SAINT MARIN, VIERGE ET MERE

 

 

Bithynie, vers 750

Lorsque le père de Marin se retrouva veuf, ses désirs se tournèrent vers la vie monastique. Marin était son fils unique. Agé de moins de 17 ans, il était doux et obéissant. Lui aussi aimait Dieu. Il fut reçu moine avec son père et fut appelé par tous frère Marin. Il pratiqua la vie religieuse avec beaucoup de piété, et son obéissance était grande. Les années passèrent. Le père de Marin tomba malade, il appela son fils, lui parla longuement de Dieu et de la vocation religieuse.

 

                                                                 Puis il mourut. Marin avait 27 ans.  

                                                                                 

Marin allait souvent avec le chariot et les boeufs pour amener du bois au monastère. C’était un travail difficile qui l’obligeait, parfois, à ne pas rentrer avant deux jours. Il avait alors coutume de loger chez un hôtelier.

Cet hôtelier avait une jeune fille. Elle se retrouva enceinte. Lorsque son père se rendit compte de son état, il l’interrogea et la souffleta jusqu’à ce qu’elle révèle le nom du père. Pressée de toute part, elle répondit que c'était le moine Marin qui l’avait violée.

Ce fut un grand scandale. On arrêta Marin et on l’interrogea sans douceur. Il fut sommé d’avouer, par l’Abbé puis par le sergent, il finit par avouer et demanda grâce. Le Père Abbé réunit son conseil et on décida de le chasser aussitôt du monastère.

Or Marin ne sut où aller. Désespéré, il était simple et depuis trop longtemps au service de Dieu pour se résoudre à s’éloigner de son église. Alors il s’installa sous un escalier à la porte du monastère. Il se contentait de quelques croûtons que la cuisine daignait lui donner. Il resta en tout trois années sous son abri de fortune.

Lorsque l’enfant fut sevré, son grand-père décida de s’en débarrasser et il le porta à l’Abbé. On le donna à élever à Marin, et il resta deux ans avec lui dans le même lieu. Il s’en occupa avec beaucoup de tendresse et il reçut aussi beaucoup d’amour de son enfant, un petit garçon vif et enjoué.

Or, parmi les frères, on ne cessait d’observer la patience et la douceur de Marin en toutes choses. Certains s’étonnaient même qu’il ait pu se rendre coupable de viol, on pensait plutôt à une faute consentie mutuellement. Pourtant, il ne niait jamais sa culpabilité, se contentant de ne rien dire. Finalement, le voyant dans cet état de misère avec son enfant en bas âge, on décida de lui faire pitié et de le recevoir dans le monastère, à titre d’ouvrier. On le chargea des fonctions les plus viles. Le père Abbé lui imposa de balayer et de les servir. Marin accepta et s'en acquitta avec tout son courage. C'était au-dessus de ses forces et il succomba après quelques jours de maladie, le 18 juin 750.

Le père Abbé résolut de ne pas l’enterrer dans le cimetière des moines mais à l’extérieur des terres saintes.

 

Jugement dernier

« Charmante histoire ! » disait avec ironie Lucifer à Marin lorsqu’il arriva aux portes de la mort. « Il y a de l’humilité, de la douceur et de la guimauve sirupeuse. Mais il y a surtout du mensonge. Et, sur ce point, les paroles même du Sauveur sont précises [1] : « Que votre oui soit oui, que votre non soit non, afin que vous ne tombiez pas sous le jugement. » Mon fils, votre faute est passible de l’enfer éternel, selon la théologie classique. »

Et Marin ne se défendit pas. Il avait depuis longtemps renoncé à se défendre. Il voulait juste rester dans la maison du Seigneur. Il était prosterné au sol, et il tournait ses pensées vers le Seigneur et la Vierge, acceptant à l’avance le sort éternel qu’il devinait.

Car l’ange des ténèbres ne lâche jamais aucune proie. Quand il ne trouve rien pour la séduire, puis pour l’accuser, alors il falsifie. Dans ce cas, il s’avérait que Marin arrivait dans la mort prosterné, chargé de repentir pour ses nombreux péchés, [non pour un quelconque viol puisqu’il n’en avait pas commis], mais pour des fautes qu’il reconnaissait par avance.

Or ces fautes n’existaient que dans la rhétorique du Prince du mensonge. C’était un spectacle qui faisait pitié et, jusque dans la mort, l’ange gardien de Marin qui l’assistait dans le passage se disait que cet homme là ne penserait jamais à lui-même.

Alors on le défendit, avec, comme il est de coutume pour les âmes rares, il y eut une grande colère contre Lucifer, une colère qui devait se faire sentir jusque sur la terre.

Le Christ révéla publiquement la vérité. Il apparut donc à Marin et le releva. Il s’était fait accompagner de vierges saintes et martyres, Agnès, Cécile, Anastasie... Elles lui dirent : « Tu entres aujourd’hui dans le cortège des vierges et des martyres. Tu deviens en ce jour Reine et épouse du Roi. On se souviendra pour l’éternité de ce que tu as vécu. Tu porteras une couronne qui brillera de loin et illuminera le monde entier. On en fera un exemple du mépris des valeurs les plus humainement respectables comme l’honneur et la justice. Et cela à cause d’autres valeurs qui plaisent à Dieu comme l’humilité et l’amour. Tu seras chargé d’accueillir les enfants dont on ne veut pas sur terre, puisque, pendant deux ans, tu as élevé avec amour un enfant qui n’était pas à toi sous ton escalier. Tu seras aussi chargé des mères qui refusent leur enfant, puisque tu as préféré vivre le martyre plutôt que d’accuser une pauvre pécheresse. Tu seras gardée pour un grand rôle sur la terre, vers la fin du monde. »

Marin fut tout troublé par cette salutation qui constitua son Jugement dernier. C’est que le vrai décret du Christ était [2] : « Qui s’abaisse sera élevé. »

Et il entra aussitôt, plein de confusion et de joie, dans la salle des noces. C’est bien lui qui se maria ce jour-là, avec Dieu.

Séisme sur la terre

Le père Abbé chargea un moine d’aller creuser un trou dans la nature pour enterrer Marin. Le moine qui avait toujours apprécié ce frère discret et serviable, choisit une colline et, malgré les racines et l’augmentation du travail, il commença à creuser sous un arbre vert.

Un autre frère fut chargé de faire la toilette du mort.

Or, il se fit soudain une agitation particulière dans le monastère. Tout courant [on ne court jamais dans une Abbaye], le moine entra dans la cellule du père Abbé : « Père, Père ! Le frère Marin est une femme. Il n’y a aucun doute. C’est une femme ! ».

Tous furent stupéfaits et effrayés. L’Office religieux fut suspendu ce jour-là. Tous les moines accoururent à cette nouvelle si extraordinaire. On se regardait. On se demandait comment c’était possible. On reconstitua l’histoire : le père de « Marin », voulant entrer au monastère où aucune fille n’était reçue, avait dû changer l’apparence de sa fille, cheveux et vêtements, afin qu'elle passât pour un homme puis il lui avait fait promettre, jusque sur son lit de mort, de ne jamais révéler son vrai sexe.

Repensant à la mort de misère de frère Marin, à cause de sa faute et de son viol, on se demandait comment il serait possible d’obtenir le pardon de Dieu pour une telle ignorance et un si grand péché commis. Chacun se comportait comme un petit enfant, ne sachant que faire, et le père Abbé n’était pas le moins agité. On s’avoua avoir manqué étrangement de perspicacité. On se mit à se remémorer les traits fins, la fragilité corporelle de Marin. On pensa surtout à sa sainteté. Et on se disait : « Pourquoi ne s’est-elle pas défendue ? Qu’elle ait eu peur de l’interrogatoire musclé de la police est une chose. Mais pourquoi ne jamais avoir protesté de son innocence, pendant des années ? »

Quant au petit garçon de Marin, qu’on élevait au monastère, il demandait : « Alors il n’est pas mon père ? » Et on lui répondait : « Il est mieux que cela. Il est ta mère, ta mère adoptive. »

Quand la jeune femme par qui le scandale était arrivé fut mise au courant, elle fut saisie d’une grande agitation. Elle voulait se tuer à l’idée qu’elle allait bientôt devoir subir la même violence qu’elle avait fait subir à Frère Marin. Elle confessa qu’elle avait jadis fauté avec un soldat de passage. Mais on ne lui fit pas de tort, effrayé par le Jugement dernier et voulant sans doute, après coup, imiter la douceur et le silence de frère Marin envers elle. Elle se rendit plus tard sur le tombeau du frère et se sentit miraculeusement entourée de paix et de pardon.

Sainte Marine fut inhumée avec honneur, dans l’église du Monastère. On vint de toutes parts à cette tombe et il s'y opéra un grand nombre de miracles. Son histoire se transmit dans la chrétienté entière quand ses reliques furent transportées de Constantinople, puis à Venise, puis de Venise à Paris, où on éleva une église en son honneur.

                                                                                    2005

En 2005, sainte Marine a été déclarée, conjointement avec sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, patronne de l’œuvre d’adoption céleste des enfants morts sans baptême. Cette décision, prise par un petit groupe de catholique, ne fit que ratifier une autre décision du Ciel.

 


[1] Jacques 5, 12

[2] Luc 18, 14