que commencer, comment Jésus-Christ aurait-il cessé d’aimer le monde et de vouloir mourir pour lui ? — S. Jean Damasc. Il était d’ailleurs de la bonté comme de la justice de Dieu, de ne point restreindre le fruit de l’incarnation à ceux qui étaient sur la montagne avec Jésus, mais de L’étendre à tous ceux qui embrasseraient la foi, ce qui ne devait s’accomplir que par les souffrances de sa passion et par sa croix. — Tite de Bostr. Pierre ne savait pas ce qu’il disait, pour une autre raison, c’est qu’il n’était pas besoin de trois tentes pour les trois dont il parle, car on ne peut mettre les serviteurs sur le même rang que leur maître, ni comparer la créature au Créateur. — S. Ambr. D’ailleurs la condition naturelle à l’homme dans ce corps corruptible, ne lui permet d’élever un tabernacle à Dieu, ni dans son âme, ni dans son corps, ni dans tout autre lieu. Cependant, quoiqu’il ne sût pas ce qu’il disait, Pierre offre ses services au Sauveur, et son zèle ne vient pas ici d’une vivacité irréfléchie, mais d’un dévouement prématuré qui était comme le fruit de son amour pour Jésus ; son ignorance venait de sa condition, sa proposition de son dévouement. — S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) Ou bien encore, il entendait le Sauveur déclarer qu’il lui fallait mourir, et ressusciter le troisième jour, et comme il contemplait l’étendue de l’espace et de la solitude où il se trouvait, il jugea que ce lieu offrait plus de sûreté, ce qui lui fait dire : « Il est bon pour nous d’être ici. » Ajoutez qu’il voyait Moïse, qui entra autrefois dans la nuée (Ex 24), et Élie, qui fit descendre le feu du ciel (4 R 1), et vous comprendrez le trouble de son esprit, que l’Évangéliste veut exprimer par ces paroles : « Il ne savait ce qu’il disait. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 56.) Saint Luc, dit de Moïse et d’Élie : « Comme ils se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : Maître, il nous est bon d’être ici, » ce qui n’est nullement en contradiction avec le récit de saint Matthieu et de saint Marc, d’après lequel Pierre tint ce langage, alors que Moïse et Élie s’entretenaient encore avec le Seigneur, car ces deux Évangélistes ne se sont pas expliqués, mais ont gardé le silence sur ce que dit saint Luc, que Pierre parla ainsi, alors que Moïse et Élie se retiraient.

Théophyl. Pendant que Pierre disait : « Faisons trois tentes, » le Seigneur se construit une tente qui n’est pas faite de main d’homme, et il y entre avec les prophètes : « Il parlait encore, lorsqu’une nuée se forma et les enveloppa de son ombre, » Le Sauveur montre ainsi qu’il n’est pas inférieur à son Père, car de même que dans l’Ancien Testament, nous lisons que Dieu habitait dans une nuée, ainsi le Seigneur est enveloppé d’une nuée non plus ténébreuse mais éclatante. — S. Bas. C’est, qu’en effet, les obscurités de la loi étaient dissipées, car de même que la fumée est produite par le feu, la nuée est produite par la lumière ; et comme la nuée est un symbole de tranquillité, cette nuée qui enveloppe Jésus et les prophètes, figure le repos de la demeure éternelle. — S. Ambr. Cette nuée qui voile le Sauveur, a pour auteur l’Esprit saint, et loin de répandre les ténèbres sur les affections du coeur de l’homme, elle lui révèle les choses cachées. — Orig. (Trait. 3 sur S. Matth.) Les disciples, ne pouvant supporter l’éclat de cette gloire, sont saisis de crainte, et se prosternent en s’humiliant sous la main puissante de Dieu, car ils se rappelaient ces paroles dites à Moïse : « L’homme qui verra ma face, ne vivra point. » Et ils furent saisis de frayeur en les voyant entrer dans la nuée.

S. Ambr. Remarquez que cette nuée n’est point formée par les noires vapeurs d’un air condensé, et ne couvre point le ciel d’épaisses ténèbres, c’est une nuée lumineuse qui, au lieu de nous inonder de torrents de pluie, répand la rosée de la foi et arrose les âmes des hommes à la voix du Dieu tout-puissant : « Et une voix sortit de la nuée, qui disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, » ce n’est point Moïse, qui est ce fils, ce n’est point Élie, mais celui-là seul est mon Fils, que vous voyez seul sur la montagne. — S. Cyr. Comment donc pourrait-on croire que celui qui est le vrai Fils de Dieu, ait été fait ou créé, alors que Dieu le Père fait retentir cette voix du haut des cieux : « Celui-ci est mon Fils, » c’est-à-dire, ce n’est pas un de mes fils, mais celui qui est mon Fils en vérité et par nature, et c’est par ressemblance avec lui que les autres sont nies fils adoptifs. Or, Dieu le Père nous commande d’obéir à ce Fils par ces paroles : « Écoutez-le, » et écoutez-le plus que Moïse et Élie, car le Christ est la fin de la loi et des prophètes (Rm 10, 4 ; Mt 11, 13), aussi est-ce avec un dessein marqué, que l’Évangéliste ajoute : « Pendant que la voix parlait, Jésus se trouva seul. » Théophyl. C’était afin que personne ne pût penser que ces paroles : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, » s’appliquaient à Moïse ou à Élie. Ces deux personnages disparaissent aussitôt que Dieu le Père proclame la divinité du Sauveur, ils étaient trois au commencement de la transfiguration, il n’en reste plus qu’un seul à la fin ; la perfection de la foi produit cette unité. Ils sont donc comme reçus dans le corps de Jésus-Christ, pour nous apprendre que nous aussi nous ne ferons qu’un avec Jésus, ou peut-être encore, parce que la loi et les prophètes ont le Verbe pour auteur. — Théophyl. Ce qui doit son existence au Verbe prend également fin dans le Verbe, et Dieu nous apprend pat cette conduite que la loi et les prophètes ne devaient apparaître que, pour un temps, comme Moïse et Élie, dans la transfiguration, et qu’ils devaient ensuite disparaître pour laisser la place à Jésus seul ; en effet, la loi a cessé d’exister pour faire place à l’Évangile, qui demeure éternellement. — Bède. Remarquez que le mystère de la Trinité tout entière est révélé dans la transfiguration de Jésus sur la montagne, comme il l’avait été lors de son baptême dans le Jourdain, et parée qu’en effet, nous verrons dans la résurrection la gloire de celui que nous avons confessé dans le baptême. Et ce n’est pas sans raison que l’Esprit saint apparaît ici sous la forme d’une nuée lumineuse, tandis qu’au baptême du Sauveur, il apparaît sous la forme d’une colombe, pour nous apprendre que celui qui conserve dans la simplicité de son coeur la foi qu’il a reçue, contemplera un jour dans la lumière d’une vision manifeste les vérités qui ont été l’objet de sa foi.

Orig. (Traité 3 sur S. Matth.) Jésus ne veut point qu’on fasse connaître avant sa passion ces glorieuses manifestations : » Et ils se turent, et en ces jours-là ils ne dirent rien à personne de ce qu’ils avaient vu, » car on eût été scandalisé (le peuple surtout), de voir crucifié celui que Dieu avait ainsi glorifié. — S. Jean Damas. (disc. sur la Transfig.) Le Sauveur leur fit aussi cette recommandation, parce qu’il connaissait l’imperfection de ses disciples, qui n’avaient pas encore reçu la plénitude de l’Esprit saint, il ne voulait ni exposer aux sentiments d’une profonde tristesse ceux qui n’avaient pas été témoins de sa gloire, ni exciter contre lui la jalouse fureur de son traître disciple.

 

Vv. 37—44.

Bède. Nous voyons ici un parfait rapport entre les lieux et les choses ; sur la montagne, Notre-Seigneur prie, se transfigure, et dévoile à ses disciples les secrets de sa Majesté. Lorsqu’il descend dans la plaine, la foule s’empresse autour de lui : « Le jour suivant, comme ils descendaient de là montagne, une foule nombreuse vint au-devant d’eux. » Sur la montagne, il fait entendre la voix du Père, dans la plaine, il chasse les mauvais esprits : « Et voilà que de la foule, un homme s’écria : Maître, je vous en supplie, jetez un regard sur mon fils. » — Tite de Bostr. J’admire la sagesse de cet homme, il ne dit pas au Sauveur : Faites ceci ou cela, mais : « Jetez un regard, » car cela suffit pour sa guérison ; c’est dans le même sens que le Roi-prophète disait : « Jetez les yeux sur moi, et ayez pitié de moi. » (Ps 24, 16 ; Ps 85, 15 ; Ps 118, 132). Cet homme dit à Jésus : « Jetez un regard sur mon fils, » pour motiver la hardiesse qui le portait à crier seul au milieu de cette multitude. Il ajoute : « Car c’est le seul que j’aie, » c’est-à-dire, je ne puis espérer d’autre consolation de ma vieillesse. Il expose ensuite la nature de sa maladie, pour émouvoir la compassion du Sauveur : « Un esprit se saisit de lui, » etc. Enfin, il semble accuser les