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TABLE     SUIVANT

Site sur le purgatoire

Tous les textes de la tradition + quelques révélations privées. Manquent les trois premiers purgatoires.

CHAPITRE 4

LES SIX DEGRÉS DU PURGATOIRE

[1]

L’existence du purgatoire

L’échelle de Jacob

Les six demeures du purgatoire

        1-Vie terrestre

        2- Shéol

        3- "Le troisième ciel": Parousie du Christ

        4- "Je serai digne..."

        5- Infinie attente

        6- "Je ne suis pas digne..."

        7- La vision de Dieu

 

L’existence du purgatoire

(Chose certaine)

L’existence du purgatoire déchaîne des passions, même dans l’Église catholique. Depuis les années 1950, beaucoup de théologiens à la mode se sont plus à enseigner qu’il s’agissait d’une invention du Moyen Age. Il est clair que c’est au XIVème siècle que les papes successifs le définissent solennellement. Le pape Clément VI écrit[2] : «Nous croyons que c’est au purgatoire que descendent les âmes de ceux qui meurent en état de grâce et qui n’ont pas encore satisfait pour leurs péchés par une entière pénitence. De même, nous croyons qu’elles y sont tourmentées par un feu pour un temps et que, dès leur purification, avant même le jour du jugement, elles parviennent à la véritable et éternelle béatitude qui consiste à voir Dieu face à face et à l’aimer.»

Martin Luther fit de la négation du purgatoire l’un de ses chevaux de bataille. Mais il ne le fit que tardivement, pour une raison qu’il prétendit liée à sa fidélité à la Bible. De fait, ce fut pour une toute autre raison, théologique et non scripturaire.

L’Écriture Sainte suggère en effet à plusieurs endroits l’existence d’une purification possible après la mort. Le livre des Macchabées n’est pas reconnu par la Réforme. Pourtant, il en parle explicitement : «C’est une sainte et salutaire pensée que de prier pour les défunts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés. [3]» Saint Paul, dans l’épître aux Corinthiens[4], a un langage plus imagé pour le décrire : «Quant à l’homme qui aura bâti sa maison avec du bois, du foin, de la paille, il sera sauvé, mais comme à travers un feu. »

Luther était moine. Depuis sa jeunesse, il avait vécu des années d’angoisse. Il était obsédé par son incapacité à détruire ses péchés dominants. Or il croyait sincèrement, appuyé sur la parole de ses maîtres, qu’on ne pouvait être sauvé sans être moralement parfait. C’était une théologie « pharisienne». L’expérience de la confession, pratiquée dans son couvent augustin, ne lui apportait rien. Loin de lui faire découvrir la miséricorde patiente de Dieu, elle le remettait face à son imperfection. Il confessait toujours les mêmes péchés et, devant son peu de progrès, il se croyait damné. Or il tomba sur une parole de saint Paul : «Car en lui la justice de Dieu se révèle de la foi à la foi, comme il est écrit : Le juste vivra de la foi.» Ce fut l’éclair de sa vie. Il fonda tout son rapport à Dieu sur l’intuition suivante : « Pour être sauvé, il suffit à l’homme de mettre sa confiance (sa foi) en Dieu. Rien d’autre ne lui est demandé car l’homme ne peut absolument rien faire pour lui-même.» La découverte l’avait libéré de toutes ses tortures morales. Il y avait enfin trouvé la paix. « Peu importe mon péché, se dit-il, je suis sauvé parce que Dieu me sauve. Il me suffit d’en avoir la pleine confiance.»

Il développa par la suite toute la logique de la théologie réformée. Il rejeta le purgatoire, avant comme après la mort, à cause de la logique de sa position. Si l’homme ne peut plus rien faire pour lui-même, à cause du péché qui a détruit totalement sa capacité à agir pour son salut, alors il ne peut y avoir aucune purification. L’homme a été réduit à l’état d’un enfant et sa seule participation au salut consiste à se laisser emmener au Ciel en abandonnant le poids mort de son âme, avec confiance, dans les mains de Dieu qui le prend.

L’échelle de Jacob

(Chose certaine)

Pour les catholiques et les orthodoxes, le salut vient certes de Dieu. C’est lui qui vient en premier chercher l’homme. Mais, en lui communiquant sa grâce, il le remet debout. Il lui permet une véritable amitié. Elle doit être réciproque, avec toutes les qualités surprenantes de l’amitié humaine. Cela se fait étape par étape, exactement comme dans un couple, l’amour ne cesse d’évoluer et, normalement, de s’approfondir. Le jeune homme plein de délicatesse qui n’agit que porté par le plaisir sensible que fait éclater la présence de son amie aime moins que le vieil homme fidèle et indifférent aux plaisirs lorsqu’il est au chevet de sa femme devenue malade. De même, au terme de la purification, l’homme devient égal de Dieu en ce sens que Dieu écoute son ami, comme l’ami écoute Dieu.

Cette théologie frappa les Pères de l’Église au point qu’ils virent les étapes successives qui conduisent à l’amitié parfaite pour Dieu sous l’image de l’échelle de Jacob. Le livre de la Genèse raconte que le petit-fils d’Abraham, Jacob eut un songe[5] : «Voilà qu’une échelle était dressée sur la terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient! Voilà que Yahvé se tenait devant lui et dit : «Je suis Yahvé, le Dieu d’Abraham ton ancêtre et le Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donne à toi et à ta descendance.» Il s’agissait là, selon eux, de la vie humaine dans sa progression, pas après pas, vers la vision de Dieu

Les six demeures du purgatoire

(Chose probable)

En piochant à travers la tradition la plus lointaine de l’Église, on arrive à discerner l’existence de six demeures du purgatoire. Il s’agit de six étapes successives. L’homme n’est pas obligé de passer par toutes. L’essentiel est, qu’au terme, l’amitié (Agapé) pour Dieu et le prochain soit devenue tout humble.

Les deux premiers purgatoires sont caractérisés par le fait que le Ciel et ses habitants se cachent. Ce sont les purgatoires du « silence de Dieu »[6], les purgatoires de l’ombre.

1. La première demeure est la vie terrestre. Oui, la vie terrestre n’est autre que le premier purgatoire et nous y sommes. Elle est même l’un des plus terrible en ce sens que l’homme n’est même pas sûr de sa simple survie après la mort. Il est dans l’ignorance totale…sauf s’il accepte de croire : «Heureux celui qui croit sans avoir vu »[7].

2. La deuxième est le domaine des âmes errantes. C’est un lieu que la Bible appelle « le territoire des ombres [8]» ou ailleurs le « shéol [9]». L’homme constate que la mort ne conduit pas au néant. En ce sens, il n’a plus peur. Mais le shéol est une grande épreuve parce que l’homme erre sans but dans une solitude qui paraît ne jamais devoir s’arrêter. Il est inquiet et tremble à l’idée que Dieu ou les dieux sont des forces hostiles dont il ignore la nature.

 

Les quatre derniers purgatoires (à partir de l’apparition du Messie glorieux), sont caractérisés par le fait qu’une connaissance totale de la Révélation est donnée. Ce sont les purgatoires de lumière. Les âmes qui y séjournent sont amoureuses de Dieu. Elles sont conscientes de l’immensité de leur indignité. Elles souffrent d’un immense repentir, à cause de leur grand amour. Dieu leur manque, elles sont folles de son absence ce qui fait que ces quatre purgatoires sont comme du feu. Pourtant, elles sont dans la joie, certaines qu’un jour, dès qu’elles seront devenues humbles, elles verront Dieu.

3. Le premier est vécu à l’heure de la mort. Je l’ai déjà décrit au chapitre 1. Il s’agit tout simplement de l’Apparition du Christ, accompagné des saints et des anges. La puissance de sa vision provoque un tremblement apocalyptique dans l’âme, plus puissant que tout. A la lumière de la pureté de l’humilité et de l’amour du Messie, l’âme est choquée de ses propres ténèbres. L’effet en est la violente purification du reste de ses illusions.

4-5-6. Dans les trois derniers, nous entrons dans les trois purgatoires mystiques décrits par sainte Catherine de Gênes[10]. Les âmes, toutes amoureuses de Dieu, passent de la volonté d’être un jour digne de lui à la certitude qu’elles ne le seront jamais. Elles deviennent vraies, c’est-à-dire humbles. 

 

 

 

 

 

 

 

7- Vision béatifique

 

 

 

 

 

6- « Seigneur, je ne suis pas digne… » 

 

 

 

 

 

5- Usure de l’attente 

 

 

 

 

 

4- Volonté d’être digne de la Vie 

 

 

 

 

 

3- Apparition du Christ 

 

 

 

 

 

2- Limbes 

 

 

 

 

 

1- Vie terrestre 

 

 

 

 

 

 

 L'échelle de Jacob

Il n’est pas nécessaire de franchir une à une les marches de cette échelle. Deux règles seulement semblent absolues :

1- la Vision de Dieu, but de ce passage, n’est donnée qu’à celui qui est devenu tout humble et tout amour. Certaines âmes parviennent à cette pureté du cœur dès cette terre. Certaines autres ne connaissent aucun moment de vie terrestre consciente. C’est le cas des enfants morts prématurément.

2- Dieu apparaît à tout homme sous les voiles de son humanité (étape 3) avant de se donner sous la forme de sa divinité (7). Personne n’échappe à cette étape qui permet un choix libre.

1. Le premier degré du purgatoire, la vie terrestre[11]

"Ici-bas" http://www.oricom.ca/cristalino/

(Chose certaine)

Il est à noter que ces six purgatoires sont marqués par le sceau de la croix, de la souffrance. Peu de religions donnent une explication de la souffrance. L’islam appelle à la confiance et promet l’explication pour l’au-delà. Le bouddhisme donne plutôt une explication philosophique et panthéiste. Quant au catholicisme, à la différence des Églises protestantes, il propose au niveau de son Magistère romain et de ses grands saints une théologie unifiée (souvent critiquée par les fidèles eux-mêmes).

L’Évangile éternel de Dieu donne sens à tout en théologie chrétienne[12]. Concrètement, personne ne peut entrer dans la vie éternelle à de telles conditions : l’humilité et l’amour exigés sont impossibles à l’homme. Il est possible de devenir un peu humble et aimant par soi-même. Il suffit de considérer avec réalisme la petitesse de notre condition humaine. Mais il est impossible de devenir tout humble et tout amour, dans la mesure voulue par Dieu et révélée par la vie de Jésus. Il meurt pour des gens qui ricanent de lui. Il les sauve alors même qu’ils le défient « de descendre de sa croix puisqu’il en a sauvé d’autres. [13]» Qui est capable d’un tel amour? Mais, explique Jésus après une question de ses disciples sur ce thème, ce n’est pas impossible à Dieu[14].

La première étape utilisée par Dieu consiste à faire passer l’homme par la vie terrestre[15]. Cette vie est, on le constate, obligatoirement marquée par la souffrance puisqu’elle est fragile, dépendante des aléas du hasard et qu’elle s’achève par la mort. Le hasard n’existe pas en Dieu pour qui il n’y a pas de futur. Chaque évènement est connu de lui « depuis toujours » et à chaque instant. Mais il a voulu qu’il existe dans notre temps au point qu’une série de causes sans rapports peut aveuglément briser des existences. De plus, l’existence de Dieu et d’une survie après la mort peuvent y être mises en doute. Le silence de Dieu et du Ciel sont une des épreuves les plus étonnantes de la terre. Beaucoup d’ailleurs en concluent non sans un certain bon sens : «Dieu ne peut exister et être amour. Le monde ne serait pas ainsi».

Pourtant, si l’on étudie avec attention les écrits de la plupart des théologiens canonisés par l’Église, la vie terrestre et ses souffrances s’expliquent justement par le mystère de la Trinité[16].

L’humanité entière peut être comparée au Golgotha, c’est-à-dire à la colline du calvaire où fut crucifié Jésus avec deux bandits. Une partie de nous (la partie orgueilleuse et égoïste) est représentée par le mauvais larron. Il blasphème et insulte pour sa souffrance. Il meurt comme les autres et, en mourant, il touche du doigt la misère de ce qu’il est vraiment. Cette humiliation a des chances de créer en lui un peu d’humilité, ce qui est déjà un premier pas vers le salut, tel que nous l’avons exposé plus haut. Ainsi, en étant écrasé, malgré sa révolte, l’orgueilleux qui sommeille en nous peut être un peu humilié. N’est-ce pas une disposition à l’humilité?

Le bon larron représente ce qui est droit en nous. En effet, il est déjà juste : «Je paye pour ce que j’ai fait. C’est justice.» Dans sa souffrance, il se tourne vers Dieu et appelle un salut, malgré son péché. Il est humble. Il désire la vie. Sa souffrance fait augmenter son désir d’un salut. Il l’aura certainement juste après sa mort, lui promet Jésus. La souffrance provoque chez le juste un appel de l’espérance. C’est mieux qu’une simple humiliation. A l’heure où le Christ lui apparaît, l’homme assoiffé se précipite vers lui puisque, sans le savoir, c’est lui qu’il appelait.

Quant à Jésus, il représente les chrétiens, c’est-à-dire ceux qui savent qu’il n’y a qu’un seul commandement : «aimer Dieu et le prochain » et qui s’efforcent d’en vivre. Être chrétien présente en fin de compte un seul avantage certain. Nous savons où nous allons et nous le vivons déjà. Peu en tirent les conséquences. Faire de sa vie un acte d’offrande pour cet amour. Mais cela s’appelle la sainteté.

La souffrance est donc un mal mais son effet peut être un bien, affirme Jean-Paul II[17]. La souffrance, même quand elle n’est pas acceptée, creuse le cœur dans le sens de l’humilité (je ne suis rien) et du désir (désespéré parfois) d’un amour qui sauve.

Cette analyse permet de comprendre beaucoup d’enseignements curieux de Jésus :

“Les premiers seront les derniers ” pour la même raison. Il est difficile, quand on reçoit la gloire ici-bas, de comprendre qu’on n’est pas grand chose (humilité).

“ Il est plus difficile à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu qu’à un chameau de passer dans le trou d’une aiguille». Aux yeux de Jésus, un riche se comprend comme un riche au point de vue du cœur. La richesse matérielle, le pouvoir, dans la mesure où ils rendent arrogants, sont un danger pour la vie éternelle. En fin de compte, un enfant mort du Sida au Rwanda serait mieux disposé à l’humilité qu’un riche homme d’affaire occidental (au XIXème siècle, au nom de cette théologie, certains patrons se servaient de ce genre de propos pour justifier la mise en esclavage des ouvriers.). On voit à quel point le message évangélique porte en lui du scandale pour la sagesse naturelle des habitants de ce monde.

“ Si vous ne devenez pas comme ces petits enfants que voici, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu». Interprétation évidente au plan du symbolisme de l’enfant.

Attention, cette théologie est un scandale, dit saint Paul [18] : « Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, c’est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.»

En théologie chrétienne, cela paraît logique. Mais dès qu’on applique au concret du destin de chacun, cela devient insupportable au point que saint Paul parlait du « scandale de la croix » et que sainte Thérèse d’Avila disait : «Pas étonnant que Dieu ait si peu d’amis». Voici, à travers l’exemple du martyre des enfants tuées par Marc Dutroux[19], ce que cela devient : « [20]Il est possible de dire que, aujourd’hui que là où elles sont, les enfants ne regrettent pas d’être passées par une telle souffrance, non à cause de la souffrance elle-même, qui est un mal, mais à cause des effets de maturation du cœur qu’elle a produite. L’Apocalypse de saint Jean dit “ On ne se souviendra plus des larmes d’ici-bas. On se réjouira de l’action de Dieu car il aura lavé nos vêtements dans le sang de Jésus ». Pourtant, elles ont été totalement écrasées par la souffrance. Elles sont mortes dans la misère, sans avoir de réponse de Dieu à la supplication de leur prière. On peut dire que leur mort ressemble à celle de Jésus, puisqu’elles ont été totalement détruites aux plans physique, psychologique et spirituel. Mais, juste au moment de leur mort, le Ciel tout entier est venu les chercher. Elles ont vu Jésus, accompagné des anges et des saints, de leurs proches déjà décédés. C’était un accueil d’une beauté et d’une tendresse inouïe. Elles ont compris son projet, la raison de leur mort et la raison de son silence. Un tel amour, qu’elles n’espéraient même plus, a enflammé leur cœur. Autant elles avaient subi l’abandon, autant elles se sont jetées avec force dans les bras de Dieu. Leur amour est devenu intense comme celui de nul autre car leur humilité et leur désir, provoqués par leur souffrance, s’étaient considérablement creusé. Or, on voit Dieu à la mesure de son désir de le voir (donc de son amour). Plus notre cœur est grand (attiré par l’amour), plus il peut être rempli de Dieu. Ces petites filles sont devenues certainement de grandes saintes du Ciel auprès de Dieu.»

Face à cette explication, on comprend que certains chrétiens fervents aient pu se révolter, rejeter par moment cette « paternité de Dieu », tout en en comprenant intellectuellement les raisons. Leur attitude est juste. Il est au contraire peu intelligent, disait saint Paul, de cacher ce scandale de la croix.

Prenons garde, cette théologie est facilement déviée de son sens. Cette théologie, quand elle devient concrète, est si verticale et scandaleuse que peu de théologiens osent encore l’enseigner aujourd’hui. Seul le pape Jean-Paul II, face aux souffrances terribles après l’attentat de 1981, s’estima en droit d’en parler. D’autre part, comme elle constitue le sommet de la théologie chrétienne, elle est très facilement déviée de son sens. On peut la comparer à une crête entre les deux versants d’une montagne verticale : d’un côté se trouve le sadisme, de l’autre le masochisme.

Exemple 1 : Certains chrétiens ont mal compris cette propriété des souffrances. Pour devenir saints, ils se sont imposés des souffrances et de multiples pénitences. Sainte Marguerite-Marie se torturait volontairement pour devenir plus humble et pour offrir. Elle fut reprise par son confesseur : «Ceci ne produira que de l’orgueil et de la dureté». En effet, loin de produire de l’humilité, un tel comportement produit une impression (inconsciente d’abord) qu’on est un saint, qu’on se comporte bien. Ceci s’appelle l’orgueil.

Exemple 2 : Le XIXème siècle vit une partie du clergé prêcher aux ouvriers esclaves ou aux femmes battues l’acceptation de leur sort en vue de la récompense qui viendrait un jour. Ce fut une erreur grave qui produisit le marxisme et sa condamnation de la religion « opium du peuple». Cela produisit au XXème siècle la ruine du mariage, source de l’esclavage féminin. Ces prêtres commettaient une erreur théologique car la vie ne consiste pas seulement à aimer Dieu dans son paradis mais à aimer son prochain et la justice ici-bas. Les ouvriers n’avaient pas à accepter l’esclavage, et ceci en tant que chrétiens (voir l’encyclique du pape Léon XIII). Les femmes n’avaient pas à se faire servantes soumises mais épouses complémentaires, ceci par amour même de leur mari.

A la lumière de cette présentation de la vie terrestre, il est possible de comprendre à quel point l’avortement volontaire provoque dans le magistère de l’Église une véritable douleur. En privant volontairement un enfant de la vie terrestre, les chrétiens croient parfois bien agir. Ne sont-ils pas dispensés d’une vie de souffrance? Les conséquences pour les enfants sont pourtant en partie irrécupérables. Si l’Église catholique dans son Magistère s’oppose avec tant de force à l’avortement, c’est qu’elle croit de toutes ses forces que cet être qu’on fait disparaître, bien que doté en apparence d’une seule vie biologique, a déjà certainement reçu son âme spirituelle. Cette âme, siège de l’intelligence et de l’amour, n’est autre que ce qui survit à la mort. Abraham, Adam et Ève existent actuellement, pensent et aiment parce qu’ils sont « âme ». Son existence ne peut être mise en doute au plan de la révélation. Le Christ en a parlé explicitement plusieurs fois, en particulier en disant à l’homme crucifié à sa droite «aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le paradis » (sous-entendu : sans ton corps).

Un doute subsiste cependant dans l’enseignement de l’Église : quand cette âme créée par Dieu est-elle donnée à l’enfant? Au XIIéme siècle, saint Thomas d’Aquin penchait pour le sixième mois après la Conception. N’était-ce pas le moment où Jean Baptiste visité par Marie avait tressailli dans le ventre de sa mère? S’il en était ainsi, l’avortement jusqu’au sixième mois ne serait pas « un crime abominable.» Il ne serait pas un crime au sens strict, un homicide, mais un simple péché contre la vie à venir et non encore venue. Saint Thomas n’avait pas à son époque tous les instruments de la foi dont nous disposons aujourd’hui. En 1854, le pape Pie IX proclamait comme une certitude venant d’en haut l’Immaculée conception de la Vierge Marie. Cette révélation semble être sans rapport avec l’avortement. Il n’en est rien. Le fait que Marie est immaculée dans sa conception signifie qu’elle vivait, dès sa conception, de la présence de Dieu, de la même manière que Ève en vivait au jardin d’Éden. Si Dieu était là, c’est donc que Marie le recevait dans son âme. Le fait, d’autre part, que la conception de Marie est fêtée le 8 décembre, soit neuf mois avant sa naissance, ne laisse aucun doute sur ce qu’il faut entendre par conception. Marie est de la race humaine, comme tout enfant à naître. Tout indique donc que, pour elle comme pour eux, l’âme est donnée par Dieu dès le moment de la conception.

Dans cette perspective, on comprend que pour le Magistère, l’avortement quel qu’il soit, même celui de la pilule du lendemain, prend une dimension vertigineuse. Ce n’est pas qu’un morceau de chair qui disparaît mais un véritable être humain qui dormait encore, un petit enfant. Il n’y a aucune différence de fait entre les saints innocents de l’évangile (tués par Hérode) et ces enfants-là. Et même si les mères qui pratiquent cet acte ne savent pas ce qu’il advient de l’enfant, de fait, il s’agit d’un homicide. Il n’y a pas de péché chez la mère si elle ignore ce qu’elle fait, mais il va de la mise à mort d’un homme.

Que deviennent ces enfants? Sainte Thérèse de Lisieux disait avec raison : « Un petit enfant, cela ne se damne pas [21]». Elle montrait que l’hypothèse des limbes éternels émise par saint Augustin se méprend sur Dieu. Dieu n’a pas besoin qu’un enfant soit baptisé avec de l’eau pour lui donner le baptême de sa présence. Mais tout homme, quel qu’il soit (même un embryon), entre dans le royaume de Dieu à la mesure précise de son désir de Dieu. Plus le cœur de l’homme aime Dieu et désire le voir, plus il le voit. Or, il existe une voie dont l’utilité est de creuser le désir du cœur de l’homme, c’est celle de la vie terrestre. La vie terrestre est donc utile aux hommes. Si la vie terrestre est voulue par Dieu, c’est qu’elle est utile. Quant au petit enfant mort avant d’avoir vécu, lorsqu’il est accueilli par le monde des saints, il ne le rejette certes pas. Mais il s’y porte avec un petit désir d’innocent, avec un cœur qui n’a pas eu le temps d’être préparé. Son éternité s’en trouve directement modifiée. Il reste pour toujours, en un certain sens, sous-développé au niveau du désir du cœur.

 

Il en est de même pour le suicide[22] ou l’euthanasie. Lorsqu’un croyant sincère arrive aux portes de la mort, que la souffrance physique et morale l’atteint, il va s’efforcer de la soulager (il ne s’agit pas d’être masochiste, le masochisme ainsi vécu étant très présomptueux...). Mais quel motif peut exister en lui pour continuer à vivre?

Comme pour tout homme, il peut parfois ne plus exister de motif naturel : Amour de la vie, présence des proches etc. Mais il peut subsister un motif surnaturel. La mort est école d’humilité. Nul n’apprend ce qu’il est vraiment s’il n’a jamais souffert. Le temps qui précède la mort semble même être ressenti par certains saints comme la chance ultime d’être sauvés de leur orgueil incontrôlable. L’exemple du cardinal de Lubac est significatif. Ce grand prédicateur du XXème siècle fut atteint vers la fin, d’handicaps humiliants tel l’incontinence. Il écrivit à son confesseur jésuite : «Mes handicaps sont ma dernière planche de salut. Grâce à eux, je comprends maintenant à quel point mon âme était en danger.» Il était conscient qu’il aurait pu, tant sa fierté d’être connu l’avait nourri, être parmi ces hommes dont parle Jésus : «Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prêché? En ton nom que nous avons chassé les démons? En ton nom que nous avons fait bien des miracles? Alors je leur dirai en face : Jamais je ne vous ai connus; écartez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. [23]»

Est-ce à dire que le chrétien ne peut être tenté de se suicider dans ce cas? Il est évident que non. Le chrétien est homme. Il n’a qu’une chose de plus que le non chrétien : il sait Qui il aime. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus fut atteinte de tuberculose étouffante, séparée de toute consolation venant de Dieu et de ses sœurs, cette petite religieuse eut envie de se suicider. Elle ne le fit pas par seule fidélité à sa foi. Elle est patronne des désespérés.

2. Les limbes des âmes errantes[24]

"L'Humanité" http://www.matta-art.com/

(Chose indécise)

Les religions les plus primitives, de l’Orient à l’Occident, étaient animistes. Elles enseignaient que l’âme des morts, loin de partir dans un autre monde, restaient sur la terre où elles erraient sous forme d’ombres. Effrayés par ces présences, les vivants confiaient à leurs prêtres (les chamans) la charge d’éloigner les morts. Ils utilisaient une série de rites afin qu’ils installent leur errance sans fin dans les lieux déserts, dans les forêts et les vallées séparées. Job témoigne de cette croyance dans plusieurs textes[25] : «Comme la nuée se dissipe et passe, qui descend au shéol n’en remonte pas. Il ne revient pas habiter sa maison et sa demeure ne le connaît plus.» Les anciens européens gardaient cette croyance. Lorsqu’ils étaient témoins de quelque phénomène de maison hantée, ils émettaient l’hypothèse de la présence d’une “ âme en peine ”.

L’Église catholique n’ignore pas cette tradition. Elle ne l’enseigne pas explicitement par la voix de son Magistère. Elle reconnaît qu’il s’agit de cas réels puisqu’elle prévoit dans le rituel l’offrande de messes et de prières spéciales dans des cas semblables. Elle possède une procédure spécifique face aux phénomènes de revenants. L’enquête précède la prière, qui délivre les âmes de leur errance. Selon certains théologiens, un revenant n’est autre qu’une âme soumise au purgatoire, sur le lieu même où elle a péché. « Certains morts ne passent pas dans l’autre monde mais restent sur le lieu même où ils ont péché. Ceci ne concerne pas n’importe qui mais uniquement un certain nombre d’hommes particulièrement épais au plan moral.» Que ce soit un milicien criminel ou un moine infidèle, Dieu peut, par la puissance de ses anges, le maintenir un certain temps en lien avec notre monde.

Le phénomène du shéol est objet de révélations privées chez les saints. On en trouve des traces jusqu’à une époque reculée de l’histoire de l’Église. Saint Bernard, dans la vie de saint Malachie, en cite un. Ce saint raconte qu’il vit un jour sa sœur. Or elle était trépassée depuis quelque temps. Elle faisait son purgatoire au cimetière. A cause de ses vanités, des soins qu’elle avait eus de sa chevelure et de son corps, elle avait été condamnée à habiter la propre fosse où elle avait été ensevelie et à assister à la dissolution de son cadavre. Le saint offrit pour elle le sacrifice de la messe pendant trente jours. Ce terme expiré, il revit de nouveau sa sœur. Cette fois, elle avait été condamnée à achever son purgatoire à la porte de l’église, sans doute à cause de ses irrévérences dans le lieu saint, peut-être parce qu’elle avait détourné les fidèles de l’attention des mystères sacrés pour attirer sur elle la considération et les regards. Elle était profondément triste, voilée de deuil, dans une angoisse extrême. Le saint célébra de nouveau le sacrifice pour elle durant trente jours, et une dernière fois elle lui apparut dans le sanctuaire, le front serein, rayonnante, vêtue d’une robe blanche. L’évêque reconnut à ce signe que sa sœur avait obtenu sa délivrance.

Que peut-il arriver à un mort pour qu’il erre ainsi sur terre? L’explication est simple. Certaines personnes sont surprises par la mort alors qu’elles sont totalement attachées à la terre. Une parabole de Jésus illustre leur mentalité[26]. « Il y avait un homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté. Et il se demandait en lui-même. Que vais-je faire? Car je n’ai pas où recueillir ma récolte. Puis il se dit. Voici ce que je vais faire. j’abattrai mes greniers, j’en construirai de plus grands, j’y recueillerai tout mon blé et mes biens, je dirai à mon âme. Mon âme, tu as quantité de biens en réserve pour de nombreuses années; repose-toi, mange, bois, fais la fête. Mais Dieu lui dit. Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l’aura? » Lorsqu’un tel homme meurt, il lui arrive la chose suivante. Il se réveille bien vivant. Il possède toujours un corps, il a des mains, des yeux pour voir. Nous avons montré que le psychisme et le corps double qui en est le siège n’est pas détruit à la mort[27]. Mais lorsqu’il essaye de saisir ses richesses, elles lui échappent. Son or n’est plus palpable. Les plaisirs de la chair le fuient aussi car il a perdu le sens du toucher. Les honneurs lui deviennent inaccessibles. On ne le voit plus. A ce moment, le ciel s’ouvre pour lui. La lumière du Christ apparaît et se met à exercer son attraction. Tout homme sensé comprendrait. Abandonnant ses biens, il se tournerait vers le passage et quitterait ce monde pour l’autre. Dans le cas qui nous occupe, il n’en est rien. L’attachement à la terre est si grand qu’il semble ne pas voir la Lumière. Au contraire, paniquée à l’idée de tout perdre, l’âme de cet homme se met à tourner et retourner dans les lieux de sa vie. Alors le Christ, respectant son aveuglement, s’efface. Sa Lumière disparaît provisoirement et le mort se retrouve entre deux mondes.

On le voit une telle attitude n’est pas le fait de n’importe qui. Seules des personnes extrêmement mondaines ou matérialistes peuvent se trouver piégées de la sorte. Il faut même une mondanité névrotique, c’est-à-dire maladive. Il faut un tel attachement à la terre qu’on en oublie de considérer l’apparition visible du Ciel. Toute personne un peu sensibilisée aux choses spirituelles échappe à cette étape du purgatoire[28]. Toute personne qui trouve un motif psychologique ou moral pour fuir la rencontre avec l’Amour, peut se retrouver dans cet état. Il ne faut pas confondre l’état de ces morts avec celui des damnés. Ce sont des personnes psychologiquement esclaves de leurs vices alors que les damnés se lient dans une parfaite liberté à un choix de leur volonté. Les âmes errantes sont névrosées alors que les damnés rayonnent d’une liberté mauvaise.

Dans les temps anciens, alors que l’humanité se débattait dans son enfance[29], le phénomène du shéol était beaucoup plus fréquent. Pourtant, il n’était pas universel. Certains morts entraient déjà dans un certain paradis, non encore complet, que la Bible appelle « le sein d’Abraham »[30]. La religion de l’Égypte antique témoigne qu’à cette époque reculée, l’homme juste ne restait pas en perpétuelle errance sur la terre. Au contraire, il était accueilli par un dieu mystérieux, appelé Anubis, et qui ressemble fort à l’ange de la mort. Il le conduisait devant le tribunal où Osiris, ce dieu mort et ressuscité, pesait son cœur. Osiris et son épouse aimante Isis étaient une préfiguration évidente du Christ à venir. Si le cœur était trouvé plus léger que la plume de Maât (la droiture), l’homme était introduit au paradis[31]. De nos jours, le phénomène n’a pas disparu. Il semble même en recrudescence tant le monde se matérialise. Une religieuse dotée de dons de voyance prophétique, Clémence Ledoux[32], visitait, dans les années 1960, le château de Versailles. Elle fut saisit à la vision de nombreuses âmes, en costume du grand siècle : Elles emplissaient tristement ces lieux. Une telle vision n’a rien d’étonnant. Louis XIV prit conscience trop tard, à la fin de sa vie, à quel point son amour des apparences avait plongé les courtisans dans une mondanité servile.

Pour ces âmes commence alors un temps de purification. Dieu respecte leur volonté de rester sur terre jusqu’à ce qu’elles veuillent bien comprendre leur erreur. Le cheminement spirituel est en général très rapide. Exceptionnellement, il peut durer des siècles. Il leur faut affronter brutalement leur incapacité à posséder le bien sensible qui faisait toute leur vie. «Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.[33] » disait Jésus. S’il s’agissait d’honneurs, ces âmes se précipitent pour en recevoir encore. Elles sont vite informées! Elles assistent à leurs funérailles. Elles lisent dans la pensée des assistants à quel point tout cela n’était que du vent. Quelques semaines plus tard, elles se découvrent déjà oubliées. Cette expérience suffit à la plupart. Bouleversées par la conscience de la vanité de ce qu’elles adoraient, elles se tournent vers le Sauveur qu’elles ont entraperçu et l’appellent. Aussitôt, sa lumière paraît et les entraînent dans l’autre monde.

Certains morts sont beaucoup plus difficiles à convaincre. Ils n’ont parfois aucune idée de ce qu’est la vie spirituelle. Totalement matérialistes, ils s’installent dans leur errance. Ils tournent et retournent autour du lieu où était leur trésor. Ne pouvant être vu par les hommes vivants (sauf cas exceptionnel) et étant obsédés par leurs anciennes possessions, leur solitude est totale.

Dieu permet ceci non pour punir, mais dans un but pédagogique et pour sauver. Il a le temps. Les siècles lui appartiennent. Il sait qu’aucune âme ne peut vivre un tel arrachement sans, petit à petit, s’affiner. Dans sa solitude terrible, l’esprit du pécheur apprend peu à peu la vanité des biens de la terre. Il comprend que l’unique bien est l’Amour.

Pour hâter la purification, Dieu dispose de plusieurs moyens. Le plus grand d’entre eux est la communion des saints. En effet, parmi les morts comme parmi les vivants, il existe des personnes au cœur affiné dont il va se servir, quelquefois à leur insu. Au cours de leur errance dans le lieu où elles ont vécu, les âmes en peine sont sans cesse confrontées à la présence des vivants. Leur maison passe de main en main. Elles observent leur vie. Elles rencontrent beaucoup de gens matérialistes et aussi perdus qu’elles. Mais il arrive qu’elles rencontrent des âmes pures, aimantes et priantes. Elles voient très bien ce que pensent les habitants de la terre. Cela les intrigue de plus en plus, au fur et à mesure que la solitude et la tristesse les minent.

Par exception, il arrive que les âmes de ce purgatoire apparaissent ou se fassent entendre des vivants. Le phénomène est rare car il semble être dû à un long effort pour influencer la matière. Il est tout aussi difficile à un mort de produire un bruit quelconque dans une maison qu’à un vivant de déplacer un objet par la force de sa pensée. La manifestation des âmes errantes est bonne pour les vivants car, en constatant leurs souffrances, ils se sentent invités à la conversion[34]. Elle est malheureusement pour beaucoup cause de terreur plutôt que d’amour. Qu’on se rappelle la réaction des disciples de Jésus, quand ils le virent s’approcher d’eux en marchant sur les eaux : «Ils crurent que c’était un fantôme, et poussèrent des cris[35]”. Le phénomène des revenants, quand il se produit, ne devrait jamais effrayer. Comment avoir peur de ces âmes, qui crient leur détresse? La réponse immédiate devrait être, au contraire, l’assistance à personne en danger. « J’étais en prison et vous m’avez visité[36]». La réponse la meilleure consiste dans l’instruction et la prière[37].

L’instruction, l’explication patiente du sens de la vie et de l’erreur où se trouvent ces âmes peut provoquer une véritable conversion de leur intelligence. Elle accélère une prise de conscience que leur expérience est trop longue à provoquer.

Concrètement, quand un tel phénomène se produit, il convient de s’asseoir, sans crainte, et de dire à peu près ceci : «Vous êtes restés bloqués entre deux mondes. C’est une erreur. Elle ne vous conduira à rien de bon. Ce qui vous tourmente est peu de chose. N’attendez pas inutilement pour le comprendre. Le Christ, la Vierge Marie, tous ceux qui vous ont aimés vous attendent. Il suffit que vous les appeliez. Ils vont venir vous chercher.[38] »

La prière obtient leur évolution par l’amour qu’elle manifeste. Ces âmes solitaires sont touchées par le fait qu’on se soucie d’elles. Certains saints, canonisés par l’Église, passèrent leur vie entière à s’offrir pour elles. De telles prières ou sacrifices ont une efficacité étonnante : l’âme en peine en est bouleversée, comme le serait un prisonnier, qui, pour la première fois, recevrait une lettre. Ce geste est efficace. Il est d’autant plus remarquable qu’il vient d’une personne qui vit dans un purgatoire en un certain sens plus difficile[39]. Elle peut, devant sa beauté, comprendre en un instant la grandeur de l’amour, et appeler le Christ à son aide. Aussitôt, elle se trouve délivrée[40].

Toutes les histoires de fantômes ne doivent pas être prises à la lettre, sans une enquête approfondie de la part des autorités religieuses. Une imagination débridée peut inventer bien des fantasmes. Nos ancêtres superstitieux inventaient dans leur frayeur des monstres comme l’Ankou avec son char (la Mort en Bretagne), le vampire assoiffé de sang (Roumanie), les Trolls et les lutins (Scandinavie). Chaque peuple a ses croyances d’enfant. C’est pourquoi, avant de se lancer dans ce genre d’apostolat, il convient d’être sûr de son fait. Une enquête préalable est très utile. Le Père Emmanuel de Solis, dans son ermitage alpin, fut le premier homme d’Église dont je reçus un enseignement théologique sur le phénomène des revenants. J’avoue qu’avant d’écouter son témoignage, je rangeais cette question parmi les mythes superstitieux dont regorgent nos campagnes. Je fus extrêmement surpris d’apprendre que l’Église prenait cela très au sérieux.

Nous étions donc réunis autour de lui, et nous écoutions. Il nous raconta alors qu’au début de sa vie érémitique, il avait reçu de la part des villageois une vieille ferme abandonnée, appelée l’Adoux d’Oule. Il l’aménagea un peu, et s’y installa. Dès la première nuit, il perçut, venant du sol, une sorte de gémissement. Le lendemain, les gémissements se firent plus forts, prenant, dans le silence de la nuit, une intensité encore plus poignante. Cela ne ressemblait, ni au cri d’un animal, ni au hululement du vent. Le gémissement semblait humain. Extrêmement intrigué, le Père Emmanuel décida donc de mener son enquête. L’Église demande d’agir ainsi avant de se prononcer sur le caractère paranormal d’un phénomène. Il descendit donc au village, pour y interroger les gens. Il apprit d’eux que l’Adoux d’Oule était une ancienne ferme. Pendant la seconde guerre mondiale, elle avait été le théâtre d’événements tragiques, puisque les miliciens y avaient torturé, puis exécuté des résistants (avant d’être à leur tour supprimés à la libération). Tout cela bouleversa le Père Emmanuel, étant convaincu de l’origine paranormale des gémissements, il décida d’offrir trois messes à l’intention des âmes du purgatoire. Dès lors, il n’entendit plus jamais de bruits anormaux dans son ermitage.

Les paysans du secteur eurent vent de cette histoire. L’un d’eux vint donc trouver le père Emmanuel, pour lui raconter une histoire autrement plus mystérieuse. Il possédait une grange en pleine montagne. Depuis des siècles, une tradition affirmait qu’on y voyait, certaines nuits, des défilés d’ombres ressemblant à une procession de moines en habits religieux. Or, le paysan affirmait avoir été lui-même témoin du phénomène, certains soirs où il s’occupait de ses bêtes. Le père Emmanuel prit au sérieux cette histoire, à partir du jour où il apprit que cette grange se situait non loin du cite d’un ancien prieuré bénédictin. Le prieuré avait été fermé au XIIème siècle, par son Abbaye-mère, à cause de la décadence notoire de sa vie monastique. Le père Emmanuel se rendit donc trois fois sur le lieu, pour y célébrer la messe. Fallait-il admettre que, depuis huit siècles, les âmes de ces moines erraient en ce lieu?

3. L’Apparition du Christ, accompagné des saints et des anges

[1] Il s’agit bien de ce « troisième ciel » où fut ravi saint Paul et qu’il décrit en II Corinthiens 12, 2.

(Chose certaine)

Nous avons montré que cette Parousie se produit normalement à l’heure de la mort. Exceptionnellement, elle est différée à cause de la nécessité de ce temps d’errance. L’apparition du Christ est le plus puissant des purgatoires. Le jour du Seigneur fait progresser les hommes plus que tout le reste. La lumière et l’amour qui rayonnent de sa gloire provoquent un tremblement apocalyptique dans l’âme. Pour ceux qui ne le rejettent pas, il en ressort des effets uniques dans l’intelligence et le cœur.

En un instant, quatre trésors sont donnés à l’intelligence.

- La personne comprend tout l’Évangile, tout le poids de Lumière et d’amour qu’il contient.

- Elle découvre pourquoi elle a souffert sur la terre : «Heureux les assoiffés de justice, ils seront rassasiés »[41].

- Elle a la vision, comme par comparaison, de la vérité sur son âme (la grandeur de son péché en particulier, mais aussi ce qui est bon).

-  Enfin, elle comprend le choix qu’elle va devoir faire : l’amour du prochain jusqu’au mépris de soi ou, au contraire, l’amour de soi jusqu’au mépris des autres.

Au plan du cœur, si cette personne est juste, elle s’enflamme d’un coup tout entière pour l’amour de Dieu. Lorsqu’on voit le Ciel, on l’aime de toute sa capacité ou on le rejette à jamais. Il n’y a plus de place pour la tiédeur. C’est pourquoi, tout au long de la vie éternelle, il ne pourra plus jamais y avoir de progrès dans l’amour[42]. Aimer de tout son cœur ne permet pas un amour plus grand puisque, justement, on aime de tout son cœur[43].

4, 5, 6- Les trois purgatoires qui suivent l’apparition du Christ

(Chose certaine)

Je vais m’efforcer de décrire maintenant les trois demeures du purgatoire mystique (sainte Catherine de Gènes) [44]. Il peut être difficile de comprendre comment la puissance de l’apparition du Christ ne suffit pas toujours à détruire les derniers obstacles à la vision de Dieu. Les pages suivantes devraient éclairer ce fait.

A partir du moment où le Messie s’est montré, les âmes connaissent totalement la révélation. Celles qui ont choisi Dieu et son mystère ne reviendront jamais en arrière. Elles sont amoureuses de Dieu. Elles sont donc saintes, au sens le plus fort du terme. C’est pourquoi on appelle les dernières étapes qui leur restent à franchir les purgatoires de la lumière. En effet, certaines n’entrent pas encore dans la vision de Dieu. Quelque chose pose encore problème dans leur âme, quelque chose que l’apparition du Christ ne guérit pas toujours. Nul ne peut entrer dans la vision de Dieu avant de régler deux problèmes : l’humilité et la justice.

 

 1- L’humilité, parce que Dieu est humble 

Lorsque l’homme s’est tourné vers Dieu et a choisi la voie de l’amour, il reste parfois centré sur lui. Il continue de mêler à sa façon de l’aimer beaucoup de suffisance, de fierté. Il n’a pas encore intégré dans sa chair à quel point il n’est rien. En un mot, bien qu’il aime de tout son cœur, il n’est pas encore tout humble.

 

 2- La pénitence parce que l’homme veut paraître sans dette devant son Créateur

Converti et changé, celui qui a fait le mal est devenu juste. Durant sa vie terrestre, il a détruit des personnes par son péché. Face au Christ, il s’applique librement cette parole de l’Évangile : «Hâte-toi de t’accorder avec ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que l’adversaire ne te livre au juge, et le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison. En vérité, je te le dis : tu ne sortiras pas de là, que tu n’aies rendu jusqu’au dernier sou[1].». Il accepte ce fait en toute sincérité, reconnaissant que c’est juste.

Il existe donc deux raisons à l’existence du purgatoire : la purification du cœur et la dette à purger pour le mal commis. Cependant, on le comprend bien, si la première raison est indispensable (Dieu est simple, l’âme qui le voit doit l’être), la seconde n’est qu’une convenance de justice.

4. Quatrième purgatoire : quand l’âme amoureuse dit : « un jour, je serai digne de toi ! »

Suivons le chemin du soldat allemand Johann. Sa conversion avait été radicale. La rencontre du moment de sa mort avait été si violente qu’elle l’avait enflammé d’un seul coup. Il avait tout vu, tout compris. Son cœur s’était s’enflammé proportionnellement à son état. Il lui était impossible d’aimer autrement que de tout son cœur tant l’apparition du Ciel avait été puissante. L’extase qu’elle avait suscité est décrite par sainte Bernadette de Lourdes : «J’aurais voulu rester toujours auprès d’elle. » Comme l’ouvrier de la dernière heure, il avait aimé Jésus et reçu de lui la promesse d’entrer comme les autres dans la vie éternelle[45]. Il était heureux. Il savait qu’il était sauvé. Il le croyait avec une certitude qui lui venait du Christ

 

... mais il aimait mal.

Cependant, au moment de sa mort, Johann avait compris combien il lui fallait purifier son amour de tout reste du péché qu’il avait commis sur la terre. Il les voyait subsister en lui. C’était plus fort que lui. Il voulait aimer Dieu mais ne cessait de se regarder pour voir s’il aimait vraiment. Sa volonté avait trop pris l’habitude de ne penser qu’à elle. Elle était, quoiqu’il fasse, centrée sur elle-même. Elle avait aujourd’hui du mal à réaliser en toute liberté ce qu’elle voulait. Quelque chose était inscrit en elle, une sorte de vice qui la retenait et qui n’était autre que le reste de l’amour de soi, qui conduit l’homme à se regarder lui-même avant de se soucier des autres.

Johann voulait aimer Dieu, mais il ne pouvait penser à autre chose qu’à lui-même en train d’aimer. La générosité de Johann nous étonne quand nous considérons le SS qu’il était[46] quelques instants auparavant. Johann dit à Dieu : «Je t’aime plus que tout. Un jour, pour toi, je deviendrai digne de toi».

Une telle parole n’est pas humble. Elle est le propre d’un homme sincère mais encore sûr de sa valeur. Or nul ne peut voir Dieu sans être totalement mort à soi-même.

Johann ne cessait de penser au mal qu’il avait commis sur la terre. Le souvenir de ceux qu’il avait blessés le brûlait. Il vit en particulier devant lui un soldat russe qu’il avait abattu alors qu’il venait se rendre. L’homme lui souriait en disant : «Ne t’inquiète pas pour moi. Certes tu m’as tué contre les règles de l’honneur mais, après ma rencontre avec le Messie, j’ai vu que je ne valais pas mieux. J’ai prié pour toi afin que ce péché te soit remis. Ne t’occupe plus de cette affaire.” De même, son ange gardien lui dit : “ Il y a une femme russe qui a trouvé ton corps. Elle l’a transporté pour l’enterrer et elle a prié pour ton âme. Cette femme a perdu tous ses enfants à Stalingrad. A cause de sa charité, toutes tes dettes sont remises.” Johann venait de bénéficier de l’indulgence pour ses dettes. Tout lui avait été remis à cause de l’amour de ceux qui les prenaient sur eux.

Toute la théologie de l’Indulgence se trouve ici. En priant pour les âmes du purgatoire, en offrant pour elles ce que l’amour nous inspire, nous prenons sur nous leurs dettes. Evidement, tout cela n’est pas possible à cause de nos propres mérites. Nos pauvres amours sont mélangés d’égoïsme. Ce n’est possible qu’à cause d’une volonté explicite du Christ à la croix, sa volonté de la communion des saints[47]. Par l’indulgence plénière, si l’âme est déjà totalement purifiée de tout reste du péché, nous achevons pour elle le purgatoire et lui ouvrons les portes du Ciel.

Johann fut bouleversé par tant d’amour manifesté. Il n’en désira que davantage se purifier. Il désirait rétablir, en offrant pour eux des prières et en souffrant pour eux. Ainsi, il lui fallait en toute justice, réparer. C’est ce qu’expérimenta Johann. C’est pourquoi, à cause de ces deux lacunes, il accepta volontairement de se séparer provisoirement des habitants du Ciel.

5. Cinquième purgatoire : Quand l’âme amoureuse s’use d’attendre

(Chose certaine)

Alors, entièrement soumis à la volonté de Jésus, il commença à vivre son purgatoire. Il se retrouva soudain seul. Toute présence affectueuse venait de disparaître. Aussitôt, un grand feu jaillit en lui : un désir brûlant de Dieu venait de le happer. C’était douloureux car Johann aimait. Son âme, tout entière faite pour ce Jésus aperçu au moment de sa mort, gémissait de son absence. Il ne cessait en même temps d’être dans la joie car il savait que cette absence momentanée n’avait d’autre but que de brûler les restes du péché.

 

Le purgatoire est donc par excellence une expérience d’amour. Il n’y a pas d’autre cause de souffrance que l’absence de Dieu. L’âme est brûlée par le même feu qui règne en enfer : le désir de Dieu. Mais, loin de s’opposer à ce désir comme le font les damnés, elle l’aime et s’en sert pour aimer.

Quelle est la durée réelle de ce purgatoire ? Comme l’âme n’est pas liée à son corps charnel, au cycle du temps et des saisons, elle ne vit ce temps de purgatoire que de l’intérieur, un peu comme un spéléologue séjournant des mois entiers sans heure au fond d’une grotte[48]. Une minute peut paraître des heures et réciproquement. Nous expérimentons tous cette subjectivité du temps intérieur : une minute sous la roulette du dentiste est plus longue qu’un heure devant un film passionnant. Ainsi, il arrive que le purgatoire ne dure qu’une minute en temps terrestre mais paraisse à l’âme folle d’amour aussi long que des années de prison. Inversement, pour une âme qui aime moins, des années de cette séparation ne paraissent longues que parce que, réellement, elles sont longues. Certaines révélations privées parlent d’une durée de plusieurs siècles. A Fatima (1917), la Vierge Marie répond à Lucie à propos d’une petite fille de 10 ans décédée l’année précédente : « Elle est au purgatoire jusqu’à la fin du monde. »

 

C’est une souffrance inconnue de la terre car rien ne vient tempérer le feu du désir de Dieu. Aucune occupation extérieure ne vient distraire. Pour sainte Catherine de Gênes, l’âme subit les effets lancinants de son amour que rien ne vient distraire. Elle a soif de Dieu, à l’image du riche qui s’écriait[49] : « : Père Abraham, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je suis tourmenté dans cette flamme. » Alors, lentement ou rapidement, sans que l’âme ne fasse rien, par la seule puissance de cette souffrance, l’amour se purifie.

C’est ce qu’expérimenta Johann. Au commencement, plongé dans sa solitude, il se comportait comme l’homme de la parabole. Il suppliait que quelqu’un vienne lui apporter un peu de réconfort “ que l’on trempe son doigt dans l’eau du paradis pour étancher un peu sa soif[50]”. Il ne cessait de scruter le fond de son âme, pourchassant le moindre reste de retour sur soi. Selon sainte Catherine de Gênes, l’âme cherche à être sainte. Par désir de Dieu, elle s’attache avant tout à fuir le péché. C’est bien. Mais ce n’est pas parfait car, sans qu’elle s’en rende compte, elle reste dans cet acte même trop centrée sur elle. Au bout de quelque temps, laminé par la solitude et le désir de Dieu, Johann se regardait moins. Il regardait de plus en plus vers Dieu.

C’est le second purgatoire mystique de sainte Catherine de Gêne. Déjà, l’amour s’exerce plus simplement car Dieu est de plus en plus regardé. L’âme se soucie de moins en moins d’elle-même. Tel est l’effet de la souffrance : elle simplifie le cœur de l’homme en le détachant de lui-même.

6. Sixième purgatoire : le parvis du Ciel

(Chose certaine)

Enfin, après avoir attendu ce qui lui paraissait être une éternité, Johann avait complètement changé. Son âme était abreuvée de solitude. Le temps qui semblait ne jamais arriver au terme l’avait usé. Il ne se souciait plus d’être digne de Dieu. Il ne se regardait plus. Il ne vivait plus. Du fond de son être, il se rendait compte que, malgré tous ses efforts, il ne serait jamais digne de Dieu. Souffrir lui était indifférent : Jésus seul, et ses prochains, comptait.

Il avait atteint ce que sainte Catherine de Gènes appelle le parvis du Ciel. Il ne se rendait même pas compte de cette pureté absolue qu’il venait d’atteindre. Car, de fait, il était maintenant humble, totalement mort à lui-même, sans illusion sur son néant devant l’infinie pureté de Dieu. Plus rien maintenant ne le retenait dans ce lieu de solitude. Alors il dit[51] au Seigneur :

 

“ Je ne suis pas digne de te recevoir.

Mais dis seulement une parole et je serai guéri[52].

 

Pour conclure cette analyse des trois purgatoires mystiques, il nous faut comparer cette parole avec celle que prononçait Johann au moment de son entrée au purgatoire : «Un jour, je serai digne de ton amour ». Entre les deux, il n’y a aucune différence dans l’intensité de l’amour. La différence vient d’ailleurs, de l’humilité. En fin de compte, l’entrée au paradis est la chose la plus complexe au monde car elle est…la plus simple. Cette analyse permet de comprendre beaucoup d’enseignements curieux de Jésus : «Les prostituées et les pécheurs devancent les prêtres dans le Royaume de Dieu». C’est ainsi car les prostituées, humiliées dans leur féminité par la vie et par leurs clients, sont plus disposées à développer l’humilité qu’un prêtre reconnu universellement comme un homme de bien[53]. A-t-on déjà vu une ancienne prostituée dire, au moment de sa mort, à Jésus : « Un jour, je serai digne de toi »?

 

7. L’entrée dans la Vision de Dieu

 

Alors le Christ lui apparut. Comme au jour de sa mort, il le vit d’abord avec son corps glorieux. Son âme humaine lui apparaissait à travers sa lumière physique. Il était entouré d’une nuée d’anges et de saints. Le Christ lui dit : “ Entre dans la joie de ton Dieu[54].”

 

 

 

Il se produisit comme un dévoilement, comme « le voile d’un temple qui se déchire, de haut en bas »[55].

Le Christ lui apparut tel qu’en lui-même.

Il voyait toujours son humanité;

Et il vit sa divinité, face à face.

Il vit le Père, le Fils et le Saint Esprit dans un jaillissement d’infini et d’éternité.

 

"Entrer dans la lumière"

LA LUMIERE

QUI POURRA L'EXPRIMER?


 

[1] L’existence du purgatoire fait partie de la foi catholique, solennellement et sans hésitation. Paul VI le mit dans son nouveau Credo, publié le 30 juin 1968 en prévision de la crise à venir de la foi : « Nous croyons en la vie éternelle. Nous croyons que les âmes de tous ceux qui meurent dans la grâce du Christ, soit qu’elles aient encore à être purifiées au purgatoire… » L’existence de six degrés du purgatoire est par contre le fruit de ma recherche, à travers la tradition des saints les plus profonds. Les trois purgatoires mystiques de sainte Catherine de Gênes sont les plus décrits dans l’Église. Le purgatoire des âmes errantes est sans doute le moins documenté. Il n’en est pas moins important car tout à fait logique et utile au salut de certains. En recherchant dans le patrimoine de l’Église, on trouve six degrés du purgatoire. Il en existe peut-être d’autres. Ce chiffre n’a rien de dogmatique. Mais son symbolisme biblique est étonnant. Le septième jour, l’homme se reposera en Dieu, de même que Dieu se reposa le septième jour de sa création (Genèse 1). Voir chapitre consacré à la vision béatifique.

[2] Lettre à Mekhitar, d’Arménie, 29 septembre 1351 (DS 854). Voir aussi DS 1304, DS 1820.

Concile de Trente, Session 25, D.B, Enchiridion, 983, Trad. A. Michel, purgatoire, Dictionnaire de Théologie Catholique 1278-1279.

[3] 2 Macchabées. 12, 46.

[4] 1 Corinthiens 3, 15.

[5] Genèse 28, 11.

[6] Voir Apocalypse 8, 1 : «Il se fit un silence dans le ciel, environ une demi-heure.», c’est-à-dire le temps d’une vie terrestre.

[7] Jean 20, 29.

[8] Job 26, 5 : «Les Ombres tremblent sous terre, les eaux et leurs habitants sont dans l’effroi. »

[9] Voir par exemple Genèse 42, 38 : «S’il lui arrivait malheur dans le voyage que vous allez entreprendre, vous feriez descendre dans l’affliction mes cheveux blancs au shéol. »

[10] … qui est une sainte canonisée. Elle a en outre été reconnue par l’Église comme une réelle autorité théologique concernant le purgatoire d’un degré bien sûr inférieur à celui de l’Écriture Sainte ou du Magistère de l’Église (voir en fin d’ouvrage).

[11] La théologie de la souffrance, telle que je la donne ici, est rejetée par une part importante des prêtres occidentaux. C’est une véritable tragédie car, avec le bouddhisme (et sa source, l’hindouisme), le catholicisme était la seule religion au monde à donner sens à la souffrance. Pour comprendre cette richesse, on peut lire, avec fruit, la méditation sur la souffrance de Jean-Paul II. Suite à l’attentat qui faillit lui coûter la vie, il vit un ange, celui de Fatima, détourner la balle. Mais l’ange ne la détourna qu’un peu, sur ordre de Dieu. Jean-Paul II fut frappé dans sa chair, et physiquement humilié (anus artificiel, douleurs lancinantes). Son texte est digne car il vient de sa propre douleur.

[12] Nous l’avons rappelé au début de cet ouvrage. Nous la remettons ici en note tant elle est essentielle au reste : La théologie catholique est une “ science ” en ce sens qu’elle est logique. Elle tire de quelques principes simples la totalité de sa compréhension. Pour comprendre (ce qui ne signifie pas tout comprendre), il suffit donc de saisir ces principes. Autre chose est de croire à ces principes!

La Bonne Nouvelle est, par son contenu, le principe de toute la théologie chrétienne.

“ Un Être éternel existe. Sa vie est faite de bonheur intérieur. Il est infini, il se suffit à lui-même. Aussi passe-t-il son éternité à se contempler lui-même et à s’aimer. Ce qui pour nous serait du narcissisme est chez lui, parce qu’il est sans aucune limite, Vie, Paix et Joie. On peut même dire que ce Dieu unique, dans sa vie intime, est comme fait de trois personnes. La connaissance qu’il a de lui-même s’appelle le VERBE (le Fils), L’amour qu’il a pour lui-même s’appelle le SAINT ESPRIT. Il s’agit d’un seul Dieu en trois personnes.

Deux qualités du cœur peuvent résumer la vie de Dieu : l’humilité et l’amour. Cette humilité et cet amour sont infinis dans toutes les directions des relations trinitaires. Sans cesse, le Père s’efface devant le Fils parce qu’il l’aime. Certains théologiens objectent que Dieu ne peut être humble, que c’est le propre de la créature. Qu’ils réfléchissent aux abaissements du Verbe éternel, lui qui était, dit saint Paul, de condition divine…

Or le Dieu infini décide de faire partager son bonheur. Il crée donc des êtres dotés d’un esprit. Son but est de se montrer à eux, face à face, pour qu’ils soient heureux comme lui l’est. (les anges, puis les hommes). Mais il y a une condition. On ne peut voir Dieu face à face que si on l’épouse librement, comme dans un mariage d’amour.

Et, pour l’épouser, il faut devenir semblable à lui. Nul ne peut voir Dieu s’il ne devient, comme Dieu, toute humilité et tout amour. « Nul ne peut voir Dieu sans mourir à soi-même». Il ne s’agit pas de n’importe quelle humilité, ni de n’importe quel amour. La moindre trace d’orgueil ou d’égoïsme rend « techniquement » impossible le mariage avec Dieu. Dans ces conditions, on ne peut le comprendre et le voir ressemblerait à un viol.

Mais qui est comme cela? Qui peut se targuer d’être humble et aimant au point d’être capable de donner sa vie pour autrui, de donner sa vie pour un ennemi? L’image de l’amour nécessaire est visible à travers la vie de Jésus. Ceux qui l’ont mis à mort et qui se moquent de lui, il les aime au point qu’il les accueille à l’heure de leur mort et leur propose la vie éternelle. Ces personnes ont sans doute été tellement surprises par une telle preuve d’amour qu’elles ont demandé pardon pour leur faute.

[13] Matthieu 23, 35.

[14] Luc 18, 26.

[15] Ce passage est très important. Il a le pouvoir de donner au cœur humain, par le fait même que Dieu se tait, une soif, donc un désir qui grandit sans cesse. Cependant, Dieu n’est pas esclave de ses lois. Nous verrons qu’il est capable de conduire autrement les âmes de ceux qui n’ont pas vécu ici-bas (les enfants morts trop jeunes en particulier).

[16] Se référer à la première partie, l’histoire de Dieu.

[17] Méditation sur la souffrance.

[18] 1 Corinthiens 1, 23.

[19] Ce fait divers pédophile marqua la Belgique à la fin des années 1990.

[20] Isaïe 65, 17 ; Apocalypse 7, 14.

[21] J’entre dans la vie, cerf, p. 66

[22] Un chapitre est consacré plus loin à cette question.

[23] Matthieu 7, 22.

[24] Aussi appelé le shéol ou l’Hadès. Mes sources : quelques textes bibliques de l’Ancien Testament, très confus et peu précis; de nombreux témoignages dans la bouche de saints canonisés. Certains sont cités ici. Il n’existe aucune définition d’un pape ou d’un Concile, mais seulement une pratique liée aux messes des morts et parfois pratiquées par des prêtres exorcistes en cas de phénomène paranormal. Enfin, une foule de témoignages concernant des âmes errantes, aussi bien chez des chrétiens que dans le monde païen, musulman, juif etc.

[25] Job 7, 9.

[26] Luc 12, 15 et ss.

[27] Sans faire d’amalgame, il est important de constater que certaines théologies orientales expliquent de la même façon le phénomène des revenants. Le Livre des Morts tibétain indique comment il est possible aux vivants de conduire les âmes errantes vers le bon port. Dans cette tradition, on explique leur lien avec notre monde par une conservation, au-delà de la mort du corps psychique, (le corps astral, sorte de corps psychique survivant un temps au corps physique, composé d’énergie magnétique, et siège des facultés de la sensibilité). De cette manière, il leur est facile d’expliquer les manifestations des revenants. Une telle vision est parfaitement admissible par la théologie catholique.

[28] Cela peut être le cas dans certains types de suicides liés à la perte d’un bien matériel. Celui qui se tue parce qu’il a perdu son argent est manifestement victime d’un tel attachement maladif. Si son cœur avait un autre but que l’argent, il trouverait la force de survivre. Il croit fuir pour le néant mais emporte son problème avec lui. On trouve aussi des coupables de péchés particulièrement ignobles et éprouvants, qui sont morts psychologiquement rongés par les cauchemars de leurs actes. Leur mal psychologique est si lourd que leur vie morale est inhibée. Ils ne sont pas prêts à affronter la Parousie, l’apparition du Christ glorieux.

[29] La Bible décrit très bien comment historiquement, l’humanité a appris la finesse. Les hommes des temps anciens furent souvent des sauvages. Voir par exemple Genèse 6, 4 : «Les Nephilim étaient sur la terre en ces jours-là (et aussi dans la suite) quand les fils de Dieu s’unissaient aux filles des hommes et qu’elles leur donnaient des enfants; ce sont les héros du temps jadis, ces hommes fameux. Yahvé vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée. »

[30] Luc 16, 22 : « Or il advint que le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche aussi mourut, et on l’ensevelit.»

[31] Pour la majorité des Pères de l’Église, les morts de l’Antiquité recevaient la visite d’un Ange de Dieu qui leur annonçait l’Évangile à venir. Les morts attendaient alors avec Abraham, dans la joie, que le Messie naisse et vienne leur ouvrir la Vision de Dieu.

[32] Vie de Clémence Ledoux, fondatrice de la fraternité de Marie-Reine Immaculée.

[33] Luc 12, 34.

[34] Le spiritisme ou évocation des morts a la plupart du temps pour cause des démons de l’enfer. Ils se font passer pour des saints du Ciel, d’où l’interdiction totale de l’Église vis-à-vis de cette pratique. Parfois, cependant, ce sont ces âmes en peine qui répondent. On les reconnaît au caractère insipide et lourd de leurs propos.

[35] Marc 6, 49.

[36] Matthieu 25, 36.

[37] C’est à dire l’intelligence et l’amour.

[38] Cet enseignement n’a rien à voir avec celui des animistes : «N’importune pas les vivants. Va hanter les lieux déserts. »

[39] Sur terre, nous n’avons pas l’expérience de notre capacité de survie après la mort. Les âmes errantes sont expérimentalement délivrées de ce doute.

[40] Dans d’autres religions comme le tantrisme, le fidèle est aussi invité à prier pour l’âme errante et à lui adresser la parole, en lui expliquant qu’il est bon pour elle de ne plus s’attacher à la terre, que son lieu est celui de l’autre monde. Une telle pratique semble réaliste et saine. Aidée ainsi, l’âme peut alors passer dans une autre demeure du purgatoire où la souffrance n’est plus causée par l’absence des plaisirs, mais par l’absence de Dieu.

[41] Matthieu 5, 6.

[42] Rappelons-le : la vie terrestre permet seule permet la croissance de la capacité d’aimer (c’est-à-dire du désir), pour deux raisons : 1. Dieu se cache; 2. Les malheurs paraissent injustes. Dans le cœur des justes, une soif de justice, d’explication, d’amour grandit à mesure que l’on prend conscience de cette absurdité. Peu importe la révolte, la colère de certains. Profondément, elle est plutôt le signe positif d’un désir grandissant d’amour et de justice. Ces hommes-là seront comblés car Dieu est l’Amour et la Justice. C’est pourquoi cette vie est si importante.

[43] C’est d’ailleurs un des arguments les plus utilisés par les protestants pour nier la réalité d’un autre purgatoire après la venue du Christ. Ils oublient que l’amour total n’est pas l’unique condition pour entrer auprès de la Trinité. Cet amour doit être humble. Or il est difficile d’aimer sans se regarder aimer quand, durant toute une vie, on a vécu pour soi. Cela, même l’apparition du Christ ne le réalise pas toujours. Quand une personne n’a jamais touché sa misère de manière expérimentale (ce que seule l’expérience de la souffrance réalise pleinement), elle a du mal à comprendre qu’elle n’est que néant.

[44] Sainte Catherine de Gênes eut la vision des trois purgatoires mystiques. Elle la mit par écrit. Il en ressortit un Traité du purgatoire dont le contenu fut canoniquement mis en valeur par l’Église.

 

[45] Cette parole est appelée par l’Église, le jugement dernier de la personne.

[46] La bienheureuse Anne-Catherine Emmerich, une célèbre stigmatisée du XIXème siècle, eut la vision de l’état des âmes de ce purgatoire mystique : « J’ai vu Dieu rendre son jugement sur de grands pécheurs. Il ne condamne que ceux qui ne veulent absolument pas se convertir. Mais ceux qui ont encore une étincelle de bonne volonté se sauvent. Il y en a qui ont un très vif repentir de leurs péchés, qui les confessent sincèrement et ont pleine confiance dans les mérites infinis de notre sauveur. Ceux-là arrivent au bonheur éternel et leurs péchés sont oubliés. Ils passent bien par le purgatoire mais ils n’y restent pas longtemps. Au contraire, beaucoup vont pour longtemps au purgatoire, qui ne sont pas de grands pécheurs, mais qui vivent dans la tiédeur et qui, par amour propre, trouvent mauvais qu’on les avertisse et les reprenne. » (Vie d’Anne-Catherine Emmerich, Téqui, 1923, Tome I, p. 331).

[47] Le Christ souffrit en toute innocence. Dans un grand cri, sur la croix, il demanda à Dieu son Père que cela serve de payement juste pour tout le mal commis dans le monde entier. Il obtint cette indulgence. Il l’applique sans cesse à chacun de nous, à sa manière. Il aime nous obtenir l’indulgence pour la peine de nos crimes à travers la prière de ceux qui sont encore sur terre.

[48] Saint Thomas distingue le temps extérieur de la durée intérieure, subjective qu’il appelle l’aevum.

[49] Luc 16, 24.

[50] Luc 16, 24

[51] « Il lui dit » : c’est une façon de parler. Ce n’est pas sa langue qui prononce ces paroles. C’est son être même. La souffrance a brûlé son âme et fait apparaître l’or, selon cette parole de saint Paul : «Que si sur ce fondement on bâtit avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, du bois, du foin, de la paille, l’œuvre de chacun deviendra manifeste; le Jour, en effet, la fera connaître, car il doit se révéler dans le feu, et c’est ce feu qui éprouvera la qualité de l’œuvre de chacun. Si l’œuvre bâtie sur le fondement subsiste, l’ouvrier recevra une récompense; si son oeuvre est consumée, il en subira la perte; quant à lui, il sera sauvé, mais comme à travers le feu. » (1 Corinthiens 3, 12).

[52] Cette parole est prononcée à la messe juste avant la communion. De même, elle est prononcée par le tréfonds de l’âme des morts juste avant l’entrée dans la vision de Dieu. La messe est le symbole de la vie de la grâce.

[53] Cela ne veut pas dire qu’il faut devenir prostituée! Cela veut dire qu’un prêtre, parce qu’il récolte la considération des autres, doit le faire par amour, quitte à vivre ce purgatoire après la mort. Il faut être lucide sur soi-même : il est difficile à une personne reconnue d’être humble. Peu importe, s’il s’agit d’aimer son prochain pour Dieu. Saint Paul le disait aux Romains 9, 2 : «j’éprouve une grande tristesse et une douleur incessante en mon cœur. Car je souhaiterais d’être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères. » C’est l’amour le plus grand, celui de l’apôtre.

[54] Matthieu 25, 21.

[55] Matthieu 27, 51 : «Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas; la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent». Il n’existe pas de texte plus réaliste pour décrire le bouleversement qu’est l’entrée dans la vision béatifique.

 

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